tag:theconversation.com,2011:/id/topics/ex-yougoslavie-26305/articlesex-Yougoslavie – The Conversation2023-06-01T16:18:02Ztag:theconversation.com,2011:article/2068172023-06-01T16:18:02Z2023-06-01T16:18:02ZKosovo : comprendre le récent déchaînement de violence<p>La recrudescence des affrontements violents <a href="https://www.lemonde.fr/videos/video/2023/05/30/kosovo-des-violences-inedites-contre-les-forces-de-l-otan_6175453_1669088.html">dans le nord du Kosovo</a> nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17502977.2023.2182994">conflits interconnectés</a> que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.</p>
<p>La <a href="https://www.rferl.org/a/nato-kosovo-tensions-police-clash-serb-majority-north/32430434.html">dernière montée des tensions en date</a> s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers kosovars et ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants. Les affrontements ont provoqué de nombreux blessés, dont une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/balkans-au-kosovo-une-trentaine-de-soldats-de-l-otan-blesses-dans-une-nouvelle-flambee-de-tensions">trentaine de soldats de la force de maintien de la paix de l’OTAN</a>.</p>
<p>Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont <a href="https://www.lindependant.fr/2022/12/27/des-barricades-a-mitrovica-pourquoi-les-tensions-ressurgissent-entre-la-serbie-et-le-kosovo-10891644.php">démissionné</a>. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.</p>
<p>Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des <a href="https://www.evropaelire.org/a/institucionet-paralele-te-serbise-qe-pritet-ti-menaxhoje-asociaiconi/32331435.html">structures administratives serbes parallèles</a>, qui sont <a href="https://balkaninsight.com/2022/11/07/kosovo-serbs-continue-mass-resignations-from-state-institutions/">financées par Belgrade</a>.</p>
<p>En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/kosovo-comment-des-plaques-d-immatriculation-ont-attise-les-tensions-avec-la-serbie-3c4cdb74-85cb-11ed-98b9-32dde9f7da8f">adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo</a>. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue_en">dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE</a> en 2013 et reconfirmés en 2015.</p>
<p>Après <a href="https://balkaninsight.com/2022/12/08/eu-us-civil-society-query-conditions-for-north-kosovo-elections/">avoir été repoussées à plusieurs reprises</a>, de nouvelles élections locales <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Nord-du-Kosovo-les-municipales-de-la-de-normalisation">ont finalement eu lieu le 23 avril dernier</a>. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le <a href="https://prishtinainsight.com/preliminary-results-vetevendosje-and-pdk-candidates-win-snap-elections-in-northern-municipalities/">taux de participation moyen</a> a été inférieur à 3,5 %.</p>
<h2>Les réactions de l’Occident</h2>
<p>La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement-spokesperson-elections-north_en">souligne</a> que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.</p>
<p>Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/evenements/article/declaration-conjointe-de-la-france-de-l-allemagne-de-l-italie-du-royaume-uni-et">déclaration commune</a> de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.</p>
<p>Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p3F49mUzU7M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints <a href="https://www.europeafrica.army.mil/DefenderEurope/">Defender Europe 23</a>. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné <a href="https://xk.usembassy.gov/press_roundtable/">sans équivoque</a> le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.</p>
<h2>Des divisions profondément enracinées</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-145.htm">statut du Kosovo</a>, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.</p>
<p>La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49602.htm">l’intervention de l’OTAN en 1999</a> et a finalement conduit à la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/kos2008.htm">déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008</a>. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo <a href="https://information.tv5monde.com/international/quels-pays-ont-reconnu-le-kosovo-21169">n’est pas reconnu</a> par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.</p>
<p>Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue-eu-proposal-agreement-path-normalisation-between-kosovo-and-serbia_en">proposition</a> a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iJtUKwdtVAo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.</p>
<p>Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.</p>
<p>Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement%C2%A0-high-representative-josep-borrell-ongoing-confrontations%C2%A0_en">Josep Borrell</a>, le 30 mai :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »</p>
</blockquote>
<p>Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.</p>
<p>La recrudescence des affrontements violents <a href="https://www.lemonde.fr/videos/video/2023/05/30/kosovo-des-violences-inedites-contre-les-forces-de-l-otan_6175453_1669088.html">dans le nord du Kosovo</a> nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17502977.2023.2182994">conflits interconnectés</a> que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.</p>
<p>La <a href="https://www.rferl.org/a/nato-kosovo-tensions-police-clash-serb-majority-north/32430434.html">dernière montée des tensions en date</a> s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants.</p>
<p>Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont <a href="https://www.lindependant.fr/2022/12/27/des-barricades-a-mitrovica-pourquoi-les-tensions-ressurgissent-entre-la-serbie-et-le-kosovo-10891644.php">démissionné</a>. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.</p>
<p>Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des <a href="https://www.evropaelire.org/a/institucionet-paralele-te-serbise-qe-pritet-ti-menaxhoje-asociaiconi/32331435.html">structures administratives serbes parallèles</a>, qui sont <a href="https://balkaninsight.com/2022/11/07/kosovo-serbs-continue-mass-resignations-from-state-institutions/">financées par Belgrade</a>.</p>
<p>En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/kosovo-comment-des-plaques-d-immatriculation-ont-attise-les-tensions-avec-la-serbie-3c4cdb74-85cb-11ed-98b9-32dde9f7da8f">adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo</a>. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue_en">dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE</a> en 2013 et reconfirmés en 2015.</p>
<p>Après <a href="https://balkaninsight.com/2022/12/08/eu-us-civil-society-query-conditions-for-north-kosovo-elections/">avoir été repoussées à plusieurs reprises</a>, de nouvelles élections locales <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Nord-du-Kosovo-les-municipales-de-la-de-normalisation">ont finalement eu lieu le 23 avril dernier</a>. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le <a href="https://prishtinainsight.com/preliminary-results-vetevendosje-and-pdk-candidates-win-snap-elections-in-northern-municipalities/">taux de participation moyen</a> a été inférieur à 3,5 %.</p>
<h2>Les réactions de l’Occident</h2>
<p>La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement-spokesperson-elections-north_en">souligne</a> que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.</p>
<p>Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/evenements/article/declaration-conjointe-de-la-france-de-l-allemagne-de-l-italie-du-royaume-uni-et">déclaration commune</a> de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.</p>
<p>La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.</p>
<p>Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p3F49mUzU7M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints <a href="https://www.europeafrica.army.mil/DefenderEurope/">Defender Europe 23</a>. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné <a href="https://xk.usembassy.gov/press_roundtable/">sans équivoque</a> le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.</p>
<h2>Des divisions profondément enracinées</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-145.htm">statut du Kosovo</a>, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.</p>
<p>La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49602.htm">l’intervention de l’OTAN en 1999</a> et a finalement conduit à la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/kos2008.htm">déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008</a>. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo <a href="https://information.tv5monde.com/international/quels-pays-ont-reconnu-le-kosovo-21169">n’est pas reconnu</a> par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.</p>
<p>Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue-eu-proposal-agreement-path-normalisation-between-kosovo-and-serbia_en">proposition</a> a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iJtUKwdtVAo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.</p>
<p>Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.</p>
<p>Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement%C2%A0-high-representative-josep-borrell-ongoing-confrontations%C2%A0_en">Josep Borrell</a>, le 30 mai :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »</p>
</blockquote>
<p>Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206817/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefan Wolff a bénéficié de subventions du Natural Environment Research Council du Royaume-Uni, du United States Institute of Peace, du Economic and Social Research Council du Royaume-Uni, de la British Academy, du programme "Science pour la paix" de l'OTAN, des programmes-cadres 6 et 7 de l'UE et d'Horizon 2020, ainsi que du programme Jean Monnet de l'UE. Il est chercheur principal au Foreign Policy Centre de Londres et co-coordinateur du réseau de think tanks et d'institutions universitaires de l'OSCE.</span></em></p>Les affrontements survenus dans le nord du Kosovo sont avant tout imputables au gouvernement de Pristina. Mais il n’y aura pas de solution durable si la Serbie ne joue pas un rôle plus constructif.Stefan Wolff, Professor of International Security, University of BirminghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2043072023-04-26T17:12:31Z2023-04-26T17:12:31ZKosovo : la justice parviendra-t-elle à établir une mémoire commune ?<p>Président du Kosovo de 2016 à 2020 et membre fondateur dans les années 1990 de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), Hashim Thaçi est <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-35984823">« l’une des figures clés »</a> de l’histoire récente du pays. Devenu premier ministre en janvier 2008, il avait <a href="https://www.rferl.org/a/1830796.html">déclaré l’indépendance du Kosovo</a> un mois plus tard. </p>
<p>Lors de sa visite à la Maison-Blanche en 2010, Thaçi a vu son action saluée par Joe Biden, alors vice-président des États-Unis, qui l’avait qualifié de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/11/10/kosovo-hashim-thaci-de-la-presidence-a-la-case-prison_1805174/">« George Washington du Kosovo »</a>. Malgré la reconnaissance de son indépendance par de nombreux pays, dont la France et les États-Unis, l’existence du Kosovo n’est officiellement acceptée <a href="https://www.lejdd.fr/International/quest-ce-que-le-kosovo-pays-qui-n-est-ni-reconnu-par-lonu-ni-par-lunion-europeenne-4003864">ni par l’Union européenne ni par l’ONU</a>. </p>
<p>En 2020, <a href="https://theconversation.com/le-president-du-kosovo-accuse-de-crimes-contre-lhumanite-et-maintenant-141545">Hashim Thaçi est accusé de crimes contre l’humanité</a> et de crimes de guerre commis pendant la <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2019-1-page-132.htm">guerre du Kosovo (1998-1999)</a> et doit démissionner de ses fonctions présidentielles. </p>
<p>Depuis le 3 avril 2023, il est jugé par le Tribunal spécial pour le Kosovo (CSK), à La Haye. Il s’agit de la personnalité la plus haut placée de l’UCK à être poursuivie dans ce cadre. Trois autres anciens membres de cette organisation (<a href="https://balkaninsight.com/2020/11/11/kosovo-guerrilla-turned-politician-pleads-not-guilty-to-war-crimes/">Rexhep Selimi</a>, <a href="https://balkaninsight.com/tag/kadri-veseli-05-18-2017/">Kadri Veseli</a> et <a href="https://balkaninsight.com/tag/jakup-krasniqi/">Jakup Krasniqi</a>) y sont aussi actuellement jugés.</p>
<p>Malgré ces exactions, Hashim Thaçi jouit encore d’une grande popularité chez une population <a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/france-monde/kosovo-debut-du-proces-pour-crimes-de-guerre-de-l-ex-president-hashim-thaci">qui s’est mobilisée pour protester contre le début de ce procès</a>. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O98fpVv0YSs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Les accusations retenues contre Hashim Thaçi</h2>
<p>En 2015, un accord international ratifié par l’Assemblée du Kosovo permit la création de deux instances juridiques, les <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-10-page-94.htm">Chambres spéciales du Kosovo (CSK)</a> et le <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20210915-crimes-de-guerre-au-kosovo-aux-origines-du-tribunal-de-la-derni%C3%A8re-chance">Bureau du procureur spécial sur le Kosovo</a>, dont les juges internationaux, les procureurs et le personnel judiciaire sont qualifiés pour émettre des jugements, selon la loi kosovare, sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les autres crimes perpétrés entre le 1<sup>er</sup> janvier 1998 et le 31 décembre 2000.</p>
<p>Thaçi et les trois ex-membres de l’UCK sont chacun accusés de <a href="https://www.scp-ks.org/en/opening-trial-hashim-thaci-kadri-veseli-rexhep-selimi-and-jakup-krasniqi-kosovo-specialist-chambers">six crimes contre l’humanité</a> (pour des actes de persécution, de torture ou des meurtres) et de quatre crimes de guerre (pour des arrestations et des détentions illégales et arbitraires, des actes de cruauté et des meurtres).</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Selon <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/04/serbia-kosovo-start-of-ex-kosovo-presidents-trial-for-war-crimes-an-important-step-along-the-long-road-to-justice/">l’acte d’inculpation</a> contre les quatre hommes, ceux-ci faisaient partie d’une <a href="https://shs.hal.science/file/index/docid/1024154/filename/Claverie_et_Maison.pdf">entreprise criminelle commune</a> (ECC) et « partageaient l’objectif commun de gagner et d’exercer un contrôle sur l’ensemble du Kosovo par des moyens incluant l’intimidation illégale, la maltraitance, la violence et l’élimination de ceux qui étaient considérés comme des opposants ». Le CSK fait état de violences visant particulièrement une opposition constituée des minorités ethniques serbe et rom, mais aussi de certains Albanais de souche qui ne soutenaient pas l’UCK. L’acte d’inculpation retient également une <a href="https://repository.scp-ks.org/details.php?doc_id=091ec6e980e32167&doc_type=stl_filing_annex&lang=eng">responsabilité aggravée</a> des quatre accusés, en raison de leurs postes de direction au sein de l’UCK, pour les crimes commis par les membres de l’ECC et les personnes sous leur autorité.</p>
<p>Hashim Thaçi a <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230403-au-tribunal-sp%C3%A9cial-de-la-haye-le-procureur-r%C3%A9v%C3%A8le-le-c%C3%B4t%C3%A9-plus-sombre-de-hashim-the%C3%A7i">plaidé non coupable</a> et a déclaré qu’il espérait être acquitté de toutes les accusations. Les autres accusés ont <a href="https://balkaninsight.com/2020/11/10/senior-kosovo-politician-denies-war-crimes-at-hague-court/">fait de même</a>, Krasniqi affirmant que les actions de l’UCK étaient seulement « une entreprise conjointe de libération et de formation de l’État ». Selimi a avancé devant la Cour qu’il « s’est battu contre l’occupant serbe qui n’a apporté que le mal à [son] pays : meurtres, déplacements, humiliations et génocide ». Veseli a <a href="https://uk.sports.yahoo.com/news/war-crimes-trial-kosovo-ex-030654513.html">également nié les accusations</a>.</p>
<h2>Des allégations de trafic d’organes</h2>
<p>L’une des accusations portées contre Thaçi et ses co-accusés concernait leur implication dans le trafic d’organes humains. Mais l’acte d’accusation contre Thaçi et ses co-accusés ne contient finalement aucune <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/apr/10/hashim-thaci-war-crimes-tribunal-hague-kla-commander-kosovo">référence à ce sujet</a>.</p>
<p>Ces allégations avaient été formulées pour la première fois en 2008 et ont fait l’objet d’une enquête menée par <a href="https://www.rferl.org/a/kosovo_organ_trafficking_thaci/2250583.html%20">Dick Marty
</a>, homme politique suisse et ancien procureur. Le <a href="https://pace.coe.int/en/files/12608/html#_TOC_N0EA39C88N088F3B5C">rapport de Marty pour le Conseil de l’Europe</a>, publié en janvier 2011, a remis en question « l’image de l’UCK, vue comme une armée de guérilla qui s’est battue vaillamment pour défendre le droit de son peuple d’habiter le territoire du Kosovo ». </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1642714794506461184"}"></div></p>
<p>Ce rapport a également conclu que des prisonniers de guerre avaient été « emmenés dans le centre de l’Albanie pour y être assassinés avant de subir une ablation des reins dans une clinique chirurgicale de fortune ».</p>
<h2>Les témoins craignent des représailles</h2>
<p>Le fait que Thaçi et ses co-accusés jouissent d’une telle popularité pourrait en dissuader certains de témoigner. Dans sa déclaration d’ouverture du procès, le procureur du tribunal spécial par intérim Alex Whiting a souligné que « la plupart des victimes <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KWI9OK17_Qs">étaient des Albanais du Kosovo</a> ». </p>
<p>L’expérience passée suggère qu’il pourrait être difficile d’amener les témoins à se manifester. <a href="https://www.icty.org/x/cases/haradinaj/cis/en/cis_haradinaj_al_en.pdf">Le jugement rendu en 2008 par le TPIY</a> à l’encontre de <a href="https://www.icty.org/en/case/haradinaj">trois autres anciens membres de l’UCK</a> (Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj) a prouvé les « difficultés importantes pour obtenir la déposition d’un grand nombre de témoins ». Il ajoute que « de nombreux témoins ont cité la crainte des représailles comme une raison majeure de ne pas vouloir se présenter devant la Chambre de première instance pour témoigner ».</p>
<p>Le <a href="https://pace.coe.int/en/files/12608/html#_TOC_N0EA39C88N088F3B5C">rapport du Conseil de l’Europe rédigé par Dick Marty</a> fait référence à la cohésion de la communauté albanaise du Kosovo qui est « encore très centrée sur les clans ». Il souligne également « la peur, souvent la terreur, que nous avons observée chez certains de nos informateurs dès que le sujet de notre enquête était abordé ».</p>
<p>Le procès de Thaçi et de ses co-accusés pourrait durer <a href="https://balkaninsight.com/2023/03/20/prosecution-case-in-kosovo-ex-guerrillas-trial-could-take-six-years/">jusqu’à six ans</a>. Plus de 20 ans après les crimes présumés, il existe une possibilité, au moins pour certaines des victimes de l’UCK, d’une forme de résolution – même tardive, imparfaite et incomplète. </p>
<p>Mais même si les accusés sont finalement reconnus coupables, l’image des quatre anciens militaires de l’UCK ne devrait guère être impactée au Kosovo et dans l’Albanie voisine. </p>
<p>Les éléments de preuve présentés au cours du procès pourraient bien permettre d’appréhender la complexité de ces événements historiques, mais ils ne bouleverseront pas les récits déjà ancrés dans les mémoires des populations. Les interprétations divergentes du passé sont – et resteront – l’un des héritages à long terme de la guerre au Kosovo.</p>
<h2>Un procès contesté au Kosovo</h2>
<p>Ce procès suscite, comme attendu, une forte opposition parmi les Albanais du Kosovo. Des milliers de manifestants sont <a href="https://www.rferl.org/a/kosovo-protesters-come-out-support-thaci-war-crimes/32346153.html">descendus dans les rues de Priština</a>, brandissant des pancartes à l’effigie de ceux qu’ils considèrent comme des héros nationaux et scandant des slogans tels que « La liberté a un nom » et « N’assimilez pas les victimes aux criminels ». D’autres se sont rassemblés <a href="https://balkaninsight.com/2023/04/03/albanians-rally-for-liberators-outside-hague-war-crimes-court/">devant la salle d’audience</a> à La Haye.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.reuters.com/world/europe/ex-kosovo-guerrilla-chief-president-thaci-faces-war-crimes-trial-monday-2023-03-31/">conseiller juridique principal de l’Institut juridique du Kosovo</a>, il est important que le procès soit compris comme une affaire « contre quelques individus de l’ancienne UCK et non comme un procès contre l’UCK ou les valeurs que le peuple du Kosovo représente ». De nombreux Albanais du Kosovo, cependant, ne feront probablement pas cette distinction, considérant le procès comme une accusation vis-à-vis de la population dans son ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Janine Natalya Clark a reçu des financements du Conseil européen de la recherche (2017-2022). </span></em></p>Figure du combat pour l’indépendance de son pays, l’ex-président du Kosovo Hashim Thaçi est jugé pour des crimes de guerre commis pendant la guerre du Kosovo entre 1998 et 1999.Janine Natalya Clark, Professor of Transitional Justice and International Criminal Law, University of BirminghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2013302023-03-30T19:33:15Z2023-03-30T19:33:15ZJustice internationale pénale : à la rencontre des accusés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518198/original/file-20230329-16-agt06m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1024%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les anciens responsables croates de Bosnie Jadranko Prlic, Bruno Stojic, Slobodan Praljak, Milivoj Petkovic, Valentin Coric et Berislav Pusic pendant leur procès à La Haye en 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/icty/38043307874/sizes/l/">Zoran Lesic </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les multiples juridictions internationales pénales mises en place depuis le <a href="https://museums.nuernberg.de/memorium-nuremberg-trials/">procès de Nuremberg</a> (1945-1946), à l’image des tribunaux pénaux ad hoc comme ceux créés pour <a href="https://www.icty.org/">l’ex-Yougoslavie</a> et le <a href="https://unictr.irmct.org/">Rwanda</a> (respectivement TPIY et TPIR), ont pour but de juger les crimes les plus graves : les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-de-guerre/">crimes de guerre</a>, les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-contre-lhumanite/">crimes contre l’humanité</a> et les <a href="https://trialinternational.org/topics-post/genocide/">génocides</a>.</p>
<p>En 1998 a été instaurée une juridiction permanente à vocation universelle, la <a href="https://www.icc-cpi.int/">Cour pénale internationale de La Haye</a>, qui, en plus des crimes précités, a également connaissance des <a href="https://www.cairn.info/pas-de-paix-sans-justice--9782724612332-page-233.htm">crimes d’agression</a>. Néanmoins, sa compétence est limitée aux États ayant ratifié son statut, ce qui l’empêche, par exemple, de juger l’acte d’agression commis par la Russie à l’encontre de l’Ukraine et rend plus difficile le jugement des autres crimes commis au cours de cette guerre. La portée du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/17/vladimir-poutine-sous-le-coup-d-un-mandat-d-arret-de-la-cour-penale-internationale_6165924_3210.html">mandat d’arrêt qu’elle vient d’émettre contre Vladimir Poutine</a> restera donc sans doute avant tout symbolique.</p>
<p>Toutes ces juridictions ont fait et continuent de faire l’objet de nombreuses analyses juridiques, anthropologiques ou sociologiques. Ces dernières ont pour la plupart été menées soit via des observations soit via des entretiens auprès des victimes et des professionnels. <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">Nos recherches</a> adoptent un autre angle : celui de l’expérience pénale des accusés (qu’ils aient été acquittés ou condamnés). Elles doivent être lues en supplément des recherches menées auprès des autres protagonistes de cette justice. L’objectif n’est pas de comprendre le passage à l’acte criminel, mais le fonctionnement des institutions qui ont été mises en place pour y répondre.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cour-penale-internationale-des-crimes-sans-victimes-156336">Cour pénale internationale : des crimes sans victimes ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Épistémologie d’une recherche singulière</h2>
<p>Ainsi, nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec une soixantaine de personnes jugées par le TPIY ou le TPIR pour connaître leur expérience pénale. Ces entretiens se sont déroulés pour la plupart dans les prisons où les personnes condamnées ou accusées sont détenues. Ils ont duré plusieurs heures et ont été enregistrés.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oGdfhIBEmac?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De ces douze années d’une recherche qui repose sur un matériau unique – puisqu’aucun journaliste ou chercheur n’a pu avoir accès à toutes ces personnes – ressortent des résultats étonnants qui questionnent la raison d’être de cette forme de justice hors normes. Notons, avant d’entamer la présentation de notre recherche et de ces résultats, que pour des questions d’anonymat des personnes rencontrées – condition à leur participation à notre recherche – nous ne pouvons citer ni des noms ni des faits.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>L’idée de rencontrer des personnes communément appelées <em>génocidaires</em> ou <em>criminels de guerre</em> repose sur l’enseignement de Paul Ricœur. Dans un <a href="https://esprit.presse.fr/article/paul-ricoeur/l-acte-de-juger-11656">article paru dans la revue <em>Esprit</em> en 1992</a>, le philosophe explique :</p>
<blockquote>
<p>« L’acte de juger a atteint son but lorsque celui qui a, comme on dit, gagné son procès se sent encore capable de dire : mon adversaire, celui qui a perdu, demeure comme moi un sujet de droit ; sa cause méritait d’être entendue ; il avait des arguments plausibles et ceux-ci ont été entendus. Mais la reconnaissance ne serait complète que si la chose pouvait être dite par celui qui a perdu, celui à qui on a donné tort, le condamné ; il devrait pouvoir déclarer que la sentence qui lui donne tort n’était pas un acte de violence mais de reconnaissance. »</p>
</blockquote>
<p>L’analyse des finalités de la justice internationale pénale fonde aussi la nécessité d’une telle recherche. En effet, la justice internationale pénale vise plusieurs objectifs : la rétribution, la dissuasion et la réinsertion, mais aussi l’écriture de l’Histoire ou de la mémoire, la satisfaction des victimes ou encore un effet cathartique.</p>
<p>Toutes ces finalités nécessitent la participation et la responsabilisation de l’accusé (ou du condamné) afin d’être atteintes ou, à tout le moins, approchées. Or, comme nous allons le voir, les juridictions internationales pénales ne permettent pas aux auteurs de crimes d’adhérer à cette nécessité de consensus entre tous les protagonistes des drames qui se jouent en temps de guerre.</p>
<h2>Impact de la justice internationale pénale</h2>
<p>Si toutes les personnes que nous avons rencontrées disent adhérer à l’idée d’une justice internationale pénale « au-dessus de tout soupçon » ou qui « permet d’établir la vérité », leur expérience pénale les a confrontées à une violence institutionnelle et symbolique qui entraîne, à leurs yeux, une délégitimation de cette forme de justice.</p>
<p>C’est ainsi qu’elles décrivent un processus pénal semé d’embûches ; trop encadré par une terminologie juridique qui, à leurs yeux, ne retranscrit pas la réalité qu’elles ont vécue ; et qui leur donne trop rarement la parole. Lorsque cela a quand même été le cas, ce sont essentiellement leurs avocats (choisis par les accusés eux-mêmes et bien souvent rémunérés par la juridiction) qui ont pu s’exprimer, et pas les accusés eux-mêmes.</p>
<p>En outre, les accusés disent ne pas se reconnaître dans les actes d’accusation auxquels ils ont dû faire face. Devant le sien, l’un des répondants s’est d’ailleurs demandé « qui était ce monstre ? », exprimant ainsi un sentiment de décalage avec ce qui avait été vécu, ou face à des questions juridiques perçues comme étant déconnectées de toute réalité. S’il s’agit peut-être d’un déni face aux actes commis, cette réaction témoigne aussi, de notre point de vue de juriste, du fossé qui sépare le droit des faits.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zZsnP0m3VTI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Un autre racontera que, quand le juge lui a demandé « Plaidez-vous coupable ou non coupable ? », il a tenté d’expliquer le contexte et les actes commis… mais le juge a simplement inscrit « l’accusé a plaidé non coupable ». Il aurait voulu parler plus, mais le juge ne lui a pas laissé l’opportunité.</p>
<p>S’y ajoute le fait qu’une grande majorité des personnes rencontrées estiment avoir été confrontées à une justice « hors sol », imposée par « l’Occident » et politiquement orientée, refusant d’entendre tout élément de contextualisation (qu’il s’agisse du contexte de guerre ou, plus largement, de celui entourant la commission des crimes, les deux étant inévitablement politiques).</p>
<p>Les répondants décrivent une « justice des vainqueurs » qui s’est abattue sur eux (les vaincus) sans pour autant que les premiers, eux aussi coupables de <a href="https://www.hrw.org/news/2008/12/12/rwanda-tribunal-should-pursue-justice-rpf-crimes">crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (principalement au Rwanda)</a>, ne soient inquiétés. En outre, ils constatent une justice « à double vitesse » qui ne juge jamais les dirigeants des États puissants – notamment américains ou européens – et qui poursuit principalement des ressortissants des États « dominés ».</p>
<p>Enfin, et c’est là l’une des critiques les plus acerbes exprimées par les répondants sur la justice internationale pénale, les accusés comme les condamnés s’interrogent régulièrement en ces termes : « Pourquoi moi ? » Ils traduisent ici un constat indépassable en droit international pénal : l’idée de juger des culpabilités individuelles pour des crimes de masse, c’est-à-dire ayant entraîné un nombre dramatique et démesuré de victimes, mais aussi ayant été commis par un nombre conséquent d’auteurs. Ainsi, s’ils admettent souvent avoir commis des crimes, ils réfutent néanmoins la responsabilité (qu’on leur attribue symboliquement) du crime de masse dans son entièreté. Il en résulte un sentiment de servir de bouc émissaire (<a href="https://www.rene-girard.fr/57_p_44429/le-bouc-emissaire.html">au sens girardien</a>) et d’être victime d’injustice, d’où, dans l’immense majorité des cas, leur non-reconnaissance des crimes ou responsabilités individuelles attribuées par les juges internationaux.</p>
<h2>Plaidoyer pour le savoir expérientiel</h2>
<p>Une seule des personnes interrogées a tenu un discours négationniste durant nos entretiens et seules 3, sur 51 condamnés rencontrés, admettent pleinement la justesse de leur condamnation.</p>
<p>Cela signifie que la très grande majorité des personnes interviewées (parmi lesquelles certaines avaient plaidé coupable devant la juridiction internationale) ne reconnaissent pas soit les actes reprochés, soit leurs qualifications juridiques, soit leur illégalité, soit les responsabilités associées. S’il existe une multitude de <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2011-1-page-65.htm">paramètres psychologiques</a> pour expliquer cette non-reconnaissance, celle-ci n’en reste pas moins un échec du droit international pénal : pour reprendre la formule de Paul Ricœur, la sentence reste un acte de violence et ne devient pas, pour le condamné, un acte de reconnaissance.</p>
