tag:theconversation.com,2011:/id/topics/droit-constitutionnel-36629/articlesdroit constitutionnel – The Conversation2024-01-08T17:05:52Ztag:theconversation.com,2011:article/2204392024-01-08T17:05:52Z2024-01-08T17:05:52ZLa Cour suprême va-t-elle déterminer l’issue de la présidentielle américaine ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568006/original/file-20240105-19-bvrl90.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C1497%2C990&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les neuf membres actuels de la Cour suprême. Au premier rang, de gauche à droite : Sonia Sotomayor, Clarence Thomas, John G. Roberts, Jr, Samuel A. Alito, Jr, et Elena Kagan. Au deuxième rang, de gauche à droite : Amy Coney Barrett, Neil M. Gorsuch, Brett M. Kavanaugh et Ketanji Brown Jackson.</span> <span class="attribution"><span class="source">Fred Schilling, Collection of the Supreme Court of the United States</span></span></figcaption></figure><p>La Cour suprême, composée de neuf juges désignés à vie, a toujours été un pouvoir politique aux États-Unis, en raison du <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/presentation-de-la-cour-supreme-des-etats-unis">mode de nomination des juges</a> et de sa place au sommet de la pyramide judiciaire fédérale. Dans son histoire, et particulièrement au cours des dernières décennies, elle a régulièrement été accusée de rendre des décisions partisanes. Ainsi, par l’arrêt <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/bush-contre-gore-trois-mauvais-coups-portes-a-la-constitution-a-la-cour-et-a-la-democratie"><em>Bush v. Gore</em> en 2000</a>, elle a ordonné la fin du recomptage des voix en Floride, accordant <em>de facto</em> la présidence à George W. Bush alors que l’écart entre les deux candidats dans cet État était de quelques centaines de voix et que la victoire de Gore semblait encore possible.</p>
<p>Depuis que le conservateur John Roberts est devenu président de la Cour en 2006, celle-ci a notamment <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/01/21/etats-unis-les-entreprises-peuvent-a-nouveau-financer-les-campagnes-electorales_1295123_3222.html">dérégulé les financements électoraux en 2010</a> et invalidé les <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/06/25/la-cour-supreme-invalide-une-partie-de-la-loi-electorale-contre-la-segregation_3436470_3222.html">dispositions anti-discrimination de la loi sur le droit de vote en 2013</a>. Et l’influence des conservateurs pourrait peser sur l’issue de la campagne présidentielle de cette année.</p>
<p>Non seulement la majorité dite conservatrice compte depuis 2020 six juges nommés par des présidents républicains, mais ce ne sont pas les mêmes qu’avant 2006 : à deux centristes modérés – Sandra Day O’ Connor et Anthony Kennedy, qui ont parfois voté avec les progressistes (sur le droit à l’avortement ou les droits des homosexuels) – ont succédé de purs produits de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-organisation-secrete-qui-noyaute-la-justice-americaine-09-02-2020-2361856_24.php"><em>Federalist Society</em></a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etats-unis-limpact-de-loriginalisme-des-juges-conservateurs-a-la-cour-supreme-150328">États-Unis : l’impact de l’originalisme des juges conservateurs à la Cour suprême</a>
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<p>Cette association, devenue puissant lobby doté de ressources financières considérables, a été créée en 1982 afin de mettre fin à ce que les conservateurs appelaient la dérive gauchiste des juridictions fédérales et de la Cour suprême. Depuis les années 2000, les membres de la <em>Federalist Society</em> sont présents dans les facultés de droit, dans l’administration et, de plus en plus, dans les juridictions fédérales. Les trois juges suprêmes nommés par Donald Trump (Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett) ont été pré-sélectionnés par elle et son dirigeant Leonard Leo.</p>
<h2>Trump intouchable ou inéligible ?</h2>
<p>En cette année électorale, la plus importante des affaires hautement sensibles sur lesquelles la Cour suprême va sans doute devoir se prononcer a trait à l’immunité de l’ancien président Donald Trump, invoquée par ses avocats pour tenter de le faire échapper au procès pénal qui fait suite à sa <a href="https://edition.cnn.com/interactive/2023/08/politics/annotated-text-copy-trump-indictment-dg/">mise en examen le 1<sup>er</sup> août 2023</a> au niveau fédéral par un jury de la capitale fédérale et le procureur spécial Jack Smith.</p>
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<p>Les chefs d’inculpation – obstruction et atteinte au droit de vote de millions d’électeurs – sont liés aux tentatives de Trump visant à inverser le résultat de l’élection de 2020. Mais l’incitation à l’insurrection (du 6 janvier 2021) n’a pas été retenue par le procureur spécial, sans doute parce qu’il n’est pas assuré d’obtenir une condamnation, celle-ci nécessitant qu’un jury unanime se prononce « au-delà d’un doute raisonnable ».</p>
<p>Selon ses avocats, Donald Trump jouirait d’une immunité absolue, car il n’a pas été destitué, et ne peut donc être poursuivi… alors que la clause d’<em>impeachment</em> prévue à l’article I, section 3,7 de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787.htm">Coinstitution</a> prévoit exactement le contraire : « Les condamnations prononcées en cas d’impeachment ne pourront excéder la destitution et l’interdiction d’occuper tout poste de confiance ou d’exercer toute fonction honorifique ou rémunérée des États-Unis ; mais la partie condamnée sera néanmoins responsable et sujette à accusation, procès, jugement et condamnation suivant le droit commun. »</p>
<p>Ses avocats invoquent aussi l’interdiction d’être jugé deux fois pour le même crime (<em>double jeopardy</em>). Selon eux, Trump a déjà été jugé pour les événements du 6 janvier 2021, puisqu’il a été <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210113-en-direct-la-chambre-des-repr%C3%A9sentants-vote-une-proc%C3%A9dure-de-destitution-du-pr%C3%A9sident-donald-trump">mis en accusation par la Chambre des Représentants en mars 2021 pour incitation à l’insurrection</a>, avant que le Sénat ne décide de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/procedure-dimpeachment-le-senat-americain-acquitte-encore-donald-trump-1290170">ne pas prononcer sa destitution</a>. Cet argument est, là encore, spécieux : il s’agissait, en l’occurrence, d’un processus politique et non d’une procédure judiciaire, et le principe de <em>double jeopardy</em> n’est donc pas applicable en l’espèce.</p>
<p>L’incitation à l’insurrection est au cœur de plusieurs actions menées dans plus de dix États par des individus ou des groupes de défense des droits et libertés pour obtenir du secrétaire en charge des élections (Maine) ou des juridictions (Minnesota, Colorado) qu’ils concluent à l’inéligibilité de l’ancien président et empêchent son nom de figurer sur les bulletins de vote. Ces affaires ont pour base la <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cqq1yv2ee52o">section 3 du XIV<sup>e</sup> amendement</a> (adopté et ratifié après la guerre de Sécession) qui interdit à toute personne publique (<em>officer of the United States</em>) ayant suscité une insurrection en violation du serment prêté de participer à une élection. Après la guerre de Sécession, les Républicains avaient voulu cet amendement afin d’éradiquer l’esclavage et ses vestiges, de protéger les anciens esclaves, y compris en cas d’insurrection, et d’empêcher ceux qui avaient participé à la sécession de revenir au pouvoir.</p>
<p>Les juges du <a href="https://edition.cnn.com/2023/11/08/politics/minnesota-14th-amendment-trump/index.html">Minnesota</a> et du <a href="https://edition.cnn.com/2023/11/14/politics/michigan-judge-trump-14th-amendment/index.html">Michigan</a> ont débouté les requérants sans aborder la question de fond. Ils ont conclu que ce n’était pas à eux de décider, car la question relève du Parti républicain de l’État. Au Michigan, ils ont jugé l’affaire non « mûre » (<em>ripe</em>) dans la mesure où il n’existait pas de litige puisque Trump ne figurait pas encore sur le bulletin de vote.</p>
<p>Seule la juge Wallace, au Colorado, a <a href="https://www.lepoint.fr/monde/elections-de-2024-que-signifie-la-decision-du-colorado-pour-donald-trump-21-12-2023-2547873_24.php">conclu</a>, après examen des faits et audition de témoins, que Trump est effectivement coupable d’insurrection. Mais pour elle, la section 3 ne s’applique pas au président, seulement aux « officers » des États-Unis (terme non défini). La Cour suprême du Colorado n’a pas fait preuve de la timidité que déplorent certains élus démocrates et plusieurs constitutionnalistes, tels <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4532751">W. Baude et M.S. Paulsen</a> qui ont étudié le contexte et les documents préparatoires de la Constitution. La Cour suprême du Colorado les a entendus, jugeant que l’expression « officers of the United States » inclut bien le président et le vice-président et qu’en raison de sa participation à l’insurrection, Trump est inéligible – c’est-à-dire, concrètement, qu’il ne peut pas se présenter aux primaires républicaines organisées dans le Colorado.</p>
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<p>Cette décision rendue par quatre voix contre trois souligne que la question est délicate. L’un des juges explique dans son opinion dissidente que Trump n’a été ni inculpé ni condamné pour le crime d’insurrection, ce qui poserait un problème de légalité processuelle (<em>due process</em>). Un autre juge considère qu’une loi du Congrès doit préciser les modalités de mise en œuvre de la section 3.</p>
<p>La Cour du Colorado ne souhaitant pas que sa décision soit le dernier mot sur la question a suspendu son application jusqu’au 4 janvier, date limite pour la finalisation du bulletin de vote pour les primaires dans le Colorado. En d’autres termes, il suffit que Donald Trump fasse appel (ce qu’il a <a href="https://www.cnews.fr/monde/2024-01-04/etats-unis-donald-trump-fait-appel-de-son-ineligibilite-dans-le-colorado-devant-la">déjà fait</a>, ainsi que le Parti républicain du Colorado) et il pourra concourir à la primaire. Il n’y a donc pas de véritable enjeu à court terme.</p>
<h2>La question de la légitimité de la Cour</h2>
<p>Ces deux questions, immunité et inéligibilité, n’ont jamais été tranchées par la Cour suprême. Or, en raison des enjeux, il est important qu’elle se prononce. Mais les effets pervers et les dangers sont nombreux. À court terme, l’avalanche d’affaires alimente la communication victimaire trumpiste de chasse aux sorcières et absorbe l’espace médiatique au détriment des vraies questions, que ce soit le modèle économique, l’immigration ou les attaques contre le droit de vote. En outre, les dangers sont grands pour la Cour suprême. Les sondages révèlent que son taux d’approbation est extrêmement bas, surtout après le revirement de jurisprudence qui a <a href="https://theconversation.com/vers-la-fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-182528">mis fin au droit à l’avortement au plan fédéral</a> dans l’arrêt <em>Dobbs</em>.</p>
<p>La question de la légitimité de la Cour pèsera certainement sur le <em>Chief Justice</em> John Roberts, qui est certes conservateur mais aussi institutionnaliste attaché à la légitimité de la Cour, très contestée de nos jours. Si le <em>Chief Justice</em> parvient à faire prévaloir ses vues, la Cour ne voudra sans doute pas se trouver en première ligne. Une différence avec 2000 est qu’à cette époque la décision <em>Bush v. Gore</em> – même si elle a été très critiquée, y compris par l’un des juges de l’époque qui a rédigé une virulente opinion dissidente – a été acceptée dans l’opinion.</p>
<p>Compte tenu de la polarisation actuelle, il n’est pas certain qu’une décision trop ouvertement partisane serait acceptée sans de gigantesques manifestations ou émeutes, et mise en application. Car, rappelons-le, la Cour n’a pas de troupes à sa disposition pour faire respecter ses décisions.</p>
<p>S’ajoute à cette situation explosive la question du juge <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/un-juge-de-la-cour-supreme-americaine-liste-des-cadeaux-recus-d-un-milliardaire-20230831">Clarence Thomas</a>. Après la révélation qu’il a reçu des cadeaux se chiffrant à plusieurs centaines de milliers de dollars offerts par « ses amis », les milliardaires de la droite radicale, et que son épouse Ginni Thomas a envoyé des SMS pour pousser Donald Trump et ses proches à contester les résultats de l’élection de 2020 et à refuser la défaite, nombreux sont ceux qui <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220327-%C3%A9tats-unis-vers-une-d%C3%A9mission-d-un-juge-de-la-cour-supr%C3%AAme-soup%C3%A7onn%C3%A9-de-conflit-d-int%C3%A9r%C3%AAt">lui ont demandé de se déporter</a>.</p>
<h2>Vers une attitude prudente de la Cour</h2>
<p>La Cour sera aussi au centre des débats car elle a déjà accepté de se prononcer sur une autre question : la validité de la loi <a href="https://www.congress.gov/bill/107th-congress/house-bill/5118"><em>Corporate Fraud Accountability Act</em></a> de 2002, adoptée dans le sillage du scandale Enron et qui vise directement la destruction de preuves mais aussi, de façon moins explicite, <a href="https://www.scotusblog.com/case-files/cases/fischer-v-united-states/">toute tentative d’obstruction dans le but d’entraver une procédure officielle</a>.</p>
<p>Utilisée par plusieurs procureurs pour poursuivre 325 (sur près de 1400) individus qui ont participé à l’insurrection du 6 janvier 2021, elle a permis de condamner plusieurs dizaines d’inculpés, et d’autres attendent leur jugement. C’est sur cette loi que se fonde l’un des quatre chefs d’inculpation retenus contre Donald Trump, accusé d’avoir cherché à faire obstruction à la certification de la victoire de Joe Biden.</p>
<p>En outre, la Cour suprême a accepté de traiter deux affaires touchant au droit à l’avortement (sur lequel elle ne s’est pas prononcée depuis la décision <em>Dobbs</em> de 2021), celle de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/ivg-quest-ce-que-la-mifepristone-dont-la-cour-supreme-americaine-pourrait-restreindre-lacces-20231214_QELDD7ODKNFCNC6TVIWXDFNLHI/">mifépristone</a>, utilisée pour les avortements médicamenteux.</p>
<p>Dans les différentes affaires, la question du calendrier judiciaire et de l’imbrication avec le calendrier des primaires et de l’élection générale ne peut être évacuée. Sur la question sur l’immunité, le procureur spécial a demandé à la Cour suprême d’examiner l’affaire en procédure d’urgence, sans attendre la décision de la cour d’appel ; une demande que les avocats de Trump ont contestée. Ils ont finalement eu gain de cause sur ce point.</p>
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<p>Jack Smith a eu beau citer plusieurs jurisprudences dans lesquelles la Cour a traité des affaires en procédure d’urgence, dont <a href="https://www.oyez.org/cases/1973/73-1766"><em>U.S. v Nixon</em> en 1974</a>, cette fois, la Cour a refusé. Faut-il y voir un signe que la majorité conservatrice au sein de la Cour veut faciliter les manœuvres dilatoires de l’ancien président ? C’est possible, mais l’absence d’opinion dissidente critiquant le refus peut laisser penser que les neuf juges sont tombés d’accord pour laisser la cour d’appel de D.C. se prononcer, ce qui lui permettrait peut-être de ne pas intervenir.</p>
<p><a href="https://www.lefigaro.fr/international/etats-unis-la-cour-supreme-va-examiner-la-question-de-l-ineligibilite-de-donald-trump-20240105">La Cour suprême a accepté de revoir la question de la section 3</a> – l’éventuelle inéligibilité de Trump –, mais l’on peut penser qu’elle va chercher le moyen de statuer le moins dangereux pour elle et son image. Juger que la section 3 ne s’applique pas à un président est dangereux pour l’avenir ; mais valider la décision du Colorado priverait des millions d’électeurs de leur choix. Et quid des 49 autres États ? La Cour suprême ne peut laisser les États juger chacun de son côté car son rôle est d’harmoniser le droit fédéral – ici, la lecture de la section 3. Il lui faut donc fixer des règles minimales. Idéalement, et quoi que décide la Cour suprême, il serait souhaitable qu’elle parvienne à une décision unanime, comme dans <em>U.S. v. Nixon</em>, de neuf voix à zéro (ou huit voix contre zéro si le juge Thomas se récuse) ; mais il ne faut guère croire à un tel scénario.</p>
<p>Elle pourrait considérer que la section 3 ne s’applique pas automatiquement et nécessite qu’une loi soit votée par le Congrès sur ce point. Une telle loi pourrait définir précisément la notion d’« insurrection » et préciser si la personne visée par la section 3 doit avoir été condamnée, ce que ne stipule pas actuellement le texte, qui parle de « participation » à une insurrection.</p>
<p>La Cour renverrait la balle vers le Congrès, et rien ne serait réglé avant l’élection de 2024 ; la Cour éviterait ainsi d’avoir à décider si Trump a participé ou non à une insurrection. Elle pourrait aussi juger que les propos tenus par Trump avant, pendant et après le 6 janvier 2021 sont protégés par le premier amendement qui garantit la liberté d’expression et ne peuvent donc pas être sanctionnés en tant qu’insurrection. Ce serait dangereux pour l’avenir et un pas de côté par rapport à la jurisprudence <a href="https://www.oyez.org/cases/1968/492"><em>Brandenburg v. Ohio</em></a> de 1969 qui distingue entre le fait de se contenter d’appeler à la violence (ce qui ne peut être sanctionné) et le fait d’inciter à produire des actions illégales imminentes (ce qui est passible de poursuites).</p>
<p>Globalement, il faut s’attendre à des décisions étroites <em>a minima</em> qui ne nuiront pas un peu plus à la crédibilité de la Cour. Celle-ci sait que ses décisions sur l’immunité et la section 3 feront jurisprudence, mais elle tiendra compte de l’impact politique, même si en principe les juridictions ne sont pas censées le faire. Car les partisans de Trump crient déjà à la chasse aux sorcières et à la tentative des Démocrates d’empêcher leur président de faire campagne et de participer à l’élection.</p>
<p>Si la Cour décide que Trump n’est pas disqualifié, les juges seront vilipendés par la gauche ; mais l’élimination de Trump sans qu’il soit condamné implique un double risque – à court terme, celui de violences commises par ses partisans, et à long terme celui de l’instrumentalisation de la section 3 à chaque élection à venir. Qu’est-ce qui pourrait empêcher ensuite un politicien républicain de chercher à disqualifier son opposant démocrate qui aurait participé à une manifestation de Black Lives Matter ? Certes, il n’y a pas d’équivalence morale entre les manifestants et les insurrectionistes, mais l’assimilation abusive est une possibilité à prendre en compte.</p>
<p>Soulignons pour finir que le fait que Donald Trump ait nommé trois des neuf juges actuels de la Cour suprême ne signifie pas nécessairement que la Cour ira dans le sens de l’ancien président. En 2020, elle a rejeté ses demandes d’immunité totale, ce qui avait permis au procureur de New York d’obtenir de la banque Mazars les documents financiers que Trump refusait de communiquer. En 2021, elle a aussi rejeté ses recours et ceux de ses alliés concernant les allégations de fraude électorale, validant ainsi indirectement les résultats dans cinq États remportés par Joe Biden.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220439/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour suprême est certes à majorité conservatrice. Cela n’implique pas pour autant qu’elle va systématiquement favoriser Donald Trump.Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste des États-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173162023-11-14T18:56:10Z2023-11-14T18:56:10ZPologne : malgré sa défaite électorale, la droite dure menace l’État de droit<p>Comme la plupart des commentateurs s’y attendaient, le président polonais Andrzej Duda, membre du parti conservateur PiS (Droit et Justice), pourtant <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/pologne-fin-de-partie-pour-le-pis-l-opposition-centriste-et-pro-europeenne-remporte-les-legislatives-980164.html">perdant des dernières élections législatives</a>, tenues le 15 octobre dernier, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20231107-pologne-le-pr%C3%A9sident-charge-le-premier-ministre-de-former-un-gouvernement-sans-majorit%C3%A9">vient de reconduire dans ses fonctions le premier ministre sortant, Mateusz Morawiecki</a>.</p>
<p>L’arithmétique parlementaire indique pourtant que les trois partis d’opposition – la Plateforme civique (KO, menée par l’ancien premier ministre Donald Tusk, centre droit), Troisième voie (centristes) et La Gauche (Lewica) – ont remporté la majorité des sièges à la Diète. Or, même si aucun lien formel ne liait ces partis, ils n’ont cessé d’annoncer leur intention d’évincer le PiS du pouvoir en formant ensemble un gouvernement. Pourtant, Andrzej Duda, précédé et soutenu par son parti, s’en tient à l’idée que son camp est arrivé en première position le 15 octobre.</p>
<p>Il est vrai que le PiS a obtenu 35,4 % des suffrages, alors que KO en a récolté 30,7 %, Troisième Voie 14,4 % et La Gauche 8,6 %. Mais ensemble, ces trois derniers partis rassemblent 248 sièges sur les 460 que compte la Diète, et c’est donc, en toute logique, le leader de sa formation la plus importante, KO, Donald Tusk, qui aurait dû être chargé de former le nouveau gouvernement. Ces derniers jours, les futurs partenaires au gouvernement ont conclu un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/pologne-l-opposition-pro-europeenne-signe-un-accord-de-coalition-et-se-dit-prete-a-gouverner_6175644.html">accord de coalition</a> qui confirme leur détermination, malgré des <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/13/pologne-une-coalition-pour-renverser-le-pis/">dissensions persistantes sur la question de l’avortement</a> (Tusk souhaitant le rendre légal via l’adoption d’une loi, alors que Troisième Voie entend poser la question à la population par un référendum).</p>
<p>Comment expliquer le « coup de force » du PiS, et quelles conséquences pourrait-il avoir ?</p>
<h2>Le PiS veut avant tout gagner du temps</h2>
<p>La décision de Duda, qui ne devrait, sur le plan institutionnel, que retarder la formation du gouvernement Tusk, ne se résume pas à un geste de dépit né d’une déconvenue électorale.</p>
<p>En persistant dans son choix de désigner Morawiecki – malgré <a href="https://www.rp.pl/polityka/art39394141-szymon-holownia-zostal-marszalkiem-sejmu-woda-sodowa-nie-uderzy-do-glowy">l’élection le 13 novembre 2023 du leader de Troisième Voie, Szymon Holownia, à la présidence de la Diète</a>, qui démontre clairement quels sont les rapports de force parlementaires –, Andrzej Duda prépare, au mieux, une cohabitation dure avec le gouvernement Tusk. Au pire, cette décision indique que le PiS s’oriente vers une forme plus ou moins ouverte d’<a href="https://metahodos.fr/2021/05/06/autoritarisme-democratie-et-neutralite-axiologique-chez-juan-linz/">opposition déloyale à la démocratie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1722198668730847281"}"></div></p>
<p>Contrairement aux régimes autoritaires en bout de course des années 1970 ou 1980 – depuis les dictatures latino-américaines jusqu’aux <a href="https://www-cairn-info.faraway.parisnanterre.fr/revue-le-debat-1999-5-page-118.htm?contenu=resume">« totalitarismes aux dents ébréchées »</a> d’Europe de l’Est – qui se sont libéralisés avec l’appui de forces démocratiques auparavant ostracisées, les nouvelles formes de pouvoir néo-autoritaire qui ont essaimé depuis les années 2000 en Europe ont précisément comme projet de <a href="https://www.cairn.info/revue-red-2021-2-page-164.htm">restreindre l’espace de la démocratie libérale</a>.</p>
<p>Ils ont créé des dispositifs anti-démocratiques en apparence partiels et ponctuels, à l’instar des <a href="https://tvn24.pl/polska/elzbieta-witek-kandydatka-pis-do-prezydium-sejmu-jak-przebiegala-kontrowersyjna-reasumpcja-glosowania-z-2021-roku-7434562">entorses régulières au règlement intérieur de la Diète polonaise par sa propre présidente</a>, mais dont la visée globale est de contourner les normes de l’État de droit pour limiter le risque de devoir transférer le pouvoir à leurs concurrents. Ces stratégies ne sont en rien guidées par la concurrence démocratique, mais par des visées hégémoniques, comme en en a attesté entre autres la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2021-22-page-87.htm">transformation des médias publics en « médias nationaux »</a> dévolus à la propagande du PiS.</p>
<p>Mais malgré tous ces efforts, le PiS va selon toute vraisemblance céder les rênes du pays. Si Duda a nommé Morawiecki, alors même qu’il n’existe aucune chance que le Parlement confirme ce dernier, c’est avant tout pour permettre à son camp de gagner du temps et de construire des ressources pour la cure d’opposition qui l’attend.</p>
<p>Dans les ministères, des masses de documents <a href="https://natemat.pl/518711,pis-niszczy-dokumenty-michal-szczerba-z-ko-alarmuje">seraient en cours de destruction</a> pour éviter que ne soient exposés au grand jour les <a href="https://notesfrompoland.com/2023/09/08/senate-commission-finds-polish-governments-use-of-pegasus-spyware-to-be-illegal/">stratagèmes politiques ou les procédures entachées d’illégalité</a> par lesquels le PiS a entravé le fonctionnement ordinaire de la démocratie ou attribué des rémunérations à ses dirigeants via un système de primes ou de nominations de « représentants de l’État » dans les entreprises publiques – en réalité, des emplois fictifs.</p>
<p>Pendant des années, le PiS a enrôlé dans sa sphère d’influence les entreprises publiques grâce aux actifs qu’y détient l’État, mettant en place une sorte de Deep State depuis lequel il lui sera possible de mener une guerre de position contre le nouveau pouvoir, comme en atteste le <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,30343560,pis-nie-stworzy-rzadu-ale-sie-upiera-zrodla-wyborczej-chodzi.html">récent placement par Morawiecki de « ses » hommes au sein de l’autorité des marchés financiers</a>. Les titulaires de ces fonctions ne pourront pas tous être remplacés immédiatement et le nouveau gouvernement devra inévitablement composer avec ces nominations politiques.</p>
<h2>Enrayer le rétablissement de l’État de droit</h2>
<p>Cette période d’alternance permet également au PiS de roder ce qui sera probablement son narratif dominant dans la période qui vient, au moins à court terme : il se présente comme le « véritable » vainqueur des élections et feint de conduire des pourparlers avec Troisième Voie – ce qui lui permettra, à la première occasion, de dénoncer le fait que KO ait pris la direction du gouvernement.</p>
<p>Ce discours permet aussi d’actualiser la <a href="https://www.ft.com/content/302984e9-a762-453c-8a97-8c0ad661810d">vindicte que le PiS dirige contre Donald Tusk</a> et de se présenter, comme il l’a fait depuis les années 2000, comme un rempart contre « l’hégémonie des libéraux ». Il faut donc s’attendre à de virulentes campagnes contre Donald Tusk et son gouvernement, comme l’ont encore montré les dénonciations par Jaroslaw Kaczynski, le patron du PiS, d’une <a href="https://wiadomosci.onet.pl/krakow/jaroslaw-kaczynski-grzmi-polska-bedzie-zatruta-terroryzowana-przez-mafie/0mgwsm0">supposée « mafia des déchets » allemande que soutiendrait Tusk</a>.</p>
<p>Ce récit va probablement reposer, sur un autre plan, et dans un renversement de perspective assez improbable, sur la dénonciation du « chaos juridique » résultant du rétablissement de l’État de droit : grâce à son droit de veto, Andrzej Duda pourrait bloquer les tentatives d’abrogation de lois votées par le PiS et qui ont pourtant été jugées anticonstitutionnelles, <a href="https://www.euronews.com/my-europe/2023/06/05/polands-legal-overhaul-violates-the-right-to-have-an-independent-and-impartial-judiciary-e">comme celles visant à rendre la justice dépendante du pouvoir exécutif</a>.</p>
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<p>Le PiS conserve ainsi la capacité d’enrayer les politiques destinées à rétablir l’État de droit dans son intégrité, figeant pour partie le néo-autoritarisme qu’il a installé depuis 2015. La leçon de ces événements pourrait être que la sortie des « démocratures » s’avère plus risquée que de simples alternances et que le fonctionnement de celles-ci peut s’inscrire durablement dans les structures de l’État, laissant le débat public s’enliser dans des polémiques sans fin sur la nature même de la démocratie.</p>
<p>Les scénarios de l’alternance en cours dépendront en partie de la cohésion interne du PiS, et plus encore du <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20231007-jaroslaw-kaczynski-le-marionnettiste-des-conservateurs-polonais">leadership de Jaroslaw Kaczynski</a>, incontesté depuis 2015 et qui remonte aux années 1990, quand il s’est affirmé comme l’un des principaux artisans des reconstructions successives de la droite polonaise. La défaite électorale pourrait laisser place à des tentatives de refonder la droite polonaise sans ce dernier, malgré le rôle actif qu’il semble vouloir conserver. Mais, plus encore, c’est la cohésion de l’opposition, une fois aux affaires, qui sera décisive.</p>
<h2>Le rôle de l’UE</h2>
<p>La période qui se clôt actuellement a été marquée par un alignement stratégique exceptionnel des partis d’opposition, de la société civile et de la magistrature, entre autres pour défendre l’État de droit. Cette identité de vues sur les normes démocratiques a évité tout phénomène d’<a href="https://journals.openedition.org/sociologie/500">abdication collective</a>, comme l’histoire a pu en connaître face à la montée des autoritarismes au cours du siècle dernier.</p>
<p>Depuis 2015, la capacité de ces acteurs à se réclamer de l’Union européenne et de ses valeurs démocratiques a été un ferment puissant pour faire concorder leurs stratégies. À court terme, l’attitude de l’UE, après la <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/etat-de-droit-chronologie-du-conflit-entre-l-union-europeenne-et-la-pologne/">vague de sanctions qui a frappé la Pologne</a>, sera décisive pour que se tourne la page des huit ans de pouvoir du PiS. <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20231025-%C3%A0-bruxelles-donald-tusk-promet-de-remettre-la-pologne-au-centre-de-l-ue">La récente visite à Bruxelles de Donald Tusk</a>, alors même qu’il n’est pas encore premier ministre, semble augurer d’une volonté conjointe de fluidifier les relations entre la Pologne et l’UE. Le déblocage des aides européennes sera, de fait, crucial pour la crédibilité de Tusk sur la scène politique intérieure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217316/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti de droite PiS, au pouvoir depuis 2015, a été vaincu dans les urnes lors des législatives du 15 octobre dernier. Pourtant, il s’accroche au pouvoir.Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140882023-10-12T17:29:42Z2023-10-12T17:29:42ZAustralie : un référendum historique pour donner aux Aborigènes une voix au Parlement<p>Samedi 14 octobre, les Australiens sont appelés aux urnes pour un référendum historique portant, selon son intitulé officiel, sur la <a href="https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Bills_Legislation/bd/bd2223a/23bd080">Voix des peuples aborigènes et des îles du détroit de Torres</a> et communément appelé <a href="https://www.sbs.com.au/language/french/fr/podcast-episode/voice-referendum-what-is-it-and-why-is-australia-having-one/ez1vzoo1b">« La Voix au Parlement »</a> (<em>Voice to Parliament</em>).</p>
<p>Le référendum propose de mettre en place un comité consultatif qui émanerait des peuples aborigènes australiens (il y en a des centaines) et de ceux des îles du détroit de Torres qui se situent entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée. <a href="https://voice.gov.au/">Ce comité</a>, qui serait inscrit dans la Constitution australienne, pourrait donner son avis sur tout projet de loi concernant ces peuples, <a href="https://catalogue.nla.gov.au/catalog/682375">régulièrement opprimés</a> depuis le début de la colonisation britannique en 1788 et qui représentent aujourd’hui environ 3 % des 26 millions d’Australiens.</p>
<p>En clair, il s’agirait de mettre en œuvre un mécanisme de consultation direct des Aborigènes auprès du Parlement australien (qui est élu par tous les Australiens, y compris les Aborigènes) pour reconnaître les défis spécifiques aux populations aborigènes afin d’essayer d’y apporter des solutions qui proviendraient de ces dernières, plutôt que des décisions prises à leur place.</p>
<h2>Un référendum à l’issue très incertaine</h2>
<p>Les Australiens, pour lesquels le vote est obligatoire, doivent voter « oui » ou « non » concernant l’ajout de la section suivante à la Constitution du pays : </p>
<blockquote>
<p>« Chapitre IX portant reconnaissance des peuples aborigènes et des îles du détroit de Torres.</p>
<p>Section 129 : La voix aborigène et des îles du détroit de Torres.</p>
<p>En reconnaissance des peuples aborigènes et des îles du détroit de Torres en tant que peuples premiers de l’Australie :</p>
<p>I. Il sera établi un organisme qui sera appelé La voix aborigène et des îles du détroit de Torres.</p>
<p>II. La voix aborigène et des îles du détroit de Torres pourra chercher à faire des représentations auprès du Parlement et du Gouvernement fédéral sur des sujets ayant trait aux peuples aborigènes et des îles du détroit de Torres.</p>
<p>III. Le Parlement aura, au regard de cette constitution, le pouvoir de légiférer en ce qui concerne les questions ayant trait à la voix aborigène et des îles du détroit de Torres, telles que sa composition, ses fonctions, ses pouvoirs et ses procédures. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AaeOWs1UmnE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Une victoire du « non » constituerait indéniablement un retour en arrière pour la cause aborigène. La campagne des tenants du « non » est d’ailleurs marquée par des <a href="https://www.bbc.com/news/world-australia-66470376">relents de racisme</a> d’un autre temps. Contrairement à l’élan de fraternité auquel s’attendait le gouvernement travailliste d’Anthony Albanese élu en mai 2022, des <a href="https://www.theguardian.com/news/datablog/2023/sep/14/indigenous-voice-to-parliament-no-campaign-leading-in-every-state-poll-analysis-shows">sondages</a> toujours plus nombreux indiquent que le « non » pourrait l’emporter.</p>
<p>De fait, la <a href="https://www.sbs.com.au/language/french/fr/podcast-episode/lhistoire-cachee-des-referendums/nq3osxpjv">grande majorité des référendums</a> organisés dans l’histoire australienne se sont soldés par un échec. Le « non » l’a emporté 36 fois et le « oui » seulement à 8 reprises depuis le premier référendum de 1906.</p>
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<p>Cela s’explique en partie par le fait que pour qu’un référendum soit approuvé en Australie la majorité des votants en faveur de ce dernier est requise dans la majorité des États (il y en a six). Le but poursuivi vise à éviter que les deux États les plus peuplés et urbanisés (la Nouvelle-Galles du Sud et le Victoria) imposent leur volonté aux autres États de la fédération australienne.</p>
<h2>Rappel historique sur la condition aborigène de la colonisation à nos jours</h2>
<p>À la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, les grands empires connaissent une expansion coloniale majeure. Cette vague atteint alors l’Australie, qui se voit progressivement découpée en une série de colonies britanniques. Celles-ci se <a href="https://peo.gov.au/understand-our-parliament/history-of-parliament/federation/the-federation-of-australia/">fédèrent en 1901</a> pour prendre la forme politique australienne actuelle. Dès l’arrivée des premiers colons sur l’île, la doctrine et fiction légale de la <a href="https://www.ruleoflaw.org.au/education/australian-colonies/terra-nullius/"><em>terra nullius</em></a> est proclamée : cette terre n’appartient à personne, elle peut donc être saisie par la Couronne pour être vendue aux colons.</p>
<p>Les navigateurs et explorateurs britanniques savaient pourtant pertinemment que cette terre était habitée. Dès leur arrivée, commence une compétition à <a href="https://www.sbs.com.au/ondemand/tv-series/the-australian-wars">armes inégales</a> qui verra les Aborigènes décimés par les <a href="https://openresearch-repository.anu.edu.au/bitstream/1885/7529/2/01Front_Dowling.pdf">maladies apportées par les colons</a> (en Tasmanie tout particulièrement), et <a href="https://c21ch.newcastle.edu.au/colonialmassacres/map.php">massacrés</a> jusque dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>En parallèle, des <a href="https://www.abc.net.au/education/the-australian-dream-history-and-truths/13591122">politiques paternalistes</a> visant à « <a href="https://humanrights.gov.au/our-work/bringing-them-home-appendix-6">protéger</a> » et à « civiliser » les Aborigènes sont mises en place par certains des États composant l’Australie. C’est le temps du darwinisme social et de la hiérarchie des races. Les enfants issus d’unions (pourtant juridiquement interdites) entre colons blancs et personnes aborigènes sont enlevés à leur famille pour être élevés à l’occidentale. Cette politique des <a href="https://australian.museum/learn/first-nations/stolen-generation/">« générations volées »</a> ne prend fin que dans les années 1970.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550960/original/file-20230928-17-luj1p0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photo datant de 1947, présentant trois générations d’Australiens, avec dans la légende d’origine la précision de leur proportion de sang aborigène, australien ou autre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://artandcolonialmedicine.com/three-generations/">A. O. Neville/Museum Victoria</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement aux Maoris de Nouvelle-Zélande, nombreux, concentrés géographiquement et qui réussissent dès 1840 à obtenir un traité – le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Waitangi">Traité de Waitangi</a> –, les peuples autochtones d’Australie sont longtemps niés dans leur existence même. Ainsi, ils sont <a href="https://digital-classroom.nma.gov.au/defining-moments/first-nations-peoples-counted-census">formellement exclus</a> du recensement général de la population jusqu’en 1967. Malgré ces vexations et oppressions, les Aborigènes résistent à l’invasion depuis le début de la colonisation.</p>
<h2>Pourquoi un tel référendum n’arrive-t-il qu’en 2023 ?</h2>
<p>Le XX<sup>e</sup> siècle fut un siècle de <a href="https://adb.anu.edu.au/the-quest-for-indigenous-recognition">contestation politique</a> pour les Aborigènes, qui manifestent déjà lors du 150<sup>e</sup> anniversaire de la colonisation en 1938. Lors du mouvement des droits civiques qui abolit la ségrégation raciale aux États-Unis dans les années 1960, les communautés aborigènes sont en ébullition et arrachent des droits aux divers États d’Australie, puis à <a href="https://aiatsis.gov.au/explore/1967-referendum">l’État fédéral</a>.</p>
<p>Des <a href="https://www.portrait.gov.au/magazines/24/a-handful-of-sand">grèves dans les fermes</a> sont organisées, des <a href="https://aiatsis.gov.au/explore/barunga-statement">pétitions</a> adressées au Parlement et en 1988, lors du bicentenaire de la colonisation, le premier ministre Bob Hawke promet même enfin un <a href="https://www.smh.com.au/national/nsw/the-aboriginal-rights-treaty-that-never-came-cabinet-papers-19881989-20141218-129yhm.html">traité</a> entre descendants des colons et Aborigènes, un projet resté lettre morte.</p>
<p>Les années 1990 sont la décennie de la réconciliation et en 1992, c’est l’euphorie : la Cour suprême annule la doctrine <em>terra nullius</em> et reconnaît par la <a href="https://aiatsis.gov.au/explore/mabo-case">décision Mabo</a> que les Aborigènes et les peuples des îles du détroit de Torres pourraient se prévaloir de droits ancestraux sur leurs terres, du moins celles restées inoccupées.</p>
<p>Panique à droite de l’échiquier politique : les cabinets Howard successifs de 1996 à 2007 reviennent progressivement sur de nombreuses avancées, rendant la rétrocession des terres fédérales et publiques aux Aborigènes <a href="http://nationalunitygovernment.org/content/john-howard-recognised-continuing-aboriginal-sovereignty-his-ten-point-plan-limiting-native">extrêmement compliquée</a>.</p>
<p>En 2004, le gouvernement Howard <a href="https://www.theage.com.au/national/howard-puts-atsic-to-death-20040416-gdxoqw.html">démantèle même l’ATSIC</a>, la Commission des peuples aborigènes et des îles du détroit de Torres, commission officielle établie par le gouvernement australien en 1989 qui travaillait à l’amélioration des conditions de vie pour les Aborigènes aux quatre coins du pays.</p>
<p>Le début des années 2000 marque un coup d’arrêt pour les mouvements aborigènes qui dénoncent inlassablement la colonisation et ses <a href="https://www.aihw.gov.au/reports/australias-welfare/australias-welfare-2017-in-brief/contents/indigenous-australians">inégalités qui perdurent</a>, les condamnant à vivre comme des citoyens de seconde zone avec une espérance de vie bien inférieure à celle des autres Australiens, tout en cumulant des taux de chômage, d’incarcération, d’alcoolisme, de violence et de racisme subi considérablement supérieurs à ces derniers.</p>
<p>Après ces années difficiles, des leaders aborigènes se réunissent sur l’emblématique site d’Uluru pour s’accorder sur une nouvelle pétition, qui est proposée en 2017. Cette dernière, appelée la Déclaration du cœur (<a href="https://voice.gov.au/about-voice/uluru-statement"><em>Uluru Statement from the Heart</em></a>), trace des grandes lignes pour l’Australie future. Elle comporte un traité avec les peuples aborigènes, la reconnaissance de vérités historiques pourtant toujours niées (tels que les nombreux massacres organisés qui ont égrené les 150 premières années d’occupation), une réelle réconciliation et des changements constitutionnels qui protégeraient définitivement (ou presque, car une Constitution est difficile à modifier) la voix des Aborigènes par le biais d’une institution à part entière.</p>
<p>C’est sur cette dernière proposition que les Australiens sont appelés à se prononcer par référendum samedi 14 octobre. Le but est d’éviter qu’une institution soit créée puis démantelée – comme l’ATSIC le fut en son temps – par un gouvernement qui n’en aimerait pas les positions. Une nouvelle commission consultative permanente entérinée par la Constitution serait inscrite dans la longue durée des institutions australiennes, ce qui permettrait aux Aborigènes une plus grande souveraineté et autonomie vis-à-vis de décisions qui les affectent directement.</p>
<h2>Les arguments des deux camps</h2>
<p>Le camp du « oui » est dirigé par le premier ministre travailliste Anthony Albanese, en poste depuis mai 2022 et dont ce référendum est une <a href="https://www.smh.com.au/politics/federal/first-nations-people-s-act-of-grace-deserves-an-indigenous-voice-albanese-20220518-p5amew.html">promesse de campagne</a>. Il s’agit de reconnaître les Aborigènes et les peuples des îles du détroit de Torres comme peuples premiers, présents pour certains depuis plus de 60 000 ans (oui, vous avez bien lu ce nombre), et de les munir d’un organisme représentatif pour participer à la vie politique du pays au-delà des institutions qui existent déjà et qui, depuis plus de 200 ans, n’ont pas fonctionné en leur faveur. Albanese est épaulé par de grandes figures des mouvements pour les droits des Aborigènes telles que <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pat_Turner_(Aboriginal_activist)">Pat Turner</a>, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Noel_Pearson">Noel Pearson</a>, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Marcia_Langton">Marcia Langton</a>, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Jackie_Huggins">Jackie Huggins</a> ou encore <a href="https://treatynt.com.au/about-us">Tony McAvoy</a>.</p>
<p>Ils sont soutenus par des Australiens d’horizons différents et même par des représentants <a href="https://www.smh.com.au/politics/federal/it-s-okay-to-vote-yes-meet-the-liberals-campaigning-for-the-voice-20230603-p5ddn4.html">d’autres partis</a> politiques, tant à gauche qu’à droite. Le camp du « oui » transcende les lignes partisanes, mais, nous l’avons dit, il n’est pas pour autant certain de remporter la victoire.</p>
<p>Fin 2022, le « oui » était donné très largement vainqueur mais le vent a depuis tourné à mesure que les partisans du « non » se sont mobilisés, profitant d’une crise aiguë du logement et d’une inflation importante qui a attisé le mécontentement des Australiens au cours de ces derniers six mois.</p>
<p>Le leader du camp du « non », <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Peter_Dutton">Peter Dutton</a>, également leader de l’opposition au Parlement et chef du Parti libéral (la droite australienne), tente de se refaire une santé politique après la défaite monumentale de son parti aux élections générales de 2022. Depuis, Dutton a connu une traversée du désert et voit dans le référendum une occasion de sortir de ce marasme en <a href="https://www.smh.com.au/politics/federal/dutton-s-opposition-to-the-voice-casts-him-as-the-mansplaining-whitefella-20230411-p5czmh.html">fédérant le camp du « non »</a> : la droite conservatrice, l’extrême droite et les partis représentant les agriculteurs et le bush australien.</p>
<p>Ces derniers affirment que la Voix au Parlement divisera le pays, qu’on ne connaît pas le périmètre de ses prérogatives et qu’elle conférerait un statut spécial aux Aborigènes. Leur slogan <a href="https://www.unitedaustraliaparty.org.au/if-you-dont-know-vote-no/">« If you don’t know, vote no »</a> (si vous ne savez pas, votez contre) et leur stratégie médiatique ont pour but d’instiller la <a href="https://www.smh.com.au/politics/federal/no-campaign-s-fear-doubt-strategy-revealed-20230910-p5e3fu.html">peur et le doute</a> auprès d’Australiens qui, depuis la colonisation, s’inquiètent que leurs jardins de banlieue proprets ne leur soient <a href="https://www.rmit.edu.au/news/factlab-meta/voice-referendum-will-not-end-private-land-ownership">repris</a>. Ce camp peut s’appuyer sur le puissant groupe <em>News Corp Australia</em> de Rupert Murdoch qui contrôle la presse australienne et est <a href="https://www.sbs.com.au/news/article/cancer-on-our-democracy-kevin-rudd-calls-for-inquiry-into-murdoch-media-dominance/0b52bjo97">régulièrement dénoncé</a> pour son populisme et son interventionnisme dans la vie politique du pays.</p>
