tag:theconversation.com,2011:/id/topics/france-46334/articlesFrance – The Conversation2024-03-25T16:39:32Ztag:theconversation.com,2011:article/2260632024-03-25T16:39:32Z2024-03-25T16:39:32ZComprendre l’histoire de l’UE par ses élargissements successifs : de 1973 à 1986, cap au Sud<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583211/original/file-20240320-30-evm8dd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C327%2C1365%2C758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 1981, la Grèce (vert foncé) rejoint les neuf pays déjà membres de la CEE. Elle sera suivie de l’Espagne et du Portugal (vert clair) en 1986.</span> <span class="attribution"><span class="source">The Conversation France</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Entre 1981 et 1986, la Communauté économique européenne (CEE) s’est élargie à la Grèce, à l’Espagne et au Portugal. Les adhésions précédentes n’étaient pas très éloignées : en 1973, le <a href="https://theconversation.com/comprendre-lhistoire-de-lue-par-ses-elargissements-successifs-de-1957-a-1973-223028">Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni</a> avaient rejoint la Communauté. Ce premier élargissement était apparu comme le bouclage du marché commun institué en 1957 par le traité de Rome : avec les trois entrants de 1973, la carte du marché commun épousait tous les pays traversés par la fameuse <a href="https://www.lhistoire.fr/le-g%C3%A9ographe-et-la-banane-bleue">« banane bleue »</a>, cette dorsale du développement économique, urbain, culturel et politique européen, berceau historique de la révolution industrielle et du capitalisme.</p>
<p>Ces pays entrés dans les années 1970 auraient pu faire partie de la CEE dès 1957. Ce n’était pas le cas des trois pays concernés par le second élargissement. Ils étaient en effet plus agricoles, moins industrialisés, moins urbanisés – en un mot, leurs situations n’étaient pas celles de centres décisionnels, mais plutôt de périphéries économiques et politiques dans l’espace européen. Plus encore, ils étaient en sortie de fascisme ! C’était là leur grande singularité.</p>
<h2>La rapide intégration de la Grèce…</h2>
<p>À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la Grèce, l’Espagne et le Portugal vivent leur transition démocratique. On s’apprête à célébrer, en avril 2024, le cinquantième anniversaire de la <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/evenements/la-revolution-des-o-eillets-un-evenement-de-portee-mondiale/">Révolution des Oeillets</a>, une révolution de hauts gradés de l’armée portugaise qui mit fin en même temps à la dictature salazariste, aux guerres coloniales et à l’empire portugais. En Espagne, la mort du <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-complexe-rapport-de-lespagne-a-la-figure-de-franco-224989">général Franco</a>, qui avait été le fossoyeur de la République espagnole par son coup d’État 40 ans plus tôt, ouvre la voie au retour à la démocratie dans le cadre d’un régime de monarchie parlementaire sous la conduite de Juan Carlos. En Grèce, la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/2017/04/20/26001-20170420ARTFIG00291-il-y-a-50-ans-la-dictature-des-colonels-s-installait-en-grece.php">dictature des colonels</a> instaurée en 1967 tombe au même moment.</p>
<p>Avec ce deuxième élargissement, la CEE et ses dirigeants mettent ainsi en avant le fait que la Communauté n’est pas seulement un projet de prospérité et d’interdépendance économique, mais aussi un projet de consolidation de la démocratie au sein des pays européens : trois régimes fascisants reposant sur la mainmise de l’armée sur la société tombent au même moment, leurs citoyens se tournent immédiatement vers la Communauté européenne, et réciproquement.</p>
<p>C’est l’aboutissement d’un débat initié dans le début des années 1960, lorsque la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/15bb0adb-1ff0-4299-b0aa-a9563ce40459/Resources#8a95e26f-e911-42a0-b811-b623b84a93d9_fr&overlay">dictature franquiste déposa la candidature d’adhésion de l’Espagne à la CEE</a>. Sur la base du <a href="https://www.cvce.eu/content/publication/2005/6/1/2d53201e-09db-43ee-9f80-552812d39c03/publishable_fr.pdf">rapport Birkelbach</a>, la réponse à donner avait <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-4-page-85.htm">fait débat</a> dans les Parlements nationaux de toute l’Europe des Six, sans passion ni urgence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Viens, viens ! » Le 29 octobre 1968, le chancelier fédéral Kurt Kiesinger rencontre à Madrid le général Franco. Au lendemain de cette visite, le 30 octobre, le caricaturiste allemand Wilhelm Hartung ironise sur cette rencontre qui fait polémique et accuse le chancelier d’œuvrer pour un rapprochement de l’Espagne franquiste avec la CEE. À l’issue de leurs conversations, les représentants de la RFA et de l’Espagne estiment qu’un « minimum de collaboration » est nécessaire entre les pays de l’Europe occidentale pour assurer leur défense face à la menace émanant du bloc communiste.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/15bb0adb-1ff0-4299-b0aa-a9563ce40459/Resources#116b4ec0-9cba-4d39-9415-d04e92fd4079_fr&overlay">Wilhelm Hartung</a></span>
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<p>Au final, les Européens avaient proposé à l’Espagne franquiste un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/02/02/un-accord-commercial-preferentiel-a-ete-conclu-entre-l-espagne-et-le-marche-commun-les-six-vont-reduire-progressivement-de-70-leurs-droits-de-douane-sur-les-produits-espagnols_3120538_1819218.html">accord de commerce</a>, pas même un accord d’association, en 1970. Un ultime raidissement très répressif de la dictature les années suivantes les conforta dans cette décision.</p>
<p>Aussi, la société espagnole s’attendait-elle majoritairement à ce que la CEE accueille avec chaleur cette Espagne nouvelle qui démontra très rapidement son engagement dans la transition démocratique. L’adhésion de la Grèce devenue une République, à nouveau gouvernée, à l’issue d’élections libres, par <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/biographie-konstantinos-karamanlis-artisan-de-l-adhesion-de-la-grece-a-la-cee-1907-1998/">Konstantinos Karamanlis</a> (qui avait déjà été premier ministre de 1955 à 1963), ne se négociait-elle pas sans coup férir en un temps très bref ?</p>
<p>Bénéficiant de conditions d’adhésion particulièrement favorables, la Grèce devint le 10<sup>e</sup> État membre dès 1981. Les dirigeants de la CEE, présidents français et européen en tête – Valéry Giscard d’Estaing et <a href="https://spartacus-educational.com/PRjenkinsR.htm">Roy Jenkins</a> – célébraient dans la Grèce libérée des colonels le berceau de la démocratie, quand bien même la démocratie athénienne du siècle de Périclès était une réalité historique éloignée de la Grèce actuelle de près de 25 siècles…</p>
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<h2>… et le long blocage des candidatures espagnole et portugaise</h2>
<p>Pourtant, la demande déposée le 25 juillet 1977 par Marcelino Oreja, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Suárez, qui aboutit à l’ouverture officielle de la procédure d’adhésion en février 1979, ne se négociait ni dans la joie ni avec célérité. La demande du Portugal, déposée elle aussi en 1977, subit le même traitement. Contrairement à l’Allemagne de l’Ouest de la coalition SPD-parti libéral, la France giscardienne freinait.</p>
<p>Il est vrai que les toutes dernières années de la décennie 1970 et les trois premières années de la décennie 1980 sont passées à la postérité comme une période d’euro-pessimisme : confrontés au choc pétrolier, à la crise économique, à la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38285-systeme-de-bretton-woods-fmi-bird-1944-1971">fin du système monétaire international dit de Bretton Woods</a>, à la fin des Trente glorieuses, au chômage de masse et à l’inflation, les dirigeants de l’Europe des Neuf puis des Dix étaient déstabilisés et peu capables de jouer collectif. En 1979, les premières élections au suffrage universel d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_europ%C3%A9ennes_de_1979">Parlement européen</a> aux pouvoirs limités pouvaient difficilement faire contrepoids à cette morosité.</p>
<p><a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/7124614a-42f3-4ced-add8-a5fb3428f21c/9eec77e2-c94d-42d3-beed-a8413e26654c">La mise en place du système monétaire européen</a>, le SME, était très récente (1979) ; elle avait été bloquée pendant sept ans par les divergences de vues et d’intérêts nationaux. Les dirigeants, les entrepreneurs et les syndicats européens n’eurent pourtant pas le temps de se réjouir de cet avènement : Margaret Thatcher, chef de gouvernement britannique depuis l’été de la même année, fit irruption sur la scène européenne avec fracas : <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/05/11/30-novembre-1979-margaret-thatcher-i-want-my-money-back_648386_3214.html">« I want my money back ! »</a></p>
<p>Le sentiment prévalait que cette raideur britannique bloquait le fonctionnement non seulement du budget européen, mais aussi de la vie politique communautaire. En conséquence, le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement demeurait comme indifférent à la finalisation de l’élargissement à l’Espagne et au Portugal. Il ne donnait pas plus suite à plusieurs propositions de relance de la construction européenne – <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/il-y-a-30-ans-le-rapport-spinelli_3069085.html">projet Spinelli</a> du Parlement européen, du nom d’un des eurodéputés les plus respectés ; <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/511084a1-fac4-44e0-82b1-a7a101b2d913">proposition d’« acte européen »</a> par Genscher et Colombo, ministres des Affaires étrangères de RFA et d’Italie.</p>
<p>De façon imprévue, la politique européenne de la France favorisait ce surplace. La gauche y avait remporté une double victoire, première alternance de l’histoire de la V<sup>e</sup> République : à l’élection présidentielle, gagnée par François Mitterrand le 10 mai 1981, puis aux élections législatives de juin 1981. Sa politique économique reposait sur deux grandes actions à contretemps, pour ne pas dire en complet décalage, de celles conduites par les partenaires européens de la France : la relance de la croissance par la consommation (« Le keynésianisme dans un seul pays ? », interroge avec humour <a href="https://www.academia.edu/3438198/Les_partis_socialistes_et_lint%C3%A9gration_europ%C3%A9enne_Belgique_France_Grande_Bretagne">Pascal Delwit)</a> ; et la nationalisation des principaux groupes industriels, bancaires et de crédit. Si, dans tous les pays européens, les socialistes et les sociaux-démocrates ont salué cette victoire de la gauche, ils s’interrogeaient sur ces deux particularités. Quelles seraient leurs implications sur la coordination du système monétaire européen ? Sur les positions françaises dans le domaine du budget de la CEE ?</p>
<p>Ce facteur d’attentisme supplémentaire est d’autant plus vif que les programmes du Parti socialiste refondé en 1969 et de son leader François Mitterrand n’avaient pas de mots assez durs pour désigner la CEE comme <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/45721">l’Europe des marchands, des trusts et du grand capital</a>. Le programme du Parti communiste, certes nettement minoritaire dans cette coalition, était, lui, franchement hostile à la construction communautaire.</p>
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<p>Les citoyens français ayant voté pour une majorité socialiste, la construction européenne devait désormais favoriser <a href="https://books.openedition.org/pur/129129">« la rupture avec le capitalisme »</a>, formule étendard de la nouvelle majorité, et le changement promis aux Français. Si les Dix avaient pu s’engager ensemble dans la réduction du temps de travail, l’abaissement de l’âge de la retraite et l’augmentation du salaire minimum, c’eût été formidable : c’eût été l’Europe socialiste. Et c’eût été grâce à la France. Mais malgré l’engagement et l’expérience européens des ministres Cheysson, Delors et Jobert, le mémorandum français pour une Europe sociale tomba à plat. Le soutien de la Grèce, dirigée depuis 1981 par le Parti socialiste (Pasok) d’Andréas Papandréou, finalement rallié à l’adhésion de son pays à la CEE, n’y suffit pas.</p>
<p>Pendant ce temps, les bras de fer sur les négociations budgétaires – c’est‑à-dire, pour l’essentiel, sur la politique agricole commune (PAC) – absorbaient beaucoup d’énergie. Et les négociations d’adhésion avec le Portugal et l’Espagne patinaient, en raison notamment des <a href="https://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1987_num_78_2_4979">blocages italien et surtout français</a> : leurs dirigeants respectifs subordonnaient l’accès de ces pays méditerranéens à la PAC et aux financements territoriaux du Fonds européen de Développement régional (FEDER) à la garantie que ces financements n’iraient pas moins à leurs agriculteurs que dans la CEE à dix. Sur ce point, Mitterrand prolongeait VGE ! C’était précisément le type d’engagement que les Britanniques, mais pas seulement, refusaient, tant que les contributions budgétaires globales de chacun et le budget de la PAC en particulier ne seraient pas réformés. Tout était lié.</p>
<h2>Un contexte international qui change la donne</h2>
<p>C’est pourtant de l’extérieur qu’est peut-être venu le déclic : la fin de la détente. La reprise de la guerre froide inquiétait et divisait les opinions publiques. Un pacifisme résurgent et significatif les traversait : dans toute l’Europe, en 1982-1983, d’importantes manifestations (et même <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/984">massives en RFA</a>) s’opposaient au <a href="https://www.grip.org/il-y-a-40-ans-debutait-la-crise-des-euromissiles/">déploiement par l’OTAN de missiles Pershing 2</a> à moyenne portée en réponse à l’installation par les Soviétiques de missiles SS 20 dirigés vers l’Europe de l’Ouest. Le slogan <em>lieber rot als tot</em> – « plutôt rouge que mort » – est demeuré emblématique de cette crise des euromissiles.</p>
<p>Le gouvernement français, tout pétri de marxisme qu’il fut, lui opposa en 1983 le <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00018/discours-au-bundestag.html">discours historique</a> de François Mitterrand au Bundestag, puis son propos resté fameux lors d’un sommet en Belgique : <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09082528/francois-mitterrand-le-pacifisme-est-a-l-ouest-et-les-euromissiles-sont-a-l">« Le pacifisme, et tout ce qu’il recouvre, il est à l’Ouest ; et les euromissiles, ils sont à l’Est. »</a> Helmut Kohl ne devait pas oublier ce soutien inespéré – il renvoya l’ascenseur à son ami François en mars 1983, lorsque la <a href="https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2001-2-page-49.htm">Bundesbank soutint le franc de façon massive</a>, et en procédant à une réévaluation sensible du mark. En septembre 1984, les deux hommes d’État endossaient la tunique du mythique <em><a href="https://theconversation.com/quand-merkel-et-macron-endossent-la-tunique-mythique-du-couple-franco-allemand-139191">couple franco-allemand</a> moteur de la construction européenne</em>, avec un sens remarqué de la mise en scène et du maniement des symboles lors de la rencontre devenue iconique de l’ossuaire de Douaumont à Verdun.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La rencontre de Verdun, 22 septembre 1984.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu/eu-pioneers/helmut-kohl-and-francois-mitterrand_fr">Site de l’Union européenne</a></span>
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<p>Dans l’intervalle, la relance de la construction communautaire eut lieu en juin 1984 au <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">Conseil européen de Fontainebleau</a>. Fort d’un accord avec Kohl, Mitterrand fait adopter un paquet de mesures préparées par une intense diplomatie menée depuis le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/134145-declaration-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-li">sommet d’Athènes de décembre 1983</a>. Les Dix se mettent enfin d’accord sur une réduction permanente de la contribution britannique au budget communautaire. </p>
<p>À compter de 1985, la CEE remettrait chaque année au Royaume-Uni un chèque d’un montant ainsi calculé : 66 % de la différence entre, d’une part, la contribution britannique au budget communautaire assise sur sa TVA et, d’autre part, le montant total des financements communautaires reçus par le Royaume-Uni. C’était un compromis. Ce remboursement était moins ambitieux que celui réclamé par Margaret Thatcher et son parti <em>tory</em> depuis cinq ans. En contrepartie, François Mitterrand et les socialistes français acceptaient le principe cher à toute la classe politique britannique d’une <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/histoire-de-la-politique-agricole-commune/">réforme des mécanismes de la PAC</a> dans le but, notamment, d’en diminuer les dépenses. Dès 1985, la production de lait dans la CEE devint contingentée.</p>
<p>Ce dispositif, qui mettait fin à cinq années fatigantes et engourdissantes de conflit budgétaire, s’inscrivait dans un accord à facettes multiples toutes liées entre elles. Les socialistes français (et européens) obtenaient, enfin, un accroissement des ressources du budget communautaire : le plafond de la part de ses recettes de TVA que chaque État membre verse au budget communautaire montait à 1,4 % (il était à 1 % depuis 1970). Cette augmentation signalait que les Dix étaient prêts à s’engager sur de nouvelles politiques communes. Pour autant, celles‑ci ne prendraient leur sens qu’avec un approfondissement du marché intérieur de la CEE – ce serait la réforme du traité de Rome en <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/">Acte unique européen</a> signé en 1986, consacrant la fin de tous les monopoles nationaux dans toutes les branches de l’économie. Les unes comme l’autre, <a href="https://www.cairn.info/la-construction-de-l-europe--9782200353056-page-337.htm">concluait le Conseil européen</a>, concourraient à </p>
<blockquote>
<p>« donner à l’économie européenne une impulsion comparable à celle que lui avait apportée, au début des années 1960, la mise en chantier de l’union douanière […] ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, en 1984, le président Mitterrand avait enfin assoupli sa position sur l’élargissement. Pour ce faire, Mitterrand prétexta de l’arrivée au pouvoir de son homologue et ami socialiste et européiste <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/biographie-felipe-gonzalez-marquez-artisan-de-l-adhesion-de-l-espagne-a-la-communaute-economique/">Felipe Gonzalez</a>. Pourtant, la victoire du PSOE en Espagne remontait alors à près de deux ans déjà.</p>
<p>Dans une scénographie qui ne doit rien au hasard, c’est par un <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/136099-declaration-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-li">voyage à Madrid</a> que le président français achève le semestre de « sa » présidence française de la CEE : </p>
<blockquote>
<p>« Je vous dirai en confiance que je suis très heureux à la fois de me trouver à Madrid (pour) terminer mon rôle dans ce domaine, (et) de pouvoir bâtir avec le peuple espagnol et ses dirigeants un pacte durable. »</p>
</blockquote>
<p>Deux jours plus tôt, Mitterrand et Gonzalez s’étaient retrouvés au <a href="https://www.alamyimages.fr/juin-28-1984-le-president-mitterrand-et-le-premier-ministre-espagnol-felipe-gonzales-sont-vus-ici-au-match-de-foot-ou-la-france-a-battu-l-espagne-par-deux-points-hier-dans-le-final-image69503074.html">Parc de Princes</a> pour la finale du premier <a href="https://www.taurillon.org/euro-retro-1984-grand-succes-pour-la-france-et-pour-l-europe">Euro de football</a> remporté par l’équipe de France de Platini sur <a href="https://www.slate.fr/story/118961/france-vole-titre-champion-europe-espagne">l’Espagne d’Arconada</a>, après son succès sur le Portugal lors d’une <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/07/11/france-portugal-1984-souvenirs-d-une-chaude-nuit-d-ete-a-marseille_6045908_3242.html">demi-finale d’anthologie</a> au Vélodrome de Marseille.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le 12 juin 1985, Felipe González signe le traité d’adhésion à la CEE. Apparaissent à ses côtés Fernando Morán, ministre des Affaires étrangères, et Manuel Marín, secrétaire d’État aux Relations avec les Communautés européennes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Felipe_Gonz%C3%A1lez_in_1985#/media/File:Felipe_Gonz%C3%A1lez_firma_el_Tratado_de_Adhesi%C3%B3n_de_Espa%C3%B1a_a_la_Comunidad_Econ%C3%B3mica_Europea_en_el_Palacio_Real_de_Madrid._Pool_Moncloa._12_de_junio_de_1985.jpeg">Wikimedia</a></span>
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<p>Entraînant avec elle les Italiens, la présidence française semestrielle de la CEE débloqua l’aboutissement des négociations d’adhésion avec l’Espagne et le Portugal au moment où le gouvernement socialiste de Mario Soares cédait le pouvoir pour dix ans au centre-droit (PSD) de <a href="https://www.liberation.fr/planete/1995/02/17/l-artisan-du-formidable-bond-en-avant-du-portugal_122963/">Cavaco Silva</a>. La relance de Fontainebleau avait notamment pour fonction d’apaiser les craintes des habitants des régions méditerranéennes de l’ex-Europe des Six, en particulier de leurs agriculteurs, et spécialement des agriculteurs français. Ce fut l’une des fonctions de la très importante <a href="https://www.cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/df06517b-babc-451d-baf6-a2d4b19c1c88/a58194ee-132e-44a4-9a73-2c760ce9010b">réforme budgétaire</a> actée à ce sommet et mise en œuvre par la commission Delors (dont la nomination fut elle aussi décidée à Fontainebleau !) à compter de 1985.</p>
<p>Dès lors, tout alla très vite : le 1<sup>er</sup> janvier 1986, l’Espagne et le Portugal entraient dans la CEE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les années 1980, la CEE ouvre ses portes à trois pays récemment sortis de la dictature : d’abord à la Grèce puis, après des négociations compliquées, à l’Espagne et au Portugal.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251372024-03-25T16:38:27Z2024-03-25T16:38:27ZLes violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français : une « exception culturelle » ?<p>Invitée de l’émission <em>Quotidien</em> le 8 janvier 2024, Judith Godrèche dénonce l’emprise présumée de Benoît Jacquot à son égard. Si ses propos font écho à la diffusion d’un numéro de <em>Complément d’enquête</em> sur Gérard Depardieu, Judith Godrèche revient à plusieurs reprises au cours de sa carrière sur les violences subies : les différents registres de discours qu’elle a pu employer, jusqu’à affirmer l’impossibilité du consentement des enfants, soulignent la manière dont cette prise de conscience s’inscrit sur le temps long.</p>
<p>Le 23 février 2024, lors de la cérémonie des Césars, elle prend à nouveau la parole. La force de son discours réside dans son interpellation des professionnels du monde du cinéma sur ces questions :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement. Un demi-mot. »</p>
</blockquote>
<p>En s’adressant à ses pairs, l’actrice souhaite sortir du « silence » qui accompagne les témoignages de violences au sein de la « grande famille du cinéma ». Le 29 février, lors d’une audition au Sénat, elle rappelle le rôle des institutions, notamment du CNC, dans le maintien de ce silence systémique.</p>
<p>Cette prise de parole s’inscrit dans la continuité d’autres témoignages et dans le sillon de mobilisations féministes nationales et internationales, et pourtant elle résonne au sein d’un milieu professionnel traversé par des contradictions. Si on enjoint les victimes à briser le silence, on les discrédite aussitôt en les accusant, par exemple, de vouloir attirer l’attention sur elles après des années d’absence. Si on sanctionne les auteurs, accusés ou condamnés, en les excluant de la cérémonie des Césars, on continue de leur décerner des prix, en montrant ainsi que la culture de la récompense en France est en pleine négociation avec les valeurs de la société contemporaine.</p>
<p>Afin de comprendre pourquoi et comment le cinéma français a pu devenir une fabrique de l’omerta sur les violences sexistes et sexuelles, il est crucial de « dézoomer » et d’interroger, dans une perspective historique, la construction d’une identité cinématographique française, incarnée par une génération d’auteurs et une prolifération d’œuvres où les rapports sociaux de sexe ont été longtemps désaxés.</p>
<p>Et il est également fondamental de questionner les conditions de production des témoignages de victimes, notamment leur réception par des instances officielles et les mobilisations qui les ont accompagnés.</p>
<h2>La question des auteurs</h2>
<p>Dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/peut-on-dissocier-l-oeuvre-de-l-auteur-gisele-sapiro/9782021461916"><em>Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?</em></a>, Gisèle Sapiro rappelle que les milieux culturels français (contrairement à la tradition étasunienne) se sont construits sur une « position esthète », à savoir une conception des arts et de la culture tournée vers l’appréciation des propriétés esthétiques, et non pas morales, des œuvres et par une valorisation, de matrice romantique, de la notion de « talent » dont l’auteur serait naturellement doté.</p>
<p>Au cinéma, le mot <em>auteur</em> <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">n’est pas anodin</a>, au contraire, il est politique. Entre 1954 et 1955, dans <em>Les Cahiers du cinéma</em> et dans le magazine <em>Arts</em>, une formule circule – « La Politique des Auteurs » – à travers laquelle cinéastes et critiques, comme Truffaut, revendiquent la centralité du réalisateur et de son style afin de légitimer le cinéma comme un art à part entière.</p>
<p>Cette théorie critique trouve sa consécration dans la Nouvelle Vague, composée par ces mêmes cinéastes et critiques pour qui un auteur considéré un génie jouit d’une sorte d’impunité esthétique : « Ali Baba eut-il été raté que je l’eusse quand même défendu en vertu de la “Politique des Auteurs” », <a href="http://www.cineressources.net/ressource.php?collection=ARTICLES_DE_PERIODIQUES&pk=16372">écrivait Truffaut</a> sur un film de Becker. Dans les <em>Cahiers du cinéma</em> (n° 47, mai 1955), il écrivait encore :</p>
<blockquote>
<p>« “La Tour de Nesle” est […] le moins bon des films d’Abel Gance [mais] comme il se trouve qu’Abel Gance est un génie, “La Tour de Nesle” est un film génial. »</p>
</blockquote>
<p>Par définition exceptionnels, les génies transgressent les normes de leur société, par leurs œuvres, leur vie ou les deux à la fois, et si la Nouvelle Vague avait bien l’ambition de renverser l’ordre esthétique et politique existant, ce <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/arts-et-essais-litteraires/la-nouvelle-vague/">renversement</a> s’est opéré à travers « l’imaginaire de jeunes hommes […] peu à même de placer les rapports de sexe au cœur de leur entreprise de subversion ».</p>
<p>Célébrée par la critique, imbriquée aux revendications de Mai 68 et à la révolution sexuelle, la Nouvelle Vague a longtemps incarné la norme cinématographique dominante en France.</p>
<h2>Au-delà d’un conflit « générationnel » ?</h2>
<p>Ainsi cristallisée, cette conception d’un cinéma « à la française » façonne tous les milieux (de la production à l’enseignement, en passant par les festivals) et réapparaît, insurgée, dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/09/nous-defendons-une-liberte-d-importuner-indispensable-a-la-liberte-sexuelle_5239134_3232.html">tribune</a> publiée en 2018 dans <em>Le Monde</em> et signée, entre autres, par Catherine Deneuve, s’opposant aux vagues de dénonciation contre <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/retour-sur-les-affaires-et-accusations-impliquant-roman-polanski_3695951.html">Polanski</a>, <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/12/12/blow-up-revu-et-inacceptable_1616177/">Antonioni</a> et <a href="https://www.genre-ecran.net/?Ce-que-les-films-m-ont-appris-sur-le-fait-d-etre-une-femme">Ford</a>.</p>
<p>Ici, la liberté d’expression des auteurs se lie à une « liberté d’importuner », celle d’« hommes sanctionnés dans l’exercice de leur métier » pour avoir « touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses “intimes” lors d’un dîner professionnel ».</p>
<p>Suit en 2023 une <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/n-effacez-pas-gerard-depardieu-l-appel-de-50-personnalites-du-monde-la-culture-20231225">tribune publiée dans <em>Le Figaro</em></a> en faveur de Gérard Depardieu rassemblant 50 personnalités du monde de la culture dont Serge Toubiana, critique de cinéma et ancien directeur de la Cinémathèque française.</p>