<p>Cet échec a des conséquences qui vont au-delà du seul cas des personnes condamnées, dans la mesure où il empêche de faire œuvre de mémoire commune (ou consensuelle) et influence l’ensemble du processus de reconstruction.</p>
<p>Il est en effet accepté que les crimes de masse sont généralement commis par une masse d’auteurs. Au Rwanda, par exemple, on a parlé de 100 000 à 150 000 participants au génocide contre les Tutsis. Or, il est impossible de reconstruire un pays sans prendre en compte cette large partie de la population. Le rejet de la justice internationale pénale par les accusés n’aide certainement pas à reconstruire ensemble. Ce rejet déteint bien évidemment sur les familles et communautés des accusés ; plus largement, il empêche une reconnaissance des actes commis. In fine, ce sont les populations et les victimes qui se retrouvent sans réelles réponses à leurs attentes ; celles de connaître la vérité ou celles d’être simplement reconnues.</p>
<p>Il importe dès lors de prendre en compte la parole des accusés (tout comme celle des autres protagonistes que sont les victimes, les juges, les populations touchées par la guerre, etc.) et de constater qu’elle conduit inévitablement vers d’autres voies de justice : des voies de justice réparatrice ou réconciliatrice, des voies de justice traditionnelle ou interpersonnelle, des voies judiciaires locales, ancrées culturellement et moins politisées, ou simplement des voies de justice plus symboliques. Si des pistes ont d’ores et déjà été mises en œuvre, à travers des juridictions plus locales et ancrées culturellement (à l’image des <a href="https://www.asf.be/wp-content/publications/Rwanda_MonitoringGacaca_RapportAnalytique3_FR.pdf">gacaca</a> ou des commissions <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-313.htm">Vérité et Réconciliation</a>) au Rwanda, le rôle des accusés reste à définir et à modeler, de façon à ce que leur expérience soit prise en compte.</p>
<p>Un progrès envisageable consiste à combiner ces divers types de justice, comme cela semble déjà être le cas en <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-1-page-117.htm">Colombie</a>. Ce type de processus, affichant des promesses réalistes, minimes peut-être, mais réalisables, comme la responsabilisation des auteurs de crimes ou l’acceptation des actes commis, pourrait peut-être contribuer à une mémoire partagée et assumée. Les procès ne doivent pas être une continuation de la guerre dans l’arène du tribunal. Il n’est ainsi plus question d’en finir avec l’ennemi par le droit, mais de se relever avec lui grâce au droit.</p>
<p>–</p>
<p><em>Pour plus de détails sur cette recherche, voir <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">« Génocidaire(s). Au cœur de la justice internationale pénale »</a>, Dalloz, décembre 2022</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Scalia a reçu des financements du Fonds national suisse et du Fonds de la recherche scientifique belge.</span></em></p>Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda (TPIR) et pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ont jugé des dizaines d'individus. Une enquête s'intéresse à la façon dont les accusés ont vécu ces procès.Damien Scalia, Professeur en droit international pénal, Études empiriques du droit, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786672022-03-12T19:15:16Z2022-03-12T19:15:16ZSanctions contre la Russie : le monde du sport entre dans une nouvelle ère<p>L’agression russe contre l’Ukraine a provoqué un mouvement inédit de réactions en provenance du monde du sport, mais aussi de la <a href="https://www.cnrs.fr/fr/le-cnrs-suspend-toutes-nouvelles-formes-de-collaborations-scientifiques-avec-la-russie">science</a> et de la <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/04/movies/film-boycott-russia-ukraine.html">culture</a>.</p>
<p>Si l’on s’en tient au monde du sport, des <a href="https://www.lalibre.be/sports/tennis/2022/02/28/lukrainienne-svitolina-ne-veut-pas-jouer-contre-la-russe-potapova-a-monterrey-MKMFQMSHE5FPHG4ZUYUF6PTRGM/">athlètes</a>, des <a href="https://www.lalsace.fr/sport/2022/02/26/pologne-russie-annule-ngapeth-veut-snober-le-mondial-de-volley-le-monde-du-sport-poursuit-la-mobilisation-face-a-la-russie">fédérations nationales</a>, des <a href="https://theconversation.com/fifas-suspension-of-russia-is-a-rarity-but-one-that-strips-bare-the-idea-that-sport-can-be-apolitical-178131">organisateurs de compétitions</a> ou encore des <a href="https://www.skysports.com/football/news/30964/12553638/england-will-not-play-against-russia-for-foreseeable-future-due-to-invasion-of-ukraine-fa-confirms">États</a> ont, dans un même élan, annoncé leur intention de ne plus concourir contre des représentants de la Russie, de ne plus les accueillir ou de ne plus se rendre en Russie pour une compétition sportive.</p>
<p>Cet élan a abouti à ce que le Comité international olympique (CIO) <a href="https://olympics.com/cio/news/la-commission-executive-du-cio-recommande-de-ne-pas-autoriser-la-participation-d-athletes-et-d-officiels-russes-et-belarussiens">recommande</a>, le 28 février dernier, de « ne pas autoriser la participation d’athlètes et d’officiels russes et bélarussiens » à des compétitions sportives – une recommandation immédiatement mise en œuvre par l’UEFA et la FIFA à travers plusieurs décisions, notamment <a href="https://www.sofoot.com/l-uefa-exclut-le-spartak-moscou-de-la-ligue-europa-511410.html">l’exclusion du Spartak Moscou de l’Europa League</a> et celle de la <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20220228-guerre-en-ukraine-la-fifa-exclut-la-russie-de-la-coupe-du-monde-de-football">sélection russe des qualifications au Mondial 2022</a>.</p>
<p>Ayant longuement <a href="https://journals.openedition.org/balkanologie/2641">étudié</a> les sanctions sportives qui touchèrent la République fédérale de Yougoslavie (RFY, regroupant Serbie et Monténégro) de 1992 à 1995, l’auteur souhaite faire un pas de côté au regard de l’enchaînement rapide des derniers jours afin de poser plusieurs questions qui, si elles sont éludées aujourd’hui, ne manqueront pas de se poser demain.</p>
<h2>Un précédent unique : la Yougoslavie de Milosevic en 1992</h2>
<p>Les sanctions sportives s’inscrivent dans la panoplie de sanctions internationales développées au début des années 1990 à la faveur de la fin de la guerre froide et de la montée en puissance des interventions et opérations de l’ONU. Certains chercheurs ont ainsi parlé de la <a href="https://www.rienner.com/title/The_Sanctions_Decade_Assessing_UN_Strategies_in_the_1990s">« décennie des sanctions »</a>. Néanmoins, elles ne furent votées qu’une seule fois, contre la RFY, par l’article 8b de la <a href="https://digitallibrary.un.org/record/142881?ln=fr">résolution 757 du 30 mai 1992</a> relatif aux échanges sportifs, scientifiques et culturels.</p>
<p>On se souvient que ces sanctions eurent comme traduction immédiate le <a href="https://showsport.me/football/team-denmark-uefa-team-croatia-team-serbia-12797914">départ de la sélection de RFY de Suède</a>, où elle devait disputer l’Euro 1992 de football. Les archives de la correspondance entre la FIFA et la fédération yougoslave montrent que la FIFA n’a agi que contrainte par la résolution de l’ONU, alors qu’elle avait écarté cette possibilité quelques jours avant seulement, dissuadant d’ailleurs les autorités politiques suédoises, très tentées de renvoyer les athlètes yougoslaves, de le faire, arguant que cela créerait un précédent extrêmement dangereux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1409801548071424006"}"></div></p>
<p>De son côté, le CIO, par la voix de son président Juan Antonio Samaranch, déploya une diplomatie parallèle dans les grandes capitales afin d’amoindrir la portée de ces sanctions en vue des Jeux de Barcelone à venir, au grand dam de certains États membres du comité des sanctions de l’ONU. In fine, un compromis fut trouvé sous la forme d’une participation des athlètes serbes et monténégrins <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1992-07-11-sp-1382-story.html">sous drapeau blanc</a>, mais uniquement pour les sports individuels, d’où l’absence de la sélection de basket emmenée par Vlade Divac.</p>
<p>Quel bilan a-t-on pu tirer de ces sanctions sportives ? Cette question renvoie à celle, trop souvent éludée, des objectifs des sanctions. En l’espèce, personne ne croit sérieusement que des sanctions sportives vont pousser un régime à changer de politique. Cela est l’affaire de sanctions économiques massives et/ou ciblées. Les sanctions sportives, elles, vont toucher à la symbolique de la représentation internationale du pays visé.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I1oZc9oLNFc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire « Yougoslavie, Suicide d’une nation européenne », de Brian Lapping, partie 1.</span></figcaption>
</figure>
<p>Si l’on considère que les compétitions sportives revêtent un caractère de puissance, alors priver un État de cette démonstration peut être vu comme symboliquement pertinent. Les sanctions sportives combinent donc à la fois un impact symbolique à l’international, mais aussi un message directement adressé au peuple concerné. C’était <a href="https://undocs.org/fr/S/PV.3096">l’avis de l’ambassadeur autrichien au sein du comité des sanctions de l’ONU</a>, pour qui cette mesure servait précisément à faire comprendre directement au peuple serbe (et non à son gouvernement) que la communauté internationale désapprouvait la politique du régime de Milosevic.</p>
<p>Cette position, apparentant les sanctions sportives à une punition, ne fit pas l’unanimité malgré le vote de la résolution, à treize voix contre deux abstentions (Chine et Zimbabwe, ce qui signifie au passage que la Russie vota pour). Ainsi, l’ambassadeur de France à l’ONU Jean‑Bernard Mérimée <a href="https://undocs.org/fr/S/PV.3082">déclara</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le texte comporte également une disposition sur le gel des contacts sportifs. Je souhaite indiquer de manière très claire que la France, qui a voté la résolution, se dissocie de ce passage. Pourquoi ? Parce que la mesure envisagée est dérisoire par rapport à la gravité des enjeux, inutilement vexatoire et, surtout, inappropriée parce que empruntée à une panoplie de mesures adoptées dans un autre contexte, celui de la lutte contre l’apartheid. »</p>
</blockquote>
<h2>Un bilan mitigé</h2>
<p>Dans les faits, ces sanctions n’eurent pas l’effet escompté de choc psychologique puisqu’elles furent ressenties par la population de la RFY comme une grande injustice. Au demeurant, Milosevic était loin d’être populaire en 1990-1992 : des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1992/07/07/serbie-apres-une-semaine-de-contestation-l-opposition-suspend-ses-manifestations-contre-le-president-milosevic_3912875_1819218.html">manifestations contre la guerre</a> rassemblèrent plusieurs dizaines de milliers de personnes avant que l’exode, la répression, l’embargo et la fatigue ne viennent faire leur œuvre. La levée des sanctions sportives en 1994 qui fait suite à l’annulation d’autres sanctions (suspension de l’interdiction de survol international et de transport aérien, votées par la <a href="https://digitallibrary.un.org/record/161760?ln=fr">résolution 943</a> le 24 septembre 1994, en échange de la reconnaissance par Belgrade de la frontière entre la Bosnie et la Serbie, et de retrait du soutien politique, militaire et matériel aux Serbes de Bosnie) servit en revanche de levier pour obtenir quelques concessions de la part de Milosevic.</p>
<p>Néanmoins, les sanctions sportives ne furent plus utilisées à ce niveau depuis lors. Trois hypothèses peuvent être avancées pour l’expliquer.</p>
<p>Tout d’abord, il n’y a plus jamais eu d’accord au Conseil de Sécurité de l’ONU pour soumettre un autre pays à des sanctions aussi massives que celles qui ont touché la RFY en 1992.</p>
<p>Ensuite, le bilan de ces sanctions (qui sont aussi scientifiques et culturelles, il faut le rappeler) est jugé comme négatif à l’aune de leur objectif : l’humiliation gratuite l’emporte sur le choc psychologique.</p>
<p>Enfin, les fédérations internationales de sport ont toujours affirmé leur réticence à ce type de sanctions, ce qui n’est pas négligeable au regard de leur poids dans les relations internationales.</p>
<p>D’ailleurs, lorsqu’en 1998 certains intellectuels et parlementaires européens réclameront l’exclusion de la RFY du Mondial en raison des exactions commises par les forces de Milosevic au Kosovo, le porte-parole de la FIFA, Keith Cooper, se contentera de dire : « La FIFA a pour politique de suivre celle des Nations unies. Comme la Yougoslavie s’est qualifiée sur le terrain et qu’il n’y a pas de directive de l’ONU, il n’y a aucune raison de réviser notre position. »</p>
<p>Il en fut de même plus récemment pour la Syrie, dont les sportifs ont pu continuer à prendre part aux compétitions internationales en dépit des crimes imputés au régime de Bachar Al-Assad.</p>
<h2>La prise d’autonomie des fédérations et des athlètes</h2>
<p>Il existe une différence forte entre le cas yougoslave et la Russie : outre que les sanctions n’émanent pas de l’ONU (et pour cause, la Russie ayant droit de veto en sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité), elles sont le résultat d’une mobilisation d’athlètes et de fédérations de sport, et non pas « simplement » d’organisations des droits humains, qui appellent régulièrement à ce type de sanctions ou de boycott, par exemple contre la Chine.</p>
<p>Autrement dit, en ce qui concerne le sport, on ne peut même pas évoquer des « sanctions » à proprement parler puisqu’elles n’émanent pas d’une autorité politique légitime et centralisée, mais plutôt d’un boycott massif initié par le bas, que les fédérations internationales de sport ont dû, bon gré mal gré et sous une intense pression, entériner. De ce point de vue, la situation actuelle ferait davantage penser au précédent de <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-29-juillet-2010">l’Afrique du Sud sous apartheid</a> : là aussi, des décisions d’exclusion avaient été prises par le bas et sous la pression, mais en ordre plus dispersé, sport par sport, que ce que l’on peut voir actuellement.</p>
<p>Dès lors, quelles sont les questions soulevées par les choix du CIO, sommet de la pyramide de mouvement sportif international, puis de la FIFA, si l’on se concentre sur elles ?</p>
<p>Le CIO fonde sa recommandation sur trois choses. D’une part, l’équité vis-à-vis des athlètes ukrainiens qui ne peuvent plus concourir. D’autre part, la sécurité des compétitions et des athlètes. Une préoccupation prise en compte par la FIFA et l’UEFA, qui ont initialement ordonné que les rencontres prévues en Russie et Ukraine <a href="https://www.rtbf.be/article/football-les-matches-a-domicile-impliquant-l-ukraine-et-la-russie-se-joueront-sur-terrain-neutre-uefa-10943021">soient disputées sur terrain neutre</a>. Enfin, le CIO met en avant la violation de la trêve olympique (préambule et point 4 de la déclaration) pour sanctionner en particulier des individus, y compris Vladimir Poutine. Depuis 1992, le CIO lance un appel international au respect de cette trêve. L’Assemblée générale de l’ONU <a href="https://olympics.com/cio/news/l-assemblee-generale-de-l-onu-adopte-la-treve-olympique-pour-beijing-2022">vote</a> avant chaque olympiade une résolution symbolique appelant à son respect.</p>
<p>Néanmoins, nous sommes bien ici dans la symbolique. Cela ne veut pas dire que ça n’a pas d’importance, puisqu’il semble que la Chine ait demandé à Poutine d’<a href="https://www.nytimes.com/2022/03/02/us/politics/russia-ukraine-china.html">attendre la fin des Jeux d’hiver pour attaquer l’Ukraine</a> (les Russes sont passés à l’offensive deux jours après la fin des JO de Pékin réservés aux athlètes valides, mais cette attaque continue alors que les Jeux paralympiques, qui se tiennent dans la même ville, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/03/04/les-jeux-paralympiques-2022-ouverts-dans-la-tempete-ukrainienne_6116195_3242.html">sont en cours</a>).</p>
<p>Il reste que le respect de la trêve olympique n’est adossé à aucun texte juridique, et la trêve elle-même ne figure pas dans la <a href="https://olympics.com/cio/charte-olympique">Charte olympique</a>, notamment à l’article 59 relatif aux sanctions. Par conséquent, il y a vraisemblablement une fragilité juridique dans la recommandation du CIO dans la mesure où la Charte ne prévoit pas explicitement de suspendre un Comité national olympique en raison des agissements politiques de son gouvernement, ce que le CIO rappelle d’ailleurs au deuxième paragraphe du communiqué. Si la suspension ne semble pas directement liée à la violation de la trêve olympique, l’évocation à deux reprises de celle-ci demeure problématique si l’on va au bout de la logique : cela signifie-t-il que le CIO n’aurait rien dit si Poutine avait décidé d’attaquer l’Ukraine en dehors de tout calendrier olympique et paralympique, par exemple le 5 avril ?</p>
<p>Le communiqué du CIO salue par ailleurs les athlètes, y compris russes, qui se sont opposés à la guerre, dérogeant ainsi au principe d’apolitisme pourtant si âprement défendu habituellement à Lausanne.</p>
<p>La FIFA s’est d’abord montrée <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2022/02/27/guerre-en-ukraine-la-fifa-et-son-president-gianni-infantino-sous-pression_6115469_1616938.html">très réticente</a> à suspendre la Russie. En l’absence d’une résolution de l’ONU qui ne viendra jamais, le parapluie du CIO lui a offert l’occasion de suivre le mouvement sans en prendre la responsabilité première. Pour autant, il est très discutable que ses <a href="https://www.fifa.com/fr/legal/documents">statuts</a> (Articles 16 et 17 en particulier) lui permettent, en l’état, de suspendre la fédération de football de Russie en raison des agissements du régime russe.</p>
<p>Ces décisions ouvrent donc sur une question fondamentale de droit et une question politique.</p>
<h2>Que dira le Tribunal arbitral du sport ?</h2>
<p>Les fédérations internationales de sport sont d’ordinaire très jalouses de leurs prérogatives. Elles sont par principe hostiles aux sanctions sportives, sauf quand celles-ci sont adossées à leurs propres textes, pour des manquements d’ordre sportif comme le programme de dopage systématique mis en place par la Russie, actuellement <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1424230/russie-christiane-ayotte-inrs-russie-dopage-jean-luc-brassard">sanctionné</a>.</p>
<p>Or, cette fois, elles ont décidé d’elles-mêmes de ces sanctions. Ce faisant, elles se sont arrogé un pouvoir dont on peut se demander si leurs statuts le leur confèrent.</p>
<p>La Russie a <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/coupe-du-monde/guerre-en-ukraine-la-russie-va-saisir-le-tas-pour-etre-reintegree-a-la-coupe-du-monde-de-football-79866000-9b0c-11ec-9b84-e19eae6be2d1">annoncé</a> son intention de faire appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), ce qui est une très bonne chose car, quelle que soit sa décision (sauf s’il décide de botter en touche), le TAS fournira une assise juridique pour l’avenir au mouvement sportif international.</p>
<p>Par-delà l’émotion très légitime que suscite l’agression de la Russie contre l’Ukraine, et l’urgence d’une réaction, le droit est ce qui nous sépare du chaos. Cesser d’inviter ou de coopérer avec des chercheurs russes, annuler des représentations d’artistes russes, refuser de jouer contre des Russes au seul motif de leur passeport est un réflexe compréhensible, comme l’a développé le CIO au regard de leurs homologues ukrainiens qui sont désormais dans la lutte pour la survie de leur pays… mais cela ne va pas de soi.</p>
<p>Bien qu’elles répondent aux mêmes sentiments d’indignation et d’urgence, et quoi qu’on en pense par ailleurs, les <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/etats-unis-japon-union-europeenne-canada-quelles-sanctions-ont-ete-prises-contre-la-russie_AD-202202250045.html">sanctions prises par les États-Unis ou l’UE</a> le sont dans un cadre juridique bien établi. Le TAS aura donc à décider si les fédérations internationales de sport peuvent, de façon autonome et en l’état actuel de leurs statuts, infliger des sanctions sportives à leurs membres sur la base des agissements criminels des gouvernements de ceux-ci. Si le Tribunal répond par l’affirmative, le mouvement sportif aura gagné une autonomie politique considérable… qui peut très bien se révéler un cadeau empoisonné car avec l’autonomie vient la responsabilité politique.</p>
<h2>Sanctionner la Russie… et qui d’autre ?</h2>
<p>Pourquoi pas la Syrie ? Pourquoi pas la Birmanie ? Pourquoi pas la Chine ? Est-on sûr que si un jour la Chine envahit Taïwan, le CIO et la FIFA agiront de la même façon ? Dans le cas contraire, comment pourront-ils se justifier ? Que se passerait-il si, pure hypothèse, une dizaine de sélections qualifiées pour la Coupe du monde 2022 refusaient d’y prendre part pour protester contre sa tenue au Qatar ? La FIFA les sanctionnerait-elle ? Au regard de ses statuts actuels, elle en aurait le droit. À ce jour, la Chine organise les Jeux paralympiques d’hiver, et le Qatar organisera le Mondial à la fin de l’année.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375859810793578496"}"></div></p>
<p>En outre, si le mouvement sportif est autonome, cela signifie-t-il qu’il sera le seul à décider de la levée, temporaire ou totale, de ces sanctions ? Sur quelles bases ? Rappelons que c’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui avait levé les sanctions sportives contre la RFY.</p>
<p>Ajoutons que si le mouvement sportif est autonome, alors beaucoup se jouera à l’aune de la force de telle ou telle mobilisation, en particulier des athlètes, mettant la pression pour obtenir gain de cause. C’est potentiellement une chose positive au regard de la sensibilité des athlètes vis-à-vis des droits humains ou de la lutte contre le racisme. Suprême ironie, si le TAS donne raison au CIO et à la FIFA, il les obligera du même coup à ne plus sanctionner d’expression ou de mobilisation politique de la part des athlètes. Mais précisément, d’un autre côté, cela transfèrera aux athlètes la responsabilité de la mobilisation politique, ce qui est loin d’être évident dans une bonne partie du monde. Il y a alors le risque que seules les mobilisations assez puissantes en Occident soient prises en compte pour des raisons financières et d’image. De fait, quand bien même 141 pays ont voté la <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">résolution</a> de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’agression de la Russie, les sanctions ne sont à ce jour l’œuvre que d’un Occident élargi (Corée du Sud, Japon, Singapour), entreprises comprises.</p>
<p>Enfin, est-ce à dire que le CIO et la FIFA, notamment, devront revoir en profondeur leurs relations avec les pires régimes politiques de la planète et cesser de leur confier l’organisation de compétitions internationales, de peur de subir les pressions d’athlètes et d’ONG enhardis par le précédent russe ? Cela reste à démontrer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les sanctions excluant la Russie et ses représentants de toutes les compétitions internationales ne sont le fait ni de l’ONU ni des États, mais des fédérations et des athlètes. Cela change tout.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1750052022-01-19T18:31:17Z2022-01-19T18:31:17ZQuo vadis, Bosnie-Herzégovine ?<p>La Bosnie-Herzégovine traverse sa plus importante crise politique depuis 1995 et la signature des <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/11/21/les-grandes-lignes-des-accords-de-dayton_712343_3214.html">accords de paix de Dayton</a>.</p>
<p>26 ans après une <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/geopolitique/yougoslavie-de-leclatement-aux-accords-de-dayton">guerre</a> qui fit 100 000 morts, le pays est aux mains de forces politiques ethno-nationalistes qui se partagent <a href="https://www.centerprode.com/ojre/ojre0302/ojre-0302.pdf#page=31">désormais ses ressources</a>.</p>
<p>La captation par ces ethnocrates des budgets, marchés publics et aides extérieures représente pour eux, leurs proches et leurs cercles d’intérêts des revenus illimités. Ce même personnel politique a la mainmise sur la justice – et ce, du poste de procureur jusqu’aux juges cantonaux.</p>
<p>Face à cette situation, peu de réactions de l’Union européenne ou des États-Unis, arc-boutés depuis un quart de siècle sur les questions sécuritaires, estimées prioritaires. Le pays a été traité comme un risque permanent pour la sécurité de l’UE, jamais comme un potentiel. De plus, si la pression est mise sur les questions de réconciliation entre les différentes communautés du pays, aucune politique économique et sociale n’a été mise en place, laissant les Bosniens faire face seuls à des élites nationalistes toutes-puissantes et agissant en totale impunité.</p>
<h2>Vers l’éclatement ?</h2>
<p>Les accords de Dayton ont donné naissance à un pays divisé en deux entités autonomes, la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la République serbe, chapeautées par des institutions nationales situées à Sarajevo, la capitale du pays et le district de Brčko dans le nord-est du pays. La présidence est composée de trois présidents issus des trois communautés constitutives du pays : Bosniaque, Croate et Serbe. Selon le recensement de 2013, le pays compterait 3 790 000 habitants, dont 2 300 000 dans la Fédération, 1 320 000 dans la République serbe et 93 000 dans le district de Brčko.</p>
<p>Le parti Social-Démocrate serbe (SNSD), parti nationaliste de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/frictions-en-bosnie-herzegovine-milorad-dodik-attise-les-tensions-communautaires">Milorad Dodik</a>, aujourd’hui président serbe de la présidence tripartie bosnienne, et la Communauté démocratique croate (HDZ), le parti de Dragan Čović, vice-président de la chambre des Peuples (dont la fonction est de garantir les droits des communautés bosniennes et l’équilibre entre les entités), fonctionnent de concert pour atteindre leurs buts respectifs : <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/bosnie-herzegovine-vers-un-eclatement-du-pays/?post_id=29291&export_pdf=1">faire sécession de l’État central</a> et rattacher la République serbe à la Serbie pour Dodik ; et obtenir la création d’une entité croate pour Čović – le tout n’ayant pour unique but que de préserver leurs revenus et leur pouvoir. Pour Dodik comme pour Čović, toute défaite leur faisant perdre leurs postes politiques actuels entraverait leur pouvoir à détourner les budgets et continuer de capter les marchés publics entre autres.</p>
<p>La Serbie et la Croatie appuient toutes deux ces politiques, n’hésitant pas à soutenir les acteurs ethno-nationalistes bosniens, mais aussi à clairement porter atteinte à la souveraineté du pays à de maintes reprises, notamment en contournant les institutions de l’État bosnien et en discutant avec le gouvernement de la RS. C’est par exemple le cas dans l’affaire des concessions des rivières et des constructions de centrales hydro-électriques sur la Drina, conclues entre la Serbie et la RS, laquelle n’a aucune légitimité à discuter des ressources naturelles du pays. Enfin, la Russie, très présente dans la région, et ayant tout intérêt à déstabiliser les portes de l’UE, <a href="https://zurnal.info/clanak/the-role-of-russia-in-a-destructive-offensive-of-milorad-dodik/24441">soutient</a> activement la politique sécessionniste de Dodik et les projets de Dragan Čović.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qYO1VOm7SFY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Longtemps resté une menace brandie par Dodik lors de campagnes électorales, le processus de sécession de la République serbe (RS) est enclenché depuis fin octobre 2021 et représente une menace immédiate pour l’intégrité du pays, la plus sérieuse faisant ressurgir la peur du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/11/bosnie-le-jeu-dangereux-des-nationalistes-serbes_6108996_3232.html">retour de la violence</a>.</p>
<h2>Sécession et réforme électorale</h2>
<p>Fin octobre 2021, Milorad Dodik a annoncé son plan pour la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/11/en-bosnie-la-republique-serbe-fait-un-pas-vers-le-separatisme_6105654_3210.html">sécession de la République serbe</a> de Bosnie. Un plan clair en 7 étapes, qui met l’entité en ordre de marche. Un protocole simple, qui attribue aux institutions de l’entité 110 prérogatives jusqu’ici dévolues aux institutions nationales.</p>
<p>Parmi ces prérogatives émerge la question de l’armée, particulièrement sensible en Bosnie-Herzégovine. C’est l’armée des Serbes de Bosnie (VRS) qui a perpétré le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/genocide-de-srebrenica-25-ans-apres-les-musulmans-commemorent-leurs-morts-et-deplorent-le-deni-serbe_4042437.html">génocide des Musulmans de Srebrenica</a> en juillet 1995, assiégé <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2008-3-page-62.htm">Sarajevo</a>, <a href="https://apnews.com/article/10bdbf488b136e8532310c6bf4f7f58f">Goražde</a> et bien d’autres villes, commandé les <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2012-2-page-190.htm">camps de concentration</a> dans la région de Prijedor et partout sur le territoire sous son contrôle.</p>
<p>En annonçant que les Serbes quitteraient l’armée de Bosnie-Herzégovine pour reformer la VRS, Dodik instillait ainsi une peur viscérale du retour de la violence parmi les populations non serbes qui ont survécu à la dernière guerre, mais également parmi les Serbes opposés à sa politique. Si le SNSD semble toujours dominer la vie politique de l’entité, il n’en reste pas moins qu’il recule électoralement, comme on a pu le voir lors des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/11/16/bosnie-herzegovine-revers-pour-la-vieille-garde-nationaliste-aux-elections-locales_1805762/">élections municipales de 2020</a>, notamment avec la perte de la capitale de l’entité, Banja Luka.</p>
<p>En face du SNSD, deux partis également sécessionnistes : le Parti Démocratique Serbe (le SDS fondé par Radovan Karadžić), qui s’oppose au plan de Dodik non pas sur le fond mais sur la forme et condamne fermement le risque de retour de la violence, et le Parti du progrès démocratique (PDP), qui soutient le projet de sécession mais dont le cœur du discours politique tourne autour d’une action fermement anti-corruption et s’oppose donc très directement aux intérêts de Milorad Dodik.</p>
<p>Outre l’armée, le plan prévoit que la RS ne fera plus partie des institutions judiciaires bosniennes, mais aussi des institutions sanitaires, des institutions liées aux affaires intérieures et à la sécurité, à la perception des taxes indirectes. Une fois que les lois portant création des institutions correspondantes de la RS auront été adoptées, la RS se réserve le droit d’expulser par la force les agents publics travaillant sur son territoire et dépendant des institutions de la capitale Sarajevo.</p>
<p>Ce plan a reçu notamment le <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220116-bosnie-herz%C3%A9govine-le-hongrois-viktor-orban-accus%C3%A9-de-soutenir-les-s%C3%A9paratistes-serbes">soutien clair de Viktor Orban</a>, premier ministre hongrois d’extrême droite très proche de Milorad Dodik, et aussi des autorités russes par la voix du ministre des Affaires étrangères Sergej Lavrov.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1474352274843525121"}"></div></p>
<p>Dans le même temps, Dragan Čović a menacé de bloquer la tenue des élections générales prévues en octobre 2022 s’il n’obtenait pas sa réforme électorale inscrivant dans la loi les catégories ethniques et leur « représentation légitime » – et ce, à tous les échelons électoraux. Outre le renforcement de la division ethnique du pays par la législation, Dragan Čović veut surtout s’assurer d’être nommé président au prochain scrutin et désamorcer la fuite de son électorat en renforçant les prérogatives des élus des échelons administratifs inférieurs.</p>