<p>Dans le camp du non, on trouve aussi des Aborigènes. Une minorité d’entre eux, telle que la <a href="https://www.sbs.com.au/nitv/article/lidia-thorpe-has-declared-her-opposition-to-the-voice-shes-calling-for-blak-sovereignty-instead/8re90yy67">sénatrice Lidia Thorpe</a>, considèrent que la Voix au Parlement serait un hochet <a href="https://www.theguardian.com/australia-news/2023/aug/16/lidia-thorpe-calls-for-referendum-called-off-indigenous-voice-to-parliament-no-campaign">sans pouvoir décisionnaire</a> qui acterait en réalité la légitimité des <a href="https://www.sbs.com.au/nitv/article/genocide-and-invasion-lidia-thorpe-says-voice-will-be-powerless-to-change-ongoing-disadvantage/3j7upimxo">institutions coloniales</a>. Et comme elle serait un comité consultatif, ses recommandations pourront parfaitement être ignorées par le gouvernement en place. Ces opposants perçoivent donc la Voix au Parlement comme une menace qui viendrait contrecarrer d’autres revendications plus radicales.</p>
<p>Alors que les sondages successifs se contredisent, qu’une certaine confusion semble régner et que d’aucuns reprochent au gouvernement de ne pas avoir été assez pédagogue pour expliquer son projet référendaire, l’issue du vote semble plus que jamais incertaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Fathi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Longtemps méprisés et opprimés sur leurs terres ancestrales, les Aborigènes vont peut-être obtenir au Parlement australien une instance expressément consacrée à l’amélioration de leur sort.Romain Fathi, Senior Lecturer, History, Flinders UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030712023-03-31T11:25:44Z2023-03-31T11:25:44ZDonald Trump mis en examen : quelles conséquences pour sa candidature à la présidentielle de 2024 ?<p>Un grand jury de Manhattan vient de <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/donald-trump/etats-unis-un-grand-jury-a-new-york-a-vote-pour-inculper-au-penal-donald-trump-26f935ba-5f7d-45a6-a284-b21529a07a2a">mettre en examen l’ancien président Donald Trump</a>. Les chefs d’inculpation exacts n’ont pas été rendus publics, mais ils sont liés à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/etats-unis-on-vous-resume-l-affaire-qui-lie-donald-trump-a-l-actrice-de-films-pornographiques-stormy-daniels_5719274.html">l’enquête</a> ouverte par le procureur de Manhattan Alvin Bragg sur le versement d’une importante somme d’argent à une <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/donald-trump/etats-unis-stormy-daniels-lactrice-de-films-x-qui-fait-trembler-donald-trump-1309d542-1f46-4ba5-85b2-588b73c09ee1">actrice de films pornographiques</a> juste avant l’élection présidentielle de 2016.</p>
<p>C’est la première fois dans toute l’histoire du pays qu’un président ou ancien président des États-Unis est inculpé.</p>
<p>Pour autant, Trump ne va sans doute pas renoncer à sa <a href="https://www.donaldjtrump.com/">campagne présidentielle</a> qui doit, espère-t-il, lui permettre de retrouver en 2024 le poste qu’il a perdu en 2020 face à Joe Biden.</p>
<p>Quelles conséquences cette mise en examen et le procès sur lequel elle pourrait déboucher auront-ils sur la campagne et, si cette dernière est couronnée de succès, sur le mandat 2024-2028 de Donald Trump ?</p>
<h2>Que dit la Constitution ?</h2>
<p><a href="https://constitution.congress.gov/browse/article-2/section-1/clause-5/#:%7E:text=No%20Person%20except%20a%20natural,been%20fourteen%20Years%20a%20Resident">L’article II de la Constitution américaine</a> énonce des conditions très explicites pour <a href="https://theconversation.com/no-an-indictment-wouldnt-end-trumps-run-for-the-presidency-he-could-even-campaign-or-serve-from-a-jail-cell-194425">l’exercice de la présidence</a> : le président doit être âgé d’au moins 35 ans, résider aux États-Unis depuis au moins 14 ans et en être un citoyen de naissance.</p>
<p>Par le passé, dans des affaires comparables ayant trait à des membres du Congrès, la <a href="https://www.oyez.org/cases/1968/138">Cour suprême a statué</a> que les conditions indiquées dans la Constitution pour accéder aux postes électifs représentaient un « plafond constitutionnel » et qu’aucune condition supplémentaire ne pouvait y être ajoutée d’aucune façon que ce soit.</p>
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<p>Ainsi, puisque la Constitution n’exige pas que le président ne soit pas inculpé, condamné ou emprisonné, il s’ensuit qu’une personne inculpée ou emprisonnée peut se présenter à ce poste et peut même exercer la fonction présidentielle.</p>
<p>C’est la norme juridique qui s’applique à Donald Trump : selon la Constitution, son inculpation et son éventuel procès ne l’empêcheraient pas de se porter candidat et, le cas échéant, d’exercer la fonction suprême.</p>
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<p>Il n’en demeure pas moins qu’une inculpation et, à plus forte raison, une condamnation, sans même parler d’une peine d’emprisonnement, compromettraient considérablement la capacité d’un président à exercer ses fonctions. Et la Constitution ne fournit pas de réponse facile au problème que poserait l’exercice du pouvoir par un chef de l’exécutif aussi affaibli.</p>
<h2>Que dit le ministère de la Justice ?</h2>
<p>Un candidat à la présidence peut être inculpé, poursuivi et condamné par les autorités d’un des 50 États du pays ou par les autorités fédérales. L’inculpation pour un délit au niveau d’un État (ce qui est le cas dans l’affaire Trump/Daniels, le procureur de Manhattan relevant de l’État de New York) peut sembler moins importante que des accusations fédérales portées par le ministère de la Justice. Mais en fin de compte, le spectacle d’un procès pénal, qu’il se tienne dans un tribunal d’État ou dans un tribunal fédéral, aura nécessairement un impact majeur sur la campagne présidentielle d’un candidat et sur sa crédibilité de président s’il venait tout de même à être élu.</p>
<p>Tous les accusés sont présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit prouvée. Mais en cas de condamnation, une incarcération – que ce soit dans une prison d’État ou dans une prison fédérale – impliquerait évidemment des restrictions de liberté qui compromettraient considérablement la capacité du président à diriger le pays.</p>
<p>Le fait qu’il serait difficile à un président d’exercer ses fonctions s’il était mis en examen ou condamné a été souligné dans une <a href="https://www.justice.gov/sites/default/files/olc/opinions/2000/10/31/op-olc-v024-p0222_0.pdf">note de service rédigée par le ministère de la Justice en 2000</a>. Cette note s’inspirait d’une <a href="https://s3.documentcloud.org/documents/4517361/092473.pdf">note antérieure</a> intitulée « Possibilité pour le président, le vice-président et d’autres fonctionnaires de faire l’objet de poursuites pénales fédérales pendant qu’ils sont en fonction ». Cette dernière avait été rédigée en 1973, pendant le Watergate, quand le <a href="https://www.britannica.com/event/Watergate-Scandal">président Richard Nixon faisait l’objet d’une enquête</a> pour son rôle dans ce scandale tandis que le <a href="https://archive.nytimes.com/www.nytimes.com/learning/general/onthisday/big/1010.html">vice-président Spiro Agnew faisait pour sa part l’objet d’une enquête du grand jury pour fraude fiscale</a>.</p>
<p>Ces deux notes portaient sur la question de savoir si, en vertu de la Constitution, un président en exercice pouvait être inculpé pendant qu’il était en fonction. Les deux textes ont conclu que ce n’était pas le cas.</p>
<p>Mais qu’en serait-il d’un président inculpé, condamné, ou les deux… <em>avant</em> son entrée en fonctions, comme cela pourrait être le cas pour Trump ?</p>
<p>Les notes de 1973 et de 2000 mettent en évidence les conséquences d’une inculpation sur l’exercice de ses fonctions par le président, la note de 1973 employant des termes particulièrement forts : « Le spectacle d’un président inculpé essayant encore d’exercer ses fonctions de chef de l’exécutif dépasse l’imagination. »</p>
<p>De façon plus précise, les deux notes observent que des poursuites pénales à l’encontre d’un président en exercice pourraient entraîner « une interférence physique avec l’exercice par le président de ses fonctions officielles qui équivaudrait à une incapacité », ne serait-ce que parce qu’un procès pénal réduirait considérablement le temps que le président pourrait consacrer à ses lourdes fonctions… et parce que, naturellement, un tel procès pourrait aboutir à un emprisonnement du chef de l’État.</p>
<h2>Un président emprisonné pourrait-il s’acquitter de ses fonctions essentielles ?</h2>
<p>Selon la note de 1973, « le président joue un rôle à nul autre pareil dans l’exécution des lois, la conduite des relations extérieures et la défense de la nation ».</p>
<p>Ces fonctions essentielles nécessitent des réunions, des communications ou des consultations avec l’armée, les dirigeants étrangers et les représentants du gouvernement aux États-Unis et à l’étranger. Très difficilement envisageable pour un président se trouvant derrière les barreaux. C’est pourquoi le spécialiste du droit constitutionnel <a href="https://www.universitypressscholarship.com/view/10.12987/yale/9780300123517.001.0001/upso-9780300123517-chapter-2">Alexander Bickel a fait remarquer en 1973</a> que « de toute évidence, la présidence ne peut pas être exercée depuis la prison ».</p>
<p>En outre, de nos jours, les présidents voyagent constamment dans leur pays et dans le monde pour rencontrer d’autres responsables locaux et internationaux, <a href="https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/infocus/katrina/">inspecter les conséquences des catastrophes naturelles</a> sur le territoire national, <a href="https://www.reaganlibrary.gov/archives/speech/remarks-announcing-intention-nominate-sandra-day-oconnor-be-associate-justice">célébrer les succès historiques du pays et les événements d’importance nationale</a> ou <a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/10/13/remarks-president-opening-remarks-and-panel-discussion-white-house">échanger en personne avec des citoyens et leurs groupes représentatifs à propos de diverses questions d’actualité</a>. Il est évident que tout cela serait impossible pour un président ne pouvant pas sortir de sa prison.</p>
<p>En outre, les présidents doivent pouvoir accéder à des informations classifiées et prendre part à des réunions d’information. Un emprisonnement rendrait cela particulièrement difficile, voire impossible, de telles informations devant souvent être <a href="https://www.nbcnews.com/politics/politics-news/what-scif-who-uses-it-n743991">stockées et consultées dans une pièce sécurisée</a>, protégée contre toute forme d’espionnage par diverses mesures, y compris le blocage des ondes radio – ce qui n’est pas le cas des prisons.</p>
<p>En raison des diverses fonctions et obligations du président, les notes de 1973 et 2000 concluaient que « l’enfermement physique du chef de l’exécutif à la suite d’une condamnation empêcherait incontestablement le pouvoir exécutif d’exercer les fonctions qui lui sont assignées par la Constitution ».</p>
<p>Traduction : le président ne pourrait pas faire son travail.</p>
<h2>Diriger le pays depuis une prison</h2>
<p>Et si, malgré tout, les citoyens venaient à élire un président inculpé ou incarcéré ? Une telle perspective n’est pas une simple vue de l’esprit. Lors de l’élection de 1920, un candidat incarcéré, Eugene Debs, a recueilli <a href="https://www.270towin.com/1920_Election/">près d’un million de voix sur un total de 26,2 millions de suffrages exprimés</a>.</p>
<p>L’une des réponses possibles à une telle situation est contenue dans le 25<sup>e</sup> amendement, qui permet au cabinet du président de déclarer ce dernier « incapable de s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de sa charge ».</p>
<p>Les deux notes du ministère de la Justice notent toutefois que les auteurs du 25<sup>e</sup> amendement n’ont jamais envisagé ou mentionné l’incarcération comme motif d’incapacité à s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de la fonction présidentielle, et que remplacer le président en vertu du 25<sup>e</sup> amendement « ne donnerait pas suffisamment de poids au choix réfléchi du peuple quant à la personne qu’il souhaite voir occuper le poste de chef de l’exécutif ».</p>
<p>Tout cela rappelle la <a href="https://lawliberty.org/holmes-if-my-fellow-citizens-want-to-go-to-hell-i-will-help-them-its-my-job-and-he-meant-it/">fameuse formule</a> du juge Oliver Wendell Holmes (1841-1935), qui siégea à la Cour suprême des États-Unis de 1902 à 1932, sur le rôle de la Cour suprême : « Si mes concitoyens veulent aller en enfer, je les aiderai. C’est mon travail. »</p>
<p>Cette réflexion provient d’une lettre dans laquelle Holmes faisait part de son opinion sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sherman_Antitrust_Act">Sherman Antitrust Act</a>. Tout en soulignant que, à titre personnel, il jugeait cette loi insensée, le juge indiquait qu’il était prêt à faire le nécessaire pour qu’elle soit mise en œuvre car elle traduisait la volonté populaire exprimée démocratiquement et relevant de l’autodétermination du peuple. Une réflexion similaire s’impose peut-être dans le cas de figure présent : si le peuple élit un président entravé par des sanctions pénales, il s’agira, là aussi, d’une manifestation de l’autodétermination des citoyens des États-Unis. Ce qui engendrerait une situation problématique à laquelle la Constitution ne propose pas de solution prête à emploi…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefanie Lindquist ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Donald Trump fera-t-il campagne à présent qu’il a été inculpé ? Et comment gouvernerait-il s’il était de nouveau élu président… alors qu’il se trouverait en prison ?Stefanie Lindquist, Foundation Professor of Law and Political Science, Arizona State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1953512022-12-08T17:57:31Z2022-12-08T17:57:31ZÉcosse : les indépendantistes dans les cordes suite à une décision de la Cour suprême britannique — qui fait écho au renvoi sur la sécession du Québec<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499096/original/file-20221205-5837-t0ie00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C0%2C6000%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un manifestant tient un drapeau écossais devant la Cour suprême à Londres, le 23 novembre 2022. La Cour suprême du Royaume-Uni a décidé
que l'Écosse n'a pas le pouvoir d'organiser un nouveau référendum sur l'indépendance sans le consentement du gouvernement britannique. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Alberto Pezzali) </span></span></figcaption></figure><p>Lors des <a href="https://theconversation.com/ecosse-lindependance-en-point-de-mire-160801">dernières élections de 2021</a>, les indépendantistes ont été reportés au pouvoir en Écosse, en demandant un mandat pour organiser un nouveau référendum d’autodétermination.</p>
<p>Le premier ministre britannique d’alors, Boris Johnson, <a href="https://news.stv.tv/politics/stv-news-poll-suggests-boris-johnson-is-a-toxic-brand-for-the-scottish-tories">très impopulaire en Écosse</a>, avait réagi en opposant à son homologue Nicola Sturgeon une fin de non-recevoir, alors que les sondages d’opinion donnent l’indépendance écossaise à un niveau record <a href="https://redfieldandwiltonstrategies.com/scottish-independence-referendum--westminster-voting-intention-26-27-november-2022/">— avec 49 % de Oui pour 45 % de Non, et 5 % d’indécis selon les résultats d’un sondage révélés le 30 novembre</a>.</p>
<p>En 2013, c’est ce même Parti conservateur dont est issu Boris Johnson qui avait permis au Parlement écossais d’adopter une loi visant à l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Les sondages portaient alors l’option indépendantiste à environ 30 %, avant d’atteindre 45 % dans les urnes lors du vote, en 2014. La procédure employée pour organiser ce référendum <a href="https://www.scottishconstitutionalfutures.org/OpinionandAnalysis/ViewBlogPost/tabid/1767/articleType/ArticleView/articleId/431/Christine-Bell-The-Legal-Status-of-the-Edinburgh-Agreement.aspx">a suscité les plus vifs débats parmi les constitutionnalistes britanniques</a>, sur la possibilité du Parlement écossais d’en organiser un nouveau [sans l’aval de Londres].</p>
<p>Soucieux d’agir en toute légalité, le gouvernement écossais a donc appelé la plus haute cour du royaume à se prononcer sur cet enjeu. Sa réponse, rendue en novembre, qui prend en compte des considérations tant juridiques que politiques, s’établit en écho direct avec le renvoi sur la sécession du Québec rendu en 1998 par la Cour suprême du Canada. Elle place néanmoins le mouvement indépendantiste écossais dans une situation radicalement différente. Comme je l’ai développé dans ma thèse de doctorat, la nature des deux États conditionne les prétentions comme la teneur du message nationaliste.</p>
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<img alt="Une foule brandit un drapeau bleu et blanc" src="https://images.theconversation.com/files/499097/original/file-20221205-25-f6bljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499097/original/file-20221205-25-f6bljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499097/original/file-20221205-25-f6bljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499097/original/file-20221205-25-f6bljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499097/original/file-20221205-25-f6bljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499097/original/file-20221205-25-f6bljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499097/original/file-20221205-25-f6bljw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des partisans de la campagne du Oui au référendum sur l’indépendance de l’Écosse brandissent des drapeaux écossais Saltire en attendant le résultat après la fermeture des bureaux de vote, à Glasgow, en Écosse, le 18 septembre 2014. Le Oui a atteint 45 % des voix.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Matt Dunham, File)</span></span>
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<h2>La réaffirmation du caractère unitaire de l’État britannique</h2>
<p>La question posée en juin par le gouvernement écossais soulevait trois enjeux : l’imbrication d’une telle question référendaire avec la législation entourant la dévolution écossaise, la compétence de la cour à prendre position à travers un renvoi dans l’éventualité où l’enjeu ne relèverait pas de la la dévolution et, ultimement, la réponse à donner quant à la <a href="https://www.supremecourt.uk/cases/uksc-2022-0098.html">capacité juridique à organiser une telle consultation</a>.</p>
<p>Le représentant du gouvernement écossais plaidait qu’un référendum consultatif n’emportait pas de conséquences juridiques immédiates (n’entraînait pas l’indépendance <em>ipso facto</em>) et n’avait pour seule vocation que de connaître la volonté des Écossais. En conséquence, l’adoption d’une loi visant à l’organisation d’une telle consultation n’empièterait pas sur les compétences réservées, en vertu desquelles seul le Parlement de Westminster peut légiférer — ou autoriser une assemblée dévolue à légiférer.</p>
<p>Le 23 novembre,la <a href="https://www.supremecourt.uk/cases/docs/uksc-2022-0098-judgment.pdf">cour statue</a> : la question de l’intégrité du Royaume-Uni relève bien d’un domaine réservé. Réfutant l’interprétation de la jurisprudence par le représentant du gouvernement écossais, la cour écarte l’argument selon lequel la nécessité d’un lien direct (« direct connection ») avec un domaine réservé, requis pour empêcher une assemblée dévolue d’agir, signifie des conséquences juridiques immédiates. Elle considère en effet que l’hypothèse de l’indépendance posée à travers un référendum « implique de manière évidente la question d’après laquelle l’Écosse devrait ou non cesser d’être assujettie à la souveraineté du Parlement du Royaume-Uni ».</p>
<p>Ainsi, la cour juge qu’une loi visant l’organisation un tel référendum engagerait un processus démocratique et ne constituerait pas une simple enquête d’opinion. Il serait « pourvu d’une autorité » qui « renforcerait ou affaiblirait la légitimité démocratique de l’Union » et « entraînerait des conséquences politiques importantes quant à l’Union et au Parlement du Royaume-Uni ».</p>
<p>En sus, la cour écarte également l’argument selon lequel l’Écosse disposerait d’un droit inhérent à l’autodétermination. Pour ce faire, elle en appelle au <a href="https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1643/index.do">renvoi sur la sécession du Québec</a> de 1998 à travers lequel la Cour suprême du Canada affirme qu’un droit à l’autodétermination externe n’existe — en droit international — que dans le cas de peuples colonisés ou soumis « à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangère ».</p>
<h2>Une référence à l’expérience canadienne</h2>
<p>La décision de la Cour suprême britannique est significative à bien des égards.</p>
<p>Dans une perspective historique, elle semble refermer la parenthèse d’une démocratie britannique fondée sur le principe plurinational, bienveillante envers ses nations constitutives, depuis les référendums sur la dévolution (1997) et jusqu’au <a href="https://ctjc.files.wordpress.com/2020/04/9.5.-dialogues.pdf">Brexit</a>. Il s’agit d’un retour en force de la fermeté de l’État dans les affaires domestiques, notamment quant à la question écossaise.</p>
<p>En réaffirmant unanimement l’unicité de la souveraineté parlementaire britannique, à laquelle l’Écosse est soumise, elle rappelle bruyamment la forme unitaire de l’État, dont l’organisation s’était considérablement régionalisée depuis la dévolution.</p>
<p>La référence explicite de la Cour suprême britannique à l’expérience constitutionnelle canadienne, déjà employée à travers le <a href="https://www.pulaval.com/libreacces/9782763729947.pdf">principe de clarté intégré à l’accord d’Édimbourg</a> illustre incidemment la différence fondamentale entre État fédéral et État unitaire sur cette question.</p>
<p>Dans ce premier cas, deux ordres de gouvernement sont pleinement souverains dans leurs champs de compétences respectifs. Ils sont réputés égaux en autorité et en légitimité ; cela explique notamment que le Québec ait pu tenir deux référendums (en 1980 et en 1995), malgré quelques contestations en provenance d’Ottawa. Dans le second, le gouvernement central n’a pas de véritable rival et le Parlement central est considéré comme pleinement souverain.</p>
<h2>Une camisole de force ?</h2>
<p>Au Royaume-Uni, l’organisation d’un référendum dans l’une des « nations constitutives » est donc soumise au bon vouloir d’un gouvernement central dont la légitimité en Écosse est extrêmement faible.</p>
<p>Compte tenu de l’appui appréciable dont bénéficie le mouvement indépendantiste et du refus systématique qu’opposent les premiers ministres conservateurs se succédant depuis 2015, le mariage de raison acté en 1707 emprunte peu à peu les atours d’une camisole de force. En ce sens, le mimétisme est peut-être plus à chercher du côté de l’Espagne, où une consultation organisée par le gouvernement catalan avait été empêchée <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/508710/la-raison-du-plus-fort">par la force en 2017</a> et où aucune solution politique n’a été trouvée depuis — ni même véritablement recherchée par Madrid.</p>
<p>Cette décision illustre encore l’opposition frontale entre deux registres de légitimité démocratique — l’un fondé sur la volonté exprimée par l’élection et l’autre sur la règle de droit — tout en confrontant deux gouvernements dont un seul peut véritablement revendiquer l’appui des Écossais.</p>
<p>Il y aurait tout lieu ici d’en appeler au renvoi de 1998 sur la sécession du Québec auquel fait référence la Cour suprême britannique en reproduisant d’ailleurs la confusion entre droit à l’autodétermination et droit à la sécession. Au chapitre sur le principe démocratique sous-jacent à l’ordre constitutionnel canadien, on rappelait alors que « la Constitution n’est pas un carcan ».</p>
<h2>Impasse juridique, issue politique ?</h2>
<p>Comme l’on pouvait s’y attendre, les réactions n’ont pas tardé. Tandis que des manifestants arpentaient les rues d’Édimbourg ou arboraient des drapeaux écossais devant la Cour suprême, le premier ministre britannique Rishi Sunak se félicitait sobrement du verdict.</p>
<p>Son homologue écossaise Nicola Sturgeon répondait d’abord par un <a href="https://twitter.com/NicolaSturgeon/status/1595360080618307584">gazouillis</a> reconnaissant l’autorité du verdict de la Cour suprême. Témoignant sa déception, elle y voyait la démonstration de la fausseté du caractère volontaire de l’Union. Elle affirmait son intention de s’engager sur une autre voie démocratique que celle verrouillée par le gouvernement britannique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/499098/original/file-20221205-14-ijak5q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499098/original/file-20221205-14-ijak5q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499098/original/file-20221205-14-ijak5q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499098/original/file-20221205-14-ijak5q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499098/original/file-20221205-14-ijak5q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499098/original/file-20221205-14-ijak5q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499098/original/file-20221205-14-ijak5q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicola Sturgeon, première ministre d’Écosse, s’adresse aux médias alors qu’elle rencontre les nouveaux députés de son parti à Westminster. Au lendemain du verdict de la Cour suprême, elle a annoncé sa volonté de tenir un référendum de facto à l’occasion des prochaines élections écossaises, en principe prévues pour 2026.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Kirsty Wigglesworth, File)</span></span>
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<p>Puis, au terme d’un plaidoyer empreint de démocratisme et d’une critique acerbe de l’impasse proposée par Westminster, elle annonçait sa volonté de tenir un référendum <em>de fait</em> <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LwuTp8za5R8">à l’occasion des prochaines élections écossaises</a>, en principe prévues pour 2026. Selon l’évolution des sondages et les péripéties qui ne manqueront pas de marquer les prochains mois, l’exécutif écossais pourrait cependant décider de les convoquer plus tôt que prévu.</p>
<p>La voie démocratique d’un référendum — même consultatif — refusée par le gouvernement britannique n’est donc pas accessible unilatéralement au gouvernement écossais, au plan constitutionnel comme au regard des conséquences qu’il emporterait sur le plan démocratique. Il y a fort à parier qu’une élection où l’enjeu de l’indépendance serait aussi clairement identifié aurait des conséquences considérables sur la légitimité de l’ordre constitutionnel britannique, ouvrant par cette autre voie démocratique bien plus qu’un chemin de corde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195351/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Elmerich ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis 2014, les nationalistes écossais ont le vent en poupe. Leurs succès électoraux ne leur permettent pas de tenir un référendum sans l’aval de Londres, comme l’a réaffirmé la Cour suprême.Jérémy Elmerich, Doctorant en civilisation britannique et en science politique (UPHF & UQAM), Université Polytechnique des Hauts-de-FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1959452022-12-07T16:44:51Z2022-12-07T16:44:51ZPourquoi inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution est aussi une protection symbolique<p>La proposition de loi <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287299-proposition-de-loi-droit-ivg-dans-la-constitution">d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française</a> a été adoptée le 24 novembre par une forte proportion de députés et est désormais en lecture au Sénat. Cet événement s’inscrit dans le long combat pour la liberté des femmes à disposer de leurs corps jusqu’à l’aboutissement, en France, le <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247169221-histoire-de-la-ve-republique-1958-2017-16e-edition-jean-jacques-chevallier-guy-carcassonne-olivier-duhamel-julie-benetti/">17 janvier 1975</a>, de la « loi Veil » du nom de la ministre qui l’a portée et défendue sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing alors que Jacques Chirac était Premier ministre.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/pourquoi-faut-il-voir-et-lire-levenement-histoire-et-actualite-de-lavortement-172002">La liberté</a> de recourir à l’interruption volontaire de grossesse est garantie en France par la loi qui en détaille la procédure : délai de recours, clause de conscience, temps de réflexion. Cette loi a été plusieurs fois réformée en France dans le sens de sa plus grande garantie pour la liberté des femmes. Dans le concert européen des droits fondamentaux, la <a href="http://www.senat.fr/rap/l22-042/l22-0422.html">France fait figure de pionnière</a> et garantit, ce droit de la femme de manière complète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/que-dit-le-droit-international-sur-le-droit-des-femmes-a-linterruption-de-grossesse-187190">Que dit le droit international sur le droit des femmes à l’interruption de grossesse ?</a>
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<h2>Quel peut alors être l’intérêt d’une constitutionnalisation ?</h2>
<p>En France, la Constitution est la norme la plus importante, la norme suprême à laquelle toutes les autres doivent être conformes. Mais la Constitution est aussi le texte par lequel le peuple d’un État se dote d’un pacte fondateur contenant tout ce qui lui est cher et qui a pour but de garantir <a href="https://hal.univ-angers.fr/hal-02561569/document">« la poursuite du bonheur »</a> (le préambule de la Déclaration de 1789). L’intérêt de la constitutionnalisation apparaît donc double.</p>
<p>Tout d’abord, intégrer un droit fondamental dans la Constitution donne à celui-ci une plus grande valeur juridique et le rend plus difficile à modifier que lorsqu’il est garanti par la loi. En effet, le Parlement vote des lois tous les jours et la règle juridique du parallélisme des formes est implacable : ce qu’une simple loi a fait, une simple loi peut le défaire.</p>
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<p>Rappelons qu’en France, la loi est discutée et votée par les deux chambres du Parlement : l’Assemblée nationale et le Sénat mais l’Assemblée nationale a le dessus sur le Sénat puisqu’elle peut avoir le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241040">dernier mot</a> lors de la discussion. L’Assemblée nationale est également la chambre la plus politisée et la plus soumise au pouvoir du gouvernement puisqu’elle seule peut le renverser et qu’elle seule peut être dissoute.</p>
<p>Ces digressions sont importantes pour saisir un point clé : l’Assemblée nationale a la maîtrise de la loi et cette Assemblée est composée de forces politiques qui changent en fonction des élections.</p>
<p>De plus, cette Assemblée fonctionne sur le modèle majoritaire, c’est-à-dire que, de par son mode d’élection, elle conduit à la domination d’un parti vainqueur qui est en mesure d’imposer ses vues aux partis d’opposition, si virulents soient-ils. Les majorités se font et se défont au sein de l’Assemblée nationale qui fait et qui défait les lois. Nos droits fondamentaux ainsi garantis par la loi sont fragiles face aux majorités politiques dont on sait la grande volatilité qui plus est en France, peuple non dominé par un bipartisme historique (comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis).</p>
<h2>Un rempart</h2>
<p>Le droit à l’avortement est donc en proie aux volontés politiques des majorités divergentes qui se succèdent. Depuis 1975, elles ne l’ont toutefois pas remis en cause. Mais le <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2018-1-page-145.htm">mouvement européen de crispation</a> autour des droits des femmes et des minorités (comme en témoignent les événements en Pologne, Hongrie ou encore Italie) incite à la plus grande prudence quant à la pérennité supposée de droits chèrement payés, fruits de longues batailles historiques qui peuvent <a href="https://theconversation.com/quelle-place-pour-les-valeurs-politiques-au-sein-de-lue-170237">aisément être balayées par le ressac des temps</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-croisade-des-ultra-conservateurs-polonais-contre-lideologie-lgbt-146792">La croisade des ultra-conservateurs polonais contre « l’idéologie LGBT »</a>
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<p>« Il suffira d’une crise », <a href="https://www.telerama.fr/livre/ivg-vous-devrez-demeurer-vigilante-d-ou-vient-cette-phrase-de-simone-de-beauvoir-7011118.php">aurait affirmé Simone de Beauvoir</a>, et l’on ne peut qu’être frappée par la fragilité des droits et des démocraties à l’heure où les libertés souffrent d’États d’urgences étouffants, de crises majeures conduisant à des replis nationalistes et identitaires.</p>
<p>La constitutionnalisation jouerait ainsi le rôle de rempart contre les changements de majorité car si l’Assemblée nationale peut défaire ce qu’elle a fait par une simple loi (c’est <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241018">l’article 34 de la Constitution</a>), la procédure est rendue plus difficile à une majorité qui souhaiterait, demain, réformer la Constitution.</p>
<p>Fidèle au vœu des constituants historiques – les <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1791">discours de 1791</a> promouvaient la rigidité extrême des constitutions –, les constituants de 1958 ont rendu la procédure de révision de la constitution rigide.</p>
<p>Cette révision suppose outre un accord dans les mêmes termes des deux assemblées, une adoption définitive soit par un vote à majorité renforcée des 3/5<sup>e</sup> des membres du congrès du Parlement (c’est-à-dire les deux chambres réunies) soit par un vote populaire lors d’un référendum.</p>
<h2>Manifester l’attachement des Français</h2>
<p>Ensuite, inscrire ce droit dans la Constitution lui conférerait une portée symbolique. Notre constitution contient très peu de droits fondamentaux directement dans son texte et même nos catalogues de droits ne sont pas aussi fournis que d’autres Constitutions. On pense par exemple à l’article 3 sur le droit de suffrage, l’art. 4 sur le droit des partis politiques ou encore l’art. 66 sur l’autorité judiciaire comme gardienne des libertés individuelles, peu de textes en somme comparé à la <a href="https://www.boe.es/legislacion/documentos/ConstitucionFRANCES.pdf">Constitution de l’Espagne de 1978</a>, par exemple.</p>
<p>Aussi, inscrire un droit fondamental des femmes directement dans le corps constitutionnel <a href="https://www.puf.com/content/Textes_constitutionnels_et_politiques">« manifesterait l’attachement »</a> du peuple français à ce droit. Ainsi que s’ouvre le préambule de la constitution du 4 octobre 1958 de la V<sup>e</sup> République française, « Le peuple français proclame son attachement… », et c’est bien l’objet de la constitutionnalisation de la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) : proclamer son attachement.</p>
<p>On renouerait ainsi avec la vocation qu’avaient, dans notre histoire, les préambules des Constitutions où étaient inscrites des Déclarations de droits dont les peuples entendaient consacrer la fondamentalité.</p>
<p>Les États-Unis ont mis l’accent sur la liberté d’expression sous toutes ses formes, là où la France a garanti la liberté des religions. L’Allemagne a protégé la dignité de l’homme au-delà de tous les autres droits et la Suisse reconnaît la sensibilité de l’animal. Une Constitution raconte l’histoire de son peuple, ses inclinations et ses combats. L’attachement donc, peut être rien d’autre que cela, mais n’est-ce pas déjà suffisant ?</p>
<h2>La Constitution : barrière de papier ?</h2>
<p>Certes, la réforme d’une Constitution est plus difficile que celle d’une loi elle n’est toutefois pas impossible. Aucun droit fondamental de notre Constitution n’est supra-constitutionnel (le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-2003-469-dc-du-26-mars-2003-references-doctrinales">Conseil constitutionnel s’y étant refusé en 2003</a>), une majorité renforcée pourrait – si une élection était acquise confortablement par un parti politique – toujours choisir de réviser la Constitution.</p>
<p>De plus, si une majorité hostile à la liberté de l’IVG était acquise à l’Assemblée nationale, il lui suffirait de couper les crédits financiers et ainsi de ne plus garantir par la loi l’existence de ce droit constitutionnel ce qui reviendrait à le priver de toute effectivité.</p>
<p>Rappelons que la constitutionnalisation n’offre pas la garantie quotidienne de ce droit sur le territoire et sa garantie concrète doit toujours être assurée par la loi. C’est le sens de la formule de la proposition de loi <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0293_proposition-loi">présentée par la députée Mathilde Panot</a> et adoptée par l’Assemblée nationale le 24 novembre 2022 qui dispose que :</p>
<blockquote>
<p>« Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits ».</p>
</blockquote>
<p>Enfin, que resterait-il à un citoyen démuni face à l’ineffectivité de ce droit constitutionnellement garanti : un recours devant le juge constitutionnel ? Mais le Conseil constitutionnel laissant une liberté d’appréciation au législateur <a href="https://www.cairn.info/revue-les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel-2015-4-page-145.htm">sur les questions de société</a> serait sûrement malaisé à imposer au Parlement d’agir. Quand bien même ce dernier s’y oserait, une réforme amenuisant son indépendance et réformant sa composition pourrait être imaginée par le pouvoir en place pour affaiblir l’institution, comme c’est actuellement le cas en Pologne ou en Hongrie. La barrière juridique, y compris constitutionnelle n’aurait que peu de poids.</p>
<h2>Une constitutionnalisation imparfaite</h2>
<p>D’autres arguments prouvent que la constitutionnalisation a ses faiblesses et d’abord celui tiré du parallèle avec la situation américaine. Le revirement par la Cour suprême des États-Unis, le 24 juin 2022 dans son arrêt Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization de la jurisprudence Roe vs Wade de 1973 est la manifestation de l’extrême politisation de la Cour et de sa dynamique interprétative digne d’une véritable politique jurisprudentielle, <a href="https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2010_num_62_3_19970_t12_0841_0000_1">dont elle se réclame</a>.</p>
<p>Autre élément : la Constitution elle-même. Notre Constitution n’est peut-être pas le bon texte pour intégrer de nouveaux droits fondamentaux en raison de sa nature procédurale. Nos droits fondamentaux sont le legs de textes historiques que notre Préambule consacre : aurait-il fallu ajouter le droit à l’IVG dans ces textes mêmes ? Simone Veil, alors présidente d’un comité de réflexion sur le préambule constitutionnel, avait elle-même déclaré qu’aucune nécessité ne commandait d’en réviser le contenu pour ajouter de nouveaux droits sans froisser l’histoire et la grandeur de ces textes fondateurs.</p>
<p>S’il fallait tirer quelques leçons de toutes ces nuances constitutionnelles, on retiendrait qu’il est toujours délicat de « toucher à la Constitution » même d’une main tremblante et la fragilité des droits humains est une réalité implacable. Simone Veil aurait toutefois conclu que « la vulnérabilité des choses précieuses est belle parce que la vulnérabilité est une marque d’existence ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La constitution est un texte par lequel le peuple d’un État se dote d’un pacte fondateur et qui a pour but de garantir « la poursuite du bonheur » : le droit à l’avortement y a – t-il sa place ?Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1939862022-11-06T16:28:53Z2022-11-06T16:28:53ZComment, pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée nationale exclut un député<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/03/la-presidente-de-l-assemblee-nationale-met-fin-a-la-seance-apres-des-propos-a-teneur-raciste-d-un-depute-rn-dans-l-hemicycle_6148382_823448.html">L’incident survenu à l’Assemblée nationale (AN)</a> jeudi 3 novembre, qui a entendu Grégoire de Fournas, député Rassemblement Nation (RN) tenir des propos à teneur insultante et raciste durant la prise de parole d’un autre député, Carlos Martens Bilongo, de la France Insoumise (LFI), a conduit à une suspension immédiate de séance et en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/04/quelles-sont-les-sanctions-encourues-par-le-depute-gregoire-de-fournas_6148505_823448.html">urgence, à une réunion du bureau</a> de l’AN. Celle-ci a décidé <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/04/le-bureau-de-l-assemble-nationale-demande-d-exclure-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-pendant-quinze-seances-apres-ses-propos-a-teneur-raciste_6148541_823448.html">d’exclure pendant quinze jours</a> l’auteur des propos.</p>
<p>La théorie constitutionnelle postule que les représentants de la Nation doivent pouvoir débattre librement afin de faire émerger l’intérêt général. Leur liberté de parole au sein des Assemblées ne saurait être réduite. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527491/2019-07-01">L’article 26 al. 1 de la Constitution</a> leur garantit ainsi une irresponsabilité absolue :</p>
<blockquote>
<p>« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »</p>
</blockquote>
<p>Aucun des propos tenus à l’intérieur des assemblées – contrairement à des propos insultants tenus à l’extérieur, lors d’un meeting ou d’un entretien médiatique qui peuvent donner lieu à poursuite – ni aucun des votes émis ne peut, même après son mandat, engager la responsabilité du parlementaire devant un juge.</p>
<p>Il est ainsi admis que l’arène parlementaire n’est pas un lieu comme un autre, la parole devant y être la plus libre possible, ce qui justifie une réglementation spéciale de l’insulte au sein du <a href="https://www.senat.fr/reglement/reglement_mono.html">Senat</a> et de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’Assemblée nationale</a>. </p>
<h2>Une liberté de parole qui n’est pas absolue</h2>
<p>Ainsi, en France, l’interdiction de l’injure, qui résulte de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/">loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881</a>, n’est pas applicable à l’intérieur des Assemblées. Les élus revendiquent d’ailleurs un droit à la vivacité des débats, qui ne doit pas laisser penser que leur liberté de parole serait absolue au sein des assemblées. Ses abus sont sanctionnés, les règlements des Assemblées confiant la police des débats à leurs Présidents. Ainsi, le président seul accorde et retire la parole, nul ne peut parler s’il n’y a pas été invité, et il peut également prononcer des sanctions contre les élus qui proféreraient des insultes. Ainsi <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’article 70 du RAN</a> dispose :</p>
<blockquote>
<p>Peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée : […]<br>
● 2° Qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ;<br>
● 3° Qui a fait appel à la violence en séance publique ;<br>
● 4° Qui s’est rendu coupable d’outrages ou de provocations envers l’Assemblée ou son président ;<br>
● 5° Qui s’est rendu coupable d’injures, de provocations ou de menaces envers le Président de la République, le premier ministre, les membres du gouvernement et les Assemblées […]</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vL4P1wgFUOw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le député LFI Carlos Martens Bilongo a été interrompu par les propos à teneur raciste d’un député RN en session à l’Assemblée nationale le 3 novembre 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Et l’article 71 établit l’échelle des sanctions :</p>
<blockquote>
<p>Les peines disciplinaires applicables aux membres de l’Assemblée sont :<br>
● 1° Le rappel à l’ordre ;<br>
● 2° Le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal ;<br>
● 3° La censure ;<br>
● 4° La censure avec exclusion temporaire.</p>
</blockquote>
<p>Le président, appuyé par le Bureau, instance collégiale qui réunit autour du président, les vice-présidents, les secrétaires et les questeurs, assurant ainsi la représentation de la pluralité des courants d’opinion à l’Assemblée, examine les faits et prononce la sanction ou la propose à l’Assemblée dans les cas les plus graves. Cette sanction ne doit pas être perçue comme une décision politique ; elle doit rester une mesure disciplinaire et impartiale, prononcée à l’encontre d’un parlementaire qui a abusé de sa liberté d’expression.</p>
<h2>Une multiplication des abus</h2>
<p>De tels abus se sont multipliés ces dernières années : propos où comportements sexistes à l’égard des députées : <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/10/09/incident-sexiste-a-l-assemblee-les-deputees-boycottent-l-ouverture-de-seance_3492707_823448.html">caquètements de poule en octobre 2013</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/des-cris-de-chevre-ou-de-mouton-a-l-assemblee-nationale-04-08-2017-2147995_20.php">bêlements de chèvre en août 2017</a>, « poissonnière » en <a href="https://www.lepoint.fr/societe/poissonniere-un-depute-lrem-sanctionne-pour-injures-sexistes-09-02-2021-2413178_23.php">février 2021</a> ou refus de s’adresser à la présidente de séance en féminisant sa fonction en octobre 2014.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qngnvdcmlUI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Madame « le » Présidente : le député UMP Julien Aubert persiste à refuser la féminisation du titre de présidente d’Assemblée nationale à Sandrine Mazetier (2014).</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais en 64 ans d’existence, l’Assemblée nationale <a href="https://isidore.science/document/10670/1.iip87t">n’avait connu qu’une seule censure</a> avec exclusion temporaire contre un député qui avait pris à partie pour un motif futile – voitures qui bloquaient sa sortie – deux ministres auditionnés <a href="https://www.mareetmartin.com/livre/les-usages-de-la-tradition-dans-le-droit">dans le cadre de la catastrophe de Fukushima</a>.</p>
<p>Cette sanction interdit à l’élu de paraître à l’Assemblée et de prendre part à ses travaux pendant 15 jours ; elle emporte également pendant deux mois privation de la moitié de l’indemnité parlementaire <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale#D_Article_73_193">(article 73 alinéa 3 du RAN</a>). C’est cette sanction qui peut frapper le député RN suite aux propos à teneur raciste tenus en séance 3 novembre 2022. En suspendant immédiatement la séance et en renvoyant l’examen des faits au Bureau qui s’est réuni de manière extraordinaire le 4 novembre à 14h30, la présidente a refusé d’adopter seule la sanction.</p>
<h2>Trois enseignements</h2>
