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Hybridité : pourquoi les banques mêlent-elles modèle coopératif et capitaliste ?

La communication du Crédit mutuel, présent sur les marchés financiers mondiaux depuis 1998, insiste sur son identité de banque coopérative. François Goglins / Wikimedia commons, CC BY-SA

Les groupes bancaires coopératifs français ont mélangé logiques coopérative et capitaliste espérant ainsi accroître la valeur créée tout en renforçant leur aptitude à mieux résister aux agressions internes et externes. Le simple énoncé de cet ambitieux programme témoigne des risques encourus et par exemple celui de la perte d’identité et donc de sens.

Lorsque les trois groupes bancaires coopératifs français ont décidé de s’adjoindre « des véhicules cotés » en bourse, Crédit agricole (1988 et 2001), BPCE (1998 et 2009) et Crédit mutuel (1998 – 2017), ils manifestaient la volonté d’entrer sur les marchés financiers mondiaux pour suivre le développement de leurs clients.

Ils prenaient aussi le risque d’une dilution de leur identité de coopérateurs. À ce propos, et en termes de communication, on peut rappeler l’insistance du Crédit mutuel à souligner « qu’une banque qui appartient à ses clients, ça change tout ». Mais les problèmes d’image apparaissent souvent beaucoup plus complexes qu’ils ne le semblent de prime abord.

Résilience accrue

Pour la majorité des chercheurs, le flou identitaire apparaît comme un danger. Le stratège doit donc apporter une attention particulière à la netteté de l’identité de son entreprise, et freiner toute tendance à sa dilution, l’ambiguïté en résultant ayant un prix : la perte de sens.

Pour d’autres ce raisonnement intuitivement convaincant ne l’est pourtant pas quand on analyse la réalité des comportements stratégiques. Le flou identitaire pourrait être interprété comme une offre de visions alternatives des réalités de l’entreprise en montrant la potentialité des services qu’elle peut fournir à ses clients.

Si tel est le cas, les contradictions identitaires peuvent faire partie de l’ensemble de la réponse hybride de l’organisation aux pressions contradictoires de son environnement. Nous insistons sur ce point dans nos travaux de recherche en montrant le caractère à la fois dynamique et cohérent de cette stratégie.

Il apparaît aujourd’hui que les groupes bancaires coopératifs français se sont habilement saisis de ce type de réponse, non seulement pour assurer leur développement mais aussi pour répondre aux besoins de leurs sociétaires et clients. Ainsi, tout en maintenant leur statut coopératif (malgré l’hostilité de Bruxelles), ils ont su créer des effets d’hétérosis (accroissement de la valeur créée et résilience accrue aux crises).

Certes, les travaux d’Ory et Lemzeri en 2012 ont montré que les banques coopératives, dans un premier temps, n’avaient pas fait mieux que les banques commerciales, notamment au moment de la crise financière de 2008. Par contre, quelques années plus tard, un avantage apparaît au profit du secteur coopératif. On peut supposer que les stratégies d’hybridation y sont pour quelque chose et après une inévitable période de rodage, portent aujourd’hui leurs fruits. L’avenir montrera si cet avantage est durable.

L’hybridité organisationnelle, une stratégie délibérée

L’une des caractéristiques de ce type de complexité est l’ensemble, sans cesse renouvelé, des signaux contradictoires qui en émane pour les entreprises. Ces dernières doivent ainsi décrypter et traiter dans leurs réponses stratégiques de véritables injonctions paradoxales qui auraient pu les déstabiliser.

Les exemples de ces dernières sont multiples :

  • exigence d’une forte rentabilité à court terme, et en même temps, incitation aux politiques d’investissements à long terme garantes de développements futurs ;

  • prise en compte de dimensions financières mais en même temps exigences de dimensions sociales et environnementales ;

  • promotion des valeurs de proximité mais en même temps focalisation de l’attention sur les potentialités de la mondialisation ;

  • pressions à la numérisation et à la robotisation de l’organisation tout en mettant l’humain au centre du processus productif ;

  • centralisation du pouvoir pour assumer la croissance de dimension, mais incitation à l’autonomie de la périphérie pour garantir des effets d’agilité…

Si ces exemples d’injonctions paradoxales concernent les entreprises de tous les secteurs, d’autres sont spécifiques à telle ou telle activité. Ainsi, dans le domaine bancaire rappelons les pressions à l’obligation de solvabilité (Accords de Bâle), et en même temps les incitations des pouvoirs publics à des politiques de crédits bancaires plus audacieuses.

Les dirigeants inspirés d’une approche cartésienne des problèmes peuvent tenter de résoudre séparément ces différents paradoxes. La stratégie d’hybridité organisationnelle apparaît en revanche conçue comme processus permanent d’hybridation en réponse globale à un environnement complexe, peu lisible du fait des contradictions qu’il comporte.

Ainsi, le terme d’hybridité très récemment introduit dans les stratégies anti-Covid-19 reflète une volonté de ne pas hiérarchiser logique sanitaire et logique économique, mais de traiter en même temps ces deux logiques en assumant les risques qui en résultent.

Oser l’intégration des contraires dans le management d’une organisation, devient alors une réponse globale à la complexité croissante d’un environnement difficile à décrypter. En termes plus concis, l’hybridité organisationnelle peut se résumer à l’idée suivante : « Un contradictoire interne construit en réponse stratégique à un contradictoire environnemental imposé ». Telle est du moins l’interprétation que nous formulons du choix de l’hybridité par les banques coopératives françaises.

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