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Greta et la canicule

Greta Thunberg et Richard Ferrand, le Président de l’Assemblée nationale, le 23 juillet à Paris. Lionel Bonaventure/AFP

Le nouveau feuilleton de l’été en France s’est calqué sur un phénomène mondial. On y parle de records de chaleur inédits et de la canicule qui s’installe à nouveau dans l’Hexagone : vignobles « comme brûlés au chalumeau » dans le Gard et l’Hérault, sécheresse qui désespère les agriculteurs et met à la diète le cheptel, recharge en eau insuffisante des nappes phréatiques, rivières à sec qui font mourir les poissons, mise à l’arrêt des réacteurs nucléaires, etc.

Actuellement, 73 départements (sur 95, ce n’est pas rien !) sont soumis à des restrictions d’eau et cette crise climatique a déjà coûté 1 milliard d’euros aux cultivateurs et éleveurs français. À en croire les prévisions météorologiques à 14 jours, ceux pour qui la pluie constitue une condition nécessaire à leur activité, voire à leur survie économique, ne sont pas au bout de leur peine.

Opposition conservatrice

Au même moment, dans ce même pays, et comme si de rien n’était, les partis de droite disent ne pas vouloir de Greta Thunberg, cette jeune militante suédoise qui a initié les grèves scolaires pour le climat, à l’Assemblée nationale. Ils déclarent depuis quelques jours (morceaux choisis) :

« Si je dis que je ne veux pas aller me prosterner devant Greta Thunberg, cette enfant de 16 ans invitée à l’Assemblée devant la représentation nationale, je sors (encore ?) du politiquement correct ? », pour Sébastien Chenu (Rassemblement national).

« Je respecte la liberté de penser… mais ne comptez pas sur moi pour applaudir une prophétesse en culottes courtes » ou encore « Malheur au pays dont le roi est un enfant ! », selon Julien Aubert (Les Républicains).

Si ces élus ne semblent pas souvent regarder par la fenêtre, ils ont en revanche dû lire attentivement « l’enquête » du magazine conservateur Valeurs actuelles qui, le 28 juin dernier, consacrait sa couverture aux « charlatans de l’écologie ». Mickaël Fonton, son rédacteur en chef, y signait un article intitulé – sous une photographie de Greta Thunberg : « Climat : ces prophètes de malheur qui nous promettent la fin du monde ».

Le même jour, à Vérargues, dans l’Hérault, le record absolu de température en France s’établissait à 46 °C, pulvérisant le précédent record de 44,1 °C enregistré dans le Gard durant la dramatique et meurtrière canicule d’août 2003.

Les martyres de l’Anthropocène

Cette « fin du monde » n’a malheureusement rien d’un concept futuriste. C’est déjà le quotidien de centaines de millions de personnes pour qui la Terre est devenue inhabitable. Les déficits récurrents de précipitation et la désertification anéantissent les récoltes pour les uns, les excès pluviométriques réduisent à néant les efforts d’une vie pour les autres.

Conséquence de l’augmentation du niveau des mers, les habitants des petits États insulaires et des zones littorales voient leur périmètre d’existence se contracter chaque année, à l’image de l’appartement de Chloé dans L’Écume des jours de Boris Vian.

Ces victimes du changement climatique – une fois mises en place différentes stratégies d’adaptation – n’ont alors plus d’autre choix que la migration, un déplacement forcé avec toutes les violences que cela entraîne, pour assurer leur survie. Ces dernières années, une statistique prudente annonce que plus de 25 millions de personnes se déplacent ainsi sur la planète suite à des catastrophes naturelles, essentiellement climatiques. Soit près d’une personne par seconde dans le monde. Quatre fois plus de déplacés climatiques que de personnes fuyant les conflits armés.

Le réchauffement climatique ne fera qu’accélérer l’inéluctable. Et personne, peu importe son positionnement géographique, ne semble prêt à accueillir ces martyres de l’Anthropocène.

La vraie question

Nombreux sont ceux qui – et à juste titre – soulignent que le réchauffement climatique n’est pas la seule cause des déplacements forcés de populations.

À ces dérèglements, s’ajoutent des strates de pauvreté, de croissance démographique, d’inégalités sociales, d’accès scandaleusement asymétrique à la ressource, de non-respect des droits humains les plus élémentaires – lorsque l’on rase des forêts primaires sans se préoccuper des peuples indigènes ou de l’effondrement consécutif de la biodiversité.

Certes, Greta Thunberg n’est qu’une « enfant de 16 ans », une « prophétesse de malheur ». Elle n’est peut-être rien d’autre que cette enfant mettant en garde son parent tabagique, répétant ce qu’on peut lire chaque jour sur les paquets de cigarettes : fumer provoque 9 cancers du poumon sur 10, fumer provoque le cancer de la bouche et de la gorge, fumer bouche les artères, fumer provoque des crises cardiaques, des AVC et des handicaps… Jusqu’au jour où le verdict fatal du pneumologue tombe. Elle est comme cette enfant qui dit tout cela à son parent, sans relâche, animée par la peur. Petite et frêle, face à un monde sans pitié.

Mais la question n’est plus de savoir si Greta Thunberg pourra devenir une icône planétaire, ni de savoir si cette « prix Nobel de la peur » (dixit Julien Aubert) aura celui de la paix. Il s’agit de savoir si oui ou non (et, dans l’affirmative, quand) nous allons enfin prendre – collectivement – des mesures sérieuses pour lutter contre le réchauffement climatique.

Bonne canicule et – probablement – à l’année prochaine pour la saison 6, puisque chaque année, depuis 2015, la France subit des vagues de chaleur intense.

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