<p>Cette institution avait déjà fait l’objet d’une <a href="https://www.genre-ecran.net/?Cinematheque-Dorothy-Arzner-dans-l-oeil-du-sexisme">tribune</a> dénonçant la quasi-absence de rétrospectives – 7 sur 293 entre 2006 et 2017 – consacrées aux femmes, ainsi que la misogynie et la lesbophobie des textes d’hommage à la cinéaste <a href="https://www.telerama.fr/television/dorothy-arzner-une-pionniere-a-hollywood_cri-7029512.php">Dorothy Arzner</a>.</p>
<p>Enfin, qualifié de « dernier monstre sacré du cinéma », « génie d’acteur » à la « personnalité unique et hors norme », Depardieu incarnerait l’emblème d’un cinéma qu’il a contribué à faire rayonner à l’international, celui de Truffaut, de Pialat, de Ferreri, de Corneau, de Blier ou de Bertolucci.</p>
<p>Au vu du profil des signataires des deux tribunes (2018 et 2023), il serait facile de réduire le #MeToo du cinéma français à un conflit générationnel. En réalité, de multiples rapports de pouvoir sont à l’œuvre, et la <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">dénonciation publique de Judith Godrèche, ainsi que celle d’Isild Le Besco</a>, illustrent cette complexité.</p>
<h2>Une parole incarnée, des mobilisations collectives</h2>
<p>Tout en pouvant être qualifié de remarquable, le témoignage de Judith Godrèche fait écho à d’autres prises de parole individuelles et collectives, anonymes ou incarnées. Les mobilisations féministes et syndicales devant les portes de l’Olympia lors de la cérémonie en témoignent.</p>
<p>En 2020, les Césars sont également marqués par la sortie d’Adèle Haenel lors de la remise du prix à Roman Polanski : accompagnée d’une dizaine de personnes dont Céline Sciamma, l’actrice s’exclame « La honte ! Bravo la pédophilie ! » Ce moment a d’ailleurs fait l’objet d’une tribune de Virginie Despentes, une autre « petite fille » (pour reprendre les propos de J. Godrèche lors de son allocution aux Césars) devenue punk.</p>
<p>Sa prise de position fait suite aux accusations présumées d’attouchements et de harcèlement sexuel du cinéaste Christophe Ruggia à son encontre, alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans. Dans ce contexte, les actions organisées en amont et cours de la cérémonie par des groupes féministes comme Osez le Féminisme ! ou #NousToutes se déploient autour de la formule « César de la honte » ou du hashtag #Jesuisunevictime.</p>
<p>Les quatre années qui séparent ces deux moments soulignent néanmoins les difficultés à témoigner publiquement et à être entendues dans le monde du cinéma.</p>
<p>Au-delà des espaces artistiques, ces mobilisations font écho à la circulation massive et transnationale <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/numerique-feminisme-et-societe/">du hashtag #MeToo</a>. En s’inscrivant dans un « féminisme de hashtag », ce mot dièse et ses nombreuses déclinaisons, comme #MeTooMedia, #MeTooInceste ou encore #YoTambien, ont en commun de faire circuler des témoignages de violences et des paroles de soutien vis-à-vis des victimes.</p>
<p>Pour autant, ces mobilisations doivent être replacées dans des « traces » passées en ligne et hors ligne, à l’image du mouvement #MeToo lancé il y a une quinzaine d’années par <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/10/05/tarana-burke-la-lanceuse-meconnue-de-metoo_6144424_4500055.html">l’activiste afro-américaine Tarana Burke</a>, travailleuse sociale qui a fondé l’association « Me Too » pour lutter contre les violences sexuelles commises sur les petites filles noires ou des mobilisations féministes transnationales autour des violences.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-armes-numeriques-de-la-nouvelle-vague-feministe-91512">Les armes numériques de la nouvelle vague féministe</a>
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<p>En 2012, par exemple, plusieurs centaines de manifestations sont organisées en Inde suite au viol collectif et au meurtre de <a href="https://www.bbc.com/news/world-63817388">Jyoti Singh Pandey</a>. Dans la continuité de la dénonciation des féminicides, la première manifestation <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/08/avant-metoo-le-mouvement-niunamenos-mobilisait-l-amerique-latine_6144976_3224.html">Ni Una Menos</a> se déploie en mai 2015 et rassemble près de 300 000 personnes à Buenos Aires : le mouvement s’étend par la suite en Amérique latine et en Europe, comme en Italie avec la structuration en 2016 de Non Una Di Meno. Ces actions, parmi d’autres, mettent au jour la centralité accordée par les mouvements féministes contemporains à la prise en charge des violences, ainsi que le caractère massif de ces mobilisations.</p>
<h2>Comment les médias ont-ils intégré et dénoncé ces violences ?</h2>
<p>Par-delà de la dimension collective du témoignage de Judith Godrèche, le cadrage et l’activité médiatique qui l’accompagnent s’avèrent tout aussi importants. En effet, en matière de violences sexistes et sexuelles, les médias ont élaboré de <a href="https://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=HERM_BODIO_2022_01_0109">nouvelles stratégies discursives</a>, se sont dotés de figures professionnelles spécialisées et ont produit des <a href="https://journals.openedition.org/edc/10041#quotation">dispositifs de dénonciation</a>, même si des changements sont encore nécessaires.</p>
<p>Dans cette perspective, le 9 février 2024, le magazine <em>Télérama</em>, sous la plume de la directrice de la rédaction Valérie Hurier, questionne sa propre responsabilité au sein d’un :</p>
<blockquote>
<p>« système, celui de la production cinématographique, qu’il convient aujourd’hui de réexaminer à la lumière de ces témoignages. Un système dont les médias, Télérama compris, se sont parfois faits les complices par leurs éloges ».</p>
</blockquote>
<p>Quelques jours plus tard, l’AFP <a href="https://www.konbini.com/popculture/violences-sexuelles-le-cinema-dauteur-francais-force-de-se-regarder-dans-la-glace/">rapporte les propos de Dov Alfon</a>, directeur de la publication et de la rédaction à Libération, sur la « prise de conscience » amenant le journal à « commencer par un vrai travail de relecture aux archives sur [ses] différents papiers de l’époque, pour en rendre compte à [ses] lecteurs ».</p>
<p>Si ces déclarations à la marge renseignent sur une potentielle sortie de la figure du « monstre », déjà initiée avec l’ouvrage <em>Le Consentement</em> de Vanessa Springora, afin d’interroger l’ensemble des acteurs impliqués dans ces violences systémiques, elles peinent néanmoins à couvrir les difficultés de penser les violences sexistes et sexuelles en dehors d’espaces, affaires et secteurs particuliers, à l’image des nombreuses déclinaisons de #MeToo.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Despontin Lefèvre a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en sciences de l'information et de la communication au sein de l'Université Paris-Panthéon-Assas. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête (n)ethnographique et a été amenée notamment à rencontrer des membres du collectif #NousToutes et des militantes féministes.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Giuseppina Sapio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente prise de parole de Judith Godrèche s’inscrit dans le sillon des mobilisations féministes nationales et internationales, et interroge la façon dont les médias se font l’écho de ces paroles.Irène Despontin Lefèvre, Enseignante contractuelle à la Faculté des sciences économiques, sociales et des territoires de l'Université de Lille, Université Paris-Panthéon-AssasGiuseppina Sapio, Maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2247772024-03-19T10:14:18Z2024-03-19T10:14:18ZMali : la dénonciation de “l’accord d’Alger”, un tournant dans la résolution du conflit ?<p>A la surprise générale, dans un <a href="https://www.jeuneafrique.com/1530317/politique/le-mali-enterre-laccord-de-paix-dalger/">communiqué du 25 janvier 2024</a>, le gouvernement du Mali fait constater “l'inapplicabilité absolue de l'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/Accord%20pour%20la%20Paix%20et%20la%20R%C3%A9conciliation%20au%20Mali%20-%20Issu%20du%20Processus%20d%27Alger_0.pdf">d’Alger, signé en 2015</a>” et annonce sa fin “avec effet immédiat”. En outre, il souligne des “actes inamicaux” et d’ingérence de la part du médiateur algérien dans des affaires internes du Mali. </p>
<p>Cette décision intervient dans un contexte où le Mali réaffirme sa souveraineté et ses choix stratégiques. </p>
<p>Je suis chercheur en <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2022-v53-n1-ei07137/1090710ar.pdf">relations internationales</a>. Dans cet article, j'analyse les origines du conflit, les précédents accords de paix et les raisons de l'échec de l'accord de 2015. Je donne aussi des pistes de résolution future du conflit.</p>
<h2>La saga des accords non-appliqués</h2>
<p>Le conflit malien est, en partie, un héritage de la colonisation française. En effet, en 1957, dans la mouvance de l’indépendance des anciennes colonies françaises en Afrique - à travers une pétition- des leaders Touareg ont réclamé le rattachement de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) à l’Algérie voire son indépendance. Cette pétition portée par le Cadi de Tombouctou Mohamed Mahmoud Ould Cheikh avait pour objectif d’éviter le rattachement de <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/322">l’OCRS au Soudan français qui deviendra le Mali en 1960 </a>. La France du général Charles de Gaulle n’accèdera pas à cette requête, car elle était consciente de la volonté des leaders africains de l’époque de construire l’unité africaine et opposée à la balkanisation des frontières africaines. </p>
<p>Deux ans après l’indépendance du Mali (1962), des Touaregs ont enclenché le premier conflit sécessionniste. Cette rébellion a été aisément contenue par l’Etat malien sur le plan militaire. Le gouvernement de <a href="https://modibo-keita.site/qui-etait-modibo-keita-le-premier-president-du-mali/">Modibo Keïta</a>, en réaction à cette crise, prendra des politiques de cohésion nationale. Il s’agit, entre autres, de l’instauration du service civique pour assurer la formation politique et civique des populations rurales, la création des mouvements des pionniers pour développer leur esprit nationaliste, et la valorisation de la culture malienne en guise de ciment de la cohésion nationale. Plusieurs entreprises nationales sont créées pour <a href="https://www.amazon.fr/Modibo-Keita-Portrait-Inedit-President/dp/9995260425">promouvoir le développement économique du pays et réduire sa dépendance des puissances étrangères</a>.</p>
<p>Moins de 30 ans plus tard, <a href="https://www.rfi.fr/fr/hebdo/20160415-afrique-touareg-rebellions-niger-mali-algerie-burkina-faso-histoire">en 1991</a>, un second conflit avec les touaregs éclate. Ce conflit prend fin suite à une médiation algérienne. L’Etat malien et les groupes rebelles (Mouvements et Fronts unifiés de l’Azawad ) signent à cet effet <a href="https://www.cairn.info/les-touaregs-kel-adagh--9782811106355-page-445.htm">l’accord de Tamanrasset</a>, le 6 janvier 1991. Dans la foulée, en 1992, les parties signent <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/ML_920411_PacteNationalGouvMaliAzawad.pdf">le Pacte national pour le développement des régions du nord du pays</a>. Ces accords promettaient une décentralisation effective et une démilitarisation du nord. Dans l'opinion populaire, ces accords ouvraient la voie à une domination politique et économique des Touaregs qui constituent pourtant une minorité ethniques - <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2013-2-page-19.htm">5 à 6 % - dans les régions du nord du pays</a>. </p>
<p>Cette possible nouvelle domination annoncée de quelques tribus touaregs se fondait sur la prise des armes contre l’Etat. Elle suscita une réaction de résistance dans d’autres communautés (songhaï, peulh, etc.) En effet, la création des mouvement de résistance telle que le mouvement “Ganda Koi”, littéralement mouvement des “maîtres de la terre” et Ganda Izo (fils du terriroire) illustre bien cette volonté des communautés sédentaires (Songhaï,Bozo, Peulh, etc.) de résister à la domination touareg. </p>
<p>L’Etat et les signataires n’ont pas réussi à mettre en oeuvre ces accords de manière satisfaisante. Par manque de courage politique, les deux parties ont tourné dos à ces accords laissant un vide.</p>
<p><a href="https://www.thenewhumanitarian.org/fr/report/95263/mali-chronologie-du-conflit-dans-le-nord-du-pays">En 2006</a>, les rebelles reprennent les hostilités arguant la non-application des accords de Tamanrasset et le Pacte national signé en 1992 par le gouvernement malien et les Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad. Un accord issu d’une médiation algérienne quelques mois plus tard mettra fin aux affrontements armés. Mais cet accord connaîtra lui aussi d’énormes difficultés d’application comme les précédents et justifiera, aux yeux des groupes touaregs, une nouvelle reprise du conflit en 2012.</p>
<h2>Le labyrinthe sur le chemin de la paix</h2>
<p>Sous la pression de la communauté internationale, mobilisée autour du gouvernement malien pour la restauration de la paix au Mali, les belligérants se sont finalement engagés dans une médiation conduite par l’Algérie de 2014 à 2015. </p>
<p>Suite à une sollicitation du président <a href="https://www.bbc.com/afrique/60016099">Ibrahim Boubacar KeÎta</a> (IBK), l’Algérie a porté la médiation entre le gouvernement et la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA). La CMA est composée de plusieurs regroupements : Mouvement de libération de l’Azawad (MLNA), Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), Mouvement arabe de l’Azawad (MAA). D’autres mouvements proches du gouvernement malien ont créé <a href="https://ecfr.eu/special/sahel_mapping/maa_pf">la plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d'Alger</a>. </p>
<p>La médiation internationale porte alors sur trois sujets : la décentralisation, le développement et la sécurité. Elle se déroule en cinq sessions sur une période de neuf mois.</p>
<p>L’équipe de médiation était constituée d’organisations internationales engagées dans le recouvrement de la paix au Mali - CEDEAO, Union africaine, ONU, Union européenne, Organisation de la coopération islamique - et des États voisins du Mali dont le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria et le Tchad. </p>
<h2>L’accord de la discorde</h2>
<p>Plusieurs facteurs expliquent la rupture de l’accord de 2015 à l’instar des accords précédents négociés par l’Algérie. </p>
<p>D’abord, l’accord ne touche pas aux racines du conflit, notamment la question épineuse de l’indépendance de l'Azawad. L'Azawad désigne une zone du nord du Mali, principalement habitée par les touaregs, qui aspirent depuis longtemps à l'autonomie ou à l'indépendance vis-à-vis du gouvernement central du Mali. En réalité, les groupes armés réclament l’indépendance de l’Azawad et à défaut une autonomie des régions du nord du Mali. Or, pour le gouvernement malien la forme républicaine, unitaire et laïque de l’Etat n’est pas négociable. </p>
<p>De toute évidence, le problème de fond n’étant pas traité, les acteurs se sont inscrits dans <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2020-3-page-9.htm">une logique d’instrumentalisation de l’accord</a>. On remarque que l’accord a permis à l’Etat malien de se réorganiser, d’acquérir des armes, d’étoffer l’effectif des FAMAs (Forces armées du Mali) et de nouer de nouvelles alliances stratégiques (Russie, Burkina Faso, Niger, etc.). </p>
<p>D’autre part, les groupes armés signataires de l’accord ont profité de la médiation et de l’accord qui en a découlé pour obtenir <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1701636037-des-fuites-montrent-que-le-qatar-a-secretement-envoye-15-millions-de-dollars-a-des-mouvements-islamistes-dans-le-nord-du-mali#:%7E:text=nord%20du%20Mali-,Le%20Qatar%20a%20secr%C3%A8tement%20envoy%C3%A9%2015%20millions%20de%20dollars%20%C3%A0,dans%20le%20nord%20du%20Mali&text=Le%20r%C3%A9gime%20du%20Qatar%20a,%27objet%20d%27une%20fuite">la sympathie et le soutien du Qatar</a>. Par la même occasion, ils ont renforcé leur légitimité sur les territoires du nord du pays dont ils avaient le contrôle en raison de l’absence de l’Etat dans cette zone. Ces groupes armés distribuaient la justice à travers <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/cadi">des cadis</a>. Ils ont construit à l’ombre des autorités d’Etat un système local de financement. Ils ont en outre accédé à de nouvelles ressources et intégré les sphères de décision (gouvernement, Assemblée nationale, Conseil de transition, etc.).</p>
<p>Ensuite, l’accord a souffert d’un <a href="https://searchworks.stanford.edu/view/13175446">manque de légitimité populaire </a>. Il n’y a pas eu une appropriation nationale de l’accord, car la grande majorité des acteurs nationaux (partis politiques, société civile, etc.) n’ont pas été largement inclus dans le processus de médiation internationale. En effet, l’accord n’a pas rencontré une volonté populaire au Mali exigeant son application, mais au contraire, il a été appréhendé comme le catalyseur de la division du pays. </p>
<p>Enfin, il semble que l'objectif de la médiation algérienne n'a jamais clairement été de parvenir à un accord considéré comme réaliste et potentiellement applicable. La stratégie de la médiation était de mettre fin aux affrontements armés entre le gouvernement et les groupes signataires (CMA) et de laisser les Maliens construire de nouveaux consensus à travers un dialogue inter-Maliens. L’échec de ce dialogue inter-Maliens est au cœur des <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2022-v53-n1-ei07137/1090710ar.pdf">difficultés de mise en œuvre des accords</a>.</p>
<h2>Dialogue inter-Maliens</h2>
<p>La dénonciation de l’accord par les autorités de la transition à Bamako laisse un vide qui traduit simplement les dynamiques en cours dans les régions du nord du pays. En effet, la reprise des affrontements armés entre l’Etat et les groupes armés pour l’occupation des camps cédés par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) montraient déjà un abandon de l’accord par les deux parties. </p>
<p>La reprise des hostilités appelle un nouveau dialogue entre Maliens pour trouver des solutions consensuelles à cette crise sécessionniste. Et, justement, les nouvelles autorités ont appelé à un <a href="https://sgg-mali.ml/JO/2024/mali-jo-2024-01-sp.pdf">dialogue inter-Maliens</a> dans un communiqué du 25 janvier 2024. Il s’agit d’expérimenter une approche endogène pour le règlement de la crise. </p>
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<figcaption><span class="caption">Communiqué gouvernement de la transition du 25 janvier 2024 mettant fin à l'accord d'Alger.</span></figcaption>
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<p>Ce changement de paradigme trouve ses fondements dans l’insuccès des multiples accords successifs signés par les groupes armés et le gouvernement, loin des regards du peuple.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224777/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdoul Sogodogo does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>L’accord n’a pas rencontré une volonté populaire au Mali exigeant son application, mais au contraire, il a été appréhendé comme le catalyseur de la division du pays.Abdoul Sogodogo, Enseignant chercheur en sciences politiques, Université des sciences juridiques et politiques de BamakoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2259212024-03-15T11:35:11Z2024-03-15T11:35:11ZLe « crunch », bien plus qu’un match de rugby<p>Ce samedi 16 mars, le XV de France joue à Lyon, au Groupama Stadium, son dernier match de l’édition 2024 du Tournoi des six nations face à l’Angleterre. Cette rencontre présente la particularité d’avoir une dénomination propre, une sorte de surnom : le <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/rugby/tournoi-des-six-nations/france-angleterre-l-histoire-d-une-confrontation-de-legende-au-rugby_2049475.html">« crunch »</a>, un terme à l’origine incertaine que l’on peut traduire par « moment crucial ».</p>
<p>Ce faisant, il s’inscrit dans une tradition que l’on va appeler « <a href="https://paperity.org/p/223023636/lonymie-sportive-et-la-zone-de-transition-entre-les-noms-propres-et-les-noms-communs-dans">l’onomastique sportive</a> » – c’est-à-dire la création de noms propres pour désigner un ensemble d’évènements et d’acteurs dans le domaine du sport, révélant par-là la <a href="https://u-bourgogne.hal.science/hal-03657635">dimension éminemment discursive</a> des évènements sportifs.</p>
<p>Par-delà l’aspect linguistique strict, ce type de dénominations posent d’intéressantes questions d’ordre socio-culturel mais aussi de marketing. On relèvera ainsi que « crunch » est précisément le nom choisi par le journal <em>L’Équipe</em> pour dénommer son <a href="https://www.lequipe.fr/collection/podcasts/serie/crunch/">podcast rugby</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1749518137899315521"}"></div></p>
<p>Si tout locuteur est en mesure de faire intuitivement la différence entre un nom commun et un <a href="https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1982_num_16_66_1124">nom propre</a>, ceux à qui l’on pense spontanément sont sans doute à chercher du côté des prénoms, des noms de famille, des noms de lieux (pays, villes, villages…), etc. Or, les noms propres sont bien plus fréquents et variés que ces prototypes et le domaine du sport se révèle particulièrement productif à cet égard.</p>
<p>Il y a les <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-5-page-51.htm">noms de clubs</a> (Olympique de Marseille) et d’équipes souvent <a href="https://ans-names.pitt.edu/ans/article/view/2219">affublées aussi de surnoms</a> (les Bleus pour les différentes équipes de France, etc.). Il y a les noms des stades qui donnent lieu, depuis plusieurs années, avec la stratégie de vente des droits à des entreprises privées, à ce que l’on appelle le <a href="https://theconversation.com/renommer-un-stade-opportunite-economique-defi-linguistique-164102">« naming »</a> (ainsi à Lille, le stade Pierre Mauroy ou Decathlon Arena) – phénomène qui oriente déjà la réflexion vers l’intersection entre langue/linguistique et économie/finance.</p>
<h2>Match économique</h2>
<p>Et il y a donc les dénominations d’épreuves particulières comme le crunch de ce samedi 16 mars. Il serait toutefois réducteur d’y voir une exception rugbystique. On retrouve ces mêmes stratégies en football. Ainsi « El Clasico » désigne depuis les années 1990 les matchs entre le Real Madrid et le FC Barcelone et des tentatives ont été faites de le transférer, pour le championnat français de Ligue 1, aux matchs PSG-OM.</p>
<p><a href="https://www.erudit.org/fr/revues/meta/2006-v51-n4-meta1442/014335ar/">Sans être un nom de marque au sens légal</a>, une telle dénomination individualise comme unique et particulier <em>un</em> match dans un tournoi qui en compte quinze. En discours – des fédérations, des sponsors, des médias et surtout des supporters, car c’est toujours au carrefour de tous ces discours que se construit le sens d’un mot – le crunch devient ainsi le réceptacle de toutes sortes de représentations : la « rivalité » France – Angleterre délocalisée sur un terrain de rugby plutôt que sur le champ diplomatique, le match à ne pas manquer voire un évènement où il faut être… et consommer.</p>
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<p>Il serait donc erroné de réduire le crunch et les autres matchs spécifiques à un folkore socio-culturel. La dimension économique et marketing est également fondamentale (audiences télé et billetterie).</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo (en anglais) de la fédération internationale de rugby sur le Crunch de 1991.</span></figcaption>
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<p>Quel que soit le vainqueur sur le terrain sportif, le <em>Crunch</em> sera encore très suivi, que ce soit en tribune ou à la télévision. La totalité des billets a été réservée en moins de deux heures (malgré un bug informatique, qui a retardé de sept jours leur vente), avec <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/6-nations/xv-de-france-bug-240-000-demandes-la-billetterie-du-crunch-contre-langleterre-critiquee-b1fe1dee-d622-11ee-a613-258427ffa9f5">240 000 demandes enregistrées</a> pour ce match de gala ne disposant pour la vente que de seulement 60 000 places.</p>
<p>En termes de droits télévisuels, le crunch de 2022 qui s’était déroulé au stade de France, le samedi 19 mars à 21 h, a été regardé <a href="https://www.ozap.com/actu/fiction-presidentielle-coupe-du-monde-les-100-meilleures-audiences-de-la-television-en-2022/624935">par 9,1 millions de téléspectateurs sur France 2</a>, ce qui en avait fait la seizième audience nationale de l’année, et le <a href="https://www.sudouest.fr/sport/tournoi-des-six-nations-pres-de-9-millions-de-telespectateurs-devant-france-angleterre-10226837.php">taux d’audience le plus élevé depuis la finale de la Coupe du monde</a> de rugby 2011 entre France et Nouvelle-Zélande. Le Tournoi des six nations se traduit de toute façon à chaque match de l’équipe de France par des audiences importantes, représentant une <a href="https://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/audiences-tv/audiences-enorme-carton-pour-le-match-de-rugby-france-irlande-sur-france-2-m6-sous-le-million-20240203">part de marché importante</a> pour le diffuseur France Télévisions.</p>
<h2>Des délocalisations coûteuses</h2>
<p>En termes d’économie du sport, le crunch reste également une affaire de gros sous pour les fédérations anglaise (RFU) et française (FFR). D’après ses résultats financiers, la RFU était bénéficiaire de <a href="https://www.englandrugby.com/dxdam/01/01d8ef5e-97a0-4364-bfd4-1cf265d4d0a2/RFU-Annual-report-2023.pdf#page=34">4 millions de livres sterling en 2023</a> (environ 4,7 millions d’euros). En revanche, la FFR enregistre des déficits importants : <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/rugby-ce-que-lon-sait-vraiment-des-difficultes-financieres-de-la-federation-francaise-469dc1ba-c012-11ee-9812-c8f10941541a">40 millions d’euros accumulés depuis 2022</a> (16 millions sur l’exercice 2022-23 et 24 millions sur celui de 2023-24).</p>
<p>La différence majeure entre les deux fédérations de rugby réside dans les recettes : grâce à la propriété du stade de Twickenham, la RFU enregistre des <a href="https://www.englandrugby.com/dxdam/01/01d8ef5e-97a0-4364-bfd4-1cf265d4d0a2/RFU-Annual-report-2023.pdf#page=44">recettes de billetterie de 48,4 millions de livres sterling</a> (56,7 millions d’euros) contre 27,7 millions d’euros pour la FFR et surtout 70,8 millions de livres sterling (82,9 millions d’euros) de recettes d’hospitalité VIP et de restauration qui sont inexistantes pour la FFR qui loue le Stade de France pour plus d’un million d’euros par match.</p>
<p>Un match à Twickenham rapporte environ 10 millions de livres sterling (11,7 millions d’euros) à la RFU, contre 2,5 millions d’euros pour la FFR. Le manque à gagner est donc énorme pour la FFR, ce qui l’a d’ailleurs amené ces dernières années à <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2017/01/12/2495025-toutes-les-grandes-federations-sont-proprietaires-de-leur-stade.html">envisager la construction de son propre grand stade de rugby</a>.</p>
<p>On note d’ailleurs, sur ce terrain des stades eux aussi touchés par les phénomènes de <em>naming</em>, que la délocalisation des trois matchs du Tournoi 2024 en province en raison des travaux au Stade de France en vue des Jeux olympiques (Marseille, Lille et Lyon) se traduit par des <a href="https://www.quinzemondial.com/xv-de-france/ffr--le-montant-pharaonique-des-pertes-envisagees-sur-les-matchs-a-domicile-du-6-nations-793600">pertes de recettes d’environ deux millions d’euros</a> par match pour la FFR.</p>
<p>Enfin, la RFU domine légèrement la FFR en matière de sponsoring et de médias, avec respectivement 66,8 millions de livres sterling (78,2 millions d’euros) et 71,2 millions d’euros. Derniers paramètres du crunch économique : les sponsors et équipementiers. Le sponsor maillot du XV de la Rose est le réseau de télécommunications O<sub>2</sub>, partenaire depuis 1996, avec sur le dernier contrat conclu pour la période 2021-2026, une participation financière à parts égales pour les équipes masculines et féminines de rugby de l’Angleterre, qui se monte <a href="https://dicodusport.fr/blog/sponsor-principal-xv-de-la-rose-prolonge-son-contrat-avec-innovation-a-la-cle/">à 7,5 millions livres sterling par an</a> (8,8 millions d’euros). Pour le XV de France, le sponsor maillot est depuis 2018 Altrad, avec un contrat de <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/equipe-de-france/rugby-altrad-devient-sponsor-maillot-des-equipes-de-france-pour-deux-ans-et-demi-584b4282-c019-11ee-9812-c8f10941541a">9 millions d’euros par an de 2023 à 2028</a>.</p>
