tag:theconversation.com,2011:/id/topics/citoyennete-23094/articlescitoyenneté – The Conversation2024-01-28T16:06:21Ztag:theconversation.com,2011:article/2212662024-01-28T16:06:21Z2024-01-28T16:06:21ZAvec l’écopédagogie, repenser l’éducation au développement durable<p><a href="https://theconversation.com/quelle-ecole-dans-un-monde-en-surchauffe-208152">L’éducation au développement durable</a> concentre de plus en plus d’attentions et s’est fait une place dans les programmes scolaires. Elle se focalise souvent sur les responsabilités individuelles, en incitant les jeunes à changer d’attitudes et de comportements, à travers notamment les écogestes – le tri des déchets, par exemple à la cantine.</p>
<p>Avec une telle approche, comme l’observent Angela Barthes et Yves Alpe, professeurs en sciences de l’éducation, « la <a href="https://shs.hal.science/halshs-00963810/document">question de la responsabilité des systèmes de production dans les atteintes à l’environnement</a> est peu abordée » alors qu’elle est déterminante si l’on veut changer la situation à grande échelle.</p>
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<a href="https://theconversation.com/etre-eco-delegues-au-college-ou-au-lycee-quels-moyens-daction-195979">Être éco-délégués au collège ou au lycée : quels moyens d’action ?</a>
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<p>À la frontière entre la philosophie, les sciences sociales et la didactique, un champ de recherche se développe pour permettre à chacun de mieux se repérer dans tous les <a href="https://journals.openedition.org/vertigo/28518">enjeux relatifs à l’environnement</a>, notamment les questions de justice sociale. Arrêtons-nous sur l’un de ses courants, l’écopédagogie, qui propose une autre approche aux citoyens et citoyennes.</p>
<h2>L’écopédagogie, de l’Amérique latine aux États-Unis</h2>
<p><a href="https://www.bloomsbury.com/uk/ecopedagogy-9781350083790/">L’écopédagogie</a> est un courant de la recherche en éducation qui est apparu en Amérique latine dans la deuxième moitié des années 1990, <a href="https://lecourrier.ch/2018/08/03/leco-pedagogie-une-conscience-planetaire/">d’abord au Costa Rica, avec Cruz Prado et Fernando Gutierrez</a>, puis au Brésil avec Moacir Gadotti de l’Institut Paulo Freire. La <a href="https://www.questionsdeclasses.org/la-charte-de-l-ecopedagogie/">Charte de l’écopédagogie</a>, en 1999, met en avant la nécessité de développer une conscience planétaire seule à même de pouvoir prendre en compte les défis écologiques.</p>
<p>L’écopédagogie se situe dans la continuité de l’œuvre du pédagogue brésilien <a href="https://theconversation.com/les-enseignements-de-paulo-freire-un-pedagogue-toujours-actuel-73079">Paulo Freire</a> qu’elle entend compléter en y intégrant la dimension environnementale. Paulo Freire, en particulier dans son ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/lectures/53295"><em>Pédagogie des opprimés</em></a>, a avancé l’idée que l’éducation devait favoriser la conscience sociale critique. C’est ce qu’il appelle la conscientisation, tournée vers la prise de conscience des injustices sociales. Cela a donné lieu au développement des pédagogies critiques.</p>
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<img alt="Fresque représentant Paulo Freire, père des pédagogies critiques" src="https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fresque représentant Paulo Freire, père des pédagogies critiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Painel.Paulo.Freire.JPG">Luiz Carlos Cappellano, via Wikimedia</a></span>
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<p>Néanmoins, aussi bien en Amérique latine qu’aux États-Unis se sont constitués des mouvements sociaux qui ont lié les questions environnementales et les questions sociales. L’économiste <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2015-2-page-90.htm">Joan Martinez Alier</a> a ainsi parlé pour l’Amérique latine d’écologie des pauvres. Aux États-Unis, c’est le mouvement pour la <a href="https://www.academia.edu/31821047/Les_enjeux_du_Vert_en_Noir_et_Blanc_racisme_environnemental_et_antiracisme_critique_en_contextes_de_racialisation">justice environnementale</a> qui a mis en lumière les liens entre inégalités sociales et les nuisances environnementales.</p>
<h2>Articuler écologie anthropocentrée et écologie non anthropocentrée</h2>
<p>Le chercheur en écopédagogie <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LAdhj--3qnA">Greg Misiaszek</a> a développé une philosophie de l’éducation écopédagogique où il établit une distinction conceptuelle entre le monde et la planète.</p>
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<li><p>Le monde désigne la sphère anthropocentrée. La question de l’environnement y est abordée à partir des intérêts humains. La pédagogie critique et le mouvement de la justice environnementale se situent à ce niveau. Ils sont tournés vers des préoccupations de justice sociale relativement aux êtres humains.</p></li>
<li><p>La planète désigne la sphère non anthropocentrée, celle des vivants non humains. Il faut signaler que l’écopédagogie repose sur une écologie biocentrée, ce qui veut dire qu’elle considère la planète Terre comme un grand organisme vivant. Elle s’appuie sur <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-hypothese-gaia-de-james-lovelock-theorie-influente-et-controversee-1824581">l’hypothèse Gaia</a>.</p></li>
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<p>À cette première distinction conceptuelle est liée une autre, celle entre les opprimés et les dominés.</p>
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<li><p>Les opprimés désignent les groupes sociaux humains qui souffrent des inégalités sociales. Les opprimés sont capables d’autoréflexion et d’une prise de conscience qui peut les conduire à devenir des sujets de la transformation sociale.</p></li>
<li><p>Les dominés désignent les vivants non-humains. Contrairement aux êtres humains, les vivants non-humains ne peuvent pas produire d’injustices, en revanche ils peuvent souffrir des injustices produites par les humains.</p></li>
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<p>L’articulation de ce qu’on appelle l’écologie anthropocentrée et l’écologie non anthropocentrée est l’enjeu de l’écopédagogie. Cette dernière pense la sphère humaine comme une dimension de la sphère planétaire.</p>
<h2>Qui souffre et qui profite des atteintes à l’environnement ?</h2>
<p>L’écopédagogie propose une réflexion philosophique et pédagogique sur les différents niveaux de justice qui sont enchevêtrés lorsqu’on réfléchit aux questions environnementales.</p>
<p>Une première dimension consiste à affirmer que ce sont les êtres humains dans leur ensemble qui souffrent par exemple du changement climatique. C’est en cela que l’écopédagogie suppose une conscience planétaire. Mais, on peut ajouter que la réflexion doit prendre en compte également les générations humaines futures.</p>
<p>Néanmoins, il est en outre possible de réfléchir au fait que les dégradations environnementales ne touchent pas autant tous les groupes sociaux. C’est ce que les sciences humaines et sociales étudient sous le nom d’inégalités environnementales en relation avec les inégalités sociales. L’économiste <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pages-chercheurs/page.php?id=18">Laurent Eloi</a> parle ainsi de social-écologie.</p>
<p>Ces deux dimensions doivent être prises en compte, mais elles abordent néanmoins la question environnementale uniquement au prisme des intérêts humains. C’est pourquoi l’écopédagogie intègre dans sa réflexion la souffrance animale et l’impact sur la planète Terre qui subit également une souffrance en tant qu’organisme vivant.</p>
<p>La seconde perspective de réflexion de l’écopédagogie est de poser la question de qui profite des dégradations environnementales. À un premier niveau, il est possible de dire que ces dégradations sont faites au profit de l’ensemble de l’humanité. On pourrait même parler d’anthropocène pour signifier ici que c’est l’ensemble de l’humanité qui profiterait de ces dégradations au détriment des vivants non-humains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/anthropocene-ou-anthro-probleme-une-question-detymologie-et-surtout-dechelle-220232">Anthropocène… ou anthro-problème ? Une question d’étymologie et surtout d’échelle</a>
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<p>Mais, il est également possible de resserrer encore la focale pour s’intéresser, à ce que par exemple le géographe <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/103447-003-A/climat-qui-a-allume-le-feu/">Andréas Malm</a>, appelle le capitalocène, c’est-à-dire à l’impact qu’ont plus spécifiquement le mode de vie des classes sociales supérieures et le fonctionnement du système capitaliste.</p>
<p>L’écopédagogie s’intéresse à la manière dont il est possible de développer la conscience citoyenne des différents niveaux de justice sociale et écologique. Cette approche à plusieurs enjeux. Elle vise par exemple à ne pas prendre en compte que la perspective relevant des modes de consommation individuels pour se pencher aussi à des éléments structurels socio-économiques, mettant notamment en lumière l’impact des dégradations environnementales sur les groupes les plus socialement minorisés.</p>
<p>Au lieu de partir d’injonctions ou de modes d’emploi, l’écopédagogie remet le citoyen au centre de la réflexion en lui donnant les moyens de comprendre les tenants et les aboutissants des controverses en écologie. Elle permet à chacun et chacune de se repérer dans les différentes thèses concernant les êtres impactés par les dégradations environnementales et les groupes humains qui ont le plus d’impact. L’objectif est d’ouvrir des discussions sur le caractère contradictoire de ses différentes thèses ou leur possible articulation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221266/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Pereira est membre du Conseil Mondial des Instituts Paulo Freire et du Conseil scientifique de la collection Freire Focus des Editions Bloomsbury</span></em></p>En mettant l’accent notamment sur les écogestes, l’éducation au développement durable tend à se focaliser sur les responsabilités individuelles. L’écopédagogie propose de changer d’angle de réflexion.Irène Pereira, Professeure des Universités en sciences de l'éducation et de la formation, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2209922024-01-16T16:23:25Z2024-01-16T16:23:25ZRéimaginer des horizons politiques en Israël/Palestine<p>Aux heures les plus sombres, tentons d’écouter les rossignols qui chantent encore, qu’on les dénomme <em>balâbil</em> (en arabe) ou <em>zmirim</em> (en hébreu). Alors que les massacres et les bombardements engendrent leurs cortèges de morts, de souffrances, de haines et d’appels à la vengeance dans l’espace israélo-palestinien et au-delà, il est indispensable de poser – une énième fois – la question du règlement politique d’un conflit dont les racines remontent à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Le mantra de la « solution à deux États »</h2>
<p>Durant ces trente dernières années, la <a href="https://www.cairn.info/israel-palestine-une-guerre-sans-fin--9782200633691-page-135.htm">« solution à deux États »</a> s’est transformée d’un dispositif politique contesté mais envisageable au moment de la signature des accords d’Oslo (1993) à un outil rhétorique <a href="https://www.cairn.info/moyen-orient--9791031803364-page-193.htm">déconnecté des réalités de terrain</a>, qui ne cesse pourtant d’être réitéré comme un leitmotiv par les acteurs de la diplomatie internationale. Mais de <em>quelle</em> solution à deux États parle-t-on ?</p>
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<p>Comme <a href="https://doi.org/10.3917/pe.133.0011">l’affirmait l’intellectuel palestinien Sari Nusseibeh en 2013</a> – et comme l’ont affirmé bien d’autres avant et après lui –, la création de deux États selon les frontières « de 1967 » (lignes du cessez-le-feu qui, à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, dessinèrent les contours de la Cisjordanie annexée par la Jordanie et de la bande de Gaza contrôlée par l’Égypte) n’est plus une option réaliste, notamment à cause de la <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/israel/israel-palestine-comment-la-colonisation-juive-a-torpille-la-solution-a-deux-etats-6b4d4922-7288-11ee-a00f-d55111ba52f2">colonisation juive massive en Cisjordanie</a> depuis la conquête israélienne de 1967.</p>
<p>On peut aisément avancer qu’elle ne l’a jamais été : la discontinuité territoriale entre la Cisjordanie et la bande de Gaza empêche de penser sérieusement un État palestinien dans ces espaces, avant même de prendre en considération le <a href="https://journals.openedition.org/bcrfj/6291">morcellement interne de la Cisjordanie</a> impulsé par les accords d’Oslo (zones A, B, C) puis par les dispositifs de contrôle israéliens mis sur pied lors de la seconde Intifada (2000-2005).</p>
<h2>Pragmatisme et référendum populaire</h2>
<p>Adoptons une perspective pragmatique. La population qui vit entre la Méditerranée et le Jourdain – dans un territoire deux fois plus petit que la Suisse – a été multipliée par 20 en un siècle, atteignant aujourd’hui 15,3 millions d’individus – grosso modo 50 % de Juifs et 50 % d’Arabes.</p>
<p>Cinq générations successives ont été traversées par le conflit. Combien de générations devraient encore en subir les effets dévastateurs ? Les Israéliens ne « retourneront » pas en Russie, en Pologne, en Allemagne, en Irak, au Yémen, au Maroc ou en Iran, pas plus que les Palestiniens qui vivent encore en Israël/Palestine de nos jours ne s’exileront en Égypte, en Jordanie, au Liban ou en Arabie saoudite. Moins que la quantité des ressources foncières et hydriques disponibles, c’est <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Eau-et-conflits-dans-le-bassin-du-Jourdain.html">leur répartition et leur appropriation</a>, clairement favorables à Israël, qui posent problème.</p>
<p>La violence insoutenable de la séquence entamée le 7 octobre 2023 et, plus structurellement, le déni de reconnaissance politique et les violations de droits que subissent les Palestiniens depuis le début du mandat britannique (1920-1948), mais aussi le sentiment de menace existentielle qui pèse sur une société israélienne isolée au sein d’un environnement arabe hostile, doivent conduire à imaginer des solutions concrètes, inévitablement fondées sur le compromis.</p>
<p>Le plus grand défi est l’adhésion d’une majorité d’Israéliens et de Palestiniens à la possibilité d’un dialogue, sinon à une vision commune. Sari Nusseibeh et Ami Ayalon s’étaient heurtés à cet obstacle en 2003 dans le cadre de leur initiative <a href="https://web.international.ucla.edu/institute/article/5056">« The People’s Voice »</a> visant à recueillir un million de signatures de part et d’autre en soutien à la solution classique à deux États ; ils en avaient obtenu un dixième à l’époque. Mais les immenses dégâts causés par le conflit, dans le quotidien aussi bien que sur la longue durée, ne pourraient-ils pas convaincre une masse critique de la nécessité d’un compromis politique, pour enfin vivre en paix sur cette terre si (trop ?) riche d’histoires, de cultures et d’énergies humaines ?</p>
<p>Imaginons un référendum populaire organisé par une instance internationale auprès des Israéliens et des Palestiniens. Les votants, qui devraient remplir deux conditions pour participer au référendum (détenir la citoyenneté israélienne ou palestinienne <em>et</em> résider entre la Méditerranée et le Jourdain), seraient invités à se prononcer en faveur de l’une des deux options suivantes : un État multiconfessionnel et trilingue dans l’ensemble de l’espace israélo-palestinien ou deux États distincts fondés sur l’ethnicité (arabe/juive).</p>
<p>Le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis joueraient un rôle central dans cette instance internationale au vu de leurs responsabilités historiques respectives dans la genèse du conflit arabo-sioniste puis israélo-palestinien : le premier par son soutien précoce au sionisme, avant la chute de l’Empire ottoman (déclaration Balfour de 1917) et plus encore durant la majeure partie de l’époque mandataire ; la seconde en raison de la conception et de la mise en œuvre du génocide juif par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, puis de son appui inconditionnel à l’État d’Israël ; les derniers par leur soutien constant à leur allié israélien au Moyen-Orient. La participation de l’Égypte et de la Jordanie à cette instance serait précieuse en tant qu’États arabes voisins qui partagent la triple expérience d’avoir participé aux guerres contre Israël jusqu’aux années 1970, occupé des territoires palestiniens (1948-1967) et <em>in fine</em> signé des traités de paix (même froide) avec Israël.</p>
<h2>L’option d’un État multiconfessionnel et trilingue</h2>
<p>Si elle était retenue, l’option d’un seul État multiconfessionnel (judaïsme, islam, christianisme ; religions druze, samaritaine et bahaïe) doté de trois langues officielles (hébreu, arabe, anglais) consacrerait comme priorité, pour la plupart des habitants, le fait de coexister dans un cadre politique commun et d’avoir accès à la totalité du pays, de la Galilée boisée au nord jusqu’à la pointe sud du désert du Néguev en passant par les collines et les plaines du centre.</p>
<p>Il s’agirait alors de rejeter délibérément le cadre conceptuel d’un État « binational », <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/etat-federal-unique-binational-ces-pistes-oubliees-pour-mettre-fin-au-conflit-entre-israel-et-palestine_6265413.html">souvent évoqué</a>, pour dégager l’espace israélo-palestinien de l’ethnicité étouffante (judéité/arabité) à laquelle les politiques étatiques et les relations sociales l’ont souvent réduit depuis des décennies.</p>
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<p>Ni « Israël », ni « Palestine », mais un nouveau nom à imaginer et un régime nécessairement démocratique pour garantir, entre autres libertés, les libertés de croyance, de pensée et de culte, ainsi que l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Cet État aurait Jérusalem pour capitale.</p>
<p>Les avantages de cette solution seraient nombreux, parmi lesquels la liberté de mouvement pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire, la taille raisonnable de cette entité politique, la variété de ses climats et de ses ressources, l’évitement du casse-tête que constitue le tracé de nouvelles frontières internes.</p>
<p>Le coût principal lié à la mise en place d’un tel État serait, pour les Israéliens et les Palestiniens, de renoncer à des symboles nationaux fondés sur une seule religion et/ou une seule langue, tout en préservant leurs histoires singulières. Cette nouvelle communauté de citoyens devrait s’accommoder de référentiels plus souples, permettant une pluralité d’identités reconnues, voire des formes d’hybridation, ce qui serait facilité par le <a href="https://doi.org/10.1080/13670050.2018.1452893">bilinguisme arabe/hébreu</a> existant déjà parmi une frange non négligeable de la population en Palestine et en Israël.</p>
<p>Si au sein de certains milieux palestiniens et israéliens, des prises de position et des actions en faveur d’un seul État démocratique se développent depuis plusieurs années (<a href="https://onestatecampaign.org/en/">One Democratic State Campaign</a>, <a href="https://www.zochrot.org/articles/view/286/en">Zochrot</a>), ces initiatives restent pour le moment très minoritaires ; elles postulent souvent la mise en œuvre intégrale du droit au retour des réfugiés palestiniens en se référant à la résolution 194 de l’ONU (décembre 1948), alors que le nombre d’individus enregistrés comme tels a plus que sextuplé en 75 ans. Nous y reviendrons plus bas.</p>
<h2>Deux États à base ethnique ?</h2>
<p>L’option alternative consisterait en une variation de la solution « classique » à deux États. Cimenté par l’ethnicité, chacun des États arabe et juif devrait toutefois bénéficier d’une continuité territoriale interne et d’un accès direct à la mer Méditerranée. Ces contraintes vitales impliqueraient un axe frontalier ouest-est plutôt que le puzzle à six pièces envisagé par l’ONU dans son <a href="https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-208958/">plan de partage de novembre 1947</a>, dessiné principalement selon les zones de peuplement de la minorité juive (à l’époque un tiers de la population et 7 % de la propriété foncière). Dans un souci de viabilité, l’État du sud jouirait d’une superficie plus étendue pour compenser les inconvénients du Néguev désertique, moins propice à l’agriculture, à l’habitat et aux activités industrielles que le reste du pays.</p>
<p>La capitale des deux États serait une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Jerusalem-la-fin-d-une-ville-sacree.html">Jérusalem</a> partitionnée, dont les lieux saints – voire l’ensemble de la veille ville – seraient placés sous une tutelle internationale, combinant ainsi une souveraineté locale sur la plupart des quartiers de la ville avec un mécanisme international régulant l’accès des fidèles et des visiteurs à l’Esplanade des Mosquées/Mont du Temple, au Mur des Lamentations et à l’Église du Saint-Sépulcre.</p>
<p>Informés du futur tracé des frontières, les habitants de l’actuel espace israélo-palestinien auraient la possibilité, avant la proclamation des deux États, de choisir leur lieu de résidence et la citoyenneté correspondante. Cette configuration permettrait aux nationalismes palestinien et israélien de s’incarner chacun dans un État souverain ; elle présenterait aussi l’avantage de laisser le choix du régime politique à l’appréciation des acteurs locaux.</p>
<p>Elle supposerait toutefois des concessions et des défis importants. Outre le format réduit de chacun des deux États, cette option impliquerait des remaniements démographiques et toponymiques pour, d’une part, permettre aux gens de choisir l’État sous la juridiction duquel ils entendent vivre et, d’autre part, hébraïser ou arabiser les noms de localités et de régions selon qu’ils sont situés au sein de l’État à majorité juive ou de son homologue arabe. Ces <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520234222/sacred-landscape">transformations toponymiques</a> semblent possibles dès lors que l’on considère les strates historiques, lointaines et proches, d’arabisation et d’hébraïsation de cet espace (respectivement VII<sup>e</sup>-VIII<sup>e</sup> siècles et années 1950), qui ont abouti à la succession ou à la coprésence de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1068/d2613">toponymes dans les deux langues</a> pour nombre de sites.</p>
<p>Enfin, ces États à base ethnique devraient renoncer à toute revendication d’exclusivité sur les lieux saints de Jérusalem. Le risque de guerre entre deux États aux idéologies religieuses et/ou nationalistes exacerbées, aux appétits territoriaux non assouvis et aux régimes politiques potentiellement différents serait élevé.</p>
<h2>Les réfugiés palestiniens</h2>
<p>Quel serait alors le sort des plus de <a href="https://theconversation.com/quelle-conscience-politique-deux-memes-ont-les-jeunes-palestiniens-en-exil-161547">5 millions de réfugiés palestiniens</a> qui vivent hors d’Israël/Palestine, principalement au Liban, en Syrie et en Jordanie ? Plusieurs options devraient leur être proposées, tant il est insensé que ce statut de réfugié, imaginé en 1949 par l’UNRWA comme temporaire – notamment en vertu du droit au retour des Palestiniens voté par l’Assemblée générale de l’ONU un an plus tôt –, se transmette de génération en génération depuis 75 ans.</p>
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<p>S’inspirant des négociations israélo-palestiniennes les plus avancées dans l’histoire du conflit (<a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2002_num_48_1_3698">sommet de Taba en 2001</a>), restées lettre morte, trois options pourraient être sérieusement méditées, qu’il y ait un ou deux États en Israël/Palestine : le « retour » des réfugiés dans l’espace israélo-palestinien ; leur intégration réelle et durable dans la société d’accueil via l’acquisition de la citoyenneté ; leur émigration vers un pays tiers.</p>
<p>Dans tous les cas, et préalablement à la création d’un État multiconfessionnel ou de deux États à base ethnique, l’actuel État d’Israël devra reconnaître sa responsabilité historique dans l’exode de 750 000 Palestiniens en 1948-1949 et la dépossession foncière et bancaire d’un plus grand nombre encore, qu’ils soient devenus des réfugiés externes ou des déplacés internes (minorité palestinienne détentrice de la citoyenneté israélienne). Cette reconnaissance officielle, qui devrait aussi englober l’exil de 300 000 Palestiniens en 1967 et être accompagnée d’une indemnisation financière, est incontournable pour commencer à tourner la page d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_1995_num_169_1_3358_t1_0316_0000_2">« passé qui ne passe pas »</a>. Quant aux Israéliens résidant à l’étranger, ils se verraient proposer la nationalité de l’État unique ou de l’un des deux États ethniques, selon les résultats du référendum.</p>
<p>En tant qu’historienne, il n’est pas dans mes habitudes, ni généralement dans celles de ma profession, d’adopter une posture prescriptive. Restituer et analyser les réalités passées des sociétés humaines, toujours complexes et insaisissables dans leur totalité, en se gardant de « prédire » le passé en fonction d’une fin connue d’avance, exige déjà un travail passionnant et une certaine dose d’humilité. Les pistes de réflexion formulées dans ce bref article peuvent paraître utopiques dans un monde fissuré par la montée en puissance des intérêts géopolitiques nationaux et la prééminence des rapports de force sur le droit international tel qu’incarné par l’ONU. Mais si les sciences humaines et sociales peuvent apporter des éclairages et des idées aux décideurs et aux militants, un petit pas aura été franchi dans l’ouverture de nouveaux horizons politiques au Proche-Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220992/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Iris Seri-Hersch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le système actuel ne peut pas garantir un avenir de paix pour les Israéliens et les Palestiniens. Alors, quelles options ? Faut-il envisager un État unique ou deux États ? Et selon quelles modalités ?Iris Seri-Hersch, Maîtresse de conférences - Histoire contemporaine du monde arabe - Département d'études moyen-orientales (DEMO), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171622023-12-04T16:58:34Z2023-12-04T16:58:34ZLes amis, notre nouvelle famille ?<p><em>Notre modèle de société peut-il se penser différemment, échapper au carcan familial ? Les récentes évolutions autour du mariage homosexuel, de la PMA ou de l’adoption montrent une recomposition des liens sociaux. L’amitié y joue un rôle crucial et éminemment plus politique que l’on ne l’imagine. Cet article fait partie de notre série « Nos vies modes d'emploi ».</em></p>
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<p>Se <a href="https://www.lexpress.fr/argent/droit/le-pacs-possible-meme-en-l-absence-de-vie-de-couple_1929056.html">pacser avec une amie</a>, partager un lieu pour vivre, <a href="https://www.lemonde.fr/argent/article/2022/09/16/acheter-une-maison-de-maison-de-campagne-entre-amis_6141841_1657007.html">acheter à plusieurs</a>, élever des enfants ensemble ou passer sa vieillesse entre amis : des initiatives se multiplient hors du modèle du couple hétérosexuel. La famille traditionnelle est <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-famille-contemporaine--9782200618049.htm">désacralisée et fragilisée</a>.</p>
<p>L’amitié participe de sa recomposition avec la liberté de se réinventer en dehors d’une conjugalité exclusive. Longtemps marginalisée au profit de l’amour, <a href="https://www.fnac.com/a2759136/Anne-Vincent-Buffault-Une-Histoire-De-L-Amitie">l’amitié connaît un rebond</a> autant sur le plan des pratiques que dans <a href="https://www.mollat.com/livres/2686033/geoffroy-de-lagasnerie-3-une-aspiration-au-dehors">l’imaginaire contemporain</a>.</p>
<p>Mais s’agit-il de donner de l’importance à des relations qui ne sont pas reconnues officiellement, de les protéger juridiquement, de créer de nouveaux droits relationnels ou d’inventer une nouvelle politique de l’amitié ?</p>
<h2>L’amitié pour renforcer le lien civique</h2>
<p>Aristote pensait que l’amitié constituait avec la justice le <a href="https://editionskime.fr/produit/lamitie-chez-aristote-une-mesure-de-laffect/">ciment des relations sociales</a> et du lien civique de la cité.</p>
<p>Pour renforcer ce lien, certains ont voulu associer l’amitié à des obligations de nature juridique. Sous la Révolution française, Saint-Just écrit en l’an II (1793-1794 mais de publication posthume), ses <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/saint_just/fragments/fragments.html">Institutions Républicaines</a>. Dans un chapitre intitulé Les affections, concernant les institutions civiles, il déclare : « celui qui ne croit pas à l’amitié est banni. »</p>
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<p><em>Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d'emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les bouleversements technologiques, féministes et écologiques survenus au tournant du XXIe siècle.</em></p>
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<p>Plus encore, tout homme âgé de plus de 21 ans doit déclarer ses amis et renouvelle cette déclaration tous les ans : l’amitié devient synonyme de citoyenneté. Si un homme quitte un ami, il est tenu de rendre compte de ses motifs au peuple. Les amis sont pour ainsi dire responsables des actes les uns des autres et en répondent.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chez Saint Just l’amitié devient aussi importante que la famille. Portrait de Louis de Saint-Just, huile sur toile de Pierre-Paul Prud’hon, musée des beaux-arts de Lyon, 1793.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Antoine_de_Saint-Just#/media/Fichier:Saint-Just-French_anon-MBA_Lyon_1955-2-IMG_0450.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dans le monde conçu par Saint-Just, l’amitié reçoit un statut juridique éminent, et devient rapport de droit, comme l’était seule jusqu’alors la parenté de sang ou d’alliance. Le révolutionnaire pousse cette logique encore plus loin : « le peuple », écrit-il, « élira les tuteurs des enfants parmi les amis de leur père ». « Les amis porteront le deuil l’un de l’autre » ; ils « creusent la tombe, préparent les obsèques l’un de l’autre, ils sèment les fleurs avec les enfants sur la sépulture » ; enfin, « ceux qui sont restés unis toute leur vie sont renfermés dans le même tombeau ». Chez Saint-Just l’amitié devient aussi importante que la famille.</p>
<p>On peut supposer que cette institution civile contraignante imaginée par Saint-Just ne correspond pas aux aspirations de nos contemporains d’autant qu’il en oublie les femmes.</p>
<h2>La notion d’amitié est historiquement contingente</h2>
<p>Les relations d’amitié jouaient depuis l’Antiquité un rôle considérable, beaucoup plus formalisées qu’aujourd’hui avec un système d’obligations, de charges, de devoirs réciproques. L’association de l’aspect social, affectif et effectif de l’amitié qui se manifestait par l’entraide, l’échange de service et de présents, la proximité physique a longtemps dominé.</p>
<p><a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Dits-et-ecrits2">Michel Foucault</a> formule l’hypothèse qu’avec l’avènement de l’absolutisme royal, et son cortège d’institutions (l’armée, la bureaucratie, le système judiciaire, la police, l’organisation de l’enseignement qui régentent les esprits et les corps) l’amitié entre hommes devient suspecte, l’affectivité devient inquiétante : par son intensité, son exclusivité, elle peut constituer, dans une société étatisée que l’absolutisme construit, une source de subversion, un pôle de résistance.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vautrin avec Rastignac dans la cour de la pension Vauquer (Le Père Goriot). Honoré de Balzac, Old Goriot. Philadelphia : George Barrie & Son, 1897.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vautrin_%28personnage_de_Balzac%29#/media/Fichier:BalzacOldGoriot02.jpg">Auteur inconnu/Wikimedia</a></span>
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<p>Ces nouvelles structures institutionnelles auraient empêché l’amitié de continuer à tenir les fonctions sociales et politiques qui étaient les leurs pendant des siècles avec une obligation de loyauté. L’apparition du « problème de l’homosexualité » à partir du XVIII<sup>e</sup> siècle s’expliquerait par la disparition concomitante de l’importance des relations d’amitié « de cœur » entre hommes.</p>
<p>Dans les romans de Balzac, les <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2009-1-page-283.htm">amitiés passionnées</a> restent très présentes (Louis Lambert, La Cousine Bette, le Cousin Pons, Vautrin) mais l’institution familiale tend toujours à primer sur les liens électifs. Que Pons vive une amitié passionnée avec son ami Schmuke ne dérange personne, cette relation restant innommée. En revanche le Cousin Pons ne peut le faire hériter de sa collection d’art. La logique patrimoniale qui lie la sexualité et les régimes juridiques de l’héritage impose sa loi d’airain à ce cousin original et un peu <a href="https://laviedesidees.fr/Balzac-queer">queer</a>.</p>
<h2>Les précédents des aventuriers de l’amitié</h2>
<p>À l’époque de Balzac, l’amitié n’est plus constitutive de l’ordre social et s’intimise, ne vivant que dans les interstices. Si les femmes en restent dépositaires, elles sont avant tout soumises aux règles du mariage.</p>
<p>Des amitiés intenses se développent en marge comme antidote de relations familiales étouffantes. Les personnalités en rupture remettent en question les rôles établis, des femmes artistes ou militantes qui refusent la place qui leur est assignée, la bohème littéraire, les socialistes utopiques, les dandys, des adolescents révoltés.</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, dans le romantisme allemand, le fouriérisme - <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/01012013/fourier-le-fourierisme-et-les-fourieristes">issu de la pensée de Charles Fourier</a>-, le <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/01012013/saint-simon-et-les-saint-simoniens?mode=desktop">mouvement saint-simonien</a> et l’anarchie, se déploie la volonté d’échapper au carcan de la famille ou à celui de l’exclusivité de l’amour pour inventer des relations égalitaires, des solidarités effectives.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1185&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1185&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1185&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dandys parisiens, 1830.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dandy">Wikimedia</a></span>
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<p>La volonté d’instituer l’amitié n’est souvent pas une préoccupation dans ces mouvements minoritaires qui cherchent à explorer son potentiel révolutionnaire ou utopique, ses qualités éthiques.</p>
<p>Les affinités électives, les attractions magnétiques caractérisent autant l’amour que l’amitié : les frontières deviennent floues. Des groupes d’amis se forment qui sont des microsociétés alternatives en perpétuel état de sociabilité morale et qui sont nourris de correspondances.</p>
<p>Ces rencontres amicales se font sur le modèle de la circulation des ondes et des fluides humanitaires, formant des chaînes associatives <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/868468-les-sauvages-dans-la-cite-auto-emancipation-du--jean-borreil-champ-vallon">dans le socialisme utopique</a>.</p>
<h2>Des bâtisseurs d’utopies</h2>
<p>Dans la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, les anarchistes défient l’État et tentent de faire exister des associations minoritaires alternatives aux normes du code civil.</p>
<p>Il s’agit d’agrégations volontaires non institutionnalisées de bâtisseurs d’utopies au quotidien, fondées sur la spontanéité et l’indépendance.</p>
<p>Il en va de même des <a href="https://theconversation.com/solidaires-car-autonomes-loin-des-grandes-villes-la-promesse-dune-autre-vie-137827">collectifs</a> installés aujourd’hui sur des lieux alternatifs qui inventent des formes de vie communes fondées sur l’affinité, l’amitié et des pratiques égalitaires dans des zones de non-droit.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/recit-des-cochons-et-des-hommes-211453">Récit : Des cochons et des hommes</a>
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<p>L’habitat éphémère et ouvert sur l’extérieur, la cabane construite à plusieurs, invention de lien et de <a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">politisation des affects</a> en sont les symboles aujourd’hui, comme l’écrit <a href="https://editions-verdier.fr/livre/nos-cabanes/">l’autrice Marielle Macé</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Faire des cabanes en tous genres – inventer, jardiner les possibles ; sans craindre d’appeler « cabanes » des huttes de phrases, de papier, de pensée, d’amitié. »</p>
</blockquote>
<p>Contractualiser des relations d’amitié semble prendre à revers la liberté et la souplesse qui priment dans ses rapports amicaux. Les amitiés librement choisies n’impliquent pas d’engagement irrévocable.</p>
<p>Relation fluide ou plutôt granulaire, constituée de moments, mais qui peut se révéler durable, l’amitié telle que nous l’entendons n’exige ni contrat, ni obligations : elle n’oblige au respect d’aucun règlement statutaire. Cette fluidité en fait une relation éminemment moderne et désirable. L’amitié est la plus libre et la plus intime des associations humaines sans structuration normative.</p>
<h2>Bousculer les modèles culturels hérités</h2>
<p>L’amitié n’est pas pour cela désenchâssée du social et du politique. « L’amitié est la seule société politique libre que nous connaissions » écrit l’historienne <a href="http://www.atelierdecreationlibertaire.com/La-culture-libertaire,994.html">Claire Auzias</a>.</p>
<p>À la charnière de la vie privée et de la sphère publique, l’amitié requiert de bousculer les modèles culturels hérités. Les stéréotypes qui dévaluent les amitiés féminines et les renvoient à la rivalité et la médisance <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/feminisme-la-sororite-est-elle-vraiment-possible-5427146">sont remis en cause</a>.</p>
<p><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soeurs-silvia-lippi/9782021533323">La sororité</a> dans le féminisme invite à mettre l’amitié entre femmes au centre du mouvement. Les hommes entre eux peuvent vivre une intimité délivrée du spectre de l’homophobie. L’expérience de <a href="https://www.ens.psl.eu/actualites/eros-et-philia-passions-rationnelles">l’éros amical</a> n’est pas forcément sexuelle.</p>
<p>C’est une relation qui permet de discuter en acceptant le désaccord, de se découvrir différent, varié, variable, multiple, autre… sans se contenter du refuge de l’entre soi ou des mirages du même. L’amitié permet de trouver de nouveaux modes de vie relationnels et d’inventer des parentés de choix parmi d’autres liens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217162/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Vincent-Buffault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’évolution des relations sociales pourrait être l’occasion d’inventer une nouvelle politique de l’amitié.Anne Vincent-Buffault, Chercheuse, historienne, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179352023-11-26T15:41:03Z2023-11-26T15:41:03Z18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561311/original/file-20231123-23-10xms0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans un contexte difficile, les jeunes sont plus positifs qu’on ne le pense face aux défis de demain, plus matures aussi et se définissent principalement par les causes qu’ils défendent en privilégiant des modes d’action dans la sphère privée plutôt que dans un espace public qui ne les inspire pas.</p>
<p>Tels sont les principaux enseignements de l’enquête exclusive réalisée en octobre auprès des 18-25 ans pour The Conversation France par le cabinet d’études George(s).</p>
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<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Retrouvez l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
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<p>Alors que de nombreux sondages montrent les inquiétudes des parents pour leur progéniture, les jeunes interrogés sont majoritairement optimistes en pensant à l’avenir (71 %) et environ un quart d’entre eux se disent « très optimistes » mais ils envisagent leurs leviers d’action dans un cadre familial ou amical plutôt que collectif.</p>
<p><iframe id="bjzi3" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bjzi3/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ils se déclarent aussi adultes à 86 % et font de l’autonomie financière une condition primordiale de leur vie future.</p>
<h2>Un engagement qui se matérialise dans la sphère privée</h2>
