tag:theconversation.com,2011:/id/topics/fiction-34004/articlesfiction – The Conversation2023-12-22T06:38:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2196232023-12-22T06:38:04Z2023-12-22T06:38:04Z2050 : de Noël à la béatitude, la révolution des arbres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565264/original/file-20231212-19-s6r917.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C41%2C2492%2C1620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pratiquer le bain de forêt, une occasion de se reconnecter au monde ?</span> <span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Nous avons demandé à nos auteurs d’imaginer à quoi pourraient ressembler les fêtes de fin d’année en 2050. Damien Karbovnik, sociologue des religions et spécialiste des nouvelles pratiques spirituelles s’est attaché à décrypter la quête spirituelle de la famille Martin dans un monde où la nature se raréfie. Avec… bienveillance bien sûr !</em></p>
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<p>Ce réveillon de Noël 2050, la famille Martin a décidé de le fêter à la manière des « bienheureux », comme aiment à s’appeler eux-mêmes ceux qui ont fait le choix de vivre dans la <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/02/06/claude-martin-etre-bienveillant-cela-va-de-soi-mais_1627941/">« bienveillance »</a> au quotidien.</p>
<p>Noël, « <a href="https://books.google.fr/books?id=GjKDDQAAQBAJ&redir_esc=y">trop chrétien</a> » pour eux, n’est plus que noël, même s’ils concèdent qu’une partie du message du Christ, d’une certaine manière, est toujours d’actualité, mais ils refusent <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2010-1-page-41.htm">« tous ces dogmes et croyances dépassés »</a>.</p>
<p>Pour eux, pas besoin de se raconter d’histoires ni d’en raconter aux enfants. De Noël, ils ont gardé la date, « pour ne pas se déphaser avec les autres », ils en ont aussi gardé l’esprit, mais eux, « l’expériencent » vraiment. Ils célèbrent ce qu’ils appellent entre eux la « fête de la béatitude », fête pendant laquelle le bien-être n’est plus réservé aux seuls êtres humains.</p>
<h2>Une harmonie retrouvée</h2>
<p>Cette année, Gabriel et Jade Martin ont définitivement tranché : la fête se fera sans leurs parents. « <a href="https://www.cairn.info/magazine-cerveau-et-psycho-2019-10.htm">Trop toxiques</a> », nous confie-t-elle. Elle déplore de priver ses deux enfants, Kylian, 6 ans, et Louise, 8 ans, de ce lien familial, mais elle ne culpabilise pas.</p>
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<p>« Chaque année, c’est un peu pareil avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2016-53.htm?ora.z_ref=cairnSearchAutocomplete">milléniaux</a> : toujours des reproches, toujours des discours pessimistes sur l’avenir ; mais on les attend toujours, les catastrophes qu’ils nous ont prédites dans notre enfance. »</p>
</blockquote>
<p>Certes, la température a légèrement augmenté et il fait un petit 15° de moyenne, en ce mois de décembre 2050 en région parisienne, mais les quelques catastrophes climatiques de ces dernières années n’ont pas entamé la confiance du couple :</p>
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<p>« Nous on a décidé de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2013-7-page-53.htm">vivre au jour le jour</a> et on voit bien qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, on le voit bien que rien n’a vraiment changé en dehors de quelques problèmes ponctuels. »</p>
</blockquote>
<p>Gabriel enchaîne en nous expliquant qu’il ne supporte pas les conseils d’éducation de sa mère, toujours à les reprendre sur leur comportement vis-à-vis de leurs enfants. Pour lui, « ils ne comprennent rien à l’éducation assertive ». Bloqués dans « <a href="https://www.cairn.info/les-fondements-de-l-education-positive--9782100788033.htm">l’éducation positive</a> », ils accusent les milléniaux de créer une fausse ambiance de bien-être qui ne serait, selon lui, qu’une condescendance intergénérationnelle, devenue dorénavant intolérable.</p>
<p>Si les parents sont absents, ils passeront une partie du réveillon en visio avec la sœur de Jade, restée dans le Sud avec sa famille afin de limiter son empreinte carbone. Distanciel oblige, ils ne s’échangeront pas de cadeaux, mais des énergies positives, un « cadeau sans valeur commerciale », nous explique Jade, et qui rappelle « la simplicité d’un bonheur familial sans jugement, dans la paix et le respect de chacun ».</p>
<p>Le Sapin, quant à lui, est toujours là, mais il est holographique. Totalement virtuel, il est complètement modulable dans sa forme et sa décoration depuis une application installée sur l’une des tablettes de la famille. En 2050, il est devenu impensable pour un bienheureux de couper un arbre.</p>
<h2>Le sacre des arbres</h2>
<p>Depuis la publication de l’ouvrage de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Eu4mpUDKdTA">Peter Wohlleben</a>, la question du bien-être sylvestre a fait du chemin et a fini par rejoindre les adeptes du <a href="https://www.psychologies.com/Therapies/Developpement-personnel/Methodes/Articles-et-Dossiers/Sylvotherapie-le-pouvoir-bienfaisant-des-arbres/Shinrin-yoku-comment-profiter-des-bienfaits-du-bain-de-foret">shirin-yoku</a>, cette pratique initiée au Japon dans les années 1980 et qui a pour but de diminuer son stress et d’augmenter son bien-être par le contact avec la nature. Aussi appelé « sylvothérapie » ou « bain de forêt », le shirin-yku était dans un premier temps totalement centré sur le seul bien-être des êtres humains mais, au tournant des années 2030, de plus en plus de praticiens ont réussi à entrer en communication avec des arbres, dévoilant ainsi au monde entier la complexité de leur pensée et une philosophie sylvestre axée sur l’immobilité, le rythme des saisons et l’adaptation.</p>
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<figcaption><span class="caption">Découverte du shirin-yoku, France 3 Pays de Loire.</span></figcaption>
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<p>Pour Gabriel, la découverte du « message des arbres » avait été une véritable prise de conscience et, depuis ce jour, il n’avait plus jamais voulu faire de sapin de Noël.« La première fois que j’ai dit à mes parents qu’ils étaient des meurtriers, quand ils ont ramené un sapin à la maison, ils m’ont ri au nez », nous raconte-t-il, encore ému par l’événement.</p>
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<p>« Ça a été mon pire noël, je crois. Depuis, je me suis promis de faire de mon mieux pour passer noël en accord avec de vraies valeurs gaïennes ».</p>
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<p>Les valeurs <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-hypothese-gaia-de-james-lovelock-theorie-influente-et-controversee-1824581">gaïennes</a> ont peu à peu remplacé les valeurs « humanistes », bien trop anthropocentrées et limitées. Gabriel précise :</p>
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<p>« Comment veux-tu faire une fête sans tenir compte du bien-être de tous les êtres vivants qui t’entourent ? ».</p>
</blockquote>
<p>Jade se rappelle qu’au début, moqueries et critiques « pleuvaient sur la sylvothérapie », mais elles n’ont fait, selon elle, que rendre possible « la croissance de la conscience gaïenne » et, en même temps, favoriser le développement spirituel des humains.</p>
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<p>« Tout ça, nous dit-elle, nos parents ne le comprennent pas et viennent contaminer notre maison avec leurs énergies de meurtriers inconscients ».</p>
</blockquote>
<p>D’ailleurs, avant le repas du réveillon, Gabriel et Jade emmèneront leurs deux enfants à la grande <a href="https://www.cairn.info/la-meditation--9782715405677.htm">méditation</a> de la béatitude, organisée au pied d’un chêne que la légende dit pluriséculaire. Gabriel s’empresse alors de préciser :</p>
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<p>« C’est là que Saint Louis rendait la justice, les vibrations y sont vraiment très spéciales, elles ne sont pas seulement positives, elles sont justes. Je crois que c’est l’un des meilleurs endroits au monde pour tenter de communiquer avec un arbre ».</p>
</blockquote>
<p>En effet, comme chaque année depuis près de vingt ans maintenant, tous les bienheureux se réunissent le jour de noël au pied d’arbres célèbres à travers le monde entier pour communiquer leurs énergies bienveillantes aux arbres, afin qu’ils puissent se défendre contre les intempéries et surtout les incendies, tout en continuant à nous protéger contre le réchauffement climatique. Jade est formelle :</p>
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<p>« Depuis que la pratique s’est répandue, le climat s’est stabilisé ».</p>
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<h2>Un repas en pleine conscience</h2>
<p>Pour le repas, en apparence, rien n’a changé quand on entend Gabriel et Jade en décliner le menu. Pourtant, le foie gras servi en entrée est de synthèse, car depuis la fin des années 2020 plus aucun foie gras produit « à l’ancienne » n’est toléré dans l’Union européenne. À table, les aliments d’origine animale sont d’ailleurs rares. Gabriel nous explique qu’ils ne sont pas végans, dans sa famille, mais qu’ils pratiquent « l’alimentation consciente », c’est-à-dire qu’ils ne mangent pas plus de produits d’origine animale que ce dont ils ont « biologiquement besoin ». Et pour le peu de viande qu’ils mangent, ils s’assurent du respect du bien-être de l’animal.</p>
<p>Pour le plat principal, une traditionnelle dinde, mais Jade raconte comment elle est allée la choisir elle-même auprès d’un éleveur à proximité : le circuit-court est devenu, en effet, la seule source d’approvisionnement pour les produits frais. Surtout, elle a pu ainsi s’assurer par elle-même des conditions d’élevage de l’animal.</p>
<p>Mieux encore, nous dit-elle, avec la dinde qu’elle mangera à noël, elle a pu pratiquer la « <a href="https://www.marianne.net/societe/sciences-et-bioethique/communication-animale-une-nouvelle-derive-sectaire-qui-menace-autant-les-betes-que-les-humains">communication animale</a> ». En approchant sa main de la tête de l’animal, elle est parvenue à communiquer avec elle et à l’informer de ce qui allait se passer. « Comme ça, explique-t-elle, l’animal comprend son destin et donne son consentement à son accomplissement ».</p>
<p>Outre un élevage et un abattage éthiques, Jade estime que la communication animale est le meilleur moyen de savoir si l’animal a réellement vécu une vie heureuse et s’il accepte de faire don de lui pour perpétuer le cosmos.</p>
<p>Gabriel s’empresse alors de préciser que le soir du réveillon, lorsque la dinde sera servie, et avant d’y goûter, il s’assurera que l’âme de la dinde aura trouvé son chemin dans l’après-vie. Réunie autour de la table, se tenant les mains, la famille assistera au <a href="https://www.cairn.info/le-chamanisme--9782130792840-page-101.htm">voyage chamanique</a> de Gabriel qui, une fois passé dans l’autre monde, dialoguera avec l’esprit de la dinde afin de s’assurer que son âme a bien quitté son corps.</p>
<p>Et cette vérification n’est pas superflue, nous raconte Gabriel : deux ans plus tôt, l’âme de la dinde avait refusé de quitter son corps. Il l’avait alors accompagnée, en lui montrant la « voie des étoiles ».</p>
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<p>« Vous vous rendez compte, s’inquiète-t-il, on est passé à côté d’une catastrophe énergétique ! Mes parents nous assuraient qu’après la cuisson, il ne pouvait plus rester d’âme qui vive dans la dinde. Cette anecdote m’a permis de comprendre définitivement qu’ils n’étaient ni éveillés ni prêts pour l’éveil. »</p>
</blockquote>
<p>Quant au dessert, la traditionnelle <a href="https://www.lexpress.fr/styles/plaisirs/saveurs/buche-de-noel-du-haut-de-ce-gateau-5000-ans-vous-contemplent_1306969.html">bûche</a>, pour des bienheureux, ne saurait être remplacée. Quoi de mieux pour symboliser la nouvelle alliance entre les hommes et les arbres ? Jade s’empresse alors de nous rappeler l’<a href="https://journals.openedition.org/nordiques/5445">origine païenne</a> de cette tradition, dénaturée par les chrétiens :</p>
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<p>« À l’époque païenne, ils n’avaient pas encore véritablement compris tout ce qui se jouait, mais ils avaient déjà senti que le lien qui nous unissait à l’Univers passait par les arbres ».</p>
</blockquote>
<h2>La fin du Père Noël</h2>
<p>Au réveil, au pied du Sapin holographique, il n’y aura pas cadeaux. Jade et Gabriel déplore cette tradition. Pour eux, c’est elle qui a détruit l’esprit de noël. « De la célébration du partage, on est passé à celle de la <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2014-2-page-229.htm">consommation</a> », s’insurge Gabriel. « Et je ne vous parle même pas de la question écologique », renchérit Jade. Mais ce qui les désespère le plus, l’un et l’autre, ce sont « toutes ces histoires de Père Noël ».</p>
<p>« C’est l’exemple même de la mauvaise idée, le Père Noël, explique Jade, agacée, et en plus, ça perpétue des <a href="https://www.nouvelobs.com/debat/20181221.OBS7492/le-pere-noel-est-il-un-symbole-du-patriarcat.html">schémas patriarcaux</a> malsains ». Pour elle, il vaut mieux « dire la vérité » aux enfants : c’est le meilleur moyen de les rendre conscients de la beauté des liens qui les unissent à nous et au cosmos.</p>
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<p>« Nous voulons élever nos enfants dans la confiance et la positivité. Rien de pire que de leur faire commencer leur vie par un mensonge et une trahison », témoigne Gabriel.</p>
<p>« Le jour de la béatitude, nous partageons le bonheur d’être réunis tous ensemble et reconnaissants de ce que chacun apporte à l’équilibre de notre famille, nous explique Jade, et le Sapin est là pour nous rappeler ce que nous devons aussi à la Nature. Tout ça, poursuit-elle, ça crée de bonnes énergies ».</p>
</blockquote>
<p>Bien sûr, Jade et Gabriel reconnaissent qu’il vaudrait mieux se comporter ainsi tous les jours, mais les aléas de la vie rendent difficile de rester positif à longueur de temps. Alors, l’ancien jour de Noël, devenu nouveau jour de la béatitude, est l’occasion de partager un peu plus de vibrations positives que d’habitude, de compenser les écarts de l’année et de rééquilibrer les énergies du cosmos.</p>
<p>Célébrer le bonheur d’être ensemble, dans la paix et le partage, n’est-ce pas là l’esprit originel de Noël ? Pour les Martin, c’est un peu plus compliqué, et Gabriel nous explique la différence :</p>
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<p>« On entend souvent la formule “Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté”, mais nous, on va beaucoup plus loin, on souhaite la paix à toutes formes de conscience, quelle qu’elle soit : homme, animal ou arbre ».</p>
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<p>La communion de toutes les formes de conscience dans le respect des particularités de chacun ne serait-elle pas finalement le secret du bonheur ? « À n’en pas douter », nous disent Jade et Gabriel, tout en ajoutant : « À la condition de tenir aussi à distance tous ceux qui nous nuisent par leurs énergies négatives ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219623/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Karbovnik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Passez les fêtes avec la famille Martin, en proie à une quête spirituelle dans un monde où la nature se raréfie. Avec… bienveillance bien sûr !Damien Karbovnik, Historien des religions, sociologue, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158172023-10-19T20:37:58Z2023-10-19T20:37:58Z« Anatomie d’une chute » et la question de l’interprétation du récit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554296/original/file-20231017-21-r8dcxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C1537%2C862&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans ce film de procès très bavard, le statut littéraire du récit est sans cesse questionné.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Vous ne contextualisez pas, vous délirez sur un détail ! »<br>
« Un roman n’est pas la vie, un auteur n’est pas un personnage ! »<br>
« Mais un auteur peut exprimer ses idées par ses personnages ! »</p>
</blockquote>
<p>Des bribes d’un cours de licence de lettres ? Des débats lors d’un colloque littéraire ? Non ! Il s’agit de certains échanges entre les personnages du film <em>Anatomie d’une chute</em> de Justine Triet, palme d’or du dernier Festival de Cannes, qui met en scène le procès de l’écrivaine Sandra Voyter, accusée d’avoir tué son mari Samuel.</p>
<p>On pourrait penser que ces échanges sont irréalistes. Mais la littérature s’invite parfois dans des procès bien réels : dans <em>Histoire de la violence</em>, Edouard Louis relate, de manière autobiographique, un épisode traumatique (une agression physique et un viol). Lors du procès, son avocat a renvoyé, dans sa plaidoirie, au récit de l’écrivain, alors que l’avocate de l’accusé a déclaré qu’Edouard Louis « avait confondu son roman avec la réalité ». La procureure elle, a appelé à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/24/au-proces-de-riadh-b-accuse-d-agression-sexuelle-par-edouard-louis-l-uvre-litteraire-omnipresente_6057212_3224.html">trouver une « vérité judiciaire » et non « littéraire »</a>.</p>
<p>La manière dont le film de Justine Triet traite la question du couple, du genre, de l’innocence et de la culpabilité a été abondamment commentée. Mais une autre question irrigue le film : celle de l’interprétation du récit littéraire (les deux protagonistes du couple étant, l’une écrivaine à succès, l’autre aspirant écrivain), notamment lorsque ce récit joue sur certaines marges troubles, entre fiction et non-fiction, représentation artistique et fidélité mimétique au réel et lorsqu’il se confronte à d’autres récits, qui ont leurs propres critères de cohérence, de validité, de recevabilité : le récit juridique, mais aussi le récit journalistique, le récit psychanalytique, le récit médical, le récit d’expert, etc.</p>
<p>Chaque catégorie peut par ailleurs se décliner en une multitude de récits : les récits des avocats comme ceux des experts peuvent être diamétralement opposés, par exemple. Le passage d’une langue à l’autre dans le film – de l’anglais au français et vice-versa – nous fait d’ailleurs littéralement entendre cette polyphonie.</p>
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<h2>L’autofiction, ou l’art de brouiller les limites entre fiction et réalité</h2>
<p>« What do you want to know ? » (« Que voulez-vous savoir ? ») demande, au tout début du film, Sandra à l’étudiante venue l’interroger. Elle veut savoir ce qui relève de la réalité et de la fiction dans les écrits de Sandra Voyter, et si l’écrivaine pense qu’on ne peut inventer, créer, qu’à partir de la réalité. Or la production littéraire de Sandra se situe dans un genre qu’on peut appeler <a href="https://theconversation.com/faut-il-en-finir-avec-lautofiction-72690">l’autofiction</a>. </p>
<p>Le terme a été employé pour la première fois en 1977 par l’écrivain et critique <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2812">Serge Doubrovsky</a> (pour qualifier son récit, <em>Fils</em>). Il mêle ce qu’on pourrait croire a priori opposé : l’autobiographie et la fiction. L’autofiction est en effet un récit inspiré par la vie de l’autrice ou de l’auteur du récit, mais un récit qui se permet de romancer, d’imaginer, qui ne veut pas se plier aux critères de sincérité, d’authenticité, de conformité aux faits qu’on associe souvent à l’autobiographie traditionnelle (et au « pacte autobiographique » tel qu’il a été défini par <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/le-pacte-autobiographique-philippe-lejeune/9782020296960">Philippe Lejeune</a>).</p>
<p>Le terme <em>autofiction</em> a donné lieu à de multiples définitions et à de multiples critiques, comme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/autofiction-philippe-gasparini/9782020973977">l’a montré</a> le chercheur <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/est-il-je-roman-autobiographique-et-autofiction-philippe-gasparini/9782020589338">Philippe Gasparini</a>. Il n’est notamment pas aisé de le distinguer du roman autobiographique comme <a href="https://www.honorechampion.com/fr/champion/10584-book-08534510-9782745345103.html">l’a résumé Sylvie Jouanny</a>, on peut distinguer deux tendances : l’une, référentielle, qui repose sur l’homonymie entre narrateur/narratrice, auteur/autrice et personnage et qui considère que « l’autofiction est un roman qui traite de la réalité, fût-ce dans le recours à la fiction », l’autre, fictionnelle, qui défend « la fiction plus que l’autobiographie » et s’intéresse au travail de « fictionnalisation de soi » (cette fictionnalisation pouvant remettre en cause l’homonymie entre narrateur/narratrice, auteur/autrice et personnage).</p>
<p>Dans <em>Anatomie d’une chute</em>, il est admis que Sandra Voyter écrit de l’autofiction en s’inspirant des éléments de sa vie (notamment l’accident de son fils, mais aussi ses relations avec son père). Lorsque l’étudiante, au début du film, essaie de distinguer ce qui est réel de ce qui est inventé, Sandra esquive et déplace le sujet de la conversation. Mais, tout au long du film, elle va devoir répondre aux questions de la police, de ses avocats, avant et pendant le procès.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour l’avocat général (Antoine Reinartz), l’œuvre de fiction produite par l’accusée contient des éléments qui sont de nature à l’incriminer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span>
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<p>Elle va devoir parler d’elle, de ses livres, et chaque élément de son discours va être disséqué, chacun des mots prononcés (ou échappés, comme lorsque l’étudiante appelle l’accusée par son prénom durant le procès) va être analysé comme on pourrait le faire dans une explication de texte.</p>
<h2>« Alors, on va vraiment entrer dans un débat littéraire ? »</h2>
<p>C’est lorsqu’un des livres de Sandra est brandi au procès, malgré les protestations d’une des avocates de la défense (« On ne juge pas des livres, on juge des faits ») qu’on se retrouve au cœur de questions débattues dans le monde de la recherche et de la critique littéraires.</p>
<p>Reprenons les échanges entre l’accusation et la défense et la manière dont ces débats incarnent différentes manières de lire l’œuvre littéraire.</p>
<p>Les questions posées sont fondamentales dès qu’il s’agit d’interpréter une œuvre littéraire : qui parle ? (le personnage ou l’auteur/l’autrice ?) Peut-on comprendre le sens d’un extrait (d’un livre ou d’un enregistrement – celui de la dispute du couple –) sans le mettre en rapport avec un contexte plus large ? Qui décide du sens d’un texte (la personne qui produit le discours ? Celle qui le reçoit ?)</p>
<p>L’accusation veut lire l’extrait d’un livre de Sandra Voyter, qui raconte les pensées d’un personnage qui éprouve le désir de tuer. L’accusation établit clairement un lien mimétique entre ce passage et la mort de Samuel : Sandra aurait préfiguré dans son roman son désir de tuer.</p>
<p>Pour la défense, c’est inacceptable : « Vous ne contextualisez pas ! Vous délirez sur un détail » ! L’extrait n’est pas contextualisé, il ne s’agit que d’un personnage secondaire, qui d’ailleurs ne passe pas à l’acte. Même dans le régime du texte littéraire, il ne s’agit que d’un fantasme, pas d’un fait. La défense reproche à l’accusation de surinterpréter en faisant d’un passage secondaire le cœur du livre – ce à quoi l’accusation répond que la défense avait également relevé ce passage, ce qui voudrait dire qu’elle le considérait bien comme significatif.</p>
<p>La défense insiste : il faut distinguer l’autrice du personnage. Le point de vue du personnage n’engage pas l’autrice. Il existe une différence entre le monde de la fiction (du personnage) et celui de la réalité (de l’autrice).</p>
<p>L’accusation se justifie alors sur ce dernier point : « Les livres de Sandra Voyter font partie du procès, elle y met son existence, notamment son couple ». Les livres de l’accusée appartiennent au récit de soi, d’inspiration autobiographique, on peut donc faire cette adéquation entre personnage et autrice puisqu’il ne s’agit pas de fiction.</p>
<p>Pour la défense, il ne s’agit pas d’autobiographie, mais d’autofiction, un genre qui se permet de réintroduire de la fiction dans l’écriture de soi. La défense essaie de ridiculiser la lecture de la littérature comme mimétique de la réalité (« Vous allez nous dire que Stephen King est un serial killer ? »), l’accusation la justifie (« La femme de Stephen King n’a pas été retrouvée morte ! »)</p>
<h2>La littérature ou le jeu avec les limites</h2>
<p>Par rapport au trouble suscité par le récit littéraire, l’enregistrement de la dispute entre Sandra et son mari semble pouvoir constituer un récit fiable. Mais en réalité cette dispute se révèle être, comme le dit l’avocat de la défense, un « document ambigu » tout aussi ambigu que le texte de Sandra Voyter, pour deux raisons.</p>
<p>D’une part, comme le texte cité par l’accusation, l’enregistrement n’est qu’un extrait, qu’un moment de la relation entre deux personnes et ne peut représenter toute leur vie. Sandra Voyter le dit : l’enregistrement n’est pas la réalité, car il n’est qu’une partie de la réalité – tout comme elle dit au psychanalyste, joué par le metteur en scène Wajdi Mouawad, qui rapporte le récit de ses sessions avec Samuel : « Mais ce que vous dites n’est qu’une petite partie de la situation globale ». Il s’agit bien de leurs échanges, de leurs mots, de leurs voix, mais ce n’est pas eux – tous leurs êtres, la somme de leurs échanges, de leurs interactions, de leurs corps : on ne peut jamais saisir l’entièreté d’un être ni d’une relation.</p>
<p>D’autre part, alors qu’on croit a priori, avec cet enregistrement, être à coup sûr dans le domaine de la réalité, des faits (et non de la fiction et de la représentation) on apprend, via l’avocat de la défense, que Samuel enregistrait des moments de sa vie et les retranscrivait, qu’il cherchait à faire de « l’autofiction » (le mot est prononcé) en s’inspirant de la méthode de son épouse. On pense ici à différentes productions de littérature contemporaine qui donnent une part de plus en plus importante à des documents matériels : <a href="https://theconversation.com/loeuvre-dannie-ernaux-a-lheure-de-la-reconnaissance-internationale-115166">Annie Ernaux</a>, qui retranscrit son journal intime (dans <em>Se perdre</em> ou <em>Je ne suis pas sortie de ma nuit</em>), qui introduit des reproductions de photographies dans ses livres (tout comme Édouard Louis), Neige Sinno qui reproduit dans <em>Triste Tigre</em> les articles de presse parlant de son enfance et de l’arrestation de son beau-père pour viol.</p>
<p>On pense plus généralement aux productions, qui se développent depuis les années 1960, que la chercheuse Marie-Jeanne Zenetti appelle, après l’écrivain Magnus Enzensberger, des <a href="https://classiques-garnier.com/factographies-l-enregistrement-litteraire-a-l-epoque-contemporaine.html">factographies</a>. Les factographies cherchent une nouvelle manière de dire le réel en captant des images, des sons, des discours. Elles peuvent se manifester formellement par des compilations de notes, des retranscriptions, des reproductions d’archives. Dans ces récits à l’« écriture enregistreuse », il s’agit de « jouer au document et avec le document » comme le dit Marie-Jeanne Zenetti.</p>
<p>L’enregistrement fait par Samuel Voyter n’est-il pas aussi un objet littéraire ? La défense se demande ainsi si Samuel n’aurait pas provoqué la dispute pour avoir de la matière pour son livre. L’ordre traditionnel (la littérature qui vient après la vie, retranscrit la vie, représente la vie) est inversé : il y aurait d’abord la littérature (l’envie d’écrire, la mise en scène) et ensuite la vie. On retrouve les propos tenus par Sandra Voyter dans un ancien entretien : « Mon travail, c’est de brouiller les pistes pour que la fiction détruise le réel » et le commentaire des journalistes : « On a l’impression que ça vient de ses livres, qu’elle l’a déjà écrit ».</p>
<p>Dernier récit et dernier doute du film : lorsque l’enfant du couple, Daniel, fait le récit de son trajet avec son père, pour emmener leur chien chez le vétérinaire. Il rapporte les propos de Samuel, qui aurait filé une métaphore entre l’état du chien et le sien, pour préparer son fils à sa mort prochaine. « Ce récit est extrêmement subjectif » déclare l’accusation. S’agit-il d’une interprétation ? D’une invention ? Ou Daniel se met-il lui aussi à pratiquer l’autofiction ?</p>
<h2><em>Anatomie d’une chute</em> ou les mises en abyme du récit</h2>
<p>En filmant le public du procès, la réalisatrice met en abyme notre situation de spectatrices et spectateurs : nous regardons le public qui regarde le procès, ce public qui frémit à l’annonce d’un éventuel rebondissement – tout comme nous. Le film nous renvoie à nos attentes et nos projections sur le type de récit que nous avons envie de voir (ou d’entendre, ou de lire…)</p>
<p>Ainsi, dans une émission de débat télévisé de deuxième partie de soirée représentée dans le film – sur laquelle tombe Sandra Voyter en zappant – la question de sa culpabilité ou de son innocence n’est plus liée aux faits, mais, plus cyniquement (ou d’un point de vue plus littéraire ?) à l’intérêt de l’un ou l’autre récit : « L’idée d’une écrivaine qui assassine son mari est tellement plus intéressante que celle d’un prof qui se suicide ».</p>
<p>D’un côté, les émois potentiellement romanesques du couple, le lien dangereux entre fiction et non-fiction, de l’autre la mort banale d’un homme qui a échoué en tant qu’écrivain. La conclusion judiciaire du procès a l’air d’entériner le second récit (le suicide), puisque Sandra est acquittée, mais c’est bien le premier récit (la femme coupable) qui est interrogé et mis en scène. Parce que c’est ce que le public (le public du procès, le public du film) voulait voir ?</p>
<p>« Je crois qu’il y a eu trop de mots dans ce procès et j’ai plus rien à dire », déclare Sandra Voyter aux journalistes à la sortie du tribunal. De fait, on parle beaucoup dans <em>Anatomie d’une chute</em> (nous avons pu commenter le film dans cet article en ne parlant quasiment que de dialogue verbal, sans mentionner les autres manifestations du langage cinématographique !) – jusqu’au silence final de Sandra : la multitude des récits n’aboutit pas à une vérité proclamée, mais à l’indicible, à l’invérifiable, à l’opacité (ce qui est devenu quasiment un topos romanesque). Se refuser à toute conclusion rassurante, est-ce une déconstruction du récit traditionnel… ou une variation sur un type de récit dont nous avons déjà l’habitude, un récit ouvert, un récit réflexif, un récit qui joue sur la mise en abyme de lui-même, bref le récit d’un film littéraire ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215817/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laelia Véron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le film de Justine Triet joue sur les frontières troubles entre fiction et non-fiction, représentation artistique et fidélité au réel.Laelia Véron, Maîtresse de conférence en stylistique et langue française, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2087902023-08-02T18:06:44Z2023-08-02T18:06:44Z« Black Mirror » : notre monde est-il devenu la dystopie que prédisait la série ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535145/original/file-20230701-100349-yyygjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C17%2C1076%2C989&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Visuel de "Joan est horrible", premier épisode de la sixième saison de Black Mirror sortie le 15 juin dernier sur Netflix. </span> <span class="attribution"><span class="source">Netflix</span></span></figcaption></figure><p>Diffusée en France depuis 2016 sur la plate-forme <a href="https://www.netflix.com/title/70264888">Netflix</a>, <em>Black Mirror</em> est ce qu’on appelle une série d’anthologie : ses épisodes sont indépendants les uns des autres et <a href="https://theconversation.com/black-mirror-ou-lambigu-te-du-pire-80027">reliés par la thématique de la dystopie</a>. Elle met en scène une société à l’avenir sombre, <a href="https://theconversation.com/black-mirror-ou-le-cote-obscur-de-la-technologie-117466">marquée par le progrès technologique</a>.</p>
<p>Le 15 juin marquait le grand retour de la série, quatre ans après la sortie de sa cinquième saison, en raison de la crise sanitaire. Depuis la première saison, <a href="https://theconversation.com/black-mirror-ou-lanthologie-de-la-pente-fatale-90482">nous retrouvons au centre de chaque épisode un procédé technique soulevant des problématiques éthiques</a>, dans un repère temporel généralement flou pour nous permettre d’envisager ses dangers à moyen ou long terme. </p>
<p>Dans cette sixième saison, des sujets récurrents sont abordés, tels que l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux et une vision horrifique de l’usage des technologies. Pourtant, ces cinq derniers épisodes ne semblent pas tournés vers l’avenir proche comme les précédents. Dans une dimension spatio-temporelle mieux définie, soit contemporaine, soit située quelque part au XX<sup>e</sup> siècle, ils abordent des situations néfastes qui présentent la décadence des comportements humains déjà bien amorcés dans la réalité.</p>
<p>Notre monde est-il donc définitivement entré dans l’écran noir de <em>Black Mirror</em> ? Cette sixième saison nous tend-elle un miroir sur notre quotidien ?</p>
<h2>Red Mirror : la fin d’une dystopie ?</h2>
<p>Durant cinq saisons, la dystopie fait sens dans tous les épisodes en évoquant les dangers des progrès technologiques (S01E03 ; S04E02), le contrôle au profit d’une élite (S03E01 ; S03E05), le recours à l’intelligence artificielle pour maîtriser ce nouveau monde (S02E01 ; S05E03) ou encore le pouvoir politique des médias (S01E01 ; S01E02 ; S02E03 ; S03E06). Ces épisodes se déroulent souvent dans un « non-lieu » (S03E04 ; S04E01) et un futur apocalyptique (S04E04 ; S04E05).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/black-mirror-ou-lambigu-te-du-pire-80027">« Black Mirror » ou l’ambiguïté du pire</a>
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<p>Or, cette sixième saison marque un changement par rapport aux autres, en jouant davantage sur l’ironie des situations induites par ces progrès déjà en cours dans notre société. Du premier épisode (« Joan is Awful ») présentant la venue des doubles virtuels déjà parmi nous depuis 2017 aux deux suivants (« Loch Henry » et « Beyond the Sea ») qui traitent de meurtres, rien de nouveau n’apparaît. Pas plus que les deux derniers épisodes (« Mazey Day » et « Demon 79 ») qui abordent le voyeurisme de la presse et les mythes sociaux (le loup-garou et le démon).</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce, <em>Black Mirror</em>, saison 6 (Netflix).</span></figcaption>
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<p>Ce changement de perspective questionne. La série montre habituellement notre avenir disruptif perturbé par le progrès technologique. Et <em>Black Mirror</em> a eu énormément de succès en se basant sur la dystopie d’un monde auquel nous ne pouvons échapper. Pour quelles raisons dans cette saison, les scénaristes alertent-ils déontologiquement sur les comportements humains qui dégénèrent ? Est-on toujours dans une dystopie ?</p>
<p>Le contexte de production de cette sixième saison est à prendre compte pour comprendre le changement de ton et de direction artistique de la série. Les scénaristes se voient rattrapés par le présent anxiogène (Covid-19) alors qu’ils contaient des histoires destinées à penser l’avenir : « En ce moment, je ne vois pas comment on pourrait avoir l’envie et la force de regarder des histoires concernant une société qui s’écroule. Donc je ne travaille pas du tout sur de nouveaux épisodes », <a href="https://www.radiotimes.com/tv/sci-fi/black-mirror-6-update/">confiait Charlie Brooker à <em>Radio Times</em> en 2020</a>.</p>
<p>Cette affirmation confirme que le créateur s’éloigne de la dystopie pour traiter autrement des histoires menant à une réflexion et des temporalités différentes qui se situent dans le présent ou dans le passé, voire dans une <a href="https://journals.openedition.org/elh/362">uchronie</a> (le récit d’évènements fictifs à partir d’un point de départ historique).</p>
<p>C’est le cas de l’épisode 3 (« Beyond the Sea ») qui puise dans le passé pour réécrire le futur. En effet, à partir d’un évènement narré en 1969, en <a href="https://www.britannica.com/topic/rock-Los-Angeles-1950s-overview-1371230">référence au meurtre de Sharon Tate (épouse de Roman Polanski)</a>, les scénaristes introduisent un progrès technologique. Un astronaute assiste alors, impuissant, au meurtre de sa femme et de ses enfants par des hippies via sa propre réplique numérique. Comme en témoigne un spécialiste <a href="https://www.hollywoodreporter.com/tv/tv-features/black-mirror-beyond-the-sea-ending-josh-hartnett-kate-mara-1235516380/">“[…] Charlie voulait retourner à cette époque pour réinventer le pourquoi […]”</a>, nous renvoyant au principe de l’uchronie.</p>
<p>La question « que se serait-il passé si… » prévaut dans chacun des épisodes composant cette sixième saison, invitant le spectateur à imaginer un récit hypothétique : « et si une starlette ne s’était pas suicidée ? », « et si le démon n’avait pas pu contacter l’héroïne ? », « et si un astronaute n’avait pas laissé son collègue revenir sur Terre ? »</p>
<p>Le ton est aussi différent dans cette saison, à la tournure clairement plus horrifique comme pour compenser la dimension prophétique qui avait tant marqué les premières saisons : le créateur de la série en témoigne : « Cette saison, j’ai voulu faire quelque chose de très différent – une sorte de Red Mirror, comme un label parallèle tourné vers le crime et l’horreur. Et en faisant ça, je me suis dit, essaye de transformer ta propre vision de ce qu’est un épisode de <em>Black Mirror</em> ».</p>
<p><em>Black Mirror</em>, jusque là, se faisait l’écho du futur de notre société dans un contexte souvent totalitaire, de contrôle et de surveillance étatique par le biais des progrès informatiques. Par des scénarios prenant source dans notre réalité, cette série d’anticipation projetait donc, dans un avenir dystopique, des fictions qui n’en sont plus. Le temps semble avoir avancé plus vite que les scénaristes et la réalité dépasse aujourd’hui la fiction – mentionnons par exemple la déflagration ChatGPT.</p>
<h2>Quand l’intelligence artificielle dépasse la fiction</h2>
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<p><a href="https://www.netflix-news.com/articles/programmes/1577344-joan-est-horrible-black-mirror-saison-6-que-vaut-le-premier-episode-douverture-de-la-serie-netflix-avis-des-internautes-22-06-2023/">Le premier épisode de cette nouvelle saison met en scène une jeune femme</a> (Joan) troublée après qu’elle ait découvert sur une plate-forme de streaming une série à son image, relatant ses journées, parfois au mot près. Cet épisode permet aux scénaristes d’aborder la question du vide juridique qui entoure les doublures digitales, imaginées à partir de la vie bien réelle d’êtres humains.</p>
<p>La problématique se présente déjà dans le milieu de la communication et du marketing avec une absence de cadre législatif régulant l’usage des <a href="https://theconversation.com/si-un-influenceur-virtuel-commet-une-infraction-qui-est-responsable-208512">influenceurs biodigitaux</a>.</p>
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<p>Cette absence de mesure législative peut mener tout un chacun à usurper l’identité visuelle d’une personne en plaçant son double digitalisé sur le net, sans encourir aucune poursuite. Depuis le 13 juillet 2023, la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/14/greve-a-hollywood-les-acteurs-craignent-d-etre-remplaces-par-des-machines_6181893_3234.html">grève des acteurs à Hollywood</a> place l’intelligence artificielle au centre du débat public, poussant ces premiers à réclamer de meilleurs revenus du streaming et des garanties contre son intrusion dans le milieu audiovisuel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1679770215796678656"}"></div></p>