<p>En effet, dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, les citoyens votent aux élections générales indépendamment de leur appartenance communautaire. C’est ce qui a porté par deux fois l’actuel titulaire du poste, Željko Komšić, au poste de président croate de la présidence tripartite bosnienne. Candidat non nationaliste, il a raflé les votes dans certains des fiefs les plus anciens du HDZ. Čović n’a cessé de contester sa légitimité à représenter les Croates bosniens.</p>
<p>Or, les présidents ne représentent pas de communauté, ils en sont simplement issus. La question de la représentation légitime des communautés, absente de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ba1995.htm">Constitution bosnienne</a>, est pourtant devenue une revendication « légitime », relayée et appuyée par le gouvernement de Croatie, mais aussi par les partenaires de l’UE et des États-Unis.</p>
<h2>Union européenne et États-Unis : désunion et lenteur</h2>
<p>Face à cette crise qui menace directement l’intégrité et l’unité de la Bosnie-Herzégovine, les États-Unis et l’UE avancent en ordre dispersé et à un rythme qui ne suit aucunement la rapidité de la dégradation de la situation. Il a fallu trois mois de crise ouverte grave pour que les États-Unis annoncent des <a href="https://www.rtbf.be/article/les-usa-sanctionnent-milorad-dodik-le-chef-des-serbes-de-bosnie-accuse-de-destabiliser-les-balkans-10909297">sanctions économiques contre Milorad Dodik</a> et son entourage. Saluées discrètement dans l’entité de la Fédération, ces sanctions restent toutefois anecdotiques et ressemblent plus à un message destiné à l’UE, l’invitant à se saisir de la situation et à agir.</p>
<p>L’UE, elle, reste relativement inerte, dans une posture de « condamnation ferme » des événements. Notons tout de même les réactions du gouvernement allemand qui <a href="https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2IS1ZA/berlin-veut-des-sanctions-contre-le-dirigeant-serbe-de-bosnie-dodik.html">menace Dodik de sanctions</a> depuis quelques semaines pour finalement s’apercevoir mi-janvier que sa propre Constitution l’empêche de prendre des mesures de sanctions unilatérales. À suivre aussi l’initiative de plusieurs députés européens <a href="https://euobserver.com/world/154087">demandant une enquête</a> sur le rôle joué par Olivér Várlehiy, commissaire à l’élargissement de l’UE et proche de Viktor Orban, dans l’escalade de la crise courante.</p>
<p>Ces sanctions de l’UE pourraient avoir un impact très important sur les activités criminelles de Milorad Dodik (<a href="https://www.polygraph.info/a/fact-check-dodik-corruption/31644290.html">détournements de fonds</a> notamment) et paralyser ses activités financières et celles de ses proches de façon bien plus conséquente que les sanctions américaines. Ces sanctions de l’UE sont notamment espérées par Šefik Džaferović, président bosniaque de la présidence tripartite bosnienne, qui les <a href="https://hr.n1info.com/english/news/bosnia-while-dodik-slams-us-sanctions-dzaferovic-calls-on-eu-to-join-us/">réclamait bruyamment</a> après les annonces américaines. De nombreux analystes spécialistes de la région préconisent également une action rapide et coordonnée de l’Union européenne qui, pour le moment, est plus que discrète.</p>
<p>Même après le 9 janvier dernier où l’on célébrait le Jour de la République serbe à Banja Luka et les 30 ans de sa création, avec entre autres un défilé de la police mais aussi d’unités paramilitaires, et alors que ces manifestations ont été déclarées inconstitutionnelles, l’UE peine à trouver une ligne politique et une réaction à la hauteur des risques liés à ce projet de sécession.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1483536231128514562"}"></div></p>
<h2>La solitude des Bosniens</h2>
<p>La lenteur et la tiédeur des réactions internationales face au processus de sécession de la RS, et la <a href="https://ba.n1info.com/english/news/a299465-former-high-rep-dodik-covic-alliance-is-the-end-of-bosnia/">sympathie clairement exprimée pour la réforme électorale de Dragan Čović</a> par les Américains et l’UE, illustrent parfaitement la politique menée depuis ces 30 ans dernières années : apaiser les ethno-nationalistes de peur de les froisser.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tNH-pdf4tSw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pendant ce temps-là, les Bosniens souffrent silencieusement de ce regain d’incertitudes et de tensions. Il y a tout d’abord, ce sont les plus vocaux, les survivants du <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210608-ratko-mladic-le-boucher-des-balkans-condamn%C3%A9-en-appel-%C3%A0-la-perp%C3%A9tuit%C3%A9">génocide des Musulmans de Srebrenica</a>, isolés au fond de la vallée de la Drina, qui voient ressurgir les visages d’il y a 25 ans. Par exemple, celui de <a href="https://www.icty.org/case/popovic#acdec">Vinko Pandurević</a>, l’un des responsables du génocide, placé stratégiquement derrière Milorad Dodik au défilé du 9 mai et ainsi présent en permanence à l’image de la RTRS, la télévision de la RS.</p>
<p>Alors que l’Unité Spéciale antiterroriste, qui possède tous les attributs d’une unité paramilitaire, défile en chantant une chanson à la gloire de « la Croix orthodoxe », Pandurević assiste, souriant, à cette démonstration de force. Comment les Bosniaques ayant échappé au génocide peuvent ne pas percevoir cette scène comme une menace directe à leur existence ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1480219823485374469"}"></div></p>
<p>À Sarajevo, les réactions à la situation sont plus discrètes, moins viscérales mais tout de même, cet automne, beaucoup ont retiré leurs petites économies des banques par peur d’un effondrement de la Banque centrale, d’autres ont fait refaire leur passeport en vitesse ou maintiennent désormais le réservoir de leur voiture plein. D’autres, plus rares, font de l’humour en disant que s’ils ont été pris par surprise il y a 30 ans, ils sont désormais bien mieux préparés, ce qui limite leur angoisse.</p>
<p>La dissolution de la Bosnie-Herzégovine <a href="https://www.courrierinternational.com/article/balkans-la-bosnie-herzegovine-pourrait-ceder-sous-le-poids-des-divisions-ethniques">est en route</a> à présent que le processus de sécession de la RS a été formellement enclenché. Si le focus sur le risque de guerre est compréhensible, il est toutefois déplacé. Pour le moment, l’urgence n’est pas d’essayer vainement d’évaluer les risque d’un conflit armé de grande ampleur, alors qu’une violence dispersée mais réelle peut paralyser le pays extrêmement rapidement.</p>
<p>Une sécession ne s’accompagne pas nécessairement d’une guerre à l’image de celle d’il y a 30 ans. Il suffit d’acteurs ethno-nationalistes corrompus et déterminés à garder la main sur le pouvoir et d’observateurs internationaux incapables de changer de point de vue sur une situation dont ils ont eu la co-responsabilité pendant 25 ans et qu’ils ont laissé se dégrader en cherchant constamment à apaiser les élites bosniennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175005/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aline Cateux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La République serbe, qui est l’une des trois entités constitutives de la Bosnie-Herzégovine, a enclenché un processus semble-t-il irréversible vers sa sécession, et donc vers l’éclatement du pays.Aline Cateux, Doctorante en anthropologie, spécialisée sur les résistances politiques et mobilisations en Bosnie-Herzégovine, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604872021-05-19T16:35:19Z2021-05-19T16:35:19ZBalkans : le dangereux projet de redécoupage des frontières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/400541/original/file-20210513-18-17ra8a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C14%2C4947%2C3727&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un nouveau découpage des frontières des États issus du démantèlement de la Yougoslavie ne se ferait pas sans heurts.</span> <span class="attribution"><span class="source"> Harvepino/shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À la mi-avril, le site slovène Necenzurino a <a href="https://necenzurirano.si/clanek/aktualno/objavljamo-slovenski-dokument-o-razdelitvi-bih-ki-ga-isce-ves-balkan-865692">publié</a> un document-choc présenté comme un « non paper » relatif aux Balkans occidentaux <a href="https://www.total-slovenia-news.com/politics/8124-slovenian-website-releases-non-paper-proposing-changes-to-w-balkan-borders">provenant du gouvernement slovène</a> et destiné au président du Conseil européen Charles Michel. Dans la pratique diplomatique, un <a href="https://www.eea.europa.eu/help/glossary/chm-biodiversity/non-paper">« non paper »</a> permet d’introduire une discussion sur une thématique sensible sans en endosser la responsabilité et de proposer des idées parfois provocantes sans se laisser enfermer dans un cadre de négociation.</p>
<p>Si le principe même du « non papier » est de pouvoir en nier l’existence, ce que les <a href="https://www.total-slovenia-news.com/politics/8192-slovenian-foreign-minister-claims-paper-re-drawing-western-balkans-doesn-t-exist">autorités slovènes n’ont pas manqué de faire</a>, et malgré l’étonnant silence du cabinet de Charles Michel, il semble que sa réalité soit avérée par les recoupements effectués par la presse locale et les confirmations de certains acteurs, parmi lesquels le premier ministre albanais <a href="https://euobserver.com/opinion/151741">Edi Rama</a>. Le sujet a également pesé sur le tout récent <a href="https://europeanwesternbalkans.com/2021/05/17/brdo-brijuni-declaration-eu-is-able-to-absorb-the-wb-serbias-phrasing-of-the-point-on-regional-borders-rejected/">sommet du groupe de Brdo-Brijuni</a>, une initiative diplomatique lancée par la Croatie et la Slovénie en 2013 en vue de collaborer à la stabilisation la région et d’accélérer les processus d’adhésion dans l’Union européenne des pays de la région des Balkans occidentaux.</p>
<h2>« Achever la dissolution de la Yougoslavie »</h2>
<p>Dans les <a href="https://ba.n1info.com/english/news/alleged-non-paper-on-wb-leaks-out-merging-of-rs-and-serbia-kosovo-and-albania/">grandes lignes</a>, ce document propose d’« achever la dissolution de la Yougoslavie » en résolvant les problèmes supposément laissés en suspens à la fin des années 1990.</p>
<p>Autrement dit, il propose, carte à l’appui, de redessiner totalement les frontières de la région pour constituer des États ethniquement homogènes en procédant à un dépeçage de la Bosnie-Herzégovine, à une partition du Kosovo et de la Macédoine du Nord, et à un rétrécissement du déjà petit Monténégro au profit de l’Albanie, de la Croatie et de la Serbie qui en sortiraient agrandies.</p>
<p>Le tout se ferait sans consultation des peuples concernés mais dans le cadre d’un grand accord diplomatique signé entre les gouvernements et parrainé par les États-Unis et l’Europe. Par exemple, la Bosnie ainsi dépecée, qui serait alors peuplée en très grande majorité de Bosniaques musulmans, procéderait à un référendum pour choisir entre un avenir européen ou « auprès de la Turquie » (sic).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La carte de la région si le projet slovène était mis en œuvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">News1.mk</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un tel big bang, alors que la Slovénie et son premier ministre, le très trumpiste <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/slovenie-la-derniere-bataille-du-marechal-tweeto-janez-jansa_2139149.html">Janez Jansa</a>, prendront la présidence tournante de l’Union européenne le 1<sup>er</sup> juillet prochain, n’a pas manqué de faire réagir, à la fois <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/changer-les-frontieres-des-balkans-un-non-paper-qui-bouleverse-la-region">dans la région</a>, mais aussi au-delà, à Bruxelles et à <a href="https://euobserver.com/world/151572">Washington</a>. D’où qu’elles viennent, ces réactions sont unanimes dans la condamnation de ces propositions dont on souligne l’inanité et la dangerosité.</p>
<p>Dès lors, puisque tout le monde semble opposé à ces idées, à tel point qu’on finit par se demander s’il s’est trouvé quelqu’un pour écrire ce document et tracer cette carte, quel intérêt y a-t-il à en discuter davantage ? N’y a-t-il pas un risque d’en faire la promotion au prétexte de le combattre ?</p>
<h2>Une volonté d’homogénéisation ethnique des États</h2>
<p>C’est pourtant un risque à prendre, pour plusieurs raisons. D’abord, Ljubljana entend faire des Balkans occidentaux l’une des priorités de sa présidence de l’UE. Pour des membres lointains de l’Union, il y a une tendance assez naturelle à s’en remettre à la Slovénie, elle-même issue de la Yougoslavie, pour traiter de ces questions, en considérant qu’elle en a la légitimité et les connaissances. Par conséquent, l’impact d’un document pareil n’est pas le même selon qu’il émane de la Slovénie ou, par exemple, de la Finlande ou du Portugal.</p>
<p>Ensuite, quand bien même le document est condamné de toutes parts, il part d’un constat avec lequel on peut difficilement être en désaccord : les États candidats à l’intégration européenne n’ont strictement aucune perspective d’y parvenir à court et moyen terme (2025-2030) – sauf, peut-être, le Monténégro qui pourrait être sauvé par sa petite taille.</p>
<p>Face à ce constat lucide, une approche consiste à considérer que le blocage est endogène au processus, en raison d’une double fatigue de la part de l’UE et des pays candidats, malgré le récent <a href="https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/news_corner/news/revised-enlargement-methodology-questions-and-answers_en">changement de méthodologie</a> exigé par la France et dont on verra s’il produit des effets positifs. On peut en douter.</p>
<p>Une autre, défendue dans le fameux « non papier » slovène, estime que les États des Balkans occidentaux n’ont aucune chance de rejoindre l’UE parce qu’ils sont intrinsèquement dysfonctionnels car ethniquement hétérogènes, ce qui s’explique par le fait que le processus de dissolution de la Yougoslavie n’a pas été tout à fait mené à son terme. Le corollaire de cette hypothèse est que des États ethniquement homogènes (comme la Slovénie) seraient mieux à même de se développer, et donc de rattraper leur retard sur le plan économique et démocratique afin d’atteindre les standards européens. Une théorie qui ne repose sur rien de tangible, qui est balayée par la réalité même de l’UE, mais qui semble toujours intuitivement séduisante dans certains cercles identitaires.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4GzqvPZmM8U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire de France 3 sur la Yougoslavie.</span></figcaption>
</figure>
<p>Or, c’est dans le vide politique et géostratégique laissé par les Européens dans les Balkans qu’émergent à la fois les alternatives géopolitiques – en particulier l’idée d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/19/la-serbie-sas-d-entree-vers-l-europe-pour-pekin_6073757_3210.html">net rapprochement avec la Chine</a> –, mais aussi les idées « out of the box » comme celles contenues dans ce « non papier », puisque rien d’autre ne semble fonctionner.</p>
<p>Et si personne n’endosse la paternité du document, la région ne manque pas de défenseurs de ces idées de redécoupage des frontières, à commencer par le premier ministre slovène <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/05/08/en-slovenie-le-premier-ministre-janez-jansa-en-marche-dans-les-pas-d-orban_1787764/">Janez Jansa</a>, trumpiste assumé, nous l’avons dit, dont le modèle européen est Viktor Orban. Il est appuyé en cela par plusieurs responsables et partis politiques de la région qui n’ont pas manqué de saisir l’opportunité de cette publication aller dans le même sens.</p>
<p>Milorad Dodik, l’homme fort de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie, ne cesse ainsi de <a href="https://ba.n1info.com/english/news/dodik-republika-srpska-entity-also-has-a-non-paper-on-bosnia/">répéter</a> qu’il faut aller vers une dissolution pacifique de la Bosnie-Herzégovine, qui permettrait à la Republika Srpska de se rattacher in fine à la Serbie. L’actuel ministre de l’Intérieur serbe Aleksandar Vulin <a href="https://www.klix.ba/vijesti/bih/vulin-o-srpskom-svetu-proces-ujedinjenja-je-poceo-i-to-se-vise-nece-moci-zaustaviti/210501066">répète</a> également que l’objectif stratégique de son pays est l’union des Serbes dans une même sphère.</p>
<p>Côté croate, les principaux responsables croates de Bosnie, aidés en cela par les autorités de Zagreb, poussent depuis longtemps pour créer une entité croate, prélude à un morcellement plus prononcé de la Bosnie.</p>
<p>Quant aux Albanais, si l’idée d’une réunification avec le Kosovo, à laquelle l’actuel premier ministre du Kosovo Albin Kurti est <a href="https://www.euronews.com/2021/02/16/i-would-vote-to-unify-albania-and-kosovo-election-winner-albin-kurti-tells-euronews">favorable</a>, apparaît lointaine et irréaliste aujourd’hui, elle pourrait revenir <a href="https://www.euronews.com/2021/04/15/how-eu-enlargement-apathy-could-push-kosovo-and-albania-to-join-forces">si le chemin européen de l’Albanie et du Kosovo est durablement fermé</a>.</p>
<p>On voit donc que la région ne manque pas d’ambitieux qui n’attendent qu’un signal pour littéralement reprendre les choses là où elles se sont arrêtées à la fin des années 1990 et « achever la dissolution de la Yougoslavie », c’est-à-dire ni plus ni moins qu’achever ce pour quoi eux ou leurs prédécesseurs se sont fait la guerre.</p>
<p>Car il ne faut pas s’y tromper : rien de tout cela ne pourrait advenir de façon pacifique et chacun le sait. On emploie donc des formules et des périphrases qui masquent de moins en moins une réalité simple : ni du côté croate, ni du côté serbe on n’a renoncé au but de guerre commun de 1992, à savoir dépecer la Bosnie et la réduire à un État croupion autour de Sarajevo dont on pointera à nouveau le caractère musulman, donc exogène à l’Europe chrétienne, donc illégitime, donc à éliminer. Cette rhétorique identitaire, déjà à l’œuvre dans les années 1990 dans le discours de propagande serbe touchant aussi bien les Bosniaques que les Albanais du Kosovo, a retrouvé de la vigueur ces derniers temps, que ce soit dans les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-massacre-de-christchurch-ravive-les-blessures-des-balkans-17-03-2019-2301722_24.php">inspirations</a> d’un terroriste suprémaciste à l’autre bout du monde ou dans les <a href="https://www.francesoir.fr/politique-france/grand-remplacement-et-kosovo-le-fantasme-de-zemmour-et-marion-marechal">discours de l’extrême droite française</a>.</p>
<h2>Un projet loin d’être enterré</h2>
<p>Ce « non papier » a donc des effets performatifs immédiats puisqu’il <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/effects-of-non-paper-dodik-wants-peaceful-split-izetbegovic-thinks-war-possible/">crée des tensions</a> dans la région en alimentant les craintes des uns et les fantasmes des autres. On aurait tort de croire que son rejet immédiat suffira à enterrer ce dessein.</p>
<p>Le précédent du <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">débat</a> sur le changement de frontière entre la Serbie et le Kosovo comme base d’un compromis en 2018 nous renseigne sur ce que deviennent des idées jetées en l’air, ou plus exactement sur des cartes. D’une idée marginale défendue dans certains cercles eux-mêmes marginaux, il n’a fallu que quelques mois pour qu’elle devienne la nouvelle martingale, défendue à la fois par les deux présidents de la Serbie et du Kosovo, mais aussi par une série de hauts responsables européens et américains (<a href="https://www.politico.eu/article/federica-mogherini-kosovo-serbia-defends-border-change-talks/">dont l’ancienne Haute Représentante Federica Mogherini</a>), non sans susciter quelques interrogations sur les pratiques employées pour se faire, <a href="https://prishtinainsight.com/border-changes-promoted-with-taxpayer-money/">notamment en France</a>. Seule l’Allemagne a alors campé sur sa position de principe qu’il ne fallait pas toucher aux frontières et que l’argument consistant à dire que « si tout le monde est d’accord sur place, qui sommes-nous pour l’empêcher ? » était purement rhétorique car ce « si » ne peut en aucun cas advenir.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/A9Ri9QMIxt8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Par conséquent, ce n’est pas parce que ce « non papier » et sa carte sont rejetés aujourd’hui que le sujet est fermé. Au contraire, il est désormais ouvert. Il suffira d’une crise sérieuse savamment orchestrée dans la région, d’une ouverture géopolitique avec un nouveau Trump à la Maison Blanche qui n’aura que faire des engagements historiques des Américains dans la région et raisonnera en termes ethno-religieux, pour que les projets des années 1990, aujourd’hui ressuscités sous couvert de la prétendue possibilité de leur accomplissement pacifique, ne soient à nouveau considérés comme concevables par un plus grand nombre de décideurs.</p>
<p>Impossible ? Loin de là, puisque les dirigeants occidentaux sont ceux qui ont raisonné en ces termes dans les années 1990, qui ont accepté d’emblée les narratifs ethno-nationalistes dans les plans de paix en Bosnie, qui ont <a href="https://www.iris-france.org/87849-pourquoi-les-balkans-comptent-partie-2/">essentialisé une région réduite dans leur vision à des haines ancestrales</a>. Qu’on ne doute pas qu’il en serait à nouveau ainsi si la situation se représentait. Et c’est toute la stratégie d’un Dodik en Bosnie que de rendre le pays le plus dysfonctionnel possible, jusqu’à ce qu’une opportunité s’ouvre et que l’on se mette à accepter l’idée qu’après tout, si ça ne marche pas, il vaudrait peut-être mieux redécouper tout ça. À ceci près que, répétons-le, un tel développement déclenchera nécessairement un nouveau conflit armé.</p>
<p>Enfin, ce « non papier » est aussi un signe qu’au sein de l’Europe, les forces illibérales, sous couvert de défense de l’identité chrétienne, balaient sans ciller les valeurs de l’UE, ses textes, et l’héritage des Pères fondateurs. Les propositions de ce document sont un retour à la diplomatie du XIX<sup>e</sup> siècle si bien que, si l’on suit cette logique, il n’y a aucune raison de considérer que le raisonnement proposé ne s’appliquerait pas à d’autres régions du monde dont on dirait qu’elles dysfonctionnent parce qu’elles ne sont pas des États-nations homogènes. Un débat tranché en Afrique lors des indépendances des anciennes colonies, précisément parce qu’indépendamment des problèmes créés par les frontières héritées des puissances coloniales, on savait que se lancer dans un redécoupage qui correspondrait à des appartenances identitaires déboucherait sur des conflits sans fin.</p>
<p>Il faut donc voir dans ce « non papier » un avertissement. Ces idées sont encore vivantes, et nul doute que les mêmes causes produiraient les mêmes conséquences si elles venaient à être appliquées. Partant de là, il incombe à l’Europe de redonner une dimension stratégique à son action dans les Balkans, par-delà une rhétorique de l’intégration à laquelle personne ne croit plus vraiment de part et d’autre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un « non paper » attribué au gouvernement slovène secoue actuellement les Balkans. Ce document diplomatique non officiel a pour projet de redéfinir les frontières des pays issus de l’ex-Yougoslavie.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1563362021-03-15T18:01:23Z2021-03-15T18:01:23ZCour pénale internationale : des crimes sans victimes ?<p>La Cour pénale est la première et la seule juridiction permanente compétente pour juger les hauts responsables pour crime de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression : un réel aboutissement de la part de la communauté internationale.</p>
<p>Pourtant, après presque vingt ans d’existence, la Cour fait l’objet de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2019-4-page-83.htm">critiques persistantes</a> et les griefs ne manquent pas. Sa « partialité » envers l’Afrique est mise en cause, notamment au prétexte des acquittements retentissants de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/14/l-acquittement-de-bemba-revele-les-echecs-de-la-cour-penale-internationale_5314784_3212.html">Jean‑Pierre Bemba</a>, ancien vice-président de la RDC, en 2018, et de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/gbagbo-acquitte-et-apres_2057467.html">Laurent Gbagbo</a>, ancien président de Côte d’Ivoire, en 2019, accusés des crimes les plus graves. S’ajoutent les sanctions économiques américaines contre la procureur, la Gambienne Fatou Bensouda, en raison de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/05/la-cour-penale-internationale-valide-l-ouverture-d-une-enquete-pour-crimes-de-guerre-et-crimes-contre-l-humanite-en-afghanistan_6031942_3210.html">l’ouverture d’une enquête</a> en Afghanistan pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par les diverses forces en présence, ou encore les retraits d’États à l’égard de la compétence de la Cour (Burundi, Philippines) ou leur refus d’y souscrire (Chine, États-Unis, Russie, Inde, Israël…).</p>
<p>Autant d’éléments qui attestent, plus encore que sa réputation disputée, de sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/une-justice-internationale-a-la-peine_5471125_3210.html">fragilité</a>. L’universalité de la compétence de la Cour n’est pas acquise et de nombreux crimes peuvent rester impunis.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nvopx1v_vCY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">CPI : dénoncer le statut de Rome nuit à la justice internationale pour tous, affirme l’ONU.</span></figcaption>
</figure>
<p>Comment améliorer son fonctionnement ? L’élection d’un nouveau procureur, le Britannique <a href="https://asp.icc-cpi.int/FR_Menus/asp/press%20releases/pages/pr1567.aspx">Karim Kahn</a>, spécialiste des procès pénaux internationaux, qui prendra ses fonctions en juin prochain, peut-elle vraiment bouleverser la donne ? Une piste de réflexion vise à prendre en compte les victimes.</p>
<h2>Des victimes absentes des procès internationaux</h2>
<p>Il est un point de droit de procédure méconnu et pourtant fondamental : la place des victimes dans le procès pénal international.</p>
<p>Jusqu’à l’adoption du <a href="https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">statut de Rome</a> en 1998, le droit pénal international les avait écartées des procès en faisant le choix d’un face-à-face exclusif entre le suspect et l’accusation, qu’il s’agisse des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945) ou de Tokyo (1946) ou des tribunaux pénaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (1993 et 1994). Les criminels n’étaient, ainsi, pas judiciairement confrontés aux victimes mais aux preuves de culpabilité, dans une logique de charge et décharge de celles-ci.</p>
<p>Ainsi les victimes étaient-elles paradoxalement absentes des procès des crimes de masse et ne pouvaient être entendues qu’en tant que témoins relativement aux preuves. Les souffrances, les traumatismes, les vies brisées n’étaient pas étalées devant le prétoire international, faisant ainsi l’économie d’un temps précieux.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KrTJGckkQuY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Kharim Khan, nouveau procureur général de la CPI.</span></figcaption>
</figure>
<p>Aucune possibilité de réparer les crimes de masse n’était possible laissant les victimes sans réponse. À partir la décennie 1990, une évolution est perceptible. Les victimes apparaissent devant les commissions de justice et de vérité et/ou les accusés comparaissent devant les juges. Une telle division ne peut que poser problème : ne pas rendre justice aux victimes, c’est doubler leur préjudice initial.</p>
<h2>Une place pour les victimes devant la CPI ?</h2>
<p>Rien de tel, a priori, devant la Cour, dont le statut reconnaît les victimes à deux endroits, soit pour les faire « participer » au jugement (article 68), soit dans le cadre d’une phase finale visant à réparer leurs préjudices (article 75). Comment réparer réellement les crimes de masse ? Quelles réparations individuelles, collectives, symboliques et indemnitaires ? La pratique de la Cour n’est guère fournie.</p>
<p>Depuis vingt ans, seules quatre affaires – trois en RDC et une au Mali – ont donné lieu à réparation, ce qui n’atteste pas, encore une fois, ni vraiment de l’efficacité de la Cour, ni de la prise en compte des victimes. La dernière ordonnance de réparation est récente (8 mars 2021, <a href="https://www.icc-cpi.int/drc/ntaganda?ln=fr">affaire Bosco Ntaganda</a>). La Cour n’accordant pas de réparation d’urgence et à titre provisoire, les victimes doivent attendre la fin de la phase de jugement pour que, le cas échéant, s’ouvre la phase de réparation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369652622639198209"}"></div></p>
<p>Philippe Kirsch, principal négociateur du Statut de Rome et premier président de la Cour, avait qualifié la place des victimes d’« ambiguïté constructive », soit un statut bancal et périphérique les situant à la marge du procès pénal.</p>
<p>L’essentiel du jeu devant la Cour reste centré sur la relation accusation-accusé. Deux affaires en cours concernant des crimes commis en République centrafricaine et au Darfour montrent les difficultés à ancrer la place des victimes dans le procès pénal international.</p>
<p>En 1993, suite à la prise de pouvoir par la force conduisant à la fuite du président François Bozizé, un conflit éclate entre les forces de la Sélaka et les anti-balaka, précipitant la mort de milliers de personnes et un exode massif, intérieur et dans les pays voisins (notamment Tchad et RDC) selon les <a href="https://undocs.org/fr/S/2014/928">Nations unies</a>. Maîtres Yare Fall et Elisabeth Rabesandratana ont <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-7-bis---me-yare-fall/?">défendu</a> les intérêts des victimes et la nécessité de leur accorder la parole durant le <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210216-centrafrique-le-proc%C3%A8s-yekatom-nga%C3%AFssonna-%C3%A0-la-cpi-suivi-depuis-bangui">procès</a> Yekatom et Ngaïssona le 17 février 2021, dans le cadre de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GQP-f6n6wRo">l’audience d’ouverture</a>. Preuve de l’importance de leur parole : le procès est suivi avec attention à Bangui par les <a href="https://www.dw.com/fr/le-proc%C3%A8s-nga%C3%AFssona-et-y%C3%A9katom-%C3%A0-la-cpi-suivi-en-rca/a-56592980">victimes</a>.</p>
<p>Asmal Clooney, avocate de victimes du conflit du Darfour qui remonte à <a href="https://undocs.org/fr/S/2005/60">2003</a>, a demandé à la Cour, le 8 janvier 2021, dans <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1556&ln=fr">l’affaire</a> Abd-Al-Rahman, la « permission » de représenter 102 victimes d’un conflit ayant jeté sur les routes quelque 340 000 réfugiés originaires du Darfour, avalisant le point de vue qui hiérarchise les <a href="https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2021_00085.PDF">victimes</a>.</p>
<p>Certes, la détermination de la qualité de victimes pour les crimes de masse n’est pas chose aisée et un « intérêt personnel » pour accéder au prétoire leur est demandé (art. 68 du statut). Certes, la Cour adopte une démarche A, B, C, selon que les victimes sont reconnues (A), ne le sont pas (B) ou peuvent l’être (C). Certes, la Cour a adopté la possibilité du double <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/appForms-yn/ynAppFormInd_FRA.pdf">formulaire</a> (participation/réparation). Cela permet de considérer leur identification dès le début de la procédure et pour l’ensemble de celle-ci.</p>