<p>L’un des faits frappants de l’étude est que la confiance exprimée est ancrée dans l’environnement proche, alors que la famille (à 45 %) et les amis (41 %) sont les éléments qui les rendent « très heureux ».</p>
<p>Les jeunes interrogés déclarent se définir en premier lieu à travers les causes qu’ils soutiennent, principalement d’ordre environnemental et sociétal : gaspillage alimentaire, défense de l’environnement, lutte contre les violences faites aux femmes, combat contre le racisme et les discriminations…</p>
<p>Mais cet engagement, qui est donc au cœur de leur identité, est à la fois un engagement personnel et citoyen.</p>
<p>La mobilisation ou l’appartenance à un parti politique ou à un syndicat ne représentent ainsi pas à leurs yeux des preuves fortes d’engagement. Pas plus que la participation à une manifestation ou la signature d’une pétition, traduisant un réel fossé entre leurs préoccupations et la possibilité de les exprimer dans le monde qui les entoure.</p>
<p>Plusieurs formes de « dons » sont en fait mises en avant par rapport au fait de s’engager : aider une personne dépendante ou malade (83 %), donner de son temps en général (80 %), faire des dons d’argent (75 %) sont largement cités.</p>
<p><iframe id="oEwS0" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oEwS0/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’engagement est à la fois proximal et intime. Il témoigne d’une véritable résilience et prend tout son sens à travers les actions et les gestes du quotidien. Interrogés sur « les personnes dont l’exemple vous donne envie de vous engager, de vous mobiliser », ils citent tout d’abord leurs parents, puis des « gens de leur génération qu’ils ont rencontrés » et en troisième « des membres de leur famille ».</p>
<p>Reste une singularité, même si seulement 16 % d’entre eux estiment que leurs « opinions politiques » contribuent à dire qui ils sont et que l’on connaît les faibles taux de participations des jeunes aux élections, 79 % considèrent toujours le vote comme une preuve d’engagement.</p>
<p>Un élément apparemment contradictoire mais qui semble traduire le décalage entre la représentation politique actuelle et celle que l’on aimerait et qui déclencherait l’envie de participer aux scrutins.</p>
<h2>Une maturité assumée face au contexte économique</h2>
<p>Être autonome financièrement (à 58 %), avoir une situation professionnelle stable (à 46 %), bénéficier d’un logement à soi (à 40 %)… ces trois éléments sont les premiers qui sont pris en considération par les 18-25 ans comme étant constitutifs d’un passage à l’âge adulte.</p>
<p>Une vision qui traduit la réalité d’une génération qui doit aussi faire à une certaine précarité. Il faut noter d’ailleurs que 41 % des 18-25 ans estiment que leur santé mentale et physique est très importante pour comprendre qui ils sont et en font donc une pierre angulaire de leur équilibre.</p>
<p>La question de l’orientation scolaire ou professionnelle montre des divergences. Une majorité des jeunes interrogés (56 %) estiment ainsi avoir le sentiment d’avoir vraiment pu choisir cette orientation mais chez les actifs, c’est le fait d’avoir un métier qui ne correspond pas à leur diplôme qui domine (à 53 %).</p>
<p>Face au travail, les jeunes sont à la fois très raisonnés et très exigeants, projetant une véritable maturité. Parmi les choses considérées comme « très importantes » figurent l’ambiance de travail (51 %), mais aussi la rémunération et les avantages matériels (50 %), le niveau de responsabilité (31 %) et le temps libre (44 %). La possibilité d’évoluer (43 %) est jugée plus importante que les valeurs et engagements de l’entreprise (34 %).</p>
<p><iframe id="rcIHf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rcIHf/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autant de constats qui semblent privilégier une approche très pragmatique face au travail, loin des déclarations que l’on peut voir de ci et là sur certaines quêtes de sens priorisées sans grande considération matérielle.</p>
<h2>Une ambiguïté face aux médias</h2>
<p>Parce qu’ils trouvent leurs repères dans cet environnement de proximité, les jeunes interrogés apparaissent très ambigus face au monde renvoyé par les médias.</p>
<p>Quand ils décident de s’informer, la priorité n’est pas donnée à la politique ou à l’économie. Ils préfèrent se tourner vers de l’actualité culturelle (note d’intérêt déclaré de 7,05/10), liée à l’environnement, la santé ou la science (6,63) ou au sport (6,21). Sans surprise par rapport à notre constat sur l’engagement, l’intérêt déclaré est beaucoup plus faible pour la politique nationale (5,54) ou internationale (5,38).</p>
<p>Face à l’actualité, ils se disent à la fois inquiets (41 %) et curieux (36 %), fatigués (33 %) et optimistes (24 %). Mais l’angoisse (25 %) et la méfiance (29 %) n’aboutissent pas forcément à de l’indignation (14 %) ou de la mobilisation (10 %).</p>
<p><iframe id="9mYCQ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9mYCQ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Un point à souligner : les jeunes femmes se déclarent en moyenne plus inquiètes que les hommes (48 % vs 33 %), plus fatiguées (39,5 % vs 26 %), angoissées (31,8 % vs 18 %) ou dépassées (29,6 % vs 19,5 %).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217935/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enquête exclusive de The Conversation France sur les 18-25 ans montre une jeunesse positive et qui s’engage dans la sphère privée pour relever les défis du futur.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2095542023-11-15T21:16:18Z2023-11-15T21:16:18ZComment la philosophie de John Dewey nous aide à former les citoyens de demain<p>Après une période d’oubli relatif, le philosophe américain John Dewey (1859-1952), figure majeure du courant du pragmatisme, est largement mobilisé sur les questions de pédagogie depuis quelques années. Souvent réduite à la célèbre formule du « learning by doing » qui valorise l’expérience dans les stratégies éducatives, sa réflexion sur l’école reste indispensable, au-delà du recours à la pédagogie de projet.</p>
<p>Si John Dewey a produit une somme considérable d’écrits dans les domaines de la psychologie, l’art, la politique, et surtout l’éducation, il n’a été traduit en France qu’avec parcimonie. C’est grâce aux travaux de Jean-Pierre Cometti et de <a href="https://www.cairn.info/Introduction-a-john-dewey--9782707183194.htm">Joëlle Zask</a>, entre autres, qu’il a été récemment redécouvert.</p>
<p>On trouve dans ses ouvrages les bases d’une réflexion originale et toujours actuelle sur la <a href="https://www.cairn.info/democratie-et-education--9782200621896.htm">relation entre pédagogie et démocratie</a>, sur ce que pourrait être une éducation « accoucheuse » de démocratie, selon ses propres termes, ancrée dans l’expérience, dans un monde en proie aux fractures et au doute.</p>
<h2>Les objectifs de l’éducation : former des enquêteurs dans un monde commun</h2>
<p>John Dewey s’est penché sur les relations entre éducation et démocratie en cherchant une façon de construire un monde commun qui autorise le partage de significations et d’actions. Ce commun résonne profondément comme un appel à l’action dans les périodes de conflits militaires, politiques et sociaux, et de menaces environnementales. Car l’action est indissociable de la connaissance pour Dewey, une connaissance de nature relationnelle et sociale qui se construit dans l’expérience.</p>
<p>L’information est alors source d’« empowerment », elle peut donner les moyens de l’action collective et individuelle, si elle permet aux acteurs de construire et de partager une perception, une compréhension et des modalités d’intervention sur l’environnement sur des bases collaboratives. La communauté se constitue dans son rapport à l’information, rapport qui repose sur une interprétation partagée et vécue. La communication nourrit ainsi la dynamique qui permet les conduites conjointes, l’adaptation et l’association des individualités.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Portrait de John Dewey" src="https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">John Dewey.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:John_Dewey_cph.3a51565.jpg">Underwood & Underwood, Public domain, via Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Le courant pragmatiste représenté par John Dewey considère l’élève comme un individu capable d’agir dans la société et non comme l’instrument d’un système qui le dépasse. Cette capacité d’action, cette agentivité, diraient certains, correspond à un engagement. Elle suppose que l’élève soit considéré comme sujet, acteur de son propre apprentissage et non réceptacle d’un savoir accumulé et simplement transmis.</p>
<p>La connaissance acquise par l’expérience est celle d’un être socialement situé dans le monde, qui interagit nécessairement avec ses pairs, dans des groupes, et avec des outils intellectuels qui lui permettent d’appréhender ce monde. Chez Dewey, politique et connaissance sont indissolublement liées dans le pragmatisme qui est à la fois philosophie politique et théorie de la connaissance.</p>
<p>Si l’éducation vise l’expérience partagée, communicable et communiquée, propre à la logique démocratique, elle repose fondamentalement sur la méthode de l’enquête. Celle-ci consiste à interroger l’environnement social et culturel et à chercher des solutions aux problèmes qui se posent par l’exploration : l’élève est avant tout un enquêteur, et la démarche d’enquête restera la condition de sa construction comme citoyen participant à la vie démocratique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-enfants-comprennent-du-monde-numerique-214295">Ce que les enfants comprennent du monde numérique</a>
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<p>Sortant des pétitions de principe, du dogme des valeurs désincarnées ou brandies comme une menace, Dewey s’attache à proposer des pistes qui ouvrent la voie à l’incarnation des principes démocratiques dans la « vraie vie » à l’école, notamment dans son ouvrage <em>Expérience et éducation</em> (1938). Il en appelle au courage des enseignants pour qu’ils proposent une éducation basée sur un esprit de discernement, qui cultive le doute constructif, la recherche de la preuve, l’appel à l’observation, à la discussion, à l’enquête plutôt qu’aux conventions.</p>
<p>On trouve ici les bases des réflexions contemporaines sur l’éducation à l’esprit critique, destinée à ancrer une culture démocratique solide à l’école.</p>
<h2>Les moyens d’une éducation démocratique : une pédagogie de la participation contre la transmission</h2>
<p>John Dewey voit dans l’école le lieu de transformation de la classe en communauté d’enquêteurs, permettant aux élèves de se développer dans un monde dominé par la science et la technique.</p>
<p>En politique, la démocratie repose sur la communauté des citoyens, sur l’interprétation des expériences, a minima l’accord sur les désaccords et la façon de les résoudre, si bien qu’à l’époque actuelle, une communauté démocratique suppose une <a href="http://siupress.siu.edu/books/978-0-8093-2805-5">communauté d’enquêteurs</a>. Cette démocratie est expérimentale et la participation est le moyen de disposer de son existence, qui ne peut reposer que sur l’échange et la coopération sous peine d’être dominée par une autorité autoproclamée.</p>
<p>La démarche d’enquête face à l’information consiste à rendre intelligible une situation pour agir, à créer un cadre qui donne cohérence et sens à une situation. Dans cette démarche, l’élève apprend en faisant un lien entre son expérience et les savoirs, et l’enseignant devient un médiateur entre l’école et la vie. Les contraintes didactiques ne sont pas nécessairement imposées mais les projets pédagogiques doivent être authentiques et favoriser les savoirs de l’expérience.</p>
<p>Ce point de vue sur les moyens d’une éducation démocratique constitue un héritage très contemporain dans les débats sur l’éducation. Il a été dénoncé, du vivant du philosophe, <a href="https://journals.openedition.org/ree/6074">comme le rappelle Michel Fabre à propos de la critique par Hannah Arendt de la crise de l’autorité</a> dans la <em>Crise de la culture</em>. John Dewey considère que l’éducation, au regard de l’objectif démocratique, ne peut en aucun cas consister en une transmission de contenus et d’un patrimoine de connaissances.</p>
<p>Tim Ingold, dans son ouvrage <a href="https://pur-editions.fr/product/4806/l-anthropologie-comme-education"><em>L’anthropologie comme éducation</em></a>, reprend cet argument en proposant de lutter contre l’idée de transmission. Pour lui, l’éducation est avant tout ouverture aux choses et au monde, dans une capacité d’attention à l’environnement, à la résonance qu’étudie le sociologue <a href="https://theconversation.com/la-pedagogie-de-la-resonance-selon-hartmut-rosa-comment-lecole-connecte-les-eleves-au-monde-197732">Hartmut Rosa</a> dans un récent ouvrage, également consacré à l’éducation.</p>
<p>Yves <a href="https://theconversation.com/leducation-de-lattention-a-lage-du-numerique-ubiquitaire-62172">Citton</a>, qui revient dans plusieurs ouvrages sur la <a href="https://www.yvescitton.net/wp-content/uploads/2020/08/Citton-PostfaceIngold-SciencesEducArtsAttention-2018.pdf">question de l’attention</a> et postface celui de Tim Ingold, défend cette idée selon laquelle l’éducation ne consiste pas à remplir des têtes mais à ouvrir les conditions de l’attention. C’est aussi l’horizon de la démarche de cartographie des controverses initiée par Bruno Latour, lecteur attentif de Dewey et de sa conception du public se saisissant de problèmes autour desquels la discussion et la critique sont garantes de la démocratie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-lecole-apprendre-a-evaluer-linformation-dans-un-monde-numerique-215279">À l’école, apprendre à évaluer l’information dans un monde numérique</a>
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<p>Ces propositions inspirées de la pensée de John Dewey peuvent être rapprochées des pratiques de la pédagogie active. <a href="https://theconversation.com/apprendre-a-lecole-freinet-67615">Célestin Freinet</a> insiste sur la « <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/oeuvres-pedagogiques-celestin-freinet/9782020220149">nécessité organique d’user le potentiel de vie à une activité tout à la fois individuelle et sociale</a>, qui ait un but parfaitement compris, et présentant une grande amplitude de réactions » en valorisant le « sentiment de puissance ».</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-faire-de-la-philosophie-avec-des-enfants-168533">« communautés de recherche philosophique »</a> qui consistent à expérimenter le débat philosophique très tôt à l’école, reprennent le principe du développement de la démarche de l’enquête, comme les stratégies pédagogiques basées sur l’expérimentation dans l’enseignement des sciences (dans le dispositif « La main à la pâte » par exemple).</p>
<p><a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782130451761-logique-la-theorie-de-l-enquete-john-dewey/">L’enquête</a> consiste à poser des problèmes à partir d’une situation d’incertitude et tenter de les résoudre dans une recherche collective basée sur le questionnement, la discussion, la recherche d’information et l’argumentation. L’arrivée du numérique dans le contexte scolaire et la complexification de l’établissement de critères de confiance dans l’information en circulation ont renouvelé l’actualité de la pensée de John Dewey.</p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/pour-eduquer-a-linformation-etre-un-digital-native-ne-suffit-pas-111240">éducation aux médias et à l’information</a> est présentée comme une nécessité sociale absolue ces dernières années, pour développer <a href="https://theconversation.com/enfants-lesprit-critique-une-qualite-innee-a-aiguiser-des-le-plus-jeune-age-132714">l’esprit critique</a> des élèves face aux phénomènes de complotisme, désinformation et radicalisation. Mais elle reste peu traduite dans les pratiques pédagogiques réelles. Elle pourrait trouver dans le souci de l’enquête, notamment autour de questions controversées, comme le propose Bruno Latour, une ouverture pragmatique indispensable.</p>
<p>Le développement d’une solide culture de l’information à l’école, base de l’esprit critique allié à l’esprit d’enquête, peut ainsi être considéré, dans la perspective de la pensée de John Dewey, comme la condition d’une éducation démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Lehmans ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après une période d’oubli relatif, le philosophe américain John Dewey, figure du courant du pragmatisme, est largement mobilisé sur les questions de pédagogie depuis quelques années.Anne Lehmans, Professeure des universités en sciences de l'information et de la communication, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2125842023-10-03T14:55:03Z2023-10-03T14:55:03ZLe cours Culture et citoyenneté québécoise répond davantage à une commande politique qu'éducative<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550988/original/file-20230928-19-aqazmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=60%2C0%2C6720%2C4466&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un programme d'enseignement constitue un bien public et devrait être élaboré sur la base d’analyses rigoureuses. Ce n'est pas ce qui s'est passé avec le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>L’instauration d’un programme éducatif représente le bien commun d’une nation et concerne tous les citoyens. Il est donc particulièrement important de suivre un processus démocratique et transparent pour décider de ses orientations et de ses contenus. </p>
<p>Ainsi, dans le cadre de changements à apporter à un programme d’enseignement, il est nécessaire de s’appuyer sur des avis d’experts reconnus de cette discipline, afin de comprendre les éventuels dysfonctionnements et les améliorations à y apporter, et ce, à partir d’une démonstration scientifique rigoureuse. Or, la transition du programme d’éthique et culture religieuse (ECR) vers le <a href="http://www.education.gouv.qc.ca/parents-et-tuteurs/references/refonte-programme-ethique-culture-religieuse/">cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ)</a> constitue un intéressant contre-modèle de ces principes, d’autant plus surprenant qu’il se présente comme un modèle d’éducation à la citoyenneté. </p>
<p>Professeure en éducation à l’Université de Montréal et spécialiste du programme d’éthique et culture religieuse, je souhaite partager ici quelques réflexions sur la façon dont celui-ci, au Québec, a récemment été supprimé et remplacé par le cours Culture et citoyenneté québécoise. Certaines écoles ont déjà fait le choix d’offrir ce programme depuis septembre 2023, mais ce n’est qu’en 2024 qu’il sera enseigné de façon obligatoire dans toutes les écoles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/voici-pourquoi-le-cours-deducation-a-la-citoyennete-est-une-bonne-idee-et-ce-quil-doit-enseigner-171349">Voici pourquoi le cours d’éducation à la citoyenneté est une bonne idée... et ce qu'il doit enseigner</a>
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<h2>Une absence de délibération politique et citoyenne transparente</h2>
<p>En janvier 2020, le ministre de l’Éducation du Québec d’alors, Jean-François Roberge, déclare sa volonté de réformer le cours ECR et, en particulier de réduire la culture religieuse <a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/ethique-et-culture-religieuse-le-ministre-jean-francois-roberge-annonce-le-debut-des-consultations-en-vue-dune-refonte-du-programme">qui occupe à ses yeux une place trop importante</a>. Il souhaite la remplacer par l’éducation à la sexualité de même que par un ensemble de nouvelles thématiques. </p>
<p>Il annonce mettre aussitôt en place un processus de consultation citoyenne par la diffusion d’un questionnaire en ligne et la possibilité pour toute personne de déposer un mémoire. Or, tout ce processus est marqué à chaque étape par une grande opacité de la part du ministère de l’Éducation. Il refuse non seulement de communiquer les résultats du questionnaire, mais aussi de rendre public les mémoires déposés par les citoyens et les associations et de diffuser les conclusions du bilan qu’il a lui-même réalisé sur l’enseignement du programme ECR dans les écoles. </p>
<p>De plus, contrairement à ce qui avait été fait pour l’instauration du programme ECR, aucune commission parlementaire avec des auditions publiques n’est organisée, ni aucune délibération politique et citoyenne transparente n’est engagée pour discuter des contenus du nouveau programme CCQ. </p>
<p>Cette façon de procéder, plutôt inhabituelle, témoigne d’une volonté du ministre d’imposer ses propres choix sans les soumettre à la discussion. Elle tend à accréditer l’idée que les résultats et les analyses qui ne vont pas dans le sens de ce que le gouvernement souhaite sont mis de côté. Le témoignage de la première responsable de la révision du programme au ministère de l’Éducation, <a href="https://www.ledevoir.com/societe/education/642852/education-malaise-autour-du-nouveau-cours-de-citoyennete?#">qui a choisi de démissionner suite aux interventions répétées du cabinet ministériel</a>, le montre clairement.</p>
<h2>La délégitimation des experts</h2>
<p>Lors de l’annonce de sa volonté de réviser le programme ECR et d’en supprimer la culture religieuse, le ministre Roberge affirme s’appuyer sur des avis d’experts. </p>
<p>Cependant, il ne révèlera jamais qui sont ces spécialistes, sur quoi repose leur expertise et en quoi consistent précisément leurs analyses critiques. <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/la_fin_de_la_culture_religieuse">L’ouvrage que je viens de publier à ce sujet</a> analyse le contexte de ces critiques, tout particulièrement les différentes conceptions de la laïcité et des libertés de conscience et de religion, ainsi que les nombreux défis éducatifs que représente l’implantation d’un nouveau programme scolaire. </p>
<p>Il montre que bon nombre d’études critiques du cours ECR, s’affranchissant aisément des critères qui guident la recherche scientifique, relèvent du discours militant et du registre de la dénonciation : le programme est tour à tour accusé d’inviter au relativisme religieux, mais aussi d’être un outil de propagande confessionnelle. Il est vu comme une imposition du multiculturalisme et une promotion des accommodements raisonnables, et est jugé comme portant atteinte aux libertés de conscience et de religion. </p>
<p>Malgré leurs faiblesses, en particulier méthodologiques, ces discours ont tellement saturé l’espace médiatique qu’ils en sont venus à s’imposer comme une parole de vérité. Au même moment, dans les décisions ministérielles de modifier le programme ECR, on assiste à une mise à l’écart délibérée des spécialistes qui possèdent une réelle expertise, tant les universitaires experts de ce domaine que les enseignants, en particulier du secondaire. Ce sont pourtant eux <a href="https://presence-info.ca/article/societe/cours-ecr-perplexite-et-deception-chez-les-enseignants/">qui mettent en œuvre au quotidien le programme dans les écoles</a>. Ils ne sont ni consultés ni même informés en amont des décisions du ministre de l’Éducation. </p>
<p>Même un avis d’une institution aussi importante que le <a href="https://www.cse.gouv.qc.ca/publications/revision-ethique-et-culture-religieuse-50-0539/">Conseil supérieur de l’éducation</a>, qui a pris le temps de mener une consultation sérieuse, est ignoré. Or, un programme d’enseignement devrait être élaboré sur la base d’analyses rigoureuses et bien informées. Ce n’est clairement pas le cas ici. Pour quelles raisons alors ignorer l’avis des experts et refuser la délibération scientifique et démocratique ? </p>
<h2>Un projet éducatif politique</h2>
<p>Le but de cette réforme du programme ECR est à la fois d’exclure la culture religieuse du champ des connaissances scolaires et de réaffirmer un certain type de laïcité. </p>
<p>Cette décision s’appuie sur les discours des associations militantes que sont le <a href="http://www.mlq.qc.ca">Mouvement laïque québécois</a> et le groupe féministe <a href="https://site.pdfquebec.org/fr">Pour le droit des femmes</a>, qui portent sur les religions un regard fort négatif, les considérant comme irrationnelles, archaïques, inégalitaires, sexistes. Ces groupes <a href="https://h8d3m7z9.rocketcdn.me/wp-content/uploads/2020/12/Analyse-ECR.pdf">considèrent qu’il est préférable de ne plus en parler à l’école</a>. </p>
<p>De plus, ces associations jugent que la Loi 21, votée en 2019, qui proclame que l’État du Québec est laïque, est incompatible avec le cours ECR, comme si le respect de la laïcité exigeait l’invisibilisation du religieux, y compris dans le champ des connaissances scolaires. Pourtant, historiquement, l’étude des faits religieux comme objets de culture s’inscrit dans une perspective scientifique, voire laïque, qui la détache de ses ancrages confessionnels.</p>
<p>Par ailleurs le cours Culture et citoyenneté québécoise cherche à répondre à un grand nombre de problématiques sociales qui se trouvent dans l’air du temps : écocitoyenneté, citoyenneté numérique, prévention de la violence sexuelle, engagement politique, etc. Il s’inscrit dans une perspective où l’école est vue comme devant remédier à des problèmes de société jugés prioritaires à un moment donné. Il s’agit alors de promouvoir le développement chez les élèves de compétences comportementales et sociales, plutôt que cognitives, dans le but de favoriser des conduites considérées comme acceptables. </p>
<p>Ce modèle relève davantage de la mission de socialisation de l’école que de celle de l’instruction. Le principe même de transmission aux élèves d’un noyau significatif de connaissances dans l’élaboration d’une culture humaniste, par exemple sur les religions, semble alors dépassé au profit du développement des compétences des jeunes, afin qu’ils deviennent des citoyens efficaces dans leur siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212584/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mireille Estivalèzes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Absence de transparence, manque d’expertises sérieuses et d’analyses rigoureuses : le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise semble davantage répondre à une commande politique qu’éducative.Mireille Estivalèzes, Professeure en éducation, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2128312023-09-13T19:52:24Z2023-09-13T19:52:24ZPourquoi les discriminations nourrissent l’ignorance – et inversement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548083/original/file-20230913-15-v3c4g9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=39%2C0%2C743%2C443&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Margaret Qualley, dans la série Maid, interprète une jeune femme devenue femme de ménage pour échapper à une relation abusive. Son personnage, discriminé, éprouve des difficultés à rendre compte de son expérience afin d’être comprise par son entourage. </span> <span class="attribution"><span class="source">Netflix</span></span></figcaption></figure><p>En 2021, une <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fc5a96e5fc19ccdcf46fd9d55339591b/Dares%20Analyses_testing_discrimination_embauche.pdf">étude menée sous l’égide de la DARES</a> sur les discriminations <a href="https://theconversation.com/quy-a-t-il-de-discriminant-dans-un-cv-les-enseignements-de-la-recherche-experimentale-151808">à l’embauche</a> conduit à la conclusion suivante : « en moyenne, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française ». Plus généralement, en dix ans, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6473349">l’Insee constate une hausse de 4 points</a> des discriminations dont les trois principales sources sont le sexe, l’origine et l’âge. Face à une telle tendance, le <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-origine-num-15.06.20.pdf">Défenseur des droits</a> en appelait à « l’urgence d’agir » et rappelait que « ces discriminations, souvent peu visibles, entravent de façon durable et concrète les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs droits les plus fondamentaux ».</p>
<p>Si de nombreux travaux issus de disciplines comme <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2019-1-page-91.htm">l’économie</a>, la <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-soc-071811-145508">sociologie</a> ou la <a href="https://psycnet.apa.org/record/2014-05943-001">psychologie</a> nous offrent des ressources pour penser ce problème, qu’en est-il de la philosophie contemporaine ?</p>
<p>Une réponse pourrait se trouver dans le concept d’<a href="https://ndpr.nd.edu/reviews/epistemic-injustice-power-and-the-ethics-of-knowing/">« injustice épistémique »</a> forgé par la philosophe Miranda Fricker qui identifie une cause des discriminations dans nos attitudes intellectuelles. À la lumière de cette notion, les injustices sociales ne sont plus seulement liées au fait de mal agir mais également de « mal penser ».</p>
<p>Cette notion est un facteur qui aggrave systématiquement ces injustices – quelle que soit leur nature.</p>
<p>En effet, l’ignorance et l’absence de recul quant à nos propres préjugés, et la confusion entre culture dominante et intelligence entretient ce phénomène.</p>
<p>L’appartenance à un groupe social dominant peut ainsi conduire à croire que son raisonnement est « le bon », « le seul » voire « le meilleur » donc supérieur par nature à celui des groupes dominés. En parallèle, l’accès aux connaissances et le temps disponible pour apprendre et s’informer sont inégalement distribués selon les milieux sociaux ou les habitudes familiales ; or ce sont, entre autres, les connaissances qui permettent de raisonner, de se mettre à la place d’autrui, d’accéder aux débats d’idées. </p>
<h2>Qu’est-ce que l’« injustice épistémique » ?</h2>
<p>Partons de nos vies ordinaires et de l’importance que notre crédibilité joue dans les relations sociales. Pour construire des relations de confiance donc, tout simplement, d’initier notre processus d’intégration à la société, nous avons un double besoin : d’une part, être cru donc jugé comme digne de confiance et, d’autre part, être compris. Si un individu ment de manière répétée, il est probable que sa crédibilité soit remise en cause ; et c’est là une conclusion raisonnable et juste à en tirer.</p>
<p>Toutefois, si la crédibilité d’une personne est remise en cause en raison de son statut social c’est-à-dire de son appartenance à un groupe social particulier alors on peut parler d’injustice épistémique. « Injustice » car c’est un droit inaliénable que d’être reconnu dans sa capacité à raisonner. Comme le rappelle l’article premier de la <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">Déclaration universelle des droits de l’homme</a> : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». « Epistémique » car cette injustice est relative au domaine de la connaissance.</p>
<h2>Discrédit et incompréhension</h2>
<p>Dans son célèbre ouvrage <em>Epistemic Injustice. Power and the Ethics of Knowing</em> publié en 2007, Miranda Fricker théorise l’injustice épistémique à partir de ces deux formes : testimoniale et herméneutique.</p>
<p>L’injustice testimoniale est un discrédit intellectuel attribué à autrui en raison de son statut social et nourri par les préjugés. Un premier exemple que cite Miranda Fricker est celui d’un policier qui ne croit par une personne en raison de sa couleur de peau. Un autre est tiré du film <em>Le talentueux Mr Ripley</em> où le personnage Herbert Greenleaf décrédibilise l’accusation pour meurtre défendue par Marge Sherwood en déclarant : « Marge, il y a l’intuition féminine et puis il y a les faits ». Par ces mots, Greenleaf discrédite Marge non au regard du contenu de ses propos ou de son attitude intellectuelle mais de son genre. Dans la suite du récit, cette remarque sexiste lui permettra d’écarter tout soupçon à son égard jusqu’à ce que soit réhabilité la parole de Marge et, ainsi, découvert le véritable coupable.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour bien raisonner, encore faut-il avoir conscience de ses privilèges.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/32945713230/in/album-72157691229705502/">Flickr / Jeanne Menjoulet</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lorsqu’une situation, comme celle vécue par Marge, se présente, alors la personne discriminée peut éprouver des difficultés à rendre compte de son expérience afin d’être comprise. Pour Miranda Fricker, le second type d’injustice épistémique qualifié d’herméneutique trouve son origine dans les ressources interprétatives collectivement partagées. Ainsi, il est difficile pour la victime de formuler des énoncés compréhensibles car les mots ou les faits qu’elle relate sont absents du langage ou de la culture de son groupe. Un cas saillant est celui du harcèlement sexuel que la culture dominante rend difficile à tant à dénoncer qu’à énoncer en raison de l’absence de notions communes pour nommer ce genre de faits.</p>
<p>Les deux formes d’injustice épistémique nourrissent l’ignorance des oppresseurs. Dans un cas, ils se rendent coupables de leur bêtise par car ils se laissent guider par leurs préjugés. Dans le second, ils sont en partie victimes de la situation intellectuelle de leur groupe qui présente des carences en matière de ressources interprétatives.</p>
<h2>Un problème démocratique</h2>
<p>Du point de vue des opprimés, les enjeux démocratiques de notre problème sont évidents : privés du droit à l’égale dignité, méprisés intellectuellement, l’attitude des oppresseurs participe à les exclure de l’espace public. L’aveuglement partagé quant aux récits de leurs expériences conduit à exclure leurs points de vue de l’espace de formation du jugement et de décision. La riche littérature évoquée en introduction de cet article permet de mesurer les conséquences pratiques d’un tel état de fait.</p>
<p>Du point des oppresseurs, que l’on aimerait ignorer mais que le respect de l’égale dignité nous interdit, le problème se situe dans l’impossibilité d’accéder à une citoyenneté libre car éclairée. <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/lumieres">En termes kantiens</a>, la difficulté est liée à l’incapacité de l’oppresseur à sortir de son état de « minorité » pour parvenir à celui de « majorité ». Cette minorité « consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui » et, plus encore, dans le manque de désir de penser par soi-même. Les préjugés acquis, souvent involontairement, dès l’enfance et développés au cours de son histoire personnelle placent l’oppresseur dans un état d’aliénation que les philosophes de Lumières ont combattu avec force.</p>
<p>Comme le rappelait Kant dans <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/lumieres"><em>Qu’est-ce que les Lumières ?</em></a>, « la diffusion des lumières n’exige autre chose que la liberté, et encore la plus inoffensive de toutes les libertés, celle de faire publiquement usage de sa raison en toutes choses ». Or, notre malheur en la matière est qu’« il est […] difficile pour chaque individu en particulier de travailler à sortir de la minorité qui lui est presque devenue une seconde nature ».</p>
<h2>Comment résister à la bêtise pour devenir un citoyen libre et éclairé ?</h2>
<p>« Sapere aude » (« Ose savoir ») pourrait-on déclarer avec Kant qui voyait, dans cette injonction au courage d’utiliser sa propre intelligence, « la devise des lumières ». Aussi, dans la continuité de la théorie développée par Miranda Fricker qui conçoit l’injustice épistémique comme un vice intellectuel, la résistance à la bêtise impliquerait de résister aux vices et de cultiver la vertu. Par exemple, il s’agirait pour chacun de lutter contre sa propre arrogance intellectuelle qui le conduit à mépriser la capacité d’autrui à penser ou encore sa paresse de l’esprit qui le pousse à se contenter de ses préjugés et de ses fausses croyances.</p>
<p>Toutefois, la raison seule ne saurait suffire. Si l’on suit les traces de <a href="https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/les-vertus-epistemiques/responsabilisme-vertus-epistemiques-et-vertus-morales">la philosophe Linda Zagzebski</a>, la vertu est une motivation stable à poursuivre le bien. En matière de connaissance, cela implique donc que résister à la bêtise passe par la régulation de nos désirs en direction de la vérité et de la connaissance. Sans ce désir de la vérité et de la connaissance, indispensable pour devenir maître de ses pensées, l’individu peinera à revoir ses jugements tant ce qui le guide n’est pas le vrai mais plutôt ce qui comble d’autres désirs (le pouvoir, l’argent, la gloire, l’autorité, la certitude, le désir d’avoir raison, etc.).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">« Ah ces Chinois, ils travaillent dur ! » : quand le racisme se veut « bienveillant »</a>
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<p>Enfin, la résistance à l’injustice épistémique ne saurait se réduire à un travail individuel sur ses propres croyances. C’est là un aspect important de la théorie de Miranda Fricker qui relie la connaissance à la politique. En effet, les institutions démocratiques, portées par l’État, joue un rôle central de garant des libertés. Dès lors, on attend d’elles un certain pouvoir de régulation de nos mauvaises conduites notamment celles injustes qui nuisent à la liberté d’autrui.</p>
<p>En premier lieu, on peut <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2015-2-page-105.htm">légitimement attendre de l’école</a> qu’elle favorise la formation vertueuse de nos intelligences et nourrissent en chaque citoyen le goût voire le désir de la vérité, de la liberté, de la raison et de la justice. Ensuite, il est impératif que la culture épistémique des institutions publiques (police, justice, etc.) place au cœur de ses principes le sens de la vertu et la résistance aux vices. Enfin, un espace public qui garantit la libre expression des conflits et garantit aux <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2013-12-page-978.htm&wt.src=pdf">opprimés la possibilité de dénoncer les injustices</a> qu’ils subissent est indispensable à l’établissement d’une société véritablement démocratique. C’est en ce sens que le <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2013-12-page-978.htm&wt.src=pdf">philosophe José Médina</a>, à la suite de Fricker, invite à la « résistance épistémique » c’est-à-dire « l’utilisation de nos ressources épistémiques et de nos capacités pour affaiblir et changer les structures normatives de l’oppression ainsi que les formes complaisantes du fonctionnement cognitif-affectif qui soutiennent ces structures ».</p>
<p>Les récits de fiction qui mettent en avant des expériences de vie invisibilisées ou les mouvements sociaux qui remettent en cause l’ordre dominant quant à la manière de penser le sexe, la famille ou le travail sont de bons exemples de cette « résistance épistémique ». Par cette lutte, les opprimés participent à leur propre émancipation ainsi qu’à celles de leurs oppresseurs aliénés par l’ignorance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212831/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les injustices sociales et les discriminations sont causées, entre autres, par des raisonnements trop peu informés et qui manquent de recul.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094562023-07-10T15:43:11Z2023-07-10T15:43:11ZQue peuvent apporter les entreprises aux quartiers prioritaires ?<blockquote>
<p>« Tout passe par l’entreprise et l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Tel était l’intitulé du septième programme préconisé par le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=48">rapport « Borloo »</a> intitulé <em>Vivre ensemble, vivre en grand la République</em>. <a href="https://huffingtonpost.fr/politique/article/ce-que-contenait-le-plan-borloo-pour-les-banlieues-ecarte-par-macron-en-2018-et-qui-revient-dans-l-actualite-clx1_220197.html">Écarté en 2018</a> par le président de la République, le document a été remis sur le devant de la scène par les <a href="https://theconversation.com/topics/emeutes-66638">émeutes</a> consécutives à la mort de Nahel. Face à la misère économique des <a href="https://theconversation.com/topics/quartiers-populaires-53439">quartiers populaires</a>, la question du <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> y est qualifiée de « mère des batailles ». Il constituerait en effet « la manifestation la plus criante des inégalités, celle qui barre la route de l’avenir, qui fait perdre confiance en soi et dans notre République ».</p>
<p>Fruit d’une réflexion associant collectivités territoriales, associations, entreprises, et bien d’autres acteurs, le rapport souligne la relation complémentaire entre la lutte contre la <a href="https://theconversation.com/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a>, le travail et l’<a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-20563">entreprise</a>. Plus encore, il identifie cette dernière comme le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=6">moteur central</a> de la métamorphose de la vie de ces « 6 millions d’habitants » qui « vivent dans une forme de relégation voire parfois, d’amnésie de la Nation réveillée de temps à autre par quelques faits divers ».</p>
<h2>Contrat de travail, contrat social</h2>
