tag:theconversation.com,2011:/global/topics/vote-38446/articlesvote – The Conversation2023-12-03T16:29:18Ztag:theconversation.com,2011:article/2176912023-12-03T16:29:18Z2023-12-03T16:29:18ZVote par Internet : doit-on choisir entre confort et sécurité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562193/original/file-20231128-18-hgxla3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C32%2C5455%2C3604&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le vote électronique pourrait-il permettre d'augmenter le taux de participation aux élections? À quels coûts en termes de risques de fraude ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/une-femme-assise-sur-un-canape-a-laide-dun-ordinateur-portable-gVVGVlV753w">Resume Genius, Unplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le vote par Internet est aujourd’hui un mode de scrutin plébiscité par de nombreux organisateurs d’élections tels que les partis politiques, entreprises, et associations. Ce ne sont pas moins de 620 000 Français qui ont voté par Internet lors des différentes primaires à l’élection présidentielle en 2022 (<a href="https://www.eelv.fr/c-presidentielle-y-aller-pour-gagner-cf-2020112122/">écologiste</a>, <a href="https://republicains.fr/actualites/2021/11/26/decision-de-linstance-de-controle-3/">Les Républicains</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/01/27/primaire-populaire-donnees-collectees-controle-des-resultats-issue-du-vote-le-scrutin-en-six-questions_6111216_6059010.html">populaire</a>) et 270 000 Français de l’étranger lors des <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/actualites-du-ministere/actualites-du-ministere-de-l-europe-et-des-affaires-etrangeres/article/elections-legislatives-ouverture-du-portail-de-vote-par-internet-27-05-22">élections législatives</a>… Mais aussi près d’un million de votants lors des <a href="https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/ArchivePortailFP/www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/stats-rapides/resultats-electionsFP_2022.pdf">élections professionnelles de la fonction publique d’état</a>, la même année.</p>
<p>Plusieurs avantages du vote par Internet peuvent expliquer ce succès : une possible réduction des coûts et une facilité d’organisation mais aussi, et surtout, le confort et la praticité de pouvoir voter depuis chez soi. Cependant, bien que ce dernier point soit <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/06/25/le-vote-electronique-remede-a-l-abstention-comprendre-le-debat-qui-agite-l-entre-deux-tours-des-regionales_6085744_4355770.html">souvent présenté comme un rempart face à l’abstentionnisme croissant</a>, il est en fait <a href="https://www.zora.uzh.ch/id/eprint/136119/">loin</a> de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/poi3.160">faire consensus</a> dans la <a href="https://elections.fgov.be/informations-generales/etude-sur-la-possibilite-dintroduire-le-vote-internet-en-belgique">littérature académique</a>.</p>
<p>Plus généralement, le confort de pouvoir voter depuis son téléphone ou son ordinateur occulte bien souvent les enjeux liés à la sécurité, comme les possibilités de cyberattaques ou de fraudes électorales, et les risques induits sont rarement discutés et bien compris.</p>
<p>En fait, pour l’instant, le vote par Internet échoue bien souvent à atteindre les mêmes garanties que le mode de scrutin traditionnel, le vote papier à l’urne.</p>
<h2>Quelles garanties pour un scrutin ?</h2>
<p>Un système de vote doit assurer deux garanties fondamentales, définies par le code électoral. Tout d’abord <em>le secret du vote</em> garantit à tout votant que personne ne saura comment iel a voté. Ensuite, la <em>sincérité du scrutin</em> assure que le résultat de l’élection n’a pas été truqué, par exemple en retirant, modifiant, ou ajoutant un bulletin de vote.</p>
<p>Pour le vote traditionnel, le vote papier à l’urne, le secret du vote est garanti par l’utilisation d’isoloirs, d’enveloppes opaques et identiques, et d’urnes rassemblant et mélangeant tous les bulletins. La sincérité du scrutin est assurée par l’utilisation d’urnes transparentes et scellées qui sont à tout moment scrutées par un certain nombre <em>d’assesseurs</em> qui vérifient le bon déroulé du scrutin. Ainsi le scrutin est rendu <em>vérifiable</em> et il suffit d’un seul assesseur honnête pour garantir la sincérité du scrutin.</p>
<p>Dans le cas du vote par Internet, la question se pose alors en ces termes : lorsque je clique sur un choix de vote puis sur le bouton « Votez », que se passe-t-il réellement ? Qui vérifie que mon vote sera bien pris en compte et qui serait en mesure de connaître mon vote ? Toutes les solutions de vote par Internet promettent un haut niveau de sécurité supposément garanti par la cryptographie (chiffrement, signature numérique, preuve à divulgation nulle de connaissance, etc.). Qu’en est-il vraiment ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1535200370946883584"}"></div></p>
<p><em>Une <a href="https://twitter.com/FR_Consulaire/status/1535200370946883584">invitation</a> à voter en ligne de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire.</em></p>
<h2>En théorie : la cryptographie garantit un vote par Internet sûr</h2>
<p>Pour répondre à ces questions, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a émis des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038661239">recommandations</a> définissant des bonnes pratiques pour atteindre certains niveaux de sécurité.</p>
<p>Par exemple, les bulletins doivent être cryptographiquement chiffrés et la clé permettant le déchiffrement doit être distribuée entre plusieurs autorités possédant chacune un fragment de clé. Ainsi, en présence de toutes les autorités et leur fragment de clé, et uniquement dans ce cas, les bulletins peuvent être <em>collectivement</em> déchiffrés, révélant ainsi le résultat de l’élection (cela imite partiellement le rôle des assesseurs).</p>
<p>De même, pour s’approcher de la transparence d’une urne physique, un votant qui soumet un bulletin doit recevoir en retour un <em>reçu cryptographique</em> confirmant la prise en compte de son bulletin. Ce reçu lui permet également de vérifier, à postériori, que son bulletin n’a pas été retiré de l’urne avant le décompte final.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Quelques étapes du vote électronique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lucca Hirschi et Alexandre Debant</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Pour les scrutins à fort enjeu (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038661239">niveau 3 des recommandations de la CNIL</a>), cette vérification grâce au reçu cryptographique doit même être rendue possible via un tiers de confiance, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038661239">distinct de l’organisateur du scrutin</a>… ce dernier n’étant pas considéré de confiance (<a href="https://eprint.iacr.org/2022/1653">tout comme son serveur web, qui héberge le site web de l’élection</a>).</p>
<p>En théorie, ces bonnes pratiques permettent d’assurer le secret du vote et la sincérité du scrutin, même lorsque les organisateurs ou leurs systèmes informatiques sont compromis, s’approchant des garanties du vote papier.</p>
<h2>En pratique : la sécurité défaillante des solutions de vote</h2>
<p>Malheureusement, de nombreux exemples démontrent les faiblesses des recommandations CNIL et des solutions de vote existantes qui n’assurent pas les garanties escomptées.</p>
<p>Il est ici important de rappeler qu’avec le vote par Internet, l’impact d’une éventuelle attaque ou erreur prend une envergure inédite : dans le cas du vote physique, si on peut imaginer une « fraude » dans un seul ou un petit nombre de bureaux de vote, il semble compliqué de truquer tous les bureaux de vote d’un pays simultanément. En revanche, pour le vote par Internet, toutes les urnes dématérialisées sont généralement centralisées : stockées et gérées par une seule entité, et une seule corruption compromet l’ensemble des bulletins et résultats.</p>
<p>Commençons par le secret du vote : est-il réellement suffisant de chiffrer les votes ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, il faut en fait savoir comment est générée, distribuée, et stockée la clé (ou les clés) de déchiffrement. Il est arrivé que <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-15911-4_1">certains systèmes rendent publique la clé de déchiffrement une fois l’élection terminée</a>. Un attaquant sachant faire le lien entre les votants et leur bulletin (par exemple en ayant observé le réseau entre le votant et le serveur de vote) pouvait alors violer le secret du vote de chacun de ces votants en déchiffrant simplement leur bulletin associé avec la clé une fois divulguée.</p>
<p>D’autres vulnérabilités, plus subtiles, permettent également de violer le secret du vote, malgré l’utilisation de chiffrement et une bonne gestion des clés. De telles vulnérabilités ont récemment été découvertes sur le <a href="https://www.usenix.org/conference/usenixsecurity23/presentation/debant">système de vote utilisé lors des élections législatives de 2022 par les Français résidants hors de France</a> (1,2 million d’électeurs éligibles) ou encore les <a href="https://orbilu.uni.lu/bitstream/10993/49442/1/main.pdf">systèmes de vote utilisés en Estonie</a> ou en <a href="https://inria.hal.science/hal-03446801/">Suisse</a>.</p>
<p>Enfin, l’utilisation de reçus cryptographiques est-elle suffisante pour assurer l’intégrité du scrutin ?</p>
<p>Ici aussi, le diable est dans les détails. Il est en effet crucial que la solution de vote assure que le reçu fourni au votant correspond bien au bulletin de vote qu’il a transmis. Lors des élections législatives 2022, il a été démontré qu’un <a href="https://eprint.iacr.org/2022/1653">attaquant pouvait modifier le bulletin de vote soumis par un votant</a> et adapter le reçu avant de le transmettre au votant, qui croit alors à tort pouvoir vérifier <em>son bulletin</em>.</p>
<h2>Vers un vote par Internet plus sûr</h2>
<p>Devant de tels constats, les agences gouvernementales compétentes – ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et CNIL, la communauté scientifique et les vendeurs de solutions s’activent et collaborent pour améliorer la sécurité du vote par Internet.</p>
<p>Tout d’abord, une plus grande transparence des systèmes de vote et de leurs exigences de sécurité est nécessaire. Par la publication de spécifications décrivant précisément le fonctionnement des composants critiques mais aussi du code source des programmes correspondants, différents experts pourront étudier la sécurité de ces systèmes et ainsi collectivement contribuer à leur amélioration. De même, la publication claire et précise des objectifs de sécurité prétendument atteints par les systèmes permettra à chaque votant de comprendre les hypothèses de confiance sous-jacentes et ainsi d’accepter librement et de manière éclairée d’utiliser ou non le système avec ses risques résiduels. Cette approche a fait ses preuves <a href="https://cyber.gouv.fr/publications/mecanismes-cryptographiques">pour la standardisation des primitives cryptographiques et permet le développement de systèmes toujours plus sûrs</a>.</p>
<p>Il faut ensuite élever les exigences de sécurité du vote par Internet. Tout d’abord via des recommandations et standards plus ambitieux et précis quant aux objectifs de sécurité et transparence à atteindre. Mais aussi au travers d’un cadre législatif mieux adapté aux spécificités du vote électronique. En effet, il n’est pas suffisant d’exiger le secret du vote et la sincérité du scrutin via la vérifiabilité (reçu).</p>
<p>Par exemple, en comparaison avec le vote papier, d’autres propriétés sont attendues : assurer la <em>résistance à l’achat de vote</em> ou la <em>coercition</em>. En effet, si l’isoloir assure que l’on peut voter sans subir de pression extérieure, qui nous dit que le votant est seul et libre de voter comme iel l’entend derrière son ordinateur ?</p>
<p>De même, il serait intéressant de discuter de la pertinence des solutions mises en place pour authentifier les votants. La solution la plus répandue aujourd’hui est l’authentification à deux facteurs, également largement utilisée pour d’autres usages tels que les applications bancaires. Toutefois, elle présente une limite claire : les identifiant et mot de passe peuvent être volés, devinés, ou abusés. Serait-il possible d’améliorer cela en se reposant par exemple sur un e-identité (<a href="https://e-estonia.com/solutions/e-identity/id-card/">comme la carte nationale d’identité numérique, telle que déployée depuis de nombreuses années en Estonie</a>) ?</p>
<p>Enfin, si l’ensemble des bulletins de vote papier sont détruits physiquement à la fin d’une élection, la question du stockage (volontaire ou non) sur Internet des bulletins pose évidemment la question du maintien du secret du vote dans 5, 10, 20 ans, quand les cryptographes auront certainement trouvé des failles dans le mécanisme de chiffrement utilisé. Cette <a href="https://orbilu.uni.lu/bitstream/10993/52132/1/main.pdf">résistance du secret du vote à de futures faiblesses de la cryptographie utilisée aujourd’hui est communément appelée <em>everlasting-privacy</em></a>.</p>
<p>Toutes ces questions sont malheureusement encore ouvertes, et, oui, il semble qu’aujourd’hui encore, le choix du confort se fait au détriment de la sécurité. Heureusement, ces questions sont autant de pistes de recherche qui nous occupent, nous autres chercheurs, et auront certainement demain de nouvelles réponses. En attendant, elles constituent peut-être autant de raisons de limiter l’utilisation du vote par Internet lors de scrutins à très fort enjeu : notamment pour les élections présidentielles et primaires de partis politiques.</p>
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<p><em>Le PEPR Cybersécurité et son projet <a href="https://pepr-cyber-svp.cnrs.fr/">Security Verification Protocol</a> (SVP) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217691/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucca Hirschi a reçu des financements du projet ANR Vérification de Protocoles de Sécurité (ANR-22-PECY-0006).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexandre Debant a reçu des financements du projet ANR Vérification de Protocoles de Sécurité (ANR-22-PECY-0006).
Alexandre Debant effectue des missions de conseil auprès de La Poste Suisse pour le développement de sa solution de vote électronique.</span></em></p>Le confort du vote depuis son canapé se fait au prix de la sécurité du scrutin – de quoi limiter l’utilisation du vote électronique pour les élections à fort enjeu.Lucca Hirschi, Chercheur en informatique, spécialisé en cybersécurité, InriaAlexandre Debant, Chercheur en informatique, spécialisé en cyber sécurité, InriaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179352023-11-26T15:41:03Z2023-11-26T15:41:03Z18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561311/original/file-20231123-23-10xms0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans un contexte difficile, les jeunes sont plus positifs qu’on ne le pense face aux défis de demain, plus matures aussi et se définissent principalement par les causes qu’ils défendent en privilégiant des modes d’action dans la sphère privée plutôt que dans un espace public qui ne les inspire pas.</p>
<p>Tels sont les principaux enseignements de l’enquête exclusive réalisée en octobre auprès des 18-25 ans pour The Conversation France par le cabinet d’études George(s).</p>
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<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Retrouvez l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
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<p>Alors que de nombreux sondages montrent les inquiétudes des parents pour leur progéniture, les jeunes interrogés sont majoritairement optimistes en pensant à l’avenir (71 %) et environ un quart d’entre eux se disent « très optimistes » mais ils envisagent leurs leviers d’action dans un cadre familial ou amical plutôt que collectif.</p>
<p><iframe id="bjzi3" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bjzi3/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ils se déclarent aussi adultes à 86 % et font de l’autonomie financière une condition primordiale de leur vie future.</p>
<h2>Un engagement qui se matérialise dans la sphère privée</h2>
<p>L’un des faits frappants de l’étude est que la confiance exprimée est ancrée dans l’environnement proche, alors que la famille (à 45 %) et les amis (41 %) sont les éléments qui les rendent « très heureux ».</p>
<p>Les jeunes interrogés déclarent se définir en premier lieu à travers les causes qu’ils soutiennent, principalement d’ordre environnemental et sociétal : gaspillage alimentaire, défense de l’environnement, lutte contre les violences faites aux femmes, combat contre le racisme et les discriminations…</p>
<p>Mais cet engagement, qui est donc au cœur de leur identité, est à la fois un engagement personnel et citoyen.</p>
<p>La mobilisation ou l’appartenance à un parti politique ou à un syndicat ne représentent ainsi pas à leurs yeux des preuves fortes d’engagement. Pas plus que la participation à une manifestation ou la signature d’une pétition, traduisant un réel fossé entre leurs préoccupations et la possibilité de les exprimer dans le monde qui les entoure.</p>
<p>Plusieurs formes de « dons » sont en fait mises en avant par rapport au fait de s’engager : aider une personne dépendante ou malade (83 %), donner de son temps en général (80 %), faire des dons d’argent (75 %) sont largement cités.</p>
<p><iframe id="oEwS0" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oEwS0/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’engagement est à la fois proximal et intime. Il témoigne d’une véritable résilience et prend tout son sens à travers les actions et les gestes du quotidien. Interrogés sur « les personnes dont l’exemple vous donne envie de vous engager, de vous mobiliser », ils citent tout d’abord leurs parents, puis des « gens de leur génération qu’ils ont rencontrés » et en troisième « des membres de leur famille ».</p>
<p>Reste une singularité, même si seulement 16 % d’entre eux estiment que leurs « opinions politiques » contribuent à dire qui ils sont et que l’on connaît les faibles taux de participations des jeunes aux élections, 79 % considèrent toujours le vote comme une preuve d’engagement.</p>
<p>Un élément apparemment contradictoire mais qui semble traduire le décalage entre la représentation politique actuelle et celle que l’on aimerait et qui déclencherait l’envie de participer aux scrutins.</p>
<h2>Une maturité assumée face au contexte économique</h2>
<p>Être autonome financièrement (à 58 %), avoir une situation professionnelle stable (à 46 %), bénéficier d’un logement à soi (à 40 %)… ces trois éléments sont les premiers qui sont pris en considération par les 18-25 ans comme étant constitutifs d’un passage à l’âge adulte.</p>
<p>Une vision qui traduit la réalité d’une génération qui doit aussi faire à une certaine précarité. Il faut noter d’ailleurs que 41 % des 18-25 ans estiment que leur santé mentale et physique est très importante pour comprendre qui ils sont et en font donc une pierre angulaire de leur équilibre.</p>
<p>La question de l’orientation scolaire ou professionnelle montre des divergences. Une majorité des jeunes interrogés (56 %) estiment ainsi avoir le sentiment d’avoir vraiment pu choisir cette orientation mais chez les actifs, c’est le fait d’avoir un métier qui ne correspond pas à leur diplôme qui domine (à 53 %).</p>
<p>Face au travail, les jeunes sont à la fois très raisonnés et très exigeants, projetant une véritable maturité. Parmi les choses considérées comme « très importantes » figurent l’ambiance de travail (51 %), mais aussi la rémunération et les avantages matériels (50 %), le niveau de responsabilité (31 %) et le temps libre (44 %). La possibilité d’évoluer (43 %) est jugée plus importante que les valeurs et engagements de l’entreprise (34 %).</p>
<p><iframe id="rcIHf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rcIHf/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autant de constats qui semblent privilégier une approche très pragmatique face au travail, loin des déclarations que l’on peut voir de ci et là sur certaines quêtes de sens priorisées sans grande considération matérielle.</p>
<h2>Une ambiguïté face aux médias</h2>
<p>Parce qu’ils trouvent leurs repères dans cet environnement de proximité, les jeunes interrogés apparaissent très ambigus face au monde renvoyé par les médias.</p>
<p>Quand ils décident de s’informer, la priorité n’est pas donnée à la politique ou à l’économie. Ils préfèrent se tourner vers de l’actualité culturelle (note d’intérêt déclaré de 7,05/10), liée à l’environnement, la santé ou la science (6,63) ou au sport (6,21). Sans surprise par rapport à notre constat sur l’engagement, l’intérêt déclaré est beaucoup plus faible pour la politique nationale (5,54) ou internationale (5,38).</p>
<p>Face à l’actualité, ils se disent à la fois inquiets (41 %) et curieux (36 %), fatigués (33 %) et optimistes (24 %). Mais l’angoisse (25 %) et la méfiance (29 %) n’aboutissent pas forcément à de l’indignation (14 %) ou de la mobilisation (10 %).</p>
<p><iframe id="9mYCQ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9mYCQ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Un point à souligner : les jeunes femmes se déclarent en moyenne plus inquiètes que les hommes (48 % vs 33 %), plus fatiguées (39,5 % vs 26 %), angoissées (31,8 % vs 18 %) ou dépassées (29,6 % vs 19,5 %).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217935/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enquête exclusive de The Conversation France sur les 18-25 ans montre une jeunesse positive et qui s’engage dans la sphère privée pour relever les défis du futur.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2181652023-11-26T15:41:00Z2023-11-26T15:41:00ZComment les jeunes s’engagent<p>Contrairement à ce qui est souvent mis en avant dans les discours dominants, les jeunes n’ont pas démissionné de tout investissement dans la chose publique. Des enquêtes récentes ont montré qu’ils sont même plus engagés que les moins jeunes, relativisant certaines idées reçues, les décrivant comme massivement repliés sur un individualisme frileux et enfermés dans une apathie civique. En tout cas dans la perception qu’ils ont d’eux-mêmes. Alors que 72 % des 18-24 se considèrent engagés (9 points de plus que la moyenne), dont 17 % « très engagés », <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-sur-le-fil-de-lengagement/">55 % seulement des personnes âgées de 65 ans et plus se disent engagées</a>, soit 8 points de moins que la moyenne (63 %), selon les données d’une enquête de 2021.</p>
<p>Dans l’enquête <em>Jeunes en France</em>, commanditée par The Conversation et réalisée dans la première quinzaine d’octobre 2023 par l’institut George(s), ce sont six jeunes sur dix parmi les 18-24 ans qui se disent <em>engagés</em>, et parmi eux, 12 % <em>très engagés</em>. Seul un tiers des jeunes (35 %) se départit de toute idée d’engagement.</p>
<p>Si l’engagement de la jeunesse en France est palpable, reste à comprendre ce que recouvre cette disposition à l’engagement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Retrouvez l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
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<h2>Leurs déclinaisons de l’engagement</h2>
<p>Alors même que la participation au vote s’affaiblit dans les nouvelles générations, plus perplexes face au choix électoral qui leur est offert, l’attachement au principe de l’élection continue de s’imposer dans leur conception d’une citoyenneté engagée. Ainsi observe-t-on un écart entre la norme du vote, qui reste forte, et la pratique, qui s’amenuise.</p>
<p>Certes, c’est dans cet écart que peut s’engouffrer une certaine fragilisation de la démocratie, en tout cas dans sa dimension d’organisation de la représentation politique. Mais la reconnaissance de la matrice du modèle d’engagement démocratique que représente le vote résiste. Dans l’enquête « Jeune(s) en France », lorsqu’ils sont invités à sélectionner et à hiérarchiser les preuves d’engagement qui sont pour eux les plus significatives (réponse <em>tout à fait</em>), c’est <em>le vote</em> qui apparaît en premier dans les réponses des jeunes, à égalité avec le fait <em>d’être aidant et de s’occuper d’une personne dépendante ou malade</em> (39 % respectivement de leurs réponses). S’impose ensuite le fait de <em>donner de son temps aux autres en général</em> (34 %).</p>
<p><iframe id="Mu9yh" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Mu9yh/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’importance accordée à ces preuves d’engagement est emblématique de la façon dont les jeunes générations articulent aujourd’hui l’engagement pour le collectif et l’engagement au niveau individuel. Ils considèrent l’engagement sur les deux scènes, citoyenne et personnelle, politique et intime. Ainsi <em>être membre d’un mouvement ou d’une association</em> est une activité considérée comme <em>tout à fait</em> une preuve d’engagement par 31 % des jeunes, mais aussi le fait <em>d’emménager avec quelqu’un</em> (32 %). Et c’est du reste dans ces deux registres aussi que s’expriment et prennent forme leurs engagements concrets, nous le verrons.</p>
<p>L’individuation des engagements a nettement progressé, ce qui ne veut pas dire que toute dynamique collective a disparu. Il n’y a plus un seul collectif référentiel, ni non plus plusieurs grands collectifs faisant système, mais de multiples collectifs, plus fragmentés, plus dispersés, qui définissent autant d’ancrages identitaires et autant de vecteurs d’engagements circonstanciés et contextualisés. Les allégeances politiques et syndicales traditionnelles sont minimisées : <em>être membre d’un parti politique</em> n’est considéré comme tout à fait une preuve d’engagement que par 22 % des jeunes et <em>être membre d’un syndicat</em> que par 20 %.</p>
<p>L’on remarquera enfin, que la protestation politique – <em>participer à une manifestation</em>, <em>participer à une grève</em>, ou encore <em>participer à un blocage d’une université ou d’une entreprise</em> (respectivement 23 %, 22 % et 17 %), ne sont pas particulièrement une preuve d’engagement à leurs yeux. En revanche, le fait de choisir en priorité des produits respectueux de l’environnement, les dons d’argent ou encore le boycott d’entreprises apparaissent plus haut dans la hiérarchie (respectivement 31 %, 29 % et 27 %).</p>
<p>Ce passage en revue des registres d’engagement rend compte de la réalité de la place de la politique dans leurs conceptions de l’engagement, mais cette place coexiste avec d’autres dimensions relevant du domaine de la vie personnelle et privée (<em>avoir un enfant</em>, <em>signer un CDI</em>, respectivement 26 % et 31 % des réponses).</p>
<h2>Leurs pratiques d’engagement</h2>
<p>S’il existe en matière d’engagement un écart entre la norme et la pratique, il existe aussi un décalage entre l’intention et le passage à l’acte. Les jeunes mettent en œuvre des engagements concrets qui ne correspondent pas nécessairement à la hiérarchie avec laquelle ils déclinent les dimensions de l’engagement à leurs yeux les plus significatives. Néanmoins, à ce jeu, on observe davantage de correspondances que de dissonances.</p>
<p>En termes de passage à l’acte, et parmi les engagements mentionnés, c’est le fait de <em>s’informer</em> qui est la pratique la plus citée : plus des deux tiers des jeunes (68 %) reconnaissent <em>s’informer</em> régulièrement (<em>je l’ai déjà fait plusieurs fois</em>). Vient ensuite la capacité de <em>donner de son temps aux autres en général</em> mentionnée par plus de la moitié d’entre eux (52 %) qui reconnaissent l’avoir fait plusieurs fois. En troisième position, on retrouve <em>le vote</em> : 48 % ont déjà voté à plusieurs reprises. On constate la coexistence de la scène personnelle et collective, l’attention portée à l’engagement citoyen et à l’altruisme moral qui les rend disponibles aux autres.</p>
<p><iframe id="zZ9XZ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/zZ9XZ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’espace de la vie privée et des interactions personnelles offre aux jeunes un débouché à des pratiques d’engagement que l’on pourrait qualifier de proximité. Leur confrontation à la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychologie-generale/autre-a-distance_9782738157621.php">gestion de la pandémie de Covid-19</a> ces deux dernières années a été l’occasion d’éprouver à la fois leurs capacités de résilience personnelle et collective, faisant preuve d’initiatives en plus grand nombre que les plus âgés pour apporter de l’aide à leur entourage.</p>
<p>Des solidarités étudiantes notamment ont pu s’exprimer. Des groupes de discussion sur les réseaux sociaux ont été créés par les jeunes (29 % des 18-24 ans et 26 % des 25-34 ans contre 14 % de l’ensemble des Français). Cela représente un nombre assez considérable de personnes impliquées et s’efforçant à leur manière de contribuer à <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/en-immersion-jerome-fourquet/9782021467376">réduire les conséquences négatives de la pandémie</a> dans la vie quotidienne des Français. De façon nettement plus marginale mais significative de ces engagements de proximité, 8 % des Français ont fait à cette occasion du soutien scolaire en direction des jeunes en difficulté, et les jeunes ont été plus nombreux à s’engager dans ce type d’activité (18 % des 18-24 ans et 14 % des 25-34 ans), et 7 % ont organisé des <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-sur-le-fil-de-lengagement/">groupes de soutien et d’échange pour des personnes seules</a> ou en difficultés psychologiques.</p>
<p>La mise en œuvre concrète de l’engagement fait aussi apparaître un certain nombre d’actions protestataires qui, si elles ne sont pas apparues comme les plus emblématiques de l’engagement pour eux au plan normatif, occupent néanmoins une place significative dans leur expérience politique : 31 % disent avoir signé à plusieurs reprises une pétition, 23 % ont boycotté plusieurs fois des produits ou des entreprises, 18 % ont participé à une manifestation plusieurs fois aussi, et 14 % à une grève, 11 % à un blocage d’entreprise ou d’université.</p>
<p>Cette relative familiarité avec la culture politique protestataire est une caractéristique de la <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/politiquement-jeune/">politisation des jeunes générations</a> dans la plupart des démocraties européennes, dont la France. Mais l’enquête fait apparaître aussi un nombre non négligeable de jeunes mentionnant <em>être ou avoir été membre d’un parti politique</em> (19 %) ou <em>d’un syndicat</em> (16 %). Ces proportions sont importantes, même si l’on retiendra que de toutes les formes d’engagement, ce sont celles qui font le plus l’objet d’un repoussoir : respectivement 59 % et 60 % des jeunes n’envisagent en aucun cas de le faire. En revanche, le secteur associatif apparaît nettement plus attractif : 44 % des jeunes ont pu adhérer à ce type d’organisation, 27 % <em>ne l’ont jamais fait mais pourrait le faire</em>, seuls 30 % <em>n’envisagent pas de le faire</em>. Dans ce registre bénévole et militant, la disponibilité des jeunes est réelle.</p>
<p>La participation numérique est consistante : 39 % des jeunes reconnaissent partager à plusieurs reprises des contenus sur les réseaux sociaux qui sont des vecteurs d’information, de communication et potentiellement de mobilisation. Les jeunes utilisent les ressources du numérique : ils sont 40 % à partager leurs opinions sur les réseaux sociaux (contre 27 % des Français en moyenne), et 43 % à relayer des <em>posts</em> d’influenceurs sur les causes qui leur tiennent à cœur (<a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/politiquement-jeune/">contre 25 % en moyenne</a>).</p>
<p>Enfin, la question environnementale est un vecteur de plus en plus actif pour mobiliser les jeunes : 40 % déclarent avoir à plusieurs reprises choisi en priorité des produits respectueux de l’environnement et de la société.</p>
<h2>Un engagement pour des causes</h2>
<p>Certains enjeux forts tels que l’écologie et les inégalités occupent une place prépondérante dans le répertoire de leurs préoccupations et peuvent susciter un passage à l’acte d’engagement. Le répertoire d’actions s’est élargi, notamment en raison d’une diversification des causes à défendre.</p>
<p>Parmi les causes qui mobilisent le plus les jeunes interrogés dans le cadre de l’enquête « Jeune(s) en France », le <em>gaspillage alimentaire</em> arrive en premier, suivi par la <em>défense de l’environnement</em>. Plus de quatre jeunes sur dix reconnaissent s’être déjà engagés pour l’une d’entre elles (respectivement 45 % et 43 %), et une proportion quasi équivalente déclare qu’ils pourraient envisager de s’engager pour les défendre (respectivement 39 % et 41 %). L’attention portée aux questions des discriminations et des violences s’impose également. La <em>lutte contre les violences faites aux femmes</em> mobilise plus de quatre jeunes sur dix, et les jeunes femmes en plus grand nombre (46 % contre 30 % des jeunes hommes), ou encore le <em>combat contre le racisme et les discriminations</em> (42 % déjà engagés, et 39 % qui pourraient s’engager). Le <em>bien-être animal</em> est aussi un point d’attention : 42 % des jeunes se sont déjà engagés pour cette cause.</p>
<p><iframe id="FCKlt" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/FCKlt/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On notera pour finir que si le patriotisme n’est pas une valeur d’engagement qui domine, il témoigne néanmoins d’un certain regain visible dans plusieurs enquêtes récentes, une évolution que l’enquête « Jeune(s) en France » enregistre aussi. Un jeune sur cinq (20 %) reconnaît que c’est une cause pour laquelle il s’est déjà engagé et 40 % déclarent envisager de le faire. Dans les répertoires d’engagement, les traces de l’antimilitarisme se sont au fil du temps effacées. Aujourd’hui, ce sont près des deux tiers des jeunes Français (65 %) qui affirment que si besoin est ils seraient prêts à <a href="https://www.bva-xsight.com/sondages/les-francais-et-l-engagement/">s’engager pour défendre leur pays</a> en cas de conflit, et un sur deux (51 %) se dit prêt à risquer sa vie pour cela.</p>
<p>On voit ainsi cohabiter dans la jeunesse française une diversité d’engagements effectifs ou potentiels, allant du plus proche au plus lointain, de l’humanitaire au militaire, en passant par les engagements relevant de l’altruisme moral et de la solidarité au fondement de nos démocraties et du vivre ensemble.</p>
<h2>L’importance de la socialisation familiale</h2>
<p>Les résultats de l’enquête « Jeune(s) en France » confirment l’importance du modèle parental dans la formation des engagements présents et à venir de leur progéniture et la place de la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/toi-moi-et-la-politique-anne-muxel/9782020962490">« politisation intime »</a> qui opère dans le cadre du microcosme familial, notamment au travers des discussions. <a href="https://sciencespo.hal.science/view/index/identifiant/hal-03459728">Si l’on ne parle pas que de politique dans la famille</a>, loin de là, c’est néanmoins dans le cadre familial que l’on en parle le plus.</p>
<p>Les processus de <a href="https://hal.science/hal-03609521/">socialisation politique</a> au sein du groupe primaire que constitue la famille jouent toujours un rôle déterminant dans la fabrique des citoyens. Plus de la moitié (56 %) des jeunes interrogés dans l’enquête citent en tout premier leurs parents pour évoquer les personnes dont l’exemple a pu leur donner envie de s’engager et 52 % d’autres membres de leur famille.</p>
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<p>Cela n’exclut pas le rôle et l’importance des agents de la socialisation secondaire, à savoir les pairs ou encore d’autres interlocuteurs notamment dans le cadre scolaire. Ainsi les jeunes sont-ils nombreux à évoquer les gens de leur génération (52 %) ou des gens plus âgés (49 %) qu’ils ont rencontrés, mais aussi des professeurs (40 %). Les deux instances de la socialisation que sont la famille et l’école, décisives dans l’expérience juvénile et l’apprentissage de la citoyenneté, ont donc du point de vue des jeunes toujours une réalité et une efficacité.</p>
<p>Les influenceurs agissant sur les réseaux sociaux ou les journalistes n’arrivent que loin derrière (respectivement 29 % et 27 %). Mais de loin, ce sont les personnalités politiques, les autorités religieuses, soit des tutelles institutionnelles et idéologiques, qui arrivent en dernier (respectivement 25 % et 19 %).</p>
<p>On retiendra des résultats de l’enquête « Jeune(s) en France », la vitalité des forces d’engagement dans les jeunes générations, mais d’un engagement qui s’est affranchi des vecteurs institutionnels et traditionnels. Celui-ci s’est privatisé et se vit sans doute de façon plus intermittente, voire changeante que par le passé, étant plus dépendant des enjeux de l’actualité et d’une sensibilité à des causes jugées essentielles, dans un répertoire allant du plus universel au plus particulier.</p>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de l’enquête exclusive « Jeune(s) en France » réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet d’études George(s).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218165/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Muxel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'engagement des jeunes représente une nouvelle dynamique entre individuel et collectif. L'attachement au vote reste fort, même si la jeunesse est sceptique face au choix électoral du moment.Anne Muxel, Directrice de recherches (CNRS) au Cevipof, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2131102023-09-13T19:52:41Z2023-09-13T19:52:41ZComment le ressentiment nourrit le vote RN dans les zones rurales<p>La dernière élection présidentielle a réactivé des discussions sur l’existence de fondements géographiques à la fracture politique entre les Français. Il y aurait selon <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jerome-fourquet-l-etat-de-la-france-d-apres-05-05-2022-2474389_32.php">certains acteurs du débat public</a>, une opposition entre la France des grandes métropoles d’un côté et la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/cadrage">France de la périurbanité</a> et de la ruralité de l’autre.</p>