<p>En l’état actuel des choses, le crime continue à fonder la qualité de victime participante, favorisant une approche « crimino-centrée », c’est-à-dire centrée sur la relation Accusation-Défense. En effet, le champ matériel, géographique, temporel retenu pour les poursuites, même s’il est mobile dans les étapes de l’instruction, inclut et exclut les victimes.</p>
<h2>Les victimes exposées à des tactiques judiciaires complexes</h2>
<p>Ces réflexions ne sont pas neutres. Elles posent des questions de justice : quel procès équitable dans ces conditions ? Quel droit réel à réparation des crimes ? Quelle justice internationale ?</p>
<blockquote>
<p>« La question fondamentale qui reste à résoudre après bien entendu la déclaration de culpabilité, c’est la gestion équitable des conséquences inqualifiables et souvent incalculables, que ces atrocités ont causées et continuent encore de causer au quotidien, à ceux qui en ont été victimes. » (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=GQP-f6n6wRo">Maître Fall</a>)</p>
</blockquote>
<p>Ces réflexions se posent aussi en termes de tactique judiciaire. Dans l’affaire darfourie, l’avocat de la Défense, Maître Cyril Laucci, a fait état, le 13 janvier 2021, d’une préoccupation marquée pour <a href="https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2021_00161.PDF">l’intérêt des victimes</a>, ce qui est bien évidemment une position rare car celles-ci sont plus spontanément favorables aux preuves à charge :</p>
<blockquote>
<p>« Présumer que l’intérêt des victimes diverge de celui du suspect implique nécessairement que ce dernier est présumé coupable. La Défense s’est appliquée à démontrer que les intérêts respectifs des victimes et de M. Abd-Al-Rahman, bien que clairement distincts, pouvaient présenter certains aspects convergents… la condamnation d’une personne sans avoir établi sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable au terme d’une procédure équitable est contraire à l’intérêt des victimes en ce qu’elle ajoute la double injustice de la condamnation potentielle d’un innocent et de l’impunité des réels coupables à celle qu’elles ont déjà endurée ? »</p>
</blockquote>
<p>Ce positionnement, tout évidement tactique, vise à embarrasser le procureur frileux de faire apparaître sur le devant de la scène judiciaire les victimes car tout est, dans cette procédure d’origine anglo-saxonne, subordonné à un examen contradictoire approfondi, entre l’Accusation et la Défense qui chercheront les avantages et les inconvénients de leur participation. Que les victimes ne soient pas présentes au procès, la Défense reprochera qu’elles menacent la présomption d’innocence. Que les victimes le soient, elles seront suspectées de porter atteinte à la célérité de la justice et à l’équilibre des armes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_uO_pkPHv70?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Exclusif : au Darfour, sur la route des massacres.</span></figcaption>
</figure>
<p>En réalité, l’accession des victimes à la procédure est un processus laborieux et qui est, pour chaque affaire et à chaque étape, l’objet de discussion pour savoir si leur qualité d’appartenance au groupe A, B, C est vérifiée. Il arrive que la qualité de victime soit retirée. Une fois admise, cette participation est très contrainte, en vertu des <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-6---2020-08-26-resume-initial-directions-on-the-conduct-of-/">règles de conduite</a> précises, et placée sous le contrôle du juge :</p>
<ul>
<li><p>Soucieuse du déroulement équitable et rapide de la procédure, la Chambre évaluera la nécessité ou l’opportunité des questions des représentants légaux des victimes (RLV) au cas par cas.</p></li>
<li><p>Le rôle du RLV est différent de celui de l’accusation, ce qui doit se refléter dans le type de questions posées. C’est à l’Accusation qu’incombe exclusivement la charge de la preuve pour établir les crimes allégués.</p></li>
</ul>
<p>La Cour s’enlise dans la pratique et l’ambiguïté n’est pas constructive. Comme l’a dit <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-7---declaration-douverture-/">Me Rabesandratana</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La Cour se doit d’être un exemple pour l’ensemble des juridictions et du droit international. À ce titre, elle doit formuler des principes généraux de droits communs aux différents ordres juridiques ; construire ainsi l’unité du droit ; favoriser la primauté du droit sur la force, la corruption et la lutte contre l’impunité ; permettre à un pays de se reconstruire. La justice pénale internationale ne peut pas/ne doit pas contribuer à fragmenter le droit. L’unité du droit consiste à octroyer une place adéquate aux victimes et ainsi passer d’une relation duale/binaire “accusation v. défense” à une relation ternaire “accusation-victimes-défense”. »</p>
</blockquote>
<h2>Repenser la place des victimes</h2>
<p>L’ajout des victimes à la procédure peut être illustré par la figure géométrique du losange :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le losange procédural.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce losange s’interprète au regard de trois niveaux. Le plus élevé concerne le juge et sa fonction d’arbitrage. Le niveau intermédiaire, le plus médiatisé, oppose dans une relation d’intenses compétitions entre l’accusation et la défense pour faire admettre les preuves à charge et à décharge.</p>
<p>Les victimes appartiennent au troisième niveau du procès pénal international, périphérique, qui les place dans une « normalisation bureaucratique » qui pourrait être parfaitement revue en récusant cette position secondaire, en leur donnant la possibilité de participer pleinement à la relation contradictoire entre l’accusation et la défense.</p>
<p>En effet, l’interprétation conduite par la Cour survalorise le statut au détriment des autres sources de droit international, notamment du droit international des droits de l’homme qui pourrait servir de source d’inspiration par exemple la <a href="https://www.un.org/victimsofterrorism/fr/node/30">Déclaration</a> des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Il ne s’agirait là que d’appliquer les canons de l’interprétation en international. Et relever le défi de la résilience pour <a href="https://corbeaunews-centrafrique.com/centrafrique-la-situation-globale-des-musulmans-centrafricains-est-plus-importante-que-la-vie-dans-le-km5-dixit-imam-tidiani-moussa-naibi/">« aller résolument vers la paix, la cohésion sociale et le vivre-ensemble »</a> (selon les mots de Tidiani Moussa Naibi, imam de la Mosquée centrale de Bangui).</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Sermet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle place la Cour pénale internationale réserve-t-elle aux victimes de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ?Laurent Sermet, Professeur d'université, agrégé de droit public, compétences en Droit international, anthropologie du droit, Sciences Po Aix. UMR ADES 7268, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1415452020-06-26T10:41:55Z2020-06-26T10:41:55ZLe président du Kosovo accusé de crimes contre l’humanité : et maintenant ?<p>Alors qu’il était dans l’avion pour une rencontre au sommet à la Maison-Blanche avec son homologue serbe, le président du Kosovo Hashim Thaçi a été contraint de faire demi-tour suite à la publication d’un <a href="https://www.scp-ks.org/en/press-statement">communiqué</a> en provenance des Chambres spéciales de La Haye chargées de juger les potentiels crimes commis par l’Armée de libération du Kosovo (Uçk) entre 1998 et 2000. Le procureur Jack Smith y indique, en trois petits paragraphes, que Thaçi, ainsi que d’autres responsables comme l’ancien président du Parlement Kadri Veseli sont accusés de <a href="https://balkaninsight.com/2020/06/25/two-decades-on-kosovos-guerrilla-boss-thaci-may-finally-face-trial">crimes de guerre et crimes contre l’humanité et seraient impliqués dans le meurtre d’une centaine de personnes</a>. Un juge des Chambres doit encore décider de valider ou non cet acte d’accusation afin d’inculper ou de disculper les deux hommes.</p>
<p>Trois jours après des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/en-serbie-les-elections-renforcent-la-derive-autoritaire-du-president-vucic_4000093.html">élections aux allures de farce en Serbie</a> et quelques semaines seulement après que Hashim Thaçi a manœuvré pour <a href="https://theconversation.com/au-kosovo-deflagration-politique-sur-fond-de-covid-19-137356">renverser le gouvernement du Kosovo dirigé par le très populaire Albin Kurti</a>, cette péripétie marque un tournant majeur à la fois pour le Kosovo mais aussi pour l’avenir du dialogue Belgrade-Pristina.</p>
<p>Bien que beaucoup d’incertitudes demeurent face à ce coup de tonnerre, la réflexion peut d’ores et déjà s’orienter dans trois directions.</p>
<h2>Pourquoi maintenant ?</h2>
<p>D’abord, le timing du communiqué du procureur, dont l’acte était prêt dès le 24 avril dernier, ne manque pas d’interroger, puisqu’il intervient très précisément au moment où Thaçi allait se rendre à un sommet très attendu à la Maison-Blanche pour espérer des avancées décisives dans le dialogue avec Belgrade.</p>
<p>Nous avons déjà expliqué <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">par ailleurs</a> pourquoi Thaçi avait personnellement intérêt à aller très vite sur cette question, précisément en vue de désamorcer de potentielles inculpations. Dans son communiqué, le procureur explique que Thaçi et Veseli n’ont cessé d’œuvrer <a href="https://balkaninsight.com/2018/01/22/kosovo-politicians-advance-bid-to-scrap-special-court-01-22-2018/">dans le but de se soustraire à l’action des Chambres spéciales</a>. Une hypothèse serait donc que le procureur a craint que tout accord passé sous l’égide de la Maison-Blanche inclue une forme d’amnistie, voire un soutien américain à l’élimination des chambres elles-mêmes. D’autres spéculeront sur une action téléguidée par l’Union européenne, principal sponsor de ces chambres, en réponse à sa mise à l’écart par l’administration Trump et les deux présidents Thaçi et Vucic.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/b94N7wo843Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>C’est oublier que les nuages judiciaires planaient au-dessus de la tête de Thaçi depuis fort longtemps et que l’émission d’un acte d’accusation contre lui était, même si c’était implicite, la principale raison d’être de ces chambres dès lors qu’elles faisaient sérieusement leur travail. Par conséquent, si le timing pourra prêter à discussion auprès de ceux qui ont des informations et ceux qui croient en avoir, le fond du sujet, lui, est nettement moins discutable.</p>
<h2>Quel impact sur les relations entre la Serbie et le Kosovo ?</h2>
<p>Ensuite, cette mise en accusation change tout en ce qui concerne le dialogue Belgrade-Pristina, sur lequel l’envoyé spécial de Donald Trump, Richard Grenell, avait pris la main de façon quasi exclusive en laissant de côté l’UE.</p>
<p>Plusieurs questions sont ouvertes. D’abord, Hashim Thaçi va-t-il démissionner ? Ce n’est pas du tout une certitude au regard de la Constitution. S’il ne le faisait pas, pourrait-il pour autant continuer de conduire le dialogue lui-même ? Dans le cas contraire, quelle organisation trouver ? On peut s’attendre à ce qu’Albin Kurti, renversé il y a deux mois, redouble d’intensité dans son appel à des élections anticipées.</p>
<p>Du côté du dialogue, la fenêtre semble se fermer pour les États-Unis, qui souhaitaient un accord rapide avec les deux présidents. À l’inverse, il s’agit peut-être là d’une opportunité inespérée pour les Européens de reprendre la main, en attendant une éventuelle victoire de Joe Biden en novembre qui pourrait favoriser la reconstitution d’un tandem Washington-Bruxelles. D’ailleurs, si le sommet de Washington est annulé, la présidente de la Commission européenne <a href="https://euronews.al/en/kosovo/2020/06/25/von-der-leyen-and-charles-michel-react-on-hoti-s-visit">Ursula von der Layen a reçu ce mercredi le premier ministre du Kosovo Hoti</a>, et ce vendredi le président serbe Vucic, avant un sommet France-Allemagne-Serbie-Kosovo-UE programmé à Paris courant juillet.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276419067105226753"}"></div></p>
<p>La question demeure de savoir ce que les Européens ont à offrir aux deux parties. À la Serbie, pas grand-chose puisque l’intégration n’est pas d’actualité et que le régime s’autocratise toujours davantage. Au Kosovo, la levée des visas, bloquée par quelques États dont la France alors que le Kosovo remplit tous les critères techniques et que les instances communautaires (Commission, Parlement) se sont prononcées en faveur de cette levée. Mais aussi, éventuellement, des efforts pour convaincre les cinq États membres qui ne reconnaissent pas le Kosovo (Espagne, Slovaquie, Grèce, Chypre, Roumanie) d’avancer sur ce point. En tout état de cause, le contraste ne saurait être plus grand entre d’un côté une Serbie à quasi parti unique, et de l’autre un Kosovo au président quasi empêché, et où le gouvernement a pris le pouvoir de façon légale mais illégitime.</p>
<h2>La perception héroïque de l’UçK au Kosovo et en Albanie</h2>
<p>Enfin, cette mise en accusation est peut-être l’occasion d’une réflexion sur l’Armée de libération du Kosovo. La plupart des déclarations politiques, et la première réaction de Thaçi lui-même, ont consisté à dresser une équivalence entre lui et l’UçK, signifiant ainsi que c’était cette dernière qui était en réalité visée. On touche là à une triple difficulté. La première est la distinction entre responsabilité individuelle et responsabilité collective. Dire qu’attaquer Thaçi signifie attaquer l’UçK rend de fait l’attaque inacceptable dans la mesure où l’UçK est célébrée par tous les Albanais comme l’organisation qui a mené la lutte contre l’oppression serbe du régime de Slobodan Milosevic. Or, c’est tout le principe de la justice internationale, et notamment du TPIY, d’individualiser les responsabilités et les peines en établissant les faits et les chaînes de commandement. L’argument n’est donc pas recevable.</p>
<p>La deuxième difficulté repose sur le caractère juste de la cause pour laquelle l’UçK s’est battue. On dit alors que dans la mesure où la cause était juste, rien d’injuste ne peut en émaner car la justesse de la cause l’emporterait sur toute autre considération. Néanmoins, cette acception ternit en elle-même le principe et la légitimité l’action menée. Dans la théorie de la guerre juste, la justesse de la cause ne saurait autoriser ceux qui l’embrassent à se soustraire aux obligations du droit que leurs adversaires ne respectent pas. Ce n’est pas parce qu’on combat pour une cause juste que l’on a le droit de tuer, de violer, de massacrer etc. Aucun ancien membre de l’UçK, quel que soit son rang, ne peut donc par principe se déclarer au-dessus de toute accusation en vertu de la cause juste qu’il aurait défendue. Il serait au contraire redevable de tout crime de guerre commis et démontré au cours d’un procès juste et équitable, au même titre que n’importe quel autre combattant. Ce n’est qu’ainsi que la justesse de la cause demeurerait sauvegardée des crimes non pas commis en son nom, mais dont on espérait qu’elle les couvre.</p>
<p>La troisième difficulté touche au narratif lié à l’UçK, héroïsée partout au Kosovo au sein de la population albanaise. Comme dans d’autres pays, les Albanais du Kosovo <a href="https://www.recom.link/good-thing-dont-know-interview-bekim-blakaj-travails-transitional-justice-kosovo">doivent faire face aux crimes commis</a>, y compris (et surtout) les crimes politiques commis par des Albanais contre d’autres Albanais après l’entrée de l’OTAN sur son territoire en juin 1999. <a href="https://balkaninsight.com/2017/10/31/war-crimes-denial-is-a-psychological-defence-mechanism-10-30-2017/">Ce travail de mémoire prend toujours du temps dans toutes les sociétés</a> ; il n’est donc pas étonnant que les premières réactions soient négatives comme elles l’étaient au moment de la création de ces Chambres spéciales, votées sous forte pression occidentale. Si l’on peut comprendre la frustration devant le constat que la Serbie n’a jamais demandé pardon et que ses hauts gradés militaires n’ont jamais vraiment répondu des crimes commis en 1998-1999, cela ne signifie pas, à plus forte raison si l’on pense avoir la morale avec soi, qu’il faut s’absoudre de ses propres crimes car les crimes des uns ne justifient ni n’amoindrissent jamais les crimes des autres, ni sur le plan du droit, ni sur celui de l’éthique.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Il reste donc à attendre de savoir si le juge va confirmer l’inculpation du président Thaçi, si celui-ci quittera ses fonctions en conséquence, et si cela débouchera sur une redistribution totale des cartes politiques au Kosovo.</p>
<p>De son côté, le président serbe, qui n’avait pas spécialement intérêt à résoudre la question du Kosovo rapidement, se retrouve non seulement sans opposition chez lui, mais aussi sans interlocuteur défini dans ce dialogue. La relance de, ce dialogue ne sera pas le moindre des défis pour les leaders européens dans la région et pour leur envoyé spécial Miroslav Lajcak. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141545/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président du Kosovo Hashim Thaçi vient d’être accusé par le Tribunal spécial pour le Kosovo de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Quelles conséquences pour le pays et pour la région ?Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1373562020-04-29T17:30:50Z2020-04-29T17:30:50ZAu Kosovo, déflagration politique sur fond de Covid-19<p>Alors que le monde entier consacre son énergie à lutter contre la pandémie de Covid-19, certains gouvernements y ont vu une occasion d’accroître leurs pouvoirs en profitant de l’effet de sidération et de la fenêtre d’opportunité qui s’ouvrait. C’est ce type de scénario qui s’est produit au Kosovo le 25 mars dernier – à ceci près que ce n’est pas le gouvernement qui a outrepassé ses droits, mais le président qui a manœuvré pour fomenter la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/26/kosovo-le-gouvernement-renverse-en-pleine-pandemie-du-coronavirus_6034447_3210.html">chute du gouvernement</a>.</p>
<h2>L’éphémère gouvernement Kurti</h2>
<p>Pour comprendre la situation, un bref retour en arrière s’impose. Les élections législatives d’octobre 2019 ont abouti à la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Legislatives-Kosovo-opposition-fait-chuter-commandants-2019-10-06-1301052499">victoire du parti Autodétermination (VV)</a>, qui se veut issu de la gauche sociale et qui fait de la lutte contre la corruption son principal cheval de bataille. Son leader charismatique, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/kosovo-albin-kurti-lenfant-terrible-de-la-politique-kosovare">Albin Kurti</a>, longtemps épouvantail des chancelleries occidentales très influentes au Kosovo, s’est donc ouvert la voie vers le poste de premier ministre – non sans avoir pris ses distances avec quelques points de crispation liés à la charte initiale de son parti comme la réunification avec l’Albanie par exemple. Néanmoins, la victoire fut remportée d’une courte tête devant la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), parti historique de feu Ibrahim Rugova, emmené par une jeune garde incarnée par <a href="https://www.lepoint.fr/monde/vjosa-osmani-la-femme-qui-veut-diriger-le-kosovo-02-10-2019-2338886_24.php">Vjosa Osmani</a>, devenue présidente du Parlement.</p>
<p>Autrement dit, les deux partis arrivés en tête ont battu les partis qui formaient la coalition sortante, à savoir le PDK du président Hashim Thaçi, l’AAK de Ramush Haradinaj et la formation NISMA de Fatmir Limaj, dans ce qui avait été appelé « la coalition des commandants » en raison de l’appartenance de chacun à l’ancienne Armée de libération du Kosovo (UçK).</p>
<p>Des mois de tractations ont été nécessaires pour constituer un gouvernement, rajeuni et féminisé, et obtenir un vote de confiance au Parlement. Or c’est ce gouvernement, en place depuis à peine deux mois et dont l’action est globalement appréciée par l’opinion, qui a été renversé, avec la complicité de la LDK, qui a donc précipité la chute d’une coalition dont elle était elle-même partie. Cette opération a mis au jour des dissensions au sein de la LDK entre la « vieille garde », incarnée par l’ancien premier ministre Isa Mustafa, à la manœuvre avec le président Thaçi pour faire tomber le gouvernement, et la nouvelle figure populaire Vjosa Osmani, qui y était opposée.</p>
<p>À peine le vote de défiance a-t-il été acquis que les tractations ont débuté, de façon ouverte et assumée par le président Thaçi, qui a prétexté l’urgence de la pandémie pour <a href="https://balkaninsight.com/2020/04/15/kosovo-opposition-signals-readiness-to-form-new-government/">demander à la LDK de constituer au plus vite un nouveau gouvernement</a> avec une nouvelle coalition sans qu’il y ait besoin de recourir à de nouvelles élections. Néanmoins, les photos publiées sur Twitter par Thaçi en compagnie des responsables des autres partis, sans masque, sans distanciation physique (et sans femmes) témoignent, si besoin était, du caractère grossier du mensonge utilisé. De fait, personne n’est dupe de cette manipulation opérée au grand jour, à commencer par les citoyens du Kosovo qui, pour être confinés, n’en expriment pas moins un <a href="https://prishtinainsight.com/prishtina-protests-from-its-balconies/">soutien massif depuis leurs balcons</a> à Albin Kurti.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1253000780036149248"}"></div></p>
<p>Le premier ministre déchu a saisi la Cour constitutionnelle afin qu’elle s’exprime sur la légalité de la manœuvre du président qui, selon les textes, n’est pas le dépositaire du pouvoir exécutif. Il y a donc deux hypothèses. Soit la Cour confirme la légalité du nouveau gouvernement, ce qui débouchera très vraisemblablement sur des protestations populaires massives. Soit elle donne raison à Albin Kurti et demandera l’organisation de nouvelles élections qui ne pourront de toute façon pas se tenir dans l’immédiat, maintenant Kurti dans son rôle de premier ministre d’un gouvernement technique. On voit donc que dans les deux cas, la crise politique ne fait que commencer car le président Thaçi et les autres partis ne pourront laisser la situation s’éterniser.</p>
<h2>Les raisons des manœuvres présidentielles</h2>
<p>La question est alors de savoir pourquoi le président Thaçi, bien aidé en cela par la vieille garde de la LDK, a tout fait pour renverser l’éphémère gouvernement Kurti. Il y a deux raisons à cela. La première est interne. Le parti Autodétermination a gagné sur la promesse de lutter contre la <a href="https://balkaneu.com/corruption-in-kosovo-is-endemic-report/">corruption politique endémique</a>. Le gouvernement avait commencé à renvoyer les affidés des anciens partis qui avaient dû leurs hautes positions à leurs appartenances partisanes davantage qu’à leurs compétences inexistantes. Il ne fait aucun doute que d’autres gros scandales de corruption et de clientélisme seraient prochainement sortis, tant les partis qui se sont succédé au pouvoir, y compris la LDK, se sont depuis longtemps ingéniés à <a href="https://www.aljazeera.com/programmes/witness/2019/05/patriotic-highway-tale-justice-corruption-kosovo-190528084404483.html">capturer les ressources de l’État</a> à leur profit.</p>
<p>La seconde raison est externe, et nettement plus grave car elle est relative à la question fondamentale du dialogue avec la Serbie en vue de la reconnaissance du Kosovo. La manœuvre de Thaçi n’aurait jamais pu aboutir sans le soutien ouvert et massif de l’ambassadeur américain en Allemagne <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/06/06/la-diplomatie-a-rebrousse-poil-de-richard-grenell-ambassadeur-des-etats-unis-a-berlin_5310745_3214.html">Richard Grenell</a>, envoyé spécial personnel du président Trump pour le dialogue Serbie-Kosovo et par ailleurs récemment nommé <a href="https://edition.cnn.com/2020/02/20/opinions/richard-grenell-disastrous-dni-choice-andelman/index.html">directeur national du renseignement</a> (non confirmé par le Sénat) suite à la purge post-impeachment. La présence de Grenell, un novice total sur les Balkans mais un fidèle de Trump, ne peut s’expliquer que par sa conviction qu’il peut offrir au président un succès diplomatique à brève échéance dans un conflit que les Européens (et Obama) auront été incapables de résoudre depuis des années.</p>
<p><a href="https://balkaninsight.com/2020/04/07/applauding-kurtis-fall-the-us-is-testing-kosovos-loyalty/">Pourquoi l’administration américaine aurait-elle prêté la main au renversement d’un gouvernement légitimement élu et populaire ?</a> La réponse doit se lire à un double niveau. Le premier repose sur le prétexte saisi autour des taxes douanières de 100 % que le précédent gouvernement avait appliquées sur la Serbie et la Bosnie en représailles de la <a href="https://exit.al/en/2020/03/11/foreign-minister-dacic-serbia-wont-stop-kosovo-derecognition-campaign-until-deal-is-reached/">campagne de lobbying international</a> menée par Belgrade pour la « déreconnaissance » du Kosovo et son maintien hors de certaines organisations internationales comme Interpol ou l’Unesco. Albin Kurti avait annoncé son intention de suspendre les taxes en deux temps, en instaurant des mesures de réciprocité vis-à-vis de la Serbie, ce qui fut fait le 1<sup>er</sup> avril dernier.</p>
<p>Or, si cette décision fut saluée par les Européens, elle fut au contraire <a href="https://prishtinainsight.com/mixed-reactions-to-kurtis-tariff-plans/">dénoncée</a> par l’ensemble de l’opposition, la LDK, et Richard Grenell, qui exigeait la fin des taxes de façon unilatérale et préalable, c’est-à-dire sans plus exiger de la Serbie qu’elle cesse sa campagne de lobbying contre le Kosovo. Une différence de traitement qui est allée jusqu’à des menaces à peine voilées venues des États-Unis de retrait de soutien financier ou même de troupes (650 soldats américains sont toujours déployés au Kosovo), y compris de la part du premier cercle de l’administration Trump, <a href="https://balkaninsight.com/2020/03/10/donald-trump-junior-urges-us-troop-withdrawal-from-kosovo/">notamment du fils du président</a> !</p>
<h2>Le « trio » Trump-Grenell-Thaçi</h2>
<p>Mais la question des taxes est à bien des égards un faux problème. Le second niveau d’analyse est au fond simple à cerner : il y a une convergence d’intérêts entre trois personnages vers un accord final rapide quoi qu’il en coûte. Le président Trump rêve d’un succès diplomatique majeur après le fiasco nord-coréen tout en faisant la nique aux Européens. Richard Grenell entend montrer l’étendue de son talent de blitz-négociateur après avoir fait signer récemment des <a href="https://www.euronews.com/2020/02/14/kosovo-and-serbia-sign-deal-on-rail-and-road-links-in-huge-diplomatic-step">accords techniques</a> sur le rétablissement de liaisons ferroviaires et aériennes entre Belgrade et Pristina sans que l’on sache très bien qui les a signés pour le Kosovo ni s’ils déboucheront un jour sur du concret. Hashim Thaçi, président très impopulaire en fin de course, voit se rapprocher le spectre d’éventuels ennuis judiciaires, notamment en provenance des <a href="https://www.justiceinfo.net/en/tribunals/mixed-tribunals/41921-kosovo-specialist-chambers-gearing-up-for-uncomfortable-truths.html">Chambres spéciales de La Haye</a> chargées de juger les crimes de guerre commis par l’UçK. Nul doute qu’être celui qui signerait l’accord historique portant reconnaissance par la Serbie du Kosovo et lui ouvrant la voie à l’ONU serait pour lui un héritage plus honorable que de finir en prison.</p>
<p>De fait, voilà bientôt deux ans que Thaçi est prêt à signer un accord quel qu’il soit du moment qu’il est validé par Washington, y compris au prix d’un redécoupage des frontières – ce à quoi, rappelons-le, l’ancienne Haute Représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini ne semblait pas opposée. Or, personne au sein de l’administration Trump n’a le moindre intérêt pour les détails, ni les connaissances requises de la complexité dans un tel dossier, ce que l’auteur de ces lignes mettait en avant <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">voici déjà 18 mois</a>. Autrement dit, tout ce qui pourrait être signé serait de toute façon impraticable et dangereux, ce qu’Albin Kurti a <a href="https://foreignpolicy.com/2020/04/23/balkans-kosovo-serbia-albin-kurti-richard-grenell/">résumé d’une cinglante formule</a> : « Dans les Balkans, si vous oubliez l’Histoire, elle vous revient en boomerang. »</p>
<h2>Une séquence politique favorable à la Serbie</h2>
<p>De son côté, le président serbe Aleksandar Vucic joue sur du velours. Si son intérêt n’est pas spécialement de résoudre la question du Kosovo au plus vite tant elle joue efficacement le rôle d’écran de fumée vis-à-vis de sa médiocre opposition politique et des Européens, la fenêtre d’opportunité ouverte par une administration américaine favorisant une vision civilisationnelle, transactionnelle et illibérale du monde est inespérée. Dans le monde de Trump, il n’y a pas d’alliés, il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas de visée à long terme, il n’y a que des coups de l’instant, des rapports de force et d’argent. De fait, même s’il n’est pas dit que les Serbes l’accepteraient au cours d’un référendum propre, obtenir un morceau du Kosovo en échange d’une forme à définir de reconnaissance semble une meilleure affaire que de lâcher le Kosovo contre une vague promesse d’intégration européenne. Surtout, ce ne serait pas présenté comme une fin en soi mais comme un précédent, c’est-à-dire obtenir dans la paix ce que <a href="https://www.latimes.com/world/europe/la-fg-serbia-president-vucic-20180910-story.html">Slobodan Milosevic a échoué à obtenir dans la guerre</a>, avec la Bosnie en ligne de mire.</p>
<p>De fait, lorsque l’administration Trump menace le Kosovo avec la complicité de son propre président, elle se comporte en suzerain face à un vassal, remettant implicitement en question la légitimité et la souveraineté même du Kosovo, donnant ainsi paradoxalement raison aux opposants de toujours de l’indépendance du Kosovo qui le décrivaient comme une création artificielle des Américains taillée dans le cœur de la Serbie.</p>
<p>Les citoyens du Kosovo, les plus pro-Américains au monde, se retrouvent donc dans une situation très inconfortable face à cette injonction contradictoire où ce sont les États-Unis qui semblent se retourner contre eux tandis que l’Allemagne tient, <a href="https://twitter.com/AgronBajrami/status/1253432830379474944?s=20">relativement seule</a>, la ligne du refus de toucher aux frontières. Le Kosovo devient ainsi le terrain de jeu concret d’un monde dans lequel, de plus en plus, Européens et Américains vont diverger, a plus forte raison si Donald Trump venait à être réélu.</p>
<h2>Et l’Europe dans tout ça ?</h2>
<p>L’ennui est que les Européens n’ont aucune idée et rien à offrir. Aucune idée car le « Représentant spécial pour le dialogue Belgrade-Pristina et les autres questions dans les Balkans occidentaux » (une formulation en soi sujette à caution car quelle « autre question » peut se poser si ce n’est la Bosnie ?) est le Slovaque <a href="https://europeanwesternbalkans.com/2020/04/03/miroslav-lajcak-top-slovak-diplomat-embarking-on-yet-another-mission-to-the-balkans/">Miroslav Lajcak</a>, perçu comme proche des Serbes, au bilan pour le moins contrasté lors de son passage de 2007 à 2009 en Bosnie en tant que <a href="http://www.ohr.int/miroslav-lajak/">Haut Représentant – OHR</a> et qui n’a rien fait en tant que ministre des Affaires étrangères (poste qu’il a occupé en 2009-2010 et de 2012 à début 2020) pour que la Slovaquie reconnaisse le Kosovo. Lajcak réussit ainsi l’exploit de mettre d’accord Kurti (qui ne lui fait nullement confiance) et Thaçi (qui a décidé d’aller au bout le plus vite possible avec les Américains, en mettant les Européens hors-jeu).</p>