<p>Dans <em>Black Mirror</em>, ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ce thème mêlant intelligence artificielle (IA) et corps digitalisés est abordé. En effet, par les progrès de la science, la reproduction virtuelle d’une jeune chanteuse Ashley apparaît sous l’apparence d’une poupée robotisée nommée « Ashley Too » (saison 5, épisode 3). La réflexion au centre de cet épisode est proche de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-05064-0_20">ce travail de recherche internationale</a> dans lequel les professionnels de la communication et du marketing s’expriment sur les fondements de nos libertés, il y a déjà plus de trois ans ; ils disent craindre le façonnage d’humains virtuels dont la digitalisation est invisibilisée. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-influenceurs-virtuels-sont-ils-plus-puissants-que-les-influenceurs-humains-178056">Les influenceurs virtuels sont-ils plus puissants que les influenceurs humains ?</a>
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<p>Cette question prévaut également dans le premier épisode de la saison 2, intitulé « Bientôt de retour », qui présente des êtres de substitution faisant revivre des morts en utilisant toutes les caractéristiques de l’individu décédé (voix, gestuelle, personnalité, etc.).</p>
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<p>Dans la série, le personnage principal, une femme éprouvée par le décès de son mari, refuse de reconnaître toute humanité à cette entité <a href="https://theconversation.com/les-nouvelles-creatures-dinstagram-ou-quand-la-science-fiction-rejoint-la-realite-99820">biodigitale</a>, elle finit toutefois par converser secrètement avec elle. Ceci n’est pas sans nous rappeler la <a href="https://www.facebook.com/help/103897939701143">page Facebook d’un individu qui reste active après son décès</a> ou la <a href="https://theconversation.com/debat-lintelligence-artificielle-peut-elle-accompagner-les-personnes-en-deuil-205491">façon dont l’intelligence accompagne les personnes en deuil</a>. Le dernier exemple en date étant l’application « Project December » qui utilise GPT-3 pour permettre à l’utilisateur de recréer un dialogue avec des personnes disparues.</p>
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<figcaption><span class="caption">Simulate the Dead, « Project December ».</span></figcaption>
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<p>Il faudra sans doute attendre la septième saison pour savoir si la série se propose toujours d’explorer toutes les facettes des avancées technologiques et sociales en tentant de nous éclairer sur cet avenir dirigé par l’intelligence artificielle qui brille de mille feux pour mieux nous aveugler. Il se peut aussi que, subliminalement, la série ait choisi d’alerter sur les comportements humains, toujours plus déviants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour son grand retour, « Black Mirror » appréhende à nouveau notre rapport aux nouvelles technologies : un usage démesuré comme elle l’avait prédit.Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, INSEEC Grande ÉcoleMarie-Nathalie Jauffret, Chercheure - Prof. Communication & Marketing, International University of MonacoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2019032023-03-23T17:57:39Z2023-03-23T17:57:39ZLe mythe des Brontë, source d’inspiration sans fin pour la culture pop<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516761/original/file-20230321-28-oy5qu0.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C824%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Branwell Brontë, qui peignait, s'est effacé de ce tableau représentant ses trois sœurs Anne, Emily et Charlotte, vers 1834.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Branwell_Bront%C3%AB#/media/File:Painting_of_Bront%C3%AB_sisters.png">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>En son temps, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070326075-la-litterature-et-le-mal-georges-bataille/">Georges Bataille</a> voyait dans <em>Les Hauts de Hurlevent</em> « peut-être la plus belle, la plus violente des histoires d’amour ». La lauréate du Prix Goncourt 2014, <a href="https://www.babelio.com/livres/Salvayre-7-femmes/476249">Lydie Salvayre</a> qualifie quant à elle Emily Brontë d’« allumée » pour qui « l’écriture n’est pas un supplément d’existence, mais l’existence même ».</p>
<p>À l’occasion de la sortie française d’<em>Emily</em>, le premier film de la réalisatrice et actrice australienne Frances O’Connor, on peut se demander à quoi tient le phénomène Brontë. Incarne-t-il une sorte <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-absolu-litteraire-theorie-de-la-litterature-du-romantisme-allemand-philippe-lacoue-labarthe/9782020049368">« d’absolu littéraire »</a> ? Est-il emblématique d’une certaine idée de <a href="https://www.fondationderougemont.org/ouvrages/lamour-et-loccident/">« l’amour en Occident »</a> où amour de l’amour et amour de la mort se confondent ?</p>
<p>En réalité, point besoin de forcer la nature des Brontë. Leur romantisme farouchement « objectif », à la différence de celui prêté à tort par Hollywood à Jane Austen, ne se laisse pas aisément dévoyer. La mèche du mythe qu’elles ont allumée en leur temps n’en finit pas de se consumer dans la culture populaire, qu’elle soit cinématographique ou musicale. </p>
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<p>Bien avant <em>Emily</em>, plus de 30 adaptations filmiques se sont succédé, dont celles d’André Téchiné (1978) et de Jacques Rivette (1985) : <a href="https://www.penguin.co.uk/books/355538/the-bronte-myth-by-lucasta-miller/9780099287148">« le mythe Brontë »</a> persiste. Mais les cinéastes, quand ils ne s’y brûlent pas les ailes, affadissent souvent la charge corrosive et magnétique qui irradie à partir des œuvres.</p>
<h2>Empowerment par la fiction</h2>
<p>Le film de Frances O’Connor, témoin contemporain d’une incandescence nommée Brontë, ne fait pas exception à la règle : il revisite le mythe… mais trop sagement. On l’aurait voulu possédé ; il est seulement habité. Paradoxalement, <em>Emily</em> ne se donne même plus la peine de convoquer l’état-civil. L’élision du nom de famille apparaît ici triplement signifiante : elle désavoue la fratrie, composante pourtant essentielle des Brontë ; elle isole une individualité en la magnifiant aux dépens de ses pairs en écriture ; elle parle enfin à un public plutôt jeune ou adolescent, jouant la proximité du prénom contre le respect dû à une autrice canonique. </p>
<p>Dans les faits, le film sacrifie tout au mythe, au prix de nombreux coups de canif dans le pacte biographique passé avec les spectateurs.</p>
<p>Tordant les dates et bousculant la chronologie des parutions, inventant une histoire d’amour à Emily (avec un fougueux et éloquent vicaire), tatouant un crédo libertarien (« Freedom in thought », soit la liberté de pensée chère aux libres-penseurs) sur le bras de l’actrice Emma Mackey, Frances O’Connor revendique, dans le sillage d’une Jane Campion, le droit à l’<em>empowerment</em> par la fiction, comprenons par la fabulation, par les histoires (<em>stories</em>) – sans doute le terme qui revient le plus souvent dans le film.</p>
<p>Tout y est subordonné à la puissance de création littéraire. <em>Emily</em> y fait feu de tout bois : le masque blanc, cadeau de mariage fait au couple parental, devenu plaisant jeu de société, elle le détourne pour faire parler la mère morte. C’est aussi le moment où la fenêtre s’ouvre avec fracas, laissant s’engouffrer un grand <a href="https://www.canal-u.tv/intervenants/lanone-catherine-069362548">« vent de sorcière »</a>, celui de l’inspiration surgie d’outre-tombe, seule à même d’expliquer l’inexplicable.</p>
<p>À plusieurs reprises, le film s’interroge sur la nature énigmatique de cet étrange « quelque chose » (<em>something</em>) dont Emily et les autres tirèrent la matière de leurs récits. Mais cela méritait-il de sacrifier Charlotte sur l’autel dressé à la gloire de la seule Emily ? Portraiturer la plus âgée des sœurs en fillette binoclarde et envieuse, voilà qui dessert assez fâcheusement un propos qui se veut féministe. Un tel <em>casting</em>, d’un mot, fût-il dans l’air du temps, n’est guère brontéen.</p>
<h2>Portrait de groupe</h2>
<p>Car la vérité des Brontë, pour peu qu’elle existe, est celle d’un portrait de groupe, et se conjugue au pluriel. Les évoquer, c’est convoquer un collectif, plus fort que la somme de ses (fortes) individualités. Sous la tutelle pas toujours compréhensive mais jamais malveillante du Révérend Patrick Brontë, la jeune génération vécut de l’addition de ses pouvoirs, avant de voir la tuberculose les décimer un à un. </p>
<p>Indissociables, ils œuvrèrent d’abord en commun avant d’écrire chacune pour soi. Au début, et le mythe cultive volontiers ce sentiment d’une origine en partage, leur création ne faisait qu’un. En témoignent les quatre à cinq mille pages des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1972/03/10/les-bronte-et-leurs-juvenilia_2377879_1819218.html"><em>Juvenilia</em></a>, continent longtemps englouti, mais aujourd’hui reconnu pour ce qu’il est : le paradis d’une enfance îvre d’aventures lointaines, dans des contrées inventées de toutes pièces et conquises de haute lutte. Le souffle de l’histoire (coloniale) y fait naître des sentiments mêlés, entre exaltation et colère, probablement inspirés par la geste napoléonienne et les <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/gibbon-histoire-empire-romain.php">considérations d’un Edward Gibbon sur la chute des Empires</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/alice-a-lasile-60457">Alice à l’asile</a>
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<p>Un paradis jamais perdu, car la fidélité de chacun lui resta à jamais acquise, à commencer par Branwell, idolâtré par ses sœurs – la mythologie commence souvent <em>at home</em> –, organisateur en chef de leurs cérémonies secrètes, peintre de talent, mais rapidement emporté par l’alcool, l’opium et la maladie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517000/original/file-20230322-691-833sj7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Landscape with Cottage, River and Bridge, Patrick Branwell Brontë (1817–1848).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://artuk.org/discover/artworks/landscape-with-cottage-river-and-bridge-20989">Brontë Parsonage Museum</a></span>
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<p>À des degrés divers, <em>Jane Eyre</em> (octobre 1847), <em>Wuthering Heights</em> (<em>Les hauts de Hurlevent</em>, décembre 1847), <em>Agnes Grey</em> (décembre 1847) perpétuent sous la plume, respectivement, de Charlotte, Emily et Anne, une même provenance : le pays de l’enfance retrouvée à volonté.</p>
<h2>Une lande battue par les vents et la pluie</h2>
<p>C’est que, deuxième facteur déterminant, le mythe s’enracine toujours quelque part, dans un territoire donné, Grèce antique ou Yorkshire d’avant la civilisation (<em>beyond the pale</em>, en anglais). Le « pays » des Brontë, c’est le nord de l’Angleterre, rude et provincial, c’est Haworth, son presbytère et son cimetière battus par les vents et la pluie.</p>
<p>Ce lieu, Michel Foucault l’aurait nommé « hétérotopie », soit un lieu réel (distinct en cela de l’utopie), un espace tout ce qu’il y a de plus concret, souvent clos ou enclavé, caractérisé par une profonde discontinuité avec ce qui l’entoure. Située à proximité du cimetière, lieu hétérotopique – et pathogène – par excellence, le presbytère fut un havre pour l’imagination débordante de chacun de ses jeunes habitants dont l’existence censément en vase clos ne fut qu’une vue de l’esprit. Il suffit de lire la correspondance des Brontë, de Charlotte en particulier, pour mesurer combien ils auront battu la campagne, sillonné le pays de long en large et pris la ville (de Londres, mais aussi de Bruxelles) d’assaut.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/byron-et-delacroix-aux-avant-postes-de-linternationale-romantique-163918">Byron et Delacroix, aux avant-postes de l’Internationale romantique</a>
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<p>Pour un peu, le vocable « Brontë » s’apparenterait à un <a href="https://muse.jhu.edu/article/195468/pdf">« nom de pays »</a> à la Proust. Par contraste, toutefois, avec le nom « compact, lisse, mauve et doux » de Parme, sur lequel rêve le narrateur de <em>La Recherche</em>, le nom Brontë serait à la fois hurlant, en souvenir des <em>Hauts de Hurlevent</em>, et foudroyant (du grec <em>brontè</em> : grondement du tonnerre). À l’oreille, Brontë impose une bruyante rugosité, de nature consonantique et d’origine saxonne, à peine adoucie par la voyelle finale. À l’écho d’une lande détrempée par les averses continuelles succède celui d’un thé servi dans un presbytère de campagne. Un thé noir, laissant en bouche le goût âcre de feuilles infusant dans la théière encrassée. Et puis, <em>icing on the cake</em>_, l’archaïque tréma coiffant le « e » les situe mystérieusement à part. </p>
<p>Le mythe Brontë vient de là, du sentiment qu’une terre trop primitive et barbare pour se prêter à la vie de l’esprit aura concentré autant de talents issus d’une seule et même famille. Alors, quand on apprit, assez tôt, que trois femmes, trois sœurs de surcroît, avaient écrit sous des noms d’emprunt, forcément masculins, la sidération fut totale. Il fallait ce critère du genre pour que le mythe fût au complet : organique (bien plus que familial), septentrional, génésique (car relatif à la création), mais avant tout féminin. Un féminin tout sauf délicat ou joli. </p>
<h2>Kate Bush, une autre sœur Brontë ?</h2>
<p>Un mythe ne meurt jamais. Et si c’était Kate Bush qui avait le mieux capté à son profit l’énergie indomptable des Brontë ? Fin 1977, début 1978, l’artiste âgée d’à peine 19 ans écrit et compose en une nuit une chanson inspirée de <em>Wuthering Heights</em>. S’affranchissant de la narration emboîtée du roman, elle fait parler Catherine Earnshaw-Linton à la première personne : « It’s me, I’m Cathy » (« C’est moi, Cathy »).</p>
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<p>Profitant de la proximité entre Kate, son prénom, et Cathy/Catherine, elle fait d’une pierre deux coups : en s’identifiant à une autre, elle se trouve et trouve son public. Tenant tête aux producteurs du label EMI, elle obtient que son premier 33 tours débute par cette ballade singulière et haut perchée, au gothicisme ultra-théâtral. Dégagée de la pesanteur terrestre, son irréelle voix de tête, ainsi que sa gestuelle de danseuse <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KcVvk4asEU4">façon Isadora Duncan</a> lui valent de grimper aux premières places des <em>charts</em> et de lancer sa carrière.</p>
<p>Surtout, sa « performance » puisée à l’esprit de la pop culture consacrait l’influence souterraine mais toujours vivace d’Emily <em>et alii</em>.</p>
<p>Brontë, ou la capacité à toujours renaître de ses cendres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201903/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le film « Emily » réactive le mythe des Brontë, trois sœurs et un frère unis dans une quête d’absolu et attachés dans l’imaginaire collectif à une terre âpre battue par les vents.Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2011082023-03-13T19:55:04Z2023-03-13T19:55:04ZRéécrire les livres de jeunesse ou éduquer les enfants ? L’exemple de Roald Dahl<p>Bien que plusieurs de ses livres les plus connus datent des années 1960, <a href="https://theconversation.com/six-livres-pour-redecouvrir-lunivers-de-roald-dahl-153231">Roald Dahl</a> est encore aujourd’hui l’un des <a href="https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235">auteurs de jeunesse</a> les plus populaires. La <a href="https://www.theguardian.com/books/2023/feb/18/roald-dahl-books-rewrite-to-remove-language-deemed-offensive">décision récente</a> de l’éditeur Puffin, en collaboration avec The Roald Dahl Story Company, d’apporter plusieurs centaines de révisions aux nouvelles éditions de ses romans a suscité de nombreuses critiques, l’écrivain <a href="https://twitter.com/SalmanRushdie/status/1627075835525210113">Salman Rushdie</a> allant jusqu’à parler de censure.</p>
<p>Parmi les changements recommandés par les « sensitivity readers », ces « démineurs littéraires » des temps modernes, citons la suppression ou la substitution de mots décrivant l’apparence des personnages et l’ajout d’un vocabulaire non sexiste dans certains passages. Dans <em>Charlie et la chocolaterie</em>, par exemple, Augustus Gloop n’est plus « gros » mais « énorme ». Mme Twit des <em>Deux gredins</em> est devenue « horrible » plutôt que « laide et horrible ». Dans <em>Matilda</em>, le protagoniste ne lit plus les œuvres de Rudyard Kipling mais celles de… <a href="https://theconversation.com/jane-austen-et-germaine-de-stael-le-conte-de-deux-autrices-81194">Jane Austen</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/litterature-classique-que-penser-des-versions-abregees-dhomere-a-jules-verne-194771">Littérature classique : que penser des versions abrégées, d’Homère à Jules Verne ?</a>
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<p>Si certains ont utilisé le terme <a href="https://www.nzherald.co.nz/entertainment/roald-dahl-childrens-books-rewritten-to-delete-offensive-fat-ugly-character-references/L53YBV5A2JCPLABB7UI5BVEGL4/%22">« cancel culture »</a> à ce sujet, ces choix éditoriaux s’inscrivent en fait dans une tradition où les livres destinés aux enfants et adolescents sont retouchés au fil des époques pour correspondre à ce que les adultes estiment qu’ils devraient lire.</p>
<p>Doit-on placer la <a href="https://theconversation.com/trois-questions-sur-lhistoire-des-livres-pour-enfants-181098">littérature jeunesse</a> sur un pied d’égalité avec la littérature adulte, et y condamner aussi catégoriquement l’altération des textes ? Ou bien acceptons-nous que la fiction pour enfants soit traitée différemment dans la mesure où elle jouerait le rôle de porte d’entrée dans le monde qui nous entoure ?</p>
<h2>Des classiques réécrits pour les enfants</h2>
<p>Publié en 1807, <a href="https://archive.org/details/familyshakespear00shakuoft"><em>The Family Shakespeare</em></a> de Thomas Bowdler, recueil de 20 des pièces de Shakespeare, omettait « les mots et expressions […] qui ne sauraient convenablement être lus à haute voix dans le cadre familial », notamment devant les femmes et les enfants.</p>
<p>Depuis lors, le terme de <em>bowdlerisation</em> désigne outre-Manche le processus de modification des œuvres littéraires pour des raisons morales (les éditions édulcorées de Shakespeare ont continué à être utilisées dans les écoles tout au long du XX<sup>e</sup> siècle).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un épisode de la série d’Enid Blyton.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.hachette.fr/livre/le-club-des-cinq-01-ned-le-club-des-cinq-et-le-tresor-de-lile-9782017072126">Shutterstock</a></span>
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<p>Si les œuvres de Shakespeare n’étaient pas destinées spécifiquement aux enfants, les fictions d’Enid Blyton sont un exemple plus récent d’édulcoration d’œuvres considérées comme des classiques de la littérature jeunesse. Au cours des quarante dernières années, <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-392400/Row-faster-George-The-PC-meddlers-chasing-us.html">ses livres ont été plusieurs fois modifiés</a>, dont les séries <em>Le Club des Cinq</em> et <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Faraway_Tree"><em>The Faraway Tree</em></a>.</p>
<p>Même si beaucoup considèrent que les œuvres de la romancière accumulent les clichés et sont totalement dépourvues d’intérêt sur le plan littéraire, les tentatives de moderniser les noms et de supprimer les références aux châtiments corporels, par exemple, ont agacé les nostalgiques de ces histoires qui souhaitaient les faire connaître à leurs enfants et petits-enfants.</p>
<h2>Une littérature qui influence les plus jeunes</h2>
<p>La littérature jeunesse façonne implicitement l’esprit des enfants en normalisant certaines valeurs sociales et culturelles, présentées comme naturelles, un processus que les chercheurs en littérature jeunesse appellent « socialisation ».</p>
<p>Même si certaines de ses œuvres peuvent être considérées comme obscènes ou moralement répugnantes, on ne considère pas que la littérature pour adultes influe directement sur notre façon de penser de la même manière que peuvent le faire des livres destinés aux plus jeunes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-petite-sirene-dandersen-a-disney-la-veritable-histoire-derriere-le-conte-192224">« La Petite Sirène » : d’Andersen à Disney, la véritable histoire derrière le conte</a>
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<p>Si beaucoup se scandalisent de la censure manifeste des romans de Roald Dahl, celle qui pèse insidieusement sur la publication de tous les livres pour enfants se joue à plusieurs niveaux.</p>
<p>Les auteurs jeunesse savent que certains termes et contenus sont incompatibles avec la publication de leur livre. Les éditeurs sont conscients que les sujets controversés, tels le sexe et l’identité de genre, peuvent conduire à l’exclusion de certains titres des bibliothèques et programmes scolaires, ou à des boycotts. Les bibliothécaires et les enseignants peuvent refuser de choisir certains livres en raison du risque de plaintes ou de leurs propres convictions politiques.</p>
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<figcaption><span class="caption">La face cachée de Roald Dahl (Culture Prime, France TV).</span></figcaption>
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<p>Plusieurs des livres de Roald Dahl ont déjà fait l’objet de tentatives de réécriture ou <a href="https://www.ala.org/advocacy/bbooks/frequentlychallengedbooks/decade1999">d’interdiction</a>, notamment <em>Charlie et la chocolaterie</em> (1964), partiellement réécrit par l’auteur en 1973 sous la <a href="https://daily.jstor.org/roald-dahls-anti-black-leracisme/">pression de l’Association américaine pour l’avancement des personnes de couleur</a> (NAACP) et des professionnels de la littérature jeunesse.</p>
<p>Dans le texte original, les Oompa Loompas étaient « une tribu de minuscules pygmées miniatures » que Willy Wonka, le propriétaire de la chocolaterie, « découvrit » et « ramena d’Afrique » pour les faire travailler dans son usine, leur seule rémunération étant des fèves de cacao, dont ils étaient friands.</p>
<p>Bien que Roald Dahl se soit défendu d’avoir décrit les Noirs de manière négative, il a accepté de réécrire les passages en question. Les Oompa Loompas sont désormais originaires de Loompaland ; ils ont des « cheveux bruns d’or » et une « peau blanche-rose ».</p>
<h2>Solliciter le regard critique des enfants</h2>
<p>Dans <a href="https://www.google.com.au/books/edition/Was_the_Cat_in_the_Hat_Black/WDoqDwAAQBAJ?hl=en&gbpv=1&dq=was+the+cat+in+the+hat+black&printsec=frontcover"><em>Was the Cat in the Hat Black ? The Hidden Racism of Children’s Literature and the Need for Diverse Books</em></a> (<em>Le chat chapeauté était-il noir ? Le racisme caché des livres jeunesse et la nécessité d’une littérature plus métissée</em>), <a href="https://philnel.com/writing/books/">Philip Nel</a>, spécialiste de la littérature jeunesse, estime que trois réactions s’offrent à nous face aux livres pour enfants qui contiennent des termes et des idées jugés inadmissibles de nos jours.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Grand-format-litterature/Romans-Junior/Sacrees-sorcieres">Gallimard Jeunesse</a></span>
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<p>La première est de considérer ces livres comme des « artefacts culturels », qui ont une signification historique, mais que les enfants ne doivent pas lire. Cette option fait office de censure insidieuse, puisque les adultes ont le pouvoir de choisir les ouvrages que les enfants sont autorisés à lire.</p>
<p>La deuxième est de ne proposer aux enfants que des versions édulcorées de ces livres, comme ceux que l’éditeur de Roald Dahl a publiés récemment. Cela sape le principe selon lequel les œuvres littéraires sont des objets culturels, qui ne doivent pas être altérés. De plus, la substitution de certains mots ne modifie généralement pas le regard que nous portons sur les valeurs (aujourd’hui qualifiées d’obsolètes) que véhicule le texte, mais rend leur identification et leur remise en question plus difficile.</p>
<p>La troisième est de laisser les enfants lire n’importe quelle version d’un livre, qu’elle soit originale ou édulcorée. En faisant ce choix, nous admettons que même les jeunes lecteurs sont capables de porter un regard critique sur le message d’un livre.</p>
<p>Cette option permet également de discuter de sujets tels que le racisme et le sexisme avec les parents et les éducateurs, ce qui est plus facile si le texte d’origine n’a pas été modifié. Bien que Phil Nel favorise cette approche, il reconnaît que le refus de modifier les textes peut encore déconcerter certains groupes de lecteurs (par exemple, les enfants noirs qui liraient une édition des <em>Aventures de Huckleberry Finn</em> de Mark Twain où figurerait encore le mot <a href="https://theconversation.com/pour-lutter-contre-le-racisme-mieux-comprendre-le-mot-negre-199905">« nègre »</a>.</p>
<p><em>Matilda</em> de Roald Dahl parle du pouvoir des livres, qui enrichissent et transforment notre vie, tout en reconnaissant l’intelligence critique des enfants.</p>
<p>Bien que de nombreux aspects des fictions du passé ne correspondent pas à la version idéalisée du monde que nous souhaiterions présenter aux enfants, les adultes que nous sommes peuvent les aider à comprendre ce passé, plutôt que de tenter de le réécrire.</p>
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<p><em>Traduit de l’anglais par <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201108/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michelle Smith ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’éditeur anglais de Roald Dahl a retouché des textes du célèbre auteur pour en supprimer des termes jugés offensants. Une polémique à réinscrire dans l’histoire de la littérature de jeunesse.Michelle Smith, Senior Lecturer in Literary Studies, Monash UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1982522023-01-28T09:27:29Z2023-01-28T09:27:29ZFéminisme dans la fiction : quand Bechdel regarde Molière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506606/original/file-20230126-20-qiqmy2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C3%2C1202%2C738&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Allison Bechdel et Jean-Baptiste Poquelin.</span> </figcaption></figure><p>Quel est le point commun entre <em>Toy Story 3</em>, <em>Singin’ in the Rain</em>, <em>La Ménagerie de verre</em> de Tennessee Williams et <em>Le Misanthrope</em> de Molière ? Chacune de ces œuvres passe avec succès le « test de Bechdel », nommé d’après la célèbre autrice de bandes dessinées Allison Bechdel.</p>
<p>Il consiste en trois questions, aussi simples qu’efficaces : l’œuvre a-t-elle 1) au moins deux personnages féminins, 2) qui parlent ensemble, 3) de quelque chose d’autre que des hommes (au moins une fois) ? Rien d’insurmontable… <em>a priori</em>.</p>
<p>Pourtant, parmi les presque 10 000 films répertoriés sur <a href="https://bechdeltest.com">bechdeltest.com</a>, seuls 57 % satisfont aux trois critères. Le constat souligne les biais de l’industrie culturelle : celle d’aujourd’hui… et celle d’autrefois.</p>
<h2>Non, Molière n’était pas féministe avant l’heure</h2>
<p><em>Quid</em> en effet de Molière, dont on fêtait les 400 ans en 2022 ? C’est la question posée dans <em>L’Atlas Molière</em>, ouvrage qui décrypte la carrière du dramaturge en récits et en infographies, auquel j’ai contribué. L’auteur de <em>L’École des femmes</em>, celui qui doit sa carrière à l’immense <a href="http://siefar.org/dictionnaire/fr/Madeleine_B%C3%A9jart">Madeleine Béjart</a>, met-il en scène des femmes qui parlent d’autre chose que des hommes ? De fait, fort peu.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Atlas Molière.</span>
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<p><em>L’École des femmes</em>, par exemple, échoue à ce test. Le sujet de la pièce n’est d’ailleurs pas particulièrement progressiste : en ridiculisant le jaloux Arnolphe, Molière se range du côté de la majorité. Alors que l’émission « Secrets d’histoire » avait affabulé un Molière féministe, quitte à <a href="https://www.auroreevain.com/2022/01/13/la-contre-histoire-des-secrets-dhistoire-moliere-feministe-vraiment/">déformer les propos de ses invitées</a>, les trois questions de Bechdel nous forcent à regarder, de front, le rôle des femmes dans le théâtre de Molière.</p>
<h2>Aux origines, une critique de la culture mainstream</h2>
<p>Le test de Bechdel apparaît pour la première fois dans un épisode des « Dykes to watch out for » (« Lesbiennes à suivre »), une série de <em>strips</em> emblématiques de la contre-culture des années 1980 que l’autrice publie à partir de 1983. En 1985, dans « The Rule » (« La Règle »), l’une des deux protagonistes partage ses trois critères pour choisir un film : il faut qu’il y ait au moins deux femmes, et qui parlent ensemble, d’autre chose que des hommes. Incapables de trouver un film qui corresponde à ces critères, les deux amies préfèrent rentrer chez elles pour manger du pop-corn, sans cinéma.</p>
<p>Ce qu’on appelle aujourd’hui test de Bechdel n’est donc à l’origine ni un test, ni vraiment une mesure de féminisme, mais une critique piquante de la production culturelle <em>mainstream</em>.</p>
<p>Allison Bechdel rappelle d’ailleurs régulièrement <a href="https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/films/news/please-stop-calling-it-the-bechdel-test-says-alison-bechdel-10474730.html">dans la presse</a> et <a href="https://dykestowatchoutfor.com/the-rule/">sur son blog</a> qu’elle n’a pas inventé cette règle, et se montre très dubitative face à l’usage tous azimuts qui en est fait. Car le <em>strip</em> est devenu entre temps une sorte de norme : on l’applique au cinéma, au théâtre, à la comédie musicale ou encore aux romans graphiques ; la règle a également été <a href="http://theangryblackwoman.com/2009/09/01/the-bechdel-test-and-race-in-popular-fiction/">adaptée aux questions raciales</a> par le blog <em>Angry Black Women</em>. L’enthousiasme est collectif, <a href="https://docs.google.com/spreadsheets/d/132TZ2nhpw2EuFwgfXBhfaMNoIuwsI2x8KWk-fSE1Sdk/edit#gid=0">collaboratif</a>, joyeux et fécond dans les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rechercheslmm/2020-v12-rechercheslmm05680/1073685ar/">débats qu’il suscite</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">The Rule.</span>
<span class="attribution"><span class="source">dykestowatchoutfor.com/the-rule</span></span>
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<p>Mais la transformation d’un strip situé dans le temps en un label féministe général ne va pas sans poser de problèmes. Les trois critères n’ont pas pour vocation, et de loin, de couvrir les différentes représentations possible des femmes, ni de prendre en compte les questions fondamentales d’intersectionnalité. Par ailleurs, le test produit des <a href="https://www.theguardian.com/lifeandstyle/womens-blog/2016/aug/20/why-the-bechdel-test-doesnt-always-work">résultats parfois surprenants</a> : <em>Twilight</em>, film souvent considéré comme sexiste, satisfait presque par hasard aux trois critères, alors que <em>Gravity</em>, a priori plus progressiste, ne passe pas la rampe.</p>
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<p>Pourtant, c’est bien cette simplicité radicale qui fait toute la force et la pertinence du test. Que l’on observe le théâtre ou le cinéma, qu’il s’agisse du XVII<sup>e</sup> siècle ou d’aujourd’hui, le fait de constater qu’aucune femme ne parle d’autre chose que des hommes ne peut pas être anodin, encore moins lorsque le constat se répète. Significatif, donc, mais pas péremptoire. Le résultat n’est ni une garantie de féminisme ni une condamnation pour sexisme. C’est plutôt un point d’entrée, une question évidente dès lors qu’on la formule : pourquoi tant de femmes représentées ne parlent-elles que d’hommes, alors que la réciproque – des hommes qui ne parleraient que de femmes – ne se vérifie pas du tout : <a href="http://doi.apa.org/getdoi.cfm?doi=10.1037/ppm0000436">95 % des films passent le test inversé</a>.</p>
<h2>Les pièces de Molière à l’épreuve</h2>
<p>Transposée à Molière, la problématique est féconde. <em>L’Atlas Molière</em> indique que seules 7 pièces sur 30 satisfont aux trois critères ; certes, mais encore faut-il comprendre pourquoi. Surprise : alors que la pièce ne parle que d’amour, <em>La Princesse d’Élide</em> passe presque le test – et le rate pour une raison particulièrement frappante. Au début de l’acte II, la princesse entourée de ses amies, profite de la campagne, loin des tracas de la cour :</p>
<blockquote>
<p>Oui j’aime à demeurer dans ces paisibles lieux,<br>
On n’y découvre rien qui n’enchante les yeux,<br>
Et de tous nos Palais la savante structure<br>
Cède aux simples beautés qu’y forme la nature.</p>
</blockquote>
<p>Des femmes, entre elles, qui profitent de la nature ? C’était sans compter sur Aglante qui lui reproche immédiatement de ne pas s’intéresser aux princes qui la courtisent :</p>
<blockquote>
<p>Mais à vous dire vrai dans ces jours éclatants<br>
Vos retraites ici me semblent hors de temps,<br>
Et c’est fort maltraiter l’appareil magnifique<br>
Que chaque Prince a fait pour la Fête publique.<br></p>
</blockquote>
<p>La dynamique à l’œuvre est claire : il faut parler des hommes ! Elle dialogue avec celle décrite par cette <a href="https://docs.google.com/spreadsheets/d/132TZ2nhpw2EuFwgfXBhfaMNoIuwsI2x8KWk-fSE1Sdk/edit#gid=1205144376">personne anonyme</a> à propos de la BD <em>Watchmen</em> : « est-ce que, vraiment, TOUTES les conversations de Laurie avec sa mère doivent traiter des garçons ? »</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le test de Bechdel selon L’Atlas Molière.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Clara DeAlberto, Jules Grandin, Christophe Schuwey, L’Atlas Molière, Paris, Les Arènes, 2022, p. 207</span></span>
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</figure>
<p><em>Le Misanthrope</em> passe en revanche le test grâce à Célimène et Arsinoé, des personnages-types de coquette vedette et de fausse prude. Leur altercation, feu d’artifice rhétorique, révèle les deux personnages sous un jour brillant, remarquable de méchanceté et de finesse, où chacun ne parle que de l’autre et de ses comportements. Mais pourquoi ? Sur Twitter, la question s’est posée : si Célimène et Arsinoé se battent, c’est, au fond… à cause d’Alceste. Faut-il alors réduire leur brillante passe d’armes sous prétexte que c’est un homme qui alimente leur dispute ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1485279780098523138"}"></div></p>
<p>Les échecs répétés des pièces de Molière à passer le test avec succès – même les <em>Femmes Savantes</em> ne cherchent au fond qu’à impressionner Trissotin – appellent mieux que des réponses convenues. Ce n’est ni une simple affaire de convention théâtrale, ni simplement la culture du XVII<sup>e</sup> siècle ; ou plutôt, la convention théâtrale est bien plus qu’une affaire de théâtre. Si, malgré quatre cents ans d’écart, Molière et le cinéma s’en sortent aussi mal, c’est que le problème ne tient pas à l’époque ou au genre.</p>
<h2>Des impératifs de succès et de rentabilité</h2>
<p>Pour le cinéma, la productrice Jennifer Kesler relie le problème <a href="https://thehathorlegacy.com/why-film-schools-teach-screenwriters-not-to-pass-the-bechdel-test/">à la formation reçue</a>. Parmi les recettes du succès transmises aux scénaristes, « la règle empirique est de ne pas donner un rôle trop actif aux personnages féminins ». Or le théâtre du XVII<sup>e</sup> siècle est également une industrie, un commerce, et Molière, un brillant entrepreneur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/series-les-hero-nes-ont-elles-le-droit-de-vieillir-163928">Séries : les héroïnes ont-elles le droit de vieillir ?</a>
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<p>Sa recette du succès, c’est de savoir saisir l’actualité et les sujets en vogue pour les mettre en scène. C’est pour cela qu’il peut produire tour à tour les <em>Précieuses ridicules</em>, comédie qui raille les prétentions émancipatrices des femmes, et <em>L’École des femmes</em> qui défend leur droit à choisir un époux. Pour assurer une production rapide et constante, il recourt à des recettes dramaturgiques prêtes à l’emploi, telle que le mariage empêché, qui prédispose les personnages féminins à ne parler que d’hommes.</p>
<p>Comme le cinéma hollywoodien, les pièces de Molière sont soumises aux impératifs de succès et de rentabilité. Il n’écrit pas des personnages, il organise les bons mots situations comiques entre des rôles types, afin de structurer au mieux la pièce. S’il donne à Célimène un rôle central dans le <em>Misanthrope</em>, c’est pour soutenir la dynamique de la pièce, non parce qu’il peint une femme forte.</p>
<p>À force de répétition, la norme emprisonne les représentations féminines dans des rôles convenus qui, manifestement, se sont propagés pendant 400 ans. C’est là, alors, que la simplicité radicale du test de Bechdel fait tomber les masques : autrefois comme aujourd’hui, il ne suffit pas d’intituler sa pièce <em>L’École des femmes</em> ou de donner le rôle principal à un personnage féminin pour faire acte de féminisme. S’il n’y a même pas l’espace pour que deux femmes s’entretiennent, entre elles, d’autre chose que des hommes, il y a tout de même un vrai un problème de représentation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Schuwey est, avec Clara Dealberto et Jules Grandin, le coauteur de l'Atlas Molière présenté dans cet article.</span></em></p>Chez Molière comme à Hollywood, les impératifs de rentabilité et de succès condamnent les personnages féminins à jouer encore et toujours les mêmes rôles.Christophe Schuwey, Maître de conférences en littérature du XVIIe siècle et humanités numériques, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1960672022-12-14T18:42:03Z2022-12-14T18:42:03ZVoyage en uchronie, ou les possibles du passé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499574/original/file-20221207-10117-q2egpg.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C6%2C751%2C558&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Charles Renouvier par Henri Bouchet-Doumenq, 1889. Détail.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Renouvier#/media/Fichier:Portrait_de_Charles_Renouvier.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le dernier prix Goncourt, <em>Vivre vite</em>, de Brigitte Giraud, consacre l’actualité de la notion d’uchronie en littérature. En une série de courts chapitres précédés de la mention « Si ? » – « Si je n’avais pas voulu vendre l’appartement ? » « Si mon grand-père ne s’était pas suicidé ? » « Si je n’avais pas visité cette maison ? », « Si je n’avais pas téléphoné à ma mère ? », son récit revient sur les circonstances de la mort de l’homme qu’elle aimait, tué le 22 juin 1999 dans un accident de moto. Si, si… En rendant le procédé systématique, l’autrice toujours endeuillée s’offre, sans en être tout à fait dupe, la consolation de la fiction. Celle-ci revêt l’apparence d’une réalité alternative, ou contrefactuelle : dans un monde parallèle au nôtre, son « Claude » n’aurait pas trouvé la mort.</p>
<p>Quid de l’uchronie, donc ? On ne connaît peut-être pas le mot, mixte barbare de <em>chronos</em>, pour le temps, et d’<em>ou</em>, préfixe négatif, le tout désignant un non-temps, de la même façon que l’utopie renvoie, elle, à un non-espace. Mais la chose nous est familière. En témoignent deux exemples empruntés à la culture pop. Au cinéma, <em>Back to the Future</em>/<em>Retour vers le futur</em> (1985), de Robert Zemeckis, fait œuvre de pionnier. Dans les années 80, Marty Mcfly, adolescent désoeuvré, fait la connaissance du docteur Emmett Brown, l’inventeur d’une drôle de machine à remonter le temps. À la suite de diverses péripéties, le garçon revient à l’époque où ses (futurs) parents allaient se connaître, en novembre 1955, soit trente ans plus tôt. On assiste à ses tentatives maladroites de changer le cours des choses, avant de le voir opérer un « retour vers le futur », toujours plus problématique à mesure que la trilogie se déploiera.</p>