<p>Ce choix emporte trois enseignements : la présidente estime que les propos méritent une sanction plus lourde que le rappel à l’ordre simple ou avec inscription au procès-verbal qu’elle peut prononcer seule. Ce que le Bureau a confirmé en demandant à l’Assemblée de prononcer une censure avec exclusion temporaire.</p>
<p>Deuxième enseignement : en convoquant le Bureau, elle ouvre une procédure contradictoire permettant au député de présenter, personnellement ou par un représentant, les arguments et peut-être d’échapper à la sanction.</p>
<p>Cette procédure contradictoire assure, quand bien même elle ne pourrait être contestée devant aucun juge en vertu de la séparation des pouvoirs, la conformité de la sanction <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/docx/pdf?library=ECHR&id=002-10164&filename=CEDH.pdf">à la Convention Européenne des Droits de l’Homme</a>.</p>
<p>Enfin, la Présidente éloigne la critique d’une mesure partiale, alors que le RN use déjà de la rhétorique de la victimisation. Ainsi, l’auteur des propos évoque-t-il une <a href="https://www.tf1info.fr/politique/propos-racistes-a-l-assemblee-nationale-qu-il-retourne-en-afrique-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-ecrit-a-son-homologue-lfi-carlos-martens-bilongo-et-se-dit-navre-de-l-incomprehension-2237548.html">« manipulation politique »</a>.</p>
<p>La sanction ne doit en effet pas pouvoir être perçue comme la décision de la seule présidente de l’Assemblée, membre éminent de la majorité. Afin d’éloigner toute contestation, la procédure doit associer les différentes forces de l’Assemblée. Ce que la réunion du Bureau permet. Les élus RN seront ainsi associés à la procédure, le groupe détenant deux vice-présidents siégeant en cette qualité au Bureau. De même, les présidents de groupe, et donc celui du RN, sont associés aux décisions du Bureau (même s’ils ne peuvent participer à l’adoption de celles-ci puisqu’ils ne disposent pas de droit de vote dans cette instance).</p>
<p>Cette association à l’examen des faits et à l’audition du député mis en cause permet ensuite, lorsque la censure est requise, comme c’est le cas en l’espèce, de procéder à l’adoption de la sanction par l’Assemblée sans que celle-ci puisse débattre, en application de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale#D_Article_72_192">l’article 72 al 5 du règlement de l’Assemblée nationale</a>. La sanction est ensuite adoptée par assis et levée, qui rend plus facile la comptabilisation des voix qu’un simple vote à main levée, mais ne permet pas de connaître le sens des votes adoptés par les députés. On peut toutefois estimer que seuls les élus du RN auront cherché à s’opposer à la sanction.</p>
<p>Pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée a ainsi choisi de censurer l’un de ses membres. Sanction grave puisqu’elle le prive du droit de défendre ses positions à l’Assemblée, frappant des propos particulièrement offensants qui ne sauraient être tolérés dans le temple de la démocratie. Sanction temporaire, le député politiquement irresponsable ne pouvant être contraint à la démission en raison des propos, même à teneur raciste, tenus à l’Assemblée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les élus revendiquent un droit à la vivacité des débats, leur liberté de parole n’est pas absolue au sein des assemblées.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924312022-11-02T19:35:41Z2022-11-02T19:35:41ZDes vertus de l’instabilité gouvernementale en Italie<p>Depuis que les élections législatives italiennes du 25 septembre dernier ont été remportées par la coalition de droite et d’extrême droite guidée par Giorgia Meloni, les interprétations se multiplient sur le destin prochain de la politique italienne. Le nouveau gouvernement Meloni a <a href="https://www.lepoint.fr/monde/italie-giorgia-meloni-et-son-gouvernement-ont-prete-serment-22-10-2022-2494842_24.php">prêté serment</a> presque un mois plus tard, le 22 octobre, et dans les jours qui ont suivi a obtenu la confiance de la Chambre des députés (235 voix sur 400) et du Sénat (115 voix sur 206).</p>
<p>L’arrivée au pouvoir de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/elections-italiennes/legislatives-en-italie-neofascisme-post-fascisme-extreme-droite-comment-faut-il-qualifier-l-ideologie-de-giorgia-meloni_5382277.html">coalition la plus à droite depuis la fin du fascisme</a> aura-t-elle un impact durable sur le système politique de l’un des pays fondateurs de l’Union européenne ? L’Italie aurait-elle trouvé une certaine stabilité, dès lors que la coalition a obtenu la majorité absolue des deux chambres du Parlement ? L’émergence d’une telle majorité politique au Parlement aura-t-elle comme conséquence un gouvernement « politique », par opposition au gouvernement « technique » ou « de larges ententes » que l’Italie a connu avec Mario Draghi après la dernière crise gouvernementale de 2021 ?</p>
<h2>67 gouvernements en 74 ans</h2>
<p>L’instabilité gouvernementale est une hantise pour la V<sup>e</sup> République française : considérée par les constituants de 1958, Charles de Gaulle et Michel Debré, comme la pire des défaillances des régimes précédents des III<sup>e</sup> et IV<sup>e</sup> Républiques, elle a été la justification ultime du changement radical de régime politique qu’a été le remplacement du régime parlementaire par le régime hybride que la France connaît désormais. Qu’il soit nommé régime parlementaire à tendance présidentielle ou semi-présidentialisme, le régime de la V<sup>e</sup> a livré ce que ses concepteurs avaient promis : un système stable, où un seul gouvernement a été contraint de démissionner avant la fin de la législature en 64 ans, par la motion de censure de 1962.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-politique-italienne-est-elle-vraiment-atteinte-dinstabilite-chronique-187812">La politique italienne est-elle vraiment atteinte d’instabilité chronique ?</a>
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<p>L’Italie se trouve depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans une situation diamétralement opposée. Avec 67 gouvernements successifs en 74 ans depuis l’entrée en vigueur de la <a href="https://www.senato.it/documenti/repository/istituzione/costituzione_francese.pdf">Constitution actuelle</a> le 1<sup>er</sup> janvier 1948, l’instabilité gouvernementale est la caractéristique principale de la République italienne.</p>
<p>Cette instabilité est la conséquence de la combinaison entre un mode de scrutin qui a souvent changé mais qui a été largement proportionnel (malgré des correctifs dans le sens du scrutin majoritaire) et un bicaméralisme parfait, c’est-à-dire un Parlement dont les deux chambres ont exactement les mêmes compétences : elles peuvent toutes deux censurer le gouvernement alors qu’elles n’ont pourtant pas nécessairement la même majorité, car la base électorale diffère.</p>
<h2>La pression du président, des autres partis et des partenaires européens</h2>
<p>Malgré une majorité absolue dans les deux chambres, la coalition sous l’égide de Giorgia Meloni a semblé éprouver des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/14/debuts-houleux-pour-la-coalition-de-meloni-au-parlement-italien_6145720_3210.html">difficultés à former un gouvernement</a>.</p>
<p>La procédure constitutionnelle, faite de règles écrites et de coutumes, prévoit que le président de la République, après avoir consulté les principaux partis politiques sortis gagnants d’une élection législative, donne le mandat de proposer un gouvernement au chef du parti ou de la coalition susceptibles d’obtenir l’investiture majoritaire par les parlementaires. Giorgia Meloni a finalement annoncé son gouvernement le 21 octobre, très rapidement, de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/22/italie-la-dirigeante-d-extreme-droite-giorgia-meloni-presente-un-gouvernement-destine-a-rassurer-les-partenaires-de-rome_6146876_3210.html">façon à rassurer les partenaires européens</a>, juste après l’élection des présidents des deux chambres par leurs nouveaux membres.</p>
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<p>Le président italien n’a pas de réel pouvoir décisionnel dans cette phase, si ce n’est garantir le bon déroulé du processus, mais il a déjà prétendu exercer un pouvoir de contrôle de l’erreur manifeste lors de la formation du gouvernement de coalition de 2018, quand la désignation au ministère de l’Économie d’un ministre eurosceptique, Paolo Savona, avait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/05/28/paolo-savona-l-economiste-polemique-qui-a-precipite-la-crise-politique-italienne_5305727_3210.html">provoqué le véto présidentiel</a>.</p>
<p>Ainsi, la formation du gouvernement Meloni a été encadrée de plusieurs côtés : celui du président Mattarella, celui des institutions européennes et notamment de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, ainsi que celui des partenaires occidentaux. Giorgia Meloni a donc été obligée de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/22/italie-la-dirigeante-d-extreme-droite-giorgia-meloni-presente-un-gouvernement-destine-a-rassurer-les-partenaires-de-rome_6146876_3210.html">rassurer</a>, sur le plan international, à la fois sur son atlantisme dans le soutien à l’Ukraine et sur son respect des traités européens, notamment en matière économique et budgétaire.</p>
<h2>Gouvernement technique ou gouvernement politique</h2>
<p>Les membres de la coalition gagnante ont également joué un rôle d’encadrement : <em>Fratelli d’Italia</em> n’a obtenu que 26 % des suffrages, si bien que la <em>Ligue</em> de Matteo Salvini et <em>Forza Italia</em> de Silvio Berlusconi ont avancé des prétentions pour des ministères importants tout au long des négociations. Ils en ont obtenu cinq chacun, mais ni l’Intérieur, ni la Justice, ni les Affaires européennes.</p>
<p>Le choix de Giorgia Meloni a été présenté dès l’élection comme binaire, entre un gouvernement politique avec les membres de sa coalition à des postes clés, en rupture avec le technocratisme de Mario Draghi, et un gouvernement technique dans la continuité du gouvernement précédent, encore en place et en charge de la négociation des aides européennes dans le cadre de la crise énergétique au Conseil européen des 20-21 octobre. C’est le choix politique qui a clairement prévalu à la fin, avec malgré tout six ministres « techniques » dont celui de l’Intérieur, un ancien préfet.</p>
<p>Les deux options présentaient des risques politiques, et montrent en même temps la fragilité de la coalition : un choix politique aurait contenté les alliés et les électeurs, mais inquiété les acteurs internationaux qui observeront l’Italie de près à l’avenir ; un choix technique aurait probablement été sanctionné par les électeurs et les alliés, car <em>Fratelli d’Italia</em> a bénéficié de son rôle d’opposition lors de la précédente législature et sa cheffe de la nouveauté de sa candidature (son parti était le seul parti d’opposition au gouvernement de Mario Draghi).</p>
<p>Le choix de personnalités proches de la cheffe du gouvernement ou apolitiques à des rôles clés cherche à rassurer sur la « normalité » de ce gouvernement : le ministre de l’Économie, affilié à La Ligue, était <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/italie-giorgia-meloni-nommee-premiere-ministre-un-pro-draghi-a-leconomie-1871866">déjà membre du précédent gouvernement Draghi</a>. Mais la potentielle stabilité gouvernementale italienne est ainsi déjà fragilisée par ce choix cornélien.</p>
<h2>L’Italie risque-t-elle de devenir une démocratie illibérale ?</h2>
<p>La crainte, interne et internationale, de voir l’Italie s’ajouter aux démocraties européennes devenues illibérales aux côtés de la <a href="https://confrontations.org/admin/le-tournant-illiberal-de-la-hongrie-et-de-la-pologne/">Pologne et de la Hongrie</a> est sans doute légitime sur le fond, mais apparaît comme peu probable en réalité.</p>
<p>La principale différence avec la majorité guidée par Viktor Orban en Hongrie est certainement l’absence, pour la droite de Giorgia Meloni, d’une majorité qualifiée lui permettant de réviser la Constitution. Elle l’avait pourtant proposé : afin de renforcer la légitimité politique de la présidence du Conseil des ministres en Italie, Meloni <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/elections-italiennes/italie-pourquoi-georgia-meloni-veut-changer-le-regime-politique_5422705.html">souhaitait introduire dans la Constitution italienne</a> l’élection du chef du gouvernement au suffrage universel direct.</p>
<p>Cette idée s’inspire de la Constitution française dans sa version gaullienne et devrait servir, en renforçant le caractère primo-ministériel du régime, à stabiliser les institutions italiennes. Cependant, la coalition arrivée en tête n’a pas remporté les deux tiers des sièges du Parlement nécessaires pour une révision et une telle modification est donc désormais peu probable.</p>
<p>Néanmoins, cette proposition a provoqué une discussion à laquelle ont pris part tous les partis politiques : on peut se réjouir de l’existence d’un tel débat institutionnel, qui n'est sans doute pas étranger à l'instabilité du régime, qui encourage de telles remises en discussion. On peut aussi se réjouir du fait que débattre, dans un régime parlementaire de coalition, n’est pas synonyme de réformer, car la Constitution rigide de l’Italie fait autant preuve de stabilité que les gouvernements d’instabilité…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eleonora Bottini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Italie, les gouvernements ne restent généralement pas en place longtemps. Giorgia Meloni, à peine devenue Présidente du Conseil des ministres, a déjà éprouvé des difficultés à constituer le sien…Eleonora Bottini, Professeure de droit public, Directrice de l'Institut caennais de recherche juridique, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1873782022-08-15T20:26:31Z2022-08-15T20:26:31ZEt si les citoyens participaient aux référendums initiés par le président ?<p>Le premier mandat d’Emmanuel Macron, par rapport à ceux de ses prédécesseurs, a eu la particularité de voir monter une critique de la verticalité des institutions de la V<sup>e</sup> République et de la toute-puissance présidentielle, dont a témoigné, entre autres, le mouvement des « gilets jaunes ». Cette critique s’est en quelque sorte matérialisée dans les résultats des législatives. Alors que depuis l’alignement des deux élections consécutif à la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-revisions-constitutionnelles/loi-constitutionnelle-n-2000-964-du-2-octobre-2000">réforme de 2000</a>, les Français avaient plutôt semblé considérer qu’il fallait donner au président venant d’être élu une majorité pour gouverner, il semble qu’ils aient voulu cette fois obtenir le résultat inverse : obliger l’hôte de l’Élysée, en lui refusant la majorité absolue à laquelle il aspirait, <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">à composer avec les forces politiques</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, on peut aussi spéculer sur le recours au référendum présidentiel prévu par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004">l’article 11 de la constitution</a>, qui permet au chef de l’État, sur proposition du premier ministre (ou des assemblées), de soumettre directement au peuple un projet de loi. Le président réélu en avril pourrait être tenté d’en faire un usage minoritaire, en l’absence d’une majorité parlementaire en faveur d’un texte, un peu à la manière de Gaulle au début de la <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100996600">Vᵉ République</a>, et plus encore en l’absence, amplifiée par un taux d’abstention hors-normes aux dernières élections législatives, d’une majorité dans le pays – ce qui est sans doute ici une différence avec le fondateur de la V<sup>e</sup> République. Il s’agirait alors d’assurer une légitimité plus forte à certaines réformes difficiles.</p>
<h2>Exclure catégoriquement la révision de la constitution par l’article 11</h2>
<p>Il n’est pas souhaitable en revanche que l’article 11 soit utilisé pour réviser la constitution. On touche ici à un débat récurrent sous la V<sup>e</sup> République, qui commença avec le recours à deux reprises par le général de Gaulle à cet article pour modifier le texte de 1958. La première fois, avec succès, en 1962, pour introduire l’élection directe par les Français du président de la République (le texte de 1958 prévoyait son élection par un collège d’environ 80 000 élus) ; la seconde fois en 1969, après les événements de mai 1968, pour réaliser une double réforme du Sénat et des régions censée répondre aux aspirations du mouvement de contestation.</p>
<p>Fatigués de Gaulle, les Français répondirent cette fois par la négative, sachant qu’un échec entraînerait la démission de l’intéressé, ce qui se produit effectivement, mettant fin à la carrière politique du grand homme.</p>
<p>Rappelons en effet qu’il n’y a qu’une seule procédure de révision constitutionnelle prévue par la constitution, celle de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006095847">article 89</a>, qui dispose qu’un texte doit être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat et soit ensuite soumis au référendum sauf si le président de la République décide de le soumettre au Congrès (qui doit alors l’approuver à la majorité des 3/5).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/referendums-assemblees-citoyennes-des-propositions-a-ne-pas-sous-estimer-108927">Référendums, assemblées citoyennes : des propositions à ne pas sous-estimer</a>
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<p>À l’exception des gaullistes, les partis s’étaient unanimement élevés contre l’usage de l’article 11 pour réformer la constitution en 1962. Le président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, parla <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2010-3-page-4.htm">d’acte de forfaiture</a> et l’Assemblée nationale vota la censure du gouvernement Pompidou, coupable d’avoir proposé le référendum au président de la République.</p>
<p>Les partis étaient évidemment défavorables à l’élection directe du chef de l’État, qui les dépossédait d’une prérogative. C’est ce qui explique que le général de Gaulle n’ait pas recouru à l’article 89, qui aurait supposé une approbation préalable de la réforme par le parlement. Mais les <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/10/17/la-validite-du-scrutin-du-28-octobre_2359463_1819218.html">juristes</a> condamnèrent tout autant ce qui était à leurs yeux un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/07/19/i-l-election-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel_2373199_1819218.html">détournement de procédure</a>.</p>
<p>Pour autant, saisi pour contrôler la constitutionnalité de la loi référendaire, le Conseil constitutionnel se déclara incompétent, estimant qu’il ne pouvait se prononcer que sur des lois votées par le parlement. Le problème qui se posait était celui du moment du contrôle de la part, en outre, d’une institution (le tout jeune Conseil constitutionnel) disposant d’une faible légitimité. Ce dernier ne s’était pas encore affirmé à l’époque comme gardien de la constitution. Le vote référendaire approuvant la réforme a ainsi été considéré comme légitimant a posteriori le recours à l’article 11.</p>
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<h2>La protection de la constitution</h2>
<p>Une telle pratique n’est plus du tout admissible aujourd’hui. La France est une démocratie constitutionnelle qui s’est engagée dans le respect de la prééminence du droit. Si une procédure spéciale, plus lourde que pour la loi ordinaire, est prévue pour réviser la constitution, comme c’est le cas dans la plupart des autres démocraties, cette procédure doit être respectée car elle sert précisément à empêcher que l’on ne modifie trop facilement la constitution et s’en prenne notamment à des libertés et des droits qu’elle garantit.</p>
<p>L’hypothèse d’un recours à l’article 11 pour réformer la constitution a ressurgi dans le débat public lors de la dernière campagne présidentielle après que certains candidats, notamment d’extrême droite, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/revision-de-la-constitution-par-referendum-marine-le-pen-dans-une-impasse">aient annoncé qu’ils pourraient l’envisager</a>. À juste titre, la plupart des juristes ont estimé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis 2000 indiquait que celui-ci pourrait bloquer un tel usage. En effet, à l’occasion du référendum sur la révision de l’article 6 de la constitution, relatif à la durée du mandat présidentiel (passage du septennat au quinquennat), correctement engagé dans le cadre de la procédure de l’article 89, le Conseil constitutionnel a accepté de contrôler les actes préparatoires à l’organisation d’un référendum, dans le cadre des compétences qu’il tient de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527548">article 60 de la constitution</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Traité européen 2005 : la France se prononce contre lors du referendum.</span></figcaption>
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<p>Cinq ans plus tard, il était amené à se prononcer sur la constitutionnalité du décret convoquant le référendum sur le projet de loi de ratification du Traité constitutionnel européen, qui intervenait cette fois dans le cadre de l’article 11. Interrogé notamment sur la conformité du Traité à la Charte de l’environnement, qui venait juste d’être insérée dans la constitution, il ne s’est pas clairement déclaré incompétent et a même considéré qu’« en tout état de cause » le <a href="https://www.researchgate.net/publication/278817550_La_decision_Hauchemaille_et_Meyet_du_24_mars_2005_un_nouveau_pas_en_matiere_de_controle_des_referendums">traité n’était pas contraire à la Charte</a>. Ce qui montre que, bien que restant très évasif sur l’étendue de sa compétence, il pourrait à l’occasion de ce contrôle des actes préparatoires à tout référendum, considérer que la procédure normale de révision de la constitution n’est pas respectée.</p>
<p>On ne saurait pour autant conclure de cette jurisprudence que le président de la République est désormais contrôlé dans son usage de l’article 11 et ne pourrait plus l’utiliser pour réformer la constitution. Seule une révision de cet article faisant apparaître explicitement l’interdiction de réviser la constitution par son biais et introduisant un véritable contrôle préventif par le Conseil constitutionnel de conformité du projet de loi au cadre formel et matériel prévu par la constitution peut offrir une telle garantie.</p>
<p>Il reste qu’une révision constitutionnelle se doit de passer par l’article 89, qui requiert a minima une approbation parlementaire de la majorité des membres de chaque Chambre. Dans le contexte actuel d’absence de majorité et de polarisation extrême des forces politiques, les chances d’aboutissement d’une réforme de l’article 11 apparaissent donc minces. Rappelons que sous la législature précédente, bien que doté d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron n’avait pu mener à bien ses deux projets successifs de réforme institutionnelle faute d’un soutien du Sénat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">Réviser la Constitution par référendum : la pratique peut-elle contredire le texte ?</a>
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<h2>Mieux associer les citoyens au référendum présidentiel ?</h2>
<p>Le véritable enjeu de ce quinquennat est plutôt un usage rénové, impliquant plus les citoyens, du référendum présidentiel. Celui-ci s’est vu souvent reproché, à juste titre, son caractère trop personnalisé et le glissement d’enjeu qui en résulte.</p>
<p>Cela est évidemment dû au fait que le président est le seul à pouvoir, selon les termes de l’article 11, décider d’organiser un référendum, qui plus est, exclusivement sur un projet de loi. Une réforme de l’objet du référendum présidentiel ne devrait sans doute pas se limiter à écarter les révisions constitutionnelles de son champ. Elle devrait, a contrario, élargir cet objet en permettant qu’il ne porte pas seulement sur des projets de loi mais aussi sur des propositions de loi d’initiative citoyenne, telles que celles émanant d’assemblées de citoyens tirés au sort, à l’égard desquelles l’actuel président a montré son intérêt en organisant la Convention citoyenne sur le climat.</p>
<p>Actuellement le chef d’État n’a d’autre choix que de reprendre à son compte une proposition législative d’une telle assemblée pour pouvoir la soumettre au peuple par l’article 11, ce qui est propice au glissement d’enjeu sur sa personne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Convention citoyenne pour le climat, portraits, France 3.</span></figcaption>
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<p>En <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-transformation-de-l-ecriture-de-la-constitution-l-exemple-islandais">Islande</a>, ou une convention de citoyens tirés au sort a élaboré un projet de réforme de la constitution en 2010, dont les principales propositions ont ensuite été reprises par un comité de réforme de la constitution élu en 2011, le gouvernement a soumis les principaux points de ce projet (sous forme de questions générales) au vote consultatif des citoyens. De même en <a href="https://laviedesidees.fr/Les-assemblees-citoyennes-en-Irlande.html">Irlande</a>, les amendements de la constitution préconisés par la « Convention constitutionnelle » (composée de citoyens tirés au sort et d’élus) en 2012, puis par l’« Assemblée de citoyens » (exclusivement composée de citoyens tirés au sort) en 2016, qui furent soumis au référendum et aboutirent notamment à la légalisation du mariage entre personnes du même sexe et de l’avortement, avaient été approuvés au préalable par le parlement mais apparaissaient bien comme émanant de ces assemblées. Les expériences de ce type ont tendu à se multiplier ces dernières années et <a href="https://books.openedition.org/dice/10570">comportent de plus en plus souvent des référendums</a>).</p>
<p>Ici aussi cependant, il est illusoire de croire que le parlement en fonction puisse approuver une révision. Un éventuel référendum sur une proposition formulée par une assemblée tirée au sort, ou comportant des citoyens tirés au sort, devra se présenter formellement comme un référendum sur un projet de loi de l’exécutif.</p>
<h2>De nouvelles expérimentations citoyennes ?</h2>
<p>En l’absence d’une réforme de l’article 11, on peut néanmoins suggérer qu’un éventuel recours à un référendum législatif par le président de la République s’accompagne d’une innovation ne nécessitant aucune révision de cet article, et qui permettrait d’impliquer plus activement les citoyens dans la campagne référendaire. Il pourrait s’agir d’instituer en amont de celle-ci une chambre citoyenne tirée au sort, sur le modèle des commissions d’examen des initiatives citoyennes (« Citizens Initiative Review », CIR) <a href="https://olis.oregonlegislature.gov/liz/2019R1/Downloads/CommitteeMeetingDocument/173979">mises en place dans l’Oregon</a> et imitées dans d’autres États américains et qui sont actuellement objets <a href="https://global.oup.com/academic/product/hope-for-democracy-9780190084523?cc=us&lang=en&">d’expérimentations en Suisse et dans d’autres pays européens</a>. Les CIR, qui émettent des avis sur les propositions référendaires, ont été jusqu’ici utilisés dans le cadre de référendums d’initiative populaire, mais rien n’empêche d’y recourir pour des référendums d’initiative présidentielle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-si-les-municipales-etaient-loccasion-de-mettre-en-place-un-ric-130896">Et si les municipales étaient l’occasion de mettre en place un RIC ?</a>
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<p>Ces commissions seraient chargées d’étudier le projet de loi présidentiel et de livrer des analyses et recommandations au grand public en vue du vote. Leur avantage, dans la situation politique actuelle, serait d’offrir un point de vue sur un projet de loi soumis au vote – par exemple la réforme des retraites, la lutte contre le réchauffement climatique, etc. – dégagé des logiques de compétition et d’affrontement partisans qui font perdre de vue le sens de l’intérêt général et transforment le référendum présidentiel en vote pour ou contre le président.</p>
<p>Avec le grand débat national, puis la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a montré son intérêt pour des formules permettant de mieux intégrer les citoyens dans la prise de décision politique. Il a aussi récemment annoncé pour la seconde semaine de septembre l’institution d’un <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-conseil-national-de-la-refondation-installe-la-2e-semaine-de-septembre-annonce-veran-20220721">Conseil National de la Refondation</a> (CNR), bien que l’on ne sache pas encore clairement si cette instance comportera ou non des citoyens tirés au sort aux côtés des représentants institutionnels et de la société civile. Il n’est pas totalement exclu de l’espérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187378/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le président pourrait être tenté de faire un usage minoritaire du référendum mais sous quelles modalités ? Explications.Laurence Morel, Maitre de conférences, science politique, Université de LilleMarthe Fatin-Rouge Stefanini, Directrice de recherches au CNRS, laboratoire de Droit International, Comparé et Européen, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1814252022-04-19T16:41:03Z2022-04-19T16:41:03ZRéviser la Constitution par référendum : la pratique peut-elle contredire le texte ?<p>On dit souvent que la constitution française adoptée en 1958 a été taillée pour le général de Gaulle. Cela est <a href="https://books.openedition.org/pan/312?lang=fr">vrai</a>. Mais Charles de Gaulle n’est pas le seul à avoir su s’en servir pour parvenir à ses fins.</p>
<p>En plus de 60 ans, on s’est aperçu que chaque président de la République a adapté la constitution dans son intérêt soit en la modifiant directement (de Gaulle, Chirac, Sarkozy), soit en l’interprétant par un usage original (De Gaulle, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Macron notamment). Il n’y a donc pas de raison qu’il en aille différemment à l’avenir et ce, quelle que soit la configuration politique.</p>
<iframe frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/export/player/Gaulle00020/512x384" width="100%" height="434" allowfullscreen=""></iframe>
<p><em>Le 4 septembre 1958, le général de Gaulle présente le projet de constitution que le gouvernement vient d’adopter et qui sera soumis à l’approbation des Français par voie de référendum le 28 septembre.</em></p>
<p>Lors de la présentation de son programme à la suite des résultats du premier tour du scrutin, Marine Le Pen a annoncé vouloir adopter de nombreuses mesures par voie de <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/13/presidentielle-2022-marine-le-pen-veut-gouverner-par-referendum-en-contournant-le-parlement-et-le-conseil-constitutionnel_6121897_6059010.html">référendum</a>.</p>
<p>Celles-ci sont autant des mesures de niveau législatif (introduire une élection proportionnelle pour deux tiers des députés avec prime majoritaire) que de niveau constitutionnel (introduire la priorité nationale dans la constitution ou le référendum d’initiative citoyenne).</p>
<p>Dans tous les cas, Marine Le Pen dit pouvoir s’appuyer sur le recours au référendum prévu à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004/">article 11</a> de la constitution (référendum législatif), à la place du référendum constitutionnel prévu à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019240655/">article 89</a>, qui ne peut être organisé qu’après le vote d’un même texte par les deux chambres du Parlement.</p>
<p>L’argument selon lequel la constitution saurait l’en empêcher n’est pas convaincant.</p>
<h2>Le référendum : un outil à la disposition du président</h2>
<p>La particularité de la constitution française est qu’elle offre une panoplie de pouvoirs spécialement dédiée à la présidence de la République afin que, dans tous les cas de figure, la fonction présidentielle puisse se déployer complètement.</p>
<p>Le référendum législatif d’initiative présidentielle prévu à l’article 11 fait partie de cet arsenal <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000006527470/1958-10-05/#LEGIARTI000006527470">depuis 1958</a> ; il a été pensé pour instaurer un lien privilégié entre le président et le peuple.</p>
<p>Précisément, le but du référendum législatif tel que défini dans l’article 11 est de faire du peuple une instance décisive en matière législative et ce, à la place du gouvernement et du Parlement.</p>
<p>Rappelons que les lois sont le fruit d’une coopération entre le gouvernement, emmené par le premier ministre, qui les propose le <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire#prettyPhoto">plus souvent</a>, et le Parlement qui les discute et les vote.</p>
<p>En donnant au président l’initiative et le pouvoir discrétionnaire d’en appeler au peuple pour voter des lois d’organisation des pouvoirs publics, de réformes économiques, sociales ou environnementales, ainsi que des lois autorisant la ratification de traités internationaux, l’article 11 de la Constitution évite au chef de l’État d’avoir à négocier avec d’autres institutions politiques.</p>
<p>Cette procédure permet d’éviter le gouvernement sur des terrains qui relèvent notamment de la politique intérieure, habituellement laissée à la gestion du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006095823">premier ministre</a>. Elle permet surtout de contourner le Parlement puisqu’en conférant au peuple, par voie d’exception, le pouvoir de voter la loi à sa place, il l’efface littéralement du jeu politique. Autrement dit, il le court-circuite.</p>
<p>L’usage de ce référendum via l’article 11 a fait partie de la stratégie du président de Gaulle pour modifier l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000006527460/1958-10-05/#LEGIARTI000006527460">article 6</a> de la constitution en <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-23.htm">1962</a> et introduire la désignation du président au suffrage universel direct.</p>
<p>Ce qui a pu poser problème – aux <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/09/04/iii-la-forme-et-le-fond_2370732_1819218.html">analystes</a> et <a href="https://www.mitterrand.org/le-coup-d-etat-permanent-465.html">adversaires</a> plus qu’aux dirigeants de l’époque – est que la constitution, d’après une interprétation littérale, ne permet de recourir à ce référendum que pour voter une loi, pas pour modifier la Constitution.</p>
<p>Autrement, l’article 89, situé dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000042418213">titre XVI</a> consacré à la révision de la Constitution, serait superflu.</p>
<p>C’était l’un des arguments brandis par les députés pour faire voter la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/france/AN1962censure.htm">motion de censure</a> qu’ils ont opposée au gouvernement de l’époque face à la volonté de Gaulle d’imposer l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Mais rien n’y fit. La lettre de la Constitution est une chose, la pratique politique des institutions en est une autre.</p>
<p>La pratique du général de Gaulle a consisté à préférer, en 1962, le référendum de l’article 11 pour éviter l’étape législative préalable au référendum que l’article 89 impose. Il a donc mobilisé l’article 11 pour faire voter le peuple sans passer par le parlement, qui avait fait savoir qu’il était radicalement hostile à la réforme. C’est ainsi que Marine Le Pen envisage de procéder si elle était élue à l’issue du 2<sup>e</sup> tour.</p>
<h2>Un improbable contrôle par le Conseil constitutionnel</h2>
<p>L’un des problèmes ici est que, quoiqu’on en dise, réviser la Constitution via l’article 11 n’est ni impossible techniquement, ni improbable politiquement, à moins d’ignorer délibérément l’histoire constitutionnelle de notre pays.</p>
<p>Une telle situation pourrait se produire en cas d’hostilité avérée du Parlement – ne serait-ce que du Sénat – à la présidence de la République.</p>
<p>Pour réviser la Constitution, il y aurait toujours la possibilité de procéder comme de Gaulle en son temps. Les obstacles constitutionnels seraient en effet assez faibles.</p>
<p>Le premier auquel on pense est le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-conseil-constitutionnel">Conseil constitutionnel</a>. Cette institution a été <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-62-20-dc-du-6-novembre-1962-saisine-par-president-du-senat">saisie</a> en 1962 par le président du Sénat, Gaston Monnerville, foncièrement opposé à la réforme constitutionnelle voulue par le chef de l’État, pour contrôler la constitutionnalité de la loi soumise au référendum.</p>
<p>Mais le Conseil constitutionnel a <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1962/6220DC.htm">déclaré</a> le 6 novembre 1962 son incompétence à contrôler le fruit de la volonté du peuple exprimée directement. S’il n’est pas impossible que cet organe revienne sur sa position – il n’est pas lié par ses propres décisions –, il reste que cette jurisprudence existe et était parfaitement claire sur les motivations du Conseil à ne pas toucher à la volonté du peuple souverain exprimée directement.</p>
<p>On <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/13/marine-le-pen-et-le-referendum-sur-l-immigration-une-revision-de-la-constitution-difficilement-realisable_6122005_4355770.html">insiste</a> ces derniers jours sur le contrôle que le Conseil constitutionnel pourrait exercer sur les référendums souhaités par Marine Le Pen, en convoquant une jurisprudence <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2000/200021REF.htm">Hauchemaille</a> de 2000 du même Conseil.</p>
<p>Mais là encore la tentative semble compromise car tout éloigne ce cas de celui d’un usage de l’article 11 pour réviser la constitution.</p>
<p>D’abord, l’affaire de 2000 se situait dans le cadre d’un contentieux électoral et non de constitutionnalité. Ensuite, la requête consistait à demander au Conseil constitutionnel de déclarer l’irrégularité du décret décidant de soumettre un projet de révision de la constitution au référendum en raison de l’absence du contreseing de deux ministres.</p>
<p>Enfin, le référendum auquel il s’agissait de faire obstacle était un référendum constituant, déclenché sur le fondement ordinaire de l’article 89. Il s’agissait de la révision constitutionnelle visant à réduire le mandat présidentiel de sept ans à cinq ans, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000219201">adoptée</a> le 2 octobre 2000 à la suite du référendum du 28 septembre.</p>
<p>Au bout du compte, pour résoudre ce cas, le Conseil constitutionnel s’est déclaré compétent, non pour examiner le contenu de la question posée, encore moins pour vérifier la constitutionnalité de la réponse donnée par le peuple, mais pour décider si le décret soumettant ce projet de révision au référendum était conforme aux exigences formelles imposées.</p>
<p>Le requérant, M. Hauchemaille, a perdu, le référendum s’est tenu et la révision a eu lieu. D’où vient l’idée que cette jurisprudence pourrait servir de précédent pour empêcher la présidence de la République de réviser la constitution par l’article 11 ?</p>
<p>L’alinéa 3 de l’article 11 consacre depuis 2008 le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004">référendum d’initiative partagée</a> et confère au Conseil constitutionnel le pouvoir de contrôler le contenu de la proposition de loi proposée par un cinquième des parlementaires et soutenue par un dixième des électeurs.</p>
<p>En particulier, le Conseil constitutionnel est habilité par une <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/fondements-textuels/referendum-d-initiative-partagee-les-textes-legislatifs">loi organique</a> à vérifier que l’objet de la proposition de loi entre bien dans le domaine délimité par l’article 11 et surtout qu’elle n’est pas contraire à la Constitution.</p>
<p>Une révision constitutionnelle ne pouvant être que contraire à la Constitution, elle sortirait immédiatement du champ d’application de cet article.</p>
<h2>L’autonomie du Conseil constitutionnel pose question</h2>
<p>Cette habilitation du Conseil à contrôler l’objet d’un référendum d’initiative partagée pourrait-elle, par une sorte d’analogie, fonder un pouvoir de contrôle de l’objet des référendums d’initiative présidentielle ? Si le Conseil constitutionnel le voulait vraiment, peut-être ; mais au prix d’un redoutable bras de fer avec la présidence de la République mettant en jeu la légitimité déjà fragile de cette institution.</p>
<p>On se souvient des <a href="https://blog.juspoliticum.com/2022/02/23/le-cru-2022-des-nominations-au-conseil-constitutionnel-en-dessous-du-mediocre-par-patrick-wachsmann/">débats</a> autour des trois dernières nominations au Conseil. Le Conseil constitutionnel est en effet composé de neuf membres nommés pour un tiers par le p`résident de la République, un tiers par le président du Sénat et un tiers par le président de l’Assemblée nationale.</p>
<p>Le choix portant le plus souvent sur des femmes et hommes politiques plutôt que sur des experts de droit constitutionnel, la compétence constitutionnelle et par conséquent l’autonomie de cet organe vis-à-vis du pouvoir politique posent question.</p>
<p>Il faudrait en effet beaucoup d’autorité à ses membres pour se doter d’un pouvoir de contrôle de l’objet du référendum d’initiative présidentielle que le texte de la constitution ne lui attribue pas. Il en faudrait doublement pour s’opposer à la volonté de la présidence de la République, le référendum de l’alinéa 1 étant précisément conçu pour ne dépendre que de la volonté présidentielle.</p>
<p>L’absence de contrôle de constitutionnalité du texte soumis au référendum par le président contraste donc opportunément avec le contrôle prévu pour un texte proposé par des parlementaires. Cette différence marque le souci de préserver le pouvoir discrétionnaire du chef de l’État et, par là même, la cohérence du texte de la constitution qui a voulu, par l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">article 19</a>, dispenser l’initiative présidentielle du référendum de toute ingérence.</p>
<p>Il n’y a donc pas de garantie quant à l’étendue du contrôle que le Conseil est susceptible d’exercer. Car même s’il ne fait pas de doute que le rôle du Conseil constitutionnel a évolué depuis 1962, notamment du point de vue de la garantie des droits et libertés avec la jurisprudence de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1971/7144DC.htm">1971</a> (dans laquelle le Conseil constitutionnel élargit le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/275483-quest-ce-que-le-bloc-de-constitutionnalite">bloc de constitutionnalité</a> aux droits fondamentaux) et en 2008 avec la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/la-qpc">question prioritaire de constitutionnalité</a>, rien n’indique qu’il changerait aujourd’hui sa position de 1962, qui fut de refuser de contrôler les lois référendaires.</p>
<p>Une constitution n’est que le reflet de la volonté des personnes et des institutions chargées de l’interpréter et de l’appliquer. Comme de Gaulle le disait après avoir présenté le contenu de la constitution de 1958, le <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00020/discours-place-de-la-republique.html">« reste, c’est l’affaire des hommes »</a>.</p>
<p>Il s’agit d’un texte juridique, certes fondamental, mais qui ne protège par lui-même ni les droits et les libertés, ni l’équilibre entre les pouvoirs. Aussi, avant de confier à ces personnes le droit d’en disposer, mieux vaut-il bien y réfléchir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Girard est membre du Think tank "Intérêt général. La fabrique de l'alternative"</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eleonora Bottini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si elle est élue, Marine Le Pen souhaite contourner le Parlement en recourant au référendum. Notre constitution le permet plus qu’on ne le croit si on considère la pratique passée des présidents.Charlotte Girard, Maîtresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresEleonora Bottini, Professeure de droit public, Directrice de l'Institut caennais de recherche juridique, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801602022-04-05T18:46:04Z2022-04-05T18:46:04ZChanger de constitution pour changer de régime ?<p>Contrairement à ce que pourrait laisser penser une observation rapide du débat public à l’occasion de la prochaine élection présidentielle, la question du passage à une nouvelle République <a href="https://theconversation.com/debat-sortir-de-la-v-republique-une-fausse-bonne-idee-175162">n’est ni récente</a>, ni l’apanage de certains candidats à la fonction suprême.</p>
<p>Dès les premières années de la V<sup>e</sup> République, le « coup d’État permanent » que permettait le nouveau régime fut dénoncé par un certain… <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Coup_d%27%C3%89tat_permanent">François Mitterrand</a>. Et si ce dernier s’est finalement coulé à merveille dans des institutions autrefois honnies, nombreux sont aujourd’hui les <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-la-6e-republique-pourquoi-comment-de-bastien-francois">chercheurs</a>, mais aussi les <a href="https://www.pouruneconstituante.fr/">mouvements citoyens</a>, qui en appellent à un changement de constitution, sans parler des candidatures qui font cette proposition à chaque élection présidentielle.</p>
<p>Dans une société démocratique, les textes constitutionnels visent à encadrer l’action du pouvoir de sorte à garantir qu’il s’exerce conformément à la volonté du peuple souverain. Cela passe en France, en particulier, par le respect par les gouvernants des droits fondamentaux et par l’interdiction de concentrer le pouvoir dans les mains d’un seul, comme le rappelle la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000697056/2022-03-23/">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » </p>
</blockquote>
<p>C’est donc moins à sa capacité à assurer la stabilité du régime, qu’à la façon dont elle garantit – ou non – la représentativité des institutions qu’il faut juger une Constitution.</p>
<p>Et, de ce point de vue, le texte actuel ne remplit pas véritablement sa fonction. Quand, scrutin après scrutin, le <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1255">taux de participation électorale</a> ne cesse de <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">s’effriter</a>, quand la composition sociale de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais également, de plus en plus, de leurs électeurs, ne reflète qu’une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/origines-elections">minorité de la société française</a> – l’Assemblée nationale ne compte que 4,6 % d’employés et aucun ouvrier alors que ces catégories socio-professionnelles sont majoritaires) – quand la révolte des classes populaires « en gilets jaunes » de l’hiver 2018 tourne aussi rapidement à la confrontation violente, que reste-t-il de la représentativité des gouvernants ?</p>