<p>Rien à offrir car il existe un désaccord profond, notamment du côté de la France, sur la seule mesure tangible à laquelle les citoyens du Kosovo sont sensibles, à savoir la levée des visas Schengen. Ils n’ont rien à offrir non plus à la Serbie qui a très bien compris que l’élargissement n’était de toute façon pas à l’ordre du jour dans la prochaine décennie. En témoignent les <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/coronavirus-en-Serbie-vucic-compte-sur-la-Chine">mots très durs du président Vucic vis-à-vis de l’UE par rapport à la pandémie actuelle</a>, à rapporter aux propos empreints de fraternité qu’il a tenus à l’égard de la Chine. Les Européens n’ont donc aucune carte à jouer ni vis-à-vis du Kosovo, ni vis-à-vis de la Serbie.</p>
<p>Dans ces conditions, on comprend que l’intérêt bien compris du Kosovo serait de jouer la montre et d’espérer une victoire démocrate en novembre. Certains parlementaires démocrates américains ont d’ailleurs <a href="https://www.gazetaexpress.com/congressman-engel-raises-concerns-on-us-policy-toward-kosovo/">fortement critiqué</a> l’attitude de Richard Grenell. Il ne fait aucun doute que la main du Kosovo serait plus forte avec une administration démocrate qui saurait de surcroît renouer le fil avec les Européens (et inversement pour la Serbie). Le président Thaçi peut penser le contraire, mais il peut difficilement le faire au nom des intérêts du pays – ce que les Kosovars, pas dupes, ont fort bien compris. On peut donc s’attendre, maintenant que les masques sont tombés, à ce qu’il aille coûte que coûte au bout de sa logique avec l’appui de l’administration américaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1253726875366686721"}"></div></p>
<p>La question est alors double, sans même rester suspendu à l’élection américaine de novembre. D’une part, que fait l’Europe ? Où en sommes-nous de la tentative franco-allemande de relancer le dialogue, qui a manifestement fait long feu du fait du désintérêt de ses principaux acteurs ? D’autre part, en supposant qu’un papier soit signé dans les jardins de la Maison Blanche entre Aleksandar Vucic et Hashim Thaçi d’ici octobre prochain, que se passera-t-il sur le terrain, et qui garantira qu’il n’y aura aucun embrasement quand l’administration Trump se lavera les mains de l’impossible application d’un tel texte et quand les millions de dollars ne pleuvront pas sur Mitrovica ?</p>
<p>Quelle que soit la décision de la Cour constitutionnelle du Kosovo, les prochains mois ne pourront être que très troublés. Il convient pour l’UE d’en avoir conscience malgré une marge de manœuvre extrêmement réduite car il en va de sa crédibilité comme projet politique. Les profonds <a href="https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-in-his-own-words-french">bouleversements internationaux</a> que le président Macron semble plutôt seul en Europe à admettre sur le plan intellectuel doivent trouver une traduction politique et stratégique dans laquelle la responsabilité de l’Europe serait engagée. Où, sinon dans les Balkans ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente chute du gouvernement au Kosovo, favorisée par la vision court-termiste de l’administration Trump, fait le jeu de la Serbie. Quant aux Européens, ils restent aux abonnés absents.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1358542020-04-09T19:19:44Z2020-04-09T19:19:44ZLa crise sanitaire va-t-elle mettre fin au projet d’adhésion serbe à l’UE ?<p>Alors que nous sommes en pleine crise sanitaire et que des questions commencent à se poser sur le traitement de cette pandémie par nos autorités, il est intéressant d’examiner la façon dont un État plus jeune (créé en 2006) et moins puissant (PIB de 51,5 milliards de dollars pour 7 millions d’habitants) a su se mobiliser pour contrer le virus.</p>
<p>Derrière l’État, c’est toute une nation qui semble prendre au pied de la lettre le mot d’ordre macronien « nous sommes en guerre ». Mais c’est aussi le manque de solidarité européenne qui a conduit le président serbe Aleksandar Vučić à se tourner résolument vers d’autres acteurs, comme le grand frère russe ou le puissant « cousin » chinois.</p>
<h2>Un État en ordre de bataille</h2>
<p>Au 9 avril, alors que le virus avait fait près de 11 000 morts et quelque 100 000 infectés en France, en Serbie il n’y avait que 61 morts et moins de 2 500 infectés. Mais derrière ces chiffres macabres, c’est surtout le décalage entre l’attentisme français et la réactivité des autorités serbes qui est frappant.</p>
<p>En effet, avant même le premier mort du Covid-19 en Serbie, le 21 mars, les autorités de Belgrade avaient pris des <a href="https://www.mesvaccins.net/web/news/15321-suite-a-l-evolution-de-la-pandemie-de-covid-19-la-serbie-ferme-ses-frontieres">mesures drastiques</a> :</p>
<ul>
<li><p>Interdiction de tout transport entre les villes, sauf pour les véhicules de transport de marchandises.</p></li>
<li><p>État d’urgence décrété le 20 mars, avec confinement entre 17 h 00 et 5 h 00 du matin. Les seniors sont autorisés à sortir entre 4 h 00 et 7 h 00 du matin pour faire leurs courses dans les supermarchés qui ouvriront spécialement pour eux (le gouvernement a publié une liste comprenant plus de 2 000 établissements). Tous les magasins sont fermés à l’exception des supermarchés, des épiceries et des pharmacies. Les parcs et les surfaces vertes sont interdits d’accès.</p></li>
</ul>
<ul>
<li><p>Fermeture totale des frontières et patrouilles de l’armée le long des frontières et dans les artères des grandes villes.</p></li>
<li><p>Publication d’une liste officielle de produits et aliments dont les prix ne pourront pas être augmentés (tout ce qui relève de la nécessité absolue, comme le pain, le lait, la farine, le sucre, les œufs, mais également des articles d’hygiène).</p></li>
<li><p>Confinement obligatoire pour tous les citoyens serbes revenant de l’étranger (14 jours, sauf pour ceux revenant d’Espagne et d’Italie, pour qui un confinement de 28 jours est obligatoire)</p></li>
<li><p>Sortie interdite pour toutes les personnes ayant plus de 65 ans (à l’exception, donc, des courses très tôt le matin) – sous peine d’amende d’environ 1000 euros et/ou emprisonnement.</p></li>
<li><p>Moratoire sur le paiement des factures pour les mois de février, mars et avril (électricité, eau, etc.), pour les entreprises comme les ménages.</p></li>
</ul>
<p>Avant cette fermeture des frontières, on a observé une forte vague de retours de 35 000 <em>gastarbeiters</em> (exilés économiques) serbes depuis l’Autriche, l’Allemagne ou encore la Suisse. Tous vont passer systématiquement 14 jours de confinement dans des camps militaires médicaux aux frontières.</p>
<p>Avant même le premier mort, dans chaque ville importante les hôtels et les grandes salles de sport ont été réquisitionnés pour accueillir les malades du Covid-19 et opérer un premier tri avant d’envoyer en réanimation ceux dont l’état le nécessitait. À Belgrade, la grande halle consacrée aux Congrès et Salons (Sajmište) – l’équivalent de notre salon de la porte de Versailles – a été transformée en énorme centre de soins avec 3 000 lits et sous la protection de l’armée.</p>
<p>Dans le même temps, les chaînes de télévision, privées comme publiques, martèlent des messages de prévention. Les as du basket ou du football exhortent leurs concitoyens à rester à la maison, affirmant que c’est ainsi qu’ils seront des champions, vainqueurs de la maladie (« Mi smo šampijoni »). Un véritable élan patriotique – certains diront <a href="https://www.rferl.org/a/ex-envoy-bildt-questions-serbia-and-hungary-use-of-china-card-amid-covid-19-crisis/30525795.html">instrumentalisé par l’État</a> – se dégage de ces messages.</p>
<p>Cette gestion musclée de la crise montre bien la façon dont le président dirige ses affaires intérieures. <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/01/11/aleksandar-vucic-la-serbie-au-regime-sec_1702429">Au pouvoir depuis 2014</a>, Aleksandar Vučić, issu des rangs de la droite nationaliste, est désormais un pro-européen convaincu. S’il se veut aujourd’hui en pointe dans la lutte contre la pandémie, on se souvient encore qu’avant le début des événements, il <a href="https://www.rferl.org/a/serbian-president-makes-light-of-coronavirus-as-one-more-reason-to-hit-the-bottle/30468925.html">prenait le Covid-19 à la légère</a>. La crise sanitaire a également été pour le président serbe une occasion de mieux contrôler les <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/en-serbie-l-information-victime-de-l-epidemie-de-coronavirus_3885167.html">médias</a>, alors que la campagne électorale en vue des législatives prévues le 26 avril (et <a href="https://fr.reuters.com/article/World/idFRKBN2140KH">reportées depuis à cause de la crise sanitaire</a>) n’avait fait que commencer.</p>
<h2>Une société solidaire et mobilisée</h2>
<p>Depuis le début de la pandémie, de nombreux exemples de solidarité ont montré la vitalité de la société serbe. L’habitude de se serrer les coudes liée au souvenir de la décennie 1990, période d’embargo international et de guerres aux frontières, explique en partie cette multiplication d’initiatives personnelles de solidarité envers la collectivité. Mais on peut aussi penser qu’à l’instar de ce qui se passe depuis deux mois dans des pays pays comme la Chine ou à <a href="https://theconversation.com/cuba-face-au-coronavirus-dans-lile-et-dans-le-monde-135455">Cuba</a>, le système socialiste a laissé des traces.</p>
<p>La compagnie Air Serbia a <a href="https://www.srbija.gov.rs/vest/en/152232/flights-for-return-of-serbian-citizens-organised.php">envoyé plusieurs avions quotidiens</a> pour ramener ses citoyens depuis Paris, Amsterdam, Doha, Moscou, Chypre ou encore Thessalonique. À comparer aux <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/coronavirus-130-000-francais-bloques-a-l-etranger-veulent-rentrer_2121461.html">dizaines de milliers de touristes français complètement bloqués un peu partout dans le monde</a> et obligés d’acheter à prix d’or leurs billets retour pour la terre natale. Des vols quotidiens vont chercher parfois jusqu’à seulement une dizaine de touristes serbes perdus au Mexique, à Cuba ou à Malte, a expliqué Aleksandar Vučić lors d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I4MGRi-LIbs">interview à la chaîne télévision Prva</a>, le dimanche 29 mars 2020.</p>
<p>Plus de 100 000 personnes de nationalité serbe sont ainsi revenues au pays depuis le début de la pandémie, dont 120 membres du personnel médical. Des médecins épidémiologistes travaillant depuis de nombreuses années à l’étranger reviennent massivement en Serbie prêter main-forte à leurs compatriotes, sans aucune contrepartie financière. On ne compte plus les dons attribués par les champions du sport serbe (à commencer par le numéro 1 du tennis mondial, Novak Djoković, qui a donné 1 million de dollars). La solidarité des Serbes de renom s’est montée en quelques jours à 6 millions de dollars de donations au secteur sanitaire. Ces efforts vont permettre à un pays encore en <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/RS/situation-economique-et-financiere-de-la-serbie">transition économique</a> de se doter d’appareils respiratoires qui seront bien utiles dans les semaines à venir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1243568004081815553"}"></div></p>
<p>Des brigades de volontaires patrouillent systématiquement dans les résidences et les quartiers résidentiels au contact des personnes de plus de 65 ans, leur apportant nourriture et médicaments. Formés de trois jeunes volontaires, avec un chef de brigade, ils ont massivement aidé la population, surtout âgée, à rester psychologiquement en forme. Ce type d’action se place dans la droite ligne des <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=74GQBFB8G4MC&oi=fnd&pg=PA279&dq=radne+akcije&ots=0hTNoenSe0&sig=XOUKgLMezmPwH8Ah4DvPxOXByC8&redir_esc=y#v=onepage&q=radne%20akcije&f=false">« radne akcije »</a> (brigades de volontaires) qui, du temps de la Yougoslavie socialiste, amenaient les jeunes gens à œuvrer de façon bénévole sur divers chantiers nationaux (construction de routes et de voies ferrées par exemple).</p>
<p>Des masques ont été <a href="https://www.kurir.rs/vesti/politika/3428005/predsednik-srbije-objavio-nove-mere-za-borbu-protiv-koronavirusa-ovo-je-tezak-izazov-ali-sacuvacemo-zivote">distribués gratuitement à la population depuis deux semaines</a>. Ils sont rationnés et distribués par paquets à chaque famille, mais cela contraste avec l’alternance entre pénurie et prix inabordables dans le cas français. Une véritable prise de conscience de la société fait que tout le monde, dans la rue, à la télévision ou au gouvernement, porte des gants et un masque, à l’instar de la Chine.</p>
<h2>Devant les atermoiements de l’UE, le précieux allié chinois</h2>
<p>Lundi 23 mars : accueillant en grande pompe le premier avion d’aide médicale provenant de Chine, Aleksandar Vučić déclare que « si la Serbie manque d’équipement, c’est la faute de l’Union européenne » car celle-ci a fortement <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/l-ue-limite-les-exportations-d-equipement-medical-de-protection-5e6e567df20d5a29c66dcc7b">restreint l’exportation de matériel médical depuis le début de la crise</a>. Il ajoute, furieux, que <a href="https://francais.rt.com/international/72741-solidarite-europeenne-face-covid-19-conte-de-fee-selon-serbie-rapproche-chine">« la solidarité européenne n’existe pas, c’est un conte pour enfants »</a>. C’est à ce moment que le président serbe, dans un tournant historique, décide de faire totalement confiance aux Chinois, « les seuls qui peuvent nous aider » selon lui. Il va jusqu’à annoncer la naissance d’une <a href="http://www.xinhuanet.com/english/2020-04/02/c_138941828.htm">« amitié qui va durer des siècles et des siècles »</a>. Depuis ce discours, <a href="https://francais.cgtn.com/n/BfJAA-cA-FIA/BccacA/index.html">plusieurs avions chinois</a> sont arrivés en Serbie, apportant plus de 3 tonnes de maques, de nombreux appareils respiratoires, mais aussi des médecins.</p>
<p>La Russie a <a href="https://www.aa.com.tr/en/health/covid-19-russia-sends-doctors-supplies-to-serbia/1791013">également envoyé du matériel médical, ainsi que des tests de dépistage</a>. De toute évidence, l’Union européenne a ici manqué le coche. Alors que dans les crises précédentes, elle avait été au rendez-vous (versant notamment <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_14_569">80 millions d’euros d’aide lors des inondations de 2014</a>), elle a fait preuve d’inertie et d’aveuglement devant les enjeux géopolitiques actuels. Belgrade a lancé plusieurs appels à l’aide, qui se sont concrétisés par un résultat décevant : un avion affreté par l’UE, mais avec un matériel médical payé par la Serbie.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oG5Z_x_pxJA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Même si l’Europe a <a href="https://www.euractiv.com/section/eastern-europe/news/eu-announces-covid-19-help-for-balkans-eastern-neighbours-after-criticism/">tardivement cherché à se rattraper</a>, seuls quelques États, comme la <a href="https://balkaneu.com/norway-donates-eur-5-mln-to-serbia-for-medical-purposes/">Norvège</a>, se sont montrés à la hauteur de la situation.</p>
<p>Cela en dit long sur l’absence de réponse réelle, à la hauteur de l’enjeu sanitaire actuel, des instances fédérales européennes. Rappelons que la Serbie est le pays des Balkans occidentaux (ex-Yougoslavie) le plus avancé dans les négociations d’adhésion à l’UE. Alors qu’Aleksandar Vučić était jusqu’ici un fervent défenseur de l’adhésion à l’UE, la crise sanitaire semble l’avoir fait changer d’avis ; il épouserait ainsi l’évolution d’une opinion qui se montre de moins en moins favorable à l’intégration européenne (le taux de soutien qui était de 72 % en octobre 2003 n’était plus que de <a href="https://www.danas.rs/politika/za-ulazak-u-eu-53-odsto-gradjana-srbije/">53 % en août 2019</a>). C’est comme si l’UE n’existait plus face à sa première crise sanitaire d’ampleur provoquant en Serbie une déception qui, à n’en pas douter, laissera des traces profondes…</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec Svetlana Maksovic.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135854/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Troude ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Candidate à l’UE depuis des années, la Serbie estime ne pas avoir suffisamment été aidée par Bruxelles lors de la crise sanitaire actuelle et se tourne vers la Chine.Alexis Troude, Chargé de cours en relations internationales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283222019-12-04T19:01:05Z2019-12-04T19:01:05ZQuel rôle pour l’OTAN dans les Balkans ?<p>Alors que l’OTAN vient de tenir son sommet annuel à Londres, Emmanuel Macron n’est pas le seul à <a href="https://www.lefigaro.fr/international/le-president-francais-emmanuel-macron-juge-l-otan-en-etat-de-mort-cerebrale-20191107">s’interroger sur l’avenir</a> d’une alliance en théorie défensive, créée en 1949 dans le cadre de la Guerre froide pour protéger les pays d’Europe de l’Ouest contre une éventuelle attaque soviétique. Donald Trump, on le sait, n’est <a href="https://theconversation.com/lotan-survivra-t-elle-a-donald-trump-128069">pas un grand admirateur</a> d’une Alliance qu’il juge obsolète. Il est cependant une région où l’OTAN semble, à première vue, en phase avec son temps : les Balkans occidentaux, où son élargissement a été jusqu’ici plus rapide que celui de l’Union européenne.</p>
<p>Quatre pays de cette zone ont rejoint l’OTAN au cours des quinze dernières années : la Slovénie en 2004, la Croatie et l’Albanie en 2009 et le Monténégro en 2017. Un cinquième, la Macédoine du Nord, est en cours d’adhésion. Les trois autres – la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo et la Serbie – se trouvent, pour leur part, dans l’antichambre de l’OTAN, le « Partenariat pour la paix ». Cette dynamique est toutefois quelque peu trompeuse : dans les Balkans aussi, l’action et la présence de l’Alliance sont loin de faire l’unanimité. Ne serait-ce que parce que nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié son intervention contre la Serbie en 1999, <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/afdi_0066-3085_1999_num_45_1_3565.pdf">à la légalité pour le moins discutable</a>. Analyse de cinq cas emblématiques.</p>
<h2>Monténégro : une adhésion coûteuse</h2>
<p>Les États-Unis ont réussi à intégrer le petit Monténégro à l’OTAN en 2017, en faisant pression sur le gouvernement de Milo Djukanović. Presque 20 ans après les bombardements de l’OTAN sur la Serbie et le Monténégro, il fallait arriver à persuader l’ancien <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/05/23/forme-par-milosevic-milo-djukanovic-a-la-reputation-de-melanger-politique-et-business_774892_3214.html">partisan de Slobodan Milošević</a> de se placer sous protection étatsunienne. La Maison Blanche avait déjà, depuis de nombreuses années, obligé le Monténégro à abandonner ses équipements militaires hérités du Pacte de Varsovie, réduisant par exemple sa flotte navale à la portion congrue. L’intérêt géostratégique pour Washington est de s’assurer d’un contrôle sur le canal d’Otrante, au débouché de l’Adriatique, là où arrivent les tubes gaziers TANAP et NABUCCO. </p>
<p>C’est donc logiquement que, le 2 décembre 2015, l’OTAN a invité le Monténégro à rejoindre l’Alliance atlantique, ce qui a abouti à son intégration à la mi-2017. Le Pacte atlantique est perçu par le gouvernement de Podgorica comme « la garantie la plus fiable pour les investisseurs » et le seul moyen d’assurer la sécurité. Mais Moscou, voyant lui échapper un point d’appui en mer Adriatique et une nation toujours très proche de ses positions diplomatiques, objet de toutes les convoitises des gouvernements russes depuis Pierre le Grand, a vite réagi. Vladimir Poutine a <a href="https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-le-montenegro-integre-lotan-la-russie-prend-des-sanctions">annoncé</a>, dans les jours suivant la décision de l’OTAN, l’arrêt de l’ensemble des échanges commerciaux avec les entreprises monténégrines. Depuis, les investisseurs russes ont largement quitté le pays.</p>
<h2>Kosovo : la passivité de l’OTAN</h2>
<p>Depuis les <a href="http://www.institut-strategie.fr/?p=1073">accords de Kumanovo</a> du 10 juin 1999, le Kosovo est partagé en cinq zones militaires contrôlées par l’OTAN. Les soldats de la KFOR (Force de l’OTAN au Kosovo) sont aujourd’hui au nombre de 4 000, après avoir été de 42 000 en 2000 et encore de 16 500 en 2010. Mais la présence de l’OTAN n’a pas permis de pacifier pleinement le Kosovo : 250 000 Serbes, 140 000 Roms et des milliers de Bosniaques, Goranis, Turcs et Juifs ont été <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2004_num_35_1_1650">expulsés de leur terre natale</a> par les milices de l'UCK entre 1999 et 2004, au nez et à la barbe des soldats de la KFOR. En mars 2004, un <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-4-page-145.htm">pogrom anti-serbe</a>, lors duquel 19 personnes ont été tuées et 34 églises orthodoxes serbes détruites, s’est déroulé sous le regard quasiment impassible des soldats de l’OTAN.</p>
<p>Cette passivité de l’OTAN explique en partie qu’en octobre 2018, le Parlement de Pristina ait <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/le-kosovo-cree-son-armee-les-serbes-s-enervent-l-otan-deploie-ses-forces-sur-place-6128176">voté</a>, en violation flagrante de la Résolution 1244 de l’ONU, une loi permettant de créer une « Armée du Kosovo » forte de 5 000 hommes. Au grand dam de Belgrade et Moscou, les États-Unis soutiennent ce projet.</p>
<p>Cette même année 2018, plusieurs événements ont amené le Kosovo au bord de la guerre civile. En mars, le directeur serbe du bureau du Kosovo-Métochie, Marko Djurić, en visite officielle auprès des maires des communes serbes du Kosovo-Nord, a été littéralement kidnappé à Mitrovica puis <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/mar/26/kosovo-serbia-politician-marko-djuric">molesté dans les rues de Priština par la police du Kosovo</a>. En septembre, des membres de cette même police ont <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/21/serbie-kosovo-le-lac-de-gazivode-pole-de-discorde_1758928">bloqué la centrale électrique de Gazivode</a>, lors d’une opération commando digne des plus mauvais films américains. Enfin, en novembre 2018, les autorités de Priština ont déclaré un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2018/11/21/97002-20181121FILWWW00341-le-kosovo-taxe-les-produits-serbes-de-100-apres-son-echec-d-adhesion-a-interpol.php">blocus commercial</a> aux frontières avec la Serbie, provoquant des manques alimentaires importants dans la partie majoritairement serbe du Kosovo-Nord.</p>
<h2>Bosnie-Herzégovine : le blocage</h2>
<p>Dans ce pays à <a href="https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2015_num_28_3_4849">l’architecture étatique complexe</a> – il est divisé entre la Fédération croato-musulmane (peuplée aux trois quarts de Bosniaques musulmans et pour un quart de Croates) et la Republika Srpska (RS, peuplée à près de 90 % de Serbes) –, la question de l’adhésion à l’OTAN reste très conflictuelle. Depuis quelques mois, ce sujet ravive les tensions en Bosnie-Herzégovine, à la fois entre Serbes et musulmans, mais aussi au sein de la RS.</p>
<p>En effet, les négociations sur la formation d’un gouvernement central plurinational achoppent précisément sur l’adhésion à l’OTAN. Alors que la Fédération défend cette adhésion depuis de longues années, la RS refuse bec et ongles. Or, mi-novembre, le membre serbe de la présidence tournante de Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik, a accepté un <a href="http://thesrpskatimes.com/dodik-adopted-document-does-not-affect-military-neutrality/">paquet de réformes</a> qui comprend l’intégration au Plan d’Action de l’OTAN. Cette entrée dans l’antichambre de l’OTAN a provoqué les foudres de l’opposition serbe à Dodik. La Bosnie-Herzégovine n’intégrera pas l’Alliance avant longtemps.</p>
<h2>Serbie : le principe de neutralité</h2>
<p>Le 18 juillet 2005, la Serbie-Monténégro signait avec l’OTAN un accord autorisant le transit des forces armées atlantiques à travers tout son territoire et l’utilisation des garnisons le long des routes principales. Six ans après l’opération « Force alliée » de 1999, les autorités serbes semblaient vouloir à tout prix intégrer la structure atlantique, même au prix d’une limitation de leur souveraineté. Mais depuis cet accord, aucune progression n’a été observée. </p>
<p>L’opinion serbe est farouchement et très majoritairement <a href="http://iea.rs/en/blog/2018/03/23/sta-gradjani-srbije-misle-o-nato-i-saradnji-nakon-19-godina-od-bombardovanja/">hostile à l’adhésion</a>. Par ailleurs, en 2012 arrive au pourvoir la coalition nationaliste du Parti progressiste serbe (SNS) et du Parti populaire serbe (SNP) ; ces derniers imposent une inflexion pro-russe à la politique extérieure. Aujourd’hui, les autorités de Belgrade – qui ont signé le 16 janvier 2015 un Plan d’action individuel pour le partenariat (IPAP) avec l’OTAN, soit la dernière étape avant l’adhésion définitive à l’Alliance – ont érigé en dogme le principe de « neutralité » : l’armée s’autorise donc à effectuer des manœuvres conjointes aussi bien avec des soldats de l’OTAN, sous domination américaine, qu’avec des troupes de la CEI, contrôlées par la Russie.</p>
<h2>Macédoine : un accord qui ulcère les nationalistes</h2>
<p>En juin 2018, la FYROM (ou ARYM en français, pour Ancienne République yougoslave de Macédoine) signe avec la Grèce les <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-accord-sur-le-nom-de-macedoine-est-une-percee-pour-les-balkans-selon-skopje_2018014.html">Accords de Prespa</a> qui mettent fin à une dispute de près de trente ans sur le nom même du pays, les Grecs bloquant l’adhésion de la FYROM tant que le nom de Macédoine serait utilisé. Désormais, la FYROM s’appellera « Macédoine du Nord », ce qui permet d’accélérer son adhésion aux structures euro-atlantiques. </p>
<p>La suite logique de ce processus d’arrimage à l’Occident est la ratification par la Grèce, le 6 février 2019, d’un <a href="http://fmes-france.org/la-macedoine-du-nord-30eme-membre-de-lotan/">protocole d’adhésion à l’OTAN de la Macédoine</a>. Mais les Accords de Prespa ne sont pas allés sans heurts. Les nationalistes grecs comme macédoniens <a href="https://www.dw.com/en/greeces-anti-macedonia-protests-fuel-nationalist-sentiment/a-44116256">les rejettent violemment</a>. On peut donc estimer que le coût payé par le pays pour entrer dans l’OTAN aura été très élevé : les nationalistes macédoniens du VMRO-DPMNE pourraient revenir au pouvoir du fait des accords de Prespa.</p>
<p>Le processus d’adhésion des pays du sud-est de l’Europe à l’OTAN, qui était en bonne voie dans la première décennie du XXI<sup>e</sup> siècle, semble moins dynamique depuis quelques années. Face à la crise actuelle que connaît l’Alliance et au vu du grand intérêt que la <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/turkey-russia-and-china-covet-western-balkans-as-eu-puts-enlargement-on-hold/">Russie, la Turquie et la Chine</a> portent à la région, n’est-il pas temps que l’Europe de la défense prenne la situation en mains ? Au Kosovo comme en Bosnie-Herzégovine, l’<a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-l-eufor.html">EUFOR</a> dispose en théorie des moyens et de la maîtrise du moment historique pour pacifier définitivement la région…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128322/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Troude est Président du think tank "Europes orientales"</span></em></p>Plusieurs pays des Balkans ont déjà adhéré à l’OTAN, et la plupart des autres sont officiellement candidats. Pourtant, le processus d’élargissement de l’Alliance ne va pas sans heurts.Alexis Troude, Chargé de cours en relations internationales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1205502019-07-18T19:16:20Z2019-07-18T19:16:20ZLe pari d’Emmanuel Macron dans les Balkans : empêcher l’histoire de « bégayer »<p>La visite du président Macron à Belgrade, le 15 juillet dernier, était la première d’un chef d’État français depuis Jacques Chirac en 2001, signe d’un relatif désintérêt, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Il-pas-statu-quo-possible-Balkans-2019-03-02-1201006049">admis d’ailleurs par Paris</a>, pour la région depuis la fin de la décennie 1990 au cours de laquelle la France avait été très impliquée sur le plan politique et militaire.</p>
<p>Or, en ayant pris le double risque de sortir d’une attitude de retrait sur la question de l’élargissement de l’Union européenne pour adopter une position de blocage, tout en s’impliquant directement dans la résolution du problème entre la Serbie et le Kosovo, la France se replace au centre du jeu balkanique en compagnie de l’Allemagne.</p>
<p>À cet égard, si l’on met de côté les aspects bilatéraux de la relation franco-serbe renforcée par cette visite à travers les marques d’affection et de respect témoignées par Emmanuel Macron dans son discours (<a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/07/15/ceremonie-inaugurale-du-monument-de-reconnaissance-a-la-france">y compris en langue serbe !</a>), les véritables enjeux sont européens et sont de deux ordres : d’une part, la question de l’élargissement qui concerne toute la région ; et, d’autre part, celle du contentieux entre la Serbie et le Kosovo.</p>
<p>Sur ces deux points, la visite présidentielle à Belgrade nous offre quelques éléments de réflexion.</p>
<h2>L’inaccessible Union européenne</h2>
<p>La position française sur l’élargissement est bien connue dans la région, au moins <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/05/18/sommet-union-europeenne-balkans-occidentaux-a-sofia-en-bulgarie">depuis le discours d’Emmanuel Macron à Sofia, en mai 2018</a>. Le refus français d’ouvrir les négociations avec l’Albanie et surtout la Macédoine du Nord, tout en <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/europeennes-lr-accuse-loiseau-de-mensonge-ehonte-sur-l-elargissement-20190522">alimentant sciemment la confusion</a> entre ouverture des discussions et intégration, est perçu très négativement dans toute la région, y compris en Serbie.</p>
<p>L’inaccessible Union européenne n’y est d’ailleurs plus vraiment en odeur de sainteté dans les <a href="https://www.euractiv.com/section/enlargement/news/most-serbs-support-eu-membership-cite-job-opportunities-in-new-poll/">sondages</a> par rapport à 2008-2009, avec seulement autour de 50 % d’opinions favorables à l’intégration.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/partir-des-balkans-pour-vivre-dans-un-pays-normal-105901">Partir des Balkans pour « vivre dans un pays normal »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les départs massifs vers une Allemagne qui embauche à tour de bras dans la santé et la construction sont le signe d’une absence totale de perspective économique et politique. Cela n’a tout simplement aucun sens d’avoir vingt ans en Bosnie, en Serbie, en Albanie, et de rester en espérant que peut-être dans deux décennies, son pays sera membre de l’UE.</p>
<h2>Le test macédonien</h2>
<p>Il s’agit alors pour Paris d’articuler une véritable stratégie politique vis-à-vis des Balkans. Celle-ci passe par une vision et un discours cohérents qui réconcilient à la fois l’ambition présidentielle de lutter contre l’illibéralisme en Europe, l’exigence prioritaire sur l’État de droit et les réformes dans un processus d’élargissement crédible, la marge de manœuvre politique que la France compte reprendre dans la région et la crédibilité de son message sur la vocation européenne des Balkans vis-à-vis de populations locales qui ne sont pas naïves.</p>
<p>Après la visite de Belgrade, on ne discerne pas nécessairement d’avancées sur ces quatre objectifs. Le Conseil européen d’octobre prochain, au cours duquel une décision sera prise sur l’ouverture des négociations avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, est sans doute l’occasion d’envoyer un premier signal fort en cas de réponse positive envers Skopje.</p>