<p>Cette problématique est au cœur des réflexions de nombreux partis politiques aujourd’hui, <a href="https://www.liberation.fr/politique/pourquoi-la-gauche-na-pas-le-rural-au-beau-fixe-20230806_B6DRIUHD4RDGZHT3N4RWW4OPZM/?redirected=1">notamment au sein de la gauche</a>, comme en témoigne la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/la-france-des-beaufs-le-ps-epingle-par-darmanin-pour-l-intitule-d-une-table-ronde-de-son-universite-d-ete-20230825">polémique suscitée</a> par l’intitulé de l’une des tables rondes organisées par le Parti socialiste (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=NYQ3ppOFbiw">« La France périurbaine est-elle la France des beaufs ? »</a>).</p>
<p>De <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">nombreuses études universitaires</a> montrent que le niveau de soutien pour le Rassemblement national (RN) est plus fort dans les territoires ruraux et périurbains que dans les grandes agglomérations, tandis qu’à l’inverse le niveau de soutien à LFI est bien plus faible sur ces territoires.</p>
<p>S’il existe un certain consensus sur ce constat descriptif – même si certains chercheurs dénoncent le caractère trop généralisant de ces catégories ou <a href="https://metropolitiques.eu/L-illusion-du-vote-bobo.html">nuancent l’ampleur</a> de la division –, il y a dissensus sur l’explication qu’on peut avancer pour rendre compte de ce phénomène. <a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Nous indiquions dans un précédent article</a> que ce soutien aux partis d’extrême droite n’était certainement pas réductible à la situation économique et sociale sur les territoires. Cet article pose que l’opposition entre les territoires ruraux et urbains comporte une dimension psychologique importante.</p>
<h2>La conscience rurale</h2>
<p>Les recherches en science politique à l’international mettent de plus en plus en évidence des facteurs de nature psychologique pour expliquer le comportement politique différencié des populations rurales. C’est le cas notamment des travaux qui mobilisent la grille d’analyse établie par la politiste Katherine Cramer pour saisir l’ascension politique d’un gouverneur <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo22879533.html">républicain populiste dans le Wisconsin</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’homme politique Scott Walker victorieux des élections primaires de septembre 2010 au Wisconsin, le 14 septembre 2010. Sa campagne très populiste a été documentée par la politiste Katherine Cramer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b9/Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg/1024px-Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Elle montre, en rendant compte des conversations entre les habitants, qu’il existe une véritable <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/putting-inequality-in-its-place-rural-consciousness-and-the-power-of-perspective/A603EA36286F837AEB4F0CF250D4595A#">conscience rurale</a> basée sur l’identification sociale à un lieu de vie et un ressentiment vis-à-vis des habitants des zones urbaines qui revêt trois facettes.</p>
<p>Tout d’abord politique : les ruraux ont le sentiment que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte par les dirigeants politiques et qu’ils sont insuffisamment représentés. Puis économique : ils ont l’impression d’être les derniers à bénéficier des ressources publiques. Enfin, culturelle : l’idée que leur mode de vie est radicalement différent de celui des urbains et qu’il est méprisé.</p>
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<p>Bien que le contexte américain soit différent à bien des égards, les concepts de Katherine Cramer nous semblent pertinents pour éclaircir le cas français pour deux raisons. D’une part, parce que les écarts de comportement électoral entre les ruraux et les urbains ne peuvent se résumer à la <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">composition économique et sociale des territoires</a>. D’autre part, parce que des <a href="https://www.cairn.info/les-gars-du-coin--9782707160126.htm">travaux sociologiques</a> indiquent qu’il existe dans la <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">ruralité</a> une forte identification au lieu de vie liée à l’appartenance des habitants à des réseaux d’interconnaissances localisés et qui se <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">définissent en partie en opposition à d’autres groupes géographiques</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-r-comme-ruralite-159848">« Les mots de la science » : R comme ruralité</a>
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<h2>Un ressentiment géographique plus fort chez les ruraux</h2>
<p>Notre enquête par questionnaire pour le projet européen <a href="https://www.rudefrance.eu/">« Rural Urban Divide in Europe »</a> (RUDE) menée en France sur 4000 répondants en octobre 2022 fait apparaître un fossé géographique au niveau du ressentiment que les individus éprouvent vis-à-vis d’habitants d’autres zones géographiques.</p>
<p>La différence de niveau de ressentiment entre les ruraux et les urbains est particulièrement marquée en ce qui concerne le pouvoir politique. En effet, comme le montre la figure 1, 72 % des ruraux se sentent méprisés par les élites, contre près de moitié moins chez les urbains.</p>
<p>En outre, ce clivage est plus accentué encore sur la question de la représentation politique, puisque seulement 36 % des urbains pensent qu’il y a trop de députés ruraux qui ne représentent par les intérêts des habitants des zones urbaines, tandis qu’à l’inverse, 82 % des ruraux considèrent qu’il y a trop de députés issus des zones urbaines et qui ne représentent pas les intérêts des habitants qui vivent dans les zones rurales. Il est intéressant de noter que ce ressenti ne correspond pas à la représentativité effective des députés à l’Assemblée nationale où les <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/7353">zones rurales sont plutôt surreprésentées</a>.</p>
<h2>La perception de l’allocation des ressources publiques creuse le fossé</h2>
<p>Toutefois, c’est la mesure du niveau de ressentiment vis-à-vis de l’allocation des ressources publiques qui constitue le fossé le plus important entre ruraux et urbains. Les habitants des zones rurales ont le sentiment, assez marqué, d’être moins bien dotés en ressources publiques par rapport aux autres zones géographiques. 85 % des ruraux pensent que le gouvernement dépense trop d’argent pour le développement des zones urbaines, alors que le développement des zones rurales serait laissé de côté. En revanche, seulement 23 % des urbains sont d’accord avec l’affirmation inverse, confirmant ainsi l’existence d’un sentiment particulièrement prononcé chez les ruraux d’être abandonnés par les pouvoirs publics.</p>
<p>Là aussi, ce ressenti contraste fortement avec la réalité objective. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-etat-a-toujours-soutenu-ses-territoires-laurent-davezies/9782021451535">Les travaux de l’économiste Laurent Davezie</a> ont montré à plusieurs reprises que non seulement l’État investissait fortement dans ces territoires, mais qu’il y avait une forme de redistribution fiscale des habitants des grandes agglomérations vers les territoires ruraux. Enfin, ce clivage s’observe également concernant le ressentiment vis-à-vis des différences de mode de vie et valeurs selon les zones géographiques.</p>
<p>Pour le dire autrement, les habitants des zones rurales s’estiment en décalage et se sentent méprisés : 65 % des ruraux pensent que les personnes issues des zones urbaines ne respectent pas assez le mode de vie des personnes issues des zones rurales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fractures-territoriales-et-sociales-portrait-dune-france-en-morceaux-112154">Fractures territoriales et sociales : portrait d’une France en morceaux</a>
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<h2>Un ressentiment géographique aux conséquences politiques lourdes</h2>
<p>L’ensemble de ces résultats rejoignent ceux du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">sociologue Benoît Coquard</a> qui concluait son enquête auprès de jeunes ruraux de l’Est en considérant qu’ils estimaient « ne pas compter aux yeux du pays, ou de ceux qui les gouvernent ». Il semble assez évident que ce ressentiment géographique asymétrique puisse influencer le vote des habitants de la ruralité.</p>
<p>D’autres données issues de l’enquête RUDE, présentées ci-dessous (cf. figure 2), nous donnent un aperçu de ces conséquences politiques. Les ruraux sont d’autant plus enclins à voter pour le « Rassemblement national » à une élection prochaine qu’ils éprouvent du ressentiment vis-à-vis des urbains.</p>
<p>En effet, le score du Rassemblement national est déjà plus élevé de 10 points de pourcentage chez les ruraux par rapport à la moyenne, mais de plus de 22 points chez les ruraux qui éprouvent un ressentiment géographique. Ainsi, s’il y avait une élection prochainement, les ruraux avec du ressentiment géographique voteraient deux fois moins que la moyenne nationale pour le parti « Renaissance », mais deux fois plus pour le « Rassemblement national ».</p>
<h2>Plusieurs constats</h2>
<p>Ces résultats nous invitent à poser plusieurs constats. Tout d’abord, il convient de souligner l’importance du contexte géographique pour rendre compte des représentations politiques des individus. Ensuite, de constater l’existence, à l’instar des États-Unis, d’une certaine forme de « conscience rurale », fondée sur une « politique du ressentiment ». Enfin, ces résultats conduisent à mettre en avant un écart important entre la réalité des inégalités territoriales et la perception qu’en ont les individus.</p>
<p>Les représentations qu’ont les individus des territoires où ils vivent, en comparaison avec les autres, jouent un rôle essentiel. Or, il est probable qu’elles soient en partie façonnées par les discours médiatiques et politiques. À cet égard, le RN <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/803581/vote-des-villes-vote-des-champs-quen-est-il-exactement/">a réussi à convaincre une partie des électeurs ruraux</a> qu’il était le parti d’une ruralité abandonnée et méprisée.</p>
<p>Face à cela, il convient pour les autres forces politiques de prendre en compte cette forme de « conscience rurale », fondée sur le ressentiment, pour construire un autre discours, qui ne soit ni misérabiliste, ni condescendant, et qui fasse sens vis-à-vis des représentations des habitants des zones rurales.</p>
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<p><em>Cet article a été co-rédigé avec Blaise Mouton, étudiant en Master à Sciences Po Grenoble.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kevin Brookes a reçu des financements de l'ANR "The rural-urban divide in Europe – RUDE" coordonnée par l'agence européenne NORFACE.</span></em></p>Les habitants des zones rurales se sentent méprisés sur les plans politiques, économique et culturel, une impression qui nourrit un vote de ressentiment.Kevin Brookes, Post-doctorant à Sciences Po Grenoble - Laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063662023-05-25T16:48:57Z2023-05-25T16:48:57ZLes Turcs de l’étranger, un électorat acquis à Erdogan ?<p>Les résultats des élections législatives et du premier tour de la présidentielle turque de ce 14 mai 2023 ont été accueillis avec une certaine surprise par les médias français suivant la campagne, dans la mesure où nombre d’entre eux <a href="https://www.tf1info.fr/actualite/election-la-fin-de-l-ere-recep-tayyip-erdogan-une-presidentielle-cruciale-en-turquie-13304/">avaient annoncé</a> dans les jours précédents la fin de <a href="https://www.lopinion.fr/international/election-presidentielle-en-turquie-la-fin-de-lere-erdogan/">« l’ère »</a> ou du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/presidentielle-en-turquie-la-fin-du-regne-erdogan_5814086.htm">« règne »</a> de Recep Tayyip <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Erdogan</a>.</p>
<p>Un étonnement qui peut s’expliquer à la fois par les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/elections-turquie-une-defaite-d-erdogan-au-premier-tour-n-est-plus-a-exclure">nombreux sondages</a> qui donnaient le président sortant défait par la coalition hétéroclite de six partis ayant fait front commun pour essayer de le faire chuter après 20 ans au pouvoir, mais aussi par une tendance au « wishful thinking » illustrant l’espoir du paysage politico-médiatique français de voir perdre le chef d’État turc.</p>
<p>Par exemple, parmi les Turcs de France amenés à livrer leurs analyses, seuls des opposants au gouvernement sortant ont été <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4840510-erdogan-la-fin-d-une-ere.html">invités à développer leur point de vue sur le sentiment politique national</a>, au détriment des sympathisants du président Erdogan. Un biais qui alimente le discours gouvernemental turc sur les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/complorama/la-turquie-complotiste-a-l-heure-de-l-election-presidentielle_5842877.html">« complots étrangers » visant à faire chuter le gouvernement</a>, et qui contribue également à invisibiliser le vote des Turcs de France.</p>
<p>Ces derniers, comme la majorité des Turcs installés à l’étranger, sont en effet très majoritairement favorables au parti au pouvoir depuis l’ouverture des urnes dans les consulats de Turquie à l’occasion de l’élection présidentielle de 2014 qui fut la première à sacrer Recep Tayyip Erdogan. Jusqu’alors, le vote des ressortissants turcs n’était possible que depuis les postes-frontières de la Turquie, ce qui limitait bien plus la participation des expatriés.</p>
<h2>Les Turcs de l’étranger, un réservoir de voix pour Erdogan</h2>
<p>Avec 49,52 % des 55 833 000 suffrages exprimés au premier tour, il n’a manqué que 268 000 voix au président sortant pour être réélu dimanche 14 mai pour un troisième mandat présidentiel consécutif.</p>
<p>Or, sur l’ensemble des urnes dépouillées hors des frontières turques, l’actuel chef d’État a rassemblé 57,5 % des suffrages avec 1 047 740 électeurs, pour un taux de participation total des Turcs de l’étranger de seulement 50,73 %, alors que 88,82 % des votants se sont déplacés en Turquie. Une baisse de l’abstention des expatriés pourrait ainsi à elle seule suffire à faire réélire le président lors du second tour.</p>
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<p>Le chef de l’État et son gouvernement sont effectivement plus populaires auprès des ressortissants turcs qu’auprès des électeurs vivant en Turquie, comme l’illustrent les scores obtenus par Recep Tayyip Erdogan dans les quatre pays étrangers où les citoyens turcs sont le plus nombreux.</p>
<p>En Allemagne (avec 65,5 % des suffrages pour 475 593 électeurs), en France (64,8 %, 126 572), aux Pays-Bas (68,4 %, 98 265) et en Belgique (72,3 %, 50 318) il a ainsi à chaque fois obtenu un <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/dunya-secim-sonuclari">score qui aurait suffi à le faire réélire dès le premier tour</a>.</p>
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<p>Un large soutien que l’on retrouve également au niveau local dans la quasi-totalité des <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">neuf bureaux de vote installés sur le territoire français</a>, avec des scores plébiscitaires à Clermont-Ferrand (90,9 %), Lyon (86,3 %) et Orléans (85,8 %) ; d’autres larges victoires à Strasbourg (70,9 %), Mulhouse (65,8 %), Nantes (65,7 %) et Bordeaux (57,3 %) ; un résultat plus serré à Paris (51,2 %) et une seule défaite, à Marseille (42,8 % contre 56,3 % pour son principal adversaire, Kemal Kiliçdaroglu).</p>
<p>Ces résultats du candidat Erdoğan en France sont même meilleurs que lors de la présidentielle précédente, en 2018, quand il n’avait remporté « que » <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2018/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">63,7 % des suffrages dans le pays</a>, ce qui ne l’avait pas empêché d’être réélu dès le premier tour avec 52,6 % des voix sur l’ensemble des votants. En 2014, il avait rassemblé déjà <a href="https://www.memurlar.net/secim/haziran-2018-secim-sonuclari/cb-dunya.html">63,68 % des suffrages</a> dans les bureaux de vote installés sur le territoire français (il avait alors aussi été élu au premier tour, avec 51,79 %).</p>
<h2>Le cas de la France dans le paysage politique turc</h2>
<p>Lors des précédents scrutins, la France avait fait l’objet d’une campagne électorale à part entière, avec la venue de plusieurs personnalités du Parti de la Justice et du Développement) (AKP) au pouvoir. Le chef d’État en personne avait même pris part à de véritables meetings électoraux à Paris en 2010, Lyon en 2014 et <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/turquie-un-meeting-pro-erdogan-a-metz-fait-polemique_2094869.html9">Metz en 2017</a>.</p>
<p>Des rassemblements comparables ont également eu lieu à l’instigation des partis de l’opposition, comme le Parti démocratique des Peuples (HDP), dont certains députés et autres représentants sont participé à des débats citoyens en France, notamment <a href="https://www.kedistan.net/2018/05/28/meeting-marseille-garo-paylan/">à Marseille en 2018</a> à l’invitation d’associations arméniennes et kurdes locales. La spécificité du bassin électoral marseillais, plutôt favorable aux candidats anti-Erdoğan en 2023 comme en 2018 et 2014 – quand le président fut chaque fois au coude à coude avec le candidat du HDP, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210528-turquie-l-opposant-kurde-selahattin-demirtas-de-nouveau-condamn%C3%A9">Selahattin Demirtas, désormais emprisonné en Turquie</a> –, s’explique par <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786184_Le_developpement_transnational_de_la_cause_kurde_etude_du_foyer_d%E2%80%99implantation_militante_en_region_marseillaise">l’implantation ancienne de réseaux kurdes et d’une importante diaspora arménienne</a> opposés aux gouvernements turcs successifs.</p>
<p>L’électorat turc présent sur le reste du territoire français est surtout constitué de personnes arrivées à la suite de la signature d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1973_num_28_2_15411">accord d’envoi de main-d’œuvre signé avec la Turquie en 1965</a>, en grande partie issues des régions rurales de l’Anatolie, majoritairement acquises à l’AKP et à Erdoğan. De plus, cette population d’émigrés économiques et de leurs descendants est depuis longtemps particulièrement <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786034_Les_Turcs_de_l%E2%80%99etranger_au_coeur_de_la_strategie_d%E2%80%99influence_internationale_d%E2%80%99Erdogan_etude_du_cas_franco-europeen">courtisée par les organisations de l’islam politique turc transnational</a>, dont le président turc est issu. Elle est aussi souvent ciblée par les discours nationalistes visant à renforcer les liens de la Turquie avec ses ressortissants résidant au-delà de ses frontières.</p>
<h2>Une exportation des dérives du système électoral turc</h2>
<p>L’une des principales réussites politiques du chef de l’État turc – en tant que premier ministre puis président, depuis 2003 – est justement d’avoir consolidé la synthèse entre l’islamisme et le nationalisme, comme l’illustre la coalition gouvernementale qu’il a formée avec le Parti d’Action nationaliste (MHP, extrême droite d’inspiration fasciste) depuis les élections de 2018. Ce parti qui va lui permettre à nouveau de former un gouvernement de coalition majoritaire à la suite des élections législatives de cette année avec ses 50 députés, est également l’organisation mère de la mouvance des « Loups gris ».</p>
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<p>Les « Loups gris » désignent une milice rassemblant de jeunes militants du parti qui a été, en France, officiellement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/02/le-gouvernement-annonce-la-dissolution-des-loups-gris-mouvement-ultranationaliste-turc_6058211_823448.html">dissoute par un décret du Conseil des ministres en 2020</a>, suite à des manifestations violentes contre la communauté arménienne de Décines. De nouvelles violences ont eu lieu cette année dans cette même ville de l’agglomération lyonnaise dans le cadre des élections turques, puisque des assesseurs censés garantir le bon déroulé du scrutin et issus du Parti de la Gauche Verte (YSP) <a href="https://www.lepoint.fr/societe/presidentielle-en-turquie-des-opposants-d-erdogan-agresses-pres-de-lyon-12-05-2023-2519875_23.php">ont été agressés</a> lors de la fermeture du bureau de vote installé dans la commune pour les électeurs turcs de la région de Lyon.</p>
<p>La tenue même du scrutin dans des locaux d’ordinaire utilisés par l’organe consulaire du ministère des Affaires religieuses turques – l’Union des Affaires culturelles turco-islamiques (DITIB, <em>Diyanet İşleri Türk İslam Birliği</em>) de Lyon – <a href="https://www.leprogres.fr/politique/2023/05/11/elections-turques-la-deputee-tanzilli-saisit-le-procureur">pose par ailleurs question</a>, dans la mesure où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778">loi contre le séparatisme</a> votée le 24 août 2021 en France interdit justement d’organiser des élections dans des bâtiments « servant habituellement à l’exercice du culte ou utilisés par une association cultuelle ». Or la Turquie est officiellement un État laïc au même titre que la France, bien que les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/france-turquie-deux-laicites-que-tout-oppose_2137862.html">deux conceptions nationales de cette notion de laïcité soient profondément différentes</a>.</p>
<p>Reste qu’il peut demeurer gênant pour une partie de l’électorat turc lyonnais de se rendre dans un lieu associé à la pratique de l’islam sunnite, notamment dans la mesure où le principal opposant au président Erdoğan lors de cette élection a lui-même <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/10/elections-en-turquie-en-se-revendiquant-alevi-kemal-kilicdaroglu-a-brise-un-tabou_6172737_3232.html">proclamé son appartenance au mouvement religieux alévi</a>. Un culte traditionnellement marginalisé par l’organe gouvernemental responsable des affaires religieuses en Turquie comme à l’étranger, et qui est justement accusé d’être propriétaire des lieux dans lesquels a été organisé le vote des ressortissants turcs habitant dans la région de Lyon.</p>
<h2>Une polarisation croissante</h2>
<p>Cette transposition de la polarisation de plus en plus profonde du système politique turc s’observe dans cet exemple lyonnais mais aussi à Marseille, où des affrontements ont <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/presidentielle-en-turquie-une-bagarre-a-l-arme-blanche-dans-un-bureau-de-vote-a-marseille-2764382.html">également eu lieu à proximité du bureau de vote des Turcs de la région lors de ces élections</a>, ou encore en Allemagne, près de Stuttgart, où une dispute apparemment liée à ce même scrutin aurait fait <a href="https://tr.euronews.com/2023/05/11/almanyada-secim-kavgasi-iddiasi-mercedes-fabrikasinda-2-turk-isci-oldu">deux morts parmi des ouvriers turcs</a>.</p>
<p>Le comportement électoral des Turcs de l’étranger illustre ainsi l’évolution politique de la Turquie, dans la mesure où la persistance du soutien des expatriés au gouvernement actuel et au chef de l’État reflète leur popularité constante auprès d’une large base militante… mais aussi l’intégration de la synthèse idéologique islamo-nationaliste gouvernementale et de la rhétorique agressive qui l’accompagne par cet électorat qui n’hésite plus, dès lors, à s’en prendre directement à ses opposants, à l’étranger autant comme en Turquie. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206366/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Carcélès bénéficie d'une bourse doctorale financée par l'Université d'Aix-Marseille ainsi que de fonds alloués par l'Institut des Hautes Études du Ministère de l'Intérieur (IHEMI), dans le cadre de son travail de recherche - portant sur "la transposition des conflits nationaux en contexte migratoire par l'étude des militantismes turcs, kurdes et arméniens en France" - il est notamment amené à côtoyer régulièrement des associations militantes turques pouvant être en lien avec des organisations mentionnées dans cet article.</span></em></p>Recep Tayyip Erdogan et son parti obtiennent de bien meilleurs scores auprès des Turcs installés en Europe occidentale qu’en Turquie même. Les élections de mai 2023 l’ont encore confirmé.Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010202023-03-27T16:47:12Z2023-03-27T16:47:12ZVote sur les trottinettes : vers l’invention d’une régulation locale de l’économie numérique ?<p>« Pour ou contre les trottinettes en libre-service à Paris ? » Telle est la <a href="https://www.paris.fr/pages/interdiction-des-trottinettes-en-libre-service-les-parisiens-voteront-22954">question</a> à laquelle les Parisiens sont invités à répondre ce dimanche 2 avril dans leur mairie d’arrondissement.</p>
<p>L’annonce de la consultation à la mi-janvier par l’exécutif parisien a rapidement ouvert le débat sur les avantages et inconvénients de ce nouveau moyen de déplacement urbain. Le camp de la maire socialiste Anne Hidalgo, tout en indiquant que le vote des citoyens <a href="https://www.leparisien.fr/politique/anne-hidalgo-face-a-nos-lecteurs-quon-arrete-les-trottinettes-electriques-en-libre-service-dans-paris-14-01-2023-NW4SISO7TRAXJFRL53O6UME3KQ.php">« sera respecté »</a>, n’a pas caché sa préférence pour le « contre ».</p>
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<p>« Que les Parisiens aient leur propre trottinette, pas de souci. <a href="https://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/paris-est-la-ville-deurope-ou-lon-utilise-le-plus-les-trottinettes-electriques-en-libre-service-16-11-2022-YO5UU5777ZA25D7JW7XUACEUP4.php">Mais on a un vrai problème avec le free floating</a>. Ce n’est pas écolo. Les salariés de ces sociétés ne sont pas correctement protégés. Mon idée, c’est qu’on arrête », a-t-elle répondu à des lecteurs du Parisien.</p>
</blockquote>
<p>David Belliard, adjoint à la Transformation de l’espace public et aux Mobilités a, lui, défendu cette position au nom d’un « espace public apaisé ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1627965419725152256"}"></div></p>
<p>De nombreuses <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/faut-il-interdire-les-trottinettes-en-libre-service-a-paris-952026.html">questions</a> ont été portées au débat : l’accidentologie est-elle plus élevée que pour les vélos ? Ce nouveau moyen se substitue-t-il à l’usage de la voiture ou réduit-il seulement la part de la marche à pied ? Les trois opérateurs, auxquels le marché est réservé (Lime, Dott et Tier) et dont le contrat arrive à échéance fin mars, ont, eux, <a href="https://www.20minutes.fr/paris/4024497-20230220-paris-guerre-declaree-trottinettes-libre-service">fustigé le mode d’organisation du scrutin</a> dont ils doutent de la sincérité : sans consultation électronique, ni vote par correspondance, représentera-t-on bien l’avis des plus jeunes moins enclins à se déplacer dans les bureaux de vote que leurs aînés ? On retrouve pourtant parmi eux de nombreux utilisateurs du service, leur moyenne d’âge étant de 33 ans.</p>
<p>Il importe aussi, et cela a été l’objet de <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/la-privatisation-numerique/">recherches</a> menées avec Simon Cottin-Marx au Laboratoire techniques territoires et sociétés, de s’interroger en amont sur ce qui fonde l’intervention de la ville de Paris sur ce sujet. À nos yeux, il y a là quelque chose qui s’invente, à contre-pied d’un mouvement global qui fait remonter toujours plus haut la régulation de l’économie numérique, vers l’État, l’Union européenne et des accords internationaux.</p>
<h2>Des raisons pour se saisir du dossier</h2>
<p>Les premières trottinettes en libre-service sont arrivées dans les rues de Paris au début 2019. Le service est dit en <em>free floating</em>, pour signaler le fait que ces engins ne sont pas attachés à des stations fixes, comme le sont par exemple les Vélib’, et qu’ils peuvent être déverrouillés par un Smartphone dans tout l’espace public.</p>
<p>Certes, les trottinettes sont un bien matériel, mais l’infrastructure en arrière-plan est toute numérique, du système de location et tarification au repérage GPS dans l’espace. La recharge des batteries à l’origine reposait sur des auto-entrepreneurs payés à la tâche sur le mode des chauffeurs de VTC Uber.</p>
<p>Le déploiement a été très rapide. À l’été 2019, <a href="https://www.lemonde.fr/blog/transports/2019/06/06/enquete-inedite-utilisateurs-trottinettes-electriques/">12 sociétés</a> mettaient à disposition 20 000 trottinettes dans la capitale. C’est alors que les critiques ont commencé à monter. Les réactions des pouvoirs publics se faisaient elles aussi entendre et les rapports étaient plutôt tendus avec les opérateurs comme le montrent ces tweets d’Emmanuel Grégoire, Premier adjoint d’Anne Hidalgo. Nous les avons suivies et mises en perspective dans notre enquête.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1126374932945022976"}"></div></p>
<p>Du point de vue de l’État et de ses compétences, le seul enjeu était celui de la sécurité. La trottinette a ainsi fait l’objet d’un chapitre supplémentaire du Code de la route. La discussion de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/loi-dorientation-des-mobilites">Loi d’orientation sur les mobilités</a>, publiée au Journal officiel en décembre 2019, tombait à point nommé pour régler cette question. Ce qui est alors dénommé « engin de déplacement personnel motorisé », pour recouvrir d’autres offres technologiques comparables, est interdit de circulation sur les trottoirs, limité à 25km/h et l’usage est restreint aux zones limitées à 50 km/h. Il est également interdit de circuler à deux et tout cela vaut pour les trottinettes en libre-service comme pour celles possédées à titre individuel. La loi ne distingue pas le <em>free floating</em> du reste.</p>
<p>Pour la Mairie de Paris, néanmoins, les trottinettes constituent un problème beaucoup plus large que la sécurité. C’est d’abord une appropriation non autorisée de l’espace partagé des trottoirs, utilisés dans les premiers temps tant pour rouler que pour stationner. C’est aussi un choix de politique de transport, l’offre de transport en libre-service à courte distance étant déjà couverte par des vélos en libre-service, les Vélib’, gérés par une entreprise délégataire, Smovengo. La municipalité s’était d’ailleurs montrée beaucoup plus conciliante avec l’offre de scooters électriques, sans doute plus complémentaire de cette offre contrôlée par le public.</p>
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<p>C’est ensuite un enjeu d’environnement, la façade verte des trottinettes électriques tombant lorsqu’une étude menée dans le Kentucky conclut en 2019 que leur durée de vie n’est que de <a href="https://www.tf1info.fr/societe/voi-lime-bird-la-duree-de-vie-des-trottinettes-en-libre-service-est-elle-seulement-de-28-jours-2133450.html">28 jours</a>. Sans doute l’étude était-elle limitée et le matériel est-il plus robuste aujourd’hui, mais les opposants arguent que la flotte se retrouve souvent dans la Seine et les canaux, avec de possibles fuites des batteries, et que ce sont des camionnettes thermiques qui les récupèrent pour la recharge.</p>
<p>C’est enfin un volet supplémentaire de l’ubérisation, alimentant des critiques sociales. La collecte des trottinettes, les batteries n’étaient pas amovibles, était effectuée, là encore aux premiers temps, par des autoentrepreneurs payés à la tâche. On pouvait les voir dans les rues se déplaçant avec plusieurs trottinettes superposées.</p>
<h2>Tentatives passées</h2>
<p>Une première tentative d’encadrement des véhicules en free floating avait été engagée en juin 2018 par la mairie de Paris. Elle portait alors sur l’offre de vélos et de scooters en libre-service. La ville a proposé alors aux opérateurs de signer une <a href="https://cdn.paris.fr/paris/2019/07/24/fe583248dd9af2a07bb0b01797a59482.pdf">charte</a> puis a tenté de réguler le nombre de véhicules déposés. Tirant un constat d’échec, un encadrement du marché avec une limitation du nombre d’entreprises autorisées et la précision d’un cahier des charges sur les aspects sécurité environnement et maintenance ont été privilégiés. La ville avait souhaité ajouter également des conditions concernant le statut d’emploi des agents en charge de la recharge des batteries mais cela contrevenait aux principes d’ouverture de la concurrence.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513150/original/file-20230302-344-yerkvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des emplacements de stationnement dédiés aux trottinettes ont progressivement fait leur apparition dans la capitale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gilles Jeannot</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour les trottinettes qui se sont développées par la suite, un appel d’offre en mars 2020 a permis de retenir <a href="https://www.paris.fr/pages/trois-operateurs-de-trottinettes-autorises-a-deployer-leur-flotte-dans-paris-8113">trois opérateurs</a>, Dott, Lime et Tier. Les conditions plus serrées de la relation et la fin de la concurrence sauvage ont permis d’imposer des règles strictes comme la limitation ciblée de vitesse dans certaines zones ou la contrainte à déposer les trottinettes dans les petits parkings dédiés.</p>
<p>La discussion avec les opérateurs a également conduit à développer des solutions numériques originales pour que les usagers ne puissent valider la fin de la location sans être à proximité immédiate d’un parking dédié ou ne puissent outrepasser les vitesses plus réduites dans les zones précisées. Tous les Parisiens ont pu constater l’impact de cette nouvelle méthode sur le respect des espaces de stationnements mais aussi la persistance de pratiques dangereuses comme la circulation à deux passagers.</p>
<p>Une nouvelle étape est donc franchie avec l’organisation ce dimanche d’une consultation citoyenne. En abordant les désagréments des trottinettes de manière globale et à travers un contrôle de l’accès au marché et non par de simples règles de police de voirie, il faut bien comprendre que la ville prend au sérieux la spécificité de l’économie numérique.</p>
<h2>Plates-formes globales, mais politiques locales</h2>
<p>Cette action doit en effet être saisie dans un mouvement d’affirmation de l’autorité locale face à des défis associés aux possibilités de l’économie numérique. Il y a là en effet des interactions inédites entre les nouvelles offres économiques permises par les intermédiations numériques et certains domaines d’interventions des collectivités locales, en l’occurrence la responsabilité des espaces publics des villes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1601878390105161728"}"></div></p>
<p>La plus visible, peut-être, concerne <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0308518X19862286?journalCode=epna">Airbn’b</a> et ses répercussions sur la politique du logement. Le vote de ce dimanche peut aussi être rapproché d’autres actions visant à préserver le bien commun de l’espace public. La plus récente est l’action visant à <a href="https://theconversation.com/regulation-des-dark-stores-la-mauvaise-reponse-des-pouvoirs-publics-a-de-vrais-problemes-191380">limiter le développement des entrepôts relais</a> pour les livraisons à domicile, « dark stores » et autres « dark kitchen ». Ici aussi, l’usage des espaces publics est questionné avec les nuisances liées à la concentration de scooters autour de ces dépôts et la fermeture de devantures commerciales. La municipalité a tenté de mobiliser le droit pour interdire ces entrepôts non prévus dans le plan d’urbanisme. La démarche est aujourd’hui suspendue suite à une mise en cause par le tribunal administratif de Paris du <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/node/idark-storei-et-idark-kitcheni-nous-ne-sommes-pas-arrives-destination#.Y_dT0-zMLnU">moyen juridique utilisé</a>.</p>
<p>C’est une régulation par l’aval des effets de cette économie numérique qui s’invente sur ces sujets. Le fait mérite d’être souligné. Pour de nombreux domaines associés à ce secteur, la taxation des GAFAM, la possibilité d’un cloud souverain, les câbles sous-marins, la modération des contenus de l’Internet, la régulation semble devoir remonter à un niveau toujours plus haut, national européen et même mondial. Ici c’est une mairie qui intervient.</p>
<p>La votation d’avril 2023 se distingue, dans l’ensemble des interventions publiques locales, par sa dimension symbolique. Si la ville de Paris a développé depuis 2014 une pratique de participation des citoyens autour du budget participatif, celle-ci s’est construite autour du <a href="https://journals.openedition.org/netcom/2542">vote électronique</a> et non par une procédure proche de celle des élections municipales. Quel que soit le résultat de la votation, il y a déjà là un geste fort, une affirmation de la volonté d’une régulation locale de cette nouvelle économie numérique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201020/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Jeannot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On a parfois l’impression que la régulation des plates-formes doit se construire à une échelle toujours plus importante, celle des États ou de l’Union européenne. Ici, c’est une mairie qui intervient.Gilles Jeannot, professeur de sociologie, École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2017102023-03-26T16:06:47Z2023-03-26T16:06:47ZTrottinettes en libre-service : stop ou encore ? Les enjeux de la consultation parisienne du 2 avril<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516677/original/file-20230321-18-6gpxtx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C15%2C5168%2C3406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les véhicules en free-floating ont la particularité de ne pas nécessiter de points d’attache fixes pour fonctionner : les véhicules peuvent être géolocalisés et déverrouillés grâce à une application disponible sur smartphone.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 14 janvier 2023, la maire de Paris Anne Hidalgo annonçait <a href="https://www.leparisien.fr/politique/anne-hidalgo-face-a-nos-lecteurs-quon-arrete-les-trottinettes-electriques-en-libre-service-dans-paris-14-01-2023-NW4SISO7TRAXJFRL53O6UME3KQ.php?ts=1674642352513">dans un entretien au quotidien <em>Le Parisien</em></a> la tenue d’une votation le dimanche 2 avril 2023 à propos de la continuation sur le territoire de la ville des services de location de trottinettes sans bornes d’attaches.</p>