<p>Certes, la constitution actuelle ne saurait être la seule explication à cette crise institutionnelle. Mais en raison de sa fonction d’organisation de l’exercice du pouvoir d’État, elle en est nécessairement l’une des plus déterminantes.</p>
<h2>Une centralisation du pouvoir toujours plus forte</h2>
<p>Depuis 1958, la constitution organise invariablement une centralisation du pouvoir largement fondée sur l’hégémonie du pouvoir exécutif au sein de l’appareil d’État. Il n’est qu’à rapprocher la liste des pouvoirs que le Président peut actionner sans autorisation prévue à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">l’article 19</a> de la constitution et l’irresponsabilité qui caractérise son statut à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">l’article 67</a> de la même constitution.</p>
<p>Pourtant, la volonté de maintenir un régime dans lequel le gouvernement devait avoir les moyens de sa politique aurait dû en principe réserver au parlement une place de choix pour partager la fonction législative avec un gouvernement responsable devant lui. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire">Moins de la moitié des lois adoptées sont d’origine parlementaire</a> alors que les propositions de loi sont beaucoup plus nombreuses que les projets de loi d’origine gouvernementale.</p>
<p>Mais toute une série de dispositifs constitutionnels accumulés au cours de la longue existence du régime ont donné à ce dernier une légitimité passant désormais exclusivement par le président de la République, quitte à enjamber le pouvoir législatif. On pense ainsi à l’abandon de l’investiture obligatoire des gouvernements, le pouvoir de révocation du gouvernement par le président, le fait majoritaire renforcé par le quinquennat et l’inversion du calendrier rendant fictive la responsabilité gouvernementale et improbable une nouvelle cohabitation.</p>
<p>Le gouvernement, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, étant à l’initiative de l’écrasante majorité des projets de lois et maître de l’ordre du jour des assemblées, il dispose de tous les moyens de contrôler le travail parlementaire et de faire voter les textes qu’il souhaite, y compris en brusquant les débats en séance publique. On rappellera la tentative de coup de force du gouvernement Édouard Philippe à la veille de la crise sanitaire pour faire passer la réforme des retraites par <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/273878-edouard-philippe-29022020-recours-article-49-3-reforme-des-retraites">l’article 49-3 forçant l’adoption sans débat du projet gouvernemental</a>.</p>
<p>Le gouvernement a aussi la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/l-exercice-du-droit-d-amendement-et-annexe">possibilité de limiter</a> voire d’interdire le dépôt d’amendements, de demander une seconde délibération, jusqu’à l’engagement de sa responsabilité sur le vote d’une loi, les moyens de pressions sur les députés et sénateurs sont nombreux et variés.</p>
<p>S’y ajoutent un mode de scrutin très majoritaire et une opportune <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000404920/">« inversion du calendrier »</a> qui a consolidé la subordination de la majorité parlementaire au pouvoir exécutif. Ainsi dépossédé de l’essentiel de sa fonction, le parlement ne peut plus être le lieu privilégié du débat public sur les grandes orientations politiques de la Nation, un lieu où s’exprimerait une réelle diversité de points de vue.</p>
<h2>Le pouvoir judiciaire, « simple autorité »</h2>
<p>La situation du pouvoir judiciaire n’est guère plus enviable. Ravalé au rang de simple « autorité » <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">dans les termes de la constitution elle-même</a>, il n’est pas suffisamment à l’abri de l’influence du gouvernement, qui conserve la main sur les nominations des magistrats – ses propositions ne sont soumises à l’avis conforme du conseil supérieur de la magistrature que pour les juges et non les procureurs, qui ne peuvent dès lors prétendre à la qualification d’autorité indépendante au sens <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/affaire-moulin-contre-france-parquet-dans-tourmente">du droit européen</a> – et, surtout, les moyens des juridictions. Or le degré d’indépendance de la Justice conditionne directement l’effectivité des droits et libertés des citoyens.</p>
<p>Mais cette subordination des pouvoirs législatif et judiciaire serait impossible sans la domination exclusive du pouvoir présidentiel que permet le texte constitutionnel. Une domination garantie par une panoplie de mesures visant à définir un privilège présidentiel que la personnalisation du pouvoir n’a cessé d’amplifier.</p>
<h2>Un chef de l’État « irresponsable en tout »</h2>
<p>D’abord, le président de la République concentre en sa personne un nombre de prérogatives sans commune mesure avec ce qui se pratique dans les autres États européens dont la plupart relèvent d’une tradition parlementaire, mais, également, outre-Atlantique, où le régime présidentiel oblige toujours le chef de l’exécutif à composer avec les autres pouvoirs. Le locataire de l’Élysée, lui, est non seulement le chef de l’État, supposé garant des institutions, mais aussi le chef du gouvernement, dont il nomme et révoque discrétionnairement les membres.</p>
<p>Irresponsable en tout, en ce sens <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">qu’il n’a de comptes à rendre à aucun autre pouvoir</a> et notamment devant le Parlement, puisqu’il a le pouvoir de le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527474">dissoudre</a> à sa guise.</p>
<p>L’article 16 de la Constitution lui donne en outre la possibilité de s’arroger les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241008">pleins pouvoirs</a> s’il estime – seul – que sont menacées « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ». D’autres prérogatives pour lesquelles le chef de l’État n’a aucune autorisation à demander sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">énumérées</a> dans la constitution qui toutes tendent à un exercice vertical et autoritaire du pouvoir, ce d’autant plus que depuis l’inscription dans la constitution de la désignation du président au suffrage universel direct en 1962, sa légitimité est réputée incontestable.</p>
<h2>Un pouvoir littéralement illimité</h2>
<p>Rien ne s’oppose donc plus à ce qu’il puisse faire un usage effectif de ces prérogatives, qui lui confèrent un pouvoir littéralement illimité puisqu’il s’exerce sans que puissent s’y opposer ni les autres pouvoirs ou autorités constitués. Ainsi la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19425-la-procedure-de-destitution-du-president-de-la-republique">destitution</a> serait la seule option, mais elle demeure d’usage assez improbable.</p>
<p>Ni le pouvoir législatif ou judiciaire, ni le peuple lui-même, à l’occasion d’une élection intermédiaire défavorable ou d’un référendum négatif, exceptée l’unique occurrence de 1969, quand le peuple s’est opposé à la révision constitutionnelle proposée par le Général de Gaulle. Le référendum auquel cette révision du Sénat et des régions a donné lieu ayant été négatif, le Général de Gaulle en tiré les conséquences et a démissionné de ses fonctions.</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Démission du général de Gaulle, YouTube/INA.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est le lot d’un chef juridiquement irresponsable, mais doté des pouvoirs les plus puissants. Tout dans le texte de la constitution concourt donc à en faire un dirigeant sans partage, contrairement à l’idée que l’on peut se faire d’un régime démocratique où le peuple demeure souverain même entre deux élections présidentielles et où les autres pouvoirs jouent, parce qu’ils sont distincts du pouvoir exécutif, leur rôle de contrepoids.</p>
<h2>L’hégémonie de l’État central</h2>
<p>Enfin, le texte constitutionnel organise aujourd’hui une très large centralisation du pouvoir qui, en tant que telle, rend difficile l’expression des opinions divergeant de celles des classes dirigeantes. Cette centralisation se fonde d’abord sur l’hégémonie de l’État central sur toutes les autres institutions publiques.</p>
<p>En dépit des réformes intervenues depuis 1982, et de la consécration formelle du principe de leur « libre administration », les collectivités locales n’ont qu’un pouvoir d’influence très limité dès lors que leurs dotations restent presqu’entièrement décidées par Bercy.</p>
<p>Sur fond d’austérité budgétaire persistante, la décentralisation s’est ainsi régulièrement traduite par le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2009/12/BONELLI/18585">recul des services publics qui leur étaient confiés</a>, ce qui n’est certes pas de nature à rapprocher les citoyens des autorités… Il en est de même pour d’autres organismes publics censément indépendants et officiellement investis d’une fonction de contre-pouvoir, mais qui, à l’image de l’Université ou de la Justice, ne sont pas dotés des moyens à la hauteur de leurs missions.</p>
<p>C’est dire si, d’un point de vue démocratique, les raisons pour modifier profondément la constitution et changer de régime ne manquent pas, que l’on en appelle ou non à une « VIᵉ République ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Girard est membre du Think tank "Intérêt général. La fabrique de l'alternative" </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La constitution actuelle ne saurait être la seule explication à la crise institutionnelle que traverse la France, mais elle en est l’une des plus déterminantes.Charlotte Girard, Maîtresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresVincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1732812021-12-13T18:30:35Z2021-12-13T18:30:35ZPolitisation de la Cour suprême : la démocratie américaine en péril ?<p>La Cour suprême des États-Unis serait en passe d’annuler <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/410/113/">l’arrêt <em>Roe v. Wade</em></a> de 1973 qui garantit le droit à l’avortement au niveau fédéral, selon l’avant-projet de la décision majoritaire écrite par le juge conservateur Samuel Alito qui a fuité et a été <a href="https://www.politico.com/news/2022/05/02/supreme-court-abortion-draft-opinion-00029473">publié sur le site <em>Politico</em></a>. S’il s’agit d’une version provisoire, son authenticité a été <a href="https://www.politico.com/news/2022/05/03/chief-justice-roberts-draft-abortion-opinion-00029593">confirmée par le président de la Cour</a> et l’émoi est considérable.</p>
<p>Cette remise en cause de près d’un demi-siècle de jurisprudence est le fruit de <a href="https://www.washingtonpost.com/news/made-by-history/wp/2018/01/22/how-abortion-became-the-single-most-important-litmus-test-in-american-politics/">décennies de batailles du parti républicain</a>, motivé notamment par son électorat conservateur catholique et évangélique. C’est à Donald Trump que ces électeurs devront leur victoire puisque c’est sous sa présidence et grâce à la nomination de trois juges conservateurs que la Cour a perdu sa majorité progressiste (rappelons que les juges de la Cour suprême sont nommés à vie par le président et confirmés par un vote au sénat).</p>
<p>Premier effet le plus visible : entre <a href="https://www.politico.com/news/2022/05/03/bortion-statistics-by-state-map-00029740">23</a> et <a href="https://www.guttmacher.org/article/2021/10/26-states-are-certain-or-likely-ban-abortion-without-roe-heres-which-ones-and-why">26 États sur 50</a> seraient susceptibles d’interdire l’avortement et seuls <a href="https://www.politico.com/news/2022/05/03/bortion-statistics-by-state-map-00029740">16 États</a> protégeraient légalement ce droit. Mais cette décision pourrait avoir bien d’autres conséquences sociales, juridiques et politiques.</p>
<h2>La « règle du précédent » mise à mal</h2>
<p>L’une des questions au cœur de la bataille juridique est la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_du_pr%C3%A9c%C3%A9dent">« règle du précédent »</a> (<em>stare decisis</em>), laquelle veut que les arrêts précédents fassent jurisprudence. Une règle qui permet la stabilité du droit dans les pays de <em>common law</em>.</p>
<p>Bien entendu, la Cour suprême a annulé des dizaines de précédents par le passé, comme l’arrêt <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Brown_v._Board_of_Education"><em>Brown v. Board of Education,</em></a> (1955) qui invalidait la décision <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plessy_v._Ferguson"><em>Plessy v. Ferguson</em></a> (1896), pierre angulaire des lois ségrégatives des États du Sud.</p>
<p>Renverser un précédent est cependant extrêmement rare : ce fut le cas d’à peine <a href="https://theconversation.com/the-supreme-court-has-overturned-precedent-dozens-of-times-in-the-past-60-years-including-when-it-struck-down-legal-segregation-168052">0,5 % des arrêts de la Cour suprême depuis 1789</a> et ces renversements ont généralement été motivés par le fait que la loi est « inapplicable ou n’est plus viable, » notamment en raison de « changements des conditions sociales ». Même quand un droit n’est pas spécifiquement mentionné dans la Constitution, c’est son caractère “profondément enraciné dans l’histoire et la tradition de cette nation” qui en fait un droit garanti par le quatorzième amendement.</p>
<p>Or c’est précisément cet « enracinement profond » que conteste le juge conservateur Samuel Alito dans son avant-projet de décision. Pourtant, en 1992, tout en modifiant considérablement le droit à l’avortement, l’arrêt <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Planned_Parenthood_v._Casey"><em>Casey</em></a> notait précisément la valeur de précédent de <em>Roe v. Wade</em>, arguant que « la vie des femmes a été changée par cette décision », s’appuyant sur « le besoin de prévisibilité et de cohérence dans la prise de décision judiciaire », et le fait que « la Cour manquerait de légitimité si elle changeait fréquemment ses décisions constitutionnelles ».</p>
<p>Cette décision pourrait donc à terme remettre en cause un ensemble de droits comme l’accès à la contraception ou au mariage pour tous, d’autant que l’arrêt Roe v. Wade s’appuie sur le droit à la vie privée, et non sur celui de l’égalité sexuelle, comme le <a href="https://www.law.nyu.edu/sites/default/files/ECM_PRO_059254.pdf">déplorait</a> la très progressiste juge Ruth Ginsburg. Même si le juge Alito insiste que cette décision ne concerne que l’avortement qui, selon lui, seule implique « une question morale critique » liée à la « vie potentielle » d’un « être humain non né, » les <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/05/alito-leaked-roe-opinion-abortion-supreme-court-civil-rights/629748/">spécialistes du droit sont inquiets</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">États-Unis : la Cour suprême, une institution qui façonne la société américaine (France 24, 24 septembre 2020).</span></figcaption>
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<h2>Contre l’opinion publique ?</h2>
<p>Une large majorité des Américains est en faveur de l’avortement dans la plupart des cas.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/437257/original/file-20211213-23-ac11mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437257/original/file-20211213-23-ac11mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=493&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437257/original/file-20211213-23-ac11mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=493&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437257/original/file-20211213-23-ac11mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=493&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437257/original/file-20211213-23-ac11mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=620&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437257/original/file-20211213-23-ac11mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=620&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437257/original/file-20211213-23-ac11mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=620&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pourcentage d’Américains favorables (en marron foncé) ou défavorables (en beige) à ce que l’avortement soit légal, de 1995 à 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pew Research Center</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans surprise, on note toutefois une ligne de fracture qui <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/06/17/key-facts-about-the-abortion-debate-in-america/">s’est creusée ces dernières années</a> entre une droite toujours majoritairement contre et une gauche de plus en plus en faveur de l’IVG.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/437260/original/file-20211213-13-otpy5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437260/original/file-20211213-13-otpy5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437260/original/file-20211213-13-otpy5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437260/original/file-20211213-13-otpy5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437260/original/file-20211213-13-otpy5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437260/original/file-20211213-13-otpy5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437260/original/file-20211213-13-otpy5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Part de la population considérant que l’avortement devrait être légal en fonction de l’appartenance politique (Démocrate ou approchant en bleu et Républicain ou approchant en rouge).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pew Research Center</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parallèlement, comme le montre un <a href="https://news.gallup.com/poll/354908/approval-supreme-court-down-new-low.aspx">sondage Gallup</a>, un nombre croissant d’Américains considère que la Cour est trop conservatrice, et seuls 40 % des habitants du pays approuvent son action de la Cour, ce qui représente « l’opinion la plus mauvaise que l’institut ait mesurée dans ses sondages sur la Cour dans les deux dernières décennies ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436626/original/file-20211209-138695-3999lo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436626/original/file-20211209-138695-3999lo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436626/original/file-20211209-138695-3999lo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436626/original/file-20211209-138695-3999lo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436626/original/file-20211209-138695-3999lo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436626/original/file-20211209-138695-3999lo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436626/original/file-20211209-138695-3999lo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Confiance dans les institutions judiciaires du pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallup</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plus grave encore, selon un <a href="https://poll.qu.edu/poll-release?releaseid=3828">sondage de Quinnipiac</a>, une majorité d’Américains de tous bords politiques estime que la Cour est principalement motivée par des questions partisanes.</p>
<h2>Le résultat d’une stratégie politique</h2>
<p>Si, comme le rappelle le le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Juge_en_chef_des_%C3%89tats-Unis">président de la Cour, John Roberts</a>, la Cour ne peut pas baser ses décisions sur le fait que celles-ci soient populaires, son autorité repose néanmoins sur une légitimité liée au fait que le public perçoit ses décisions comme émanant du respect des principes du droit et non des prises de position politiques et partisanes qui guident les juges.</p>
<p>Non seulement le sujet du droit à l’avortement aux États-Unis est éminemment politique, mais la confirmation des juges les plus conservateurs s’est faite essentiellement autour de cette question sur des lignes partisanes. Elle est le fruit d’une stratégie au long cours des Républicains, qui n’ont pas hésité à mettre à mal les normes démocratiques du fonctionnement des institutions dans le but de <a href="https://www.pbs.org/wgbh/frontline/article/how-mcconnell-and-the-senate-helped-trump-set-records-in-appointing-judges/">politiser tout l’appareil judiciaire</a>.</p>
<p>Ainsi, en 2016, le leader de la majorité (républicaine) au Sénat, Mitch McConnell, a refusé d’organiser un vote du Sénat sur la candidature à la Cour suprême, présentée par le président Obama, du progressiste Merrick Garland pour remplacer Antonin Scalia, décédé en février 2016. Prétexte invoqué par McConnell : 2016 était une année d’élection présidentielle. Ce qui n’empêchera pas ce même McConnell de procéder au vote de la <a href="https://www.nytimes.com/live/2020/10/26/us/trump-biden-election">confirmation de la candidate du président Trump, Amy Coney Barrett, en 2020</a>, également durant une année d’élection.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui est Amy Coney Barrett, la juge choisie par Trump ? C dans l’air, 15 octobre 2020.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Une majorité de juges « minoritaires »</h2>
<p>On peut s’interroger sur le fait que trois des juges conservateurs de la Cour – Gorsuch, Kavanaugh et Coney Barrett – ont été nommés par un président qui a obtenu quelque <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/11/24/clinton-trump-cinq-questions-sur-l-incroyable-ecart-de-2-millions-de-voix_5037467_4355770.html">3 millions de voix de moins que son adversaire</a>.</p>
<p>Qui plus est, ces juges sont <a href="https://scholarship.kentlaw.iit.edu/cklawreview/vol93/iss2/4/">doublement « minoritaires »</a>, puisqu’ils ont été confirmés par une majorité au Sénat (en termes de sièges) qui représente en fait une minorité d’électeurs en termes de voix.</p>
<p>En effet, comme il y a deux sénateurs par État quelle que soit sa population (Article I, Section 3 de la Constitution), les États les moins peuplés, les plus ruraux et généralement les plus républicains, sont surreprésentés par rapport aux États plus peuplés, urbains, et principalement démocrates. Ainsi, la Californie (démocrate), presque 40 millions d’habitants, a deux sénateurs, tout comme le Wyoming (républicain), avec moins de 600 000 habitants. Cette tendance s’est accentuée au cours des dernières années : en 1980, l’électeur républicain moyen avait 6 % de pouvoir en plus au Sénat que l’électeur démocrate moyen, <a href="https://www.vox.com/21456620/supreme-court-scotus-undemocratic-milestone-minority-rule">contre 14 % aujourd’hui</a>.</p>
<p>Ce différentiel n’est pas négligeable : il a été de 15 millions d’électeurs pour la confirmation d’Amy Coney Barrett, et d’environ <a href="https://scholarship.kentlaw.iit.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=4206&context=cklawreview">22 millions pour celles de Gorsuch</a> et Kavanaugh, les deux premiers juges de la Cour suprême à avoir été nommés sous Donald Trump.</p>
<p>Il s’agit là d’un <a href="https://scholarship.kentlaw.iit.edu/cklawreview/vol93/iss2/4/">phénomène récent</a>, dont la première occurrence remonte à 1991, avec la nomination de Clarence Thomas, <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/courts_law/clarence-thomas-abortion/2021/11/27/31f3c960-4c76-11ec-b0b0-766bbbe79347_story.html">ouvertement opposé à Roe v. Wade</a>.</p>
<p>En fait, sur les six juges conservateurs de la Cour suprême, les cinq qui sont les plus susceptibles de remettre en cause Roe v. Wade sont des « juges minoritaires », comme on le voit sur le graphique suivant (en gris le vote positif de confirmation par nombre, et en noir le vote négatif).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436628/original/file-20211209-140109-1jlrnmi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436628/original/file-20211209-140109-1jlrnmi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436628/original/file-20211209-140109-1jlrnmi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436628/original/file-20211209-140109-1jlrnmi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436628/original/file-20211209-140109-1jlrnmi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436628/original/file-20211209-140109-1jlrnmi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436628/original/file-20211209-140109-1jlrnmi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Juges de la cour suprême.</span>
<span class="attribution"><span class="source">US Senate</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’enjeu de la survie de la Cour et de la démocratie</h2>
<p>En qualifiant <em>Roe v. Wade</em> d’« abus de l’autorité judiciaire », « manifestement erronée dès le départ » qui a « court-circuité le processus démocratique », le juge Samuel Alito reprend un vieil adage des conservateurs fondamentalement méfiants du pouvoir fédéral. Tout en soulignant ne pas porter un jugement de fond sur la légalité de l’avortement, il renvoie aux élus des États et à la souveraineté démocratique.</p>
<p>Remarquant que les États adoptaient des lois sur l’avortement de plus en plus restrictives, explicitement inspirées par la nouvelle majorité conservatrice de la Cour, la <a href="https://www.supremecourt.gov/oral_arguments/argument_transcripts/2021/19-1392_gfbi.pdf">juge Sotomayor</a> s’est inquiétée de savoir si « … cette institution survivra à l’odeur nauséabonde que crée dans la perception publique l’idée que la Constitution et sa lecture ne sont que des actes politiques. […] Si les gens croient vraiment que tout est politique, comment survivrons-nous ? Comment la Cour va-t-elle survivre ? »</p>
<p>À long terme, la question de la légitimité de la Cour va bien au-delà de la question du droit à l’avortement, ou de la protection des minorités par le droit. N’oublions pas que, lors de l’élection présidentielle de 2000, c’est la majorité conservatrice de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bush_v._Gore">Cour suprême qui a donné la victoire à G.W. Bush</a>, en arrêtant le recomptage des voix en Floride.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-reformes-electorales-menacent-elles-la-democratie-des-etats-unis-159077">Les réformes électorales menacent-elles la démocratie des États-Unis ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Plus récemment, en 2019, les juges conservateurs ont décidé que les tribunaux fédéraux n’ont <a href="https://www.nytimes.com/2019/06/27/us/politics/supreme-court-gerrymandering.html">pas le pouvoir d’entendre les contestations</a> relatives au redécoupage électoral partisan (<a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/11/01/elections-americaines-comment-le-decoupage-electoral-partisan-influe-sur-l-election-des-representants_6058106_4355770.html">gerrymandering</a>).</p>
<p>Souvenons-nous, enfin, que Donald Trump et une <a href="https://www.reuters.com/world/us/53-republicans-view-trump-true-us-president-reutersipsos-2021-05-24/">majorité de Républicains</a> continuent de clamer que l’élection de 2020 leur a été volée, et que Joe Biden est un président illégitime.</p>
<p>Que se passerait-il si, la prochaine fois, non seulement le candidat à la présidentielle rejette le verdict des urnes, et qu’en plus un État clé dominé par son parti refuse de valider les résultats ? Comment, alors, une Cour suprême délégitimée pourrait-elle régler la crise constitutionnelle qui s’en suivrait ?</p>
<p>À plus court terme, la question du droit à l’avortement devrait être un enjeu des élections de mi-mandat en novembre prochain. Les démocrates espèrent en tout cas que cela permettra de faire passer au second plan la question de l’inflation, de <a href="https://rollcall.com/2022/05/03/democrats-see-midterm-election-boost-from-abortion-ruling-leak/">mobiliser leur électorat</a>, voire les électeurs indépendants et de limiter ainsi un échec annoncé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour suprême, actuellement au cœur du débat sur le droit à l’avortement aux États-Unis, est extrêmement politisée depuis la nomination de trois juges conservateurs sous Donald Trump.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1708952021-11-09T22:36:58Z2021-11-09T22:36:58ZAngela Merkel, encore chancelière à Noël ?<p>Les élections générales allemandes ont eu lieu le 26 septembre, il y a près d’un mois et demi. Combien de temps encore faudra-t-il attendre avant la mise en place du gouvernement fédéral formé sur la base du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/27/elections-en-allemagne-un-paysage-politique-emiette-des-extremes-contenus-et-une-victoire-disputee-entre-cdu-et-spd_6096136_3210.html">résultat de ce scrutin</a> ?</p>
<p>Au vu de l’atomisation de l’échiquier politique, et malgré <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/discrets-adieux-d-angela-merkel-bundestag-248212">ses adieux au Bundestag</a> en juin, il se peut qu’Angela Merkel, en poste depuis 2005, se maintienne encore quelques mois à la chancellerie, car elle doit expédier les affaires courantes dans l’attente de l’élection d’un successeur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quattendre-dune-allemagne-dirigee-par-une-coalition-spd-verts-fdp-169803">Qu’attendre d’une Allemagne dirigée par une coalition SPD-Verts-FDP ?</a>
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<h2>Une dispersion des votes encore jamais vue</h2>
<p>Marquée par un taux de participation de 76,6 %, l’élection de septembre dernier a confirmé le regain de popularité du Parti social-démocrate d’Allemagne <a href="https://www.deutschland.de/fr/topic/politique/le-spd-les-partis-au-bundestag-allemand">(SPD)</a>, arrivé en tête avec 25,7 % des voix, soit 5,2 points de plus qu’aux législatives précédentes, en 2017. L’image de sérieux de sa tête d’affiche, l’ancien vice-chancelier et ministre des Finances de la « Grande coalition » sortante, <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/en-vue/olaf-scholz-un-pragmatique-allemand-1343720">Olaf Scholz</a>, a séduit les électeurs.</p>
<p>De son côté, l’Union <a href="https://www.deutschland.de/fr/la-cducsu-les-partis-au-bundestag-allemand">CDU-CSU</a> enregistre un sévère recul, ne réunissant que 24,1 % des suffrages exprimés, soit une baisse de 8,9 points, imputable pour partie aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20210719-inondations-en-allemagne-le-rire-du-candidat-conservateur-armin-laschet-passe-mal">maladresses de son chef de file Armin Laschet</a> lors des inondations de juillet 2021. Outre-Rhin, les intempéries <a href="https://www.liberation.fr/planete/2002/08/21/gerhard-schroder-surfe-sur-les-crues_413073/">jouent régulièrement</a> un rôle majeur dans la vie politique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le rire d’Armin Laschet durant un hommage aux victimes des inondations de septembre en Allemagne lui aura peut-être coûté l’élection.</span></figcaption>
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<p>C’est la première fois depuis la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/256">fondation de la République fédérale d’Allemagne en 1949</a> que la démocratie chrétienne passe sous la barre des 30 %. C’est également la première fois que le SPD et la CDU/CSU ne parviennent pas à rassembler à eux deux au moins la moitié du corps électoral. Toutefois, leur déclin dans les urnes s’est en réalité amorcé dès les années 1980 et a affecté le SPD de façon à la fois plus brutale et précoce que la CDU.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-allemagne-le-declin-des-anciens-partis-pousse-angela-merkel-vers-la-sortie-105876">En Allemagne, le déclin des « anciens » partis pousse Angela Merkel vers la sortie</a>
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<p>Les <a href="https://www.deutschland.de/fr/topic/politique/les-verts-les-partis-au-bundestag-allemand">Verts</a>, un temps <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pour-la-succession-de-merkel-les-verts-allemands-en-tete-dun-sondage_fr_607f24b7e4b063a636fd2bd1">donnés favoris</a> par les instituts de sondage grâce à la personnalité de leur candidate <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/annalena-baerbock-une-feministe-pour-prendre-la-suite-d-angela-merkel-en-allemagne-405384">Annalena Baerbock</a>, ont finalement obtenu 14,8 % des voix. Un record certes, mais un résultat en demi-teinte : ils espéraient bien davantage.</p>
<p>Le Parti libéral-démocrate <a href="https://www.deutschland.de/fr/topic/politique/die-fdp-les-partis-au-bundestag-allemand">(FDP)</a>, pour sa part, se maintient à un haut niveau en récoltant 11,5 % des suffrages (après ses 10,7 % de 2017), tandis qu’Alternative pour l’Allemagne <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_alternative_fur_deutschland_afd_un_parti_dextreme_droite_.pdf">(AfD, classée à l’extrême droite)</a> régresse légèrement, à 10,3 % (contre 12,6 % il y a quatre ans).</p>
<p>Cet émiettement de la représentation tend à rendre nécessaire une coalition à trois partis – sauf si, comme cela semble aujourd’hui peu probable, une « <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-mot-du-jour-groko-la-grosse-koalition"><em>große Koalition</em></a> », c’est-à-dire une coalition regroupant la CDU et le SPD, voit le jour.</p>
<p>Quel que soit le cas de figure, les négociations devraient être longues, puisque les partis allemands ayant vocation à gouverner ont pour tradition de négocier longuement avant de conclure des accords de coalition (il a fallu <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=2589">plusieurs mois de négociation</a> pour cela après les législatives de 2017), afin d’organiser les modalités concrètes de leur coopération parlementaire et ministérielle.</p>
<h2>Vers une coalition à trois partis ?</h2>
<p>L’accentuation de la <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/allemagne-une-annee-electorale-a-hauts-risques/">fragmentation</a>, tant politique que spatiale, ressort des résultats électoraux.</p>
<p><a href="https://aoc.media/analyse/2021/09/09/lallemagne-post-merkel-ou-la-fin-annoncee-de-lere-des-deux-grands-partis-de-masse/">Cela se traduit de deux manières</a> : d’une part, certaines classes populaires et personnes en situation de dénuement, guère prises en compte dans le débat politique, votent pour les extrêmes ou bien s’abstiennent ; d’autre part, les classes moyennes aisées et citadines sont représentées par quatre partis d’orientation libérale répartis en deux binômes en vue de dominer le centre de l’échiquier politique. Le SPD et les Verts occupent le centre-gauche, tandis que la CDU-CSU et le FDP renvoient au centre-droit.</p>
<p>En raison de cette atomisation grandissante du paysage électoral, la future coalition associera probablement trois partis. Il s’agit là d’une évolution majeure.</p>
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<figcaption><span class="caption">Législatives en Allemagne : comment va se former la coalition ? (France 24, 27 septembre 2021).</span></figcaption>
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<p>Depuis la fin des années 1950, les coalitions au niveau fédéral <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2008-3-page-143.htm?contenu=plan">comportaient toujours deux partenaires</a>, l’un des deux <a href="https://www.lemondepolitique.fr/cours/partis/types_de_partis.html">partis de masse</a> (Seniorpartei) gouvernant classiquement avec un partenaire moins important numériquement (Juniorpartner).</p>
<p>Désormais, ce « bloc bourgeois », majoritairement aisé et urbain mais aux valeurs et intérêts divergents, sera certainement incarné par trois formations politiques.</p>
<p>Cela a pour effet d’ériger les Verts, le FDP et, à un degré bien moindre, le parti de gauche <a href="https://www.deutschland.de/fr/topic/politique/la-gauche-les-partis-au-bundestag-allemand">Die Linke</a> (4,89 % des suffrages en 2021, soit quasiment deux fois moins qu’en 2017) en véritables « faiseurs de roi ». Aussi, cette fragmentation de la représentation parlementaire ira de pair avec une complexification du processus de constitution d’une majorité à même de soutenir le gouvernement fédéral.</p>
<h2>Pourquoi la formation d’un gouvernement prendra-t-elle davantage de temps qu’en France ?</h2>
<p>La <a href="https://www.bundestag.de/resource/blob/189762/f0568757877611b2e434039d29a1a822/loi_fondamentale-data.pdf">Loi fondamentale</a> prévoit en son article 63 une procédure très rationalisée, selon laquelle le chancelier fédéral est élu sans débat, à la majorité de ses membres, par le Bundestag, sur proposition du président fédéral. Dans ce cas de figure, le chef de l’État doit nommer l’impétrant. Mais si le candidat proposé n’obtient pas cette majorité absolue des membres, ce qui ne s’est encore jamais passé, alors le Bundestag peut élire de son propre chef un chancelier fédéral à la majorité de ses membres dans les 14 jours.</p>
<p>À défaut d’élection dans ce délai, il est procédé immédiatement à un nouveau tour de scrutin, à l’issue duquel est élu celui qui obtient le plus grand nombre de voix. Si l’élu réunit sur son nom les voix de la majorité des membres du Bundestag, le président fédéral doit le nommer dans les sept jours qui suivent l’élection. Si l’élu n’atteint pas cette majorité, le président fédéral doit, soit le nommer dans les sept jours, soit dissoudre le Bundestag.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les élections en Allemagne « pour les Nuls » (TV5 Monde, 26 septembre 2021).</span></figcaption>
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<p>La vocation de cette procédure très strictement codifiée dans la Loi fondamentale consiste à conjurer le <a href="https://www.larevuetoudi.org/de/node/253">spectre weimarien des gouvernements minoritaires instables</a> ayant favorisé la dégénérescence de la démocratie parlementaire.</p>
<p>Le préalable à ces mécanismes réside dans la négociation des différents partis en vue de forger une majorité parlementaire à même d’élire le chef de gouvernement et, par suite, de le soutenir.</p>
<p>La République fédérale d’Allemagne <a href="https://www.dw.com/fr/allemagne-coalitions-d%C3%A9mocratie-compromis/a-59339147">pratique traditionnellement la « démocratie de coalition »</a>, en vue de bénéficier d’une légitimité maximale dans l’exercice du pouvoir. Mais en raison de la complexité croissante du système partisan, elle-même entretenue par la <a href="http://juspoliticum.com/article/La-nouvelle-loi-electorale-federale-allemande-836.html">représentation proportionnelle personnalisée</a>, la négociation de ces accords est susceptible de prendre beaucoup de temps.</p>
<p>Depuis 2005, presque aucune coalition de droite, de gauche ou même du centre ne se dégage clairement des résultats électoraux, hormis la coalition noire-jaune (CDU-CSU et FDP) de 2009 à 2013, à telle enseigne que le phénomène de la « Grande coalition » s’est généralisé avec trois occurrences (2005-2009, 2013-2018 et 2018-2021), contre une seule auparavant <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/11/22/le-precedent-de-1966-1969_712966_3214.html">entre 1966 et 1969</a> sous la direction de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/kurt-georg-kiesinger/">Kurt Georg Kiesinger</a> (CDU). Cela résulte des évolutions du système de partis.</p>
<h2>Les forces de négociations en présence</h2>
<p>Immédiatement après les élections, <a href="https://www.leparisien.fr/international/elections-en-allemagne-olaf-scholz-pourrait-avoir-son-gouvernement-a-noel-07-10-2021-PYEJJUVPEBGWVHQTG533RESIUQ.php">tant Olaf Scholz</a> qu’<a href="https://www.challenges.fr/monde/allemagne-laschet-cdu-veut-tenter-de-batir-une-coalition-gouvernementale_782244">Armin Laschet</a> ont revendiqué la faculté de composer la coalition gouvernementale.</p>
<p>De ce point de vue, il convient de relever que, contre toute évidence, le parti arrivé en deuxième position parvient parfois à diriger la coalition. Tel a été le cas en 1969 : la démocratie chrétienne avait obtenu 46 % des suffrages, contre 42,7 % pour le SPD, mais c’est finalement le social-démocrate <a href="https://www.dw.com/fr/il-y-a-cinquante-ans-willy-brandt-devient-chancelier-de-larch%C3%A9ologie-sous-marine-en-gr%C3%AAce/av-50922488">Willy Brandt</a> qui avait accédé à la chancellerie, en négociant le soutien du FDP (5,8 %). De même, en 1976 et 1980, la CDU-CSU était arrivée en première position, mais l’alliance sociale-libérale l’avait repoussée dans l’opposition à chacune de ces reprises. Pour l’heure, il semble exclu que la CDU-CSU intègre la coalition, l’hypothèse de reconduction de la « Grande coalition » mais, cette fois, avec une direction social-démocrate, étant jugée défavorablement par tous.</p>
<p>Olaf Scholz devra donc s’adjoindre le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/elections-allemandes-les-liberaux-et-les-verts-choisissent-olaf-scholz-1352535">soutien des écologistes et des libéraux</a>.</p>
<p>Or, l’opération est complexe, puisque les premiers s’allient classiquement au SPD et les seconds à la CDU-CSU. Quelle que soit la configuration, des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/16/en-allemagne-la-coalition-reunissant-le-spd-les-verts-et-les-liberaux-du-fdp-est-en-bonne-voie_6098606_3210.html">concessions majeures</a> devront sans nul doute être opérées entre les partis afin de finaliser des <a href="http://juspoliticum.com/article/Aspects-des-contrats-de-coalition-gouvernementale-en-Allemagne-1998-2009-textes-presentes-par-Armel-Le-Divellec-169.html">accords de coalition</a>.</p>
<p>A priori, le parti populiste AfD est exclu de ce jeu politique, comme en témoigne <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/02/06/en-thuringe-pataques-electoral-et-election-demission-en-24-heures-chrono_1777474/">l’épisode survenu en Thuringe en février dernier</a>, à l’issue duquel un membre du FDP dut démissionner de sa fonction de ministre-président après avoir été élu grâce au soutien de l’extrême droite. Le candidat de Die Linke avait alors <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/04/allemagne-bodo-ramelow-candidat-de-die-linke-l-emporte-sur-l-extreme-droite-en-thuringe_6031860_3210.html">été élu</a>.</p>
<p>S’agissant de ce dernier parti, ses <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/t._holzhauser_ndc_161_die_linke_mai_2021.pdf">options idéologiques très tranchées</a> (antimilitarisme et hostilité de principe à l’OTAN notamment) semblent le tenir à l’écart. Encore faut-il préciser que cela n’exclut pas nécessairement la formule du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Soutien_sans_participation">« soutien sans participation »</a> et que Die Linke a d’ores et déjà participé à des coalitions gouvernementales de ce type dans certains Länder (Berlin et Brandebourg).</p>
<p>Les combinaisons possibles sont virtuellement nombreuses, allant de la coalition dite <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-09-08/jamaicaine-kenyane-feu-tricolore-ces-droles-de-noms-de-coalitions-gouvernementales-en-allemagne-ea3067a8-61f7-4830-ba60-4d33c126e60c">« jamaïcaine »</a> (CDU-CSU, Verts et FDP) à la celle dite du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/28/en-allemagne-debut-des-discussions-pour-parvenir-a-une-coalition-feu-tricolore_6096279_3210.html">« feu tricolore »</a> (SPD, FDP et Verts), en passant par la coalition dite « kenyane » (CDU-CSU, SPD et Verts), la coalition du drapeau allemand (CDU-CSU, FDP et SPD).</p>
<p>Au lendemain des élections, les incertitudes sont pléthore et il y a fort à parier que les négociations interpartisanes dureront quelques mois. En attendant, Angela Merkel devra expédier les affaires courantes jusqu’à l’élection de son successeur.</p>
<p>Ainsi, le présage <a href="https://www.instagram.com/p/CTPr3mSgUtC/">ironiquement esquissé par Dietmar Bartsch</a> (Die Linke) d’une Angela Merkel encore chancelière à Noël risque-t-il de se réaliser. Accessoirement, après le 17 décembre prochain, faute d’élection d’un successeur, elle battrait le record de longévité de son mentor, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2017/06/16/helmut-kohl-ancien-chancelier-allemand-est-mort_5145914_3382.html">Helmut Kohl</a>, resté chancelier très exactement seize ans et 26 jours…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170895/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Fourmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les traditionnelles tractations post-électorales visant à établir une coalition risquent d’être particulièrement longues, prolongeant le mandat d’Angela Merkel d’encore quelques semaines.Alexis Fourmont, Maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700392021-10-18T18:48:42Z2021-10-18T18:48:42ZDerrière la crise polono-européenne, une vraie interrogation démocratique<p>Alors que l’offensive du gouvernement polonais contre les structures de l’État de droit en général – et de l’indépendance de la Justice en particulier – se déroule depuis plusieurs années dans une relative indifférence médiatique, l’arrêt par lequel la Cour constitutionnelle de Varsovie a jugé que la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/07/pologne-le-tribunal-constitutionnel-juge-une-partie-des-traites-europeens-incompatible-avec-la-constitution-polonaise_6097514_3210.html">Constitution nationale devait primer sur le droit européen</a> aura subitement remis cette question sur le devant de la scène.</p>
<p>Il faut dire qu’une telle décision porte en germe la remise en cause du principe même de l’Union européenne : si l’on admet que la Constitution d’un État membre puisse faire échec à l’application du droit européen, c’est toute la pérennité de l’édifice commun qui est menacée. C’est la raison pour laquelle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge de longue date que la primauté du droit de l’Union s’impose à toute norme de droit interne, <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A61977CJ0106">fût-elle de nature constitutionnelle</a>. Une interprétation qui procède de l’économie générale de la construction européenne, fondée non sur une logique intergouvernementale mais bien sur une logique fédérale, dès lors que la législation commune est adoptée à la majorité des États.</p>
<h2>Une posture partagée par la France</h2>
<p>Si les gouvernements français et allemands ont très rapidement souhaité affirmer leur <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/pologne/evenements/article/pologne-declaration-conjointe-de-jean-yves-le-drian-ministre-des-affaires">détermination à garantir la primauté du droit de l’Union européenne</a>, la position de nos autorités est en réalité beaucoup plus ambiguë.</p>
