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Le disque d'accrétion du trou noir M87* imagé par l'Event Horizon Telescope. Event Horizon Telescope, CC BY-SA

Horizon, ombres et lumière : secrets de trous noirs

L’année 2019 sera, pour l’histoire, marquée… d’un trou noir. En avril dernier, en effet, la première image de cet objet céleste très mystérieux a été révélée. Réaction logique : ne pas y croire. Car un trou noir, par définition, n’émet pas de lumière. Alors comment peut-on imaginer en observer une image ? Passons ensemble en revue cinq questions qui nous permettront de mieux comprendre ce que cette fameuse image signifie : qu’est-ce qui caractérise un trou noir ? Comment se forment et où se trouvent les trous noirs dans l’univers ? Qu’est-ce qui émet de la lumière près d’un trou noir ? Comment la présence du trou noir se traduit-elle sur l’image obtenue ? Et enfin : comment observer cette image ?

Parmi les innombrables membres du bestiaire astronomique, le trou noir est un objet très particulier. Il n’est pas constitué de matière. Pour le définir, les scientifiques utilisent la géométrie. Un trou noir est un lieu géométrique défini par la présence d’une frontière mathématique appelée l’horizon des événements. Rien ni personne ne peut s’en échapper, pas même la lumière qui est pourtant la particule messagère la plus véloce de l’Univers. D’où la justification de l’épithète : un trou noir est, effectivement, noir, vu qu’aucune lumière ne peut s’en échapper.

Trous noirs stellaires et supermassifs

Si la définition du trou noir est purement géométrique, il est possible de « créer » un trou noir à partir de matière normale, en la compressant dans un espace suffisamment petit. Ainsi, je peux moi-même être transformé en trou noir pour peu qu’on prenne la peine de me comprimer dans une sphère de rayon égale au dix milliardième de la taille d’un proton. Il faut donc des conditions extrêmes pour former des trous noirs, ce qui explique leur absence de notre quotidien.

Les étoiles massives, lorsqu’elles terminent leur vie en explosant sous forme de supernova, peuvent donner naissance à un trou noir dont la masse est de l’ordre de 10 fois la masse du Soleil. On parle alors de trous noirs stellaires, pour garder en mémoire le processus de fabrication. Notre Galaxie abrite ainsi des millions de trous noirs stellaires, qui ne sont autres que des cadavres d’étoiles massives.

Durant le processus de formation d’une galaxie, du gaz peut s’effondrer en son centre pour former un trou noir qui grossira avec le temps pour former aujourd’hui un trou noir supermassif, affichant jusqu’à 10 milliards de fois la masse du Soleil.

Notre Galaxie abrite un tel monstre en son centre : Sagittarius A*, qui est un poids plume de 4 millions de fois la masse du Soleil. Il est probable que chacune des centaines de milliards des grandes galaxies de l’Univers abrite un tel trou noir supermassif. C’est en tout cas le cas pour la galaxie M87, sujet de la fameuse image publiée le 10 avril dernier : elle abrite en son sein un poids lourd de 6 milliards de fois la masse du soleil, que les astronomes ont décidé, dans un élan remarquable de créativité linguistique, de nommer M87*.

Émission lumineuse à proximité d’un trou noir

Si un trou noir n’émet pas de lumière par lui-même, il est fréquent de rencontrer des trous noirs sociables, qui aiment à s’entourer de matière normale, susceptible d’émettre un rayonnement. Un trou noir n’est pas seulement le grand aspirateur cosmique que l’on s’imagine généralement. De la matière (des électrons et des protons) peut se maintenir en orbite autour du trou noir, et « spiraler » lentement vers l’horizon des événements, laissant amplement le temps à l’émission de lumière pendant ce trajet.

C’est le cas du trou noir M87*. Il est accompagné d’un flot de gaz qui l’entoure à la manière d’un doughnut, tournant et s’échauffant de plus en plus au fur et à mesure que l’on s’approche de l’horizon des événements. Aux abords mêmes du trou noir, l’interaction complexe entre ce flot de matière, le trou noir et le champ magnétique ambiant crée les conditions voulues pour donner naissance à un puissant jet de matière qui s’échappe sur des distances considérables. On comprend qu’on est vraiment très loin du trou noir-aspirateur !