<p>Cette annonce intervient après plusieurs mois de tergiversations de la majorité municipale et <a href="https://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/dangerosite-manque-dinteret-ecologique-a-paris-anne-hidalgo-sinterroge-sur-lavenir-des-trottinettes-en-libre-service-23-09-2022-J4FVTO2Z4JA63LMNPXKVBUOXQU.php?ts=1675624667893">d’échanges intenses avec les opérateurs concernés</a> et alors que les autorisations d’opération dont disposent les opérateurs arrivent à échéance fin mars 2023. En effet, les autorisations d’occupation temporaire du domaine public (AOT) nécessaire pour réaliser une activité de libre-service avaient été délivrées par la Ville de Paris aux opérateurs Dott, Lime et Tier au printemps 2021 pour une durée de deux ans.</p>
<p><a href="https://tdie.eu/municipales-2020/">Les questions de mobilité</a> étaient un enjeu important des débats qui ont précédé les élections municipales de 2020 et, dans une moindre mesure, de ceux des <a href="https://tdie.eu/regionales-2021-les-deplacements-du-quotidien-au-coeur-des-politiques-regionales/">élections régionales de 2021</a>. Avec la votation annoncée, la question de la mobilité à Paris va à nouveau faire l’objet d’un débat politique. Quels sont les enjeux du vote parisien sur les trottinettes en libre-service ?</p>
<h2>Un nouveau service de mobilité porté par des acteurs privés</h2>
<p>Les trottinettes en libre-service font partie de la grande famille des offres de « mobilité partagée » et, parmi celles-ci, des « véhicules en libre-service ». Par rapport <a href="http://www.editionsdelasorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100719210&fa=author&person_id=6184">aux vélos publics en libre-service</a> qui se sont développés à partir de la fin des années 1990, les véhicules en libre-service ont la particularité de ne pas nécessiter de points d’attache fixes pour fonctionner : les véhicules peuvent être géolocalisés et déverrouillés grâce à une application disponible sur smartphone. Depuis l’ouverture du service Lime en juin 2018, les trottinettes constituent le quatrième type de véhicules à être proposés en libre-service à Paris après les scooters (2016), les vélos (2017) et les voitures (2018).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un graphe présentant les différents services de mobilité en libre-service à Paris" src="https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517731/original/file-20230327-22-lzn9bb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les services de trottinettes, vélos et scooters en libre-service à Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thimothée Mangeart</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Portés par des fonds d’investissement de capital-risque spécialisés dans le soutien aux start-up à croissance rapide, les opérateurs de trottinettes en libre-service suivent une <a href="https://doi.org/10.1177/0308518X19896801">stratégie de type « winner takes all »</a> et cherchent à conquérir rapidement des parts de marché pour s’imposer, quitte à ne pas engendrer de profits durant la phase de développement. De nombreux services ont rapidement été lancés jusqu’à atteindre 12 opérateurs et près de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/paris-lance-ses-premiers-parkings-trottinettes-electriques-1697232.html">20 000 véhicules</a> au début de l’été 2019.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1080/15568318.2020.1809752">L’importante couverture médiatique</a> dont ont bénéficié ces services à leur démarrage a porté sur eux une appréciation largement négative, concentrée notamment sur les accidents, l’occupation de l’espace public et l’absence de régulation. La Ville de Paris, qui ne disposait pas en 2019 de politique pour ces services d’un genre nouveau, a progressivement mis en place un cadre réglementaire.</p>
<p>La promulgation de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/loi-dorientation-des-mobilites">loi d’orientation des mobilités (LOM)</a> le 24 décembre 2019 a permis à la Ville de Paris de sélectionner et d’autoriser trois opérateurs de trottinettes en libre-service pour une durée de deux ans.</p>
<p><a href="https://cdn.paris.fr/paris/2019/12/19/638d1f516fc9be79d7a7b3c80f1b6871.pdf">Les critères de sélection</a> concernaient notamment la sécurité, l’occupation de l’espace public et l’impact environnemental des services proposés. Ce mécanisme de mise en concurrence constitue en pratique un levier de régulation important. Dès avant la loi, la régulation est aussi passée par l’interdiction de la circulation des trottinettes sur les trottoirs et <a href="https://www.paris.fr/pages/paris-renforce-la-regulation-des-trottinettes-electriques-en-libre-service-6647">l’aménagement d’emplacements de stationnement dédiés</a>.</p>
<h2>Face à la critique, les opérateurs s’efforcent de convaincre</h2>
<p>Les opérateurs de trottinettes en libre-service, pour qui Paris représente un marché important non seulement par sa taille, mais surtout par la vitrine qu’elle représente, ont multiplié les initiatives et prises de position en faveur de l’intégration de leurs services dans la ville : <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/pourquoi-les-start-up-de-trottinettes-tournent-le-dos-aux-autoentrepreneurs-1129219">améliorations des conditions d’emploi</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/trottinettes-electriques/regulation-de-la-vitesse-des-trottinettes-a-paris-un-mode-de-deplacement-assez-dangereux-et-qui-n-est-ni-ecologique-ni-economique-selon-un-expert_4845893.html">bridage des vitesses de circulation</a>, annonce de <a href="https://www.yvelines-infos.fr/des-trottinettes-adaptees-aux-fauteuils-roulants-en-test-dans-les-yvelines/">nouvelles technologies</a>, <a href="https://jai-un-pote-dans-la.com/trottinettes-campagne-rappelle-humour-bonnes-pratiques/">campagnes publicitaires de sensibilisation</a> des usagers, <a href="https://www.gouach.com/blog/gouach-et-lime-sassocient-pour-la-seconde-vie-des-batteries">recyclage des batteries</a>, distribution de <a href="https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/des-casques-pour-trottinette-et-velo-distribues-gratuitement-a-paris-comment-en-profiter_56568540.html">casques</a>. </p>
<p>En novembre 2022, les trois opérateurs ont proposé conjointement <a href="https://makeamove.fr/mobilite-durable/trottinette-monoroue/trottinettes-electriques/">11 mesures</a> visant à faciliter la régulation de leurs activités.</p>
<p>Quel a été le résultat de ces différentes mesures ? La mise en œuvre par la Ville de Paris et les opérateurs des emplacements de stationnement dédiés pour les trottinettes en libre-service a permis de <a href="https://transp-or.epfl.ch/heart/2022/abstracts/220.pdf">réduire progressivement les stationnements gênants</a>.</p>
<p>En matière de sécurité routière, trois usagers d’engins de déplacements personnels motorisés (partagés ou non) sont décédés en 2022 <a href="https://twitter.com/BFMParis/status/1618872908943691776?s=20">à la suite d’un accident de circulation à Paris</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1618872908943691776"}"></div></p>
<p>Enfin, <a href="https://doi.org/10.1016/j.trd.2021.102743">l’impact carbone des trottinettes</a> en libre-service est estimé entre 60 et 130 grammes de CO2eq/km en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie. La construction de l’engin et les opérations de maintenance/repositionnement représentent environ la <a href="https://www.isi.fraunhofer.de/en/presse/2022/presseinfo-24-shared-micromobility-geteilte-e-scooter-bikes-emissionen-verkehr-staedte.html">moitié de l’empreinte totale</a>. L’usage et l’infrastructure ont une empreinte carbone négligeable. Le bilan environnemental global des services de trottinettes en libre-service doit prendre en compte les déplacements que ce service génère ou remplace, qui sont extrêmement difficiles à mesurer. Toutefois, les estimations convergent vers un <a href="https://doi.org/10.1177/03611981211017133">bilan environnemental globalement positif</a>.</p>
<p>À titre de <a href="https://doi.org/10.1016/j.trd.2021.102743">comparaison</a>, l’impact carbone moyen par passager de l’usage d’une voiture à Paris est de 210 grammes de CO2eq/km, celui d’un bus de 130 grammes de CO2eq/km, celui du vélo à 15 grammes de CO2eq/km, et celui du métro ou du RER à 10 grammes de CO2eq/km.</p>
<h2>Usages et usagers des trottinettes en libre-service</h2>
<p>La trottinette en libre-service semble aussi correspondre aux préférences de mobilité d’un certain public. Les quelque 15 000 trottinettes en libre-service autorisées sur le territoire parisien pour la période 2021-2023 ont été utilisées pour <a href="https://e.infogram.com/da4a37d1-9094-434c-94f3-0174ab0e524a?src=embed">plusieurs dizaines de milliers de trajets chaque jour</a>. </p>
<p>Leurs usagers sont plutôt jeunes et diplômés, et le plus souvent des hommes. Ils utilisent les <a href="https://doi.org/10.1016/j.trd.2021.102708">trottinettes partagées</a> pour des <a href="https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/000pack2/Etude_2430/etudeFF_FG6t_29sept20.pdf">trajets courts</a> (15 minutes), pour l’aspect ludique ou pour <a href="https://doi.org/10.1016/j.jtrangeo.2022.103335">gagner du temps</a> ; parfois pour rejoindre une station de transport collectif.</p>
<p>Le fait que les services de trottinettes en libre-service soient portés par des acteurs privés ne constitue pas une rupture dans l’histoire du développement des <a href="https://shs.hal.science/halshs-03472493/document">services de mobilité urbaine</a> ; en revanche, les caractéristiques nouvelles de ces services et l’évolution du contexte poussent à inventer de nouvelles modalités de régulation et d’intégration avec les autres services de mobilité.</p>
<p>Toujours est-il que les trajets réalisés avec une trottinette en libre-service représentent en 2022 <a href="https://www.iledefrance-mobilites.fr/medias/portail-idfm/fbee4f36-db95-42ef-9c8e-6a8aa05342da_Re%CC%81sultats-EGT-2018.pdf">moins de 0,5 % des déplacements réalisés à Paris</a>, ce qui est sans commune mesure avec leur occupation de l’espace urbain et la visibilité qu’elles y ont.</p>
<h2>La question de la gouvernance des nouvelles mobilités</h2>
<p>La Ville de Paris dispose de leviers importants pour inventer la régulation des trottinettes en libre-service et plus largement celle des nouvelles mobilités urbaines. </p>
<p>Comme les autres nouvelles mobilités, les trottinettes en libre-service utilisent la voirie. Or, avec la Loi d’orientation des mobilités (LOM), le législateur a confié la responsabilité de la régulation des trottinettes en libre-service à la Ville de Paris au titre de son pouvoir de police de stationnement plutôt qu'à l’établissement public Île-de-France Mobilités, autorité organisatrice de la mobilité sur le territoire parisien.</p>
<p>Malgré des évolutions effectives du service proposé, les trottinettes en libre-service ne semblent pas s’être départies de l’image qu’elles ont suscitée à leurs débuts. Contrairement à d’autres métropoles en France et en Europe, la Ville de Paris a initialement adopté une posture ouverte à l’égard de ces nouveaux services de mobilité et aux acteurs qui les portaient, ce qui lui a valu de devenir un des <a href="https://european-index.fluctuo.com/">principaux marchés mondiaux</a> en matière de micromobilité partagée.</p>
<p>Près de 5 ans après le premier service parisien, l’absence de constat partagé sur les bénéfices de la trottinette en libre-service pousse la majorité municipale parisienne à mettre au vote, le dimanche 2 avril 2023, leur continuation auprès de ses résidents. </p>
<p>Plus largement, la consultation interroge les évolutions de la mobilité urbaine métropolitaine. Qu’est-ce que les trottinettes en libre-service peuvent apporter à la mobilité urbaine métropolitaine ? Peuvent-elles utilement contribuer à la mise en place d’un système de mobilité qui réponde aux enjeux contemporains ? Dans quels territoires, à quelles conditions ? Quelles ressources leur accorder ? Et au-delà des trottinettes en libre-service, comment créer un espace favorable à l’émergence ou au développement de mobilités alternatives ? Ces questions dépassent à la fois l’objet trottinette et les limites de la Ville de Paris.</p>
<p>Le choix qui sera fait par les Parisiens sera scruté avec attention par celles et ceux qui souhaitent inventer de nouvelles manières de se déplacer en ville. Avec ou sans trottinettes en libre-service, il faudra inventer un <em>modus vivendi</em> entre les différents modes de déplacements, entre les différents usages de la chaussée, mais aussi entre les acteurs de la mobilité et ceux de l’espace urbain ; et entre les acteurs privés et les acteurs publics. </p>
<p>La consultation parisienne du 2 avril 2023 peut être l’occasion d’un débat utile sur les transformations souhaitables des systèmes de mobilité et de l’espace public.</p>
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<p><em>Un grand merci à Virginie Boutueil pour sa relecture attentive. Merci également à Eve Landais, Anna Voskoboynikova et Isac Olave pour les éléments qu’iels ont apportés lors de la rédaction de ce texte.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201710/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Timothée Mangeart est doctorant au LVMT (ENPC/UGE) dans le cadre d'une thèse CIFRE co-financée par le GART. Ses publications sont issues de son travail de recherche et n'engagent pas le GART.</span></em></p>Avec la votation du 2 avril, la question de la mobilité à Paris fait à nouveau l’objet d’un débat politique.Timothée Mangeart, Doctorant en aménagement et urbanisme, École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1949352022-12-12T18:35:03Z2022-12-12T18:35:03ZPourquoi les régimes autocratiques tiennent-ils tant aux élections ?<p>La démocratie directe constituerait-elle l’antidote magique à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-du-vendredi-22-avril-2022-5437233">fatigue démocratique</a> que nous traversons ? Les récents développements, en Russie et ailleurs, appellent pourtant à considérer que l’élection peut paradoxalement constituer le meilleur allié du pouvoir autoritaire. C’est dire aussi que la démocratie ne peut jamais se réduire à l’élection, même lorsque celle-ci est « libre ».</p>
<p>Le régime politique russe, qui recourt massivement au vote (élections locales, parlementaires, présidentielles et sondages hebdomadaires à la demande du Kremlin), nous offre une illustration exemplaire de la possible instrumentalisation de l’élection par le pouvoir. Un <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/do-russians-support-putin/">texte récent</a> du philosophe russe Greg Yudin propose ainsi de rapprocher le régime de Poutine de ces régimes plongés dans des « états de plébiscite constant » théorisés par l’économiste américain <a href="https://academielibre.eu/wp-content/uploads/2016/05/Schumpeter.pdf">Joseph Shumpeter</a>, dans la lignée du philosophe allemand <a href="https://www.dukeupress.edu/constitutional-theory">Carl Schmitt</a>.</p>
<p>Dans ces régimes, l’élection constitue l’un des opérateurs privilégiés de la fabrique du pouvoir autoritaire, sur fond de dépolitisation de l’espace public. Cela va des réformes réactionnaires visant à resserrer toujours plus la chape idéologique de la propagande dès le plus jeune âge (refonte des programmes éducatifs du jardin d’enfants à l’université, renforcement de la formation militaire) à une politique impérialiste d’agressions présentées comme « défensives », extrêmement efficaces lorsqu’il s’agit de nourrir le fantasme de l’unité nationale.</p>
<p>La conflictualité interne au corps politique se trouve projetée, et par là même soldée, à l’extérieur, sur « l’ennemi » : l’Ukraine « nazie », peu ou prou identifiée à l’Occident « anti-russe », et <a href="https://theconversation.com/de-lusage-des-mots-guerre-sainte-et-satanisme-dans-la-guerre-en-ukraine-195046">désormais à Satan</a>. En privant les citoyens de l’espace du débat démocratique, en éliminant toute concurrence politique véritable, le régime de Poutine constitue le choix du plébiscite comme la seule « option » possible, visant à réalimenter la toute-puissance du dictateur. Dès lors, le peuple appelé aux urnes n’est jamais que la construction imaginaire que l’autocrate construit et façonne, comme son émanation.</p>
<h2>Le vote n’est pas l’essence de la démocratie</h2>
<p>Nos démocraties, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/11/kirill-serebrennikov-la-guerre-qu-a-declenchee-le-pouvoir-russe-tue-non-seulement-l-ukraine-mais-elle-tue-et-detruit-aussi-de-l-interieur-la-russie_6145264_3232.html">aussi libérales soient-elles</a>, n’échappent pas au <a href="https://theconversation.com/et-si-la-france-devenait-une-democratie-illiberale-181355">risque autoritaire</a>. Nous ne pouvons pas considérer que ce dernier soit circonscrit à la Russie de Poutine, à la <a href="https://theconversation.com/comment-lautoritarisme-a-gagne-du-terrain-en-europe-centrale-148676">Hongrie d’Orban</a> ou à <a href="https://theconversation.com/avec-lextreme-droite-les-perspectives-economiques-de-litalie-sassombrissent-189578">l’Italie de Meloni</a>.</p>
<p>La dépolitisation du peuple n’est pas l’apanage des régimes non démocratiques, même si elle prend, en démocratie, des formes différentes. C’est dire que le vote ne constitue jamais à lui seul l’essence de la démocratie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-a-labstention-comment-mieux-representer-et-impliquer-les-citoyens-193897">Face à l’abstention, comment mieux représenter et impliquer les citoyens</a>
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<p>Il peut aussi conduire des personnalités et des programmes <a href="https://theconversation.com/certains-individus-ont-ils-un-penchant-pour-lautoritarisme-178838">autoritaires</a> au pouvoir, l’histoire et les résultats électoraux récents nous l’ont assez montré. En 2020 déjà, un <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Note1_Luc_ROUBAN_BaroV11-2.pdf">sondage du Cevipof</a> soulignait que 41 % des personnes interrogées adhéraient à l’idée qu’« en démocratie rien n’avance, [qu’]il vaudrait mieux moins de démocratie mais plus d’efficacité ».</p>
<p>Au sein de la V<sup>e</sup> République, ce goût pour le chef <a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-2-hyper-president-e-tout-le-temps-167410">reste et demeure un fantasme</a> par ailleurs très efficient. Par conséquent, croire et prétendre que multiplier les suffrages directs pourrait nous permettre d’en finir avec la crise démocratique constitue une erreur, parce que cela revient à identifier la démocratie et le vote.</p>
<p>Il suffirait alors de proposer régulièrement des votes ponctuels sous la forme de référendums pour revitaliser la vie démocratique, ce que semble entériner la pratique généralisée du sondage, qui constitue trop souvent l’alpha et l’oméga de l’analyse politique. La limite de cette analyse, c’est qu’elle suppose que le problème de l’engagement politique soit soluble dans celui de l’offre électorale, ou de l’offre référendaire.</p>
<h2>Fabriquer du commun</h2>
<p>Or le cas russe nous rappelle une leçon essentielle, qui se trouvait déjà au cœur de la problématisation grecque de la liberté, et soulignée par le philosophe Cornelius Castoriadis. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-montee-de-l-insignifiance-cornelius-castoriadis/9782757802922">Dans son analyse de l’Oraison funèbre de Périclès par Thucydide</a>, il rappelle que l’essence du fait démocratique ne peut résider que dans une pratique effective de la délibération collective, celui de l’examen patient où l’on discute et l’on fabrique du commun, et sans lequel le vote ne peut constituer qu’une <a href="https://aoc.media/analyse/2018/06/27/democratie-instable-1-2/">coquille vide</a>.</p>
<p>C’est dire aussi que le danger qui inquiète irréductiblement toute démocratie (comme il menace d’ailleurs tout sujet) est celui de la passivité et du désengagement. Il n’est pas certain à cet égard que la solution à la crise démocratique se trouve dans le recours au référendum, ou même, dans l’élargissement de l’« offre » électorale dans laquelle les citoyens seraient censés mieux se retrouver, parce qu’ils seraient « mieux représentés » par un personnel politique qui leur ressemble.</p>
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<p>Nous devons peut-être aussi, sinon d’abord, repenser ce qu’il s’agit de représenter : l’opinion politique. Or l’opinion politique demande à être construite, elle se façonne par ce long travail qu’Hannah Arendt a appelé la fabrique d’un monde de <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-crise-de-la-culture">« l’universelle dépendance »</a> auquel la crise climatique donne d’ailleurs une évidence et une actualité nouvelles, ce monde où « je peux me faire représentant de qui que ce soit d’autre ».</p>
<h2>Les conditions par lesquelles le peuple peut s’instituer comme pouvoir</h2>
<p>La réflexion sur les <a href="https://theconversation.com/a-quoi-pourrait-ressembler-une-democratie-reelle-180701">institutions démocratiques</a> ne semble donc pouvoir faire l’économie d’un retour sur les conditions par lesquelles – revenons à l’étymologie – le peuple, <em>démos</em>, peut lui-même s’instituer comme pouvoir, <em>kratos</em>, ce qui relève toujours d’une construction patiente et exigeante, loin de l’imaginaire de la toute-puissance que flattent les populistes.</p>
<p>Loin sans doute aussi de ce que les Conventions citoyennes – à l’exception de la Convention citoyenne sur le Climat, qui fut une expérience exemplaire mais dont les <a href="https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement">propositions</a> n’ont pas été retenues – </p>
<p><a href="https://theconversation.com/et-si-les-citoyens-participaient-aux-referendums-inities-par-le-president-187378">nous donnent à voir</a>, ce recueil d’opinions spontanées soustraites à toute procédure de délibération collective, c’est-à-dire à ce temps critique de l’échange d’arguments où se frottent expériences, compétences et savoirs des acteurs engagés (loin des procédures managériales des agences de conseil auxquels on confie trop souvent l’organisation du débat, avec la volonté délibérée d’exclure désormais tout « expert » des sujets complexes qu’il s’agit de discuter).</p>
<p>La démocratie n’est de ce point de vue jamais seulement un régime juridique mais, comme le soulignait déjà Castoriadis relisant les Grecs, un processus et une dynamique définie par un <em>ethos</em>, une manière d’être, rendue possible par l’esprit critique qui doit demeurer la finalité ultime de l’éducation : souvenons-nous que démocratie et philosophie naissent et vivent ensemble.</p>
<p>Ce n’est pas ailleurs que se joue la capacité d’émancipation des sujets, leur politisation, sans laquelle la démocratie, cet « imaginaire collectif instituant », ce savant mélange d’« <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/sur-le-politique-de-platon-cornelius-castoriadis/9782020365703">entendement » et d’« imagination »</a>, reste une chimère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194935/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Bourbon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récents développements politiques en Russie et ailleurs montrent que l’élection peut paradoxalement constituer le meilleur allié du pouvoir autoritaire.Marion Bourbon, Agrégée et Docteure en Philosophie, Chercheuse associée, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1905882022-09-29T16:14:59Z2022-09-29T16:14:59ZLe vote par Internet, une solution pour faire face à l’abstention en France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/486543/original/file-20220926-26-mgkbn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C2048%2C1526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Machine à l'essai, vote électronique, premier tour de la présidentielle, 2007.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/francoisetfier/469883040/">François et fier de l'Être/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le vote en ligne est souvent évoqué ces dernières années comme une solution pour lutter contre la hausse de l’abstention. Emmanuel Macron avait par exemple prévu dans son programme de 2017 de <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/vie-politique-et-vie-publique">« généraliser le vote électronique d’ici 2022 »</a>. Si la promesse n’a pas été tenue, le contexte de crise sanitaire et la distanciation sociale généralisée qui s’en est suivie tout autant que <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/11/sept-cartes-et-graphiques-pour-comprendre-l-abstention-au-premier-tour-de-la-presidentielle-2022_6121706_4355770.html">l’abstention massive de ces dernières années</a> (26 % d’abstention au premier tour de l’élection présidentielle de 2022), ont amené de nombreuses personnalités politiques à se prononcer en <a href="https://www.ouest-france.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-et-si-on-pouvait-tous-voter-en-ligne-a77c2402-7458-11ec-ac16-2e31ae11eb47">faveur du vote en ligne</a>. Pour autant, en France, où se rendre au bureau de vote reste un <a href="https://scholar.google.com/citations?view_op=view_citation&hl=fr&user=tcskLPYAAAAJ&sortby=pubdate&citation_for_view=tcskLPYAAAAJ:OcBU2YAGkTUC">rituel républicain</a>,on peut penser que le vote en ligne serait accueilli plus difficilement par les citoyens que dans certains autres pays.</p>
<p>Les premiers résultats de notre enquête post-électorale dans le cadre <a href="https://espol-lille.eu/en/recherche/people-2022/">People 2022</a> nous permettent d’éclairer ce débat.</p>
<h2>Une pratique encore balbutiante aux avantages et aux inconvénients multiples</h2>
<p>Le vote en ligne, vote numérique ou vote par Internet est un dispositif permettant de participer à l’acte électoral par Internet et sans forcément se rendre dans un bureau de vote. Il se distingue du vote électronique qui englobe aussi les machines à voter installées dans des bureaux de vote. S’il n’a jamais été utilisé lors de la présidentielle en France, le vote en ligne est cependant déjà présent dans notre pays, que l’on pense aux élections intra-partisanes, aux processus de primaires, aux <a href="https://www.cairn.info/revue-participations-2019-3-page-139.htm">élections professionnelles</a>, ou encore au vote des Français de l’étranger lors des dernières <a href="https://www.cairn.info/revue-cevipol-working-papers-2021-3-page-2.htm">élections législatives et consulaires</a>.</p>
<p>Le vote en ligne est souvent présenté par ses promoteurs comme un moyen permettant de lutter contre l’abstention en favorisant la participation de groupes traditionnellement éloignés des urnes (les jeunes par exemple) ou ayant des difficultés à s’y rendre (Français de l’étranger, personnes en situation de handicap, etc.). Il est aussi loué par certains pour sa capacité à alléger les coûts d’organisation des scrutins (suppression des bureaux de vote, accélération de la durée des dépouillements, etc.).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quel-mode-de-scrutin-pour-quelle-democratie-179124">Quel mode de scrutin pour quelle démocratie ?</a>
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<p>Pourtant, dans une démocratie représentative, l’acte électoral doit <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-78668-7_3">remplir différentes conditions</a>, en termes de normes démocratiques d’une part, et d’aspects techniques d’autre part. À ce dernier titre, la <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpos.2022.876476/full">sécurité du scrutin et son processus de vérification</a> doivent être assurés, tout comme la gestion et l’hébergement des données ou encore leur contrôle.</p>
<p>C’est d’ailleurs en raison de vulnérabilités légales et techniques que différents pays l’ont abandonné (<a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/sur-le-radar/20170303.OBS6074/generaliser-le-vote-electronique-la-mauvaise-idee-d-emmanuel-macron.html">Pays-Bas</a>) ou ont exclu d’y recourir (<a href="https://www.journaldunet.com/solutions/dsi/1082326-le-royaume-uni-ne-veut-pas-du-vote-electronique/">Grande-Bretagne</a>).</p>
<p>Néanmoins, en Europe, l’Estonie et la Suisse y ont régulièrement recours. En Estonie, si ce type de vote est utilisé par une population de plus en plus diversifiée et permet de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/reducing-the-cost-of-voting-an-evaluation-of-internet-votings-effect-on-turnout/6FF8DA77C59806F0175656D66DE66907">mobiliser certains électeurs relativement éloignés des urnes</a>, ses effets en termes de participation globale restent toutefois négligeables – les votants en ligne étant bien souvent des votants hors ligne. Un élément intéressant est cependant à ajouter : si les diverses études reviennent sur l’importance des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/poi3.168">compétences informatiques</a> dont doit disposer la population à laquelle le vote numérique est proposé, un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/poi3.160">effet d’habitude</a> semble opérer dans l’adoption du vote en ligne. En d’autres termes, une fois que les individus commencent à voter en ligne, ils n’abandonnent plus cette pratique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/presidentielle-quand-dautres-modes-de-scrutin-favorisent-des-candidats-differents-183737">Présidentielle : quand d’autres modes de scrutin favorisent des candidats différents</a>
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<h2>De fortes inquiétudes sur la sécurité</h2>
<p>Nous avons interrogé un échantillon représentatif de la population française inscrite sur les listes électorales lors de l’élection présidentielle de ce printemps à propos du vote en ligne. 60 % des interrogés se déclarent tout à fait ou plutôt d’accord avec la possibilité de mettre en place un tel mécanisme en France à l’occasion des élections et seuls 30,7 % sont en désaccord. Les mêmes proportions de citoyens déclarent qu’ils utiliseraient (60,4 %) ou non (30,9 %) ce mécanisme s’il était disponible pour voter à l’élection présidentielle, les réponses aux deux questions étant très corrélées.</p>
<p>Les raisons de l’adhésion ou du rejet du vote en ligne sont variées. Néanmoins, on constate que certaines sont bien plus souvent avancées que d’autres. La figure ci-dessous détaille les raisons pour lesquelles les individus seraient prêts à adopter (ou pas) le vote en ligne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Raisons pour lesquelles les individus utiliseraient ou n’utiliseraient pas le vote en ligne s’il était disponible à l’élection présidentielle" src="https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=539&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=539&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=539&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=677&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=677&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484331/original/file-20220913-4673-4oz8gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=677&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure. Raisons pour lesquelles les individus utiliseraient ou n’utiliseraient pas le vote en ligne s’il était disponible à l’élection présidentielle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Briatte François, Farvaque Étienne, Haute Tristan, Neihouser Marie, von Nostitz Felix-Christopher, Sandri Giulia (2022), Enquête post-électorale en ligne People 2022, ESPOL/CERAPS/LEM, septembre 2022, Version 1.0</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parmi celles et ceux qui se déclarent prêts à utiliser le vote en ligne lors de l’élection présidentielle s’il leur est proposé, le fait de beaucoup utiliser Internet dans la vie quotidienne (45,9 %) et le fait que le vote en ligne prenne moins de temps (46,4 %) et soit plus confortable (42,3 %) que de se rendre dans un bureau de vote sont les raisons principalement avancées. En d’autres termes, c’est l’importance de l’habitude (de se rendre en ligne pour différentes démarches dans la vie quotidienne, pas nécessairement liées au vote) et l’abaissement du coût du vote (en termes de temps et de déplacement) qui semblent être les arguments principaux des utilisateurs potentiels du vote en ligne.</p>
<p>Celles et ceux déclarant, en revanche, qu’ils n’utiliseraient pas le vote en ligne s’il était disponible lors de la présidentielle avancent principalement que ce dernier est moins sûr que le vote dans un bureau (60,7 %). Dans une proportion moins importante, on retrouve le fait de n’avoir jamais utilisé Internet pour voter auparavant (20,7 %). En d’autres termes, la sécurité du scrutin et, dans une moindre mesure, le caractère inhabituel du vote en ligne sont les deux arguments principaux de celles et ceux qui ne l’adopteraient pas.</p>
<p>Une question reste cependant posée : qui sont celles et ceux qui se disent prêts à utiliser le vote en ligne ? Ce dispositif permettrait-il de mobiliser des groupes sociaux à l’heure actuelle éloignés des urnes ?</p>
<h2>Les utilisateurs potentiels du vote en ligne : des électeurs comme les autres ?</h2>
<p>Nous avons estimé le profil social et politique des répondants à l’enquête qui ont déclaré recourir probablement au vote en ligne s’il était disponible lors de l’élection présidentielle. On constate tout d’abord que les différences d’utilisation selon l’âge et le genre sont très réduites et non significatives si on prend en compte d’autres variables : en d’autres termes, les plus jeunes ne se saisiraient pas davantage que leurs aînés du vote en ligne, si on excepte peut-être les électeurs les plus âgés qui sont aussi plus indécis.</p>
<p>On constate ensuite que la probabilité de recourir au vote en ligne, comme celle de recourir au <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1532673X04269419">vote par correspondance</a> aux États-Unis ou au <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2020-3-page-469.htm">vote par procuration</a> en France, croît avec le niveau de diplôme : seuls 57,2 % des personnes ayant un diplôme inférieur au baccalauréat déclarent qu’il est probable qu’elles recourent au vote en ligne contre 72,4 % des personnes ayant un niveau de diplôme supérieur ou équivalent à bac +5.</p>
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<p>L’intérêt pour la politique semble d’ailleurs lui aussi corrélé à la probabilité d’utiliser le vote par Internet puisque 47,2 % de celles et ceux qui se disent « pas du tout intéressés » par la politique utiliseraient le vote en ligne s’il était disponible contre 65,4 % de celles et ceux se disant beaucoup intéressés par la politique, un écart qui traduit en partie une importante propension des moins intéressés par la politique à ne pas se prononcer. Dès lors, le vote en ligne, même s’il abaisse le coût de la participation, est bien plus envisagés parmi les individus déjà intéressés par la politique.</p>
<h2>Différents niveaux de confiance</h2>
<p>Parallèlement, on remarque que les électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour du scrutin présidentiel utiliseraient le plus le vote en ligne (68,2 %) que ceux de Marine Le Pen (61,5 %), de Jean-Luc Mélenchon (58,5 %) et surtout d’Éric Zemmour (45,8 %). Ces différences s’expliquent sans doute par des niveaux de confiance dans le fonctionnement des institutions politiques très différents : la vulnérabilité du vote en ligne étant l’argument principal de celles et ceux qui n’envisagent pas d’y recourir, on peut faire l’hypothèse que cette incertitude sur sa sécurité traduit un niveau de confiance plus faible dans le fonctionnement actuel des institutions politiques.</p>
<p>Pour terminer, un élément est toutefois à souligner : le fait d’avoir voté ou de s’être abstenu lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022 ne semble pas avoir d’influence sur le fait d’être prêt à adopter le vote en ligne. D’un côté cela montre que l’abstention, même à un scrutin de forte intensité, ne s’explique pas uniquement par une incapacité à se rendre au bureau de vote, mais répond aussi à des <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2007-1-page-43.htm?contenu=article">logiques sociales et politiques</a>.</p>
<p>D’un autre côté, cela montre que certains abstentionnistes pourraient se mobiliser dans les urnes par l’intermédiaire du vote en ligne, mais il s’agirait avant tout des plus prédisposés à participer (diplômés du supérieur, intéressés par la politique, confiants dans le fonctionnement des institutions politiques).</p>
<h2>Trois facteurs clefs</h2>
<p>Confirmant largement les résultats déjà obtenus dans les travaux menés à l’étranger, ces premiers résultats montrent que trois facteurs semblent particulièrement prégnants dans la propension à envisager ou non recourir au vote en ligne s’il est disponible : l’habitude, la sécurité du dispositif et les caractéristiques des individus.</p>
<p>Ainsi, celles et ceux qui sont plus habitués à utiliser Internet dans leur vie quotidienne ou pour des démarches administratives sont plus enclins à être favorables au vote en ligne quand celles et ceux qui n’y sont pas favorables mettent en avant le fait qu’ils n’aient jamais utilisé Internet pour voter.</p>