<p>Les citoyens macédoniens ont montré, en renversant un régime devenu autocratique puis à travers leurs deux derniers votes pour le <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/macedoine-oui-au-changement-de-nom-mais-forte-abstention_2037668.html">référendum sur le nom</a>, puis à l’<a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Macedoine-du-Nord-une-election-presidentielle-en-forme-de-test-politique">élection présidentielle</a> d’avril dernier, qu’ils savaient exactement ce qu’ils voulaient sans qu’il soit besoin de leur faire la leçon. Leur tourner le dos reviendrait pour la France à renoncer aux quatre objectifs cités plus haut, et même à aller dans le sens contraire.</p>
<p>Or, la crédibilité du message de la France dans les Balkans sur la question européenne est indispensable si Paris entend jouer un rôle décisif dans la résolution du problème entre la Serbie et le Kosovo comme le président Macron l’a laissé entendre. À ce sujet, quatre éléments clés émergent de ses déclarations à Belgrade.</p>
<h2>Soutien résolu au président de Serbie</h2>
<p>D’abord, un soutien franc et massif au président serbe Aleksandar Vucic, dont il a salué le courage et le pragmatisme à plusieurs reprises dans la conduite des réformes – ce qui, au regard des considérations du <a href="http://europa.eu/rapid/press-release_COUNTRY-19-2780_en.htm">dernier rapport de la Commission européenne</a> sur l’État de droit, la justice et la liberté de la presse, n’a pourtant rien d’évident.</p>
<p>Depuis des années, Vucic s’est présenté aux Occidentaux comme le <a href="https://www.iris-france.org/96653-nomination-dana-brnabic-comme-premiere-ministre-serbe-larbre-qui-cachait-la-foret/">garant de la stabilité de la région</a> et comme le seul à pouvoir résoudre la question du Kosovo. Le soutien dont il jouit, et qui lui laisse les mains libres en interne, reflète donc les priorités de ses partenaires vis-à-vis de la région, à plus forte raison lorsque le Président français déclare, grave, que « le pire peut encore advenir ici ».</p>
<p>De fait, là où <a href="https://www.autonomija.info/sonja-biserko-vucic-nije-ispunio-nijedno-obecanje.html">certains voulaient croire à la fin d’un soutien</a> sans réserve au président serbe, car celui-ci ne remplirait pas ses engagements, il semble qu’il n’en soit rien.</p>
<h2>Le Kosovo, une affaire européenne</h2>
<p>Ensuite, Emmanuel Macron a indiqué que la résolution de la question du Kosovo était une affaire européenne. Ce point est crucial, car il signifie que la France et l’Allemagne s’engagent à prendre le leadership, y compris vis-à-vis du futur Haut Représentant Josep Borrell (peut-être à travers un Envoyé spécial répondant directement aux capitales ?), afin d’aboutir à une solution. En creux, cela veut dire qu’Emmanuel Macron refuse que d’autres acteurs, c’est-à-dire principalement les États-Unis (principal allié du Kosovo) et la Russie (principal allié de la Serbie), soient à la manœuvre, considérant que c’est à l’Europe d’agir et de montrer sa souveraineté.</p>
<p>Doté d’une solide culture historique, le président français sait à quel point l’Europe, dont c’était pourtant l’heure en 1991, a dramatiquement échoué dans les Balkans, la seule région pourtant où elle pourrait exercer une forme de puissance, économique, politique et militaire. Il prend donc à nouveau rendez-vous afin, comme il l’a dit dans son discours, que « l’Histoire ne bégaye pas » pour l’Europe.</p>
<p>Cela exigera une implication forte et continue, et une capacité à faire émerger des propositions innovantes et constructives. Or, si l’Allemagne a clairement répété en avril dernier son <a href="http://rs.n1info.com/English/NEWS/a458573/Germany-aginst-border-change-between-Kosovo-and-Serbia.html">opposition</a> à toute solution débouchant sur une modification des frontières entre la Serbie et le Kosovo, la position française n’est pas aussi tranchée.</p>
<p>De surcroît, Emmanuel Macron a annoncé une prochaine rencontre au plus haut niveau entre les dirigeants serbe et kosovar, à la suite de l’annulation du sommet de Paris du 1<sup>er</sup> juillet, tout en indiquant son intention de trouver un accord définitif « dans les prochains mois ». Il s’agit, là aussi, d’un pari très audacieux si l’on considère la sérieuse dégradation de la situation sur le terrain et de l’atmosphère entre Belgrade et Pristina à laquelle le débat depuis un an sur l’idée d’un changement de frontières n’est pas étranger.</p>
<p>Des questions concrètes comme la reconnaissance des diplômes ne sont pas réglées depuis des années, certaines dispositions de l’accord de 2013 comme la création de l’<a href="https://prishtinainsight.com/kosovo-must-change-laws-serb-municipalities-association/">association des municipalités serbes au Kosovo</a> ne sont toujours pas mises en œuvre, mais l’ambition est d’aboutir à l’horizon de quelques mois…</p>
<h2>Entre Serbes et Kosovars, la nécessité d’un compromis</h2>
<p>Pour cela, et c’est le dernier point, Emmanuel Macron a souligné la nécessité du compromis. Qu’on ne s’y trompe pas : pour le Président serbe, « compromis » signifie changement de frontières, lui qui n’a pas du tout intérêt à régler la question à court terme puisqu’elle lui offre un totem d’immunité autant qu’un écran de fumée par rapport à tous les autres problèmes. On a déjà dit ailleurs pourquoi cette solution semblait <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-et-scenarios-20-2018">inapplicable</a>.</p>
<p>L’important est que le président français a acté qu’une reconnaissance sèche du Kosovo par la Serbie sous une forme ou une autre comme issue au conflit n’était pas envisageable, et que le Kosovo – État indépendant mais amputé sur la scène internationale – allait devoir, lui aussi, trouver le chemin d’un compromis et céder quelque chose.</p>
<p>Or, la scène politique kosovare est plus éclatée et divisée que jamais sur ce sujet. Le président Thaçi est très seul dans son acceptation, avec son homologue serbe, d’un possible échange entre des territoires dans le nord du Kosovo et la reconnaissance du Kosovo indépendant par Belgrade. Même dans son parti, on ne le suit pas.</p>
<p>Son premier ministre Ramush Haradinaj, leader d’un autre parti, <a href="https://kossev.info/political-parties-against-thaci-s-idea-on-the-correction-of-borders-haradinaj-change-of-borders-is-in-putin-s-favour/">mène d’ailleurs la charge</a> contre cette idée. Il est à l’origine de la mise en place de taxes douanières contre la Serbie et la Bosnie, que les Occidentaux lui demandent expressément de retirer. Enfin, la Cour constitutionnelle vient de déclarer <a href="https://prishtinainsight.com/court-declares-kosovos-negotiation-team-unconstitutional/">illégale</a> la formation d’une délégation pour le dialogue avec la Serbie. Autrement dit, la situation au Kosovo est à ce point chaotique que des élections anticipées deviennent de plus en plus probables – ce qui compromet l’idée même de pouvoir aboutir à un accord final à l’horizon de quelques mois.</p>
<p>Voilà donc les enjeux qui se présentent à la France, aux Balkans et à l’Europe, avec comme toile de fond la gestion du Brexit, l’activité croissante de la Chine, le danger d’une administration américaine erratique, ainsi que toutes les autres priorités (climat, défense, migrations, commerce) de la nouvelle équipe qui va se mettre en place à Bruxelles. Après cette visite historique, en attendant peut-être d’autres dans la région, la question reste cependant entière : que veut la France dans les Balkans, et quel crédit politique est-elle prête à y investir ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En adoptant une position de blocage sur l’élargissement de l’UE et en s’impliquant dans la résolution du problème entre la Serbie et le Kosovo, la France se replace au centre du jeu balkanique.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, enseignant à l'Institut catholique de Paris, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1059012018-11-13T01:03:13Z2018-11-13T01:03:13ZPartir des Balkans pour « vivre dans un pays normal »<p>Les dernières consultations électorales en <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Bosnie-crise-politique-menace-elections-2018-10-08-1300974472">Bosnie-Herzégovine</a> en octobre 2018 et Macédoine ont été marquées, plus encore que d’habitude, par l’inadéquation entre le nombre d’inscrits sur les listes électorales et le nombre nettement inférieur d’individus réellement sur le territoire. Outre les morts, l’explication principale réside principalement dans la vague d’émigration massive qui touche toute l’Europe balkanique depuis une dizaine d’années.</p>
<p>Ce phénomène ne touche pas seulement les pays les plus en retard en matière de développement économique. Au contraire, à court terme, devenir membre de l’Union européenne se traduit par une fuite massive des travailleurs vers l’Ouest, comme en témoignent la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie. <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/8926076/3-28052018-AP-EN.pdf/48c473e8-c2c1-4942-b2a4-5761edacda37">Selon Eurostat</a>, 20 % des Roumains en âge de travailler, 14 % des Croates et 12,5 % des Bulgares travaillent à l’étranger, contre une moyenne de 3,8 % pour l’ensemble de l’UE.</p>
<h2>L’Allemagne, destination de choix des Croates</h2>
<p>Selon les <a href="https://www.destatis.de/DE/PresseService/Presse/Pressemitteilungen/2018/10/PD18_396_12411.html">statistiques allemandes</a>, 50 000 Croates partent chaque année en Allemagne depuis trois ans. Depuis 2013 et l’entrée de la Croatie dans l’UE, 240 000 Croates – soit l’équivalent des populations de Split et Zadar réunies – ont quitté leur pays uniquement pour l’Allemagne. Ce qui ne dit rien de ceux qui l’ont fait pour l’Autriche, la Grande-Bretagne, l’Australie ou les États-Unis. Cela représente près de 10 % de la population d’un pays qui atteint désormais péniblement les 4 millions d’habitants.</p>
<p>La population totale croate a ainsi <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Croatie-une-population-plus-faible-et-plus-agee">reculé de 1,2 % en 2017</a> seulement sous l’effet cumulé de l’émigration massive et de la faible natalité. L’âge médian y augmente à 43,1 ans. Géographiquement, c’est la région de la Slavonie, à l’est du pays, qui paie le plus lourd tribut à cet exode. De son côté, l’Allemagne bénéficie à plein de tous ces travailleurs venus des Balkans – près d’un million et demi au total en comptant la Bulgarie et la Roumanie – qui sont plus jeunes que la moyenne des Allemands.</p>
<p>Fait notable : désormais, les jeunes diplômés ne sont plus les seuls à tenter leur chance ailleurs, les moins jeunes et moins diplômés quittent aussi leurs pays à la recherche de nouvelles opportunités, y compris en tant qu’ouvrier ou que chauffeur routier.</p>
<p>Ainsi, un mouvement récent d’ouvriers serbes et bosniens engagés par dizaines de façon temporaire dans des usines en <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Bosnie-Herzegovine-les-chomeurs-partent-chercher-du-travail-en-Slovaquie">Slovaquie</a> a vu le jour. De même, la Slovénie a signé des <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Exploitation-et-precarite-voila-ce-qui-attend-les-travailleurs-serbes-en">accords</a> avec la Bosnie et la Serbie pour faire venir des travailleurs à des conditions très avantageuses pour ses entreprises, et très précaires pour les travailleurs en question.</p>
<h2>Même les prêtres et les imams s’en vont…</h2>
<p>Pourquoi tous ces départs ? Principalement pour deux raisons qui ne se cumulent pas de la même façon en fonction du pays.</p>
<p>La première est l’absence ressentie et réelle d’opportunité économique et la recherche d’une vie meilleure pour soi et ses enfants. Que ce soit un jeune diplômé en ingénierie ou informatique, ou un ouvrier peu qualifié, les deux font le calcul qu’ils gagneront et vivront mieux ailleurs, malgré les difficultés inhérentes à un départ. En ce qui concerne les travailleurs qualifiés du secteur de la santé par exemple (médecins, infirmières, etc.), l’Allemagne délivre des permis de travail à tour de bras dans toute la région.</p>
<p>L’autre raison est d’ordre politique. Dans certains pays comme la Bosnie, la Serbie, la Macédoine, le Kosovo, il existe également une profonde fatigue du système partitocratique qui a poussé à bout la <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Les-migrations-de-Serbie">logique clientéliste</a>. Autrement dit, dans des économies au secteur privé atrophié, les emplois se trouvent dans la fonction publique et les entreprises publiques. Or, ces emplois ne peuvent s’obtenir que par affiliation politique avec le parti au pouvoir, indépendamment des compétences, comme l’exemple de l’<a href="http://www.balkaninsight.com/en/article/flying-blind-negligence-nepotism-and-graft-at-kosovo-airport-07-19-2018">aéroport de Pristina</a> l’a montré récemment.</p>
<p>Cela explique d’ailleurs, en grande partie, la capacité des partis à rester au pouvoir, puisqu’ils parviennent à un degré très fin de contrôle du vote par le biais de ces emplois, les rares disponibles, qui font vivre tout un foyer. Ainsi, on voit en Bosnie des gens, qui ont des emplois, une situation relativement enviable à l’échelle locale, partir quand même. Pourquoi ? Parce qu’ils refusent que leurs enfants vivent dans cet environnement où le népotisme, la corruption, la capture politique de l’État et des richesses sont la normalité. « Vivre dans un pays normal » est une formule qui revient très souvent chez ceux qui partent. En Bosnie, <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Exode-en-Bosnie-Herzegovine-meme-les-pretres-et-les-imams-s-en-vont">même les prêtres et les imams s’en vont !</a></p>
<h2>Des gouvernements locaux passifs</h2>
<p>Quelles sont les conséquences de ces départs dans les sociétés balkaniques ? Elles sont de plusieurs ordres.</p>
<p>Sur le plan économique, cela se traduit par une absence de main-d’œuvre qualifiée par rapport aux besoins, un recul des investissements et donc, in fine, un développement économique loin de son potentiel réel.</p>
<p>Sur le plan de la santé, les départs massifs des professionnels du secteur, outre qu’ils provoquent une perte nette pour le système d’éducation qui les forme pour les voir partir ailleurs, se traduisent par un accroissement des déserts médicaux et à terme par de sérieux risques face à une population qui vieillit.</p>
<p>À l’intersection de ces deux points, la dégradation progressive des comptes sociaux ne pourra se tenir que grâce au recours à l’endettement massif, une solution qui n’est pas soutenable pour des petites économies ouvertes, fragiles, et qui ne croissent pas suffisamment. Il y a fort à parier que le FMI, ou la Chine si elle y voit un intérêt, interviendront pour prêter massivement aux pays des Balkans, en échange de contreparties qui ne peuvent pas être dans l’intérêt des citoyens.</p>
<p>Les gouvernements locaux sont-ils conscients du danger ? Mettent-ils en place des stratégies afin de traiter cet exode massif ? <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/L-exode-massif-de-la-population-bosnienne">Pas vraiment</a>. D’abord, pour traiter un problème, encore faut-il le reconnaître et le quantifier. Or personne en Macédoine, en Bosnie, en Serbie, en Croatie n’est capable de dire précisément combien de personnes sont parties sur les dernières années. Les données sont recoupées par rapport au nombre d’élèves (et de professeurs !) en moins dans les classes, aux personnes encore inscrites sur les listes électorales alors que personne ne les a vues depuis des années, et surtout grâce aux statistiques des pays d’accueil comme l’Allemagne.</p>
<h2>Des Balkans en voie de dépeuplement avancé</h2>
<p>Du point de vue des responsables politiques locaux, ces départs peuvent être bénéfiques pour trois raisons. D’abord, ce sont autant d’électeurs en moins pour voter contre eux puisque la proportion de leurs obligés restés au pays ne peut qu’augmenter avec le départ des autres. La conservation du pouvoir est donc facilitée par ces départs massifs. Ensuite, ceux-ci peuvent sur le plan statistique aider à faire baisser les chiffres du chômage. Enfin, les transferts d’argent de cette diaspora peuvent servir de soupape de sécurité et de survie à la population restée sur place qui survit comme elle peut. Recevoir 300 euros par mois de la part d’un frère ou d’un cousin en Allemagne est une aide considérable pour vivre au quotidien.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244630/original/file-20181108-74772-vdg1oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244630/original/file-20181108-74772-vdg1oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244630/original/file-20181108-74772-vdg1oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244630/original/file-20181108-74772-vdg1oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244630/original/file-20181108-74772-vdg1oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244630/original/file-20181108-74772-vdg1oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244630/original/file-20181108-74772-vdg1oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue de Vukovar, l’une des principales villes de Slavonie orientale (ici en 2011).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b5/Vukovar%2C_ulice.jpg/640px-Vukovar%2C_ulice.jpg">Aktron/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certains pays comme le Kosovo essaient de mettre à contribution cette diaspora dans des projets de développement local, sans grand résultat malgré l’existence dans la plupart des pays des Balkans d’un ministère dédié à la diaspora. D’un autre côté, la Serbie a lancé une <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Serbie-attaques-contre-les-droits-des-femmes-sous-couvert-de-politiques">grande campagne nataliste dont les accents patriarcaux</a> sont en fait revenus à imposer une intense pression sur les femmes, restreindre le droit à l’avortement, tout en ne donnant que de <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Serbie-moins-de-dix-euros-d-allocation-de-maternite-par-mois">très maigres bénéfices financiers</a>, à hauteur de 8 euros par mois pour les femmes ayant moins de 18 mois d’activité salariée.</p>
<p>Les projections démographiques de la <a href="http://datatopics.worldbank.org/health/population">Banque mondiale</a> pour 2050 montrent que l’Europe orientale, et en particulier la région des Balkans, est celle qui se dépeuplera le plus dans les décennies à venir sous le double effet d’une faible natalité et d’une forte émigration.</p>
<p>Les conséquences politiques et économiques sont prévisibles. Renforcement des pratiques autoritaires et déséquilibres financiers structurels. Si l’on adopte une perspective braudelienne faite de centres et de périphéries, l’enjeu est de savoir dans quelle mesure le centre, autrement dit ici l’Union européenne, pourra arrimer ses périphéries dans une stratégie de développement et proposer quelque chose de crédible. Tout en gardant à l’esprit que ce qui est dans l’intérêt d’un pays n’est pas forcément dans l’intérêt de ses dirigeants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105901/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vague d’émigration massive qui touche toute l’Europe balkanique depuis une dizaine d’années bouleverse les équilibres locaux et obère le futur de ces pays déjà en grande difficulté.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, enseignant à l'Institut catholique de Paris, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1002532018-07-19T22:23:42Z2018-07-19T22:23:42Z« KGK », supportrice enjouée à Moscou et présidente nationaliste en Croatie<p>La Coupe du monde de football en Russie aura été l’occasion pour le monde entier de faire la connaissance avec la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic, présente à tous les matchs, à l’exception de la demi-finale, systématiquement vêtue du maillot croate caractéristique à damier rouge et blanc. Supportrice enjouée, se montrant dans un avion de ligne régulier au milieu de supporters, la présidente croate a, par ailleurs, été l’une des vedettes de la cérémonie qui a suivi la finale au cours de laquelle, sous une pluie battante, elle enlaça chaque joueur croate, non sans verser quelques larmes au moment de féliciter le stratège croate Luka Modric, élu meilleur joueur de la compétition.</p>
<p>Les commentaires se sont alors multipliés à propos de la sympathie, de la simplicité, du leadership montré par « KGK », comme on la surnomme. Il était alors frappant de constater qu’aucun de ces commentaires et <a href="https://www.newsweek.com/croatia-president-kolinda-grabar-kitarovic-team-world-cup-who-1019003">portraits</a> ne prenait la peine de s’intéresser à la personnalité politique de KGK par-delà son apparence et son caractère exubérant, à ses responsabilités et ses prises de position.</p>
<p>Ainsi, et cela rejoint également certains commentaires faits sur le président Macron, on a eu tôt fait de disserter sur l’exercice de récupération politique auquel se sont livrés les deux chefs d’État lors de la finale du Mondial, alors même que ce faisant, paradoxalement, on les dépolitisait.</p>
<p>Il convient donc, dans un premier temps, de repolitiser le personnage de Kolinda Grabar-Kitarovic, avant de poser la question de l’efficacité, pour les responsables politiques, des stratégies de récupération politique d’événements sportifs.</p>
<h2>Sur une ligne nationaliste et conservatrice</h2>
<p>Élue de justesse à la présidence en 2015 sous l’étiquette du HDZ, le parti nationaliste requalifié centre-droit après la fin du régime autoritaire de Franjo Tudjman, père de l’indépendance croate, KGK a été auparavant secrétaire générale adjointe de l’OTAN et ministre des Affaires étrangères. Elle doit notamment sa victoire à la <a href="https://www.straitstimes.com/world/europe/conservative-kolinda-grabar-kitarovic-elected-croatias-first-female-president">modération de ses propos</a> sur les sujets de société pendant la campagne, qui ont rassuré les électeurs du centre – que ce soit sur l’homosexualité ou l’avortement, dans un pays où l’Église catholique est très influente, au point – à travers des mouvements citoyens – de <a href="https://narod.hr/hrvatska/uio-argumentaciju-zatrazila-dekana-pravnog-fakulteta-pokretanje-postupka-petricusic-dr-pred-etickim-povjerenstvom">demander la tête d’universitaires</a> et de journalistes jugés trop critiques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WrTf1ZpDhg8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pour autant, c’est à ligne dure du HDZ, nationaliste et conservatrice, qu’elle a donné le plus de gages depuis le début de sa présidence, non seulement sur ces mêmes sujets de société, mais aussi sur quelques marqueurs importants de la vie politique croate comme le rapport aux crimes de guerre, le rapport à la Bosnie, ou encore celui à la minorité serbe. Sur chacun de ces sujets, KGK se situe, en réalité, dans la droite ligne de Franjo Tudjman.</p>
<h2>Le retour de Zagreb dans les affaires de la Bosnie</h2>
<p>Il y a quelques mois, Slobodan Praljak se suicidait en direct au tribunal de La Haye juste après avoir été condamné pour crimes de guerre. La position de la présidente croate a été immédiatement de <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/croatie/apres-le-suicide-de-slobodan-praljak-la-presidente-croate-defend-son-pays-5414468">nier les attendus du verdict</a> selon lesquels la Croatie était elle-même impliquée dans l’aide donnée aux Croates de Bosnie, tandis qu’un hommage national a été rendu à Praljak.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3P5YQbw8F4E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Il s’agit là d’un narratif officiel qui dépasse l’actuelle présidente, consistant dans l’impossibilité politique, médiatique, voire académique, de déroger au mythe de la « guerre patriotique » forgé par le HDZ et Tudjman. La figure de ce dernier est d’ailleurs également hors de portée des critiques : en témoigne le nouvel aéroport de Zagreb porte son nom.</p>
<p>Fidèle à ce narratif, KGK a opéré un retour de la Croatie dans les affaires de la Bosnie, considérant que le sort des Croates de Bosnie regardait directement Zagreb, alors que les précédents gouvernements sociaux-démocrates avaient adopté la ligne selon laquelle l’État des Croates de Bosnie était la Bosnie et que la Croatie ne devait pas se mêler outre-mesure des affaires internes de son voisin. Déstabiliser la Bosnie à travers le soutien aux nationalistes croates locaux semble être à nouveau à l’<a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Grabar-Kitarovic-et-Vucic-en-mission-de-destabilisation-de-la-Bosnie">agenda de Zagreb comme de Belgrade</a> qui en fait autant avec les Serbes de Bosnie. On retrouve là une alliance mortifère qui a vu, il y a 25 ans, Serbes et Croates essayer de s’entendre pour dépecer et « nettoyer » la Bosnie.</p>
<h2>Proche du boss mafieux du foot croate</h2>
<p>Toujours fidèle au même narratif qui considère d’un très mauvais œil les Serbes de Croatie, Kolinda Grabar-Kitarovic a récemment apporté son soutien à un <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Croatie-presidente-favorable-a-un-referendum-limitant-les-droits-des-minorites">projet citoyen de réforme de la loi électorale par référendum</a> visant à limiter les droits des minorités, jetant sur les opposants – que ce soit les Serbes de Croatie ou les sociaux-démocrates du SDP – des anathèmes tels que « communistes » ou « yougonostalgiques ».</p>
<p>Elle critique également le gouvernement pourtant issu de son propre parti, mais dont le premier ministre, Andrej Plenkovic, représente l’aile modérée et pro-européenne. Il y a donc derrière ce soutien la volonté de rester fidèle aux voix les plus conservatrices de son camp, celles qui étaient au gouvernement en 2016 avec un ministre de la Culture ouvertement révisionniste, Zlatko Hasanbegovic, qui avait entrepris de <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/05/25/accuse-de-revisionnisme-un-ministre-croate-denonce-une-guerre-culturelle_4926352_3214.html">purger les médias</a> des « traîtres à la patrie ».</p>
<p>En 2017, la présidente croate a d’ailleurs rompu la tradition en décidant de <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/commemorations-de-jasenovac-kolinda-grabar-kitarovic-aux-abonnes-absents">boycotter la cérémonie du 70ᵉ anniversaire de la libération du camp de la mort de Jasenovac</a>, tout en refusant de nommer les coupables, à savoir le régime croate oustachi collaborationniste.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YmtpZYBhPBU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dans le même temps, elle n’a pas hésité à se rendre à Bleiburg, lieu de mémoire controversé en Autriche où les partisans yougoslaves avaient éliminé des centaines de personnes accusées d’avoir fait parti du régime oustachi en 1945. Bleiburg est l’objet, chaque année, d’un pèlerinage de nationalistes et néo-nazis croates qui commence sérieusement à indisposer les autorités autrichiennes.</p>
<p>Enfin, si l’on en revient au football, il convient de rappeler que la présidente est une proche de Zdravko Mamic, le boss mafieux du football croate récemment condamné à six ans et demi de prison pour détournement et fraude fiscale. Ce dernier a financé la campagne de KGK, ainsi que sa fête d’anniversaire. Elle était, par ailleurs, au stade en Russie avec <a href="https://www.lemonde.fr/mondial-2018/article/2018/07/13/coupe-du-monde-2018-la-presidente-croate-ambassadrice-d-une-equipe-nationale-tres-politisee_5330980_5193650.html">Damir Vrbanovic</a>, lui aussi condamné à deux ans de prison dans le même procès, sans que cela ne semble la gêner le moins du monde.</p>
<p>La présidente croate n’est pas n’importe qui et il est important de ne pas négliger qu’elle est d’abord une responsable politique. Dans le cas contraire, on porte un jugement sur une image sans s’intéresser au fond, ce qui est, dans un autre contexte, tout le destin de la Première ministre serbe <a href="http://www.iris-france.org/96653-nomination-dana-brnabic-comme-premiere-ministre-serbe-larbre-qui-cachait-la-foret/">Ana Brnabic</a>, que l’on ne voit généralement qu’à travers son genre, sa jeunesse et son homosexualité assumée sans jamais s’intéresser à ses actes.</p>
<h2>Le Mondial, un effet limité à Zagreb comme à Paris</h2>
<p>La seconde question posée est celle de l’efficacité supposée de la récupération politique opérée par Kolinda Grabar Kitarovic. D’abord, on peut faire crédit à KGK d’être sincèrement ravie d’être là et supportrice de son équipe. On l’a déjà vue en treillis et tirer au fusil d’assaut lorsqu’elle visitait les casernes, il n’y a donc rien d’étonnant à l’avoir vue ainsi, vêtue du maillot à damier, tout au long du tournoi.</p>
<p>Cela va-t-il pour autant se traduire par des gains politiques en vue de sa réélection en 2019 ? Cette vision ne s’appuie sur rien de tangible. Bien sûr, chacun voit bien à quel point KGK cherche à « récupérer » l’image de la sélection. Il est probable que ses clips de campagne seront remplis de ces images. Et alors ? Pense-t-on que les électeurs croates vont se prononcer le moment venu sur la foi de ces images et non pas sur la base des enjeux partisans, politiques, économiques, sociaux, identitaires habituels ?</p>
<p>Rien ne dit que sa popularité, abîmée depuis plusieurs mois en raison de la situation économique difficile de la Croatie, bénéficiera du Mondial. Il n’est qu’à regarder les premiers <a href="https://www.20minutes.fr/politique/2309671-20180718-video-coupe-monde-2018-effet-mondial-macron-vraiment-selon-sondage">sondages sur le président Macron</a> pour comprendre qu’il n’y a pas d’automaticité en la matière. Et quand bien même jouirait-elle d’un regain de popularité, il ne s’agit là que d’un moment temporaire qui finit toujours par retomber.</p>
<p>Dans un registre nettement plus tragique, que l’on se souvienne de la cote de popularité de François Hollande après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Celle-ci avait fortement crû, les Français ayant jugé positivement sa gestion de la crise. Néanmoins, les choses étaient revenues à la normale quelques semaines plus tard, et cela ne lui fut d’aucun secours sur le plan électoral par la suite.</p>
<p>Pourquoi en irait-il autrement chez les électeurs croates ? On peut gagner une élection grâce à une guerre bien menée (Margaret Thatcher après les Malouines), mais on ne gagne (ni ne perd) une élection parce qu’on a fait la fête à la Coupe du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/100253/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Lors de la finale de la Coupe du monde en Russie, la Présidente croate a fait le show à coups de chaleureuses démonstrations. Mais chez elle, en Croatie, elle arbore un tout autre visage.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, chercheur au CERAPS, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/920712018-02-19T22:09:22Z2018-02-19T22:09:22ZLe Kosovo indépendant et le football : « Nous jouons donc nous sommes »<p>Le Kosovo vient de célébrer les dix ans de son indépendance. Si l’euphorie a laissé place à une certaine forme de frustration par rapport aux <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/feb/16/kosovo-at-10-challenges-overshadow-independence-celebrations">défis considérables</a> que le pays doit toujours affronter, il est un succès majeur que nul ne peut nier : la reconnaissance du Kosovo par les fédérations internationales de sport, en particulier celle du CIO et de la FIFA en 2015-2016.</p>
<h2>Une stratégie de compensation et d’incitation</h2>
<p>Dans la formule « Nous jouons, donc nous sommes », <em>nous sommes</em> ne renvoie pas à une identité, mais à la certification d’une existence. Un État n’existe sur la scène internationale que s’il est reconnu par les autres États. Or, le Kosovo présente la particularité de ne pas être reconnu par l’ensemble de la communauté internationale (la <a href="http://prishtinainsight.com/barbados-recognizes-kosovo/">Barbade est devenu il y a quelques jours le 116ᵉ État à reconnaître le Kosovo</a>).</p>