<p>En conclusion de son <a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/pourquoi-travailler/">ouvrage</a> <em>Pourquoi travailler ?</em>, Anthony Hussenot, professeur en sciences de gestion à l’université Côté d’Azur rappelle :</p>
<blockquote>
<p>« Le travail est une activité complexe » […], jamais totalement une activité aliénée et seulement rémunératrice ou une activité totalement libre et émancipatrice. »</p>
</blockquote>
<p>Il identifie ainsi cinq rôles principaux que joue le travail dans nos vies.</p>
<p>Il joue un <strong>rôle économique</strong> par le revenu que nous en tirons qui doit nous permettre de subvenir à nos besoins, un <strong>rôle social</strong> en ce qu’il « permet aux individus de se positionner dans la société » et un <strong>rôle identitaire</strong> car « nos façons de parler, de nous comporter, nos croyances, mais aussi dans une certaine mesure, nos idées politiques, économiques, nos goûts culturels, etc., sont en partie le résultat de nos relations avec notre milieu professionnel ». Il possède également un <strong>rôle juridico-politique</strong> car le travail est un « contrat social » entre l’individu, l’employeur et l’État. Il scelle la « promesse » qu’en échange du travail fourni, les individus peuvent vivre décemment, notamment en accédant à la société de consommation, en étant protégés par l’État et en pouvant espérer un avenir meilleur ». Il remplit enfin un <strong>rôle politique</strong> par lequel nous participons à la production et la reproduction des systèmes dans lesquels nous vivons.</p>
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<p>Le seul énoncé de ces rôles suffit à comprendre pourquoi le travail est « la manifestation la plus criante des inégalités ». Lorsque le salaire ne permet pas de vivre, quand la position sociale induite par la profession est dévaluée symboliquement et socialement alors le contrat social est fragilisé car le travail ne remplit pas sa « promesse ». Avec un taux de chômage entre deux et trois fois supérieur à la moyenne au sein des quartiers populaires, c’est même une forme d’exclusion de ce contrat social qui est en cause.</p>
<p><iframe id="0QMEV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/0QMEV/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="eTx5d" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eTx5d/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Avoir un travail ne saurait cependant suffire</h2>
<p>Les solutions proposées par le rapport « Borloo » s’articulent autour de deux axes principaux : former par l’apprentissage, l’alternance et l’accompagnement et mobiliser des entreprises dans le cadre de création d’emplois favorisant les populations issues des quartiers populaires.</p>
<p>Pour nécessaires et pertinentes soient-elles, ces propositions ne sauraient être suffisantes. Encore faut-il s’assurer que le travail remplisse son rôle en permettant à chacun d’en tirer un revenu satisfaisant, répondant à ses aspirations individuelles et contribuant à la reproduction d’un système politique conforme à l’idéal démocratique. Puisque l’entreprise participe à l’intégration politique et sociale du citoyen, le simple fait d’« avoir un travail » ne saurait suffire. Encore faut-il que ce dernier garantisse la possibilité d’une vie digne.</p>
<p>Le préambule de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO::P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907">Constitution de l’Organisation internationale du travail</a> l’affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Or comme le souligne Alain Supiot, spécialiste du droit du travail, dans <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_force_d_une_id%C3%A9e-589-1-1-0-1.html"><em>La force d’une idée</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger […]. Cet abandon de [la justice sociale] engendre l’accroissement vertigineux des inégalités, l’enfoncement des classes populaires dans la précarité et le déclassement, les migrations de masse de jeunes poussées par la misère. Ce qui suscite en retour des colères et des violences protéiformes et nourrit le retour de l’ethnonationalisme et la xénophobie. ».</p>
</blockquote>
<p>En replaçant la justice sociale au cœur de la réflexion sur le rôle des entreprises et du travail, il s’agit de contrer les <a href="https://theconversation.com/le-neoliberalisme-est-il-mauvais-pour-la-sante-153493">effets délétères du néolibéralisme</a> qui participe à l’isolement des individus. Aux discours qui promeuvent l’idéal d’une réussite individuelle fondée sur l’accumulation de richesses matérielle ou la domination symbolique, l’idéal démocratique de justice sociale invite à la solidarité comme condition nécessaire de la liberté et de l’égalité.</p>
<h2>Les outils sont disponibles</h2>
<p>Dès lors, démocratiser l’entreprise ne signifie pas seulement favoriser le dialogue mais, plus fortement, subordonner le critère de performance au critère de justice. De la même manière, démocratiser le travail ne signifie pas seulement « créer des emplois ». C’est aussi, selon les termes de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO:62:P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907:NO#declaration">Déclaration de Philadelphie</a>, qui a défini en 1944 les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail, favoriser « l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ».</p>
<p>En abordant la question du travail et de l’entreprise par le prisme de la lutte contre la misère et l’affirmation des principes démocratiques, ce sont nos modes de pensée que nous sommes invités à réviser. Les quartiers populaires nous offrent le miroir précieux des limites et des dangers de notre système économique. Il ne s’agit plus de placer la société au service de l’entreprise mais bien de placer l’entreprise au service de la société. D’un point de vue normatif, il s’agit d’actualiser les principes et valeurs démocratiques en tout lieu notamment ceux où nous passons le plus de temps comme les <a href="https://www.cairn.info.fr/c-est-complexe--9782100828838.htm">entreprises</a>.</p>
<p>D’ailleurs, comme l’indique le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=7">« rapport Borloo »</a>, « nous sommes capables de traiter l’essentiel de ces problèmes ». En effet, la recherche sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-9-page-167.htm">modèles d’organisation démocratiques</a>, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/15/un-manifeste-pour-un-changement-de-modele-economique_6063407_3232.html">réflexions sur la relation entre la transition écologique et les nouveaux métiers</a> ou encore les propositions sur la réforme du <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782130651697-critique-du-droit-du-travail-3e-edition-alain-supiot/">droit du travail</a> sont à notre disposition. Toutefois, pour en tirer profit, expérimenter et mettre en œuvre ces solutions, il nous faudra d’abord quitter « les angoisses de notre histoire, les dispositifs accumulés, entassés, sédimentés, inefficaces, contradictoires, éparpillés, abandonnés où l’annonce du chiffre spectaculaire tient lieu de politique ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Favoriser l’implantation des entreprises dans les banlieues comme le suggérait le rapport Borloo doit permettre une intégration politique et sociale des citoyens.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030152023-05-25T16:48:55Z2023-05-25T16:48:55ZComment la Révolution française a réinventé l’école<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526753/original/file-20230517-25-3y1un3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=175%2C253%2C2954%2C2160&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le point d'honneur (G.Orrebow, Graveur,
E.Béricourt, Auteur du modèle,
Boissié et H. Louvigny , Editeur) - 18e siècle</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/le-point-d-honneur-0#infos-principales">Musée Carnavalet, Histoire de Paris</a></span></figcaption></figure><p>Évoquez autour de vous les débuts de l’école républicaine et aussitôt un nom surgira, celui de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-des-matins/l-invite-des-matins-6944927">Jules Ferry</a> évidemment. Pourtant, c’est près d’un siècle avant les fameuses <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/lois-scolaires-de-jules-ferry-comment-nait-l-ecole-de-la-republique-en-france-1316607">lois scolaires de 1881-1882</a> que l’école républicaine fit ses premiers pas, en pleine Révolution française.</p>
<p>À quoi ressemblait-elle, alors, <a href="http://www.cths.fr/ed/edition.php?id=7580">cette première école de la République</a> ? En quoi les expériences scolaires révolutionnaires contribuèrent-elles à façonner la pédagogie moderne et les fonctions que nous prêtons encore aujourd’hui à l’école ? Tentons un retour en arrière, pour mieux saisir la Révolution depuis une salle de classe.</p>
<h2>Former les citoyens de demain</h2>
<p>9 heures approchent. Des enfants du village, filles et garçons, convergent vers l’école, située tout à côté de l’église et du presbytère, au centre du bourg. Le bâtiment est récent, comme c’est le cas dans un nombre croissant de communes rurales. Il a de larges fenêtres et une salle de classe chauffée par un poêle – la <a href="https://editions.flammarion.com/le-miasme-et-la-jonquille/9782081382411">lumière qui circule, l’air qui chasse les miasmes</a> sont d’ailleurs des préoccupations en cette moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Sur son pourtour, de nombreux bancs ont été installés, certains dotés de tables (pour les élèves qui apprennent à écrire), d’autres sans rien (pour ceux qui apprennent à lire). On dissociait alors les deux apprentissages : la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/apprentissage-de-la-lecture-54963">lecture</a> d’abord, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ecriture-44598">l’écriture</a> plus tard. Sur les murs, l’enseignant a accroché des affiches. On peut y lire les lettres de l’alphabet ainsi que des textes – je vous dirai bientôt lesquels. Une pile de petits fascicules imprimés (des abécédaires) attend l’arrivée des enfants.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La scène que nous imaginons se situe en 1793, peut-être au premier semestre 1794. Ce village, nous l’avons fabriqué de toutes pièces, en nous appuyant sur des éléments attestés en ces instants de paroxysmes révolutionnaires. Mais on peut l’incarner davantage, si vous le souhaitez, par un retour au réel. Disons donc que <a href="https://psl.eu/agenda/le-maitre-decole-du-village-au-temps-des-lumieres-et-de-la-revolution">l’on est à Beaumont, en Auvergne</a>, car sur cette école-là on sait beaucoup de choses. <a href="https://www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_1989_mon_20_2">L’instituteur y a multiplié les écrits sur son activité</a>. En l’an II, il s’était renommé Quintilien Vaureix – au lieu de Pierre Vaureix – et, à cet instant précis de sa vie, il avait 31 ou 32 ans. Les présentations étant faites, ouvrons la porte de sa classe. Les enfants entrent, ils prennent leurs abécédaires. La suite, laissons-là aux explications de l’instituteur.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Déclaration des droits de l’homme et du citoyen" src="https://images.theconversation.com/files/526812/original/file-20230517-17-phmt6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526812/original/file-20230517-17-phmt6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526812/original/file-20230517-17-phmt6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526812/original/file-20230517-17-phmt6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526812/original/file-20230517-17-phmt6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=956&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526812/original/file-20230517-17-phmt6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=956&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526812/original/file-20230517-17-phmt6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=956&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean-Jacques_Le_Barbier_-_D%C3%A9claration_des_droits_de_l%27homme_et_du_citoyen_-_P708_-_Mus%C3%A9e_Carnavalet.jpg">Jean-Jacques-François Le Barbier/Musée Carnavalet</a></span>
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</figure>
<p>Dans la classe de Quintilien régnait un <a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">système méritocratique</a> : les places étaient hiérarchisées, et c’est par ses efforts, encouragés par des récompenses civiques, que l’on s’y hissait – point comme autrefois par la fortune des pères. Une fois assis, les élèves de Vaureix commençaient par lire et expliquer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le texte en était reproduit dans leurs fascicules.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/revolution-francaise-59562">Révolution</a>, à l’école de Quintilien, c’était aussi celle du langage : l’instituteur avait appris aux enfants à dire le « tu » de l’égalité, le « citoyen » qui remplaçait le « monsieur ». L’usage du français (la <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Une-Politique-de-la-langue">langue de la loi</a>) était établi au détriment du patois. Même le temps, ici, avait été révolutionné : l’école était fermée les quintidis et les décadis, ces cinquième et dixième jours de la nouvelle découpe républicaine du temps. Elle était en revanche ouverte les anciens jours de dimanche (il est vrai que Dieu avait été exclu de sa classe par Quintilien).</p>
<h2>Faire vivre les enfants en républicains</h2>
<p>Les décadis, les enfants de Beaumont devaient assister aux lectures de la loi faites par l’instituteur aux villageois. Ce jour-là, ils devaient aussi – les garçons du moins – participer à de petits exercices militaires pour être prêts, lorsqu’ils seraient adultes, à défendre la République (l’époque était à la guerre et à l’invention du service militaire). Quintilien, enfin, emmenait ses écoliers au club jacobin du village. À vrai dire, il leur avait même organisé un petit club où ils pouvaient débattre entre eux des affaires du temps, voter, élire, pétitionner. Ce que voulait Vaureix, on l’aura compris, c’était que ses élèves agissent en citoyens. Ils étaient 102, filles et garçons, à fréquenter son école, au printemps 1794.</p>
<p>Bien sûr, on n’est pas obligé de croire Quintilien sur parole quand il écrit qu’il faisait ceci, et cela. Pourtant, je vous propose de lui accorder un peu de crédit, car des instituteurs comme Quintilien, il y en avait plus de cent autres. Il y en avait dans chaque ville, <a href="https://journals.openedition.org/lrf/803">chez les institutrices comme chez les instituteurs</a>. Il y en avait aussi dans les campagnes (des instituteurs surtout, car presque pas d’institutrices ici) – du moins y en avait-il dans les communes républicaines du monde rural. Là, l’instituteur s’était trouvé chargé d’accompagner le groupe des habitants dans son choix de la République par des pratiques scolaires nouvelles.</p>
<p>Dans leurs registres, les autorités ont gardé trace de ce républicanisme scolaire. On y lit des Marseillaises chantées à n’en plus finir par des enfants de l’an II, des participations aux fêtes républicaines, des dons pour la défense de la République, des bataillons aux armes de bois pour les garçons, de petits clubs politiques, des textes patriotiques, le refus des châtiments corporels (la sanction des esclaves, non des hommes libres). Et puis l’essentiel : la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-du-24-juin-1793">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a>, celle qui figurait dans les abécédaires des enfants, celle qu’ils récitaient lors des fêtes, celle qui était affichée dans leur classe également.</p>
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<img alt="Garçon en uniforme de garde national, jeune fille, chien, miniatures : maquette de la Bastille, canon. Jardin, paysage" src="https://images.theconversation.com/files/526817/original/file-20230517-27-psto34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526817/original/file-20230517-27-psto34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=595&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526817/original/file-20230517-27-psto34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=595&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526817/original/file-20230517-27-psto34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=595&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526817/original/file-20230517-27-psto34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=748&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526817/original/file-20230517-27-psto34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=748&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526817/original/file-20230517-27-psto34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=748&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Enfants jouant la prise de la Bastille.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Enfants_jouant_%C3%A0_la_prise_de_la_Bastille._R%C3%A9volution_Fran%C3%A7aise,_Juillet_1789,_G.27896.jpg">Anonyme/Wikimedia</a></span>
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<p>Bien sûr, des variantes propres à chaque instituteur ont pu exister. Celui-ci aura enlevé les images pieuses qui ornaient sa classe. Celui-là aura organisé de petits procès où les enfants arbitraient eux-mêmes leurs disputes (gare alors à ne pas être privé de récréation). Dans l’ancien prieuré Saint-Martin-des-Champs, à Paris, un internat accueillait près de 300 enfants vivant sous le régime d’une Constitution républicaine. Ils s’y réunissaient en assemblée pour faire les lois de leur petite Cité.</p>
<p>L’ambition était de faire de l’école une République en réduction. Il fallait, pensait-on (c’était un legs des Lumières), mobiliser les sens, donc faire vivre les enfants en républicains, pour leur apprendre les savoirs et les pratiques de la citoyenneté. Que de changements par rapport aux leçons d’avant 1789, largement fondées sur la religion !</p>
<h2>L’école, une priorité pour les révolutionnaires</h2>
<p>Ces modèles pédagogiques (choses politiques) circulèrent largement. On le comprend. Reprenant aux <a href="https://journals.openedition.org/lrf/4161">Lumières</a> (encore) l’idée de la toute-puissance du pouvoir pédagogique, mais en la conjuguant à l’exigence d’une démocratisation de la scolarisation qui n’avait jamais vraiment été envisagée par les philosophes du XVIII<sup>e</sup> siècle, les révolutionnaires ont fait de l’école une priorité, en même temps qu’un objet brûlant du débat politique. C’est à elle, l’école, qu’ils confièrent la tâche (immense et décisive) de <a href="https://www.telerama.fr/enfants/pour-les-revolutionnaires-la-republique-se-doit-deja-d-offrir-une-ecole-publique-et-gratuite-7014542.php">former les citoyens de demain</a>, ceux sans lesquels la République ne pourrait vivre longtemps.</p>
<p>Cela a ouvert la voie à d’innombrables écrits, à maints discours, à quantité d’expériences, dans un <a href="https://www.cairn.info/visages-de-la-terreur--9782200600129-page-107.htm">formidable élan pédagogique</a> qui fit la marque de la période. Puis la loi s’y est mise. <a href="https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/revlawall0922v2/navigate/61/403">Un siècle avant Ferry, fin décembre 1793, l’école publique fut créée, gratuite et obligatoire</a>. Cela ne dura qu’un an – la mesure figurant parmi les victimes collatérales de la chute de Robespierre. Mais cette année-là compta. Elle compta, parce que cette loi rencontra un authentique succès. Elle compta, car elle était un projet pour l’avenir.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AMZlhGVgRMM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le maître d’école du village au temps des Lumières et de la Révolution (École nationale des chartes, mars 2023).</span></figcaption>
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<p>Insistons sur le fait que toutes les écoles du pays n’ont pas eu le visage de celle de Quintilien, même en 1793. Certaines étaient moins militantes dans leur républicanisme, d’autres étaient même franchement hostiles à la Révolution et continuaient d’enseigner les savoirs (pieux) de jadis.</p>
<p>En ville, face au grand nombre d’écoles, qui couvrait plus ou moins toutes les nuances politiques, les parents pouvaient choisir celle qui convenait le mieux à leurs opinions. Au village, où il n’y avait qu’un instituteur, les choses étaient différentes. Là, la commune maîtrisait le recrutement de l’enseignant et avait les moyens de lui imposer ses vues. Ni le pédagogue ni l’État n’y étaient véritablement maîtres du contenu politique des leçons.</p>
<p>Reste que l’école de la République a existé (pour la première fois). La Déclaration des droits fut le manuel de toute une génération de fils et de filles de républicains. Ils ne la comprenaient sans doute pas – ou pas complètement. Ils l’apprenaient néanmoins pour demain, un demain de XIX<sup>e</sup> siècle, un demain où ces gosses de 93, devenus adulte au temps de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/victor-hugo-61968">Hugo</a>, de <a href="https://theconversation.com/grace-aux-ressources-numeriques-on-sait-mieux-comment-travaillait-michelet-128536">Michelet</a>, purent donner des sens multiples et sans cesse renouvelés à ces quelques mots appris d’enfance, par cœur et par corps, ces mots qui donnaient pour but à la société le bonheur commun, le respect des droits fondamentaux, les secours publics, le droit à l’insurrection et à l’instruction, la démocratie. Pratiques et espoirs vains ? Plus d’un en garda en tout cas la mémoire vive.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Côme Simien ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On associe généralement l’école publique, gratuite et obligatoire au nom de Jules Ferry mais la Révolution française posa déjà, un siècle plus tôt, les bases de notre école républicaine.Côme Simien, Maître de conférences en histoire, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1969082023-01-31T19:32:39Z2023-01-31T19:32:39ZApprendre à être citoyen : ce que les jeunes pensent de l'éducation civique<p>Présents dans les cortèges de la manifestation ou bloquant pour la journée leur établissement, des lycéens et des étudiants ont tenu à montrer leur opposition au projet de réforme des retraites le 19 janvier dernier. Le soir, 13 000 personnes suivaient l’émission politique <em>Backseat</em> de Jean Massiet sur Twitch, dont 40 % de la communauté a <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/04/05/jean-massiet-hugodecrypte-brut-comment-de-nouveaux-producteurs-d-infos-captent-les-jeunes-sur-les-reseaux-sociaux_6120599_4401467.html">entre 15 et 24 ans</a>, et dans laquelle <a href="https://www.leparisien.fr/societe/greve-du-jeudi-19-janvier-philippe-martinez-invite-dune-emission-politique-sur-twitch-19-01-2023-BSWW2UKTWRAN7K3JZ344BLU2YE.php">il recevait Philippe Martinez</a>, secrétaire général de la CGT.</p>
<p>Ces indicateurs nous rappellent que les jeunes se désintéressent bien moins de la politique qu’on voudrait le prétendre. Leur intérêt apparaît même dès l’enfance, lors des premières confrontations à l’actualité, en famille, dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Pourtant, à l’école, il semblerait qu’on ne leur donne pas les outils pour décrypter le monde politique. On éviterait même d’en parler.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeunes-et-le-politique-au-dela-du-vote-des-formes-dengagement-multiples-177648">Les jeunes et le politique : au-delà du vote, des formes d’engagement multiples</a>
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<p>Cette constatation est somme toute étonnante puisque, depuis le XIX<sup>e</sup> siècle et <a href="https://books.openedition.org/pul/16020?lang=fr">l’école de Jules Ferry</a>, les programmes prévoient qu’une éducation civique soit délivrée en classe pour former les élèves à devenir des citoyens informés et engagés. Alors qu’en est-il réellement ?</p>
<p>Les résultats présentés ici sont issus d’un <a href="https://www.theses.fr/s153393">travail de thèse</a> portant sur l’apprentissage de la citoyenneté à l’école. L’enquête, mêlant observations et entretiens approfondis, a été conduite entre 2016 et 2021 dans sept établissements scolaires franciliens, dont trois étaient en réseau d’éducation prioritaire.</p>
<h2>Au cœur du défi démocratique</h2>
<p>Si l’éducation civique a traversé les décennies, c’est qu’elle est conçue comme un pilier des démocraties occidentales. On l’instaure pour affermir une démocratie naissante ; on la réforme pour <a href="https://philogalichet.fr/wp-content/uploads/2011/10/L%C3%A9ducation-civique-en-France1.pdf">relancer un système en crise</a>. Face aux tensions politiques et sociales croissantes, elle fait même l’objet d’une valorisation européenne et internationale depuis une vingtaine d’années. La compétence civique est <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=celex:32006H0962">définie par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne</a> comme l’une des huit compétences clés à développer chez les jeunes pour favoriser notamment la « citoyenneté active » et « l’intégration sociale ».</p>
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<p>Dans le même temps, ce postulat que l’acquisition d’une compétence politique minimale par les jeunes est essentielle à l’avènement de citoyens éclairés et participants commence à faire consensus parmi les <a href="https://www.annualreviews.org/doi/pdf/10.1146/annurev.polisci.4.1.217">chercheurs anglo-saxons</a> et <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-6-page-759.htm">français</a> après plusieurs décennies de débat.</p>
<p>C’est dans ce contexte et à la suite des attentats de <em>Charlie Hebdo</em> et de l’Hyper Cacher, que la France décide en 2015 de la mise en place d’une nouvelle discipline obligatoire tout au long du cursus scolaire : <a href="https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=32675">l’enseignement moral et civique</a> (EMC).</p>
<p>Bien que la réforme de l’EMC soit érigée au rang de priorité politique de l’exécutif, la discipline se voit en fait attribuer des moyens limités et garde un statut très secondaire. L’EMC se greffe à une autre voire à deux autres matières dans le cas de l’histoire-géographie en fin d’élémentaire et au collège, ce qui risque d’en faire une variable d’ajustement. En outre, aucune évaluation des enseignants n’est officiellement définie puisque la spécialité « Enseignement moral et civique » n’existe pas dans les corps d’inspection.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-lenseignement-moral-et-civique-148493">Qu’est-ce que l’enseignement moral et civique ?</a>
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<p>De la même façon, les consignes d’évaluation des élèves sont mineures et il n’y a pas d’épreuve séparée aux examens nationaux. Et la grande liberté pédagogique offerte aux professeurs pour cet enseignement cache en réalité un manque de ressources d’accompagnement.</p>
<p>Chez les enseignants, l’EMC véhicule alors l’image d’une discipline dont « tout le monde se fout » sans exception : le ministère de l’Éducation nationale, les chefs d’établissement, les syndicats et les parents. À cette perception négative s’ajoutent de multiples contraintes professionnelles qui les retiennent de se lancer dans cet enseignement.</p>
<p>Par manque de formation et de ressources, les enseignants ne se sentent pas compétents sur les sujets civiques. Ils considèrent qu’il leur faut investir un temps personnel important, dont ils manquent, pour être en mesure de les aborder en classe. En outre, les pédagogies participatives recommandées pour l’EMC nécessitent un équipement matériel particulier (outils informatiques, connexion Internet, grandes salles, etc.) qu’ils n’ont pas ou qui est vétuste. Faire de l’EMC signifie également restreindre les possibilités de finir le lourd programme de la discipline principale à laquelle il est associé.</p>
<p>Par conséquent, <a href="https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/Rapport_education_citoyennete.pdf">comme depuis le milieu du XXᵉ siècle</a>, l’éducation à la citoyenneté reste à l’état de discours et de programmes sans devenir une pratique réelle dans le quotidien des classes. La relégation au second plan de la discipline se perpétue. L’EMC est peu enseigné, ses heures sont sacrifiées au profit de la discipline principale (histoire, géographie, etc.) ou d’autres priorités d’enseignement (rattrapages de cours, sorties, évaluations, etc.).</p>
<h2>« Ça nous concerne tous »</h2>
<p>Pourtant, les enfants et les adolescents expriment un intérêt fort pour cette discipline scolaire différente des autres, tant par sa forme que par son fond, et ce n’est pas nouveau. Déjà dans les années 1970, <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1982_num_60_1_2279_t1_0078_0000_2">Madeleine Grawitz</a> montrait que plus de 80 % des élèves portaient un jugement positif sur l’éducation civique.</p>
<p>Les élèves lient d’abord leur appétence pour l’EMC à son caractère informel, c’est-à-dire avec des règles scolaires plus souples et une place importante accordée à leur participation et à leur opinion. La discipline est comme une respiration dans un cadre scolaire routinier et formel. Ce n’est pas pour autant qu’ils trouvent l’éducation civique simple. Une élève de seconde le résume en quelques mots :</p>
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<p>« Même avant un [cours d’EMC], je me dis “c’est cool, on va parler, on va donner notre avis, on va apprendre de nouvelles choses”. »</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8fKlt3HSNNM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le parlement des enfants (20 ans de LCP, 2020).</span></figcaption>
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<p>Ce qui fonde la curiosité des jeunes pour l’éducation à la citoyenneté, c’est aussi les sujets qui y sont étudiés : « ça nous concerne tous », affirment-ils. D’abord, l’EMC leur apporte un éclairage sur une actualité omniprésente dans leur quotidien, par la télévision mais aussi par leur hyperconnexion numérique (smartphone, tablette, réseaux sociaux). Ensuite, ils ont envie d’être préparés dans ces cours à devenir citoyens.</p>
<p>Pour les plus éloignés de l’univers politique, ils disent vouloir devenir de « bons adultes ». Pour les autres, ils se sentent concernés par l’apprentissage de la pratique du vote et la compréhension de la vie politique locale et nationale. Ils veulent ainsi être en mesure de « prendre le relais » dans l’espace public, selon l’expression d’un élève de CM2.</p>
<h2>L’intérêt des visites scolaires</h2>
<p>Quand un enseignement civique leur est proposé, les jeunes s’en emparent effectivement. Chez la totalité des 48 élèves interrogés, les effets des cours sont positifs s’agissant de leur familiarisation avec l’univers politique. Pour beaucoup d’entre eux, ces cours accroissent leur attrait pour les sujets politiques et civiques et développent un sentiment de proximité avec l’univers institutionnel. Ils leur permettent également d’acquérir des connaissances techniques et d’aiguiser leur esprit critique, mais l’effet observé est moins prononcé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ma-classe-en-campagne-cest-quoi-la-democratie-179225">« Ma classe en campagne » : C’est quoi la démocratie ?</a>
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<p>Pour augmenter ces effets cognitifs de l’éducation civique, certaines pratiques pédagogiques sont particulièrement appréciées et efficaces. La projection de films documentaires, comme celui de Raymond Depardon, <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/13595"><em>10ᵉ chambre. Instants d’audience</em></a>, sur le fonctionnement des institutions judiciaires, en est un exemple. La visite scolaire d’institution publique en est un autre et pas des moindres. C’est la pédagogie qui suscite les souvenirs les plus précis et les plus durables.</p>
<p>Mairie, Assemblée nationale, palais de justice : les élèves qui ont visité l’une de ces institutions ont des facilités à retenir leur nom et manient un vocabulaire spécifique pour raconter leur expérience de visite. Au-delà de la description de souvenirs concrets, les élèves parviennent à restituer des mécanismes institutionnels plus abstraits, comme les actions des personnes siégeant au sein de l’institution, et ont le sentiment d’avoir appris « beaucoup de choses ». De surcroît, ces souvenirs restent vifs dans le temps.</p>
<p>C’est ainsi qu’à travers l’éducation civique, l’école participe à développer la compétence et la curiosité politiques des jeunes. Face à ces différents constats, passer de la marginalisation de l’EMC à sa réhabilitation, tant dans les directives officielles que dans les pratiques de classe, pourrait s’avérer opportun.</p>
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<p><em>Sur la question précise de l’éducation à la citoyenneté européenne, un article de Camille Amilhat intitulé <a href="https://hal.science/hal-03927586">« L’Europe entre invisibilité et réalités distantes. L’appréhension des institutions européennes en Enseignement moral et civique »</a> vient de paraître dans l’ouvrage collectif dirigé par Sébastien Ledoux et Niels F. May, <a href="https://pur-editions.fr/product/8977/transmettre-l-europe-a-la-jeunesse">« Transmettre l’Europe à la jeunesse »</a>, aux Presses Universitaires de Rennes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Amilhat a réalisé sa thèse en contrat CIFRE. </span></em></p>Les enfants et les adolescents sont loin de se désintéresser de la politique. Mais l’éducation civique qui leur est dispensée leur donne-t-elle tous les moyens de décrypter ces enjeux citoyens ?Camille Amilhat, Enseignante-chercheuse en sciences de l'éducation et de la formation, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1896602022-11-20T06:48:08Z2022-11-20T06:48:08ZDébat : Repenser la citoyenneté pour mieux entendre la jeunesse ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/495946/original/file-20221117-25-zihl3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C998%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment donner aux jeunes les moyens d’être des citoyens à part entière, et entendre ce qu'ils ont à dire sur l’exploitation de notre planète ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/profile-adorable-little-boy-looking-smiling-1182266377">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://www.unicef.org/fr/convention-droits-enfant/histoire-droits-enfants">Déclaration des droits de l’enfant</a> fêtera son centenaire en 2024. Face à la complexité des crises qui nous font face, l’héritage d’Eglantyne Jebb, autrice de la Déclaration, et son insistance sur la nécessité de placer les droits de l’enfant en priorité dans l’agenda de la communauté mondiale doivent être plus que jamais pris en compte.</p>
<p>Comment faire entendre la voix des enfants et des jeunes, alors qu’ils ne sont pas considérés comme citoyens à part entière avant d’atteindre l’âge de la majorité ? Comment inclure les générations à naître et les nouvelles générations dans les processus de décision, alors que même la Déclaration des droits de l’enfant a été rédigée et ratifiée sans eux ?</p>
<h2>Un avenir inquiétant</h2>
<p>Les enfants et les jeunes vivent dans un monde où les crises sont multiples et imbriquées, sur les plans démocratique, économique, sanitaire, climatique, et environnemental, avec l’effondrement de la biodiversité.</p>
<p>Il est déconcertant de se dire que les adultes d’aujourd’hui font partie de la seule génération qui vivra plus longtemps que ses aînés et que ses descendants. Et c’est pourtant la perspective esquissée par le rapport <a href="https://www.unicef.fr/article/un-avenir-pour-les-enfants-du-monde-le-nouveau-rapport-oms-unicef-lancet/">UNICEF/OMS</a>, publié dans la revue <em>The Lancet</em> avant même que l’on perçoive tous les effets de la pandémie de Covid-19…</p>
<p>La crise sanitaire nous l’a démontré avec force : les inégalités d’accès à l’éducation et à la santé se sont accrues pendant la pandémie ; les violences physiques, psychologiques et sexuelles se sont accentuées, sans parler de la santé mentale des enfants et des jeunes qui a été mise à rude épreuve. C’est ce dont témoigne <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3918955">l’étude menée dans dix pays</a> (du « Nord » et du « Sud ») approuvée par la revue <em>The Lancet Planetary Health</em>, qui estime que 75 % des jeunes interrogés jugent le futur « effrayant ».</p>
<p>Et pourtant, ces jeunes s’engagent, à leur manière, pour faire bouger les lignes : en témoignent leur implication sur les réseaux sociaux, ou dans des mouvements tels que <a href="https://fridaysforfuture.org/">Fridays for Future</a>. Puisque nombre d’entre eux n’ont pas encore le droit de vote, ils s’expriment différemment, en choisissant de remettre en question le système dans lequel ils évoluent sur les questions sociétales et environnementales, en mettant les responsables politiques face à leurs responsabilités.</p>
<h2>De la citoyenneté à la planetizenship</h2>
<p>À l’école, nous avons tous appris qu’il fallait être de bons citoyens. Mais quand donnera-t-on à ces jeunes les moyens d’être des citoyens à part entière, eux qui sont les premiers concernés par les conséquences de l’exploitation de notre planète ?</p>
<p>Il suffit pourtant de réfléchir aux bases historiques de la « citoyenneté » et de questionner ses limites géographiques pour s’apercevoir que le concept n’a en réalité jamais été très inclusif. Certes, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/figures-de-la-participation-citoyenne-dans-la-grece-antique-8304355">citoyenneté athénienne</a> a constitué un progrès face à la domination des tyrans. Elle a permis l’accès aux arts, à l’éducation, à la science, au débat ouvert et surtout, à la démocratie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-et-si-nous-faisions-des-jeunes-les-premiers-citoyens-de-la-planete-168591">Débat : Et si nous faisions des jeunes les premiers citoyens de la planète ?</a>
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<p>Pourtant, cette cité était dotée de murs qui séparaient les autochtones des étrangers, et, parmi ceux qui vivaient au sein de ces murs, seuls les individus capables de défendre la cité des menaces extérieures étaient éligibles au statut de citoyen, excluant d’office les esclaves, les femmes et les enfants. Par-delà ces murs, il y avait la Nature, dont on extrayait la subsistance destinée à nourrir la population citoyenne et à la faire prospérer.</p>
<p>À l’époque des Lumières, la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/23860-quelle-est-lhistoire-de-la-notion-de-citoyennete-depuis-lantiquite">notion de citoyenneté</a> est repensée à l’échelle de la nation, mais elle n’en reste pas moins exclusive des droits des femmes, des migrants, des esclaves et des jeunes.</p>
<p>Alors que les femmes sont les dernières à être devenues citoyennes, les plus jeunes ne le sont toujours pas. À l’heure du numérique, nous pouvons réinventer l’héritage des Lumières, afin de le rendre plus inclusif, plus écologique et de le faire à l’échelle de la planète.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495885/original/file-20221117-23-a1wccp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495885/original/file-20221117-23-a1wccp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495885/original/file-20221117-23-a1wccp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495885/original/file-20221117-23-a1wccp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495885/original/file-20221117-23-a1wccp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495885/original/file-20221117-23-a1wccp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495885/original/file-20221117-23-a1wccp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Un citoyen est donc celui qui jouit du privilège de résider à l’intérieur des murs de la cité. Face aux interdépendances de notre monde contemporain, cette notion n’est-elle pas aujourd’hui inadaptée pour résoudre les crises du XXI<sup>e</sup> siècle ?</p>
<p>Le <a href="https://www.unhcr.org/fr/qui-est-apatride-et-ou.html">Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés</a> estime qu’il y a des millions de personnes apatrides dans le monde, dont près d’un tiers sont des enfants. Ce phénomène « est souvent le résultat de politiques visant à exclure les personnes considérées comme étrangères, nonobstant leurs liens profonds avec un pays donné », soit des personnes nées au sein du mauvais groupe ethnique dans le mauvais pays. C’est une conséquence de la notion de citoyenneté : par nature, celle-ci ne vaut que pour certains et non pour tous.</p>
<p>Il est grand temps de dépasser le champ limité de la citoyenneté pour faire émerger une notion plus universelle. Cette notion, c’est la « planetizenship » (terme que l’on préfèrera ici à celui de planetoyenneté qui, s’il rime avec citoyenneté n’est pas très heureux).</p>
<p>Avec la planetizenship, l’idée d’un groupe ethnique qui ne serait pas à sa place ne fait plus aucun sens. En adoptant le concept de planetizen, on abandonne l’idée selon laquelle l’individu mériterait des droits uniquement en échange de son engagement à défendre sa patrie. En fait, on va jusqu’à oublier l’idée même de défense et de guerre pour s’orienter vers une entreprise pacifique basée sur des efforts collectifs dans le but de nourrir la population, d’améliorer l’éducation et la qualité de vie, d’assainir nos écosystèmes, de promouvoir la justice et de soutenir la biodiversité.</p>