<p>De prime abord, le titre du juke-box musical <em>& Juliet</em> (2019), semble, lui, concrétiser le triomphe de la cancel culture. Roméo est évincé du couple mythique formé par les amants de Vérone, au profit de la seule Juliette. Shakespeare s’est rangé aux arguments de son épouse, la féministe Anne Hathaway. Sur scène, la tragédie va bifurquer du côté de la comédie au moment où l’héroïne ne s’ôte pas la vie dans la crypte. Elle devient une jeune femme émancipée, Roméo finit par revenir d’entre les morts, et le couple de chanter à gorge déployée sur des airs de Jon Bon Jovi, Britney Spears, Céline Dion, Katie Perry, etc.</p>
<h2>« Les possibles du passé »</h2>
<p>L’uchronie est au passé ce que la science-fiction est à l’avenir : la seconde anticipe, là où la première se met en quête de ce qu’on appellera, à la suite de Pierre Bayard, les « possibles du passé ». Avec son dernier ouvrage, <em>Et si les Beatles n’étaient pas nés ?</em> (2022), le critique prend un malin plaisir à se faire contrefactuel. Sans les Scarabées de Liverpool, les Kinks auraient pris toute la lumière ; en l’absence de Proust, toute une génération d’écrivains, dont Anatole France était la figure de proue, se serait durablement imposée, et l’histoire littéraire aurait <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Proust-prix-Goncourt">aujourd’hui un autre visage</a>. Idem pour Marx, Freud et Kafka.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tRcOwHy1gmg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le film ‘Yesterday’ de Danny Boyle (2019) imagine un monde qui n'aurait jamais connu les Beatles.</span></figcaption>
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<p>Fidèle à sa démarche éprise de « paradoxes critiques », Bayard joue les provocateurs : « On n’arrête pas d’encenser les chefs-d’œuvre sans prendre la mesure des dégâts qu’ils provoquent ». Et de prendre la défense d’œuvres injustement évincées du système de valeurs dominant, en rêvant pour elles d’« un monde alternatif plus accueillant. » On connaît la propension d’un Bayard mi-figue, mi-raisin, à vouloir « corriger les hiérarchies souvent contestables de la postérité littéraire et artistique », quand ce n’est pas à vanter les bienfaits qu’il y aurait à réattribuer les œuvres, à faire, par exemple, de Kafka l’auteur de <em>L’Etranger</em> ou de Tolstoï le créateur de <em>Autant en emporte le vent</em> (<em>Et si les œuvres changeaient d’auteur ?</em>, Minuit, 2010). Son mérite principal, cependant, est de nous rappeler que la prise en compte de ce qui ne s’est pas passé, ou de ce qui aurait pu se passer autrement, relève bel et bien d’un mode de cognition en bonne et due forme.</p>
<p>Il y a longtemps que les historiens <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/histoire/et-si-on-refaisait-lhistoire-_9782738126375.php">ont retenu la leçon</a>. À force de se pencher, entre autres choses, sur le sort des batailles, ils en sont venus à s’interroger. Et si Napoléon avait vaincu à Waterloo ? ; et si les Confédérés avaient remporté le conflit contre leurs frères du Nord ? ; et si les nazis n’avaient pas perdu la Seconde guerre mondiale ? Ils ruminent depuis longtemps, aussi, la longue portée de la pensée de Pascal : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde aurait changé. » Même si le philosophe consacre son fragment à la « Vanité » et aux causes et conséquences de l’amour, sa réflexion porte en germe la notion d’alternative à l’histoire officielle racontée par les manuels. Ici, la disproportion entre un détail anatomique et les conséquences géopolitiques, à l’échelle de Rome, du choix amoureux fait par Marc-Antoine, est à ce point spectaculaire qu’elle interpelle l’historien (tout comme elle frappe l’imagination). Rien d’étonnant, donc, qu’on doive à un spécialiste de l’histoire des religions, <a href="https://journals.openedition.org/elh/585">Charles Renouvier</a> (1815-1903), la paternité du néologisme « Uchronia ». Pour la circonstance, le philosophe se fit romancier.</p>
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<h2>L’Anti-déterminisme de Renouvier</h2>
<p>Rien de tel qu’une fiction, censément écrite par un obscur moine du XVI siècle, pour faire passer <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k833574.texteImage">un propos ambitieux</a>, parfaitement résumé par un titre à rallonge : <em>Uchronie (l’Utopie dans l’histoire), Esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu’il n’a pas été, tel qu’il aurait pu être</em>. Et d’imaginer, vers la fin du règne de Marc Aurèle, une ligne de divergence–« point de scission » est l’expression de Renouvier –, à partir de laquelle le christianisme ne serait pas devenu religion d’État, et aurait même été bouté hors des frontières romaines, vers l’Est. Ainsi l’Occident aurait-il pu faire l’économie de guerres de religion sanguinaires autant que multiséculaires…</p>
<p>Partisan convaincu de la laïcité avant la lettre, le penseur républicain – nous sommes en 1876 – aura eu besoin de l’uchronie pour donner du corps à sa conviction profonde : le libre arbitre doit s’imposer dans la gestion des affaires humaines. Son récit a beau être « chimériquement défectueux », il fait œuvre « utile », en réclamant à cor et à cri « le droit d’introduire dans la série effective des faits de l’histoire un certain nombre de déterminations différentes de celles qui se sont produites. » Machine de guerre contre la religion, son uchronie est surtout un anti-déterminisme, une mise en demeure « adressée aux partisans nouveaux, sérieux, trop peu résolus peut-être, d’une liberté humaine, réelle dans le passé qu’elle a fait et qu’elle aurait pu ne pas faire, et grosse d’un immense avenir, dont sa propre affirmation doit être le point capital. »</p>
<h2>Imaginer des mouvements de bascule</h2>
<p>De l’ouvrage de Renouvier, les auteurs d’uchronies fictives retiendront la composante civilisationnelle. Tant qu’à faire, autant que les lignes de divergence débouchent sur des mouvements de bascule géopolitique de très grande ampleur. C’est l’audacieuse ligne de conduite adoptée par Laurent Binet, dans <em>Civilizations</em> (2019), ou par les <em>Chroniques des années noires</em> (2002) de Kim Stanley Robinson. Plus classiquement, la réécriture s’envisage aussi à partir de la destinée d’un « grand » homme. Stephen King tente ainsi de prévenir l’assassinat de Kennedy (22/11/63, 2011). La même année, <em>Rêves de gloire</em>, de Roland C. Wagner, spécule sur le destin d’une Algérie évoluant « très différemment » à partir de l’assassinat du général de Gaulle, en octobre 1960. <em>Le complot contre l’Amérique</em> (2004), de Philip Roth imagine un Roosevelt battu aux élections présidentielles de 1940 par Charles Lindbergh, l’aviateur devenu homme politique antisémite et fascisant. Eric Emmanuel Schmidt romance la double vie, contrefactuelle et réelle, d’Adolf Hitler, à partir d’une hypothèse a priori simple : et si le peintre du dimanche n’avait pas raté le concours d’entrée à l’École des Beaux-Arts de Vienne ? (<em>La part de l’autre</em>, 2001). Pour sa part, George Steiner avait mis en scène la capture, au fond de la jungle amazonienne, d’un Hitler nonagénaire, dans le controversé <em>Le Transport d’A.H</em>. (1981).</p>
<h2>Explorer d’autres chemins</h2>
<p>C’est souvent que les romanciers imaginent le pire, donnant ainsi à penser qu’uchronie et dystopie ont partie liée. « Et si les nazis étaient devenus les maîtres du monde ? » : tel est sans conteste le scénario le <a href="https://www.lepoint.fr/pop-culture/si-les-nazis-avaient-gagne-la-guerre-6-uchronies-incontournables-30-10-2017-2168543_2920.php">plus répandu en fiction à ce jour</a>. D’authentiques chefs-d’œuvre, dont <em>Le Maître du Haut château</em> (1962), de Philip K. Dick, y côtoient des dizaines de romans animés par le même souci : refaire l’histoire pour mieux comprendre ce à quoi nous avons échappé. De fait, <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/la-fleche-du-temps/">inverser la flèche du temps</a>, pour en remonter le mécanisme autrement, c’est chercher à le « réparer » : et si le non temps de l’uchronie était, en définitive, un « bon » ou « meilleur » temps (préfixe <em>eu</em>, en lieu et place de <em>ou</em>) ? C’est aussi refuser l’idée reçue selon laquelle il n’y aurait qu’une manière d’écrire l’histoire – celle que signent les vainqueurs –, et, de fil en aiguille, qu’une pensée (« unique »), qu’un système économique (le capitalisme néo-libéral), etc. Cela revient, de facto, à s’inscrire en faux contre la tristement célèbre formule thatchérienne : <em>There Is No Alternative</em>. D’autres chemins existent. À condition qu’ils ne croisent pas la route des « faits alternatifs » forgés en son temps par l’Administration Trump. Nous parlons ici de fiction, pas de mensonges caractérisés.</p>
<p>Il y a quelque chose de prométhéen, mais aussi d’enfantin, à vouloir contredire l’histoire de la sorte. L’enfant, ce potentiel « pervers polymorphe » dont parle Freud, déteste les contraintes tout comme il a plaisir à nier les évidences. Le romancier, mais il en va de même des cinéastes tel Quentin Tarantino et son iconoclaste <em>Inglourious Basterds</em> (2009), lui ressemble quand il cherche à prendre sa revanche sur le monde des adultes et les grands malheurs, historico-politiques, que ces derniers s’ingénient à propager. En récusant le principe de réalité, il se crée un espace de jeu. Tantôt, il joue à se faire peur : « C’est la peur qui préside à ces Mémoires, une peur perpétuelle. Certes, il n’y a pas d’enfance sans terreur, mais tout de même : aurais-je été si craintif si nous n’avions pas eu Lindbergh pour Président ou si je n’étais pas né dans une famille juive ? » (<em>Le complot contre l’Amérique</em>). Tantôt, il joue tout court, à l’image d’un Salman Rushdie nous offrant, avec les accents orphiques de <em>La terre sous ses pieds</em> (1999), une réjouissante fable postcoloniale, dans laquelle il réécrit l’histoire du rock & roll. Non, le rock n’est pas né en Occident, mais en Orient, sur le sol indien. Au passage, « Pretty Woman », de Roy Orbinson, est réattribué aux Kinks. Mais c’est presque un détail d’une histoire qui voit Kennedy périr assassiné, mais aux côtés de son frère Robert, et pas à Dallas.</p>
<h2>Et si le Nobel… ?</h2>
<p>L’irrévérence de Rushdie nous ramène à ses <em>Versets sataniques</em> (1988). L’un des personnages du roman y remontait en songe aux origines de la constitution du Coran, à la recherche d’une ligne de divergence : le moment où Satan se serait substitué à l’Ange de la Récitation, pour souffler au prophète des sourates controversées, récusées par la suite. Hérésie ! protestent les théologiens d’un Islam rigoriste, qui nient l’existence d’une telle ligne de faille. Possible narratif ! s’écrie le romancier naturellement sceptique. Dialogue de sourds, assurément : Rushdie aura payé un lourd tribut, et encore tout dernièrement, à cette « divergence » condamnée par les islamistes purs et durs. Dans son dernier recueil d’essais, <em>Langages de vérité 2003-2020</em> (Actes Sud, 2022), il persiste pourtant à rappeler qu’une des modalités du « Et si ? » prend naissance dans les contes arabes des <em>Mille et une nuits</em>, où il est loisible de poser simultanément une chose et son contraire, anticipant en cela sur les possibilités spatio-temporelles infinies <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070138975-le-chat-de-schrodinger-philippe-forest/">offertes par la physique quantique</a>. L’équivalent arabe de la formule « Il était une fois » est <em>kan ya ma kan</em>, que l’on peut traduire par « C’était ainsi, ce n’était pas ainsi. »</p>
<p>Avec des si, on mettrait Paris en bouteille, entend-on souvent dire. Loin de mettre la littérature de fiction en bouteille, la multiplication des « Et si ? » la libère de la Bastille dans laquelle certains voudraient la garder prisonnière. Et si, à la date du 6 octobre 2022, le jury du Nobel avait décidé de faire coup double, en attribuant avant tout le prix à Annie Ernaux, mais aussi à Salman Rushdie ? Ou serait-ce que certains “possibles du passé” sont moins possibles que d’autres ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196067/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’uchronie est au passé ce que la science-fiction est à l’avenir : la seconde anticipe, là où la première se met en quête de ce qu’on appellera, avec Pierre Bayard, les « possibles du passé ».Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1955742022-12-08T19:27:24Z2022-12-08T19:27:24Z« Black Panther : Wakanda Forever », ou la revanche des subalternes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499291/original/file-20221206-8760-87jmu1.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=98%2C5%2C1145%2C778&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La fiction permet de changer de perspective et de penser l'espace géopolitique selon une vision alternative. </span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p><em>Ce billet divulgâche sans scrupules l’intrigue de « Black Panther : Wakanda Forever ». Aussi, n’hésitez pas à voir le film avant de le lire.</em></p>
<hr>
<p>Il y a bientôt cinq ans, sortait sur les écrans le film de la franchise Marvel <em>Black Panther</em>, réalisé par Ryan Coogler. J’avais alors la chance de me trouver à Ibadan, au Nigeria, où <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/9982">j’assistais</a> à son accueil enthousiaste par le public nigérian, à l’image de la réception du film ailleurs sur le globe et particulièrement en Afrique.</p>
<p>L’intérêt du premier <em>Black Panther</em> résidait surtout dans la représentation en majesté d’une nation africaine n’ayant jamais été colonisée, le Wakanda. Pour cette raison notamment, ce royaume est à la fois présenté comme fier de son identité, de son organisation sociopolitique ou encore de son architecture uniques, et doté des technologies en termes d’urbanisme, de santé ou encore d’armement les plus avancées au monde, grâce à ses importantes ressources en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vibranium">vibranium</a> sur lesquelles aucune puissance étrangère n’a jamais pu mettre la main.</p>
<h2>Un laboratoire afrofuturiste</h2>
<p>Pour ce second volet, le réalisateur Ryan Coogler a fait le choix d’approfondir cette proposition géopolitique alternative en l’assortissant d’une charge renforcée contre les entreprises (néo)coloniales européennes et l’exploitation des ressources des pays du Sud par le Nord.</p>
<p>Ce pari en apparence original, voire risqué pour une grosse franchise américaine et grand public telle que Marvel, ne fait en fait que reproduire une pratique classique des autrices et auteurs de fiction spéculative, visant à critiquer le passé et/ou le présent de leur société en imaginant des scénarios alternatifs.</p>
<p>La fiction est utilisée dès lors comme un laboratoire permettant de tester d’autres possibles, qui auraient pu ou pourraient être, comme l’analysent les autrices <a href="https://www.academia.edu/7017991/The_New_Utopian_Politics_of_Ursula_K_Le_Guins_The_Dispossessed">Ursula K. Leguin</a> ou <a href="https://nnedi.com/">Nnedi Okorafor</a> et des chercheuses comme <a href="https://adanewmedia.org/2013/11/issue3-haraway/">Donna Haraway</a> et <a href="https://www.natcult.net/interviews/reclaiming-imagination-speculative-sf-as-an-art-of-consequences/">Isabelle Stengers</a> ou encore le politiste <a href="https://journals-openedition-org.inshs.bib.cnrs.fr/methodos/4178?lang=en">Yannick Rumpala</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sci-fi stories that imagine a future Africa | TED.</span></figcaption>
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<p>Comme le remarque l’historien <a href="https://theconversation.com/black-panther-wakanda-forever-continues-the-series-quest-to-recover-and-celebrate-lost-cultures-193508">Julian C. Chambliss</a> à propos du film, Ryan Coogler et son équipe s’inscrivent aussi dans le sillage des artistes se revendiquant de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-afrofuturisme-une-esthetique-de-l-emancipation-5644687">l’afrofuturisme</a>, en remettant en lumière des savoirs et savoir-faire noirs ayant contribué aux avancées de la science et de la société, mais qui auraient été annihilés par l’esclavage et la colonisation :</p>
<blockquote>
<p>« Par cette fascination à révéler comment les contributions noires ont été effacées et supprimées, les productions afrofuturistes commencent souvent par explorer le passé pour mieux créer d’autres visions du futur [ma traduction] ».</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/djBKQNVj5Cc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ouverture de l’album Space is the place (1974) de Sun Ra, musicien emblématique du mouvement afrofuturiste afro-américain.</span></figcaption>
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<h2>Une proposition géopolitique alternative</h2>
<p>L’originalité de <em>Black Panther : Wakanda Forever</em> se situe en revanche dans le choix de baser sa proposition géopolitique alternative, où le Nord n’est plus le maître de toutes les ressources et la plus grande puissance du globe, sur le recours non seulement à un royaume africain jamais colonisé, mais aussi à une nation secrète et aquatique inspirée du mythe de <a href="https://eduscol.education.fr/odysseum/atlantide-le-mythe-de-la-grande-ile-engloutie#:%7E:text=L%E2%80%99Atlantide%20est%20une%20%C3%AEle,brutalement%20lors%20d%E2%80%99un%20cataclysme.">l’Atlantide</a> et surtout de l’histoire mésoaméricaine et des mythologies précolombiennes, Talokan. Celle-ci est dirigée depuis cinq siècles par un demi-dieu aux chevilles ailées, Ku’ku’lkán, le dieu serpent à plumes en langue maya, ou Namor tel que le « baptise » un missionnaire catholique le qualifiant de « niño sin amor » (enfant sans amour). Ce dernier est sorti de l’esprit de l’<a href="https://www.rollingstone.com/tv-movies/tv-movie-features/black-panther-wakanda-forever-mcu-colonialism-1234628690/?_gl=1*uqyat8*_ga*YW1wLTdDZXFNdXJFTXFXeE85Z1k0NWZGbUtFa210NlQ0OWpNX2ExbjhuMEQzalVKR1FPbFNZLUVyc2ZCRzNwZXdjLXQ&fbclid=IwAR1hnCmYAhwSSNEpTIdF5LwDen9-Qc-f9aP0RA6x6T7hay_YEFGrqwsnIl0">auteur américain de comics Bill Everett en 1939</a>, ce qui en fait l’un des premiers super héros Marvel.</p>
<p>Ryan Coogler et ses collaboratrices et collaborateurs, dont Hannah Beachler et Ruth Carter, primées respectivement pour la beauté et la richesse des paysages et de l’architecture du Wakanda et pour les costumes du premier <em>Black Panther</em>, ont cependant préféré travailler avec des historiens maya pour privilégier les références mésoaméricaines et s’éloigner ainsi de la <a href="https://www.smithsonianmag.com/history/the-mesoamerican-influences-behind-namor-from-black-panther-wakanda-forever-180981106/">référence problématique à l’Atlantide</a>. En s’inspirant notamment des peintures et sculptures précolombiennes existantes, mais aussi des mythes maya et aztèques transmis jusqu’à ce jour, ils imaginent ainsi une civilisation qu’ils qualifient eux-mêmes de « post-classic Yucatan ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce de Wakanda Forever.</span></figcaption>
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<p>Certains spécialistes des civilisations mésoaméricaines ont pu certes regretter le mélange des références, associant par exemple le <a href="https://theconversation.com/black-panther-and-brown-power-how-wakanda-forever-celebrates-pre-columbian-culture-193443">paradis aztèque Tlālōcān gouvernée par la déesse de la pluie Tlāloc</a> au dieu serpent à plumes maya Ku’ku’lkán.</p>
<p>On peut aussi s’interroger sur la proximité mise en scène entre le peuple de Talokan et les animaux marins, rappelant d’autres grosses productions cinématographiques comme <a href="https://www.researchgate.net/publication/323188192_Environmentalism_and_the_Ecological_Indian_in_Avatar_A_Visual_Analysis"><em>Avatar</em> de James Cameron (2009)</a> puisant dans un imaginaire occidental stéréotypé considérant les populations amérindiennes comme les « gardiens de la forêt » par excellence, sur le mode du « mythe de l’Indien écologique » étudié par l’anthropologue <a href="https://wwnorton.com/books/The-Ecological-Indian/">Shepard Krech</a> ou plus récemment l’historien <a href="https://laviedesidees.fr/Sauvages-et-reensauvageurs.html">Thomas Grillot</a>. Autant de travers que l’on avait déjà pu reprocher à la représentation de la nation « africaine » du Wakanda dans <em>Black Panther</em>, tendant vers l’essentialisme et la folklorisation.</p>
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<p>Reste que, comme le souligne <a href="https://www.smithsonianmag.com/history/the-mesoamerican-influences-behind-namor-from-black-panther-wakanda-forever-180981106/">Kurly Tlapoyawa</a>, archéologue et ethnohistorien spécialiste des civilisations mésoaméricaines : « ce n’est pas un documentaire. Il y a tellement d’autres choses qui peuvent s’ancrer dans la réalité ». Ce qui compte, pour lui comme pour <a href="https://theconversation.com/black-panther-and-brown-power-how-wakanda-forever-celebrates-pre-columbian-culture-193443">l’acteur mexicain Tenoch Huerta</a> qui incarne Namor à l’écran, c’est que les cultures précolombiennes soient représentées dans toute leur splendeur, de même que leurs langues, comme le yucatèque parlé à Talokan, et leurs descendants, jusqu’ici trop souvent cantonnés dans le cinéma hollywoodien aux rôles de migrants illégaux ou de narcotrafiquants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1595025300290555905"}"></div></p>
<h2>Une critique féroce des entreprises (néo)coloniales</h2>
<p>Mais au-delà de la représentation à l’écran de deux civilisations non occidentales puissantes et jalouses de leur indépendance, Ryan Coogler a choisi aussi de faire son deuxième <em>Black Panther</em> une critique féroce des entreprises (néo)coloniales conduites par l’Occident à l’encontre de l’Afrique et des Amériques.</p>
<p>L’affrontement entre le Wakanda et Talokan ne doit en effet tromper personne, en ce qu’il n’est en fait qu’une étape de l’organisation de la résistance des Suds menacés par l’avidité du Nord. Dès le premier <em>Black Panther</em> déjà, beaucoup n’avait pas manqué de voir dans le vibranium une variante fictionnelle des nombreuses richesses minières détenues <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/05/la-noire-realite-derriere-black-panther_5281128_3232.html">par certains pays africains</a>, comme la République Démocratique du Congo, mais convoitées et exploitées par des puissances étrangères, au prix de mettre des régions entières comme le Kivu à feu et à sang.</p>
<p>De là, le film évoque avec force la phrase de Frantz Fanon issue de son dernier ouvrage, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_damnes_de_la_terre-9782707142818"><em>Les damnés de la terre</em></a> (1961) :</p>
<blockquote>
<p>« La dernière bataille du colonisé contre le colon, ce sera souvent celle des colonisés entre eux ».</p>
</blockquote>
<p>Même si, on le rappelle, le Wakanda et Talokan n’ont jamais été colonisés, tous deux passeront en effet par le conflit avant de s’entendre sur une alliance pour se protéger mutuellement des intentions prédatrices de l’Occident et conserver ainsi leur indépendance et leur principale ressource, le vibranium.</p>
<h2>Une charge critique contre la France</h2>
<p>À ce titre d’ailleurs, on ne peut manquer d’être frappé par la virulence de la charge du film contre la France. Elle est particulièrement évidente dans la scène se jouant entre une base avancée du Wakanda au Mali, attaquée par des mercenaires français à la recherche de vibranium, et l’assemblée de l’ONU à New York, où la reine Ramonda expose publiquement l’hypocrisie de la diplomatie française.</p>
<p>Mais elle transpire aussi dans plusieurs « clins d’œil » à l’histoire des luttes contre l’esclavage dans les colonies françaises et pour l’indépendance en Afrique francophone : la reine mère du Wakanda se trouve ainsi être fille de <a href="https://memoire-esclavage.org/biographies/patrice-lumumba">Lumumba</a>, le patronyme du héros de l’indépendance de l’actuelle République Démocratique du Congo, assassiné avec la complicité de l’ancienne puissance coloniale belge ; et l’héritier du roi T’Challa et de l’espionne Nakia, caché depuis sa naissance à Haïti, est baptisé Toussaint, en un hommage à <a href="https://memoire-esclavage.org/biographies/toussaint-louverture">Toussaint Louverture</a>, libérateur de la colonie française de Saint-Domingue en 1804 qui deviendra Haïti, la première République noire indépendante. On peut ainsi s’interroger sur la réception de cet aspect du film selon où il est visionné, à l’heure où le sentiment anti-français grandit dans nombre de pays africains francophones, dont certains dirigeants entretiennent encore des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-empire-qui-ne-veut-pas-mourir-collectif/9782021464160">liens ambigus avec l’ancienne puissance coloniale</a>, au détriment de leurs citoyennes et citoyens. </p>
<p>Reste qu’au-delà de ces références aux relations de la France avec ses anciennes colonies, de même qu’à la violence de la conquête espagnole en Amérique du Sud et plus récemment à l’impérialisme nord-américain, décrié dans le film par les tentatives désespérées des États-Unis pour trouver du vibranium, il est finalement très peu question de l’Occident.</p>
<h2>Un écho original à la pensée « subalterne »</h2>
<p>C’est en effet l’une des grandes forces de cette superproduction hollywoodienne que de « provincialiser » le Nord, pour laisser l’avant-scène à deux grandes nations du Sud s’affrontant puis s’associant pour se protéger et continuer à prospérer en paix. <em>Black Panther : Wakanda Forever</em> apparaît dès lors comme un film résolument <a href="https://metropolitiques.eu/Desoccidentaliser-la-pensee.html">« Southern Turn »</a>, du nom de ce courant de recherche en études urbaines parti d’Afrique du Sud et revendiquant le reversement du point de vue des chercheuses et des chercheurs pour mieux produire de la théorie urbaine depuis les villes des Suds.</p>
<p>Dans la même veine, on peut aussi considérer le film comme une traduction grand public des propositions des <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/subalternes-etudes/">« études subalternes »</a>, définies à partir des années 1980 depuis l’Asie du sud et notamment l’Inde, appelant à l’inversion des hiérarchies de pouvoir et de savoir entre « centre » et « périphéries » (le Nord et les Suds d’un point de vue géopolitique), mais aussi entre classes dominantes et les subalternes (pouvant être selon le contexte les classes ouvrières, la paysannerie, les esclaves, les migrantes et migrants, etc.) pour adopter et faire entendre leurs points de vue.</p>
<p>Il s’agit à ce titre d’un vrai tour de force pour l’équipe du film, contrainte par un genre cinématographique, le film de superhéros, tendant toujours à valoriser la puissance, physique ou technologique, et à héroïser les dominants (comme le milliardaire Bruce Wayne devenu Batman par exemple), malgré quelques figures de losers magnifiques comme Spider Man.</p>
<p>C’est d’ailleurs ce qui limite aussi la portée « subalterne » de ce deuxième <em>Black Panther</em>, mettant en scène deux civilisations certes des Suds, mais qui restent régies par des systèmes politiques hyper centralisés – monarchie de droit divin ou royauté sacrée – ce que ne manque pas d’ailleurs de critiquer <a href="https://lithub.com/from-gar%EF%AC%81eld-to-black-panther-nnedi-okorafor-on-the-power-of-comics/">Nnedi Okorafor</a>, l’autrice de plusieurs numéros du comic <em>Black Panther</em>. Elle convoque d’ailleurs un proverbe igbo du Nigeria d’où ses parents sont originaires : « Igbo enwe eze » « Les Igbo n’ont pas de roi ».</p>
<p>Ainsi, sous ses airs de divertissement de masse, la saga <em>Black Panther</em> poursuit-elle son entreprise de renversement des perspectives, en pensant un monde où la puissance et l’innovation viennent des Suds et où le Nord est relégué à un rôle de spectateur, avec toujours un temps de retard.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été publié en collaboration avec le <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/19271">blog de la revue Terrain</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilie Guitard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour ce second volet, le réalisateur Ryan Coogler renforce sa proposition géopolitique alternative, en mettant à l’avant-scène deux nations non-occidentales pour mieux « provincialiser » le Nord.Emilie Guitard, Chargée de recherche en anthropologie au CNRS, membre de l'UMR Prodig et chercheure associée à l'UMR LAM, intervenante dans le Master DYNPED, Université Paris 1, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1943122022-11-17T17:17:45Z2022-11-17T17:17:45ZNapoléon vs Marie-Antoinette : les stéréotypes de genre dans la narration des jeux vidéo<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/495877/original/file-20221117-23-81htdn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C2291%2C1263&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image issue du jeu « Assasin's Creed : unity »</span> </figcaption></figure><p>Bien des récits, dans l’univers culturel dominant, imposent encore un regard biaisé par l’intermédiaire d’histoires dans lesquelles, le plus souvent, les personnages masculins sont actifs, puissants, dominants, alors que les personnages féminins sont passifs, souvent sexualisés, ont besoin de protection <a href="https://www.brut.media/fr/entertainment/c-est-quoi-le-male-gaze--beae7f9e-7c01-4c4c-8e21-6839e44565bb">et sont l’objet du regard masculin</a>.</p>
<p>Les jeux vidéo, reconnus comme le 10<sup>e</sup> art par le ministère de la Culture en 2006, n’échappent pas aux stéréotypes de genre. En 2019, seulement 5 % des jeux vidéo offraient aux joueurs/joueuses la possibilité d’incarner des personnages féminins (Statista, 2019).</p>
<p>Une explication possible, sans que cela soit une justification, repose sur la structure de l’industrie du jeu vidéo où les développeurs sont majoritairement des hommes (61 % en 2021, Statista). De plus, les stéréotypes de genre sont reproduits dans les publicités pour les jeux vidéo qui mettent majoritairement en scène des hommes, comme on le voit <a href="https://www.ea.com/fr-fr/games/fifa/compete/fgs-22">dans la bande d’annonce de EA Sports FIFA 22 Global Series</a>. De façon similaire, l’industrie de l’e-sport met majoritairement en lumière les joueurs professionnels masculins.</p>
<h2>Les stéréotypes de genre</h2>
<p><a href="https://psycnet.apa.org/record/1995-97464-000">Les stéréotypes</a> sont « un ensemble de croyances partagées à propos des caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais aussi des comportements, propres à un groupe de personnes ». Ils représentent des raccourcis pour catégoriser des groupes d’individus, génèrent un jugement à leur égard et peuvent être utilisés pour légitimer une hiérarchie et une inégalité entre les groupes sociaux. Les stéréotypes de genre sont des croyances quant aux attributs des femmes et des hommes qui se retrouvent dans les représentations des personnages des jeux vidéo. Par exemple, les personnages féminins sont moins présents en nombre, plus souvent sexualisés et présentés comme des personnages « non essentiels » ou « passifs » du jeu.</p>
<p>Le storytelling véhiculé par la culture populaire contribue à légitimer la hiérarchie de genre.</p>
<p>Traditionnellement, les récits sont des cadres importants de la légitimation sociale et cognitive. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/morphologie-du-conte-vladimir-propp/9782757850251">Vladimir Propp (1920) a étudié</a> 100 contes populaires russes et a répertorié 7 stéréotypes de personnages (héros, princesse, méchant, donateur, répartiteur, aide, faux héros). La princesse est toujours décrite comme belle, de bonne humeur, mais faible et passive. Elle est la récompense pour le héros qui l’épouse à la fin de sa quête.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Nous nous sommes intéressés à l’impact du storytelling genré sur la perception des joueurs/joueuses des stéréotypes de genre. Nous avons étudié deux titres de jeux vidéo à succès (RPG – Role Playing Games), publiés respectivement en 2007 et 2015, toujours très plébiscités par les gamers aujouord’hui : <em>Assassin’s Creed</em> (éditeur Ubisoft) et <em>The Witcher</em> (éditeur CD Projekt Red). Nous avons utilisé la méthode de « webscraping » (deux programmes en python nous ont permis d’explorer les scripts des deux jeux vidéo sur les pages fandom) et nous avons mené 31 entretiens entre janvier et avril 2022 avec des joueurs/joueuses. Les résultats montrent que la narration dans les deux jeux étudiés reproduit les stéréotypes de genre :</p>
<ul>
<li>En accordant plus de temps de parole dans les dialogues aux personnages masculins qui sont aussi plus nombreux (figure 1 & 2) :</li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495838/original/file-20221117-19-564zur.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495838/original/file-20221117-19-564zur.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495838/original/file-20221117-19-564zur.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495838/original/file-20221117-19-564zur.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495838/original/file-20221117-19-564zur.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495838/original/file-20221117-19-564zur.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495838/original/file-20221117-19-564zur.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 1 : Proportion des personnages masculins et féminins et leur temps de parole respectif dans le script du jeu (Assassin Creed 2007).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495839/original/file-20221117-13-isvb20.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495839/original/file-20221117-13-isvb20.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495839/original/file-20221117-13-isvb20.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495839/original/file-20221117-13-isvb20.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495839/original/file-20221117-13-isvb20.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495839/original/file-20221117-13-isvb20.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495839/original/file-20221117-13-isvb20.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 2 : Proportion des personnages masculins et féminins et leur temps de parole respectif dans le script du jeu (The Witcher 2015).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>En attribuant un éventail de professions plus diversifié aux personnages masculins (64 professions différentes), alors que les personnages féminins n’occupent que jusqu’à 14 professions différentes.</p></li>
<li><p>En représentant les héros dans des rôles situés au sommet de la hiérarchie professionnelle et dotés de positions de pouvoir, dominantes et valorisantes telles que chevalier, prêtre, dentiste, artiste, barde, poète, marchand, garde, forgeron, armurier, soudeur, guerrier. En comparaison, les héroïnes sont confinées à des rôles de la sphère du soin aux autres (guérisseuse, infirmière, serveuse) ou très imprégnés par le regard masculin en tant qu’objets sexuels (courtisane, prostituée).</p></li>
</ul>
<h2>Un storytelling perçu comme une vision « historique » de la société</h2>
<p>Un autre résultat nous a frappé : les joueurs/joueuses interviewés confient qu’ils « acceptent » les stéréotypes de genre dans la narration parce qu’ils considèrent que les scripts de jeux vidéo proposent un récit factuel de l’histoire. Les concepteurs de jeux vidéo coopèrent très souvent avec des historiens, afin de rendre les récits plausibles et visuellement cohérents, d’où une possible confusion entre fiction et faits historiques ; pour autant, ils ne cherchent pas à représenter l’histoire de façon documentaire, et les jeux vidéo appartiennent au domaine de l’imaginaire.</p>
<p>En raison de cette ambivalence, la référence à des faits « historiques » (ou d’une certaine perception de ces faits) est l’un des arguments employés par les joueurs interrogés pour justifier la représentation différenciée des femmes et des hommes dans la narration des jeux vidéo, comme l’illustre ce verbatim :</p>
<blockquote>
<p>« A l’époque de Napoléon, aucune femme n’est connue pour avoir fait de grandes choses. [Dans les jeux vidéo] il y a plus de personnages masculins, c’est une transcription de l’histoire. Quand vous rencontrerez Napoléon en [tant que personnage dans le jeu], il sera plus impressionnant que Marie-Antoinette pour ce qu’il a fait historiquement. Pour moi, il ne s’agit pas d’une discrimination, mais de faits. Les personnages historiques sont représentés [dans les jeux vidéo] comme dans la réalité. »</p>
</blockquote>
<p>Les résultats de cette recherche soulignent l’importance des récits de jeux et leur impact sur la légitimation des rôles de genre dans la société, de même qu’une certaine méconnaissance de l’histoire avec un grand H – autant <a href="https://editions-iconoclaste.fr/livres/les-grandes-oubliees/">celle des grandes figures historiques féminines</a> (en politique, en arts ou en sciences), que celle des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sorcieres-9782355221224">discriminations liées au genre</a>.</p>
<p>Comment, à travers le jeu vidéo, changer les mentalités façonnées par des stéréotypes et représentations genrés ancrés dans la société ?</p>
<h2>Vers des personnages féminins dans les rôles principaux</h2>
<p>Le storytelling de jeu offre des possibilités illimitées aux développeurs de jeux en termes d’univers fictifs où des protagonistes féminines fortes peuvent être introduites dans des rôles principaux. <em>The Last of Us</em> (editeur Sony Computer Entertainment) et <em>Horizon : Zero Dawn</em> (editeur Sony Interactive Entertainment) sont deux exemples de jeux dans des mondes fictifs avec des personnages féminins dans des rôles principaux. Les deux jeux ont été classés comme des best-sellers.</p>
<h2>Développer des protagonistes féminines sans objectiver leur corps</h2>
<p>Ces dernières années, des changements positifs ont été observés en termes de représentation égale des sexes par les éditeurs dans le récit du jeu. Une illustration frappante de cette tendance est l’évolution physique de Lara Croft dans la licence Tomb Raider de 1996 à 2015 où le corps de la protagoniste n’est plus dénudé et moins sexualisé dans la dernière édition (figure 3).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495840/original/file-20221117-25-n0bjnn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495840/original/file-20221117-25-n0bjnn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495840/original/file-20221117-25-n0bjnn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495840/original/file-20221117-25-n0bjnn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495840/original/file-20221117-25-n0bjnn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495840/original/file-20221117-25-n0bjnn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495840/original/file-20221117-25-n0bjnn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">fandom pages</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Le storytelling dans le divertissement, le cinéma ou les jeux vidéo peut intégrer des messages sociétaux importants dans le but d’influencer positivement sur les connaissances, les attitudes, les représentations et les comportements. Les éditeurs de jeux vidéo doivent faire preuve de responsabilité sociale pour contribuer à une éducation de leur public au sujet de l’égalité des sexes et plus globalement de la diversité et l’inclusion (ex. la représentation des minorités).</p>
<h2>Faciliter l’accès des femmes à l’industrie du jeu vidéo</h2>