<p>Côté équipementier, l’Angleterre a signé avec Umbro (depuis septembre 2020, pour un contrat de 4 ans à <a href="https://sportune.20minutes.fr/marketing/rugby-umbro-va-habiller-le-xv-de-la-rose-les-details-du-contrat-234381">22,8 millions de livres sterling</a> (26,7 millions d’euros) et l’équipe de France avec Le Coq sportif (de <a href="https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjcuvnQzPGEAxVPgv0HHee4Ck4QFnoECBMQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.sportbuzzbusiness.fr%2Frugby-combien-coute-le-nouveau-maillot-le-coq-sportif-du-xv-de-france-100-fabrique-en-france.html&usg=AOvVaw1TqTjNr50d_CvUr1WsaqVC&opi=89978449">2018 à 2024 pour 3,7 millions d’euros par an</a> et 1,9 million par an pour le rugby amateur).</p>
<p>Au bilan, l’Angleterre domine la France sur le terrain économique. Ce qui ne se reflètera bien entendu pas forcément sur l’issue d’une rencontre qui, quel que soit le résultat, reste à part dans le monde du rugby et du sport.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225921/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le nom donné à la rencontre entre la France et l’Angleterre, ce samedi 16 mars en clôture du Tournoi des six nations, revêt une dimension socio-culturel mais aussi marketing.Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFCFlorian Koch, Maitre de conférences, UFR Langues et communication, Université de Bourgogne – UBFCMatthieu Llorca, Maitre de conférences en économie, spécialiste des politiques économiques, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252072024-03-12T16:07:37Z2024-03-12T16:07:37ZÀ partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ?<p>Le 26 février, <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/guerre-en-ukraine-les-propos-complets-d-emmanuel-macron-sur-l-envoi-de-troupes-au-sol_AV-202402270832.html">Emmanuel Macron</a> a entrouvert la porte à un déploiement possible de troupes de l’OTAN au sol en Ukraine, « de manière officielle, assumée et endossée », jugeant que « rien ne [devait] être exclu pour poursuivre l’objectif qui est le nôtre : la Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre ».</p>
<p>La sortie du président de la République a suscité une levée de boucliers, tant du côté des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/27/les-allies-divises-sur-l-option-d-une-intervention-au-sol-en-ukraine_6218802_3210.html">principaux alliés de la France</a>, que des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cf-NE7VnP_E">partis d’opposition en interne</a>. Alors que les Occidentaux ont jusqu’à présent fait preuve d’une grande prudence vis-à-vis de la Russie, puissance dotée de l’arme nucléaire, la perspective du déploiement de troupes au sol est perçue comme une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/feb/29/emmanuel-macron-troops-ukraine-russia-france">escalade dangereuse</a>, à même de donner un nouveau statut aux partenaires de l’Ukraine : celui de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/envoi-de-troupes-occidentales-en-ukraine-l-hypothese-d-emmanuel-macron-deja-ecartee-par-de-nombreux-allies-20240227">cobelligérant</a>.</p>
<p>La polémique n’est pas neuve : depuis février 2022, chaque fois que les Occidentaux franchissent un pas supplémentaire dans leur réponse à l’invasion russe (en imposant de nouvelles sanctions ou en livrant de nouveaux types d’armes), quelques commentateurs se demandent si cela ne revient pas, cette fois-ci, à franchir le <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/cobelligerance-les-occidentaux-sont-ils-en-train-de-sengager-dans-le-conflit-en-ukraine">pas symbolique</a> qui ferait basculer la France en guerre – en guerre contre la Russie. De fait, à partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ? Où se situe concrètement la <a href="https://theconversation.com/comment-les-philosophes-de-lantiquite-pensaient-la-guerre-178494">frontière</a> entre la guerre et la paix ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/limpact-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-cooperation-militaire-franco-allemande-223671">L’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande</a>
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<h2>Les ambiguïtés du discours politique</h2>
<p>La France est-elle en guerre, ou est-elle sur le point d’entrer en guerre, en Ukraine ? À cette question pour le moins sensible, les responsables gouvernementaux français apportent des réponses étonnamment variables. Après avoir martelé, les <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284216-emmanuel-macron-02032022-ukraine-consequences-economiques">2 mars</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284517-emmanuel-macron-11032022-ukraine">11 mars</a> et <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/285102-emmanuel-macron-09052022-union-europeenne">9 mai 2022</a>, que « nous ne sommes pas en guerre », Emmanuel Macron déclare finalement, dans un discours sur la crise énergétique, le 5 septembre 2022, que <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/crise-energetique-nous-sommes-en-guerre-c-est-un-etat-de-fait-lance-emmanuel-macron_AV-202209050550.html">« nous sommes en guerre, c’est un état de fait »</a>, puis appelle, le 19 janvier 2024 à accélérer le passage à une <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/ukraine-emmanuel-macron-exhorte-l-industrie-de-defense-a-passer-en-mode-economie-de-guerre-988335.html">« économie de guerre »</a>.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2022, alors que <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284239-florence-parly-jean-baptiste-lemoyne-olivier-dussopt-01032022-ukraine">Florence Parly, la ministre des Armées de l’époque, écartait</a> devant les sénateurs l’envoi de troupes combattantes car cette option « ferait de nous des cobelligérants », son collègue de l’Économie, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/01/nous-allons-provoquer-l-effondrement-de-l-economie-russe-affirme-bruno-le-maire_6115679_823448.html">Bruno Le Maire, affirmait sur France Info</a> que la France et ses alliés s’apprêtaient à « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » (avant de faire marche arrière quelques heures plus tard, admettant que l’emploi du terme <em>guerre</em> était « inapproprié »).</p>
<p>Si elles peuvent être source de confusion, ces citations ont aussi le mérite de révéler deux caractéristiques des usages (et non-usages) politiques du terme de <em>guerre</em>.</p>
<p>Ce terme n’est pas réservé au champ de la conflictualité armée, mais se voit appliqué à de nombreux autres domaines – économique et énergétique ici, mais aussi diplomatique, informationnel, sanitaire, etc. – Emmanuel Macron n’avait-il pas déclaré, en 2020, la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/16/nous-sommes-en-guerre-retrouvez-le-discours-de-macron-pour-lutter-contre-le-coronavirus_6033314_823448.html">« guerre » au Covid</a> ? Ces emplois du terme de <em>guerre</em>, nous le verrons, s’écartent de l’emploi scientifique de celui-ci et constituent une forme d’abus de langage.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-ans-de-guerre-en-ukraine-comment-lue-sest-mobilisee-224028">Deux ans de guerre en Ukraine : comment l’UE s’est mobilisée</a>
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<p>Par ailleurs, il est évident que le choix politique de qualifier ou de ne pas qualifier un événement de « guerre » ne dépend pas en premier lieu de la nature réelle de cet événement, mais plutôt de l’intérêt politique perçu à mobiliser ou à ne pas mobiliser une rhétorique guerrière.</p>
<p>C’est ainsi que, sous le mandat Sarkozy, le gouvernement se refusait à parler de « guerre » pour qualifier la présence militaire française en Afghanistan (<a href="https://www.liberation.fr/france-archive/2008/08/27/deux-ministres-sur-la-defense_78758/">y compris après la mort de 10 soldats en opération à Uzbeen en 2008</a>), alors que le président déclarait la « guerre » aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20100730-nicolas-sarkozy-veut-faire-guerre-insecurite">« trafiquants et aux voyous »</a>, dans le cadre de son combat contre l’insécurité.</p>
<p>Ces usages et non-usages, à géométrie variable, du terme de <em>guerre</em> trahissent des stratégies discursives de la part des acteurs qu’il est intéressant d’étudier et de décrypter. Ils démontrent par ailleurs la distance qu’il peut y avoir entre l’emploi « politique » du terme et son emploi universitaire.</p>
<h2>La définition de la guerre en science politique</h2>
<p>Qu’est-ce que la guerre ? La théorie politique met en avant trois critères de définition de la guerre : son caractère collectif, son caractère violent et son caractère interactionnel.</p>
<p>Premièrement, la guerre est un phénomène collectif. Cela signifie qu’elle oppose non pas des individus, mais des groupes organisés les uns contre les autres. Ainsi que l’écrivait <a href="https://editions.flammarion.com/du-contrat-social/9782081275232">Jean-Jacques Rousseau</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La guerre n’est donc point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats. »</p>
</blockquote>
<p>La nature (étatique ou non) de ces groupes organisés n’est pas un critère de définition de la guerre. On peut parler de guerre même si l’un ou les deux acteurs aux prises ne sont pas des États au sens moderne du terme – tel était par exemple le cas de la guerre d’Afghanistan, lors de laquelle les forces françaises faisaient face à un mouvement insurrectionnel, les talibans.</p>
<p>Cette distinction est néanmoins utile pour établir des typologies, permettant par exemple de distinguer la guerre inter-étatique (entre États) de la guerre civile (à l’intérieur d’un État).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EYTnMHcta4Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les philosophes français face à la guerre : politique, morale, philosophie – Claudine Tiercelin, 2014, Collège de France.</span></figcaption>
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<p>Deuxièmement, la guerre se caractérise par l’emploi d’un instrument spécifique : la force armée. La guerre se distingue de l’absence de guerre (c’est-à-dire de la paix) non pas par l’existence d’un différend ou de tensions particulièrement vives, mais par le choix, commun aux deux acteurs, de tenter de régler ce différend au moyen de la violence. En cela, comme l’écrivait le théoricien <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">Carl von Clausewitz</a>, la guerre « est un conflit de grands intérêts réglé par le sang, et c’est seulement en cela qu’elle diffère des autres conflits ».</p>
<p>La définition de la paix à laquelle l’on arrive alors est une définition négative : la paix se définit par la simple absence de violence, indépendamment de l’existence ou non d’un sentiment d’amitié ou d’hostilité entre les groupes aux prises.</p>
<p>Troisièmement, la guerre est un phénomène interactionnel. Clausewitz la définissait d’ailleurs, dès la première page de son maître-ouvrage, <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html"><em>De la guerre</em></a>, comme « un duel à une plus vaste échelle ».</p>
<p>Cela signifie que la guerre n’est pas l’application unilatérale de la violence contre une cible passive, mais implique que les deux adversaires aient chacun fait le choix d’utiliser la violence contre l’autre. La guerre se caractérise ainsi par la « réciprocité d’action volontaire », pour reprendre la formule du sociologue <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/trait%C3%A9-de-pol%C3%A9mologie-sociologie-des-guerres-9782228883627">Gaston Bouthoul</a>. Par exemple, l’on considère que l’occupation militaire de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938 ne constitue pas une guerre car l’armée autrichienne n’a pas cherché à y résister ; à l’inverse, l’invasion de Pologne en 1939 peut quant à elle être qualifiée de guerre du fait de la résistance (même brève) des forces polonaises.</p>
<p>En synthèse, on peut dire que la guerre se définit par la réciprocité du recours à la force entre groupes organisés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/arthur-pourquoi-les-hommes-aiment-ils-la-guerre-et-sentretuent-ils-131593">Arthur : « Pourquoi les hommes aiment-ils la guerre et s’entretuent-ils ? »</a>
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<h2>La France est-elle en guerre en Ukraine ?</h2>
<p>À l’aune de cette définition, comment qualifier aujourd’hui l’action de la France dans le contexte de la guerre en Ukraine ? Il convient tout d’abord de noter que l’on ne peut pas parler de « guerre » au sujet des sanctions adoptées contre la Russie : celles-ci relèvent en effet d’un répertoire d’actions (économique, diplomatique, etc.) qui est matériellement et symboliquement distinct de l’emploi de la violence physique.</p>
<p>Prendre des mesures de représailles contre un État ne suffit pas pour créer une situation de guerre tant que ces mesures n’impliquent pas le recours à la force. À ce titre, parler de « guerre économique » constitue un abus de langage : ce qui fait la spécificité de la guerre, nous l’avons dit, est <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">« le caractère particulier des moyens qu’elle met en œuvre »</a>, à savoir, la violence armée.</p>
<p>Qu’en est-il de l’aide militaire apportée par la France à l’Ukraine ? Là encore, on ne peut pas qualifier cette action de « guerre ». En effet, transférer des matériels militaires à un autre État n’équivaut pas au fait d’employer soi-même ces matériels militaires contre un acteur tiers. Si la France aide l’Ukraine à combattre contre la Russie, la France ne recourt pas elle-même à la force armée contre la Russie (pas plus que la Russie ne recourt à la force contre la France).</p>
<p>Le critère de la réciprocité de l’emploi de la violence n’est donc pas rempli. Pour pouvoir parler de guerre, il convient qu’il y ait une participation directe aux hostilités, au travers d’un emploi, en propre, de la violence.</p>
<p>L’expression « guerre par procuration » est donc là aussi à ne pas prendre au pied de la lettre : en l’absence d’une implication directe dans les combats eux-mêmes, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une guerre.</p>
<p>Qu’en est-il, enfin, de la potentielle présence de troupes au sol en Ukraine ? La réponse à cette question dépend de la mission qui leur serait confiée : si ces troupes ne participent pas elles-mêmes aux hostilités, mais agissent à des fins de collecte de renseignements, de maintien en conditions opérationnelles des équipements militaires, de formation des soldats ukrainiens, etc., on ne peut pas parler de guerre ou de cobelligérance. Ces actions de soutien ne constituent pas une forme d’usage de la force et ne feraient pas basculer la France d’une situation de paix à une situation de guerre avec la Russie.</p>
<p>En revanche, s’il s’agissait de troupes combattantes, participant directement aux opérations de combat, alors le seuil de la cobelligérance serait franchi. De même, si les soldats sur place contribuaient à opérer certains équipements militaires (de type missiles longue portée), c’est-à-dire, s’ils ne se contentaient pas d’aider à l’entretien des ces équipements mais participaient directement de leur emploi contre les forces russes, l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une forme de recours à la force, et donc, de cobelligérance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Schu est membre de l'Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES). </span></em></p>Où se situe concrètement la frontière entre la guerre et la paix dans une situation de conflit ?Adrien Schu, Maitre de conférences en sciences politiques, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2253072024-03-12T16:06:25Z2024-03-12T16:06:25ZLa France, un paradis fiscal… pour le Qatar ?<p><a href="https://www.capital.fr/economie-politique/en-visite-en-france-lemir-du-qatar-sort-le-gros-cheque-pour-investir-dans-notre-economie-1492913">10 milliards d’euros</a>. Telle est la somme que l’émir du <a href="https://theconversation.com/topics/qatar-39492">Qatar</a>, lors de sa récente visite à Paris, a annoncé vouloir investir d’ici à 2030 dans l’économie française.</p>
<p>Le montant n’a pas manqué de faire réagir. La venue de l’émir intervenait alors que le dossier du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/06/qatargate-l-enquete-belge-risque-l-enlisement_6209394_3210.html">« Qatargate »</a> n’est pas clos : l’État du Golfe est accusé <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/le-qatargate-est-une-affaire-criminelle-et-n-a-aucun-rapport-avec-le-lobbying/">d’avoir tenté de corrompre des parlementaires européens</a>. Il est également suspecté de <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cll7nmeev6eo">financer des organisations classées terroristes</a>, dont le Hamas, qui est inscrit sur la <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:151:0045:0050:EN:PDF">liste de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Sans compter les pratiques de <em>soft power</em> mises à jour par les différents <a href="https://www.tallandier.com/livre/le-qatar-en-100-questions/">ouvrages</a> des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Il serait ainsi naïf de croire que les <a href="https://theconversation.com/topics/investissement-20236">investissements</a> du Qatar sont dénués de toute intention politique. Une autre question se pose également : ces investissements vont-ils rapporter de l’argent à l’État français ? L’analyse non exhaustive de la <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_convention-avec-le-qatar_fd_2100.pdf">convention fiscale France-Qatar</a> montre que cela est loin d’être évident.</p>
<h2>Tout commence par l’immobilier</h2>
<p>La presse s’est déjà fait l’écho d’<a href="https://photo.capital.fr/ces-fleurons-francais-desormais-aux-mains-du-qatar-17024#les-hotels-carlton-martinez-et-majestic-de-cannes-303176">acquisitions immobilières impressionnantes</a>, en particulier à Cannes, réalisées par des sociétés ou des familles qatariennes. À partir du moment où le patrimoine immobilier situé en France a une valeur supérieure à 1,3 million d’euros, un non-résident est théoriquement assujetti à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI), mais cela sous réserve des conventions internationales.</p>
<p>En l’occurrence, l’<a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_convention-avec-le-qatar_fd_2100.pdf#page=11">article 17</a> de la convention France-Qatar stipule :</p>
<blockquote>
<p>« La fortune constituée par des biens immobiliers visés à l’article 5, que possède un résident d’un État et qui sont situés dans l’autre État, est imposable dans cet autre État si la valeur de ces biens immobiliers est supérieure à la valeur globale des éléments suivants de la fortune possédée par ce résident. »</p>
</blockquote>
<p>Ces « éléments » sont principalement des obligations et des actions de sociétés cotées résidentes. Il résulte ainsi du texte que des actions de sociétés cotées situées en France ne seront pas considérées comme un bien immobilier pour un Qatarien (et réciproquement) même en ce qui concerne les sociétés détenant essentiellement des actifs immobiliers. Cet investissement n’entrera donc pas dans le calcul de la valeur des biens immobiliers : autrement dit, pour éviter d’être assujettis à l’IFI, les Qatariens sont incités à investir dans des sociétés cotées ou dans des obligations d’État.</p>
<p>Les cas d’exonération sont encore plus larges dans les faits : l’administration fiscale a même <a href="https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/949-PGP.html/identifiant=BOI-INT-CVB-SAU-20200122">précisé</a> qu’il fallait tenir compte des actions cotées sur un marché boursier d’un État membre de l’Union européenne et non uniquement de celles cotées sur le marché français ainsi que des créances sur les États membres de l’UE, leurs collectivités territoriales ou institutions publiques. Les établissements de crédit résidents d’un État membre de l’UE n’ont, eux, pas besoin d’être cotés en bourse.</p>
<h2>Puis, il y a les dividendes</h2>
<p>On peut par ailleurs lire à l’article 8 de la Convention :</p>
<blockquote>
<p>« Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État à un résident de l’autre État ne sont imposables que dans cet autre État si la personne qui reçoit ces dividendes en est le bénéficiaire effectif. »</p>
</blockquote>
<p>Les dividendes versés par des sociétés françaises détenues par des Qatariens, personnes physiques ou morales, sont ainsi imposés au Qatar. Ce mécanisme classique, et usuel, en fiscalité internationale comprend néanmoins plusieurs nuances non négligeables dans ce cas.</p>
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<p>Tout d’abord, contrairement à ce qui est prévu dans de nombreuses conventions fiscales signées avec d’autres pays – par exemple entre la France et le Luxembourg –, la France ne s’est pas réservé la possibilité d’imposer les dividendes qui partent pour le Qatar.</p>
<p>Comme il n’y a pas d’imposition prenant pour assiette les dividendes au Qatar, il est tentant pour un investisseur français de vendre son action à un investisseur qatarien qui reçoit les dividendes et est exonéré de taxes. Il restitue ensuite l’action et les dividendes à l’investisseur français qui, ayant échappé à la taxe, n’a plus qu’à lui verser une commission pour le service rendu. <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/dividendes-les-conventions-fiscales-avec-les-pays-du-golfe-dans-le-viseur-des-deputes-1360190">Les parlementaires se sont saisis de la question</a> mais il est difficile de penser que des modifications seront introduites dans la Convention fiscale après l’annonce par le Qatar qu’il s’apprête à investir 10 milliards d’euros en France.</p>
<p>Enfin, la convention précise que les revenus immobiliers, les dividendes ou les gains de capital qui sont réalisés en France par des sociétés qatariennes et partent ensuite au Qatar ne subissent pas la retenue usuelle à la source de 30 %.</p>
<p>Bref, les sociétés qatariennes sont incitées à investir en France en parallèle à leurs acquisitions immobilières et elles bénéficient alors également, en matière de dividendes, d’un traitement dérogatoire.</p>
<h2>Puis, il y a les intérêts</h2>
<p>Imaginons désormais une société française qui s’endette auprès d’une société mère qatarienne. Ce mode de financement aboutit à réduire le bénéfice imposable de la société française qui doit acquitter les mensualités d’emprunt et à enrichir la société qatarienne qui récupère les intérêts. Là encore, contrairement à ce qui a pu être stipulé dans d’autres conventions ratifiées par la France – par exemple, la convention entre la France et Israël –, dans ses relations avec le Qatar, la France ne dispose d’aucune possibilité, selon l’article 9, d’imposer de tels flux financiers.</p>
<p>Imaginons que cet emprunt conclu auprès d’une société étrangère aboutisse à l’acquisition d’une immobilisation pour la société française. Celle-ci sera en droit d’amortir son coût sur plusieurs années et de réduire d’autant son bénéfice en application des règles comptables et fiscales en vigueur en France, qui est en outre le lieu de situation de l’immeuble. Dans cette hypothèse théorique, d’une part le flux financier emprunté n’est pas fiscalisé et la société qatarienne encaisse « net d’impôt » les remboursements, et d’autre part, en France, la société française réduit le montant de son imposition.</p>
<p>Reprécisons que ce mécanisme n’est pas spécifique aux entreprises détenues par des fonds ou des sociétés qatariennes, mais il se cumule avec tout un ensemble d’exonérations.</p>
<h2>Puis, les redevances et enfin, les plus-values</h2>
<p>Outre l’immobilier, les dividendes et les intérêts, il faut regarder du côté des redevances. Les redevances sont les sommes que doit acquitter une société pour pouvoir exploiter un brevet ou une image. Si ces droits sont détenus par une société étrangère, la société française qui souhaite les exploiter doit passer un contrat avec cette société et la rémunérer en contrepartie. Conformément à l’article 10 de la convention France-Qatar, et contrairement par exemple à la convention France-Espagne, ces sommes permettent de réduire le bénéfice imposable en France. Une société qatarienne qui verse une redevance à la France verra son assiette d’imposition réduite d’autant. Dans l’autre sens, la redevance perçue par une société du Golfe ne sera-t-elle pas imposée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1657468591254405120"}"></div></p>
<p>Pour ce qui concerne enfin les plus-values, celles provenant de la vente de biens immobiliers (ou de droits dans une société dont l’actif est constitué pour plus de 80 % d’immeubles) situés en France sont en principe imposables en France selon l’article 11. C’est oublier que la convention a été complétée par des avenants. Celui du <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_avenant-a-la-convention-avec-le-qatar-du-14.01.2008_fd_4587.pdf">14 janvier 2008</a> prévoit notamment l’exonération des plus-values de cession réalisées par l’autre État, sa banque centrale ou une institution financière publique mais également les gains provenant de l’aliénation de parts d’une société dont l’actif est constitué pour plus de 80 % de biens immobiliers.</p>
<p>En résumé, l’investissement de 10 milliards d’euros pourrait bien bénéficier d’une rentabilité maximale. Mais ce n’est pas tout. Les entreprises qatariennes, comme toutes les entreprises exploitées en France, utilisent pleinement les crédits d’impôt, dont <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-credit-dimpot-recherche-rapport-cnepi-2021">l’efficacité est loin d’être démontrée</a>, mais qui assurent avec certitude aux entreprises un apport en trésorerie. Si, comme annoncé, le Qatar investit dans l’intelligence artificielle, il profitera pleinement du crédit impôt-recherche.</p>
<p>Enfin, une partie des sommes annoncées a vocation à être gérée par la BPI en dépit des poursuites en cours en raison de soupçons de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/bpifrance-enquete-ouverte-pour-des-soupcons-de-prise-illegale-d-interets-978059.html">prise illégale d’intérêts</a>. Pour le dire autrement, l’État du Golfe suspecté d’être à l’origine du plus grand scandale de corruption en Europe va investir en France via une structure dont la déontologie est remise en question. Des élus, à l’instar de la sénatrice Anne-Catherine Loisier qui a déposé à ce sujet une <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ181208007.html">question écrite</a> le 6 décembre dernier, interpellent déjà l’exécutif sur le manque à gagner entraîné par les « avantages fiscaux » accordés au Qatar.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Qatar a certes promis 10 milliards d’euros d’investissement en France d’ici 2030, mais il bénéficie d’une convention fiscale bilatérale particulièrement avantageuse.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251102024-03-06T16:12:05Z2024-03-06T16:12:05ZLes JO, Mondiaux de football et consorts boostent-ils le tourisme ? Pas forcément…<p>Cela fait un sujet de dispute en moins. En maintenant cet été les <a href="https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/paris-2024/paris-2024-les-bouquinistes-sont-heureux-et-soulages-de-pouvoir-rester-sur-les-quais-de-seine_6364039.html">bouquinistes de Paris sur les quais de Seine</a>, le gouvernement français a clos une des nombreuses polémiques liées à l’organisation des Jeux olympiques à Paris.</p>
<p>À moins de six mois de l’événement, les Parisiens continuent toutefois de se plaindre de <a href="https://www.ouest-france.fr/jeux-olympiques/cest-aberrant-ce-maire-vient-dapprendre-que-sa-ville-accueillera-les-jeux-de-paris-ab1fa968-cfd1-11ee-89c0-6cefac77e04a">l’absence de consultation de la population locale</a>, des <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/transport-et-jo-2024-la-crainte-du-grand-embouteillage-reste-tres-presente-20231208">prévisions d’embouteillages</a>, de la fermeture de certaines stations de métro et de l’implantation renforcée de caméras de surveillance… Est-ce une manifestation supplémentaire de l’esprit frondeur des habitants de la capitale française ? Ou ces critiques sont-elles fondées ? Au-delà des Parisiens, la capitale française étant une destination prisée, que sait-on de l’impact de l’organisation des événements sportifs internationaux sur la fréquentation touristique ?</p>
<p>Quant à l’effet de l’accueil d’événements sportifs à grande échelle sur les visites touristiques, l’impact global doit prendre en compte deux effets qui peuvent être contradictoires. Même s’ils peuvent avoir un impact positif sur le nombre de visiteurs, ils peuvent aussi avoir des conséquences négatives si les touristes « réguliers » boudent soudain cette destination en raison de l’événement.</p>