<h2>Écrire la Déclaration des droits des planetizens</h2>
<p>La planetizenship permettrait d’imaginer un sentiment de fraternité et d’appartenance qui s’appliquerait cette fois à toute la population terrestre, végétaux et animaux compris. Devenir planetizen ou « planétiser le mouvement », pour reprendre les mots de Martin Luther King Jr., ce serait mettre en commun notre conception des choses, nos actions, nos droits, nos institutions, nos objectifs et notre capacité à nous mettre d’accord sur la façon dont nous devons vivre ensemble sur cette Terre.</p>
<p>La perspective de fonder une telle communauté mondiale peut donner le vertige, c’est pourquoi l’utilisation d’outils concrets est indispensable pour rester ancré.</p>
<p>Pourquoi alors ne pas s’inspirer d’une méthode éducative ? Kiran Bir Sethi, designer, éducatrice, réformatrice éducative, et entrepreneure dans le domaine social a imaginé l’approche <a href="https://www.ted.com/talks/kiran_sethi_kids_take_charge?language=en">« Feel-Imagine-Do-Share »</a> (Ressentir-Imaginer-Faire-Partager, inclus dans la <a href="https://reseau.batisseursdepossibles.org/">démarche Bâtisseurs de Possibles</a>, déclinaison française de design for change) pour aider les écoliers à développer des projets qui aident leurs communautés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/77XSY31wDUM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Et si l’école appartenait aux enfants ? C’est une question que soulève le dernier film d’Alexandre Castegnetti.</span></figcaption>
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<p>Adoptons donc ce cheminement pour mettre en place la planetizenship. D’abord, nous ressentons l’existence d’un problème. Nous éprouvons un malaise vis-à-vis de la définition de la citoyenneté telle qu’elle apparaît dans l’histoire de la démocratie, quelque chose cloche, nous le ressentons dans notre cœur, et il est difficile pour nous d’y mettre des mots. L’art, la poésie peuvent nous aider à coucher ces émotions sur papier.</p>
<p>Puis, nous imaginons une solution : nous souhaitons élargir la notion de citoyenneté pour la rendre plus inclusive, l’ouvrir comme un chapiteau pour y abriter tout le monde, à commencer par les exclus, les migrants, les femmes et les enfants.</p>
<p>Ensuite, il nous reste à faire quelque chose pour résoudre le problème : rédiger la Déclaration des droits des planetizens ensemble, en nous servant des technologies numériques à notre disposition.</p>
<p>Enfin, nous partageons cette déclaration et nous nous mettons en quête de soutiens, afin d’encourager les dirigeants du monde à ratifier la Déclaration des droits des planetizens.</p>
<h2>Inclure les jeunes générations</h2>
<p>Si le rôle des adultes est crucial dans l’intégration des nouvelles générations dans le processus démocratique, et dans la <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/benedicte-manier/miser-societe-civile-lexemple-scandinave/00104616">transmission des valeurs de l’engagement</a>, les enfants et les jeunes doivent être au cœur de la rédaction de la Déclaration des droits des planetizens, comme ils doivent pouvoir donner leur avis et faire entendre leur voix.</p>
<p>Chaque planetizen, s’il apprend de manière holistique à prendre soin de lui, des autres et de la planète doit aussi penser son passé, son présent et son futur et ceux de notre humanité.</p>
<p>Chez les Iroquois, peuple vivant traditionnellement en Amérique du Nord, la prise en compte des générations futures dans toutes les décisions est ancrée dans des fondements ancestraux. Le principe des « Sept Générations » enjoint aux chefs iroquois d’agir au nom des membres vivants de la nation, mais aussi des sept générations à venir ! L’idée derrière ce principe, c’est que les peuples iroquois ne font donc qu’emprunter la terre de leur progéniture, qui vivra sept générations plus tard.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-si-nous-avions-des-debats-constructifs-168595">Et si nous avions des débats constructifs ?</a>
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<p>Aujourd’hui, les Gallois adoptent une tendance similaire à réfléchir et à agir au nom des générations futures. <a href="https://www.futuregenerations.wales/team/sophie-howe/">Sophie Howe</a> est l’actuelle Commissaire pour les Générations Futures du Pays de Galles, une fonction créée pour veiller à la protection des générations futures. Quand des citoyens à travers le monde comme les jeunes de mouvements écologistes font pression sur les décisionnaires depuis l’extérieur, Sophie Howe exerce son influence à l’intérieur du gouvernement, suit de près les actions quotidiennes des organismes publics gallois et tire la sonnette d’alarme lorsque les décisions ne se conforment pas aux objectifs de développement durable mis en place pour le Pays de Galles.</p>
<p>Et si nous agissions en <a href="https://www.ted.com/talks/roman_krznaric_how_to_be_a_good_ancestor?language=en">bons ancêtres</a> pour les générations à venir, en s’inspirant des Iroquois et des Gallois ? Et si nous devenions des planetizens qui prônent les droits des générations à naître, des enfants et des jeunes, eux qui sont les derniers à obtenir le droit de vote, et les premiers à souffrir des conséquences d’une planète en voie de détérioration ? Et si nous « planétisions le mouvement » ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495888/original/file-20221117-25-jbz590.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495888/original/file-20221117-25-jbz590.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495888/original/file-20221117-25-jbz590.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495888/original/file-20221117-25-jbz590.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495888/original/file-20221117-25-jbz590.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495888/original/file-20221117-25-jbz590.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495888/original/file-20221117-25-jbz590.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Planétiser, c’est repenser nos actions individuelles et collectives en se sentant observé par les yeux inquiets de notre planète épuisée.</p>
<p>Et vous, comment vous présenteriez-vous ou vous décririez-vous aux yeux de la planète ? Pourriez-vous l’exprimer sous la forme d’un poème, d’une <a href="https://twitter.com/vinn_ayy/status/1336178629450018817">vidéo</a> humoristique, ou d’un court texte ? Vous trouverez ma propre tentative ci-dessous, mais je serai ravi de découvrir la vôtre.</p>
<p>Si vous rédigez un poème ou un texte en prose, partagez-le sur le réseau social de votre choix avec le hashtag #planetizen :</p>
<blockquote>
<p>Vu depuis les yeux de la planète,<br>
Si nous étions un peu honnêtes,<br>
Nous admettrions que notre bilan n’est pas très net.</p>
<p>Si nous étions réveillés par nos descendants<br>
Qui nous demandent d’expliquer notre bilan,<br>
Il faudrait admettre que nous avons été trop lents,<br>
Dans notre prise de conscience,<br>
Malgré les résultats de la science.</p>
<p>En tant que citoyen,<br>
Nos résultats sont bien moyens,<br>
Pendant que l’on exploite les gaz de schiste,<br>
On élit toujours plus de fascistes.</p>
<p>Alors que certains prennent les armes,<br>
Toujours plus nombreuses sont les larmes.<br>
Sommes nous condamnés à l’agression, l’exclusion, la compétition, l’hyperconsommation, la destruction, la domination ?</p>
<p>Si le citoyen est l’homme en arme qui défend les murs de la cité,<br>
Faut-il s’étonner que les migrants, les esclaves, les femmes et les enfants n’aient pas facilement accès à la citoyenneté ?<br>
Sommes nous capables de comprendre que ces murs séparent l’homme de la nature,<br>
Qui pour nourrir nos Cités se transforme aujourd’hui en sépulture ?<br>
Puissent nos enfants apprendre à coopérer pour relever les défis de notre temps plus que d’être en compétition sur les savoir d’hier.<br>
Puisse la poésie nous aider à sortir de notre anesthésie.<br>
Puissions nous écrire ensemble la suite en un cadavre exquis.</p>
<p>Et si nous écoutions enfin Martin Luther King qui nous invitait à planétiser le mouvement,<br>
Serions-nous capables au vue de notre interdépendance et de nos vulnérabilités de repenser nos actions, notre capacité à vivre ensemble sur le frêle esquif interstellaire qu’est notre maison commune ?<br>
Serions-nous capables de soigner simultanément la santé planétaire et l’éco-anxiété ?</p>
<p>Et si nous devenions des planetizens ?<br>
Serions nous inspirés par les maîtres zens,<br>
Capables de prendre soin de nous, des autres et de la planète ?<br>
Serions-nous capables d’éviter la tragédie des communs ?<br>
En inventant tous ensemble un autre chemin,<br>
Où on tiendrait en main notre destin !</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/189660/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Taddei ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour faire entendre la voix des jeunes dans la sphère publique, ne faut-il pas passer de la citoyenneté à la « planetizenship » ? Réflexions alors qu’on célèbre le 20 novembre les droits de l’enfant.François Taddei, Président (Chief Exploration Officer), Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1866582022-08-23T18:04:09Z2022-08-23T18:04:09ZLes grands défis de l’école française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/479897/original/file-20220818-23-fir549.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1000%2C619&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment rendre l’école plus juste, plus efficace, plus hospitalière ? C'est toute la communauté éducative qui doit relever ce défi structurel.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/student-running-over-gap-between-mountains-1675819324">Shutterstock</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>L’École de la République est fille des Lumières. Ouverte à toutes et tous, elle prend forme à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle. Gratuite, laïque et soucieuse de l’égalité des chances, elle se veut un lieu préservé des turbulences de la société, puisque vouée à éclairer et à émanciper les hommes. Au-delà des enjeux d’efficacité et de justice inhérents à sa mission, la voilà néanmoins confrontée à de nouveaux défis qui ouvrent une nouvelle page de son histoire, estime Eirick Prairat dans <a href="https://www.esf-scienceshumaines.fr/education/416-l-ecole-des-lumieres-brille-toujours.html">L’école des Lumières brille toujours</a>, un ouvrage qui paraît en cette fin août 2022 chez ESF Sciences Humaines et dont l’auteur nous propose un aperçu dans le texte ci-dessous.</em></p>
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<p>Notre école a <a href="https://www.esf-scienceshumaines.fr/education/416-l-ecole-des-lumieres-brille-toujours.html">cinq grands défis</a> à relever, cinq combats à mener. Il faut distinguer les défis structurels et les nouveaux défis. Les premiers sont des tâches sans cesse recommencées, sans cesse continuées, car inscrites au cœur même du projet républicain ; comment rendre l’école plus juste, plus efficace, plus hospitalière ? Ces défis sont ceux d’hier, comme d’aujourd’hui et de demain. Les nouveaux défis – l’épreuve de la post-vérité et le défi du vivant – sont apparus il y a deux petites décennies. Plus récents, ils sont aussi plus inquiétants.</p>
<h2>L’exigence de justice</h2>
<p>L’école française est devenue une des écoles les plus <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797588?sommaire=4928952">inégalitaires</a>. C’est au collège que la situation se dégrade avec l’apparition de véritables établissements ghettos. Certains établissements en réseau d’éducation prioritaire renforcée accueillent, reflet de la ségrégation résidentielle, jusqu’à 70 % d’élèves issus de milieux défavorisés.</p>
<p>Notre école amplifie ces inégalités sociales initiales, <a href="https://www.cnesco.fr/inegalites-sociales/fabrique-des-inegalites-a-lecole/">comme l’a montré le Cnesco</a>, en offrant à ces élèves un enseignement de moindre qualité, avec des temps d’apprentissage plus courts, des professeurs moins expérimentés, des équipes pédagogiques moins stables et le recours à des méthodes pédagogiques souvent moins efficaces. Si notre système scolaire peine à offrir une véritable égalité des chances, ce sont les grandes écoles qui portent cette question de l’injustice à son point d’incandescence.</p>
<p><a href="https://www.ipp.eu/publication/janvier-2021-grandes-ecoles-quelle-ouverture-depuis-le-milieu-des-annees-2000/">Les travaux de Julien Grenet et de son équipe</a> nous apprennent que, dans les écoles les plus prestigieuses (comme l’ENS-Ulm, Polytechnique, HEC ou encore Sciences Po Paris), le pourcentage d’étudiants issus de catégories sociales très favorisées atteint 90 % des effectifs. Autant dire que ces écoles sont des chasses gardées. Il y a bien injustice car ces inégalités d’accès ne s’expliquent qu’en partie par des écarts de performance.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247">Démocratiser les grandes écoles : pourquoi ça coince ?</a>
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<p>Si 40 % de cet écart peut être expliqué par des performances scolaires moyennes plus élevées des élèves issus des catégories sociales très favorisées, il reste que plus de la moitié de l’écart renvoie à d’autres facteurs (éloignement géographique, manque d’information, faibles ressources familiales, phénomène d’autocensure), rappelant combien l’exigence de justice reste un enjeu brûlant.</p>
<h2>La question de l’efficacité</h2>
<p>Nous avons encore en mémoire <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/02/20/le-niveau-scolaire-baisse-cette-fois-ci-c-est-vrai_1835461_3232.html">l’inquiétude de l’historien Antoine Prost</a> écrivant dans le journal <em>Le Monde</em> en février 2013 : « Le niveau scolaire baisse, cette fois-ci c’est vrai ! » On peut évoquer <a href="https://www.oecd.org/pisa/">PISA</a> (enquête qui porte sur leurs compétences en lecture, sciences et mathématique), <a href="https://www.iea.nl/studies/iea/pirls">PIRLS</a> (qui évalue la compréhension de l’écrit des élèves de CM1), ou encore <a href="https://timssandpirls.bc.edu/">TIMSS</a> (qui s’intéresse aux compétences des élèves de CM1 et de quatrième en mathématique et en sciences), toutes ces enquêtes internationales convergent pour souligner la médiocrité voire la faiblesse des résultats de nos élèves.</p>
<p>Parlons <a href="https://theconversation.com/quelle-place-pour-les-maths-en-france-175718">mathématiques</a>, l’actualité nous y invite à travers la question de la place de cette discipline au lycée. Avec un score de 485 points lors de la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/08/mathematiques-la-france-derniere-eleve-des-pays-developpes_6062599_3224.html">dernière enquête TIMSS</a>, les élèves français de CM1 se situent bien en deçà de la moyenne européenne (527 points) et de la moyenne des pays de l’OCDE (529 points). Le niveau des élèves de quatrième s’effondre avec une baisse de 47 points en deux décennies. Cela signifie, pour dire les choses clairement, que les élèves de quatrième ont le niveau qu’avaient les élèves de 5<sup>e</sup> en 1995.</p>
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<p>Il faut ajouter à ce constat les 100 000 jeunes qui quittent notre école <a href="https://www.gouvernement.fr/action/vaincre-le-decrochage-scolaire">sans diplôme ni qualification</a>. Même si ces trois dernières décennies, les sorties sans diplôme ont diminué, elles restent encore élevées. Il y a des explications extrascolaires (les conditions de vie, les diplômes des parents, le fait d’appartenir à une famille monoparentale), mais l’école a bien évidemment un rôle de premier plan à jouer. Comment l’aider à retrouver toute son efficacité de ce point de vue, c’est une question majeure aujourd’hui.</p>
<h2>Rendre l’école plus hospitalière</h2>
<p>Rendre l’école plus hospitalière est le troisième défi structurel. On peut écrire une histoire de l’école à l’aune du principe d’hospitalité. Accueil des enfants de notables puis de ceux des classes populaires au XVII<sup>e</sup> avec la généralisation des petites écoles charitables, accueil des filles et de ceux que l’on appellera au XIX<sup>e</sup> siècle les « arriérés mentaux », accueil enfin des enfants dits « à besoins particuliers ». Mais nous ne saurions réduire l’hospitalité à l’accueil, elle est aussi la place réellement faite à autrui.</p>
<p>L’école doit devenir un lieu de vie aussi bien que d’étude. Les élèves doivent pouvoir prendre part à la mise en œuvre de dispositifs requis par la vie studieuse car habiter un lieu c’est se l’approprier, un élève doit pouvoir dire en son for intérieur : « cette école, c’est la mienne ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-rituels-qui-organisent-la-vie-scolaire-une-importance-a-reconsiderer-169037">Ces rituels qui organisent la vie scolaire : une importance à reconsidérer ?</a>
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<p>La classe est, on le sait, ce lieu original où l’on s’instruit en se socialisant. L’enfant, devenu élève, y est confronté à une double altérité : celle de ses pairs et celle de la culture. La philosophe <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2020-4-page-101.htm?ref=doi">Corine Pelluchon</a> parle dans ses travaux de convivance qui, nous dit-elle, dépasse la simple coexistence car elle « traduit non seulement le désir mais aussi le plaisir qu’il y a à vivre ensemble, les uns avec les autres, et pas seulement les uns à côté des autres ». La convivance scolaire – osons l’expression –, qui cultive le désir et le plaisir d’apprendre ensemble, passe assurément par des modes d’apprentissage coopératifs et une ritualité scolaire rénovée.</p>
<h2>L’épreuve de la post-vérité</h2>
<p>L’ignorance est toujours là mais elle n’est plus toute seule. L’école, dans ses grandes classes, doit faire face au flot des propos ineptes, des délires conspirationnistes et autres divagations. Une nouvelle menace est apparue : la post-vérité. C’est un mal sournois qui se plaît à mimer l’art de raisonner, qui subvertit les compétences cognitives et menace l’école dans sa tâche de transmission.</p>
<p>Ce phénomène résulte de la conjonction de deux éléments : la tendance à surestimer nos compétences dans les domaines que l’on maîtrise le moins, ce que l’on appelle parfois <a href="https://online.edhec.edu/fr/blog/comprendre-effet-dunning-kruger/">l’effet Dunning-Kruger</a>, et une capacité sans précédent à échanger et à communiquer avec l’arrivée d’internet.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-parole-des-professeurs-fait-elle-encore-autorite-149023">La parole des professeurs fait-elle encore autorité ?</a>
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<p>Le doux rêve d’une société de la connaissance s’est trouvé, dès les débuts, contrarié par le cauchemar d’un monde de la bêtise et de la désinformation. La post-vérité nous invite à réfléchir sur les contenus d’enseignement car, avant d’être juste, l’école doit être une bonne école, c’est-à-dire une institution qui enseigne ce qui mérite d’être enseigné pour émanciper les hommes. Elle nous invite aussi à revisiter l’art d’enseigner. Pas d’enseignement sans un apport sur les règles et protocoles épistémiques qui prévalent dans la discipline que l’on enseigne. Il faut aussi apprendre aux élèves à être attentifs aux processus mentaux qu’ils mettent en œuvre dans le moment même où ils apprennent. Pas d’esprit critique sans travail métacognitif.</p>
<h2>Le défi du vivant</h2>
<p>S’il y a des réalités que l’on ne plus ignorer, ce sont bien les désastres climatiques et écologiques. Relever ce défi passe par la valorisation de deux enseignements : l’enseignement moral et civique et l’éducation artistique et culturelle. Ironie de l’histoire, quand les parents pauvres de l’école deviennent les ambassadeurs de la révolution culturelle qui s’annonce.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-lenseignement-moral-et-civique-148493">L’enseignement moral et civique</a> s’organise autour de trois finalités : respecter autrui, acquérir les valeurs de la République et construire une culture civique. Il faut ajouter à ce programme ambitieux une quatrième finalité : faire acquérir une conscience écologique. L’heure est à l’écocitoyenneté.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/476510/original/file-20220728-27592-gdejwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/476510/original/file-20220728-27592-gdejwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/476510/original/file-20220728-27592-gdejwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/476510/original/file-20220728-27592-gdejwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/476510/original/file-20220728-27592-gdejwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/476510/original/file-20220728-27592-gdejwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/476510/original/file-20220728-27592-gdejwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.esf-scienceshumaines.fr/education/416-l-ecole-des-lumieres-brille-toujours.html">ESF Sciences Humaines</a></span>
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<p>Il faut aussi promouvoir l’éducation artistique qui est sans doute la meilleure école pour nous aider à repenser notre rapport à l’altérité, à tout ce qui est autre que nous et dont nous dépendons pour vivre. Il s’agit de passer d’une conscience polarisée par le désir de connaître et de dominer à une attitude animée par le souci de l’accueil.</p>
<p><a href="https://eduscol.education.fr/1851/education-artistique-et-culturelle">L’éducation artistique</a> nous invite à cultiver l’écoute et l’attention car l’homme n’est pas seulement un être qui analyse et fabrique, il est aussi un sujet qui ressent et reçoit. À l’heure où l’on ne jure que par les mots d’appropriation et de compétence, où la connaissance se mesure à sa seule capacité à faire, il faut aussi penser la formation comme acquisition de postures qui modifient notre présence au monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186658/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eirick Prairat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des enjeux d’efficacité et de justice inhérents à sa mission, l’école se trouve aujourd’hui confrontée à des défis qui ouvrent une nouvelle page de son histoire.Eirick Prairat, Professeur de Philosophie de l’éducation, membre de l’Institut universitaire de France (IUF), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1863462022-07-14T21:04:38Z2022-07-14T21:04:38ZComment le niveau de diplôme influence la crise démocratique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473590/original/file-20220712-30704-gdmqiu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C2047%2C1351&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'ignorance mène toujours à la servitude, expo de C215 "Douce France", Mairie de Paris 13, 2015.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/16283652180/in/album-72157640392708995/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Plusieurs indices attestent qu’il existe une profonde insatisfaction à l’égard de la démocratie en France : hausse de l’abstention, défiance envers les élites, renforcement des partis dits populistes, hausse de l’engagement protestataire, succès du complotisme.</p>
<p>Signe supplémentaire : depuis quelques années, des appels sont lancés en faveur d’une démocratie plus directe, que ce soit sous la forme de <a href="https://www.larevuecadres.fr/articles/les-conferences-de-citoyens/4549">conférences de citoyens</a> ou sous la forme de <a href="https://www.europe1.fr/politique/le-referendum-dinitiative-citoyenne-obsession-des-gilets-jaunes-3822806">référendums d’initiative populaire</a>, deux dispositifs pourtant très différents.</p>
<p>Comment expliquer cette situation ? Sans prétendre résoudre une question complexe, nous voudrions insister sur un facteur à la fois important et sous-estimé : le niveau d’éducation.</p>
<h2>L’école, temple moderne</h2>
<p>Le niveau d’éducation en France, comme dans beaucoup de pays, a fortement augmenté depuis 1945. Alors que seulement 5 % d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat en 1950, on est aujourd’hui <a href="https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/8/EESR8_ES_08-les_evolutions_de_l_enseignement_superieur_depuis_50_ans_croissance_et_diversification.php">aux alentours de 80 %, dont la moitié pour le bac général</a>.</p>
<p>Une mutation d’une telle ampleur, que des observateurs comme <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/trente-glorieuses#">Jean Fourastié</a> ou <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1996_num_37_3_5722">Ronald Inglehart</a> ont qualifié de « révolution silencieuse », est généralement perçue comme positive – et elle l’est dans une large mesure car une société éduquée est une <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/media/5b9b87f340f0b67896977bae/K4D_HDR_The_Contribution_of_Education_to_Economic_Growth_Final.pdf">société plus prospère</a>.</p>
<p>De plus, l’éducation fait l’objet d’une forte valorisation, surtout en France où elle est considérée comme un legs glorieux de la Révolution et de la République.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-comment-les-jeunes-reinventent-ils-lengagement-politique-171899">« Une jeunesse, des jeunesses » : Comment les jeunes réinventent-ils l’engagement politique ?</a>
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<h2>L’éducation, source de clivages</h2>
<p>L’éducation n’a-t-elle cependant que des effets positifs ? Se pourrait-il que la massification des études et la diversification des niveaux scolaires soient aussi un facteur de fracturation ?</p>
<p>Il faut rendre hommage à la sociologie de Pierre Bourdieu qui a bien vu que le niveau d’éducation redessinait la nature des classes sociales sous l’influence du <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1979_num_30_1_2654">capital culturel</a>.</p>
<p>Par la suite, de nombreuses études sont venues confirmer que le niveau d’éducation exerce un fort impact sur la <a href="https://www.cairn.info/le-cens-cache--9782020049412.htm">politisation</a>, les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03458580/document">connaissances politiques</a> ou le <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/7306/resources/2004-tiberj-competence-et-reperage-politiques.pdf">sentiment de compétence politique</a>. La participation électorale est également très influencée par le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1023.htm">niveau d’éducation</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-politique-elle-se-fait-a-cote-179811">« Jeunes de quartier » : « La politique elle se fait à côté »</a>
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<h2>Ce que montrent les résultats de l’enquête européenne sur les valeurs</h2>
<p>Les données de l’<a href="https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/european-values-study-evs">enquête européenne sur les valeurs</a> (EVS) permettent de corroborer et d’approfondir ces constats sur l’impact politique de l’éducation.</p>
<p>Elles montrent en effet que l’attachement aux principes démocratiques augmente très sensiblement avec le niveau de diplôme (graphique 1). Moins on est diplômé, plus on accepte l’idée que le pays soit dirigé par un homme fort ou par l’armée (graphique 1). On note aussi que les droits individuels, qui ont pris beaucoup d’importance dans la définition de la démocratie, trouvent davantage de supporters dans les milieux diplômés que dans les milieux moins diplômés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique 1. Démocratie et autorité en fonction du niveau d’études (EVS France 2017)" src="https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473005/original/file-20220707-26-33op0h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 1. Démocratie et autorité en fonction du niveau d’études (EVS France 2017). Lecture : moins de 40 % du niveau primaire dit que c’est « absolument important » d’avoir un système démocratique contre 73 % au niveau master.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V.Tournier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Si l’enquête ne fournit pas d’indicateurs directs sur la démocratie participative, elle inclut plusieurs questions sur l’engagement associatif ou sur la mobilisation protestataire qui renseignent par défaut sur le potentiel participatif des Français (graphique 2).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique 2. Politisation et engagement politique en fonction du niveau d’études (EVS 2017)" src="https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473006/original/file-20220707-26-ot43gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 2. Politisation et engagement politique en fonction du niveau d’études (EVS 2017).</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Tournier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Là encore, le niveau d’éducation apparaît comme un facteur très discriminant, y compris pour la mobilisation protestataire dont on pouvait penser qu’elle serait plus élevée là où les besoins matériels sont plus importants.</p>
<p>Précisons que cet impact du niveau d’éducation se maintient lorsqu’on contrôle le diplôme par d’autres variables (sexe, âge, revenus ou échelle gauche-droite). De surcroît, les corrélations avec le niveau d’études ont tendance à augmenter au cours du temps, signe que le clivage s’accentue.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/legalite-scolaire-un-enjeu-de-survie-pour-la-democratie-150254">L’égalité scolaire, un enjeu de survie pour la démocratie</a>
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<h2>Les diplômés, « gagnants » du système ?</h2>
<p>Comment expliquer de telles différences ? On peut faire une hypothèse : si les diplômés soutiennent la démocratie, c’est tout simplement parce qu’ils y trouvent leur compte.</p>
<p>Les diplômés présentent en effet des intérêts particuliers. La réussite scolaire favorise une bonne estime de soi et le sentiment de maîtriser sa vie. <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2338491-20180919-reussite-scolaire-comment-origine-sociale-pese-choix-orientation-eleves">Ayant confiance dans leurs capacités</a>, les diplômés sont portés à revendiquer davantage de libertés dans leur choix de vie. Ils portent donc un regard positif sur les droits individuels, surtout lorsque ceux-ci leur permettent de renforcer leur autonomie. Ils voient la mobilité comme un idéal de vie, comme le montrent les <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/78-des-etudiants-francais-envisagent-de-s-expatrier-pour-travailler-6202/">études auprès des étudiants</a>, tout en étant préoccupés par la qualité de leur cadre de vie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/crise-ecologique-ces-eleves-ingenieurs-qui-veulent-transformer-leur-metier-184339">Crise écologique : ces élèves ingénieurs qui veulent transformer leur métier</a>
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<p>Ils ont aussi tendance à cultiver les valeurs que Ronald Inglehart <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1997_num_47_5_395208">qualifie de post-matérialistes</a> : le féminisme, le multiculturalisme, l’environnementalisme, l’antiracisme ou le post-nationalisme.</p>
<p>Le contexte post-Guerre froide a amplifié les choses. La mondialisation et la technologie ont offert des possibilités inédites de circuler et d’échanger. Le développement de l’enseignement supérieur, poussé par la compétition entre les États, a permis aux idéaux post-modernes de mieux se réaliser, amplifiant la polarisation entre les <a href="https://cadmus.eui.eu/handle/1814/41524"><em>winners</em> et les <em>losers</em> de la globalisation</a> ou entre les <a href="https://www.cairn.info/revue-constructif-2019-1-page-35.htm"><em>everywhere</em> et les <em>somewhere</em></a>.</p>
<h2>Niveau de diplôme et valeurs post-modernes</h2>
<p>Tous ces éléments sont confirmés par l’enquête sur les valeurs. Plus le diplôme augmente, plus on est favorable à l’égalité entre les sexes, à l’homosexualité, aux drogues douces, à une politique pénale moins sévère et à la préservation de l’environnement (graphique 3).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Diverses opinions sociétales en fonction du niveau d’études (EVS 2017)" src="https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473007/original/file-20220707-16-b07u84.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Diverses opinions sociétales en fonction du niveau d’études (EVS 2017). Par exemple, 20 % des diplômés de primaires disent que « l’avortement est toujours justifié » contre 60 % des diplomés de master.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Tournier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>De même, les diplômés sont nettement plus réticents à l’idée de se dire fiers d’être Français (graphique 4). Ils sont plus facilement concernés par le sort des Européens et des immigrés, et ils critiquent plus souvent la conception généalogique de la nation (avoir des ancêtres français), ce qui explique le discrédit qui frappe l’expression <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2015-2-page-3.htm">« Français de souche »</a>.</p>
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<img alt="Rapport à la nation et à l’immigration en fonction du niveau d’études (EVS 2017)" src="https://images.theconversation.com/files/473008/original/file-20220707-26-tdft9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473008/original/file-20220707-26-tdft9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473008/original/file-20220707-26-tdft9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473008/original/file-20220707-26-tdft9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473008/original/file-20220707-26-tdft9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473008/original/file-20220707-26-tdft9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473008/original/file-20220707-26-tdft9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Graphique 4. Rapport à la nation et à l’immigration en fonction du niveau d’études (EVS 2017).</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Tournier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Crise démocratique… ou séparatisme politique ?</h2>
<p>Or, avec la massification de l’enseignement supérieur, couplée à la place croissante du diplôme dans la stratification sociale, les diplômés se retrouvent en position de force pour défendre leurs intérêts. Ils parviennent d’autant mieux à faire valoir leurs préférences qu’ils sont bien représentés <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/un-quinquagenaire-blanc-et-diplome-le-depute-type-de-la-ve-republique-4509142">parmi les élites politiques</a>), notamment dans le cas des élèves des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/06/26/les-diplomes-de-grandes-ecoles-surrepresentes-a-l-assemblee-nationale_5151066_4355770.html">grandes écoles</a>.</p>
<p>Forts de leur capacité de mobilisation, les diplômés approuvent les dispositifs de type démocratie participative dans lesquels ils savent pouvoir se faire entendre, tout en étant plus réticents à l’égard des référendums qui ont l’inconvénient de niveler les électeurs.</p>
<p>On observe ainsi que les référendums comme celui de 2005 sur l’Europe ou celui de 2016 sur le Brexit ont suscité des critiques de type élitiste. Du reste, aucun des trois derniers présidents de la République n’a eu recours au référendum. Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) a même été explicitement rejeté par le <a href="https://www.marianne.net/politique/pour-le-patron-de-lrem-le-referendum-d-initiative-citoyenne-est-forcement-dangereux">parti présidentiel</a>.</p>
<p>Inversement, les milieux peu diplômés souffrent d’un déficit de relais et de ressources politiques. Ayant l’impression que la <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/2020-07/9782111455160.pdf">démocratie leur échappe au profit d’une oligarchie</a>, ils éprouvent un sentiment d’impuissance et de dépossession qui les fait douter du suffrage universel : à quoi bon voter si les élites parviennent de toute façon à imposer leurs vues et leurs intérêts ?</p>
<p>Contrairement aux diplômés, ils sont nettement moins présents dans les dispositifs de démocratie participative, dont ils ne maîtrisent pas les codes. Plus portés à préférer les référendums, ils attendent surtout du pouvoir qu’il soit efficace. L’appel à un pouvoir fort de <a href="https://www.grandpalais.fr/fr/article/le-bonapartisme-une-tentation-francaise">type bonapartiste</a>, qui saura court-circuiter les pratiques oligarchiques et confiscatoires des élites, est une option acceptable, <a href="http://www.odoxa.fr/sondage/faire-face-terrorisme-francais-plebiscitent-larmee-appellent-a-mesures-dexception/">surtout en période d’insécurité</a>.</p>
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<h2>La démocratie : cycles et équilibre</h2>
<p>Comme l’ont souligné les philosophes depuis l’antiquité, un régime politique court toujours le risque de voir une élite aristocratique confisquer le pouvoir au profit de ses seuls intérêts, ce qui génère un mécontentement populaire.</p>
<p>Ne sommes-nous pas actuellement dans un cycle de ce type ? Le phénomène Trump peut être vu comme un cas d’école, avec d’un côté l’attitude hautaine d’Hillary Clinton, qui voit les électeurs de Trump comme un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PCHJVE9trSM">« panier des déplorables »</a> et les rejette en tant que « racistes, sexistes, homophobes, islamophobes » ; et de l’autre le refus de l’alternance électorale avec une tentative de déstabilisation des institutions en janvier 2021, à laquelle vient s’ajouter le revirement récent de la Cour suprême sur l’avortement.</p>
<p>En France, les élections du printemps 2022 ont confirmé qu’il existe un important clivage sociologique entre le parti présidentiel, très soutenu par les diplômés, et le Rassemblement national, bien implanté dans les milieux populaires, la Nupes étant dans une position intermédiaire en raison d’un socle électoral bâti <a href="https://theconversation.com/le-vote-metropolitain-et-ses-fractures-lexemple-de-montpellier-181188">conjointement</a> sur les centres-villes et les banlieues.</p>
<p>L’erreur serait d’opposer une élite éclairée, porteuse de l’idéal démocratique, à un peuple arriéré n’aspirant qu’à la tyrannie. D’une part la démocratie participative peut être vue comme une forme d’anti-parlementarisme savant ; d’autre part les milieux populaires peuvent avoir de bonnes raisons de ne pas souscrire aux grands principes prônés par les élites.</p>
<p>Par exemple, toujours d’après l’EVS, 54 % des personnes peu diplômées disent qu’elles ne peuvent pas faire davantage pour l’environnement, contre 22 % pour les plus diplômées. De même, 35 % des peu diplômées considèrent que les immigrés prennent les emplois des nationaux, contre 10 % pour les diplômés, ce qui rappelle que les opinions dépendent en grande partie de <a href="https://theconversation.com/why-higher-levels-of-education-dont-necessarily-mean-higher-levels-of-tolerance-69686">la situation sociale</a>.</p>
<h2>Gouverner une société fragmentée</h2>
<p>Dans une société fragmentée, la difficulté est évidemment de trouver des réponses satisfaisantes pour tout le monde, en luttant tout particulièrement contre une possible <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/09/21/31003-20180921ARTFIG00044-yascha-mounk-nous-vivons-dans-un-systeme-o-beaucoup-ont-le-sentiment-que-leur-voix-ne-compte-plus.php">dé-consolidation démocratique</a>.</p>
<p>Un contre-exemple est sans doute la Conférence citoyenne sur le climat lancée par Emmanuel Macron. Cette opération peut être vue comme une tentative pour répondre aux attentes des élites diplômées, à la fois sur le fond (l’environnement) et sur la forme (la démocratie participative). Mais la plupart des propositions finales <a href="https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement">ont été abandonnées</a> souvent par crainte d'impopularité.</p>
<p>Finalement, le défi actuel n’est pas très différent de celui qui a été identifié par les philosophes classiques, à savoir trouver un équilibre entre la plèbe et l’aristocratie, seule manière d’éviter les dérives aussi bien populistes qu’élitistes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186346/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Tournier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La massification des études et les inégalités de niveau scolaire peuvent aussi expliquer les fractures politiques et démocratiques en France.Vincent Tournier, Maître de conférence de science politique, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849602022-06-15T18:25:15Z2022-06-15T18:25:15ZLes piscines publiques, une fabrique à citoyens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468781/original/file-20220614-22-20pr35.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C5%2C764%2C493&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nageurs libres, circulation en file indienne et couloirs de nage au Stade Nautique Echirolles (38).