<p>Afin d’inciter les femmes à rejoindre l’industrie du jeu vidéo (y compris à des postes clés) et de sensibiliser les professionnels de l’industrie aux enjeux l’égalité et de la diversité, quelques initiatives émergent, comme le lancement par le <a href="https://www.sell.fr/">Syndicat des éditeurs de logiciels de jeux vidéo en France</a> d’une série de documentaires sur le thème « Art & Jeux vidéo » où la parole est donnée à plusieurs femmes travaillant dans l’industrie du jeu. En racontant leurs histoires professionnelles réussies, elles influencent la façon dont l’industrie est représentée en termes de possibilités de carrière pour les femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194312/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>La Chaire Diversité et Inclusion que je dirige a déjà reçu des financements de la part d'entreprises privées comme Orange, Dassault Systèmes ou Crédit Agricole</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Guergana Guintcheva, Isis Beloslava Daudé et Laura Lacombe ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>A travers les types de personnages et les récits, les jeux vidéos véhiculent encore de nombreux stéréotypes de genre, même si des évolutions apparaissent.Guergana Guintcheva, Professeur de Marketing, EDHEC Business SchoolHager Jemel-Fornetty, Associate professor, EDHEC Business SchoolIsis Beloslava Daudé, Étudiante MSc Computer Science - Cybersecurity, EPFL – École Polytechnique Fédérale de Lausanne – Swiss Federal Institute of Technology in LausanneLaura Lacombe, Chargée d'études Diversité et Inclusion, EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1904722022-09-12T22:46:47Z2022-09-12T22:46:47ZCes reines (et ces rois) qui trônent sur le roman anglais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484046/original/file-20220912-14-boun80.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C12%2C582%2C479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qu'on lui coupe la tête (1907), illustration de Charles Robinson pour Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Reine_de_c%C5%93ur_%28Alice_au_pays_des_merveilles%29#/media/Fichier:Alice's_Adventures_in_Wonderland_-_Carroll,_Robinson_-_S008_-_'Off_with_her_head!'.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Dans quelques jours, le 19 septembre prochain, le cortège funéraire portant le cercueil d’Elizabeth II cheminera à travers les rues de Londres, avant de gagner la dernière demeure de feu la reine, à Windsor. On ne le sait pas, mais la scène a déjà été vécue, déjà écrite surtout. En 1823. Par un certain <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/quincey.php">Thomas de Quincey</a>, l’auteur des <em>Confessions d’un mangeur d’opium anglais</em>. Son évocation commence ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« S’il a jamais été présent dans une vaste métropole le jour où quelque grande idole nationale était menée en pompe funèbre à sa tombe, et s’il est arrivé que, marchant près de l’itinéraire suivi par elle, il ait senti puissamment, dans le silence et la désertion des rues et la stagnation de toute affaire courante, le profond intérêt qui, à ce moment-là, possède le cœur de l’homme […] »</p>
</blockquote>
<p>C’était à l’occasion des funérailles de la Princesse Charlotte Augusta, fille du Prince régent, le futur George IV, morte en couches en 1817, à l’âge de 21 ans. L’affliction à Londres avait été considérable, et <a href="https://theconversation.com/byron-et-delacroix-aux-avant-postes-de-linternationale-romantique-163918">Lord Byron</a>, autre témoin capital, l’avait également rapportée au chant IV de son poème autobiographique, « Childe Harold ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La princesse Charlotte Augusta.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charlotte_de_Galles_(1796-1817)#/media/Fichier:Charlotte_Augusta_of_Wales.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Matériau romanesque</h2>
<p>D’une « idolâtrie », l’autre. En dépit de ce qui rapproche le deuil « national » d’hier de celui d’aujourd’hui, nous sommes loin, avec De Quincey, de nos séries télévisées (<em>Royals</em>, <a href="https://theconversation.com/the-crown-saison-4-un-soap-opera-cruel-envers-linstitution-monarchique-151264"><em>The Crown</em></a>…) et de leur scénarisation addictive. Loin des deux modalités quasi obligées du discours contemporain autour de la famille royale, lequel a décidément du mal à échapper aux séductions (tentaculaires) du storytelling, d’un côté, du conte de fées de l’autre. Implacable machine à raconter, la « Firme » royale arraisonne cyniquement les carrosses (en feignant d’oublier qu’ils peuvent à tout moment redevenir citrouilles). Sans voir qu’à force d’exploiter jusqu’à plus soif, par marketing et « infodivertissement » interposés, l’exceptionnel matériau romanesque que la dynastie des Windsor génère à son corps défendant, elle va tuer la poule aux œufs d’or.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Vendre du rêve, tel n’est a priori pas le job des hommes et femmes de lettres, outre-Manche. C’est même souvent sans révérence particulière qu’ils « regardent » la royauté en face. « A dog may look at a king » (« Un chien regarde bien un roi » ; là où le français traduit par « Un chien regarde bien un évêque »), entend-on dire en Grande-Bretagne, au moins depuis 1563. Il faut dire que, depuis ses lointaines origines, la royauté britannique abreuve dramaturges et poètes d’intrigues et de décorum, de guerres de succession et de « villains » d’exception.</p>
<hr>
<p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/macbeth-une-source-dinspiration-sans-fin-48783">« Macbeth », une source d’inspiration sans fin</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>William Shakespeare leur doit <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2009-1-page-244.htm">ses <em>history plays</em></a>, il est vrai non exemptes de visées propagandistes, et son personnage de Richard III, monstre de séduction ; Edmund Spenser, son long poème épico-patriotique, « The Faerie Queene » (1590), empreint de l’imagerie chrétienne et martiale portée par Elizabeth 1<sup>re</sup> d’Angleterre. Tard-venus, se défiant du snobisme fustigé par <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/thackeray.php">W.M. Thackeray</a> dans son influent <em>Book of Snobs</em> (1848), les romanciers finiront, au fil du temps et de l’évolution de la monarchie moderne, par prendre leurs désirs pour des réalités. En cherchant à détourner rois et reines fictifs de leurs engagements officiels. Pour mieux les entraîner sur leur terrain à eux, écrivains : celui des livres, de la lecture. Et de la possibilité de devenir auteur/autrice de sa vie, en laissant derrière soi le protocole.</p>
<h2>Un prétexte à la satire</h2>
<p>Avec <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/swift/voyages-gulliver"><em>Les Voyages de Gulliver</em></a> (1721), Jonathan Swift ne fait pas que parodier la littérature de voyage, si populaire en son temps. Il fait œuvre d’imagination, d’une part, et d’autre part il endosse le costume du satiriste, doublé d’un politiste qui connaît ses théories sur le bout des doigts. En toute partialité, Swift convoque sur le ring deux figures royales, pour un affrontement sans merci.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le roi des Brobdingnag et Gulliver, Gravure anglaise du 10 février 1804 dans Estampes relatives à l'Histoire de France. Tome 147, par James Gillray (1757-1815), graveur, Londres, 1804.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BnF, département des Estampes et de la photographie.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>A sa droite, le roi de Lilliput, minuscule et risible incarnation de la monarchie absolue. A sa gauche, le grand roi (au moins par la taille) de Brobdingnag, son exacte antithèse. Le premier surveille et punit, se mêle de tout et de rien, et n’a que la guerre en tête. Le second, pacifique, a priori tempéré, s’informe auprès de Gulliver sur la conduite des affaires en Europe, et tout particulièrement en Angleterre. Il perdra cependant son calme en apprenant l’usage qui y est fait de la poudre et des canons, et de l’universelle destruction qui en découle. Tout comme il s’offusquera de la corruption et de l’iniquité qui, à en croire Gulliver, mais ce dernier est-il un observateur fiable ? gangrènent la société britannique. Au miroir déformant de la fiction, la frontière se brouille entre royautés proches et royautés lointaines, couronnes réelles et couronnes imaginaires.</p>
<p>Avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=72-wePCkHJs&t=1s">Lewis Carroll</a>, on assiste à un retour en force de l’absolutisme royal, qui n’est pourtant qu’un lointain souvenir, en 1865, lorsque paraît <em>Alice au pays des merveilles</em>. Dans ce texte qui baigne dans la <a href="https://theconversation.com/alice-a-lasile-60457">fantaisie la plus débridée</a>, c’est paradoxalement une figure de reine qui incarne le principe de réalité. La carte représentant la « Reine de Cœur » s’y montre sans cœur, ordonnant à tout bout de champ qu’on procède à des exécutions capitales. Sur la base de jugements arbitraires, cela va sans dire. « Qu’on lui/leur coupe la tête ! » est l’expression récurrente dans sa bouche.</p>
<p>Les contemporains de Carroll prirent un malin plaisir à lui trouver des traits de caractère possiblement empruntés à la reine Victoria, pour ne pas la nommer. Il faut dire qu’elle est l’omniprésente souveraine du temps présent, et cela ne saurait échapper, même au plus distrait des mathématiciens d’Oxford ! On peut sans doute expliquer par la misogynie l’invention d’une figure aussi grossièrement « genrée », à l’autoritarisme autant hystérique qu’inefficace, dès lors que ses ordres ne sont jamais mis à exécution, et qu’elle ne fait même pas peur à ses valets. Ce serait oublier, toutefois, que c’est à une petite fille, et non à un garçonnet, que revient le soin de faire s’écrouler le château de cartes, d’un revers de la main. La reine est nue, donc, objet par ailleurs de plus d’un fantasme…</p>
<h2>Revisiter l’histoire</h2>
<p>C’est en 1814 que paraît <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070116195-waverley-et-autres-romans-walter-scott/"><em>Waverley</em></a>, sans mention d’auteur. Le récit revient, plus de soixante ans après les faits, sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9bellions_jacobites">soulèvement jacobite de 1745</a>, après l’échec du premier, en 1715. Il s’agit de la dernière tentative des partisans des partisans des Stuarts pour renverser le roi George II de Hanovre, et rétablir sur le trône d’Angleterre et d’Écosse leur « Prétendant ». Rien de tel qu’un roi, qu’un prétendant au trône en tout cas, pour consolider un genre encore balbutiant, pour insuffler au nouveau genre fictionnel (<em>novel</em>, en anglais) la noblesse, le prestige, qui lui manquaient. Le jeune et bouillant Bonnie Prince Charlie (Charles Edward Stuart) illumine ainsi de sa présence quelques pages du roman, mais elles sont rares.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait équestre du prince jacobite Charlie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_%C3%89douard_Stuart#/media/Fichier:Jacobite_broadside_-_Prince_Charles_Edward_Stewart.jpg">Wikipédia</a></span>
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<p>Si « élévation » il devait y avoir, dans l’esprit de Walter Scott, poète devenu romancier, et dont l’influence sur le roman européen sera considérable, celle-ci devait passer par une grandeur de silhouette, de préférence à une grandeur de plein exercice. Son <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_whig_(Royaume-Uni)#:%7E:text=Le%20parti%20whig%20d%C3%A9signe%20un,l'origine%20un%20brigand%20%C3%A9cossais.">idéologie whig</a> s’accommodant de la doctrine de la monarchie constitutionnelle, Scott fait du roman historique le fruit d’un compromis entre l’imagination cavalière, qui finit écrasée à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y_0tzSfKc9w">la bataille de Culloden</a> (jamais nommée dans le roman), et un pragmatisme petit-bourgeois, plutôt terre-à-terre. Quitte à ce que le panache de la royauté y perde une bonne part de son éclat…</p>
<p>Un siècle plus tard, l’histoire se fait uchronique et/ou dystopique avec H. H. Munro (dit Saki). Paru en 1913, <a href="https://www.letemps.ch/culture/litterature-guillaume-vint"><em>Quand Guillaume vint, Portrait de Londres sous les Hohenzollern</em></a>, imagine l’invasion de l’Angleterre par les « Boches », au terme d’une campagne éclair. Contraint de vider les lieux, le roi prend la route de l’exil : ce sera l’Inde et Delhi. Le Kaiser allemand, lui, s’empare du trône avec gourmandise, tandis que les sujets de son ex-Majesté collaborent, peu ou prou, dans un royaume sous occupation teutonne. Au reste, les mauvaises langues, et il n’en manquera pas, ne se priveront pas de fustiger les origines germaniques de la dynastie des Windsor, anciennement Maison de Saxe-Coburg et Gotha. </p>
<p>En amont cette fois de la deuxième guerre mondiale, un procès sera d’ailleurs instruit contre certains aristocrates, proches de la cour royale, accusés d’intelligence avec l’ennemi nazi, ce qu’un roman comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2hiwl76qZwM"><em>Les Vestiges du jour</em></a> (1989), de Kazuo Ishiguro, rappelle encore, fût-ce discrètement.</p>
<h2>Inventer d’autres destins aux figures royales</h2>
<p>Devant l’image partout répandue d’une reine entièrement consacrée à son devoir, de longues décennies durant, les romanciers, c’est plus fort qu’eux, se prennent à douter. Et de se livrer à leur sport favori : la spéculation, l’invention d’une contre-réalité, tout à la fois fictive et plus « vraie » que ce que les faits donnent à voir. Une reine d’apparence lisse et institutionnellement mutique ne peut pas, en son for intérieur, être que cela. A charge pour les romanciers de traquer sa part d’ombre, de pointer la faille dans la cuirasse. Après tout, il se dit bien que, pour se consoler du chagrin consécutif à la mort de son époux, c’est la reine Victoria qui aurait rédigé <em>Alice au pays des merveilles</em>, en lieu et place de son auteur « officiel », Lewis Carroll ! Le bobard est avéré, mais sur le Net, légendes et complots ont la vie dure.</p>
<p>En 1992, cinq ans avant la mort de Lady Di, la romancière Sue Townsend bouleverse de fond en comble le casting monarchique. <em>La Reine et moi</em> se place dans l’hypothèse farfelue selon laquelle, aux élections législatives de la même année, le parti républicain remporte tous les suffrages. Dans la foulée, le nouveau Premier ministre fait voter l’abolition de la royauté, et contraint les « royaux » à troquer le palais de Buckingham contre l’équivalent d’une HLM dans un quartier populaire. Le prince Charles s’y découvre une passion pour le jardinage, mais le duc d’Edimbourg, lui, refuse de se raser et de quitter son lit. Quant à Diana, elle pleure sa Mercedes confisquée et se plaint du manque de place pour loger sa princière garde-robe. La reine mère dilapide son argent aux courses… Il n’y a, au final, que Mrs Windsor, ex-Elizabeth II, pour s’accommoder de son nouveau statut de roturière, opposant même un refus ferme quoique poli à ceux qui lui parlent de revenir au pouvoir. C’est drôle, mais si tout cela n’était qu’un rêve, mauvais ou bon, en fonction des opinions de chacun ?</p>
<p>En 2007, le très caustique Alan Bennett, ancien professeur d’histoire médiévale devenu acteur et dramaturge, fait paraître <em>The Uncommon Reader</em> (traduit en français par <em>La Reine des lectrices</em>). Sous un titre démarqué du <em>Common Reader</em>, recueil d’essais rédigés par Virginia Woolf, Bennett imagine une reine découvrant, par le plus grand des hasards la littérature et les livres. Et s’entichant de la lecture, au point de se détourner des affaires de l’État, auxquelles elle cesse de trouver le moindre intérêt. Elle finira même par abdiquer, à la dernière page du livre. Plaisamment métafictive, la parabole de Bennett est un vibrant plaidoyer pour la lecture.</p>
<p>Politiquement, le récit dit quelque chose de la démocratie littéraire : les livres vous regardent, confie la reine à son journal de bord, et <a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-le-boom-des-book-clubs-150699">ils n’ont que faire de votre identité</a>, de votre statut social. Reine ou paysanne, c’est tout comme, de leur point de vue. En retour, ils changent votre horizon d’attente, ouvrent des portes qu’on pensait à jamais closes. Il faut donc imaginer la reine heureuse… de ne plus l’être ! Dans la même veine, mais avec moins d’appétence pour l’ironie, William Kuhn signe en 2012 <em>Mrs Queen Takes the Train</em> (non traduit) : Elizabeth s’ennuie tellement dans l’exercice de ses fonctions qu’elle choisit la fuite, direction les champs de courses, la passion de sa vie, et le port d’attache du <em>Queen Mary</em>, l’ancien paquebot de la famille royale. En lui faisant prendre le train, en lui offrant, dans le contexte cette fois des Jeux Olympiques de Londres, l’occasion de sauter en parachute (pour de faux) au bras de James Bond, la littérature en liberté émancipe la royauté. A elle de ne pas rater le coche…</p>
<h2>L’esprit de royauté</h2>
<p>On finira comme on avait commencé – dans les rues de la capitale londonienne. Une explosion retentit. Il pourrait s’agir d’une détonation occasionnée par l’éclatement d’un pneu, ou d’un gaz d’échappement. Voire, honni soit qui mal y pense, d’un vent (!) échappé d’une auguste paire de fesses. Une limousine vient de s’arrêter le long d’un trottoir de Bond Street, suscitant un grand émoi. A son bord, à peine entrevu, un grand de ce monde.S’agit-il de la reine (Mary reine consort), du Premier Ministre (Stanley Baldwin) surpris en train de faire leurs courses ? L’incertitude est totale et les spéculations vont bon train. Dans le sillage de la grandeur masquée qui passe à portée de main du commun des mortels, s’exhale « un souffle de vénération ». Et la séquence de s’achever comme se clôt la rencontre avec le Chat du Cheshire, dans <em>Alice au pays des Merveilles</em>. Par un lent effacement du visage (et du sourire) de la Reine. Laquelle ne disparaît que pour mieux se graver dans les mémoires, individuelles et collectives.</p>
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<p>Rien de tel qu’un roman (moderniste) pour retenir dans ses filets une matière aussi radioactive. Ce roman, c’est <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/mrs-dalloway-de-virginia-woolf-roman-qui-change-le-monde-8297970"><em>Mrs Dalloway</em></a> (1925), de Virginia Woolf. Ce quelque chose d’imperceptible dans l’air, c’est l’esprit de royauté, comme on parle d’esprit-de-vin. Mais le roman ne saurait être courtisan. Tout en recueillant la précieuse part des anges, à savoir cette composante de l’« aura » royale qui peut s’apparenter à une mystique, Woolf s’emploie à saper l’ordre patriarcal. En effet, par ses valeurs de fluidité flottant au sein d’un « courant de conscience », la matière royale en mouvement s’affranchit de tout ce qui pèse et en impose, à commencer par la gravité qui fait de nous des « sujets » par trop assujettis.</p>
<p>Régnant sans gouverner, les rois et reines <em>made in England</em> ont ceci de grand qu’ils trônent, oui, mais in abstentia.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De Shakespeare à Virginia Woolf, les rois et les reines n’ont cessé d’inspirer la littérature anglaise, dans une veine souvent irrévérencieuse.Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1780562022-09-06T21:40:04Z2022-09-06T21:40:04ZLes influenceurs virtuels sont-ils plus puissants que les influenceurs humains ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468865/original/file-20220614-24-k96oui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Miquela Sousa, plus connue sous le nom de Lil Miquela se présente comme un robot de 19 ans qui vit à Los Angeles sur son compte Instagram (source : @lilmiquela)</span> </figcaption></figure><p>Si certains acteurs, chanteurs, sportifs, ou présentateurs sont considérés comme des valeurs sûres en termes d'influence et attirent de nombreuses marques, même les stars internationales dotés d'une très bonne image peuvent tomber de leur piédestal du jour au lendemain. Les influenceurs - au sens large du terme - sont en effet régulièrement <a href="https://www.liberation.fr/societe/petite-galerie-des-influenceurs-a-scandale-20220729_M2PDR4QKO5BE3NKXHVDFS5T3EE/">impliqués dans toutes sortes de scandales</a>. </p>
<p>Ce fut le cas de Will Smith après la gifle qu’il a donnée à Chris Rock en direct lors de la Cérémonie des Oscars. <a href="https://www.cnetfrance.fr/news/will-smith-netflix-apple-et-sony-se-retirent-de-plusieurs-films-de-l-acteur-39940111.htm">Sony, Netflix et Apple TV+ ont immédiatement annulé ou retardé leurs projets</a> avec l’acteur dont <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/la-cote-de-popularite-de-will-smith-en-chute-libre-depuis-la-gifle-des-oscars-20220823">la cote de popularité s’est effondrée</a>. A noter cependant que Will Smith n’a pas perdu de followers et que son compte Instagram est même passé de 59 à 64 millions d’abonnés depuis l’incident.</p>
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<figcaption><span class="caption">Will Smith présente ses excuses à Chris Rock pour l'avoir giflé.</span></figcaption>
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<p>Face aux <a href="https://webtribe-studio.com/scandale-logan-paul-responsabilites-influenceurs-envers-audience/">dangers liés à la réputation et au comportement</a> des influenceurs « réels », les influenceurs virtuels apparaissent comme une solution efficace, car ils accomplissent des missions similaires sans exposer aux mêmes risques. Le phénomène des influenceurs virtuels prend de plus en plus d’ampleur et semble être privilégié par certaines entreprises. Plus fiables, moins chers, toujours disponibles, les influenceurs virtuels sont aussi <a href="https://www.20min.ch/fr/story/ces-influenceurs-100-virtuels-qui-cartonnent-et-rapportent-gros-210019795260">incroyablement populaires et réalisent des performances remarquables</a> auprès des consommateurs. Ils permettent aux marques d’être plus créatives tout en maîtrisant totalement le contenu.</p>
<h2>Des entités numériques sociales et intelligentes</h2>
<p>Un influenceur virtuel est un personnage numérique créé grâce à des logiciels de <a href="https://www.proquest.com/openview/a1cc4128fdb0ab576db50f57102787ee/1?pq-origsite=gscholar&cbl=5444811">design graphique 3D, de simulation et d’animation</a>. Il n’a donc pas d’existence physique, même si la <a href="https://www.virtualhumans.org/human/barbie">Barbie virtuelle</a> constitue une exception. La puissance du storytelling et du feuilletonnage est mise au service de l’influence via ces personnages de fiction. <a href="https://jai-un-pote-dans-la.com/avatars-influenceurs-virtuels-opportunites-marques/">L’intelligence artificielle</a> leur permet de simuler une vie réelle, une personnalité et des interactions qui paraissent naturelles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-nouvelles-creatures-dinstagram-ou-quand-la-science-fiction-rejoint-la-realite-99820">Les nouvelles créatures d’Instagram, ou quand la science-fiction rejoint la réalité</a>
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<p>Les influenceurs virtuels sont <a href="https://jai-un-pote-dans-la.com/avatars-influenceurs-virtuels-opportunites-marques/">comme des héros de séries ou de mangas</a> qui fascinent leurs followers auxquels ils font vivre leurs aventures. Ils s’appuient à la fois sur les codes de Netflix, de la téléréalité, et des magazines people, le tout associé à une parfaite maîtrise des réseaux sociaux. On peut regarder leurs clips musicaux ou leurs concerts, les voir prendre leur petit déjeuner avant d’aller à un événement, ou faire des essayages et des défilés de mode. Certains aiment les sports extrêmes, les jeux vidéo, ou les voyages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment créer un influenceur virtuel ?</span></figcaption>
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<p>Les détails de leur vie imaginaire, très réaliste sur le long terme, permettent de <a href="https://aisel.aisnet.org/ecis2022_rip/32/">générer un attachement et une identification durable</a>. Les influenceurs virtuels humanoïdes dont la vie correspond à celle des méga-influenceurs humains et qui maîtrisent les codes de TikTok et Instagram apparaissent <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4145550">crédibles et experts grâce à leur anthropomorphisme</a>. Ils parviennent à créer de la proximité et à gagner la confiance de leurs abonnés.</p>
<h2>Les influenceurs virtuels les plus connus</h2>
<p>La grande majorité des influenceurs virtuels sont de jeunes influenceuses à l’apparence humaine auxquelles il est possible de s’identifier et avec lesquelles <a href="https://www.futuria.io/post/influenceurs-virtuels-sur-instagram-le-marketing-du-futur">se crée un attachement socio-émotionnel</a>. Elles ont des goûts, des valeurs, et des expériences nourries par le storytelling de leurs créateurs.</p>
<p>La plus suivie du monde est Lu do Magalu, la porte-parole <a href="https://www.magazineluiza.com.br/">du groupe brésilien de grande distribution Magalu</a> qui possède 1477 magasins physiques Magazine Luiza. Depuis 2009, l’égérie cumule 24 millions de followers à travers les différents réseaux sociaux où elle partage son mode de vie et ses coups de cœur. <a href="https://www.youtube.com/c/magazineluiza/featured">Ses vidéos YouTube</a> d’unboxing, de conseils pratiques ou de gaming cumulent plus de 300 millions de vues, même si leur audience reste limitée au Brésil. Lu apparaît également sur le site d’e-commerce, l’application de vente en ligne et la marketplace où elle « incarne » la relation client.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p><a href="https://www.instagram.com/imma.gram/?hl=fr">Imma Gram</a> est considérée comme le premier mannequin virtuel. Créée en 2018 au Japon, elle a fait la couverture de nombreux magazines de mode et a travaillé pour des marques telles que Dior, Valentino, Nike, Puma, Ikea et Amazon. Sollicitée par de nombreux artistes et start-ups, elle est une actrice majeure de <a href="https://fr.fashionnetwork.com/news/Gaming-et-metaverses-les-nouveaux-horizons-virtuels-majeurs-de-la-mode-et-du-luxe,1291262.html">la <em>virtual fashion</em></a>, c’est-à-dire de la mode qui n’existe que dans le cyberespace. Imma est hyperréaliste car sa modélisation très détaillée dans des mises en scènes de la vie quotidienne la rend difficile à différencier d’une vraie personne. Elle a même une famille et un chien. L’entreprise qui l’a développée – ModelingCafe Inc. spécialisée dans les images de synthèse pour les jeux vidéo et les films – fait tout pour qu’on oublie qu’elle est un personnage numérique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Imma est l'ambassadrice de la plus grande marque chinoise d'eau gazeuse, Watson’s.</span></figcaption>
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<p>Créée en avril 2016, <a href="https://www.instagram.com/lilmiquela/">Lil Miquela est apparue sur Instagram</a> comme n’importe quelle influenceuse californienne de 19 ans… mais elle ne vieillit pas. Lil Miquela a une apparence extrêmement réaliste et se vexe si on dit qu’elle n’existe pas ; elle est dotée d'une personnalité très extravertie et n’hésite pas à afficher ses opinions.</p>
<p>Cette activiste défend la diversité sous toutes ses formes, milite pour les droits des femmes et ceux des robots, lutte contre le racisme, les discriminations et les violences policières, et encourage ses followers à faire des dons pour des associations et à aller voter. C’est une artiste musicale qui a une vie sociale et sentimentale avec des influenceurs soit virtuels, soit réels, et a participé <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/miquela-sousa-linvitee-star-du-defile-prada-est-un-robot-136322-27-02-2018/">aux campagnes de communication de Prada</a> et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/life/article/cette-pub-calvin-klein-avec-bella-hadid-qui-embrasse-lil-miquela-passe-mal_145424.html">Calvin Klein</a>.</p>
<p>Parmi les autres influenceuses virtuelles les plus connues, on trouve <a href="https://www.instagram.com/bermudaisbae/?hl=fr">Bermuda</a>, <a href="https://www.instagram.com/noonoouri/?hl=fr">Noonouri</a>, <a href="https://www.instagram.com/zoedvir/?hl=fr">Zoe Dvir</a>, <a href="https://www.instagram.com/itsellastoller/?hl=fr">Ella Stoller</a>, <a href="https://www.instagram.com/pippapei/?hl=fr">Pippa Pei</a>, <a href="https://www.instagram.com/ai_angelica/?hl=fr">Ai Angelica</a>, <a href="https://www.instagram.com/leyalovenature/?hl=fr">Leya Love</a>, <a href="https://www.instagram.com/esther.olofsson/?hl=fr">Esther Olofsson</a>, <a href="https://www.instagram.com/shudu.gram/?hl=fr">Shudu Gram</a>, <a href="https://www.instagram.com/thalasya_/?hl=fr">Thalasya Pov</a> et <a href="https://www.instagram.com/itsbinxie/?hl=fr">Binxie</a>. Bien que moins nombreux et populaires, des influenceurs virtuels masculins existent également comme <a href="https://www.instagram.com/knoxfrost/?hl=fr">Knox Frost</a>, <a href="https://www.instagram.com/pol.music.txe/">Pol Songs</a>, <a href="https://www.instagram.com/koffi.gram/?hl=fr">Koffi Gram</a> et <a href="https://www.instagram.com/blawko22/?hl=fr">Ronald F. Blawko</a> alias Blawko22.</p>
<h2>Trouver l’équilibre entre réalisme et étrangeté</h2>
<p>Pour être acceptés par le consommateur et créer un lien émotionnel, les influenceurs virtuels sont très majoritairement anthropomorphes dans leur apparence, leur personnalité et leur comportement. Les performances de la modélisation 3D et de l’intelligence artificielle les rendent difficiles à identifier comme virtuels. Cependant, un degré de réalisme trop élevé a un impact négatif, selon <a href="https://journals.openedition.org/gradhiva/2311">la théorie de la vallée de l’étrange du roboticien Masahiro Mori</a> : une trop grande ressemblance d’un robot, ou ici d’une intelligence artificielle, avec un humain est gênante et même angoissante.</p>
<p>Dans le contexte de l’influence virtuelle, ce sentiment de rejet va totalement à l’encontre de l’objectif recherché. L’interaction avec des abonnés et consommateurs potentiels <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1071581921001129">génère des réactions négatives qui peuvent tourner au <em>bad buzz</em></a>. Pour contrer ce phénomène, les influenceurs bio-digitaux cultivent une certaine ambiguïté sur leur véritable nature, ce qui leur donne une aura mystérieuse.</p>
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<figcaption><span class="caption">Miquela raconte sa vie comme si elle était une vraie pop star.</span></figcaption>
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<p>S’il peut parfois y avoir une réaction négative de dégoût, ou même de peur lors des premières interactions avec un influenceur virtuel, cette perception évolue positivement avec l’expérience et une exposition régulière à ces personnages numériques. <a href="https://www.nowadaysagency.com/blog/influenceur-virtuel">L’influenceur virtuel devient rassurant pour ses abonnés comme pour les annonceurs</a> car il est idéalisé et ne peut pas entrer dans les mêmes dérives qu’un humain. L’esthétique de l’influenceur et la qualité du contenu qu’il diffuse sont extrêmement soignées, à <a href="https://www.sweetpunk.com/news/kim-k-vs-lil-miquela-le-futur-de-linfluence-se-conjugue-en-pixels/">la recherche d’une forme de perfection au fort pouvoir de séduction</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/instagram-twitch-tiktok-six-regles-dor-pour-devenir-un-influenceur-a-succes-160810">Instagram, Twitch, TikTok… Six règles d’or pour devenir un influenceur à succès</a>
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<p>D’autres influenceurs virtuels se différencient des humains avec une apparence plus proche d’un personnage d’animé ou de comics, comme <a href="https://www.youtube.com/c/ArviLeRenard">Arvi le renard bleu</a> et <a href="https://www.tiktok.com/@fnmeka?lang=fr">FN Meka le robot rappeur</a>. Cependant, même un personnage qui n’a pas une apparence humaine vivra des situations et aura des valeurs et des références qui sont familières aux utilisateurs des réseaux sociaux et auxquelles ils s’identifieront facilement. Voir l’influenceur virtuel effectuer des activités quotidiennes, fréquenter des lieux connus, et interagir avec des célébrités renforce sa crédibilité.</p>
<h2>Des supers-pouvoirs très avantageux</h2>
<p>Le taux d’engagement des influenceurs virtuels est <a href="https://hypeauditor.com/blog/the-top-instagram-virtual-influencers-in-2020/">presque trois fois plus élevé</a> que celui des influenceurs humains. L’audience des influenceurs virtuels est <a href="https://comarketing-news.fr/influenceurs-quand-le-virtuel-a-plus-dimpact-que-le-reel/">composée à 45% de femmes entre 18 et 34 ans qui constituent leur cœur de cible</a>. Les adolescentes entre 13 à 17 ans représentent environ 15%, soit deux fois plus que pour les influenceurs réels.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_5Fy6jmGa1A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Rae, une adolescente virtuelle se promène au centre commecial CapitaLand.</span></figcaption>
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<p>Paradoxalement, le fait de savoir que l’influenceur virtuel est une création numérique le rend plus authentique et sincère d’un influenceur humain qui se met en scène et monétise son discours et ses actions. Cette honnêteté apparente s’appuie sur la connivence entre l’influenceur virtuel et ses abonnés qui savent qu’il est virtuel mais qui se laissent prendre au jeu. <a href="https://www.sweetpunk.com/news/kim-k-vs-lil-miquela-le-futur-de-linfluence-se-conjugue-en-pixels/">La qualité du <em>storytelling</em> et la cohérence de la ligne éditoriale</a> parviennent à faire oublier que l’histoire de l’influenceur virtuel est inventée. Les internautes interagissent avec lui comme avec une vraie personne.</p>
<p>Un influenceur virtuel n’a pas les limitations associées à une existence physique. Il peut être actif 24H/24, 7J/7, pour développer <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/14614448221102900">une relation para-sociale encore plus puissante</a> que celle entretenue par les spectateurs d’une série ou d’une émission avec leurs héros ou présentateurs préférés. L’intelligence collective du groupe de personnes qui gère l’influenceur virtuel le rend authentique et accessible. L’apparence plus ou moins réaliste de l’influenceur ne semble pas impacter significativement la qualité de la relation <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00332747.1956.11023049">perçue comme amicale et réciproque</a>, même si le sentiment d’identification est moins fort.</p>
<p>L’influenceur virtuel n’a pas de saute d'humeur, de propos déplacés ou de comportement inapproprié, sauf si on le programme pour. Le baiser entre Lil Miquela et la mannequin Bella Hadid pour une publicité Calvin Klein a été très critiqué par la communauté LGBTQIA+ qui y a vu une instrumentalisation purement commerciale sans aucune sincérité. <a href="https://www.thecut.com/2019/05/bella-hadid-lil-miquela-calvin-klein-apology.html">La marque a dû publier un communiqué pour s’excuser</a>.</p>
<p>Un autre avantage est qu’un influenceur virtuel peut parler toutes les langues et adapter son style d’influence au contexte socio-culturel. Il est donc possible et même souhaitable d’avoir plusieurs versions ou déclinaisons d’un influenceur, parfois présentés comme des amis ou des frères et sœurs, qui interagissent les uns avec les autres d’un pays à l’autre.</p>
<h2>De puissants alliés des marques pour conquérir le métavers</h2>
<p>Les influenceurs virtuels sont particulièrement utilisés dans le luxe, la mode, les cosmétiques, l’équipement et le tourisme. Ces secteurs nécessitent une maîtrise rigoureuse de l’image et reposent sur des codes très spécifiques. <a href="https://www.grazia.fr/beaute/tendances-beaute/dior-beaute-choisit-noonoouri-une-influenceuse-virtuelle-comme-nouvelle-egerie-133139.html">Noonoouri est ainsi devenue l’égérie virtuelle de Dior</a>. <a href="https://gensdinternet.fr/2021/11/15/pour-son-parfum-prada-sinspire-de-tiktok-et-soffre-une-nouvelle-influenceuse/">Prada a choisi de créer sa propre ambassadrice virtuelle, Candy</a>, qui apparaît dans des courts métrages réalisés par Nicolas Winding Refn, connu pour avoir réalisé le film <em>Drive</em> avec Ryan Gosling. D’autres secteurs plus technologiques comme la téléphonie ou l’automobile sont également cohérents avec l’univers des influenceurs virtuels comme avec <a href="https://www.cbnews.fr/marques/image-liv-ambassadrice-virtuelle-renault-kadjar-40621">l’ambassadrice virtuelle Liv du Renault Kadjar</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/univers-paralleles-et-mondes-virtuels-la-guerre-des-metavers-est-commencee-169695">Univers parallèles et mondes virtuels : la guerre des métavers est commencée</a>
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<p>L’influence virtuelle donne aux entreprises qui y recourent une dimension moderne et innovante. Elle rajeunit l’image de marque et est encore très différenciante. Alors que <a href="https://theconversation.com/univers-paralleles-et-mondes-virtuels-la-guerre-des-metavers-est-commencee-169695">la guerre des métavers est commencée</a> entre des groupes comme Meta, Google, Apple, Amazon, Microsoft, Sony, Alibaba, Nvidia, ou Ubisoft, la présence des marques dans ces univers virtuels est cruciale pour leur pérénité et leur développement. Les influenceurs virtuels sont une des armes qui leur permettront de les conquérir.</p>
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<p><em>Merci à Chloé Brasile, étudiante du MS Communication d'Entreprise à NEOMA, dont j'ai dirigé la Thèse Professionnelle sur « Les impacts des influenceurs virtuels sur les consommateurs ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178056/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus fiables, moins chers, toujours disponibles, les influenceurs virtuels sont aussi incroyablement populaires et rencontrent un franc succès auprès des consommateurs.Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1863562022-07-12T18:33:44Z2022-07-12T18:33:44ZCe que les élections législatives de juin 2022 nous apprennent de notre vision du Parlement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473406/original/file-20220711-12-azpdr2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C628%2C417&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kad Merad joue Philippe Rickwaert, député de gauche dans Baron Noir, saison 1 (2019), ici représenté en bleu de travail pour interpeller les parlementaires. Mais la fiction caricature souvent la réalité politique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-19344/photos/detail/?cmediafile=21612089">Allociné/Jean-Claude Lother/KWAI</a></span></figcaption></figure><p>Le décret du 4 juillet 2022 a actualisé la composition du Gouvernement Borne nommé le 20 mai 2022 afin de tenir compte des résultats des élections législatives. Faute d’avoir pu conclure un accord de coalition durable pour toute la législature, le président a choisi d’augmenter le poids des fidèles d’Edouard Phillipe et de François Bayrou, sans davantage ouvrir aux autres partis de gouvernements comme le PS ou LR. <a href="https://theconversation.com/legislatives-la-vie-politique-bouleversee-par-un-scrutin-inattendu-185375">Les situations inédites se succèdent</a> : premier président de la République réélu hors situation de cohabitation depuis 1958, première fois que la démission du Gouvernement à l’issue des élections législatives est refusée par le président, et surtout, la première fois depuis 1988 que la majorité parlementaire sur laquelle le gouvernement est assis n’est que relative.</p>
<p>Certes, le groupe (ou plus exactement les groupes) sur lequel le Gouvernement s’appuie est le plus important de l’Assemblée, mais le nombre de sièges détenus par celui-ci est inférieur à 289, seuil de la majorité absolue. Et si tous les autres groupes se coalisent contre le Gouvernement, ils peuvent le renverser.</p>
<p>Toutes ces nouveautés ont permis aux Français de se rappeler que la V<sup>e</sup> République est un régime parlementaire. Contrairement à tout ce que les Français ont pris l’habitude de croire depuis l’élection du président au suffrage universel direct en 1962 et l’inversion du calendrier électoral en 2000, le siège du pouvoir ne se trouve donc pas à l’Élysée mais à l’Assemblée. Le Parlement ne leur apparaît désormais plus comme le supplétif d’un président fort, soumis, politiquement ou juridiquement à ses injonctions. Il semble redevenir digne d’intérêt : une institution à part entière et non plus celle que l’on avait pris l’habitude de voir à travers le regard d’un autre.</p>
<h2>Faire émerger l’intérêt général</h2>
<p>Pourtant le 1<sup>er</sup> alinéa de l’article 24 de la Constitution <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241014/">ne peut pas être plus clair</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le Parlement vote la loi. Il contrôle le Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »</p>