<p>D’une part, certains responsables politiques français, à l’image de Michel Barnier, appellent ouvertement à désobéir aux règles européennes, <a href="https://www.marianne.net/politique/droite/europeiste-avec-la-pologne-souverainiste-pour-la-france-le-drole-de-jeu-de-michel-barnier">notamment en matière de droit des étrangers</a>. D’autre part et surtout, les plus hautes juridictions françaises défendent toujours une conception de la hiérarchie des normes équivalente à celle adoptée par leur homologue polonaise.</p>
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<figcaption><span class="caption">La portée du droit de l’Union européenne, JurisMana, 6 novembre 2020.</span></figcaption>
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<p>Selon la formule consacrée, le Conseil d’État <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/les-grandes-decisions-du-conseil-d-etat/conseil-d-etat-assemblee-30-octobre-1998-sarran-et-levacher">considère</a> ainsi que « la suprématie conférée par l’article 55 de la Constitution aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ». Une telle interprétation fait logiquement primer les normes constitutionnelles sur les normes internationales ayant vocation à s’appliquer directement en droit interne. Elle est du reste partagée tant par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1993/92315DC.htm">Conseil constitutionnel</a> que par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007040420/">Cour de cassation</a>.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-04-21/393099">arrêt du 21 avril 2021</a>, le Conseil d’État s’est partiellement opposé à la reconnaissance de la décision de la CJUE encadrant rigoureusement la possibilité pour les États de recourir à la surveillance généralisée de nos échanges numériques, au motif qu’elle priverait de garanties certaines normes constitutionnelles. Passée presque inaperçue en France, cette solution a soulevé chez nos voisins des critiques acerbes, brocardée comme l’expression d’une <a href="https://aboutintel.eu/france-council-of-state-ruling/">volonté de « Frexit »</a> ou même d’un <a href="https://verfassungsblog.de/a-securitarian-solange/">« foyer d’infection »</a> au sein de l’ordre juridique de l’UE.</p>
<h2>Le rôle clé des Cours constitutionnelles des États membres</h2>
<p>Toutefois, on ne saurait balayer d’un revers de la main la problématique soulevée par ces décisions comme l’expression d’un souverainisme suranné. En effet, la construction européenne comporte depuis l’origine une dimension proprement technocratique, qui fait parfois des institutions un moyen non d’associer, mais de contourner la souveraineté des États membres pour imposer des réformes économiques sans passer par la délibération démocratique. Une dynamique dont le droit communautaire constitue la cheville ouvrière, faisant de la CJUE l’instrument – pour reprendre la formule de l’ancien président de la Cour constitutionnelle allemande Dieter Grimm – d’une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/07/GRIMM/57645">« hyperconstitutionnalisation » de politiques publiques</a> qui devraient être laissées à l’appréciation des peuples.</p>
<p>C’est précisément pour compenser un tel « déficit démocratique » – pour reprendre la bien pudique formule consacrée – que, de longue date, la Cour constitutionnelle allemande (dite Cour de Karlsruhe) veille à la compatibilité des exigences de l’intégration européenne avec la loi fondamentale, en s’assurant que les droits et libertés que les citoyens tirent de la Constitution <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-2-page-28.htm">ne soient pas remis en cause par les règles de l’Union européenne</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1447498735517413377"}"></div></p>
<p>Cette approche apparaît particulièrement cohérente d’un point de vue démocratique : comme le rappelle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – dont l’article 2 énonce que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » –, la délégation consentie à nos représentants n’a d’autre objet que la garantie de nos libertés en société. C’est pourquoi les accords internationaux qu’ils adoptent en notre nom ne sauraient avoir pour effet d’en limiter la portée.</p>
<p>Contrairement à la décision de la Cour constitutionnelle polonaise ou à celle du Conseil d’État français, une telle approche ne s’oppose pas frontalement à l’idée d’intégration juridique européenne. Faut-il le rappeler, le traité instituant l’Union européenne énonce sans ambiguïté en son article 6 que « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ». Dans une telle perspective, le rôle que peuvent jouer les juges constitutionnels nationaux en veillant à ce que la construction européenne se fasse en harmonie avec le plein respect des droits et libertés garantis par les Constitutions des différents États apparaît essentiel : il permet, avec d’autres leviers, de veiller à ce que la construction européenne tende effectivement au progrès démocratique de l’ensemble de ses membres.</p>
<h2>Et si la démocratie sortait gagnante de cette séquence ?</h2>
<p>Ce n’est malheureusement pas la pente suivie par les autorités polonaises qui, à l’image de la Hongrie, ne refusent l’application des exigences européennes que dans la mesure où elles contrarient leur entreprise d’amoindrissement des libertés publiques, à commencer par le droit de tout citoyen à une justice indépendante.</p>
<p>Mais, paradoxalement, la crise institutionnelle que nous traversons peut être l’occasion d’un nouvel élan de l’intégration politique des pays européens, en faisant du respect des structures de l’État de droit démocratique un élément central de l’appartenance à l’Union européenne. Dans un contexte de montée des autoritarismes et des replis identitaires, faire de l’Union un instrument concret du renforcement des libertés de tous ses citoyens constitue sans doute le meilleur moyen d’assurer sa pérennité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Pologne n’est pas la seule à remettre en cause la primauté du droit de l’UE sur le droit national. La France et l’Allemagne l’ont déjà fait par le passé. Mais les motivations diffèrent.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1690402021-10-18T18:48:14Z2021-10-18T18:48:14ZComment la constitution de la Vᵉ République a modelé la décolonisation<p>La demande de pardon officielle du président Macron adressée aux harkis et l’annonce de l’adoption prochaine d’une loi de réparation <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/09/20/emmanuel-macron-demande-pardon-aux-harkis-et-annonce-une-loi-de-reconnaissance-et-de-reparation_6095314_823448.html">marquent une étape importante</a> dans le processus de réconciliation nationale de la France avec son passé colonial.</p>
<p>Le droit, et l’enseignement du droit, ont aussi leur rôle à jouer dans l’entreprise de décolonisation. En effet, une colonisation va de pair avec une domination légale, celle d’un système juridique et judiciaire pensé et appliqué pour maintenir un territoire et sa population sous le joug du <a href="http://www.bloomsburycollections.com/book/revolutionary-constitutionalism-law-legitimacy-power">colonisateur</a>.</p>
<p>La domination légale se concrétise avant tout au niveau des droits personnels, comme ce fut le cas de la différence de statut entre le <a href="http://juspoliticum.com/article/La-citoyennete-dans-l-empire-colonial-francais-est-elle-specifique-980.html">citoyen français</a> de métropole et l’indigène – dépourvu de la plupart des droits civiques. Mais elle se concrétise aussi au niveau des <a href="http://juspoliticum.com/article/La-France-libre-Vichy-l-empire-colonial-978.html">institutions</a> avec une organisation des relations de pouvoir entre la métropole et les colonies destinés à asseoir la domination de la première sur les secondes.</p>
<p>Ainsi une décolonisation est un processus de transition dite juridique. Il s’agit de débarrasser le système juridique du pays nouvellement indépendant des rapports juridiques qui le liaient à l’ancienne métropole. En France, cette transition juridique a été actée par la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/2018/08/23/26001-20180823ARTFIG00243-le-discours-du-general-de-gaulle-a-brazzaville-le-24-ao%C3%BBt-1958.php">constitution de 1958</a>. Si cette dernière marqua le début de la V<sup>e</sup> République, elle fut surtout l’occasion pour les territoires d’Afrique francophone d’affirmer leur volonté d’indépendance.</p>
<h2>Une constitution de décolonisation</h2>
<p>Il est de bon ton, dans les facultés de droit et ailleurs, d’expliquer que la raison d’être de la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1959_num_9_1_402982?q=constitution+1958">constitution de 1958</a> repose dans l’instabilité gouvernementale de la IV<sup>e</sup> République. Cette dernière, et ses 22 gouvernements en 12 ans, était devenu dangereusement inefficace. Il fallait retrouver de la stabilité grâce à un président qui « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur">article 5</a>) et un gouvernement sans la menace constance d’une motion de censure du Parlement.</p>
<p>Rares sont cependant les étudiants à connaître l’objectif de décolonisation attaché à la constitution de 1958. En effet, ce point n’apparaît dans aucun des ouvrages de référence. De Gaulle, dans son <a href="https://mjp.univ-perp.fr/textes/degaulle04091958.htm">discours</a> du 4 septembre 1958 était pourtant clair : il fallait une nouvelle constitution pour </p>
<blockquote>
<p>« qu’entre la nation française et ceux des territoires d’outre-mer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même ».</p>
</blockquote>
<p>Un des objectifs principaux de la constitution de 1958 était donc de finir le processus de décolonisation amorcé par la IV<sup>e</sup> République. Cette dernière, en affirmant l’égalité des peuples dans son préambule, se devait de mettre en terme à l’impérialisme français.</p>
<h2>Les étapes</h2>
<p>L’apport principal de la constitution de 1946 fut de transformer l’Empire Français en Union française à la suite de quoi le Cambodge et le Laos en 1953, le Vietnam en 1954, la Tunisie et le Maroc en 1956 retrouvèrent leur <a href="https://www.worldcat.org/title/droit-doutre-mer-et-de-la-cooperation/oclc/923234055&referer=brief_results">indépendance</a>. En dehors de ces pays, la majorité des anciennes colonies restèrent sous le statut de territoires d’outre-mer c’est-à-dire sous une tutelle encore très forte de la métropole qui décida notamment de leurs relations extérieures ou des <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1946-ive-republique">modalités de représentation politique</a> (Titre VIII, constitution de 1946).</p>
<p>La pierre angulaire du processus de décolonisation fut le référendum du 28 septembre 1958. Si en France, celui-ci servait à approuver la V<sup>e</sup> République, pour les territoires d’outre-mer, il représentait la première étape vers l’indépendance. Un « non » signifiait un rejet de la constitution et un accès immédiat à l’indépendance. Seule la Guinée opta pour cette option. Si les territoires votaient oui, ils pouvaient choisir entre un maintien du statu quo, une assimilation en tant que département ou une élévation au rang d’État membre de la Communauté. Comme l’ancien <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Constitution_de_la_France_de_1958_(version_initiale)">article 86</a> de la constitution le précisait, un État membre pouvait devenir indépendant et cesser d’appartenir à la Communauté.</p>
<p>Entre novembre et décembre 1958, tous les territoires d’outre-mer, à l’exception de la Guinée, choisirent le régime de la Communauté, après avoir voté oui au référendum. En août 1960, le Bénin, le Burkina Faso, le Chad, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Niger proclamèrent leur indépendance. En juin ce fut le tour de Madagascar suivi de la Mauritanie en novembre. La procédure d’indépendance progressive prévue par la constitution de 1958 peut donc être considérée comme un succès.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les étapes vers l’indépendance.</span>
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<h2>De l’indépendance à la dictature du parti unique</h2>
<p>Ce fut cependant un bref succès. À l’exception de Madagascar, tous les États se dotèrent d’une nouvelle constitution quelques mois à peine après leur indépendance. Ces constitutions instaurèrent toutes un régime présidentiel fort, sur le modèle de la constitution de 1958 après l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Elles marquèrent le début des dictatures dites du parti unique qui sclérosent l’Afrique francophone depuis 1960.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chronologie comparative – de l’inclusion à la Communauté à l’adoption d’une constitution autoritaire.</span>
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</figure>
<p>Une adoption si coordonnée de constitutions si similaires interroge forcément sur l’influence de l’ancienne métropole.</p>
<h2>La reproduction d’un modèle autoritaire</h2>
<p>Entre le oui au référendum et la déclaration d’indépendance, le régime de la Communauté s’appliquait. Or ce régime était caractérisé par une concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République, lui-même président de la Communauté (article 80). Par décision présidentielle du 9 février 1959, le français resta langue officielle, la Marseillaise demeura l’hymne des États, l’armée française pouvait y stationner. La France contrôlait de fait ces anciens territoires jusqu’à l’aune de leur indépendance.</p>
<p>En 1963, le professeur de droit public <a href="http://www.worldcat.org/oclc/299896883">François Luchaire</a>, décrivait le caractère autoritaire des pays d’Afrique francophone avec les mots suivants :</p>
<blockquote>
<p>« Les États d’expression française n’ont pas eu l’impression de rompre avec l’exemple français ; bien au contraire, chacun a voulu donner à son chef d’État une autorité constitutionnelle comparable à l’autorité qui est celle du général de Gaulle en France ; parfois conseillés par des experts français, ils ont d’ailleurs utilisé les innovations contenues dans la constitution française avec les adaptations qui s’expliquent. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/169040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Fournier est Fellow du Re:constitution Programme pour l'année 2021, un programme du Forum Transregionale Studen financé par le Mercartor Stiftung.</span></em></p>La constitution de 1958 portait en elle la décolonisation juridique des territoires envahis par la France. Mais son modèle facilita aussi l’émergence de dictatures.Théo Fournier, Docteur en droit - Chercheur associé au centre Sorbonne Constitutions et Libertés (Paris 1), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696652021-10-12T17:50:41Z2021-10-12T17:50:41ZBras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises<p>L’Europe s’oriente-t-elle à court terme vers un Polexit ? La question semble d’actualité : la sortie de la Pologne de l’UE <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pologne/l-attitude-de-la-pologne-une-attaque-contre-l-union-europeenne-selon-clement-beaune-c06d0076-2804-11ec-991c-dac596d5a249">est évoquée</a> par de nombreux dirigeants et commentateurs politiques européens depuis que le Tribunal constitutionnel polonais a <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/pologne-le-tribunal-constitutionnel-se-prononce-contre-la-suprematie-absolue-du-droit-de-l-union-europeenne_4798799.html">affirmé</a>, le 7 octobre dernier, la primauté de la Constitution polonaise par rapport au droit de l’Union.</p>
<p>Cet épisode est un nouvel avatar des transformations autoritaires qui se produisent en Pologne par « petites touches » et qui se sont traduites par plusieurs crises entre Varsovie et les autorités européennes. Rappelons que la Commission européenne a <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Le-20-decembre-2017-Bruxelles-enclenche-larticle-7-contre-Pologne-2019-04-12-1201015265">enclenché</a> dès 2017 la procédure, dite de l’« article 7 », qui permet de sanctionner les atteintes à l’État de droit dans un État membre.</p>
<h2>Un Tribunal constitutionnel qui a perdu son indépendance</h2>
<p>Le Tribunal constitutionnel, dont la présidente Julia Przyłębska a estimé que les institutions européennes agissaient « au-delà de leur champ de compétences », se prononçait après avoir été saisi en avril 2021 par le gouvernement, dirigé par le parti conservateur et souverainiste <a href="https://www.cairn.info/journal-revue-d-etudes-comparatives-est-ouest1-2016-4-page-57.htm"><em>Prawo i Sprawiedliwość</em> (PiS)</a>, dans le cadre du litige qui l’oppose à la justice européenne sur la réforme de la justice polonaise.</p>
<p>Initiée en 2018, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/07/la-cour-de-justice-de-l-ue-et-la-pologne-croisent-le-fer-sur-l-independance-des-magistrats_6079486_3210.html">celle-ci compromet gravement l’indépendance des magistrats</a>, notamment en les soumettant à une instance disciplinaire nouvelle, dont la <a href="https://curia.europa.eu/jcms/jcms/j_6/fr/">Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)</a> a demandé la suppression.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/genK_NmMc_E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La Pologne juge certains articles de l’UE incompatibles avec sa Constitution, France 24, 8 octobre 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il en résulte une situation confuse en Pologne. Certains magistrats ont été nommés d’après la loi voulue par le PiS, mais celle-ci a été condamnée par l’UE, ce qui fait peser une suspicion d’illégalité sur certaines décisions de justice.</p>
<p>Le PiS au pouvoir cherche ainsi une issue à cette situation précaire en employant divers stratagèmes politiques et juridiques. Il tente donc de se prévaloir d’une position de droit alternative à celle de la CJUE – sur un point dont il faut d’ailleurs noter qu’il est extérieur au litige concerné, puisque la CJUE s’est prononcée sur une loi (la réforme de la justice polonaise de 2018), et non sur la Constitution polonaise en elle-même.</p>
<p>Cet arrêt du Tribunal constitutionnel polonais n’est du reste pas le premier en la matière : en juillet 2021, il avait <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20210715-la-justice-polonaise-juge-anticonstitutionnelles-les-mesures-prises-par-la-cour-europ%C3%A9enne">déjà jugé anticonstitutionnelles les décisions de la justice européenne</a> exigeant que Varsovie revienne sur certains aspects de sa réforme de la justice, ce qui avait permis au gouvernement de se soustraire à ses engagements européens une première fois.</p>
<p>La collusion politique continue entre la justice constitutionnelle polonaise et le parti au pouvoir jette, si besoin était encore, une lumière crue sur la mainmise que le PiS exerce sur cette cour. L’indépendance du Tribunal constitutionnel polonais est en effet au centre d’un conflit déjà ancien. Dès sa victoire électorale de 2015, le <a href="http://www.revuedlf.com/droit-ue/lunion-europeenne-une-union-de-droit-analyse-de-la-portee-du-modele-de-letat-de-droit-lors-du-recent-episode-des-reformes-judiciaires-polonaises/">PiS avait lancé une offensive contre cet organe</a>, dont l’affaiblissement est un préalable aux tournants autoritaires et antidémocratiques, comme <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/hongrie-une-longue-liste-datteintes-a-letat-de-droit-138696">l’exemple de la Hongrie</a> le montre avec plus de netteté.</p>
<p>Au terme d’une <a href="https://www.lesechos.fr/2015/12/le-president-polonais-enterine-la-reforme-controversee-du-tribunal-constitutionnel-286404">réforme chaotique et controversée</a>, le Tribunal constitutionnel avait vu sa composition modifiée. Il peut désormais siéger – comme lors de la décision du 7 octobre – avec un quorum assuré par les seuls juges nommés par le PiS.</p>
<p>Le conflit autour du Tribunal constitutionnel avait pris une ampleur considérable en 2016, se traduisant par des <a href="https://www.france24.com/fr/20160507-pologne-manifestation-record-varsovie-preserver-place-europe">manifestations de masse en faveur de l’État de droit</a>, sous l’égide d’organisations de défense des droits civiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"728953572067409921"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, la collusion avec le pouvoir prend une tournure tragi-comique, puisque le président du PiS, <a href="https://www.franceculture.fr/personne-jaroslaw-kaczynski">Jarosław Kaczyński</a>, a affirmé sans détour dans une <a href="https://pytanienasniadanie.tvp.pl/42603220/jaroslaw-kaczynski-o-zyciu-rodzinie-i-milosci-do-zwierzat">émission de divertissement à la télévision</a>, en 2019, que la présidente du Tribunal, Julia Przyłębska, faisait partie de ses amis proches.</p>
<h2>Le rapport du PiS à l’UE</h2>
<p>Les commentateurs et les dirigeants politiques polonais ne s’accordent pas sur les intentions réelles du PiS quant à l’appartenance de la Pologne à l’UE.</p>
<p>L’ancien président du Conseil européen (et ancien premier ministre polonais) Donald Tusk estime que même si le pouvoir actuel ne cherche pas à provoquer une sortie de l’UE, ses pas de côté successifs pourraient tout de même <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_tusk-met-en-garde-contre-le-risque-mortellement-serieux-d-un-polexit?id=10065088">involontairement aboutir à une telle issue</a>, à l’instar de la dynamique qui a conduit au Brexit.</p>
<p>C’est sur cette base que l’opposition polonaise met en garde contre une évolution qui conduirait à un Polexit. Au sein de la majorité conservatrice, certains répètent depuis plusieurs années qu’ils sont hostiles à l’UE. Une ancienne députée du PiS, Krystyna Pawlowicz, s’est ainsi illustrée en 2016 en déclarant que l’UE était à ses yeux <a href="https://remonews.com/polandeng/human-rights-commissioner-wants-four-constitutional-court-judges-to-be-excluded-from-examining-a-case-related-to-the-superiority-of-eu-law-over-national-law/">« une serpillière »</a>. Aujourd’hui, cette même Krystyna Pawlowicz siège… au Tribunal constitutionnel. Mais, dans l’ensemble, ces positions restent minoritaires et la posture du PiS s’apparente surtout à un souverainisme hostile aux transferts de pouvoir que prévoit le fonctionnement de l’UE.</p>
<p>La position du PiS doit bien davantage être comprise comme une gestion différenciée et évolutive des contraintes liées à l’appartenance de la Pologne à l’UE. Les dirigeants de ce parti ne peuvent pas ignorer que plus de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2004-2-page-263.htm">80 % des Polonais sont favorables à l’UE</a>. Ils n’ignorent pas non plus que la Pologne bénéficie de subventions européennes considérables et qu’ils s’exposeraient à des risques politiques et électoraux s’ils les remettaient en cause.</p>
<p>De même, dans le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/29/en-pologne-la-crise-des-refugies-a-l-est-relance-le-debat-migratoire_6092667_3210.html">récent conflit qui oppose la Pologne à la Biélorussie</a> à propos des réfugiés bloqués à la frontière orientale du pays, les dirigeants polonais sont conscients des bénéfices politiques internationaux et intérieurs qu’ils peuvent retirer du soutien de l’UE.</p>
<p>Plutôt que pour une opposition frontale, le PiS opte ainsi pour une série d’épreuves et de tests, au terme desquels il peut mesurer la force des positions qu’il défend. La fermeté continue de la Commission européenne et des autres États membres (Hongrie exceptée), de même que l’absence d’évolution eurosceptique dans l’opinion polonaise, rendent plus hasardeuse l’option consistant à aller vers un conflit plus ouvert avec l’UE. D’ailleurs, dans ses confrontations avec Bruxelles, le PiS se rétracte généralement au dernier moment, lorsqu’il apparaît que poursuivre le bras de fer serait trop dangereux pour lui. Tout récemment, le gouvernement est ainsi intervenu pour que certaines collectivités locales <a href="https://www.euronews.com/2021/09/23/polish-region-revokes-anti-lgbt-declaration-over-loss-of-eu-funding">cessent de s’afficher comme « zones anti-LGBT »</a>, ce qui les exposait au risque imminent de ne plus percevoir les subsides européens.</p>
<p>Le PiS compte également sur l’émergence d’un contexte plus favorable à une évolution de l’UE vers une <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38557-europe-des-regions-des-nations-federale-ou-confederale">« Europe des nations »</a>, voire à un démantèlement plus ou moins prononcé de l’UE grâce aux éventuels basculements eurosceptiques d’autres États-membres.</p>
<p>Les soutiens quasi immédiats que le pouvoir polonais a enregistrés en France dans le contexte de la présidentielle, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/10/08/soutien-gravissime-logique-reactions-en-cascade-apres-la-decision-de-la-pologne-de-contester-la-primaute-du-droit-europeen_6097645_6059010.html">d’Éric Zemmour à Arnaud Montebourg</a>, montrent que ces enjeux circulent désormais avec fluidité en Europe et que la sortie de l’UE n’est pas la seule façon se s’opposer à « Bruxelles ».</p>
<p>Enfin, le PiS s’est mis à employer d’autres éléments de langage, arguant notamment de l’inutilité supposée des financements européens. Selon le président de la Banque centrale polonaise, Adam Glapiński, un proche de Jarosław Kaczyński depuis les années 1980, la <a href="https://tvn24.pl/biznes/z-kraju/prezes-nbp-adam-glapinski-o-cudzie-polskiej-gospodarki-takich-sukcesow-nie-mielismy-od-czasow-rozbiorow-5441001">Pologne connaît des succès économiques inédits</a>. Selon lui, l’actualité montre que l’on assiste actuellement à un « miracle économique polonais » :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un miracle encore plus fort que le miracle allemand après 1945. La Pologne peut connaître un développement dynamique en se passant des fonds européens. »</p>
</blockquote>
<p>L’argument est spécieux, mais il est habile, car il permet au pouvoir de se situer sur le terrain du « rattrapage » (économique, culturel) que la Pologne escomptait effectuer en rejoignant l’UE.</p>
<h2>Une remobilisation de la rue ?</h2>
<p>Même si l’agenda européen du PiS peut fluctuer et manquer parfois de lisibilité, il n’en renvoie pas moins à une stratégie autoritaire. Le PiS, en contrôlant plus ou moins directement de nombreuses instances officielles (justice, banque centrale, etc.) les met en situation d’agir en concordance avec le gouvernement et de se transformer en soutiens politiques nouveaux. Dans un croisement inédit, la création de « chevaux de Troie constitutionnels » (la subversion progressive de l’État de droit) permet de légitimer les positions européennes du PiS, tandis que la crise avec Bruxelles donne de l’ampleur à sa prise de contrôle de la justice constitutionnelle.</p>
<p>Il y a là un risque qui pèse certes sur l’appartenance à l’UE, mais aussi, plus globalement, sur la démocratie polonaise, puisque l’objectif politique du PiS, constant depuis sa création en 2001, est de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/13/pologne-la-victoire-des-perdants-de-la-transition-democratique_4846626_3232.html">revenir sur le consensus démocratique établi en 1989 à la chute du communisme</a>. Peu importe dans ces conditions que, comme nous l’avons souligné, plus de 80 % des Polonais soient favorables à l’appartenance de leur pays à l’UE.</p>
<p>Pour démontrer que la population le soutient, le PiS pourrait en effet se tourner vers le suffrage universel, sur un point précis, comme l’a fait Viktor Orban en Hongrie en 2016 quand il a organisé un référendum sur les quotas de migrants proposés par l’UE. Toutefois, le dirigeant hongrois avait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/10/03/referendum-antimigrants-en-hongrie-un-echec-grave-pour-viktor-orban_5007575_3210.html">perdu ce référendum</a>, ce qui montre, au passage, que ces consultations démocratiques « décalées » sont aussi des stratégies qui minimisent les risques pour les pouvoirs néo-autoritaires, puisqu’ils peuvent conserver leurs stratégies globales à peu près intactes même si le résultat de tels référendums leur est défavorable.</p>
<p>À l’inverse, la position prise par le Tribunal constitutionnel a pour effet de remobiliser les partisans de l’UE et de la défense de l’État de droit, comme le montrent les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/11/en-pologne-des-manifestations-pour-rester-en-europe_6097890_3210.html">manifestations qui se sont tenues ce dimanche 10 octobre</a>, à l’initiative notamment de Donald Tusk.</p>
<p>Un nouveau cycle de manifestations de rue peut ainsi s’ouvrir, dont l’issue comptera dans les décisions du PiS. La réussite de ces manifestations, si elle se confirme, serait d’autant plus périlleuse pour le pouvoir polonais qu’elles peuvent bénéficier de la force accumulée des cycles de mobilisation précédents, comme l’a montré, dans ces rassemblements, la réapparition des drapeaux des manifestations dites de la <a href="https://www.franceinter.fr/monde/photos-des-milliers-de-manifestants-defilent-en-pologne-pour-defendre-le-droit-a-l-avortement">« grève des femmes »</a> pour la défense de l’avortement qui s’étaient déroulées en 2020-2021.</p>
<p>L’issue de ce bras de fer va s’apparenter à une course de vitesse entre l’opposition libérale et le PiS, alors que le pays est profondément divisé, <a href="https://courrierdeuropecentrale.fr/avec-la-presidentielle-en-pologne-trzaskowski-a-reussi-a-tourner-la-page-de-donald-tusk/">comme l’a montré la récente élection présidentielle</a>.</p>
<p>Les libéraux devront être en mesure de rallier des soutiens plus larges parmi les forces politiques elles aussi très critiques envers le PiS, comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_paysan_polonais">Parti paysan (PSL)</a>, dont les bastions électoraux freinent par ailleurs la progression du PiS en milieu rural. Le PiS met à profit le temps dont il dispose pour réorganiser le paysage institutionnel et politique, espérant réaménager durablement le régime en place. Dans ces conditions, la position de l’UE sera cruciale pour consolider les uns ou les autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti au pouvoir en Pologne cherche à asseoir son contrôle sur l’ensemble des institutions du pays, s’opposant frontalement à l’UE – si bien que certains évoquent le risque d’un « Polexit ».Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1621942021-06-16T17:38:47Z2021-06-16T17:38:47ZLe préfet et la pandémie : comment le coronavirus révèle les transformations de l'État<p>Dans le Finistère, dans l’Aude, en Moselle, les débats autour de la levée du port obligatoire du masque – finalement annoncée pour le jeudi 17 juin par le premier ministre Jean Castex – mettent en lumière le rôle crucial des <a href="https://www.senat.fr/seances/s202103/s20210324/s20210324008.html">préfets</a> dans la gestion de la crise sanitaire. De fait, le préfet est en première ligne face à la pandémie de coronavirus, pour filer la métaphore employée par le Président de la République déclarant la guerre au virus. Sur tous les fronts, il a vu <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/269427-etat-durgence-et-autres-regimes-dexception-article-16-etat-de-siege">ses pouvoirs temporairement renforcés</a> par l’état d’urgence sanitaire, comme ils l’avaient été par l’état d’urgence sécuritaire en 2015-2018.</p>
<p>En effet, le préfet incarne l’État sur le territoire. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527579/">L’article 72 de la Constitution</a> en fait le représentant territorial du gouvernement. Il est chargé d’appliquer localement les politiques publiques définies au niveau national. Selon la plaisante formule d’Odilon Barrot, <a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D18/1851A.html">« c’est le même marteau qui frappe, mais on a raccourci le manche »</a>. Bras armé de l’État, il est amené à s’investir tout spécialement dans les priorités identifiées par le gouvernement.</p>
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<p>Selon l’article 72, il est notamment compétent pour faire prévaloir l’intérêt général national sur les intérêts publics locaux et pour assurer le respect de la loi par les collectivités territoriales (communes, départements, régions). Il a également des compétences importantes en matière de police et de gestion de crises. Tout cela justifie qu’il soit spécialement mobilisé durant cette pandémie.</p>
<p>Mais précisément parce qu’il l’incarne sur le territoire, la figure préfectorale témoigne aussi des évolutions qui ont marqué l’État depuis le Premier Empire : le préfet est en effet un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/Histoire/Histoire-des-prefets">legs napoléonien</a>. Sans revenir sur l’évolution historique de la fonction préfectorale, il est possible de relever, tout au long de l’année 2021, deux des grands marqueurs de cette <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/277854-le-prefet-quel-nouveau-role-dans-lorganisation-administrative">mutation actuelle</a> : l’évolution des fonctions du préfet et celle de son statut. La première concerne les rapports de l’État avec la société, la seconde touche à l’organisation interne de l’État.</p>
<h2>De « l’empereur aux petits pieds » à un rôle de coordinateur</h2>
<p>À l’origine, le préfet constituait une autorité généraliste, compétente dans tous les domaines de l’action publique. Il était, selon la <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/le-testament-ventriloque-de-napoleon-moins-une-bible-quune-belle-histoire-pour-vendre-un-legs-et-un">formule de Las Cases</a>, un « empereur aux petits pieds », puisqu’il avait vocation à diriger tous les services de l’État dans le département, à l’image de l’empereur tenant dans sa main tous les nerfs de l’État central. Comme le dispose l’article 72 de la Constitution, il représentait dans un cadre départemental (ou régional pour les préfets de région créé en 1964) l’ensemble du gouvernement et chacun des ministres. Fonctionnaire d’autorité, il cumulait donc les fonctions de tous les ministères, à l’exception du ministère de la Justice (indépendance de la justice oblige), du ministère des Finances et du ministère de l’Éducation nationale, charge dévolue au recteur d’académie.</p>
<p>Cette logique n’a pas été complètement renversée. Mais la valorisation de la spécialisation conduit aujourd’hui à juger qu’une autorité généraliste ne peut être omnicompétente. Aussi les relais territoriaux du Gouvernement se sont eux-mêmes spécialisés et autonomisés par rapport au préfet. La crise du coronavirus a ainsi montré que l’État agissait essentiellement, en matière de santé, à travers les <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Covid-Agences-regionales-sante-accusations-justifiees-2021-01-18-1201135612">Agences régionales de santé (ARS)</a>. Le préfet n’intervient, lui, qu’en tant qu’autorité de police, pour réglementer le port du masque, <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/teletravail-lexecutif-pousse-les-prefets-a-mettre-les-entreprises-sous-pression-1300235">l’ouverture des commerces et des lieux d’accueil du public</a>, etc.</p>
<p>Aujourd’hui, les services préfectoraux ont surtout gardé une fonction transversale, interministérielle : <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2020-4-page-913.html">ils coordonnent l’action des différents services de l’État sur le territoire</a> (ARS, Chambre de commerce et d’industrie, ADEME, etc.). Une telle évolution est très révélatrice du nouveau rôle de l’État dans la société. Celui-ci ne cherche plus tant à définir l’intérêt général d’en haut et à l’imposer aux acteurs sociaux par le commandement juridique, selon la <a href="https://www.cairn.info/les-espaces-de-la-politique--9782200345273-page-158.htm">logique de la souveraineté propre à l’État moderne</a>. </p>
<p>De plus en plus, il se fait accompagnateur de la société, en se spécialisant et en créant des comités d’experts au champ de compétences précis, capables d’intervenir au plus près des réalités de terrain : le Conseil scientifique mis en place pour faire face à la pandémie en est un exemple significatif. Il n’impose plus un intérêt général transcendant, mais cherche à arbitrer entre les intérêts privés en présence, modifiant la liste des commerces essentiels au gré des revendications ou dérogeant aux principes posées pour favoriser certaines pratiques (le culte par exemple). La régulation remplace la réglementation. D’où le double sentiment, souvent évoqué, d’un État à la fois omniprésent et impuissant.</p>
<h2>La dépendance du préfet renforcée ?</h2>
<p>L’année 2021 aura aussi été révélatrice d’une mutation du statut du préfet, qui témoigne de la volonté de renforcer sa subordination personnelle au gouvernement. Une mesure, a priori anodine, en témoigne. La <a href="https://www.acteurspublics.fr/upload/media/default/0001/34/19f35801298eca709df96c2a56f96b276e47cba4.pdf">circulaire n° 6259/SG</a> du 19 avril 2021 prévoit d’établir, pour chaque préfet, une feuille de route interministérielle, qui lui fixera différents objectifs et qui servira de base à son évaluation.</p>
<p>Cette mesure révèle une tendance marquée dans le fonctionnement des administrations de l’État. Représentant du gouvernement, le préfet est doté de nombreux pouvoirs et d’une vraie autonomie pour les exercer ; mais, en même temps, la chaîne de commandement qui le relie au gouvernement est resserrée, afin que le fluide qui descend du sommet vers la base et anime tout l’État circule bien. Le préfet a toujours été dépendant du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions, puisqu’il met en œuvre ses politiques ; il l’est davantage maintenant dans son statut et sa carrière. Une telle tendance touche aussi <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F31255">d’autres responsables administratifs</a> (directeurs d’hôpital, présidents d’université, etc.).</p>
<p>L’introduction de cette feuille de route formalisée le montre bien. Certes, elle laisse carte blanche au préfet pour réaliser ses objectifs. Mais elle renforce aussi sa subordination au gouvernement, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/22/action-de-l-etat-les-prefets-seront-evalues-sur-leurs-resultats_6077640_823448.html">puisque la feuille de route servira à son évaluation</a>, déterminante pour sa rémunération et la progression de sa carrière. De tels mécanismes incitatifs doivent stimuler le zèle des agents. La logique managériale remplace ainsi la logique juridique. Alors que l’action du préfet était traditionnellement encadrée par le respect des règles de droit et par les contrôles juridiques qui assuraient ce respect, elle est à présent conditionnée par des objectifs chiffrés à atteindre et par l’évaluation de leur résultat. La pression de l’évaluation se substitue à l’obsession du formalisme juridique.</p>
<p>L’autonomie fonctionnelle du préfet se double donc d’une dépendance personnelle, qui se traduit notamment dans son statut. Le paradoxe n’est qu’apparent. Car sa subordination personnelle au gouvernement garantit son autonomie : comme le préfet dépend personnellement du gouvernement, ce dernier lui abandonne une certaine liberté dans l’exercice de ses fonctions, sûr qu’il les accomplira conformément aux vœux de sa chaîne hiérarchique. Sa dépendance statutaire permet de lui confier une autonomie renforcée, quoique contenue dans le cadre des directives gouvernementales et en vue de leur application.</p>
<p>Dans le même esprit, un projet d’ordonnance en cours de discussion envisage la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/07/apres-les-inspections-generales-le-corps-des-prefets-devrait-disparaitre_6079541_823448.html">suppression du corps préfectoral</a>. Une telle suppression permettrait au gouvernement de nommer au poste de préfet des non-professionnels : on parle de fonctionnalisation du préfet, puisque celui-ci deviendrait une fonction, exercée temporairement, et non plus un choix de carrière. L’effet de la mesure serait de placer les préfets en dépendance renforcée vis-à-vis du pouvoir central, dans la mesure où leur fonction et leurs perspectives de carrière seraient étroitement soumises à la volonté de l’équipe ministérielle en place.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1397981176028037121"}"></div></p>
<p>Certes, le statut des préfets les place déjà dans une situation de loyauté obligatoire vis-à-vis du gouvernement. Mais il leur assure aussi des garanties statutaires, la certitude de ne pas être limogés arbitrairement (seulement, dans le pire des cas, déplacés) et de se voir affectés sur un poste dans un délai raisonnable. Ces garanties disparaîtraient : les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/21/monsieur-le-president-macron-preservez-le-corps-prefectoral-pilier-de-la-republique_6080951_3232.html">préfets fonctionnalisés seraient entièrement dans la main du gouvernement</a> ; leur dépendance personnelle serait accrue. Le problème est alors d’accoler au préfet une étiquette partisane. Créature du gouvernement, le préfet pourra-t-il encore incarner la continuité de l’État et conserver cette hauteur de vue qui marque sa distance avec l’actualité politique immédiate ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162194/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Henri Bouillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie a permis de mettre en lumière l’importance et l’autonomie des préfets dans la gestion de crise : assiste-t-on au dernier tour de piste d’une fonction au statut menacé ?Henri Bouillon, Maître de conférences en droit public, chercheur associé au Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté (CRJFC), Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1573342021-03-24T19:31:12Z2021-03-24T19:31:12ZL’instauration des élections au Conseil de la Choura : petite révolution au Qatar<p>Une petite révolution se joue dans la région du Golfe. Elle n’est ni sanglante, ni commanditée par une superpuissance. Bien au contraire, elle s’insère pleinement dans les codes adulés des démocraties occidentales.</p>
<p>Le 3 novembre 2020, le chef de l’État du Qatar, l’émir Tamim Bin Hamad Al-Thani, a prononcé un <a href="https://www.thepeninsulaqatar.com/article/03/11/2020/Amir-announces-Shura-Council-elections-date">discours inattendu</a> devant le Conseil de la Choura, qui n’est autre que l’assemblée consultative nationale (article 76 de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/qa2003.htm">Constitution</a>). Il a annoncé qu’en octobre 2021, 30 des 45 membres de cette instance seront élus au suffrage direct, alors qu’ils étaient jusqu’ici tous exclusivement nommés par l’Émir.</p>
<h2>Une réforme fondée sur les promesses institutionnelles de l’émir</h2>
<p>Il était difficile pour les observateurs internationaux de dire si le chef de l’État qatari, en ouvrant solennellement la 49<sup>e</sup> session ordinaire du Conseil de la Choura, s’adonnait à un exercice de type présidentiel ou parlementaire. En effet, la portée de son allocution oscillait entre le discours sur l’état de l’Union de « type Congrès » et la déclaration de politique générale précédant le vote de confiance. </p>
<p>C’est que l’identité constitutionnelle du Qatar est <a href="https://oxfordbusinessgroup.com/overview/open-doors-maintaining-cultural-identity-while-welcoming-businesses-and-workers-around-world">unique</a> : elle vise à correspondre aux traditions de cet État récent – le Qatar est indépendant depuis 1971 et la Constitution actuelle est entrée en vigueur le 8 juin 2004 – où la dimension tribale est de première importance, tout en alignant régulièrement sa législation sur les standards économico-politiques internationaux. Si l’on sait désormais que la 50<sup>e</sup> session ordinaire du Conseil portera vers la lumière trente conseillers nouvellement élus sur un total de quarante-cinq, il reste à mesurer concrètement l’impact d’un tel tournant démocratique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326044427035561985"}"></div></p>
<p>Par le passé, le Conseil de la Choura avait déjà été salué par les plus hautes instances internationales pour sa capacité à se réformer. Ainsi, le 13 novembre 2017, Martin Chungong, secrétaire général de l’<a href="https://www.ipu.org/fr">Union interparlementaire</a> (UIP), qui est l’organisation mondiale des Parlements des États souverains, <a href="https://www.ipu.org/fr/actualites/actualites-en-bref/2017-11/luip-se-felicite-de-la-nomination-de-quatre-femmes-au-parlement-du-qatar">se félicitait</a> de la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/11/09/97001-20171109FILWWW00307-qatar-des-femmes-dans-un-organe-consultatif.php">nomination de quatre femmes</a> au sein du Conseil :</p>
<blockquote>
<p>« L’UIP est fermement convaincue que la participation des femmes à la prise de décision est vitale pour la démocratie et le développement. »</p>
</blockquote>
<p>Mais ce qui se joue aujourd’hui revêt une tout autre dimension, car il ne s’agit de rien d’autre que de l’accession à un point subtil de séparation des pouvoirs.</p>
<p>L’émir du Qatar, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/07/05/qatar-le-prince-tamim-veut-s-afficher-en-ami-de-la-france_1664423/">francophile</a> et admirateur infaillible du siècle des Lumières dans son expression la plus glorieuse sur le Vieux Continent, privilégie autant que possible dans l’ordonnancement constitutionnel et législatif de l’État qu’il dirige les préceptes de la grande tradition du droit continental, au détriment de la <em>Common Law</em> (sauf en ce qui concerne les procédures judiciaires les plus libérales comme le recours à l’arbitrage). Lecteur des <em>Mémoires</em> du Général de Gaulle, dit-on, aussi bien que de Montesquieu, il ne peut ignorer que ce qu’il faut entendre par l’expression « séparation des pouvoirs » dans <em>L’Esprit des lois</em> s’apparente davantage à un équilibre qu’à un contrôle. Si la Constitution française de 1958 pose par son Parlement bicaméral un dialogue équilibré entre la Nation et les collectivités territoriales, le monocaméralisme qatari permet quant à lui une dialectique politique tout aussi équilibrée entre la représentation populaire et l’identité tribale, véritable <em>ADN</em> historique du pays. Désormais, au Qatar, la majorité absolue au sein de l’organe parlementaire sera l’apanage du peuple, et l’opposition constructive l’œuvre des représentants tribaux nommés par l’Émir.</p>
<p>Ainsi, en connaissant ses toutes premières élections, le Conseil de la Choura doit être en mesure, à l’instar du <a href="https://www.senat.fr/histoire/conseil_anciens.html">Conseil des anciens</a>, ancêtre du Sénat français datant de la Constitution thermidorienne de 1795, de favoriser la double émergence d’une loi mieux faite ainsi que d’une représentativité accrue des intérêts populaires. Par ailleurs, en consacrant publiquement la sensibilité de l’appareil d’État envers les réalités de terrain issues des circonscriptions, et en couplant ce nouveau dispositif avec les prérogatives constitutionnelles existantes du Conseil posées aux articles 105 à 110, il est possible d’imaginer que son nouveau rôle sera de porter à la connaissance du chef de l’État et du gouvernement des analyses parlementaires et d’autres travaux en commission du plus haut niveau. Assistera-t-on d’ici quelques années à l’émergence de missions, auditions et enquêtes parlementaires aussi médiatiques et incontournables qu’en France, vieille démocratie protectrice des droits humains ?</p>