</span> <span class="attribution"><span class="source">E.Auvray</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Le sport et la politique entretiennent des liens ambigus. La pratique sportive et les compétitions peuvent être des lieux de lutte et d'émancipation mais aussi de contrôle social. Notre série d’été « Sport et politique : liaisons dangereuses ? » explore et décrypte la place qu’occupe aujourd’hui le sport dans nos sociétés. Après un premier épisode sur les <a href="https://theconversation.com/dans-la-charte-olympique-de-la-politique-entre-les-lignes-164960">Jeux Olympiques</a>, penchons-nous maintenant sur la manière dont les normes en vigeur dans les piscines publiques participent au façonnement des citoyens.</em></p>
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<p>Avez-vous déjà pesté contre ces nageurs trop lents, trop rapides, trop équipés, se trompant de lignes, ceux qui confondent la piscine avec leur salon ou ceux encore qui vous empêchent de tenir le rythme de vos longueurs hebdomadaires ? Si ces lignes ne sont pas toujours bien respectées, elles permettent tout de même de circuler à plusieurs sur un espace aquatique réduit. Imaginez d’ailleurs qu’il y a encore quelques années de cela elles n’existaient même pas.</p>
<p>Leur histoire et celle de la natation témoignent d’une véritable évolution de la pratique sportive, accolée, comme le montrent les recherches, à une certaine organisation politique de l’espace et du contrôle des individus par autrui, puis par eux-mêmes.</p>
<p>Selon <a href="http://cup.columbia.edu/book/from-ritual-to-record/9780231133418">l’historien du sport</a> Allen Guttmann, ce sont les processus de ritualisation et les règles qui accompagnent chaque sport qui sont réellement éducatifs, plus que la pratique elle-même.</p>
<h2>Des rituels de contrôle</h2>
<p>Ainsi, l’activité sportive, quelque soit l’âge, participe à l’éducation et forme <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2008-1-page-3.htm">aux pratiques de citoyenneté</a>, un phénomène qui <a href="https://www.decitre.fr/livres/sport-et-pouvoirs-au-XXeme-si%C3%A8cle-9782706105531.html">prend son essor</a> à mesure que se développe le sport de loisir dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Les desseins politiques, idéologiques, <a href="https://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100605780">moraux ou sociaux</a> apparaissent alors à côté d’un certain <a href="https://laviedesidees.fr/Le-si%C3%A8cle-des-hygienistes.html">hygiénisme</a>. Le sport devient peu à peu un outil moderne de contrôle, voire d’endoctrinement des masses pour servir la collectivité en nourrissant différentes idéologies.</p>
<p>À titre d’exemple, dès 1920, dans un contexte d’après-guerre marqué par la recherche d’hygiène physique et sociale pour améliorer « la race française », le préfet du Calvados <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/biographies/helitas-joseph-thomas-maurice">Maurice Hélitas</a>, surnommé le préfet <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4628555z/f1.image.r=Helitas">« sportophile et alcoolophobe »</a> (<em>L’Auto</em>, « Allô ! Allô ! », 16 mai 1921, p. 1.), œuvre à la construction d’une piscine publique et d’un stade départemental, inquiet des <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Essais/Livre_I/Chapitre_8">méfaits de l’oisiveté</a>.</p>
<p>Il s’agissait ainsi d’éduquer et « d’occuper notre jeunesse rendue très libre par la loi des 8 heures » (<em>Journal de Caen</em>, <a href="https://archives.calvados.fr/ark:/52329/7j6kwc0bvsnq/44461322-7668-4822-9fed-b50342b16deb">« La question du Stade d’éducation physique »</a>, 12 janvier 1921, p. 3) faisant référence ici à la loi sur la réduction du temps de travail. C’est dans cette histoire longue que s’inscrit celle de la natation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-sport-au-secours-de-la-politique-de-la-ville-183876">Le sport au secours de la politique de la ville ?</a>
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<h2>Les Français, peuple de nageurs</h2>
<p>Selon les <a href="https://injep.fr/publication/les-chiffres-cles-du-sport-2020">dernières études</a> du ministère des Sports (2020) on peut affirmer que les Français sont un peuple de nageurs et nageuses.</p>
<p>On dénombre autour de 13 millions de Français, âgés de plus de 15 ans, qui pratiquent chaque année la natation de loisir dans les 4 135 piscines et 6 412 bassins publics que compte la France. 80 % d’entre eux, quasiment autant de femmes que d’hommes, la pratiquent de manière libre et automne, c’est-à-dire en dehors d’un club ou d’une association avec un personnel encadrant.</p>
<p>Elle est la deuxième activité sportive la plus pratiquée par les Français après la marche de loisir.</p>
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<img alt="Nageurs en file dans une piscine de Caen" src="https://images.theconversation.com/files/468780/original/file-20220614-15-k1txz9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468780/original/file-20220614-15-k1txz9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468780/original/file-20220614-15-k1txz9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468780/original/file-20220614-15-k1txz9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468780/original/file-20220614-15-k1txz9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468780/original/file-20220614-15-k1txz9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468780/original/file-20220614-15-k1txz9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nageurs libres en file indienne et circulation dans les couloirs de nage à la piscine du Stade Eugène Maës à Caen.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Auvray</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Comment cette activité participe-t-elle aujourd’hui à la fabrication de citoyens ? Par quels truchements ce sport non encadré contribue-t-il à faire acquérir et entretenir des attitudes prosociales et citoyennes comme le fait d’obéir en société à des règles en se conformant à des comportements socialement acceptés pour vivre ensemble ?</p>
<h2>Lignes sensibles</h2>
<p>En France, les bassins couverts ou découverts de nage sont généralement de forme rectangulaire et de différentes longueurs de 25m, 33m, 50m, à 100m (<a href="https://www.tf1info.fr/regions/video-le-plus-grand-la-piscine-nakache-de-toulouse-la-plus-grande-du-pays-2162441.html">Toulouse</a>). Pour y organiser la circulation des déplacements des nageurs « libres », les maîtres-nageurs divisent généralement ces espaces natatoires en couloirs de nage séparés avec des lignes d’eau.</p>
<p>Ainsi, les nageurs et nageuses peuvent donc « librement » choisir, parmi couramment une offre de couloirs de nage préétablis entre celui interdit à la brasse, celui uniquement pour le crawl et le dos, celui pour les 4 nages, celui pour les palmes… et en fonction du niveau, sexe et âge des nageurs qui s’y trouvent, leur ligne d’eau. Selon les témoignages de maîtres-nageurs que je recueille pour une enquête en cours, ce découpage spatial n’a pas toujours été de mise dans les piscines publiques.</p>
<p>Il remonterait à une trentaine d’années en ayant pour conséquence de voir disparaître bon nombre d’enfants qui venaient pour jouer en effectuant dans tous les sens du bassin, y compris sous l’eau, des déplacements plutôt courts et bruyants. C’est dire si ces usages venaient régulièrement gêner et entraver celui des nageurs « libres » motivés par l’enchaînement de longueurs de bassin, parfois entrecoupées de pause, pour s’entretenir physiquement.</p>
<h2>Une eau bien ordonnée</h2>
<p>Cette manifeste évolution à l’endroit de l’ordonnancement des corps en mouvement des nageurs « libres », nous renvoie à la question de l’ordre en sociologie et philosophie. Globalement, les bassins constituent des espaces interactionnels de sociabilité dans lesquels sont contraints les agissements des utilisateurs par des règlements intérieurs propres à chaque piscine publique.</p>
<p>Il va de soi que les manquements au règlement intérieur (type de maillots autorisés, bonnet de bain, douche obligatoire) constituent une entrave à des attentes réciproques pouvant aller jusqu’à l’exclusion de la piscine voire à une sanction pénale. En outre, les déplacements des nageurs sont circonscrits par les dimensions matérielles des bassins et les règles de circulation identiques dans chaque couloir de nage. Généralement, les nageurs libres se déplacent en file indienne en partant à droite du tracé médian (ligne noire) placé dans chaque ligne au fond du bassin.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="nageur dans un couloir de natation" src="https://images.theconversation.com/files/468779/original/file-20220614-15-bjpzkz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468779/original/file-20220614-15-bjpzkz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468779/original/file-20220614-15-bjpzkz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468779/original/file-20220614-15-bjpzkz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468779/original/file-20220614-15-bjpzkz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468779/original/file-20220614-15-bjpzkz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468779/original/file-20220614-15-bjpzkz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Piscine de Saint-Maur-des-Fossés (94) : les couloirs permettent à chaque nageur de trouver leur rythme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Auvray</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De plus, dans de nombreuses piscines publiques, il est coutume que cette circulation soit indiquée sur des pancartes placées sur les bords du bassin ou plots de départ. Le refus de ces routines de circulation entraîne généralement une mise au pas ou une exclusion des nageurs rétifs par les autres nageurs « libres ».</p>
<p>Selon la sociologue britannique <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1525/si.2009.32.2.123">Susie Scott</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La première chose que l’on peut observer en entrant dans une piscine, c’est à quel point elle est ordonnée et civilisée […], l’ordre qu’ils créent se maintient ».</p>
</blockquote>
<p>Le découpage spatial des bassins et l’ordonnancement des déplacements corporels qu’il induit nous renvoient entre autres aux travaux du sociologue américain Erving Goffman concernant la <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Relations_en_public._La_Mise_en_sc%C3%A8ne_de_la_vie_quotidienne_II-2090-1-1-0-1.html">construction de l’ordre de l’interaction</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Ces routines associées aux règles fondamentales, tout cela constitue ce qu’on pourrait appeler un “ordre social”. »</p>
</blockquote>
<h2>Une autorégulation permanente</h2>
<p>Outre ces analyses sociologiques et bien qu’une piscine publique ne soit pas une prison, un bassin de natation, entre son règlement et l’ordonnancement des déplacements des nageurs « libres », peut être étudié à l’aune du <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Surveiller-et-punir">concept de dispositif panoptique</a> du philosophe Michel Foucault.</p>
<p>Ainsi, si les longueurs réalisées communément par les nageurs « libres » dans des bassins découpés en couloirs de nage leur donnent davantage de force et de pouvoirs moteurs, en même temps, ces derniers sont en permanence assujettis à respecter des règles et des usages quant à la manière d’y circuler pour réussir à nager ensemble dans le même territoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Panneau indiquant les règles de circulation dans la piscine" src="https://images.theconversation.com/files/468783/original/file-20220614-24-uepz95.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468783/original/file-20220614-24-uepz95.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468783/original/file-20220614-24-uepz95.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468783/original/file-20220614-24-uepz95.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468783/original/file-20220614-24-uepz95.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468783/original/file-20220614-24-uepz95.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468783/original/file-20220614-24-uepz95.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Panneau indiquant les règles de circulation dans la piscine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Auvray</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Puissant en termes de sociabilité et de citoyenneté, ce dispositif autorégulé fait son œuvre sans que d’ailleurs n’intervienne généralement un maitre-nageur.</p>
<h2>Fabriquer des citoyens</h2>
<p>Pour le pouvoir politique, outre que la natation pratiquée librement entretient l’état de santé des concitoyens et occupe le temps oisif, elle participe à la fabrication de la citoyenneté en actes et du vivre ensemble, comme le montrent les derniers travaux du sociologue français <a href="http://iris.ehess.fr/index.php?1344">Benoît Hachet</a> (à paraître, <em>Nager à Paris : une enquête sur l’ordre des bassins dans cinq piscines publiques du nord-est de la capitale</em>, Sciences Sociales et Sport).</p>
<p>Benoît Hachet pointe que si la mise en ordre des nageurs parisiens libres est vectrice de sociabilité et de citoyenneté, en revanche, il s’interroge sur « le désordre » qui peut parfois s’y produire lorsque l’été venu leurs directeurs suppriment, en retirant les lignes d’eau, les couloirs de nage pour répondre à l’afflux massif de baigneurs ludiques.</p>
<p>Ils sont alors contraints de déployer des agents de sécurité pour parfois expulser des baigneurs incivils qui refusent de se soumettre au règlement intérieur et/ou d’embêter d’autres nageurs plus policés. Selon lui :</p>
<blockquote>
<p>« À la question de l’ordre pourrait bien, dès lors, répondre celle du désordre", en termes d’incivilités voire de violence physique à l’égard d’autres nageurs lorsque l’on retire notamment cette mise en ordre grâce aux couloirs de nage dans les bassins. »</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, soyons rassurés, dans la grande majorité des piscines publiques françaises, les nageurs libres et leur mise en ordre prennent le pas sur le désordre qui peut, ici où là, se produire chez des baigneurs rétifs à l’idée même de s’appliquer des règles communes.</p>
<p>Paradoxalement, ces derniers ne fonctionnent pas pour autant sans règles sociales, loin s’en faut. Celles qui organisent leur vie dans leurs tribus urbaines (quartiers) sont généralement plus strictes et violentes que celles d’une piscine publique.</p>
<p>Enfin, dans une période historique frappée par les effets néfastes liés à la sédentarité, le manque d’activité physique, au numérique et à la mauvaise hygiène alimentaire, on peut regretter que l’ordonnancement des nageurs libres dans des couloirs de nage a éloigné des bassins rectangulaires, rendus alors moins ludiques, les enfants et souvent, d’un point de vue sanitaire, les plus fragiles d’entre eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184960/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Auvray ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La piscine constitue un puissant moyen politique pour fabriquer des individus soumis à des règlements et une organisation permettant de partager un espace commun.Emmanuel Auvray, Enseignant à l'UFR STAPS, Chercheur associé à l'équipe Histemé, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1838762022-06-07T18:17:26Z2022-06-07T18:17:26ZLe sport au secours de la politique de la ville ?<p><em>Le sport et la politique entretiennent des liens ambigus. La pratique sportive et les compétitions peuvent être des lieux de lutte et d'émancipation mais aussi de contrôle social. Notre série d’été « Sport et politique : liaisons dangereuses ? » explore et décrypte la place qu’occupe aujourd’hui le sport dans nos sociétés.</em></p>
<p><em>Après un premier épisode sur les <a href="https://theconversation.com/dans-la-charte-olympique-de-la-politique-entre-les-lignes-164960">Jeux Olympiques</a> et un deuxième sur le façonnement de la citoyenneté dans les <a href="https://theconversation.com/les-piscines-publiques-une-fabrique-a-citoyens-184960">piscines publiques</a>, explorons comment le sport est parfois utilisé directement par les politiques.</em></p>
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<p>En janvier 2021, les maires membres du Comité interministériel des <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/719661/le-gouvernement-a-enfin-un-plan-pour-les-quartiers-populaires">villes proposaient</a> de consacrer une enveloppe de 1 % du budget global des Jeux olympiques et paralympiques au financement de projets dédiés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).</p>
<p>Grande manifestation de l’élite sportive mondiale, les JO de Paris 2024 doivent-ils également apporter une réponse aux problématiques sociales qu’affrontent les quartiers populaires défavorisés ? C’est le vœu de nombreux acteurs tant du sport français que des <a href="https://www.maire-info.com/insertion-par-le-sport-les-10-propositions-d%27un-collectif-d%27elus-et-d%27acteurs-du-monde-sportif-pour-250-000-jeunes-des-quartiers--article-24970">collectivités territoriales</a>.</p>
<p>Considéré comme un lieu de brassage et un vecteur d’égalité républicaine, le sport amateur serait-il délaissé dans les banlieues ? Cette question avait déjà été identifié dans le <a href="https://www.ville-et-banlieue.org/wp-content/uploads/2018/05/Re%CC%81sume%CC%81-des-19-programmes-PlanBanlieue-JL.BORLOO.pdf">rapport Borloo</a> sur les banlieues françaises (2018) mais également par les précédents gouvernements. Parmi les 19 recommandations de Jean-Louis Borloo, le sport arrivait en sixième position avec des propositions dans la formation et le recrutement de coachs d’insertion par le sport.</p>
<p>Le Premier ministre Édouard Philippe déclarait par ailleurs en avril 2018 :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a 500 000 jeunes au chômage dans les quartiers et on n’a pas le droit de les laisser à l’écart. Le sport est l’une des clés du vivre-ensemble ».</p>
</blockquote>
<p>La circulaire interministérielle <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44771">« Sports-Villes-Inclusion »</a> de 2019 précise d’ailleurs que chaque contrat de ville doit comprendre un volet intitulé « Action sportive à vocation d’inclusion sociale et territoriale ». L’activité sportive y est présentée comme « révélatrice de talents » mobilisables pour l’accès à la formation et à l’emploi mais également comme « porteuse de valeurs citoyennes ». Plus que toute autre activité, le sport serait ainsi susceptible de mobiliser les jeunes publics dans une dynamique d’insertion et/ou de citoyenneté.</p>
<p>Qu’est-ce qui explique le recours récurrent au sport dans les banlieues ? Quel modèle sportif y est véhiculé ?</p>
<h2>Le mythe du sport intégrateur</h2>
<p>Reposant sur un mythe qui s’exprime à travers l’idéologie sportive promue par les pères fondateurs du <a href="https://www.cairn.info/sociologie-du-sport--9782707169501.htm">sport moderne</a>, le consensus autour des fonctions sociales d’un sport naturellement intégrateur et socialisant est aujourd’hui <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2008-1-page-7.htm">largement partagé</a>.</p>
<p>En premier lieu, parce que le sport présente de nombreuses <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/1186">figures de la réussite sociale</a> tant populaires qu’issues de <a href="https://www.liberation.fr/sports/2015/10/25/les-sportifs-de-haut-niveau-poussent-dans-le-beton_1408740/">l’immigration</a>.</p>
<p>Ainsi, selon une conviction largement partagée dans nos sociétés démocratiques, la seule pratique sportive pourrait produire, au-delà des stades, un comportement citoyen et éthique. Le sport serait alors porteur de valeurs susceptibles de pacifier les quartiers, de créer du vivre-ensemble et de constituer un tremplin pour l’emploi. Cependant, le transfert de compétences sportives dans d’autres espaces sociaux (travail, école…) n’est en rien mécanique.</p>
<h2>Usages valeurs et images en mutation</h2>
<p>Le respect de la règle sportive ou des consignes de match n’entraîne pas forcément le respect de règles sociales comme en témoignent les multiples affaires auxquelles sont mêlés des acteurs du monde sportif : pensons ainsi à la condamnation de Karim Benzema dans <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Chronologie-de-l-affaire-de-la-sextape-benzema-valbuena-cinq-ans-de-tensions/1149395">l’affaire dite de la sextape</a> ou encore les <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20210109-abus-sexuels-dans-le-patinage-sarah-abitbol-soulag%C3%A9e-par-la-mise-en-examen-de-gilles-beyer">abus sexuels dans le patinage de haut niveau</a>.</p>
<p>Née avec le <a href="https://www.cairn.info/sociologie-du-sport--9782707169501.htm">sport moderne</a>, cette conviction est aujourd’hui relayée par un cercle de croyants bien plus large que les seuls sportifs : élus politiques, dirigeants d’entreprise, recruteurs, consultants, éducateurs accréditent l’idée que le sport est un tremplin pour l’insertion professionnelle.</p>
<p>Pourtant, les usages, les valeurs et l’image du sport ont changé depuis la naissance du sport moderne. Dans les quartiers populaires, le sport est aujourd’hui davantage la vitrine d’une réussite sociale et économique (à travers le modèle du sport de compétition) que le vecteur d’une réelle citoyenneté.</p>
<p>Et l’individualisme et les revendications d’ordre identitaire qui minent le corps social n’épargnent pas le monde du sport. On pourra citer le <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/tennis/novak-djokovic/covid-19-novak-djokovic-se-dit-pret-a-sacrifier-sa-saison-pour-echapper-au-vaccin_4962222.html">refus</a> de Djokovic de se plier à la règle de la vaccination contre le Covid-19 tout en revendiquant le droit de concourir à l’Open d’Australie. La revendication des <a href="https://www.europe1.fr/societe/hijabeuses-les-femmes-ont-le-droit-de-porter-le-voile-au-foot-assure-moreno-4093033">hijabeuses</a> de porter le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/26/william-gasparini-les-clubs-sportifs-doivent-etre-preserves-de-l-empreinte-du-religieux_6030845_3232.html">voile islamique</a> pour jouer sur un terrain de football, la demande de repas spécifiques aux fédérations sportives ou les demandes d’horaires de piscine réservés aux femmes illustrent l’incidence dans le sport de la montée récente de la communautarisation de nos sociétés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-sport-est-devenu-une-cible-pour-les-islamistes-148817">Pourquoi le sport est devenu une cible pour les islamistes</a>
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<h2>Permettre l’expression de valeurs bourgeoises</h2>
<p>L’histoire du sport en explique les transformations mais également l’évolution de son usage politique et social. Dès 1830, le pasteur anglais Thomas Arnold enseigne le sport au collège de Rugby car il est censé permettre l’expression de valeurs bourgeoises comme le <em>fair-play</em> (le respect de l’adversaire, des règles, des décisions de l’arbitre et de l’esprit du jeu) et le <em>self government</em>(la capacité de se contrôler dans le jeu, de ne pas <a href="https://books.openedition.org/msha/16682?lang=fr">« être pris par le jeu »</a>).</p>
<p>Tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, à mesure qu’il se démocratise, le sport de compétition désigne conjointement un idéal (l’éthique ou l’esprit sportif) et une pratique physique de compétition régie par des règles communes. Pour les institutions (sportives ou éducatives), « faire du sport » c’est non seulement se dépenser physiquement dans un cadre sportif mais surtout acquérir une morale et, plus récemment, accéder à une forme de citoyenneté.</p>
<p>Des éducateurs des <em>public schools</em> (destinées à l’élite sociale anglaise) du milieu du XIX<sup>e</sup> siècle aux dirigeants sportifs des années 1980, en passant par les ministres gaullistes de la Jeunesse et des Sports et les militants communistes de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail dans les années 60, tous ont contribué à promouvoir et consolider la vision d’un sport de compétition intrinsèquement <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2008-1-page-7.htm">vertueux et éducatif</a>. Pour le général De Gaulle aussi, « le sport est un moyen exceptionnel d’éducation » (De Gaulle, 1934, p. 150).</p>
<h2>Montée en puissance du sport-spectacle</h2>
<p>À partir des années 1980, le sport sort du cercle restreint de la stricte compétition et acquiert le statut d’outil d’intégration à destination des banlieues dans le contexte d’une montée en puissance du sport-spectacle lié à la privatisation des télévisions. Le football devient le sport le plus regardé par les jeunes hommes des quartiers populaires et leur offre un modèle d’excellence. En France, Bernard Tapie (président de l’Olympique de Marseille de 1986 à 1993) symbolisera l’avènement du sport-business et <a href="https://esprit.presse.fr/article/alain-ehrenberg/le-show-meritocratique-platini-stephanie-tapie-et-quelques-autres-37832">d’une nouvelle méritocratie par le sport</a>.</p>
<p>Sous l’effet conjugué des transformations du monde des sports (démocratisation, professionnalisation, médiatisation, marchandisation) et de nouvelles dynamiques (libéralisation du marché, désengagement de l’État et décentralisation, montée des inégalités, crise économique, chômage, premières émeutes urbaines, changements politiques), le sport est de plus en plus convoqué pour lutter contre les nouvelles exclusions sociales à mesure qu’il offre une vitrine de la réussite dans les sports les plus populaires (football, basket, athlétisme, boxe).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hpaBhtJEEx8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Archives de l’INA, le quartier des Minguettes, 22 septembre 1981.</span></figcaption>
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<p>Le sport devient alors « social » et les dispositifs mis en place à destination des jeunes des cités sont progressivement qualifiés de <a href="https://www.ufolep.org/?titre=william-gasparini---il-y-a-plusieurs-socio-sports-&mode=actualites&rubrique=0&id=158593">« socio-sportifs »</a>. En arrivant au pouvoir, la gauche crée un ministère du Temps Libre intégrant la Jeunesse et les Sports alors que les premières émeutes urbaines éclatent à l’été 1981 dans le quartier des Minguettes à Lyon et où l’on enregistre les premiers effets du regroupement familial lié à l’immigration sur fond de hausse du chômage et d’émergence du Front national.</p>
<h2>« pacifier » les banlieues</h2>
<p>A partir de 1990 (date de création d’un ministère d’État chargé de la politique de la ville), les ministères de la Ville et des Sports travaillent ainsi de concert pour redynamiser et « pacifier » les banlieues. Sous les ministres de la Ville <a href="https://www.lesechos.fr/1991/05/violence-dans-les-banlieues-delebarre-dos-au-mur-947394">Michel Delebarre</a> puis Bernard Tapie, des équipements sportifs de proximité et des animations sportives de quartiers, animés par des policiers et des éducateurs, <a href="https://www.cairn.info/le-sport-dans-les-quartiers--9782130569718.htm">voient progressivement le jour</a>.</p>
<p>La volonté de faire du sport un outil de développement social est ensuite largement partagée par les gouvernements qui se sont succédés depuis 1991. Profitant de la dynamique créée par la victoire de l’équipe de France « Black Blanc Beur » en 1998, de nombreux dispositifs ont ainsi été mis en place par les pouvoirs publics (État et collectivités territoriales) et les fédérations sportives selon cette logique qui traverse les frontières des appartenances politiques sans qu’une évaluation objective et longitudinale des effets de ces politiques sur l’insertion sociale et/ou professionnelle des publics cibles ait été diligentée.</p>
<p>Par ailleurs, ces dispositifs encadrés par les <a href="https://www.cairn.info/anthropologie-de-la-fraternite-dans-les-cites--9782130475330.htm">« grands-frères »</a>, ont longtemps ciblé prioritairement les garçons et jeunes adultes. Ce faisant, la volonté politique d’intégrer prioritairement des jeunes adolescents par le sport afin d’éviter la rébellion la plus visible a paradoxalement entraîné une exclusion des filles et des jeunes femmes et une masculinisation de <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2018-2-page-218.htm">l’espace public</a> à travers les sports urbains, libres ou encadrés. Et force est de constater qu’après la fin de la scolarité obligatoire, beaucoup de jeunes filles des classes populaires cessent toute activité physique.</p>
<p>Ce n’est qu’à partir des années 2000, dans le contexte de politiques plus affirmées en faveur de la parité que l’action sportive publique dans les banlieues se féminise. Mais si l’égalité hommes femmes est proclamée, les terrains de sports publics et les dispositifs d’insertion professionnelle via le sport dans les QPV restent encore majoritairement conçus pour les garçons et les jeunes hommes. Il faut, au contraire, que les élus locaux et l’État s’engagent pour que le sport devienne, avec l’école, l’un des lieux privilégiés de la mixité et de la lutte contre les stéréotypes sexistes cantonnant les filles à des pratiques et des tenues « adaptées » à leur genre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Gasparini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’est-ce qui explique le recours récurrent au sport dans les banlieues et quartiers populaires ? Quel modèle sportif y est véhiculé ?William Gasparini, Professeur, sociologie du sport, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1824692022-05-08T16:55:46Z2022-05-08T16:55:46ZRepenser la démocratie scolaire : une clé pour dynamiser la participation citoyenne ?<p>Le taux d’abstention élevé lors des deux tours de la présidentielle met au premier plan la question de changer le fonctionnement des institutions, voire d’aller vers une Sixième République. Cela devrait induire aussi la question corrélative du fonctionnement de l’école républicaine pour qu’elle forme effectivement des citoyens participant à la vie politique du pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-labstention-des-jeunes-en-cinq-questions-181127">Comprendre l’abstention des jeunes en cinq questions</a>
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<p>Avant même l’élection présidentielle qui vient d’avoir lieu, le « Comité d’évaluation des politiques publiques » a déposé un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cec/l15b5150_rapport-information">important rapport d’information</a>, enregistré le 8 mars de cette année à la présidence de l’Assemblée nationale, sur « l’évaluation des politiques publiques en faveur de la citoyenneté ». C’était déjà un véritable cri d’alarme.</p>
<p>Le constat général : « La désaffection des jeunes envers la politique est importante. Elle touche les partis politiques comme les institutions et conduit à relativiser l’importance de la démocratie. Elle se traduit par des pratiques différentes : une abstention en moyenne supérieure de dix points par rapport au reste de la population. Un vote par intermittence »</p>
<p>Le rapport indique une ambition clairement présente dans les programmes du secondaire à partir de 2013 : « une ambition à la citoyenneté qui s’est considérablement développée dans ses thématiques comme dans ses modalités : deux axes essentiels avec <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-lenseignement-moral-et-civique-148493">l’enseignement moral et civique</a> (EMC) et <a href="https://theconversation.com/education-aux-medias-et-a-linformation-la-generalisation-et-apres-177372">l’éducation aux médias et à l’information</a> (EMI) ; et en parallèle le développement de la démocratie scolaire ». Mais le rapport signale avec force que le « bilan est en deçà des textes : apprentissage du débat évité, transversalité de l’enseignement inexistante, démocratie scolaire rarement effective […]. Déçus, collégiens et lycéens tendent à se détourner des instances de démocratie scolaire ».</p>
<h2>Mode « simultané », mode « mutuel »</h2>
<p>L’un des deux facteurs expliquant le bilan décevant de « l’éducation morale et civique » tient donc à « la marginalisation de la démocratie scolaire » selon le rapport. Les travaux de Mme <a href="https://scanr.enseignementsup-recherche.gouv.fr/publication/these2010IEPP0059">Géraldine Bozec</a> (citée nommément) dont les recherches portent sur <a href="https://isidore.science/document/10.7202/1044110ar">l’éducation à la citoyenneté</a> et ses effets mettent effectivement en avant que les élèves gardent le sentiment de ne pas être entendus dans l’espace scolaire car les instances participatives développées ces dernières années ne modifient pas les rapports de pouvoir entre adultes et élèves.</p>
<p>À cet égard, il faut bien voir que cet état de fait est l’héritage d’une longue et étrange histoire qui tend à perdurer… Durant toute la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, les deux « modes » pédagogiques qui se disputaient alors le leadership de l’école (à savoir le « mode simultané » des Frères des Écoles chrétiennes, et le « mode mutuel » de la Société pour l’Instruction élémentaire d’obédience politiquement libérale) considéraient à l’évidence que leur mode d’organisation scolaire devait être homologue au type de société qu’ils souhaitaient et soutenaient.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprendre-autrement-lexperience-de-la-classe-mutuelle-97326">Apprendre autrement : l’expérience de la « classe mutuelle »</a>
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<p>Le « mode simultané » des Frères des Écoles chrétiennes – où un maître enseigne à tous les élèves les mêmes savoirs en même temps – apparaît aux protagonistes comme le « mode » même, dans son organisation et sa pédagogie, d’une conception théocratique de la société, celle des ultra-royalistes qui veulent restaurer l’Ancien Régime, une monarchie absolue de droit divin. Leur première vertu est évidemment l’obéissance. Les autres sont la régularité, l’humilité, la modestie. Il s’agit de discipliner, de se discipliner. L’autorité magistrale est au cœur de cette ambition et de ce dispositif.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/222670/original/file-20180611-191959-1c8lz3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/222670/original/file-20180611-191959-1c8lz3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/222670/original/file-20180611-191959-1c8lz3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/222670/original/file-20180611-191959-1c8lz3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/222670/original/file-20180611-191959-1c8lz3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/222670/original/file-20180611-191959-1c8lz3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/222670/original/file-20180611-191959-1c8lz3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le travail en petits groupes était déjà au cœur de l’enseignement mutuel en vogue au XIXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P.C. Klæstrup (1820-1882)/Wikimedia</span></span>
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<p>Le « mode mutuel » de la Société pour l’Instruction élémentaire est perçu et explicitement décrit par les protagonistes comme l’expression pédagogique du libéralisme et de la monarchie constitutionnelle. Là, les classes réunissent des élèves d’âge et de niveau différents, et les élèves les plus avancés secondent l’enseignant, jouant le rôle de répétiteurs et transmettant à de petits groupes de leurs camarades leurs savoirs. Dès 1816, le <em>Bulletin de la Société pour l’Instruction élémentaire</em> affirme ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« on chercherait vainement ailleurs une plus fidèle image d’une monarchie constitutionnelle ; la règle, comme la loi, s’y étend à tout, y domine tout, et protégerait au besoin l’élève contre le moniteur et contre le maître lui-même. L’instituteur représente le monarque. Il a ses moniteurs généraux (des élèves) qui, comme ses ministres, gouvernent sous lui ; ceux-ci à leur tour sont secondés par des moniteurs particuliers. À l’ombre de cette organisation vraiment gouvernementale, la masse des élèves a ses droits ainsi que la nation »</p>