</blockquote>
<p>La première mission qui lui est assignée relève de l’évidence, la loi se définissant comme l’acte général et impératif voté par le Parlement.</p>
<p>Toutefois, elle mérite des explications. Si le Parlement est ainsi légitime à imposer aux citoyens des comportements en définissant ceux qui sont interdits, c’est d’une part parce que ses membres sont élus par ces mêmes citoyens.</p>
<p>D’autre part, l’intérêt général est censé émerger de leurs délibérations. La confrontation des idées et des opinions politiques doit permettre de définir les contours de la loi la meilleure pour tous, non pas seulement pour une majorité, non pas uniquement pour le moment présent, mais conforme à l’intérêt général.</p>
<p>Dès lors que l’intérêt général s’impose au Parlement grâce à la discipline de vote à laquelle la majorité se soumet, consciente que son rôle est dorénavant de réaliser le programme du président sur la base duquel elle a été élue, l’institution est déconsidérée. Finis <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/7e.asp">l’éloquence parlementaire</a> et les grands orateurs.</p>
<h2>Une discussion précipitée</h2>
<p>Il faut dorénavant faire vite et voter la loi présentée par le Gouvernement. C’est donc à travers ce prisme que les Français ont appris à regarder leur Parlement : une étape obligée dans l’adoption d’une décision. Or on cherche à court-circuiter cette chambre. En recourant aux ordonnances (article 38 de la Constitution) ou en escamotant le débat grâce aux procédures de rationalisation du parlementarisme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/legislatives-2022-un-regain-dinteret-pour-le-parlement-182689">Législatives 2022 : un regain d’intérêt pour le Parlement ?</a>
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<p>Le vote bloqué (article 44 alinéa 3) qui contraint l’assemblée saisie à se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte, dans les limites fixées par le Gouvernement en est un exemple. Cette technique a provoqué la colère des députés le 17 juin 2021 lorsque le gouvernement les a contraints à abandonner un article transpartisan qui permettait de déconjugaliser le calcul des revenus dans le cadre de <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/allocation-adulte-handicape-le-gouvernement-recourt-au-vote-bloque-20210617">l’allocation aux adultes handicapés (AAH)</a>. </p>
<p>Autre moyen : la procédure accélérée qui permet d’écourter la navette (utilisée à 224 reprises sous la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire-sous-la-xve-legislature">législature précédente</a>) avant de convoquer la commission mixte paritaire, étape nécessaire afin de donner le dernier mot à l’Assemblée si le désaccord avec le Sénat persiste (article 45). Sans oublier la procédure d’adoption sans vote qui permet cette fois-ci de se passer de l’accord de l’Assemblée (<a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/l-article-49.3-comment-ca-marche">article 49 al. 3</a>).</p>
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<p>À travers ces procédures, le Parlement est perçu comme un frein qui gêne l’action du Gouvernement et le débat parlementaire comme un inconvénient qu’il faut accélérer. Vision trompeuse d’un Parlement transformé en chambre d’enregistrement, alors que les amendements parlementaires permettent d’améliorer l’écriture de la loi, même s’ils ne peuvent plus en dicter le contenu. Cette vision biaisée de notre Parlement est-elle appelée à changer à la suite de cette prise de conscience ?</p>
<p>On peine à le croire. Au lendemain des élections, la plupart des éditos nationaux et internationaux <a href="https://www.courrierinternational.com/article/politique-legislatives-la-crainte-d-une-france-ingouvernable">regrettaient</a> « Une France ingouvernable ». Une fois encore, on propose aux Français de regarder leur Parlement à travers un objectif déformant : celui d’un gouvernement assis sur une majorité relative.</p>
<p>Certes, dans le régime parlementaire, l’un des rôles premiers du Parlement est de créer un gouvernement, notre vision du Parlement part donc toujours du <a href="https://theconversation.com/politique-une-histoire-de-confiance-186487">réel</a>. Constat qui vaut également pour les représentations fictionnelles du Parlement, qui confirment que notre vision est toujours filtrée et déformée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-groupes-parlementaires-structurent-la-vie-politique-francaise-186104">Comment les groupes parlementaires structurent la vie politique française</a>
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<h2>Un exécutif dans la tourmente</h2>
<p>Les axes dramatiques des séries politiques françaises (<em>Baron Noir</em>, <em>Les hommes de l’ombre</em>, <em>L’État de Grâce</em>) donnent à voir un exécutif dans la tourmente, confronté à un Parlement qui cherche à retrouver son rôle de faiseur de gouvernements des 3<sup>e</sup> et IV<sup>e</sup> Républiques, n’hésitant pas pour cela à renverser le Gouvernement ou à utiliser la procédure de destitution à l’encontre d’un président minoritaire.</p>
<p>On se souvient ainsi qu’en 3 saisons de la série télévisée Baron Noir, pour ne citer que cet exemple récent des représentations fictionnelles, deux présidents ont été l’objet d’une procédure de destitution.</p>
<p>La série a par ailleurs mis en scène une présidente paralysée par son refus d’utiliser l’article 49 alinéa 3 et contrainte de recourir au référendum. Le héros offre également une vision biaisée du Parlement : être parlementaire n’est plus une fin, mais un moyen d’obtenir un poste plus prestigieux (ministre, chef de gouvernement, chef d’État).</p>
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<figcaption><span class="caption">Saison 3 de <em>Baron Noir</em>, Canal+.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, la représentation de son action au Parlement est-elle minimaliste. Et si la série offre un moment d’éloquence parlementaire, lorsque Philippe Rickwaert enfile un bleu de travail pour critiquer le texte d’un gouvernement qu’il est censé soutenir, la réalité parlementaire est déformée pour permettre cette instrumentalisation du Parlement.</p>
<p>En effet, l’article 9 de l’instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale impose que la tenue du député doive rester neutre et s’apparenter à une tenue de ville. Il est difficile, par ailleurs, de croire que le groupe majoritaire aurait laissé l’un de ses membres turbulents, qui dirige la fronde contre l’exécutif, <a href="https://u-paris.fr/%C3%A9v%C3%A8nement/baron-noir-la-science-politique-a-lepreuve-de-la-fiction/">poser une question</a> au Gouvernement. Derrière la caricature, on retiendra l’image d’un Parlement instrumentalisé, rarement vu pour lui-même.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/elections-pandemie-populisme-quand-les-series-lancent-lalerte-156396">Élections, pandémie, populisme : quand les séries lancent l’alerte</a>
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<h2>Le Parlement n’est pas un miroir fidèle de la société</h2>
<p>Depuis le 19 juin 2022, notre regard du Parlement aurait pu être attiré par le rajeunissement de l’Assemblée, dont la moyenne d’âge est de 48 ans et demi. Sa féminisation, certes relative : 215 députées en 2022 contre 224 en 2017, mais pour la première fois sous la V<sup>e</sup> République, l’Assemblée est présidée par une femme et les trois principaux groupes parlementaires (LREM, RN et LFI) sont dirigés par des femmes.</p>
<p>Peu d’observateurs ont d’ailleurs relevé que les ouvriers faisaient leur retour à l’Assemblée – certes seulement 0,9 % de l’ensemble des <a href="https://www.bfmtv.com/politique/ouvriers-salaries-pourquoi-la-france-populaire-peine-a-s-implanter-a-l-assemblee-nationale_AN-202206280245.html">577 députés</a> – et qu’y entraient des députées femmes de ménage de profession comme Rachel Kéké ou Lisette Pollet <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1195986/article/2022-06-21/femme-de-menage-chauffeur-ex-boxeur-ces-profils-inhabituels-de-deputes-l">mais aussi des chauffeurs ou anciens boxeurs</a>. Certains pourraient nous reprocher, à travers ce constat, de développer une nouvelle vision partiale de l’Assemblée.</p>
<p>Centrée sur sa composition, elle s’interrogerait non plus sur son rôle mais sur sa représentativité, alors que le Parlement représente les citoyens sans avoir à être le miroir fidèle de la société.</p>
<p>Il nous sera possible de leur répondre que la manière dont le Parlement exerce son rôle est fondamentalement liée à sa composition ; qu’il s’agisse de l’appartenance socioprofessionnelle des députés, de leur appartenance politique, du nombre de groupes qui se sont constitués…</p>
<p>Finalement, nous sommes toujours tributaires de la personne qui nous donne à voir le Parlement, lui-même se mettant peu en lumière. Notre vision de cette institution est ainsi toujours soumise à des filtres dont la multiplication trouble notre rapport à la réalité. Il est permis d’espérer que le récent coup de projecteur porté sur le Parlement lui permette de se présenter lui-même comme le cœur vivant de notre démocratie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier est maître de conférences à sciences po Lille et est membre du CERAPS, laboratoire de l'université de Lille</span></em></p>Les situations inédites issues des élections législatives et le regain d’intérêt pour le Parlement permettent de se pencher sur la façon dont celui-ci est vu et compris par les citoyens.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1733862021-12-15T20:39:43Z2021-12-15T20:39:43ZJohn Maynard Keynes, un personnage romanesque ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/437793/original/file-20211215-25-1s91syz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=89%2C35%2C446%2C310&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De gauche à droite Angelica Garnett, Vanessa Bell, Clive Bell, Virginia Woolf, John Maynard Keynes and Lydia Lopokova.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://ids.lib.harvard.edu/ids/view/17948590">Virginia Woolf Monk's House photograph album</a></span></figcaption></figure><p>Au premier coup d’œil, l’austère économie de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Maynard_Keynes">Keynes</a> (1883-1946) n’a pas grand-chose de romanesque. Si la « théorie du multiplicateur » a beaucoup fait parler d’elle, elle n’a fait rêver personne. N’importe quel étudiant en économie le confirmera. L’épithète de « keynésiennes » accolée à tort et à travers aux politiques économiques de relance n’aurait-elle pas fini par dépersonnaliser l’auteur de ces théories ?</p>
<p>Le caractère « romanesque » du personnage ne lui est pas accordé avec autant d’évidence qu’à ses amis du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bloomsbury_Group">groupe de Bloomsbury</a>, fondé au début du XX<sup>e</sup> siècle dans le quartier éponyme de Londres. Plusieurs films – <em>The Hours</em>, <em>Vita et Virginia</em>, <em>Carrington</em> – ont mis en scène quelques-uns de ses autres membres, et même la fin tragique de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Virginia_Woolf">Virginia Woolf</a> [1]. La série britannique <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Life_in_Squares">« Life in Squares »</a> consacrée au groupe n’accorde à Keynes qu’un rôle secondaire.</p>
<p>Lui-même s’était pourtant posé en « héros » dans son récit <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782743626167-deux-souvenirs-de-bloomsbury-a-paris-john-maynard-keynes/"><em>Dr Melchior : un ennemi vaincu</em></a>, d’abord lu à ses amis de Bloomsbury au début des années 1920 puis publié après sa mort. L’économiste y mettait en scène certains épisodes dramatiques et croustillants de la Conférence de Paris (1919) ainsi que son amitié naissante avec <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Melchior">Carl Melchior</a>, un banquier juif de la délégation allemande. « D’une certaine manière, j’étais amoureux de lui » écrivait-il.</p>
<p>Comme le souligne le traducteur et préfacier de l’édition française, Maël Renouard : « Même s’il ne s’agit pas de fiction, le récit se lit comme une nouvelle ou un petit roman ». La très sévère Virginia Woolf, qui n’épargnait pas grand-chose à « Maynard », avait trouvé « magnifique » la description que Keynes faisait de ses personnages.</p>
<p>La Conférence de Paris, qu’il dénoncera par ailleurs dans <em>Les conséquences économiques de la paix</em>, n’est pas le seul décor historique du « roman » keynésien. Melchior n’est qu’un des nombreux personnages, souvent célèbres, parfois puissants, qu’il fréquenta dans sa vie privée ou dans sa carrière d’universitaire, de mécène, de collectionneur, de financier et d’homme d’État. Ses pérégrinations, qui traversent un demi-siècle tragique, nous disent beaucoup sur les passions humaines : l’amour, l’amitié, l’argent, le pouvoir, la jalousie, l’ambition.</p>
<p>Il convient maintenant d’évoquer quelques-unes des tranches de vie parmi les plus romanesques de Keynes, intimistes ou publiques.</p>
<h2>Relations passionnées</h2>
<p>Commençons par les passions sentimentales. La période post-victorienne fermait les yeux sur les pratiques sexuelles « immorales » dès lors qu’elles restaient discrètes et réservées aux classes supérieures. À Bloomsbury, les couples étaient unis mais libres jusqu’à former des figures géométriques non conventionnelles et variées. L’amour était charnel ou platonique, hétéro-, homo – ou bisexuel.</p>
<p>Un mystère demeure : quel type de relation unissait Keynes à son ancien amant, le peintre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Duncan_Grant">Duncan Grant</a> et à sa compagne, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vanessa_Bell">Vanessa Bell</a>, sœur ainée de Virginia Woolf ? Ce fut sans doute une forme inédite d’amitié aux contours flous. Elle s’écornera quand les amours transgressives de Keynes prendront une orientation plus conventionnelle avec l’entrée en scène d’une nouvelle héroïne, la fantasque <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lydia_Lopokova">Lydia Lopokova</a>, danseuse vedette des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ballets_russes">Ballets russes</a>. Ce ne fut pas un mariage de façade derrière lequel Keynes aurait dissimulé son homosexualité mais bien un véritable amour charnel qui déclenchera d’autres de passions humaines qui, bien que désolantes, n’épargnent pas les intellectuels progressistes de Bloomsbury : la jalousie, le rejet de l’étrangère, la crainte de la dépossession… La danseuse russe à l’accent infernal ne leur ravissait-elle pas leur Maynard ?</p>
<p>Keynes fut aussi un homme de pouvoir ce qui prédispose aux passions, aux manipulations et aux petits complots. Il fréquenta à peu près tous les Premiers ministres et politiciens de son temps. Virginia Woolf voyait même en lui un inévitable ministre – ce qu’il ne fut pas. Il n’eut même pas besoin d’intriguer pour être anobli et siéger à la Chambre des Lords – ce qui put être vexant pour les autres.</p>
<h2>Un homme obsédé par le pouvoir… intellectuel</h2>
<p>Car Keynes recherchait moins le pouvoir politique que l’influence. Il mettra sa force de conviction au service de l’Angleterre pendant et après les deux guerres. Au grand cirque de Bretton Woods (1944), Keynes sut argumenter mais pas retourner en sa faveur un rapport de force trop inégal entre l’Angleterre et les États-Unis.</p>
<p>Keynes était obsédé par le pouvoir intellectuel. Il le conquiert par ses écrits, bien sûr, mais aussi auprès de ses collègues, de ses étudiants de Cambridge et de cette très intrigante <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cambridge_Apostles">Conversazione Society</a> qui choisit ses apôtres parmi les recrues les plus brillantes. Dans les années 1930, ce magistère est pourtant remis en cause par la radicalisation de Cambridge. Drame intime : son protégé, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Julian_Bell">Julian Bell</a>, fils ainé de sa grande amie Vanessa Bell (et donc neveu de Virginia Woolf) ose proclamer qu’il en est fini de son aura. Keynes est un homme du passé. Les meilleurs de Cambridge ne sont-ils pas tous « communistes ou presque communistes » ? Sans cette remise en cause par ses proches convertis au marxisme Keynes aurait-il écrit <em>la Théorie Générale</em> qui fonda le keynésianisme ? Peut-être pas.</p>
<p>Certes, Keynes n’est pas un personnage fictif ! Néanmoins, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Keynes:_The_Return_of_the_Master">malgré des biographies bien documentées</a>, sa vie comporte des zones blanches où pourrait sans mal s’introduire une forme particulière de fiction, la fiction « plausible ».</p>
<h2>Des zones blanches dans sa biographie</h2>
<p>Ainsi, les années noires du stalinisme, qui inspireront entre autres <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Soljenitsyne">Soljenitsyne</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vassili_Grossman">Grossman</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Koestler">Koestler</a>, atteignirent aussi les Keynes au-delà même de l’influence soviétique dans le monde intellectuel.</p>
<p>Lydia avait laissé à Leningrad deux frères et une sœur, danseurs et chorégraphe. Parfois accompagnée de Keynes, elle s’y rendait autant que possible. Le couple connaissait ainsi des réalités que le pouvoir soviétique niait et que ne voulaient pas connaitre les intellectuels de Cambridge ou d’ailleurs. Le frère aîné de Lydia, le chorégraphe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fedor_Lopoukhov">Fedor Lopoukhov</a> connaitra d’ailleurs les foudres de Staline pour un ballet (<a href="https://brahms.ircam.fr/works/work/7332/"><em>Le ruisseau limpide</em></a>) composé par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dmitri_Chostakovitch">Chostakovitch</a>. Tout comme son co-librettiste, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Adrian_Piotrovski">Adrian Piotrovski</a>, il aurait pu être exécuté, mais il ne fut « que » démis de ses fonctions au Bolchoï. Fut-il sauvé par son influent beau-frère, par ailleurs « ami » de l’ambassadeur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_Ma%95ski">Ivan Maïsky</a> ? On peut l’imaginer. En contrepartie, Keynes aurait bien pu s’abstenir de dénoncer publiquement le totalitarisme stalinien.</p>
<p>Les romans de John le Carré, de Graham Greene et de Robert Littell se sont inspirés des célèbres <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cinq_de_Cambridge">« cinq espions de Cambridge »</a>. Keynes connaissait la plupart d’entre eux. Il avait même contribué à en faire élire deux dans la Conversazione Society, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthony_Blunt">Anthony Blunt</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_Burgess">Guy Burgess</a>, des amis très proches de Julian Bell – engagé dans la guerre civile espagnole comme ambulancier dans une unité sanitaire britannique sera tué en juillet 1937. Burgess glissa même le nom de Keynes dans la longue liste des recrues possibles transmise à son officier traitant ! Toutefois, ce serait pousser trop loin la fiction que d’imaginer Keynes en « taupe ». Guy Burgess, un temps producteur à la BBC, n’espérait-il pas faire de Lydia Keynes une source (involontaire) d’informations en lui confiant des émissions radiophoniques qui le rapprochait d’elle ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/john-maynard-keynes-et-le-cercle-des-espions-97215">John Maynard Keynes et le cercle des espions</a>
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<p>Le roman d’espionnage ne s’arrête pas aux réseaux anglais. Durant les cinq dernières années de sa vie, Keynes bataillera avec un haut fonctionnaire du Trésor américain, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Harry_Dexter_White">Harry Dexter White</a>, d’abord pour négocier des « prêts-bails » américains puis, à Bretton Woods, pour fonder le FMI, la Banque Mondiale et les règles du nouveau système monétaire international. Il est maintenant acquis qu’il fut lui aussi, un agent d’influence et un informateur du NKVD (ancêtre du KGB). Keynes se doutait-il de la duplicité de son interlocuteur ? [5]</p>
<p>Keynes fut ainsi un des seuls, sinon le seul, à côtoyer de près les protagonistes des deux plus grands scandales d’espionnage de l’après-guerre, les « 5 de Cambridge » et le réseau Silvermaster auquel appartenait White, et… consolider ainsi son statut de héros romanesque !</p>
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<p>Jean-Marc Siroën, Professeur émérite à l’Université PSL-Paris Dauphine a publié en 2021 une « saga » historique en trois tomes, « Mr Keynes et les extravagants » (éditions <a href="https://www.librinova.com/librairie/result?thema=&themb=&text=siroen">Librinova</a>).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173386/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marc Siroën ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette figure incontournable de l’économie politique n’était pas l’austère personnage que l’on se figure au premier abord.Jean-Marc Siroën, Professeur d'économie internationale, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1719952021-12-12T20:50:04Z2021-12-12T20:50:04ZÉcrire les frontières : Guillaume Poix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436374/original/file-20211208-140267-1p07p4w.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C0%2C1562%2C733&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Guillaume Poix use de la fiction pour raconter les drames contemporains. </span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le président d’honneur du jury de la deuxième édition du <a href="http://crem.univ-lorraine.fr/partenariats/prix-litteraire-frontieres-leonora-miano">Prix Frontières-Léonora Miano</a>, Guillaume Poix – à la fois écrivain et dramaturge – dévoile sa conception des frontières de la création. À l’occasion du cycle de rencontres « Écrire les frontières », il a exposé sa fabrique littéraire dans un master class, avec les étudiants de l’Université de Lorraine.</p>
<h2>La littérature est d’abord une enquête</h2>
<p>À propos de son dernier roman <em>Là d’où je viens a disparu</em> (Verticales, 2020) Guillaume Poix revient sur la capacité de l’écrivain à se saisir d’éléments nourrissant la fiction ou <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/etats-unis-un-migrant-et-sa-fille-noyes-dans-le-rio-grande-lhistoire-derriere-la">comment le choc d’une photo découverte dans la presse</a>, celle d’un Salvadorien et sa fille ayant essayé, en vain, de traverser le Rio Grande pour parvenir aux États-Unis, a déclenché son écriture.</p>
<p>À partir d’une interrogation (« et si c’était moi ? »), l’écrivain mène une enquête sur le parcours qui a pu être celui de la famille de la photo. Bouleversé, il écrit un texte. Mais est-il légitime ? Il n’est pas directement concerné, mais intimement touché. Le texte réalisé lui parait insuffisant : c’est le trajet de son regard sur un sujet qui lui donne les clés formelles, il faut mettre en tension, en critique ce regard. Alors il donne à son écrit une dimension chorale, aux frontières, pour traduire le caractère mondial de la migration et exprimer d’autres perceptions. Ces voix sont structurées par la dynamique fédératrice du fait de « passer », avec des rapports différents à cette notion suivant les personnages, lui-même se fait ainsi passeur de l’histoire d’ailleurs.</p>
<p>Une enquête, notamment à partir de la presse internationale, a donc été nécessaire pour cette fiction. Guillaume Poix affirme que l’enquête est pour lui consubstantielle à l’écriture. Mais pour mener à bien une véritable enquête, en particulier sur le terrain, il faut une certaine méthode, qu’il dit ne pas avoir en tant qu’écrivain. En revanche, il trouve dangereux de conditionner la légitimé de la littérature à la biographie ou à l’enquête de l’auteur. La mention « inspiré de faits réels » est devenue un argument commercial, mais elle crée aujourd’hui une véritable tyrannie qui dévalorise complètement la pure fiction. Or, on ne peut pas demander aux écrivains de n’écrire que sur ce qu’ils connaissent, affirme-t-il.</p>
<h2>De l’Europe à l’Afrique</h2>
<p>Guillaume Poix revient également sur son roman <em>Les fils conducteurs</em> (Verticales, 2017 ; prix Wepler) abordant la problématique d’une décharge d’objets électroniques à ciel ouvert issue de l’Europe au cœur de l’Afrique. L’élément déclencheur est une autre photographie découverte lors d’une exposition de photographie d’art, <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/12/27/les-dechets-electroniques-intoxiquent-le-ghana_4340635_3244.html">rendant visible l’exportation de déchets dangereux</a>.</p>
<p>Elle lui parait être comme une vision fantasmée de l’enfer, alors même que ces photos montrent la réalité de notre monde actuel. Une époque traversée par l’illusion de l’effacement des frontières, fortement accentuée par l’espace numérique. La littérature exhibe la puissance violente de ce désastre écologique et sanitaire.</p>
<p>Cette décharge est aussi l’expression des relations entre les pays du nord et les pays du sud, et du capitalisme postcolonial et ses effets sur l’Afrique contemporaine. Elle accueille les objets électroniques, donc souvent intimes, du monde entier. La langue utilisée ici est alors aussi composite, une langue produite par ce lieu qui crée ses propres normes. Un mélange de plusieurs langues et de plusieurs registres traduisant à la fois l’accumulation des objets du monde entier et le mythe de Babel. Dans le réel cela ne change certes rien, mais la littérature a cette potentialité de stimuler l’imagination collective pour tenter de mesurer et de dire le réel.</p>
<p>Guillaume Poix s’intéresse à ce que l’on ne regarde pas, parce qu’il s’y joue du fondamental. Nos ordures, par exemple, disent beaucoup de nous, en rejetant les objets comme on rejette les êtres ou tout simplement ne pas vouloir les voir. C’est aussi redonner un visage aux êtres que sont les immigrants et immigrés. Il s’intéresse ainsi à ce qui n’apparaît pas sans la méthode exhaustive propre à l’écrivain, au journaliste, au chercheur, bref à l’enquêteur, à travers un geste qui vise à rendre le monde intelligible et à comprendre les mécanismes à l’œuvre.</p>
<h2>Faire bouger les frontières génériques</h2>
<p>Selon Guillaume Poix, la liberté de l’auteur consiste à bousculer les codes littéraires. Ainsi, lui-même « écrit du théâtre comme s’il était romancier et du roman comme s’il était dramaturge ». Son texte <em>Soudain Romy Schneider</em> (2020) est né d’une commande, celle d’une adaptation théâtrale du film <em>La Piscine</em> (Jacques Deray, 1969), avec Romy Schneider et Alain Delon. L’écrivain propose une création hybride sur la femme et l’actrice en particulier, qui cherche à brouiller les genres littéraires. </p>
<p>Pour lui, l’écriture théâtrale est plus libre que celle du roman, parce que l’on écrit alors pour des gens dont on maîtrise la temporalité de réception de l’œuvre : c’est plus émancipateur et en prise directe. <em>Soudain Romy Schneider</em> se trouve donc être aux frontières, oscillant entre rigueur et liberté. Une nécessité professionnelle car la discipline est importante, parce qu’elle « engendre une dynamique » selon Guillaume Poix. Liberté aussi du processus créateur qui se nourrit de l’œuvre cinématographique, comme elle se nourrissait de la photo et de l’information pour les deux romans déjà évoqués.</p>
<h2>La littérature comme acte politique</h2>
<p>Selon Guillaume Poix, la littérature est une représentation politique du monde. « Elle est là pour explorer les espaces manquants et pour parler de ce que l’on a en commun ». Un roman politique « désaxe » le lecteur ; c’est le propre des grandes œuvres. Par ailleurs, le travail d’immersion, que nécessite l’enquête, la plus élémentaire pour atteindre les fondements de l’humanité, est politique, puisqu’il nécessite un effort d’empathie, l’obligation de « se mettre à la place de ». Une expérience universelle.</p>
<p>L’écriture peut donc stimuler l’imagination collective pour tenter d’impacter le réel en passant par le puissant levier de l’empathie, une façon de lutter contre l’indifférence. En cela, la fiction se produit dès que l’on construit une phrase : elle institue le réel et l’expérience existentielle, sans aucune assurance que ce ne soit pas vain ou obscène.</p>
<p>En définitive, Guillaume Poix explore la porosité des frontières, géographiques – qui ne sont pas si symboliques pour certains dans un monde par ailleurs encore matériel – comme génériques, grâce à ses talents de dramaturge et d’écrivain. Une véritable poétique qui repose en tout cas la question des écritures impliquées.</p>
<p>L’enjeu est donc de saisir, sous l’angle de la création littéraire, les rapports entre un écrivain·e et les lieux, entre culture et territoire. L’Université de Lorraine (le Crem et le Loterr) s’associe à la Maison des écrivains et de la littérature (<a href="https://www.m-e-l.fr/index.php">Mél, Paris</a>) et à divers professionnels du livre (médiathèques-bibliothèques, librairie, festival) dans le cadre de ce cycle de rencontres (<a href="http://factuel.univ-lorraine.fr/node/17388">« Écrire les frontières »</a>), master class du Prix littéraire Frontières-Léonora Miano à destination des étudiants (Humanités, campus de Metz) et du grand public. Ainsi, six auteurs et auteures vont aborder cette thématique sous divers angles (posture identitaire, dimension géopolitique, porosité entre fiction et réalité, transgression générique).</p>
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<p><em>Merci à Camille Lucot, étudiante Licence Humanités (L3), Université de Lorraine, qui a contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171995/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Bisenius-Penin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À propos de son dernier roman « Là d’où je viens a disparu », Guillaume Poix revient sur la capacité de l’écrivain à se saisir d’éléments nourrissant la fiction.Carole Bisenius-Penin, Maître de conférences Littérature contemporaine, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696812021-11-16T18:49:38Z2021-11-16T18:49:38ZFictions pour la jeunesse : les nouvelles héroïnes cassent-elles vraiment les stéréotypes de genre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/431055/original/file-20211109-15-1w1ne3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1192%2C797&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jennifer Lawrence, dans le rôle de Katniss, héroïne de "Hunger games", et personnage apprécié par les adolescentes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-145083/photos/detail/?cmediafile=19851874">Allociné / Copyright Metropolitan FilmExport</a></span></figcaption></figure><p><em>C'est en se heurtant au réel et en multipliant les expériences que chaque enfant dessine son chemin vers l'âge adulte. Mais sa personnalité et ses convictions, il les forge aussi à partir des imaginaires dans lesquels il baigne et des histoires qu'on lui raconte. Notre série « L'enfance des livres » vous invite à découvrir la complexité et l'extraordinaire diversité de la littérature de jeunesse. Après un retour sur <a href="https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235">quelques grands auteurs d'aujourd'hui</a>, <a href="https://theconversation.com/becassine-lheroine-qui-avait-du-mal-a-grandir-184751">une figure indémodable, Bécassine</a>, l'écriture de<a href="https://theconversation.com/parler-de-la-traite-des-esclaves-aux-enfants-alma-lhistoire-dun-roman-178796"> Timothée de Fombelle</a> et <a href="https://theconversation.com/trois-questions-sur-lhistoire-des-livres-pour-enfants-181098">une histoire des livres pour enfants</a>, ce dernier épisode se penche sur la littérature « young adult ».</em></p>
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<p>L’influence des personnages de fiction sur la représentation des normes de féminité et de masculinité chez les jeunes est un sujet souvent abordé du point de vue de la littérature qui leur est destinée. Dans cette catégorie, à l’exception de ce qui relève des intrigues de romance, les personnages féminins sont longtemps demeurés secondaires.</p>
<p>Des maisons d’édition dédiées à un public enfantin ont ainsi développé une production qui renverse les stéréotypes tenaces. On peut citer Talents hauts, où, par exemple, dans <em>La princesse et le dragon</em>, l’héroïne combat son dangereux ennemi par la force de son intelligence, libérant ainsi un prince charmant goujat qui lui reproche sa tenue vestimentaire débraillée. Elle s’émancipera de lui à son tour, renversant la position d’attente des princesses à l’égard des princes pour revendiquer de choisir quel prince lui convient ou non.</p>
<p>Du côté des productions pour adolescentes, adolescents et jeunes adultes, les stéréotypes de genre dans les productions qui leur sont destinées sont retravaillés dans le sens de contre-stéréotypes, voire de <a href="https://journals.openedition.org/jda/2967">néostéréotypes</a>. C’est le cas de la littérature dite « young adult ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enfants-et-ados-neuf-romans-contre-les-stereotypes-de-genre-131885">Enfants et ados : neuf romans contre les stéréotypes de genre</a>
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<p>Cette catégorie marketing qui vise le public cible des 14-25 (voire 30 ans), désigne un ensemble de publications qui ne se caractérisent pas par un style littéraire identifié : il peut s’agir de dystopie comme de fantasy ou de romance. Les ouvrages considérés comme précurseurs sont tantôt <em>Harry Potter</em>, tantôt <em>Nos étoiles contraires</em> de John Green. Ce dernier livre met en récit l’histoire d’amour entre deux adolescents atteints de cancer et caractérise également la sous-catégorie de la « sick litt » dont la spécificité réside dans une histoire romantique endeuillée par la maladie.</p>
<h2>Des héroïnes fortes</h2>
<p>Parmi les personnages marquants de la « young adult », on peut citer Hermione d’<em>Harry Potter</em>, Triss de <em>Divergentes</em>, Katniss Everdeen de <em>Hunger Games</em> ; mais également Ellana dans <em>Le Pacte des Marchombres</em> de Pierre Bottero. Ces personnages ressortent de manière massive lorsqu’on interroge des lycéens et lycéennes sur les personnages de fiction qui les ont marqués.</p>
<p>À partir d’une <a href="https://journals.openedition.org/ges/351">enquête de réception</a> réunissant 77 entretiens avec des lycéens et lycéennes de classe moyenne, plutôt lecteurs et lectrices, il apparaît qu’elles sont systématiquement qualifiées par ces jeunes de « fortes », « indépendantes » et « badass ».</p>
<p>À ce titre, elles sont désignées par leur autonomie et leur force morale, qualités qui sont également appréciées chez des personnages littéraires issus de la culture scolaire comme Phèdre et Antigone. Ces héroïnes classiques, emblématiques de transgressions sociales et politiques qu’elles assument, sont appréciées pour les mêmes raisons que les personnages de la « young adult », sans présumer des différences de genre littéraire et des transgressions réellement accomplies par les unes et les autres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le personnage de Phèdre est souvent décrit par les élèves qui découvrent les tragédies de Racine comme un personnage fort.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alexandre_Cabanel_-_Ph%C3%A8dre.jpg">Phèdre, par Alexandre Cabanel</a></span>
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<p>Hermione connaît un succès particulier, amplifié par l’engagement féministe de son interprète à l’écran Emma Watson. Les caractéristiques d’Hermione et les prises de position publiques d’Emma Watson semblent se conforter. Hermione est louée pour son intelligence et son rôle central dans l’intrigue, même si elle apparaît peu transgressive dans l’univers d’<em>Harry Potter</em>.</p>
<p>Emma Watson, quant à elle, a été largement plébiscitée comme figure féministe dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2019-3-page-75.htm">autre enquête</a> que nous avons menée, cette fois-ci auprès d’étudiants et étudiantes. Pour les jeunes femmes comme pour les jeunes hommes, Emma Watson est la figure féministe la plus citée, à hauteur de 40 %, en réponse à un questionnaire ayant obtenu 2000 réponses dans des établissements de Nouvelle-Aquitaine.</p>
<p>Au-delà de la prédominance d’Hermione, le caractère transgressif des personnages féminins de « young adult » est discuté par les personnes interrogées : si elles font preuve de force physique et d’intelligence, elles dépendent presque toujours, affectivement, d’un personnage masculin, avec lequel elles entretiennent une romance réelle ou latente. L’hétérosexualité presque obligatoire de ces personnages est relevée par le public pour lequel un personnage féminin transgressif n’est ni nécessairement hétérosexuel, ni nécessairement engagé dans une romance. </p>
<h2>Des schémas récurrents</h2>
<p>Le passage obligé par la romance dans la « young adult » est souligné par certaines lycéennes qui vont souligner que les histoires d’amour ne sont pas toujours crédibles. Ce point est important pour elles car les livres mais aussi les films ou les séries, sont en effet des supports d’apprentissage clairement revendiqués en matière amoureuse – le film d’amour le plus largement cité étant <em>Titanic</em>. Elles travaillent leur compétence émotionnelle dans ces loisirs.</p>
<p>Elles insistent sur l’évolution parfois trop schématique du personnage masculin, un « bad boy » qui se convertit en garçon sensible, amoureux et dévoué.</p>
<p>Ce point relève en fait d’un schéma récurrent des romances, basées sur la transformation du personnage masculin pour que puisse advenir la relation amoureuse souhaitée par l’héroïne (et par projection, par les lectrices).</p>
<p>Janice Radway a mis en évidence ce canevas narratif des romans Harlequin dès 1984 dans son étude classique, <em>Reading the Romance</em>, hélas jamais traduite intégralement en français (voir la <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2000_num_13_51_1108">conclusion de l’ouvrage</a> traduite par Brigitte Le Grignou en 2001). Radway explique comment ce déroulement de l’intrigue, sans cesse renouvelé, reconduit un schéma patriarcal tout en permettant aux lectrices de vivre fantasmatiquement une autre fin que celle de leurs relations hétérosexuelles réelles.</p>
<p>Or, malgré l’évolution des caractéristiques des personnages, le principe narratif se répète dans les productions contemporaines. Ce n’est pas tant ce script amoureux – au sens de scénario répétitif inscrit dans les imaginaires – qui gêne. Les lectrices savent à quoi s’attendre en choisissant ces lectures. Les garçons ne disent pas en lire, voire s’en moquent comme de consommations féminines, alors même qu’ils reconnaissent devoir prendre conseil auprès de leurs amies filles en matière amoureuse. Ce qui suscite la critique relève de l’aptitude à rendre le déroulement de l’histoire assez fin psychologiquement pour que la lecture en soit crédible.</p>
<h2>Enjeu éducatif</h2>
<p>Cette réflexivité sur les procédés esthétiques, également appelée « appropriation esthétique », ne dépend pas de la classe sociale d’origine, ni de la filière de spécialisation au lycée. Des filles et garçons d’origine populaire, et en bac professionnel, en font preuve. Le contre-stéréotype de femme forte et indépendante apparaît ainsi comme un nouveau standard pour les jeunes qui lisent beaucoup et qui identifient un procédé répétitif. Par comparaison, les personnages masculins marquants sont beaucoup plus diversifiés : de <em>Jack et La Mécanique du cœur</em> aux personnages de mangas, y compris <em>Dragon Ball Z</em>, ces personnages se caractérisent par différentes combinaisons entre force physique, intelligence et sensibilité.</p>
<p>La sensibilité des personnages masculins est devenue une exigence comme cela a déjà été démontré. L’absence de personnages masculins centraux dans des intrigues sentimentales est soulignée par certains garçons qui s’en plaignent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lectures-ces-classiques-quharry-potter-fait-decouvrir-a-vos-enfants-117719">Lectures : ces classiques qu’Harry Potter fait découvrir à vos enfants</a>