<p>Cela peut être dû aux infrastructures surchargées, à la forte augmentation des coûts d’hébergement et aux inconvénients liés à la surpopulation ou à des visiteurs bruyants et/ou violents. En outre, les reportages sur la pauvreté ou la criminalité dans les médias mondiaux peuvent rendre certaines destinations beaucoup moins attrayantes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une vue de la tour Eiffel avec les anneaux olympiques ajoutés au premier plan" src="https://images.theconversation.com/files/579903/original/file-20240305-30-y8m8w6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/579903/original/file-20240305-30-y8m8w6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/579903/original/file-20240305-30-y8m8w6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/579903/original/file-20240305-30-y8m8w6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/579903/original/file-20240305-30-y8m8w6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/579903/original/file-20240305-30-y8m8w6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/579903/original/file-20240305-30-y8m8w6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les villes hôtes doivent généralement franchir de nombreuses étapes avant de pouvoir commencer à profiter des retombées d’événements sportifs de grande envergure tels que les Jeux olympiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Peter Skitterians/Pixabay</span></span>
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<p>Dans un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/15270025231206393">article</a> publié récemment dans le <em>Journal of Sports Economics</em> avec Igor Drapkin et Ilya Zverev, nous avons évalué les effets de l’organisation d’événements sportifs à grande échelle, tels que les Jeux olympiques d’hiver et d’été et les Coupes du monde de la FIFA, sur la venue de touristes internationaux. Nous utilisons un ensemble complet de données sur les flux de touristes couvrant les plus grands pays de destination et d’origine du monde entre 1995 et 2019.</p>
<h2>Des effets contrastés</h2>
<p>Dans un premier temps, nous avons construit un modèle économétrique qui prédit efficacement le flux de touristes entre n’importe quelle paire de pays dans nos données. Nous avons ensuite comparé les flux touristiques prédits dans un scénario hypothétique où aucun événement sportif de grande envergure n’aurait eu lieu avec les chiffres réels.</p>
<p>Si les chiffres réels dépassent les prévisions, nous considérons que l’événement a un impact positif net. Dans le cas contraire, nous considérons qu’il a eu un effet d’éviction sur les touristes « réguliers ». Dans le cadre de cette analyse, nous avons fait la distinction entre le court terme (c’est-à-dire l’année de l’événement) et le moyen terme (l’année de l’événement et les trois années suivantes).</p>
<p>Nos résultats montrent que les effets des événements sportifs de grande envergure varient considérablement d’un pays hôte à un autre : les coupes du monde de 2002 au Japon et en Corée du Sud et de 2010 en Afrique du Sud ont donné lieu à une nette augmentation des arrivées de touristes, alors que toutes les autres éditions ont eu un effet neutre ou négatif.</p>
<p>En ce qui concerne les Jeux olympiques d’été, les Jeux de 2008 à Pékin sont les seuls à avoir un effet positif significatif sur les arrivées de touristes dans le pays. Les effets des quatre autres événements (Sydney 2000, Athènes 2004, Londres 2012 et Rio 2016) se sont révélés négatifs à court et à moyen terme. En ce qui concerne les Jeux olympiques d’hiver, le seul cas positif est celui de la Russie en 2014. Les cinq autres événements ont eu un impact négatif, à l’exception de l’effet neutre d’une année pour le Japon en 1998.</p>
<p>À la suite d’événements sportifs de grande envergure, les pays hôtes sont donc généralement moins visités par les touristes. Sur les 18 pays hôtes étudiés, 11 ont vu le nombre de touristes diminuer sur quatre ans et trois n’ont pas connu de changement significatif.</p>
<h2>Un effet incertain pour Paris</h2>
<p>Nos recherches indiquent que l’effet positif de l’organisation d’événements sportifs de grande envergure sur les flux touristiques est, au mieux, modéré. Si de nombreux touristes sont attirés par les Coupes du monde de la FIFA et les Jeux olympiques, l’effet d’éviction des touristes « réguliers » est important et souvent sous-estimé.</p>
<p>Cela signifie que l’afflux des touristes qui viennent assister à un événement tel que les Jeux olympiques dissuade généralement ceux qui seraient venus pour d’autres raisons. Par conséquent, les efforts visant à attirer de nouveaux visiteurs doivent s’accompagner d’efforts visant à retenir ceux qui viennent déjà en temps normal.</p>
<p>Les événements sportifs de grande envergure doivent être considérés comme un élément d’une politique à long terme de promotion d’un territoire auprès des touristes plutôt que comme une solution isolée. Nos recherches ont fait ressortir un élément révélateur. En effet, il est plus facile d’obtenir une augmentation nette des entrées de visiteurs dans les pays qui sont des destinations touristiques moins populaires en temps normal, par exemple, les pays d’Asie ou d’Afrique.</p>
<p>En revanche, les États-Unis et l’Europe, deux destinations traditionnellement très prisées des touristes, ne présentent aucun cas d’effet positif net. En d’autres termes, les événements sportifs de grande envergure organisés en Asie et en Afrique ont contribué à promouvoir leurs pays d’accueil en tant que destinations touristiques, ce qui semble justifier l’investissement initial. À l’inverse, les événements organisés au cours des dernières décennies aux États-Unis et en Europe n’ont guère rapporté, du moins en termes d’afflux de touristes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les travaux d'Ivan Savin ont reçu le soutien de la Russian Science Foundation (grant number 19-18-00262).</span></em></p>Les grands événements sportifs comme les Jeux olympiques stimulent-ils la fréquentation touristique ? La réponse n’est pas simple car le public amateur de sport peut évincer les visiteurs habituels.Ivan Savin, Associate Professor of Quantitative Analytics, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2244542024-03-04T16:55:16Z2024-03-04T16:55:16ZDiriger un établissement scolaire à l’ère post-Covid : des risques psychosociaux qui persistent<p>Au printemps 2023, alors que la pandémie Covid-19 passait à l’arrière-plan des préoccupations mondiales, le <a href="https://www.educationsolidarite.org/barometre-i-best-2023/">Baromètre I-BEST</a> (International barometer of education staff) s’est penché sur le vécu professionnel et le bien-être des personnels de l’éducation à travers le monde. Parmi les 26 000 participants issus de quatre continents, près d’un millier étaient des chefs d’établissements scolaires, essentiellement en France, en Espagne et en Argentine.</p>
<p>Les personnels de direction des écoles, des collèges ou des lycées assurent au quotidien les missions administratives et pédagogiques indispensables au bon fonctionnement de la structure placée sous leur responsabilité, rendant ainsi l’environnement propice à l’apprentissage des élèves qui la fréquentent. Ces professionnels doivent faire face à des <a href="https://www.aderae.ca/wp-content/uploads/2017/12/Revue_ERAdE_Vol1_No1_Pelletier.pdf">contraintes spécifiques</a> : charge importante de travail et horaires irréguliers, omniprésence de problèmes notamment d’ordre relationnel, isolement lié à la position, etc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseigner-en-france-en-espagne-au-royaume-uni-un-bien-etre-professionnel-qui-se-degrade-214778">Enseigner en France, en Espagne, au Royaume-Uni : un bien-être professionnel qui se dégrade ?</a>
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<p>La pandémie Covid-19, en plaçant les personnels de direction en première ligne dans l’organisation aussi bien des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/24/nos-ecoles-continuent-de-tourner-le-quotidien-des-chefs-d-etablissement-pendant-le-confinement_6034173_3224.html">périodes d’école à la maison</a> que de retour sur site, a encore renforcé les défis du métier. Mais alors, en 2023, quels sont les facteurs de <a href="https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%208002">risques psychosociaux</a> auxquels sont soumis ces personnels et comment vont-ils au décours de la crise sanitaire ?</p>
<h2>Des risques psychosociaux bien présents</h2>
<p>Les personnels de direction des établissements d’enseignement qui ont participé au baromètre I-BEST 2023 exerçaient presque tous dans l’enseignement public. Dans l’échantillon français, 80 % y exerçaient dans le premier degré. Dans les échantillons espagnol et argentin, les personnels de direction du second degré (cheffes et chefs d’établissement) étaient un peu plus représentés : 51 % et 35 % des échantillons respectivement.</p>
<p>Au regard des sex-ratios des échantillons de répondants, le métier de personnel de direction des établissements d’enseignement dans ces 3 pays apparaît largement féminisé avec plus de deux tiers de femmes, et même près de 9 sur 10 en Argentine. On remarque tout de même que la présence masculine augmente avec le niveau d’enseignement.</p>
<p>Constat partagé par les personnels de direction des trois pays enquêtés : le volume de travail est important et le stress omniprésent. Au moins deux tiers des personnels de direction qualifient d’assez ou de très stressant leur métier (respectivement 86 % en France, 78 % en Espagne et 67 % en Argentine) et ce ressenti est significativement moins favorable que celui de leurs collègues enseignants (73 % des enseignants en France, 65 % en Espagne et 46 % en Argentine).</p>
<p>En moyenne, un personnel de direction travaille plus de 40 heures par semaine, de l’ordre d’une cinquantaine d’heures hebdomadaire en France dans le second degré par exemple. D’ailleurs, le sentiment de déséquilibre vie professionnelle/personnelle est largement répandu pour ces personnels (Figure 1).</p>
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<p>Si les facteurs d’intensité du travail sont bien présents dans le métier, les personnels de direction semblent a contrario bénéficier d’une bonne autonomie de travail, avec une très large majorité des répondants qui la qualifie de « bonne » ou du moins de « relative ». En France tout de même, 1 personnel de direction sur 6 considère avoir peu ou pas d’autonomie au travail et la fréquence de cette opinion négative contraste défavorablement avec celle de leurs collègues enseignants (Figure 1).</p>
<p>Plus préoccupant : l’exposition des personnels de direction des établissements d’enseignement à la violence professionnelle. En France, 1 personnel de direction sur 2 a été victime de violence au travail dans les 12 derniers mois, là où 1 enseignant sur 3 déclarait déjà avoir été victime. Pour les personnels de direction en Espagne et Argentine, la violence au travail semble moins courante qu’en France, et à peu près aussi fréquente que celle rapportée par les personnels enseignants de ces pays, mais reste non négligeable : 18 % de personnels de direction victimes dans l’année écoulée en Espagne et 26 % en Argentine (Figure 1).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bien-etre-des-enseignants-apres-la-pandemie-une-eclaircie-tout-depend-du-pays-219529">Bien-être des enseignants : après la pandémie, une éclaircie ? Tout dépend du pays</a>
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<p>Toutefois, lorsqu’elles sont considérées « en général », les relations qu’entretiennent les personnels de direction avec les différents membres de la communauté éducative sont évaluées très positivement, et cette opinion tend à être meilleure que celle exprimée par leurs collègues enseignants. Ainsi, le taux de satisfaction des personnels de direction est presque de 100 % concernant la relation avec les élèves et dépasse 90 % pour la relation avec les parents et les autres membres du personnel respectivement. La relation avec la ligne hiérarchique prête à un peu plus de réserve, en particulier en France. Les personnels de direction apparaissent y plébisciter un meilleur soutien de la part des supérieurs, y compris sur les questions de qualité de vie au travail.</p>
<h2>Selon le pays, un bien-être contrasté</h2>
<p>Concernant les aspects motivationnels tels que les possibilités de formation, les opportunités de carrière et le niveau de salaire, l’avis des personnels de direction apparaît assez favorable en Argentine, intermédiaire en Espagne et plus négatif en France (Figure 3). Comparés aux enseignants, les personnels de direction semblent un peu plus satisfaits de leurs opportunités de carrière et de leur salaire.</p>
<p>Si, dans les trois pays, une grande majorité des personnels de direction considèrent que leur métier n’est pas valorisé dans la société (93 % en France, 81 % en Espagne, 71 % en Argentine), cette opinion négative des personnels de direction reste toutefois légèrement moins répandue que parmi leurs collègues enseignants.</p>
<p>Qu’en est-il globalement de la satisfaction au travail des personnels de direction ? En Espagne et en Argentine, elle se maintient, avec plus de 7 personnels de direction sur 10 qui choisiraient le métier si c’était à refaire. En France, avec seulement la moitié des personnels qui choisiraient de nouveau ce métier, la satisfaction apparaît entamée.</p>
<p>En cohérence, les indicateurs de bien-être généraux des personnels de direction indiquent une situation préoccupante en France, intermédiaire en Espagne et plus favorable en Argentine, que l’on s’intéresse au bien-être subjectif, ou encore à la santé mentale.</p>
<p>Notamment, le bien-être subjectif des personnels de direction apparait particulièrement fragilisé en France, avec au moins un personnel sur 2 qui se situe sur la partie inférieure d’une échelle à 8 degrés (Figure 4). La santé psychologique est non seulement préoccupante en France, mais aussi en Espagne, avec plus de 4 personnels de direction sur 10 qui ressentent souvent, très souvent ou toujours, des sentiments négatifs tels que l’anxiété ou la dépression dans ces deux pays (Figure 4).</p>
<p>Au final, dans trois pays aux conjonctures, cultures et systèmes éducatifs divers, les personnels de direction apparaissent exposés à des risques psychosociaux significatifs. Le bien-être subjectif des personnels de direction est néanmoins plus contrasté selon le pays. En décrivant ces situations à partir de données récentes, I-BEST contribue à identifier des voies d’améliorations tenant compte de la réalité du terrain. En particulier, les facteurs et organisations dans les pays où les indicateurs de bien-être sont les plus favorables représentent autant de <a href="https://www.cnesco.fr/le-bien-etre-a-lecole/">pistes à considérer</a> pour les pays où de fortes marges de progression existent.</p>
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<p><em>Remerciement : le Réseau Éducation et Solidarité et tous ses partenaires pour la mise en œuvre d’I-BEST ; Nathalie Billaudeau pour les statistiques et les figures ; Nathalie Billaudeau, Pascale Lapie-Legouis, Karim Ould-Kaci, Ange-Andréa Lopoa et Morgane Richard pour la relecture de l’article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224454/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Noël Vercambre-Jacquot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En première ligne pendant la pandémie de Covid, les personnels de direction ont vu les défis de leur métier se renforcer. Le baromètre I-BEST a évalué leur bien-être aujourd’hui.Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Chercheur épidémiologiste, Fondation d'entreprise pour la santé publiqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2242222024-02-28T15:38:28Z2024-02-28T15:38:28ZEn quoi les réseaux des expatriés français diffèrent-ils de ceux de leurs homologues allemands ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577541/original/file-20240223-26-aduz2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1316&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur quels réseaux s'appuyer lorsque l'on s'installe à l'étranger ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/a%C3%A9roport-terminal-homme-voyager-1822133/">Skitterphoto / Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Selon l’<a href="https://www.internations.org/expat-insider/">enquête Expat Insider 2023 d’InterNations</a>, l’<a href="https://theconversation.com/topics/allemagne-24115">Allemagne</a> et la France figurent parmi les premiers pays d’origine des <a href="https://theconversation.com/topics/expatriation-71271">expatriés</a> dans le monde : l’Allemagne occupe la quatrième place (derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Inde) et la France la sixième place (devancée par l’Italie). Les deux pays constituent aussi des pays d’accueil attractifs en la matière, avec la première place pour l’Allemagne et la sixième place pour la France. Les données montrent par ailleurs que 82 % des expatriés sont diplômés de l’enseignement supérieur, avec une moyenne d’âge de 46 ans.</p>
<p>Près de <a href="https://www.un.org/development/desa/pd/content/international-migrant-stock">2,3 millions de Français et 3,9 millions d’Allemands</a> vivent ainsi à l’étranger pour des motifs professionnels ou personnels. Ces derniers peuvent être envoyés par leur entreprise ou partir de leur propre initiative. Notre <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/CDI-06-2023-0162/full/html">travail de recherche</a> a tenté de mieux comprendre leur expérience et notamment les <a href="https://theconversation.com/topics/reseaux-22984">réseaux</a> professionnels et personnels sur lesquels elle repose.</p>
<p>L’étude est fondée sur 40 entretiens semi-directifs menés avec des expatriés français et allemands ayant une formation d’ingénieur ou de management. Les uns comme les autres cherchent, pendant leur période de travail à l’étranger, à maintenir les relations construites avant l’expatriation et à en créer de nouvelles. Il semble néanmoins que les expatriés français attachent une importance particulière aux réseaux personnels quand les expatriés allemands se focalisent davantage sur les réseaux professionnels. Sans doute cela a-t-il partie liée avec les <a href="https://theconversation.com/les-competences-interculturelles-lapprentissage-de-toute-une-vie-124445">caractéristiques culturelles</a> et le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/francais-et-allemands-ont-besoin-de-parler-la-langue-de-l-autre-pour-reussir-ensemble_6212282_3232.html">système d’enseignement supérieur</a> de leur pays d’origine.</p>
<h2>Pour la France, la force des réseaux d’alumni</h2>
<p>La France se caractérise par une <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-658-05700-8">forte distance hiérarchique mais un contexte plus informel</a> où les espaces professionnels et personnels s’entremêlent. Les relations personnelles peuvent dès lors jouer un rôle important dans les parcours professionnels, notamment entre les individus ayant suivi les mêmes formations.</p>
<p>Les expatriés français s’appuient plus particulièrement sur les réseaux construits durant leurs études supérieures, notamment dans les Grandes Ecoles qui gèrent des <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-grandes-ecoles-soignent-leurs-reseaux-danciens-197724">réseaux importants d’alumni</a>. La vie associative qui leur est liée constitue un moyen de maintenir des relations mais aussi d’en créer plus simplement de nouvelles en arrivant à l’étranger, avec d’autres anciens déjà sur place. Nicolas, par exemple, diplômé d’une école d’ingénieur, souligne l’importance des expériences communes qui sont partagées entre les anciens camarades et qui font d’eux des amis pour la vie :</p>
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<p>« Nous avons une histoire commune, une vie étudiante commune, des cours et des examens communs, des vacances communes, des fêtes communes. C’est la vie. »</p>
</blockquote>
<p>Isabelle, diplômée d’une école de commerce, déclare, elle, avoir pu garder le contact avec ses anciens camarades grâce au groupe d’alumni qu’elle a rejoint en Allemagne :</p>
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<p>« Notre école a un bon groupe d’anciens à Munich. Via notre école, le réseau est bien organisé. »</p>
</blockquote>
<h2>S’appuyer sur l’employeur côté allemand</h2>
<p>En ce qui concerne les expatriés allemands, ceux-ci restent plutôt en contact avec des anciens collègues de travail et leur réseau relève davantage de leur responsabilité individuelle. Ils ont suivi leurs études d’ingénieur ou de management dans des universités qui proposent des formations plus théoriques ou des écoles de sciences appliquées (<em>Fachhochschulen</em>) qui sont <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/lallemagne-face-au-choc-pisa-des-reformes-un-rebond-et-une-rechute-2IVJ6ZZOURDKNLFZERHTCGUYCU/">plus orientées vers la pratique</a>. Daniela, diplômée d’une université allemande, explique que c’est surtout grâce à son employeur qu’elle s’est intégrée à l’étranger :</p>
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<p>« Comme l’entreprise était internationale, les salariés étaient envoyés à travers le monde entier. Déjà à travers la structure de l’entreprise, j’avais un réseau international. Et j’ai toujours essayé de garder le contact. »</p>
</blockquote>
<p>Angela, diplômée d’une école de sciences appliquées, souligne en plus de cela l’importance de la destination choisie :</p>
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<p>« New York, c’est aussi une belle destination de vacances. J’ai eu beaucoup d’invités. Lorsque vous êtes dans une ville intéressante, les gens pensent davantage à vous que lorsque vous êtes en Allemagne. »</p>
</blockquote>
<p>L’Allemagne est plus globalement marquée par une plus faible distance hiérarchique mais une <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-658-05700-8">plus forte distinction entre les espaces professionnels et personnels</a>. C’est aussi pourquoi les relations personnelles occupent une place moins importante dans les parcours professionnels tandis que la plus faible distance hiérarchique facilite le développement de relations professionnelles au sein des entreprises.</p>
<h2>Accompagner les désirs d’ailleurs</h2>
<p>Si les différences constatées entre la France et l’Allemagne sont donc prononcées, rappelons toutefois l’importance prises ces dernières années par les technologies numériques, qui facilitent la construction et le maintien des réseaux relationnels. De même qu’ils pourraient modifier les comportements des expatriés français et allemands, de même les systèmes d’enseignement supérieur évoluent et les <a href="https://www.lesechos.fr/start-up/ecosysteme/whu-luniversite-qui-fait-pousser-des-licornes-allemandes-2071326">réseaux d’alumni se multiplient aussi</a> dans les universités de l’autre côté du Rhin.</p>
<p>Nos conclusions donnent néanmoins quelques clefs pour les entreprises : mieux vaut prendre en considération ces différences constatées pour mieux <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2017-4-page-88.htm">accompagner leurs expatriés</a> durant leur période de travail à l’étranger et faciliter leur intégration au retour dans leur pays d’origine. D’autant qu’un <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/anne-de-guigne-le-vrai-sujet-tabou-en-france-c-est-l-emigration-20240107">sondage</a> réalisé en décembre 2023 révèle que 30 % des Français envisagent de s’expatrier. Ce chiffre atteint même 54 % pour les 18-24 ans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224222/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les expatriés français s’appliquent sur la force des réseaux alumnis des écoles quand leurs homologues allemands s’appuient bien davantage sur leur réseau professionnel. Pourquoi ?Ulrike Mayrhofer, Professeur des Universités à l'IAE Nice et Directrice du Laboratoire GRM, Université Côte d’AzurMatthias Walther, Docteur en philosophie, Université Jean-Moulin Lyon 3Noémie Dominguez, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2236712024-02-22T15:49:11Z2024-02-22T15:49:11ZL’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande<p>Comme le veut la coutume issue de la longue tradition d’amitié entre la France et l’Allemagne, le nouveau premier ministre français Gabriel Attal a réservé son premier déplacement à l’étranger en tant que chef du gouvernement à Berlin, le 5 février 2024. Il a assumé, lors de la conférence de presse conjointe donnée avec le chancelier Olaf Scholz, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/a-berlin-gabriel-attal-assume-les-divergences-avec-lallemagne-2074195">divergences existant entre les deux pays</a> sur de nombreux sujets, dont l’actuelle négociation de l’accord commercial avec le Mercosur. Ces divergences existent également dans le domaine de la coopération militaire bilatérale. Elles ne sont pas nouvelles, mais ont été réactivées par le contexte de la guerre en Ukraine et le réagencement de l’architecture de sécurité européenne.</p>
<p>Au cours de ces deux dernières années, <a href="https://ukandeu.ac.uk/the-effects-of-the-war-in-ukraine-on-european-defence-deeper-eu-integration/">l’UE a lancé un certain nombre d’initiatives</a> pour produire en commun des munitions (l’instrument <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/07/07/asap-council-and-european-parliament-strike-a-deal-on-boosting-the-production-of-ammunition-and-missiles-in-the-eu/">ASAP</a>, adopté en juillet 2023) et pour renforcer l’industrie de défense européenne (plan <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/10/09/edirpa-council-greenlights-the-new-rules-to-boost-common-procurement-in-the-eu-defence-industry/">EDIRPA</a> annoncé en septembre 2023), sans avoir résolu la question de son lien à l’OTAN et à l’allié américain. Or la guerre en Ukraine vient souligner la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/13/otan-les-etats-unis-toujours-indispensables-a-la-defense-de-l-europe_6216254_3210.html">dépendance des Européens à l’égard de Washington</a>, tant sur le plan stratégique que logistique et capacitaire.</p>
<p>Dans ce contexte, comment la guerre en Ukraine affecte-t-elle la coopération militaire franco-allemande sur le plan politico-stratégique ?</p>
<h2>Une crise révélatrice de divergences stratégiques antérieures</h2>
<p>C’est un truisme que de dire que les <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-6-page-37.htm">cultures stratégiques française et allemande sont différentes</a>. L’armée et la politique de défense, façonnées par l’histoire de chacun des deux pays et le fonctionnement du système politique interne, n’occupent pas la même place et n’exercent pas tout à fait les mêmes fonctions – en dehors de la fonction fondamentale de défense du territoire et des populations commune à toutes les armées.</p>
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<p>L’armée expéditionnaire française, héritière d’une longue tradition historique, ressemble peu à une Bundeswehr construite en 1955 dans le cadre de l’Alliance atlantique pour faire face à la menace conventionnelle soviétique pendant la guerre froide.</p>
<p>Pour autant, les dernières années de l’ère Merkel, si elles n’avaient pas gommé les différences stratégiques entre Paris et Berlin, avaient semblé converger vers l’idée d’une défense européenne plus substantielle à côté de l’OTAN, mobilisant, certes avec des sous-entendus divergents, la notion <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/11/2027-lannee-de-lautonomie-strategique-europeenne/">d’autonomie stratégique européenne</a> du côté français, et de souveraineté européenne du côté allemand.</p>
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<p>Mais malgré le <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/notes-cerfa/livre-blanc-allemand-2016-consolidation-consensus-de-munich">consensus de Munich</a> qui actait dès 2014 du côté de Berlin la nécessité, pour la première puissance économique européenne, de prendre davantage de responsabilités en matière de sécurité internationale et de défense, la France continuait à voir en l’Allemagne un partenaire circonspect sur ces sujets. La littérature académique ainsi que nombre d’experts ont longtemps considéré l’Allemagne comme une <a href="https://www.economist.com/special-report/2013/06/13/europes-reluctant-hegemon">« puissance réticente »</a>.</p>
<p>L’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 semblait avoir changé la donne : trois jours plus tard, le chancelier allemand annonçait un changement d’époque (<a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/d%C3%A9claration-gouvernementale-du-chancelier-f%C3%A9d%C3%A9ral-2009510"><em>Zeitenwende</em></a>). L’Allemagne prenait conscience que la guerre conventionnelle en Europe était possible, et qu’elle avait trop longtemps négligé ses budgets de défense et ses capacités, malgré les critiques récurrentes des commissaires parlementaires aux forces armées successifs, dont les rapports annuels dénonçaient <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230314-allemagne-l-arm%C3%A9e-manque-de-tout-dit-la-commissaire-parlementaire-%C3%A0-la-d%C3%A9fense-au-bundestag">l’état critique de la Bundeswehr</a>.</p>