</blockquote>
<p>Le « mode mutuel » tient son nom de la place qu’il accorde aux « moniteurs », élèves conduisant l’instruction des autres élèves. Le « mérite » est récompensé par l’accès aux différents postes de moniteurs ; ce qui ouvre, par ailleurs, à la possibilité de participer à quelques jurys d’enfants. En effet, lorsqu’il y a faute grave, le maître constitue un jury (composé des élèves les plus distingués parmi les moniteurs) chargé d’instruire le procès et de prononcer la peine.</p>
<p>C’est aussi ce qui ne peut pas être admis par des ultraroyalistes, par les partisans de la monarchie absolue de droit divin. Lamennais s’insurge : « On y dénature la notion même de pouvoir en remettant à l’enfance le commandement […] Habituer les enfants au commandement, leur déléguer l’autorité magistrale, n’est-ce pas là prendre le contrepied de l’ancienne éducation, n’est-ce pas transformer chaque établissement scolaire en république ? »</p>
<h2>Expérience civique scolaire</h2>
<p>Le paradoxe est que l’école républicaine va manifestement fonctionner avec un pouvoir des enseignants plus proche de la « monarchie absolue » des Frères de Écoles Chrétiennes (ou du « despotisme éclairé » cher au courant dominant de la philosophie des Lumières), que de la « monarchie constitutionnelle » et du libéralisme de la Société pour l’Instruction élémentaire.</p>
<p>Il est néanmoins tout à fait significatif que la question refasse surface dans la mouvance de « l’éducation nouvelle ». Par exemple, lorsqu’au début du XX<sup>e</sup> siècle l’un de ses initiateurs les plus marquants (à savoir <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Adolphe_Ferri%C3%A8re">Adolphe Ferrière</a>) tente de mettre en lumière une conception « consciente et réfléchie » d’une éducation nouvelle « jusqu’ici mal définie et incomplètement précisée » en pointant une trentaine de caractéristiques, il est remarquable que l’on trouve au point 21 l’évocation du « système de la République scolaire quand il est possible » et au point 22 « à défaut du système démocratique intégral », la « monarchie constitutionnelle ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/461310/original/file-20220504-27-bdvuf4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461310/original/file-20220504-27-bdvuf4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461310/original/file-20220504-27-bdvuf4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461310/original/file-20220504-27-bdvuf4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461310/original/file-20220504-27-bdvuf4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461310/original/file-20220504-27-bdvuf4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461310/original/file-20220504-27-bdvuf4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Beatrice Ensor, Ovide Decroly, Pierre Bovet, Édouard Claparède, Paul Geheeb et Adolphe Ferrière, lors d’une conférence de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ConferenceBE.jpg">Ensojer at English WikipediaPhotographer unknown, via Wikimedia</a></span>
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<p>Le célèbre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_Langevin-Wallon#:%7E:text=Le%20plan%20Langevin%2DWallon%20est,date%20du%2015%20mars%201944%20.">Plan Langevin-Wallon</a> de 1947, qui dessine une réforme globale de l’enseignement à la libération, commence le chapitre consacré à cette question par une citation tout à fait caractéristique de Paul Langevin :</p>
<blockquote>
<p>« L’école fait faire à l’enfant l’apprentissage de la vie sociale et, singulièrement, de la vie démocratique. Ainsi se dégage la notion du groupe scolaire à structure démocratique auquel l’enfant participe comme futur citoyen et où peuvent se former en lui, non par les cours et les discours, mais par la vie et l’expérience, les vertus civiques fondamentales : sens de la responsabilité, discipline consentie, sacrifice à l’intérêt général, activités concertées et où on utilisera les diverses expériences de “self-government” dans la vie scolaire ».</p>
</blockquote>
<p>Et le texte du Plan Langevin-Wallon d’expliquer que l’éducation morale et civique doit s’accompagner d’une pratique dans le cadre scolaire, l’école offrant aux élèves « une société à leur mesure » où peuvent s’expérimenter le respect d’autrui, le sens des responsabilités ou encore le goût de l’initiative. « Chaque citoyen, en régime démocratique, est placé dans la vie professionnelle, en face d’une double responsabilité : responsabilité du dirigeant, responsabilité de l’exécutant. Il sera donc nécessaire que les activités scolaires s’organisent de telle sorte que tous aient alternativement des responsabilités de direction et d’exécution. »</p>
<p>Eh bien, il faut le dire, soixante-quinze ans après, ces enjeux apparaissent (plus que jamais ?) à l’ordre du jour. Faut-il en finir avec l’organisation de la V<sup>e</sup> République d’essence foncièrement plus bonapartiste que républicaine, et avoir pour cela une organisation ad hoc de l’école républicaine où chacun est effectivement formé à être « co-souverain » ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avant même la présidentielle et son abstention record, un rapport sur les politiques publiques « en faveur de la citoyenneté » tirait la sonnette d’alarme et interrogeait l’éducation civique.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1811272022-04-13T18:42:11Z2022-04-13T18:42:11ZComprendre l’abstention des jeunes en cinq questions<p><em>Si les jeunes votent en général moins que leurs aînés, leur niveau d’abstention était particulièrement élevé ce 10 avril 2022, lors du premier tour de l’élection présidentielle. Directrice de recherches en sociologie et en science politique CNRS au CEVIPOF (Sciences Po), Anne Muxel nous aide à remettre ce résultat en contexte.</em></p>
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<p><strong>The Conversation : Peut-on qualifier d’exceptionnel le niveau d’abstention enregistré chez les jeunes lors de ce premier tour de la présidentielle 2022 ?</strong></p>
<p><strong>Anne Muxel :</strong> Selon les chiffres communiqués par différents instituts de sondage, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/11/sept-cartes-et-graphiques-pour-comprendre-l-abstention-au-premier-tour-de-la-presidentielle-2022_6121706_4355770.html">parmi les 18-35 ans</a>, 4 jeunes sur 10 ne se seraient pas déplacés jusqu’aux urnes ce 10 avril 2022. Rappelons qu’en 2017, l’abstention s’établissait à 29 % chez les 18-24 ans et à 28 % chez les 25-34 ans.</p>
<p>Cette augmentation est d’autant plus notable que l’élection présidentielle mobilise traditionnellement plus la population, jeunes inclus, que les autres élections – municipales, départementales, régionales ou européennes. Il y a là chez les nouvelles générations un vrai décrochage de la participation qui apparaît comme le symptôme d’une déconsolidation démocratique, le vote étant partie intégrante de la panoplie du citoyen souhaitant s’investir dans les décisions engageant son pays.</p>
<p>Mais une fois évoqué ce risque de fracture civique, il faut bien voir que cet écart de participation très important chez les jeunes ne fait qu’amplifier un mouvement qui touche le corps électoral tout entier. Depuis 2007, à chaque élection, l’abstention a progressé. Certes, les 26,1 % d’abstention enregistrés le 10 avril 2022 sont en deçà de record de 28 % atteint en 2002 mais cela reste un mauvais résultat.</p>
<p><strong>TC : Un sursaut de la participation au second tour est-il possible dans ce type de scrutin ?</strong></p>
<p><strong>AM :</strong> Le duel et les enjeux qui se dessinent après ce premier tour remobiliseront peut-être des jeunes qui se sentaient hésitants face aux choix à faire.</p>
<p>Lors de l’élection présidentielle atypique de 2002 qui avait marqué l’entrée dans un nouveau cycle – le Front national de l’époque introduisant une tripartition de l’espace politique français – les électeurs s’étaient remobilisés au second tour. Et les jeunes, tout particulièrement, au travers des manifestations qu’ils avaient largement impulsées entre les deux tours, avaient assez massivement appelé au vote.</p>
<p><a href="https://www.jean-jaures.org/publication/politiquement-jeune/">En 2017</a>, en revanche, la participation n’avait pas progressé au second tour ce qui avait d’ailleurs été vu par les commentateurs de l’époque comme un signe de réussite de la stratégie de dédiabolisation menée par Marine Le Pen et le Rassemblement national, leur présence au second tour n’ayant pas pas suscité d’opposition, de dénonciation, ou de contestation comme cela avait été le cas en 2002.</p>
<p><strong>TC : L’abstention traduit-elle une dévalorisation du vote aux yeux de cette part de l’électorat ?</strong></p>
<p><strong>AM :</strong> Même quand ils ne l’utilisent pas, les jeunes restent attachés au droit de vote. Ce hiatus entre les principes et les pratiques s’explique par des raisons structurelles. D’abord, il y a toujours eu une période d’inertie entre le moment où on acquiert le droit de vote et le moment où on l’exerce pleinement, c’est ce que j’ai appelé dans mes travaux le <a href="https://www.cairn.info/l-experience-politique-des-jeunes--9782724608380.htm">« moratoire politique »</a>. L’entrée dans la participation électorale se fait très progressivement. Il faut attendre la trentaine voire la quarantaine pour arriver aux taux de participation équivalents à ceux de l’ensemble de la population.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-comment-les-jeunes-reinventent-ils-lengagement-politique-171899">« Une jeunesse, des jeunesses » : Comment les jeunes réinventent-ils l’engagement politique ?</a>
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<p>Ces effets structurels s’expliquent par les conditions propres à cet âge de la vie, où se jouent l’entrée dans la vie adulte et l’insertion professionnelle, d’autant que l’accès à une autonomie économique et résidentielle se fait de plus en plus tard, souvent dans des conditions assez instables et précaires. C’est donc une période où les jeunes sont occupés par d’autres urgences : s’inscrire dans la société, y trouver une place. C’est aussi une période de construction identitaire, et d’expérimentation, où ils renégocient les comportements hérités de la socialisation familiale, les choix politiques qui ont pu leur être transmis.</p>
<p>Par ailleurs, alors qu’auparavant la participation était davantage portée par des loyautés partisanes, aujourd’hui les jeunes font leurs premiers pas de citoyens dans un moment de relatif brouillage des repères idéologiques et de crise de la représentation politique. Ce climat de défiance ne facilite pas le passage à l’acte électoral même s’il s’agit de l’acte par lequel s’organise la démocratie représentative. S’il n’est pas remis en cause dans son principe, le rapport au vote s’est affaibli. Quand les jeunes se rendent aux urnes, ils le font de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3138704#titre-bloc-4">manière plus intermittente</a>, ne votant pas à tous les scrutins, votant parfois à un tour et pas à l’autre, se mobilisant lorsque les enjeux leur paraissent cruciaux.</p>
<p><strong>TC : Au-delà de ces raisons structurelles, l’offre politique n’est-elle pas en cause aussi dans ce phénomène d’abstention ? Les programmes prennent-ils en compte les préoccupations des jeunes ?</strong></p>
<p><strong>AM :</strong> C’est quelque chose qui a été beaucoup dit, je pense que c’est vrai en partie, faux en partie, car on voit qu’il y a des candidats qui ont clairement ciblé les jeunes et enregistré des forts niveaux d’adhésion en termes de vote. Je pense à <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-les-plus-jeunes-ont-vote-jean-luc-melenchon-les-plus-vieux-emmanuel-macron_5075344.html">Jean-Luc Mélenchon</a> qui sait particulièrement bien s’adresser aux jeunes et on voit que le vote en sa faveur est important, ce qui était déjà le cas au premier tour de 2017. Marine Le Pen ne les a pas non plus oubliés dans ses campagnes et a consolidé auprès d’eux un socle électoral assez significatif, tout particulièrement chez les trentenaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-faire-pour-inciter-les-jeunes-a-voter-179245">Comment faire pour inciter les jeunes à voter ?</a>
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<p>Peut-être les partis classiques de gouvernement ont-ils davantage laissé la question de côté. Cependant, ce sentiment d’une coupure entre les préoccupations des citoyens et les programmes des responsables politiques n’est pas spécifique aux jeunes. Rappelons que 8 Français sur 10 jugent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de leurs problèmes. Les jeunes ne font que s’inscrire dans cette logique de défiance et d’éloignement vis-à-vis de la classe politique ressentie par la population dans son ensemble.</p>
<p><strong>TC : S’abstenir de voter, est-ce se désengager de la sphère politique ?</strong></p>
<p><strong>AM :</strong> Aujourd’hui, le vote se trouve en concurrence avec <a href="https://theconversation.com/les-jeunes-et-le-politique-au-dela-du-vote-des-formes-dengagement-multiples-177648">d’autres formes de participation</a> et devient un outil d’expression démocratique parmi d’autres dont les jeunes peuvent se saisir. En même temps que la crise de la représentation politique et la montée de l’abstention, une culture de la protestation s’est affirmée, et a acquis une plus grande légitimité, débordant la seule culture politique de gauche, et recouvrant des actions comme la signature de pétitions, les boycotts, le <a href="https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2019-6-page-23.htm">blocage des lycées</a>.</p>
<p>Les jeunes sont présents dans l’arène politique et ne se détournent pas de l’engagement. Dans un ouvrage que je viens de publier avec Adélaïde Zulfikarpasic, <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-sur-le-fil-de-lengagement/"><em>Les Français sur le fil de l’engagement</em></a>, nous montrons que les jeunes s’engagent même davantage que leurs aînés, au travers d’une grande diversité d’actions et d’implications, dans le cadre associatif, mais aussi au travers de mobilisations collectives dans l’espace public ou sur les réseaux sociaux et Internet. La palette des formes de leur participation s’est diversifiée, et rencontre une certaine tentation pour la radicalité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-vote-jeune-existe-t-il-179871">Le vote « jeune » existe-t-il ?</a>
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<p>Une majorité de lycéens, même parmi les plus jeunes d’entre eux, considère par exemple qu’il est tout à fait normal de bloquer un établissement scolaire pour s’opposer à telle ou telle réforme de gouvernement.</p>
<p>Pour terminer, je voudrais rappeler que cette élection a pris place dans un contexte de crise majeure et inédit. La guerre en Ukraine et la crise sanitaire – qui a durement éprouvé les jeunes – peuvent relativiser à leurs yeux la puissance du politique au plan national et aussi expliquer leur relatif retrait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Muxel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les jeunes boudent plus souvent les urnes que leurs aînés, leur niveau d’abstention était particulièrement élevé ce 10 avril 2022. 4 électeurs de moins de 35 ans sur 10 n’auraient pas voté.Anne Muxel, Directrice de recherches (CNRS) au Cevipof, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807282022-04-08T16:12:30Z2022-04-08T16:12:30ZContre l’impuissance citoyenne, penser une démocratie de crise ?<p>Cette campagne présidentielle s’est engagée dans les impasses propres aux démocraties contemporaines face aux crises multiples qui se succèdent : l’impossibilité de vrais débats contradictoires, la promotion de figures d’autorité et la valorisation de l’efficacité au détriment de la vitalité démocratique, à savoir une manière d’habiter, ensemble, le monde.</p>
<p>Le seul échange entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen entre les deux tours n’est que l’arbre qui cache la forêt, et il serait vain de ne critiquer ici que les candidats. Les médias, qui ont choisi avant le premier tour de ne pas faire dialoguer les candidats entre eux, ou même les partis politiques, qui proposent des solutions parfois trop simplistes et, pourtant, peinent à dessiner des options idéologiques claires, sont aussi en cause.</p>
<p>L'abstention massive aux deux tours, la volatilité de l’électorat – susceptible de changer de candidat le jour de l’élection – le sentiment de distance vis-à-vis de la politique ou d’inutilité du vote, <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle-l-electorat-est-tres-volatile-a-treize-jours-du-scrutin-estime-le-directeur-general-de-la-fondation-jean-jaures_5049400.html">doivent être interrogés</a>. Selon les sociologues Olivier Galland et Marc Lazar dans leur enquête « Une jeunesse plurielle » <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/une-jeunesse-plurielle-enquete-aupres-des-18-24-ans">auprès des 18-24 ans</a> :</p>
<blockquote>
<p>« 64 % des jeunes considèrent que la société doit être améliorée progressivement par des réformes », mais 64 % montrent aussi « des signes de désaffiliation politique (en ne se situant pas sur l’échelle gauche-droite ou en ne se sentant de proximité avec aucun parti) ».</p>
</blockquote>
<p>Et ce chiffre, franchement inquiétant : « seulement 51 % des jeunes se sentent très attachés à la démocratie, contre 59 % des parents et 71 % des baby-boomers ».</p>
<p>Même ambiguïté dans les résultats du sondage Harris interactive de décembre 2021 sur le rapport des Français à la démocratie : si 83 % des Français se déclarent attachés au régime démocratique, 57 % pensent qu’un régime autoritaire peut être plus efficace qu’une démocratie pour <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-rapport-des-francais-a-la-democratie/">faire face aux crises</a> multiples qui se succèdent. C’est donc la forme démocratique elle-même qui est ici questionnée.</p>
<h2>L’importance du débat</h2>
<p>Alors que ce moment central de la vie politique française condense les nombreux défis auxquels nous avons à faire face – changement climatique, crise sanitaire, guerre en Ukraine, accroissement des inégalités, transition de notre modèle énergétique… –, elle montre donc aussi notre incapacité collective à organiser des débats autour de ces sujets, pourtant cruciaux pour les cinq prochaines années. Si débattre, sur des sujets aussi complexes revient à s’exposer, on peut comprendre que le jeu politique du moment soit d’éviter habilement les débats et de monologuer à partir de principes explicatifs simples, sans aucune contradiction. Ces moments de crise, qui devraient être des occasions de débats nécessaires, de confrontation d’idées et de partages d’expertises, aboutissent à une <a href="https://theconversation.com/debat-quelles-lecons-de-democratie-tirer-de-la-pandemie-140157">crise du débat démocratique</a> en lui-même.</p>
<p>Seulement, la méthode de l’évitement du débat aboutit, chez les citoyens, à un sentiment d’incompétence des hommes et des femmes politiques, mais aussi, c’est ce qui est le plus inquiétant, à la mise en évidence d’une forme d’impuissance collective à proposer des solutions et à agir dans ce sens. Une démocratie qui ne débat plus, ou qui débat mal, est une démocratie impuissante. Or, toujours d’après l’enquête Harris interactive, ce sont les Français qui se sentent les plus impuissants qui, à la fois déplorent de ne pas être en démocratie et ne sont pas attachés au régime démocratique.</p>
<h2>Le paradoxe de l’autorité</h2>
<p>Cet apparent paradoxe peut être expliqué par un autre : le paradoxe de l’autorité en temps de crise. Alors que plus de 1186 élus ont été menacés et agressés en 2021, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/11/violences-contre-les-elus-300-plaintes-deposees-depuis-juillet-selon-gerald-darmanin_6108987_823448.html">selon le Ministère de l’intérieur</a>, remettant en cause leur autorité et leur légitimité, certains citoyens attendent aussi un « maître », quelqu’un dont le savoir ou le pouvoir seraient providentiels – un maître qui ne devrait jamais se tromper et dont le savoir devrait être infalsifiable. C’est ainsi que face aux hésitations du gouvernement durant la crise sanitaire, Didier Raoult s’est imposé, pour certains, comme un <a href="https://up-magazine.info/decryptages/analyses/62478-un-sachant-sachant-chasser-les-autres-sachants/">« sachant » qui pouvait nous indiquer la voie à suivre, sans même avoir à prouver scientifiquement sa démarche</a>.</p>
<p>De tels « maîtres » ne manquent pas de s’imposer ailleurs et certains émergent ici, nous l’avons vu, qui peuvent prétendre à s’affranchir du réel lui-même : la vérité des faits, la science, l’histoire, leurs propres limites. C’est ainsi que l’aspiration démocratique et la remise en cause des autorités élues peut aboutir en une aspiration autoritaire. C’est ainsi que, selon Dominique Bourg, les déstabilisations liées au changement climatique pourraient aboutir à une forme de <a href="https://aoc.media/opinion/2022/03/17/naissance-du-fascisme-climatique/">climato-fascisme</a>, dont il voit les prémisses dans la guerre en Ukraine. Les idéologies politiques du XXI<sup>e</sup> siècle pourraient ainsi se reconfigurer autour de nouveaux <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2020-1-page-5.htm?ref=doi&contenu=article">récits politiques</a> démocratiques ou autoritaires.</p>
<p>Le sociologue Ulrich Beck soulignait déjà <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/10/23/penser-la-societe-du-risque-global-par-ulrich-beck_1110251_3232.html">ce paradoxe d’une impuissance autoritaire</a> durant la crise économique en 2008 dans <em>Le Monde</em> :</p>
<blockquote>
<p>« À lui seul, un gouvernement ne peut combattre ni le terrorisme global, ni le dérèglement climatique, ni parer la menace d’une catastrophe financière. […] La globalisation des risques financiers pourrait aussi engendrer des “États faibles” – même dans les pays occidentaux. La structure étatique qui émergerait de ce contexte aurait pour caractéristiques l’impuissance et l’autoritarisme postdémocratique ».</p>
</blockquote>
<p>L’impuissance est une fois encore pointée comme la source d’un risque de glissement vers un régime autoritaire. Autrement dit : impuissance et autoritarisme sont les deux faces d’une même médaille, l’autoritarisme véhiculant le fantasme d’une « toute-puissance » retrouvée.</p>
<h2>Vers une citoyenneté-puissance ?</h2>
<p>Aussi, il serait contre-productif de s’arc-bouter sur une forme de citoyenneté qui produit de l’impuissance : une idée de la participation citoyenne reposant uniquement sur l’exercice du « pouvoir » (élire, être élu, et participer aux institutions) et qui exclut toutes les autres actions transformatrices possibles. Il s’agit, au contraire, de concevoir une forme de puissance citoyenne, une manière de proposer, de développer ses capacités politiques et d’agir qui ne soit pas ignorée par les institutions.</p>
<p>C’est donc une dialectique subtile qui doit s’engager entre une <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss1-2021-1-page-161.htm?contenu=article">« citoyenneté-pouvoir » et une « citoyenneté-puissance »</a>. La formule alchimique est la suivante : la perpétuation de notre régime démocratique dépend de cette aptitude à transformer l’impuissance des citoyens en pouvoir d’action.</p>
<p>Et ce n’est pas une vaine incantation : comme le <a href="https://theconversation.com/les-jeunes-et-le-politique-au-dela-du-vote-des-formes-dengagement-multiples-177648">souligne la sociologue Patricia Loncle</a>, « en dehors des rencontres électorales, les jeunes développent des formes d’engagement multiples » et font changer les choses, sur le terrain, dans le domaine de l’écologie, du féminisme, ou encore de l’accueil des migrants.</p>
<p>C’est depuis ces initiatives de terrain qu’il sera aussi possible de redéfinir les grandes problématiques de notre époque, comme les militants d’Act Up-Paris ont su le faire pour bouger les lignes et aboutir à la loi du 4 mars 2002, fondatrice de la démocratie en santé à la française.</p>
<p>Aussi, il nous faut construire des institutions républicaines accueillantes de ces initiatives et actions. Une autre démocratie est possible, qui passe par une responsabilisation précoce des individus, qui développe les capacités citoyennes tout au long de la vie, et qui suppose que nous parvenions à vivre en bonne entente. Mais pour cela, il s’agirait de développer et institutionnaliser les démarches de débats citoyens dans la conception et la mise en place des politiques publiques, de faire une place privilégiée à l’expertise des personnes concernées, d’apprendre à orchestrer les controverses au cœur des crises, de manière pacifique et en posant les questions de manière argumentée, et intégrer la pratique du débat dans les programmes scolaires. Nous ne dirons jamais assez qu’au-delà de l’efficacité du régime, la démocratie est une fin en soi, un mode de vie partagé, une manière d’habiter le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180728/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Réflexion autour de notre incapacité collective à organiser des débats autour des grands défis contemporains.Sébastien Claeys, Professeur associé et responsable du Master Conseil éditorial, responsable de la médiation à l'Espace éthique Île-de-France, Sorbonne UniversitéNathanaël Wallenhorst, Maître de conférences HDR en Sciences de l'éducation, Université Catholique d'Angers, chercheur associé laboratoire LISEC, Université de Haute-Alsace (UHA)Renaud Hétier, Enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’UCO Angers, chercheur associé au LIRSEC, Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1743802022-02-21T21:07:09Z2022-02-21T21:07:09ZEn France, quelles perspectives pour la médiation scientifique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/447418/original/file-20220220-75578-18zgnrw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C19%2C1007%2C620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Fête de la science à l'Ecole Polytechnique, en 2017. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/117994717@N06/37078542853">J. Barande/Ecole Polytechnique</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Qu’il s’agisse de santé publique, du nucléaire, de la 5G, de la gestion de nos forêts, des OGM ou encore de l’intelligence artificielle, nous avons aujourd’hui à faire des choix collectifs en matières scientifiques et techniques. Ils auront des conséquences majeures à court terme et pour les générations futures. Quelles que soient les positions adoptées, l’histoire évaluera nos décisions sur la base de notre capacité à identifier les enjeux éthiques, environnementaux et socio-économiques des problèmes posés, à anticiper les crises et à proposer des solutions pour les éviter ou, à tout le moins, en limiter les effets.</p>
<p>Si la science ne participe pas à la décision politique, elle dresse indéniablement le champ des possibles en fonction des connaissances disponibles et des recherches en cours à une époque donnée. C’est en puisant dans ce corpus de connaissances que le débat démocratique peut prospérer.</p>
<p>Cependant, si depuis 50 ans, les Français continuent à accorder une confiance élevée à la science et aux scientifiques, ils sont désormais une minorité à considérer que les effets positifs de la recherche scientifique <a href="http://www.science-and-you.com/fr/sondage2021">sont supérieurs aux effets négatifs</a>. Ce sont donc les effets de la science sur nos conditions de vie qui sont en cause, ce qui pose la question du contrôle démocratique des choix techno-scientifiques. Déjà, en 2016, un sondage Ipsos montrait que seulement 25 % des personnes interrogées considèrent <a href="https://www.ipsos.com/sites/default/files/files-fr-fr/doc_associe/les-francais-et-les-sciences-participatives.pdf">que les citoyens français sont suffisamment informés et consultés sur les débats et les enjeux de la recherche aujourd’hui</a>.</p>
<h2>Citoyenneté éclairée</h2>
<p>Ce constat interpelle tous les acteurs de la culture scientifique et technique car ils jouent un rôle clé dans la diffusion des savoirs nécessaires à l’implication citoyenne dans l’orientation du développement techno-scientifique. Depuis plus d’un demi-siècle, ces structures (des associations et établissements publics, pour la plupart) ont accumulé un savoir-faire considérable en adéquation avec les évolutions sociétales et ont su jouer le rôle de tiers de confiance pour garantir l’impartialité indispensable à un dialogue constructif entre les scientifiques et leurs concitoyens.</p>
<p>L’offre centrée initialement sur les clubs scientifiques et les différentes formules de « musées des sciences », s’est étoffée au fil du temps avec, par exemple, les ateliers découverte, les animations, les cafés des sciences et, plus récemment, avec l’exploration des liens entre art et science.</p>
<p>Ces dernières années, profitant des opportunités offertes par les technologies numériques, elles ont affirmé leur présence sur les réseaux sociaux (podcast et webradio) et ont proposé à leurs visiteurs de nouvelles expériences immersives ou interactives sur les grands sujets de société comme en témoigne l’installation performative <a href="https://emf.fr/ec3_event/workshop-devenir-plante-voir-par-le-corps/">« Devenir plante : voir par le corps »</a> réalisée récemment par le Lieu multiple de Poitiers. Une telle démarche permet sans nul doute de rompre avec l’image parfois austère que véhicule la communication scientifique et ainsi de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-9-page-173.htm">renouveler l’intérêt pour les sujets scientifiques, notamment auprès des plus jeunes</a>.</p>
<h2>Toucher tous les publics</h2>
<p>Mais l’accroissement et la diversification de l’offre ne forment qu’un aspect de la réponse aux enjeux soulignés plus haut. Alimenter le débat sur les enjeux environnementaux et socio-économiques de la science implique une connaissance préalable plus fine des attentes du public. Or, en matière de culture scientifique, ce public est segmenté, il conviendrait plutôt de parler « des publics ».</p>
<p>Schématiquement, il se décompose en quatre grandes catégories dont les frontières ne sont pas étanches. Le public scolaire des écoles, collèges et lycées ; le public des loisirs scientifiques (enfants, adultes, familles qui participent à des ateliers et animations) ; le public averti qui, sur un sujet particulier, cherche à enrichir ses connaissances, conforter son engagement, et enfin, le public local ou touristique des amateurs de culture au sens large.</p>
<p>À chacune de ces catégories correspond une offre au contenu et à la géométrie variables. Par exemple, l’École de l’ADN de Nîmes, inspiré du DNA Learning Center new-yorkais intervient auprès des associations de malades pour <a href="https://www.ecole-adn.fr/?page_id=465">expliquer en quoi consiste le diagnostic génétique et présenter les avancées de la recherche</a>. Dans d’autres cas, les citoyens participent, selon un protocole strict, à la collecte des données scientifiques qui seront ensuite traitées et analysées par des chercheurs professionnels. Le portail des observatoires participatifs des espèces et de la nature (OPEN) <a href="https://www.open-sciences-participatives.org/home/">recense plus de 70 000 participants aux différents programmes de recherche sur la biodiversité</a>.</p>
<p>L’enjeu sens doute le plus important aujourd’hui concerne les moyens à mettre en œuvre pour toucher les gens qui ne se sentent pas concernés par les sujets scientifiques et techniques. Ce « non public » ne doit pas être négligé car il participe évidemment à la fabrique de l’opinion dite « générale ». Cherchant à comprendre les raisons profondes de ce désintérêt, Olivier Las Vergnas suggère qu’il ne relève pas nécessairement d’un manque de curiosité. Il peut dissimuler « une résignation apprise » pour celles et ceux qui n’ont pas eu d’affinité particulière <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00685389">avec les disciplines scientifiques durant leur scolarité</a>. L’absence d’intérêt pour la science peut aussi être imputable à un accès difficile, voire impossible, aux canaux de la diffusion scientifique en raison de l’éloignement géographique.</p>
<p>On le voit, les facteurs à prendre en compte sont multiples et complexes, mais leur identification est sans doute essentielle pour faire progresser la diffusion de la culture scientifique.</p>
<h2>Travail de médiation</h2>
<p>Quelle que soit la modalité de médiation retenue, la participation des chercheurs à la conception des supports est essentielle car elle garantit la qualité de l’information diffusée. Surtout, la figure du scientifique peut s’incarner à travers une personne qui, grâce à ses connaissances, sa façon d’être et sa passion pour son métier éveille la curiosité et stimule l’échange. Il n’est d’ailleurs pas rare que de telles rencontres déclenchent des vocations car elles contribuent à remettre en cause les clichés qui freinent les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01097991">ambitions professionnelles des jeunes filles</a> et, plus généralement, des jeunes gens issus des catégories sociales les plus modestes.</p>
<p>Peut-être faut-il également se défaire de l’idée que l’exposé savant et structuré, fût-il brillant, suffit à donner le goût des sciences. Les expériences <a href="https://forccast.hypotheses.org/5514">comme celles qui sont menées autour des controverses dans le cadre du programme Forccast</a> et <a href="https://ouatterrir.medialab.sciences-po.fr/#/">« Où atterrir » du Médialab de Sciences Po</a> montrent l’intérêt de porter une attention plus grande aux questionnements des populations et mener, sur cette base, un véritable travail de médiation.</p>
<p>Malheureusement, en France, l’enseignement des principes et des méthodes de la médiation n’est pas systématiquement intégré dans la formation des chercheurs et enseignants-chercheurs. Seules quelques universités comme Rennes 1 et Paris le proposent dans les formations doctorales. À défaut, l’accueil temporaire de chercheurs dans des institutions de culture scientifique pourrait être encouragé à l’instar de ce que propose <a href="https://www.exploratorium.edu/about/oshers">l’Exploratorium de San Francisco à travers son Programme Osher Fellows</a>, mais les initiatives de ce genre sont encore très timides.</p>
<p>En dépit de tous les efforts déployés depuis les années 70, les acteurs de la culture scientifique ont donc encore beaucoup de nouvelles formules à inventer pour favoriser les débats démocratiques sur les sujets scientifiques et techniques. Une présence plus affirmée dans les territoires est sans doute une voie à explorer. À travers les élus, les associations, les lieux de lecture publique et le monde éducatif au sens large, de nombreux relais existent dans les territoires pour identifier les attentes et structurer une offre qui corresponde aux préoccupations locales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascal Chauchefoin est directeur scientifique du CCSTI « Espace Mendès France », Poitiers – Nouvelle Aquitaine.</span></em></p>Les citoyens français sont-ils suffisamment informés et consultés sur les débats et les enjeux de la recherche aujourd’hui ?Pascal Chauchefoin, Maître de conférences en économie et directeur scientifique du centre de culture scientifique "Espace Mendès France", Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685952022-01-23T17:28:15Z2022-01-23T17:28:15ZEt si nous avions des débats constructifs ?<p>L’extraordinaire synchronisation de nos expériences due à la pandémie favorise une prise de conscience globale de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/penser-lapres-85546">l’urgence de nous réinventer</a> et nous offre l’opportunité de transformer nos modes d’organisation. Cela suppose, en amont comme en aval des décisions politiques, de partager et d’échanger, et donc d’offrir les conditions nécessaires à des conversations citoyennes constructives. « L’autorité, c’est celle qui grandit l’autre », <a href="https://www.lepoint.fr/societe/michel-serres-la-seule-autorite-possible-est-fondee-sur-la-competence-21-09-2012-1509004_23.php">selon Michel Serres</a>. Un débat qui fait autorité, c’est donc un débat qui fait grandir.</p>