<h2>Quelles implications pour le droit du travail ?</h2>
<p>Les discussions qu’ont générées les récentes <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/qatar-nouveau-salaire-minimum-a-un-euro-de-l-heure-20210320/">évolutions du droit du travail au Qatar</a> (lois n° 17, 18 et 19 de 2020) nous rappellent que, dans un monde de l’instantané où les discours politiques sont amplement commentés dès leur publication par les agences de presse et où les textes de loi sont passés au crible par les juristes dès leur promulgation, les observateurs internationaux cherchent souvent à relier l’introduction de la démocratie directe dans le fonctionnement politique de l’émirat et les dossiers faisant l’actualité du pays. En d’autres termes, que peuvent bien attendre de cette réforme annoncée les scrutateurs étrangers, mais plus encore la population du Qatar, en termes d’impact sur la vie quotidienne ?</p>
<p>À titre d’exemple, le nombre d’accidents parmi les travailleurs sur les chantiers est un phénomène mondial. Il touche même particulièrement la France qui, <a href="https://www.batiactu.com/edito/hausse-importante-nombre-deces-dans-btp-2019-60900.php">selon les rapports les plus récents</a>, fait face à une « forte augmentation » des décès ces dernières années. Mais alors que s’y prépare la Coupe du monde de football, il est tout naturel que <a href="https://apnews.com/article/europe-international-soccer-world-cup-migrant-workers-coronavirus-pandemic-5a3b0c7ccc5cd98535d0fb11224dbf2d">les projecteurs se braquent sur le Qatar</a>. Au-delà des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/mondial-2022-le-qatar-soupconne-de-minimiser-le-nombre-de-morts-sur-ses-chantiers_AN-202102230219.html">batailles de chiffres</a> qui ne résolvent jamais les débats, il faut signaler qu’une dynamique de sécurisation des droits et des contrats de travail <a href="https://oxfordbusinessgroup.com/analysis/qatar-implements-new-measures-improve-working-conditions">est en cours au Qatar</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1373258013189009408"}"></div></p>
<p>Ainsi, le système de la <em>Kafala</em>, qui consiste à remettre temporairement son passeport à son employeur, est en pratique <a href="https://www.lalibre.be/international/asie/le-qatar-devient-le-premier-pays-du-golfe-a-abolir-la-kafala-5f526a719978e2322f6f4834">aboli</a> à compter de ce mois de mars 2021 en vertu de la loi n° 19 de 2020. Par ailleurs, un <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210320-qatar-entr%C3%A9e-en-vigueur-du-salaire-minimum">salaire minimum</a> s’applique désormais à tout travailleur sur le sol de l’État du Qatar, quels que soient sa nationalité, son secteur d’emploi ou son âge. </p>
<p>Ces aboutissements, dont <a href="https://www.ilo.org/beirut/projects/qatar-office/WCMS_754391/lang--en/index.htm">se félicite</a> le Bureau International du Travail (BIT), sont évidemment le fruit d’âpres discussions entre les autorités gouvernementales, le Conseil de la Choura et les autorités de tutelle des travailleurs. La vraie question à ce sujet porte donc à s’interroger sur l’extension des pouvoirs et de l’influence qu’aura sur le droit du travail un Conseil de la Choura désormais composé de manière plus démocratique. Un élément de réponse se situe peut-être dans les <a href="https://thepeninsulaqatar.com/article/22/02/2021/Shura-Council-makes-recommendations-on-change-of-employer-and-expat-worker%E2%80%99s-exit">dernières recommandations de l’organe parlementaire</a>, appelant vivement à la création d’une Commission permanente au sein du ministère du Travail et des Affaires sociales, afin de prendre en compte plus précisément les besoins des travailleurs sur le sol qatari.</p>
<h2>Quid du droit des femmes ?</h2>
<p>Par ailleurs, alors que l’objectif de développement durable numéro 5 édicté par l’Organisation des Nations unies à l’occasion du <em>United Nations Sustainable Development Summit</em> qui s’est tenu du 25 au 27 septembre 2015 à New York invite à améliorer dans toutes les régions du globe l’égalité homme/femme, des réponses sont attendues au Qatar comme ailleurs. Rappelons que l’article 34 de la Constitution qatarie pose le principe d’« égalité des citoyens en droits et en devoirs publics ». Le texte fondateur des institutions politiques nationales n’effectue aucune distinction de genre.</p>
<p>C’est donc dans la stricte application de la lettre constitutionnelle que s’inscrit le constat selon lequel la proportion de femmes effectuant des études supérieures au Qatar est l’une des plus hautes au monde <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.ENR.TERT.FM.ZS?locations=QA&most_recent_value_desc=true">selon les chiffres de la Banque mondiale</a>. Les autorités qataries estiment cependant que des efforts doivent encore être faits sur le thème du <em>Women Empowerment</em>. Les initiatives <a href="https://www.qf.org.qa/events/deans-lecture-series-empowering-women-in-business-and-entrepreneurship">se multiplient</a> donc pour que la féminisation des populations universitaires se traduise dans les faits par l’accession des femmes aux plus hautes fonctions dans les secteurs privés et publics. Toujours à titre d’exemple, l’une des personnalités de l’émirat les plus en vue actuellement n’est autre que la ministre de la Santé, Hanan Mohamed Al-Kuwari, dont l’action a été très remarquée dans la gestion nationale de la pandémie de Covid-19.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1258717439061344257"}"></div></p>
<p>Ainsi, ce n’est pas un mouvement nouveau en faveur des femmes qu’il faut attendre des prochaines élections directes au Conseil de la Choura, mais l’affirmation d’une tendance de long terme initiée depuis les années 2000. Rappelons que c’est en 2003 qu’une femme a accédé pour la première fois au rang de ministre au Qatar : <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/05/06/premiere-femme-ministre-au-qatar_319110_1819218.html">Sheikha Ahmed Al-Mahmoud</a>, alors ministre de l’Éducation. L’un des objectifs évoqués par le gouvernement du Qatar est justement de <a href="https://m.gulf-times.com/story/677938/Shura-Council-polls-to-enhance-role-of-women-in-Qatari-society">renforcer la représentation des femmes</a> dans les discussions sur les affaires publiques.</p>
<p>En définitive, quelles que soient les infirmations ou confirmations qui seront apportées dans les prochains mois aux analyses du moment par les péripéties constitutionnelles du Qatar, la voie privilégiée par l’émirat semble bien être celle d’un écho formel à la République française. Depuis 1789, la France a connu deux cycles successifs Monarchie-République-Empire ; le Qatar se dirige quant à lui vers la déclinaison du triptyque suivant : Émirat fonctionnel (1972), Émirat rationnel (2004), Émirat contrôlé (2021).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157334/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdulmehsen Fetais ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En octobre les Qataris éliront pour la première fois une partie de leurs représentants à l’assemblée consultative. Une évolution qui s’inscrit dans un contexte de réformes plus général.Abdulmehsen Fetais, Professeur de droit privé à la Qatar University, chercheur associé à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1555772021-02-18T20:30:06Z2021-02-18T20:30:06ZLe culte de la liberté d’expression aux États-Unis<p>Les questions soulevées par le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/13/le-proces-en-destitution-de-donald-trump-risque-de-se-prolonger-avec-la-convocation-de-temoins_6069866_3210.html">second procès en destitution de Donald Trump</a>, qui vient de s’achever comme on s’y attendait par l’acquittement de l’ancien locataire de la Maison-Blanche, s’inscrivent dans la suite logique d’une présidence qui a repoussé les limites du système juridique américain.</p>
<p>Les avocats de l’ex-président – accusé d’incitation à l’insurrection – ont largement usé de l’argument de la liberté d’expression, garantie par le <a href="https://www.law.cornell.edu/constitution/first_amendment">Premier amendement de la Constitution</a>. Selon eux, cet amendement couvrirait les propos tenus par Donald Trump le 6 janvier, jour où des milliers de ses partisans prirent d’assaut le Capitole, ainsi que sa contestation répétée du résultat de la présidentielle.</p>
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<p>Pour de <a href="https://int.nyt.com/data/documenttools/first-amendment-lawyers-trump-impeachment-defense/7fc3e63ae077f83d/full.pdf">nombreux professeurs de droit constitutionnel</a> il s’agit d’un argument « juridiquement futile » puisque, dans ce procès en destitution, la question n’est pas de savoir si l’ancien président a commis un crime, mais s’il a violé son serment de protéger la Constitution. C’est en revanche une ligne de défense tout à fait classique que pourraient reprendre les avocates du citoyen Trump dans un procès civil ou pénal.</p>
<p>Au-delà de cette affaire, la question de la liberté d’expression, de la tolérance pour les contenus subversifs comme pour les discours de haine, aux États-Unis, doit être posée si l’on veut comprendre l’actualité américaine récente. Par exemple, les manifestations racistes à <a href="http://www.slate.fr/story/150030/charlottesville-armes-liberte-expression">Charlottesville en 2017</a>, ou celles contre la police des <a href="https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/etats-unis-les-violences-policieres-contre-les-manifestants">mouvements anti-racistes Black Lives Matter</a> ou <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-le-mouvement-antifa-fait-debat">Antifa</a> en 2019 et 2020, ou encore l’insurrection du 6 janvier. L’actualité a également rappelé la grande popularité qu’ont connue deux personnages provocateurs et controversés, qui se présentaient chacun à leur façon comme chantres de la liberté d’expression, et qui viennent de disparaître : l’animateur de radio de droite conservatrice <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/02/17/rush-limbaugh-animateur-de-radio-et-figure-de-la-droite-conservatrice-americaine-est-mort_6070327_3382.html">Rush Limbaugh</a> et le magnat de la pornographie <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/02/11/larry-flynt-magnat-du-porno-americain-est-mort_6069520_3382.html">Larry Flynt</a>.</p>
<h2>La liberté d’expression : un concept unique mais contesté</h2>
<p>Pour de nombreux Américains, la liberté, et particulièrement la liberté d’expression, est l’un des principes fondateurs de leur identité, qui contribue à l’exceptionnalisme de leur pays.</p>
<p>Il est vrai que les États-Unis se distinguent des autres démocraties par ce qui pourrait être considéré comme une <a href="https://scholarship.law.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1660&context=jcl">vision absolutiste</a> de la liberté d’expression. Ainsi, dans le droit américain, même le discours de haine est protégé et la Cour suprême a plusieurs fois affirmé qu’il n’y avait pas d’exception pour les discours de haine dans le Premier amendement (<a href="https://www.oyez.org/cases/1940-1955/343us250">Beauharnais v. Illinois</a>, 1952 ; <a href="https://harvardlawreview.org/2017/11/matal-v-tam/"><em>Matal v. Tam</em></a>, 2017).</p>
<p>Comme le <a href="https://law.stanford.edu/publications/reflections-on-charlottesville/">rappelle l’ancien conseiller juridique de l’American Civil Liberties Union (ACLU) Steven Shapiro</a>, sur ce point, les États-Unis sont uniques et en contradiction avec le cadre juridique international défini par le <em>Pacte international relatif aux droits civils et politiques</em> de 1966 (<a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx">article 20</a>) qui oblige les signataires à interdire les discours de haine et que les États-Unis ont signé en 1992, précisément avec des réserves sur ce point.</p>
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<p>Malgré une vénération quasi religieuse du Premier amendement, la question de la liberté d’expression fait parfois polémique au sein même des États-Unis, notamment dans la période actuelle où l’on assiste à une montée du populisme, à l’intensification de la polarisation politique et à une hausse des discours provocateurs et extrémistes sur les réseaux sociaux. Selon les mots de la <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/17pdf/16-1466_2b3j.pdf">juge Kagan, qui siège à la Cour suprême</a>, la liberté d’expression est devenue une arme politique. C’est notamment le cas à droite et <a href="https://www.macleans.ca/opinion/how-the-alt-right-weaponized-free-speech/">à l’extrême droite</a>.</p>
<p>Paradoxalement, face à la montée de certaines expressions radicales, comme le nationalisme blanc de plus en plus visible, c’est au sein de la <a href="https://jmrphy.net/blog/2018/02/16/who-is-afraid-of-free-speech/">gauche modérée</a> et dans la <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2015/11/20/40-of-millennials-ok-with-limiting-speech-offensive-to-minorities/">génération dite des « millennials »</a> que l’on commence à constater un <a href="https://www.theguardian.com/news/2018/may/31/how-the-resurgence-of-white-supremacy-in-the-us-sparked-a-war-over-free-speech-aclu-charlottesville">soutien à une plus grande restriction de la liberté d’expression</a>.</p>
<h2>Une histoire mouvementée</h2>
<p>Le droit à la liberté d’expression est ancien puisqu’il est inscrit dans le Premier amendement, ratifié en 1791 :</p>
<blockquote>
<p>« Le Congrès n’adoptera aucune loi […] pour limiter la liberté d’expression, de la presse. »</p>
</blockquote>
<p>À l’origine, ce texte ne concernait donc que les lois votées par le Congrès. C’est au fil du temps que la Cour suprême a étendu cette protection à d’autres organes du pouvoir gouvernemental, qu’il soit fédéral, étatique et local, législatif, exécutif ou judiciaire. On note au passage que ce droit ne concerne donc pas les entités privées, comme les réseaux sociaux qui <a href="https://theconversation.com/medias-sociaux-apres-lexclusion-de-trump-la-question-de-la-censure-et-limperatif-devoluer-153247">peuvent appliquer leur liberté de commerce comme elles l’entendent</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1348263180783509504"}"></div></p>
<p>Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’interprétation libérale actuelle du Premier amendement est relativement récente. Pendant longtemps, il existait de nombreuses restrictions à la liberté d’expression, en partie en raison de normes sociétales différentes, notamment en termes de moralité sexuelle (les <a href="https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/1038/comstock-act-of-1873">lois Comstock</a>), mais aussi pour des raisons politiques perçues comme liées à la préservation des intérêts de l’État (l’<a href="https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/1045/espionage-act-of-1917">Espionage Act de 1917</a>). Tout particulièrement, lors les deux guerres mondiales et au début de la guerre froide, la Cour suprême a soutenu des jugements contre des dissidents qui s’opposaient à la conscription ou qui préconisaient le socialisme révolutionnaire ou le communisme (comme dans les arrêts <a href="https://www.oyez.org/cases/1900-1940/249us47"><em>Schenck v. United States</em></a>, 1919 ou <a href="https://www.oyez.org/cases/1940-1955/341us494"><em>Dennis v. United States</em></a>, 1951).</p>
<p>C’est lorsque la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1969_num_19_2_393153">Cour fut présidée par Earl Warren</a> (1953-1969) que tout a changé, dans un contexte de plus grande tolérance envers les discours séditieux liés aux droits civiques et à la guerre contre le Vietnam.</p>
<p>L’interprétation libérale du Premier amendement a aussi permis de protéger le discours de haine du Ku Klux Klan, comme le stipule en 1969 l’arrêt <a href="https://mtsu.edu/first-amendment/article/189/brandenburg-v-ohio"><em>Brandenburg v. Ohio</em></a> – une décision qui fait jurisprudence encore aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359863754255597570"}"></div></p>
<p>Depuis lors, la liberté d’expression est généralement présumée protégée, y compris le discours de haine, sauf exception spécifique. L’une des leçons de l’histoire de la liberté d’expression aux États-Unis est qu’elle n’est donc pas inscrite dans le marbre, que les normes changent et pourraient à nouveau changer.</p>
<h2>Le marché des idées</h2>
<p>Le droit américain reconnaît toutefois certaines restrictions à la liberté d’expression. Les catégories de discours qui sont moins ou pas du tout protégées par le Premier amendement concernent en particulier l’obscénité, la diffamation, l’incitation à l’émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d’auteur ou les brevets.</p>
<p>A contrario, le discours politique est l’une des catégories les plus protégées. La Cour suprême va même jusqu’à considérer que limiter les dépenses de campagne est une violation de la liberté d’expression car cela restreint les moyens financiers permettant d’exprimer une opinion, comme l’affirmait d’abord l’arrêt <a href="https://www.oyez.org/cases/1975/75-436"><em>Buckley v. Valeo</em></a> (1976), puis, de façon plus radicale encore et controversée l’arrêt <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Citizens_United_v._Federal_Election_Commission"><em>Citizens United</em></a> (2010).</p>
<p>Si les <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/feb/16/trump-giuliani-lawsuit-capitol-riot-bennie-thompson-naacp">poursuites déjà engagées</a> contre Donald Trump en lien avec l’insurrection au Capitole vont jusqu’à un procès, les questions de l’incitation à l’émeute et du Premier amendement seront au cœur des plaidoiries. La cour, civile ou même pénale, devra alors examiner jusqu’à quel point sa rhétorique du 6 janvier est protégée par le Premier amendement. Selon l’arrêt <a href="https://mtsu.edu/first-amendment/article/189/brandenburg-v-ohio"><em>Brandenburg v. Ohio</em></a>, évoqué plus haut, la liberté d’expression permet « l’appel à l’usage de la force » et même à « des actes illégaux », sauf s’il s’agit d’une « action illégale imminente qui est susceptible de se produire ». Il y a donc une grande part de subjectivité et c’est l’évaluation du contexte qui permettra de déterminer si la rhétorique incendiaire de Trump visait à commettre un crime et à préconiser une infraction à la fois imminente et susceptible de se produire. C’est ce qui est appelé le <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/brandenburg_test">test de Brandenburg</a>.</p>
<p>La décision Brandenburg permet, par exemple, à des néo-nazis de défiler en toute légalité, en brandissant des croix gammées et en criant leur haine des Juifs, comme on l’a vu à Charlottesville en 2017. Elle a également permis des décennies durant à <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/17/business/media/rush-limbaugh-dead.html">Rush Limbaugh</a> d’utiliser un langage misogyne, homophobe, raciste et conspirationniste.</p>
<p>Cette décision est basée sur le principe que la concurrence des idées dans un discours public libre et transparent permettra au peuple de décider librement ce qu’il veut croire. Cette philosophie est illustrée par la métaphore libérale du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Marketplace_of_ideas">« marché des idées »</a>, utilisée dans une <a href="https://www.law.cornell.edu/supremecourt/text/345/41">décision de la Cour suprême en 1953</a>, et devenue depuis une <a href="https://ideas.dickinsonlaw.psu.edu/dlr/vol123/iss2/6/">analogie courante dans le droit américain</a>.</p>
<p>Or ce qu’implique également cette métaphore est que, comme pour tout marché, celui des idées est façonné par des déséquilibres de pouvoir, particulièrement concernant l’inégalité raciale et financière. Comment la voix de Donald Trump peut-elle être équivalente à celle du citoyen moyen ? Comment les algorithmes biaisés des réseaux sociaux permettraient-ils l’existence d’un marché équitable et libre des idées ? De nombreux Américains ne font pas confiance à leur gouvernement pour réguler ce marché des idées. Pourtant, les contre-exemples offerts par l’<a href="https://fra.europa.eu/fr/eu-charter/article/11-liberte-dexpression-et-dinformation">Union européenne</a> ou le <a href="https://www.cliquezjustice.ca/vos-droits/liberte-d-expression-peut-vraiment-tout-dire">Canada</a> montrent que davantage de restrictions à la liberté d’expression ne sont pas nécessairement incompatibles avec les principes démocratiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Premier amendement de la Constitution des États-Unis protège la liberté d’expression des Américains, à un point tel que même les discours les plus haineux ont droit de cité.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1548762021-02-09T19:30:32Z2021-02-09T19:30:32ZUne parodie de justice : Navalny et la culture de la « maskirovka » juridique en Russie<p><em>Alexeï Navalny <a href="https://www.ledevoir.com/monde/807355/alexei-navalny-principal-opposant-poutine-est-mort-prison">vient de mourir</a> à l'âge de 47 ans dans la colonie pénitentiaire de l'Arctique où il purgeait une peine de dix-neuf ans d'emprisonnement.</em></p>
<p><em>Il n'est pas le premier opposant au régime de Vladimir Poutine à décéder derrière les barreaux, mais sa notoriété, en Russie comme en Occident, fait de lui une victime emblématique de l'arbitraire du Kremlin, à l'instar de <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2012/12/11/affaire-magnitski-l-histoire-sordide-d-un-machiavelisme-d-etat_1804010_3214.html">Sergueï Magnitski</a>, mort dans des circonstances similaires en 2009 après avoir été condamné pour « fraude fiscale » ; Navalny, dont le vrai crime, aux yeux du pouvoir, était de dénoncer <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/19/alexei-navalny-la-corruption-doit-etre-le-principal-sujet-des-sommets-internationaux_6091830_3232.html">la corruption consubstantielle au système Poutine</a> et de se positionner comme <a href="https://www.france24.com/fr/20171225-russie-presidentielle-alexei-navalny-opposant-vladimir-poutine">un adversaire politique direct</a> du président russe, avait pour sa part été condamné en 2021 <a href="https://www.leparisien.fr/international/russie-alexei-navalny-condamne-a-de-la-prison-ferme-02-02-2021-8422754.php">pour avoir échappé à son contrôle judiciaire</a> (quand il était soigné en Allemagne après avoir été victime d'une tentative d'empoisonnement), puis en 2022 pour escroquerie et outrage à magistrat, puis, en août 2023, pour <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-l-opposant-alexei-navalny-condamne-a-19-ans-de-prison-pour-extremisme-04-08-2023-2530615_24.php">« extrémisme »</a>.</em></p>
<p><em>C'est là une pratique traditionnelle en Russie, comme l'avait rappelé dans nos colonnes l'historien Andreï Kozovoï au moment de la condamnation de Navalny en 2022, dans cet article que nous vous proposons aujourd'hui de redécouvrir : il s'agit de déguiser les causes réelles de l'incarcération d'un indésirable en l'inculpant de faits infamants, afin de le présenter à l'opinion russe et au reste du monde comme un simple criminel et non comme un adversaire politique.</em></p>
<p>Le 22 mars 2022, un peu moins d'un mois après le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, on a appris simultanément la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/russie-la-cour-supreme-confirme-la-dissolution-de-l-ong-memorial-20220322">confirmation définitive</a> de la dissolution de l'ONG de défense des droits humains <a href="https://theconversation.com/entretenir-la-memoire-du-goulag-malgre-les-menaces-de-dissolution-de-memorial-par-les-autorites-russes-175257">Mémorial</a>, et la condamnation d'Alexeï Navalny, déjà emprisonné pour deux ans et demi depuis février 2021, à <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/lopposant-russe-alexei-navalny-reconnu-coupable-descroquerie-et-doutrage-a-magistrat-20220322_CRPY6AIGDNEGTG4DJLJ2MPB5DY/">neuf années de prison supplémentaires</a> — une peine qu'il devra purger dans une colonie à régime sévère, c'est-à-dire dans des conditions particulièrement difficiles, où son accès aux visites et aux échanges avec l'extérieur sera notamment très restreint.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1506247694804783113"}"></div></p>
<p>Comme dans le cas de sa condamnation en 2021, le fondateur du Fonds de lutte contre la corruption (FBK, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20210426-les-organisations-li%C3%A9es-%C3%A0-alexe%C3%AF-navalny-suspendues-par-la-justice-russe">interdit</a> en 2021), qui est depuis des années <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2336825X211065909">l'un des opposants les plus résolus et les plus populaires à Vladimir Poutine</a> en Russie, n'était pas jugé pour des faits de subversion de l'État, d'incitation à la révolte ou quelque autre motif de type politique.</p>
<p>Cette fois, il a été condamné pour « escroquerie » (il aurait, selon le procureur, détourné à des fins d'enrichissement personnel d'importantes sommes versées au FBK - accusation dont le procès qui vient de s'achever a montré le caractère <a href="https://www.rferl.org/a/russia-navalny-trial-witness-refuses-testify/31716079.html">grotesque</a>) et « outrage à magistrat ».</p>
<p>Cette pratique consistant à envoyer des opposants politiques derrière les barreaux pour de prétendus crimes de droit commun, ce qui permet de les présenter comme de simples affairistes et de les priver d'une image de militant désintéressé susceptible de séduire une partie de l'opinion publique, n'a rien de nouveau en Russie. En réalité, elle a été fréquemment employée aussi bien à l'époque soviétique que du temps de l'empire des tsars…</p>
<p>Le contournement des lois existantes, souvent très libérales sur le papier, est, en effet, une véritable tradition en Russie où les textes juridiques ont à de nombreuses repris permis au pouvoir de donner une apparence légale à des décisions arbitraires.</p>
<p>L’affaire Navalny, qui survient après de nombreuses autres condamnations en justice de divers personnages plus ou moins gênants pour le régime – de l’oligarque <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2012-2-page-154.htm">Khodorkovski</a> à l’historien <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/29/la-peine-de-l-historien-iouri-dmitriev-specialiste-des-crimes-staliniens-alourdie_6054105_3210.html">Dmitriev</a> en passant par le leader de gauche radicale <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/russie-l-opposant-oudaltsov-reconnu-coupable-de-preparation-a-des-troubles-massifs_1561678.html">Oudaltsov</a> ou encore les punkettes de <a href="https://www.france24.com/fr/20130924-russie-pussy-riot-raconte-enfer-camps-travail-mordovie">Pussy Riot</a>, liste loin d’être exhaustive –, en fournit une nouvelle illustration.</p>
<p>Rappelons que, en février 2021 déjà, l’opposant n’avait pas été condamné au titre d'un chef inculpation de nature politique, mais sur la base d’une accusation d’escroquerie, par ailleurs <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/02/le-groupe-yves-rocher-n-arrive-pas-a-se-debarrasser-de-l-affaire-navalny_6068549_3210.html">montée de toutes pièces</a>. Cet épisode, comme celui auquel on vient d'assister aujourd'hui avec cette condamnation très lourde, relève du <em>camouflage</em> des normes du droit ou, pour reprendre un terme issu de l’histoire militaire russe, de la <a href="https://www.tdg.ch/monde/maskirovka-art-russe-tromper-lennemi/story/31832407"><em>maskirovka</em></a> judiciaire. La maskirovka est l’art d’imiter et de détourner les normes du droit – un art dans lequel Vladimir Poutine, juriste de formation, est <a href="https://www.brookings.edu/opinions/vladimir-putin-and-the-law/">passé maître</a>, mais qu’il n’a certainement pas inventé.</p>
<h2>L’État de droit impossible dans la Russie des tsars</h2>
<p>Comme dans d’autres pays, les dirigeants de la première dynastie russe, les <a href="https://fr.rbth.com/histoire/83183-dynastie-riourikides-histoire">Riourikides</a>, ont cherché à faire de la loi un pilier de leur légitimité – chez soi comme à l’étranger.</p>
<p>Cet État de droit première mouture reposait principalement sur la publication de recueils de lois, l’un des premiers étant la <a href="https://search.proquest.com/openview/70cdfd57db567bf301a29a95b43b4595/1?pq-origsite=gscholar&cbl=2049707"><em>Rousskaïa Pravda</em></a> (<em>pravda</em> signifie « vérité » en russe, mais il faut ici le traduire par « justice »), que l’on doit, pour la partie la plus ancienne, au grand-prince de Kiev Iaroslav le Sage (1016-1054). À la fin du XV<sup>e</sup> siècle, le grand-prince Ivan III (1462-1505) adopte le premier grand code de la Moscovie, le <a href="https://www.jstor.org/stable/3001097?seq=1"><em>Soudiébnik</em></a> (du mot <em>soud</em>, le procès), que son petit-fils, Ivan IV (le Terrible), développe et rallonge en 1550. En 1564, Ivan IV énonce un oukase par lequel il crée un territoire, l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Opritchnina">opritchnina</a>, sur lequel son pouvoir s’exerce de manière absolue, et où ses opposants boyards qu’il soupçonne de trahison, vont subir mille et un supplices. La période se clôt en 1572, mais marque durablement la culture russe de la <em>maskirovka</em> juridique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383295/original/file-20210209-15-lrf81f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383295/original/file-20210209-15-lrf81f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383295/original/file-20210209-15-lrf81f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383295/original/file-20210209-15-lrf81f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383295/original/file-20210209-15-lrf81f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383295/original/file-20210209-15-lrf81f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383295/original/file-20210209-15-lrf81f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Les Opritchniki », Nikolaï Nevrev (1830-1904). L’artiste représente ici Ivan le Terrible, doté de tous les attributs du pouvoir, recevant des <em>opritchniki</em>, une sorte de garde prétorienne qui exécute tous ses ordres, notamment ceux d’arrêter, torturer et assassiner ses adversaires réels ou supposés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/11/0NevrevNV_Oprichniki_BISH.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>La longue période de <a href="https://search.proquest.com/openview/3a7f7fa3204211582eaa5fa14b64e4d2/1?pq-origsite=gscholar&cbl=1821331">domination mongole</a> (1237-1480) a marqué la culture juridique russe d’une empreinte autoritaire : les lois de la Moscovie façonnent et reflètent un État dans lequel le monarque est un autocrate, maître de la terre et des hommes, qui doit rendre des comptes à Dieu, et à Dieu seul. Le Soudiébnik d’Ivan III pose les bases du servage, institution durcie dans le code de 1649, le <a href="https://brill.com/view/book/9789004352148/B9789004352148_034.xml"><em>Sobornoïé Oulojénié</em></a> (Établissement de l’Assemblée). Riche de mille articles, ce « contrat social », fruit d’un compromis entre le pouvoir et les élites, demeure la loi fondamentale jusqu’en 1832, lorsque le célèbre juriste Mikhaïl Speranski (1772-1839) l’incorpore dans une nouvelle compilation, le <a href="https://www.jstor.org/stable/43851380?seq=1"><em>Svod zakonov</em></a> (Recueil de lois).</p>
<p>À ce moment-là, la Russie est devenue un Empire au territoire immense, doté d’une juridiction complexe adaptée à des populations variées, certaines « moins égales que d’autres », <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Zone_de_R%C3%A9sidence">comme les Juifs</a>. Le droit est une discipline prestigieuse de l’Académie des Sciences, et la Russie connaît ses juristes éminents, comme Semion Desnitski (1740-1789) et Zakhari Goriouchkine (1748-1821), célèbres professeurs à l’Université de Moscou. Mais dans son essence, l’État de droit au sens où on l’entend généralement demeure un mirage dans ce pays où l’Empereur est toujours « l’élu de Dieu » qui règne et gouverne sans être modéré par un quelconque contre-pouvoir.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383306/original/file-20210209-19-1p27ojz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383306/original/file-20210209-19-1p27ojz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383306/original/file-20210209-19-1p27ojz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383306/original/file-20210209-19-1p27ojz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383306/original/file-20210209-19-1p27ojz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383306/original/file-20210209-19-1p27ojz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383306/original/file-20210209-19-1p27ojz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« La Place du Sénat, 14 décembre 1825 », de Karl Kollmann, représente la révolte des décabristes, un groupe d’aristocrates libéraux qui exigeaient du nouvel empereur Nicolas Iᵉʳ qu’il instaure une Constitution. Ils seront arrêtés et leurs meneurs exécutés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Si <a href="https://www.jstor.org/stable/44752688?seq=1">l’introduction du principe de l’indépendance de la justice</a> sous Alexandre II, en décembre 1864, et la réforme qui l’accompagne (autorisation des avocats, des juges inamovibles) constitue un progrès indéniable, favorisant la diffusion d’une « culture du droit » dans les campagnes les plus reculées, les tentatives de poser les bases d’un véritable État de droit en Russie, de promulguer une Constitution, ont toutes échoué.</p>
<p>La fin du XIX<sup>e</sup> siècle constitue même une régression avec la mise en place d’une législation d’exception, les <a href="https://www.cairn.info/la-russie-imperiale--9782130624295-page-143.htm">« lois provisoires » d’août 1881</a>, destinées à lutter contre la « subversion révolutionnaire ». Une source d’inspiration pour des bolcheviks et, sans aucun doute, pour Vladimir Poutine aujourd’hui.</p>
<h2>L’invention de la <em>maskirovka</em> juridique</h2>
<p>La nécessité de bâtir un État de droit digne de ce nom est un impératif aux yeux de Lénine, ancien étudiant de droit (par correspondance) de l’université de Kazan. Mais cet État de droit ne peut être fondé sur des principes juridiques « bourgeois ». En janvier 1918, le Guide disperse l’Assemblée constituante qui débat d’une Constitution libérale et introduit le concept de <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1980_num_11_3_2296">« légalité révolutionnaire » (qui deviendra plus tard « légalité socialiste »)</a>. En juillet, il pousse le Congrès des Soviets de Russie (les Soviets sont des conseils de députés de soldats, d’ouvriers et de paysans, donc disposant d’une vraie légitimité) à promulguer la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ru1918.htm">première Constitution</a> d’un nouveau pays : la République socialiste des Soviets de Russie » (RSFSR).</p>
<p>La Constitution de Lénine abolit le principe de séparation des pouvoirs, jugé « bourgeois » ; les Soviets (contrôlés par le Parti bolchevik) concentrent entre leurs mains les pouvoirs législatif et exécutif. Ce « hold-up constitutionnel » précipite la guerre civile, une période où le droit devient un <a href="https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/crimes-et-violences-de-masse-des-guerres-civiles-russes-1918-1921.html">instrument de répression arbitraire</a> aux mains des bolcheviks.</p>
<p>En décembre 1922, Lénine <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-l-urss--9782707156860-page-5.htm">crée l’URSS</a>, l’Union des républiques socialistes soviétiques. La RSFSR en est la pièce maîtresse. Un an plus tard, l’URSS se dote d’une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/su1924.htm">Constitution</a>, « la plus démocratique du monde », qui proclame le nom du nouveau régime : la « dictature du prolétariat ». Officiellement, c’est le « peuple » qui gouverne, représenté par un Parlement, le Congrès des Soviets (sous Staline, il prend le nom de Soviet suprême). Mais les libertés fondamentales, garanties sur le papier, sont piétinées dans la vie réelle. La mue totalitaire du régime est parachevée en décembre 1936, quand le Soviet suprême d’URSS valide la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/su1936.htm">Constitution « stalinienne »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383359/original/file-20210209-19-1ghwo6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383359/original/file-20210209-19-1ghwo6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383359/original/file-20210209-19-1ghwo6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383359/original/file-20210209-19-1ghwo6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383359/original/file-20210209-19-1ghwo6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383359/original/file-20210209-19-1ghwo6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383359/original/file-20210209-19-1ghwo6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche soviétique représentant Staline devant la Constitution de 1936. Le texte dit : « Vive le grand Staline, guide des peuples, créateur de la Constitution du socialisme victorieux et de la véritable démocratie ! ».</span>
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<p>Avec Staline (qui développe et amplifie les idées de Lénine), la justice est aux mains d’un homme qui s’en sert pour « éduquer les masses » par le biais de procès-spectacles minutieusement préparés où de vieux bolcheviks avouent des crimes fantaisistes, extorqués par le chantage et la torture (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_de_Moscou">Procès de Moscou</a>) et « purger le corps social » des « parasites ». Le durcissement de la législation pénale débute avec la <a href="http://old.memorialholodomor.org.ua/eng/zakon_pro_5/">loi du 7 août 1932</a>, qui punit de la peine de mort le « vol de la propriété socialiste », tandis que l’éventail des crimes « contre-révolutionnaires » se reflète dans le tristement célèbre <a href="http://www.cyberussr.com/rus/uk58-e.html">article 58 du code pénal</a>. </p>
<p>La machine judiciaire stalinienne fait aussi fonctionner un système concentrationnaire immense, le Goulag, par lequel transitent des <a href="https://www.amazon.fr/Goulag-Une-histoire-Anne-Applebaum/dp/2246661218/ref=sr_1_2">millions de personnes</a>, condamnées au terme de procédures judiciaires absurdes, mais en apparences légales. Et parmi eux, des <a href="https://www.librairiedialogues.fr/livre/883650-le-manuel-du-goulag-dictionnaire-historique-jacques-rossi-le-cherche-midi">étrangers</a>.</p>
<h2>Poutine, élève de la maskirovka brejnévienne</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/la-destalinisation-commence--9782870271421-page-67.htm">« déstalinisation »</a> mise en œuvre par Khrouchtchev comporte un volet judiciaire : en janvier 1961, le pays se dote d’un <a href="https://www.jstor.org/stable/755924 ?seq=1">nouveau code pénal</a>, plus humain, qui abolit notamment l’étiquette infamante d’« ennemi du peuple », même si <a href="https://editions-syrtes.com/produit/legendes-de-rue-potapov-irina-emelianova/">les persécutions politiques ne cessent évidemment pas</a>. Mais la mise à jour constitutionnelle prend du temps. Empêtré dans ses nombreuses réformes économiques et sociales, Khrouchtchev ne trouve pas le temps de promulguer une nouvelle Constitution, lui qui a pourtant dit vouloir y introduire le principe d’alternance (un principe qui, contrairement aux craintes de ceux qui se ligueront contre lui, n’aurait certainement pas mis fin à la dictature communiste, le pouvoir russe ayant toujours de la ressource, comme l’a bien montré le <a href="https://blogs.alternatives-economiques.fr/daubenton/2008/03/10/elections-presidentielles-en-russie-roquer-n-est-pas-jouer">« roque » Medvedev-Poutine</a> de 2008, nouvel exemple d’action légale d’un point de vue juridique mais pour le moins douteuse sur le fond). </p>
<p>Ce n’est qu’en octobre 1977 que Brejnev, le successeur de Khrouchtchev, promulgue enfin une <a href="http://excerpts.numilog.com/books/9782717801620.pdf">nouvelle Constitution</a> – conçue comme un « cadeau pour le peuple » à l’occasion du soixantième anniversaire de la « Glorieuse Révolution socialiste d’Octobre ».</p>
<hr>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-brejnev-lantiheros-153946">Bonnes feuilles : « Brejnev, l’antihéros »</a>
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<p>La dernière de l’époque soviétique, la Constitution brejnévienne est, là encore sur le papier, la « plus démocratique au monde » si l’on en juge par le grand nombre de droits et libertés qu’elle garantit. La réalité est évidemment très différente. L'une des illustration en est que, pour faire baisser les chiffres des prisonniers politiques, le KGB prend l'habitude de condamner les dissidents pour des motifs de droit commun (<a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2017/12/22/mort-d-arseni-roginski-cofondateur-de-l-organisation-russe-des-droits-de-l-homme-memorial_5233343_3382.html">fabrication de faux documents</a>) ou de les <a href="https://www.cairn.info/revue-sud-nord-2004-1-page-143.htm">envoyer à l'asile psychiatrique</a>.</p>
<p>L'innovation de la Constitution de 1977 est d’admettre enfin, dans son article 6, le rôle dirigeant du Parti communiste et, surtout, d’introduire une dimension « internationale » à la <em>maskirovka</em> juridique – elle se veut une mise en conformité du droit soviétique avec le droit international. </p>
<p>En 1973, l’URSS avait enfin rejoint la Convention universelle sur le droit d’auteur et, en 1975, signé les <a href="https://www.osce.org/fr/mc/39502">traités d’Helsinki</a>, par lesquels elle s’engageait, en échange de la reconnaissance officielle par les Occidentaux du rapport de forces en Europe issu de la Seconde Guerre mondiale, de respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce qu’elle ne fera jamais, bien évidemment.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZIilMzPbSts?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le 1<sup>er</sup> août 1975, quand Brejnev appose sa signature sur l’Acte d’Helsinki, Vladimir Poutine est un étudiant lambda de la faculté de Droit de l’Université de Leningrad, sur le point de réaliser son rêve : devenir agent secret. En 1968, âgé de seize ans, il s’était <a href="https://www.letemps.ch/opinions/vladimir-poutine-kgb-moi-cetait-une-vocation-dadolescence">présenté spontanément devant l’officier de garde du KGB de sa ville natale</a>, qui lui avait expliqué que s’il voulait un jour être recruté par les « organes », il se devait de faire des études supérieures, <em>la voie royale étant le droit</em>.</p>
<p>S’il existe des <a href="https://echo.msk.ru/blog/elaev/1687698-echo/">doutes</a> sur la manière dont Poutine, qui n’a pas été un élève du secondaire particulièrement brillant, a pu intégrer, en 1970, une formation très sélective (les universités soviétiques comportaient un examen d’entrée et le nombre de places était limité), il n’en demeure pas moins qu’il était, à en croire plusieurs témoignages, un étudiant assidu. En 1975, à vingt-trois ans, il soutient l’équivalent actuel du Master avec un travail consacré à la clause de la nation la plus favorisée, un sujet <a href="https://www.jstor.org/stable/27748416 ?seq=1">dans l’air du temps</a>.</p>
<p>Recruté par le KGB après sa soutenance, Poutine mettra ses connaissances juridiques au service d’une institution qui se fait une spécialité dans le camouflage et le détournement des principes fondamentaux de la Constitution – la violation de la correspondance privée et l’arrestation préventive étant des exemples parmi d’autres de ses activités quotidiennes. Lors de son <a href="https://fr.rbth.com/ps/2017/08/09/tout-ce-que-vous-vouliez-savoir-sur-le-travail-de-poutine-en-allemagne-de-lest_819420">séjour à Dresde</a>, en RDA (1985-1990), il parfait ses connaissances en matière de camouflage juridique en l’appliquant à l’espionnage industriel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1073986044222205955"}"></div></p>
<p>Devenu premier adjoint du maire de Saint-Pétersbourg, son ancien professeur de droit, Anatoli Sobtchak, Poutine aurait utilisé ses connaissances pour <a href="https://www.wilsoncenter.org/publication/has-vladimir-putin-always-been-corrupt-and-does-it-matter">s’enrichir par diverses opérations illicites</a> dans le contexte de la privatisation brutale des années 1990, tout en se faisant passer pour un fonctionnaire irréprochable. Sa réputation d’homme loyal et son « expertise juridique » séduisent Eltsine, qui le recrute en 1996 au sein de l’administration présidentielle. Ce même Eltsine à qui l’on doit la publication, en décembre 1993, d’une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ru.htm">nouvelle Constitution</a> – simple « paravent » que le président Poutine utilisera et <a href="https://theconversation.com/russie-apres-la-constitution-eltsine-la-constitution-poutine-142597">amendera</a> à son profit une fois au pouvoir.</p>
<p>Après 20 ans de poutinisme, la <em>maskirovka</em> juridique est plus que jamais d’actualité en Russie, que ce soit sur le plan interne, comme vient de le confirmer la condamnation d’Alexeï Navalny, ou sur la scène mondiale où le Kremlin se prétend le <a href="https://carnegieendowment.org/2020/01/22/russia-at-united-nations-law-sovereignty-and-legitimacy-pub-80753">garant sourcilleux du droit international</a>, alors même qu'il le <a href="https://portail-ie.fr/analysis/4007/guerre-en-ukraine-lagonie-du-droit-international#:%7E:text=L'agression%20russe%20en%20Ukraine,plus%20froid%20des%20monstres%20froids%20%C2%BB.">piétine cyniquement</a> dans le cadre de sa guerre en Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreï Kozovoï ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme l'empire tsariste et l'Union soviétique, la Russie de Vladimir Poutine s'efforce de maintenir une apparence d'indépendance judiciaire dans la condamnation des gêneurs.Andreï Kozovoï, Professeur des universités, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1527632021-01-06T19:22:01Z2021-01-06T19:22:01ZBonnes feuilles : « Les États-Unis et la démocratie »<p><em>L'assaut mené dans la soirée de mercredi 6 janvier contre le Congrès à Washington par les supporters de Donald Trump a créé un véritable choc aux États-Unis. Le processus de certification des élections a été suspendu avant de reprendre dans la nuit, alors que Donald Trump avait assuré quelques heures plus tôt à ses troupes qu'il « ne reconnaîtrait jamais la défaite ». L'élection a finalement été certifiée jeudi matin heure française.
