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Hausse des frais bancaires : cachez cette financiarisation que je ne saurais voir…

Le jeu « Bank Robbery ». josip2/Flickr, CC BY

Les frais bancaires sont devenus un élément complémentaire du bilan des banques particulièrement utile en ces temps de forte instabilité financière, car déconnectés du cycle économique.

Depuis plusieurs semaines, une hausse importante des tarifs bancaires est annoncée par les banques. Si certains frais comme les virements sur Internet peuvent baisser selon les établissements, elle atteindra tout de même 13 % en moyenne. Elle concerne notamment la tenue de compte, les retraits déplacés (5 retraits hors de la banque du client) et les cartes bancaires.

Chaque banque mettra à jour ses tarifs mais l’augmentation est générale et nettement supérieure à l’inflation. Par exemple, les Banques populaires accroissent les frais de tenue de compte de 40,7 %, la Banque postale doublera le service de retraits déplacés et la carte de débit immédiat de la Caisse d’épargne coutera 4,32 % de plus (voir meilleurebanque.com).

La nouvelle a reçu un accueil plus que mitigé… Bien entendu, l’AFUB (Association Française des Usagers des Banques) s’indigne à nouveau de cette nouvelle hausse. Et plus intéressant, le syndicat FO-banques a fait un communiqué afin d’encourager les établissements bancaires à être pédagogues, par crainte d’incivilités de la clientèle (sic !).

Pourtant, les mécanismes en œuvre paraissent simples et la logique implacable. Légalement, l’activité bancaire consiste à réceptionner les fonds du public, mettre à disposition des moyens de paiement et octroyer des crédits. Les deux premières missions génèrent relativement peu de revenus.

En revanche, le taux d’intérêt, comme rémunération de la prise de risque lors de l’octroi de crédit, est central pour comprendre le profit bancaire. Or la conjoncture économique serait extrêmement défavorable aux banques et tendrait à affecter la structure de leur chiffre d’affaires. Qu’en est-il réellement ?

Un problème de marché et de clientèle ?

Actuellement, les taux d’intérêt (fixés par la Banque Centrale) sont exceptionnellement bas, d’où des profits bancaires menacés. De fait, les établissements de crédit se « rattraperaient » sur les deux autres sources de revenus qu’ils ont à leur disposition (réception des fonds et gestion des moyens de paiement). Il est vrai que la baisse des taux a été entamée fin 2008 où ils flirtaient avec les 4,25 %. Depuis, les taux du monde entier se sont effondrés et ont atteint 0 % en mars dernier dans la zone euro.

Par ailleurs, se pose également la question de la structure de la clientèle. En effet, le creusement des inégalités transforme les besoins et les profils des clients. Déjà, aux États-Unis, les 0,1 % les plus riches possèdent l’équivalent du patrimoine immobilier des 90 % les plus pauvres. En France, les 10 % les plus riches détiennent 50 % du patrimoine (moyenne OCDE). À l’inverse, les 40 % les moins riches détiennent 2 % pour la France contre… 0 % pour les États-Unis (Observatoire des inégalités et Croissance équitable).

On comprend alors que la gestion patrimoniale prend de l’ampleur par son volume et sa rentabilité alors même que la demande de crédits à la consommation augmente et reste risquée (le spectre des subprimes hante encore les esprits).

De plus, la concurrence fait rage dans le secteur de la banque traditionnelle. D’abord, l’ouverture internationale des années 90 l’a fortement durcie entre les banques elles-mêmes. Ensuite, la grande distribution, les assurances ou les géants d’Internet ont commencé à développer des activités bancaires et représentent une nouvelle concurrence frontale. Enfin de nouveaux acteurs du numérique (les fintechs) menacent le modèle bancaire traditionnel en se montrant très agressifs sur la collecte de l’épargne, notamment des plus riches.

Les parts de marché et la rentabilité des banques fondraient donc bien comme neige au soleil. En témoignent par exemple les systèmes bancaires italien et allemand. Ceux-ci montrent des signes de fragilité persistants et ne rassurent en rien sur les banques européennes. Et ce alors que la BCE vient de rejeter la demande de délais pour la recapitalisation de Monte Paschi, et que les exigences des nouvelles normes prudentielles renforcent les besoins en fonds propres, dégradant ainsi leur rentabilité.

Une dynamique de secteur portée vers toujours plus de rentabilité financière

Ceci dit, les chiffres d’affaires des banques (le produit net bancaire) ne s’annoncent pas si catastrophiques. Ils connaissent une hausse continue depuis quinze ans et cette année n’échappe pas à la règle. Les crédits aux entreprises (les plus rentables par leurs montants, leurs échéances, leurs garanties, etc.) repartent et se profile un relèvement des taux.

En réalité, le secteur bancaire a tourné le dos depuis longtemps à ses activités traditionnelles jugées de moins en moins rentables. En effet, ce secteur connaît de profondes évolutions qui justifient en partie une réorientation vers d’autres activités (comme l’assurance ou l’immobilier). Mais les opportunités de plus-value des activités financières expliquent en grande partie la transformation des banques, toujours plus présentes sur les marchés financiers.

En 2009, A. Turner (président de la Financial Services Authority) soulignait déjà que les revenus des banques britanniques ne provenaient qu’à hauteur de 15 % des crédits bancaires. En 2012, le rapport Liikanen de la Commission européenne (Rapport Liikanen) estimait la part des crédits dans l’actif des banques à 23 % en France et à 28 % pour celles de l’Union européenne.

Si la question des frais bancaires devient secondaire, d’où vient alors la « nécessité » d’augmenter les frais bancaires, si ce n’est d’un système financier dont les normes de rentabilité sont devenues si exigeantes qu’elles ne transigent pas avec un fléchissement voire un ralentissement de la rentabilité, même si cette dernière est assurée ? Plus que toute autre entreprise, la banque s’impose des rendements effrénés.

Moteur de la financiarisation, la banque incarne parfaitement ce phénomène de prolifération financière et de domination de la finance sur l’industrie. La finance en tant qu’outils, pratiques, activités et objectifs a désormais supplanté le métier purement bancaire. Ce dernier n’est plus qu’une variable d’ajustement dans la stratégie des établissements bancaires, les frais bancaires devenant un élément complémentaire du bilan particulièrement utile en ces temps de forte instabilité financière, car déconnectés du cycle économique.

Faudra-t-il alors un jour en France que le client d’une banque paie, comme dans certains pays anglo-saxons, pour avoir le privilège de prendre un rendez-vous avec son banquier ?

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