<p>La France y avait alors vu l’occasion de travailler enfin de manière plus efficace avec l’Allemagne en matière de défense, et même de promouvoir la politique européenne de défense en adoptant notamment – en mars 2022 une <a href="https://ecfr.eu/article/the-eus-strategic-compass-brand-new-already-obsolete/">Boussole stratégique européenne</a> dont le chantier avait été lancé sous présidence allemande du Conseil de l’UE en 2020.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-petit-pas-inapercu-de-lue-vers-une-defense-commune-203011">Le petit pas inaperçu de l’UE vers une défense commune</a>
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<p>Mais très rapidement, les divergences stratégiques franco-allemandes ont refait surface : là où Paris a vu dans la guerre en Ukraine la confirmation de la nécessité d’enfin donner à l’UE une défense substantielle et basée sur ses propres forces, l’Allemagne, comme une majorité des autres États européens, y a au contraire forgé la conviction qu’il fallait renforcer l’OTAN.</p>
<p>Cette divergence d’analyse se traduit notamment par le lancement de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/LAllemagne-brandit-bouclier-antimissile-europeen-sans-France-2022-10-13-1201237611">l’initiative de défense aérienne européenne</a> (<em>European Sky Shield Initiative</em>) par le chancelier allemand, sans réelle concertation avec Paris et au détriment d’une souveraineté européenne en la matière, en écartant le système de défense proposé par la France et l’Italie (SAMP/T) au profit d’un système israélien soutenu par Washington (Arrow 3).</p>
<p>S’y ajoute l’achat sur étagère de matériel militaire américain (notamment des <a href="https://www.letemps.ch/monde/allemagne-lachat-chasseurs-f35-americains-confirme">avions de combat F-35</a>), démontrant clairement l’invariant de l’ancrage allemand dans le pilier transatlantique de la sécurité européenne, et la méfiance de Berlin (partagée haut et fort par de nombreux pays européens, au premier rang desquels la Pologne et les États baltes) à l’égard des velléités françaises d’une Europe de la défense autonome.</p>
<p>Pourtant, la France a également pris conscience de l’importance de consolider un pilier européen au sein de l’OTAN afin de mieux dialoguer avec ses partenaires européens. Mais les espoirs de changement majeur dans la politique de défense allemande ont rapidement été mitigés par les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/26/olaf-scholz-se-defend-d-avoir-tarde-a-approuver-la-livraison-de-chars-lourds-a-l-ukraine_6159390_3210.html">atermoiements du chancelier autour de la livraison de chars de combat à l’Ukraine en janvier 2023</a>, démontrant l’ambigüité allemande sur les questions militaires malgré le fonds spécial de 100 milliards débloqué pour rééquiper la Bundeswehr, et une <a href="https://www.pwc.de/de/pressemitteilungen/2024/die-deutschen-wollen-verteidigungsfaehiger-werden.html">opinion publique allemande en phase de transition sur les questions militaires</a>.</p>
<h2>Une coordination bilatérale en déclin</h2>
<p>Si le « moteur franco-allemand » de l’Europe semblait régulièrement à la peine avant 2022 (malgré la signature en 2019 du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/relations-franco-allemandes-le-traite-d-aix-la-chapelle-risque-d-etre-depasse-par-l-evolution-de-la-politique-mondiale_6212237_3232.html">Traité d’Aix-la-Chapelle</a>, dont la mise en œuvre fut perturbée par la pandémie de Covid), il paraît aujourd’hui grippé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/60-ans-apres-le-traite-de-lelysee-le-couple-franco-allemand-a-change-de-nature-217137">60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature</a>
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<p>Plusieurs facteurs peuvent être convoqués pour l’expliquer. Tout d’abord, l’élément interpersonnel, qui joue un rôle important dans la relation franco-allemande, n’est pas au beau fixe : si les rapports entre les deux ministres de la Défense ou entre l’ancienne ministre française des Affaires étrangères et son homologue allemande semblaient de bonne qualité, nombre d’observateurs ne peuvent que constater l’absence d’alchimie entre le président Macron et le chancelier Scholz, dont le style de gouvernement très personnel <a href="https://www.economist.com/europe/2023/04/05/who-does-olaf-scholz-listen-to">déroute d’ailleurs outre-Rhin</a>.</p>
<p>Ainsi, l’absence de référence à la France dans le discours du chancelier à Prague en août 2022 sur l’avenir de l’Europe, et le peu de consultation avec l’allié français traditionnel dans l’exercice de la rédaction de la toute première <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/lopposition-allemande-interpelle-olaf-scholz-sur-ses-relations-au-plus-bas-avec-la-france/">stratégie de sécurité allemande</a> publiée en juin 2023, sont venues confirmer des tensions franco-allemandes qui ont conduit à des <a href="https://theconversation.com/conseil-des-ministres-franco-allemand-un-report-sur-fond-de-ralentissement-economique-europeen-193227">reports</a> et à des diminutions de fréquence du conseil des ministres franco-allemand en 2022 et 2023. S’y est substitué, en dehors du conseil symbolique de janvier 2023 célébrant les 60 ans du traité de réconciliation, un séminaire bilatéral à Hambourg en octobre 2023 afin que les deux équipes gouvernementales puissent apprendre à mieux se connaître.</p>
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<p>De la même façon, en matière d’aide militaire et financière à l’Ukraine, les deux pays n’agissent pas de façon coordonnée, mais plutôt en relation bilatérale directe avec Kiev. L’Allemagne a contribué à cette aide à hauteur de 20 milliards d’euros (dont 17 milliards d’aide militaire) depuis 2022, là où la France n’aurait versé jusqu’à présent qu’autour de 1,7 milliard (dont 544 millions d’aide militaire) selon les <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">chiffres de l’Institute for World Economy de Kiel</a>. Paris s’est engagé à verser une <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lallemagne-sengage-a-soutenir-lukraine-militairement-a-long-terme-2076889">aide militaire supplémentaire de 3 milliards d’euros</a> lors de la visite du président Zelensky le 15 février 2024 à Paris, et Berlin a de son côté annoncé un milliard d’euros supplémentaires.</p>
<p>Enfin, sur le plan matériel, l’injection du fonds spécial de 100 milliards d’euros et la hausse importante du budget militaire allemand (estimé autour de <a href="https://www.zeit.de/news/2024-02/14/deutschland-meldet-rekordsumme-an-nato">2 % du PIB en février 2024</a>) ont intensifié la compétition industrielle déjà existante entre Paris et Berlin, remettant en cause le partage des tâches tacite en vigueur jusque-là entre la puissance économique allemande et la puissance militaire française. Ajoutons que ces derniers mois, les échanges entre les deux ministères de la Défense ont été émaillés par les aléas des projets de coopération industrielle militaire (notamment les <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/scaf-mgcs-derriere-les-discours-la-grande-panne-des-projets-militaires-franco-allemands_870322">programmes SCAF et MGCS</a>).</p>
<h2>Quel peut être l’avenir du partenariat franco-allemand en matière de défense ?</h2>
<p>Si les partenaires de Paris et Berlin ont par le passé souvent critiqué le poids du tandem franco-allemand dans la construction européenne, il semble aujourd’hui certain que celui-ci ne suffit pas, mais demeure une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/la-desunion-politique-de-la-france-et-de-l-allemagne-contribue-a-fragmenter-l-union-europeenne_6180154_3232.html">condition nécessaire</a> pour construire du consensus à Bruxelles, y compris sur les sujets militaires.</p>
<p>Une des leçons de la guerre en Ukraine en la matière est l’importance de mieux considérer les intérêts de sécurité des pays baltes et des pays d’Europe centrale et orientale, très critiques sur l’attitude de Paris et Berlin vis-à-vis de Moscou au début de la guerre, <a href="https://news.err.ee/1608613669/ft-baltic-politicians-annoyed-by-scholz-and-macron-s-putin-call">jugée trop compréhensive</a>. Un élément qui semble émerger en ce sens consiste à réinvestir le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/france-allemagne-et-pologne-relancent-le-triangle-de-weimar-pour-contrer-la-russie-2075825">triangle de Weimar</a>, la coopération franco-germano-polonaise étant rendue moins difficile par l’arrivée aux affaires à Varsovie du gouvernement pro-européen issu des élections de l’automne 2023.</p>
<p>Un second axe de rapprochement pour la France et l’Allemagne tient au facteur américain : l’élection présidentielle de 2024 pourrait favoriser un renforcement de l’Europe de la défense si Donald Trump revenait à la Maison Blanche, notamment au regard des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/14/otan-pourquoi-donald-trump-qualifie-t-il-les-allies-de-mauvais-payeurs_6216493_4355770.html">propos sans équivoque</a> qu’il a tenus en février 2024 sur la faiblesse de certaines contributions européennes au budget militaire de l’OTAN. C’est ce qui s’était produit entre 2016 et 2020, période d’avancées significatives pour la politique européenne de défense marquée notamment par le lancement de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:permanent_structured_cooperation">coopération structurée permanente</a>.</p>
<p>Même en cas de victoire démocrate, Paris et Berlin peuvent trouver une voie de rapprochement en travaillant sur la notion de pilier européen dans l’OTAN. <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-cour-des-comptes-appelle-la-france-a-mieux-simpliquer-dans-lotan-1984569">La France a d’ailleurs donné des gages de sa bonne volonté</a> en s’investissant très activement dans la présence de l’OTAN à l’Est du continent européen afin de contrer la menace russe.</p>
<p>Ainsi, si les désaccords, notamment industriels, ne manqueront pas de perdurer, c’est par la voie politique que la coopération militaire franco-allemande pourrait regagner de la souplesse. Beaucoup d’incertitudes demeurent toutefois sur ce point au regard des futures élections tant européennes que nationales, étant donné la montée des discours populistes dans les deux pays et les crises économiques et sociales dont ceux-ci se nourrissent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Deschaux-Dutard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux pays soutiennent fermement l’Ukraine, mais leurs visions de la meilleure organisation de la défense européenne et du rôle que doit y jouer l’OTAN continuent de diverger.Delphine Deschaux-Dutard, Maître de conférences en science politique, Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184832024-02-21T15:53:21Z2024-02-21T15:53:21ZQuand « du coup » devient « fait que » : comment se font les transferts linguistiques entre les Français et les Québécois<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577097/original/file-20240221-22-ju29e8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C0%2C6000%2C3997&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La présence grandissante de personnes originaires de France au Québec, notamment à Montréal, influence le français parlé par l'ensemble des communautés.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Une importante vague d’immigration de Français et de Françaises a été enregistrée au cours des quinze dernières années au Québec. Ils seraient <a href="https://quebec.consulfrance.org/La-communaute-francaise-au-Quebec">environ 65 000 selon les dernières estimations, à Montréal seulement</a>, et le double dans l’ensemble du Québec.</p>
<p>Plusieurs facteurs expliquent leur choix de s’installer au Québec : une vie en Amérique du Nord sans barrière linguistique, de nombreuses opportunités professionnelles, des logements plus abordables, du moins jusqu’à récemment, et une sécurité accrue pour les femmes.</p>
<p>Le gouvernement québécois déploie par ailleurs d’importantes ressources pour les attirer : missions de recrutement de main-d’œuvre en France, partenariats entre la France et le Québec (prix des études réduit, assurance santé gratuite, etc.).</p>
<p>Ils et elles bénéficient donc d’une immigration facilitée. En plus, ce groupe maîtrise la langue officielle de la province. Leur intégration est-elle pour autant facile ? Pas forcément. Car <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rs/2012-v53-n2-rs0287/1012405ar/">il s’agit d’une « minorité audible »</a>. Une <a href="https://www.shs-conferences.org/articles/shsconf/pdf/2020/06/shsconf_cmlf2020_02002.pdf">étude sociolinguistique récente</a>, réalisée dans la ville de Québec, suggère que l’accent français n’est pas optimal pour créer des liens amicaux avec des Québécoises et des Québécois. Plusieurs <a href="https://www.exemplaire.com.ulaval.ca/actualites/prendre-laccent-quebecois-pour-mieux-sintegrer-le-cas-des-cousins-francais-immigrants">adopteraient ainsi des éléments du français québécois pour s’intégrer</a>.</p>
<p>Mais comment évolue le parler des personnes originaires de France au fil du temps ? Comment s’influencent les français québécois et français ? Dans quelle mesure les Français et Françaises adoptent-ils l’accent, les expressions ? Quels sont les facteurs linguistiques, sociaux et cognitifs qui favorisent ou défavorisent l’usage de différentes formes ?</p>
<p>Ce phénomène a attiré l’attention de la linguiste que je suis. Et à ma grande surprise, aucune étude linguistique n’avait été réalisée sur le sujet. C’est ainsi que j’ai décidé d’explorer les pratiques langagières de la communauté française de Montréal dans le cadre de mon doctorat, avec la collaboration de Julie Auger, sociolinguiste et spécialiste du français québécois, et de Simone Falk, experte en linguistique expérimentale et en neurolinguistique. </p>
<h2>Deux groupes tests</h2>
<p>Notre équipe a réalisé des entrevues enregistrées auprès de 35 Françaises et Français. Certaines personnes avaient vécu à Montréal pendant plus de huit ans tandis que d’autres étaient fraîchement arrivées. Ces dernières ont été interviewées une fois par an pendant leurs trois premières années à Montréal.</p>
<p>Le profil des personnes recrutées varie en ce qui concerne l’âge et le genre, mais aussi de la région d’origine. La plupart sont issues de la région parisienne, ou de régions du nord et de l’ouest de la France. Ces derniers partagent des traits avec le français québécois, par exemple, avec des mots comme <em>asteure</em> et des éléments de prononciation comme <em>oé</em> dans <em>croire</em>. Nous prédisions qu’ils et elles auraient davantage tendance à assimiler certains traits du français québécois que les Parisiennes et les Parisiens.</p>
<p>Chaque participant et participante a d’abord conversé une heure avec une enquêtrice québécoise, puis une heure avec une enquêtrice française. Cela nous permet de vérifier s’il y a une modification dans leur façon de parler selon l’origine des personnes en présence. </p>
<p>Nous avons posé des questions sur leur histoire sociolinguistique, les raisons qui les ont amenés à Montréal, leur réseau social, leurs projets d’avenir ainsi que leurs attitudes envers le Québec, les gens qui y vivent et le français québécois. Le but était de favoriser des conversations naturelles et de recueillir des informations individuelles qui pourraient expliquer les changements linguistiques observés au sein de la communauté.</p>
<p>Dans un cadre expérimental, nous leur avons aussi fait évaluer et répéter des phrases en français québécois. L’idée était de tester leur capacité de perception et de production de formes linguistiques québécoises. Nous cherchions aussi à comprendre quels traits du français québécois « sautent aux oreilles » des Françaises et des Français, et lesquels passent inaperçus.</p>
<h2>« Fait que » versus « du coup »</h2>
<p>Nos enregistrements sont en cours de transcription. Malgré tout, nous avons pu commencer à analyser le parler de huit participants : quatre personnes établies à Montréal depuis plus de huit ans, en couple avec un Québécois ou une Québécoise, et quatre nouvellement arrivées. Nous nous sommes concentrées sur des traits linguistiques précis qui distinguent le français de France du français québécois.</p>
<p>D’abord, nous avons observé comment ces individus prononcent le <em>a</em> à la fin des mots, par exemple dans <em>Canada</em>, <em>pas</em>, <em>doctorat</em>, etc. Ce son a tendance à être produit à l’avant de la bouche en France (<em>a</em> antérieur) et à l’arrière de la bouche au Québec (<em>a</em> postérieur).</p>
<p>Ensuite, nous avons examiné l’usage de <em>alors</em>, <em>donc</em>, <em>fait que</em> et <em>du coup</em>. Ces termes sont utilisés dans des contextes similaires : ils peuvent marquer la conséquence ou encore ponctuer le discours. Si <em>alors</em> et <em>donc</em> sont neutres, les autres formes sont marquées géographiquement. <em>Du coup</em> est un stéréotype du français de France tandis que <em>fait que</em> est propre au français québécois.</p>
<p>Enfin, nous avons exploré l’emploi du mot <em>tsé</em>, une <a href="https://www.je-parle-quebecois.com">spécificité linguistique québécoise qui sert à ponctuer les phrases</a>. En réalité, il est utilisé des deux côtés de l’Atlantique, mais pas dans la même mesure. <em>Tsé</em> est plus fréquent au Québec qu’en France.</p>
<h2>Un parler hybride</h2>
<p>Dans les études menées, deux facteurs se sont avérés significatifs : la durée de séjour et l’enquêtrice en présence. Ainsi, les quatre individus installés à Montréal depuis longtemps ont employé beaucoup plus les traits linguistiques locaux étudiés (<em>a</em> postérieurs final, <em>fait que</em> et <em>tsé</em>) que les quatre fraîchement débarqués. On observe également une tendance claire à l’ajustement envers l’interlocutrice, non seulement chez les personnes bien établies à Montréal, mais aussi chez celles qui viennent de s’installer.</p>
<p>On a donc de l’adaptation linguistique. Cela ne veut pas pour autant dire que nos participantes et participants parlent exactement comme les locaux. Après tout, il s’agit de personnes arrivées au Québec à l’âge adulte. Or, comme pour les langues secondes, plus on est exposé tard à une seconde variété de sa langue maternelle, plus il est difficile de l’acquérir.</p>
<p>Qu’est-ce qui caractérise le parler des Françaises et Français bien établis à Montréal ? En quoi se distingue-t-il de celui des Québécoises et Québécois ? </p>
<p>Quelques constats se dégagent de nos premières analyses. D’abord, la fréquence d’usage des traits québécois est loin d’atteindre celle des locaux. En plus, la prononciation de certaines formes québécoises adoptées peut être erronée. Un exemple typique : le mot <em>piastre</em> qui devient <em>pièce</em>. Sans surprise, on remarque aussi un maintien de formes françaises comme le fameux <em>du coup</em>.</p>
<p>C’est donc un parler hybride qui se développe chez ces individus mobiles, de sorte qu’ils peuvent être perçus comme étrangers dans leur société d’accueil, mais aussi dans leur pays d’origine. Nombre des personnes interviewées ayant résidé à Montréal pendant longtemps ont déclaré : « on me dit que j’ai un accent québécois en France alors qu’on sait immédiatement que je viens de France ici ».</p>
<h2>Une influence à deux sens</h2>
<p>Ce n’est pas seulement le parler des Françaises et Français qui évolue. Cette population grandissante semble également exercer une influence sur les pratiques langagières des locutrices et locuteurs du français québécois.</p>
<p>Nombre d’anecdotes me sont parvenues. Plusieurs personnes participantes ont rapporté s’être étonnées d’entendre <em>putain</em> et <em>du coup</em> sortir spontanément de la bouche de Québécois et de Québécoises.</p>
<p>On me parle aussi souvent de l’influence des médias français, notamment du rap et de YouTube, sur le parler de la jeunesse québécoise. Des enfants qui grandissent à Montréal se mettent à utiliser de l’argot français que leurs parents québécois ne comprennent pas (p. ex. <em>daron</em> ‘père’, <em>avoir la flemme</em> ‘être paresseux’). </p>
<p>Dans son <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/balados/10788/ainsi-soit-chill/728930/mot-inversion-francais-jeunes">balado diffusé sur Radio-Canada</a>, l’auteur-compositeur-interprète québécois Jerôme 50 mentionne l’adoption de verlan par certains groupes montréalais qui ne viennent pas de la France (p. ex. <em>truc de ouf</em> ‘truc de fou’, <em>fonsdé</em> ‘défonsé’). </p>
<p>Ainsi, chaque communauté enrichit son répertoire linguistique au contact de l’autre. Cette influence mutuelle laissera sans doute une empreinte durable sur la manière dont le français est parlé à Montréal. Il convient de s’en réjouir, car l’évolution du français montréalais témoigne de la vitalité de cette variété.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218483/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nadège Fournier a reçu des financements de FRQSC et UdeM. </span></em></p>Les communautés françaises et québécoises enrichissent leur répertoire linguistique au contact de l’autre. Cela laissera sans doute une empreinte durable sur le français parlé au Québec.Nadège Fournier, Candidate au doctorat en linguistique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239052024-02-19T14:54:18Z2024-02-19T14:54:18ZComment les nouvelles règles budgétaires européennes contraindront les dépenses publiques françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576491/original/file-20240219-20-cer2j3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=85%2C6%2C1952%2C1348&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bercy a révisé à la baisse des prévisions de croissance à 1% pour 2024.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/iaea_imagebank/51716644575">Flickr/IAEA Imagebank</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé sur TF1, le 18 février, que Bercy abaissait sa prévision de croissance à 1 % en 2024, soit le haut de la fourchette du consensus des analystes, tout en affirmant sa volonté d’économiser 10 milliards « sur le seul budget de l’État ».</p>
<p>Profitant du brutal retour de l’inflation qui a gonflé mécaniquement les recettes fiscales, les dépenses publiques françaises avaient baissé en volume en 2022 et 2023, malgré une forte progression en valeur. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoyait la poursuite de cette tendance.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GqhcZVCr6fE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Croissance : la prévision pour 2024 révisée à 1 %, annonce Bruno Le Maire (TF1 Info, 18 février 2024).</span></figcaption>
</figure>
<p>La croissance alors anticipée de 1,4 % combinée à une prévision d’inflation de 2,6 % devaient assurer mécaniquement une hausse des recettes publiques de 4 % supérieures à celle des dépenses publiques limitées à 3,1 %, réduisant ainsi le déficit public de 0,5 % à 4,4 % du PIB et <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/291190-loi-du-29-decembre-2023-de-finances-pour-2024-budget-plf">stabilisant la dette publique à 110 % du PIB</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution annuelle des depenses publiques en volume, hors credits d’impot, hors soutien d’urgence et hors relance (en pourcentage). Note : les dépenses de soutien face à l’inflation ne sont pas retraitées en 2022 et 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce scénario favorable est malheureusement remis en cause par le ralentissement économique en cours, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) prévoyant désormais une croissance de seulement 0,6 % en France ce qui implique mécaniquement un <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/05/bercy-s-apprete-a-revoir-ses-previsions-de-croissance-pour-2024_6214930_3234.html">manque à gagner de l’ordre 10 milliards</a> pour les comptes publics.</p>
<p>D’autant qu’à ce jour, les nouvelles dépenses sont d’ores et déjà d’environ 5 milliards, en additionnant les récentes aides aux agriculteurs de 400 millions d’euros, les primes aux policiers pour les JO de 600 millions d’euros, les pertes supplémentaires des hôpitaux publics d’un milliard et surtout la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/aide-a-l-ukraine-zelensky-et-scholz-signent-un-pacte-de-securite-historique-20240216">nouvelle aide à l’Ukraine</a> annoncée à l’Élysée le 16 février de 3 milliards. Dans ces conditions on voit mal comment le gouvernement pourrait tenir son objectif d’un déficit de 4,4 % en 2024, un record partagé uniquement avec l’Italie dans la zone euro.</p>
<p>Quant à la dette publique, elle ne diminuerait plus et se stabiliserait autour de 111 % du PIB, soit très au-delà du seuil de 90 % qui correspond grosso modo à la moyenne de l’eurozone.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Comparaison de l’évolution des ratios de dette publique de la France, de la zone euro et de l’Allemagne (en points de PIB).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On comprend dès lors les inquiétudes de Bercy quant à une prochaine dégradation de la note de la France. Si Standard and Poor’s avait maintenu sa note AA en décembre 2023 tout en la plaçant sous perspective négative, les 3 grandes agences doivent <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/03/le-maintien-par-standard-poor-s-de-la-note-de-la-france-un-satisfecit-a-la-portee-limitee-pour-le-gouvernement_6175991_823448.html">rendre un nouveau verdict avant les élections européennes</a>.</p>
<h2>Des trajectoires budgétaires individualisées</h2>
<p>Adopté à Amsterdam le 17 juin 1997 en prévision de l’avènement de l’euro en 1999, le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/21801-quest-ce-que-le-pacte-de-stabilite-et-de-croissance-psc">Pacte de stabilité et de croissance</a> imposait à tous les États membres de l’Union européenne (UE) de coordonner leur politique budgétaire en limitant leur déficit public à 3 % du PIB et leur dette publique à 60 % afin d’assurer leur solvabilité.</p>
<p>La violence de la crise économique générée par la pandémie de Covid-19, bien supérieure à celle de 2008, a contraint pour la première fois la Commission européenne à activer en mars 2020 une clause dérogatoire permettant de suspendre jusqu’au 31 décembre 2023 le Pacte en invoquant des circonstances exceptionnelles. Ce fut l’occasion d’un aggiornamento qui a abouti le 10 février 2024 à un accord entre le Parlement européen et les États membres pour le réformer.</p>
<p>Ce nouveau cadre de gouvernance doit entrer en vigueur le 1<sup>er</sup> janvier 2025 après validation définitive par le parlement européen au printemps. Fruit de laborieuses négociations, il reste complexe mais introduit une approche différenciée propre à chaque État pour assurer une trajectoire de soutenabilité de la dette plus souple sans entraver la croissance et fondée sur l’évolution d’un nouvel indicateur clé : les dépenses nettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756207740500791661"}"></div></p>
<p>Ainsi, les États membres dont le déficit public dépasse les 3 % disposeront d’une période d’ajustement de quatre ans pour ramener leurs comptes publics sur une trajectoire budgétaire jugée « soutenable », cette période pouvant s’étendre jusqu’à sept ans s’ils adoptent des réformes ou effectuent des investissements stimulant la croissance dans les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/economic-governance-framework/reform/">transitions vertes, le numérique ou la défense</a>. Le déficit structurel reste un indicateur clé et devra diminuer de 0,5 % par an (avec une flexibilité de 2025 à 2027 pour tenir compte de la récente hausse du coût de la dette liée à l’augmentation des taux d’intérêt).</p>
<p>Une fois les déficits sous contrôle, les pays dont l’endettement dépasse 90 % du PIB devront le diminuer non plus de 5 % de l’écart entre celui-ci et le seuil de Maastricht de 60 % (soit pour la France dont la dette est de 111 % de 2,5 points de PIB par an) mais seulement d’un point de PIB chaque année. Des amendes plafonnées à 0,05 % du PIB restent théoriquement possibles mais il est très vraisemblable qu’elles ne seront pas plus exigées qu’auparavant…</p>
<h2>Quelles réformes envisageables ?</h2>
<p>Les marges de manœuvre budgétaires du président de la République, Emmanuel Macron, étaient déjà <a href="https://theconversation.com/les-marges-de-manoeuvre-budgetaires-particulierement-limitees-du-second-quinquennat-macron-181871">particulièrement faibles au début de son second mandat</a> : elles le sont encore plus aujourd’hui. Avec le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’OCDE à 46,1 % du PIB, <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/taxation/statistiques-des-recettes-publiques_25227092">pour une moyenne de 34 %</a>, et face <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/documents/68299">au refus de 75 % des Français d’augmenter les impôts</a>, on voit mal le gouvernement s’engager dans cette voie qui accentuerait en outre le ralentissement économique.</p>