<p>La sécurité est toutefois le principal argument de celles et ceux qui n’envisagent pas de voter en ligne. La confiance (dans le système politique, dans les infrastructures techniques ou dans l’organisation du scrutin plus que dans ses propres compétences informatiques) reste de première importance en matière d’adoption du vote en ligne. Et force est de constater que sur ce point, des progrès sont encore à réaliser. Il suffit de se remémorer les cafouillages survenus lors du vote (en ligne) des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/03/elections-legislatives-2022-les-rates-du-vote-des-francais-de-l-etranger_6128791_823448.html">français de l’étranger à l’occasion des élections législatives de 2022</a>.</p>
<p>Enfin, comme dans la littérature, on constate qu’en fonction de leur niveau d’étude ou de leur niveau d’intérêt pour la politique, les individus semblent proportionnellement plus ou moins enclins à adopter ou non le vote en ligne. Non seulement les progrès en termes de participation dans les pays ayant déjà implémenté le vote en ligne sont assez marginaux, mais le vote en ligne ne semble pas en mesure de réduire les inégalités sociales de participation électorale qui font craindre à de nombreux chercheurs qu’une majorité sociale ne devienne une <a href="https://www.puf.com/content/Extinction_de_vote">minorité électorale</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Neihouser a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille, du LEM et du Ceraps. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Felix-Christopher von Nostitz a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille, du LEM et du Ceraps. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span> reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille, du LEM et du Ceraps.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tristan Haute reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille, du LEM et du Ceraps. </span></em></p>Premiers résultats d’une enquête sur le vote en ligne comme solution à l’abstention.Marie Neihouser, Chercheuse en science politique, Université de Toulouse, chercheuse associée à ESPOL-Lab, Institut catholique de Lille (ICL)Felix-Christopher von Nostitz, Research and Teaching Assistant in Political Science, Institut catholique de Lille (ICL)Giulia Sandri, Professeur en science politique, ESPOL, Université Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1896092022-09-01T17:48:05Z2022-09-01T17:48:05ZZones rurales contre zones urbaines : deux France s’opposent-elles vraiment dans les urnes ?<p>À la suite des élections présidentielle et législatives de 2022, de nombreux commentateurs ont mis en avant le clivage entre les ruraux et les urbains pour rendre compte des résultats du vote. Ce discours médiatique est produit principalement par des commentateurs qui pointent depuis des années, cartes à l’appui, le fossé – croissant – entre le vote des grandes villes et le vote d’une <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">« France périphérique »</a>. Il y aurait une <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jerome-fourquet-l-etat-de-la-france-d-apres-05-05-2022-2474389_32.php">opposition politique</a> entre une France des métropoles, multiculturaliste, gagnante de la mondialisation et une France éloignée des grands pôles urbains, perdante de la mondialisation, subissant un déclin industriel et économique.</p>
<p>Mais existe-t-il véritablement deux France opposées sur le plan électoral ? Si tel est le cas, l’origine de cette fragmentation est-elle essentiellement liée au contexte économique local ou à la composition de ces territoires ?</p>
<h2>Dispersion des populations selon les territoires</h2>
<p>Il est vrai que les cartes et les données sur les gradients d’urbanité semblent <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/04/13/50-cartes-pour-lire-le-premier-tour-de-la-presidentielle-de-2022/">corroborer cette hypothèse</a>. Cependant, d’autres géographes minimisent au contraire <a href="https://metropolitiques.eu/Apres-les-elections-geographies-plurielles-d-une-France-en-desequilibre.html">l’effet prédictif de cette opposition géographique</a>. Pour eux, derrière les espaces de vie, se cacherait une réalité sociale plus complexe de nature à impacter le vote.</p>
<p>En effet, certains politistes et géographes mettent en avant depuis des années le rôle de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1041.htm">composition sociodémographique à un niveau très local</a> pour rendre compte du vote.</p>
<p>La variation du vote en fonction du lieu de vie lors des derniers scrutins serait d’abord le résultat d’une dispersion de <a href="https://blogs.univ-poitiers.fr/o-bouba-olga/tag/gradient-durbanite/">populations dotées de certaines caractéristiques</a> comme l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle, l’âge, le niveau de diplôme ou le revenu. Le lieu de vie ne serait alors que l’arbre qui cache la forêt.</p>
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<h2>Une nouvelle classification des communes</h2>
<p>Pour contribuer à cette discussion, nous utilisons une <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">nouvelle typologie de l’Insee</a> (2020) qui répartit les communes en six territoires.</p>
<p>Elle distingue les communes rurales – soit 33 % de la population – en quatre catégories suivant leur densité et leur dépendance à un pôle d’emploi correspondant à une aire de plus de 50 000 habitants. Celle-ci est mesurée par les trajets domicile-emploi. Deux catégories du rural correspondent à la péri-urbanité (dépendant d’un pôle d’emploi) et deux à la ruralité <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">(autonome)</a>.</p>
<p>Par exemple, en région parisienne, dans le département des Yvelines, Versailles est classée comme de l’« urbain dense », Rambouillet comme de « l’urbain intermédiaire », Montfort l’Amaury comme du « rural sous forte influence d’un pôle » (donc du péri-urbain), et il faut aller plus à l’Ouest, dans l’Eure-et-Loir pour trouver des communes rurales sous faible influence d’un pôle ou autonomes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-r-comme-ruralite-159848">« Les mots de la science » : R comme ruralité</a>
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<h2>Deux espaces de compétition électorale</h2>
<p>En croisant cette typologie avec le score des principaux candidats au premier tour de l’élection présidentielle obtenu au niveau des communes, nous constatons qu’il existe deux espaces de compétition électorale distincts en France : celui des communes à dominante urbaine et les autres – rurales et péri-urbaines (cf. figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Score des principaux candidats au premier tour de l’élection présidentielle par zone de résidence (moyenne de l’ensemble des communes par catégorie)" src="https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1 – Score des principaux candidats au premier tour de l’élection présidentielle par zone de résidence (moyenne de l’ensemble des communes par catégorie).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022 -- Résultats définitifs du 1ᵉʳ tour ; ANCT, Observatoire des territoires, Catégories du rural et de l’urbain(https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/categories-du-rural-</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans les grandes villes et leur proche couronne, la compétition s’est jouée entre Emmanuel Macron – qui y a fait ses meilleurs scores – et Jean-Luc Mélenchon. On retrouve Marine Le Pen loin derrière les deux premiers candidats dans ces territoires. La compétition prend une autre forme dans la péri-urbanité et la ruralité puisque le premier tour s’est joué, quant à lui, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.</p>
<p>Le Président sortant a récolté moins de suffrages à l’extérieur des communes denses, tout en se maintenant à un niveau relativement élevé, mais plus faible que celui de sa rivale. La candidate du RN a obtenu ses meilleurs scores dans les communes rurales sous faible influence d’un pôle urbain. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, a vu son score baisser drastiquement de 10 points de pourcentage hors des communes urbaines denses.</p>
<p>Ce fossé électoral entre l’urbain dense – dans lequel résident 37,9 % des Français – et le reste des espaces est souvent expliqué par des variables socio-économiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-vote-metropolitain-et-ses-fractures-lexemple-de-montpellier-181188">Le vote métropolitain et ses fractures : l’exemple de Montpellier</a>
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<h2>Un déclassement social et économique ?</h2>
<p>Selon plusieurs hypothèses, certains territoires auraient été <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">délaissés</a> par les pouvoirs publics et les investisseurs privés qui leur préféreraient les « villes-monde ». Derrière ce que l’on présente parfois comme le <a href="https://www.revuepouvoirslocaux.fr/fr/article/periurbain-le-choix-n-est-pas-neutre-617">choix individuel</a> d’habiter dans la péri-urbanité, se cacherait en réalité un double déclassement social et culturel : ces habitants résideraient dans les espaces péri-urbains en raison de la contrainte économique imposée par l’augmentation du coût des loyers dans les métropoles et par une <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">stratégie d’évitement</a> de certaines populations issues de l’immigration. Tout ceci générerait un mécontentement social qui se traduirait dans les urnes avec une plus grande propension à voter pour des partis protestataires.</p>
<p>La limite de ces explications a été cependant mise en évidence par l’économiste <a href="https://livre.fnac.com/a15606204/Laurent-Davezies-L-%C3%89tat-a-toujours-soutenu-ses-territoires">Laurent Davezies en 2021</a>. Selon lui, la France, un état centralisé, investit massivement dans ses territoires et assure une solidarité fonctionnelle. Les métropoles contribuent plus au budget de l’état qu’elles ne reçoivent et inversement les territoires ruraux sont des nets bénéficiaires de l’argent public.</p>
<p>Bien que la mondialisation, puis la crise économique de 2008, aient <a href="https://journals.openedition.org/lectures/14875">affecté de manière disproportionnée</a> les territoires loin des grandes agglomérations, il nous semble ainsi exagéré de parler d’« abandon » ou de prendre quelques cas de délocalisations d’entreprises pour généraliser une opposition binaire entre une France heureuse et une France malheureuse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique », abstention et vote RN : une analyse géographique pour dépasser les idées reçues</a>
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<h2>Pas de gouffre territorial sur le plan économique</h2>
<p>La lecture de données économiques et sociales par catégories d’habitation nous invite aussi à être dubitatifs face à la thèse opposant deux France (cf. tableau 1 ci-dessous).</p>
<p>En effet, on constate que c’est dans les grandes villes (urbain dense) que le niveau du revenu médian est le plus élevé, mais qu’il ne diffère pas de manière importante des communes des espaces péri-urbains. Néanmoins, il existe un écart relativement important entre les espaces ruraux éloignés des grands pôles urbains et celui de l’urbain dense – 3000 euros par an.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Indicateurs socio-économiques par catégorie d’habitation (moyenne par commune)" src="https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=208&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=208&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=208&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=261&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=261&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=261&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1 – Indicateurs socio-économiques par catégorie d’urbanisation (moyenne par commune).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Insee, Statistiques locales -- Indicateurs : cartes, données et graphiques et ANCT, L’Observatoire des Territoires (observatoire-des-territoires.gouv.fr). Données téléchargées le 10/08/2022</span></span>
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</figure>
<p>De même, le taux de chômage est plus élevé dans les espaces urbains que péri-urbains ou ruraux. Le taux d’emploi précaire est le plus faible dans la péri-urbanité, le plus élevé dans les zones rurales autonomes, mais l’écart avec les villes n’est pas immense (deux à trois points de pourcentage). Il y a un certain écart dans le niveau de création d’entreprises, mais là encore, pas de gouffre territorial. La part des familles monoparentales, indicateur parfois utilisé pour <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-puzzle-francais-un-nouveau-partage-politique/">mesurer l’exclusion sociale</a>, est plus importante dans les grandes villes par rapport aux communes rurales. Enfin, le nombre d’allocataires du RSA est plus élevé dans les grandes villes que dans les communes péri-urbaines ou rurales, sauf dans les communes peu denses et éloignées des pôles d’emploi.</p>
<p>La fracture territoriale qu’on observait dans les urnes ne semble pas se retrouver sur le plan économique et social, à la lecture des données ci-dessus. De manière générale, ce ne sont pas les espaces où le RN a fait son meilleur score (péri-urbanité) que la situation économique et sociale est la plus dégradée (cf. tableau 1 ci-dessus).</p>
<p>Par exemple, dans le département du Nord, Marine Le Pen obtient de bien meilleurs scores dans les zones péri-urbaines (37 % dans le rural sous faible influence d’un pôle) où le revenu médian est plus élevé et le chômage plus faible que dans les grandes villes du département (22 100 euros vs 20 800). En effet, son score est plus faible dans les grandes villes du département comme Lille (12 %), Dunkerque (30 %), Douai (28 %) ou Valenciennes (25 %).</p>
<h2>Rester prudent face aux discours ambiants</h2>
<p>La présentation de ce faisceau d’indicateurs nous invite donc à considérer avec prudence les discours opposant une France bien lotie des villes d’un côté, et une France abandonnée des campagnes et de la péri-urbanité de l’autre. Un sondage pilote réalisé dans le cadre du projet dont nous faisons partie, <a href="https://www.norface.net/project/rude/">« Rural Urban Divide in Europe »</a> (RUDE), indique également que les ruraux et les péri-urbains sont plus satisfaits de leur lieu de vie que les urbains (87 % des ruraux sont d’accord avec l’affirmation « mon lieu de vie me rend heureux » contre 72 % des urbains).</p>
<p>Alors, si l’écart dans l’attitude électorale des citoyens issus d’espaces géographiques divers ne se fonde pas principalement sur le contexte économique et social, d’où pourrait-il provenir ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">Coq Maurice et autres « bruits de la campagne », une vision fantasmée de la ruralité</a>
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<h2>Une politique du ressentiment</h2>
<p>Il nous semble que la <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03393105">crise des « gilets jaunes »</a> dont les premières manifestations étaient concentrées dans la France du péri-urbain et des villes moyennes, a mis en lumière au sein de cette population le sentiment d’être laissée pour compte et loin des prises de décision.</p>
<p>Un sondage pilote sur un échantillon restreint mené dans le cadre du projet « RUDE » nous invite à développer cette hypothèse (<em>cf. Figure 2</em>).</p>
<p>Même s’il n’y a pas d’écarts socio-démographiques flagrants entre les villes d’un côté, et les communes péri-urbaines et rurales de l’autre, en termes de niveau de vie, il y a un écart de perception au niveau du ressentiment de ces populations vis-à-vis des urbains. Dans la lignée des <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo22879533.html">travaux pionniers de Katherine Cramer</a> sur la polarisation entre les électeurs ruraux et urbains du Wisconsin, on pourrait parler dans le cas français ce qu’elle décrit comme une « politique du ressentiment ».</p>
<p>Celle-ci prend quatre formes : la conscience d’appartenir à un lieu de vie spécifique et distinct des autres, le sentiment d’être moins bien doté en ressources publiques que les autres, d’avoir moins d’attention de la part des décideurs politiques, et de ressentir que son mode de vie n’est pas respecté par les élites urbaines. Le second graphique présente l’opinion des répondants à un sondage pilote en fonction de leur auto-identification à un lieu de vie.</p>
<p>Les réponses font apparaître, chez les personnes issues des zones rurales, un plus grand sentiment d’appartenance à leur zone géographique : sept ruraux sur dix déclarent avoir des valeurs similaires aux autres ruraux, seulement cinq sur dix pour les urbains. Les trois quarts des ruraux considèrent que les enjeux qui touchent leur lieu d’habitation sont ignorés par les responsables politiques, soit moitié plus que les urbains. L’écart est encore plus prononcé sur la question des ressources publiques : 84 % des ruraux considèrent qu’ils sont les derniers à profiter des dépenses publiques contre 31 % des urbains. Enfin, il existe un fort sentiment chez les ruraux que leur mode de vie n’est pas respecté par les urbains. La réciproque n’est pas vraie, seul un quart des urbains ont le sentiment que les ruraux ne respectent pas les spécificités liées à leur mode de vie.</p>
<h2>Prendre en compte la perception des individus</h2>
<p>Cette brève analyse de données descriptives ne clôt aucunement le débat sur le lien entre les lieux de vie et le vote et ne fournit pas une « preuve » que la composition socio-économique des territoires n’influe aucunement le comportement politique des électeurs à un niveau plus localisé. Elle invite à prendre en considération d’autres pistes d’explication. Elle montre l’utilité, en complément des cartes, de recourir aux données mises à disposition par l’Insee au niveau des communes, mais également à des enquêtes d’opinion prenant en compte l’appartenance objective et subjective à un lieu, pour comprendre les dynamiques électorales.</p>
<p>Surtout, elle nous invite également à prendre au sérieux le clivage entre l’urbanité d’un côté et la ruralité et la péri-urbanité de l’autre en y intégrant une dimension éminemment subjective : la perception que les individus ont de leurs intérêts et de leur situation locale par rapport à celle des autres.</p>
<p>La mise en évidence de ce clivage dans les représentations peut non seulement constituer une variable explicative du comportement électoral, mais potentiellement une source d’explication de la crise de la confiance dans la démocratie libérale que l’on observe depuis maintenant des années.</p>
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<p><em>Marion Mattos, Étudiante en Master « Progis », Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes, a contribué de manière significative à cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189609/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kevin Brookes a reçu des financements de l'ANR "The rural-urban divide in Europe – RUDE" coordonnée par l'agence européenne NORFACE. </span></em></p>L’origine de la fragmentation du vote est-elle essentiellement liée au contexte économique local ou à la composition de ces territoires ?Kevin Brookes, Post-doctorant à Sciences Po Grenoble - Laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1837372022-05-31T18:57:09Z2022-05-31T18:57:09ZPrésidentielle : quand d’autres modes de scrutin favorisent des candidats différents<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465968/original/file-20220530-16-oh4u4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C24%2C3929%2C1931&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'une des chercheuses du projet expérimental 'Voter Autrement' prépare une urne 'alternative' lors du scrutin 2022 de l'élection présidentielle.</span> <span class="attribution"><span class="source">Antoinette Baujard</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Si les résultats de l’élection présidentielle ont désigné Emmanuel Macron pour un second mandat, l’analyse des votes et des tendances ont aussi souligné une forte dynamique en <a href="https://theconversation.com/la-dynamique-spectaculaire-du-vote-utile-181044">faveur du vote utile</a> et de l’abstention, perçue <a href="https://theconversation.com/une-abstention-hautement-politique-181558">comme un phénomène hautement politique</a> depuis au moins une dizaine d’années.</p>
<p>Plusieurs observateurs pointent <a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">aussi des faiblesses et fractures au cœur de la démocratie électorale</a> en France aujourd’hui : les citoyens élisent certes leurs représentants, mais encore faut-il s’accorder sur les propriétés que cette forme de démocratie doit respecter.</p>
<p>La théorie du vote offre les analyses indispensables sur les propriétés de chaque mode de scrutin, mais il reste à confronter ses conclusions aux conditions réelles, à apprendre des réactions des citoyens. C’est là l’objet de l’expérimentation des différents modes de scrutin. Sans changer le vainqueur de l’élection de 2022, l’expérimentation conduit à reconsidérer l’importance relative des différentes formations politiques.</p>
<h2>Des expérimentations de terrain et des enquêtes en ligne</h2>
<p><a href="https://www.gate.cnrs.fr/spip.php?article580">L’opération « Voter autrement »</a> s’inscrit dans une tradition originale d’expérimentations récurrentes sur le terrain. Depuis 2002, des expérimentations ont été menées lors de chaque élection présidentielle française. <a href="https://theconversation.com/quel-mode-de-scrutin-pour-quelle-democratie-179124">Optant pour des modes de scrutin multinominaux et à un seul tour de scrutin</a>, en phase avec les conclusions des théoriciens du vote, ces expérimentations ont étudié le comportement des électeurs face à de nouvelles règles de vote qui leur donnent l’opportunité de se prononcer sur chacun des candidats. On a ainsi pu observer les différents impacts que ce changement pourrait avoir sur notre démocratie électorale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">D’autres modes de vote sont proposés dans ce bureau de vote de la ville de Strasbourg.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Antoinette Baujard/GATE</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les expérimentations sur le terrain se pratiquent dans des conditions similaires à celles du vote officiel. Un bureau expérimental est aménagé à proximité immédiate du bureau de vote officiel et organisé de la même manière – avec des informations envoyées à domicile avant le jour du scrutin, des assesseurs pour tenir le bureau de vote, des <a href="https://www.gate.cnrs.fr/spip.php?article580#Donnees">bulletins</a>, des enveloppes, des isoloirs et une urne. Les électeurs des bureaux concernés choisissent librement de venir participer ou non à l’expérimentation après leur vote officiel. Le tableau suivant rend compte des différentes initiatives menées depuis 2002.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">tableau.</span>
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</figure>
<p>Synthèse des expérimentations de terrain : Pour chaque année de présidentielle, le tableau précise les communes dans lesquelles les expérimentations se sont déroulées, les modes de scrutins testés, la proportion moyenne des électeurs ayant accepté de participer à l’expérimentation et le nombre de réponses recueillies</p>
<p>Chaque édition a été accueillie avec enthousiasme de la part des électeurs concernés qui se mobilisent largement pour répondre aux chercheurs. Cependant, comme tous les segments de l’électorat ne prennent spontanément pas part à l’expérimentation dans des proportions homogènes, cela crée un biais. Ce biais s’ajoute à la plus ou moins forte représentativité des bureaux de vote expérimentés eux-mêmes. Dans ces conditions, les données obtenues doivent être redressées pour pouvoir extrapoler les résultats à l’échelle nationale.</p>
<p>En outre, pour la première fois en 2022, une expérimentation a été également réalisée en ligne auprès de deux échantillons représentatifs d’électeurs français.</p>
<h2>Les règles testées</h2>
<p>Sans même s’exprimer sur la désirabilité des propriétés de telles ou telles règles de vote, ces dernières ne peuvent pas être toutes testées sur le terrain par des électeurs qui les découvrent. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zmCl5i_sEiM">Les plus simples, à ce titre au moins, peuvent être jugées les meilleures</a>.</p>
<p>De 2007 à 2022, deux modes de scrutin ont été systématiquement testés dans le cadre de l’opération « Voter autrement » :</p>
<ul>
<li><p>Le <a href="https://electionscience.org/library/approval-voting/">vote par approbation</a> permet à chaque électeur d’accorder – ou pas – son vote à chacun des candidats. Un même électeur peut donc voter pour zéro, un, deux, voire tous les candidats. Est élu celui qui rassemble le plus grand nombre de votes.</p></li>
<li><p>Le <a href="http://votedevaleur.org/co/votedevaleur.html">vote par note</a> (qu’on appelle aussi parfois le vote par évaluation ou le vote de valeur) revient à attribuer une note à chaque candidat selon une échelle prédéterminée de notes (dans notre cas, sur 6 notes de « 4 » à « -1 »). Est élu celui qui obtient la somme des notes la plus élevée, c’est-à-dire la meilleure note moyenne.</p></li>
</ul>
<p>En 2022, nous avons également testé le <a href="https://mieuxvoter.fr/">jugement majoritaire</a>. Les électeurs évaluent chaque candidat en lui associant une mention (dans notre cas, sur 6 mentions de « Très bien » à « A rejeter »). Est élu le candidat qui a la meilleure « mention majoritaire », c’est-à-dire la meilleure mention d’évaluation médiane ; des principes de départage sont appliqués en cas d’ex aequo (voir les sites de <a href="https://www.gate.cnrs.fr/">Voter autrement</a> ou de <a href="https://mieuxvoter.fr/">Mieuxvoter</a> pour plus de précisions sur le départage).</p>
<h2>Bayrou « président » en 2007</h2>
<p>Un mode de scrutin permet de transformer les préférences des votants en résultat électoral. Il n’est donc pas étonnant qu’un changement de mode de scrutin puisse modifier le résultat de l’élection.</p>
<p>C’est ce qu’illustre l’expérimentation de 2007 : alors qu’au scrutin officiel Nicolas Sarkozy l’a emporté au second tour contre Ségolène Royal, François Bayrou, candidat centriste éliminé dès le premier tour <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2009-1-page-189.htm">sortait vainqueur avec le vote par approbation ou avec le vote par note</a>.</p>
<p>Plus généralement, les scrutins alternatifs modifient les résultats relatifs des différents candidats et donc leur classement. On apprend que le scrutin officiel favorise les candidats les plus clivants qui attirent des sentiments forts d’adhésion ou de rejet. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379413001807">A l’inverse, comme en 2012</a>, le vote par approbation ou le vote par note donnent un avantage aux candidats qui bénéficient de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11127-017-0472-6">l’adhésion du plus grand nombre</a>. C’est pourquoi Jean-Marie Le Pen ou Nicolas Sarkozy en 2007, Marine Le Pen en 2012 et 2017 voient leur classement se détériorer significativement entre le scrutin officiel et ces scrutins expérimentaux. Le graphique ci-dessous présente les classements de différents candidats de la présidentielle 2017 en fonction de différents modes de scrutin par rapport au vote officiel. Les candidats situés en dessous de la droite du classement officiel sont défavorisés par les modes de scrutin multinominaux, tandis que ceux situés au-dessus sont favorisés par ces derniers. Le vote par approbation et le vote par note rétrogradent M. Le Pen entre la 5<sup>e</sup> et la 7<sup>e</sup> place alors qu’elle était deuxième au scrutin officiel.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Graphique.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comparaison des classements : La ligne bleue retrace le classement des candidats au scrutin officiel. La courbe orange correspond au classement issu du vote par approbation. Les courbes grise et jaune résultent du vote par note, respectivement pour les échelles (-1, 0, 1) et (0,1, 2).</p>
<h2>2022 ne fait pas exception</h2>
<p>A Strasbourg en 2022, une expérimentation a été menée sur deux bureaux, caractérisés par un fort <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/bas-rhin/strasbourg-0/carte-resultats-presidentielle-2022-a-strasbourg-jean-luc-melenchon-leader-surprise-du-premier-tour-devant-emmanuel-macron-2522796.html">vote « Mélenchon</a> », dont environ 49 % des électeurs ont accepté de se prêter au jeu de l’expérimentation.</p>
<p>Sans redresser les données et donc sans aucune représentativité nationale, la composition dans l’ordre du podium au vote officiel – Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Yannick Jadot – est largement modifiée par les trois scrutins alternatifs testés qui donnent : Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Philippe Poutou. Là encore, le fait de ne pouvoir se prononcer que sur un seul nom se perçoit dans les résultats du mode de scrutin officiel, contrairement au vote par approbation, au vote par note ou au jugement majoritaire.</p>
<p>L’expérimentation conduite parallèlement en ligne avec <a href="https://www.dynata.com/?lang=fr">l’institut Dynata</a> entre le 1<sup>er</sup> et 10 avril a permis d’interroger deux échantillons représentatifs d’électeurs français. Comme attendu, les choix que les participants ont indiqués pour le scrutin officiel ont coïncidé avec les résultats du premier tour de la présidentielle.</p>
<p>Mais pour la première fois depuis 2002, le vote par note et le vote par approbation ont aussi rendu un podium identique à celui du scrutin officiel – Macron, Le Pen, Mélenchon – attestant de l’importance de ces trois candidats dans l’esprit des votants. En revanche, le jugement majoritaire donne l’ordre : Macron, Mélenchon, Lassalle. M. Le Pen n’arrive alors qu’en 7<sup>e</sup> position.</p>
<h2>Le mode de scrutin façonne le paysage politique</h2>
<p>Le mode de scrutin modifie donc massivement la perception de l’importance relative des différents <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2017-6-page-1063.htm">candidats ou partis</a>. En 2012, les résultats de vote par approbation donnaient une importance similaire au Front national et aux Verts (<a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2013-2-page-345.htm">environ 26 % de soutiens dans les deux cas</a>).</p>
<p>Cela contraste avec la lecture que l’on avait du soutien électoral de leurs candidates en regardant les résultats du vote officiel dans lequel elles ont obtenu respectivement 18 % et 2 % des voix du premier tour. Cette différence s’explique facilement : le scrutin uninominal réduit la base électorale de victimes du vote utile (tels <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RECO_642_0006">Eva Joly en 2012</a>, Benoît Hamon en 2017 ou Valérie Pécresse en 2022) quelle que soient l’adhésion dont ils bénéficient par ailleurs auprès des électeurs.</p>
<p>Non seulement la perception du <a href="https://www.gate.cnrs.fr/IMG/pdf/Baujard_Igersheim_Senne_2011_EMN5-AES.pdf">paysage politique</a>, du <a href="https://www.gate.cnrs.fr/IMG/pdf/Baujard_Igersheim_Senne_2011_EMN5-AES.pdf">positionnement des candidats</a> et de la dynamique des préférences électorales dépendent largement du mode de scrutin, mais cette perception de l’importance des forces politiques transforme aussi la réalité elle-même.</p>
<h2>Aux citoyens de s’emparer de ces recherches</h2>
<p>Aujourd’hui, la chute brutale des résultats électoraux du Parti socialiste et des Républicains est interprétée comme la fin de ces partis traditionnels : cette analyse de l’issue du scrutin officiel pourrait détourner d’eux les électeurs dans le futur, confirmant de fait le diagnostic initialement posé. Pourtant, les données du vote par approbation ou du vote par note montrent que cette érosion est ancienne, progressive et sans rejet définitif dans l’esprit des électeurs. La rupture n’est en fait pas aussi brusque que le scrutin officiel <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3683848">nous le fait percevoir</a>.</p>
<p>Les travaux de la théorie du choix social et ces expérimentations confirment que le mode de scrutin, quel qu’il soit, ne constitue jamais une méthode neutre ni pour désigner le vainqueur d’une élection, ni pour analyser la vie politique.</p>
<p>Ces recherches nous enseignent qu’il est possible de changer de modes de scrutin. Elles nous montrent en quoi ces modes de scrutin diffèrent, et analysent de façon précise et intuitive leurs propriétés respectives, elles éclairent les opinions et le débat public. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=03NtiW-NXcI">Comme le rappelle cette vidéo à partir de la 40ᵉ minute</a>, c’est ensuite aux citoyens de choisir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183737/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoinette Baujard a reçu des financements du Centre d'Analyse Stratégique pour l'expérimentation de 2007, de l'université Jean Monnet pour les expérimentations 2012 et 2022, de l'ANR pour les expérimentations 2012 et 2017.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Herrade Igersheim et Isabelle Lebon ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des expérimentations lors de la présidentielle montrent que le choix du mode de scrutin détermine l’importance relative des candidats. Aux citoyens de choisir le mode de scrutin qu’ils préfèrent !Isabelle Lebon, Professeur de Sciences Economiques, directrice adjointe de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen NormandieAntoinette Baujard, Professeur de sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneHerrade Igersheim, Directrice de recherche CNRS en économie -- Directrice adjointe du Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1832812022-05-22T16:02:21Z2022-05-22T16:02:21ZLa confiance politique exige la reconnaissance du mérite<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/presidentielle-2022-103116">L’élection présidentielle 2022</a> tout comme le premier tour du scrutin législatif a mis en lumière une fracture qui sépare la France de la confiance de la France de la défiance. En fait, toutes les études que l’on peut mener depuis des années montrent que le clivage entre les mouvements politiques dits « populistes » de droite ou de gauche et les partis politiques ou les mouvements défendant les institutions de la V<sup>e</sup> République vient traduire en langue politique cette opposition entre deux ensembles de citoyens.</p>
<p>Alors que les populistes privilégient la démocratie directe, le contrôle permanent des élus et l’action immédiate des citoyens sur l’action publique, les anti-populistes entendent préserver le monde des métiers de la politique et une certaine distance entre les électeurs et les élus. Ceux-ci doivent pouvoir appréhender un monde complexe où les effets des politiques publiques se déploient sur le temps long. Cette dichotomie se retrouve très clairement entre ceux qui prônent le renforcement de la souveraineté nationale et ceux qui, au contraire, souhaitent un renforcement de l’échelon européen.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a>
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<p>La question qui se pose est de savoir sur quoi repose la <a href="https://theconversation.com/de-la-societe-distante-a-la-societe-mefiante-182817">défiance</a> ou la confiance politique. La confiance, rappelons-le, est la capacité de s’engager dans une relation sociale avec les autres, qu’il s’agisse de particuliers ou d’institutions, sur la base du pari qu’ils tiendront leurs engagements et respecteront la parole donnée. La confiance suppose donc un engagement moral mais aussi le respect et donc la revitalisation permanente d’un lien social pour que les individus puissent faire « communauté » et puissent ainsi garantir la sécurité de leurs échanges.</p>
<p>La confiance est donc centrale non seulement dans la vie économique et celle des marchés, dont une partie des transactions se dénouent à terme, mais également dans la vie politique puisqu’elle fonde le choix électoral au-delà des préférences idéologiques ou des intérêts que l’on entend défendre. À quoi sert de voter si les programmes ne sont pas respectés, si le personnel politique change d’avis, si de nouveaux acteurs imprévus interviennent dans le champ de la décision ?</p>
<h2>Une défiance qui alimente la vie politique</h2>
<p>Une analyse même rapide des niveaux de confiance dans les institutions politiques montre d’une part que ces derniers sont très bas, notamment au regard de ce que l’on trouve dans les enquêtes comparatives menées au sein du <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/BONNE%20VERSION%20FINALE-1.pdf">Baromètre de la confiance politique du Cevipof</a>, d’autre part, qu’ils distinguent clairement les institutions politiques locales comme le maire – qui est le seul à bénéficier d’une confiance assez élevée quels que soient les choix politiques des enquêtés.</p>
<p>Ces résultats différencient aussi clairement les électeurs et les candidats des partis politiques défendant les institutions de la V<sup>e</sup> République de tous ceux qui défendent une révision profonde de ces institutions au nom de la démocratie directe et de la représentation proportionnelle de toutes les forces politiques à l’Assemblée nationale. On peut ainsi le constater lorsqu’on croise le vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 et le niveau de confiance dans le système politique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’élection présidentielle de 2022 est venue parfaitement illustrer ce mécanisme de fracturation de la vie politique puisque son résultat est de créer une tripartition de l’espace politique français entre le macronisme, la France insoumise et le Rassemblement national dont la logique est en réalité binaire. Elle oppose ceux qui ont confiance dans le système politique – et qui se rallient peu ou prou au macronisme pour la préparation des élections législatives – et tous ceux qui rejettent cette élection comme étant le résultat soit d’un vote par défaut (c’est l’appel de Jean-Luc Mélenchon à se faire élire Premier ministre) soit d’un verrouillage médiatique et oligarchique de la vie politique (thème largement développé par le Rassemblement national).</p>