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<p>Un double enjeu éducatif peut dès lors être identifié. D’une part, les personnages féminins sont davantage travaillés et développés par des biens culturels destinés à la jeunesse dans un sens qui se veut féministe, visant à satisfaire l’horizon d’attente du public de jeunes femmes auxquelles il s’adresse. Mais pour les lectrices et lecteurs assidus, ces traits de personnalité se dévoilent comme un nouveau standard commercial qui ne remet pas en cause les schémas amoureux les plus classiques.</p>
<p>D’autre part, il manque aux garçons, dans un apprentissage amoureux – qu’ils disent, dans notre enquête, devoir beaucoup aux filles – de trouver des personnages masculins centraux et complexes dans une intrigue sentimentale. Cela permettrait de ne pas faire reposer exclusivement l’évolution des normes de genre sur des modèles de femmes fortes, ni de reconduire, malgré cette évolution, des scénarii amoureux où les hommes sont déresponsabilisés de tout travail relationnel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Viviane Albenga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la littérature « young adult » met désormais en avant des personnages de jeunes femmes fortes et indépendantes, elle continue à se fonder sur des schémas amoureux très classiques.Viviane Albenga, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635082021-06-28T19:54:59Z2021-06-28T19:54:59ZDossier : L’art d’apprendre à lire, retour sur quelques leçons de la recherche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/408621/original/file-20210628-15-1omy90c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C29%2C4898%2C3223&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Avant même l'entrée au CP et le travail de B.A-BA, les enfants apprivoisent les liens entre signes et sens à travers tout un ensemble d'activités.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/adorable-blur-bookcase-books-261895/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Évoquez l’apprentissage de la lecture et aussitôt reviennent au premier plan les débats sur les manuels et les méthodes, globale et syllabique. Mais n’est-ce pas un angle un peu réducteur pour embrasser les multiples questions qui se posent sur les manières d’appréhender l’écrit ?</p>
<p>Avant même l’entrée au CP et le travail de B.A-BA, les enfants apprivoisent les liens entre signes et sens à travers tout un ensemble d’activités, sur lesquelles la recherche s’arrête de plus en plus.</p>
<p>Anita Collins et Misty Adoniou (University of Canberra) nous expliquent ainsi pourquoi les <a href="https://theconversation.com/lapprentissage-precoce-de-la-musique-un-atout-pour-devenir-un-bon-lecteur-161690">jeux de mots et comptines</a>, loin d’être de simples divertissements, sont si présents en maternelle, tandis que Caroline Creusot-Tuphile (Université de Bordeaux) explore le <a href="https://theconversation.com/aider-a-comprendre-les-histoires-ca-sapprend-aussi-159484">dialogue</a> qui se noue entre adultes et enfants autour des albums jeunesse. Des interactions essentielles pour poser les bases d’une bonne compréhension que les enfants peuvent affiner ensuite en se mettant dans la peau du conteur, selon les <a href="https://theconversation.com/apprendre-a-raconter-a-lecole-maternelle-139419">travaux de Sylvie Cèbe</a> (Université Clermont-Auvergne).</p>
<p>À l’heure où les textes circulent de plus en plus en version numérique, les spécialistes de la psychologie cognitive nous invitent à ne pas négliger les <a href="https://theconversation.com/lecture-postures-emotions-comment-le-corps-nous-aide-a-comprendre-un-texte-159583">aspects matériels de la lecture</a>, du cadre où l’on se trouve au support que l’on utilise, car cela interfère avec la perception et le souvenir qu’on aura du récit, explique Ugo Ballenghein (UPEC). D’ailleurs, l’écriture manuscrite n’est pas seulement une habitude culturelle, mais aussi un tremplin vers l’apprentissage de la lecture.</p>
<p>Cet apprentissage se poursuit tout au long de la scolarité, l’élève s’initiant à l’analyse de textes toujours plus complexes et à l’art d’argumenter. Dans un contexte où prolifèrent les images et les informations, il faudra donc cultiver l’esprit critique, tout en assimilant les <a href="https://theconversation.com/in-extenso-decrypter-linfo-sur-ecran-ca-sapprend-155506">codes de la lecture sur écran</a>, comme l’expose Divina Frau-Meigs (Université Sorbonne-Nouvelle), pour mieux <a href="https://theconversation.com/print-audio-ou-video-quels-supports-choisir-pour-mieux-apprendre-161295">jongler</a> entre papier et ordinateur, selon les conseils de Naomi S. Baron (American University).</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lecture-postures-emotions-comment-le-corps-nous-aide-a-comprendre-un-texte-159583">Lecture, postures, émotions : comment le corps nous aide à comprendre un texte</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400364/original/file-20210512-16-57gb75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C8%2C1908%2C1267&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400364/original/file-20210512-16-57gb75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400364/original/file-20210512-16-57gb75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400364/original/file-20210512-16-57gb75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400364/original/file-20210512-16-57gb75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400364/original/file-20210512-16-57gb75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400364/original/file-20210512-16-57gb75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Notre engagement « cognitif » varie au fil de la lecture.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/photos/boy-book-reading-literature-read-5731001/">Sabrina Eickhoff/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>En quoi notre corps est-il impliqué dans cette activité si intellectuelle qu’est la lecture ? Quel rôle les émotions jouent-elles ? Ces questions ouvrent des pistes pour l’apprentissage de la lecture.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lapprentissage-precoce-de-la-musique-un-atout-pour-devenir-un-bon-lecteur-161690">L’apprentissage précoce de la musique : un atout pour devenir un bon lecteur</a></h2>
<p>Pour apprendre à parler, les enfants doivent être capables de distinguer les mots au sein d’un environnement sonore varié, et la découverte précoce de la musique les accompagne dans cet effort.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/aider-a-comprendre-les-histoires-ca-sapprend-aussi-159484">Aider à comprendre les histoires, ça s’apprend aussi !</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/399231/original/file-20210506-23-8xafxr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C40%2C1920%2C1235&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/399231/original/file-20210506-23-8xafxr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/399231/original/file-20210506-23-8xafxr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/399231/original/file-20210506-23-8xafxr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/399231/original/file-20210506-23-8xafxr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/399231/original/file-20210506-23-8xafxr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/399231/original/file-20210506-23-8xafxr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les albums de jeunesse, beaucoup d’histoires s’appuient sur des allusions que les enfants ne comprennent pas toujours au premier abord.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/a-girl-watching-her-brother-write-on-a-book-6157224/">cottonbro/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Reformuler les phrases, expliquer le lexique, questionner l’enfant… Pendant la lecture d’un album, ces réflexes n’ont rien d’anodin et permettent d’éclaircir la part implicite d’une histoire.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/in-extenso-pourquoi-apprend-on-encore-a-ecrire-a-la-main-154995">« In extenso » : Pourquoi apprend-on encore à écrire à la main ?</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C7360%2C4880&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383307/original/file-20210209-21-12sg22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’écriture manuscrite n’est pas une simple habitude culturelle, c’est aussi un outil clé d’apprentissage de la lecture.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Si les supports numériques comme les tablettes offrent des outils interactifs intéressants pour découvrir la lecture, le geste d’écriture reste essentiel pour la mémorisation des mots. Interview de Denis Alamargot, professeur des Universités en psychologie cognitive et développementale.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/print-audio-ou-video-quels-supports-choisir-pour-mieux-apprendre-161295">Print, audio ou vidéo : quels supports choisir pour mieux apprendre ?</a></h2>
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<span class="caption">Les bénéfices de l’imprimé sont tout particulièrement évidents pour les tâches complexes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/beautiful-young-woman-lying-on-floor-648377878">Shutterstock</a></span>
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<p>Avec la généralisation des cours à distance pendant la pandémie, les lectures recommandées sur papier ont souvent laissé place à des documents multimédias. Mais est-ce aussi efficace pour la mémoire ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/apprendre-a-raconter-a-lecole-maternelle-139419">Apprendre à raconter à l’école maternelle</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338270/original/file-20200528-51449-m17ff5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=190%2C95%2C2103%2C1359&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338270/original/file-20200528-51449-m17ff5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338270/original/file-20200528-51449-m17ff5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338270/original/file-20200528-51449-m17ff5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338270/original/file-20200528-51449-m17ff5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338270/original/file-20200528-51449-m17ff5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338270/original/file-20200528-51449-m17ff5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Compréhension, mémorisation, expression sont autant de compétences que l’enfant travaille en racontant une histoire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Avant même d’apprendre à lire, on peut apprendre à raconter une histoire. C’est le credo de Narramus, un manuel conçu par des chercheurs en collaboration avec des enseignant·e·s de maternelle.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/in-extenso-decrypter-linfo-sur-ecran-ca-sapprend-155506">« In extenso » : Décrypter l’info sur écran, ça s’apprend !</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/384745/original/file-20210217-23-1g9rrs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C27%2C3598%2C1880&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384745/original/file-20210217-23-1g9rrs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384745/original/file-20210217-23-1g9rrs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384745/original/file-20210217-23-1g9rrs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384745/original/file-20210217-23-1g9rrs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384745/original/file-20210217-23-1g9rrs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384745/original/file-20210217-23-1g9rrs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur smartphone ou sur ordinateur, le design des pages prend le pas sur le contenu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-smartphone-ordinateur-portable-lit-4050414/">Pexels/Vlada KarpovicH</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Internet, c’est autant une mine d’infos qu’un dédale d’infox, Alors, comment s’y retrouver ? Quels repères transmettre aux jeunes en matière d’éducation aux médias ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélie Djavadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les débats se focalisent souvent sur les méthodes de lecture quand on parle de découverte de l’écrit, la recherche invite à se pencher sur d’autres enjeux, en amont du CP et au-delà.Aurélie Djavadi, Cheffe de rubrique Education, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1589362021-06-27T16:59:09Z2021-06-27T16:59:09ZGrâce aux « fanfictions », la 4ᵉ génération de féministes revisite la saga Harry Potter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/407502/original/file-20210621-35622-pr0l4w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La saga Harry Potter, créée par J.K. Rowling au début des années 1990, rassemble une immense communauté de fans.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le média étatsunien Vox s’interrogeait dernièrement <a href="https://www.vox.com/culture/22254435/harry-potter-tv-series-hbo-jk-rowling-transphobic">sur l’accueil que recevrait une suite de la saga Harry Potter</a>, alors que des rumeurs circulent régulièrement sur une possible adaptation de la saga au format <a href="https://www.journaldugeek.com/2021/01/26/harry-potter-la-saga-bientot-adaptee-en-serie-pour-hbo-max/">série</a>. La question agite l’immense communauté internationale de fans du célèbre sorcier, créé par l’autrice anglaise Joanne K. Rowling, et dont les aventures ont été adaptées sur grand écran à partir du début des années 2000.</p>
<p>Depuis son ascension fulgurante vers la célébrité, celle-ci entretient avec ses fans une relation privilégiée, notamment via sa plate-forme multimédia <em>Pottermore</em>.</p>
<p>Rowling est aussi une personnalité très active sur Twitter, où elle menait par exemple, aux côtés d’autres écrivain·e·s s’identifiant comme « progressistes » une campagne contre Trump. Au-delà des opinions de Rowling, la lutte contre le racisme, incarnée dans les romans par le combat contre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Voldemort">Voldemort</a> et les défenseurs du Sang-Pur, mène l’intrigue des sept livres.</p>
<p>Cela explique donc à la fois la surprise et la déception des fans quand, en juin dernier, Rowling a fait part d’opinions jugées transphobes, d’abord sur son compte <a href="https://twitter.com/jk_rowling/status/1269382518362509313?lang=es">Twitter</a> puis sous un format plus long sur son <a href="https://www.jkrowling.com/opinions/j-k-rowling-writes-about-her-reasons-for-speaking-out-on-sex-and-gender-issues/">site</a> web.</p>
<h2>Bref historique du féminisme dans Harry Potter</h2>
<p>La déception fut d’autant plus forte que Rowling est l’une des personnalités féministes les plus écoutées et visibles des années 2000. Il s’agit d’une des premières femmes ayant réussi à percer dans un genre, la <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-3-page-94.htm">fantasy</a>, considéré comme ciblant le public masculin et dominé par les hommes. Son exemple a inspiré de nombreuses jeunes écrivaines, qui ont à leur tour transformé le monde de l’édition en faisant émerger la catégorie « Young Adult » (une littérature ciblant principalement les 15-24 ans).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-romans-young-adult-une-litterature-populaire-131715">Les romans « young adult », une littérature populaire ?</a>
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<p>Elle est par ailleurs la porte-parole de plusieurs fondations soutenant les femmes et les enfants et a révélé avoir elle-même été victime de violences conjugales. En 1992, quand sort le premier tome de <em>Harry Potter</em>, le personnage d’Hermione Granger constitue un <a href="https://www.huffpost.com/entry/hermione-granger-feminist-symbol-20-years-later_n_59381659e4b0b13f2c65d5c6">tournant</a> pour la caractérisation des jeunes filles dans la fantasy. Loin des stéréotypes de princesse en détresse, Hermione est, par sa grande intelligence, essentielle à la survie du trio qu’elle forme avec Harry et Ron et dans lequel elle incarne la voix de la logique et du rationnel.</p>
<p>En 2007, lors d’une lecture publique, l’autrice <a href="http://www.the-leaky-cauldron.org/2007/10/20/j-k-rowling-at-carnegie-hall-reveals-dumbledore-is-gay-neville-marries-hannah-abbott-and-scores-more/">déclare</a> que Dumbledore – le directeur de l’école des sorciers Poudlard au sein de laquelle évoluent les trois héros – était gay, s’attirant la sympathie de jeunes fans appartenant à la communauté LGBTQ+ qui voyaient en elle une alliée.</p>
<p>On comprend donc que Rowling ait été érigée en icône féministe pop des années 2000, et ses prises de position célébrées par la génération des <a href="https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2019-3-page-107.htm">millennials</a>, nés entre le début des années 1980 et la fin des années 90. Il n’est dès lors pas surprenant que Harry Potter attire depuis son avènement une communauté de fans engagés pour la cause féministe au sens large.</p>
<h2>Fans et féminisme(s)</h2>
<p>Comment mesure-t-on l’implication d’une communauté de fans dans les questions militantes, ici féministes ? Pour <em>Harry Potter</em>, chercheuses et chercheurs se sont penchés sur le vaste corpus de <em>fanfiction</em> pour en classer les contenus militants. Pour les non-initiés, la <em>fanfiction</em> (« fiction de fans ») est un récit qui reprend des éléments ou des personnages fictifs (ici l’univers de Harry et ses amis) et le prolonge ou le modifie, (<a href="https://www.researchgate.net/publication/308045131_Restorying_the_Self_Bending_Toward_Textual_Justice">comme l’expliquent ces chercheuses de l’université de Pennsylvanie</a>).</p>
<p>D’après la sociologue <a href="https://muse.jhu.edu/article/656105/pdf">Jennifer Duggan</a>, la communauté de fans du sorcier figure parmi les plus « engagées » sur les questions sociales, notamment autour de la communauté LGBTQ+, de l’antiracisme, du féminisme. Elle est aussi parmi les plus diverses en termes d’auteurs et d’autrices, incluant des personnes racisées, des personnes queer (c’est-à-dire dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles hégémoniques), et bien évidemment, des personnes trans.</p>
<p>La <em>fanfiction</em> est loin d’être une pratique de niche et peut s’appliquer à tout type de fiction mais concerne aussi des groupes de musiques, des acteurs, des personnalités. Véritable monde parallèle littéraire, elle ne vise pas une publication « légitime » mais a pour objectif de créer une communauté autour d’un univers partagé.</p>
<p>Comme toute sous-culture, la <em>fanfiction</em> a ses codes et son vocabulaire. Si elle concerne souvent des couples non explorés dans la saga originale, elle peut aussi se consacrer à des personnages secondaires, à des univers parallèles ou des fins alternatives.</p>
<p>L’utilisation fréquente du <em>racebending</em> est particulièrement populaire et pertinente pour l’analyse de l’antiracisme dans la communauté. Ce terme désigne le fait de transformer un personnage qui dans le « canon » (l’histoire officielle) est blanc en une personne racisée. La <em>fanfiction</em> peut aussi approfondir les romances peu développées dans le texte, et en inventer, notamment entre personnages de même genre dans des fictions mettant en scène, au départ, uniquement des couples hétérosexuels.</p>
<p>Cette pratique offre des possibilités de subversion, féministe dans le cas d’<em>Harry Potter</em>, comme le souligne la chercheuse Anne Kustriz dans un <a href="https://www.researchgate.net/publication/272122460_Domesticating_Hermione">article</a> détaillant la portée féministe ou antiféministe de la <em>fanfiction</em> consacrée à Hermione.</p>
<h2>Quatrième vague du féminisme et relectures d’Harry Potter</h2>
<p>La <em>fanfiction</em> est avant tout le produit de la première génération de fans (les millennials) qui ont lu et se sont approprié la saga à travers cette sous-culture. S’il montre l’intérêt de cette communauté pour les questions de représentation féministe et LGBTQ+, il reste avant tout l’expression du féminisme de la troisième vague, auquel appartient aussi la génération de l’autrice.</p>
<p>Pour cette vague, les inquiétudes principales en termes de représentation concernaient d’abord la quantité de femmes et des personnages LGBTQ+ présents dans les fictions. Mais on observait alors peu de recul critique sur la qualité de cette représentation.</p>
<p>La <a href="https://gazettedesfemmes.ca/20500/generation-z-une-releve-feministe-renouvelee/">génération Z</a> est marquée par le féminisme de la <a href="https://journals.openedition.org/itineraires/2796">quatrième</a> vague, portée primordialement par des concepts développés au sein du féminisme noir, notamment l’intersectionnalité. Dans leurs revendications, ces jeunes continuent d’exiger des fictions qui incluent des personnages noirs, asiatiques ou latinos, neurodivergents ou LGBTQ+.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">« Les mots de la science » : I comme intersectionnalité</a>
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<p>Néanmoins, ils souhaitent surtout voir une représentation perçue comme étant de qualité, c’est-à-dire où les personnages ne seraient pas uniquement des personnages « prétextes », présents dans la fiction uniquement comme gages de cette supposée diversité, sans contribuer de manière substantielle à l’action, souvent sous une forme très stéréotypée.</p>
<p>Cette génération a aussi une nouvelle plate-forme pour la réappropriation de cet univers : TikTok, qui est aujourd’hui bien plus qu’un réservoir pour des vidéos de danses chorégraphiées. Pendant le premier confinement, les <em>hashtags</em> concernant <em>Harry Potter</em> ont inondé le réseau. Dans des vidéos critiques, de nombreuses jeunes femmes abordent de manière subtile certains des enjeux féministes de leur génération. Elles analysent par exemple la <a href="https://vm.tiktok.com/ZMemUo2fr/">misogynie internalisée</a> dont témoignent des personnages comme Fleur Delacour ou Lavender Brown, ridiculisées par l’autrice, car affichant des caractéristiques considérées comme féminines, ne craignant pas de montrer leurs émotions, contrairement à des personnages aux caractéristiques plus masculines comme Ginny et Hermione, qui au contraire, sont valorisées.</p>
<p>Elles font des séries de vidéos d’une minute chacune sur les <a href="https://www.tiktok.com/@zinniacreates/video/6913301768650706177?lang=es&is_copy_url=0&is_from_webapp=v1&sender_device=pc&sender_web_id=6922679344653616645">implications du système capitaliste du monde magique</a>, sur les personnages codés comme non-hétérosexuels tels que <a href="https://vm.tiktok.com/ZMem5ofLH/">Lupin et Tonks</a>, ou encore sur la place de la racialisation dans la malheureuse <a href="https://www.tiktok.com/@moronosexual/video/6896478003451219205?lang=es&is_copy_url=0&is_from_webapp=v1&sender_device=pc&sender_web_id=6922679344653616645">métaphore nazie exprimée à travers Voldemort</a> et ses Mangemorts. Une des tendances les plus populaires est celle qui consiste à parodier les représentations stéréotypées des personnages <a href="https://www.tiktok.com/@bettinald/video/6876224734913121541?lang=es&is_copy_url=0&is_from_webapp=v1&sender_device=pc&sender_web_id=6922679344653616645">racisés</a> avec des vidéos qui répondent à la prémisse « Si J.K. Rowling avait écrit un personnage musulman/latino/ <a href="https://vm.tiktok.com/ZMemaLcxb/">etc</a> ».</p>
<p>Plus proches de l’univers de la <em>fanfiction</em> sont les vidéos qui, reprenant certaines conventions de la saga, visent à l’agrandir, et même à s’immiscer dans celle-ci. Ce deuxième type de vidéo requiert une plus grande maîtrise du langage filmique et des logiciels, comme l’expliquent certaines des créatrices interviewées dans cet article du <a href="https://www.nytimes.com/2020/11/17/movies/harry-potter-tiktok.html"><em>New York Times</em></a>.</p>
<p>Ces jeunes fans s’amusent à s’insérer dans la fiction à travers un jeu habile de montages. En réutilisant des séquences des films de Harry Potter, des personnes issues de groupes minorisés placent leurs histoires au centre de la saga officielle, alors qu’ils n’y avaient que peu ou pas du tout de représentation au départ. Ces tendances permettent donc d’inclure des personnages <a href="https://www.tiktok.com/@_kucingoyen/video/6923505493994523906?sender_device=pc&sender_web_id=6922679344653616645&is_from_webapp=v1&is_copy_url=0">racisés</a> ou encore des <a href="https://vm.tiktok.com/ZMemQvbwC/">romances lesbiennes</a>, non présents dans la saga originale.</p>
<h2>Encourager une lecture critique</h2>
<p>Ces vidéos critiques et néo-fictions de la saga <em>Harry Potter</em> sont certes l’expression d’un désir de « rectification » qui est dirigé vers l’autrice et sa vision d’un féminisme restreint aux préoccupations des femmes blanches.</p>
<p>Néanmoins, cette critique reste le produit de fans de la saga qui ne cherchent aucunement à censurer l’œuvre, mais à changer les habitudes de consommation de la communauté de fans.</p>
<p>Ce renouvellement de l’intérêt des tiktokeuses et tiktokeurs montre que les jeunes féministes n’encouragent pas une mise au pilori ou une condamnation sans appel, mais reconnaissent l’esprit de subversion dont est porteuse une œuvre – ici le message de tolérance et l’acceptation de la différence, au cœur de la saga – tout en soulignant ses défauts et ceux de l’autrice.</p>
<p>Les pratiques de <em>fanfiction</em>, qu’elles soient écrites ou audiovisuelles, nous apprennent que les fans souhaitent que la saga se poursuive. La vraie question est plutôt la suivante : l’autrice sera-t-elle un jour prête à libérer ses personnages et à faire honneur à son propre message en laissant d’autres intégrer l’aventure ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158936/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïs Ornelas Ramirez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Adulée par les millennials, notamment pour son univers antiraciste et ouvert aux différences, la saga Harry Potter est reçue de manière plus critique par une nouvelle génération de féministes.Anaïs Ornelas Ramirez, Doctorante et enseignante, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1603172021-05-05T17:57:02Z2021-05-05T17:57:02ZBonnes feuilles : « Ils voulaient refroidir la Terre »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/398714/original/file-20210504-23-1nsrvvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C377%2C4500%2C2357&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Nous publions un extrait du polar que l’économiste Christian de Perthuis vient de faire paraître aux éditions Librinova. <a href="https://www.librinova.com/librairie/christian-de-perthuis/ils-voulaient-refroidir-la-terre-1">« Ils voulaient refroidir la Terre »</a> aborde la thématique de <a href="https://christiandeperthuis.blog/g-comme-geo-ingenierie/">la géo-ingénierie</a>, ce terme qui désigne l’ensemble des technologies, plus ou moins étonnantes, promettant de contrer le dérèglement climatique. Une manière fictionnelle et originale d’évoquer un sujet scientifique très débattu. Dans ce passage, extrait du chapitre 13, le héros évoque son parcours et les recherches du Professeur Dubbo retrouvé mort.</em></p>
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<p>Avions-nous un réel lien de parenté avec Raji ? Je ne l’ai jamais su. Ma mère restait évasive quand le sujet était abordé. D’après elle, Raji avait vu le jour dans le village Bassa du Cameroun dont elle était originaire. Nos deux familles étaient liées. Elle n’en disait jamais plus. Elle-même avait quitté le pays avant ma naissance pour débarquer chez sa sœur, à Aubervilliers. Une omerta absolue pesait sur les circonstances de ce voyage. Le visage des deux femmes se fermait à l’évocation de ce passé qui semblait les avoir traumatisées. Je me promettais de visiter ce coin d’Afrique où j’avais probablement été conçu. J’avais peut-être encore un père quelque part dans le centre Cameroun, mais pas la moindre piste pour le retrouver.</p>
<p>Je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré mon cousin avant le décès de ma sœur jumelle, quelques jours avant nos douze ans. Elle avait été renversée au bas de notre immeuble. Marre de sang sur le macadam. Crâne fracturé. Membres disloqués. Aucune chance de survie : elle avait cessé de respirer avant l’arrivée des secours. Le chauffeur ne s’était pas arrêté. C’était une petite frappe sortant d’un casse, au volent d’une voiture volée. Un jeune dealeur connu des familles de la cité mais que nul n’aurait osé dénoncer aux autorités. La police semblait ignorer son identité et s’apprêtait à classer l’affaire sans suite. Foudroyée par le chagrin et sans capacité de défense, la famille était en train de se disloquer. Poussé par quelques grands de la cité, je montais en douce des plans pour commettre l’irréparable : nous faire justice nous-même.</p>
<p>Raji avait brusquement surgi et s’était joint au deuil familial. Il en imposait avec son costard sombre et ses pompes noires rutilantes. Il avait convaincu ma mère et mes tantes de monter un comité de quartier pour exiger une véritable enquête et obtenir justice. Ayant deviné mes projets, il m’avait pris sous sa coupe en m’interdisant toute action de représailles. A l’époque, je végétais au collège sans motivation pour les études. J’étais dégoûté de tout. A la suite de l’accident, j’allais inévitablement plonger dans la délinquance. Sous son influence, je m’étais tenu à carreau et avais remonté la pente. Je m’étais mis au turbin en me jurant de devenir un grand policier. Les voyous qui écrasaient les petites filles devaient être retrouvés et mis derrière les barreaux.</p>
<p>Il avait eu l’air surpris par mon objectif professionnel mais ne m’avait jamais laissé tomber par la suite. Deux fois par an, il me recevait dans son bureau de l’université Paris-Dauphine, au quatrième étage, face au bois de Boulogne. Je m’arrangeais pour arriver en avance. Je savourais le moment d’attente devant sa porte, au vu de tous, et relevais le menton quand il se pointait dans le couloir en me gratifiant d’un chaleureux « Salut cousin ! ». Plus tard, je compris qu’il était devenu une référence internationale sur les questions du climat. Il apparaissait même dans un roman au titre un peu racoleur : <em>Le complot climatique</em>. Quand il m’avait demandé de trouver un hébergement de quelques semaines à Bordeaux pour une jeune chercheuse du MIT transitant par son centre de recherche, je m’étais décarcassé. Je ne l’avais pas regretté : grâce à mon cousin, j’avais rencontré Helen !</p>
<p>Nous terminions le dîner en dégustant la pastèque amenée par Raji pour le dessert. Coup de chance, il était dans les environs quand je l’avais joint au téléphone. Il remontait des Pyrénées où il avait déposé sa progéniture chez ses beaux-parents pour la fin des vacances. Avec Helen, nous lui avions proposé de faire étape pour la nuit. Je devais prendre garde de ne pas dévoiler les secrets de l’enquête, mais c’était une occasion inespérée de récupérer des informations sur les recherches du Professeur Dubbo.</p>
<p>J’avais rapidement orienté la conversation sur ce qu’ils appelaient la « géo-ingénierie ». Un « truc de dingue », aurait dit Ballarat. Ou plutôt des trucs. Le terme regroupait pêle-mêle toutes les technologies permettant d’agir artificiellement sur le climat.</p>
<p>J’avais entendu parler des canons à grêles qu’utilisaient les viticulteurs pour prévenir les dégâts des orages. Une forme de géo-ingénierie locale pratiquée dans le Médoc, malgré l’opposition de nombreux riverains. Helen avait expliqué avec véhémence comment ce genre de technologie pouvait être utilisée à plus grande échelle. Au Viêt-Nam, les Américains avaient régulièrement épandu des substances chimiques dans l’atmosphère pour faire disparaître les nuages et mieux bombarder le sol ; les Chinois avaient utilisé des méthodes similaires pour organiser les jeux olympiques de Pékin si joliment ensoleillés. Dans les deux cas, les technologies avaient été déployées par l’armée. Il n’était donc pas surprenant que nos militaires s’intéressent de près aux travaux du Professeur Dubbo.</p>
<p>Dans le cas du réchauffement global, il s’agissait carrément de modifier le fonctionnement du système climatique. Pas seulement agir localement, mais utiliser ces techniques pour refroidir artificiellement la planète. Les projets ne manquaient pas dans les cartons des laboratoires de recherche. On imaginait par exemple retirer le trop plein de CO<sub>2</sub> de l’atmosphère avec des sortes d’aspirateurs à carbone, pour le renvoyer sous terre ou le réutiliser comme matière première dans les usines. Autre voie : accroître la capacité des réservoirs naturels en faisant pousser des arbres dévoreurs de carbone ou en truffant les océans d’additifs chimiques pour qu’ils absorbent plus de CO<sub>2</sub>. Il y avait par ailleurs un long cortège d’idées pour agir directement sur les rayons du soleil. « Les recherches de mon collègue Dubbo permettaient de mieux comprendre la gestion des radiations solaires », avait expliqué Raji.</p>
<p>– Il était précurseur en la matière ?</p>
<p>– Il avait surtout réalisé un rapport sur l’ensemble des techniques existantes pour le compte de l’Académie des sciences américaine. Le premier commandé à un citoyen non américain. La renommée de Dubbo qui était nobélisable avait traversé l’Atlantique.</p>
<p>– Le rapport parlait du bouclier solaire qu’on pourrait installer au point de Lagrange ?</p>
<p>– T’es rudement bien informé. Un chapitre y était consacré. C’était la technologie où les travaux d’optique de Dubbo pouvaient s’appliquer assez directement.</p>
<p>– Il préconisait de construire le bouclier solaire pour contrecarrer le réchauffement climatique ?</p>
<p>– Certainement pas ! L’option était coûteuse et très complexe à déployer du fait de la difficulté à contrôler le réglage des miroirs à 1,5 million de kilomètres de distance. Le rapport mettait aussi en garde contre les risques énormes de ce type de technologie.</p>
<p>– Quels genres de risque ?</p>
<p>– Par exemple, un mauvais contrôle des miroirs conduisant à un dérèglement supplémentaire du climat, incontrôlable depuis la terre. Ou encore, un détournement du bouclier solaire à des fins militaires. Le rapport recommandait de procéder à une évaluation complète des risques, avant toute expérimentation.</p>
<p>– Toujours la même rengaine avec les experts : un rapport en appelle un autre et on n’en sort jamais ! Depuis son travail pour l’Académie américaine, ton collègue a poursuivi ses recherches sur le bouclier solaire ?</p>
<p>– Pas à ma connaissance. En tout cas, il n’a fait ni publication ni conférence sur le sujet.</p>
<p>Je croisai le regard tendu d’Helen qui ne perdait pas un mot de notre conversation. Elle avait passé le collier en or blanc que je lui avais offert à sa soutenance de thèse, à Boston. Le symbole de nos premiers amours, sur le campus du MIT. Elle bouillonnait à l’intérieur. A ses yeux, il ne faisait aucun doute que Dubbo, le prototype du chercheur corrompu par le système, avait secrètement poursuivi ses travaux en échange de rémunérations plantureuses. C’était de fait un point crucial de l’enquête, à ne pas aborder dans une discussion privée. Je relançai mes deux universitaires sur la négociation climatique.</p>
<p>– Ces technologies de géo-ingénierie sont autorisées par l’ONU ?</p>
<p>– C’est-à-dire ?</p>
<p>– Tous les pays du monde se sont bien entendus à la conférence de Paris pour lutter contre les changements climatiques ? Les médias nous ont suffisamment bassinés avec ça !</p>
<p>– Oui, dans le cadre de la COP21, ils ont adopté l’Accord de Paris pour limiter le réchauffement de la planète à moins de 2 °C, en visant si possible 1,5 °C.</p>
<p>– Cet accord, il autorise ou pas le lancement d’un bouclier solaire ?</p>
<p>Raji consulta Helen du regard. Le sujet était brûlant. Je savais combien Helen était critique face à ce qu’elle appelait la « grande machine à illusion onusienne ». Sa fougue habituelle était tempérée par le respect qu’elle portait aux travaux académiques de Raji. Elle le laissa répondre.</p>
<p>– L’Accord de Paris n’est pas contraignant. Il incite les pays à coopérer dans la lutte contre le changement climatique sans préciser comment on doit s’y prendre.</p>
<p>– Le bouclier solaire pourrait être lancé dans le cadre de ces coopérations ?</p>
<p>J’embarrassais manifestement mon cousin avec mes questions à répétition.</p>
<p>– Un dîner chez toi, ça va bientôt être pire qu’un interrogatoire chez les flics !</p>
<p>– Au commissariat, ceux qui refusent de répondre, on leur colle une procédure aux fesses ! Ne me pousse pas à une telle extrémité.</p>
<p>– En deux mots : l’Accord de Paris ne promeut pas ce type de technologie, mais il ne la prohibe pas non plus. Tout dépend de l’interprétation qu’on en fait. Tu es satisfait ?</p>
<p>Helen se contorsionnait sur son fauteuil. Elle tirait machinalement sur le pan de sa jupe pour couvrir le haut de ses jambes. Ne pouvant plus se retenir, elle confirma à sa façon le diagnostic un peu sibyllin de mon cousin.</p>
<p>– C’est bien le problème. L’Accord de Paris est un accord mou. Regardez ce qui se passe aux États-Unis. Trump a démoli les maigres avancés d’Obama sur le climat, en s’asseyant sur les engagements internationaux des États-Unis. Que peuvent faire les Nations unies pour le freiner ? Rien. La vérité, c’est qu’on peut faire tout et son contraire au nom de l’Accord de Paris. Y compris, bien sûr, construire un bouclier solaire pour refroidir la Terre !</p>
<p>Et Raji d’ajouter :</p>
<p>– Si on ne parvient pas à transformer l’Accord de Paris en un traité contraignant, on ne réduira pas assez rapidement les émissions de CO<sub>2</sub>. L’objectif de limiter le réchauffement en dessous de 2 °C apparaîtra irréalisable. On risque alors de se tourner vers des solutions miracles du type géo-ingénierie. Le bouclier solaire, c’est un peu comme un mirage, une croyance inconsidérée dans le progrès technique, nous permettant à court terme de ne rien changer à nos modes de vie. C’est pour ça qu’on trouve facilement des fonds pour ce type de recherche, y compris dans les milieux qui doutent du réchauffement climatique. Il paraît que les compagnies pétrolières y contribuent également.</p>
<p>Pour bien mettre les points sur les i, Helen reprit la parole.</p>
<p>– Ce n’est pas un hasard si les projets les plus avancés de géo-ingénierie se développent avec les soutiens des gouvernements russes ou américains. Tu crois un instant que Putin ou Trump ont l’intention de sauver la planète ? Avec la mise au point du bouclier solaire, ils cherchent juste à se donner le droit d’exploiter les énergies fossiles dont regorgent leurs territoires, en inondant l’atmosphère de CO<sub>2</sub>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398703/original/file-20210504-21-19stgfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398703/original/file-20210504-21-19stgfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=924&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398703/original/file-20210504-21-19stgfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=924&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398703/original/file-20210504-21-19stgfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=924&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398703/original/file-20210504-21-19stgfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1161&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398703/original/file-20210504-21-19stgfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1161&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398703/original/file-20210504-21-19stgfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1161&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Éditions Librinova.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Avec des mots différents, Helen et Raji disaient au fond la même chose. En les écoutant, je songeais aux projets grandioses de Morwell et à sa dévouée veuve Hobart avec sa plate-forme dédiée à la protection du climat. L’argent coulait à flots. Je n’avais pas encore reconstitué tous les fils, mais ma conviction était forgée. Ce flot d’argent était à l’origine des deux victimes identifiées à ce jour. D’autres risquaient de suivre. Une lutte impitoyable avait été déclenchée pour s’approprier les travaux du Professeur Dubbo sur le bouclier solaire. […]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160317/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un polar sur fond de changement climatique pour aborder de manière originale la grande bataille de notre temps.Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1525312021-04-08T18:16:08Z2021-04-08T18:16:08ZDossier : Quelques secrets de la littérature de jeunesse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376606/original/file-20201224-17-g0p78f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C925%2C562&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Souvent représentés par quelques livres et héros très connus, les rayons jeunesse des bibliothèques et librairies réservent plus de surprises qu'on ne l'imagine.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Avec leurs couvertures colorées et les allures enjouées de certains de leurs héros phares, les rayons dédiés aux livres pour enfants sont aisément repérables dans les bibliothèques et les librairies. Mais ils réservent souvent plus de surprises qu’on ne l’imagine.</p>
