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Gouvernance et production, les deux moteurs du développement territorial

Le développement territorial marche sur deux jambes, l’accroissement des richesses et l’amélioration du bien-être des populations (Ici, les quartiers sud-est de Saint-Etienne vue depuis la Croix du Perthuis). Mémoire2cité / Flickr, CC BY-NC-SA

Cette contribution s’appuie sur l’article intitulé « Les moteurs du développement territorial », publié dans le N.4/2018 de la Revue d’économie régionale et urbaine (éditions Armand Colin), dont André Torre est le rédacteur en chef.


La crise des « gilets jaunes » a remis de façon très concrète la question des territoires au cœur de l’échiquier politique. Après une phase de verticalité et d’exercice jupitérien du pouvoir, sans concertation avec le niveau local, apparaît maintenant l’urgence d’une reconnexion aux territoires et d’un débat avec leurs parties prenantes. La révolte qui gronde s’est en effet nourrie d’erreurs historiques comme l’abandon progressif des services publics dans les zones périphériques, ou la déshérence des voies de communication secondaires, routes comme chemin de fer.

Le grand débat en cours, qui ne concerne pas la seule dimension territoriale, présente une connotation très locale. On réalise que le développement d’un pays ne peut se contenter des grands tuyaux de la macroéconomie, qu’il repose largement sur ses différents territoires et qu’il passe par un accord des habitants et des entreprises locales. Il est utile d’expliquer que le développement territorial, aujourd’hui vanté, marche sur deux jambes, l’accroissement des richesses et l’amélioration du bien-être des populations. Ses deux grands moteurs, la production et la gouvernance, donnent en effet naissance aux innovations territoriales de toutes natures, à la fois créatrices de nouveautés et destructrices des anciens modèles.

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Le rôle central de la gouvernance territoriale

Le développement ne concerne pas les seules dimensions économiques. Il recouvre bien d’autres aspects, comme les changements mentaux et sociaux des populations, ou l’évolution des institutions, et ne peut se mettre en œuvre indépendamment des processus de gouvernance. Gouverner c’est tout simplement prendre des décisions, arbitrer des oppositions et des conflits, gérer des modes de production, et contribuer à la régulation des activités économiques et sociales (quand c’est possible). Dans des pays comme la France, le développement territorial se nourrit des attentes des populations, toujours plus attentives et éduquées, qui désirent jouer un rôle dans la définition des enjeux et chemins pour le futur. Pour décider de leur avenir et tenter de maîtriser leur devenir, elles ont intérêt à prendre en main leurs projets de développement.

La gouvernance des territoires repose sur deux principes, a priori opposés mais en réalité complémentaires. D’un côté les coopérations entre acteurs locaux : comment ils travaillent ensemble à l’élaboration de projets communs et mettent leurs désaccords en veilleuse pour se projeter ensemble vers le futur. C’est le travail des comités et des institutions locales, des chartes, mais aussi des relations quotidiennes de collaboration. Le second principe est celui du conflit : quand les pouvoirs publics, ou des acteurs importants comme de grandes entreprises, lancent des projets qui se heurtent à l’opposition des populations, il devient inévitable. Il va s’exprimer dans la rue, dans les tribunaux ou encore dans les médias, comme dans le cas de Notre-Dame-des-Landes.

Ces deux modes de gouvernance produisent des innovations et des nouveautés, sociales et institutionnelles. Les innovations coopératives comme la microfinance solidaire, les laboratoires d’idées, les tiers lieux, les crèches partagées ou les épiceries solidaires résultent de l’effort conjoint des acteurs locaux. Les innovations disruptives naissent de la modification ou du remodelage d’un projet par l’opposition de tout ou partie de la population : le changement de tracé d’une voie rapide, ou la modification d’un projet de centrale énergétique. Toutes deux donnent naissance aux processus de développement, dans une optique très schumpétérienne.

Le développement territorial porté par la production

La préoccupation pour l’action publique territoriale ne doit pas conduire à négliger l’autre dimension des processus de développement. Le développement des territoires est inséparable des activités productives et de leur ancrage local, avec deux dimensions centrales : l’innovation technologique et les réseaux locaux de producteurs et de laboratoires. Se développer, c’est d’abord produire : davantage, peut-être mieux, parfois moins…

La mise en œuvre des chemins de développement ne peut en effet longtemps reposer sur le transfert de richesses ; elle s’appuie avant tout sur la mobilisation, l’exploitation et parfois l’exportation des ressources territoriales. Le rôle joué par les systèmes productifs, leurs innovations, leurs réseaux et leurs interactions multiples, s’avère ici essentiel. Ce sont en particulier les clusters ou les écosystèmes d’affaires, comme l’illustrent les exemples bien connus de la Silicon Valley ou le programme de développement des pôles de compétitivité en France par exemple, qui permettent de créer et de diffuser les innovations technologiques. Mais pas seulement. Il s’agit également de solutions alternatives telles que le développement de l’économie circulaire, des processus de recyclage et d’écologie industrielle, ou des circuits courts alimentaires, qui mettent aussi en œuvre des innovations organisationnelles.

Les processus de recyclage peuvent faire émerger de nouveaux types d’organisations. HildaWeges/Shutterstock

Les rapports de concurrence ne sont pas toujours exacerbés au niveau territorial, où dominent souvent les situations d’oligopole et de monopole, excepté pour les activités de services et de commercialisation, où la compétition fait rage entre différentes enseignes ou commerçants. Les entreprises, en revanche, y combinent souvent relations de concurrence et de coopération, stratégies d’alliance ou d’opposition selon les fonctions concernées (R&D, production, commercialisation, etc.). Leur collaboration relève avant tout d’une stratégie de mise en commun ou d’échange de compétences et de connaissances, dans l’objectif d’un gain productif ou de fabrication de produits communs.

Une combinaison gagnante

Le processus de développement des territoires naît ainsi de la combinaison des dimensions productives et de gouvernance, du ronronnement et parfois du rugissement de ces deux moteurs. Relations conflictuelles et de coopération ainsi donnent naissance aux innovations territoriales.

D’un côté, la discussion est essentielle aux sociétés démocratiques, surtout quand elle prend une forme publique. Les échanges et la communication construisent les accords, structurent les oppositions et permettent de les clarifier ou de les résoudre. Discuter, élaborer, contester, y compris dans les réseaux sociaux, représente une part essentielle des processus de développement territorial, et permet d’exprimer la diversité des intentions des acteurs.

De l’autre, les entreprises, les services privés et publics, les exploitations agricoles façonnent et utilisent les ressources territoriales. Les innovations technologiques et organisationnelles, élaborées localement ou adaptées de l’extérieur, engendrent de nouveaux produits, de nouvelles méthodes de fabrication, de nouvelles entreprises. Rendant obsolètes les anciennes manières de faire, elles menacent les emplois et structures existants, et contribuent à la réorganisation et à l’évolution des tissus socio-économiques locaux.

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