<p>Mais on le voit bien : la crise de confiance conduit à mener la critique du Président élu bien au-delà de la contestation du bilan de son précédent quinquennat ou de son programme politique d’avenir pour remettre en cause la légitimité du résultat des urnes. Ce dernier, lié à un taux d’abstention particulièrement élevé, tend à rendre la démocratie représentative exécrable pour une grande partie de l’électorat, partie la plus modeste, la moins diplômée et se vivant dans une situation d’exclusion sociale.</p>
<h2>Les explications habituelles et leurs limites</h2>
<p>La défiance politique n’est pas nouvelle et, pourrait-on dire, reste associée à l’idée même de démocratie puisqu’un régime démocratique limite le mandat des élus dans le temps, divise les pouvoirs, place leur action sous le contrôle du juge au regard des règles de droit et notamment de la Constitution, met en place des mécanismes de contrôle des finances publiques (« Pas de taxation sans représentation » sera le mot d’ordre de la révolution américaine) et d’évaluation des politiques publiques. Cela étant, la défiance reste ainsi maîtrisée et ne porte pas sur les mécanismes de contrôle eux-mêmes.</p>
<p>Or la défiance politique contemporaine est différente en ce qu’elle s’associe fortement et à la défiance interpersonnelle (celle que l’on porte spontanément à autrui) et à la défiance envers la science et toutes les procédures rationnelles censées rendre compte de l’action publique comme les statistiques ou les rapports officiels. La crise de la Covid-19 a mis en évidence, par exemple, que la défiance envers la politique sanitaire du gouvernement n’était que le sous-produit d’une défiance générale à l’encontre des pouvoirs publics et que plus la parole experte et scientifique s’éloignait des milieux de la décision gouvernementale et <a href="https://www.cae-eco.fr/la-gestion-de-la-crise-sanitaire-en-france-au-miroir-de-la-defiance-politique-et-dune-societe-peu-cohesive">plus la confiance augmentait</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Cette défiance principielle vient donc rendre inopérantes les explications habituelles que l’on donne de la critique que les citoyens portent à l’encontre du monde politique en général et des élus en particulier.</p>
<p>On ne peut pas ainsi expliquer le niveau de défiance par les mauvais résultats obtenus par les gouvernements sur le terrain économique. L’illustration en est clairement donnée aujourd’hui en France où le niveau de confiance à l’égard d’Emmanuel Macron est très bas (de l’ordre de 34 %) alors même que le niveau de chômage n’a pas été aussi bas depuis une décennie. Plus généralement, <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/22714-la-democratie-representative-est-elle-en-crise">l’analyse historique du long terme</a> montre que la confiance dans le personnel politique a commencé à baisser sous la V<sup>e</sup> République à partir de 1974, de manière inexorable et sans que les résultats des divers gouvernements qui se sont succédé aient eu le moindre effet.</p>
<p>On ne peut pas non plus expliquer la défiance par le seul jeu des institutions. Pour de nombreux commentateurs, il suffirait de modifier les modes de scrutin et de multiplier les référendums ou les procédures de <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/279196-la-democratie-participative-par-loic-blondiaux">démocratie participative</a> pour que la confiance revienne. Passer au scrutin proportionnel pour élire les députés permettrait sans doute de représenter plus fidèlement au sein de l’Assemblée nationale les diverses sensibilités politiques. Mais ce n’est pas parce qu’un député est élu sur une liste que les électeurs vont avoir davantage confiance en lui.</p>
<p>L’élaboration des listes fait l’objet de nombreuses tractations au sein des partis politiques dans le cadre de marchés professionnels. On le voit très clairement dans le cadre des élections régionales, où le scrutin proportionnel <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01486206/document">permet de filtrer successivement</a> celles et ceux qui sont en mesure de gagner. On peut également multiplier les référendums, mais le niveau de confiance politique dans un pays comme l’Italie qui les pratique fréquemment, et notamment pour révoquer certaines lois, n’est pas supérieur à celui que l’on observe en France.</p>
<p>La confiance dans le personnel ou les institutions politiques ne varie pas non plus selon la structure plus ou moins décentralisée d’un pays. Elle est par exemple fort basse en Espagne qui s’est organisée pourtant sur un modèle de quasi-fédéralisme en <a href="https://www.europeansocialsurvey.org/findings/topline.html">confiant</a> les politiques publiques les plus importantes sur le plan domestique aux communautés autonomes.</p>
<h2>La reconnaissance sociale du mérite</h2>
<p>En fait, une analyse comparative approfondie met au jour un phénomène commun à des pays aussi différents que l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. La confiance politique ne naît et ne dépend pas du fonctionnement du système démocratique mais bien de la cohésion sociale et de la reconnaissance du mérite qui servent de socle aux idéaux démocratiques.</p>
<p>Il existe une corrélation très forte entre ces deux dimensions et ce n’est pas un hasard si la démocratie est très majoritairement considérée comme étant en bonne santé <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100078680">dans les pays d’Europe du Nord</a> où l’on retrouve également un niveau bien plus bas de conflits sociaux dans le milieu du travail comme une mobilité sociale plus grande qu’en France. Selon les <a href="https://www.strategie.gouv.fr/point-de-vue/mobilite-sociale-france-sait-vraiment">analyses de l’OCDE</a>, l’inertie sociale d’une génération à l’autre est bien plus basse au Danemark (12 %) ou en Suède (26 %) qu’en France (53 %).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/presidentielle-2022-le-macronisme-a-la-recherche-de-la-meritocratie-perdue-158853">Présidentielle 2022 : le macronisme à la recherche de la méritocratie perdue</a>
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<p>Cependant, au-delà des questions de mobilité sociale se pose une question d’ordre moral. C’est bien le <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100861310">sentiment de ne pas voir son mérite reconnu</a> qui constitue le ressort le plus puissant de la défiance politique, quels que soient sa catégorie socioprofessionnelle, son niveau de diplôme, son âge, ses revenus. La France reste le pays où le sentiment d’injustice sociale voire de mépris ont les effets politiques les plus dévastateurs puisqu’il remet en cause non pas seulement les politiques publiques mais l’évaluation qui peut en être faite. Cette absence de reconnaissance sociale touche même les catégories supérieures (le quart des professions supérieures considèrent ainsi que la société les traite avec mépris), venant rendre les idéaux égalitaires républicains bien illusoires.</p>
<p>On entre ici de plain-pied dans ce que l’on appelle aujourd’hui le malaise démocratique qui repose finalement sur l’idée d’un mensonge institutionnel, voire d’un mensonge d’État, sur la réalité de la méritocratie. Certes, le sujet est loin d’être nouveau en matière d’éducation. Mais la question déborde aujourd’hui largement cet horizon, où l’on conteste les critères de l’excellence ou de la performance, pour englober l’ensemble du statut social miné par la dévalorisation des diplômes, par l’existence de marchés professionnels fortement corporatisés et hiérarchisés en fonction des trajectoires scolaires et des ressources sociales (en témoignent les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03459716/document">trajectoires fort contrastées des énarques</a>), par l’illégitimité qui touche un succès social dès lors qu’il ne se justifie que par le travail.</p>
<p>Une autre lecture de l’élection présidentielle de 2022 est donc d’y voir une lutte autour de la question méritocratique, développée sur le terrain libéral par le macronisme au nom d’une plus grande ouverture des vies professionnelles, réclamée également par les gauches recherchant un point d’équilibre entre l’égalité et l’équité, sans doute présente aussi dans les droites radicales qui se sont engouffrées sur le terrain du pouvoir d’achat mais aussi de l’invisibilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une autre lecture de l’année électorale montre que le malaise démocratique repose aussi sur l’idée d’un mensonge institutionnel.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821782022-05-02T19:06:08Z2022-05-02T19:06:08ZPrésidentielle aux Antilles : « Le vote d’extrême droite était lié aux problèmes sociaux »<p><em>Après un plébiscite pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national (RN) a obtenu, deux semaines plus tard, près de 61 % des voix en Martinique et en Guyane, et même près de 70 % en Guadeloupe, réalisant son meilleur résultat dans ces départements où les scores de l’extrême droite sont habituellement faibles lors des scrutins locaux et nationaux. Fred Reno, chercheur en sciences politiques à l’Université des Antilles décrypte les logiques qui ont conduit à ces résultats.</em></p>
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<p><strong>The Conversation : Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?</strong></p>
<p><strong>Fred Reno :</strong> Les outre-mer ont voté en majorité pour la candidate Le Pen contre Macron. La question qui se pose est : comment des Noirs, des afrodescendants ont pu voter pour le Rassemblement national, un parti qui renvoie au racisme, aux discriminations… On peut réduire Le Pen à l’extrême droite mais les choses sont plus complexes que cela. Il faut relativiser ce vote en évitant d’en faire un vote d’extrême droite. C’est un vote pour Le Pen, contre Macron mais pas un vote d’extrême droite au sens où les gens auraient adhéré aux valeurs du RN.</p>
<p>Quand on interroge les gens qui ont voté Le Pen, ils répondent spontanément : « on a voté contre Macron et on a voté contre les élus locaux ». Le vote contre Macron est lié à des problèmes sociaux qui se posent dans le pays, la question vaccinale, l’insécurité, la délinquance… La critique qui est faite aux élus locaux est très forte. Pour beaucoup d’électeurs, les élus locaux ont failli et sont les principaux responsables de la situation parce qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre en charge les demandes sociales.</p>
<p><strong>TC : Les votes pour Marine Le Pen ne sont donc pas des votes d’adhésion mais plutôt des votes sanction ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Oui, pour analyser cela il faut partir du premier tour. Jean-Luc Mélenchon arrive largement en tête en <a href="https://www.leparisien.fr/resultats-elections/guadeloupe/guadeloupe/">Guadeloupe</a> (56,16 %) et en <a href="https://www.leparisien.fr/resultats-elections/martinique/martinique/">Martinique</a> (53,10 %). Marine Le Pen arrive en deuxième position en Guadeloupe avec près de 18 % des voix et en troisième en Martinique avec 13 %. Les électeurs ont d’abord voté Mélenchon, s’ils étaient fondamentalement lepeniste ou d’extrême droite ils auraient voté d’emblée Marine Le Pen. C’est donc par défaut qu’ils se sont prononcés pour Le Pen au deuxième tout parce que Mélenchon n’a pas été qualifié. Le vote n’a pas de consistance idéologique, c’est un vote de protestation, de colère. Je crois que les électeurs ont instrumentalisé ces candidatures pour adresser un gros message aux élus locaux et à Emmanuel Macron.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-comprendre-la-crise-sociale-en-guadeloupe-172885">Pour comprendre la crise sociale en Guadeloupe</a>
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<p><strong>TC : Marine Le Pen est donc perçue comme une candidate antisystème, pas comme une personne d’extrême droite ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Absolument, elle est dédiabolisée à l’évidence. Les électeurs disent : « on a tout essayé jusque là, essayons extrême droite cela ne nous coûte rien finalement c’est une candidate comme les autres avec un discours qui nous parle. Elle va remettre dans leur droit les employés suspendus par la crise sanitaire, elle va régler le problème de l’eau, tous les thèmes qui nous intéressent elle les prend en charge dans son discours. »</p>
<p><strong>TC : Le vote anti-Macron s’inscrit-il dans la continuité d’un rejet des institutions et de l’État français ?</strong></p>
<p>Je ne pense pas qu’il y ait un rejet de l’État français bien au contraire, je pense qu’il y un appel à l’État, à plus d’États. Dans le contexte de mondialisation, d’incertitude, il y a une demande de protection et de sécurité. Et le discours de Marine Le Pen qui renvoie à l’autorité, à la centralisation même puisqu’elle refuse le principe de l’autonomie, je pense que cela parle à tous ces gens. Je crois que le vote anti-Macron est un vote qui renvoie aux dossiers sociaux principalement, à tous les problèmes qui n’ont pas été réglés et que Macron avait promis de régler. Il y a le sentiment que rien n’a été fait par les représentants de Macron sur place. C’est par manque d’interventionnisme étatique qu’on a rejeté Macron.</p>
<p><strong>TC : Les mobilisations qui ont eu lieu suite à l’instauration de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire ont aussi pu influencer ces votes de protestation ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Je crois que la question vaccinale est venue se greffer sur la question sociale et elle a joué comme un catalyseur. Cela a renforcé encore plus les oppositions. Il y a un élément qui intervient à la fin, c’est quand on a su que finalement la pandémie était en baisse et que le port du masque n’était plus nécessaire, qu’on allégeait les restrictions, beaucoup de gens ont cru que les employés suspendus allaient être rappelés et allaient pouvoir retrouver leur emploi mais ça n’a pas été le cas. Cela a été perçu comme une forme de mépris par beaucoup de gens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/du-code-noir-au-chlordecone-comprendre-le-refus-de-lobligation-vaccinale-aux-antilles-francaises-172668">Du « Code noir » au chlordécone, comprendre le refus de l’obligation vaccinale aux Antilles françaises</a>
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<p><strong>TC : Durant sa campagne Jean-Luc Mélenchon s’est particulièrement adressé aux outre-mer. C’est ce qui explique qu’il soit arrivé en tête du scrutin au premier tour ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Mélenchon est l’homme politique qui a été le plus actif en Guadeloupe et en Martinique. Il a pris la parole sur des sujets importants ici, comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/martinique-les-coupures-deau-exasperent-la-population_4645133.html">l’eau</a> et le chlordécone. Pas seulement lui mais aussi ses émissaires, notamment Danièle Obono et Mathilde Panot. Cette dernière a fait un rapport avec d’autres députés sur la <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/trois-parlementaires-saisissent-la-defenseure-des-droits-sur-les-problemes-d-adduction-en-eau-en-guadeloupe-1180579.html">question de l’eau</a>. Elle eu une prise de parole qui a beaucoup plu ici, sur les réseaux sociaux notamment. Elle a été présentée comme celle qui faisait ce que ne font pas nos élus locaux.</p>
<p>Il y a un élément supplémentaire qui est la question de la <a href="http://www.slate.fr/story/216753/creolisation-concept-edouard-glissant-marotte-jean-luc-melenchon-france-insoumise">créolisation</a>. Mélenchon est le seul candidat a avoir donné une dimension culturelle à ses interventions politiques. Il a érigé la créolisation en réponse à la question du multiculturalisme en France. Même si tout le monde ne partage pas cette théorie, en se référant ouvertement à Édouard Glissant, Mélenchon parle de nous et fait de nous une référence.</p>
<p><strong>TC : Pensez-vous qu’en Guadeloupe et en Martinique les électeurs vont se mobiliser pour les élections législatives ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Il est certain qu’il y a une prise de distance avec nos élus locaux, une majorité d’entre eux ont appelé à voter Macron lors de la présidentielle. Je suis persuadé que pour les élections législatives peu de candidats vont faire référence à Macron mais je ne suis pas sûr que l’élection présidentielle va modifier en profondeur le paysage local. Je ne pense pas que la France insoumise ait une implantation locale suffisante pour avoir des députés. Ils semblent l’avoir compris parce que la FI, à la différence du RN, est en mesure de négocier avec d’autres partis de gauche comme le PCF ou le PS, et peut-être même une frange des nationalistes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182178/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fred Reno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?Fred Reno, Professeur de science politique, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816702022-04-29T14:07:54Z2022-04-29T14:07:54ZNos biais de genre dans le vote populaire de Star Académie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460156/original/file-20220427-22-rh15sm.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1174%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les biais genrés qui s'expriment à travers le vote populaire de Star Académie 2022 illustrent la persistance d'un angle mort sexiste dans nos perceptions de la compétence féminine.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.instagram.com/p/Cc3JSoaONy2/">Instagram, @staracademietva</a></span></figcaption></figure><iframe style="width: 100%; height: 100px; border: none; position: relative; z-index: 1;" allowtransparency="" allow="clipboard-read; clipboard-write" src="https://narrations.ad-auris.com/widget/la-conversation/nos-biais-de-genre-dans-le-vote-populaire-de-star-academie" width="100%" height="400"></iframe>
<p>Pour la deuxième fois depuis 2003, le public de <em>Star Académie</em> a consacré en 2022 une gagnante contre un concurrent masculin. Depuis sa première mouture au Québec, les tendances du vote suggèrent toutefois que l’instinct populaire s’attache aisément aux artistes masculins et reconnaît difficilement la compétence de leurs collègues féminines, pourtant bien identifiée par les juges.</p>
<p>De cette propension plus manifeste cette année, a résulté une seule protection de femme par le vote populaire en six éliminations mixtes avant la finale. Autrement, le public n’aura protégé les chanteuses que lorsque le choix était exclusivement féminin.</p>
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<a href="https://theconversation.com/od-dans-louest-remue-menage-des-modeles-pour-les-gars-et-les-filles-168828">« OD dans l’Ouest » : remue-ménage des modèles pour les gars et les filles</a>
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<p>On peut lire dans cette préférence l’héritage d’une vision traditionnellement genrée de la compétence, qui déconsidère les femmes. La persistance d’un angle mort sexiste dans notre inconscient collectif perpétue en effet l’association entre la crédibilité et le masculin, ainsi qu’entre la frivolité et le féminin.</p>
<p>Les doubles standards qui découlent de ces stéréotypes de genre ont été observés en 2019 dans le milieu littéraire par une <a href="https://www.uneq.qc.ca/wp-content/uploads/2019/11/Rapport_Egalite%CC%81-hommes-femmes_novembre2019.pdf">étude de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ)</a>. <em>Idem</em> dans la sphère de l’éducation, nous confirment des recherches menées entre 2014 et 2016 en France et aux États-Unis sur <a href="https://theconversation.com/les-evaluations-des-enseignements-par-les-etudiants-et-les-stereotypes-de-genre-53590">l’évaluation des enseignements par les étudiants et les étudiantes</a>. Il en ressort une différence marquée dans les attentes, les exigences et les appréciations envers le travail des hommes et celui des femmes, au désavantage de ces dernières.</p>
<p>Le même constat émerge de mes recherches doctorales à l’Université Laval. En écrivant la biographie d’une intellectuelle québécoise (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Lapointe">Jeanne Lapointe, 1915-2006</a>), j’analyse notamment les résistances systémiques qui ont nui à la reconnaissance des accomplissements des femmes. On peut déceler cette réticence historique dans les réactions populaires qui ont ponctué la saison 2022 de <em>Star Académie</em>. Je propose d’en examiner certains biais de genre sous les regards croisés de l’histoire des femmes et de la sociologie de la culture.</p>
<h2>Exigences accrues pour légitimer sa place</h2>
<p>Rappelons d’abord l’étonnement qui s’exprimait <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2022/04/17/eloi-et-krystel-en-finale-1">dans les médias</a> devant le fait que Krystel Mongeau « accède étrangement [à la] finale sans n’avoir jamais été plébiscité[e] par le public ». Constatons ensuite qu’en l’absence de quotas genrés et en dépit d’une compétence féminine remarquée par le corps professoral, le public a si peu accordé son vote aux candidates qu’il est revenu au jury de leur assurer une place en demi-finale et en finale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1518607198045315072"}"></div></p>
<p>Pourquoi des artistes complètes telles qu’Audrey-Louise Beauséjour, Sarah-Maude Desgagné et Krystel Mongeau n’ont-elles jamais remporté le suffrage populaire avant la finale, alors qu’elles se démarquaient d’emblée ? Pourquoi le capital de sympathie semble-t-il plus difficile à acquérir pour les femmes ?</p>
<p>Notons que le monde traditionnel sur lequel s’érige notre société reposait sur un équilibre entre le travail des hommes dans la sphère publique et l’assignation des femmes à l’espace privé. Les premières à poursuivre des carrières publiques ont essuyé maintes objections parce que leur engagement menaçait cet ordre établi. En 1940, le romancier Claude-Henri Grignon contestait la pertinence de la journaliste Anne-Marie Gleason : « Cette bonne femme […] n’a su que vagir des impressions de boudoirs […] au lieu de s’occuper de repriser des chaussettes et d’écurer des chaudrons ».</p>
<p>Une femme de carrière qui acquérait une expertise hors du champ domestique devait légitimer sa contribution à la vie publique en démontrant que celle-ci ne l’empêcherait pas de remplir ses obligations d’épouse et de mère. En 2022, parce que la <a href="http://www.orfq.inrs.ca/les-femmes-et-le-marche-du-travail-des-inegalites-qui-persistent/">responsabilité parentale incombe encore majoritairement aux mères</a>, Krystel Mongeau a senti l’obligation de justifier sa persistance dans le concours en répétant que cet accomplissement en ferait une femme épanouie et donc une meilleure mère, un <a href="https://www.billie.ca/2022/03/11/tout-sur-krystel-mongeau-la-jeune-maman-determinee-de-star-academie">exemple pour sa fille</a> de deux ans. Au lendemain de sa victoire, la une du <em>Journal de Québec</em>, « Une jeune maman couronnée », glorifiait davantage son identité maternelle que son mérite et son nom.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Ccs4AJwMmZg","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Parallèlement, l’activité professionnelle des femmes devait s’accomplir avec un degré accru d’efficacité et d’excellence. Encore en 2014, une <a href="https://www.annualreviews.org/doi/pdf/10.1146/annurev-psych-113011-143745#article-denial">étude américaine</a> fondée sur les parcours de 500 professionnelles en administration révélait qu’à performances équivalentes, les femmes obtiennent moins de reconnaissance que leurs homologues masculins. Elles doivent donc se montrer plus productives pour acquérir une considération similaire.</p>
<p>Les perceptions péjoratives de l’expertise féminine comme réflexe cognitif restent palpables dans l’ensemble des domaines. L’inadéquation entre le soutien du public et la qualité des performances féminines à <em>Star Académie</em> 2022 tend à montrer que, dans l’estime populaire, le travail des candidates demeure sous-évalué.</p>
<h2>Se battre contre le discrédit historique</h2>
<p>La campagne de sensibilisation <a href="https://www.always.fr/fr-fr/a-propos-de-always/commeunefille">#CommeUneFille</a> menée par Always en 2014 illustrait la ténacité d’un préjugé selon lequel l’être social des filles demeure associé au ridicule dans notre imaginaire collectif. Les effets de ce discrédit historique jeté sur le féminin se sont dévoilés sous la <a href="https://www.lapresse.ca/arts/chroniques/2022-03-19/les-p-tits-coeurs-brises-de-lara-fabian.php">plus importante polémique de <em>Star Académie</em> au Québec</a>, autour de l’éviction d’Audrey-Louise Beauséjour.</p>
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<figcaption><span class="caption">La campagne #CommeUneFille, menée par Always, visait à briser les stéréotypes associés à l’être social des filles.</span></figcaption>
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<p>Le public a alors été confronté à ses contradictions internes, dénonçant l’élimination d’une candidate jugée exceptionnelle sans pour autant lui accorder l’immunisation première, lui préférant Éloi Cummings. Une pétition réclamant la démission de la directrice a ensuite circulé sur les réseaux sociaux, alléguant qu’« elle n’a pas un bon jugement et [qu’]elle a ses protégés ».</p>
<p>Le soupçon de favoritisme de la part de Lara Fabian envers Krystel Mongeau, avec qui elle a collaboré à <em>La Voix</em>, apparaît autant comme une déconsidération du professionnalisme de la directrice que comme une mésestime du talent de la candidate. Tout comme les aptitudes de la future lauréate, la crédibilité de Lara Fabian avait pourtant été exposée au grand public, tant par son impartiale exigence critique que par son acuité pédagogique.</p>
<p>Cet événement rappelle que même lorsque la preuve de leur excellence professionnelle s’établit, la place des femmes au pouvoir ou sur une tribune reste davantage menacée. « Si tu veux préserver ta réputation, être prise au sérieux, tiens-toi tranquille », a-t-on conseillé à l’ancienne députée péquiste Elsie Lefebvre <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/394432b9-2f59-4cbd-a78d-d8509d384144__7C___0.html">à ses débuts en 2004</a>. Ces propos font écho à ceux que tenait le recteur de l’Université Laval cent ans plus tôt : « les femmes […] doivent être comme des fleurs qui n’exhalent leur parfum que dans l’ombre. »</p>
<p>Bien que la prestance de Lara Fabian suscite l’admiration d’un large pan de son public, sa posture de mentore remue les restes d’une vision traditionnelle du féminin qu’on voulait autrefois discret et modeste. La détermination de la directrice et des candidates de <em>Star Académie</em> placent sous les projecteurs le tabou de l’ambition féminine. La fierté des candidates étoiles paraît-elle prétentieuse, même si celles-ci ont clamé leur gratitude envers leurs fans ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson thème officielle de Star Académie 2022.</span></figcaption>
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<p>Une chose est sûre : l’humilité apparaît comme une clé du succès populaire au Québec francophone. S’identifier à l’être modeste dont on glorifie les efforts conforte le rêve américain et apaise les complexes. Or, quand l’imperfection a la cote, les femmes peinent à négocier leur succès dans un monde où l’exigence d’irréprochabilité professionnelle crée pour elles une impasse.</p>
<p>À l’instar d’Hugo Dumas, on peut se demander si « la consécration de Krystel [signale] la fin de cette habitude que nous avons de <a href="https://www.lapresse.ca/arts/chroniques/2022-04-25/star-academie/les-noces-de-krystel.php">privilégier les laissés-pour-compte »</a>. De cette exceptionnelle victoire féminine émerge aussi l’espoir d’une valorisation plus juste des compétences des hommes et des femmes dans la sphère publique.</p>
<h2>Changer le monde</h2>
<p>Comment vaincre les doubles standards au cœur d’un événement télévisuel dont le concept est lié à l’affect du public ? Il serait avantageux de former le jugement populaire par l’énonciation de critères d’évaluation objectifs : justesse vocale, présence scénique, faculté de communiquer l’émotion, aptitude à la collaboration artistique, etc.</p>
<p><em>Star Académie</em> pourrait aussi demander à la population de se prononcer sur les mises en danger, mais pas sur les éliminations. La production pourrait également proposer un mode de scrutin partagé entre le verdict populaire et celui des juges, tout en limitant à un le nombre de votes par appareil. Bref, le concours bénéficierait d’une révision de ses fonctionnements structurels pendant sa pause annoncée pour 2023.</p>
<p>Par-delà ces mécanismes, la vitrine que constitue <em>Star Académie</em> favorise les prises de conscience en valorisant de mieux en mieux la diversité des modèles de compétence parmi ses cohortes, son <em>band</em> maison et ses troupes de danse. Écrite pour la première fois par des femmes, la chanson thème de 2022 appelait cette évolution : « ensemble, on pourra changer le monde […] pour que demain nous ressemble ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181670/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudia Raby a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et culture</span></em></p>Des biais de genre ont semblé orienter le vote populaire à Star Académie 2022. L’influence des doubles standards mène inconsciemment à la sous-évaluation des compétences féminines.Claudia Raby, Doctorante en études littéraires, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816552022-04-26T19:47:45Z2022-04-26T19:47:45ZAbstention, vote blanc : le vote obligatoire pourrait modifier la perception de devoir civique<p>Avec un taux de participation de 63,23 % pour le second tour de l’élection présidentielle (à 17h), en baisse de près de 2 points par rapport au premier tour et aux scrutins précédents, la question de l’abstention a été au cœur de l’attention médiatique. En effet, les chiffres de la participation électorale demeurent bien d’ordinaires plus élevés pour les présidentielles que pour les autres scrutins. À titre d’exemple, en <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20191029IPR65301/chiffres-definitifs-sur-le-taux-de-participation-aux-elections-europeennes-2019">2019, aux élections européennes</a>, 50,7 % des inscrits avaient voté, et ce chiffre est même descendu à 33,4 % au premier tour des <a href="https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/taux-de-participation-au-1er-tour-des-elections-regionales">élections régionales de 2021</a>.</p>
<p>Le retrait du processus électoral d’un grand nombre d’électeurs observé actuellement en France, comme dans de nombreuses autres démocraties, mène à la question suivante : pourquoi certains citoyens votent-ils aux élections, alors que d’autres s’abstiennent ? Les chercheurs en sciences politiques et sociales se sont penchés sur cette question depuis plusieurs années, et <a href="https://www.puf.com/content/Extinction_de_vote">ils ont identifié plusieurs facteurs</a> qui peuvent expliquer la participation électorale des citoyens.</p>
<p>L’un des facteurs qui ressort de ces études est la conception du vote en tant que devoir civique (le « sense of civic duty » dans la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11109-018-9459-3">littérature anglo-saxonne</a>. <a href="https://doi.org/10.1016/j.electstud.2012.12.006">La recherche</a> a montré, par exemple, que la probabilité de voter augmentait 19 points de pourcentage lors de l’élection présidentielle américaine de 2008 quand un individu voit le vote comme un devoir civique plutôt qu’un choix personnel.</p>
<p>Dans cette perspective, le problème de l’abstention en France est possiblement lié au fait qu’un grand nombre des citoyens français ne pensent pas que le vote représente un devoir civique. Ainsi 36 % des individus interrogés dans le cadre de la dernière étude <a href="https://dataverse.harvard.edu/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.7910/DVN/3V4IYV">« Making electoral democracy work »</a> (MEDW) en France (en 2014) ont déclaré que, selon eux, le vote n’est pas un devoir civique. Les faibles niveaux de devoir civique sont particulièrement prononcés parmi les nouvelles générations de citoyens, qui constitueront la majorité de la population éligible à voter dans l’avenir (voir la figure 1 ci-dessous).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458880/original/file-20220420-17-vpsw8h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1. Répartition du devoir civique de voter en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Données de l’étude française du « Making electoral democracy work » de 2014</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Face à de tels niveaux de perception du vote comme devoir civique, l’une des questions qui peuvent se poser est de savoir si certaines actions ou réformes pourraient modifier la donne.</p>
<h2>Une condamnation morale, financière ou administrative</h2>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.1017/S0008423920000669">travaux antérieurs</a> discutent notamment le rôle de la socialisation politique ou encore des programmes d’éducation civique, mais une réforme semble en particulier avoir un fort potentiel pour accroître la perception du vote comme un devoir civique : la mise en place du vote obligatoire, tel qu’il est pratiqué, par exemple, en <a href="https://www.idea.int/data-tools/data/voter-turnout/compulsory-voting">Belgique ou encore au Brésil</a>. Dans ces pays, l’abstention est moralement condamné par l’État, ce qui peut être accompagné des sanctions de nature financière (le payement d’une amende) ou même administrative (comme <a href="https://doi.org/10.1111/2041-9066.12058">l’impossibilité temporaire de l’obtention d’un passeport par les abstentionnistes au Brésil</a>).</p>
<p>Dans un <a href="https://doi.org/10.1089/elj.2018.0539">article publié dans le <em>Electoral Law Journal</em>, en 2020</a>, Fernando Feitosa, André Blais et Ruth Dassonneville montrent que le vote obligatoire peut être un mécanisme d’incitation et de renforcement de l’idée que le vote est un devoir civique. Les auteurs le font en analysant <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/12/21/97001-20111221FILWWW00242-au-chili-le-vote-n-est-plus-obligatoire.php">l’abolition du vote obligatoire</a> au Chili, en 2012, et en explorant dans quelle mesure la perception du vote comme un devoir civique s’est détérioré après l’abandon de l’obligation de voter dans le pays.</p>
<p>Avec cette approche méthodologique, les auteurs constatent que le devoir civique a diminué de 10 points de pourcentage, en moyenne, après la mise en œuvre de cette importante réforme électorale, résultat également observé lorsque les auteurs examinent les données de l’<a href="https://issp.org/data-download/archive/">International Social Survey Program (ISSP)</a>.</p>
<p>Pourquoi le vote obligatoire est-il positivement associé au devoir civique ? La logique est simple. En plus – et peut-être de manière plus importante que – de simplement remplir une fonction instrumentale, les lois représentent un mécanisme par lequel les États créent ou renforcent les normes sociales. Autrement dit, en définissant une action donnée comme « légale » ou « illégale », l’État signale à la population qu’une telle action est « bonne » ou « mauvaise » sur le plan moral, affectant la perception du public sur la façon dont un « bon » citoyen doit se comporter. De ce point de vue, en établissant que le vote est obligatoire, l’État signale qu’un « bon » citoyen vote, et, en revanche, qu’un « mauvais » citoyen s’abstient lors des élections, association qui favorise la perception du votre comme devoir civique de voter chez les citoyens.</p>
<h2>Les conséquences négatives du vote obligatoire</h2>
<p>L’étude de Feitosa, Blais et Dassonneville le montre, le vote obligatoire peut avoir une influence significative sur la perception du vote comme devoir civique, et par là sur la participation électorale.</p>
<p>Cependant, d’autres travaux montrent également que le vote obligatoire peut avoir des conséquences moins positives. <a href="https://doi.org/10.1017/S0007123416000041">Diverses analyses</a> ont montré, par exemple, qu’en forçant les citoyens à voter, l’État peut rendre les gens plus insatisfaits par rapport à la politique. De plus, des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11109-018-9448-6">études</a> ont montré que le vote obligatoire peut même réduire le lien entre les préférences politiques des individus et leur choix électoral, et, par cela, la représentation des certains groupes des citoyens à la politique.</p>
<p>En d’autres termes, il serait naïf de croire que le vote obligatoire constituerait la solution miracle à toutes les difficultés de la participation électorale en France, ou ailleurs.</p>
<p>Malgré cela, il est important de souligner que ce mécanisme peut avoir des vertus en période de hausse de l’abstention. Son avantage principal n’est pas de forcer les électeurs à voter mais plutôt de modifier la perception que les citoyens ont de l’acte de voter. Rendre le vote obligatoire peut contribuer à diffuser une norme sociale selon laquelle voter est un devoir citoyen, et par là à revaloriser la participation politique au sens large. En ce sens, le vote obligatoire montre comment les institutions peuvent contribuer à façonner le rapport des citoyens à la politique, un aspect souvent négligé dans les débats médiatiques, politiques et sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Imposer le vote aux citoyens ne va pas forcément renforcer leur participation au scrutin électoral. Explications.Jean-Benoit Pilet, Professeur de Science Politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)Fernando Feitosa, Postdoctoral fellow, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815582022-04-24T20:31:13Z2022-04-24T20:31:13ZUne abstention hautement politique<p>Les estimations au second tour de l'élection présidentielle montrent une forte abstention, soit environ 28%. Un chiffre inégalé depuis 53 ans et 1969, qui avait vu plus de 30% de l'électorat décider de ne pas se déplacer aux urnes.</p>