Effet du trou noir sur la lumière émise

La lumière émise par le flot de gaz entourant M87* ne se déplace pas en ligne droite comme le ferait de la lumière émise par un phare de voiture. Les trajectoires lumineuses sont violemment courbées par la présence du trou noir, ce qui distord considérablement l’image obtenue. Regardez l’image, ci-dessous, de la Halle aux draps de Cracovie : imagée au naturel dans l’encart du haut, et en ajoutant un trou noir dans l’encart du bas. On constate en particulier que certains éléments de la Halle apparaissent plusieurs fois à des endroits différents de l’image. On comprend ainsi la grande difficulté d’interprétation lorsque le sujet photographié (les environs de M87*) est très mal connu.

Halle aux draps de Cracovie. Auteur, Author provided

Dans la région la plus interne, tout près de l’horizon des événements, la lumière peut s’enrouler autour du trou noir avant de s’échapper pour rejoindre l’observateur sur Terre. Ce processus crée une structure brillante de forme annulaire dans l’image obtenue, que l’on appelle anneau de photons (rappelons que les photons sont les corpuscules élémentaires formant la lumière). Elle entoure une région sombre, appelée ombre du trou noir. Cette diminution d’intensité est due à la présence du trou noir qui capture la lumière s’approchant trop près de son horizon des événements. Considérons un doughnut de matière chaude entourant un trou noir. Une photographie de cet objet montrera une structure en anneau qui correspond à ce que l’on appelle l’image primaire du doughnut, qui est relativement peu déformée. Au centre de la photo, une structure circulaire apparaîtra : l’anneau de photons, image hautement déformée du doughnut. La région entourée par cet anneau de photon est sombre, c’est l’ombre du trou noir. Ces différents éléments sont représentés dans l’image ci-dessous, qui est le résultat d’un calcul.

Image d’un trou noir. Auteur, Author provided

Une harmonique de l’image du trou noir

Pour observer réellement une telle image, un appareil photo n’est forcement pas suffisant. La collaboration internationale Event Horizon Telescope a travaillé pendant plus de 10 ans pour réussir à mettre au point l’instrument nécessaire à l’obtention d’une image de trou noir. L’énorme difficulté de l’opération vient du fait que même les plus gros trous noirs ont une taille apparente (telle que vue depuis la Terre) extrêmement petite (parce qu’ils sont très loin). De l’ordre de la taille d’un pamplemousse sur la Lune vu depuis la Terre !

Pour observer un objet si ridiculement petit, il est nécessaire d’utiliser plusieurs télescopes répartis sur l’ensemble de la planète et mis en réseau. Ces différents télescopes permettent chacun d’avoir accès à une (petite) partie de l’information contenue dans l’image. Utilisons une comparaison dans le domaine acoustique. Un son réel (par exemple une cloche qui sonne) peut se décomposer en une superposition de sons purs, simples, qu’on appelle des harmoniques. Il en va de même pour une image. Chaque couple de télescopes de l’Event Horizon Telescope permet d’accéder à une harmonique de l’image du trou noir. À partir du petit nombre d’harmoniques observées par le réseau, il a fallu utiliser des algorithmes sophistiqués pour retrouver l’image complète sous-jacente. Le résultat final est l’image en tête de cet article, qui a abondamment circulé depuis le 10 avril (et qui n’a donc rien à voir avec une photographie au sens usuel du terme).

On reconnaît sur l’image les traits caractéristiques évoqués plus haut : la zone sombre centrale (l’ombre du trou noir), entourée d’une structure annulaire. Cette structure est la superposition de l’anneau de photon et de l’image primaire du flot de gaz entourant le trou noir, que la résolution de l’Event Horizon Telescope ne permet pas de séparer, au contraire de l’image calculée plus haut.

Cette image est un résultat majeur pour la physique des trous noirs. Elle est en parfait accord avec les prédictions de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Pour les scientifiques, prendre en défaut cette fameuse théorie est le Graal de l’astrophysique relativiste : il faudra encore attendre pour y parvenir !

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