<p>Deux tiers de ces reconnaissances sont intervenues rapidement après l’indépendance (le 17 février 2008), pour ensuite devenir décroissantes au fil du temps – ce qui débouche sur une situation figée entre ceux qui ont reconnu le Kosovo et ceux qui n’en ont pas l’intention (la Russie, l’Espagne, etc.).</p>
<p>Cette situation de blocage a conduit à une réorientation de la diplomatie du Kosovo vers des stratégies de reconnaissance alternatives. À partir de 2011-2012, ce petit pays a investi plus massivement d’autres champs de la diplomatie internationale : sportif, culturel ou <a href="http://www.iurisprudentes.it/?p=1064">digital</a> avec l’idée que la reconnaissance du Kosovo par <em>Facebook</em>, par la FIFA, ou par le concours de l’Eurovision revêtait la même importance que la reconnaissance par les chancelleries.</p>
<p>C’est donc à la fois une <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09592296.2016.1169799?journalCode=fdps20&">stratégie de <em>compensation</em> et d’<em>incitation</em></a>. Compensation vis-à-vis du plafond des reconnaissances politiques qui oblige le Kosovo à contourner la difficulté pour rester visible, et incitation en espérant que cette visibilité transversale suscitera de nouvelles reconnaissances politiques.</p>
<p>Le sport représente une arène symbolique de premier ordre dans les relations internationales. Il est considéré comme le moyen le plus rapide et efficace de gagner en notoriété, d’habituer une audience internationale à un drapeau, un maillot, un hymne, des héros etc.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SZiDeWQERn8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De fait, le <a href="http://www.lemonde.fr/jeux-olympiques-rio-2016/article/2016/08/07/judo-majlinda-kelmendi-la-septieme-etoile-du-kosovo_4979456_4910444.html">titre olympique de Majlinda Kelmendi aux JO de Rio en 2016</a> a représenté une exceptionnelle vitrine, qui plus est dans un pays – le Brésil – qui ne reconnaît pas le Kosovo. C’est aussi dans ce cadre qu’il faut comprendre les efforts du Kosovo en vue d’adhérer à la FIFA.</p>
<h2>Deux obstacles de taille sur la route de la FIFA</h2>
<p>Dans sa volonté de faire de son pays un membre à part entière de la FIFA, le président de la fédération du Kosovo Fadil Vokrri devait faire face à deux obstacles. Premier d’entre eux : les statuts de la FIFA autorisent les fédérations à adhérer à condition qu’elles émanent d’un pays « reconnu par la communauté internationale ». Dans la pratique, cela signifie être membre de l’ONU. Une formulation assez vague toutefois pour laisser à la FIFA toute sa liberté de décision sans être soumis à des contingences politiques, <a href="http://www.sofoot.com/pour-la-premiere-fois-la-palestine-devance-israel-au-classement-fifa-450539.html">comme l’a montré le cas de la Palestine</a>.</p>
<p>Le second obstacle résidait dans la contre-campagne de lobbying menée par la Serbie et ses alliés pour bloquer le Kosovo dans ses démarches. C’est pourquoi Vokrri a rapidement opéré un changement tactique en ne demandant plus l’adhésion mais, dans un premier temps, mais le droit de jouer des matchs amicaux contre des sélections membres de la FIFA, selon les termes de l’<a href="https://fr.fifa.com/mm/document/affederation/generic/02/14/97/88/fifastatuten2013_f_french.pdf">article 79 des statuts de la FIFA</a>, qui permet théoriquement à la Catalogne ou la Corse de disputer des rencontres internationales.</p>
<h2>Le match FIFA-UEFA</h2>
<p>Par ailleurs, cette bataille du lobbying a été doublée à l’époque d’une bataille entre la FIFA et l’UEFA, au cœur d’enjeux de pouvoir qui dépassent de très loin le sort du Kosovo. Pristina pouvait alors compter sur certaines personnes à la FIFA comme l’ancien directeur des relations internationales Jérôme Champagne, et le président Sepp Blatter.</p>
<p>Dans le camp opposé, le président de l’UEFA Michel Platini avait toujours écarté la possibilité que le Kosovo puisse disputer des matchs, en soulignant que ce serait une décision politique et non sportive. Il avait cependant changé d’avis en 2015, alors qu’il s’apprêtait, en vain, à se lancer dans la course à la présidence de la FIFA.</p>
<p>Après de nombreuses rencontres infructueuses entre Sepp Blatter, Fadil Vokrri et le président de la fédération serbe Tomislav Karadžić, un <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/football-la-fifa-s-active-pour-la-reconnaissance-internationale-du-kosovo">compromis</a> a finalement été trouvé à la fin 2013. Les sélections du Kosovo pourraient disputer des matchs amicaux à condition que le drapeau ne soit pas montré et que l’hymne ne soit pas joué.</p>
<p>De plus, le Kosovo ne pourrait rencontrer aucune des sélections de l’ancienne Yougoslavie. Ce compromis, notamment sur sa partie liée aux restrictions de symboles, révèle toute la dimension politique intrinsèquement attachée au sport. Il révèle aussi la capacité diplomatique de la FIFA dans la recherche d’une solution.</p>
<p>En effet, l’article 79 permettait bien à la FIFA d’autoriser le Kosovo à jouer des matchs amicaux dès 2008. Cependant, il y a eu la volonté de la part de la FIFA de ne pas prendre de décision unilatérale, contre la Serbie et l’UEFA, et de tout faire pour amener Belgrade et Pristina à accepter un compromis sans préjudice du statut final de cette ancienne province yougoslave.</p>
<h2>Déverrouillage par le CIO</h2>
<p>Il ne faut pas, cependant, oublier que ce compromis n’aurait jamais pu avoir lieu sans l’aval des plus hautes autorités politiques serbes. Il s’inscrit dans le sillage des accords de normalisation entre Belgrade et Pristina signés en 2013, parrainés par l’Union européenne. Ce qui fut <a href="https://www.b92.net/eng/news/politics.php?yyyy=2016&mm=01&dd=04&nav_id=96577">rappelé</a> par le ministre des Affaires étrangères Ivica Dačić, lequel fait néanmoins une différence entre des organisations internationales perçues comme « non essentielles » (les organisations sportives), et les organisations liées au système onusien (l’ONU elle-même, ou l’<a href="http://www.lefigaro.fr/international/2015/11/09/01003-20151109ARTFIG00183-unesco-l-adhesion-du-kosovo-rejetee-a-trois-voix-pres.php">Unesco</a>).</p>
<p>Du point de vue de Pristina, pourtant, ces adhésions aux organisations internationales de sport sont bien perçues comme cruciales. L’admission du Kosovo par le CIO en 2015 représente un tournant par sa portée politique car elle signifie qu’aux yeux de cette instance de l’olympisme, le Kosovo est « reconnu par la communauté internationale », comme l’exigent ses statuts.</p>
<p>Par conséquent, l’admission au CIO a déverrouillé toutes les adhésions aux autres fédérations internationales de sport qui ont finalement admis le Kosovo, y compris la FIFA et l’UEFA. Ce qui a permis au pays de participer aux JO de Rio ainsi qu’aux qualifications pour le Mondial de football 2018.</p>
<p>À l’issue de ce processus, il reste à savoir si la stratégie de compensation et d’incitation par le sport du Kosovo va porter ses fruits, autrement dit, si le sport est un bon outil de visibilité qui permettra de susciter de nouvelles reconnaissances politiques. Cela demeure assez improbable.</p>
<p>Si elles devaient avoir lieu, ces reconnaissances auraient plutôt tendance à survenir à la suite d’un accord politique global entre la Serbie et le Kosovo, une obligation pour les deux pays, comme cela a été rappelé dans le récent <a href="http://www.iris-france.org/107190-lunion-europeenne-peut-elle-reussir-lintegration-des-balkans-occidentaux/">document stratégique de la Commission européenne</a> sur l’élargissement.</p>
<p>Pour autant, dix ans après son indépendance, aujourd’hui le Kosovo peut à bon droit dire : « Nous existons puisque nous jouons. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le sport est une arène symbolique de premier ordre dans les relations internationales. Il est considéré comme le moyen le plus rapide et efficace de gagner en reconnaissance et en notoriété.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, chercheur au CERAPS, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/892642017-12-20T20:30:05Z2017-12-20T20:30:05ZLe couple franco-allemand et la relance de la défense européenne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/200006/original/file-20171219-4965-156ch25.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Défilé militaire franco-allemand, en juillet 2012, à Reims pour célébrer le 50ème anniversaire de la rencontre entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:50eme_507.JPG">Garitan/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La politique européenne de sécurité et de défense a connu ces deux dernières années un regain d’intérêt, suscité par un contexte politique et géopolitique du continent européen en pleine évolution.</p>
<h2>Une fenêtre d’opportunité inédite</h2>
<p>La décision britannique de quitter l’UE le 23 juin 2016 (<a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-le-Brexit.html">Brexit</a>) a permis de lever le verrou britannique sur la défense européenne. Puis l’élection à la Maison Blanche de Donald Trump, et celle d’Emmanuel Macron en France en mai 2017, ont parachevé ce contexte inédit pour relancer la défense européenne. Celle-ci semblait en panne d’inspiration ces dernières années, malgré plusieurs tentatives de relance en 2013 et 2015. Plus précisément, le couple franco-allemand se présente aujourd’hui comme la cheville ouvrière de cette relance.</p>
<p>Face à un environnement géopolitique mouvant et des menaces accrues (terrorisme, actions russes en Crimée et à l’Est des frontières de l’Union européenne, crise migratoire…), la France et l’Allemagne ont à nouveau endossé leur rôle de moteur, comme cela avait été le cas dans les années 1990 et au début des années 2000.</p>
<p>L’incertitude croissante que traduit tant la sortie du Royaume-Uni, partenaire majeur de la France et dans une moindre mesure de l’Allemagne en matière de défense, que l’accession à la présidence américaine d’une personnalité imprévisible et déterminée à réduire la facture de l’engagement militaire américain en Europe a servi de catalyseur au réveil du couple franco-allemand depuis 2016. Face aux défis de sécurité croissants, l’UE ne semble plus avoir d’autre alternative que de devenir plus efficace en matière de sécurité et de défense.</p>
<h2>Un couple franco-allemand remobilisé par un contexte européen et international instable</h2>
<p>Cette situation complexe ouvre également un nouvel univers de possibles : sans le verrou britannique, le chantier de la défense européenne peut être relancé. Les initiatives visant à rendre l’UE plus crédible et efficace sur le plan militaire ont d’ailleurs fleuri depuis le Brexit, sous une forte impulsion franco-allemande (voir ci-dessous).</p>
<p>Si le Brexit est un « <a href="http://lemonde.fr/referendum-sur-le-Brexit/article/2016/06/24/reactions-en-chaine-les-appels-a-referendum-se-multiplient-en-europe_4957051_4872498.html">coup porté à l’Union européenne</a> », selon les termes employés par la chancelière Merkel, le 24 juin 2016, à Berlin dans son discours suivant le Brexit, il est aussi une occasion unique de réformer la construction européenne, projet que le président Hollande partageait en ces termes <a href="https://rs.ambafrance.org/Brexit-Declaration-du-President-de-la-Republique-Francois-Hollande-24-juin-2016">dans son propre discours du 24 juin 2016</a> à Paris.</p>
<p>Depuis l’été 2016, le couple franco-allemand se présente comme le moteur de la relance de la défense européenne en multipliant les initiatives bilatérales en vue de rendre l’UE plus autonome stratégiquement, suivant les orientations de la <a href="http://www.eeas.europa.eu/archives/docs/top_stories/pdf/eugs_review_web.pdf">Stratégie globale de l’Union européenne</a> adoptée en juin 2016.</p>
<h2>Un moteur lancé dans les années 1990</h2>
<p>Le rôle de moteur de la France et de l’Allemagne dans le développement de la défense européenne n’est pas nouveau pour autant. En effet, dès la fin des années 1980, et surtout suite aux guerres des Balkans qui ont tragiquement démontré, au début des années 1990,l’impuissance des Européens à stopper un conflit à leurs frontières, le Président Mitterrand et le Chancelier Kohl avaient initié le chantier de la défense européenne. L’heure était alors à la disparition du Pacte de Varsovie et au questionnement sur l’évolution du rôle de l’OTAN après la Guerre froide.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200007/original/file-20171219-4997-o9mtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200007/original/file-20171219-4997-o9mtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200007/original/file-20171219-4997-o9mtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200007/original/file-20171219-4997-o9mtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200007/original/file-20171219-4997-o9mtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200007/original/file-20171219-4997-o9mtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200007/original/file-20171219-4997-o9mtv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">François Mitterrand et Helmut Kohl en octobre 1987 lors d’une rencontre en Allemagne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_B_145_Bild-F076604-0021,_Frankreich,_Staatsbesuch_Bundeskanzler_Kohl.jpg">Bundesarchiv/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les initiatives franco-allemandes ont fini par porter leur fruit à l’échelle européenne, se traduisant d’abord par la création de la <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/la-politique-etrangere-et-de-securite-commune-pesc.html">Politique européenne de sécurité commune</a> dans le cadre du Traité de Maastricht, puis de la <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/la-politique-de-securite-et-de-defense-commune-psdc.html">Politique européenne de sécurité et de défense</a> en 1999, suite au ralliement de Tony Blair au projet en décembre 1998 lors du <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0122-l-europe-de-la-defense-du-sommet-de-saint-malo-a-la-presidence-francaise-de-l-union-europeenne">sommet franco-britannique de Saint-Malo</a>.</p>
<p>Cette politique s'est d'ailleurs enrichie au fur et à mesure des années d'organes de décision à Bruxelles, d'instrument tels que les groupements tactiques (des unités militaires multinationales jamais encore déployées à ce jour), des procédures de gestion civile et militaire de crise, et même d'un mécanisme restreint de financement des certains coûts induits par les opérations militaires conduites par l'Union européenne (mécanisme <a href="http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/athena/">Athéna</a>). Elle a pris le nom de <a href="http://www.europarl.europa.eu/atyourservice/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_5.1.2.html">Politique de sécurité et de défense Commune</a> avec le Traité de Lisbonne en 2009. L'UE a, d'ailleurs, conduit depuis le début des années 2000 une vingtaine <a href="http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1531">d'opérations et missions militaires et civilo-militaires</a> dans le monde (Afrique, Asie, Moyen-Orient, Golfe de la Somalie, Méditerranée).</p>
<p>Néanmoins, la fin des années 2000 a été marquée par un manque d'élan, alimenté par une relation franco-allemande focalisée sur ses divergences en matière de gestion de la crise financière et de gouvernance économique de l'UE. Les deux dernières années ont, en revanche, ouvert un nouveau champ de possibles pour le couple franco-allemand qui a repris l'initiative en matière de défense européenne.</p>
<h2>Des initiatives bilatérales aux réalisations européennes</h2>
<p>Depuis l'été 2016, les initiatives bilatérales franco-allemandes ont donc fleuri. Il en est résulté de nombreuses réalisations concrètes entérinées par l'ensemble des États européens. Les plus emblématiques sont la création d'une capacité de commandement d'opérations militaires non-exécutives (telles que l'opération de formation militaire au Mali), le fameux <a href="https://www.bruxelles2.eu/2017/06/08/le-mini-qg-militaire-europeen-voit-le-jour/">MPCC</a> créé en juin 2017. Le lancement d'un Fonds européen de défense visant à soutenir l'émergence d'un marche européen de défense en proposant aux industries européennes des facilités de financement pour des projets partagés. Ce Fonds devrait être opérationnel d'ici 2019.</p>
<p>L'autre avancée majeure est la création d'une <a href="https://www.politico.eu/article/new-eu-defense-pact-whos-doing-what/">coopération structurée permanente</a> (ou PESCO) en matière de défense. Il s'agit d'un mécanisme prévu par le Traité de Lisbonne et permettant aux États qui le souhaitent de coopérer plus étroitement en matière de défense, notamment. Le 23novembre 2017, 25 pays sur les 27 États-membres ont conclu un accord pour le lancement de cet outil visant à donner corps à la défense européenne.</p>
<h2>Des divergences stratégiques persistantes</h2>
<p>Il importe, néanmoins, de nuancer la portée de ce retour en forme du moteur franco-allemand. Il n'y a pas, à ce jour, d'accord entre les deux États, ni même à l'échelle européenne, sur l'usage de la force militaire, ou sur ce que signifie une véritable défense européenne. Si pour Paris l'Europe de la défense correspond à une quête de puissance et une capacité expéditionnaire, cette direction est loin d'être évidente pour Berlin. L'exemple le plus frappant est l'absence (au moins à court terme) d'une coopération structurée permanente franco-allemande, alors même que la France et l'Allemagne ont depuis deux ans fait pression sur les Etats européens pour utiliser cet outil.</p>
<p>De même, l'Allemagne participe certes au Mali à la mission EUTM (European Traing mission) de formation des forces armées et de sécurité locales, mais Berlin ne saurait envisager de participer à une opération militaire de haute intensité comme celle conduite par la France dans le Sahel.</p>
<p>De plus, si la Stratégie globale de l'UE permet de souligner l'importance d'accroître l'autonomie stratégique de l'Union, elle n'efface pas les divergences de perception des menaces entre les États européens. Certains pays (notamment les Etats baltes et la Pologne) perçoivent la menace russe comme la priorité, tandis que d'autres font du terrorisme et des enjeux migratoires le premier enjeu de sécurité européenne. <a href="http://www.elysee.fr/declarations/article/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique/">Si le discours de la Sorbonne, le 26septembre 2017</a>, du président Macron plaide pour une culture stratégique européenne commune, qui fait encore largement défaut, il serait vain de s'imaginer la construire en quelques mois. Toutes les avancées récentes en matière de défense européenne ne sauraient effacer des décennies de cultures stratégiques nationales, ni faire fi de systèmes de décision politico-militaires largement divergents.</p>
<h2>Un contexte politique allemand en suspens</h2>
<p>Le contexte politique de l'Allemagne suite aux élections de septembre 2017 risque, de plus, de conduire à un ralentissement de l'activisme franco-allemand début 2018. C'est d'autant plus probable qu'en dehors de la défense européenne, de fortes divergences persistent entre les deux rives du Rhin sur la gouvernance de la zone euro par exemple. De même, la place de l'outil militaire au sein de la lutte contre le terrorisme est un sujet de profond débat outre-Rhin: là où l'opération Sentinelle et la présence de l'armée sur le territoire national français ne suscite guère de débat à Paris, il semble inenvisageable pour l'instant à Berlin de pouvoir envisager de déployer des soldats sur le sol allemand dans le cadre de la lutte anti-terroriste, relevant strictement des compétences de la police allemande.</p>
<p>Au fond, si le couple franco-allemand apparaît bien comme le nécessaire aiguillon d'une défense européenne plus aboutie, il ne saurait en être le seul moteur. La défense européenne ne peut faire l'économie d'un débat stratégique élargi et sans faux semblants entre États européens. <a href="http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/03/10/m-juncker-relance-l-idee-d-une-armee-europeenne_4590561_3214.html">L'armée européenne</a>, appelée de ses vœux en 2015 par le Président de la Commission européenne Jean-Claude Junker, ne semble donc, au mieux, qu'une utopie encore fort lointaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89264/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Deschaux-Dutard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>A l’heure où le Conseil européen officialise le lancement de l’Europe de la défense, retour sur le rôle du couple franco-allemand dans la résurrection du chantier de l’Europe de la défense.Delphine Deschaux-Dutard, Maître de conférences en science politique, Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/880282017-11-23T11:06:52Z2017-11-23T11:06:52ZAvec la condamnation de Ratko Mladic, le TPIY à l’heure du bilan<p>La <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2017/11/22/ratko-mladic-hurle-et-se-fait-sortir-du-tribunal-avant-lenonce-de-son-jugement_a_23285250/">condamnation</a> à perpétuité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie Ratko Mladic n’est une surprise pour personne. Dès son arrestation en 2011, le seul suspense était en réalité de savoir s’il restait en vie jusqu’à l’énoncé du verdict compte tenu de sa santé fragile.</p>
<p>En dehors de plusieurs procès en appel actuellement en cours, le cas de Mladic était le dernier procès que le <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/11/22/vingt-deux-ans-d-enquete-103-jugements-qu-est-ce-que-le-tpiy_5218740_4355770.html">TPIY</a> aura mené avant de fermer très prochainement ses portes. L’heure est donc venue de dresser un bilan de l’action du TPIY. On peut à cet égard distinguer trois dimensions.</p>
<h2>Un Tribunal pionnier</h2>
<p>La première est celle de la justice internationale. Certes, le TPIY fut créé en 1993 par le Conseil de sécurité de l’ONU comme une compensation à l’inaction des grandes puissances devant le conflit, et face à l’inanité que fut l’envoi de Casques bleus censés maintenir une paix qui n’existait pas. Pour autant, juges et procureurs sont parvenus à crédibiliser le TPIY, lui donner des règles, des objectifs, des ambitions.</p>
<p>En ce sens, ce tribunal est un <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/11/21/le-tpiy-a-mis-en-place-une-jurisprudence-qui-n-existait-pas_1611627">pionnier en matière de justice internationale</a>. Il est la preuve de la possibilité de juger des criminels de guerre, y compris des chefs d’État. Il a ouvert la voie au Tribunal pour le Rwanda, à la Cour pénale internationale (CPI), et à la pratique, aujourd’hui courante, de traduire – ou du moins d’avoir l’espoir plus tout à fait utopique – de pouvoir un jour traduire en justice des criminels de guerre d’où qu’ils viennent.</p>
<p>Par-delà les griefs réels que l’on peut lui faire (notamment celui, très grave, d’avoir fait un procès inique à son ancienne porte-parole <a href="http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/03/29/florence-hartmann-ancienne-porte-parole-du-tpiy-liberee_4891939_3214.html">Florence Hartmann</a>), chacun reconnaît que sans le TPIY, aucune action de justice n’aurait eu lieu dans les pays de l’ancienne Yougoslavie. Enfin, la fermeture du TPIY ne clôt pas l’action de la justice internationale dans l’ancienne Yougoslavie puisqu’un nouveau <a href="https://kosovox.com/fr/ce-quil-faut-savoir-sur-le-tribunal-special-pour-crimes-de-guerre-au-kosovo/">tribunal spécial</a>, qui devra juger les crimes commis par les anciens de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), vient d’ouvrir ses portes.</p>
<h2>Vérité processuelle et vérité historique</h2>
<p>La seconde dimension est celle de l’Histoire. Le TPIY laisse aux chercheurs des millions de pages d’archives, de témoignages, de pièces à conviction et de faits établis. Nous savons grâce aux enquêtes du TPIY qui a fait quoi à qui, où, comment et avec qui, un degré de précision remarquable. Seulement c’est dans cette dimension historique que réside probablement la plus inquiétante ambiguïté de l’héritage du TPIY.</p>
<p>A travers une série d’acquittements récents profondément discutables en droit (Gotovina, Stanisic et Simatovic, Seselj, Haradinaj), certains juges du tribunal n’ont pas seulement renversé quelques pratiques de droit international, ils ont aussi pris à revers le travail des historiens qui avaient pourtant établi, dès la fin des années 1990, une architecture intellectuelle de la guerre que même les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DdS9M7oSVOg">principaux artisans du conflit admettaient</a>. Seule une distinction entre vérité processuelle et vérité historique permet au TPIY de sauver la face au regard de verdicts qui allaient à l’évidence contre la vérité historique.</p>
<p>L’exemple des <a href="http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/06/13/deux-anciens-chefs-serbes-rejuges-pour-des-crimes-contre-l-humanite-a-la-haye_5143544_3214.html">acquittements</a> en première instance des Serbes Jovica Stanisic et Franko Simatovic est le plus frappant. Ces deux hommes étaient au sein des services de sécurité serbes ceux qui faisaient le lien entre le régime de Belgrade et les unités paramilitaires sur le terrain en Bosnie. Autrement dit, leur activité consistant à fournir des ordres, des armes et de l’argent aux milices est la preuve de l’implication directe de la Serbie dans la guerre, qui n’est donc absolument pas une « guerre civile » limitée à la Bosnie. Or, les acquitter, comme le TPIY l’a fait, revient à dire que cette architecture intellectuelle de la guerre dans laquelle le régime de Milosevic porte la plus lourde responsabilité ne tient plus !</p>
<p>Lorsque le chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, a été condamné, le nom de Vojislav Seselj était mentionné dans « l’entreprise criminelle conjointe serbe » visant à créer une Grande Serbie au moyen de la purification ethnique. Pourtant, quelques jours plus tard, ce même <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/+-seselj-+">Seselj était acquitté</a> par d’autres juges de ce même tribunal pour ce chef d’inculpation. Autrement dit, d’une semaine à l’autre, sur le plan historique et intellectuel, on ne parle plus du tout de la même guerre ! Il y a donc un paradoxe à ce que le tribunal ait cherché à établir les faits et la vérité, tandis que certains de ses verdicts viennent en appui aux thèses révisionnistes enseignées dans les livres d’histoire dans la région.</p>
<h2>Introuvable réconciliation</h2>
<p>Pour finir, la troisième dimension est celle de la réconciliation. Il était espéré que l’établissement incontestable des faits, et la force des verdicts prononcés permettraient aux acteurs de la région de faire un effort d’introspection et de tendre la main en reconnaissant à la fois ses propres crimes mais aussi la souffrance de l’autre. De ce point de vue, force est de reconnaître que le compte n’y est pas.</p>
<p>Le TPIY a échoué à être considéré comme un acteur neutre et légitime auprès des opinions publiques locales. Cela est particulièrement vrai chez les Serbes qui considèrent que ce tribunal a été créé pour les sanctionner spécifiquement. Il serait, néanmoins, injuste de faire porter au TPIY la responsabilité de l’échec d’un processus de réconciliation dans les responsables politiques locaux n’ont, en réalité, jamais voulu. La raison à cela est simple : ceux qui gouvernent aujourd’hui dans la région sont ceux qui étaient déjà là il y a 20 ans, eux ou leur parti. Ils n’ont donc aucun intérêt à dévier d’une ligne nationaliste qui permet toujours à chacun de mobiliser son propre camp et de conserver le pouvoir.</p>
<p>De ce point de vue, Mladic est peut-être condamné, mais l’<a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/nov/22/ratko-mladic-bosnia-camps-mass-murder-torture-rape-serbian">héritage de la guerre se porte très bien</a>. Les leaders nationalistes bosniaque, croate et serbe de Bosnie sont des alliés objectifs qui se livrent à chaque élection à des surenchères verbales qui ne sont que le masque grotesque de leur complicité. C’est pourquoi le président de l’entité serbe de Bosnie, Milorad Dodik, a <a href="https://www.letemps.ch/monde/2017/11/22/mladic-un-verdict-lhistoire">déclaré</a> après le verdict que Ratko Mladic était un héros pour le peuple serbe.</p>
<p>Or, là encore, il s’agit d’un funeste retournement pour les Serbes eux-mêmes. Pourquoi ? Parce qu’en vue de cette réconciliation, le TPIY a toujours expliqué qu’il poursuivait des individus et non pas des peuples, qu’il n’existait pas de culpabilité collective. Sauf que désormais, ce sont les leaders serbes eux-mêmes qui acceptent de faire porter au peuple serbe cette culpabilité collective en clamant que Mladic est un héros, ou en souhaitant qu’un autre criminel de guerre à peine sorti de prison devienne instructeur dans l’armée. Le TPIY n’a jamais dit que les Serbes étaient collectivement coupables, c’est Milorad Dodik qui vient de le faire en faisant de Ratko Mladic un « héros du peuple serbe ». Cette difficulté de regarder en face sa propre histoire est un phénomène de <a href="http://www.balkaninsight.com/en/article/war-crimes-denial-is-a-psychological-defence-mechanism-10-30-2017">dissonance cognitive</a> très courant, qui ne peut que saper les efforts pour une meilleure compréhension mutuelle.</p>
<h2>Triple agenda</h2>
<p>Au vrai, des tentatives de réconciliation ont bien lieu, poussées par les organisations de la société civile. Le projet <a href="http://www.rfi.fr/europe/20110429-rekom-tout-savoir-enfin-crimes-guerre-espace-post-yougoslave">Recom</a>, qui vise à créer une grande Commission vérité et réconciliation, est toujours au point mort car aucun gouvernement n’en veut vraiment. Il existe également des projets de manuels d’histoire communs pour lutter contre le révisionnisme officiel. Néanmoins, cela ne peut que rester marginal sans volonté politique forte de s’engager sur cette voie.</p>
<p>Les acteurs extérieurs, comme l’Union européenne, peuvent-ils jouer un rôle dans ce processus de longue haleine ? L’équilibre est fragile entre d’un côté, la possibilité politique et juridique pour l’UE et les États membres de faire pression sur les États candidats (ce qui exclurait malheureusement la Croatie) afin de mettre en œuvre le projet Recom, et de l’autre l’hostilité immédiate que le projet susciterait s’il était perçu comme imposé de l’extérieur. Il en va de même en ce qui concerne la question cruciales des personnes disparues dans la mesure où œuvrer pour les retrouver fait partie des obligations des États candidats à l’UE au titre du chapitre 23 des négociations.</p>
<p>Croire en la justice internationale grâce au TPIY, lutter pour la vérité historique malgré le TPIY, et travailler à la réconciliation par le bas par-delà le TPIY : voilà le triple agenda qui s’ouvre à présent que le TPIY ferme ses portes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Créé en 1993, en plein conflit en ex-Yougoslavie, le TPIY ferme ses portes à l’issue du procès de l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, chercheur au CERAPS, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/715022017-01-24T21:45:24Z2017-01-24T21:45:24ZKosovo : l’arrestation qui embarrasse Pristina, Belgrade et Paris<p>L’arrestation en France à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, le 4 janvier dernier, de l’ancien Premier ministre du Kosovo Ramush Haradinaj a constitué une véritable surprise, bonne à Belgrade où l’on n’en espérait pas tant, mauvaise à Pristina, où l’ambassade de France a été le théâtre de manifestations populaires réclamant la libération de « Rambo » (son nom de guerre). Arrêté sur la base d’un mandat d’arrêt Interpol émis par la Serbie en 2004, la justice française a décidé de libérer Haradinaj sous caution en attendant de juger si la demande d’extradition serbe est valable, notamment au regard des deux acquittements prononcés – en avril 2008 puis en novembre 2012 (en appel) – en sa faveur par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).</p>