<p>Cette stratégie serait d’ailleurs en contradiction avec le principal objectif de la politique économique menée depuis sept ans, qui consiste à augmenter le taux d’emploi actuellement de 68 % chez les 15-64 ans pour l’amener au niveau de nos voisins européens, entre 75 et 80 %. En effet, à taux d’imposition constant, un tel niveau d’emploi comblerait la totalité du déficit via les recettes supplémentaires d’impôts et de cotisations générées.</p>
<p>Pour réduire le déficit et la dette, il faut donc que les dépenses publiques progressent en volume bien moins rapidement que le PIB sur plusieurs années, stratégie singulièrement compliquée par quatre types de dépenses publiques en augmentation contrainte à moyen terme. Au premier rang de ces dépenses, on trouve la charge de la dette avec la fin de l’argent gratuit (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la nouvelle version du pacte prévoit d’exclure leur progression de celle des dépenses jusqu’en 2027).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Charge de la dette et de la trésorerie de l’État (en milliards d’euros). Note : En charge budgétaire, retracée par les programmes 117 « Charge de la dette et de la trésorerie de l’État » et 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
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<p>Viennent ensuite deux domaines prioritaires qui concernent tous les pays européens : la transition écologique, qui nécessiterait des investissements de l’ordre de <a href="https://theconversation.com/ue-les-regles-budgetaires-sont-elles-compatibles-avec-les-objectifs-du-pacte-vert-222546">2,3 % du PIB chaque année</a> et les dépenses militaires qui doivent atteindre <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-loi-de-programmation-militaire-quest-ce-que-cest">2 % du PIB dès 2025</a> pour tenir compte du nouveau contexte géopolitique (dépenses déjà validées par <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-loi-de-programmation-militaire-definitivement-adoptee-par-le-parlement">la loi de programmation militaire pluriannuelle adoptée en 2023</a>). Enfin, le vieillissement démographique accroît tout à la fois les dépenses de santé et de retraite alors même que la récente réforme majoritairement rejetée par les actifs <a href="https://theconversation.com/la-reforme-des-retraites-un-court-repit-pour-les-finances-publiques-204384">ne suffira pas à répondre aux besoins</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-des-retraites-un-court-repit-pour-les-finances-publiques-204384">La réforme des retraites, un court répit pour les finances publiques</a>
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<p>Lorsque l’on compare les dépenses publiques en France (58 % du PIB) au sein de l’Union européenne (50 %) on constate que celles de l’État et des collectivités locales atteignent 25 % du PIB soit seulement 2 points de plus que la moyenne : il est dès lors hautement improbable de pouvoir les réduire significativement au vu des contraintes relevées supra et de l’échec des tentatives de réformes de l’État des dernières années.</p>
<p>C’est donc bien sur les dépenses de protection sociale, qui sont de 33 % du PIB contre 27 % dans l’UE, que se fera l’ajustement. Outre les aides sociales, il faudra remédier au déficit chronique de la branche maladie de 0,5 % de PIB. Quant aux retraites qui pèse 14 % du PIB si celles du secteur privé sont très largement assurées par les cotisations des actifs, les subventions d’équilibre que verse directement le budget aux retraités de l’État, ou à <a href="https://theconversation.com/regimes-speciaux-quel-cout-pour-letat-128826">ceux des régimes spéciaux</a>, pèsent au moins 1,5 % du PIB.</p>
<p>En l’absence de maîtrise des dépenses publiques, ce seront les agences de notation et surtout les marchés obligataires plus sûrement que la Commission européenne qui rappelleront la nécessité d’un ajustement brutal et beaucoup plus douloureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé, le 18 février, un plan d’économies de 10 milliards d’euros. Or, les marges de manœuvre budgétaires apparaissent particulièrement limitées.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2235162024-02-15T14:11:18Z2024-02-15T14:11:18ZLa filière pétrolière française que tout le monde avait oubliée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575419/original/file-20240213-22-zxjsbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C7%2C1594%2C1048&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chevalets de pompage de pétrole a Jouy-le-Châtel </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chevalets_de_pompage_(pumpjack)_-_Puit_de_p%C3%A9trole_%C3%A0_Jouy-le-Ch%C3%A2tel_-_panoramio_(3).jpg?uselang=fr">Paul Fleury</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’annonce de huit nouveaux forages dans le bassin d’Arcachon a mis en lumière l’existence d’une filière nationale du pétrole qui produit 1 % de notre consommation. Pourtant, des activités pétrolières et gazières ont été développées en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Retour sur une activité industrielle confidentielle.</p>
<h2>Des hydrocarbures pour reconstruire la France</h2>
<p>C’est un fait peu connu mais un des plus vieux sites d’exploitation pétrolière en Europe se situe en France, à Pechelbronn en Alsace, où, dès la Renaissance, le pétrole était extrait du sous-sol, à l’époque surtout pour graisser des outils et produire des remèdes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575408/original/file-20240213-22-g1v5sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575408/original/file-20240213-22-g1v5sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575408/original/file-20240213-22-g1v5sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575408/original/file-20240213-22-g1v5sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575408/original/file-20240213-22-g1v5sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575408/original/file-20240213-22-g1v5sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575408/original/file-20240213-22-g1v5sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte postale ancienne de l’exploitation de pétrole de Pechelbronn.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://jenikirbyhistory.getarchive.net/media/pechelbronn-xxe-02-be6a4c">Domaine public</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Il faut cependant attendre le XX<sup>e</sup> siècle et le cadre du code minier renouvelé de 1956 pour que l’essentiel de l’activité d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures en France soit développé. La Seconde Guerre mondiale a mis en lumière la dépendance française en pétrole et il s’agit pour la France de sécuriser ses approvisionnements dans une filière dominée par les entreprises américaines, anglaises et hollandaises. C’est le <a href="https://www.nss-journal.org/articles/nss/full_html/2021/03/nss210049/nss210049.html">service de conservation des gisements d’hydrocarbures</a> qui organise alors le suivi et le contrôle de l’activité pétrolière sur le territoire mais aussi les activités des sociétés pétrolières françaises à l’étranger notamment dans les colonies africaines. Au-delà de la seule exploitation sur le sol national, la particularité de la filière française est d’avoir su développer une expertise et une industrie parapétrolière sans commune mesure avec les volumes extraits sur le sol national. Les entreprises Schlumberger et Technip par exemple fournissent des outils de prospection, d’ingénierie et de forage.</p>
<p>Le <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/ressources-en-hydrocarbures-france">ministère de la Transition écologique</a> indique que plus de 600 concessions ont été octroyées depuis 1956. Deux zones sont principalement exploitées : les bassins parisien et aquitain. En Seine-et-Marne, le pétrole est découvert en 1958 et plus de 2000 puits sont forés (Chaunoy, Itteville, Villeperdue), produisant un total de 285 millions de barils. En Aquitaine, c’est principalement autour des lacs côtiers que la production se concentre (Cazaux, Sanguinet, Parentis) pour atteindre 220 millions de barils (en comparaison, la France importe environ 300 millions de barils par an aujourd’hui <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2023/13-petrole">soit 42 millions de tonnes équivalent pétrole</a>). Plus au Sud, dans les Pyrénées-Atlantiques, du gaz est également produit à Lacq et à Meillon, à partir de la fin des années 1960. Depuis lors, ces exploitations ont permis une extraction totale de plus de 300 milliards de m<sup>3</sup> de gaz (soit 31 TWh au total en comparaison d’une consommation nationale annuelle d’une centaine de TWh en 1970 et de <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2023/14-gaz-naturel">640 TWh en 2022</a>), et de développer une industrie chimique locale. Ces projets font cependant l’objet d’oppositions locales, notamment autour de Lacq dont le <a href="https://journals.openedition.org/histoirepolitique/475">complexe industriel génère d’importantes pollutions</a>, mais qui sont balayées au nom de l’intérêt général. Le monde agricole qui est la première victime ne possède pas les ressources suffisantes pour s’opposer au récit modernisateur dominant durant les « 30 Glorieuses ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575410/original/file-20240213-26-rrfojw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575410/original/file-20240213-26-rrfojw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575410/original/file-20240213-26-rrfojw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575410/original/file-20240213-26-rrfojw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575410/original/file-20240213-26-rrfojw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575410/original/file-20240213-26-rrfojw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575410/original/file-20240213-26-rrfojw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Station de pompage lac de Parentis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Station_de_pompage_lac_de_Parentis.JPG">Plbcr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le déclin des gisements et de l’intérêt politique</h2>
<p>Jusque dans les années 1990, l’exploitation pétrolière est opérée par des compagnies publiques comme ERAP-Elf/Elf Aquitaine – qui deviendra Total, et privées comme Esso. Mais les gisements sont en déclin et ces grandes compagnies vont progressivement transférer leurs concessions à de plus petites compagnies qui vont les optimiser. <a href="https://www.vermilionenergy.com/fr/about-us/notre-histoire-en-france/">Vermilion</a> est un bon exemple de ce processus. La compagnie canadienne entre sur le marché français en 1997 en reprenant les actifs d’Exxon, puis de Total en 2012. Elle « réactive » les puits avec succès et permet de relancer la production. La compagnie est aujourd’hui la première productrice de pétrole en France avec plus de 12000 barils par jour.</p>
<p>Malgré tout, le départ des grandes compagnies signe le déclin de l’intérêt politique pour cette filière de l’exploration-production dans un monde de plus en plus globalisé. La réactivation des anciens puits ne relance pas l’exploration. Les services de l’État en charge des permis sont progressivement marginalisés au sein de l’administration tandis que l’agenda de l’Union française de l’industrie pétrolière se déplace vers les enjeux de l’aval (raffinerie/station-service) et que la chambre syndicale voit ses ressources se réduire.</p>
<h2>De l’échec des hydrocarbures non conventionnels à la Loi Hulot</h2>
<p>Une tentative de renouveau se déploie malgré tout dans les années 2000 autour des hydrocarbures non conventionnels comme le <a href="https://theconversation.com/la-guerre-du-gaz-de-schiste-naura-sans-doute-pas-lieu-181535">gaz et le pétrole de schiste</a> qui nécessitent l’emploi de techniques particulières car ils sont emprisonnés dans des réservoirs non conventionnels, peu perméables ou poreux. C’est le cas du forage dévié (déjà mis en œuvre en Aquitaine) et de la fracturation hydraulique (également utilisée pour stimuler les réservoirs en fin de vie). En France, plusieurs <a href="https://basta.media/Permis-d-exploration-les">permis d’exploration</a> sont octroyés entre 2009 et 2010 qui ciblent du gaz de schiste entre le Larzac et la Drôme et du pétrole de schiste en Seine-et-Marne. De nouvelles compagnies apparaissent alors pour faire de l’exploration comme Schuepbach, ce qui irrite les compagnies déjà présentes qui les voient comme des start-up spéculatives qui pourraient mettre en danger leurs activités conventionnelles. <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/en-france-vermilion-produit-un-baril-de-petrole-de-schiste-par-jour.N206077">Vermilion ne soutient pas directement cette vague vers les non conventionnels. Pourtant, c’est la seule compagnie à avoir produit du pétrole de schiste grâce à un test de fracturation hydraulique</a> sur un de ses anciens puits parisiens avant que celle-ci ne soit interdite.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575417/original/file-20240213-18-4siif1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575417/original/file-20240213-18-4siif1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575417/original/file-20240213-18-4siif1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575417/original/file-20240213-18-4siif1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575417/original/file-20240213-18-4siif1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575417/original/file-20240213-18-4siif1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575417/original/file-20240213-18-4siif1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gaz_schiste.jpg">Roman Alther</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Mais ces nouveaux permis déclenchent finalement une mobilisation sociale dont le porte-parole José Bové parvient assez rapidement à mettre à l’agenda un problème environnemental. En moins de six mois, les opposants parviennent à obtenir <a href="https://www.cairn.info/l-etat-sous-pression--9782724627657.htm">l’interdiction de la fracturation hydraulique</a> (Loi Jacob, 2011) et les permis ciblant du gaz et du pétrole de schiste sont annulés. Entre-temps, le site de Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques est arrivé en fin de vie (un champ gazier ou pétrolier permet en moyenne cinquante ans d’exploitation). L’activité est arrêtée en 2013, et seule une production résiduelle continue à fournir les sites de l’industrie de la chimie qui subsistent à Lacq.</p>
<p>Dans les années qui suivent, les mobilisations continuent notamment autour de l’exploration du gaz de couche en Lorraine par la Française de l’Énergie, jusqu’à ce que la Loi Hulot de 2017 vienne mettre fin à toute utilisation de procédés de stimulation, à la délivrance de nouveaux permis d’exploration et cible la fin des concessions en 2040. La loi a depuis vu ses ambitions limitées, notamment sous les coups de boutoir de la filière organisée autour du député des Pyrénées-Atlantiques <a href="https://www.sudouest.fr/pyrenees-atlantiques/pau/exploitation-petroliere-et-gaziere-les-deputes-bearnais-vainqueurs-contre-le-lobby-ecologiste-2043876.php">David Habib</a> (Parti socialiste puis Parti radical de gauche) qui permet de sauvegarder une production fossile lorsque celle-ci est considérée comme nécessaire au bon fonctionnement d’un site industriel.</p>
<p>Aujourd’hui, ces huit nouveaux puits viennent réactiver, comme le gaz de schiste en son temps, la politisation de cette filière nationale oubliée. Face à la mobilisation de figure emblématique du militantisme environnemental, comme Greta Thunberg, les tentatives de Vermilion pour apparaître comme vertueux en matière de transition, avec par exemple le chauffage de l’éco-quartier de la Teste-de-Buch grâce aux calories récupérées dans les fluides pétroliers, semblent dérisoires.</p>
<p>Mais au-delà de ces gisements de pétrole, la fin des hydrocarbures ne signera pas celle des activités d’extraction de ressources du sous-sol : la start-up française 45-8 Energy prévoit l’extraction d’hélium dans la Nièvre tandis que la Française de l’Énergie cible la production d’hydrogène natif en Lorraine. Les débats sur le sous-sol français ne font que commencer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223516/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Chailleux a reçu des financements de l'ANR et de France 2030. </span></em></p>« En France, on n’a pas de pétrole… » assurait une campagne publicitaire du gouvernement en 1976. En fait ce n’est pas tout à fait vrai, même si la production de pétrole française est fort modeste.Sébastien Chailleux, Maître de conférences en science politique, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2232922024-02-13T15:43:12Z2024-02-13T15:43:12ZRobert Badinter, « l’éloquence du cœur et de la raison »<p>L’annonce de la mort de Robert Badinter s’est accompagnée de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/09/l-hommage-unanime-des-responsables-politiques-a-robert-badinter_6215721_823448.html">très nombreux hommages</a>, dessinant le portrait d’une personnalité faisant aujourd’hui l’unanimité.</p>
<p>Parmi les multiples prises de position de ce grand homme d’État, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/mort-de-robert-badinter/mort-de-robert-badinter-le-monde-de-la-justice-rend-hommage-a-un-modele_6356056.html">défenseur infatigable des libertés publiques</a>, son combat victorieux pour l’abolition de la peine de mort, mené en tant que garde des sceaux de <a href="https://theconversation.com/global/topics/francois-mitterrand-23935">François Mitterrand</a>, restera sans doute comme le plus emblématique.</p>
<p>À ce titre, le discours qu’il a prononcé à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981 dans le cadre de la discussion du projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort, a fait date. La loi sera adoptée le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait d’un journal télévisé d’époque sur le discours de Robert Badinter.</span></figcaption>
</figure>
<p><em>Ce discours est visible dans son intégralité <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/peine-de-mort-discours-robert-badiner-integral">sur le site de l’INA</a>, et on peut le consulter <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/135557-discours-de-m-robert-badinter-ministre-de-la-justice-sur-labolition">ici</a>.</em></p>
<p>Ce texte a fait l’objet de beaucoup d’attentions et de commentaires, dans le cadre politico-médiatique. </p>
<p>Pour ne pas réaliser une nouvelle analyse formelle de ce texte, et afin de porter également à la connaissance des lecteurs d’autres prises de parole de Robert Badinter, nous proposons une mise en relief de caractéristiques de ce discours en lien avec ce que lui-même disait de l’art oratoire, en particulier dans le cadre d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/robert-badinter-se-raconte-dans-memorables/robert-badinter-515-2207617">podcast diffusé sur France culture</a>. C’est dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DOvD9ELmT2U">5ᵉ épisode de cette série</a>, diffusée pour la première fois en 2002, qu’il est question des mots prononcés par Robert Badiner pour en finir avec la peine de mort.</p>
<p>L’avocat y explique que « ça n’était pas une question d’argumentation » et que ce discours n’avait « pas le caractère d’une plaidoirie » : cela signifie que l’enjeu de sa prise de parole dépassait le simple fait de réussir à convaincre, mais qu’il fallait qu’elle soit à la hauteur de l’événement, et de la transformation qu’elle allait entraîner dans la société française.</p>
<p>Il est ici très intéressant, pour un analyste du discours, d’écouter les mots de l’orateur à propos de l’éloquence. S’il considère notamment « la parole comme outil », s’il estime qu’il n’y a « pas de grands avocats, mais de grandes causes », il livre néanmoins en creux une définition du discours et de ses pratiques.</p>
<h2>Émotions et raison : une argumentation millimétrée</h2>
<p>Dans ses analyses de l’art oratoire, Robert Badinter estime qu’« une émotion ressentie ne peut être communiquée que si l’expression en est toujours en deçà plutôt qu’au-delà ». Cela nécessite une maîtrise fine de l’écriture du discours, en particulier en ce qui concerne la dimension pathétique.</p>
<p>Selon le linguiste <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/pathos/">Marc Bonhomme</a>, le terme de <em>pathos</em></p>
<blockquote>
<p>« désigne les effets émotionnels et passionnels produits par un discours sur le public. Il comporte à la fois une dimension sociodiscursive (émotion partagée par plusieurs individus), interactive (émotion communiquée entre énonciateur[s] et énonciataire[s]) et dynamique (émotion construite au moyen du langage) ».</p>
</blockquote>
<p>Lorsque l’on considère le discours pour l’abolition de la peine de mort, on peut considérer que le sujet se prête à un partage d’émotion par une large audience, au-delà de l’Hémicycle. À travers le choix de certains extraits, nous allons nous attarder sur la dimension pathétique de cette allocution, c’est-à-dire sur l’émotion créée par la combinaison des trois dimensions décrites précédemment. Leur combinaison habile permet à l’orateur de parler au groupe et aux individus dans un même mouvement.</p>
<blockquote>
<p>« La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance. À défaut, déclarait un ministre de la justice récent, l’angoisse et la passion suscitées dans la société par le crime ne seraient pas apaisées. Cela s’appelle, je crois, un sacrifice expiatoire.</p>
<p>[…] Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien souvent, de l’assassin. Oui, le crime est malheur, et il n’y a pas un homme, pas une femme de cœur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d’abord le combattre. Mais ressentir, au profond de soi-même, le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable. Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l’être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c’est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d’abord en refusant la loi du talion ? »</p>
</blockquote>
<p>Ici, les termes comme <em>souffrance</em>, <em>malheur</em>, <em>angoisse</em>, <em>passion</em>, ou <em>sensibilité</em>, qui sont répétés voire martelés, délivrent un effet émotionnel portant l’auditeur à engager sa sensibilité, et à réagir non seulement avec sa raison, mais aussi avec son <em>cœur</em>.</p>
<p>On peut relever que ce terme est utilisé sept fois au cours de la prise de parole, dans laquelle il salue d’ailleurs la capacité de Jean Jaurès à allier « l’éloquence du cœur et l’éloquence de la raison ». </p>
<p>Concernant l’appel au groupe, le recours au « progrès historique de la justice » par exemple, ancre le propos dans un contexte historique plus large que le ressenti des émotions.</p>
<p>Ce qui est intéressant, c’est que cette émotion est mise au service d’un procédé rhétorique que le linguiste Raphaël Michelli a mis en évidence <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2006-v19-n1-fr1874/016637ar.pdf">dans ses analyses des débats abolitionnistes</a>.</p>
<p>Celui-ci relève une analogie, dénoncée par Badinter, que l’on peut formuler comme suit : la sanction du crime que prononce la justice est à la société ce que la vengeance privée est à « l’être frappé dans sa sensibilité ». Le garde des sceaux s’attache à rendre cette analogie inacceptable. Il montre qu’on ne peut considérer la justice comme recouvrant les caractéristiques de la vengeance, ni mettre sur le même plan la société et la victime : la société dans son ensemble ne doit pas raisonner comme un seul être meurtri.</p>
<p>On trouve ici un écho à une autre formule de Robert Badinter, qui insiste sur la « nécessité que celui qui vous écoute ne soit jamais étranger à ce que vous dîtes ». Le procédé de l’analogie contribue pleinement à construire ce lien.</p>
<p>Pour cela, Robert Badinter mobilise le pathos, joue sur les émotions, mais il procède aussi d’une rhétorique rigoureuse pour donner de la consistance à son argumentation, tout en gardant une proximité avec son auditoire. Cela s’intègre à une seconde dimension, la dimension relationnelle et interactive du discours.</p>
<h2>L’éloquence est « toujours une relation, jamais un discours »</h2>
<p>Pour Badinter, l’éloquence, qu’il entend comme étant l’art de séduire et de convaincre, est « toujours une relation, jamais un discours ». Il explique en effet que le discours est unilatéral, alors que c’est la prise en compte constante de ce que l’autre ressent qui importe.</p>
<p>Pour préciser ce dont il est question ici, rappelons que dans la <a href="http://icar.cnrs.fr/dicoplantin/logos-pathos-ethos-fr/">triade éthos/logos/pathos proposée par Aristote</a> pour expliquer l’art de la rhétorique, <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/ethos/">ethos</a> et pathos permettent de persuader, le logos (discours rationnel), de convaincre.</p>
<p>Pour convaincre, donc, Robert Badinter s’appuie bien également sur le <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/logos/">logos</a>, dans lequel il s’agit de faire « le choix d’arguments appropriés à la situation ».</p>
<p>Il est donc question de l’adaptation à son public, et de l’anticipation sur ce qui pourra le convaincre. Pour cela, l’orateur prend explicitement en compte les avis opposés aux siens, pour les discuter et les nuancer, non pas de manière frontale, mais avec une beaucoup de finesse et diplomatie :</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir. »</p>
</blockquote>
<p>Rappelons que l’homme a manifesté un engagement de longue date, en tant qu’avocat, sur la question de la peine de mort : sa défense de Roger Bontems, puis de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2024/02/09/la-plaidoirie-de-robert-badinter-au-proces-de-patrick-henry-en-1977-moi-je-vous-dis-si-vous-le-coupez-en-deux-cela-ne-dissuadera-personne_6215669_1819218.html">Patrick Henry</a>, ont en effet <a href="https://www.huffingtonpost.fr/justice/video/mort-de-robert-badinter-roger-bontems-et-patrick-henry-les-deux-proces-qui-ont-faconne-son-combat_229581.html">façonné son combat</a>. Et, comme il l'a raconté par la suite et comme on le ressent dans son discours, l’exécution de Roger Bontems, à laquelle il assista en 1972, le marque à jamais.</p>
<p>La réfutation se fait à la fois par la démonstration logique, mais elle est introduite par une touche personnelle appuyant sur l’expérience de l’orateur :</p>
<blockquote>
<p>« À cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. »</p>
</blockquote>
<p>Cette dimension faillible peut prendre la forme de « l’erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent ». Mais elle peut aussi se traduire par « l’incertitude » et « la contradiction des décisions rendues » : différentes cours ou magistrats peuvent rendre des verdicts différents pour des mêmes faits et affaires.</p>
<p>On voit bien ici, <a href="https://doi.org/10.4000/mots.4903">à la suite de Raphël Michelli</a>, que</p>
<blockquote>
<p>« dans son argumentation, il [Robert Badinter] cherche à débarrasser l’orateur abolitionniste d’un éthos humaniste naïf, aveuglé par sa foi en l’homme ».</p>
</blockquote>
<p>Il se crédite en effet d’un éthos de logique et d’évidence, qui assoit l’argumentation, et anticipe sur les discours antagonistes et les objections.</p>
<h2>Un monologue en forme de dialogue : un orateur interlocuteur</h2>
<p>On peut ainsi dire que Robert Badinter réussit son pari en « coupant l’herbe sous le pied » de ses contradicteurs.</p>
<blockquote>
<p>« La vérité est que, au plus profond des motivations de l’attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l’élimination. Ce qui paraît insupportable à beaucoup, c’est moins la vie du criminel emprisonné que la peur qu’il récidive un jour. Et ils pensent que la seule garantie, à cet égard, est que le criminel soit mis à mort par précaution. Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence.</p>
<p>Au-delà de la justice d’expiation, apparaît donc la justice d’élimination, derrière la balance, la guillotine. L’assassin doit mourir tout simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît si simple, et tout paraît si juste ! Mais quand on accepte ou quand on prône la justice d’élimination, au nom de la justice, il faut bien savoir dans quelle voie on s’engage. Pour être acceptable, même pour ses partisans, la justice qui tue le criminel doit tuer en connaissance de cause. […]</p>
<p>Je m’en tiens à la justice des pays qui vivent en démocratie. Enfoui, terré, au cœur même de la justice d’élimination, veille le racisme secret. […] Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? C’est une interrogation, ce n’est qu’une interrogation, mais elle est si pressante et si lancinante que seule l’abolition peut mettre fin à une interrogation qui nous interpelle avec tant de cruauté. »</p>
</blockquote>
<p>Le passage commence par entrer en dialogue avec les tenants de l’« attachement à la peine de mort », cette « conception », ses « partisans ».</p>
<p>Il argumente en lien avec la vengeance, la prudence, et l’élimination, mais surtout il parvient à réorienter la discussion vers « une interrogation qui nous interpelle » : cette formulation ne pourrait pas être davantage orientée vers le dialogue, et pourtant elle procède d’une habileté à faire le lien entre élimination et racisme, et donc à mettre en cause les jugements moraux au regard de l’origine des condamnés.</p>