<p>Ce taux d'abstention serait supérieur de près de 2,5 points à celui observé lors du scrutin qui avait déjà opposé Emmanuel Macron et Marine Le Pen en 2017.</p>
<p>Depuis une trentaine d'années, l'abstention est un comportement qui se développe dans toutes les démocraties occidentales (sauf bien sûr celles qui ont mis en place un vote obligatoire : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vote_obligatoire#:%7E:text=L'article%20101%20de%20la,de%20s%C3%A9nateurs%2C%20et%20r%C3%A9f%C3%A9rendums">Italie, Belgique, Grèce</a>).</p>
<p>Nous l'observons au même titre que la volatilité électorale, désignant la possibilité pour des électeurs de modifier leurs préférences politiques ou leur vote d'une échéance électorale à l'autre, tout comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2006-1-page-139.htm">vote protestataire</a>. En France l'abstentionnisme politique structurel a <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/France/Les-elections-presidentielles-depuis-1965-_NG_-2012-03-20-780364">ugmente depuis les années 1990</a>.</p>
<p>Nous vivons une <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/une-crise-de-la-representation-politique-plus-forte-que-jamais">crise de la représentation</a>, une <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/788457/%E2%80%89les-francais-sont-les-champions-de-la-defiance%E2%80%89/">défiance vis-à-vis du politique</a>, mais surtout la crise d'un système qui n'entend pas les besoins et les attentes des citoyens. L'ampleur des vagues abstentionnistes, élection après élection, ne peut s'interpréter qu'à l'aune d'une nouvelle forme d'abstention, une abstention politique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dz9n9K16xK0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L'abstention, premier parti de France ? YouTube.</span></figcaption>
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<h2>Du «cens caché» à l'abstention politique</h2>
<p>L'argument le plus souvent évoqué pour expliquer l'abstentionnisme serait l'absence d'intérêt pour la politique presque toujours complétée par l'expression de l'incompétence personnelle des citoyens.</p>
<p>Pour le politiste français <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48005184/f289.item.texteImage">Daniel Gaxie</a> le «cens caché» – en ce que le capital culturel possédé, cens caché, engendrerait une forme de suffrage censitaire – est un déterminant de l'abstention électorale : la différence de politisation entre classes sociales serait liée aux inégalités culturelles, elles-mêmes principalement déterminées par les inégalités scolaires qui séparent les groupes sociaux et donc au sentiment de compétence politique des sujets.</p>
<p>Le capital culturel engendrerait une inégale maîtrise des instruments de la politique, tels que le fait de s'inscrire au bon bureau de vote, de prendre la parole en public, de se sentir légitime à avoir une opinion. Ainsi les citoyens qui s'auto-excluraient le plus des processus démocratiques seraient ceux qui disposent d'une (perception de leur) compétence politique faible. Si le suffrage est universel de droit il deviendrait, par l'exclusion et l'auto-exclusion du vote, comme «censitaire de facto» selon Gaxie, c'est-à-dire réservé aux plus favorisés. On constate, certes, de manière générale une corrélation entre l'absence de diplôme et l'abstention ; moins la personne est diplômée, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281060">plus elle</a> <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281060">s'abstient</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">Le travail, ultime lieu de fabrique de la politique (et de l’abstention) ?</a>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-experiences-du-travail-influencent-elles-les-choix-de-vote-181506">Les expériences du travail influencent-elles les choix de vote ?</a>
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<h2>Un «abstentionnisme hétérodoxe»</h2>
<p>Pourtant, certains travaux de recherche et notamment ceux du politiste <a href="https://studylib.net/doc/14924038/who-abstains-in-equilibrium%3F-%E2%88%97-santiago-oliveros-haas-sch">Santiago Oliveros</a> qui a travaillé sur les élections américaines. Selon lui, les liens entre participation politique, recherche d'informations et type d'électorat (électeur aux préférences idéologiques prononcées versus électeur non partisan) sont contre – intuitifs : information et abstention ne sont pas nécessairement corrélées négativement : certains électeurs sont plus susceptibles de s'abstenir quand ils sont plus informés…</p>
<p>Émerge ce que nous avons appelé, dans une recherche en cours et à paraître un «abstentionnisme hétérodoxe», qui désigne la non-participation électorale de catégories diplômées. C'est ce que montrent nos entretiens avec des personnes diplômées et de très diplômées intéressées à la chose politique, engagées dans le débat d'idées, et qui définissent l'abstention comme un choix politique.</p>
<p>Il s'agit dans cette étude d'interroger des abstentionnistes réguliers dotés d'un capital culturel élevé, voire très élevé pour saisir leurs motivations.</p>
<blockquote>
<p>«L'idée de déléguer son pouvoir me dérange. Je le mets en lien avec le mandat impératif dans le sens où je donne du pouvoir à quelqu'un… Ce que je ne veux pas faire, c'est donner la possibilité à quelqu'un de prendre des décisions sans me demander mon avis. Je suis favorable au mandat impératif dans le sens où j'accepterais que quelqu'un porte ma voix mais en le limitant aux décisions que l'on aurait prises collectivement. Pas comme les représentants que l'on a actuellement qui décident ce qu'ils veulent à partir du moment où ils ont le pouvoir ; ceux qui peuvent décider de dire «mon ennemi c'est la finance» et finalement faire passer telle loi qui l'arrange». (homme 30 ans, profession intellectuelle supérieure)</p>
<p>«L'élément déclencheur a été l'élection de 2007 qui s'est finie entre Sarkozy et Royal. Moi je votais plutôt à droite mais je n'étais clairement pas sarkoziste. Au deuxième tour, c'était clair pour moi, ni l'un, ni l'autre. Donc j'ai arrêté de voter. Au départ, je n'ai juste pas voté et ensuite je me suis dit que ne serait-ce que voter blanc aujourd'hui, ça n'a plus de sens. Voter blanc veut dire «je ne suis pas d'accord avec les gens que vous me présentez mais je donne du crédit au système». Moi aujourd'hui, je ne donne plus de crédit au système. Donc je ne vote plus.[…] Pour moi tant que le système sera comme il est, je ne voterai plus. Je suis pour changer complètement le système. Souvent quand on ne vote pas on vient nous dire que des gens se sont battus pour l'obtenir, les femmes, etc. Surtout quand on est femme. Le droit de vote a du sens lorsqu'il est pris en compte. Aujourd'hui, voter ne sert qu'à donner la parole à des gens une fois tous les 5 ans pour qu'ils choisissent quelqu'un qui ne tiendra aucune des promesses qu'il a fait et pire, qu'il fera ce qu'il veut. Ce n'est pas ça la démocratie. Moi je serais pour voter dans une société qui ressemble à une démocratie. » (Femme 50 ans profession intellectuelle supérieure)</p>
</blockquote>
<p>Interrogé sur sa participation à l'élection présidentielle 2022, un citoyen répond :</p>
<blockquote>
<p>«C'est peut-être difficile et encore ! J'assume, je ne voterai pas à cette élection qui nous enferme encore dans le jeu Le Pen – Macron, tant pis. Je ne veux pas de cette absence d'alternative. On se retrouve coincés c'est insupportable. Donc je suis très engagé, mais je reste dans l'abstention dimanche 24 avril. » (Homme, 41 ans, cadre)</p>
</blockquote>
<h2>De la «démocratie d'élection» à la «démocratie d'implication» ?</h2>
<p>Comme le montre la sociologue <a href="https://www.cairn.info/les-cultures-politiques-des-francais--9782724608021-page-17.htm">Anne Muxel</a>, il existe dans le jeu politique une nouvelle forme d'expression : une abstention «dans le jeu» qui est même l'expression d'une certaine vitalité démocratique.</p>
<p>L'abstention-protestation peut être le fait d'un <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1971_num_21_2_418057_t1_0426_0000_001">«mécontentement»</a> selon le politologue Alain Lancelot mais elle peut aussi s'apparenter à une forme de <a href="https://www.persee.fr/doc/rfea_0397-7870_1993_num_58_1_1942_t1_0436_0000_2">contestation</a> du système. Alors que le mécontentement ponctuel, lié à des évènements politiques ou au questionnement des élites, n'obère pas l'adhésion au système, la contestation du système politique en lui-même est une remise en cause de la démocratie représentative au profit des formes de démocratie directe.</p>
<p>En l'espèce, les dernières années ont vu la parole politique perdre en crédibilité : de Nuit debout aux Indignés, des «gilets jaunes» aux Convois de le liberté, c'est bien la question la démocratie représentative qui a été posée. «Nous ne sommes pas en démocratie» était l'un des leitmotivs des «gilets jaunes»</p>
<p>, mettant en question la démocratie représentative dans sa consistance et sa forme en appelant parfois de leurs vœux la tenue d'un <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/pour-les-gilets-jaunes-nous-ne-sommes-pas-en-democratie-801973.html">référendum d'initiative citoyenne</a> (RIC), voire même l'idée d'une <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/pour-les-gilets-jaunes-nous-ne-sommes-pas-en-democratie-801973.html">assemblée constituante tirée au sort</a></p>
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<figcaption><span class="caption">Démocratie et système représentatif ne sont pas synonymes. YouTube.</span></figcaption>
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<p>Ces mouvements successifs sont mus par <a href="https://theconversation.com/17-novembre-le-jour-des-malcontents-106966">«l'exigence radicale d'une reprise en main par les citoyens de leur destin»</a> comme le rappelle par ailleurs <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/pass-vaccinal/convois-de-la-liberte-des-revendications-proches-de-celles-des-gilets-jaunes_4955544.html">Bruno Cautrès</a>:</p>
<blockquote>
<p>«On retrouve des éléments très communs […] avec à la fois la question de la justice sociale, l'égalité, la fraternité, et puis le sentiment que le système politique n'arrive pas à écouter, qu'il n'est pas empathique, que c'est une sorte de caste qui vit dans son univers et dans l'incapacité de comprendre les Français.»</p>
</blockquote>
<p>Se combinent aujourd'hui la montée de ces nouveaux types d'abstentions et des revendications de démocratie participative.</p>
<h2>La politique : lieu d'une violence symbolique suprême</h2>
<p>Quand la politique est vécue comme lieu d'une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_2001_num_51_6_403686">violence symbolique suprême</a> de plus en plus sensible, le consensus politique qui fait le socle de la démocratie représentative va-t-il céder ?</p>
<p>Déjà des indices, comme <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/04/14/presidentielle-a-la-sorbonne-l-ens-et-sciences-po-des-centaines-d-etudiants-contre-le-faux-choix-du-second-tour_6122192_4401467.html">certaines des universités occupées</a> renvoient dos à dos deux radicalités «la radicalité néolibérale ou la radicalité fasciste» et récusant par là-même le choix électoral proposé.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nous-ne-sommes-pas-en-democratie-ou-le-tirage-au-sort-comme-alternative-108962">« Nous ne sommes pas en démocratie » ou le tirage au sort comme alternative ?</a>
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<h2>Un retournement est-il en train de s'opérer ?</h2>
<p>L'élection a longtemps été pensée comme <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-2-page-157.htm">procédé aristocratique</a> : pour Montesquieu dans <a href="https://editions.flammarion.com/de-lesprit-des-lois/9782081470125"><em>L'esprit des lois</em></a>, «le tirage au sort est de la nature de la démocratie : le suffrage par choix est de celle de l'aristocratie». Puis un nouveau consensus sur la notion de démocratie s'est établi ; opérant l'exact contre-pied de la théorie classique. <a href="https://theconversation.com/nous-ne-sommes-pas-en-democratie-ou-le-tirage-au-sort-comme-alternative-108962">L'élection y devenait l'instrument de la démocratie</a>.</p>
<p>Un certain nombre d'indicateurs témoignent de la désaffection de la «politique professionnelle» dans ses modalités représentatives sans pour autant être le signe d'un désintérêt pour le politique.</p>
<p>La montée de l'abstentionnisme est patente dans les démocraties représentatives et en France en particulier. Les abstentionnismes ne sont pas nécessairement mus par une posture apolitique mais revendiquent un choix politique de remise en cause du modèle de contestation des pouvoirs par une «élite» élue, au profit de demandes de démocratie directe et de démocratie participative. Bref la crise de la représentation politique repérable dans l'ensemble des pays européens n'est pas signe d'un «déficit démocratique», mais d'une demande de démocratie.</p>
<hr>
<p><em>Béatrice Mabilon-Bonfils vient de publier un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03637979">roman graphique</a> sur le sujet des nouveaux modes de démocratie</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181558/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L'abstention massive qui caractérise les dernières élections en France témoignerait d'une demande profonde des citoyens pour une autre forme de démocratie.Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris UniversitéVirginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1817322022-04-21T18:06:18Z2022-04-21T18:06:18ZDossier : Présidentielle 2022, une campagne sans jeunesse ?<p>Dimanche 10 avril, date du premier tour de la présidentielle 2022, quatre électeurs sur dix parmi les moins de 35 ans ne se sont pas déplacés jusqu’aux urnes. Alors même que ce type de scrutin national mobilise traditionnellement plus la population, le taux d’abstention est donc en progression chez les jeunes par rapport à 2017. Cette évolution tient-elle à un décalage entre leurs attentes et les programmes mis en avant par les différents partis ? Ou reflète-t-elle une transformation du rapport au politique ?</p>
<p>Pour remettre en perspective ces questions, nous vous proposons de relire quelques analyses publiées sur The Conversation autour des élections, de la jeunesse, et des politiques qui lui sont dédiées, avec Anne Muxel (Sciences Po), Tom Chevalier (Rennes-1), Patricia Loncle (EHESP), Camille Peugny (Université de Versailles Saint-Quentin), Rustam Romaniuc (Montpellier Business School), Élodie Gentina (IÉSEG School of Management), Nicolas Charles (Université de Bordeaux) et Romain Pierronnet (Université de Lorraine).</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/comprendre-labstention-des-jeunes-en-cinq-questions-181127">Comprendre l’abstention des jeunes en cinq questions</a></h2>
<p>Si les jeunes boudent plus souvent les urnes que leurs aînés, leur niveau d’abstention était particulièrement élevé ce 10 avril 2022. Quatre électeurs de moins de 35 ans sur dix n’auraient pas voté.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/le-vote-jeune-existe-t-il-179871">Le vote jeune existe-t-il ?</a></h2>
<p>Dans les campagnes électorales, la catégorie « jeunesse » est souvent utilisée pour parler, non des enjeux de jeunesse, mais d’autre chose – l’État, la Nation, la citoyenneté…</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/les-jeunes-et-le-politique-au-dela-du-vote-des-formes-dengagement-multiples-177648">Les jeunes et le politique : au-delà du vote, des formes d’engagement multiples</a></h2>
<p>Si le vote reste l’outil de participation politique le plus massif, les différentes générations n’ont pas la même attitude vis-à-vis de cet outil.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/comment-faire-pour-inciter-les-jeunes-a-voter-179245">Comment faire pour inciter les jeunes à voter ?</a></h2>
<p>Les sciences comportementales montrent que nos décisions sont influencées par celles des autres, comme par les discours qu’on tient. Des résultats à mobiliser pour lutter contre l’abstention ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/choix-detudes-orientation-professionnelle-donnons-aux-jeunes-le-droit-de-se-tromper-174930">Choix d’études, orientation professionnelle : « Donnons aux jeunes le droit de se tromper »</a></h2>
<p>La crise a fait ressortir les déficits des politiques publiques vis-à-vis de la jeunesse, soulignant aussi une articulation entre la formation et l’emploi qui laisse rarement une deuxième chance.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/derriere-lautonomie-des-universites-des-enjeux-de-societe-180700">Derrière l’autonomie des universités, des enjeux de société ?</a></h2>
<p>Pour augmenter leurs ressources propres, les universités sont incitées à développer la formation continue alors que c’est la formation initiale diplômante qui reste décisive dans la société actuelle.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/les-jeunes-acteurs-de-la-transition-energetique-174629">Les jeunes, acteurs de la transition énergétique ?</a></h2>
<p>S’ils sont nombreux à se mobiliser lors des manifestations pour le climat, les jeunes changent-ils vraiment leurs habitudes de vie au quotidien ? Quelques éclairages.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181732/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Avant le deuxième tour de l’élection présidentielle 2022, retour sur quelques analyses de nos auteurs et autrices autour du vote des jeunes, de leurs attentes et des politiques qui leur sont dédiées.Aurélie Djavadi, Cheffe de rubrique EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815062022-04-20T09:57:32Z2022-04-20T09:57:32ZLes expériences du travail influencent-elles les choix de vote ?<p>La question de l’influence éventuelle de l’activité et des expériences professionnelles sur les comportements de vote n’est pas nouvelle en analyses électorales. Cependant, le « vote de classes », mis en évidence <a href="https://www.cairn.info/classe-religion-et-comportement-politique--9782724603873.htm">au cours des années 1970 pour la France</a> se serait érodé.</p>
<p>Peut-on pour autant conclure à la disparition de relations entre conditions de travail et d’emploi et pratiques électorales ? Rien n’est moins sûr.</p>
<p>Ainsi, la <a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">participation électorale</a> serait encore en partie dépendante des caractéristiques socioprofessionnelles des électeurs (catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité d’appartenance, type de contrat de travail, autonomie dans le travail…). Ce constat est particulièrement vrai si ces caractéristiques sont saisies finement, en ne se limitant pas à des <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2015-5-page-735.htm">nomenclatures dichotomiques (ouvriers/employés, outsiders/insiders…)</a> et en tenant compte à la fois de la profession, du statut d’emploi, de l’insécurité éventuelle de l’emploi, du niveau de rémunération, du niveau de satisfaction au travail, du niveau d’éducation, du caractère plus ou moins <a href="https://www.jstor.org/stable/3791160">routinier ou autonome du travail ou encore de la syndicalisation</a>.</p>
<p>Qu’en est-il aujourd’hui en ce qui concerne l’orientation du vote ? Faute de données encore robustes s’agissant du scrutin présidentiel de 2022, nous présenterons quelques résultats obtenus lors du précédent scrutin de 2017.</p>
<h2>Un choix de vote qui varie selon la catégorie socioprofessionnelle, le secteur d’activité et la taille de l’entreprise</h2>
<p>Loin de la disparition totale de tout « vote de classe », on observe encore des différences importantes en matière d’orientation de vote selon le groupe socioprofessionnel auquel appartiennent les électeurs. Ainsi, en 2017, selon la <a href="http://bdq.quetelet.progedo.fr/fr/Details_d_une_enquete/2014">French Election Study</a>, 27,8 % des cadres ont voté Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle contre respectivement 12,6 % et 12,3 % des employés et des ouvriers (voir tableau 1). De même, seuls 6,5 % des cadres ont voté pour Marine Le Pen contre 24,6 % des employés et 25 % des ouvriers. Ces différences ne sont toutefois pas toujours significatives, notamment si on tient compte du sexe, de l’âge, du niveau de diplôme et des autres caractéristiques socioprofessionnelles des répondants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>D’autres clivages apparaissent particulièrement pertinents, par exemple en fonction du secteur d’activité (par exemple entre les salariés du bâtiment et du commerce). Néanmoins, les enquêtes post-électorales étant réalisées auprès d’échantillons de petite taille (rarement supérieurs à 3 000 personnes), elles ne permettent pas d’analyser finement les différences entre secteurs d’activité. Elles permettent toutefois d’observer des divergences entre salariés du secteur public et du secteur privé. En effet, comme l’ont observé <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=6261">Daniel Boy et Nonna Mayer dès le milieu des années 1990</a>, les salariés du public orientent davantage leur vote en faveur de la gauche que les salariés du privé. Ils votent aussi moins que les salariés du privé pour l’extrême droite.</p>
<p>Ainsi, en 2017, 22 % des salariés du public ont voté Jean-Luc Mélenchon contre 18,7 % de ceux du privé. À l’inverse, seuls 16,9 % des salariés du public ont voté pour Marine Le Pen contre 20,4 % de ceux du privé (voir tableau 2). Cela peut s’expliquer par leurs identités professionnelles spécifiques ou encore par la présence syndicale plus importante dans le secteur public. Les écarts relativement réduits tendraient toutefois plutôt à accréditer la thèse d’un brouillage du clivage entre salariés du privé et du public, du fait notamment de la diversification des statuts dans le secteur public, de l’affaiblissement des identités professionnelles ou encore de la moindre conflictualité sociale.</p>
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<span class="caption">Tableau 2.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Une autre relation a été plus récemment documentée, notamment à l’échelle européenne par <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3589627">Christoph Arndt et Line Rennwald</a>, entre la taille des établissements de travail et l’orientation du vote. Les salariés des petits établissements voteraient davantage que le reste des salariés pour la droite et l’extrême droite. On retrouve ce résultat en France : en 2017, 24,3 % des salariés d’établissements de 10 salariés ou moins et 23,8 % des salariés des établissements de 11 à 24 salariés ont ainsi voté pour Marine Le Pen contre 19,3 % de l’ensemble des salariés (voir tableau 3). Selon ces auteurs, cette relation s’exppiquerait par la plus faible syndicalisation dans les petits établissements, par une satisfaction au travail plus importante, par un climat social moins tendu et par des relations entre employeurs et employés basées sur la proximité et l’informalité.</p>
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<span class="caption">Tableau 3.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Précarité de l’emploi et vote à l’extrême droite : une relation à géométrie variable</h2>
<p>Une importante littérature au niveau international, mobilisant la distinction sur le marché du travail entre les « insiders », bénéficiant d’un emploi stable et contractuellement protégés, et les « outsiders », assignés aux contrats courts et à l’insécurité de l’emploi, conclut que ces derniers orienteraient davantage leur vote à <a href="https://journals.openedition.org/ress/2997">l’extrême droite</a>.</p>
<p>D’autres travaux, comme ceux de <a href="https://ejpr.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1475-6765.12027">Paul Max</a>, font néanmoins plutôt état d’une préférence partisane des salariés précaires davantage orientée vers la gauche radicale, voire écologiste. Dans le cas français, il y a, en 2017, un survote des salariés précaires en faveur de l’extrême droite (+5,7 points par rapport aux salariés stables), mais aussi un léger survote en faveur de Jean-Luc Mélenchon (+2 points), même si là encore les écarts restent peu significatifs (voir tableau 4).</p>
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<span class="caption">Tableau 4.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La divergence apparente des travaux scientifiques relatifs aux effets électoraux de la précarité de l’emploi semble s’expliquer par la nécessité d’articuler cette précarité de l’emploi avec d’autres variables.</p>
<p>Nonna Mayer a ainsi montré que, en 2012, le vote FN est plus présent parmi les ouvriers précaires que parmi les ouvriers non précaires, mais aussi plus présent parmi les employés non précaires que parmi les employés précaires : l’influence de la précarité sur l’orientation du vote varierait donc selon le <a href="https://www.cairn.info/les-inaudibles--9782724616958-page-201.htm">groupe socioprofessionnel d’appartenance</a>. De la même manière, les chercheurs du <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-votes-populaires-176305">Collectif Focale</a>, qui ont réalisé une enquête par questionnaire à la sortie des urnes dans deux villes populaires, observent deux relations entre vote et précarité de l’emploi très différentes dans ces deux villes.</p>
<p>À Méricourt, commune du bassin minier, le fait d’être en contrat stable va de pair avec un vote plus affirmé en faveur de Jean-Luc Mélenchon alors que le fait d’être en contrat précaire va de pair avec un vote plus affirmé pour Marine Le Pen. À l’inverse, à Villeneuve-Saint-Georges, le vote pour le FN est plutôt le fait de « petits stables » alors que les salariés précaires se tournent massivement vers Jean-Luc Mélenchon.</p>
<p>Pour comprendre ces filières de vote différentes, les auteurs proposent ainsi de saisir l’impact de la précarité en tenant compte de la féminisation des emplois, des trajectoires migratoires mais aussi des trajectoires résidentielles. Ils montrent ainsi que la précarité de l’emploi, articulée à un moindre niveau de diplôme et à une plus grande exposition à la concurrence internationale, favorise, parmi les immigrés d’Afrique du Nord, un vote pour Jean-Luc Mélenchon alors que, parmi les personnes non racisées, elle favorise le vote FN.</p>
<h2>Déclin de l’autonomie au travail et progression de l’extrême droite… et de la gauche radicale</h2>
<p>Pour terminer, de récents travaux se sont attachés à dépasser la seule prise en compte du type de contrat de travail en s’intéressant aux conditions objectives et subjectives de travail et notamment à l’autonomie dont disposent les salariés dans leur travail. Cette autonomie est mesurée par l’économiste Thomas Coutrot en observant le caractère répétitif ou non du travail ainsi que la possibilité ou non de déroger à un respect strict des consignes, de faire varier les délais, d’interrompre son travail quand on le souhaite ou <a href="https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/190222/macron-melenchon-jadot-le-pen-et-le-travail">encore d’apprendre des choses nouvelles</a>. Or, cette « autonomie » tendrait à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0143831X13484606">décliner depuis plusieurs décennies</a>.</p>
<p>Si plusieurs travaux convergent autour du constat d’un lien entre autonomie au travail et participation électorale, les salariés les moins autonomes dans leur travail ayant tendance <a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">à davantage s’abstenir</a> que le reste des salariés, Thomas Coutrot suggère également, à partir de données agrégées, qu’une faible autonomie irait de pair, y compris à catégorie socioprofessionnelle égale, avec un vote davantage en faveur de l’extrême droite et de la gauche radicale et avec un moindre vote pour le <a href="https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/190222/macron-melenchon-jadot-le-pen-et-le-travail">centre, la droite et la gauche sociale-démocrate et écologiste</a>.</p>
<h2>Un sentiment de résignation, d’humiliation ou d’injustice favorise les votes radicaux</h2>
<p>S’il est difficile de reproduire cette analyse à partir d’enquêtes post-électorales, les conditions de travail des répondants n’étant pas toujours finement documentées, on peut toutefois observer que, en 2017, les salariés considérant comme très probable que leur travail puisse un jour être assuré par des robots ou des machines (positions 9 ou 10 sur une échelle de 0 à 10, soit 7,7 % des répondants salariés) sont bien plus nombreux que l’ensemble des salariés à avoir voté pour Marine Le Pen (31,9 % contre 19,3 %) ou même pour Jean-Luc Mélenchon (25,6 % contre 19,7 %) (voir tableau 5).</p>
<p>Dans le cas du vote FN, cette différence apparaît significative y compris lorsqu’on tient compte des caractéristiques sociales et des autres caractéristiques professionnelles des répondants. Selon Thomas Coutrot, la négation du pouvoir d’agir dans le travail créerait un sentiment de résignation, d’humiliation ou d’injustice, vecteur soit d’abstention, soit d’un vote en faveur de l’extrême droite ou de la gauche radicale. Cela ne signifie pas pour autant que les salariés votant pour Jean-Luc Mélenchon et pour Marine Le Pen se ressemblent : s’ils sont plus nombreux à vivre une condition commune de déni de pouvoir d’agir au travail, ils ont toujours des profils sociaux très différents.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 5.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En France comme dans d’autres pays, il existe encore des relations fortes entre les caractéristiques professionnelles des salariés (catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité, taille des établissements, conditions de travail et d’emploi) et l’orientation de leurs votes aux scrutins politiques.</p>
<p>Dès lors, les mutations du travail et de l’emploi, qu’il s’agisse de la précarisation de l’emploi, de l’atomisation des collectifs de travail, de l’individualisation du rapport salarial ou encore de l’affaiblissement de la capacité de négociation des salariés, produisent des filières de vote. Toutefois, le caractère encore parcellaire et parfois contradictoire des résultats présentés ici pour décrire ces filières de vote ne peut qu’inviter à la prudence et à explorer plus finement ces relations à partir de nouvelles données. Alors que la question du pouvoir d’achat et de manière corollaire celle de la rémunération du travail ont occupé une place centrale dans la campagne présidentielle de 2022 et alors que le paysage électoral s’est structuré, lors du premier tour, autour de 3 principaux candidats, il serait particulièrement intéressant de comprendre en quoi les expériences du travail peuvent expliquer ces segmentations électorales.</p>
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<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181506/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tristan Haute ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment les conditions de travail et les catégories socio-professionnelles jouent-elles sur le vote ? Analyse à partir du scrutin de 2017.Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813112022-04-18T15:52:23Z2022-04-18T15:52:23ZÉlection présidentielle : la défiance de la population catalyse un vote de sécession<p>Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle peut être lu de deux manières. Si l’on suit une <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">grille de lecture politique</a>, on peut comptabiliser trois blocs idéologiquement cohérents et de force comparable. La droite néolibérale rassemble 32,63 % des voix autour des candidatures d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse ; l’extrême droite identitaire (Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan) constitue un deuxième bloc qui pèse 32,28 % des suffrages ; enfin, le total des voix de gauche et d’extrême gauche représente un dernier bloc rassemblant 31,94 % de l’électorat. Reste les 3,13 % des électeurs de Jean Lassalle, inclassable politiquement.</p>
<p>Une telle analyse du scrutin conduit à minimiser les risques d’une accession de Marine Le Pen à la présidence. Non seulement Emmanuel Macron parviendrait facilement à rassembler son bloc (légèrement plus important numériquement que celui de l’extrême droite) mais de plus il bénéficierait de l’appui d’une partie importante de la gauche dont les responsables sont unanimes dans leurs appels à faire « barrage » à l’extrême droite. Ainsi, sans trop prendre de risque, on pourrait pronostiquer une facile réélection du Président.</p>
<p>Mais si c’est ainsi qu’il faut interpréter le scrutin, pourquoi sent-on une <a href="https://www.challenges.fr/france/pour-emmanuel-macron-rien-n-est-joue-et-il-a-raison_808730">telle fébrilité</a> dans le camp macroniste ? Pourquoi les sondages annoncent-ils un score serré entre les deux finalistes ? C’est qu’il existe une autre manière d’interpréter le vote de dimanche.</p>
<h2>Une autre grille de lecture</h2>
<p>Si l’on adopte une grille de lecture sociologique, il n’y a pas trois blocs mais deux camps. Le premier, le camp conservateur, représente les gagnants de la mondialisation. Il rassemble ceux qui défendent plus ou moins l’ordre établi et qui s’accommodent, sans toujours l’approuver, de la politique actuelle. Ses électeurs sont des personnes âgées qui n’ont pas connu la précarité au travail. Ils ont confiance dans les institutions, dans la presse et sont bien insérés socialement. Ils sont de droite et de gauche, d’un niveau socio-éducatif élevé et vivent majoritairement dans les banlieues aisées, en centre-ville et dans les <a href="https://theconversation.com/le-vote-metropolitain-et-ses-fractures-lexemple-de-montpellier-181188">métropoles</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/13/presidentielle-2022-ralliements-programme-emmanuel-macron-contraint-au-grand-ecart-en-vue-du-second-tour_6121903_6059010.html">Ce camp agrège</a> aux néolibéraux les partis pro-européens de gauche (Hidalgo et Jadot) ainsi qu’une bonne moitié de l’électorat d’Éric Zemmour et une partie de l’électorat de Mélenchon ou de Fabien Roussel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514338863145226250"}"></div></p>
<p>En face de ce camp se trouve la France des ronds points, des « gilets jaunes », celle qui manifestait contre le passe sanitaire et la vaccination. Cette France, peu sensible à la politique institutionnelle, rassemble les précaires et les classes populaires. Politiquement, <a href="https://metropolitiques.eu/Loin-des-urnes-L-exclusion-politique-des-classes-populaires.html">elle est le plus souvent abstentionniste</a>, même si elle s’exprime davantage à l’occasion des élections présidentielles.</p>
<p>C’est à cette France que Marine Le Pen doit pratiquement <a href="https://theconversation.com/et-si-le-second-tour-se-jouait-sur-le-social-181271">tous ses suffrages</a>, mais cet électorat s’est aussi porté électoralement sur Mélenchon, notamment dans les banlieues et les Antilles, et sur Dupont-Aignan, Lassalle et Zemmour. Cette France déclassée tient les clés du second tour. Selon la dynamique de campagne, elle pourrait soit retourner à son abstention habituelle, soit voter Marine Le Pen. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est potentiellement majoritaire.</p>
<h2>La force des mouvements antisystèmes</h2>
<p>D’une manière plus triviale, ce qui frappe dans cette élection c’est la force des partis antisystèmes. Pour la première fois depuis le début de la V<sup>e</sup> République, les électeurs ont voté à une très large majorité pour des candidats porteurs d’un discours de rupture.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-origines-du-populisme-yann-algan/9782021428582">ouvrage</a> paru en 2019, les chercheurs Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen et Martial Foucault proposent une explication quant à l’émergence des mouvements antisystèmes. Selon eux, le populisme émerge lorsque la défiance s’accroît au sein de la société.</p>
<p>Ils distinguent deux sortes de défiance et donc deux sortes de populisme : d’abord, une défiance purement institutionnelle qui fait le lit d’un populisme de gauche qu’incarnerait par exemple <a href="https://theconversation.com/france-insoumise-un-cesar-a-la-tete-dun-mouvement-anarchique-169482">Jean-Luc Mélenchon</a> ou le mouvement des « gilets jaunes ». Ce populisme croit en l’action collective mais ne croit plus aux institutions actuelles qu’il souhaite transformer en profondeur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/conversation-avec-marc-lazar-le-populisme-est-une-menace-pour-la-democratie-mais-aussi-une-opportunite-170136">Conversation avec Marc Lazar : « Le populisme est une menace pour la démocratie mais aussi une opportunité »</a>
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<p>À l’inverse, pour les auteurs, les populistes de droite seraient le produit d’une défiance généralisée qui s’adresse autant aux personnes qu’aux institutions sociales. On retrouve cette forme de populisme dans l’électorat de Marine Le Pen, chez les abstentionnistes et au sein des mouvements « antivax ».</p>
<p>Il est la conséquence d’une société <a href="https://www.nouvelobs.com/chroniques/20210621.OBS45568/l-anomie-sociale-ce-sentiment-grandissant-qui-explique-l-abstention-massive.html">marquée par l’individualisme et une forme d’anomie</a>. Il se nourrit parfois d’une paranoïa qui rend sensible les personnes concernées aux thèses du grand remplacement et au complotisme. C’est une population qui a tendance à se replier sur sa sphère privée ou familiale.</p>
<p><a href="https://agone.org/livres/pourquoilespauvresvotentadroite">Les ouvrages du journaliste américain Thomas Frank</a> décrivent assez justement les sociétés « anomiques » (« sans loi ») au sein desquelles prospère le populisme de droite. Dans ces quartiers résidentiels américains, souvent marqués par la désindustrialisation et la dégradation des services publics, la haine contre le « progressisme » tient lieu de ciment social.</p>
<p>Si les causes des populismes sont assez claires, les raisons pour lesquelles la défiance s’accroît au sein d’une société le sont moins. Dans <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807328846-populisme-et-neoliberalisme-il-est-urgent-de-tout-repenser"><em>Populisme et néolibéralisme</em></a>, j’ai avancé une explication.</p>
