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Harcèlement sexuel : le secteur de l’hôtellerie particulièrement exposé

Selon une étude, à peine une entreprise française sur cinq avait mis en place des actions de prévention contre le harcèlement en 2014. Dmytro Zinkevych/Shutterstock

Cet article a été co-écrit par Sibylle Pinochet, étudiante à Kedge Business School.


Selon une étude, à peine une entreprise française sur cinq avait mis en place des actions de prévention contre le harcèlement en 2014.

Le harcèlement sexuel n’est pas le seul fait d’hommes puissants, libidineux et désaxés. Si la personnalité des individus joue un rôle important dans son apparition et son développement, il est en partie dû à l’environnement dans lequel il prend racine. Pour preuve, certains secteurs sont plus touchés que d’autres. C’est notamment le cas de l’hôtellerie, qui figure parmi les environnements professionnels les plus impactés aux côtés de l’éducation, du milieu médical et hospitalier, et des forces de l’ordre, selon la Quatrième enquête européenne sur les conditions de travail publiée en 2007 par la Fondation de Dublin.

Comment le harcèlement sexuel empoisonne un environnement de travail

En octobre 2017, Harvey Weinstein, célèbre producteur hollywoodien, est accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles par plusieurs actrices. Cette affaire met en lumière un certain type de harcèlement nommé « Quid Pro Quo ». Il s’agit dans ce cas de faire pression sur une personne en menaçant son emploi ou en lui promettant des avantages dans le but d’obtenir un rapport sexuel.

Toutefois, le harcèlement sexuel peut prendre une autre forme bien plus subtile et difficile à détecter. Cette seconde forme est constituée de différents comportements à connotation sexuelle. La répétition de ces actes qui, pris de manière isolés, peuvent sembler assez anodins, empoisonne l’environnement de travail jusqu’à le rendre hostile et oppressant. Il empêche la personne ciblée d’effectuer correctement son travail, et peut même compromettre sa santé physique et mentale.

Parmi ces agissements, on peut citer : des propositions répétées de rendez-vous, des appels téléphoniques intrusifs, des plaisanteries ou remarques à caractère sexuel, un envahissement de l’espace personnel (frôler, toucher), des affichages pornographiques, des regards appuyés, etc.

Un environnement de travail sexualisé

Le secteur de l’hôtellerie présente un bon exemple de la manière dont un environnement de travail peut être sexualisé et favoriser des comportements déviants. Il comporte en effet trois caractéristiques qui peuvent engendrer du harcèlement sexuel.

D’abord, la majorité du personnel d’étage est composé de femmes, effectuant un travail traditionnellement attribué aux femmes : faire le ménage. Elles sont enfermées dans un rôle défini socialement comme féminin et souvent dans des fonctions situées au pied de la pyramide hiérarchique dans les organigrammes alors que les positions plus élevées sont, dans l’inconscient collectif, réservées aux hommes. Ces stéréotypes, solidement ancrés dans la société, qui veulent que la femme soit soumise et délicate et que l’homme soit fort et agressif, se cristallisent alors dans l’entreprise et peuvent « légitimer » des comportements de harcèlement sexuel.

D’autre part, les femmes de chambre sont généralement obligées de porter un uniforme comme une robe, très peu confortable et mal adapté à leur activité, mais qui rappelle leur statut et qui peut être source de fantasme, à savoir celui de la soubrette. Des femmes de chambre interrogées à ce sujet, dans une étude menée dans plusieurs hôtels 5 étoiles australiens, expliquent que certains clients fantasment à l’idée d’avoir une femme à leur service dans leur chambre. L’uniforme, qui les réduit à l’état d’objet sexuel, les encouragerait dans ce sens.

Enfin, le travail des femmes de chambre est sexualisé et intime par nature car elles évoluent dans l’espace clos et personnel du client : sa chambre à coucher. Dans ce milieu, les employés sont sélectionnés pour leur sens du service et leur capacité à répondre justement à toutes les attentes de ce dernier. De manière assez implicite, on demande aux employés de l’hôtellerie d’être bienveillants, voire séduisants. La ligne entre service et sexualité devient alors très mince et laisse entrer le sexe dans le milieu professionnel.

On touche ici au cœur du problème lorsqu’il s’agit de harcèlement sexuel : la tolérance. Dans certains établissements, les employés ne s’étonnent même plus de subir des avances. Lorsque le sexe s’est ainsi banalisé, il peut devenir source de plaisanterie au sein de certains établissements. Il devient alors difficile de faire la différence entre harcèlement sexuel et « ambiance décontractée ». Au-delà des rapports avec les clients, cette sexualisation de la profession tend donc à favoriser l’apparition de harcèlement au sein même des équipes de travail.

Le « laisser-faire », premier facteur de développement du harcèlement sexuel

L’élément crucial de la lutte contre le harcèlement sexuel reste pourtant la réaction, en interne, des responsables hiérarchiques. Une direction, que ce soit celle d’un hôtel ou de n’importe quelle autre entreprise d’ailleurs, doit se montrer intransigeante sur chaque cas pour ne pas laisser le phénomène se développer.

Mais cette tolérance zéro ne suffit pas : l’entreprise doit également adopter une posture proactive. Des mécanismes existent : formations, mise en place d’une procédure pour porter plainte, aide aux victimes et bien d’autres actions peuvent être mises en place. En 2014, un rapport de l’IFOP révélait que seulement 18 % des entreprises françaises avaient mis en place des actions de prévention contre le harcèlement. C’est par exemple le cas d’AccorHotels et de son programme RiiSE, réseau international en faveur de la diversité. RiiSE a pour vocation de lutter contre les stéréotypes, le sexisme et le harcèlement sexuel à travers du mentoring, des campagnes de communication, de conférences ou d’ateliers de sensibilisation. Dans d’autres secteurs proches de l’hôtellerie, comme celui de la restauration, certaines entreprises s’impliquent elles aussi. Par exemple, le spécialiste de la restauration d’entreprise Sodexo a signé en 2017 un engagement conjoint avec l’UITA (Union International des Travailleurs de l’Alimentation) pour la prévention du harcèlement sexuel.

L’objectif de ces actions est de montrer à tous que l’entreprise prend très au sérieux la question du harcèlement sexuel. Toute personne travaillant dans une organisation doit sentir et comprendre que le respect de la dignité des autres est inscrit dans les valeurs mêmes du groupe. C’est essentiel, car il a été prouvé qu’une victime de harcèlement portera plainte plus facilement si elle est persuadée qu’elle sera prise au sérieux.

De même, un harceleur potentiel, connaissant la position de la direction et les risques qu’il prend, sera moins enclin à importuner une victime potentielle. Il revient donc au top management de faire sortir le sexe de l’environnement de travail, ceci en intégrant la lutte contre le harcèlement sexuel au cœur de ses préoccupations et en communiquant avec conviction à ce sujet.

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