<p>On retrouve bien ce que le sociologue Francis Chatauraynaud appelle la <a href="https://journals.openedition.org/ress/93">« reprise dialogique des arguments adverses »</a>.</p>
<p>Ici, Robert Badinder met en lien des arguments et des valeurs, et fait le lien entre l’abolition et des valeurs de gauche : il met en discussion les doctrines, les arguments, et positionne son argumentation de manière juste et efficace.</p>
<p>Conclusion : les mots ont un sens, qui se partage, dans une certaine mesure.</p>
<p>Si Robert Badinter en réfère à la fois au cœur et à la raison des députés, c’est qu’il s’est livré, dans son discours, à une argumentation pleine et totale : captivant l’auditoire par les émotions, il a mis ce recours aux affects au service d’une logique implacable et d’une démonstration précise, qui entre en dialogue avec les objections et réfutations potentielles.</p>
<p>Cette relation crée donc un partage du sens, une co-construction d’une réalité qui allie ses arguments et les discours circulants.</p>
<h2>« Faussaires de l’Histoire »</h2>
<p>Reste qu’il y a une limite à cette plasticité du discours et des mots, qu’il a magnifiquement résumée lors d’une séquence face à Robert Faurisson devant la 17<sup>e</sup> chambre du tribunal de grande instance de Paris, en mars 2007. Robert Badinter s’adresse alors à l’historien négationniste, qui le poursuit en diffamation, pour l’avoir qualifié, lors d’une émission diffusée sur la chaîne Arte, de<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/03/13/robert-badinter-poursuivi-par-le-negationniste-robert-faurisson-a-fustige-l-une-des-pires-entreprises-de-faussaires-de-l-histoire_882421_3224.html">« faussaire de l’histoire »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lVeho5-J5ws?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le 12 mars 2017, au Tribunal de grande instance de Paris, Robert Badinter se défend face au négationniste Robert Faurisson.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il est question dans cet extrait de l’expression « escroquerie politico-financière » que Faurisson utilise à propos des demandes de réparation financières des juifs survivants de déportation ou des descendants des victimes de l’Holocauste.</p>
<p>Voici les mots de Robert Badinter, qui gagnera ce procès :</p>
<blockquote>
<p>« Les mots ont un sens, sauf pour ceux qui les utilisent comme vous. Et pour qu’il n’y ait aucune équivoque, que les choses soient claires, pour moi jusqu’à la fin de mes jours, tant que j’aurai un souffle, Monsieur Faurisson, vous ne serez jamais, vous et vos pareils, que des faussaires de l’Histoire. »</p>
</blockquote>
<p>On ressent bien ici cette dimension incarnée, et partagée, des mots et de leur sens, et de leur dimension relationnelle : cette relation, possible dans le cadre de son fameux discours pour réclamer l’abolition de la peine de mort, est ici rendue impossible, tant la distance et l’opposition avec l’interlocuteur est totale et irréconciliable.</p>
<p>Cela remet en quelque sorte l’humain au cœur de la langue, interroge sur son partage, et illustre la nécessité de ne pas transiger en matière de discours. Les mots ne sont pas que des mots.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223292/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, Robert Badinter a livré une magistrale leçon d’éloquence pour défendre l’abolition de la peine de mort.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2227902024-02-11T16:56:40Z2024-02-11T16:56:40ZLa population de la France va-t-elle diminuer suite à la baisse de la natalité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574346/original/file-20240208-30-1fxzgt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C48%2C3264%2C2394&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une projection permet d'estimer si la population de la France peut baisser à partir des derniers calculs de l'Insee. Foule, braderie de Lille.</span> <span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les évolutions démographiques récentes en France, marquées notamment par une <a href="https://www.mnhn.fr/fr/actualites/faut-il-s-inquieter-d-une-baisse-de-la-natalite">diminution importante du nombre de naissances en 2023</a> par rapport à 2022, annoncent-elles une baisse de la population ? Le calcul de projections permet de répondre en décrivant les conséquences de la situation actuelle si elle perdurait.</p>
<p>Le nombre de naissances diminue depuis quelques années en France, le dernier bilan démographique <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004">publié par l’Insee</a> indiquant une nouvelle baisse en 2023 par rapport à 2022, 678 000 contre 726 000, soit 52 000 naissances de moins (7 %). L’indicateur de fécondité passe de 1,79 enfant par femme en 2022 à 1,68 en 2023.</p>
<h2>La population n’a pas diminué en 2023</h2>
<p>Cette baisse n’a pas entraîné de diminution de la population, parce que les décès restent moins nombreux que les naissances, leur nombre ayant aussi diminué entre 2022 et 2023, de presque autant que les naissances, passant de 675 000 à 638 000.</p>
<p>La baisse du nombre de décès traduit une forte hausse de l’espérance de vie à la naissance qui effectue un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004">bond entre 2022 et 2023</a> : elle atteint 80,0 ans pour les hommes et 85,7 ans pour les femmes en 2023, contre respectivement 79,3 ans et 85,1 ans en 2022, soit un gain de 0,7 an pour les hommes et 0,6 an pour les femmes.</p>
<p>Avec ce bond, l’espérance de vie fait plus que rattraper son niveau de 2019 et se situe dans la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004">tendance à la hausse</a> observée avant l’épidémie de Covid-19, interrompue pendant trois années. L’espérance de vie a en effet reculé en 2020 en raison de l’épidémie de Covid-19, puis a stagné ou n’a augmenté que faiblement en 2021 et 2022 en raison de la poursuite de l’épidémie conjuguée à une épidémie de grippe saisonnière meurtrière et plusieurs canicules ayant entraîné également des <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6959520?sommaire=4487854">surmortalités</a>.</p>
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<p>Le solde naturel, différence entre les nombres de naissances et de décès, est positif et se situe presque au même niveau que l’année précédente : 47 000 en 2023 contre 51 000 en 2022. Il contribue à la croissance de la population, mais en partie seulement. Le solde migratoire, différence entre les entrées et les sorties du territoire, positif également, y contribue aussi et de façon plus importante. Estimé à 183 000 en 2023 <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004">par l’Insee</a>, il représente les quatre cinquièmes de l’augmentation de la population en 2023, le solde naturel n’en représentant qu’un cinquième.</p>
<p>Mais si la population n’a pas diminué en 2023, les changements observés cette année-là, notamment la baisse de la fécondité, ne portent-ils pas en germe une diminution prochaine de la population et un vieillissement démographique accru ? Examinons les futurs possibles à l’aide de projections et voyons les différences avec les projections publiées par l’Insee en 2021.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/rearmement-demographique-ou-comment-rater-la-cible-de-communication-221667">« Réarmement démographique » ou comment rater la cible (de communication) ?</a>
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<h2>Les dernières projections de l’Insee publiées en 2021</h2>
<p>L’Insee a publié en novembre 2021 des projections de population pour la France à <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893969">l’horizon 2070</a>. Le scénario central, fondé sur les tendances démographiques des années précédentes, retient une fécondité de 1,8 enfant en moyenne par femme, soit un niveau proche de celui de 2020, maintenu constant tout au long de la projection ; une mortalité continuant à baisser au même rythme qu’au cours de la décennie 2010, l’espérance de vie à la naissance atteignant 87,5 ans pour les hommes en 2070 contre 79,7 ans en 2019, avant l’épidémie de Covid-19, soit une progression de 7,8 ans et, pour les femmes, 90,0 ans contre 85,6 ans, soit une progression de 4,4 ans ; et un solde migratoire de + 70 000 personnes par an maintenu également constant.</p>
<p>Dans ce scénario central de l’Insee, la France compterait 68,1 millions d’habitants au 1<sup>er</sup> janvier 2070, contre 67,4 millions au 1<sup>er</sup> janvier 2021, soit 700 000 de plus. La population continuerait d’augmenter jusqu’à un maximum de 69,3 millions en 2044 puis diminuerait ensuite <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-2-page-1.htm">jusqu’à 68,1 millions en 2070</a> (figure 1).</p>
<p><iframe id="uVNO9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/uVNO9/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Un nouveau scénario « 2023 »</h2>
<p>Les évolutions observées depuis la publication des projections de l’Insee ne correspondent pas au scénario central, ce qui n’est pas étonnant en soi, tout exercice de projection étant appelé à être démenti par la réalité – l’objectif n’est pas de deviner le futur mais de dire ce qu’il serait sous telles et telles conditions.</p>
<p>Nous avons calculé de nouvelles projections avec un scénario modifié par rapport au scénario central de l’Insee de 2021 tenant compte des évolutions observées depuis.</p>
<p>Ce nouveau scénario, dénommé ici « 2023 », fait l’hypothèse d’une fécondité constante de 1,68 enfant par femme, le niveau observé en 2023, au lieu de 1,8 enfant, niveau retenu dans le scénario central de l’Insee.</p>
<p>La forte baisse de la fécondité en 2023 pourrait certes être suivie de nouvelles baisses dans les années futures. Mais elle pourrait aussi s’interrompre et laisser place à une hausse, <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19706/naissances_retardees.fr.pdf">comme cela a été observé</a> il y a <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/conjoncture-demographique/les-naissances-sont-retardees">30 ans</a>.</p>
<p>La fécondité avait en effet baissé dans les années 1980 et le début des années 1990 jusqu’à un niveau de 1,68 enfant en 1993 et 1994, comme en 2023. Cette baisse avait alors été expliquée par la crise qui a suivi la <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/2010-fecondite-insensible-crise-economique/">chute de l’empire soviétique</a>.</p>
<p>Elle avait ensuite augmenté continûment pendant toute la deuxième moitié des années 1990 et les années 2000 pour atteindre 2,03 enfants en 2010. L’hypothèse d’une fécondité stable à son niveau actuel de 1,68 enfant par femme représente donc un compromis entre deux tendances possibles, à la baisse ou à la hausse.</p>
<p>Pour le solde migratoire annuel, nous retenons un niveau stable de 180 000 par an, le niveau de 2023, au lieu de 70 000 dans le scénario central de l’Insee de 2021. Concernant la mortalité, nous reprenons l’hypothèse de hausse de l’espérance de vie du scénario central sans la changer.</p>
<h2>Avec les conditions de 2023, le solde naturel devient négatif à partir de 2030…</h2>
<p>Le scénario 2023 conduit à une baisse du nombre de naissances et une hausse de celui des décès, les deux courbes se croisant en 2030 et le solde naturel devenant négatif. Le déficit s’accroît ensuite et le solde atteint -166 000 vers 2060 (figure 2).</p>
<p>La hausse du nombre de décès n’est pas liée à une augmentation de la mortalité, au contraire, celle-ci diminue à tous les âges dans le scénario. Elle vient de l’arrivée aux âges élevés des générations nombreuses du baby-boom qui vont alimenter les décès au fur et à mesure de leur <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/nombre-deces-augmenter-france-prochaines-annees">extinction</a>. Par rapport au scénario central de 2021, le nombre de décès est un peu plus élevé, les migrants (et donc leurs décès) étant plus nombreux ; le nombre de naissances est un peu plus faible, les naissances supplémentaires de migrants compensant en partie une fécondité plus basse. Le solde naturel est au total assez peu modifié.</p>
<p><iframe id="VYzKl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/VYzKl/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>… mais la population augmente de façon continue</h2>
<p>Le scénario 2023 conduit à une hausse ininterrompue de la population jusqu’à 72,1 millions en 2070 (figure 1). En 2021, l’Insee, en plus de son scénario central, a proposé différents scénarios alternatifs. Notre scénario 2023 aboutit à une population totale dont la progression est très proche de celles dans deux de ces scénarios alternatifs, appelés « fécondité haute » (2,0 enfants par femme, solde migratoire de 70 000) et « migrations hautes » (1,8 enfant par femme, solde migratoire de 120 000), conduisant tous les deux à 72,2 millions d’habitants en 2070, contre 68,1 dans le scénario central.</p>
<p>Avec le scénario 2023, le nombre de naissances à l’horizon 2070 est pratiquement le même que dans le scénario central (650 000 contre 660 000), et l’évolution des décès est très proche.</p>
<p>La population totale est plus importante en 2070, le surplus s’étalant entre 15 et 85 ans. La population vieillit dans les deux scénarios de manière similaire.</p>
<p><iframe id="52y8Q" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/52y8Q/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le futur n’est pas écrit et des évolutions s’écartant du scénario 2023 présenté ici sont évidemment probables.</p>
<p>On peut envisager une poursuite de la baisse de la fécondité, une hausse du solde migratoire, de nouvelles crises de mortalité. Cette projection a cependant l’intérêt de montrer que la situation actuelle, si elle se prolonge sans changement pour la fécondité ni pour le solde migratoire, les progrès contre la mort se poursuivant, ne conduit pas à une diminution de la population. La population en 2070 serait plus importante dans ce scénario que dans le scénario central de l’Insee de 2021 : le solde migratoire plus important fait plus que compenser la fécondité plus basse.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs ont reçu un soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Toulemon a reçu des financements de France 2030, de l'Agence nationale pour la recherche, de la Caisse nationale des allocations familiales et de l'Union européenne pour la réalisation d'une enquête sur les relations familiales et intergénérationnelles, dans le cadre du projet européen Generations and Gender Programme et de l’infrastructure de recherche Observatoire français des parcours de vie (LifeObs). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gilles Pison a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche française et des National Institutes of Health américains</span></em></p>La baisse du nombre de naissances en 2023 annonce-t-elle une diminution de la population ? Une projection à l’horizon 2070 montre qu’elle continuerait d’augmenter dans les conditions actuelles.Laurent Toulemon, Directeur de recherches, Institut National d'Études Démographiques (INED)Gilles Pison, Anthropologue et démographe, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle et conseiller de la direction de l'INED, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2227752024-02-08T17:00:20Z2024-02-08T17:00:20ZAgriculture : comment Napoléon III a permis le productivisme à la française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/573508/original/file-20240205-23-b5p2m7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C5%2C3982%2C3233&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La récolte des foins. Huile sur toile, 1881, Julien Dupré. L'agriculture de subsistance qui co-existait avec l'agriculture commerciale connaît un bouleversement sans précédent sous Napoléon III et laissera peu à peu place au modèle intensif.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/de/Julien_Dupr%C3%A9_-_La_Recolte_Des_Foins.jpg">Julien Dupré /Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Le slogan « Notre fin sera votre faim », martelé sur chaque barrage routier depuis le départ de la contestation, témoigne de la crise morale et identitaire que traverse l'agriculture française. Le principe de « souveraineté alimentaire » <a href="https://twitter.com/FNSEA/status/1753158150818000996">se situe au cœur des revendications</a>. Arnaud Rousseau en fait son cheval de bataille depuis son élection à la présidence de la FNSEA en avril 2023. Il demande au gouvernement à ce que cet objectif de souveraineté alimentaire soit <a href="https://www.leparisien.fr/economie/colere-des-agriculteurs-on-veut-du-concret-sinon-on-remettra-le-couvert-assure-le-patron-de-la-fnsea-02-02-2024-VT2FYCEQHNBJBB6DNOETVY2NWA.php">inscrit dans la loi</a>. Pour lui, la souveraineté alimentaire est indissociable d'une agriculture française exportatrice et surtout <a href="https://www.lepoint.fr/politique/arnaud-rousseau-le-discours-de-macron-est-aux-antipodes-de-ce-que-fait-son-administration-13-01-2024-2549625_20.php">compétitive sur les marchés européens et mondiaux</a>.</p>
<p>La notion a pourtant été conçue dans un tout autre sens par le mouvement <a href="https://viacampesina.org/fr/vingt-cinq-ans-de-conviction-et-dengagement-pour-la-souverainete-alimentaire-celebrer-la-diversite-la-resilience-et-notre-volonte-de-transformer-la-societe/">Via Campesina</a>, qui la définit comme </p>
<blockquote>
<p>« le droit des personnes à produire de manière autonome […] en utilisant des ressources locales et par des moyens agroécologiques, principalement pour répondre aux besoins alimentaires locaux de leurs communautés ». </p>
</blockquote>
<p>Or, la centralité de l'acte de production et de la recherche du profit ouvre la voie au productivisme. En reprenant à son compte cette notion, A. Rousseau ne fait donc que rafraîchir la devanture de la vieille boutique agricole sans en modifier le fonds de commerce. Bien qu'il affirme le contraire, le président de la FNSEA défend la logique productiviste, qui est un facteur héréditaire de l'identité agricole de la France depuis la fin du Second Empire (1852-1870).</p>
<h2>L’invention du paradigme productiviste</h2>
<p>L’agronome <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_Lecouteux">Édouard Lecouteux</a> (1819-1893), considéré comme le <a href="https://books.google.fr/books?id=TtcqimtmTPQC&pg=PA31">« père fondateur de l’économie rurale »</a>, est en quelque sorte le concepteur du paradigme productiviste en matière agricole. En 1855, il publie ses <a href="https://books.google.fr/books?id=85Q3AAAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage"><em>Principes économiques de la culture améliorante</em></a>, guide pour faire de la ferme une « entreprise » capitaliste et l’agriculture une « industrie » moderne.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Portrait d’Édouard Lecouteux, agronome français du XIXᵉ siècle" src="https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573399/original/file-20240205-18-cn1rjf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Portrait d’Édouard Lecouteux, agronome français du XIXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_Lecouteux#/media/Fichier:%C3%89douard-Michel_Lecouteux.png">Société des agriculteurs de France -- Académie des sciences et lettres de Montpellier, conférence du 15/4/96. Bull. Acad. Sci. et Lettres de Montpellier, tome 27, pp. 117-134</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lecouteux mise sur la concurrence internationale pour encourager les transformations, à une époque où la France applique des tarifs douaniers prohibitifs. L’instauration du libre-échange permettra, selon lui, de réveiller « ces campagnes qui dorment ». Il entend par là mettre fin à l’emprise de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_subsistance">l’économie de subsistance</a>, qui est le modèle agricole dominant depuis des siècles. Néanmoins, une <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/2346">agriculture commerciale</a> coexiste séparément avec l’économie de subsistance depuis la fin du XVII<sup>e</sup> siècle. C’est une agriculture spéculative, avec des produits destinés à la vente. Elle renvoie à des activités diverses – céréaliculture, viticulture, élevages, cultures maraîchère et industrielle, etc. – selon les régions. Quoique minoritaire, elle gagne du terrain à mesure que les infrastructures et les villes se développent en France. Lecouteux écrit à raison que l’accroissement des débouchés est le « plus vif stimulant des progrès agricoles » : la hausse des prix incite à produire davantage.</p>
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<p>Dans son livre, Lecouteux s’adresse aussi bien aux promoteurs d’un capitalisme agricole qu’aux propriétaires rentiers, d’origine nobiliaire ou bourgeoise, qui possèdent les fonds pour améliorer leurs terres. À compter des années 1820, ces « agriculteurs » fondent des sociétés d’agriculture et des <a href="https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/final_04.01.q11_les_comices_agricoles.pdf">comices agricoles</a>, dans l’objectif d’augmenter leurs revenus et de raffermir leur influence locale. Toutefois, un nombre important de propriétaires fonciers continue à produire du blé par l’intermédiaire de fermiers ou de métayers, car cette culture comporte peu de risques alimentaires et financiers.</p>
<h2>La crise finale de l’économie de subsistance</h2>
<p>L’identité agricole de la France change durant la décennie 1860. À partir de 1860, année de ratification du <a href="https://www.herodote.net/23_janvier_1860-evenement-18600123.php">traité de libre-échange franco-britannique</a>, le gouvernement de Napoléon III négocie une série d’accords comparables avec d’autres États voisins. Il espère pousser l’industrie française à se moderniser et réduire le coût de l’alimentation pour les citadins. Cette <a href="https://www-cairn-info.distant.bu.univ-rennes2.fr/un-empire-de-velours--9782348073359.htm">« véritable diplomatie du libre-échange »</a>, selon l’historien David Todd, vise à placer la France au centre du commerce mondial.</p>
<p>Dès le milieu des années 1860, la France constitue le noyau d’un espace européen du libre-échange s’étendant de la Scandinavie à la péninsule ibérique. Le secteur agricole, qui produit plus de 50 % de la richesse nationale, est un atout économique de poids. <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/52838">La France est le premier producteur de blé de la planète à cette époque</a>. Les producteurs de céréales et les propriétaires fonciers croient que l’abaissement des tarifs douaniers leur permettra d’exporter leurs récoltes sur le marché britannique. Sauf que la Grande-Bretagne préfère acheter son blé aux États-Unis en raison de leur histoire commune. En parallèle, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Minoterie">meuniers</a> du sud de la France importent des céréales depuis la Russie. Les consommateurs anglais rechignent à boire du vin français, alors qu’à l’origine les viticulteurs comptent sur eux pour écouler leurs surplus. En 1864-1866, les cours des prix du blé et du vin s’effondrent donc sous l’effet de la surproduction. L’agriculture française entre en « crise ».</p>
<p>Celle-ci affecte principalement les élites de la terre dont les revenus dépendent de l’état des marchés : les viticulteurs, les céréaliers capitalistes du Bassin parisien et les propriétaires rentiers qui, bien organisés, manifestent très vite leur mécontentement.</p>
<p>Les élites monarchistes hostiles à Napoléon III accusent le libre-échange et la concurrence déloyale d’être responsables des « souffrances agricoles ». Ils estiment que les agriculteurs étrangers produisent avec moins de contraintes fiscales et législatives. Beaucoup d’entre eux font partie d’associations agricoles et s’expriment au nom des <a href="https://books.openedition.org/cths/2753">millions de cultivateurs français</a>.</p>
<p>Les paysans ne ressentent pourtant pas vraiment cette crise. Le gouvernement réagit de façon inappropriée et défend à tout prix sa politique. Il exhorte les cultivateurs à réduire leurs emblavures <a href="https://www.cnrtl.fr/lexicographie/emblavure">(terres ensemencées)</a>, à produire de la viande, à mettre en pratique la logique productiviste.</p>
<p>Les autorités et les libre-échangistes croient que l’économie de subsistance est la source de la crise. Le discours gouvernemental n’est que partiellement audible pour les élites en colère. Elles réclament soit un allègement des charges pour être plus compétitives, soit l’instauration de mesures protectionnistes. Alors que ce « malaise temporaire » met à l’épreuve la capacité de résistance des rentiers et des capitalistes du sol, le débat public concourt à en faire une crise d’adaptation du modèle agricole de subsistance aux lois du marché. La politisation de la contestation conduit Napoléon III à ouvrir une vaste enquête, en 1866, dans le but de rechercher et de remédier aux causes de la crise agricole.</p>
<h2>L’enquête agricole de 1866-1870 : le triomphe du productivisme ?</h2>
<p><a href="https://theses.hal.science/tel-04187197">L’enquête agricole de 1866-1870</a> est la plus grande investigation organisée par un État européen au XIX<sup>e</sup> siècle. Le gouvernement institue des commissions dans chaque département pour auditionner les agriculteurs, mais aussi toutes autres personnes voulant être entendues. Les commissions se composent de notables, c’est-à-dire des nobles ou des bourgeois fortunés et influents auprès des populations rurales. La France des 89 départements est divisée en 28 circonscriptions. Comme il n’existe pas de véritable ministère de l’Agriculture, ce sont des commissaires délégués par le pouvoir et les préfets qui se chargent de superviser l’enquête.</p>
<p>L’administration invite les associations agricoles et les conseils généraux à répondre à un questionnaire de 80 pages.</p>
<p>Il ne s’agit pas d’établir un tableau complet des campagnes françaises, mais d’inventorier les progrès agricoles réalisés et ceux qui sont encore à effectuer. L’agriculture de subsistance, jugée routinière, n’intéresse pas les enquêteurs, sauf pour la critiquer.</p>
<p>Le gouvernement étend aussi l’enquête à 31 États, répartis sur cinq continents, par l’intermédiaire des diplomates et des consuls. Son objectif est de mener une étude comparative des modèles agricoles étrangers, afin d’évaluer le degré de compétitivité de l’agriculture française. Seul le modèle agricole britannique est valorisé. Les notables ont le monopole de la participation que ce soit en France ou à l’étranger.</p>
<h2>Le premier atlas de la France agricole</h2>
<p>Les renseignements collectés sont imprimés et rassemblés dans une collection de 38 gros volumes, d’environ 20 000 pages. En 1870, ces données servent pour la confection du premier <a href="https://mrsh.unicaen.fr/bibagri2/france-agricole/nomenclature-cartes-agricoles.html"><em>Atlas de la France agricole</em></a> comprenant 45 cartes. Les résultats de l’enquête comprennent les revendications des élites agricoles, mais le pouvoir central qui leur promet des réformes préfère temporiser. En 1867, Lecouteux, devenu rédacteur en chef du Journal d’agriculture pratique, appelle les <a href="https://books.openedition.org/pur/20250">agrariens</a> à former une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_des_agriculteurs_de_France">Société des agriculteurs de France</a> (SAF).</p>
<p>Ce groupe de pression, toujours en activité, constitue pour la première fois une représentation nationale des agriculteurs. Il donnera une impulsion décisive au syndicalisme agricole sous la III<sup>e</sup> République. Dans l’immédiat, la SAF presse Napoléon III de céder aux revendications formulées dans l’enquête. L’empereur accepte seulement de développer l’enseignement agricole afin de freiner l’exode rural et former professionnellement les <a href="https://theses.hal.science/tel-04187197">fils de paysans</a>. Bien que l’enquête révèle la capacité de résistance de la petite exploitation aux aléas du marché, elle préconise l’arrêt du modèle économique de subsistance.</p>