<p>Or, ce qui nous est donné à voir, à trois mois de la présidentielle française, c’est la pauvreté persistante du débat politique. La fascination renouvelée pour les idées excluantes, pessimistes, nostalgiques ne se dément pas. Des tentatives racoleuses de diversion par rapport aux grands défis de notre époque se multiplient. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/14/ces-ideologues-neoreactionnaires-qui-refusent-l-avenement-du-nouveau-monde_6109413_3232.html">Comme s’il était possible de conjurer</a> les demandes sociales et les grands bouleversements anthropologiques et écologiques amplifiés par la pandémie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-lapres-le-respect-vertu-cardinale-du-monde-post-crise-138860">Penser l’après : Le respect, vertu cardinale du monde post-crise ?</a>
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<p>Aux tentations autoritaires qui s’efforcent de réduire le rôle des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs et de disqualifier les savoirs critiques et la science, s’ajoute, en démocratie, la défense crispée des postes de pouvoir. Chaque jour prend corps le risque d’une disparition progressive des possibilités du débat démocratique, au profit d’une banalisation de la polémique, de l’injure, du mensonge.</p>
<p>Puisque la démocratie est une « forme de vie », <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2018-2-page-157.htm">comme le dit la philosophe Sandra Laugier</a>, puisque la confiscation de la parole est mortifère, il est essentiel de se battre pour préserver des lieux de dialogue et défendre les formats favorisant l’écoute réciproque et l’expression de récits fondés sur des registres divers de compétences. Entendre ce qu’individus et groupes ont à proposer comme agenda commun suppose de bâtir une société apprenante où chacun participe à co-construire connaissances et reconnaissances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1480867159484125187"}"></div></p>
<p>Ces dernières décennies, sous l’impulsion de mouvements associatifs et de la recherche scientifique, la démocratie s’est étendue, gagnant les lieux de socialisation que sont la famille ou encore l’école. Les sphères du privé et de l’intime sont devenues politiques. La diversité des expériences, des points de vue, des savoirs et savoir-faire est une richesse dont la délibération politique aurait tort de se passer. Tout le monde, à tout âge, mérite d’être vu comme un véritable sujet politique. Comme la démocratie, la citoyenneté, du local au global, gagne à se renouveler.</p>
<h2>Promouvoir une citoyenneté fractale</h2>
<p>Les fractales ont été inventées par le mathématicien franco-américain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_Mandelbrot">Benoît Mandelbrot</a>. Elles décrivent des formes géométriques identiques, quelle que soit l’échelle à laquelle on les observe. À quoi pourrait ressembler une démocratie fractale ? À une démocratie qui présente le même mode de fonctionnement à toutes les échelles. Elle l’est déjà en partie. Par son histoire : elle s’est d’abord développée dans des périmètres restreints avant, petit à petit, de s’étendre, en appliquant à des échelles toujours plus importantes ses principes fondateurs, et en s’ouvrant à un nombre toujours croissant de personnes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-democratie-feministe-reinventer-le-pouvoir-148380">Bonnes feuilles : « La démocratie féministe, réinventer le pouvoir »</a>
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<p>Cette évolution a eu partie liée avec celle des modes de communication. Plus on a pu diffuser des informations (et des lois) vite et loin, plus il a été possible d’étendre le champ démocratique. Mais la possibilité de débattre directement restait, elle, tributaire de la taille des forums, de la possibilité physique d’organiser des débats contradictoires. On a débattu dans des agoras, des universités, des tribunaux, des salons, des académies, des conseils, des clubs…</p>
<p>Internet a fait voler en éclat ces limites en offrant, pour la première fois de l’histoire, la possibilité d’organiser des débats à grande échelle, y compris à l’international.</p>
<p>En instaurant une « citoyenneté européenne », notre continent a effectué un pas important. Il octroie à tous les citoyens européens des droits formulés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1470400619366305800"}"></div></p>
<p>En revanche, vous pouvez, par conviction, vous déclarer « citoyen du monde », mais aucun droit ne sera attaché à cet état. Et aucune organisation mondiale n’est désignée par un suffrage direct. Les Nations unies, par exemple, ne comportent aucune « chambre des citoyens ». Du FMI à l’OMC en passant par les COP, les grands enjeux économiques, environnementaux et climatiques ne sont pas traités de manière démocratique. Il est grand temps d’enrichir ce système d’autres modalités d’expression et de prise de décision, à toutes les échelles.</p>
<h2>Ouvrir les consultations</h2>
<p>Première piste : la constitution d’assemblées ad hoc, sur des sujets spécifiques. La France l’a fait avec la convention citoyenne pour le climat. 150 personnes ont été tirées au sort, représentatives de la société française, et ont travaillé pendant plusieurs mois afin de soumettre des propositions au gouvernement, qui en a repris certaines dans le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ».</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/10/climat-les-propositions-de-la-convention-citoyenne-ont-elles-ete-reprises-par-le-gouvernement_6069467_3244.html">Selon un décompte réalisé par <em>Le Monde</em></a>, 78, soit 53 %, ont été « partiellement reprises » et 18 ont fait l’objet d’une reprise intégrale. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/11/climat-une-assemblee-citoyenne-mondiale-va-poursuivre-le-travail-de-la-convention-francaise_6072716_3232.html">Comme le souligne</a> la politiste Hélène Landemore, spécialiste de la démocratie délibérative :</p>
<blockquote>
<p>« Les 150 citoyens ont rendu des propositions ambitieuses et permis aussi de médiatiser les enjeux climatiques : 70 % des Français disent aujourd’hui connaître ces propositions. »</p>
</blockquote>
<p>Il serait intéressant d’observer l’élan porté par une telle initiative en vue d’un mouvement plus global : une future assemblée citoyenne mondiale sur le climat, par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lintelligence-collective-au-coeur-des-enjeux-politiques-et-sociaux-169203">L’intelligence collective au cœur des enjeux politiques et sociaux</a>
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<p>Deuxième piste, les technologies civiques (<a href="https://theconversation.com/technology-can-boost-active-citizenship-if-its-chosen-well-61816">« civic tech »</a>). Il s’agit de plates-formes numériques qui permettent de collecter des données à toutes les échelles, y compris très grandes, d’organiser la confrontation des idées, l’évaluation des propositions et, in fine, d’aider à la décision.</p>
<p>Transparentes (open source), des plates-formes comme <a href="http://allourideas.org/">All Our Ideas</a> ou <a href="https://pol.is/home">pol.is</a> sont très faciles à utiliser et le sont déjà par des millions de personnes. La première héberge des dizaines de milliers de consultations et a suscité, par exemple, plus de 42 millions de votes autour de questions soumises par les Nations unies (sur le développement durable), l’OCDE (sur l’éducation), la ville de Calgary (pour son budget participatif), ou encore celle de New York, qui s’en est inspirée pour faire émerger plusieurs projets en matière d’environnement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-notre-monde-numerique-comment-reinventer-le-debat-democratique-161864">Dans notre monde numérique, comment réinventer le débat démocratique ?</a>
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<p>La seconde a notamment été popularisée par Audrey Tang, « hackeuse citoyenne » de Taïwan, ex-leader du « mouvement des tournesols » en 2014, aujourd’hui ministre. Elle a déployé toute une série d’outils de consultation et surtout de délibération qui font aujourd’hui partie intégrante de la vie démocratique du pays. Ainsi, explique-t-elle, <a href="https://www.ted.com/talks/audrey_tang_how_digital_innovation_can_fight_pandemics_and_strengthen_democracy">« les gens sont libres d’exprimer leurs idées, de voter pour ou contre les idées des autres »</a>. Mais on découvre qu’ils « s’accordent sur la plupart des choses, avec la plupart de leurs voisins sur la plupart des questions. Et c’est ce que nous appelons le mandat social ou le mandat démocratique ».</p>
<h2>Le temps du « gouvernement humble »</h2>
<p>Une troisième piste relève non de la technique mais de la méthodologie ou de l’état d’esprit, c’est ce que les Finlandais appellent le « gouvernement humble ». Il postule que la résolution des problèmes complexes commence par interroger les enjeux structurels et culturels de la prise de décision politique afin de renoncer à la décision verticale pour un « modèle en réseau ».</p>
<p>La mise en œuvre de cette humilité suppose quatre conditions.</p>
<ul>
<li><p>La première consiste à rechercher un consensus, fût-il minimal, sur les objectifs poursuivis et les valeurs communes qui le sous-tendent.</p></li>
<li><p>Deuxième condition : donner de l’autonomie aux différentes entités appelées à mettre en pratique la réforme.</p></li>
<li><p>Troisième condition : des boucles de rétroaction au sein desquelles circule tout ce que les parties prenantes apprennent en appliquant la réforme.</p></li>
<li><p>Quatrième et dernière condition : la possibilité de réviser la réforme en permanence, dès lors qu’une situation ou une connaissance nouvelle remettent en cause ce qui a été décidé.</p></li>
</ul>
<p>Si la technologie ne constitue pas la solution au problème de la confiscation de la parole démocratique, elle est un outil qui, bien utilisé, contribue à le résoudre. Et s’il demeure logique et raisonnable de donner aux élus le temps de mettre en œuvre leur programme sur plusieurs années, de nombreux sujets peuvent et doivent être soumis à discussion et à des formes de vote à un rythme bien plus soutenu.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Calmann-Lévy</span></span>
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<p>Les nouvelles Lumières doivent donc actualiser leur formidable héritage dans un contexte égalitaire et au regard de deux notions ignorées au XVIII<sup>e</sup> siècle : l’accélération (et la finitude de la planète) et la simultanéité des expériences humaines (la mondialisation). Et nous aider à passer d’une logique de l’avoir à une logique de l’être.</p>
<p>Les propositions ne manquent pas. Faire le lien entre la myriade d’initiatives ou de volontés individuelles qui existent et les entités capables d’agir à une large échelle nous invite à multiplier les espaces intermédiaires (middle grounds), des massive open online debates (MOOD), où les idées se transforment en actions, <a href="https://news.cri-paris.org/news/et-si-nous-une-plateforme-collaborative/">où des personnes d’horizons variés co-construisent des futurs possibles</a>.</p>
<p>À l’occasion de la journée internationale de l’éducation de l’Unesco, le festival <a href="https://festival.learning-planet.org/fr/">« Et si apprendre était une fête ? »</a> en fournit une autre occasion. L’abstention, grandissante, n’est pas (seulement) un signe de dé-participation citoyenne. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/une-semaine-en-france/une-semaine-en-france-du-vendredi-14-janvier-2022">De multiples autres manières de s’engager dans la vie collective se déploient, dans toutes les générations</a>. Celles et ceux qui aspirent aux responsabilités politiques ne doivent plus les ignorer.</p>
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<p><em>Le dernier livre de François Taddéi, <a href="https://calmann-levy.fr/livre/apprendre-au-xxie-si%C3%A8cle-9782702163429">« Et si nous ? Comment relever ensemble les défis du XXIᵉ siècle »</a> est paru aux éditions Calmann-Lévy, en janvier 2022. Chez le même éditeur, Marie-Cécile Naves est l’autrice de <a href="https://calmann-levy.fr/livre/la-democratie-feministe-9782702180020">« La Démocratie féministe. Réinventer le pouvoir »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le LPI dirigé par François Taddei a reçu des financements de la Fondation Bettencourt Schueller. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Cécile Naves est directrice de recherche à l'IRIS.</span></em></p>À l’occasion de la 4ᵉ Journée internationale de l’éducation, autour du thème « Changer de cap », retour sur un des défis du XXIᵉ siècle : réinventer la citoyenneté et le débat public.François Taddei, Chercheur Inserm, directeur, Learning Planet Institute (LPI)Marie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685912021-11-17T21:26:51Z2021-11-17T21:26:51ZDébat : Et si nous faisions des jeunes les premiers citoyens de la planète ?<p><a href="https://theconversation.com/que-retenir-de-la-cop26-171796">La COP 26</a> s’est achevée sur un 26<sup>e</sup> échec. Trop peu de décisions, trop tard, une fois de plus. Ce sont les jeunes, partagés entre la colère et l’espoir, que l’on a, cette année, le plus entendu. Pour Greta Thunberg, porte-parole de la « génération climat » ce sommet n’est qu’une mise en scène de plus, un <a href="https://www.lalibre.be/planete/environnement/2021/11/04/greta-thunberg-denonce-lhypocrisie-de-la-cop26-un-festival-de-greenwashing-du-nord-2MRR3M3JGRBVFIULXOPWJD42RI/">« festival de green washing des pays du Nord »</a>.</p>
<p>Toujours plus d’adultes, d’adolescents et d’enfants, sur l’ensemble de la planète, estiment que les gouvernements n’en font pas assez pour combattre ces fléaux que sont le dérèglement climatique, les menaces qui pèsent sur la biodiversité, mais aussi les résistances à l’égalité entre les femmes et les hommes, la persistance des discriminations raciales et sexuelles, les violences subies par les plus vulnérables… Mais comment faire globalement entendre les voix des plus jeunes alors qu’ils n’ont pas de droit de vote et que nous n’avons pas d’instance démocratique planétaire ?</p>
<h2>Des violences accrues par la pandémie</h2>
<p>Est-il besoin de rappeler que les jeunes sont confrontés à un avenir sombre ? Au tout début de la pandémie, en février 2020, l’Unicef, l’OMS et la revue <em>The Lancet</em> publiaient un rapport intitulé <a href="https://www.unicef.fr/article/un-avenir-pour-les-enfants-du-monde-le-nouveau-rapport-oms-unicef-lancet">« Un avenir pour les enfants du monde »</a>, qui établissait qu’« aucun pays ne protège de manière appropriée la santé des enfants, leur environnement et leur avenir » en raison non seulement des problèmes climatiques, mais aussi des addictions diverses (malbouffe, écrans, etc.), créés par des multinationales sans scrupule qui cherchent à rendre accro les jeunes consommateurs et qui utilisent des publicités les manipulant toujours plus avec l’intelligence artificielle.</p>
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<p>Selon Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce rapport « montre que les décideurs du monde entier font trop souvent défaut aux enfants et aux jeunes : ils ne parviennent ni à protéger leur santé, ni à protéger leurs droits, ni à protéger leur planète ». Il conclut que nous devrions repenser les priorités planétaires, les <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/">17 objectifs du développement durable</a> (ODD) de l’ONU en fonction des nouvelles générations et que nous devrions faire évoluer les droits de l’enfant, qui se célèbrent le 20 novembre, en fonction des ODD.</p>
<p>La pandémie a encore aggravé leur sort : inégalités d’accès à la santé, augmentation des mariages forcés, des violences physiques, psychologiques et sexuelles, déscolarisation, recrudescence du travail forcé, etc. Comme lors des précédentes crises, de très nombreuses filles, assignées un peu plus aux tâches domestiques et victimes de grossesses précoces et subies, ne retrouveront jamais le chemin de l’école.</p>
<p>Et que dire des révélations du rapport Sauvé sur le caractère systémique des crimes sexuels contre les enfants, de la part de l’Église ? Ou de ces fédérations sportives qui, « ont dressé, tordu, insulté, humilié, exploité, violé, menacé des centaines d’adolescentes », <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/03/le-systeme-de-la-gymnastique-de-haut-niveau-a-dresse-tordu-exploite-viole-menace-des-centaines-d-adolescentes_6090403_3232.html">comme l’écrivait</a> dans <em>Le Monde</em> la sociologue Caroline Ibos. Les exemples, hélas, pullulent. Il serait impossible d’en faire la liste complète.</p>
<h2>Casser le cercle vicieux</h2>
<p>Faut-il se résigner ? Nullement. Mais alors, comment agir efficacement ? La tâche est immense et la prise de conscience doit être générale. Il importe de mieux informer les jeunes et leur famille de leurs droits, mais aussi de former systématiquement tous les professionnels, en particulier celles et ceux qui interagissent avec les enfants et les adolescents, pour détecter et signaler ces violences le plus précocement possible, tout en améliorant l’accompagnement des victimes, tant du point de vue de leur santé physique que de celui de leur santé psychique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/protection-et-emancipation-les-deux-faces-des-droits-de-lenfant-139062">Protection et émancipation : les deux faces des droits de l’enfant</a>
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<p>Le suivi judiciaire et les sanctions administratives doivent être plus stricts et mieux évalués pour les auteurs de ces violences faites aux enfants. Il est également nécessaire de prendre conscience, collectivement, des conséquences dramatiques des traumatismes subis pendant l’enfance, surtout s’ils sont tus, minimisés, voire ignorés ou niés. En effet, les grandes études menées sur les conséquences des violences subies dans l’enfance mettent en évidence une perte d’au moins 20 ans d’espérance de vie.</p>
<p>Les États-Unis ont développé depuis 25 ans une approche autour des <em>adverse childhood experiences</em> (ACE) ou « expériences négatives pendant l’enfance ». <a href="https://www.cdc.gov/violenceprevention/aces/fastfact.html?CDC_AA_refVal=https%3A%2F%2Fwww.cdc.gov%2Fviolenceprevention%2Facestudy%2Ffastfact.html">Selon le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies</a> (CDC), le coût des maladies qui découlent des troubles subis dans l’enfance se chiffre en milliards de dollars. Outre une hausse non négligeable de l’échec scolaire, des maladies cardio-vasculaires à l’âge adulte (fois 3), du diabète (fois 4), des maladies respiratoires (fois 3), des tentatives de suicide (fois 12), des dépressions (fois 5), il existe une probabilité élevée de reproduction transgénérationnelle des abus par les personnes qui les ont subis ou en ont été témoins.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas une fatalité dès lors que le cercle vicieux des violences peut être rompu par un regard bienveillant qui repère, qui prend en charge et qui, en accompagnant l’enfant victime dans son parcours de résilience lui permet de comprendre que le passé traumatique vécu ne s’inscrivait pas dans la norme. Aider les victimes revient donc, aussi, à leur montrer ce qui est acceptable ou pas et à protéger d’autres victimes potentielles.</p>
<h2>Prendre les jeunes au sérieux</h2>
<p>Prendre soin des enfants, c’est une obligation légale tout autant qu’éthique. Dans toutes les institutions de socialisation, les enfants apprennent à être au monde, à le comprendre, à devenir autonomes. Ces lieux restent pour autant largement inadaptés aux besoins des nouvelles générations. Si les jeunes sont conscients que la planète est en train d’être détruite, leurs attentes sont immenses. Il faut les accompagner et, pour ce faire, construire de nouveaux apprentissages avec eux.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Ce que les adultes peuvent apprendre des enfants », Adora Svitak (TED Talks).</span></figcaption>
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<p>Quant aux jeunes qui sont en âge de voter, ils se détournent des urnes. L’offre politique ne leur convient pas. Et cependant beaucoup, on le voit, on le sait, s’engagent pour défendre le bien commun. L’abstention massive des jeunes est donc un trompe-l’œil, comme l’expliquent Tom Chevalier et Patricia Loncle dans <a href="https://www.puf.com/content/Une_jeunesse_sacrifi%C3%A9e"><em>Une jeunesse sacrifiée ?</em></a>. En effet, notent-ils,</p>
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<p>« Les jeunes ne vont pas voter à une élection parce qu’il faut voter, ils vont voter lorsqu’ils considèrent que le sujet est important, et sont plus sensibles aux enjeux culturels et sociétaux qu’aux enjeux économiques et sociaux. Le reste du temps, ils investissent d’autres formes de participation politique et citoyenne. Ce n’est donc certainement pas le signe d’une dévitalisation démocratique. Reste à savoir comment on peut imaginer pour l’avenir une forme de démocratie faisant de la place à ces jeunes et à leurs nouveaux espaces d’expression politique, pour qu’ils aient un effet sur l’action publique. »</p>
</blockquote>
<p>Il faut prendre les jeunes au sérieux. Des chercheurs comme Alison Gopnik, à Berkeley, <a href="https://www.editions-lepommier.fr/comment-pensent-les-bebes">ont montré que dès la prime enfance</a> nous faisons preuve de capacités étonnantes d’innovation, d’expérimentation, d’adaptation, avec des pics de créativité dès l’âge de 5 ans. La France pullule de dispositifs publics destinés à initier les enfants à la citoyenneté et, en principe, à leur donner la parole. Mais trop souvent, leurs délibérations restent lettre morte, alors qu’ils et elles expriment les mêmes attentes que les adultes : ne pas perdre de temps dans des simulacres de démocratie.</p>
<h2>De nouveaux dispositifs démocratiques</h2>
<p><a href="http://justice-everywhere.org/democracy/why-should-children-have-the-right-to-vote/">Le spécialiste des droits de l’enfant Nicolás Brando note</a> que les arguments avancés pour s’opposer à un droit de vote des jeunes ont déjà servi pour les femmes, les pauvres, les minorités ethniques : incapacité à formuler un choix éclairé faute de facultés cognitives ; absence d’expériences sociales ou économiques suffisantes pour étayer un choix ; trop grande malléabilité des jeunes esprits face aux manipulations ; risque de déséquilibrer le jeu démocratique. À partir de quelles capacités biologiques ou de quel âge devient-on citoyen ? Il fut un temps où c’était 21 ans, certains pays sont déjà à 16 ans. Et si nous donnions un droit de vote dès la naissance qui puisse être appliqué par les parents jusqu’à ce que l’enfant se sente capable de voter sur les sujets qui le concernent ?</p>
<p>Au-delà du droit de vote, des formes d’instances délibératives pourraient permettre aux plus jeunes, régulièrement, de donner leur avis sur les questions qui les concernent, et d’être véritablement écoutés comme le préconise la déclaration des droits de l’enfant de l’ONU et comme a su le faire la Ville de Paris avec <a href="https://www.paris.fr/pages/une-charte-parisienne-pour-les-droits-de-l-enfant-15853">sa charte des droits de l’enfant</a> écrite par les jeunes – et qui a servi de base à de nouvelles politiques publiques.</p>
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<figcaption><span class="caption">How we can help young people build a better future – Henrietta Fore (TED Talks).</span></figcaption>
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<p>Il ne s’agit pas de donner tous les droits aux enfants, mais de faire en sorte que les droits qui leur sont donnés le soient effectivement, et de leur en accorder de nouveaux, via des projets à fort impact, de nouveaux dispositifs démocratiques, des moyens de prendre en compte leur regard sur le monde et leur expertise, quels que soient leur milieu d’origine, leur niveau d’étude, leur territoire de vie. L’École est l’un des lieux essentiels pour le faire. La jeunesse a des idées pour le monde de demain, des revendications pour aujourd’hui et ne demande qu’à être entendue. Nous avons, nous aussi, à apprendre d’elle, pour faire en sorte, ensemble, que l’avenir soit synonyme d’espoir.</p>
<p>Et si cette génération était la première à devenir des citoyens de la planète. Si les Grecs ont inventé l’engagement au service de la Cité, si les Lumières ont réinventé la citoyenneté à l’échelle de la nation, ils ont nié les droits des femmes, des migrants, des esclaves et des jeunes. Alors que les femmes sont les dernières à être devenues citoyennes, les plus jeunes ne le sont toujours pas. À l’heure du numérique, il est temps de réinventer l’héritage des Lumières, de le rendre plus inclusif, plus écologique et de le faire à l’échelle de la planète. Comment espérer traiter de manière démocratique les enjeux globaux comme le changement climatique sans inventer une démocratie fractale qui fonctionne à toutes les échelles et donne une voix aux plus jeunes ?</p>
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<p><em>Le prochain livre de François Taddéi, « Et si nous ? Comment relever ensemble les défis du XXI<sup>e</sup> siècle » paraîtra aux éditions Calmann-Lévy, en janvier 2022</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168591/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Taddei ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment faire globalement entendre les voix des plus jeunes alors qu’ils n’ont pas de droit de vote ? Réflexions à l’occasion de la Journée des droits de l’enfant.François Taddei, Chercheur Inserm, directeur, Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700532021-11-10T12:34:06Z2021-11-10T12:34:06ZQuelles orientations numériques en France : un enjeu démocratique et citoyen<p>La numérisation est désormais un fait social quasiment total, même si beaucoup d’inégalités d’accès aux réseaux persistent : elle symbolise en tout cas des potentialités considérables d’un point de vue sociétal, politique et économique.</p>
<p>Sur ce plan, la France est un acteur important à l’échelle européenne. Le déploiement de la 5G sur son territoire devrait dans les prochaines années permettre des progrès importants. Par exemple, dans le domaine industriel, des systèmes de <a href="https://www.journaldunet.fr/web-tech/dictionnaire-de-l-iot/1489507-maintenance-predictive-definition-et-interet-dans-l-industrie/">maintenance prédictive</a> visent à suivre le comportement d’un équipement dans le temps et à anticiper les pannes avant qu’elles ne se produisent. En télémédecine, des applications font déjà l’objet d’expérimentations prometteuses, dans le cadre par exemple de la <a href="https://www.aphp.fr/connaitre-lap-hp/recherche-innovation/nos-chaires-de-recherche/la-chaire-innovation-bloc-operatoire">chaire de recherche et d’innovation sur le bloc opératoire augmenté</a>.</p>
<h2>Le numérique change nos vies privées et publiques</h2>
<p>Les pratiques sociales sont elles-mêmes en métamorphose majeure : l’accès aux réseaux offre des capacités de décentrement dans la construction de soi, intervenant ainsi sur les imaginaires institués, et les expériences de socialité en ligne ont en ce sens une dimension existentielle à part entière. Les individus sont susceptibles d’être ouverts à des sources d’influence culturelles, intellectuelles, affectives ou idéologiques beaucoup plus variées qu’autrefois.</p>
<p>La variété des supports technologiques permet de créer des sensibilités plus ouvertes à des expressions culturelles hétérogènes, ainsi qu’à des causes transnationales.</p>
<p>Les pratiques politiques, par le biais des mobilisations sociales en ligne, évoluent en faveur de davantage de transparence dans l’organisation de la vie commune. Tour à tour émetteurs, récepteurs et relais d’information, les citoyens sont désormais en mesure de s’attaquer à la <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/410">traditionnelle culture du secret du pouvoir étatique</a>. De <a href="https://wikileaks.org/">Wikileaks</a> aux <a href="https://www.icij.org/investigations/panama-papers/">Panama Papers</a>, l’ère numérique permet l’ouverture de brèches de contournement des ordres institués assez inédites.</p>
<h2>Une culture de l’horizontalité</h2>
<p>Une culture de l’horizontalité s’est imposée depuis que nous vivons en réseau et que nous sommes devenus hyperconnectés.</p>
<p>Lors du <a href="https://risques-tracage.fr/">lancement</a> de l’application StopCovid au printemps 2020, les <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/stopcovid-il-est-contre-productif-de-proposer-une-solution-techniciste-a-un-probleme-qui-ne-l-est-pas-20200427">multiples alertes</a> formulées par de nombreux chercheurs et scientifiques – de toutes disciplines – ont contribué à créer d’importants débats dans la sphère publique, en sensibilisant les citoyens et les politiques aux problèmes que posaient initialement cette application en termes de vie privée et de traçabilité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/stopcovid-une-application-prometteuse-mais-qui-questionne-137092">StopCovid : une application prometteuse mais qui questionne</a>
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<p>L’application fut ainsi revue dans sa conception et a intégré davantage de garanties juridiques. Un tel exemple souligne à quel point le contrôle démocratique des nouvelles technologies devient une demande sociétale de plus en plus forte. Elle s’intensifiera sûrement à l’avenir.</p>
<h2>Contrôle des technologies numériques : enjeu démocratique, demande sociétale</h2>
<p>Afin d’éviter des visions trop enchantées de l’innovation (à tout prix et qui serait nécessairement synonyme de « mieux »), une éducation plus transversale et appliquée à la complexité technologique apparaît comme un enjeu décisif sur le plan démocratique.</p>
<p>Cet enjeu s’exprime déjà par des dynamiques visant à proposer d’autres modèles économiques que ceux des GAFAM. Des initiatives comme celles de <a href="https://declic-lelivre.com/">« <em>Déclic</em> »</a> vont aujourd’hui dans cette direction, en vue de refaire d’Internet un bien commun, une source d’émancipation et de contribution (par la valorisation des logiciels libres ou du design éthique).</p>
<p>L’ambition d’allier responsabilité éthique et innovation technologique est désormais <a href="https://maisouvaleweb.fr/du-design-thinking-au-design-ethique-redonner-du-sens-a-linnovation/">clairement identifiée</a> comme socialement importante.</p>
<p>Par rapport à de telles exigences, des politiques publiques du numérique ne devraient-elles pas être conçues en assumant beaucoup plus ouvertement un certain pluralisme dans notre rapport à l’innovation ? C’est-à-dire en faisant intervenir divers réseaux d’acteurs au moment où les technologies se développent, fidèlement aux valeurs démocratiques qui ont historiquement orienté la construction de nos sociétés ?</p>
<h2>Libérer les pratiques créatives et les imaginaires sociaux</h2>
<p>Afin de répondre à de telles exigences éthiques, un défi sera de permettre à des formations transdisciplinaires de se déployer : afin que les technologies ne soient pas considérées que sous l’angle d’une pure rationalité qui répondrait essentiellement à des critères d’efficacité, et qu’elles puissent davantage s’adresser à la part émotionnelle des individus en proposant par exemple de <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/quand-la-realite-virtuelle-nous-transforme-en-arbre-pour-nous-faire-aimer-la-nature">se mettre dans la peau de créatures animales ou organiques</a>, à l’instar de ce que certains artistes expérimentent aujourd’hui.</p>
<p>C’est, plus globalement, l’exercice du jugement critique (qui renvoie à une faculté de discernement) dans le contexte des sociétés technologiques qui devrait se voir développé.</p>
<p>Par exemple, si nous sommes accoutumés au fait de semer nos données par le biais des réseaux sociaux ou de nos activités en ligne, au fait donc d’être engagés dans une forme d’exposition numérique quasi permanente, les possibles effets générés par des applications intégrant des données de santé ne sont pas du même ordre.</p>
<p>Le recueil d’information de santé – et la production de critères de bonne santé – implique le risque d’instituer des politiques de discrimination de certaines populations, que l’on empêcherait d’aller et venir, d’accéder à tel ou tel lieu, ouvrant la voie à une <a href="https://www.revuepolitique.fr/les-risques-dun-biopouvoir-disciplinaire/">gestion biopolitique des populations</a> – une gouvernance qui reposerait avant tout sur le contrôle de la santé des corps au détriment de la qualité de la vie sociale elle-même.</p>
<p>Un autre risque serait sans doute de favoriser une accoutumance au fait d’être tracé sur des critères de santé – critères qui pourraient être toujours redéfinis de manière arbitraire.</p>
<h2>Décider ensemble des évolutions technologiques de notre société</h2>
<p>Si l’accentuation des réseaux numériques tend à créer des phénomènes majeurs dans l’évolution de nos existences individuelles et collectives, l’idéal qu’ils portent ne doit pas nous empêcher de les interroger en fonction du sens que nous souhaitons conférer à nos coexistences.</p>
<p>Sur ce plan, d’un point de vue éducatif, la France est en retard <a href="https://www.weforum.org/agenda/2019/05/how-finland-is-fighting-fake-news-in-the-classroom/">par rapport aux pays d’Europe du Nord</a>, étant donné les frontières disciplinaires qui persistent encore massivement entre sciences de l’ingénieur et sciences humaines et sociales, compte tenu également de la difficulté qu’il y a à engager autour des technologies des perspectives éducatives qui soient capables d’intégrer des dimensions à la fois artistiques, scientifiques, techniques et philosophiques. Des initiatives naissent depuis ces dernières années, par exemple au sein du Master <a href="https://entreformesetsignes.fr/actualites/post-diplome-id-dim-2021-2022">« Inventivités digitales – Designers, Ingénieurs, Managers »</a>.</p>
<p>La marge de progression est loin d’être négligeable, car les environnements numériques appellent le développement de nouvelles <a href="https://esprit.presse.fr/article/andrew-feenberg/capacites-d-agir-a-l-ere-numerique-42511">capacités d’agir</a> des citoyens eux-mêmes, qui sont encore trop massivement tenus à l’écart de décisions touchant au développement du numérique dans leurs vies.</p>
<p>Le déploiement de la 5G est à cet égard en France un bon exemple d’un déploiement technologique qui s’affirme de manière très unilatérale, en s’imposant comme une technologie totale, se répercutant dans une multitude de sphères (industrie, transport, commerce, loisir, santé, etc.), ne donnant lieu à aucune concertation ni débat, à l’opposé ce qui est par exemple en vigueur au Danemark où les <a href="http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-7749.html">dynamiques de concertation citoyenne à propos de certaines grandes orientations technologiques</a> sont historiquement plus ancrées. Au niveau local, les communes danoises <a href="http://www.senat.fr/lc/lc287/lc28712.html">mettent en place des procédures de démocratie participative</a> visant la consultation régulière et l’implication constante des citoyens dans certaines prises de décision.</p>
<h2>Maturité critique sur les impacts sociétaux du numérique</h2>
<p>Dans un tel horizon, le déploiement d’universités populaires du numérique serait sans nul doute une manière de faciliter des appropriations plus éclairées et contributives des innovations technologiques, à l’image de <a href="https://www.reseau-canope.fr/academie-de-versailles/atelier-canope-91-evry/actualites.html">ce qui existe déjà sur certains territoires en France</a>.</p>
<p>Le déploiement de tels projets au sein des nombreuses écoles d’ingénieurs que nous avons sur le territoire national serait une manière de créer des synergies fructueuses entre les visions du progrès portées par la culture des élèves-ingénieurs et les visions du futur désirées par les citoyens. C’est au travers de telles interactions que nos sociétés technologiques seront les plus à même de gagner en maturité critique, qui sera essentielle au niveau européen pour faire face à certains modèles d’innovation hégémoniques, qui s’incarnent notamment aujourd’hui par <a href="https://www.challenges.fr/monde/un-rapport-americain-denonce-l-autoritarisme-numerique-de-la-chine_720217">l’autoritarisme numérique</a>, tel qu’il s’affirme par exemple en Chine.</p>