<p>La population perd confiance envers ses institutions lorsque ces dernières ne jouent plus leur rôle qui consiste à tisser des liens et à construire la vie sociale. Ainsi, la première des institutions est l’État, et le premier rôle de l’État est de protéger ses propres citoyens. Or, en choisissant d’insérer la France dans la mondialisation, les gouvernements, depuis quarante ans, ont réduit le champ de l’action politique à des logiques d’attractivité et de compétitivité.</p>
<p>La règle de la « bonne gestion » est devenue d’arbitrer systématiquement en faveur des capitaux et des classes supérieures, qui sont mobiles et s’installent là où la fiscalité est la plus douce, contre le travail et les classes populaires et moyennes qui elles sont immobiles et doivent supporter l’essentiel de la charge fiscale.</p>
<h2>Une clarification néolibérale</h2>
<p>Vu sous cet angle, le quinquennat qui s’achève fut celui d’une clarification néolibérale, c’est-à-dire qu’il a pris un parti pris clair : celui de mettre l’État au service d’une adaptation de la société aux marchés.</p>
<p>Ce parti pris se retrouve dans la politique fiscale : suppression de l’impôt sur la fortune, baisse de la taxation du capital et de l’impôt sur les sociétés, hausse les taxes sur la consommation. Il se retrouve aussi dans une conception des services publics marquée par la réduction des coûts (fermeture des lits dans les hôpitaux, gel des salaires dans la fonction publique, réduction des dotations aux collectivités territoriales).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pression fiscale des ménages et des entreprises 1980-2019.</span>
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<p>Enfin, la gestion du Covid a donné l’impression que <a href="https://atlantico.fr/article/video/-il-n-y-a-pas-d-argent-magique-repond-le-president-a-une-salariee-qui-deplore-le-manque-de-moyens-des-hopitaux">« l’argent magique »</a> qui n’existait pas pour répondre aux besoins des soignants de l’hôpital de Rouen pouvait soudainement affluer pour compenser les pertes des entreprises liées à la crise sanitaire.</p>
<p>Cette politique publique orientée vers le soutien prioritaire au secteur privé, au détriment des besoins sociaux a nourri et entretenu une défiance au sein de l’électorat. Les politiques gouvernementales sont-elles au service de l’intérêt général et du plus grand nombre, ou répondent-elles aux pressions des lobbies et des grandes entreprises ? Cette défiance qui s’est révélée lors du mouvement des « gilets jaunes » s’est ensuite cristallisée au moment de la crise sanitaire durant laquelle les théories les plus folles ont circulé sur l’innocuité des vaccins ou sur la pertinence des confinements.</p>
<p>Plus généralement, ce qui est apparu aux yeux d’une partie de l’opinion, c’est que l’État n’était pas là pour protéger la population, mais <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/barbara-stiegler">pour la punir ou la manipuler</a>. C’est cette thèse teintée de paranoïa que défend la philosophe Barbara Stiegler. Les conséquences de cette défiance ont pu être mesurées par le taux de vaccination, beaucoup plus faible dans les territoires populaires et les départements d’outre-mer que dans les quartiers favorisés.</p>
<p>Le résultat du 10 avril semble exprimer la même défiance. Si les institutions ne sont pas remises à l’endroit, si les politiques menées continuent de donner l’impression de servir des intérêts qui ne sont pas ceux de la majorité, il est clair qu’une partie grandissante de la population sera tentée par le vote de sécession.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Cayla est membre du collectif des Économistes atterrés.</span></em></p>Pourquoi sent-on une certaine fébrilité dans le camp macroniste ? Pourquoi les sondages annoncent-ils un score serré entre les deux finalistes ? Un autre manière d’interpréter le vote de dimanche.David Cayla, Enseignant-chercheur en économie, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1806102022-04-14T18:22:12Z2022-04-14T18:22:12ZLes élections législatives servent-elles vraiment à quelque chose ?<p>Les sondages et débats autour des élections législatives de ce dimanche 12 puis 19 juin laissent peut-être transparaître <a href="https://theconversation.com/legislatives-2022-un-regain-dinteret-pour-le-parlement-182689">un regain d'intérêt</a> pour le parlement et ses enjeux, même si, en raison de l'importance donnée à l'élection présidentielle, ce scrutin est passé au second plan depuis des années.</p>
<p>Les débats sur le bilan de la législature élue en 2017 ont été rares de même que les questions portant sur la désignation des candidats à la députation ou les programmes des partis politiques pour les cinq prochaines années. Seule différence notable peut-être sur ce scrutin: on a vu émerger la confirmation des forces politiques en présence, notamment avec la campagne menée par la Nupes <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/10/legislatives-la-majorite-presidentielle-et-la-nupes-toujours-au-coude-a-coude-selon-un-ultime-sondage_6129776_823448.html">qui la placerait au coude à coude</a> avec la majorité présidentielle. </p>
<p>Faut-il en déduire que les élections législatives n’ont pas d’enjeu réel et qu’en fin de compte elles ne servent à rien ?</p>
<p>Alors qu’elles sont partout ailleurs en <a href="https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/les-regimes-politiques-europeens/">Europe</a> le moment clé de la vie politique, les législatives passent en général en France à l’arrière-plan de l’élection présidentielle. Le peu d’intérêt qu’elles suscitent se traduit très nettement dans la faiblesse de la participation. Lors du dernier scrutin, en <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives-2017/(path)/legislatives-2017/FE.html">2017</a>, moins d’un inscrit sur deux s’était déplacé pour voter au premier tour.</p>
<h2>Les législatives, des élections de second ordre</h2>
<p>Il faut dire que la mobilisation électorale connaît une érosion régulière depuis les débuts de la V<sup>e</sup> République. Alors qu’elle se situait autour de 80 % dans les années 1970, elle était de 70,7 % en 1981, 78,5 % en 1986, 65,7 % en 1988, 68,9 % en 1993, 67,9 % en 1997, 64,4 % en 2002, 60,4 % en 2007, 57,2 % en 2012 et donc 48,7 % en 2017. Un <a href="https://www.researchgate.net/publication/342009256_Working_Paper_on_Citizens%27_Participation_and_Electoral_Linkages">recul de la participation électorale</a> n’est pas un phénomène isolé à l’échelle européenne mais il est ici particulièrement marqué, d’autant plus que la France faisait déjà partie des pays les plus abstentionnistes.</p>
<p>Plus significatif encore, en matière de participation électorale, la France ne se distingue pas seulement des régimes parlementaires classiques : elle se singularise également par rapport aux régimes semi-présidentiels (c’est-à-dire ceux où, comme en France, le président est directement élu). Ainsi, le <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/cep.2012.19/tables/3">différentiel de participation</a> entre les élections législatives et présidentielles y tutoie les sommets. En 2017, il a d’ailleurs atteint un record de 25,9 points de pourcentage !</p>
<h2>La portée politique</h2>
<p>Au-delà de la participation, c’est la portée politique des législatives qui est en question. Depuis l’adoption du quinquennat pour le mandat présidentiel en 2000 et l’inversion du calendrier électoral qui a vu les législatives suivre la présidentielle à partir de 2002, les électeurs assurent systématiquement une majorité au chef de l’État nouvellement élu. La science politique a bien montré les mécanismes à l’œuvre ici. D’abord, en raison de la proximité temporelle entre les deux scrutins, le parti du président bénéficie d’un effet <a href="https://www.researchgate.net/publication/248876054_Four_Rounds_in_a_Row_The_Impact_of_Presidential_Election_Outcomes_on_Legislative_Elections_in_France">lune de miel</a>.</p>
<p>Les électeurs, quelles que soient leurs préférences politiques, peuvent en effet être tentés de laisser sa chance au président au début de son mandat, surtout s’ils souhaitent éviter un affaiblissement du pouvoir exécutif. Cela conduit alors une partie des opposants à soutenir le parti présidentiel ou, plus probablement, à s’abstenir lors des législatives. Ce phénomène est par ailleurs renforcé par un effet d’anticipation : les opposants – mesurant à travers le résultat de la présidentielle leurs faibles chances de succès aux législatives – sont faiblement incités à voter pour redire leur opposition à un président tout juste élu. Bref, les législatives apparaissent comme une élection de second ordre et, plus précisément, <a href="https://www.researchgate.net/publication/248876054_Four_Rounds_in_a_Row_The_Impact_of_Presidential_Election_Outcomes_on_Legislative_Elections_in_France">comme une élection de confirmation</a>.</p>
<h2>Un parlement au rabais</h2>
<p>Mais si les électeurs boudent les élections législatives, ce n’est pas seulement en raison du calendrier électoral, c’est aussi et avant tout parce qu’ils perçoivent que l’Assemblée nationale produit une représentation très déformée des opinions politiques et qu’elle n’est pas (ou n’est plus) le lieu de pouvoir le plus décisif dans la vie politique française.</p>
<p>C’est ici l’abaissement délibéré du Parlement dans l’architecture institutionnelle de la V<sup>e</sup> République qui est en cause. Face aux atermoiements de la IV<sup>e</sup> République, le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1978_num_28_5_393802?q=michel+debr%C3%A9">parlementarisme rationalisé théorisé par Michel Debré</a> a précisément consisté à brider la volonté parlementaire afin d’assurer une plus grande stabilité gouvernementale. Malgré la réforme constitutionnelle de 2008, les électeurs ne s’y trompent pas : le parlement français reste un des plus faibles d’Europe.</p>
<p>Pour autant, la France n’est pas le seul pays à avoir fortement encadré les pouvoirs du parlement. En réalité, les armes généralement décrites comme les plus caractéristiques de la V<sup>e</sup> République comme, par exemple, l’encadrement strict du droit d’initiative parlementaire, le contrôle étroit de l’agenda législatif par le gouvernement ou la possibilité qu’a ce dernier de faire procéder à un « vote bloqué » ne sont pas inconnues d’autres systèmes politiques comparables.</p>
<h2>Vue d’outre-Rhin</h2>
<p>Mieux, la Loi fondamentale allemande va à certains égards plus loin que la Constitution française avec l’exigence d’une <a href="https://www.bundestag.de/fr/parlement/fonctions/controle/diversite-controle-246004">motion de censure constructive</a> en vertu de laquelle une motion de censure doit automatiquement prévoir un chef de gouvernement pour remplacer celui qu’elle propose de renverser.</p>
<p>Si l’on étend la comparaison à des régimes dans lesquels le Président est élu au suffrage direct, la situation française n’apparaît non plus comme totalement exceptionnelle. Pour ne donner qu’un seul exemple, alors que la constitution française ne prévoit pas que le Président puisse mettre fin de sa propre initiative aux fonctions du Premier ministre, en <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/aut.htm">Autriche</a>, le président fédéral dispose constitutionnellement de la capacité de nommer mais aussi de révoquer le chancelier et son gouvernement dans son ensemble.</p>
<p>Autrement dit, les dispositions constitutionnelles qui certes contribuent à l’abaissement du parlement français et donnent les coudées franches à l’exécutif, en particulier au président, ne suffisent pas à expliquer l’éclipse de l’élection législative.</p>
<h2>Le mode de scrutin en question</h2>
<p>Un deuxième facteur à l’origine de la moindre centralité des élections législatives tient au mode de scrutin. La <a href="https://www.idea.int/news-media/media/electoral-systems-national-legislation">singularité française</a> est ici réelle puisque la France est en Europe le seul pays, avec le Royaume-Uni, à pratiquer un scrutin majoritaire.</p>
<p>Si ce mode de scrutin a pour avantage (au moins en théorie) d’assurer une large majorité au parti arrivé en tête des suffrages et donc de permettre une plus grande stabilité gouvernementale, cela se fait au prix d’une distorsion de la représentation. Ainsi, en ce qui concerne l’actuelle législature, alors que la République en marche et le Modem totalisaient environ 32 % des voix au soir du premier tour des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives-2017/(path)/legislatives-2017/FE.html">législatives de 2017</a>, ces deux partis ont obtenu 350 sièges à l’Assemblée nationale, soit 60 % des 577 sièges. Cette faible représentativité, doublée de la faiblesse de l’ancrage politique des élus de 2017, nuit à la légitimité des députés incapables de peser politiquement face au Président à qui, comme on l’a expliqué, ils doivent en partie leur élection.</p>
<h2>Des élections sans enjeu ?</h2>
<p>Faut-il conclure que les législatives sont des élections dépourvues de tout enjeu ? Ce serait aller un peu vite en besogne. Soulignons, tout d’abord, qu’en dépit des fortes contraintes institutionnelles qui pèsent sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale et sur l’élection de ses membres dans la foulée des présidentielles, l’abaissement du Parlement est en partie une prophétie autoréalisatrice. Rien en effet ne condamne celui-ci à être une simple chambre d’enregistrement, mais la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13572334.2012.706046">mauvaise image du Parlement dans l’opinion publique</a> et le faible niveau de confiance que les citoyens lui accordent contribuent à son affaiblissement.</p>
<p>C’est aussi parce qu’ils ne le perçoivent pas comme un acteur majeur du système politique que les médias y prêtent moins attention et que les électeurs s’abstiennent en nombre lors des élections législatives – reportant ainsi toutes leurs attentes sur le président. La perte de légitimité qui en résulte contribue en retour à diminuer effectivement la capacité des députés à assurer un contrepoids efficace à l’exécutif.</p>
<p>Pourtant, sans entrer dans une analyse constitutionnelle très poussée, il demeure que c’est le gouvernement – et <a href="https://theconversation.com/article-49-3-ou-quand-la-cinquieme-retrograde-en-quatrieme-59573">non le président</a> – qui est investi constitutionnellement de la mission de diriger la politique de la nation sous le contrôle du parlement qui peut lui retirer sa confiance à travers une motion de censure.</p>
<h2>Une nouvelle période de cohabitation ?</h2>
<p>Une façon de s’en convaincre consiste à imaginer ce qu’il se passerait si les électeurs désignaient en juin une assemblée d’une couleur politique différente de celle du président – ou si le président ne disposait pas d’une majorité stable au sein de l’assemblée. Le président n’aurait d’autre choix que de choisir un Premier ministre ayant le soutien de la majorité des députés. Nous entrerions alors dans une nouvelle période de cohabitation et de rééquilibrage des pouvoirs en faveur du gouvernement et in fine du parlement. Ce n’est certes pas le scénario le plus probable, mais la vie politique est pleine d’incertitudes et des élections avec un mode de scrutin majoritaire, compte tenu de la forte fragmentation partisane actuelle, recèlent de nombreuses inconnues.</p>
<p>En définitive, même si cela ne transparaît pas vraiment dans le débat public, les législatives ont une vraie importance et ce n’est pas sans raison qu’aussitôt annoncé le résultat du premier tour de la présidentielle, des appels à faire des législatives un « troisième tour » en vue d’<a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/on-est-en-mesure-de-lui-imposer-une-autre-majorite-la-france-insoumise-reve-dune-cohabitation-avec-emmanuel-macron-11-04-2022-YPIBLSCWPZB3BI6MM6VFKBFUUE.php">imposer une cohabitation</a> au futur président ont commencé à émerger. Une telle perspective si elle devait advenir ne ferait pas que modifier l’orientation des politiques publiques pour les cinq prochaines années : elle transformerait en profondeur la façon dont les différents organes du pouvoir sont perçus et donc, en fin de compte, la nature profonde de la V<sup>e</sup> République.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180610/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Navarro ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mobilisation électorale connaît une érosion régulière : l’attention portée sur la présidentielle ne doit pourtant pas éclipser le scrutin législatif qui pourrait bien créer la surprise.Julien Navarro, Chargé de recherche en science politique, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810462022-04-10T20:37:24Z2022-04-10T20:37:24ZLes résultats du premier tour : une stabilité apparente, une reconfiguration profonde<p><a href="https://www.lemonde.fr/resultats-elections/">Les résultats</a> du premier tour des élections présidentielles de 2022 confirment, à première vue, les rapports de forces issus du précédent scrutin. Emmanuel Macron (LREM) et Marine Le Pen (RN) sont, comme en 2017, qualifiés pour le second tour – dans le même ordre qu’il y a cinq ans. Le même duel aura donc lieu au cours de deux élections présidentielles successives : cela n’est arrivé qu’une seule fois en France, avec Valéry Giscard d’Estaing (RPR) contre François Mitterrand (PS), qui a vu la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2017/05/02/26010-20170502ARTFIG00146-10-mai-1974-le-debat-televise-giscard-mitterrand-point-d-orgue-de-l-entre-deux-tours.php">victoire du premier en 1974</a> et du <a href="https://www.lepoint.fr/invites-du-point/michele-cotta/giscard-mitterrand-1981-un-duel-historique-06-12-2020-2404386_1595.php">second en 1981</a>.</p>
<p>Cette stabilité est en grande partie liée à la notoriété des principaux candidats, déjà présents il y a cinq ans. Ces candidats ont su fidéliser un socle électoral auquel se sont agrégés, au cours des dernières semaines, des électeurs qui ont fait prévaloir un vote utile, de préférence à un vote d’adhésion.</p>
<h2>Des votes utiles</h2>
<p>Emmanuel Macron progresse de près de quatre points <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/presidentielle-retrouvez-tous-les-resultats-du-scrutin-commune-par-commune-4104853">par rapport à 2017</a>, alors même qu’il a, au cours de son quinquennat puis lors de sa campagne présidentielle, abandonné la position d’équilibre entre droite et gauche qui avait assuré son succès initial pour adopter un discours qui le situe clairement <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/emmanuel-macron-balise-au-centre-droit-1362478">au centre-droit</a>.</p>
<p>Cette évolution lui a aliéné une fraction de ses électeurs venus de la gauche, mais a permis d’attirer une partie plus importante des électeurs du centre et de la droite – le <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-resultats-de-valerie-pecresse-sont-les-pires-a-la-presidentielle-pour-la-droite_fr_624ebd8ce4b007d3845fbea5">très faible score</a> de la candidate LR Valérie Pécresse (4,7 %) en témoigne.</p>
<p>Marine Le Pen enregistre une progression presque comparable et <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/presidentielle-avec-pres-de-24-des-voix-marine-le-pen-obtient-un-score-historique-pour-son-parti-4104873">obtient un score jamais atteint</a> par le FN puis le RN à une élection présidentielle. Elle aussi a bénéficié d’un vote utile et a ainsi pu largement surclasser la candidature d’Éric Zemmour qui, après avoir menacé son leadership à l’extrême droite, a finalement parachevé sa stratégie de dédiabolisation engagée il y a dix ans : en occupant le créneau de la <a href="https://theconversation.com/dou-vient-lobsession-identitaire-de-la-politique-francaise-175540">droite identitaire</a>, le candidat de Reconquête a permis à Marine Le Pen de davantage investir les thématiques sociales qui ont favorisé sa progression au sein de l’<a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/presidentielle-marine-le-pen-joue-gros-sur-les-classes-populaires-1394965">électorat populaire</a>. Tout comme Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon obtient, pour sa troisième tentative depuis 2012, son meilleur score à une élection présidentielle, bénéficiant lui aussi du soutien in extremis d’un électorat de la gauche modérée soucieux avant tout d’éviter un second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen.</p>
<h2>Une tripolarisation du champ politique français</h2>
<p>Cette dynamique de vote utile, qui s’est enclenchée à peine un mois avant le scrutin, semble amplifier la restructuration du champ politique français autour de trois grands pôles, qui ont brutalement émergé au cours de l’élection de 2017.</p>
<p>Un pôle libéral, centriste et européen qui rassemble, à chaque élection nationale, un peu plus d’un quart des électeurs mais qui, grâce à la mécanique du scrutin majoritaire, parvient jusqu’à présent à dominer la vie politique. Un pôle populiste et identitaire, aujourd’hui dominé par Marine Le Pen et représenté par deux candidats dont le score cumulé (plus de 30 %) constitue un record historique pour l’extrême droite identitaire et populiste à une élection nationale en France : c’est donc ce pôle qui enregistre la plus forte progression au cours des cinq dernières années.</p>
<p>Et enfin un pôle de gauche radicale, dominé par La France insoumise, et qui, si l’on intègre les résultats des candidats communistes et trotskistes, rassemble un peu moins de 25 % des voix. Cette tripolarisation conduit à marginaliser les deux forces politiques qui, depuis les années 1970, structuraient la vie politique française.</p>
<h2>Le déclin des partis traditionnels : un air de déjà vu</h2>
<p>Avec moins de 2 % des voix, le Parti socialiste confirme un déclin qui, en 2017, pouvait apparaître comme simplement conjoncturel. Son évolution rappelle aujourd’hui celle du <a href="https://www.lepoint.fr/politique/le-parti-radical-plus-vieux-parti-de-france-09-03-2019-2299443_20.php">Parti radical au début de la Vᵉ République</a> : ce parti qui avait dominé la gauche avait alors été victime de la bipolarisation du paysage politique enclenchée par De Gaulle et n’avait survécu que grâce à un important réseau d’élus, surtout présent (comme celui du PS aujourd’hui) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2015/03/30/01002-20150330ARTFIG00318-pourquoi-le-sud-ouest-reste-un-bastion-de-la-gauche.php">dans le sud-ouest</a> de la France.</p>
<p>Le déclin de la droite traditionnelle est l’un des autres faits marquants de cette élection, puisque la candidate du parti Les Républicains a divisé par quatre le score réalisé il y a cinq ans par son prédécesseur. Ce résultat prolonge l’échec enregistré par LR lors des européennes de 2019 et souligne l’étroitesse de l’espace politique désormais occupé par ce parti, <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03570697">coincé</a> entre le centre-droit macronien et l’extrême droite populiste de Marine Le Pen.</p>
<h2>Des évolutions importantes depuis 2017</h2>
<p>Il faut donc se garder de voir dans les résultats de ce premier tour une répétition de l’élection de 2017. La stabilité apparente des rapports de forces masquent des évolutions importantes. La <a href="https://www.humanite.fr/node/391710">droitisation du paysage politique</a> se poursuit. Elle se manifeste par l’irruption de la nouvelle droite identitaire d’Éric Zemmour, le repositionnement de l’offre politique proposée par Emmanuel Macron et la faible progression de Jean-Luc Mélenchon, qui ne compense pas l’affaiblissement du PS.</p>
<p><a href="https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/un-populisme-des-populismes/">Les populismes</a> continuent également leur progression, autour d’un discours qui, en cinq ans et sous l’effet d’un certain nombre de mouvements sociaux (les gilets jaunes notamment), s’est radicalisé : plus que jamais, la coupure entre peuple et élite se manifeste dans les urnes. Cette progression du populisme fragilise Emmanuel Macron, dont la position est moins favorable que ce qu’elle peut laisser paraître de prime abord.</p>
<p>Le président sortant obtient des scores comparables à certains de ses prédécesseurs qui n’ont pas été réélus pour un second mandat : Valéry Giscard d’Estaing en 1981 (28 % des voix), Nicolas Sarkozy en 2012 (27 % des voix). Il ne peut par ailleurs capter la volonté de changement qui avait en grande partie expliqué sa victoire il y a cinq ans. La campagne de l’entre-deux-tours mettra ainsi en jeu deux projets antagonistes, deux visions de la société mais aussi une tension entre le « <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9gagisme">dégagisme</a> », hostile au président sortant, et l’appel au barrage contre l’extrême droite, qu’ont lancé une majorité de candidats battus au premier tour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont-Auvergne.</span></em></p>La dynamique de vote utile a amplifié la restructuration du champ politique français autour de trois grands pôles : centriste, identitaire et de gauche radicale.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810442022-04-10T20:20:20Z2022-04-10T20:20:20ZLa dynamique spectaculaire du vote utile<p>Le premier tour de l’élection présidentielle s’est conclu avec un taux d’abstention qui <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/direct-1er-tour">atteint 25,14 %</a>. En dehors de 2002 (28,4 %), les abstentions les plus élevées jusqu’alors avaient été, pour un premier tour, 1969 (22,4 %) et 2017 (22,23 %).</p>
<p>Si cette baisse de la participation n’est pas catastrophique, elle illustre néanmoins le désamour des électeurs français pour l’offre politique et pour la campagne, mais pas forcément pour la politique.</p>
<h2>De nombreuses raisons</h2>
<p>Beaucoup de raisons expliquent ces taux d’abstention élevés : le début des départs en vacances dans certaines régions, la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2016-1-page-17.htm">non-inscription ou mal inscription</a> sur les listes électorales mais aussi le <a href="https://theconversation.com/comment-le-poids-economique-de-la-guerre-en-ukraine-pourrait-beneficier-a-marine-le-pen-180004">contexte de la guerre en Ukraine</a> et une campagne peu audible. Autant d’éléments <a href="https://theconversation.com/contre-limpuissance-citoyenne-penser-une-democratie-de-crise-180728">qui ont joué sur les facteurs de l’attention</a>.</p>
<p>Mais il existe aussi des raisons plus structurelles comme le sentiment exprimé dans les reportages ou enquêtes que <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/tours-le-vote-des-jeunes-1649332419">« le vote ne va rien changer »</a>.</p>
<p>On observe par ailleurs une indécision toujours aussi importante chez les électeurs : un <a href="https://www.lepoint.fr/presidentielle/les-indecis-representent-un-reservoir-de-voix-considerable-23-04-2017-2121824_3121.php">« réservoir de voix »</a> qui se chiffrait à près de 30 % en 2017 et qui est à 20 % pour le <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/mais-qui-sont-les-electeurs-indecis_85913.html">premier tour de 2022</a>. Cette indécision s’explique principalement par la recomposition radicale du <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-2-page-9.htm">paysage politique</a> français.</p>
<h2>Implosion des partis traditionnels</h2>
<p>En réalité, les électeurs ne se reconnaissent plus dans les <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-confiance-dans-les-partis-politiques-une-specificite-francaise-155780">grands partis traditionnels de la gauche et de la droite</a> de gouvernement. Pour la deuxième fois consécutive, <a href="https://www.lepoint.fr/presidentielle/presidentielle-2022-le-ps-et-lr-a-leurs-plus-bas-historiques-10-04-2022-2471632_3121.php">ni le parti socialiste ni Les Républicains</a> ne seront présents au second tour de l’élection présidentielle alors qu’il s’agit des deux partis qui ont structuré <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/268500-lopposition-gauche-droite-dans-la-vie-politique-francaise">l’histoire de la Vᵉ République</a> et dont les électeurs étaient les plus familiers.</p>
<p>Or cette implosion s’est faite sur le temps long et a été parfois difficile à déceler car les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01515793/file/tiberj-2017-la-deconnexion-electorale.pdf">partis traditionnels</a> ont continué d’être présents lors d’élections intermédiaires comme les régionales ou les municipales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">La « gauche » et la « droite » font-elles encore sens en France ?</a>
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<h2>Un vote utile qui s’est accéléré</h2>
<p>On observe par ailleurs une dynamique de <a href="https://theconversation.com/le-vote-utile-est-il-un-probleme-178185">vote utile</a> qui s’est accéléré de façon spectaculaire. Le vote utile vient en effet ponctionner les voix des candidats les moins bien placés dans les estimations. Ainsi Eric Zemmour (Reconquête !) ou Valérie Pécresse (LR) ont été les victimes de cette dynamique qui se comprend aussi par la polarisation de la campagne.</p>
<p>Ainsi, on estime qu’un candidat donné à moins de 10 % d’intentions de vote (seuil symbolique) peut rapidement perdre ses voix au profit d’un candidat mieux placé. Cette tendance peut s’exprimer en quelques jours. Le phénomène avait déjà été observé avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon en 2017. En 2022, le candidat LFI a de nouveau bénéficié de ces voix au détriment de Yannick Jadot (4,30 %) et Fabien Roussel (2,60 %).</p>
<p>Si « voter utile » n’est pas nouveau, on observe l’accélération de cette tendance de façon très marquée depuis 2002 quand les électeurs avaient été pris au dépourvu lors de la qualification de Jean-Marie Le Pen contre Jacques Chirac.</p>
<p>Par ailleurs, l’éclatement du paysage politique est aussi l’une des raisons expliquant ce vote : pour les électeurs, c’est une façon de garder une forme de contrôle sur le second tour, même si pour cela ils doivent donner leur voix à un candidat qu’ils n’apprécient pas ou dont ils ne sont pas entièrement convaincus.</p>
<p>Ce phénomène montre par ailleurs les <a href="https://www.revuepolitique.fr/linadaptation-du-scrutin-uninominal-a-deux-tours/">limites du scrutin uninominal à deux tours</a> et complique les choix et la campagne de l’entre-deux tours.</p>
<p>En effet, le mode de scrutin actuel – que nous interrogeons <a href="https://www.franceculture.fr/politique/si-votait-autrement">dans nos recherches</a> – encourage la polarisation des candidats : pour se « qualifier » au second tour à 22 ou 23 % des voix, ces derniers doivent montrer une vive opposition et lourdement critiquer leurs adversaires, ce qui rend difficilement légitime un ralliement par la suite au second tour.</p>
<p>En revanche, en raison de la <a href="https://www.la-croix.com/France/etude-revele-limpressionnante-desaffiliation-politique-jeunes-2022-02-04-1201198592">forte désaffiliation partisane</a> en France, il est moins évident de savoir si un « vote utile » au second tour se concrétisera par un vote de ralliement ou bien s’il sera remplacé par un vote blanc ou une abstention.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181044/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Lebon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le vote utile a ponctionné les voix des candidats les moins bien placés dans les estimations : une dynamique spectaculaire qui s’est accélérée lors du premier tour de l’élection de 2022.Isabelle Lebon, Professeur de Sciences Economiques, directrice adjointe de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1802032022-04-08T13:30:55Z2022-04-08T13:30:55ZVoter ou ne pas voter ? Voici les raisons qui motivent les électeurs – et ceux qui s’abstiennent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456166/original/file-20220404-23-ylktk1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C22%2C2950%2C2151&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jour d'élections fédérales à Montréal, le 20 septembre 2021. </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Comme chercheur, je conçois mon rôle comme étant de répondre, de la façon la plus rigoureuse possible, à des questions formulées le plus clairement possible.</p>
<p>Une des questions auxquelles j’ai consacré le plus de temps et d’effort au cours de ma carrière de près de cinquante ans (j’ai commencé très jeune !) est celle-ci : pourquoi certaines personnes votent-elles aux élections et d’autres pas ? C’est le genre de question que j’adore. Une question simple, à propos d’un comportement simple du simple citoyen. C’est mon côté populiste. Je suis toujours curieux de comprendre ce qui motive les gens autour de moi à prendre de petites décisions qui en disent long sur ce qu’ils sont et ce qui les passionne dans la vie.</p>
<p>Si j’avais une deuxième vie, je serais anthropologue et je voudrais comprendre comment et pourquoi les parents choisissent les prénoms et noms de leurs enfants.</p>
<p>Il y a des centaines de facteurs qui affectent la décision de voter ou de s’abstenir à une élection et les facteurs varient d’un électeur à l’autre. L’objectif du chercheur n’est pas de dresser un inventaire exhaustif de tous ces facteurs. Il s’agit plutôt de soumettre à un examen systématique certaines hypothèses.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JfTPV_RwBa4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vous pouvez visionner l'entrevue réalisée par Martine Turenne avec André Blais, organisée par le Conseil de recherches en sciences humaines.</span></figcaption>
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<h2>Considérations rationnelles ? Plutôt devoir moral</h2>
<p>En 2000 (ou plutôt de 1995 à 1999 !), j’ai écrit <a href="https://www.researchgate.net/publication/41015788_To_Vote_or_Not_to_Vote_The_Merits_and_Limits_of_Rational_Choice_Theory">« To Vote or Not to Vote ? The Merits and Limits of Rational Choice Theory »</a>. À cette époque, la théorie des choix rationnels, élaborée par des économistes, était populaire en science politique et était appliquée pour expliquer toutes sortes de phénomènes, du comportement des législateurs à celui des électeurs.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457147/original/file-20220408-25011-ysryp6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le 12 avril, l’auteur André Blais discutera, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur les nombreux facteurs pouvant affecter la décision de voter ou pas à une élection.</span>
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</figure>
<p>Dans le cas des électeurs la théorie était paradoxale. L’électeur « rationnel » constate que dans une élection où il y a des millions d’électeurs la probabilité que son vote change le résultat est infiniment petite. En somme, le gain anticipé est minime et fort probablement plus élevé que le coût anticipé, c’est-à-dire le temps consacré à décider pour qui voter et à se rendre au bureau de scrutin. De ce point de vue, l’abstention semble être l’option rationnelle. Mais on constate que la plupart des gens décident de voter, tout au moins aux élections nationales (le taux de participation moyen se situe maintenant autour de 65 à 70 %). Les faits semblent contredire la théorie.</p>
<p>J’ai donc consacré quelques années à lire et relire les recherches sur la participation électorale et à mener de nouvelles études de toutes sortes. Surtout des sondages, qui demeurent l’instrument privilégié pour comprendre les comportements individuels, mais aussi l’analyse des résultats électoraux, des entrevues semi-structurées, et <a href="https://www.researchgate.net/publication/316674547_Why_Do_People_Vote_An_Experiment_in_Rationality">même une expérience pour voir comment les étudiants réagissent quand on leur présente la théorie des choix rationnels</a>.</p>
<p>Mon verdict est que dans le cas du vote, la théorie des choix rationnels n’est pas très utile. La plupart des gens ne procèdent pas à un calcul coût/bénéfice quand ils décident de voter ou non. En fait, beaucoup de gens votent surtout parce qu’ils ont le sentiment que c’est un devoir moral de voter dans une élection. Les considérations éthiques l’emportent sur les considérations « rationnelles ».</p>
<p>J’ajoute cependant <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/canadian-journal-of-political-science-revue-canadienne-de-science-politique/article/abs/does-voting-in-one-election-reduce-the-expected-cost-of-voting-in-subsequent-elections/2839CE236315589804F3D9D7477954FB">que certains électeurs sont sensibles au temps que cela peut prendre d’aller voter</a> et que le taux de participation est un peu plus élevé lorsque le résultat de l’élection est incertain. Les considérations rationnelles jouent un peu. La théorie des choix rationnels n’est pas à rejeter entièrement, même si sa contribution est limitée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des gens font la ligne devant un établissement" src="https://images.theconversation.com/files/456169/original/file-20220404-11-dgqbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456169/original/file-20220404-11-dgqbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456169/original/file-20220404-11-dgqbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456169/original/file-20220404-11-dgqbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456169/original/file-20220404-11-dgqbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456169/original/file-20220404-11-dgqbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456169/original/file-20220404-11-dgqbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens font la queue afin de voter par anticipation, lors des élections fédérales, le 10 septembre 2021 à Chambly, au Québec. Les considérations rationnelles jouent peu dans la décision de voter ou pas. C’est plutôt le devoir moral qui l’emporte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<h2>Une question de motivation</h2>
<p>Plus récemment, j’ai écrit avec un de mes anciens étudiants <a href="https://www.ubcpress.ca/the-motivation-to-vote">« The Motivation to Vote : Explaining Electoral Participation »</a>. La thèse est claire et simple : la décision de voter ou non est d’abord et avant tout une question de motivation.</p>