Le weekend dernier déjà, <a href="https://www.franceinter.fr/monde/quelles-suites-peut-avoir-l-appel-de-donald-trump-pour-qu-on-lui-trouve-des-voix-en-georgie">l’appel téléphonique de Donald Trump au responsable des élections en Géorgie</a> avait constitué une énième violation du droit américain par l’homme supposé en être le garant. Dans son ouvrage <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=64404">« Les États-Unis et la démocratie »</a>, paru chez L’Harmattan il y a quelques mois, Anne Deysine, spécialiste du système juridique des États-Unis, insiste sur le concept central de primauté du droit (Rule of law) et sur l’érosion des normes, tant écrites (Constitution et lois) que non écrites, que l’on a constatée tout au long du mandat qui s’achève. Il apparaît que les leaders politiques et les coalitions en place jouent un rôle aussi important que les principes constitutionnels. Ils peuvent choisir le court terme partisan et contribuer ainsi à l’érosion des normes, ce que font les Républicains au Congrès ; ou bien, dans un monde idéal, ils pourraient privilégier la pérennité des institutions. C’est ce qui est en jeu aujourd’hui. Extraits.</em></p>
<hr>
<h2>Rule of law ou primauté du droit</h2>
<p>Au cœur du système américain, on trouve le concept central de « Rule of law », ou primauté du droit.</p>
<p>Selon <a href="http://files.libertyfund.org/files/1714/0125_Bk.pdf">Albert Venn Dicey</a>, qui l’a théorisé, le concept comporte trois aspects qui se recoupent : l’égalité de tous devant la loi ; l’assujettissement du pouvoir politique, monarque compris, aux lois du pays ; et l’idée que personne, dirigeants compris, n’est au-dessus des lois et du droit.</p>
<p>L’élaboration des lois, leur application, les rapports entre les différents types de loi sont eux-mêmes gouvernés par le droit et un gouvernement, même démocratiquement élu, ne peut agir de façon discrétionnaire. Il doit être soumis aux lois existantes tout comme les autres citoyens ; c’est essentiel pour qu’il y ait égalité de tous devant la loi ; de même, aucune personne physique ou morale ne peut jouir de privilèges qui ne s’appliquent pas aux autres et ne peut être à l’abri de sanctions, qui elles-mêmes doivent s’appliquer sans considération de classe, de statut ou des pouvoirs respectifs des justiciables.</p>
<p>Le principe fondamental au cœur de la <em>Rule of law</em> est la nécessité de limiter le pouvoir politique. Le droit qui doit « primer » a alors pour mission de lutter contre l’arbitraire et la violence et de préserver les citoyens contre les tentations oppressives du pouvoir et celles de son expression ultime, l’État. On voit ici que le principe de primauté du droit comporte une dimension anti-politique : à travers le culte de la règle de droit et le contrôle du juge, cette primauté entend contrôler le pouvoir politique, y compris le pouvoir démocratique.</p>
<p>[…]</p>
<h2>L’érosion des normes chez Levitsky et Ziblatt</h2>
<p>Le système des États-Unis est fondé sur des normes constitutionnelles et des normes législatives mais il repose aussi sur l’acceptation tacite de normes non écrites. C’est l’érosion de ces normes non écrites, commencée bien avant la présidence Trump, qui s’est accélérée durant celle-ci et modifie le fonctionnement institutionnel et la nature démocratique du régime.</p>
<p>Deux politistes, <a href="https://calmann-levy.fr/livre/la-mort-des-democraties-9782702164952">Steven Levitsky et Daniel Ziblatt</a>, considèrent que ce qu’ils appellent l’érosion des normes est la menace la plus grave pesant sur les démocraties contemporaines qui ne sont plus rayées de la carte à la suite d’un coup d’État ou d’une révolution et ne s’effondrent pas sous les coups de guerres ou d’épidémies. Elles s’érodent petit à petit de façon presque imperceptible. Elles pourrissent de l’intérieur, empoisonnées par certaines pratiques comme l’omniprésence de la <a href="https://journals.openedition.org/lisa/10001">« corruption légale »</a> et par des dirigeants qui utilisent le pouvoir à leur profit et se servent de leurs positions pour infléchir les règles et pervertir le processus démocratique. À cet égard, Trump est le <a href="https://apnews.com/article/463ca382232f4b6cb80676ca0bcd6c60">symptôme</a> autant que la cause des maux qui minent la démocratie américaine. Si les leaders autoritaires contribuent à détruire la démocratie, les vrais fossoyeurs sont les partis politiques, la classe politique et les choix qu’ils font lorsqu’ils sont confrontés à ce type de dirigeants démagogues et dictatoriaux. D’eux dépend la survie ou la disparition des démocraties.</p>
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<p>Or, le Parti républicain, afin de favoriser ses intérêts et ses élus à la Chambre et au Sénat, n’oppose aucune résistance aux attaques de la Présidence actuelle contre les institutions qu’ils ont pourtant juré de défendre en prêtant serment lors de leur prise de fonction. La satisfaction du leader républicain au Sénat M. McConnell est révélatrice quand il annonce que « 2017 a été la meilleure année pour les conservateurs depuis les trente années qu’il siège au Sénat ». Oubliés les affronts du Président, les attaques contre le FBI, les médias, lui-même, le ministre de la Justice. Oubliés les mensonges répétés de fraude électorale et d’écoutes téléphoniques. Car ce qui compte, c’est le vote des baisses d’impôts, la dérégulation tous azimuts et la nomination de juges conservateurs censés ne pas « légiférer ». Les membres du Congrès semblent rassurés et dédouanés car les membres de l’exécutif <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/peur-bob-woodward/9782021417722">font de la résistance</a>, ce qui constitue une autre perversion du système.</p>
<p>Quand D. Trump veut <a href="https://www.leparisien.fr/international/donald-trump-invite-ces-elues-democrates-a-retourner-d-ou-elles-viennent-15-07-2019-8116920.php">« renvoyer dans leur pays »</a> quatre élues « colorées » du parti démocrate, par définition américaines, quand un jour plus tard il laisse la foule à un de ses meetings de campagne scander <a href="https://www.lesinrocks.com/2019/07/18/actualite/actualite/send-her-back-trump-et-ses-partisans-se-dechainent-sur-une-elue-democrate/">« renvoyez-la chez elle ! »</a> en parlant de l’élue démocrate à la Chambre originaire de Somalie et devenue américaine, c’est la continuation d’une tendance qui remonte aux années 1980.</p>
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<p>Le silence des Républicains à la Chambre et au Sénat est grave car il indique à l’opinion publique que ce type de propos et d’attitude est devenu acceptable. Si le leadership républicain s’opposait au Président, il pourrait limiter les excès mais par peur et lâcheté, les élus restent silencieux et normalisent l’obscénité devenue quotidienne. Le républicain Justin Amash, qui avait été le seul à préconiser la mise en accusation du Président et qui quitta le parti à l’été 2019, a eu le courage d’<a href="https://thehill.com/homenews/house/453698-amash-responds-to-send-her-back-chants-at-trump-rally-this-is-how-historys">affirmer</a> que les réactions des électeurs sont « la conséquence inévitable de la démagogie du Président » et de conclure « c’est ainsi que les épisodes les plus tragiques de notre histoire ont commencé ».</p>
<p>Les autres élus républicains à la Chambre, à l’exception de quatre d’entre eux (sur 196), ont refusé de se joindre à la résolution des Démocrates condamnant « les comportements racistes qui ont légitimé et accru la peur et la haine des nouveaux Américains et des personnes de couleur ». Par leur silence, ils contribuent à l’érosion des normes et font preuve de moins de moralité et de sens de leur responsabilité que les électeurs, qui ont estimé à 65 % (45 % chez les Républicains) que c’est raciste de vouloir renvoyer « chez eux » dans leur pays d’origine les Américains appartenant à des minorités.</p>
<p>Pour Levitsky et Ziblatt, les normes non écrites, les règles informelles et les conventions sont la colonne vertébrale d’une démocratie. Beaucoup d’entre elles sont sous-tendues par le pragmatisme et la conscience que ce qui est bon pour un parti à court terme peut ne pas l’être à long terme. Car les majorités changent et ceux qui sont aujourd’hui dans la majorité seront un jour dans l’opposition. Selon Levitsky et Ziblatt, les deux normes essentielles à la survie d’une démocratie sont la tolérance mutuelle (<em>mutual toleration</em>) et la mansuétude institutionnelle (<em>institutional forbearance</em>) qui ont protégé le système de freins et contrepoids et ont longtemps été considérées comme évidentes et acquises. La tolérance mutuelle, c’est le fait d’accepter des idées différentes et de reconnaître que le parti opposé n’est pas l’ennemi. L’indulgence (ou mansuétude) est un mélange de réserve et de modération, l’attitude dont devraient faire preuve les politiciens lorsqu’ils font usage de leurs prérogatives institutionnelles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377331/original/file-20210106-13-mvymxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Les États-Unis et la démocratie », L’Harmattan.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=64404">L’Harmattan</a></span>
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<p>Ces normes, qui ont sous-tendu la démocratie américaine pendant la majeure partie du XX<sup>e</sup> siècle, ont été érodées par l’abus de pratiques détournées de leur fonction ou intention originelle. Le <em>filibuster</em> (ou blocage au Sénat) est un bon exemple : il y en a eu 385 en cinq ans (de 2007 à 2012), soit un nombre égal à celui des sept décennies entre la Première Guerre mondiale et la fin de l’administration Reagan.</p>
<p>Idem pour le taux de confirmation des juges fédéraux aux cours d’appel ; alors que 90 % des candidatures proposées par le Président dans les années 1980 étaient approuvées, le taux est tombé à 50 % durant la Présidence Obama. Ce qui peut expliquer que les Démocrates, désireux de mettre fin à cette obstruction, aient modifié les règles de filibuster pour les postes de juges fédéraux. Mais en privilégiant le court terme, les Démocrates ont permis à D. Trump d’obtenir assez facilement, car sans blocage, la confirmation d’un nombre record de juges d’appel, 43 en 30 mois de Présidence. Ceci rejoint l’idée voisine que les principes constitutionnels ne peuvent pas tout car certains droits ne figurent pas explicitement dans la Constitution et ne peuvent donc jouir de sa protection.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La primauté du droit, principe fondamental, a été remise en question tout au long du mandat de Donald Trump, qui a vu une érosion sans précédent des normes non écrites de la démocratie américaine.Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1516032020-12-13T21:33:34Z2020-12-13T21:33:34ZDonald Trump cerné par les affaires<p>Alors que l'éventualité d'une destitution du président sortant est à nouveau discutée à Washington après le <a href="https://theconversation.com/lassaut-du-capitole-manifestation-frappante-de-la-fragilite-de-la-democratie-americaine-152826">coup de force de ses partisans au Capitole</a>, on sait déjà que Donald Trump est littéralement cerné par les affaires, civiles comme pénales. </p>
<p>Certaines sont liées à ses agissements en tant que président, à commencer par des <a href="https://information.tv5monde.com/info/rapport-mueller-les-possibles-entraves-la-justice-de-donald-trump-sous-le-feu-des-projecteurs">entraves à la justice</a> révélées par le rapport Mueller. Elles relèvent du droit fédéral. D’autres, datant d’avant son accession à la Maison Blanche, ont trait à son <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/agressions-sexuelles-et-abus-sexuels-les-femmes-qui-accusent-donald-trump_2134787.html">comportement envers plusieurs femmes</a> qui l’accusent d’agressions sexuelles. Elles relèvent du droit pénal étatique. </p>
<p>D’autres encore, qui concernent ses activités financières, relèvent également du droit étatique et, en particulier, du droit de l’État de New York, siège de la plupart de ses sociétés (même si certaines d’entre elles ont leur siège social dans le Delaware, État connu pour sa législation fiscale favorable aux entreprises).</p>
<p>Le <em>New York Times</em> a <a href="https://www.forbes.fr/politique/lextraordinaire-histoire-des-declarations-fiscales-de-trump/">révélé</a> que le milliardaire n’a payé que <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/trump-a-paye-750-dollars-d-impot-en-2016-et-zero-pendant-dix-ans-les-revelations-explosives-du-new-york-times-858320.html">750 dollars d’impôts sur le revenu plusieurs années de suite</a>, ce qui pourrait lui valoir d’être poursuivi pour <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20200804-lenqu%C3%AAte-les-finances-trump-pourrait-s-%C3%A9tendre-%C3%A0-faits-fraude-fiscale">fraude fiscale</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, et comme on pouvait s’y attendre de sa part, celui qui est encore président jusqu’au 20 janvier 2021 use et abuse – pour ses proches, en attendant peut-être de le faire pour lui-même – d’une prérogative très particulière : le droit de grâce.</p>
<h2>La perversion du droit de grâce</h2>
<p><a href="https://constitution.congress.gov/browse/essay/artII_S2_C1_3_1_1/">Aux termes de la Constitution</a>, le droit de grâce est un pouvoir large qui appartient au président et ne comporte que deux exceptions : les cas d’impeachment, et la limitation du champ d’application aux crimes et délits fédéraux. Une éventuelle grâce ne protégerait donc le particulier Donald Trump ni des poursuites engagées par l’État de New York ni d’éventuels procès pour agression sexuelle.</p>
<p>Les abus du droit de grâce sont légion et les présidents précédents ne sont pas, à cet égard, sans reproche : par exemple, George H. Bush a <a href="https://www.politico.com/story/2018/12/24/bush-pardons-iran-contra-felons-dec-24-1992-1072042">gracié plusieurs hauts personnages impliqués dans l’affaire Iran Contra</a> et Bill Clinton a <a href="https://www.liberation.fr/planete/2001/01/22/bill-clinton-gracie-le-who-s-who_351764">gracié</a> son demi-frère ainsi qu’un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/amp/325150/La_grace_accordee_par_Clinton__-_a_un_financier_en_fuite_fait_monter_la_polemique">financier fugitif</a>, Marc Rich, qui avait beaucoup contribué au financement de sa fondation.</p>
<p>Mais les <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/11/24/so-far-trump-has-granted-clemency-less-frequently-than-any-president-in-modern-history/">44 grâces et commutations</a> de Trump se situent à une autre échelle ; il s’agit d’un exercice systématique intéressé et autocentré. Si l’on fait exception de quelques Noirs que le président a graciés pour essayer d’attirer le vote de leur communauté, les bénéficiaires n’ont comme seules circonstances atténuantes que d’être proches de Trump, d’avoir des liens avec la Maison Blanche ou une résonance avec la base (comme le <a href="https://www.lemonde.fr/donald-trump/article/2017/08/26/trump-gracie-le-tres-controverse-sherif-arpaio_5176747_4853715.html">shérif Arpaio</a>, condamné pour actes discriminatoires anti-immigrants), d’être riches, puissants, soutenus par Fox News et/ou d’avoir commis le même type de violations que certains des proches de Trump qui ont été poursuivis dans le cadre de l’enquête du procureur spécial Mueller.</p>
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<p>Ainsi, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/11/26/affaire-russe-trump-gracie-son-ancien-conseiller-a-la-securite-nationale_1806800">Paul Manafort</a> était visé par douze chefs d’inculpation parmi lesquels « complot contre les États-Unis », « violation de la <a href="https://www.bruxelles.marketing/les-accusations-de-blanchiment-dargent-de-manafort-en-russie-pourraient-faire-face-a-des-defis/">loi FARA</a> en matière de lobbying pour une puissance étrangère », « blanchiment », « fausses déclarations » et « non-déclaration de comptes détenus à l’étranger ». Inculpé devant deux juridictions distinctes, il plaida coupable puis non coupable et fut condamné à un total de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Sept-ans-demi-prison-total-directeur-campagne-Trump-2019-03-13-1301008394">sept ans et demi de prison</a> avant d’être gracié fin novembre 2020.</p>
<p>Le président Trump a aussi <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-roi-des-obligations-pourries-obtient-le-pardon-de-donald-trump-1173062">gracié Michael Milken</a>, le roi des « junk bonds » (obligations pourries), responsable de la crise de financière de 2007, ou encore le magnat des médias <a href="https://www.lefigaro.fr/international/trump-gracie-son-ami-conrad-black-20190516">Conrad Black</a>, qui doit ce traitement privilégié à la <a href="https://www.npr.org/2019/05/16/723849097/trump-pardons-his-friend-conrad-black-who-wrote-glowing-trump-biography-last-yea">biographie extrêmement flatteuse de Trump</a> qu’il a publiée en 2018.</p>
<p>Et malgré les recommandations du ministère de la Justice, Trump a <a href="https://www.nytimes.com/2020/07/10/us/politics/trump-roger-stone-clemency.html">commué la sentence de son allié Roger Stone</a> condamné pour avoir <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/15/enquete-russe-roger-stone-fidele-de-trump-reconnu-coupable-de-mensonge-au-congres_6019374_3210.html">menti au Congrès</a> dans le cadre de l’enquête sur l’immixtion russe dans la campagne de 2016. Ce qui a amené le sénateur Romney à tweeter : « Il s’agit d’une corruption historique et sans précédent : un président américain commue la sentence d’une personne condamnée par un jury parce que celle-ci avait menti pour protéger ce même président. »</p>
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<p>Avant de quitter la Maison Blanche, le président Trump envisage de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/trump-songe-a-gracier-sa-famille-pour-la-proteger-20201202">gracier certains membres de sa famille</a> afin de les protéger d’éventuelles poursuites, de même que ses proches, comme <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/12/03/trump-blanket-pardons-children-giuliani-law/">Rudi Guiliani</a> ou <a href="https://www.npr.org/2020/12/03/942229249/in-his-final-weeks-trump-could-dole-out-many-pardons-to-friends-allies">Steve Bannon</a>, qui ont contribué de près ou de loin à ses multiples turpitudes, avant ou durant la présidence. S’ils étaient graciés, ils ne pourraient être mis en examen ou amenés à accepter un plaider coupable en échange de témoignages incriminants contre Trump.</p>
<p>D’où la grâce de Richard Stone et, plus récemment, celle de l’éphémère conseiller à la sécurité nationale <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/26/donald-trump-gracie-son-ancien-conseiller-michael-flynn-mis-en-cause-dans-le-cadre-de-l-enquete-russe_6061137_3210.html">Michael Flynn</a>, qui avait menti sur ses contacts avec l’ambassadeur de Russie durant la transition. Parmi les enfants du président, au moins <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-55177966">Ivanka</a> en aurait bien besoin, qui a été entendue dans une affaire touchant aux fonds du comité d’investiture Trump dans laquelle le procureur de la capitale fédérale Washington D. C. enquête sur les tarifs exorbitants pratiqués par l’hôtel Trump et facturés au comité.</p>
<h2>Trump peut-il s’auto-amnistier ?</h2>
<p>Donald Trump est conscient de ces diverses épées de Damoclès. Depuis 2018, il a <a href="https://www.lepoint.fr/monde/trump-revendique-le-droit-de-s-accorder-une-grace-presidentielle-04-06-2018-2224030_24.php">affirmé</a> à plusieurs reprises avoir le droit de s’auto-amnistier. Il n’hésite pas à proclamer qu’il est au-dessus de la loi, ce qui est contraire à la tradition anglo-saxonne et à ce qu’a affirmé la Cour suprême dans la décision <a href="https://www.oyez.org/cases/1973/73-1766"><em>US v. Nixon</em> en 1974</a>, puis <a href="https://www.aclu.org/news/civil-liberties/supreme-court-correctly-rules-that-trump-is-not-above-the-law/">répété en 2020</a> dans les deux décisions Mazars et Vance : personne n’est au-dessus de la loi. Le premier problème d’une éventuelle auto-amnistie est qu’on ne peut en effet être à la fois juge et partie, et que cette grâce serait immédiatement contestée devant les tribunaux. Aucune jurisprudence n’existe mais un <a href="https://www.justice.gov/olc/opinion/presidential-or-legislative-pardon-president">memo de 1974</a> émis par le bureau de conseil juridique (OLC) répond par la négative.</p>
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<p>Sans plonger dans l’étymologie, le mot anglais <em>pardon</em>, qui vient du français, implique nécessairement deux personnes. Cet axiome est confirmé par la tradition anglo-saxonne, depuis la Magna Carta jusqu’à la Convention constitutionnelle de Philadelphie, qui <a href="https://www.justsecurity.org/73539/why-a-self-pardon-is-not-constitutional/">considère que le <em>pardon</em> implique deux personnes</a>. Le droit de grâce doit aussi être replacé dans le schéma philosophique et politique des Pères fondateurs qui avaient spécifiquement exclu un président qui soit « source du droit », comme l’était le souverain anglais. Car cela aurait signifié qu’il n’était pas soumis au droit et qu’il se trouverait, en conséquence, à l’abri de poursuites civiles et pénales. Ce choix explique aussi que le président des États-Unis peut être mis en accusation (<em>impeached</em>) alors que cette procédure ne pouvait pas frapper le roi en droit anglais.</p>
<p>D’ailleurs, la sanction de l’impeachment est « seulement » la destitution et l’obligation de quitter le pouvoir, mais <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787.htm">l’article I section 3</a> prend soin de préciser que « l’individu mis en accusation pourra néanmoins faire l’objet de mises en examen, procès et sanctions en vertu de la loi ». La menace de poursuites une fois le mandat terminé avait pour objet de dissuader le président de se mal conduire, de piller le trésor public, de corrompre les juges ou de trafiquer une élection. Le risque de poursuites est réel même dans le scénario où Trump démissionnerait afin que son vice-président, devenu président, puisse le gracier. On pense, bien sûr, au précédent du président Ford <a href="https://fr.euronews.com/2011/09/07/retromachine-nixon-gracie-par-son-successeur">graciant Richard Nixon</a> mais il y a une différence de taille : Nixon avait démissionné avant même que la commission judiciaire ne vote les articles de mise en accusation (d’<em>impeachment</em>). Donald Trump, lui, a bel et bien été mis en accusation par une majorité de la Chambre des représentants. Et le coût politique serait élevé pour M. Pence. Surtout après ce qui s'est passé au Capitole.</p>
<p>Sur le papier, rien n’interdirait au président Biden de gracier son prédécesseur s’il voulait comme le président Ford l’avait fait en 1974, aller de l’avant et sortir le pays de la crise. Mais il y a l’obstacle de l’<em>impeachment</em> et, surtout, ce serait inacceptable pour la gauche du parti démocrate ; enfin, l’intéressé, loin d’être reconnaissant, s’en servirait sans doute pour marteler que c’est là un signe de la culpabilité de Joe Biden (« qui sait qu’il a triché ») et de sa faiblesse. Se pose alors l’opportunité de poursuites fédérales pour entrave à la justice, monétisation du droit de grâce ou fraude fiscale, parmi les dizaines d’inculpations possibles – et c’est un vrai dilemme. Joe Biden est plutôt enclin à l’apaisement afin d’avancer et ne pas perdre de son capital politique dans des poursuites qui seraient instrumentalisées par la droite et ne sont pas certaines d’aboutir. Mais il entend les arguments de la gauche du parti démocrate, convaincue qu’il est nécessaire de poursuivre Trump, ne serait-ce que pour restaurer la primauté du droit (<em>rule of law</em>) et la démocratie. Cela étant, les uns et les autres n’ont que peu d’impact sur ce que peuvent décider les procureurs et juges des États.</p>
<h2>Les affaires étatiques</h2>
<p>Le vrai problème pour Trump, ce sont les affaires qui relèvent du droit étatique et, en premier lieu, l’accusation de fraude attachée aux <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/08/22/trump-sest-il-trahi-lui-meme-en-admettant-avoir-achete-le-silence-de-ses-maitresses_a_23507503/">versements effectués pour acheter le silence de deux femmes</a> qui, durant la campagne de 2016, l’ont accusé d’agressions sexuelles. Puis il y a les deux procès en diffamation (l’un intenté par une <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-trump-zervos-idUSKBN1Z62I6">ancienne candidate à l’émission de télé-réalité que Trump a longtemps animée, The Apprentice</a>, l’autre par l’ex-patron de l’agence gouvernementale en charge de la probité des élections, <a href="https://www.washingtonpost.com/local/legal-issues/chris-krebs-sues-trump-campaign-digenova/2020/12/08/61a68a30-389a-11eb-bc68-96af0daae728_story.html">Chris Krebs</a>, limogé par Trump en novembre). Et enfin une accusation de viol qui date des années 1990 (<a href="https://law.justia.com/cases/new-york/other-courts/2020/2020-ny-slip-op-32571-u.html"><em>E.J. Carroll v. D.J. Trump</em></a>) dans laquelle la victime dispose d’une robe portant l’ADN du violeur.</p>
<p>Il ne reste qu’à obtenir d’un juge qu’il contraigne Donald Trump à donner son ADN. Quand Trump a accusé Carroll de mensonges, elle l’a poursuivi en diffamation devant les juridictions new-yorkaises et il était question d’une déposition avant les élections. Alors W. Barr, le garde des Sceaux a <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/08/nyregion/donald-trump-jean-carroll-lawsuit-rape.html">voulu protéger le président</a> et, sous des prétextes spécieux, a cherché à renvoyer l’affaire devant une juridiction fédérale. Le juge a refusé mais l’administration a fait appel. Sur ce point, l’administration Biden pourrait décider de peser <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/e-jean-carroll-should-get-to-make-her-case-against-trump/2020/12/04/fa5206dc-35ad-11eb-b59c-adb7153d10c2_story.html">pour que l’affaire reste du ressort des juridictions de l’État</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1222967688676421632"}"></div></p>
<p>Il y a aussi l’instruction menée par le procureur général de New York, qui a demandé directement puis devant la justice d’avoir accès aux documents financiers et fiscaux de Trump. Ces affaires sont en cours et sont remontées jusqu’à la Cour suprême, qui a <a href="https://www.france24.com/fr/20200709- %C3 %A9tats-unis-la-cour-supr %C3 %AAme-autorise-un-procureur- %C3 %A0-acc %C3 %A9der-aux-documents-financiers-de-trump">jugé en juin 2020</a> que les citations à communiquer (<em>subpoenas</em>) du procureur de New York étaient exécutoires et que le grand jury (d’inculpation) pouvait avoir accès à ces documents financiers et fiscaux. Toujours dans l’État de New York, la ministre de la Justice a lancé une <a href="https://www.nytimes.com/2020/08/26/nyregion/trump-letitia-james-investigation.html">large enquête</a> sur les pratiques de l’organisation Trump, sur laquelle pèsent des soupçons de fraudes civiles visant à minimiser la charge fiscale et à gonfler les actifs de façon frauduleuse pour obtenir des emprunts à des conditions favorables.</p>
<p>Le risque est que ces affaires traînent trop ; elles pourraient alors ne plus remplir les conditions d’un contentieux et devenir <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/moot#">« moot »</a> (caduques).</p>
<p>Or, le <a href="https://crushthelsatexam.com/deep-dive-donald-trumps-long-history-of-lawsuits/">passé de Trump</a> montre qu’il sait comment jouer l’obstruction avec les autorités de poursuite et faire traîner les procès en longueur de façon à fatiguer et ruiner ses sous-traitants ou architectes non payés. Si l’on regarde quelques-unes des 4 000 procédures judiciaires dans lesquelles Trump a été impliqué durant près de 50 ans, il faut constater qu’il ne gagne pas toujours et qu’il a été régulièrement contraint d’accepter un règlement à l’amiable, que ce soit dans l’affaire des poursuites pour discrimination raciale (<a href="https://www.clearinghouse.net/detail.php ?id=15342"><em>Trump v. USDOJ</em>, 1973</a>) ou de l’action en justice intentée par les occupants que Trump voulait déloger afin de démolir un immeuble (<a href="https://money.cnn.com/2016/03/28/news/trump-apartment-tenants/">Central Park South Tenants, 1983</a>). Mais les détails sont oubliés et dans le lot, nombre de ses contentieux fantaisistes lui ont permis d’avoir gain de cause comme dans <a href="https://www.vanityfair.com/style/2016/12/how-donald-trump-beat-palm-beach-society-and-won-the-fight-for-mar-a-lago"><em>Trump v. Palm Beach v. County</em>, 1992</a>.</p>
<p>C’est sans doute à la <a href="https://www.scotusblog.com/case-files/cases/trump-v-deutsche-bank-ag/">bataille juridique avec Deutsche Bank en 2008</a> qui donne la meilleure idée de ce qui est susceptible de se passer. Dans l’incapacité de procéder à un remboursement, Trump a attaqué la banque et demandé 3 milliards de dommages et intérêts. La banque a contre-attaqué mais a fini par accepter de renégocier le calendrier de remboursement. Dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, l’absence totale de scrupules doublée de l’utilisation du contentieux à des fins stratégiques a permis au promoteur immobilier d’obtenir gain de cause.</p>
<p>Donald Trump a bien retenu la leçon de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/roy-cohn-l-avocat-total-10-09-2020-2391233_24.php">Roy Cohn</a>, qu’il a appliquée aux contentieux post-élection : toujours attaquer et ne pas s’embarrasser de preuves. Et il s’en est toujours sorti sans que ses avocats soient sanctionnés pour abus de procédure ou pour avoir intenté des actions « frivolous ». Il faut donc s’attendre à ce qu’il continue.</p>
<h2>Pas de prison pour Donald Trump ?</h2>
<p>Donald Trump ira-t-il un jour en prison ? Cela paraît peu probable car il sait faire traîner les choses en longueur et saura transiger en matière privée, et sans doute aussi avec le procureur général de New York. Rappelons qu’aux États-Unis, en matière pénale comme civile, 2 à 3 % des affaires seulement vont en jugement. Les autres se soldent par un plaider coupable ou une transaction. L’avantage d’un accord amiable est que les conditions ne sont pas connues et que le président peut donc clamer qu’il a gagné et rester à la une des médias, sa principale préoccupation avec celle de se refaire une santé financière. Nous savons grâce au NYT qu’il a <a href="https://www.marketwatch.com/story/report-that-trump-is-400-million-in-debt-raises-national-security-concerns-01601332900">400 millions de dettes</a> qui viennent bientôt à échéance. Mais avec son pseudo-fonds de défense juridique, il a déjà levé plus de 200 millions de dollars grâce aux contributions des « pauvres petits Blancs » qu’il prétend défendre. Et lorsqu’on lit de près les statuts de ce comité d’action politique (PAC), on constate que Trump peut utiliser ces fonds <a href="https://www.cbsnews.com/news/trumps-save-america-pac-is-raking-in-donations-what-can-that-money-be-spent-on/">comme bon lui semble</a>.</p>
<p>En conclusion, Trump va sans doute continuer à planer comme un nuage noir sur les États-Unis et l’administration Biden. Son ombre tutélaire néfaste risque aussi de bloquer le parti républicain et <a href="https://theconversation.com/apres-la-defaite-de-donald-trump-que-va-devenir-le-parti-republicain-149772">l’empêcher d’évoluer</a>. Les personnalités de ce parti qui ont des ambitions présidentielles oseront-elles s’avancer si le 20 janvier le président sortant annonce sa candidature pour 2024 ? Plus largement, la question des risques juridiques qui pèsent sur un Trump redevenu citoyen lambda, y compris les interrogations sur un éventuel recours à la grâce présidentielle, ne sont que la partie émergée d’un iceberg d’accusations de crimes et délits, apparentés ou non à la corruption, dont se seraient rendus coupables Trump et ses proches et qui n’ont été découverts que grâce à l’enquête du procureur spécial Mueller, alors qu’ils sont le plus souvent impunis. </p>
<p>Va-t-on assister à un train de réformes législatives comme après l’affaire du Watergate ? Quel sera le rôle du ministère de la Justice que le président élu a <a href="https://www.forbes.com/sites/andrewsolender/2020/09/23/department-of-trump-biden-says-doj-would-be-totally-independent-of-him/">annoncé</a> vouloir indépendant et non partisan ? Ce sont deux questions cruciales pour le successeur de Donald Trump.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151603/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 20 janvier, Donald Trump redeviendra un justiciable comme les autres. D’ici là, va-t-il continuer de gracier ses proches, comme il a déjà commencé de le faire, et peut-il se gracier lui-même ?Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1511642020-12-03T20:18:51Z2020-12-03T20:18:51ZDonald Trump et le scénario du coup d’État<p>Analystes et commentateurs se sont récemment émus des <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/defense-department-election-transition/2020/11/10/5a173e60-2371-11eb-8599-406466ad1b8e_story.html">limogeages</a>, des <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/acting-defense-secretary-chris-miller/2020/11/09/43a4296e-22d0-11eb-8599-406466ad1b8e_story.html">nominations contestables</a> mais aussi des démissions forcées intervenues au sein du <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/defense-secretary-mark-esper-fired-trump/2020/11/09/9b7cbcbc-a5b9-11ea-8681-7d471bf20207_story.html">ministère de la Défense</a> et du <a href="https://www.washingtonpost.com/national/dhs-officials-fired-white-house/2020/11/12/98fdf224-2554-11eb-8599-406466ad1b8e_story.html">secrétariat de l’Intérieur</a> qui ont suivi le 3 novembre.</p>
<p>Les explications proposées par les médias pour justifier cette série de remaniements de dernière minute – hormis le <a href="https://www.leparisien.fr/international/donald-trump-limoge-chris-krebs-un-haut-responsable-contestant-ses-accusations-de-fraude-electorale-18-11-2020-8408959.php">remerciement de Christopher Krebs</a> pour avoir, depuis son poste, considéré les élections comme « les plus sûres » de l’histoire des États-Unis –, tiendraient à la volonté de Donald Trump de mettre fin à la présence militaire américaine en <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/trump-troop-cut-afghanistan-iraq/2020/11/17/ed6f3f80-28fa-11eb-b847-66c66ace1afb_story.html">Afghanistan, en Irak</a> et en <a href="https://www.washingtonpost.com/world/national-security/temporary-us-pentagon-chief-makes-rare-visit-to-somalia/2020/11/27/f588cd30-30e3-11eb-9dd6-2d0179981719_story.html">Somalie</a>, malgré l’avis contraire et répété de l’état-major, et d’exercer une pression maximale sur <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-8932925/Trump-start-operations-against-Iran-Esper-firing-officials-fear.html">l’Iran</a></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1329027964860833794"}"></div></p>
<p>Imaginons un instant une autre raison : le 20 janvier 2021 à 11h du matin, celui qui est toujours président des États-Unis apparaît sur les écrans et proclame vouloir défendre la volonté du peuple, qui a été bafouée par des élections truquées. Il déclare <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/guide-emergency-powers-and-their-use">l’état d’urgence nationale</a> et décrète par <a href="http://juspoliticum.com/article/Les-executive-orders-du-president-des-%C3%89tats-Unis-comme-outil-alternatif-de-legislation-1239.html"><em>executive order</em></a> la dispersion du rassemblement insurrectionnel – la foule réunie pour l’Inauguration Day – au pied du Capitole. </p>
<p>Il annonce que le nouveau chef d’état-major interarmées – le général <a href="https://www.lejdd.fr/International/etats-unis-ce-general-qui-a-ose-contrer-donald-trump-3973414">Mark A. Milley</a> a été limogé pour déloyauté – a placé en état d’arrestation « Tricky Joe » et tous ses complices félons. Il décrète la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-1-page-54.htm">mobilisation de l’ensemble de la Garde nationale</a> des 50 États, la suspension de toutes les permissions et la fermeture des aéroports civils, qui passent sous le contrôle de l’US Air Force. Les garde-côtes reçoivent l’ordre de bloquer les ports. Le tout récent <a href="https://www.washingtonpost.com/national/dhs-officials-fired-white-house/2020/11/12/98fdf224-2554-11eb-8599-406466ad1b8e_story.html">secrétaire à la Sécurité intérieure</a> est sommé d’organiser un couvre-feu national applicable à l’ensemble du territoire et à Porto Rico. En tant que commandant en chef, le président Trump relève l’armée de Terre des restrictions imposées par le <a href="https://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/monograph_reports/MR1251/MR1251.AppD.pdf">Posse Comitatus</a> (1878) et lui ordonne, en vertu de l’Insurrection Act (1807), d’assurer la sécurité dans toutes les villes, contre les pillages et les émeutes, avec l’injonction de tirer à vue sur chaque fauteur de trouble.</p>
<p>Politique-fiction ? Le <em>45th president</em> peut-il tenter un tel scénario avec l’assistance de l’armée des États-Unis ? Donald Trump a tous les pouvoirs du commandant en chef, et d’autres encore, jusqu’à l’ultime seconde de son mandat. Il aurait pu s’en servir pour se maintenir au pouvoir… s'il n’avait pas été le président de l’union fédérale la plus républicaine du monde.</p>
<h2>Les conditions potentielles d’un <em>pronunciamiento</em></h2>
<p>La Constitution des États-Unis fournit les conditions idéales d’un coup d’État militaire.</p>
<p>Tous les pays qui ont répliqué son texte fondamental sont passés par la dictature : les « républiques-sœurs » d’Amérique latine, les Philippines, mais aussi la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1848-iie-republique">France de la IIᵉ République (1848-1852)</a>, dont la loi fondamentale reproduisait l’organisation de sa cousine d’outre-Atlantique. On sait comment le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte obtint par référendum la présidence à vie, séduisit l’armée, emprisonna la majorité parlementaire royaliste et réprima dans le sang le soulèvement ouvrier et républicain (400 morts et 27 000 interpellations). Il transforma la Constitution républicaine en Empire par un simple <em>senatus-consulte</em>.</p>