<p>Cet événement, qui s’insère dans une dangereuse recrudescence de tensions dans la région entre la Serbie et le Kosovo, peut être analysé à une double échelle. D’une part, en fonction de ses conséquences politiques et diplomatiques, à la fois pour le Kosovo, la Serbie mais aussi la France, et d’autre part du point de vue de la justice internationale. Vue sous cet angle, cette arrestation signe, en réalité, le double échec du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), à la veille de sa fermeture cette année, tant sur le plan de la justice que sur celui de l’Histoire.</p>
<h2>Guêpier politique</h2>
<p>Il semble, tout d’abord, que cette arrestation soit le résultat d’un mauvais concours de circonstances et de consignes qui ne sont pas transmises entre les différents services. Haradinaj voyage fréquemment en Europe, y compris en France, sans que cela ne pose jamais de problème. Cette fois-ci, les autorités locales n’ont fait qu’appliquer la procédure lorsqu’un mandat d’arrêt Interpol clignote sur l’écran, créant un imbroglio politique qui ne bénéficie à personne. On peine, en effet, à voir quel intérêt la France aurait dans cette affaire, surtout compte tenu de son historique de coopération aléatoire avec la justice internationale en ce qui concerne le TPIY, par exemple <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2005-03-01-gotovina">sur le dossier Gotovina</a>.</p>
<p>Quelle que soit la décision rendue par la Cour de Colmar, elle fera nécessairement un déçu. Il s’agit donc d’un guêpier politique dans lequel il n’y a rien à gagner, même si une extradition à Belgrade serait nettement plus périlleuse que la libération d’Haradinaj.</p>
<p>Du côté du Kosovo, bien qu’Haradinaj soit présentement dans l’opposition à l’actuel gouvernement, il n’en demeure pas moins considéré comme un héros par la population. Seulement cette arrestation vient mettre en relief la mise sur pied prochaine d’un nouveau tribunal spécial (personnel et juges internationaux, application du droit local du Kosovo) basé à La Haye, chargé de juger les crimes de guerre commis par l’Armée de libération du Kosovo (UÇK) pendant et après l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1998-1999. Or, s’il a été estimé nécessaire par les puissances occidentales d’imposer à un Kosovo récalcitrant la création de ce tribunal, en dehors de son territoire, c’est précisément parce qu’il était pratiquement impossible de juger ces crimes sur place.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/153904/original/image-20170123-8082-z27qbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/153904/original/image-20170123-8082-z27qbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/153904/original/image-20170123-8082-z27qbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/153904/original/image-20170123-8082-z27qbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/153904/original/image-20170123-8082-z27qbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/153904/original/image-20170123-8082-z27qbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/153904/original/image-20170123-8082-z27qbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hashim Thaçi, l’ancien dirigeant de l’UÇK.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:MSC_2014_Thaci_Moerk_MSC2014.jpg">Kaï Mörk/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En outre, l’arrestation d’Haradinaj permet de rappeler que celui-ci doit son double acquittement par le TPIY non pas à son innocence manifeste, mais à l’intimidation généralisée des témoins de l’accusation et la <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/articles/kosovo-comment-la-ldk-fait-taire-les-temoins-proteges-du-proces-haradinaj.html">disparition physique (tués ou morts de façon suspecte) de neuf d’entre eux pendant la procédure</a>.</p>
<p>Or, si ce nouveau tribunal cherche vraiment à faire la lumière sur les crimes de guerre de l’UÇK, il devra alors mettre en cause toute son ancienne direction – ce qui signifie ni plus ni moins décapiter la classe politique actuellement au pouvoir, à commencer par le président de la République, Hashim Thaçi. Ancien leader de l’UÇK, celui-ci est nommément cité dans de nombreuses enquêtes ainsi que dans le <a href="http://assembly.coe.int/nw/xml/News/FeaturesManager-View-FR.asp?ID=964">rapport Marty du Conseil de l’Europe en 2010</a> sur un trafic d’organes présumé.</p>
<h2>Mauvaise affaire pour Belgrade</h2>
<p>Enfin, cette arrestation n’est pas forcément une bonne affaire non plus pour la Serbie, contrairement aux apparences. Il y a, en effet, deux hypothèses. Soit tout ce qui figure dans le mandat d’arrêt serbe est couvert par les acquittements du TPIY, auquel cas celui-ci sera jugé sans valeur, et l’on demandera à Belgrade d’annuler les autres mandats émis sur les mêmes bases contre d’autres individus. Soit les Serbes démontrent qu’ils ont de nouvelles charges, de nouvelles preuves par rapport à un mandat vieux de 12 ans.</p>
<p>Dans cette hypothèse improbable, une extradition de Ramush Haradinaj à Belgrade ne manquerait pas de provoquer une très grave crise politique dont personne ne peut mesurer les conséquences, d’où l’embarras de la France. D’autre part, cela signifierait que ces éléments nouveaux n’auraient pas été délivrés par la Serbie au TPIY, contrairement à son obligation de pleine coopération dans le cadre du processus d’intégration européenne. Or, si jamais la Serbie a bel et bien des éléments dont le TPIY n’a jamais eu connaissance, on peut supposer sans peine qu’elle en a également dissimulés à propos des crimes commis par sa propre armée et sa propre police au Kosovo. Les Serbes veulent-ils vraiment s’engager sur cette voie ?</p>
<h2>Les deux fautes du TPIY</h2>
<p>Par ailleurs, le cas Haradinaj doit s’analyser à l’aune du bilan du TPIY qui ferme ses portes. Or, le double acquittement de l’ancien Premier ministre du Kosovo fait partie des taches sombres du tribunal, vis-à-vis de ses deux missions, à savoir la justice d’une part, et la mise au jour de la vérité des conflits yougoslaves de l’autre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/153898/original/image-20170123-8093-1ln3a9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/153898/original/image-20170123-8093-1ln3a9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/153898/original/image-20170123-8093-1ln3a9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/153898/original/image-20170123-8093-1ln3a9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/153898/original/image-20170123-8093-1ln3a9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/153898/original/image-20170123-8093-1ln3a9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/153898/original/image-20170123-8093-1ln3a9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une banderole de soutien à l’ancien Premier ministre du Kosovo en 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/quinnanya/5013892154/in/photolist-dTWujc-8D4vss">Quinn Dombrowski/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, ces dernières années, le tribunal s’est caractérisé par l’incohérence de l’interprétation de ses juges. Ainsi une semaine avant l’acquittement du leader politique serbe Vojislav Seselj le 31 mars 2016, d’autres juges avaient affirmé dans le cas de Radovan Karadzic que Seselj avait fait partie de l’entreprise criminelle conjointe serbe. Comment se peut-il qu’une semaine plus tard, d’autres magistrats aient pris une décision totalement contraire ? Le caractère erratique des décisions du TPIY, déjà aperçu dans <a href="http://ihej.org/programmes/justice-penale-internationale/tpiy-la-justice-internationale-fait-elle-fausse-route/201307/">d’autres acquittements très controversés dont celui d’Haradinaj</a>, ne peut que fragiliser l’ensemble de ses décisions, et la justice internationale elle-même.</p>
<p>La seconde faute commise par le tribunal est plus grave encore car elle sanctionne la trahison de sa mission d’établir les faits afin d’œuvrer à la réconciliation régionale entre les peuples issus de la Yougoslavie. D’une semaine à l’autre, les <a href="http://www.icty.org/x/cases/karadzic/tjug/fr/160324_judgement_summary.pdf">attendus des verdicts de Karadzic et de Seselj</a> ont donné l’impression de ne pas parler de la même guerre. De fait, le tribunal a tout simplement défait l’Histoire en balayant d’un revers de main le caractère intrinsèquement criminel du projet politique de « Grande Serbie » (ou de Grande quoi que ce soit). Dès 1992-1993, les rapports de l’ONU soulignaient toutefois que le nettoyage ethnique n’était pas une conséquence malheureuse de la guerre, mais au contraire son objectif prioritaire. On ne peut donc pas séparer la guerre du nettoyage ethnique.</p>
<p>C’est pourtant ce que les juges du TPIY ont fait dans l’acquittement de Seselj, et avant lui de Jovica Stanisic et Franko Simatovic, deux responsables chargés de faire le lien entre le régime de Belgrade et les groupes paramilitaires qui nettoyaient l’est de la Bosnie. Il n’y a donc plus que des crimes individuels, commis par des personnes individuelles, mais l’architecture intellectuelle et politique globale du conflit est dissoute.</p>
<h2>Vague de révisionnisme dans la région</h2>
<p>À cause des décisions incohérentes du tribunal, il n’y a plus de narration possible de la guerre qui puisse permettre aux peuples de s’écouter et de dialoguer. Comment s’étonner alors que ces verdicts alimentent une forte vague de révisionnisme et de nationalisme, une <a href="http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/ex-yougoslavie-seselj-acquitte-la-boucle-du-revisionnisme-est-bouclee">vague qui n’a jamais été aussi puissante depuis les années 1990 dans la région ?</a></p>
<p>Le cas de Ramush Haradinaj, innocent aux yeux de la justice internationale, renvoie donc le TPIY à ses propres insuffisances, puisqu’il faut aujourd’hui passer par la création d’un autre tribunal pour véritablement juger des crimes à côté desquels le TPIY est passé. Il renvoie également le Kosovo face à son propre passé et ne devrait pas manquer de renvoyer la Serbie face au sien, car aucun dialogue sincère ne peut avoir lieu dans le déni et le révisionnisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/71502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cet événement s’insère dans une dangereuse recrudescence de tensions dans la région entre la Serbie et le Kosovo. Et souligne cruellement les insuffisances de la justice internationale.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, chercheur au CERAPS, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/571992016-04-04T10:39:22Z2016-04-04T10:39:22ZLe TPIY, force et limites de la justice internationale<p>Pressions politiques, intimidations de témoins, <a href="http://www.ina.fr/video/2247914001014">assassinat d’un premier ministre serbe</a> pour sa collaboration avec la justice internationale, jugements controversés, l’histoire du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et de ceux qui l’ont côtoyé a l’odeur et le goût de la fiction. Mais pourtant derrière le roman du TPIY se dessinent des enjeux majeurs en termes de relations internationales ainsi qu’un héritage complexe pour les sociétés de l’ex-Yougoslavie.</p>
<p>Depuis longtemps, le TPIY n’avait plus fait l’actualité comme ces derniers jours : condamnation justifiée à 40 ans de prison <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/03/24/radovan-karadzic-condamne-a-quarante-ans-de-prison-pour-genocide_1441680">pour Radovan Karadzic</a> – le chef politique des Bosno-Serbes – pour sa responsabilité dans les politiques de nettoyage ethnique ; emprisonnement absurde à six jours de prison de la <a href="http://www.rfi.fr/emission/20160403-florence-hartmann-ex-journaliste-monde-porte-parole-procureur-tpiy">journaliste française Florence Hartmann</a>, pour avoir divulgué des documents ; acquittement-surprise de l’ultranationaliste serbe, Vojislav Seselj. Une fois encore, les décisions du TPIY ont déçu certains et en ont ravi d’autres.</p>
<p>Justice à la solde de l’OTAN ? Cirque juridico-médiatique ? Instrument essentiel pour rétablir la paix et construire la réconciliation ? Vingt-trois ans après sa création et vingt mois avant sa fin programmée, le TPIY est toujours honni ou, au contraire, célébré comme une étape majeure dans la lutte contre l’impunité.</p>
<h2>Trois acquittements controversés</h2>
<p>L’acquittement, le 31 mars, de <a href="http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/ex-yougoslavie-seselj-acquitte-la-boucle-du-revisionnisme-est-bouclee">Vojislav Seselj</a> restera sans doute comme l’un des trois grands procès du TPIY qui frustreront le plus les victimes, avec celui de l’ex-premier ministre du Kosovo, Ramush Haradinaj et celui du général croate, Ante Gotovina.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/117286/original/image-20160404-27112-i3db4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/117286/original/image-20160404-27112-i3db4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/117286/original/image-20160404-27112-i3db4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/117286/original/image-20160404-27112-i3db4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/117286/original/image-20160404-27112-i3db4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/117286/original/image-20160404-27112-i3db4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/117286/original/image-20160404-27112-i3db4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Portrait du général Ante Gotovina, héros pour les nationalistes croates.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/hugovk/9188280/in/photolist-4gQTAu-3cHmLW-6YyVrn-e8FX9-cX8ywU-9yXHrn-4BirbD-P6mC">hugovk/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rappelons qu’en 1991, 200 blessés croates alors prisonniers de guerre avaient été froidement assassinés par des soldats serbes ainsi que par des paramilitaires, des volontaires du Parti radical serbe fondé par Seselj. Après l’avoir incarcéré pendant 12 ans, les juges du TPIY ont estimé, malgré tout, que Seselj s’était borné à défendre l’idée d’une grande Serbie et avait participé à « l’effort de guerre » sans avoir une responsabilité directe dans les crimes commis en Croatie et en Bosnie entre 1991 et 1995.</p>
<p>Pourtant, Seselj avait levé une milice, les Aigles blancs, qui s’était illustrée de sinistre manière, et avait affirmé que « si nécessaire, il achèverait lui-même les Croates avec une fourchette rouillée ». Des propos que le TPIY n’a curieusement pas assimilés à de l’incitation à la haine.</p>
<p><a href="http://www.icty.org/en/press/trial-judgement-in-the-case-of-vojislav-seselj-delivered">Ce jugement</a> – qui pourrait être revu en appel – s’ajoute à deux autres acquittements très controversés du TPIY. On citera d’abord celui de Ramush Haradinaj, accusé de crimes de guerre contre des Serbes et des Roms et dont les témoins-clefs se sont, soit volatilisés, soit sont morts de manière suspecte ou se sont encore rétractés. Il en va de même pour le <a href="http://www.huffingtonpost.fr/celine-bardet/gotovina-acquitte-croatie_b_2154923.html">général croate, Ante Gotovina</a>, condamné en première instance à 24 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité avant d’être acquitté en appel.</p>
<p>Gotovina avait été le responsable de l’opération « Tempête » qui visait à reconquérir en 1995 les Krajinas occupées par les forces serbes. Cette opération s’était soldée par la fuite de 200 000 Serbes, dont les familles étaient parfois établies depuis des siècles sur ces territoires.</p>
<h2>Une révolution juridique</h2>
<p>Alors que 149 procédures sont désormais closes (dont 19 acquittements), comment appréhender plus de deux décennies de vie du TPIY, au-delà de ces trois jugements qui ont, en partie, entaché la crédibilité du tribunal ? Sans doute faudrait-il répondre comme Zhou Enlai, qui interrogé sur l’analyse qu’il portait sur la Révolution française deux siècles après qu’elle se soit produite, jugeait qu’il était encore trop tôt pour répondre.</p>
<p>Mais passons outre pour constater que le TPIY a été le déclencheur d’une révolution juridique aux effets très politiques. Qui aurait pensé que les murs de la souveraineté nationale puissent être remis en cause si fondamentalement ? Qui aurait imaginé il y a seulement 25 ans que des présidents en exercice puissent un jour être accusés de crimes contre l’humanité ? C’est pourtant ce qu’a fait la Cour pénale internationale créée dans le sillage du TPIY.</p>
<p>Les décisions du TPIY font aujourd’hui jurisprudence sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. Le viol a reçu une attention sans précédent puisque près de la moitié des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles. C’est aussi le premier tribunal pénal international à avoir considéré que le viol utilisé comme une torture ou à des fins d’esclavage sexuel constituait un crime contre l’humanité.</p>
<h2>Dans le temps de la guerre</h2>
<p>Institution post-Guerre froide, le TPIY a introduit la justice internationale dans le temps même de la guerre. Un audacieux pari aux résultats mitigés. En réalité, l’impératif de la recherche de la paix a primé sur celle de la justice. Ainsi, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, les deux principaux chefs bosno-serbes en charge des politiques de nettoyage ethnique, n’ont été inculpés qu’après les massacres de Srebenica de juillet 1995, car jusque-là, ils étaient considérés comme des partenaires indispensables pour un accord de paix.</p>
<p>Depuis, de nombreux efforts ont été accomplis pour mieux réguler la <a href="http://www.confluences-mediterranee.com/Paix-et-chatiment-les-guerres">tension entre la recherche de la paix et de la justice</a>, mais celle-ci subsiste toujours : il suffit de voir les tergiversations et les volte-face des puissances occidentales à l’égard du président syrien, Bachar al-Assad. Pour moralement séduisante que soit l’idée d’une justice en temps de guerre, est-elle efficace ?</p>
<p>De fait, l’environnement politique a conditionné l’action du TPIY, indépendamment de la qualité des juges. Cela s’est vérifié une nouvelle fois lorsque les grands pays occidentaux, principaux soutiens du TPIY, se sont trouvés engagés dans une confrontation militaire avec la Serbie, et que le porte-parole de l’OTAN mit en garde le tribunal, affirmant « qu’il ne fallait pas mordre la main qui vous nourrit »… Difficile exercice d’indépendance pour un tribunal, soumis à la bonne volonté des Etats pour accéder aux lieux de crimes, obtenir des preuves, consolider des actes d’accusation et appréhender des inculpés.</p>
<h2>Négationnisme vivace</h2>
<p>Reste le point le plus délicat : quel a été l’impact du premier tribunal pénal international pour les sociétés de l’ex-Yougoslavie ? Même s’il est trop tôt pour prononcer un jugement d’ensemble, le résultat à l’heure actuelle est en demi-teinte. En dépit des quelques jugements controversés, le TPIY a écrit l’histoire des guerres de l’ex-Yougoslavie des années 1990. Il a amplement documenté les crimes commis par tous les protagonistes. Vingt accusés, et non des moindres, ont plaidé coupables. Ce n’est pas rien.</p>
<p>Il faut cependant ajouter que la majorité des populations de l’ex-Yougoslavie n’ont jamais adhéré au travail du tribunal et que le négationnisme reste vivace. Les propagandes nationalistes ont leur part de responsabilité dans cet échec. In fine, l’expérience du TPIY suggère surtout qu’un tribunal international ne peut trouver sa véritable efficacité comme instrument de réconciliation que s’il s’inscrit dans un processus politique de rapprochement entre ex-ennemis infiniment plus vaste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/57199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Hazan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Karadzic condamné, Seselj acquitté, Florence Hartmann embastillée… Le TPI sur l’ex-Yougoslavie est revenu sur le devant de la scène ces derniers jours. L’occasion de dresser le bilan de son action.Pierre Hazan, professeur associé, Université de NeuchâtelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/529332016-01-11T05:42:33Z2016-01-11T05:42:33ZKosovo-Serbie : un projet européen à relancer d’urgence<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/107685/original/image-20160109-8731-1alzxvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lors d'un concert en novembre 2010, à Pristina.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/agons/5158551501/in/photolist-8RQVD8-fcE5hX-4sP1Le-sa6znt-eUoLGy-hxtViu-fCQK3e-5YueiL-nkq2do-9vLaLp-94yZkK-dV7Lwb-nkJV3b-8zMy4o-4rEAXB-7PWx5e-826hF7-5h7FHn-65jGj8-6g9SoK-53PJ32-65BJL5-93SG7T-93RUvx-5hc31j-52GAd2-efHyuP-e6YemG-8267sh-te1Lfh-7kixcF-fD7Wv3-8jDQdc-iseqbw-hKLAaW-4MTAGn-d8MRrJ-7289jU-9YNcNf-4qYxDb-8MV5vb-8besFW-7UVFJQ-iseKFp-fD8gW7-dwsB5B-5TKiy-ht3Ugn-957AcM-4fcPmx">Agon Syla/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 26 août 2015, à Bruxelles, la chef de la diplomatie de l’Union européenne Federica Mogherini, le premier ministre du Kosovo Isa Mustafa et son homologue serbe Aleksandar Vučić se serraient la main à l’issue de la cérémonie de signature d’un <a href="http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/08/26/la-serbie-et-le-kosovo-scellent-un-accord-historique_4736694_3214.html">accord considéré comme « historique »</a> pour la normalisation des relations entre les deux pays. Mais depuis lors, l’opposition kosovare – dont le parti Vetëvendosje (« Autodétermination ») est devenu le porte-drapeau – descend régulièrement dans les rues des principales villes du Kosovo pour dénoncer le danger de « morcellement du pays ».</p>
<p>À vrai dire, Vetëvendosje s’est toujours opposé aux négociations entre le Kosovo et la Serbie. Il s’y oppose, par principe, tant que la Serbie n’a pas reconnu les exactions commises au Kosovo lors du conflit de 1998-1999. Il s’y oppose également, ainsi que certains de ses dirigeants l’affirment souvent, afin d’empêcher le processus de décentralisation à base ethnique engagé depuis la proclamation de son indépendance en 2008. En recourant à ces manifestations, l’opposition cherche à témoigner de son mécontentement à l’égard du gouvernement Mustafa dont les faibles perspectives économiques et le fort taux de chômage ont poussé des milliers de jeunes kosovar(e)s à <a href="http://www.liberation.fr/planete/2015/10/28/les-kosovars-chasses-pour-faire-place-aux-syriens_1409605">quitter le pays</a>. Elle veut ainsi aussi montrer son attachement à l’idée d’un État unitaire fort qui résiste aux dissonances de la géopolitique européenne ou régionale.</p>
<p>Dans le cas présent, cependant, cette opposition va beaucoup plus loin. Depuis 2013, date de signature d’un accord de principe sur la normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie, on savait que l’opposition kosovare entendait rejeter un des points cruciaux des négociations, celui concernant la création des associations des municipalités serbes (en serbe « Zajednica »). Elle les considère comme le prélude d’une nouvelle « Republika Srpska » (l’entité serbe de Bosnie), un « État dans l’État » qui préparerait le terrain à la « bosnianisation » du Kosovo.</p>
<p>Après un blocage continu des séances parlementaires prévues pour voter cet accord – du <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2015/12/14/01003-20151214ARTFIG00267-kosovo-l-opposition-utilise-du-gaz-lacrymogene-au-parlement-pour-exprimer-son-desaccord.php">gaz lacrymogène a été lancé</a> à plusieurs reprises par des députés de l’opposition –, le Tribunal constitutionnel du Kosovo a finalement été saisi le 30 octobre 2015 par la Présidente Atifete Jahjaga afin de trancher sur sa compatibilité avec la Loi fondamentale. Verdict : l’accord est maintenu, mais plusieurs points – ceux traitant des pouvoirs exécutifs prévus pour les Zajednica – ont été <a href="http://www.gjk-ks.org/repository/docs/gjk_ko_130_15_ang.pdf">jugés anticonstitutionnels</a>. Certains ont pu être tentés d’expliquer ce rejet, comme ils le font parfois lorsqu’il s’agit des rapports politiques dans les Balkans, d’un point de vue ethno-national. Pourtant, sur les sept juges composant le Tribunal constitutionnel, deux seulement appartiennent à la communauté albanaise, quoique celle-ci représente 90 % de la population totale du Kosovo.</p>
<h2>Structures parallèles serbes</h2>
<p>Cette décision du Tribunal constitutionnel du Kosovo suscite une certaine perplexité à l’égard des acteurs de ces négociations. Elle ruine un peu plus la confiance qu’ont les Kosovars envers l’Union européenne, renforçant corrélativement la position des États-Unis. Un nouveau round de négociations entre le Kosovo et la Serbie va s’imposer au cours de l’année 2016, sous l’égide de l’Union européenne qui entend jouer un rôle actif dans la réconciliation entre les deux pays. Deux séries de préoccupations semblent devoir guider l’UE dans sa conduite prochaine à l’égard de ce processus :</p>
<p>— Premier objectif : empêcher les ingérences de la Serbie et de l’Albanie voisines au Kosovo et permettre au nouvel État, reconnu depuis 2008 par 107 pays (dont 23 pays membres de l’UE), d’étendre son contrôle institutionnel sur tout le territoire. Indirectement, cette démarche semble viser, à long terme, à forger une identité nationale propre au nouvel État. Une idée qui suscite des critiques en Serbie comme dans l’Albanie voisine, car le Kosovo constitue un enjeu concurrentiel de leurs mémoires nationales.</p>
<p>Mais si l’Albanie, trop absorbée par ses propres problèmes politiques, ne semble pas avoir la moindre volonté de s’immiscer dans les affaires intérieures du Kosovo, on ne peut pas en dire autant de la Serbie dont l’influence politique sur les habitants serbes au nord du pays reste très forte. Or, avec la signature du dernier accord, la Serbie s’engage à jouer un rôle clé dans la dissolution progressive des structures parallèles serbes et à faciliter leur intégration au sein de l’État du Kosovo.</p>
<p>— Second objectif de l’UE : il concerne une problématique commune au Kosovo et à la Serbie, à savoir l’adhésion à l’Union européenne. Pour le moment, cette dernière se présente comme un projet à deux vitesses : plus qu’à normaliser les rapports avec le Kosovo, la signature de l’accord entre Belgrade et Pristina a surtout contribué à normaliser les rapports de la Serbie avec Bruxelles. Ainsi l’UE vient d’ouvrir les deux premiers chapitres (sur 35) de <a href="http://fr.euronews.com/2015/12/15/la-serbie-debute-le-long-processus-des-negociations-d-adhesion-a-l-union/">la procédure d’adhésion</a>.</p>
<p>En échange de son adhésion à l’UE, la Serbie s’est engagée à ne pas s’opposer à celle du Kosovo. Cet accord du 26 août 2015 et les dernières promesses de la Serbie ont été interprétés par la jeune diplomatie kosovare comme « une sorte de reconnaissance » par Belgrade du nouvel État du Kosovo – expression qui en soi ne veut pas dire grand-chose.</p>
<h2>L’enjeu des visas</h2>
<p>Tandis que le premier ministre serbe <a href="http://www.eubusiness.com/news-eu/serbia-kosovo.141x/">Vučić déclarait</a> avoir obtenu plus que ce qu’il espérait de cet accord, le gouvernement du Kosovo, au regard des événements des derniers mois, subit des effets inattendus de la signature de cet accord. Ainsi, alors qu’il espérait montrer le visage d’un État fort en prenant sous contrôle le nord du pays, le caractère anticonstitutionnel de plusieurs points de l’accord signé a porté un coup dur à sa légitimité et a offert un argument de plus à l’opposition qui a de nouveau manifesté le 9 janvier.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/107668/original/image-20160108-3345-hbzpvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/107668/original/image-20160108-3345-hbzpvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/107668/original/image-20160108-3345-hbzpvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/107668/original/image-20160108-3345-hbzpvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/107668/original/image-20160108-3345-hbzpvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/107668/original/image-20160108-3345-hbzpvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/107668/original/image-20160108-3345-hbzpvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Premier ministre du Kosovo, Isa Mustafa, La Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini et le premier ministre de la Serbie, Aleksandar Vučić.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo de CEEAS</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quant aux perspectives européennes pour le Kosovo, qui paraissent bien lointaines, la signature de l’accord n’a pu nourrir que le faible espoir d’une libéralisation du régime des visas, rapidement écartée malgré le soutien de la députée verte autrichienne <a href="http://www.balkaninsight.com/en/article/lunacek-fires-back-at-thaci-on-his-visa-liberalisation-anger-12-21-2015">Ulrike Lunacek</a>. Cette évolution imprévue a poussé le Premier ministre kosovar Isa Mustafa à déclarer, lors d’un récent entretien avec la radio « Deutsche Welle », que sans la libéralisation du régime des visas, il n’y aurait plus de nouvelles <a href="http://www.balkaninsight.com/en/article/lunacek-fires-back-at-thaci-on-his-visa-liberalisation-anger-12-21-2015">négociations avec la Serbie.</a></p>
<p>On pourrait s’arrêter longuement sur les futures manœuvres du gouvernement Mustafa qui de fait est sorti affaibli de la signature de l’accord du 26 août. Mais on ne peut, aussi, que s’étonner du rôle flottant des négociateurs européens qui l’ont supervisé. Ces derniers, comme vient de le déclarer Maja Kocijancic, porte-parole de la chef de la diplomatie européenne, continuent d’ailleurs à inviter le gouvernement kosovar à <a href="http://m.albeu.com/lexo.php?kat=175&nr=225941">concrétiser l’accord</a> alors que plusieurs de ses points s’opposent à la Constitution du Kosovo. Comment expliquer cette insistance ? Et au vu de la situation tendue créée au Kosovo par la négociation de cet accord, peut-on réellement considérer ce dernier comme un succès de la diplomatie européenne ?</p>
<h2>Un projet européen en perte de vitesse</h2>
<p>Le travail de la diplomatie de Bruxelles pourrait se révéler déterminant, dans les mois qui viennent, si celle-ci parvenait à relancer un projet auquel les citoyens du Kosovo et ceux du reste des Balkans de l’Ouest ne croient plus vraiment : le projet européen. Bien entendu, le discours sur les perspectives d’adhésion reste toujours dans les agendas des politiques locales des pays de cette région du Vieux Continent. Mais plus qu’à nourrir les illusions de leurs propres citoyens, il sert à contenter les diplomates européens. À cet égard, le vocabulaire « européaniste » du pouvoir – que ce soit à Belgrade, à Pristina, à Tirana ou ailleurs – est très similaire, mais ces mêmes mots sont en voie de perdre de toute signification pour les peuples de ces pays.</p>
<p>C’est, précisément, pour cette raison que les prochaines discussions entre diplomates européens, kosovars et serbes ne doivent pas uniquement répondre à la nécessité du rituel. Au contraire, à la lumière des derniers événements, l’Union européenne doit prendre ses responsabilités, reconsidérer avec la plus grande importance cette région de l’Europe, et être en mesure de proposer des solutions à la hauteur de ses engagements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/52933/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arber Shtembari a obtenu une bourse de recherche dans le cadre de sa thèse doctorale par la Région Limousin.</span></em></p>Signé sous l’égide de Bruxelles en août dernier, l’accord de normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo provoque paradoxalement de fortes tensions. Il est urgent de sortir de l’impasse.Arber Shtembari, Docteur en sociologie, Université de LimogesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.