<p>D’abord, au-delà de séries très célèbres, déclinées sur différents supports et parfois un peu lisses, la littérature de jeunesse est un terrain très riche et créatif, sur lequel émergent sans cesse de nouvelles plumes et de nouveaux univers. En témoigne par exemple <a href="https://theconversation.com/sept-livres-a-conseiller-absolument-aux-enfants-de-8-a-12-ans-113283"><em>Tobie Lolness</em></a>, créé par Timothée de Fombelle dans les années 2000.</p>
<p>D’autre part, l’histoire de cette littérature cache bien des détours et des péripéties. Saviez-vous que <em>Max et les maximonstres</em>, aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre, avait désarçonné le public à sa parution dans les années 60 ? Qu’il existait déjà des livres pour enfants au Moyen Âge ? Ou que la comtesse de Ségur a commencé sa carrière en écrivant des contes de fées ?</p>
<p>Voilà quelques-uns des épisodes sur lesquels reviennent Marie-Christine Vinson (Université de Lorraine), Cécile Boulaire (Université de Tours), Éléonore Cartellier (Université Grenoble-Alpes), Mathilde Lévêque (Université Sorbonne Paris-Nord) et d’autres auteurs du réseau international de The Conversation. De quoi repérer aussi de nouvelles pistes de lecture pour les vacances en confinement du printemps 2021.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/a-quoi-les-premiers-livres-pour-enfants-ressemblaient-ils-140922">À quoi les premiers livres pour enfants ressemblaient-ils ?</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349743/original/file-20200727-23-1b6r167.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C45%2C1738%2C1238&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349743/original/file-20200727-23-1b6r167.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349743/original/file-20200727-23-1b6r167.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349743/original/file-20200727-23-1b6r167.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349743/original/file-20200727-23-1b6r167.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349743/original/file-20200727-23-1b6r167.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349743/original/file-20200727-23-1b6r167.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">C'est au tournant du XXe siècle qu'a émergé la littérature pour enfants telle qu'on la connaît, faisant la part belle à l'imaginaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/illustrations/fantasy-book-path-storybook-child-4378018/">DarkWorkX from Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cela fait des siècles que les adultes écrivent pour les enfants. Mais les ouvrages qui leur étaient alors destinés étaient bien différents de ceux que l’on connaît aujourd’hui.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lectures-la-comtesse-de-segur-ou-la-petite-fabrique-du-genre-148016">Lectures : La comtesse de Ségur ou la petite fabrique du genre</a></h2>
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<span class="caption">Les livres de la Comtesse de Ségur encouragent-ils les petites filles à rester sages comme des images ? (Adaptation des</span>
<span class="attribution"><span class="source">Copyright Jean-Louis Fernandez / LFP- Les Films Pelléas - Gaumont - France 3</span></span>
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<p>Qui n’a jamais entendu parler des « Malheurs de Sophie » ? Au-delà d’aventures du quotidien, ce classique souvent réédité nous raconte comment on éduquait les petites filles et les petits garçons…</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lecture-comment-choisir-un-album-qui-peut-vraiment-plaire-aux-enfants-140965">Lecture : comment choisir un album qui peut vraiment plaire aux enfants</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/345249/original/file-20200702-111269-1db331w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C994%2C600&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/345249/original/file-20200702-111269-1db331w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/345249/original/file-20200702-111269-1db331w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/345249/original/file-20200702-111269-1db331w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/345249/original/file-20200702-111269-1db331w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/345249/original/file-20200702-111269-1db331w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/345249/original/file-20200702-111269-1db331w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comme les adultes, les enfants sont sensibles au plaisir de la découverte, à l’imprévisibilité des personnages ou des intrigues.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/happy-family-father-children-reading-book-604501421">Shutterstock</a></span>
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<p>Les images me plaisent-elles ? Le livre va-t-il apporter quelque chose à l’enfant ? C’est souvent ce que l’on a en tête quand on choisit un album de jeunesse. Mais ne faut-il pas revoir ces critères ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/six-livres-pour-redecouvrir-lunivers-de-roald-dahl-153231">Six livres pour redécouvrir l’univers de Roald Dahl</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379321/original/file-20210118-21-1er0h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C8%2C1448%2C1084&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379321/original/file-20210118-21-1er0h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379321/original/file-20210118-21-1er0h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379321/original/file-20210118-21-1er0h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379321/original/file-20210118-21-1er0h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=570&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379321/original/file-20210118-21-1er0h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=570&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379321/original/file-20210118-21-1er0h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=570&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Billy et les Minuscules, de Roald Dahl, illustré par Quentin Blake, collection Folio Cadet Premiers Romans.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Folio-Cadet-Premiers-romans/Billy-et-les-Minuscules">Gallimard Jeunesse</a></span>
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<p>Considérés comme des classiques, « Charlie et la chocolaterie » ou « Matilda » sont souvent réédités et adaptés au cinéma. Mais l’œuvre de Roald Dahl ne s’arrête pas là. </p>
<h2><a href="https://theconversation.com/bibliotheque-numerique-des-enfants-des-classiques-a-lire-ou-a-ecouter-en-ligne-136763">Bibliothèque numérique des enfants : des classiques à lire ou à écouter en ligne</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/330093/original/file-20200423-47826-1b8e4p4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=104%2C74%2C4820%2C3248&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/330093/original/file-20200423-47826-1b8e4p4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/330093/original/file-20200423-47826-1b8e4p4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/330093/original/file-20200423-47826-1b8e4p4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/330093/original/file-20200423-47826-1b8e4p4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/330093/original/file-20200423-47826-1b8e4p4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/330093/original/file-20200423-47826-1b8e4p4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entre lectures à voix haute ou adaptations animées, un grand nombre d'albums et de livres pour la jeunesse se déclinent sur Internet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-vector/background-imagination-items-girl-reading-book-252841147">Shutterstock</a></span>
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<p>Sélection de versions numériques ou d'adaptations animées de grands classiques pour mieux s'orienter en bibliothèque ou librairie, ou prolonger le plaisir d'une histoire.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/maya-labeille-une-histoire-meconnue-de-la-litterature-de-jeunesse-142862">Maya l’abeille : une histoire méconnue de la littérature de jeunesse</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/348873/original/file-20200722-26-169amx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=143%2C9%2C1437%2C833&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/348873/original/file-20200722-26-169amx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/348873/original/file-20200722-26-169amx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/348873/original/file-20200722-26-169amx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/348873/original/file-20200722-26-169amx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/348873/original/file-20200722-26-169amx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/348873/original/file-20200722-26-169amx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Adaptation au cinéma en 2018,</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné / Paramount Pictures France</span></span>
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<p>C’est le petit écran qui a fait de Maya l’abeille l’héroïne que connaissent les enfants d’aujourd’hui. Mais en réalité, elle est née dans l’imagination d’un auteur allemand avant la guerre de 14-18.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/livres-de-jeunesse-le-jardin-secret-un-classique-revisite-par-le-cinema-147766">Livres de jeunesse : « Le Jardin secret », un classique revisité par le cinéma</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C19%2C1597%2C1046&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image tirée de l'adaptation du Jardin secret par Marc Munden (2020).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-248084/photos/detail/?cmediafile=21698274">Copyright 2020 Studiocanal S.A.S</a></span>
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</figure>
<p>Classique de la littérature de jeunesse, le roman de Frances Hodgson Burnett met en avant le pouvoir de la nature. Plusieurs fois adapté au cinéma, il a été l’objet d’une nouvelle version en 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152531/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Alors que s’ouvre une période de vacances scolaires un peu spéciale, nos auteurs revisitent l’histoire de la littérature de jeunesse pour proposer des pistes de lecture aux enfants et adolescents.Aurélie Djavadi, Cheffe de rubrique EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1531482021-01-29T13:23:27Z2021-01-29T13:23:27Z« Le Vilain Petit Canard » ou l’apprentissage du stigmate<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379613/original/file-20210119-13-11zqwko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C50%2C494%2C516&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration réalisée par Milo Winter publiée pour la première fois en 1916 dans la version américaine des contes d'Andersen.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:The_Ugly_Duckling_cropped.jpg">Milo Winter/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p><em>Ce podcast vous est proposé dans le cadre de notre série mensuelle « Les couleurs du racisme », un nouveau rendez-vous pour analyser les mécanismes de nos préjugés raciaux et leurs reproductions. <a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S’inscrire à la newsletter.</a></em></p>
<p>Dans le cadre de notre série « Les Couleurs du racisme », nous recevons aujourd’hui Aude Rabaud, sociologue et anthropologue, maîtresse de conférences à l’Université de Paris.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379612/original/file-20210119-26-cn42yb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Robinson, W. Heath (William Heath), 1872-1944, ill.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Page_280_of_Andersen%27s_fairy_tales_(Robinson).png">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>« Le Vilain Petit Canard » a été écrit par Hans Christian Andersen en juillet 1842. Célèbre conte pour enfant, il relate l’histoire d’un « caneton » qui détonne au sein de sa famille, considéré comme particulièrement laid.</p>
<p>Le petit canard construit son identité en fonction du regard des autres, jars, oies sauvages, poule, jusqu’à ce qu’il s’en détache et affirme sa propre singularité : celle d’un magnifique cygne.</p>
<p>À travers ce conte populaire, on entrevoit comment se construit chez les enfants une conscience des différences et des hiérarchies sociales et donc leurs perceptions du monde et de l’altérité, au sein de la famille mais aussi en dehors.</p>
<p>Stigmatisation, socialisation, expérimentation du rejet : la discrimination se vit aussi dès la plus tendre enfance.</p>
<figure class="align-left zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Illustration de Theo van Hoytema de 1893. Amsterdam : C.M. van Gogh, pag. XII.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Vilain_Petit_Canard#/media/Fichier:Het_leelijke_jonge_eendje.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le conte d’Andersen, révèle aussi, tout en finesse et en métaphores l’articulation des rapports sociaux mêlant les questions de genre, de race, de classe sociale, d’âge et la façon dont ces derniers structurent l’ordre social et hiérarchique. Selon Aude Rabaud, ce conte relate avant tout les « tribulations d’un mal classé ».</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5f9ace4de40fec5b6e4f0adf/episodes/le-vilain-petit-canard-ou-lapprentissage-du-stigmate?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/01syoWhaAwJVl3TnSwcmLO?si=tfjlpLH5RReOjlJJg6f8sg"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a>
<a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/le-vilain-petit-canard-ou"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Soundcloud" width="268" height="80"></a></p>
<p>Pour aller plus loin sur ce sujet, nous vous recommandons de lire <a href="https://www.syllepse.net/sociologie-du-racisme-_r_21_i_790.html">l’ouvrage posthume</a> de Véronique de Rudder, <em>Sociologie du Racisme</em>, coordonné et commenté en 2019, par Aude Rabaud, Marguerite Cognet et al.</p>
<p>À lire également :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2013-3-page-83.htm">« Racisme et discrimination, une affaire de famille »</a>, d’Aude Rabaud et Mireille Eberhard.</p></li>
<li><p><a href="https://journals.openedition.org/jda/6739#xd_co_f=NWU2YzE1NjctZDE3Ny00ODVmLTlkYTUtYzQxNmEyMTdjZDE2%7E"><em>Comprendre et théoriser le racisme. Apports de Véronique De Rudder et controverses</em></a>, d'Aude Rabaud, Marguerite Cognet et Fabrice Dhume.</p></li>
<li><p><a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2020-1-page-15.htm"><em>Colette Guillaumin. Penser la race et le sexe, hier et aujourd’hui</em></a> par Aude Rabaud avec Ryzlène Dahhan, Damien Trawalé, Pauline Picot et Claire Cossée.</p></li>
<li><p><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-Ideologie-raciste"><em>L’idéologie raciste, de Colette Guillaumin</em></a>.</p></li>
</ul>
<p>Extraits sonores :</p>
<ul>
<li><p>Texte du conte disponible sur Wikisource : <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Contes_d%E2%80%99Andersen/Le_Vilain_Petit_Canard">« Le Vilain Petit Canard »</a>.</p></li>
<li><p>« Silly Symphonies », Walt Disney, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=jbuAncD_2G8">« Le Vilain Petit Canard »</a>, 1939. </p></li>
</ul>
<hr>
<p><em>Conception et réalisation : Clea Chakraverty. Montage : Kina Vujanic Beck.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aude Rabaud participe à l'étude exploratoire « Représentations de la diversité, antiracisme et littérature jeunesse », menée avec Camille Gourdeau, coordinatrice d’Anordie-Mémoires, cultures, migrations et chercheure associée à l’Urmis.</span></em></p>«On ne naît pas raciste, on devient raciste» : à travers « Le Vilain Petit Canard », conte d'Andersen, Aude Rabaud décrypte les mécanismes de stigmatisation souvent présents dès l'enfance.Aude Rabaud, Maîtresse de Conférences en Sociologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1531442021-01-15T16:00:38Z2021-01-15T16:00:38Z« Bridgerton » sur Netflix : un portrait romancé de l’Angleterre à l’aube de la modernité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379054/original/file-20210115-23-105j8cd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Chronique des Bridgerton nous raconte les amours et le mariage de Daphné Bridgerton avec Simon Basset, Duc de Hastings.</span> <span class="attribution"><span class="source">( Liam Daniel/Netflix)</span></span></figcaption></figure><p><em>La Chronique des Bridgerton</em>, la nouvelle série romantique de huit épisodes lancée le jour de Noël sur Netflix, <a href="https://variety.com/2021/tv/news/bridgerton-netflix-viewership-1234878404/">se retrouve déjà en tête du classement dans plus de 75 pays.</a></p>
<p>Inspiré de la collection de romans d’amour de l’auteure américaine <a href="https://juliaquinn.com/">Julia Quinn</a>, ce drame d’époque se déroule en Angleterre au début du 19e siècle. Aux mains de la productrice <a href="https://www.forbes.com/sites/dbloom/2021/01/05/netflix-has-another-hit-in-shonda-rhimes-smashing-bridgerton-debut/?sh=34a422ff5cc9">Shonda Rhimes</a>, déjà connue grâce au succès de son émission télévisée <em>Grey’s Anatomy</em>, et en <a href="https://www.shondaland.com/inspire/a34860495/bridgerton-showrunner-chris-van-dusen/">collaboration avec l’auteur Chris van Dusen</a>, <em>La Chronique des Bridgerton</em> repousse les limites dans sa représentation des <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/netflix-s-bridgerton-shonda-rhimes-reinvents-how-present-race-period-ncna1251989">races</a>, des <a href="https://metro.co.uk/2020/12/23/bridgerton-netflix-cast-empowering-sex-scenes-13740922/">genres</a> et <a href="https://www.insider.com/bridgerton-rape-scene-criticism-julia-quinn-2020-12">du rapport entre pouvoir et consentement</a>.</p>
<p>La série nous raconte les amours et le mariage de Daphné Bridgerton avec Simon Basset, Duc de Hastings, et les conséquences de leur relation sur leurs familles, leurs amis, les colporteurs de potins et les sympathisants qui papillonnent autour d’eux.</p>
<p>Des acteurs noirs tiennent la vedette dans des rôles principaux, en particulier <a href="https://www.imdb.com/name/nm2074546/">Regé-Jean Page</a> dans le rôle du Duc de Hastings, ainsi que <a href="https://www.imdb.com/name/nm0742929/">Golda Rosheuvel</a> qui incarne la reine d’Angleterre.</p>
<p>Le scénario <a href="https://www.washingtonpost.com/history/2020/12/27/bridgerton-queen-charlotte-black-royals">soulève un débat sur la possibilité d’une ascendance africaine de la famille royale</a>, tout en passant complètement à côté des horreurs colonialistes, de la pauvreté et du racisme, alors que ces éléments étaient centraux à l’époque, et perdurent à la nôtre, comme je l’explique dans mon livre, <a href="https://wwnorton.com/books/The-Regency-Years/"><em>The Regency Years, During Which Jane Austen Writes, Napoleon Fights, Byron Makes Love, and Britain Becomes Modern</em></a>.</p>
<p>Résultat : <em>La Chronique des Bridgerton</em> est une fantaisie profondément séduisante (<a href="https://www.refinery29.com/en-ca/2020/12/10244470/bridgerton-review-blackness-representation">certains commentateurs noirs ont suggéré qu’elle plairait tout particulièrement à un public blanc…</a>) où l’on nous présente une société sans racisme, élégante et passionnée. Dans la diversité de son casting, elle nous propose de <a href="https://www.vogue.co.uk/arts-and-lifestyle/article/inclusive-casting">nouvelles pistes pour remettre en cause des scénarios eurocentriques et ceux qui en profitent</a>.</p>
<p>Mais l’émission ne nous dit pas grand-chose sur la réalité de l’Angleterre en 1813 : c’est plutôt un conte de fées qui, à certains niveaux, abolit les préjugés raciaux, genrés, ou sexuels. Elle est à mi-chemin entre une romance à l’eau de rose et un appel à l’action.</p>
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<figcaption><span class="caption">La bande-annonce de <em>La Chronique des Bridgerton</em>.</span></figcaption>
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<h2>Un temps fort de l’histoire</h2>
<p>1813 fait partie de l’époque de la Régence, c’est-à-dire la période comprise entre février 1811 et janvier 1820. Il s’agit peut-être de la décennie la plus spectaculaire de toute l’histoire britannique, et elle signale l’aube des temps modernes.</p>
<p>On pense souvent à la Régence en <a href="https://www.britannica.com/art/Regency-style">termes de meubles, d’art, d’architecture et de mode</a>. Mais il s’agit à l’origine d’une <a href="https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/regent">notion politique</a> utilisée lorsqu’une personne de substitution est nommée afin de gérer les affaires de l’état durant la jeunesse d’un souverain, l’absence du souverain, ou encore son incapacité. Il y a eu quantité de régences à l’échelle des monarchies de la planète : l’Angleterre, à elle seule, en a connu plus d’une douzaine.</p>
<p>Cependant, la plus célèbre est <a href="https://www.vulture.com/article/bridgerton-recap-season-1-episode-4-an-affair-of-honor.html">celle qui sert de toile de fond à Bridgerton, au moment où la démence du roi George III atteint son paroxysme</a>, ce qui ouvre le chemin à la mise en régence de son fils aîné, George le débauché, prince de Galles, jusqu’à la mort de George III, lorsque le régent deviendra roi sous le nom de George IV.</p>
<p>Ce fut pour l’Angleterre une période marquée par des événements majeurs, comme la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/war-of-1812">guerre de 1812</a>,les <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofBritain/The-Luddites/">émeutes des Luddites</a> et le <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofEngland/Peterloo-Massacre/">massacre de Peterloo</a> durant lequel 11 manifestants ont été massacrés à Manchester alors <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2019/aug/16/the-peterloo-massacre-what-was-it-and-what-did-it-mean#:%7E:text=Why%20is%20Peterloo%20important%3F,of%20the%20north%20of%20England.">qu’ils réclamaient des réformes politiques et le droit de vote</a>.</p>
<p>Plus importante encore fut la victoire de l’Angleterre et de ses alliés sur Napoléon lors de la <a href="https://www.history.com/topics/british-history/battle-of-waterloo">bataille de Waterloo en juin 1815</a>.</p>
<p>Ce fut aussi une époque de création artistique et littéraire : c’est alors que Jane Austen publia six de ses romans d’amour et de mariage, dont <a href="https://www.ool.co.uk/blog/29th-january-1813-publication-pride-prejudice/#:%7E:text=Jane%20Austen%E2%80%99s%20most%20well%20known,on%20the%2029th%20January%201813"><em>Orgueil et préjugés</em> paru en 1813</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378100/original/file-20210111-17-kbbtor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un portait posthume du Major Général Sir Isaac Brock, parJohn Wycliffe Lowes Forster, circa. 1883. Brock périt le 13 octobre 1813 lors de la bataille de Niagara Queenston Heights, bataille critique de la guerre de 1812 qui défendait les intérêts britanniques au Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rêves de liberté, adoption du consumérisme et du <a href="https://muse.jhu.edu/article/621777/summary">culte des célébrités</a>, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/social-science-history/article/abs/petitioners-and-rebels-petitioning-for-parliamentary-reform-in-regency-england/ADA610BC6EA4CED1132AE8F0D5EA1647">manifestations de masse en faveur de la justice sociale</a>, réponses complexes à <a href="https://www.english-heritage.org.uk/learn/story-of-england/georgians/">l’accélération des avancées scientifiques et techniques</a> : la Régence, c’est à la fois une rupture décisive d’avec le passé, et le commencement d’aspirations démocratiques, commerciales et laïques d’une société opportuniste dans laquelle, pour la première fois, nous pouvons nous reconnaître.</p>
<h2>Passe-temps meurtriers et conquêtes</h2>
<p>Une bonne partie du scénario de <em>Bridgerton</em> est consacrée aux préoccupations, pressions et privilèges de l’aristocratie durant la régence.</p>
<p>Les duels étaient monnaie courante, et quelquefois mortels. Des gens issus de diverses classes sociales se ruaient au théâtre. La société semblait <a href="https://lithub.com/tight-breeches-and-loose-gowns-going-deep-on-the-fashion-of-jane-austen/">obsédée par la mode et l’apparence</a>. <a href="https://www.smithsonianmag.com/history/crockfords-club-how-a-fishmonger-built-a-gambling-hall-and-bankrupted-the-british-aristocracy-148268691/">La manie du jeu</a> était omniprésente. Et le sport faisait partie intégrante de la vie de bien des femmes et des hommes.</p>
<p>Dans la série, le Duc de Hastings se bat fréquemment avec Bill Mondrian, boxeur noir et confident du Duc, dont le personnage s’inspire peut-être de <a href="https://www.blackpast.org/african-american-history/molyneux-thomas-1784-1818/">Thomas Molyneaux</a>, esclave américain affranchi et boxeur professionnel extraordinaire.</p>
<p>La bigoterie était fort répandue sous la Régence et a servi de combustible à la violence et à la cupidité coloniale de la soi-disant « mission civilisatrice » britannique autour de la terre.</p>
<p>C’est en 1807 que l’Angleterre a interdit la traite des esclaves, et que des abolitionnistes comme William Wilberforce et Thomas Clarkson ont travaillé sans relâche afin d’assurer le respect de la nouvelle législation. Et c’est finalement en <a href="https://www.historic-uk.com/HistoryUK/HistoryofBritain/Abolition-Of-Slavery/">1833 que l’abolition de l’esclavage est devenue loi</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=831&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378055/original/file-20210111-15-kfht3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1044&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Robert Wedderburn, auteur de <em>The Horrors of Slavery</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://100greatblackbritons.com/bios/robert_wedderman.html">Robert Wedderburn</a>, né en Jamaïque et <a href="https://www.ucl.ac.uk/lbs/person/view/2146643591">fils illégitime de Rosanna, une esclave noire africaine et de James Wedderburn</a>, était l’auteur noir le plus important de l’époque.</p>
<p>En pleine période de répression envers les pauvres et les marginaux, Wedderburn a déclaré en 1817 que « la <a href="https://books.google.ca/books?id=ZlgdBQAAQBAJ&pg=PA20&dq=%22making+no+difference+for+colour+or+character%22&hl=en&sa=X&ved=2ahUKEwiFy-32n5LuAhUJh-AKHV8NCVAQ6AEwAnoECAMQAg#v=onepage&q=%22making%20no%20difference%20for%20colour%20or%20character%22&f=false0">terre appartient aux enfants des hommes, peu importe leur couleur ou leur nature</a> ».</p>
<h2>Débauche et sexe sans consentement</h2>
<p>Le sexe était souvent en évidence sous la Régence. Cette époque a vu culminer la <a href="https://books.google.ca/books/about/City_of_Laughter.html ?id=KgaoPwAACAAJ&redir_esc=y">tradition libertine du 1VIII<sup>e</sup> siècle</a> et le dernier hourra des <a href="https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/rake">débauchés – ces hommes qui entretenaient des relations sexuelles avec plusieurs femmes</a>- avant de céder la place à la sobriété et aux mœurs beaucoup plus strictes de l’ère victorienne.</p>
<p><em>Bridgerton</em> présente les conflits sexuels de manière à refléter l’énorme <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo5959533.html">emphase sur la chasteté imposée aux femmes de l’aristocratie</a>. Un fardeau devenu apparent sous la Régence grâce en grande partie aux écrits de Jane Austen et de <a href="https://www.biography.com/writer/mary-shelley">Mary Shelley</a>, entre autres.</p>
<p><a href="https://www.oprahmag.com/entertainment/tv-movies/a35090027/bridgertons-controversial-sex-scene-episode-6/">La scène la plus controversée de <em>Bridgerton</em></a> soulève une question d’actualité. Daphné et son mari, le Duc de Hastings, se livrent à une séance de sexe non consenti, mais l’agresseur, c’est Daphné.</p>
<p>Avant de l’épouser, le Duc avait prévenu Daphné de son incapacité à se reproduire. Mais elle découvre rapidement que le Duc peut, mais ne veut pas. Voulant absolument tomber enceinte, elle se venge. Dans le livre, le Duc est saoul pendant l’amour, mais pas dans la version télévisée.</p>
<p>Ni le roman ni le film n’examinent les implications de ce geste. Mais la question du consentement est mise au premier plan dans les deux cas.</p>
<p>Selon l’auteure canadienne Sharon Bala, « en <a href="https://www.macleans.ca/culture/bridgertons-real-scandal">proposant une vision plus nuancée des événements que celle qui est généralement livrée dans la culture populaire, <em>Bridgerton</em> nous impose un débat sur les zones grises où s’épanouissent tant de véritables interactions</a> ».</p>
<p>Au moment où Meghan Markle (l’épouse du Prince Harry) a dû s’enfuir en Californie à la suite d’une campagne de <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/harry-and-meghan-quit-social-media-w5qrlsck7">harcèlement à connotation raciste et sexuelle</a> (plus de 5000 gazouillis sur Twitter), et des retombées des révélations de #MeToo ainsi que des procès qui continuent de faire les manchettes, <em>Bridgerton</em> soulève des questions assez pointues sur comment nous voulons nous comporter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153144/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Morrison est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p>« Bridgerton » aborde – mais occulte aussi – les tensions sociales, raciales et politiques de l’époque de la Régence en Angleterre, la décennie extraordinaire qui marque l’aube du monde moderne.Robert Morrison, British Academy Global Professor, Queen's University, OntarioLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1330092020-11-11T17:31:35Z2020-11-11T17:31:35ZMartin, Aston Martin<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/364708/original/file-20201021-23-1926jp7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C2%2C1588%2C1061&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">James Bond (Daniel Craig) au volant d'une Aston Martin dans 'Mourir peut attendre'.</span> </figcaption></figure><p>James Bond, personnage de romans de Ian Fleming est devenu héros de cinéma en 1962, dans une saga cinématographique qui pèse plus de 7 milliards de dollars depuis sa création.</p>
<p>En 26 longs-métrages, la saga James Bond a évolué, traversant les époques et répondant aux attentes des spectateurs. Les derniers films de la saga, avec l’introduction en 2006 de Daniel Craig dans le rôle-titre, marquent une rupture. Le personnage apparaît à la fois plus robuste et plus fragile – plus proche de la formule du personnage telle qu’esquissée dans le roman original ; la tonalité s’assombrit. L’action et l’espionnage subsistent quand la comédie s’efface au profit du drame. Les films présentent un archétype narratif différent en s’articulant désormais autour d’une intrigue, d’un fil rouge. Ainsi le personnage commence-t-il chaque film avec les stigmates (physiques et psychologiques) du précédent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364710/original/file-20201021-21-17gh2jy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364710/original/file-20201021-21-17gh2jy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364710/original/file-20201021-21-17gh2jy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364710/original/file-20201021-21-17gh2jy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364710/original/file-20201021-21-17gh2jy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364710/original/file-20201021-21-17gh2jy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364710/original/file-20201021-21-17gh2jy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Craig-Bond marque une rupture dans la saga.</span>
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<p>En 2006, lorsque Daniel Craig est choisi pour incarner James Bond, certains fans lancent un site Internet appelant au boycott de <em>Casino Royale</em>. Cependant, le mandat des quatre (et supputons cinq) films de Daniel Craig en tant que 007 s’assimile à… une mission accomplie tant au niveau commercial (<em>Casino Royale</em> et <em>Skyfall</em> sont parmi les plus gros succès d’une franchise) que critique (les cinq nominations aux Oscars de <em>Skyfall</em> ont presque doublé le total de nominations de la série entière et l’ère Daniel Craig comptabilise 3 oscars sur les 6 au total pour la saga).</p>
<p>L’ère Daniel Craig a emmené le personnage de Fleming vers de nouveaux horizons. La sortie de <em>Mourir peut attendre</em>, programmée au printemps prochain, est l’occasion d’analyser le rôle de la marque Aston Martin et la manière dont elle participe à la construction du personnage dans sa nouvelle version. La marque légitime Daniel Craig en tant que James Bond, participe à la pérennité du personnage, et devient partie prenante du mythe 007.</p>
<h2>Bond-Craig gagne ses galons</h2>
<p>Pour la première fois en 1964 dans <em>Goldfinger</em> (Hamilton), James Bond conduit une Aston Martin – modèle DB5 – à l’instar de son alter ego littéraire (<em>Goldfinger</em>, Ian Fleming, 1959). La DB5 apparaît dans huit longs-métrages de la saga – <em>Goldfinger</em>, <em>Opération Tonnerre</em> (Young, 1965), <em>GoldenEye</em> (Campbell, 1995), <em>Demain ne meurt jamais</em> (Spottiswoode, 1997), <em>Casino Royale</em>, <em>Skyfall</em>, <em>Spectre</em> et <em>Mourir peut attendre</em> – ; elle est successivement conduite par Sean Connery, Pierce Brosnan et Daniel Craig. James Bond et son Aston Martin forment une alliance légendaire. James Bond n’est pas vraiment James Bond sans son Aston Martin, car James Bond sans son Aston Martin est un cow-boy sans son cheval.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364696/original/file-20201021-17-woen08.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364696/original/file-20201021-17-woen08.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364696/original/file-20201021-17-woen08.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364696/original/file-20201021-17-woen08.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364696/original/file-20201021-17-woen08.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364696/original/file-20201021-17-woen08.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364696/original/file-20201021-17-woen08.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sean Connery, <em>Goldfinger</em>, 1964.</span>
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<p>Dans le prologue de <em>Casino Royale</em>, l’agent britannique s’introduit dans une pièce réservée au personnel du casino : l’espace de télésurveillance. Bond visionne les images des caméras de l’hôtel à la recherche du visage de son ennemi. Celui-ci sort de sa voiture, une Aston Martin DB5. Ce James Bond débutant aperçoit la voiture via un écran interposé.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364697/original/file-20201021-19-1bo9e18.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364697/original/file-20201021-19-1bo9e18.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364697/original/file-20201021-19-1bo9e18.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364697/original/file-20201021-19-1bo9e18.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364697/original/file-20201021-19-1bo9e18.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364697/original/file-20201021-19-1bo9e18.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364697/original/file-20201021-19-1bo9e18.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’apparition de l’Aston Martin DB5 dans <em>Casino Royale</em>.</span>
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<p>En plaçant le personnage dans la même situation que le spectateur de cinéma, le réalisateur distancie Daniel Craig du personnage de James Bond. Une mise en abyme habile pour signifier que l’acteur n’est pas encore « dans la place ». Néanmoins, l’agent identifie le véhicule, une « magnifique Aston Martin de 1964 » appartenant à Dimitrios, un terroriste lié au Chiffre. Plus tard, James Bond dispute une partie de poker avec son ennemi. Dans sa main, Dimitrios a un brelan de rois. Pour suivre Bond, il mise son Aston Martin DB5. James Bond suit et remporte la partie avec un brelan d’as. En sortant du Casino, il monte alors dans sa nouvelle voiture. Bond-Craig prend possession de son Aston Martin.</p>
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<p>Dans cette scène, la voiture ne fait pas partie de la panoplie fournie par le MI6. James Bond doit se battre pour gagner le droit d’être au volant de l’Aston Martin, la voiture mythique de son personnage. C’est un combat stratégique : lorsque Daniel Craig a été dévoilé comme étant le prochain acteur à porter le costume de Bond, les médias ont insisté sur son physique, bien plus athlétique que ses prédécesseurs. Nous aurions pu nous attendre à une scène d’action musclée, mais Martin Campbell conçoit au contraire une scène de tension psychologique. Ce contre-pied représente l’enjeu de la scène ; le nouveau Bond a gagné son Aston Martin au jeu et acquiert en même temps, une certaine légitimité. Daniel Craig gagne ses premiers galons de James Bond en remportant l’Aston Martin de Dimitrios. Un coup de poker pour la production : imposer un acteur très différent des standards et de l’imaginaire bondien, mais aussi pour le nouveau héros qui devient peu à peu le personnage.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364698/original/file-20201021-23-1psm3a4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364698/original/file-20201021-23-1psm3a4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364698/original/file-20201021-23-1psm3a4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364698/original/file-20201021-23-1psm3a4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364698/original/file-20201021-23-1psm3a4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364698/original/file-20201021-23-1psm3a4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364698/original/file-20201021-23-1psm3a4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bond-Craig pour la première fois au volant de l’Aston Martin DB5 dans <em>Casino Royale</em>.</span>
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<p>Si la scène de prologue dévoile la façon dont le protagoniste devient un Double-0. Dans l’esprit du spectateur, il n’est pas encore établi en tant que James Bond. Et en s’installant au volant de la DB5 d’Aston Martin, Daniel Craig gravit une marche symbolique vers son personnage. Ce placement de produit <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=39871">peut être qualifié de narratif</a>, car il constitue à lui seul un nœud dramatique majeur et lance l’intrigue. Il est également qualifiant, l’Aston Martin insérée représente un attribut primordial et fondamental à la construction identitaire de James Bond et de son univers codé.</p>
<h2>Aston Martin bat des records</h2>