<p>Sur le plan intellectuel, la France dispose d’atouts pour faire entendre la voix d’une culture numérique éthiquement soutenable, par exemple avec les travaux menés à l’<a href="https://www.iri.centrepompidou.fr/">Institut de Recherche et d’Innovation</a> ou plus amplement avec le courant des études digitales. Mais, pour les faire valoir, elle doit réaffirmer, dans les processus d’innovation eux-mêmes, les valeurs auxquelles elle est démocratiquement attachée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170053/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Antoine Chardel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les technologies numériques ont un impact grandissant sur nos vies ; mais la prise de décision sur leur déploiement oscille entre culture de l’horizontalité et décisions technocratiques.Pierre-Antoine Chardel, Professeur de sciences sociales et d'éthique, membre de l'Observatoire de l'éthique publique, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1713492021-11-09T14:19:33Z2021-11-09T14:19:33ZVoici pourquoi le cours d’éducation à la citoyenneté est une bonne idée… et ce qu'il doit enseigner<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/430878/original/file-20211108-13-igxuvs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=31%2C0%2C3000%2C2124&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre de l'Éducation du Québec, Jean-François Roberge, répond à l'opposition pendant la période de questions en décembre 2020, à l'Assemblée nationale, avec le premier ministre du Québec, François Legault, en arrière-plan. Le nouveau cours de citoyenneté proposé par le ministre suscite de nombreux débats.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Jacques Boissinot </span></span></figcaption></figure><p>À un an des élections québécoises, les thèmes sur lesquels la Coalition Avenir Québec (CAQ) ira en campagne commencent à se dessiner. L’annonce récente d’un <a href="https://www.ledevoir.com/societe/education/642501/le-nouveau-cours-de-culture-et-citoyennete-quebecoise-dans-toutes-les">nouveau cours en éducation à la citoyenneté</a> s’inscrit sur cet horizon. <a href="https://www.ledevoir.com/societe/education/642852/education-malaise-autour-du-nouveau-cours-de-citoyennete">Elle a activé en quelque jours une polarisation</a> où les fantômes de la culpabilité et de la fierté ont ressurgis.</p>
<p>Pourquoi une telle méfiance envers ce cours ?</p>
<p>En partie parce que la CAQ a démontré par le passé que sur les enjeux identitaires, <a href="https://theconversation.com/le-fiasco-de-la-reforme-de-limmigration-et-les-contradictions-du-nationalisme-caquiste-127401">comme l’immigration</a>, elle n’hésite pas à emprunter des éléments d’un répertoire national-populiste <em>light</em>.</p>
<p>Ceci dit, bien que François Legault ait déjà déclaré, en 2016, <a href="https://www.journaldemontreal.com/2016/11/12/francois-legault-a-laise-detre-compare-a-trump">être à l’aise d’être comparé à Donald Trump</a>, ce n’est pas dans la ligue des Trump, <a href="https://www.franceculture.fr/personne/viktor-orban">Victor Orban</a> ou <a href="https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2022/20211103.OBS50613/dans-la-tete-d-eric-zemmour-decryptage-d-une-ideologie-mortifere.html">Éric Zemmour</a> que joue le premier ministre du Québec. À bien des égards son nationalisme économique s’inscrit dans une tradition qui a été pratiqué à gauche, comme à droite par le passé. Ses appels à une plus grande décentralisation des pouvoirs n’est pas particulièrement populiste, et il n’a généralement pas abordé la pandémie <a href="https://theconversation.com/voici-les-cinq-dirigeants-qui-ont-le-plus-mal-gere-la-covid-19-dans-leur-pays-161378">avec le même mépris de la science que les Trump ou Jair Bolsonaro</a>.</p>
<p>Professeur au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, mes recherches actuelles portent sur les nationalismes et le populisme au Canada, au Québec et en Allemagne. Les questions relatives à la citoyenneté, à la démocratisation et aux reculs de la démocratie sont au cœur de ma réflexion.</p>
<h2>Le nouveau « père » de la nation</h2>
<p>La CAQ inspire la méfiance à certains et emprunte au registre populiste sur les dossiers identitaires et dans sa façon de cadrer ses adversaires, par exemple, en <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2021-09-16/legault-donne-sa-definition-du-terme-woke.php">qualifiant Gabriel Nadeau Dubois de « woke »</a>, un terme qu’il définit comme quelqu’un « qui veut nous faire sentir coupable de défendre la nation québécoise et de défendre ses valeurs ». Avec cette déclaration, le premier ministre s’est présenté non seulement comme l’interprète en chef des valeurs québécoises, mais aussi comme le juge de ce qui constitue une critique légitime ou non d’une politique publique ou mémorielle au nom du sentiment très subjectif qu’est la culpabilité.</p>
<p>Ce type de déclaration explique pourquoi certains attendent ce nouveau cours avec appréhension. Il ne justifie cependant pas les comparaisons dérisoires, qui ont circulé sur les réseaux sociaux, avec la Chine maoïste ou d’autres régimes totalitaires.</p>
<p>On peut très légitimement trouver que <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/10/26/la-citoyennete-quebecoise-plutot-que-la-reconnaissance-de-lautre">certaines critiques de l’ancien cours d’éthique et culture religieuse</a> ont été montées en épingle, mais cela ne justifie pas un traitement tout aussi démagogique d’un cours dont on n’a pas encore vu le contenu. Rappelons qu’il a déjà existé un cours d’<a href="http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PFEQ_histoire-education-citoyennete-premier-cycle.pdf">histoire et d’éducation à la citoyenneté</a>, que des savoirs existent en ce domaine et que nous n’avançons pas ici en terrain inconnu.</p>
<h2>L’importance de la citoyenneté comme lien social</h2>
<p>Dans un contexte où plusieurs observateurs constatent un <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/1bae1d47-4949-4d7c-9629-a3d54c1c1ade__7C___0.html">recul de la démocratie à travers le monde</a>, un <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2021-10-25/un-cours-qui-fera-du-bien.php">cours d’éducation à la citoyenneté</a> est une initiative qui doit être saluée.</p>
<p>La société québécoise, comme toute autre, est traversée par des enjeux complexes. Il ne manque pas de thèmes auxquels les jeunes pourront être amenés à réfléchir en lien avec la citoyenneté. S’ils peuvent le faire dans un cadre pédagogique approprié, il est difficile de trouver des raisons pour s’y opposer.</p>
<p>Mais la citoyenneté et les sentiments vécus qui découlent du fait national sont deux choses différentes. La citoyenneté est garantie par l’État de droit et vice versa. Les sentiments vécus qui découlent du fait national, eux, aussi forts et réels soient-ils, restent subjectifs. Un cours sur la citoyenneté doit porter sur ce qui entoure l’institution et la pratique de la citoyenneté, non pas faire mousser les sentiments subjectifs entourant le nationalisme vécu.</p>
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<img alt="Des adolescents dans une salle de classe" src="https://images.theconversation.com/files/431113/original/file-20211109-27-1ecwe1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431113/original/file-20211109-27-1ecwe1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431113/original/file-20211109-27-1ecwe1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431113/original/file-20211109-27-1ecwe1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431113/original/file-20211109-27-1ecwe1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431113/original/file-20211109-27-1ecwe1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431113/original/file-20211109-27-1ecwe1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plusieurs observateurs constatent un recul de la démocratie à travers le monde. Un cours d’éducation à la citoyenneté pourrait pallier au désintérêt actuel.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>La citoyenneté est à la fois le lien social le plus important, le plus abstrait et le plus fragile pour un régime démocratique. <em>Fragile</em>, parce qu’il requiert que l’on adhère à des règles de droit, non pas nécessairement parce qu’on les aime, mais parce qu’on considère le processus à partir duquel elles sont établies comme plus légitime que le recours à l’arbitraire ou à la violence. <em>Abstrait</em>, parce que comme la santé, la citoyenneté est ce que l’on prend pour acquis quand elle nous accompagne, mais que l’on regrette lorsque l’on en est privé. <em>Important</em>, parce qu’elle est le maillon du lien social qui tient les autres en place.</p>
<p>C’est grâce à la citoyenneté que l’on peut faire et défaire les autres liens sociaux dans le débat démocratique et non dans le recours à la violence.</p>
<h2>Transmettre des savoirs sur des enjeux complexes</h2>
<p>Sur le fond, un tel cours devra aborder les thèmes classiques et actuels de la sociologie de la citoyenneté : les institutions, les mouvements et les processus à travers lesquels s’est développée et se pratique la démocratie au Québec et au Canada. On pense au développement de l’État de droit, mais aussi aux droits et libertés et à la division des pouvoirs et champs de compétence. Il est essentiel de rappeler au moyen des sciences que le contexte dans lequel ces institutions se sont développées au Québec n’est pas le même qu’en France ou aux États-Unis.</p>
<p>Il devra aborder les composantes civiques, politiques et sociales à travers lesquelles on étudie la citoyenneté depuis les travaux du sociologue britannique <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13621029708420651?journalCode=ccst20">T.H. Marshall</a>. Ces dimensions se sont développées à un rythme spécifique au Québec et de façon différente pour les hommes, femmes, propriétaires, ouvriers, Canadiens-français, Anglais, Premières nations, Innus, Juifs, etc. Encore une fois, il existe des savoirs empiriques concrets pouvant être transmis sur ces questions.</p>
<p>Nous sommes également en droit de nous attendre à ce qu’un tel cours aborde des enjeux brûlants d’actualité : <a href="https://ere.uqam.ca">l’écocitoyenneté</a>, la citoyenneté à l’ère numérique, les sexualités et le consentement, le pluralisme, la déconfessionnalisation, la laïcité et les <a href="https://www.actualites.uqam.ca/2019/expliquer-radicalisation-conference-faculte-sciences-humaines">phénomènes de radicalisation</a>. Les parents connaissent l’importance de ces enjeux et il se fait une recherche de pointe sur ceux-ci en sciences sociales au Québec.</p>
<p>Ce cours exigera que les enseignants reçoivent une importante formation notamment en sociologie, en science politique et en histoire. On demandera ici aux enseignants d’encadrer et de transmettre des savoirs sur des enjeux sur lesquels même les adultes ont beaucoup de difficultés à débattre. Il faudra leur donner du temps, un accès à de la formation et reconnaître la complexité de la tâche qu’ils ont à accomplir.</p>
<h2>Qu’en est-il de la composante culturelle annoncée dans le cours ?</h2>
<p>À première vue, on peut se demander pourquoi une dimension culturelle est intégrée à un cours d’éducation à la citoyenneté, plutôt que dans un autre cours.</p>
<p>Or, il faut se rappeler que ce n’est pas d’hier que des sociologues de toutes tendances, de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean%E2%80%91Charles_Falardeau">Jean‑Charles Falardeau</a> à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Bouchard">Gérard Bouchard</a>, ont eu recours à des œuvres littéraires pour faire revivre des contextes de transformation des pratiques citoyennes au Québec. Si les sociologues ont reconstruit les structures politiques et économiques du Québec des années 50, un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bonheur_d%27occasion_(roman)">roman comme « Bonheur d’occasion »</a> est extraordinaire pour reconstituer la vie des Canadiens-français au sein de ces dernières. Il faut aussi se rappeler que la démocratisation de l’accès à l’éducation publique et à la culture ont été des matrices fondamentales apportées par la Révolution tranquille.</p>
<p>Ici, à nouveau, il faudra faire confiance aux enseignants, respecter leur liberté académique, baliser et non imposer, et faire place à des œuvres moins connues comme aux œuvres canonisées. Gabrielle Roy, Louis Hémon ou Jacques Ferron, bien entendu, mais aussi <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/An_Antane_Kapesh">An Antane Kapesh</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Naomi_Fontaine">Naomi Fontaine</a> ont leur place dans cette réflexion.</p>
<h2>Ni fierté, ni honte : un parti pris pour la démocratie</h2>
<p>En somme, ce cours doit-il chercher à <a href="https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/2021-10-25/le-chauvinisme-la-pensee-critique-et-nos-enfants.php">exalter la fierté nationale</a> ou, au contraire, à faire de la honte et de la pénitence le tissu du lien social ? Ni l’un, ni l’autre.</p>
<p>Si la citoyenneté peut générer de la fierté, son exaltation n’est pas ce que son enseignement doit rechercher. L’objectif d’un tel cours devra être sobre : transmettre une explication et une compréhension de l’origine et du fonctionnement des institutions garantissant la citoyenneté au Québec et au Canada.</p>
<p>Si un tel cours ne doit pas viser à susciter de la fierté, doit-il chercher à susciter de la <a href="https://www.lequotidien.com/2021/10/28/les-sannouiches-aux-tomates-1fc9af1ff3a33d250ff49fbdbc642056">honte ou l’intimité culturelle</a> ? Non plus. La honte que partage un groupe d’individus liés par des liens historiques et culturels peut renforcer des liens sociaux entre eux, mais elle génère aussi des frontières à l’endroit des gens à l’extérieur du groupe.</p>
<p>La compréhension par empathie peut nous amener à comprendre des sentiments et des valeurs, mais ce n'est n’est pas la même chose que les ressentir. L’enseignant doit chercher à faire comprendre des points de vue opposés, mais il doit laisser aux manipulateurs et propagandistes l’objectif de les faire ressentir. La compréhension réciproque, qui n’exclue pas le désaccord, est essentielle à la démocratie. La mise en commun de la honte ou du ressenti, elles, ne doivent pas constituer le socle de la citoyenneté.</p>
<p>Si la fierté et la honte ne sont pas de bonnes conseillères, quels sentiments un tel cours devrait-il susciter ? Aucun, si ce n’est un parti pris pour la démocratie. Le cours doit viser à transmettre des savoirs, des méthodes et des compétences. Cette transmission engendrera inévitablement des sentiments, des malentendus, des questionnements et des nouvelles pratiques sociales et citoyennes. Mais ce n’est pas au législateur de donner une orientation politique à ces sentiments. Ce rôle reviendra à la société civile, comme il se doit, en démocratie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171349/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédérick Guillaume Dufour ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cours d’éducation à la citoyenneté devrait être exempt de sentimentalisme et viser à transmettre des savoirs, des méthodes et des compétences sur la pratique de la démocratie et de l’État de droit.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1661182021-08-30T20:50:29Z2021-08-30T20:50:29ZAprès l’« ivoirité », voici la « congolité » : illustration d’une faille des démocraties modernes<p>Le 8 juillet, un projet de loi sur la « congolité » a été <a href="https://infos.cd/politique/rdc-proposition-de-loi-sur-la-congolite-nsingi-pululu-depose-le-texte-au-bureau-administratif-de-lassemblee-nationale/">déposé</a> au bureau de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (RDC) par le député Nsingi Pululu. Ce texte – toujours en examen à l’Assemblée nationale à l’heure où ces lignes sont écrites – vise à interdire à tout citoyen de la RDC ayant un parent étranger d’accéder à la magistrature suprême.</p>
<p>Si cette proposition de loi a provoqué l’inquiétude de la société civile, c’est surtout parce qu’elle a rappelé un autre concept voisin, l’« ivoirité », qui, au cours des dernières décennies, a provoqué des tensions ethno-identitaires et de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2001-3-page-292.htm">graves crises politiques</a> en Côte d’Ivoire. En RDC, <a href="https://www.afrik.com/loi-sur-la-congolite-en-rdc-felix-tshisekedi-cherche-t-il-a-ecarter-moise-katumbi">certains ont vu</a> dans cette manœuvre une tentative d’<a href="https://www.afrik.com/loi-sur-la-congolite-en-rdc-felix-tshisekedi-cherche-t-il-a-ecarter-moise-katumbi">éliminer un candidat potentiel</a> à l’élection présidentielle prévue en 2023, à savoir le leader du parti « Ensemble pour la République », <a href="https://www.radiookapi.net/2021/08/24/emissions/parole-aux-auditeurs/linterview-de-moise-katumbi-sur-la-tenue-des-elections-en">Moïse Katumbi</a>, de père juif grec et de mère congolaise.</p>
<p>Beaucoup d’observateurs craignent que la RDC, <a href="https://www.icrc.org/fr/le-conflit-en-republique-democratique-du-congo-rdc">déjà fragilisée par des décennies de conflits armés</a>, ne sombre encore une fois dans des conflits fratricides, ce qui s’était produit en Côte d’Ivoire, quand l’« ivoirité » avait été <a href="https://www.liberation.fr/planete/1999/12/02/l-ivoirite-concept-a-double-tranchant-il-permet-de-se-debarrasser-des-opposants-politiques-et-des-im_292004/">utilisée</a> pour empêcher l’actuel président du pays, Alassane Dramane Ouattara, de se présenter aux présidentielles de 1995 et 2000.</p>
<p>Comment comprendre l’émergence de ces concepts ? Comment expliquer la concomitance entre leur genèse et la proximité des échéances électorales ? À qui profitent-ils ? Que nous disent-ils des rapports entre droit et politique dans la modernité ?</p>
<h2>Des concepts performatifs</h2>
<p>Les lois destinées à évincer des personnalités politiques sur la base de critères ethniques finissent toujours par produire la division de la population. Ces divisions, dans des pays qui ont connu des conflits armés et des processus de pacification encore très fragiles, sont d’autant plus dangereuses qu’elles entraînent généralement de fortes vagues migratoires vers les pays limitrophes.</p>
<p>Concernant la Côte d’Ivoire, c’est à l’aune des tensions entre autochtones et allochtones à la fin du <a href="http://www.hubrural.org/IMG/pdf/dial_2002_18.pdf">« miracle ivoirien »</a> dans les années 1980 qu’il faut analyser la genèse de ces concepts qui prônent une séparation entre « vrais citoyens » et « citoyens de seconde zone ». Ces discours ont surtout participé à désigner une partie de la population comme étant responsable des maux du pays. En effet, après le décès en 1993 de Félix Houphouët-Boigny – président depuis l’indépendance obtenue en 1960 –, la bataille de succession oppose le premier ministre Alassane Dramane Ouattara au président de l’Assemblée nationale Henri Konan Bédié. La rivalité entre les deux protagonistes va tourner à l’avantage de Bédié, la Constitution voulant qu’il devienne président intérimaire en cas de décès du président de la République, et qu’il conserve ce poste jusqu’à la présidentielle suivante, prévue en 1995.</p>
<p>Cette situation engendre une dissension puisqu’une partie du PDCI – le Parti démocratique de la Côte d’Ivoire, qui avait été créé et dirigé jusqu’à sa mort par Félix Houphouët-Boigny, et présidé après son décès et jusqu’à aujourd’hui par Bédié – emmenée par Djeni Kobenan, qui est un proche de Ouattara, fait sécession pour créer en décembre 1994 le Rassemblement des Républicains (RDR). Le motif de la scission portait sur une nouvelle loi votée à l’Assemblée nationale qui exigeait que tout candidat à l’élection présidentielle soit un Ivoirien né sur le sol ivoirien et dont les deux parents sont aussi nés sur le sol ivoirien. Il fallait également <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2000-2-page-45.htm">ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité autre qu’ivoirienne</a>. Cette loi visait implicitement l’ex-premier ministre Ouattara, accusé d’être d’ascendance burkinabè alors qu’en réalité, il était né à Dimbokoro et que son père était de Kong et sa mère d’Odienné, dans le nord de la Côte d’Ivoire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cvyu1pJuHyk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans le cas de la RDC, la loi sur la « congolité » va directement toucher Moïse Katumbi, allié d’abord de l’ancien président Joseph Kabila jusqu’en 2016 puis de l’actuel président Felix Tshisekedi, jusqu’en 2021. Les proches de ce dernier affirment qu’il ne se trouve pas derrière le projet de loi sur la congolité ; ce qui est sûr, en tout cas, c’est que la promulgation de cette loi lui profiterait certainement car Katumbi est largement présenté comme son principal challenger aux élections de 2023.</p>
<p>Mais bien que le texte sur la « congolité » semble viser principalement un candidat métis, il <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/19/rdc-la-proposition-de-loi-sur-la-congolite-va-diviser-les-congolais_6088773_3212.html">concerne aussi beaucoup d’autres Congolais</a>. La RDC étant entourée par neuf voisins avec lesquels elle entretient des relations transfrontalières, il est clair que l’entrée en vigueur de loi sur la congolité affecterait beaucoup de Congolais ayant de la famille dans ces pays voisins (s’il s’agit seulement de la présidentielle pour l’instant ; le risque que l’adoption de la loi entraîne l’ouverture d’une boîte de Pandore est bien réel) et, tout spécialement, ceux qui ont une parenté avec le Rwanda. </p>
<p>Les Congolais rwandophones, parlant le kinyarwanda, et donc d’origine rwandaise, c’est-à-dire dont les ancêtres seraient venus du Rwanda au cours des migrations survenues entre le XIX<sup>e</sup> siècle et l’indépendance de la RDC en 1960, ont longtemps été stigmatisés, accusés d’être à l’origine des rébellions que <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/LEst-RD-Congo-dechire-22-guerre-2016-08-15-1200782377">l’est de la RDC a connues</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1194913069689954305"}"></div></p>
<p>Bien que le terme « congolité » n’ait pas été évoqué auparavant et que c’est la première fois que cette idée semble être utilisée pour éventuellement écarter un adversaire politique, l’évocation de son contenu pour d’autres raisons politiques diverses date de très longtemps. En effet, l’enjeu de la congolité ne portera pas sur la question de la nationalité tout court, mais sur la nationalité d’origine. Elle rappelle de ce fait les conflits qui ont été liés au refus de la nationalité congolaise d’origine à certains rwandophones durant le règne du président Mobutu. On sait très bien combien les <a href="https://www.refworld.org/docid/45f1471311.html">lois de 1971 et de 1981</a> ont été citées par ces rwandophones parmi les mobiles à la base de leur engagement dans la première guerre du Congo qui visait à renverser le régime de Mobutu. On sait aussi combien la remise en question de ces lois lors des pourparlers de paix a permis d’établir les bases de la paix en RDC.</p>
<h2>Une ressource politique</h2>
<p>Trois leçons au moins peuvent être tirées de l’examen des expériences de l’ivoirité et de la congolité.</p>
<p>Premièrement, la concomitance de leur apparition à l’approche des échéances électorales est liée aux rapports de force politiques. Aussi, l’adhésion d’une partie de la population à ces discours est de nature à accentuer les clivages entre le nord et le sud pour la Côte d’Ivoire et entre l’ouest et l’est pour la RDC, les uns étant considérés comme les vrais nationaux et les autres des intrus. En Côte d’Ivoire, cette division est renforcée par le clivage entre un nord plutôt musulman et un sud chrétien (même si le métissage rend complexe cette dichotomie). En RDC, l’Ouest est souvent et abusivement considéré comme lingalaphone et l’Est comme essentiellement swahiliphone. Tous ces schémas simplificateurs sont largement employés pour légitimer les uns et délégitimer les autres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1404548900200009730"}"></div></p>
<p>Deuxièmement, ces concepts deviennent à un moment donné des ressources politiques qui ont pour rôle non seulement de distraire la population des bilans et programmes des candidats, mais aussi de permettre à certains politiciens d’accéder ou de conserver le pouvoir. Ces lois peuvent souvent être votées par la majorité des représentants de la population, c’est-à-dire de manière démocratique. Dans ce cas, ce n’est pas une quelconque rationalité dictatoriale ou immaturité politique qui est en jeu, comme on l’a souvent trop vite avancé lorsqu’il s’agit des pays africains. </p>
<p>C’est la question du rapport entre le droit et la démocratie qui est sérieusement posée ici. Car, en démocratie, même si c’est l’État de droit qui devrait régner, celui-ci est mis en place par des acteurs politiques mus par des intérêts spécifiques. De ce point de vue, les dimensions identitaires des notions de congolité et l’ivoirité, c’est-à-dire la désignation de ceux qui, selon leurs origines, peuvent ou ne peuvent pas se prévaloir de leur appartenance à la communauté politique, se posent aussi dans plusieurs démocraties occidentales, où les sentiments identitaires et nationalistes ont souvent le vent en poupe.</p>
<p>Troisièmement, le débat sur l’ivoirité et la congolité est porteur d’enseignements importants sur les effets pervers de la nécessité d’une communauté politique. Si celle-ci exige la mise en place des modalités du gouvernement des gens, elle implique aussi une définition claire des membres du groupe, et donc l’exclusion de ceux qui n’y appartiennent pas. Or, notre modernité nous propose l’idée de la majorité pour préserver ces dérives. Mais dans ce cas, la majorité devient aussi un danger pour les minorités, ce qui pose la question cruciale de l’éthique dans la gestion démocratique des peuples. Cette éthique exige de s’imaginer, en démocratie, une politique pour les minorités susceptibles d’être à tout moment exclues par la majorité, quand bien même cela se ferait dans le respect de la légalité. Car, en effet, si une loi discriminatoire parvient à être votée dans le respect des règles établies dans un système politique donné, alors il faut admettre qu’il y a une faille au sein même de ce système.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166118/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La RDC, où un projet de loi sur la « congolité » est en discussion, risque de suivre la même voie que la Côte d’Ivoire, où l’instauration de la notion d’« ivoirité » avait eu de funestes conséquences.Aymar Nyenyezi Bisoka, Assistant professor, Université de MonsLamine Savané, PhD science politique, ATER, CEPEL (UMR 5112) CNRS, Montpellier, Post doctorant PAPA, Université de SégouLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1496762020-11-30T18:35:29Z2020-11-30T18:35:29ZChili : pour une Constitution démocratique<p>Un an après le début de la révolte populaire déclenchée dans les villes chiliennes par <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/chili-a-l-origine-de-la-crise-des-tickets-de-metro-et-de-profondes-inegalites-20191021">l’augmentation</a> du prix du ticket de métro, et qui a fini par prendre pour principale revendication la rédaction d’une nouvelle Constitution, le mouvement vient d’engranger une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/26/les-chiliens-ont-vote-en-masse-au-referendum-sur-la-constitution_6057340_3210.html">victoire éclatante</a> au référendum convoqué par les autorités pour décider d’un changement de la Loi fondamentale.</p>
<p>Les deux options les plus radicales qui s’offraient aux électeurs pour tourner la page de la Constitution conçue par la dictature du général <a href="https://www.liberation.fr/planete/1998/11/14/pinochet-seize-ans-de-dictature_250885">Pinochet</a> – celle qui portait sur l’adoption d’une nouvelle norme suprême, et celle qui approuvait le mécanisme le plus démocratique pour son élaboration –, ont triomphé, récoltant toutes deux presque 80 % des voix.</p>
<p>La <a href="https://web.archive.org/web/20061207024251/https://www.presidencia.cl/view/pop-up-nueva-constitucion-texto.asp">Constitution de 1980</a> restera un objet d’étude pour les facultés de droit, en tant qu’exemple de l’utilisation des mécanismes de l’État de droit contre la démocratie. Mais c’est le processus constituant désormais ouvert qui retiendra ici notre attention. Deux dimensions complexes apparaissent à l’horizon, la première essentiellement chilienne, la seconde touchant au débat plus général sur la Constitution et les droits.</p>
<h2>L’exception chilienne ?</h2>
<p>Toute construction juridique est marquée par une histoire nationale, y compris les contraintes d’un agenda politique concret, qui va parfois au-delà de l’objet de la discussion constitutionnelle. Ainsi, l’élection des conventionnels chiliens, qui aura lieu au mois d’avril prochain, pourrait être fortement conditionnée par les autres échéances électorales qui vont se dérouler lors de la même journée pour élire les autorités municipales et les gouverneurs régionaux, sans parler de l’élection présidentielle de novembre 2021, qui se profilera à l’horizon.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chili : le changement de Constitution plébiscité dans les urnes.</span></figcaption>
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<p>Les partis politiques les mieux organisés, au sein d’une classe politique assez conservatrice, pourront peut-être reprendre le contrôle de l’élection des futurs conventionnels, notamment sur les listes indépendantes prévues par la loi 21.216 portant sur la conformation de l’organe constituant. Cela pourrait délimiter certaines discussions, d’autant plus que les règles de fonctionnement de la convention chargée d’élaborer le nouveau texte (et, particulièrement, le système de majorités nécessaire pour l’adoption des nouvelles normes) sont assez restrictives. Il est vrai qu’elles furent négociées sans la participation des représentants du mouvement de contestation.</p>
<p>Aujourd’hui, l’objectif principal des forces conservatrices qui s’opposaient au changement constitutionnel et avaient fini par accepter une solution hybride de convention mixte rejetée par les électeurs est de dépasser le tiers des représentants à la future assemblée constituante de manière à détenir un droit de veto : il faudra que deux tiers des conventionnels en exercice soient favorables aux nouvelles normes pour qu’elles soient adoptées.</p>
<p>En quelque sorte, le Chili connaît actuellement pour la première fois de son histoire un processus constituant au sens propre du terme, où les citoyens peuvent se mobiliser pour leurs idées et débattre des projets, avant d’élire au suffrage universel leurs représentants à une assemblée ad hoc. Cette situation peut libérer une dynamique inédite dans l’élaboration des nouvelles institutions constitutionnelles au sein de la future convention, mais pas seulement.</p>
<p>On a déjà pu observer que le mouvement à l’origine du processus actuel avait échappé aux consignes des partis et syndicats, même opposés au gouvernement conservateur en place. Et certains progrès sont déjà actés : pour la première fois dans l’histoire du constitutionnalisme, la nouvelle Constitution sera rédigée par une assemblée formée <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20200305-chili-parit%C3%A9-hommes-femmes-%C3%A9lections-constituante-constitution-manifestations-dro">à parité</a> d’hommes et de femmes.</p>
<h2>Le Chili dans la lignée du « nouveau constitutionnalisme » latino-américain</h2>
<p>La question constitutionnelle a fait l’objet d’un débat renouvelé après la fin de la Guerre froide, en 1989, et c’est peut-être en Amérique latine que ses tenants et ses aboutissants ont trouvé les meilleures expressions – ce n’est pas un hasard si l’on a parlé, à propos des Constitutions innovantes des années 2000 (en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/09/29/equateur-la-constitution-portee-par-correa-a-ete-largement-approuvee_110274">Équateur</a> et en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/09/29/equateur-la-constitution-portee-par-correa-a-ete-largement-approuvee_110274">Bolivie</a>), d’un « nouveau constitutionnalisme ».</p>
<p>Cette approche, sans dénier les acquis des Constitutions normatives, cherche à ouvrir de nouvelles perspectives pour le maintien de l’élan constituant dans les institutions constituées, tout en élargissant le cadre national-étatique, les fondements occidentaux des droits, les régimes de propriété privée, les mécanismes de contrôle, etc.</p>
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<p>Les enjeux sont, bien entendu, démocratiques. Les nouvelles garanties constitutionnelles et les nouveaux droits reconnus ont renouvelé certaines institutions de l’État de droit, comme les Cours constitutionnelles par exemple, en prévoyant l’élection de leurs magistrats par suffrage universel direct, comme dans le cas de la Constitution bolivienne.</p>
<p>En même temps, des mécanismes également originaux avaient été imaginés pour assurer l’élan démocratique des réformes (comme les formes généreuses d’initiative populaire normative ou de révocation des mandats de la Constitution équatorienne, ainsi que les conseils de participation citoyenne et contrôle social), dans un continent qui souffre toujours de fortes inégalités économiques et sociales.</p>
<p>Cependant, les meilleurs constitutionnalistes latino-américains ont dénoncé la persistance d’un conservatisme juridico-politique derrière la généreuse reconnaissance de nouveaux droits fondamentaux. Il s’exprimerait principalement par l’omniprésence des exécutifs, tel qu’on l’a vu réapparaître de manière évidente et persistante lors des débats entourant la <a href="https://www.challenges.fr/monde/en-bolivie-morales-pourra-se-presenter-pour-un-nouveau-mandat_516601">non-limitation des mandats</a>. Dès lors, le fonctionnement effectif de ces Constitutions, autour du pouvoir d’impulsion du président, ne réussit pas à tenir les promesses de démocratisation et d’émancipation sociale qui ont accompagné leurs adoptions, et ceci en dépit des énoncés novateurs sur les droits des femmes, des droits des nations et des peuples originaires, des droits d’accès à l’eau et d’autres services basiques, parmi d’autres parsemés dans des dizaines d’articles.</p>
<p>L’une des premières revendications apparues chez les manifestants chiliens dès octobre 2019 est la reconnaissance constitutionnelle des droits en matière d’éducation, de santé, de retraite, etc. Des droits sociaux dont l’absence du texte de 1980 est l’un des signes les plus clairs de l’orientation politique néolibérale de celui-ci.</p>
<p>Mais le débat constituant qui s’ouvre est peut-être l’occasion d’imaginer aussi de nouvelles structures de pouvoir, où l’indispensable reconnaissance des droits sociaux serait associée à une forme de gouvernement plus ouverte aux prises de décisions citoyennes. Cette approche, qui aurait le mérite d’éviter les travers délégatifs du régime présidentiel, devrait s’étendre à tous les niveaux de décision.</p>
<p>Le national et le global se rejoignent ici : le Chili avait été l’un des rares pays du continent américain qui avait échappé un temps, au début du XX<sup>e</sup> siècle, au régime présidentiel.</p>
<p>À l’échelle planétaire qui est la nôtre, les expériences constitutionnelles nationales, y compris celles d’un Sud devenu global, représentent un intérêt majeur pour nos régimes démocratiques. Il est donc indispensable de suivre de près le processus qui se déroulera au Chili dans les prochains mois. Après avoir été le laboratoire du néolibéralisme, le Chili est-il l’avenir du constitutionnalisme ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149676/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carlos Herrera ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Chili va se doter d’une nouvelle Constitution pour rompre définitivement avec les années Pinochet. Ce mouvement s’inscrit-il dans la lignée du « nouveau constitutionnalisme » latino-américain ?Carlos Herrera, Professeur de droit public à CY Cergy Paris Université, directeur du Centre de philosophie juridique et politique-CPJP, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.