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Hôpital : financement au parcours de soins, l’humain avant l’outil

À la Pitié Salpetrière comme ailleurs, sale temps pour l'hôpital… Marie-Lan Nguyen/Wikimedia, CC BY-SA

La situation financière des hôpitaux français s’est très fortement dégradée en 2017, comme en témoignent les premières estimations remontées aux Agences régionales de santé (ARS) par les établissements. Le déficit total serait de 1,5 milliard d’euros, soit 2 % des budgets hospitaliers, alors qu’il n’était que de 470 millions d’euros en 2016.

Même si ces chiffres s’expliquent d’abord par l’impact des plans annuels d’économie décidés par les gouvernements successifs (près de 3 milliards d’euros en trois ans), le mode de financement des hôpitaux français par la Tarification à l’Activité (T2A) est régulièrement décrit comme la « courroie de transmission » de ces situations déficitaires.

Parcours de soin : une idée séduisante

Avant sa mise en place, au milieu des années 2000, les hôpitaux bénéficiaient tous d’une dotation globale de l’état, qui ne tenait pas compte de leur activité. Depuis cette date, les établissements sont dotés en fonction des actes qu’ils accomplissent effectivement. Ce changement aurait eu divers effets délétères : augmentation des cadences de travail, diminution des durées de consultations, actes à l’utilité discutable, etc.

À plusieurs reprises en 2018, le président Macron, puis, très récemment, sa ministre de la Santé (Agnès Buzyn), ont suggéré le passage à d’autres types de financement, dont celui au parcours de soins.

Il s’agirait de ne plus rembourser les hôpitaux en fonction d’un volume annuel d’activités disparates (soins médicaux et médico-techniques, hébergement, restauration, etc.), mais sur la base d’un ensemble cohérent d’activités médicales (hospitalisation, radiologie, chirurgie) et para-médicales (hébergement, soins de suite et de réadaptation), par type de pathologie et de patient. L’idée est intellectuellement séduisante mais, sur le plan pratique, peu de travaux ou d’expériences permettent de définir comment ce mode de financement pourrait se mettre en œuvre.

Se pose d’abord un problème méthodologique. En effet, dans la pratique, c’est le mode de financement qui définit le soin avec, dans le cas de la T2A, des effets imprévus initialement mais désormais bien documentés : tandis que d’un côté, les soins jugés « non rentables » subissent une limitation, de l’autre, les activités médicales les plus rentables ou, du moins, les mieux remboursées, se développent. Il semble donc impératif que le contenu du « parcours » soit défini avant de déterminer son mode de financement, afin d’éviter de renouveler les erreurs du passé.

La T2A, victime de sa généralisation

Le financement des établissements de santé à l’activité s’est d’abord développé aux États- Unis avec le PPS (prospective payment system), mis en œuvre dès 1983. Ceci a surtout généré une vaste réorganisation au niveau des institutions (fusions, absorptions, réseaux, etc.) sans provoquer de réels changements en matière de prise en charge des patients et d’amélioration des processus de soins.

À partir de 2005, la France a également et progressivement introduit un système de tarification à l’activité (T2A) pour financer ses établissements de santé. Le principe de base de la T2A consiste à payer les établissements en fonction de leur activité mesurée par groupe homogène de malades (GHM).

Comme tout système de financement, la T2A est confrontée au défi de la cohérence entre maintien de la qualité clinique et soutenabilité économique. Elle pose deux problèmes : sa volonté de faire payer un prix fixe, indexé sur des coûts moyens observés et communs à l’ensemble des établissements, ne tient pas compte des spécificités locales (non prise en compte des différents niveaux d’équipement médical de chaque hôpital ou de la situation socio-économique spécifique de leur patientèle). L’autre difficulté majeure liée à la T2A est l’« inflation médicale » : elle incite les établissements à augmenter leur activité tout en transférant une partie de leurs coûts vers les soins de suite ou à domicile.

Le financement des hôpitaux, victime de l’effet réverbère

L’ambition du régulateur (ministère de la Santé) était, à travers la T2A, de faciliter la coordination des acteurs de la santé à partir d’un système de financement détaillé, proche de l’activité. Néanmoins, dans la pratique, très peu d’avancées ont été obtenues quant à l’analyse fine des parcours des malades et de l’organisation des processus de soins.

Des investigations scientifiques très récentes, menées dans plusieurs établissements hospitaliers publics français, démontrent que ce sont les manières dont les activités et les services hospitaliers sont pilotés qui limitent en grande partie l’évolution vers un financement au parcours de soins. Les unités de soins (pôles et services) sont les seuls éléments dont les recettes (et plus rarement le coût…) sont mesurés. Il s’agit là des conséquences de l’effet réverbère“, bien connu en management : l’attention des gestionnaires hospitaliers se concentre sur ce qui est mesuré plutôt que sur ce qui est important ou pertinent.

Des instruments de gestion peu adaptés

Les établissements hospitaliers publics français sont avant tout « malades » de leurs outils de gestion et des directives de gestion qui y sont associées (notamment celles des Agences Régionales de Santé).

Seule une révision complète de ces instruments pourrait permettre d’orienter ladite gestion en direction des parcours de soins, comme le suggéraient pourtant les dernières réformes hospitalières (loi HPST et loi Santé 2016).

En effet, l’ENCC (échelle nationale des coûts à méthodologie commune) et le retraitement comptable (RTC) au niveau national, la comptabilité analytique hospitalière (CAH) et les Comptes de Résultat par Activités (CREA) au niveau des établissements, orchestrent une gestion des établissements de santé centrée exclusivement sur l’unité de soin et ses activités.

Or, financer au parcours de soins impose assurément un redécoupage transversal des activités d’un hôpital en mesure de décrire des parcours par type de pathologie et de patients. C’est une révolution organisationnelle qui, dans le cas de la centralisation du modèle médical français, sera sans doute poussée d’en haut mais mise en œuvre en bas, à proximité du patient et des activités. Cette réorganisation suppose d’abord de savoir de quoi on parle quand on évoque les parcours de soins.

Financement au parcours de soins : une approche progressive et concertée

Financer le système de santé par les parcours de soins impose d’intégrer l’ensemble des acteurs de santé dans l’architecture organisationnelle. En positionnant le patient sur son parcours en fonction de ses caractéristiques socio-démographiques (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, lieu de résidence), il est possible de commencer à tracer des parcours par pathologie et par groupe homogène de patients. Procéder autrement reviendrait, au lieu de les réduire, à développer les inégalités d’accès aux soins pour les patients et les activités non rentables pour les acteurs de la santé.

Le gouvernement et le ministère de la Santé en sont-ils conscients ? Probablement. Sont-ils capables de proposer une réforme prenant en compte ces pré-requis ? Plus difficilement, faute surtout de moyens et de temps.

Le risque est grand de voir apparaître une nouvelle réforme partielle et insatisfaisante qui ne réglera les problèmes actuels des hôpitaux français (déficits comptables croissants, manque d’effectif, déserts médicaux, burnout des personnels) que de manière très marginale.

Dans les établissements, les effets de la T2A sont désormais quelque peu lissés, grâce à l’investissement considérable des personnels et à la nécessaire indulgence des patients. Afin d’éviter de construire une nouvelle « usine à gaz » du financement des hôpitaux français, osons prendre le temps de la réflexion autour des attentes des patients et des personnels, tout en stimulant les recherches et les réflexions en matière de gestion des établissements.

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