<p>Outre la légitimité présidentielle tirée du suffrage universel, une particularité du système présidentiel américain procède de l’alliage, datant de 1787, entre des principes démocratiques et les ressorts profonds de la monarchie britannique, pourtant honnie : le discours sur l’État de l’Union reproduit le discours du trône et, surtout, la Constitution reprend la fonction royale de <em>Commander in Chief</em> – équivalent du <em>Princeps imperator</em> romain – qui fait du président des États-Unis, même le plus inculte dans l’art militaire, un vrai généralissime sans étoiles qui, comme le roi d’Angleterre, <a href="https://scholarship.law.georgetown.edu/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://www.google.com/&httpsredir=1&article=2699&context=facpub">peut diriger directement les troupes</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/372225/original/file-20201201-16-131j9yc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/372225/original/file-20201201-16-131j9yc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/372225/original/file-20201201-16-131j9yc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/372225/original/file-20201201-16-131j9yc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/372225/original/file-20201201-16-131j9yc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/372225/original/file-20201201-16-131j9yc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/372225/original/file-20201201-16-131j9yc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">George Washington passe les troupes en revue pendant la « Rébellion du Whisky ». Attribué à Frederick Kemmelmeyer, 1795.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Metropolitan Museum of Art/Wikimedia</span></span>
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<p>Washington commande à cheval sa cavalerie contre les insurgés de la <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-whiskey-rebellion-9780195051919">Whiskey Rebellion (1791-1794</a>). Madison ordonne lui-même de tirer au canon contre la flotte britannique, lors de la seconde guerre d’indépendance (1814). De nos jours, le <em>Chief Executive</em> ordonne régulièrement frappes aériennes et exécutions extra-judiciaires. Rappelons les <a href="https://www.thebureauinvestigates.com/stories/2017-01-17/obamas-covert-drone-war-in-numbers-ten-times-more-strikes-than-bush">très nombreuses</a> attaques par drones approuvées par Barack Obama.</p>
<p>Après la proclamation des États-Unis, les pouvoirs de guerre du président ont été décuplés. En 1798, lors de la <a href="https://courrierdesameriques.com/2020/06/04/la-quasi-guerre-quand-la-france-et-les-etats-unis-ne-saimaient-pas/">« quasi-guerre » franco-américaine</a>, le président John Adams fait passer la loi contre la « sédition » et les « étrangers » (<a href="https://www.ourdocuments.gov/doc.php?flash=false&doc=16&page=transcript"><em>Alien and Sedition Act</em></a>). Il y gagne le droit d’expulser toute personne « dangereuse pour la paix et la sécurité des États-Unis ». Lors de la guerre civile, Lincoln permet par un simple <a href="https://en.wikisource.org/wiki/Order_to_Suspend_Habeas_Corpus,_April_27,_1861"><em>executive order</em></a> au général Scott de suspendre l’<em>habeas corpus</em> entre Philadelphie et Washington. Certains civils passent <a href="https://teachingamericanhistory.org/library/document/ex-parte-merryman/">devant des juridictions militaires</a>, sans droit de recours. Lincoln fait ensuite voter une <a href="http://memory.loc.gov/cgi-bin/ampage?collId=llsl&fileName=012/llsl012.db&recNum=0786">loi générale qui lui donne le droit</a> de suspendre l’<em>habeas corpus</em>, n’importe où pendant toute la rébellion.</p>
<p>Plus tard, sur la base de l’<a href="https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/1045/espionage-act-of-1917"><em>Espionage Act</em></a> de 1917 – toujours en vigueur et en vertu duquel <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2013/jun/22/snowden-espionage-charges">Edward Snowden</a> a été <a href="https://www.washingtonpost.com/world/national-security/us-charges-snowden-with-espionage/2013/06/21/507497d8-dab1-11e2-a016-92547bf094cc_story.html">inculpé</a> –, Roosevelt signera seul l’<a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/executive-order-9066-authorizing-the-secretary-war-prescribe-military-areas"><em>executive order</em> n° 9066</a> (février 1942), qui a permis l’internement sans recours de quelques 120 000 citoyens d’origine japonaise et 11 000 citoyens d’origine allemande, fraîchement naturalisés.</p>
<p>Par ailleurs, l’<a href="https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF10539"><em>Insurrection Act</em></a> voté en 1807 donne au président le droit de déployer l’armée sur tout le territoire des États-Unis pour mettre un terme aux incursions (indiennes à l’époque), aux troubles civils, à l’insurrection et à la rébellion.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sfEu91mxIsk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il a été invoqué une vingtaine de fois depuis lors, soit à la demande d’un gouverneur quand sa garde nationale ne suffisait pas à ramener l’ordre, soit à l’initiative directe du gouvernement fédéral. Au XX<sup>e</sup> siècle L’<em>Insurrection Act</em> a servi à réduire les émeutes racistes au Mississippi et dans l’Alabama en 1962-1963 et à contenir les émeutes raciales de Detroit en 1967, de Washington, Baltimore et Chicago en 1968 après la mort de Martin Luther King, et enfin de Los Angeles en 1992. <a href="https://www.nytimes.com/article/insurrection-act.html">Donald Trump a menacé de déployer l’armée</a>, en juin 2020, face aux débordements qui ont suivi la mort de George Floyd.</p>
<h2><em>Cedant Arma Togae</em></h2>
<p>Pour l’instant, et jusqu’à preuve du contraire, aucune des lois d’exception américaines, si elles ont pu restreindre considérablement les libertés individuelles, n’a servi à un coup d’État d’origine présidentielle.</p>
<p>Tout d’abord, l’état-major a intériorisé, depuis le temps exemplaire de George Washington, l’antimilitarisme à la romaine des Pères fondateurs (<em>Cedant Arma Togae</em>, c’est-à-dire « que les armes cèdent à la toge »), comme le montre une résolution du Congrès adoptée le 2 juin 1784 :</p>
<blockquote>
<p>« Les armées constituées en temps de paix sont incompatibles avec les principes de gouvernement républicain. Elles sont dangereuses pour les libertés d’un peuple libre. Elles sont généralement utilisées comme un appareil de destruction pour installer la dictature. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, autant l’opinion et la classe politique américaines considèrent l’armée comme un acteur à part entière de la politique publique, autant elles ne lui octroient aucune primauté institutionnelle. Ce n’est pas une armée de métier qui a fondé la Nation américaine, mais bien celle des volontaires patriotes. Le refus, jusqu’en 1947, d’une vraie armée de terre permanente en temps de paix, et la phobie d’un « Grand état-major général » à la prussienne, totalement indépendant, tout-puissant et capable de décider d’une entrée en guerre, illustrent ce rejet d’un établissement militaire complètement institutionnalisé.</p>
<p>Comme la Constitution américaine a été pensée contre l’absolutisme royal et l’existence d’une armée à son seul service, l’activité militaire est soumise au double contrôle du Congrès et du président. Ainsi, en 1917-1918, Wilson imposera à Pershing la nécessité de conclure l’armistice de novembre. Fin 1950, Truman <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1960_num_10_3_392584">interdira à MacArthur de porter la guerre contre la Chine</a> pendant le conflit coréen et le <a href="https://www.trumanlibrary.gov/education/presidential-inquiries/firing-macarthur">relèvera de ses fonctions</a> en avril 1951. Le général devenu président Dwight Eisenhower a écarté le modèle du <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/enterprise-and-society/article/not-yet-a-garrison-state-reconsidering-eisenhowers-militaryindustrial-complex/FB1676EAF3D085F14D2ACC291EF8384C"><em>garrison state</em></a> (l’État spartiate), qui aurait pu conduire à une économie de guerre permanente, dictée par le conflit est-ouest.</p>
<p>Outre le président, le Congrès américain surveille à la loupe les moindres modifications internes du Pentagone. L’état-major interarmées se voit très limité par le nombre total de ses officiers – quelques dizaines selon la <a href="https://history.state.gov/milestones/1945-1952/national-security-act">loi de sécurité nationale de 1947</a> – tandis que la <a href="https://www.congress.gov/bill/99th-congress/house-bill/3622">loi Goldwater-Nichols</a> de 1986 lui enlève tout commandement opérationnel à l’exception du feu nucléaire, sous la responsabilité technique du général présidant l’état-major.</p>
<h2>L’armée, rempart de la démocratie américaine</h2>
<p>La dernière raison qui rend impossible l’utilisation de l’armée pour un éventuel coup d’État relève d’une loi universelle non écrite. Le sens profond et la destinée des régimes se jouent durant leur première décennie. La République américaine a pu naître grâce au sacrifice de ses patriotes, face à une armée coloniale implacable et dirigée par un souverain dominateur. Cette naissance garantit la passation de pouvoir au nom d’un peuple qui se gouverne librement. Dès le départ, ni Washington, ni Madison, ni même le bouillonnant général-président Andrew Jackson ne profitèrent de leurs extraordinaires ressources militaires pour imposer une lecture autoritaire de leur fonction. La loi martiale, édictée le cas échéant, s’évanouit une fois le danger passé. <em>De facto et de jure</em>, le caractère sacré de la volonté du peuple, volonté qui s’impose par le vote, l’a toujours emporté.</p>
<p>Un président souhaitant abuser de l’<em>Insurrection Act</em> pour établir un pouvoir arbitraire ou se maintenir à la Maison Blanche aurait même à faire face à l’Armée de cette Union qui n’est pas « son » armée. Lorsque Trump caressa l’idée d’utiliser les instruments de l’<em>Insurrection Act</em> pour mater les troubles de Portland, <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=m7-1BwEM5No">son secrétaire à la Défense, Mark Esper</a>, et derrière lui tout le haut commandement, s’y opposa publiquement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268226478103240704"}"></div></p>
<p>En matière de prise de décision politico-militaire, il existe une liberté de parole considérable accordée aux généraux et aux subordonnés civils du secrétaire à la Défense. Ils doivent avoir leur propre opinion sur la politique de défense et ne pas hésiter à la donner. Cela s’explique par les principes de décentralisation et de subsidiarité qui régissent la gouvernance américaine. Enfin, le caractère comminatoire des convocations aux commissions du Congrès a habitué les officiers généraux à dévoiler le fond de leur pensée.</p>
<p>De façon générale, à travers l’histoire du pays, on ne peut que souligner le peu d’appétence des généraux américains, et pour la guerre, et pour le pouvoir autoritaire, encore plus lorsqu’ils deviennent présidents à la faveur des circonstances. C’est bien malgré lui qu’Ulysses S. Grant – qui avait obtenu le pouvoir d’intervention militaire en 1871, à travers le <em>Third Enforcement Act</em>, pour réduire les atrocités du Ku Klux Klan dans le Sud – se retrouva obligé de sécuriser les résultats de l’élection la plus controversée en 1876. Grant dut <a href="https://history.army.mil/html/books/075/75-18/cmhPub_75-18.pdf">envoyer les forces armées</a> en Louisiane, en Caroline et en Floride, où, pour le coup, des fraudes patentes et des obstructions électorales avaient faussé les résultats. La paix civile fut rétablie au prix d’une transaction funeste entre Républicains (finalement vainqueurs) et Démocrates : la <a href="https://time.com/5562869/reconstruction-history/">Reconstruction</a> (1865-1877) fut abandonnée dans le Sud.</p>
<p>Quand « Ike » Eisenhower employa à nouveau la force armée dans le Sud en 1956, ce fut pour forcer la déségrégation. Il ordonna à la Garde nationale partisane de l’Arkansas de regagner ses cantonnements et la remplaça par un régiment de la prestigieuse 101e Aéroportée, pour permettre à des élèves noirs d’accéder à une école de Little Rock. On est loin du jour où César imperator, consul et dictateur – fonctions temporaires – accepta du Sénat la dictature à vie, hors de toute règle républicaine.</p>
<p>Ainsi donc, la tentation dictatoriale d’un perdant mégalomane et mauvais joueur ne serait pas servie par les pouvoirs autorisés par les lois d’exception. Peut-être ce pays pourrait-il connaître un jour – comme d’autres – une dictature militaire, sous l’effet malheureux d’une implosion de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00941517/">son impérialisme informel</a> et <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00941517/">global</a>. Mais ce temps paraît loin, très loin des hypothèses trumpiennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151164/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Même si la Constitution américaine confère au président des pouvoirs considérables en matière militaire, les contrepoids sont suffisants pour l’empêcher de conserver le pouvoir par la force.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)François David, Professeur des Universités, Université Littoral Côte d'Opale Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1503282020-11-23T20:32:42Z2020-11-23T20:32:42ZÉtats-Unis : l’impact de l’originalisme des juges conservateurs à la Cour suprême<p>La nomination par le président Trump de trois juges conservateurs à la Cour suprême des États-Unis (Neil Gorsuch en 2017, Brett Kavanaugh en 2018 et Amy Coney Barrett en 2020) a eu pour effet de renforcer la présence de la doctrine originaliste au sein de la plus haute juridiction des États-Unis, déjà représentée par Samuel Alito et Clarence Thomas.</p>
<p>L’influence de cette doctrine sera notable dans les années, voire les décennies à venir. Rappelons que, depuis une décision de 1803 <a href="https://mafr.fr/fr/article/cour-supreme-des-etats-unis/">(Marbury v. Madison)</a>, la Cour suprême est chargée de contrôler la constitutionnalité des lois fédérales. De la vision qu’ont ses juges de la notion de « constitutionnalité » dépendra donc l’adoption ou non de toutes les lois à venir, à commencer par celles que cherchera à faire passer l’administration Biden.</p>
<h2>Une méthode d’interprétation de la Constitution</h2>
<p>L’« originalisme » est une théorie de l’interprétation de la Constitution qui prend le contre-pied de la méthode d’<a href="https://rudrajyotinathray.com/2017/07/30/the-nature-of-judicial-power-the-theory-of-creative-interpretation/">interprétation créative</a> qui avait marqué la Cour suprême sous la présidence du juge Warren entre 1953 et 1969, et qui a été qualifiée de « Constitution vivante ». Cette période progressiste de la présidence Warren a, entre autres, mené à la fin de la ségrégation raciale dans les écoles (<a href="https://www.lepetitjuriste.fr/larret-brown-v-board-of-education-entre-droit-sciences-sociales/">Brown v. Board of Education</a> en 1954), ou au renforcement des droits de la défense en matière pénale (<a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/384/436/">Amanda v. Arizona</a> en 1966).</p>
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<p>La Cour Warren avait accompagné le développement de la régulation économique fédérale, dans une sorte du prolongement de l’interventionnisme hérité du New Deal. À contre-pied de cette conception, les originalistes recommandent une interprétation littérale de la Constitution, consistant à s’en tenir à son seul texte et, si besoin, aux intentions des Pères fondateurs, rédacteurs et « ratificateurs » de la Constitution de 1787. C’est à partir des années 1970 que l’originalisme s’est développé dans les facultés de droit et, surtout, dans les tribunaux fédéraux.</p>
<h2>Madison plutôt que Hamilton</h2>
<p>Au regard de leur opposition à la doctrine de la « Constitution vivante », les juges originalistes comme Robert Bork (1927-2012), qui fut juge à la Cour d’appel fédérale pour le Circuit du District of Columbia, Antonin Scalia (1936-2016) et Clarence Thomas, actuellement juge à la Cour suprême, sont plus proches des idées politiques de James Madison que de celles d’Alexander Hamilton qui, parmi les Pères fondateurs, fut celui qui <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/linvention-de-la-republique-americaine-9782012794627.">défendit le plus un gouvernement fort</a>.</p>
<p>Pour Madison, la question constitutionnelle majeure, dans une république basée sur l’élection, est de protéger la minorité contre la dictature de la majorité. Comment réaliser cet équilibre entre la volonté politique de la majorité issue du vote et la préservation des intérêts économiques et sociaux de la minorité ? Madison voyait la solution dans la vertu publique des hommes d’État, plus précisément des représentants élus. Dans la filiation de Madison, Robert Bork a développé cette perspective en la reformulant : entre les droits de la majorité et ceux de la minorité, le juge fédéral ne doit être prisonnier ni des uns ni des autres. Il doit s’en tenir à une position neutre. Or seule la fidélité au texte ou à la signification originelle de la Constitution est garante de la neutralité du juge.</p>
<p>Dans leur pratique, les juges originalistes fondent leur raisonnement soit sur les intentions originelles, soit sur le sens public originel de la Constitution. La première variante considère que la signification de la Constitution est déterminée par les intentions de ses auteurs (les Pères fondateurs) ou de l’assemblée qui a ratifié le texte. La deuxième variante consiste à se référer au sens du texte, lequel est déterminé par le sens des mots et de phrases existant au moment où la Constitution a été écrite et ratifiée. Comme <a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/cdozo40&div=83&id=&page=">il n’existe pas de méthodologie précise de l’originalisme</a>, les différents juges développent leur propre approche ; Douglas Ginsburg, juge à la cour fédérale d’appel du District de Columbia, privilégie la première variante, que Scalia et Thomas rejettent, au profit de la deuxième.</p>
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<p>L’idée que les juges non élus de la Cour suprême et, au-delà, des juges fédéraux puissent rendre des décisions qui dépassent le sens de la Constitution de 1787 et réalisent des finalités socioéconomiques adaptées au temps présent, est condamnée par les tenants de l’originalisme : en posant que la Constitution n’est pas un texte intangible, les juges qui en font un document vivant se substituent au législateur.</p>
<p>La pratique de la « Constitution vivante » conduit à mettre à mal la séparation des pouvoirs ; elle manque alors de légitimité, notamment démocratique. Scalia, par exemple, écrivait (citant Madison, se référant lui-même à Montesquieu) que quand le juge se fait législateur, la vie et la liberté sont menacées…</p>
<h2>Quel impact sur les questions économiques et sociétales ?</h2>
<p>La « <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/commerce_clause">Commerce clause</a> » est une disposition importante de la Constitution des États-Unis : elle attribue au Congrès le pouvoir de réglementer le commerce extérieur de l’Union et celui entre les États fédérés. Cette disposition est fondamentale en ce qu’elle attribue au Congrès un pouvoir de réglementation économique, qui n’a manqué d’être étendu au cours du temps, particulièrement pendant le New Deal.</p>
<p>Une évolution notable de la jurisprudence a consisté à appliquer cette disposition même en l’absence de commerce entre États, ce qui a été qualifié de <a href="https://blogs.parisnanterre.fr/content/propos-de-la-constitution-am%C3%A9ricaine-et-de-la-%E2%80%98dormant-commerce-clause%E2%80%99-une-analyse-des-rela">« Dormant Commerce clause »</a> : une mesure ou une décision prise dans un État peut impacter le commerce inter-États. Cette jurisprudence, qui donne une compétence fédérale sur des mesures locales, est une cible privilégiée des juges originalistes, notamment de Clarence Thomas. Selon lui, le 10<sup>e</sup> amendement prévoit que les pouvoirs devraient être exercés par les États plutôt que par le niveau fédéral.</p>
<p>Sur un fond de libéralisme économique et de conservatisme politique et social, des juges originalistes ont pu exprimer, ponctuellement, des opinions progressistes. Ainsi, dans une opinion dissidente à la décision <a href="https://www.oyez.org/cases/2003/03-6696">Hamdi v. Rumsfeld en 2004</a>, Scalia affirma, contre Thomas, que la <em>due process clause</em> interdit au gouvernement de pratiquer la rétention administrative de citoyens américains, quand bien même ils auraient projeté de commettre des actes terroristes contre les États-Unis. Plus récemment, la décision <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/19pdf/17-1618_hfci.pdf">Bostock v. Clayton County</a>, en faveur de laquelle ont voté deux juges originalistes, a été rendue en faveur de l’égalité des droits des Américains transgenres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276522073033236482"}"></div></p>
<p>En revanche, la réglementation de la possession d’armes à feu a fait l’objet de décisions contradictoires de la Cour suprême. Elle a en effet déclaré contraire à la Constitution le <a href="https://www.congress.gov/bill/101st-congress/senate-bill/2070">Gun Free School Zones Act</a> de 1990 qui rendait illégale la possession d’armes à feu dans les écoles ou à proximité (<a href="https://www.oyez.org/cases/1994/93-1260">U.S. v. Lopez, 1995</a>), tout comme une ordonnance du District of Columbia imposant l’existence d’une sécurité sur les armes détenues par les particuliers (<a href="https://www.oyez.org/cases/2007/07-290">District of Columbia v. Heller, 2008</a>). La juge progressiste Ruth Bader Ginsburg exprimait une <a href="https://theconversation.com/ruth-bader-ginsburg-une-vie-de-combats-146605">opinion contraire</a>.</p>
<h2>Une neutralité en trompe-l’œil</h2>
<p>L’originalisme pose un problème : il affirme que la Constitution doit être comprise en référence à la signification publique qu’elle avait au moment de sa promulgation ou dans l’esprit des Pères fondateurs, mais il ne donne pas la clé pour comprendre le sens aux origines, ni la production de normes sur ce fondement.</p>
<p>Des auteurs originalistes comme <a href="http://juspoliticum.com/article/Jack-M-Balkin-Le-constitutionnalisme-americain-Au-dela-de-la-Constitution-des-origines-et-de-la-constitution-vivante-Paris-Dalloz-2016-1206.html">Jack Balkin</a> admettent que le texte originel contient de l’indétermination et peut donc donner lieu à des interprétations différentes. Le texte originel ne garantit pas la neutralité ou l’impartialité que les originalistes revendiquent. Pour autant, des décisions progressistes comme l’arrêt Bostock ne sont pas garanties dans le futur, dans la mesure où les juges conservateurs détiennent dorénavant les deux tiers, ce qui peut priver la Cour de la raisonnabilité assurée par des « swing justice » dont la position centriste ou la liberté partisane pouvait conduire à appuyer, au cas par cas, des décisions progressistes ou conservatrices. Cela peut poser un problème en cela que la légitimité de la Cour <a href="https://edition.cnn.com/2018/10/05/politics/supreme-court-elena-kagan-legitimacy/index.html">vient souvent de ses divisions politiques</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150328/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La nomination in extremis par Donald Trump d’Amy Coney Barrett renforce encore, au sein de la Cour suprême américaine, la tendance originaliste, qui prône une lecture littérale de la Constitution.Thierry Kirat, Directeur de recherche au CNRS (IRISSO, Paris-Dauphine), Université Paris Dauphine – PSLFrédéric Marty, Chargé de recherche CNRS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1501542020-11-18T21:34:20Z2020-11-18T21:34:20ZLa légitimité de la Cour suprême américaine à l’épreuve de son conservatisme<p>Selon les derniers décomptes, Joe Biden, président nouvellement élu des États-Unis, dépasse le président encore en exercice Donald Trump de <a href="https://cookpolitical.com/2020-national-popular-vote-tracker">plus de 5 millions de voix</a> en termes de vote populaire national.</p>
<p>Cependant, la vague bleue attendue par les Démocrates ne s’est pas matérialisée : au vu des faibles marges des victoires de Biden dans plusieurs États clés, comme le <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/11/05/us/wisconsin-election-results-biden-trump.html">Wisconsin</a>, la <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/11/03/us/elections/results-pennsylvania-president.html">Pennsylvanie</a> et la <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/11/04/us/elections/georgia-counties-battleground-state.html">Géorgie</a>, au vu de la capacité des Républicains à conserver des <a href="https://time.com/5906966/2020-election-senate/">sièges clés au Sénat</a> et au vu des performances médiocres des Démocrates dans la conquête des <a href="https://www.cnn.com/2020/11/04/politics/house-race-results-2020/index.html">sièges contestés à la Chambre</a>, quelle que soit la façon dont les derniers votes seront comptés (et recomptés) pour déterminer les résultats, l’élection de 2020 n’aura pas été le référendum anti-Républicain que le parti de l’âne avait espéré.</p>
<p>Cette réalité peut être déterminante pour la façon dont la majorité conservatrice à la Cour suprême, fraîchement galvanisée par la nomination in extremis d’Amy Barrett, choisira de trancher les litiges électoraux et légaux pendants (notamment celui qui porte sur l’<a href="https://www.la-croix.com/Monde/%C3%89tats-Unis-Cour-supreme-osera-elle-abroger-lObamacare-2020-11-10-1201123948">Obamacare</a>). </p>
<p>La Cour restera-t-elle, dans les années à venir, un pouvoir judiciaire objectif et indépendant de tout agenda partisan ?</p>
<h2>« Conservatrice » n’est pas synonyme d’« à la botte des Républicains »</h2>
<p>Un peu plus d’une semaine avant le jour de l’élection, et cinq semaines seulement après la mort de la juge Ruth Bader Ginsberg, le Sénat a confirmé, <a href="https://www.senate.gov/legislative/LIS/roll_call_lists/roll_call_vote_cfm.cfm?congress=116&session=2&vote=00222">par 51 voix contre 48</a>, la nomination à la Cour suprême d’Amy Coney Barrett, juge de la septième Cour de circuit, à l’issue d’un processus éclair, renforçant ainsi la majorité conservatrice de la Cour.</p>
<p>Les trois nominations de Donald Trump à la Cour suprême au cours de son actuel mandat de président ne sont pas en soi exceptionnelles, <a href="https://www.senate.gov/legislative/nominations/SupremeCourtNominations1789present.htm">bien qu’aucun président républicain n’ait nommé trois juges</a> depuis Ronald Reagan et Richard Nixon avant lui. Mais le choix des personnalités sélectionnées témoigne de l’existence et de l’efficacité d’un mouvement conservateur concerté dans le monde des gens de loi, et soulève des questions concernant le mandat supposé apolitique de la Cour.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1310179375300718592"}"></div></p>
<p>La domination conservatrice sur la Cour suprême n’est plus une impression mais un fait confirmé. Depuis l’émergence de la <em>Federalist Society</em>, qui a démarré en 1982 comme une <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2018/08/27/federalist-society-yale-history-conservative-law-court-219608">association d’étudiants conservateurs de Yale</a> sous les bienveillants auspices de la présidence Reagan, des avocats, juristes, universitaires et politiciens conservateurs ont travaillé discrètement et avec diligence à développer un réseau cohérent et omniprésent, capable d’exercer une influence décisive sur le système judiciaire américain. La consolidation de la majorité conservatrice de la Cour est moins un coup d’État à courte portée qu’une maturation de long terme, fruit d’un investissement organisationnel et institutionnel réalisé sur un demi-siècle.</p>
<p>Cependant, une Cour conservatrice n’équivaut pas nécessairement à une Cour à la botte du parti républicain, une nuance que beaucoup d’<a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/10/27/theres-no-more-doubt-democrats-have-expand-supreme-court/">appels à l’élargissement de la Cour</a> et à l’<a href="https://thefulcrum.us/balance-of-power/supreme-court-term-limits">élimination de la nomination à vie des juges</a> semblent ignorer. Contrairement aux pouvoirs exécutif et législatif, dans la branche judiciaire l’idéologie politique, qui n’a d’ailleurs <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2014/06/12/section-1-growing-ideological-consistency/">pas toujours été le marqueur absolu de l’identification partisane</a> qu’elle est devenue, a une incidence différente.</p>
<p>Pour les fonctions électives, l’appartenance à un parti est un outil puissant et nécessaire. Le rattachement partisan, qui reste l’indicateur le plus fort du choix des électeurs, permet de faire entrer les hommes politiques en fonction, et de les y maintenir. Dans le processus électoral, les programmes des partis politiques aident les électeurs à traduire leurs valeurs, leurs convictions et leurs préférences en projet politique articulé, poursuivi ensuite par les élus souhaitant rester en poste. Représenter la ligne politique des électeurs (le plus souvent celle de leur parti) est un élément essentiel du travail des élus.</p>
<p>Dans la branche judiciaire, cependant, la tradition américaine de Common Law n’offre aucun rôle structurel formel aux partis politiques. Comme Amy Coney Barrett l’a répété <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/10/secret-code-senate-confirmation-hearings/616704/">tout au long de son audience de confirmation</a>, le <em>stare decisis</em> signifie que les juges sont liés par les précédents de la Cour dans leurs décisions. Un tribunal conservateur ne signifie pas un tribunal Républicain. L’influence de l’idéologie politique dans le prétoire est différente, par conception, de son influence au Congrès ou à la Présidence.</p>
<h2>Le rôle de l’idéologie à la Cour</h2>
<p>Même si une majorité conservatrice à la Cour ne peut pas signifier la même chose qu’à la Chambre ou au Sénat, l’idéologie joue certainement un rôle dans la façon dont les juges sont examinés lors de leurs audiences de confirmation, puis dans celle dont ils choisissent les affaires à entendre et, en fin de compte, appliquent les précédents pour décider de ces affaires.</p>
<p>Les propos de la sénatrice démocrate de Californie Diane Feinstein lors de la première audience de confirmation de Barrett à la Cour d’appel du septième district – s’inquiétant que le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9mDQM1TzlAM">dogme vivait fort en elle</a>, ce qui a pu apparaître comme une disqualification idéologique potentielle de la foi catholique de Barrett – ont été largement critiqués comme étant hors limites et inappropriés. Pour autant, bien que la foi catholique de Barrett et sa position rigide sur l’avortement ne dussent pas la disqualifier pour siéger au sein de la Cour suprême en vertu de la clause constitutionnelle <a href="https://constitutioncenter.org/interactive-constitution/interpretation/article-vi/clauses/32">« No Religious Test »</a> (article VI), beaucoup notent son apparente discordance avec l’opinion publique américaine : une majorité d’Américains <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2017/01/03/about-seven-in-ten-americans-oppose-overturning-roe-v-wade/">ne souhaitent pas voir le droit à l’avortement remis en cause</a>.</p>
<p>Comme les juges de la Cour sont si fortement liés à la pratique du précédent, la manifestation la plus ostensible de leur idéologie passera par <a href="https://www.vox.com/the-big-idea/2017/3/20/14976926/gorsuch-natural-law-supreme-court-hearings">leur rattachement à une philosophie du droit spécifique</a> dans l’élaboration de leur argumentaire.</p>
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<p>La dichotomie « activisme versus retenue judiciaire », qui alimente une grande partie du débat actuel sur la façon dont les juges considèrent leur rôle et sont identifiés idéologiquement, n’a pas toujours été une question d’appartenance libérale ou conservatrice. Dans un article de la <a href="https://texaslawreview.org/why-liberals-and-conservatives-flipped-on-judicial-restraint-judicial-review-in-the-cycles-of-constitutional-time/"><em>Texas Law Review</em></a>, Jack M. Balkin note que les libéraux et les conservateurs ont changé de position sur la retenue judiciaire et le rôle des tribunaux fédéraux deux fois au cours du seul XX<sup>e</sup> siècle, les libéraux étant pour la retenue quand les conservateurs étaient en position dominante, c’est-à-dire le plus souvent. Si l’histoire est un outil utile pour comprendre les tendances futures, ce qui peut être aujourd’hui une philosophie du droit conservatrice peut ne pas l’être demain.</p>
<p>En outre, l’idéologie des juges ne reste pas figée dans le temps, mais tend à évoluer au fur et à mesure que les juges s’affermissent dans leur fonction – la <a href="https://www.flother.is/2016/supreme-court-ideology/">tendance étant en fait d’une évolution vers la gauche</a> (comme l’ont montré les juges Kennedy et maintenant Roberts). Si une tendance à la libéralisation à long terme n’apporte peut-être pas beaucoup de réconfort à ceux qui notent à juste titre que les personnalités nommées par Trump ne suivront probablement pas la « troisième voie » modérée de Roberts, on peut trouver de l’espoir dans le besoin de légitimité de la Cour.</p>
<h2>Un besoin sans fin de légitimité</h2>
<p>Hamilton écrit dans les <em>Federalist Papers</em> (essai 78) qu’à cause de la <a href="https://avalon.law.yale.edu/18th_century/fed78.asp">faiblesse naturelle du pouvoir judiciaire</a>, il risque constamment d’être écrasé par les autres branches.</p>
<p>Le déficit démocratique de la Cour est à la fois son plus grand atout et sa plus grande faiblesse : pour avoir la liberté, une nation doit avoir un pouvoir judiciaire indépendant des évaluations constantes des électeurs. Contrairement au président ou aux membres du Congrès, le pouvoir judiciaire doit être libéré du joug de la responsabilité démocratique – sinon les juges agiraient probablement comme des législateurs représentant la volonté des électeurs (dans l’espoir de conserver leur fonction).</p>
<p>Paradoxalement, c’est cette même protection qui devient un handicap. John Marshall en était bien conscient lors de l’affaire <a href="https://caselaw.findlaw.com/us-supreme-court/5/137.html"><em>Marbury v. Madison</em></a> (1803) : fallait-il céder à la tentation partisane en privilégiant la vision fédéraliste des juges et risquer de perdre toute légitimité si le Président choisissait de ne pas tenir compte de leur décision ? On peut dire la même chose de la relation de la Cour avec l’opinion publique. D’après <a href="https://constitutioncenter.org/blog/the-supreme-court-and-the-climate-of-the-era">Paul Freund</a>, spécialiste du droit constitutionnel états-unien au XX<sup>e</sup> siècle, « la [Cour] ne devrait jamais être influencée par le temps qu’il fait, mais elle le sera inévitablement par le climat de l’époque ».</p>
<p>Même si les juges sont à l’abri des grêlons de l’opinion publique, un mépris total, en particulier s’il est supposé fondé sur une base partisane, des positions des autres branches du gouvernement et de l’opinion publique menacerait l’élément vital de la Cour, à savoir sa légitimité. Le président pourrait tenter de la faire plier, comme Franklin D. Roosevelt avait menacé de le faire avec le projet de <a href="https://time.com/5702280/court-packing-history/">loi de réforme des procédures judiciaires de 1937</a>, et le public pourrait décider d’ignorer ses décisions.</p>
<p>Malgré le désir manifeste du président Donald Trump de voir la Cour suprême <a href="https://www.cnn.com/politics/live-news/trump-biden-election-results-11-07-20/h_6bb233b1c4b08fad2ed9360532fa7696">reconsidérer les résultats de l’élection en sa faveur</a>, l’avance de Biden a été suffisamment importante pour qu’il soit peu probable que la Cour décide de la course, comme elle l’a fait en 2000. Le président a suggéré qu’il <a href="https://www.reuters.com/article/uk-usa-election-legal-challenges-factbox/factbox-trump-continues-court-battles-as-biden-prevails-in-u-s-election-idUSKBN27N0UI">continuerait de s’opposer</a> aux résultats par le biais des tribunaux. Si jamais <a href="https://edition.cnn.com/2020/11/09/politics/election-trump-court-push-claims/index.html">l’un des nombreux procès intentés par la campagne Trump devait atteindre la Cour suprême</a>, la nouvelle majorité conservatrice déciderait non seulement des votes qui devraient ou ne devraient pas être comptés, mais aussi de son propre avenir en tant que troisième branche légitime et indépendante du gouvernement.</p>
<p>À tort ou à raison, le fait que la campagne Trump ait réussi à obtenir une troisième nomination en quatre ans signifie que tous les yeux seront tournés vers la nouvelle Cour conservatrice et qu’elle patine sur une mince couche de glace.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150154/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certes, la Cour suprême américaine penche désormais très nettement du côté des conservateurs. Pour autant, elle n’est pas devenue un outil politique à la botte de Donald Trump et du parti républicain.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Robin D. Presthus, Enseignant au Moravian College de Pennsylvanie, doctorant au Laboratoire Interdisciplinaire De Droit et Mutations Sociales, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.