<p>Pour preuve, plus tard dans sa mission, et ayant gagné la confiance de « M », le MI6 lui confie une nouvelle voiture : une Aston Martin DBS, dernière génération. Ce nouveau modèle de la marque est dévoilé dans le film. Et si le nouveau visage de Bond doit convaincre en se surpassant dans son rôle (et dans les revenus économiques qu’il doit engendrer), sa voiture semble en symbiose, car elle bat, elle aussi des records : l’Aston Martin DBS réalise sept tonneaux consécutifs à 120 km/h, record mondial du plus grand nombre de tonneaux (selon le Guiness Book). La voiture en sort pulvérisée, mais réussit l’exploit de protéger l’agent qui sort indemne de cette impressionnante cascade. Comme l’armure d’un chevalier des temps modernes, la voiture est inséparable de 007. La DBS intervient également dans la séquence d’ouverture de <em>Quantum Of Solace</em>. James Bond/Daniel Craig débute sa vengeance au volant de ce modèle puissant dans une course poursuite qui met en avant les performances de la voiture. L’agent interprété par Daniel Craig s’est lié à jamais à Aston Martin et continue son association, pour ne pas dire son partenariat, dans les opus suivants.</p>
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<span class="caption">Les quatre modèles d’Aston Martin dans le film <em>Mourir peut attendre</em> (sortie prévue en avril 2021).</span>
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<p>Prochainement en salle, <em>Mourir peut attendre</em> comporte quatre modèles d’Aston Martin : la mythique DB5, l’Aston Martin V8 (similaire à celle du film de 1987 <em>Tuer n’est pas jouer</em>), la DBS Supperleggera (pilotée par le nouvel agent féminin 00 Nomi) et la Valhalla (révolutionnaire à moteur central). Aston Martin renforce sa présence filmique et confirme ainsi sa filiation avec la saga Bond en exposant dans le film des « <a href="https://www.astonmartin.com/fr/our-world/no-time-to-die">Aston Martin emblématiques d’hier, d’aujourd’hui et de demain</a> ».</p>
<h2>De la rupture au retour à la tradition</h2>
<p>Si Bond-Craig conduit une Aston Martin, la mise en scène du produit est en rupture avec celle des films précédents : la voiture n’est qu’une voiture, elle n’est pour une fois pas assortie de gadgets innovants. Il faut attendre <em>Skyfall</em> pour que le responsable de la section « Q » du MI6 qui invente et fournit les célèbres gadgets à 007 soit de retour. <em>Skyfall</em> est le film des 50 ans de la franchise cinématographique. Il sonne comme un hommage à la saga : le film fait écho au passé tout en faisant table rase. <em>Skyfall</em> cristallise cette tension entre le retour aux fondamentaux et le changement d’époque. Néanmoins, <em>Skyfall</em> et les films suivants conservent les acquis des six années précédentes : esprit sérieux et tonalité sombre sans pour autant renier l’héritage de la saga. Le film marque le retour de certains des éléments traditionnels – tels que les placements de produits gadgets – qui avaient disparu des précédents films avec Daniel Craig.</p>
<p>Dans le film, « Q » prévient Bond – et les spectateurs : « Vous vous attendiez peut-être à un stylo explosif ? On ne fait plus trop ce genre de gadgets de nos jours… ». Pourtant, l’Aston Martin mise en scène dans <em>Skyfall</em> (re)dévoile tous ses atouts. Comme l’originale de <em>Goldfinger</em>, elle est équipée de gadgets : deux mitraillettes dans le pare-chocs avant, des vis crève-pneus dans les essieux arrière, un siège éjectable pour passager hostile, une plaque d’acier anti-balles qui se dresse derrière la lunette arrière et un dispositif qui disperse de l’huile glissante pour semer une voiture en cas de poursuite. Si le stylo n’explose plus, la voiture (re)devient une arme comme au temps des premiers James Bond.</p>
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<p>Dans la dernière partie du film, les hommes de Silva font littéralement exploser la légendaire voiture ce qui provoque la colère, presque irrationnelle, de 007. Cribler son Aston Martin revient à le toucher au plus profond de lui. L’Aston Martin à gadgets fera toujours partie de James Bond même si elle vole en éclat dans le film : une scène visuellement impressionnante pour célébrer les 50 ans de 007.</p>
<p>Dans le film suivant, <em>Spectre</em>, la DB5 n’est qu’une carcasse avant d’être remise à neuf dans l’atelier de « Q ». À la fin de l’histoire, Bond choisit de quitter le MI6 plutôt que Madeleine. Avant de tirer sa révérence avec son nouvel amour au bras, il récupère son Aston Martin de 1964, la « dernière chose » dont il a besoin. Et l’histoire entre Aston Martin et 007 n’est pas terminée car Bond-Craig et sa célèbre monture seront de nouveau de la partie dans <em>Mourir peur attendre</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364700/original/file-20201021-19-1ditknx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364700/original/file-20201021-19-1ditknx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364700/original/file-20201021-19-1ditknx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364700/original/file-20201021-19-1ditknx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364700/original/file-20201021-19-1ditknx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364700/original/file-20201021-19-1ditknx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364700/original/file-20201021-19-1ditknx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’explosion qui détruit la mythique Aston Martin DB5 dans <em>Skyfall</em>.</span>
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</figure>
<h2>L’effet performatif du placement de produit</h2>
<p>La marque est inhérente à l’univers et au personnage de 007 et il est difficile de cerner si ce sont les films qui font la promotion d’Aston Martin ou si la marque sert à construire le film. Les deux entités se répondent, s’enchevêtrent et s’emboîtent dans une forme de symbiose sémantique. Le fan de James Bond a attendu trois films avant de retrouver un attribut essentiel à la saga : les produits truqués notamment l’Aston Martin-gadget-arme. Du point de vue du placement publicitaire, la présence du produit dans le film fonctionne comme un teaser : film après film, une attente se créée jusqu’au climax qui révèle l’indispensabilité et la suprématie du produit.</p>
<p>Plus encore, la sortie du prochain opus s’accompagne d’une annonce importante de la marque. Aston Martin décide, après une jachère de près de 55 ans, de reprendre la production de la DB5. Vingt-cinq unités produites et vendues chacune trois millions d’euros. Il ne s’agit pas d’une DB5 ordinaire, mais de la DB5 <em>de James Bond</em>. Créée en partenariat avec les producteurs des films, EON Productions, la voiture porte la dénomination de « DB5 Goldfinger Continuation » et dispose de certains gadgets utilisés dans les films : le générateur de fumigène, les supports de plaque d’immatriculation rotatifs, les butoirs de pare-chocs escamotables et le téléphone dans la porte conducteur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364701/original/file-20201021-17-i2oln7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364701/original/file-20201021-17-i2oln7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364701/original/file-20201021-17-i2oln7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364701/original/file-20201021-17-i2oln7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364701/original/file-20201021-17-i2oln7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364701/original/file-20201021-17-i2oln7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364701/original/file-20201021-17-i2oln7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aston Martin relance la fabrication de la DB5 de James Bond.</span>
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</figure>
<p>Aston Martin a bâti une opération de storytelling sur plusieurs années en s’inscrivant au cœur de la saga cinématographique. La marque brouille ainsi la frontière entre la fiction et le réel, entre l’identité de l’acteur et celle du personnage (Comme dans le spot publicitaire <a href="http://www.culturepub.fr/videos/heineken-daniel-craig-vs-james-bond/">« Daniel Craig VS James Bond »</a>, produit par Heineken (États-Unis, 2020), entre la voiture fictive et celle vendue en concession.</p>
<p>La nouvelle « DB5 Goldfinger Continuation » donne l’illusion au consommateur d’être un super agent ou, à défaut, d’être un consom’acteur. Les films 007 ont besoin de la marque pour immortaliser le personnage bondien. La marque a besoin des films pour pérenniser son prestige et la fascination qu’elle inspire. James Bond et Aston Martin, ou comment un placement de produit façonne une alliance indéfectible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133009/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Le Nozach ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La sortie de « Mourir peut attendre », programmée au printemps prochain, est l’occasion d’analyser le rôle de la marque Aston Martin et la manière dont elle participe à la construction du personnage.Delphine Le Nozach, Maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1477632020-10-15T19:53:00Z2020-10-15T19:53:00ZPourquoi Sherlock Holmes n’aurait pas pu vivre dans les années 60<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362964/original/file-20201012-21-1qxr6fs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C176%2C5051%2C4202&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sherlock Holmes et le docteur Watson, illustration de Sidney Paget pour le Strand Magazine, décembre 1892.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Strand_paget.jpg">Strand Magazine / Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Sherlock Holmes est la figure mythique du détective, celui qui sait établir la vérité grâce à son sens de la déduction. Pour beaucoup, le talent de Sherlock Holmes tient d’abord dans une capacité d’observation exceptionnelle, symbolisée par sa loupe, qui lui permet de saisir le détail qui a échappé au commun des mortels.</p>
<p>Qu’il me soit permis ici d’explorer une autre explication, qui est sans doute complémentaire. Prenons un exemple parmi les plus purs du talent de déduction de notre célèbre détective, au début de <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Aventures_de_Sherlock_Holmes/L%E2%80%99Escarboucle_bleue">« L’escarboucle bleue »</a>. Un homme a perdu son chapeau dans une altercation et s’est enfui. Holmes présente ce chapeau au Dr Watson, lui confie sa loupe, et lui demande d’en déduire la personnalité du possesseur de ce chapeau.</p>
<h2>Dans la tête de Sherlock Holmes</h2>
<p>Alors que Watson peine à trouver le moindre indice, Holmes lui fait un exposé sur cette personne, exposé qui frappe le lecteur par ses détails, notamment le fait que cet homme a sans doute subi des revers de fortune et perdu l’amour de sa femme :</p>
<blockquote>
<p>« Il est évident que le possesseur de ce chapeau était extrêmement intelligent, et que dans ces dernières années il s’est trouvé dans une situation, qui, d’aisée, est devenue difficile. Il a été prévoyant, mais l’est beaucoup moins aujourd’hui, c’est la preuve d’une rétrogression morale qui, ajoutée au déclin de sa fortune, semble indiquer quelque vice dans sa vie, probablement celui de l’ivrognerie. Ceci explique suffisamment pourquoi sa femme ne l’aime plus. » (« L’escarboucle bleue », 1892).</p>
</blockquote>
<p>Watson, et nous avec, sommes presque choqués par ces déductions qui semblent tenir du miracle, voire du bluff, mais qui se révéleront exactes par la suite. Holmes en livre une explication détaillée :</p>
<blockquote>
<p>« Ce chapeau date de trois ans ; or, à ce moment ses bords plats légèrement retournés étaient à la mode. Puis, c’est un chapeau de toute première qualité. Voyez donc le ruban gros grain qui le borde et sa doublure soignée. Si cet homme avait de quoi s’acheter, il y a trois ans, un chapeau de ce prix-là et qu’il n’en ait pas eu d’autre depuis, j’en conclus que sa situation est aujourd’hui moins bonne qu’elle ne l’a été. […] N’avez-vous pas remarqué que ce chapeau n’a pas été brossé depuis plusieurs semaines ? Mon cher Watson, lorsque votre femme vous laissera sortir avec un chapeau non brossé et que je vous verrai arriver ainsi chez moi, j’aurai des doutes sur la bonne entente de votre ménage. » (« L’escarboucle bleue »)</p>
</blockquote>
<p>Arrêtons-nous un instant sur le cheminement du détective. Comment déduit-il que sa femme ne l’aime plus ? L’homme n’est plus aimé par sa femme parce que le chapeau n’est pas bien entretenu.</p>
<p>Pour un lecteur du XXI<sup>e</sup> siècle comme moi, moitié d’un couple moderne, je fais ma part des tâches ménagères. Si d’aventure je mettais un chapeau, et que ce chapeau n’était pas bien entretenu, cela tiendrait plus vraisemblablement à ma propre négligence qu’à l’amour que peut me porter ma femme !</p>
<p>Mais voilà, la société dans laquelle je vis n’a pas grand-chose à voir avec celle dans laquelle évolue Holmes. Pour mieux comprendre comment cela influe sur le raisonnement de Sherlock, convoquons un autre anglais célèbre, Thomas Bayes.</p>
<h2>Le raisonnement bayésien</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="Signature de Bayes, à la plume" src="https://images.theconversation.com/files/362377/original/file-20201008-20-skmu9h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/362377/original/file-20201008-20-skmu9h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/362377/original/file-20201008-20-skmu9h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/362377/original/file-20201008-20-skmu9h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/362377/original/file-20201008-20-skmu9h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/362377/original/file-20201008-20-skmu9h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/362377/original/file-20201008-20-skmu9h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Thomas Bayes nous a légué un théorème sur lequel sont basés nombres d’algorithmes d’analyses de données et de prise de décision.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Bayes#/media/Fichier:Bayes_sig.png">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pasteur et mathématicien du XVIII<sup>e</sup> siècle, Thomas Bayes est connu pour nous avoir légué son théorème de Bayes, sans doute un des théorèmes les plus importants pour toute personne cherchant à analyser des données avec des probabilités. Il a notamment permis ce qui est maintenant appelé l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Inf%C3%A9rence_bay%C3%A9sienne"><em>inférence bayésienne</em></a>, manière optimale de combiner observation, déduction et a priori.</p>
<p>Tentons d’en donner ici une version simplifiée et intuitive, en utilisant notre exemple du chapeau. Imaginons quatre hypothèses :</p>
<ul>
<li><p>H1 : je suis en charge de l’entretien de mon chapeau, et m’en acquitte fort bien</p></li>
<li><p>H2 : je suis en charge de l’entretien de mon chapeau, mais suis assez négligent à son égard.</p></li>
<li><p>H3 : ma femme est en charge de l’entretien de mon chapeau, et s’en occupe amoureusement, reflétant l’amour qu’elle me porte.</p></li>
<li><p>H4 : ma femme est chargée d’entretenir mon chapeau, mais ne s’en occupe plus, car elle a perdu son intérêt pour moi.</p></li>
</ul>
<p>Deux choses vont vous permettre de trancher entre ces quatre hypothèses. D’abord, l’observation dudit chapeau. Tel le docteur Watson armé de la loupe de Sherlock, vous observez qu’il est fort mal entretenu. Cela rend les hypothèses H1 et H3 beaucoup moins probables que H2 et H4.</p>
<p>Par ailleurs, si vous savez que nous nous trouvons dans une société moderne où les femmes et les hommes partagent les tâches ménagères et que, selon toute vraisemblance, le possesseur de ce chapeau ne charge pas sa femme de l’entretenir, alors H3 et H4 sont moins probables que H1 et H2.</p>
<p>Vous voyez donc comment, d’une part, l’observation vous a permis de moduler la probabilité des quatre hypothèses, et d’autre part, comment votre connaissance <em>a priori</em> de la société dans laquelle vous vivez, vous a permis de le faire. Bayes a formalisé ces notions. Pour simplifier, il nous a donné la méthode pour combiner tout cela de manière optimale, et estimer ainsi la probabilité finale (dite « a posteriori ») de chaque hypothèse. Il en ressort que l’hypothèse H2 est la plus probable, c’est-à-dire que je suis sans doute un être négligent, mais encore aimé par sa femme, ouf.</p>
<p>Mais donnons maintenant ce même chapeau à Holmes. Il va observer la même chose que vous, et que le Dr Watson : ce chapeau est mal entretenu, favorisant H2 et H4. Mais Sherlock Holmes est un homme du XIX<sup>e</sup> siècle. En ce temps-là, les tâches ménagères étaient moins bien partagées, et il y a fort à parier que, pour lui, a priori, H1 et H2 sont bien moins probables que H3 et H4. Donc, en combinant tout cela, il en déduira que l’hypothèse la plus probable est H4, ce qu’il fait bien dans l’histoire.</p>
<p>Que conclure de tout ceci ? Que la fantastique capacité de déduction du brillant détective ne doit pas tout à son sens aiguisé de l’observation, mais aussi à une connaissance fine de la société qui l’entoure, et d’une capacité remarquable à combiner les deux.</p>
<p>Cette combinaison de l’observation avec sa connaissance de la société est encore plus frappante dans l’autre exemple mis en exergue plus haut : l’homme a subi des revers de fortune, car son chapeau est un modèle cher qui correspond à la mode d’il y a quelques années, mais pas à celle en vogue actuellement. Seul un homme riche il y a quelques années a pu l’acheter, mais s’il était toujours riche, il en aurait acheté un autre plus récemment, suivant la mode du moment. À moins que vous ayez fait une thèse sur les chapeaux à la mode à l’époque de Conan Doyle, il vous est tout simplement impossible de faire cette déduction, même avec une faculté d’observation hors norme. Holmes connaît bien son monde, les modes de chaque année, et sait mobiliser cette connaissance à bon escient.</p>
<h2>De l’avantage d’une société conformiste</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/362965/original/file-20201012-17-oytdnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/362965/original/file-20201012-17-oytdnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/362965/original/file-20201012-17-oytdnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/362965/original/file-20201012-17-oytdnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/362965/original/file-20201012-17-oytdnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/362965/original/file-20201012-17-oytdnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/362965/original/file-20201012-17-oytdnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’escarboucle bleue, illustration de Sidney Paget, 1892.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Adventure_of_the_Blue_Carbuncle#/media/File:The_Adventure_of_the_Blue_Carbuncle_03.jpg">Sidney Paget/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Allons plus loin : quelle est cette société où l’on peut déduire la richesse passée et présente d’une personne à son chapeau ? À l’évidence, une société assez conformiste, la société victorienne de l’époque. Holmes semble exclure l’hypothèse que la personne puisse simplement conserver son chapeau sans se soucier de la mode.</p>
<p>Une société conformiste a bien pour effet de <em>réduire les hypothèses probables</em>. Dans notre exemple ci-dessus, H1 et H2 sont peu probables dans cette société victorienne, dont Sherlock Holmes connaît parfaitement les us et coutumes. Il peut donc définir très clairement son « a priori », le combiner avec les observations et, en bon bayésien, en déduire l’hypothèse la plus probable. Mais l’un de ses secrets est sans doute le conformisme de ses contemporains, conformisme qui les rend prévisibles et permet de réduire fortement les hypothèses possibles a priori. C’est d’ailleurs un aspect que Holmes remarque, et dont il se plaint, car cela rend son quotidien ennuyeux et les mystères trop faciles à résoudre (et l’incite à explorer d’autres mondes, comme les paradis artificiels).</p>
<p>Mais c’est justement cette société si conformiste, si déterministe, qui lui permet d’exercer de si brillantes déductions. Imaginons une expérience de pensée. Déménageons notre brillant détective depuis sa demeure de Baker Street, en pleine époque victorienne, pour Carnaby Street, cœur vibrant de la capitale londonienne des années 60. Le conformisme craque de toute part à l’époque des <em>swinging sixties</em>, les gens ne s’habillent plus selon une mode déterminée. Notre détective serait sans doute bien en peine de déduire quoique ce soit de son propriétaire si on lui apportait le chapeau de Jimi Hendrix. À une époque où l’on casse tous les codes culturels, toutes les hypothèses deviennent possibles : les « a priori » ne nous disent plus grand-chose, et même les déductions du plus brillant esprit ne permettraient pas de départager les hypothèses.</p>
<p>Non, Sherlock n’aurait pas pu vivre dans les années 60.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Marre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sherlock Holmes fait des déductions brillantes – ses raisonnements ont tout de « l’inférence bayésienne », une méthode mathématique très utilisée aujourd’hui en science.Olivier Marre, Chercheur en neurosciences, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1471102020-10-01T18:53:09Z2020-10-01T18:53:09ZFaites appel à l’imaginaire pour que vos enfants vous aident (enfin) à la maison<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/360599/original/file-20200929-16-7o0xt2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En se mettant dans la peau d'un personnage imaginaire, les enfants apprennent à contrôler leurs émotions.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>« Tu devrais déjà être au lit et nous n’avons même pas encore lavé tes dents », vous désespérez-vous alors que votre fils de 4 ans passe en courant dans le couloir, renversant la pile de linge propre que vous venez de déposer ?</p>
<p>Ce genre de situation peut sembler familier à bien des parents : dans le monde entier, les conséquences de l’épidémie de Covid-19 leur a laissé plus de temps à partager avec leurs enfants mais moins de ressources pour faire face aux moments d’énervement des plus jeunes.</p>
<p>Heureusement, il existe un moyen amusant et fondé scientifiquement pour inciter vos enfants à s’investir dans ce que vous leur demandez, avec plus de persévérance et d’entrain : jouer à faire semblant.</p>
<p>Sans une minute de répit pour construire une bonne histoire, je peine à convaincre mon enfant de 3 ans de ranger ses jeux. C’est ainsi que nous nous retrouvons à imaginer que nous sommes des pelleteuses chargées de jeter toutes les pierres qui nous entourent dans une boîte. Et il faut en général ménager un rebondissement dans notre histoire pour maintenir l’envie d’aller au bout du défi – qu’il s’agisse d’un ennemi armé d’une boule de démolition ou d’un chat qui se fait piéger.</p>
<p>Pourquoi ce genre de scénario fonctionne-t-il ? De récents travaux de recherche nous l’expliquent.</p>
<h2>Contrôler ses émotions</h2>
<p>Si un enfant se comporte mal (en bref, s’il fait le contraire de ce qu’il devrait faire), cela peut vouloir dire qu’il a besoin d’un défi plus important que ce qu’on lui demande. Selon <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2210656118303465?via%3Dihub">Lev Vygotsky</a>, un expert russe de premier plan en psychologie, l’imagination est le moteur du développement des enfants à la période où la réalité ne suffit pas à attiser leur curiosité. Cette période se situe entre 2 ans et 7 ans.</p>
<p>Faire semblant aide les enfants à se mettre à la place des autres et à persévérer dans leur voie. Parmi ceux de 7 ans, par exemple, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15535765/">deux sur trois</a> ont déjà eu un ami imaginaire. Ils ont plus de facilités à comprendre le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15535765">point de vue</a> et les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1350293X.2014.919778">émotions</a> des autres et sont capables de raconter des histoires <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19630910">plus complexes</a> que leurs camarades.</p>
<p>Des travaux de recherche montrent que plus les élèves de maternelle arrivent à faire semblant, plus ils sont capables de contrôler <a href="https://doi.org/10.1080/10409289.2015.1000716">leurs émotions</a>. C’est important car, pour <a href="https://srcd.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/cdev.12695?casa_token=X2BySdF6dnYAAAAA%3AK8AvvltItkIk5xDXzNWgaMSVdEy_EXlxgMbPFftO3feK2i6q5arz6IdtBT-3TUnhwYFfK9Vpp3A7U5I">persévérer</a> dans une tâche, il faut savoir surmonter les autres émotions et idées qui surgissent dans l’intervalle. C’est ce qui permet de ne pas perdre de vue <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26835841">son objectif principal</a>, qu’il s’agisse de ranger ses jouets, faire des devoirs ou se brosser les dents.</p>
<p>Cet aspect est d’autant plus important que les enfants qui arrivent mieux à se contrôler auront plus tard une meilleure santé, de meilleures relations, plus de facilités à faire des économies et moins de risques d’avoir un casier judiciaire <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29781830">à l’adolescence</a> et <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1010076108">plus tard</a>.</p>
<p>Des expériences ont montré que lorsqu’on demande à des enfants de 6 ans de se mettre dans la peau de Bob le bricoleur ou de Dora l’exploratrice, ils étaient plus <a href="https://srcd.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/cdev.12695?casa_token=X2BySdF6dnYAAAAA%3AK8AvvltItkIk5xDXzNWgaMSVdEy_EXlxgMbPFftO3feK2i6q5arz6IdtBT-3TUnhwYFfK9Vpp3A7U5I">persévérants</a> dans les tâches qui pouvaient leur sembler ennuyeuses, et les <a href="https://doi.org/10.1111/desc.12314">réalisaient mieux</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360601/original/file-20200929-22-1y7ls9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360601/original/file-20200929-22-1y7ls9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360601/original/file-20200929-22-1y7ls9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360601/original/file-20200929-22-1y7ls9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360601/original/file-20200929-22-1y7ls9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360601/original/file-20200929-22-1y7ls9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360601/original/file-20200929-22-1y7ls9f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Faire semblant aide les enfants à persévérer dans leur voie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/little-child-girl-pilots-costume-playing-717432946">Shutterstock</a></span>
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<p>D’autres expériences montrent qu’exercer des enfants de 5 ans à faire semblant et à travailler leur imagination 15 minutes par jour pendant cinq semaines se traduisait par une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26835841">meilleure mémoire</a> et une meilleure capacité de concentration – les résultats étant meilleurs que ceux obtenus avec des jeux classiques, non basés sur l’imagination, comme les jeux de balle. Les enfants seront moins réticents à nettoyer le petit déjeuner qu’ils viennent de renverser s’ils ont appris à surmonter l’ennui et à voir le monde sous un autre angle.</p>
<p>Et non, se mettre devant la télé pour regarder Ben 10 n’apportera pas les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30848098/">mêmes bénéfices</a> – il faut pour cela que votre enfant fasse l’effort de jouer un rôle.</p>
<h2>Changer de point de vue</h2>
<p>Nous avons récemment <a href="https://doi.org/10.1080/03004430.2019.1658091">reproduit ces expériences</a> où l’on demande aux enfants de faire semblant, mais en variant le type de personnages proposés. Nous avons constaté que les enfants désignés au hasard pour jouer des rôles positifs (Batman, par exemple), manifestaient plus de retenue que ceux qui se voyaient attribuer des rôles de « méchants », mais que les sorciers et sorcières étaient les plus posés de tous. On avait l’impression que les enfants endossaient les qualités de leurs personnages imaginaires.</p>
<p>Donc en jouant à être un garde patient, votre enfant sera peut-être plus enclin à attendre que vous ayez fini de lui brosser les dents, tandis qu’en s’identifiant au consciencieux Bob le bricoleur, il sera plutôt disposé à vous aider à nettoyer la salle de bains après son passage.</p>
<p>La référence à des personnages peut aussi aider un enfant à se calmer ou à comprendre ce qui ne va pas dans son comportement. Les modèles imaginaires <a href="https://doi.org/10.1080/03004430.2016.1146261">fonctionneraient</a> parce qu’ils aident à adopter une perspective différente. Au lieu d’interpeller directement votre enfant sur ce qui vient de se passer, discutez plutôt de ce que ferait tel ou tel personnage. Et si la situation est trop complexe pour l’enfant, vous pouvez aussi utiliser des jouets pour mettre en scène le comportement qui pose problème.</p>
<p>Défier votre enfant en sollicitant son imagination peut aussi l’inciter à faire ses devoirs. Les chercheurs se tournent désormais vers un enseignement basé sur le jeu pour améliorer la <a href="https://cronfa.swan.ac.uk/Record/cronfa17763">résolution de problèmes</a>, la <a href="https://doi.org/10.1080/03004430.2016.1248958">lecture</a>, le <a href="https://doi.org/10.1080/1350293X.2018.1487160">calcul</a> et la <a href="https://doi.org/10.1080/02568543.2016.1143416">capacité d’attention</a>. Une analyse de 22 études a montré que l’enseignement est plus efficace auprès des enfants de moins de 8 ans quand il adopte une <a href="https://doi.org/http:/dx.doi.org/10.1016/j.edurev.2016.03.003">approche ludique</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yeshe Colliver ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Inciter les enfants à faire semblant peut les motiver pour accomplir des tâches du quotidien, tout en renforçant à long terme certaines compétences comme la mémoire.Yeshe Colliver, Lecturer in early childhood, Macquarie UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1464222020-09-27T16:13:06Z2020-09-27T16:13:06ZEt si on mettait les enjeux de la ville en jeu ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359544/original/file-20200923-18-1g65g7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Et si le jeu nous permettait de mieux comprendre les enjeux de la ville ? (Image par philm1310 de Pixabay )</span> </figcaption></figure><p><em>Dans le cadre du cinquième anniversaire de The Conversation France, nous vous invitons à réfléchir à l’opposition traditionnelle entre villes et campagnes… En attendant d’évoquer plus largement la question des différentes façons de vivre la ville lors de notre rencontre du 8 octobre prochain à Grenoble.</em></p>
<hr>
<p>Un petit encouragement ludique pour jeter un papier : ça fait sourire. Pouvoir découvrir une ville en s’amusant en famille : ça fait plaisir. Et si le jeu pouvait nous accompagner encore plus loin pour réinventer la ville ?</p>
<h2>Ludisme et civisme</h2>
<p>A <a href="https://www.leparisien.fr/societe/a-lille-les-marelles-menent-aux-poubelles-31-07-2018-7839039.php">Lille</a> mais également <a href="https://actu.fr/normandie/le-havre_76351/insolite-havre-jouez-marelle-basket-jeter-dechets_23900444.html">au Havre</a> des poubelles se sont vues transformées là en marelles, ici en panier de baskets. L’objectif ? Donner envie aux citoyens d’aller jusqu’à elles pour y jeter leurs déchets. Dans ce type d’installation il s’agit de gamifier la ville. <a href="https://fr.cubification.shop/">Helene Michel</a>, professeure à Grenoble École de Management explique que grâce à ces mécanismes ludiques tout simples, il est possible d’inciter quelqu’un à aller au bout d’une tache, à faire le dernier pas, parfois le plus coûteux. C’est aussi une manière, selon la spécialiste, de partager la responsabilité entre la ville et le citoyen.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359533/original/file-20200923-18-1w4w1lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359533/original/file-20200923-18-1w4w1lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359533/original/file-20200923-18-1w4w1lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359533/original/file-20200923-18-1w4w1lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359533/original/file-20200923-18-1w4w1lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359533/original/file-20200923-18-1w4w1lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359533/original/file-20200923-18-1w4w1lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jeu et civisme à Lille.</span>
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<h2>(Re)découvrir la ville</h2>
<p>La fontaine des éléphants de Chambéry est un des symboles de la ville. Aussi, quand l’office du tourisme a souhaité faire (re)découvrir la ville de façon décalée, il a fixé de petits éléphants au sol un peu partout dans la ville. Ces médaillons de métal proposent aux promeneurs, touristes, étudiants ou habitants de les suivre dans un parcours au travers des ruelles les plus secrètes de la ville. Les éléphants permettent au promeneur de changer de regard sur la ville. Ce n’est plus lui qui décide de son parcours, il se laisse guider. Le passant accepte de rentrer dans le jeu, de ne plus suivre ses habitudes ou le livret touristique classique mais de suivre cette règle toute simple : suivez les éléphants comme Alice suivant le lapin blanc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359534/original/file-20200923-22-duo362.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359534/original/file-20200923-22-duo362.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359534/original/file-20200923-22-duo362.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359534/original/file-20200923-22-duo362.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359534/original/file-20200923-22-duo362.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359534/original/file-20200923-22-duo362.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359534/original/file-20200923-22-duo362.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Suivez les éléphants de Chambéry !</span>
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<p>Pour aller encore plus loin, certaines villes organisent des chasses au trésor. Cette fois-ci il s’agit de mêler dans le jeu des éléments de fiction (des personnages, des énigmes) et des éléments historiques réels.</p>
<p>Le fait de mêler fiction et connaissance est un véritable moteur à l’immersion et à l’apprentissage. <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2012-8-page-120.htm">Hamdi-Kidar et Maubisson</a> (2012) soulignent en effet que le « cadre narratif » est un des huit facteurs favorisant l’immersion et de l’implication des joueurs. L’histoire et les interactions possibles avec elle renforcent l’impression du joueur de prendre part à l’expérience et il de s’y immerger. La mise en contexte permet également une meilleure compréhension des éléments (connaissances) qui y sont mis en jeu. Ainsi le jeu et la fiction sont utilisés dans des cours de sciences dites dures telle que la physique ou la physique expérimentale. Des enseignants tels que <a href="https://www.ludomag.com/2020/07/09/faire-entrer-sa-classe-de-sciences-dans-la-fiction-et-vice-versa">Mélanie Fenaert</a> ou <a href="http://hebergement.universite-paris-saclay.fr/supraconductivite/education/">Julien Bobroff</a> l’incluent dans leur cours. Le fait de contextualiser des éléments permet aux élèves ou étudiants de mieux s’approprier ces éléments en en comprenant les tenants et les aboutissements.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359537/original/file-20200923-15-1rjmlhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359537/original/file-20200923-15-1rjmlhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=188&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359537/original/file-20200923-15-1rjmlhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=188&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359537/original/file-20200923-15-1rjmlhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=188&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359537/original/file-20200923-15-1rjmlhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359537/original/file-20200923-15-1rjmlhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359537/original/file-20200923-15-1rjmlhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Intri-guiers : une enquête interactive ludique et fictionnelle pour comprendre l’histoire de Pont de Beauvoisn.</span>
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<p>Dans les villes, le recours à la fiction, associé, au jeu permet donc de capter l’attention, de créer de l’envie voire de l’engagement et de mener au bout de l’aventure et donc du savoir (anecdotes historiques, géographiques ou architecturales) dissimulé sous les énigmes de la chasse au trésor. Les villes d’<a href="https://www.mysteresdulac.com/city-games-annecy/cit-explore">Annecy</a> et de <a href="http://www.intriguiers.com/index.php?option=com_content&view=article&id=23&Itemid=157">Pont de Beauvoisin</a> s’en sont déjà emparées proposant ainsi aux chalands de découvrir là les secrets du lac et ici les mystères de cette ville qui se trouve à la fois en Savoie et en Isère.</p>
<h2>Comprendre les enjeux de la ville en jeu ?</h2>
<p>Le jeu peut mener encore plus loin la rencontre du citoyen avec sa ville. Pour ce faire, il faut qu’il soit conçu avec des experts de chacune des parties prenantes. Il doit être aussi bien conçu par des experts du sujet dont la ville veut traiter que par des témoins, des relais terrain du sujet en question ainsi que des game designers.</p>
<p>Pour accompagner les habitants sur des sujets sensibles, le jeu doit remplir certaines conditions. Il doit par exemple permettre aux citoyens-joueurs de changer de point de vue en incarnant un personnage, développant ainsi leur empathie. C’est le cas de <a href="https://www.wedemain.fr/Combattre-le-sexisme-et-le-harcelement-en-entreprise-grace-a-la-realite-virtuelle_a4408.html">La Track</a> qui traite du difficile sujet du harcèlement et du sexisme ou encore de <a href="https://ig.ft.com/uber-game/">Uber Game</a> qui permet de se mettre à la place des chauffeurs Uber.</p>
<p>Le jeu doit aussi laisser ses joueurs essayer, se tromper, réussir et faire des choix. Dans tous les cas, il faut que chacun des coups joués ait une conséquence dans le jeu qui révélera par exemple les équilibres et déséquilibres qui relient chaque membre d’un écosystème.</p>
<p>Ainsi dans le jeu de plateau <a href="http://www.jeu-terrabilis.com/terrabilis/"><em>Terrabilis</em></a> ou encore dans le <a href="https://www.economiecirculaire.org/articles/h/des-jeux-serieux-au-service-de-l-ecologie-territoriale.html">jeu de Juliette Cerceau</a> réalisé avec l’UR Green du CIRAD de Montpellier, les conséquences des choix d’une partie prenante sur les autres sont mises en évidence de manière concrète. Des initiatives de ce types, dédiées au sujet de la ville, existent, certaines sont recensées sur <a href="https://www.ville-jeux.com/-Catalogue-.html.">ce site</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359830/original/file-20200924-19-3142nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359830/original/file-20200924-19-3142nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359830/original/file-20200924-19-3142nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359830/original/file-20200924-19-3142nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359830/original/file-20200924-19-3142nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359830/original/file-20200924-19-3142nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359830/original/file-20200924-19-3142nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comprendre les équilibres et déséquilibres qu’entretiennent différentes parties prenantes grâce au jeu.</span>
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</figure>
<p>Le jeu permet de visualiser les enjeux, de mieux les comprendre et de les expérimenter. Ainsi, jouer avec la ville, c’est en comprendre les interactions, se l’approprier, s’y attacher et imaginer les changements qu’on souhaite lui faire vivre en vrai.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146422/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Patroix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un encouragement ludique pour jeter un papier : ça fait sourire. Découvrir une ville en s’amusant : ça fait plaisir. Et si le jeu pouvait nous accompagner encore plus loin pour réinventer la ville ?Isabelle Patroix, Docteur en littérature, Playground Manager, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.