<p>Si je m’intéresse à la politique, cela va plus ou moins de soi que je voudrai voter à une élection. Dans la même perspective, si je ne m’intéresse pas à la politique, la chose « normale » à faire… est de ne rien faire, c’est-à-dire ne pas voter. À moins évidemment que je croie que voter n’est pas seulement un droit, c’est aussi un devoir civique, et que je me sentirais coupable de ne pas voter.</p>
<p>Dans le livre, on démontre que l’intérêt pour la politique et le sentiment du devoir sont les deux attitudes qui sont les plus fortement corrélées avec la décision de voter ou non et on renvoie à des recherches qui démontrent que ces deux attitudes sont très stables, <a href="https://www.researchgate.net/publication/335611940_How_Stable_is_the_Sense_of_Civic_Duty_to_Vote_A_Panel_Study_on_the_Individual-Level_Stability_of_the_Attitude">qu’elles changent peu après l’âge de 20 ans</a>. Ultimement, ce sont des valeurs acquises tôt dans la vie, le goût qu’on a (ou pas) pour la politique, et la conception qu’on se fait des devoirs civiques dans une société, qui influencent le plus la décision de voter ou non.</p>
<h2>L’habitude et les ressources : deux théories mises à mal</h2>
<p>Ce faisant, on met en doute la validité de théories influentes sur la participation électorale.</p>
<p>Une de ces théories veut que les gens votent ou s’abstiennent par habitude. Nous démontrons que cette explication n’est pas convaincante. Il est vrai qu’il y a une stabilité du vote ; une personne qui vote (ou s’abstient) à une élection est susceptible de faire de même à l’élection subséquente. Mais si c’était une habitude, on devrait observer que les valeurs (comme l’intérêt pour la politique) qui influencent la participation ont un impact plus faible chez les plus âgés (chez qui c’est l’habitude qui prime et qui sont donc moins influencés par leurs valeurs). Les données montrent que ce n’est pas le cas. Les déterminants du vote sont fondamentalement les mêmes pour les jeunes et les vieux. L’hypothèse de l’habitude est ainsi infirmée.</p>
<p>Notre interprétation jette également le doute sur une autre interprétation influente, celle des ressources. On argumente souvent que ce sont les personnes plus pauvres et moins scolarisées qui votent le moins et que c’est essentiellement parce qu’elles ont moins de ressources politiques. Il est vrai que la participation électorale est corrélée avec la scolarité et le revenu, mais il convient également de souligner que cette corrélation n’est pas très forte. Qui plus est, il est loin d’être évident que cela soit dû au manque de ressources étant donné que la très grande majorité des citoyens estiment que c’est facile de voter. La théorie des ressources est utile pour expliquer des modes de participation plus exigeants, mais elle ne s’applique pas vraiment au vote.</p>
<p>Certaines (mauvaises) langues vous diront que j’ai un malin plaisir à réfuter des explications populaires. Il y a là peut-être un brin de vérité. Mon moto est « Pas Convaincu », comme mes étudiants me l’ont gentiment rappelé lors d’une conférence en mon honneur. Mais n’est-ce pas le rôle du chercheur de soumettre à la fois les théories scientifiques et le sens commun à un examen rigoureux, à partir d’un scepticisme de bon aloi ?</p>
<hr>
<p><em>Note de la rédaction : Ce reportage fait partie d’une série qui comprend également des entretiens en direct avec certains des meilleurs universitaires canadiens en sciences sociales et humaines. <a href="https://www.meetview.ca/sshrc20220412/?language_set_set_id=14">Cliquez ici pour vous inscrire à cet événement gratuit</a> coparrainé par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180203/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Blais ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De nombreux facteurs affectent la décision de voter ou pas à une élection. Selon le chercheur, cette décision est d’abord une question de motivation, d’intérêt pour la politique et un sens du devoir.André Blais, Full Professor, Department of Political Science, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801522022-03-30T08:20:45Z2022-03-30T08:20:45ZLa cause cachée de la montée de l’abstention<p>À quelques jours de l’élection présidentielle, beaucoup craignent une forte montée de l’abstention. La campagne électorale a semblé moins intéresser les électeurs que lors des précédents scrutins, dans une conjoncture marquée d’abord par la vague de Covid, puis par la guerre en Ukraine, qui semble rendre dérisoires certaines oppositions entre candidats.</p>
<p>Un signe contradictoire réside cependant dans le nombre d’inscrits sur les listes électorales qui est plus fort que <a href="https://insee.fr/fr.statistiques/6322895#graphique-figure2_radio1">lors des précédentes élections</a>. Les non inscrits ne constituent plus que 5 % de la population en âge de voter.</p>
<p>Les niveaux d’abstention sont très différents selon les types d’élection. Ils ont toujours été élevés pour les élections départementales, régionales et européennes. Ils continuent à augmenter pour les deux premières alors qu’ils ont régressé pour les Européennes de 2019.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454664/original/file-20220328-16839-1avfw3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Taux d’abstention aux élections régionales de 1986 à 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Taux d’abstention aux élections départementales de 2001 à 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454666/original/file-20220328-17770-1rk9lmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Taux d’abstention aux élections européennes de 1979 à 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’abstention était au contraire traditionnellement plus faible pour les présidentielles, les législatives et les municipales. Cette grande différence dans les niveaux d’abstention montre que la mobilisation des électeurs dépend beaucoup des enjeux perçus de l’élection. L’élection présidentielle reste l’élection la plus disputée, celle qui mobilise le plus les électeurs, au point que, au vu du graphique ci-dessous, on peut discuter d’une tendance haussière pour ce scrutin, même si elle semble effective à partir de 2007 qui constituait un des taux les plus bas de la V<sup>e</sup> République. L’élection a connu ses pointes abstentionnistes les plus fortes en 1969 et 2002.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Taux d’abstention aux élections présidentielles de 1965 à 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Taux d’abstention aux élections législatives de 1958 à 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454669/original/file-20220328-21-1b7lt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Taux d’abstention aux municipales de 1959 à 2001.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les graphiques de l’abstention aux législatives et municipales permettent de repérer un même début de tendance à la hausse à la fin des années 1980, phénomène que l’on retrouve dans la plupart des pays européens, ce qui laisse déjà entrevoir que l’abstention a des causes qui dépassent les frontières nationales et tiennent à l’évolution des valeurs dans les démocraties européennes.</p>
<p>Il ne faut cependant pas négliger les explications conjoncturelles, comme ont le voit sur les pointes abstentionnistes aux régionales et municipales de 2020-2021, dans un contexte de pandémie. Les évolutions institutionnelles peuvent aussi avoir de l’influence, comme le montre le taux d’abstention pour les législatives : à partir de 2002, elles se déroulent toujours dans la foulée de <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">l’élection présidentielle</a>.</p>
<p>Il en a résulté une dévalorisation des scrutins législatifs qui ne sont plus considérés que comme une élection de confirmation de la compétition principale alors qu’ils devaient auparavant assurer le choix d’une majorité parlementaire pour la <a href="https://www.revuepolitique.fr/une-abstention-sans-precedent-a-des-legislatives-plus-que-jamais-de-confirmation/">mandature à venir</a>.</p>
<h2>Abstention plus forte chez les jeunes et dans les catégories populaires</h2>
<p>Pour progresser dans les explications de l’abstention, il faut aussi considérer sa sociologie. Les enquêtes et sondages permettent d’observer de fortes logiques sociales et politiques pouvant l’expliquer (tableau 1).</p>
<p>S’il n’y a pratiquement plus de différence de vote selon le genre, on observe toujours de fortes différences selon les générations : les 18-34 ans s’abstiennent beaucoup plus que les autres, l’abstention décroissant avec l’âge. Aujourd’hui, tant qu’on n’a pas atteint l’âge moyen de la dépendance physique, autour de 80 ans, on continue de <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2012-4-page-39.htm">voter massivement</a>. En 2017, l’abstention passe de 29 % chez les 18-24 ans à 12 % chez les 70 ans et plus. On sait que les jeunes votent moins tant qu’ils ne sont pas intégrés dans la <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/les-jeunes-et-la-politique">vie active</a> mais, au-delà de cet effet d’âge, leur faible participation tient à leur culture politique qui les pousse moins au vote, même lorsqu’ils atteignent les <a href="https://www.cairn.info/les-citoyens-qui-viennent--9782130785552.htm">âges adultes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeunes-et-le-politique-au-dela-du-vote-des-formes-dengagement-multiples-177648">Les jeunes et le politique : au-delà du vote, des formes d’engagement multiples</a>
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<p>La participation correspond aussi à des logiques sociales : les catégories populaires votent moins que les groupes plus favorisés. Et les sans diplômes sont beaucoup plus abstentionnistes que les personnes ayant fait des études. Plus on a de faibles revenus, plus on a aussi <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/la-democratie-de-labstention-aux-origines-de-la-demobilisation-electorale-en-milieu-populaire">tendance à s’abstenir</a>. L’exclusion sociale tend à produire de <a href="https://www.atd-quartmonde.fr/bibliographie/de-la-precarite-a-lauto-exclusion/">l’auto-exclusion politique</a>. Les individus précaires s’intéressent moins aux élections, pensent avant tout à améliorer leur situation et ne croient pas que le résultat de la présidentielle y contribuera.</p>
<p>Du fait de ces logiques sociales, une très forte abstention s’observe dans les quartiers sensibles des grandes agglomérations. La Seine-Saint-Denis est le département le plus abstentionniste de l’Hexagone (27,5 % en 2017) avec une pointe à 35 % dans le <a href="https://www.revuepolitique.fr/abstention-et-vote-blanc-un-comportement-modere-au-premier-tour-presidentiel-en-forte-hausse-au-second/">canton de Saint Denis 2</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454672/original/file-20220328-15-1uhlek9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1. Sociologie de l’abstention au premier tour présidentiel de 2002 à 2017 (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Le rôle de la religion</h2>
<p>Parmi les attitudes pérennes en matière de participation électorale, il convient d’ajouter la religion à l’âge. Les catholiques pratiquants réguliers (souvent âgés) ont intégré fortement le sens du devoir électoral, l’institution catholique enseignant depuis fort longtemps qu’un bon catholique doit avoir le sens civique et se doit <a href="https://journals.openedition.org/rh19/1432">d’aller voter</a>. En 2017 encore, ils ne sont que 13 % à s’être abstenus au premier tour présidentiel pour 23 % chez les catholiques non pratiquants, 28 % chez les autres religions et 26 % chez les <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/1er-tour-presidentielle-2017-sociologie-de-lelectorat">sans religion</a>.</p>
<p>Le rural s’abstient un peu moins (20 % en 2017) que les villes moyennes (27 %) et l’agglomération parisienne (24 %). Deux régions, à tradition rurale et catholique, sont, d’après les résultats électoraux, <a href="https://www.revuepolitique.fr/abstention-et-vote-blanc-un-comportement-modere-au-premier-tour-presidentiel-en-forte-hausse-au-second/">beaucoup moins abstentionnistes</a> : la Bretagne (16,5 %) et les pays de la Loire (16,7 %), de même que certains départements du sud du Massif central (à population âgée).</p>
<p>Enfin on sait depuis longtemps que la participation électorale est favorisée par une bonne insertion dans des réseaux relationnels, ce qui est inégalement partagé selon les <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1971_num_21_2_418057_t1_0426_0000_001">groupes sociaux</a>. On sait aussi que la participation est plus forte chez les personnes et catégories de gens qui font facilement confiance aux autres et qui s’intéressent à leurs problèmes. Les enquêtes sur les valeurs des Français en 2018 montrent ainsi que ceux qui font une grande confiance aux autres sont 62 % à dire toujours voter alors que les moins confiants ne sont <a href="https://www.cairn.info/la-france-des-valeurs--9782706142659-page-61.htm">que 40 % à l’affirmer</a>.</p>
<h2>Une abstention à connotations politiques</h2>
<p>Outre les logiques sociales pérennes de l’abstention, on peut repérer plusieurs logiques politiques. On vote d’autant plus qu’on comprend les enjeux électoraux, donc selon qu’on est informé, politisé et qu’on comprend les enjeux de la vie politique et institutionnelle. On peut distinguer différents types d’abstentionnistes selon leur rapport à la politique. Environ la moitié des abstentionnistes ne sont pas dépolitisés, ils restent <a href="https://www.cairn.info/les-cultures-politiques-des-francais--9782724608021-page-17.htm">« dans le jeu »</a>, pouvant se mobiliser dans certaines conjonctures alors qu’ils s’abstiennent dans d’autres. Ces abstentionnistes, plutôt intéressés par la politique, ont en fait un vote intermittent. La montée de l’abstention depuis 30 ans correspond surtout à un développement important du vote intermittent, très important dans les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3138704">jeunes générations</a>. Au contraire, les abstentionnistes “hors jeu” sont totalement dépolitisés et ne vont pratiquement jamais voter.</p>
<p>Si on est très critique à l’égard des élites politiques et pessimiste sur le changement que peuvent apporter les élections, on a aussi davantage de chances de s’abstenir (tableau 2), sans que cette relation soit très forte, ce qui montre que certains, tout en critiquant la classe politique et en ne croyant pas à des changements positifs pouvant advenir selon le résultat de l’élection, estiment qu’il y a quand même un candidat valable ou moins mauvais que les autres.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=338&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=338&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454673/original/file-20220328-17-6hafoy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=338&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 2. Abstentions, blancs et nuls aux deux tours de la présidentielle de 2017 selon le pessimisme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ajoutons que, selon les conjonctures, certaines familles politiques se mobilisent davantage que d’autres. En 2017, les sympathisants des Verts étaient peu mobilisés, n’ayant pas de représentant dans la compétition. À l’inverse, les personnes qui se sentaient proches d’En marche et des Républicains ont <a href="https://www.ipsos.com/sites/default/files/files-fr-fr/doc_associe/ipsos-sopra-steria_sociologie-des-electorats_23-avril-2017-21h.pdf">beaucoup plus voté</a>.</p>
<p>Pour le second tour de la présidentielle, on retrouve aussi toujours une mobilisation différentielle entre électorats selon les orientations partisanes : les électorats des candidats du premier tour sélectionnés pour le second, sont fortement mobilisés, alors que ceux des non qualifiés ont parfois tendance à ne pas participer plutôt qu’à voter pour l’un des deux qualifiés.</p>
<h2>La cause cachée de la montée de l’abstention</h2>
<p>À toutes les explications évoquées antérieurement, il faut en ajouter une autre, rarement explicitée. Si l’abstention commence à monter à la fin des années 1980 dans beaucoup de pays européens, c’est parce que les systèmes de valeurs sont en évolution : à partir des générations d’après-guerre, une culture de <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41253-020-00139-1">l’individualisation</a>, c’est-à-dire d’autonomie des individus dans tous les domaines de la vie, s’est développée.</p>
<p>Chacun veut faire des choix personnels et non pas dictés par d’autres, que ce soit le qu'en-dira-t-on, la famille, l’État, une religion… On est beaucoup moins conformiste et plus critique qu’autrefois. La culture du devoir et des principes intangibles à respecter s’estompe, au profit d’une culture des droits à protéger contre toutes les inégalités et discriminations.</p>
<p>Dans le domaine électoral, cela se traduit par une évolution <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00399103">du sens du vote</a>. Il est moins perçu comme un devoir que le citoyen se doit d’accomplir à chaque élection (même s’il ne connaît pas les enjeux du débat politique) que comme un droit, une invitation à s’exprimer lorsqu’il comprend le sens de l’élection et estime qu’un candidat vaut davantage la peine d’être soutenu que les <a href="https://www.pug.fr/produit/1966/9782706150081/les-elections-presidentielles-francaises">autres</a>.</p>
<p>Seules les générations âgées partagent encore largement la culture du devoir citoyen et votent par principe, même lorsqu’ils ne savent pas identifier un bon candidat. Alors que les jeunes générations ne se déplacent au bureau de vote que si elles veulent faire prévaloir une tendance plutôt qu’une autre, en fonction de leur réflexion. Il en est de même pour les catégories populaires qui se sentent moins obligées de voter qu’autrefois. Au total, le vote est aujourd’hui plus raisonné, moins conformiste, plus critique et plus volatile.</p>
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<p><em>Pierre Bréchon vient de publier <a href="https://www.pug.fr/produit/1966/9782706150081/les-elections-presidentielles-francaises">« Les élections présidentielles françaises »</a>, Presses Universitaires de Grenoble-UGA Editions, février 2022</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180152/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon est directeur des collections Politique en plus et Libres cours Politique aux Presses universitaires de Grenoble.</span></em></p>L’abstention n’est pas d’abord le signe d’un manque de civisme, elle est liée à l’évolution du sens du vote dans une société individualisée.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786682022-03-30T08:20:44Z2022-03-30T08:20:44ZLe travail, ultime lieu de fabrique de la politique (et de l’abstention) ?<p>Les derniers sondages mettent en avant une forte proportion d’abstentionnistes, <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/presidentielle-leur-veritable-adversaire-cest-labstention-20220327_KOXFQGURNJDRLE5PSQMWYZFTFA/">près de 30 %</a>, dès le premier tour de l’élection présidentielle. Si les travaux de sociologie électorale, notamment en France, insistent sur l’existence de « variables lourdes » de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1023.htm">l’abstention</a>, les relations entre la participation électorale et le travail, malgré ses mutations, sont toujours structurantes.</p>
<p>Ainsi les caractéristiques socioprofessionnelles et les conditions d’emploi et de travail constituent des facteurs déterminants du (non-)vote. De même, les engagements collectifs et revendicatifs des salariés dans leur travail, s’ils sont moins nombreux qu’auparavant, vont de pair avec une mobilisation électorale plus importante.</p>
<p>Pour autant, comprendre ce qui peut se jouer au travail en termes de mobilisation électorale nécessite d’adopter une <a href="https://www.jstor.org/stable/3791160">approche pluridimensionnelle du travail</a>, en prenant en compte de manière assez fine la position socioprofessionnelle d’un individu, mais aussi le secteur d’activité dans lequel il évolue, ses conditions de travail et d’emploi (temps de travail, contrat de travail, autonomie au travail, satisfaction dans le travail, reconnaissance du travail…) ou son engagement collectif au travail.</p>
<p>Celui-ci se définit ici comme l’ensemble des pratiques et expériences visant à démocratiser, même marginalement, l’entreprise et à y étendre les logiques de la <a href="http://www.cairn.info/revue-participations-2013-1-page-5.htm">citoyenneté politique</a>.</p>
<h2>Atomisation des collectifs de travail</h2>
<p>Sans prétention à l’exhaustivité, il convient de rappeler plusieurs mutations qu’ont connues le travail et l’emploi depuis <a href="https://www.cairn.info/le-travail--9782130578994.htm">plusieurs décennies</a> et qui ont eu des conséquences directes sur les possibilités et l’efficacité de l’action collective, et notamment syndicale, sur le lieu de travail.</p>
<p>La première est une atomisation des <a href="https://www.cairn.info/la-france-invisible--9782707153746-page-560.htm">collectifs de travail</a> qui résulte de plusieurs processus. On pense tout d’abord à la réduction de la taille des établissements, notamment du fait du déclin des grandes concentrations d’emplois industriels qui constituaient les principaux bastions syndicaux. On peut ensuite mentionner le recours accru à la sous-traitance qui concerne désormais la majorité des entreprises <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2499249#:%7E:text=%3A%20Insee%2C%20%C3%89sane.-,Le%20taux%20de%20sous%2Dtraitance%20se%20stabilise%20apr%C3%A8s%202009,les%20services%20">selon l’Insee</a>. De plus en plus de salariés qui, bien que travaillant sur un même lieu, appartiennent à des entreprises différentes ou, au contraire, bien qu’appartenant à une même entreprise, travaillent sur des lieux différents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/teletravail-le-covid-a-accelere-la-mise-en-place-de-formules-a-la-carte-174090">Télétravail : le Covid a accéléré la mise en place de formules « à la carte »</a>
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<p>Ceci contribue à affaiblir les logiques de métier et d’entreprise, qui sont aux fondements de toute action collective au travail. De même, dans le secteur public, outre la sous-traitance, la diversification des statuts – avec le recrutement croissant de salariés en contrat de droit privé –, participe à affaiblir les identités professionnelles qui peuvent être porteuses de cultures syndicales.</p>
<p>On peut enfin citer la précarisation de <a href="https://www.cairn.info/les-inaudibles--9782724616958-page-51.htm">l’emploi</a> avec le recours croissant à des contrats précaires (CDD, intérim ou autres…), en particulier parmi les jeunes salariés. Or, cette précarité limite l’intégration dans un collectif de travail et les sociabilités qui en découlent. Elle rend aussi plus difficile pour les salariés le fait de penser ensemble. Même en dehors de l’entreprise, elle va de pair avec un moindre ancrage dans la vie locale. Elle éloigne enfin les salariés de l’action syndicale, mais aussi des discussions politiques, soit parce que celles-ci sont moins nombreuses, soit parce que le fait d’y participer ou d’en initier est plus risqué.</p>
<h2>Le « rapport salarial » au prisme de l’individualisation</h2>
<p>Une deuxième mutation, connexe à la première, est une transformation du « rapport salarial », défini comme l’échange de la force de travail et de la subordination à l’employeur <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-d-economiepolitique--9782724623109-page-391.htm">d’un salarié contre un salaire</a>. En effet, on assiste de plus en plus à une individualisation de la gestion des ressources humaines et, en particulier, des carrières et des rémunérations, avec le développement de <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2011-3-page-89.htm">primes individualisées</a> aux dépens d’augmentations collectives de salaires.</p>
<p>Cette individualisation affaiblit le sentiment d’appartenance à un collectif de travail ainsi que l’action collective sur le lieu de travail, car celle-ci est perçue comme moins utile. Individualisé, le rapport salarial se trouve aussi de plus en plus déséquilibré : les « négociations » entre salariés et employeurs sont fortement contraintes par les faibles marges de manœuvre dont disposent nombre d’employeurs parce qu’ils sont dans une situation de sous-traitance, parce qu’ils dépendent de subventions publiques ou encore parce qu’ils dépendent de logiques actionnariales.</p>
<p>Ce déséquilibre engendre, de la part des salariés insatisfaits de leurs conditions de travail et d’emploi, de « l’exit » (démissions, demandes de ruptures conventionnelles, absentéisme, refus d’heures supplémentaires, refus des objectifs de production ou de vente…) ou de la « voice » individualisée (recours aux prud’hommes ou à l’inspection du travail).</p>
<p>La « voice » collective est au contraire très faible et ne passe que rarement par les canaux prévus à cet effet, à commencer par les <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/reconfigurations-des-usages-et-des-pratiques-du-dialogue-social-en-entreprise">instances représentatives du personnel</a>.</p>
<h2>Le déclin de l’autonomie des salariés</h2>
<p>Une troisième mutation sur laquelle il nous semble important de revenir est le déclin de l’autonomie des salariés dans leur travail, et notamment <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0143831X13484606">pour les moins qualifiés d’entre eux</a>. Le travail non autonome est appréhendé par l’économiste Thomas Coutrot comme une activité répétitive ne permettant ni de déroger à un respect strict des consignes, ni de faire varier les délais, ni d’interrompre son travail quand on le souhaite, ni d’apprendre des choses nouvelles, ni de développer <a href="https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/190222/macron-melenchon-jadot-le-pen-et-le-travail">ses compétences dans le travail</a>. Or, une faible autonomie au travail se traduit par une passivité sur le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0143831X13484606">plan civique</a>.</p>
<p>Ces différents processus permettent d’expliquer pourquoi les engagements collectifs des salariés sur leur lieu de travail sont de moins en moins nombreux, avec notamment un déclin de la syndicalisation <a href="https://www.ipp.eu/actualites/note-ipp-n78-recompter-les-syndiques/">dans les années 1980</a>, un recul de la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-11.htm">conflictualité gréviste</a> ou, plus récemment, un recul de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2020-3-page-443.htm">participation aux élections professionnelles</a>.</p>
<h2>Conditions de travail et d’emploi sur le vote</h2>
<p>Plusieurs travaux récents ont montré que la participation électorale des salariés dépend de leur position professionnelle, mais aussi de leurs <a href="https://www.puf.com/content/Extinction_de_vote">conditions de travail et d’emploi</a>. Les employés et les ouvriers, qualifiés et surtout non qualifiés, sont les groupes les plus en retrait de la pratique électorale alors que les cadres du privé et les salariés du public, notamment les agents de catégorie A, sont à l’inverse plus mobilisés dans les urnes.</p>
<p>Ces écarts de participation sont certes réduits lors des scrutins présidentiels, mais, lors de scrutins moins mobilisateurs, ces écarts sont bien plus importants. Pour ne donner qu’un exemple, lors des élections législatives de 2017, 68,4 % des agents de catégorie A de la Fonction publique et 64,4 % des cadres du privé ont voté au premier tour selon l’enquête <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1255">Participation électorale de l’Insee</a>, contre seulement 45,3 % des employés du privé, 42,3 % des ouvriers qualifiés du privé et 38,7 % des ouvriers non qualifiés du privé. Il convient toutefois de ne pas se limiter à une analyse en termes de groupes socioprofessionnels car ceux-ci sont hétérogènes tant socialement qu’électoralement comme l’a démontré Camille Peugny pour les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2015-5-page-735.htm">employés et les ouvriers</a>.</p>
<h2>La précarité, facteur d’abstention</h2>
<p>La précarité de l’emploi semble d’ailleurs être une variable encore plus structurante. En effet, même lors des scrutins présidentiels, lors desquels la mobilisation est forte et les inégalités sociales de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1023.htm">participation plus faibles</a>, les salariés précaires participent moins que leurs collègues en contrat stable. Une analyse statistique plus poussée montre de plus que cette différence ne s’explique pas par le plus jeune âge des salariés précaires ou par leurs moindres qualifications.</p>
<p>Ainsi, selon l’enquête <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3138704">Participation électorale de l’Insee</a>, seuls 74,1 % des salariés précaires ont voté au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 contre 86,3 % des salariés en contrat stable.</p>
<p>De la même manière, le rôle de l’autonomie au travail n’est pas négligeable. Ainsi, les salariés déclarant travailler toujours ou souvent de manière répétitive ou à la chaîne – signe d’une faible autonomie dans le travail –, s’avèrent moins participants électoralement que le reste des salariés (60,6 % contre 70,4 % aux élections régionales de 2015 selon <a href="http://bdq.quetelet.progedo.fr/fr/Details_d_une_enquete/2251">l’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie de l’Insee</a>), différence qui persiste à situation sociale et professionnelle égale. <a href="https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/190222/macron-melenchon-jadot-le-pen-et-le-travail%5D">Selon Thomas Coutrot</a> :</p>
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<p>« les salariés aliénés dans leur travail et dépourvus de capacité d’action du fait d’une organisation rigide et d’un travail appauvri et répétitif, se sentent également impuissants dans la sphère politique et ne voient pas l’intérêt d’aller voter »</p>
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<h2>Les discussions politiques au travail, véritables stimuli électoraux</h2>
<p>Encore peu de travaux se sont intéressés à ce qui se joue effectivement, lors des périodes électorales, sur le lieu de travail. Les quelques analyses insistent sur le poids des discussions politiques entre collègues de travail. Celles-ci ne sont pas rares, a fortiori en <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-3-page-3.htm">période de campagne électorale</a>. Ces discussions peuvent directement constituer des « rappels à l’ordre » électoraux en favorisant la <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-actuel/La-democratie-de-l-abstention">participation ou l’inscription</a>. Elles peuvent aussi, en portant sur des questions d’actualité ou sur le travail en soi, encourager la diffusion de jugements moraux, de valeurs ou l’identification à un groupe ou à une classe sociale comme le montrent certains « portraits d’électrices et d’électeurs ordinaires » présentés dans <a href="https://www.puf.com/content/Voter_par_temps_de_crise">l’ouvrage <em>Voter par temps de crise</em></a>.</p>
<p>Une autre dimension du travail jusqu’ici peu étudiée en France est l’engagement collectif des salariés. Pourtant, un certain nombre de travaux ont mis en évidence, dans le cas américain ou à l’échelle européenne, des relations positives entre la <a href="https://www.jstor.org/stable/23361125">participation électorale et l’adhésion</a> ou la <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Trade-Unions-and-Political-Participation-in-the-a-D%E2%80%99Art-Turner/496fb176be14d749883c234098835ec56d64c636">présence syndicale</a>.</p>
<p>Néanmoins, dans le cas français, on constate que l’adhésion syndicale ne semble pas constituer en soi un vecteur de mobilisation électorale. Certes, selon <a href="http://bdq.quetelet.progedo.fr/fr/Details_d_une_enquete/2251">l’enquête SRCV 2016</a>, l’écart de participation aux élections régionales de 2015 entre syndiqués et non syndiqués s’élève à 9,6 points, mais cette différence n’est pas significative à situation sociale et professionnelle égale et après prise en compte des autres formes d’engagement au travail.</p>
<p>Cela s’explique par le fait que l’adhésion syndicale, même minoritaire, recouvre une grande variété d’engagements plus ou moins importants. Rappelons ainsi que plus de la moitié des adhérents des syndicats ne prennent jamais ou seulement rarement part aux activités de <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/de-l-adherent-au-responsable-syndical">leur organisation</a>.</p>
<p>De la même manière, la présence syndicale, même si elle est plus répandue puisque 44,6 % des salariés déclarent qu’un syndicat est présent sur leur lieu de travail selon l’enquête SRCV 2016, ne va pas significativement de pair avec une participation électorale plus importante. En effet, si l’écart de participation s’élève à 8,6 points aux élections régionales de 2015 entre les salariés déclarant qu’un syndicat est présent sur leur lieu de travail et ceux déclarant qu’aucun syndicat n’est présent sur leur lieu de travail ou dans leur entreprise, cette différence n’est là encore pas significative à situation sociale et professionnelle égale et après prise en compte d’autres formes d’engagement au travail.</p>
<h2>De l’élection professionnelle aux urnes « politiques »</h2>
<p>Nos analyses semblent indiquer que c’est moins l’adhésion ou la présence syndicale en soi que les pratiques collectives qu’elles encouragent – du vote professionnel au recours à la grève –, qui vont de pair avec une mobilisation électorale plus importante lors des scrutins politiques. Ainsi, selon l’enquête <a href="http://bdq.quetelet.progedo.fr/fr/Details_d_une_enquete/1668">SRCV 2010</a>, 67,4 % des répondants salariés ayant fait grève dans l’année précédente ont voté aux élections régionales de 2010 contre 62,1 % des répondants qui n’ont pas participé à une grève alors qu’il y en a eu une sur leur lieu de travail et 56,9 % des répondants qui n’ont pas connu de grève sur leur lieu de travail. Cependant, le recours à la grève est très minoritaire, encore plus que l’adhésion syndicale. De plus, la relation entre participation gréviste et participation électorale ne se vérifie pas pour tous les scrutins.</p>
<p>Pour terminer, le fait d’avoir voté aux dernières élections professionnelles – pratique de participation la plus répandue et déclarée par 43,9 % des répondants salariés dans l’enquête SRCV 2016 –, va systématiquement de pair avec une participation électorale plus importante : selon l’enquête SRCV 2016, 75,7 % des répondants qui ont déclaré avoir voté aux dernières élections professionnelles ont également déclaré avoir voté lors des élections régionales de 2015 contre 58,1 % de ceux qui, bien que confrontés à un scrutin professionnel, ont déclaré s’y être abstenus et 62,9 % de ceux qui ont déclaré ne pas avoir été confrontés à un scrutin professionnel, différences qui restent significatives à situation sociale et professionnelle égale.</p>
<h2>Quand les engagements au travail compensent la précarité de l’emploi</h2>
<p>Enfin, prendre en compte, dans l’analyse, les engagements collectifs des salariés dans leur travail fait apparaître un résultat particulièrement intéressant. Il semble en effet que, à engagements au travail égaux, les salariés précaires n’ont pas plus de chances de s’abstenir aux scrutins politiques que les salariés stables.</p>
<p>C’est dès lors la plus faible participation des salariés précaires à la vie démocratique de l’entreprise et du collectif de travail, souvent rendue impossible ou plus difficile par <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2020-3-page-443.htm">leur statut</a>, qui explique en grande partie leur retrait des urnes lors des scrutins politiques.</p>
<p>Le travail, comme activité, mais aussi comme milieu social où peuvent éventuellement se déployer certaines formes d’engagement, semble bien encore constituer un espace où se jouent la mobilisation des citoyens.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mFjmy422UAE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Analyse du film « Le Sel de la Terre », 1954.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, les caractéristiques socioprofessionnelles, les conditions de travail et d’emploi ou encore les pratiques inégales d’engagement collectif au travail constituent encore des déterminants de l’abstention. Les mutations qu’ont connues le travail et l’emploi depuis plusieurs décennies ainsi que leurs conséquences sur les possibilités et l’efficacité de l’action collective sur le lieu de travail sont dès lors l’un des multiples facteurs de l’abstention.</p>
<p>À ce titre, les bouleversements des conditions de travail induits par la crise sanitaire (recours massif à un télétravail permanent, démultiplication des arrêts de travail…) pourraient bien participer à un nouveau déclin de la participation électorale à l’occasion du scrutin présidentiel à venir. Pour lutter contre l’abstention, loin des remèdes techniques, il convient sans doute de redynamiser les collectifs de travail, d’encourager l’action collective en entreprise, de limiter la précarité de l’emploi ou encore de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/liberer-le-travail-thomas-coutrot/9782021390377">« libérer le travail »</a> pour reprendre l’expression de Thomas Coutrot.</p>
<p>Pour autant, le travail ne doit pas être isolé des autres sphères sociales comme l’ont montré, à propos de l’orientation du vote des salariés, les <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-votes-populaires-176305">auteurs du Collectif Focale</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour lutter contre l’abstention, il convient sans doute de redynamiser les collectifs de travail, d’encourager l’action collective en entreprise et de limiter la précarité de l’emploi.Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.