<p>L’enquête de 1866-1870 annonce ainsi la fin de la coexistence pacifique entre celui-ci et le modèle agricole capitaliste. Cela montre que l’État a joué un rôle essentiel dans la transition entre les deux modèles, tout comme il choisit aujourd’hui de tolérer la cohabitation entre <a href="https://www.inrae.fr/actualites/meilleure-comparaison-entre-agriculture-biologique-conventionnelle">l’agriculture « conventionnelle »</a> et l’agriculture biologique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Hamon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise agricole française et sa logique productiviste est un facteur héréditaire de l’identité agricole de la France depuis la fin du Second Empire (1852-1870).Anthony Hamon, Docteur en histoire contemporaine, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2220662024-01-28T16:09:20Z2024-01-28T16:09:20ZColère des agriculteurs : « Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif »<p><em>Voici plusieurs mois qu’un mouvement de colère monte dans le monde agricole français. Cela a commencé par des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/agriculteurs-en-colere-des-centaines-de-panneaux-retournes_6197664.html">panneaux de villes retournés</a>, censés évoquer un monde qui tourne à l’envers, puis ces dernières semaines, des actions plus traditionnelles ont pris le premier plan médiatique : blocage autoroutier, déversement de fumier, défilé de tracteurs.La composition de ce mouvement inédit, tout comme les causes qui l’ont fait naître, sont diverses. L’occasion pour The Conversation d’interroger la sociologie d’un monde agricole français fragmenté et à la croisée des chemins avec Gilles Laferté, chercheur en sciences sociales spécialiste des agriculteurs.</em></p>
<hr>
<p><strong>Médiatiquement, il est souvent question des agriculteurs, comme si ces derniers représentaient un groupe social unifié. Est-ce le cas ? </strong></p>
<p>D’un point de vue administratif, institutionnel, du point de vue de la description économique d’une tâche productive, « les agriculteurs », entendus comme les exploitants agricoles, ça existe. Mais d’un point de vue sociologique, non, <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/9560">ce n’est pas un groupe</a>. Les viticulteurs de régions canoniques du vin, ou les grands céréaliers des régions les plus productives, n’ont pas grand-chose à voir avec les petits éleveurs, les maraîchers ou ceux qui pratiquent une agriculture alternative. </p>
<p>Le sociologue aura dont plutôt tendance à rattacher certains d’entre eux aux catégories supérieures, proches des artisans, commerçants, chefs d’entreprises voire des cadres, et d’autres aux catégories supérieures des classes populaires. La plupart des agriculteurs sont proches des pôles économiques, mais une partie, sont aussi fortement dotés en capitaux culturels. Et, encore une fois, même dans les classes populaires, les agriculteurs y seront à part. C’est une classe populaire à patrimoine, ce qui les distingue de manière très décisive des ouvriers ou des petits employés. </p>
<p>Dans l’histoire de la sociologie, les agriculteurs ont d’ailleurs toujours été perçus comme inclassables. Ils sont autant du côté du capital que du travail. Car ils sont propriétaires de leur propre moyen de production, mais en revanche ils n’exploitent souvent personne d’autre qu’eux-mêmes et leur famille, pour une grande partie. Autre dualité dans leur positionnement : ils sont à la fois du côté du travail en col blanc avec un ensemble de tâches administratives de planification, de gestion, de projection d’entreprise sur le futur, de captation de marchés, mais ils sont aussi du côté du col bleu, du travail manuel, de ses compétences techniciennes. </p>
<p><strong>Comment expliquer alors qu’en France, ce groupe soit encore si souvent présenté comme unifié ?</strong></p>
<p>Cette illusion d’unité est une construction à la fois de l’État et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour un bénéfice mutuel historique : celle d’une co-gestion. Globalement, l’État s’adresse aux agriculteurs via ce syndicat dominant, pour tâcher de bâtir une politique publique agricole cohérente. Même si la co-gestion a été dépassée pour être plus complexe, cette idée que l’agriculture était une histoire entre l’État et les agriculteurs perdure comme on le voit dans les syndicats invités à Matignon, uniquement la FNSEA au début de la crise. La FNSEA a tenté historiquement de rassembler les agriculteurs pour être l’interlocuteur légitime. Mais cet état des lieux est aussi le fruit de l’action historique de l’État, qui a forgé une batterie d’institutions agricoles depuis la IIIème République avec le Crédit Agricole, une mutuelle sociale agricole spécifique, des chambres d’agriculture… Jusque dans les statistiques, les agriculteurs sont toujours un groupe uni, à part, ce qui est une aberration pour les sociologues. </p>
<p>Tout cela a produit l’image d’une existence singulière et unifiée du monde agricole, et dans le quotidien des agriculteurs, on trouve l’écho de cela dans des pratiques sociales communes instituées : l’immense majorité des agriculteurs va de fait à la chambre de l’agriculture, au <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-economique-2020-1-page-156.htm">Crédit Agricole</a> ou à Groupama, ils sont tous affiliés à la <a href="https://www.musee-assurance-maladie.fr/sites/default/files/users/user38/MSA.pdf">mutuelle sociale agricole</a>. </p>
<p><strong>Lorsqu’un agriculteur est présenté, c’est souvent par son type d’activité, la taille de son exploitation, son revenu, son appartenance syndicale. Ces critères sont-ils suffisants pour comprendre sa singularité ?</strong></p>
<p>Ces critères sont pertinents mais pas suffisants. D’abord, ils sont en général assez liés. Le type de culture, et ensuite la taille de l’exploitation sont très prédictifs du revenu, avec des filières particulièrement rémunératrices (céréales, viticulture), qui garantissent, avec un nombre d’hectares suffisants, des revenus, et, en bas de l’échelle, le lait, le maraîchage, beaucoup moins rémunérateur. Cette réalité est d’ailleurs assez injuste car les filières les moins rémunératrices sont aussi celles où l’on travaille le plus, du fait des contraintes de traite, de vêlage. </p>
<p>Ensuite, bien sûr, l’appartenance syndicale est très importante, elle situe l’univers de référence, le sens politique d’un agriculteur, son projet de société derrière son activité, avec par exemple une logique productiviste derrière la FNSEA ; une politisation bien à droite, aujourd’hui proche du RN, de plus en plus assumée ces derniers jours du côté de la Coordination Rurale ; et enfin des projets alternatifs, centrés autour de petites exploitations, d’accélération de la transition avec la Confédération Paysanne. </p>
<p>Mais ces critères sont loin d’être suffisants, ceux des générations et des origines sociales sont devenus également déterminants. </p>
<p>Car il faut garder en tête que le groupe agricole est aujourd’hui un groupe âgé, avec une moyenne d’âge d’actifs qui dépasse les cinquante ans en moyenne. Le monde agricole est donc traversé par un enjeu de renouvellement des générations. Ce même monde agricole est aussi un des groupes les plus endogames qui soient. Être agriculteur, c’est surtout être enfant d’agriculteur ou marié à un enfant d’agriculteur, avec des croisements d’alliances historiquement importants à l’échelle du village, du canton, qui fait que les agriculteurs d’aujourd’hui, sont le produit des alliances des agriculteurs d’hier. Ceux qui ont raté ces étapes matrimoniales ont déjà quitté les mondes agricoles. </p>
<p>Mais aujourd’hui, cette réalité est en train de se fissurer. Pour renouveler les groupes agricoles, il faut donc aller puiser dans d’autres groupes sociaux, et les enfants d’agriculteurs d’aujourd’hui ne feront plus l’écrasante majorité des agriculteurs de demain. Des enfants d’autres groupes sociaux sont également attirés par les métiers agricoles. À ce titre, un slogan du mouvement actuel est très intéressant : <a href="https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/les-agriculteurs-se-relaient-pour-bloquer-l-a20-et-maintenir-la-pression-2713594">« l’agriculture : enfant on en rêve, adulte on en crève »</a>. </p>
<p>Cette façon dont l’agriculture fait rêver est un vrai phénomène nouveau, non pas pour les enfants d’agriculteurs, qui sont socialisés à aimer leur métier très tôt, mais pour les groupes extérieurs aux mondes agricoles. L’agriculture incarne désormais quelque chose de particulier dans les possibles professionnels, un métier qui a du sens, qui consisterait à nourrir ses contemporains, avec des productions qui seraient de qualité, pour la santé de chacun, soit une mission très noble. C’est une sorte d’anti-finance, d’anti <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/les-bullshit-jobs-rendent-les-gens-malheureux-pour-lanthropologue-david-graeber_2912267.html">« bullshit jobs »</a> pour parler comme l’anthropologue <a href="https://theconversation.com/david-graeber-1961-2020-auteur-de-bullshit-jobs-anthropologue-et-chercheur-en-gestion-146446">David Graeber</a>. </p>
<p>Tout cela génère d’énormes écarts dans le monde agricole entre ceux qui partent et ceux qui arrivent, ceux qui croient en la fonction productiviste de l’agriculture pour gagner des revenus corrects, et ceux qui veulent s’inscrire dans un monde qui a du sens. On trouve ainsi beaucoup de conflits sur les exploitations agricoles entre générations, entre anciens agriculteurs et nouveaux arrivants mais aussi des conflits familiaux. Les nouvelles générations, plus elles sont diplômées d’écoles d’agronomie distinctives, plus elles sont formées à l’agroécologie et plus elles vont s’affronter au modèle parental productiviste. </p>
<p><strong>On entend beaucoup d’agriculteurs s’inquiéter que leur monde disparaisse, n’est-il pas seulement en train de changer ?</strong></p>
<p>Le discours de la mort de l’agriculture est tout sauf nouveau. Un des plus grands livres de la sociologie rurale s’appelle d’ailleurs <a href="https://www.actes-sud.fr/node/15658"><em>La Fin des paysans</em></a>. Il est écrit en 1967. Depuis lors, les <a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">paysans </a>se sont effectivement transformés en agriculteurs, et aujourd’hui, on parle de moins en moins d’agriculteurs et de plus en plus d’exploitants agricoles, voire d’entrepreneurs agricoles, à tel point que l’on pourrait écrire <em>La Fin des agriculteurs</em>. De fait, c’est la fin d’un modèle, d’une période de politique publique qui favorisait uniquement le productivisme. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y aura plus de grandes exploitations productivistes, mais c’est la fin d’un mono bloc concentré sur l’idée principale de la production, de développement maximum des intrants et de la mécanisation.</p>
<p>Aujourd’hui, il y a <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">d’autres modèles alternatifs</a>qui sont en place et qui aspirent, en incluant l’environnement, la santé des agriculteurs et des ruraux à un autre mode de vie, plus seulement fondé sur l’accumulation matérialiste.</p>
<p>Les agriculteurs en ont conscience, leur modèle est en pleine transformation, et d’ailleurs les agriculteurs d’aujourd’hui eux-mêmes ne veulent plus vivre comme leur parent. Ils revendiquent une séparation des scènes familiales et professionnelles, et aspirent donc à ne pas nécessairement vivre sur l’exploitation, pouvoir partir en vacances, avoir du temps à soi, un modèle plus proche du monde salarial en général. Donc si les agriculteurs crient à la fin d’un monde, ils sont aussi les premiers à espérer vivre autrement. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">Une vraie souveraineté alimentaire pour la France</a>
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<p>Et ceux qui sont en colère aujourd’hui ne le sont pas que contre l’Europe, l’État, la grande distribution, les normes, mais également contre eux-mêmes, leurs enfants, leurs voisins. Ils voudraient incarner la transformation mais ils n’ont pas les moyens d’accélérer le changement et subissent des normes qui vont plus vite qu’eux. </p>
<p>Ceux qui manifestent pour avoir du gazole moins cher et des pesticides savent qu’ils ont perdu la bataille, et qu’ils ne gagneront qu’un sursis de quelques années, car leur modèle n’est tout simplement plus viable. Ils sont aussi en colère contre les syndicats qui étaient censés penser pour eux la transformation nécessaire. La FNSEA ne maîtrise pas vraiment le mouvement. Ils savent qu’ils ne peuvent plus modifier la direction générale du changement en cours, ils souhaitent seulement être mieux accompagnés ou a minima, le ralentir.</p>
<p><strong>Si l’on revient à l’idée d’un monde agricole qui se meurt, difficile de ne pas penser également au <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/fiche4-10.pdf">nombre de suicides</a> parmi les agriculteurs, avec deux suicides par jour en moyenne.</strong></p>
<p>Ces chiffres dramatiques sont effectivement les plus élevés parmi les groupes professionnels. Ils sont aussi révélateurs des immenses changements du monde agricole depuis un siècle. L’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avoir-raison-avec-emile-durkheim/le-suicide-une-question-sociale-4844051">étude des suicides</a> est un des premiers grands travaux de la sociologie avec <a href="https://editions.flammarion.com/le-suicide/9782081219991">Émile Durkheim</a>. Or lorsque celui-ci étudie cette question, à la fin du XIXème siècle, le groupe agricole était alors celui qui se suicidait le moins. Il y avait peu de suicides car le monde agricole formait un tissu social très riche avec des liens familiaux, professionnels et villageois au même endroit.</p>
<p>Or aujourd’hui, on voit plutôt des conflits entre scène professionnelle et personnelle, une déconnexion avec le village et des tensions sur les usages productifs, résidentiels ou récréatifs de l’espace. Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif, provoquant un isolement des agriculteurs les plus fragiles dans ces rapports de force. La fuite en avant productiviste, l’angoisse des incertitudes marchandes, l’apparition des normes à rebours des investissements réalisés, l’impossible famille agricole entièrement consacrée à la production et les demandes sociales, générationnelles, pour le changement agricole, placent les plus fragiles dans des positions socialement intenables. Le sur-suicide agricole est en tout cas un indicateur d’un malaise social collectif, bien au-delà des histoires individuelles que sont aussi chacun des suicides. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-tant-de-suicides-chez-les-agriculteurs-162965">Pourquoi tant de suicides chez les agriculteurs ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/222066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Laferté ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si le syndicalisme et l'état français ont tâché de penser comme uni le monde agricole, celui-ci n'a en réalité jamais été uniforme. Il est, en plus de cela traversé par des conflits de générations.Gilles Laferté, Directeur de recherche en sociologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216672024-01-25T14:51:43Z2024-01-25T14:51:43Z« Réarmement démographique » ou comment rater la cible (de communication) ?<p>« Permettre un réarmement démographique » : l’expression employée par le président Emmanuel Macron pour décrire son plan de relance de la natalité et de lutte contre <a href="https://theconversation.com/oui-messieurs-la-fertilite-masculine-decline-aussi-avec-lage-191911">l’infertilité</a> a suscité de vives réactions. Il ne s’agit pas ici de juger la pertinence de ce plan annoncé lors de sa conférence de presse du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ySrRVE3m_SU">16 janvier 2024</a>. Notre objectif est d’analyser ce que cette formule révèle de la difficulté de décideurs, gouvernementaux notamment, à comprendre la psychologie des comportements (et changements comportementaux). Sans cette compréhension, ils s’avèrent incapables de déterminer quelles conditions et caractéristiques doivent être respectées pour qu’une communication à visée persuasive soit efficace.</p>
<p>Ce travers s’était déjà exprimé lors de la pandémie de Covid-19 avec de multiples déclarations et <a href="https://theconversation.com/les-lecons-des-sciences-comportementales-pour-assurer-un-confinement-efficace-134831">mesures incitatives</a> ou coercitives aux résultats à l’efficacité nuancée (avec des dommages collatéraux parfois conséquents, comme une <a href="https://theconversation.com/appeler-a-la-peur-pour-proteger-la-population-et-obtenir-leffet-inverse-133946">montée importante de l’anxiété</a> pouvant aller <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19098/pandemie-2020">jusqu’à des symptômes</a> rappelant des <a href="https://datacovid.org/lefficacite-mitigee-des-appels-a-la-peur-dans-les-communications-du-covid19/">états de stress post-traumatique</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hymBfhTlob8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>La phrase d’Emmanuel Macron au sujet du « réarmement démographique » pour permettre « une France plus forte » « par la relance de la natalité » a pu être perçue comme réactionnaire. Elle a provoqué la colère de nombreuses personnalités politiques, notamment à la gauche de l’échiquier politique, mais aussi plus largement de diverses associations féministes ou concernées par les <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/rearmement-demographique-tolle-des-feministes-apres-les-propos-d-emmanuel-macron-20240117">droits des femmes et des familles</a>. Ce parti pris de formulation a occulté certaines mesures qui auraient pu être accueillies plus favorablement (par exemple, le plan de lutte contre l’infertilité attendu par <a href="https://www.midilibre.fr/2024/01/17/le-plan-de-lutte-contre-linfertilite-existe-maintenant-il-faut-le-mettre-en-oeuvre-estime-le-pr-samir-hamamah-11701559.php">certains spécialistes de la reproduction</a>) et a amoindri l’effet d’une perspective qui aurait pu avoir une connotation positive (la vie au travers de naissances à venir).</p>
<h2>Une rhétorique guerrière anxiogène</h2>
<p>Indépendamment d’un jugement sur le fond, la terminologie adoptée explique en partie ces réactions et marques de résistance. Tout d’abord, du fait de la rhétorique guerrière. L’historienne <a href="https://www.huffingtonpost.fr/life/article/parler-de-rearmement-demographique-est-extremement-inquietant-selon-cette-historienne_228477.html">Marine Rouch</a> a ainsi repéré « une sémantique ‘viriliste et guerrière’ qui n’a rien d’anodin ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747527169121648875"}"></div></p>
<p><em>Le caractère guerrier de la métaphore a suscité de nombreuses réactions</em></p>
<p>Déjà mobilisé lors du Covid, ce lexique guerrier, par ses références en France à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/radiographies-du-coronavirus/quand-crise-sanitaire-rime-avec-rhetorique-guerriere-5878741">première et à la Seconde Guerre mondiale</a>, avait alors frappé les esprits (« Nous sommes en guerre » avait martelé Emmanuel Macron). Implicitement et symboliquement également, l’idée de réarmement fait référence à la guerre et peut se révéler anxiogène, a fortiori dans le contexte actuel où guerres et conflits armés réactivent, partout dans le monde, et en particulier sur le continent européen, des <a href="https://www.lexpress.fr/societe/stress-angoisses-les-repercussions-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-sante-mentale-des-francais_2169594.html">angoisses qu’on croyait oubliées</a>.</p>
<p>Ce choix est dommageable, car une rhétorique guerrière entraîne un imaginaire anxiogène. Or, lorsque les individus ont peur, leur réponse inconsciente est souvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2005-1-page-97.htm">mécanisme de défense psychologique d’évitement ou de déni</a>. Autrement dit, une réaction défensive destinée à diminuer l’inconfort psychologique ressenti, mais qui est à l’opposé de celle recherchée. En effet, faire face à une situation stressante nécessite de développer des efforts, cognitifs en particulier, et une stratégie dite d’adaptation. L’individu stressé peut préférer ne pas voir la réalité, la déformer ou encore discréditer la source de l’information <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/32044643/coping_as_a_mediator_of_emotion-libre.pdf">pour se protéger psychologiquement</a>. Ces réactions compromettent bien sûr l’efficacité persuasive.</p>
<h2>Un discours infantilisant et moralisateur</h2>
<p>Le message a aussi été perçu comme infantilisant. En filigrane, certaines et certains y ont entendu que les femmes ne seraient pas suffisamment matures pour décider par elles-mêmes de décisions relatives à la natalité. <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Cela a pu être vu comme</a> une « tentative de contrôler le corps des femmes », une volonté de « mettre les ventres des femmes au service de l’État ». <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/laissez-nos-uterus-en-paix-tolle-des-feministes-sur-le-rearmement-demographique_AD-202401170680.html">« Laissez nos utérus en paix ! »</a> a lancé de son côté la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert.</p>
<p>Ce message était instillé par ailleurs dans une communication descendante, dont le caractère directif, voire autoritaire, apparait dans la qualification « d’injonctions natalistes » <a href="https://www.bfmtv.com/societe/les-propos-de-macron-sur-le-rearmement-demographique-font-un-tolle-a-gauche-et-chez-des-associations-feministes_AD-202401170648.html">utilisée de nombreuses fois à son propos</a>. De ce fait, le message, a priori incitatif, avait tout pour engendrer de la <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">réactance (mécanisme de défense psychologique)</a> en raison d’une liberté qui pouvait sembler menacée. Ainsi, la députée écologiste Sandrine Rousseau a <a href="https://www.leparisien.fr/politique/macron-sur-la-natalite-les-uterus-des-femmes-ne-sont-pas-une-affaire-detat-fustige-rousseau-18-01-2024-WQI2PVOP5RASJGTJ6OD42PM5XA.php">réagi</a> :</p>
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<p>« Chaque femme est libre de choisir de faire des enfants ou de ne pas en faire » et</p>
<p>« Les femmes font absolument ce qu’elles veulent de leur corps ».</p>
</blockquote>
<p>De plus, le discours émanait d’un représentant des pouvoirs publics envers lesquels la méfiance des Français est grandissante. <a href="https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-2305-11464.pdf">Cette absence de confiance envers l’émetteur</a> ne pouvait que renforcer la résistance par une diminution de la crédibilité perçue de la source du message.</p>
<h2>Le délicat recours aux normes sociales</h2>
<p>De même, une composante morale transparaît de ce discours incitatif. Délibérément ou involontairement convoquée, la responsabilité individuelle est ainsi associée à un devoir de reproduction de chaque Français(e). Ce « bon » comportement apparaît de façon plus ou moins explicite comme la clé pour revendiquer un statut de « bon » ou « bonne » citoyen(ne). Or, la stimulation d’un devoir de conformité à des normes sociales est indissociable de la responsabilité morale individuelle. Une communication incitative en faveur de la natalité cherche donc à amener les récepteurs et réceptrices à se conformer à ce qui est présenté comme la norme du groupe, de la communauté. Les cibles ressentent de ce fait une pression sociale. L’individu exposé à cette forme d’influence sociale cherchera donc <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/002200275800200106">à se soumettre</a> pour obtenir l’approbation sociale ou éviter la désapprobation sociale.</p>
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<p>Toutefois, le recours explicite ou implicite aux normes sociales exige d’être utilisé avec précaution. D’une part, certaines cibles ayant déjà internalisé une norme morale conforme à leurs valeurs, comme celle de faire des enfants, risquent finalement d’être rebutées par la volonté de persuasion – <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/45767255/Enhancing_or_Disrupting_Guilt_The_Role_o20160519-4175-57fjrw-libre.pdf">notamment si cette dernière est perçue comme manipulatrice</a>. Elles peuvent aussi ressentir une menace sur leur liberté individuelle et <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">développer de la réactance situationnelle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-prefere-se-passer-des-journalistes-des-quil-le-peut-221367">« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »</a>
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<p>De surcroît, en appeler à la responsabilité individuelle peut entrer en conflit avec la perception d’une nature infantilisante du message délivré. Il est en effet paradoxal de demander aux cibles de se conduire en adultes responsables et « en même temps » de leur délivrer un message perçu comme infantilisant. « nouveau, la contradiction dans les intentions perçues réduit la persuasion recherchée.</p>
<p>En outre, il existe <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/47395178/Recycling_the_Concept_of_Norms_to_Reduce_Littering_in_Public_Places-libre.pdf">deux types de normes</a>. D’une part, les normes injonctives – fondées sur la perspective de récompenses ou sanctions sociales. D’autre part, les normes descriptives – qui résultent de ce que font les membres de la communauté et de ce qui est considéré comme le comportement « normal ». Ce second type de norme se base fortement sur l’exemple. Or sur ce point, Emmanuel Macron est dans l’impossibilité de se présenter comme <a href="https://theconversation.com/devoir-dexemplarite-detricoter-les-cols-roules-des-politiques-192891">l’exemple à suivre</a>. Cela affaiblit l’effet de norme descriptive et peut sembler paradoxal, comme n’a pas manqué de le noter le collectif féministe <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Nous Toutes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Un homme cisgenre de 46 ans sans enfants qui vient nous donner des leçons sur la façon dont on doit utiliser nos utérus… »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la mobilisation de normes sociales ou morales risque d’activer des émotions négatives chez celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas les suivre : culpabilité et honte notamment. Il est alors question de réponses affectives de valence négative, susceptibles de déclencher elles aussi des comportements de défense, d’évitement, de déni, voire le fameux effet « boomerang » consistant à <a href="https://books.google.fr/books/about/Communication_and_Persuasion.html?id=j_FoAAAAIAAJ">prendre le contre-pied</a> exact de ce qui est préconisé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747945785809932547"}"></div></p>
<h2>La confiance, pierre angulaire de la persuasion ?</h2>
<p>En conséquence, et comme le précise la philosophe Cristina <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-06579-000">Bicchieri</a>, pour espérer convaincre en recourant à toutes ces mécaniques d’influence sociale, il ne faut rien négliger. En particulier, Bicchieri pointe la nécessité de :</p>
<blockquote>
<p>« prévoir comment les gens vont interpréter un contexte donné, quels indices ressortiront comme saillants et comment des indices particuliers sont liés à certaines normes ».</p>
</blockquote>
<p>Comme le souligne le chercheur en philosophie de la santé, <a href="https://theconversation.com/les-francais-es-face-a-leur-responsabilite-133726">David Simard</a>, les Français ont un rapport complexe et ambigu à l’autorité et à l’État. De tendance facilement contestataire, ils valorisent la liberté individuelle mais en oublient parfois son corollaire, la responsabilité individuelle. De même, ils ne supportent pas les injonctions mais reprochent facilement à l’État de ne pas définir et/ou de <a href="https://theconversation.com/debat-quand-le-libre-choix-cache-la-societe-disciplinaire-que-denoncait-michel-foucault-138089">ne pas faire respecter des règles</a>. Cela rend l’exercice de la communication incitative encore plus compliqué, surtout à une époque où la confiance dans les élites, dans les médias, dans la Science, dans les politiques semble sérieusement altérée.</p>
<p>Or, en matière de communication liée à la santé (natalité et infertilité s’y rattachent), les chercheurs en psychologie sociale <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21613380">Gabriele Prati</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21957983/">Luca Pietrantoni et Bruna Zani</a> ont montré que cette <a href="https://theconversation.com/politique-une-histoire-de-confiance-186487">confiance</a> représente une clé essentielle de l’efficacité persuasive.</p>
<p>Pour espérer persuader les Français de faire plus d’enfants, il faudrait donc avant toute chose faire (re)naître la confiance… Cela semble passer tout d’abord par une meilleure maîtrise de la psychologie comportementale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les recherches en communication apportent un éclairage critique sur la rhétorique du « réarmement démographique » utilisée par Emmanuel Macron.Marie-Laure Gavard-Perret, Professeure des universités en gestion, Grenoble IAE, laboratoire CERAG, spécialiste du marketing social et de la communication persuasive et préventive. Co-responsable de la chaire de recherche Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE., Grenoble IAE Graduate School of ManagementMarie-Claire Wilhelm, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Grenoble INP, CERAG, co-responsable de la Chaire Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208562024-01-22T10:08:18Z2024-01-22T10:08:18ZTchad: les défis qui attendent le Premier ministre Succès Masra<p>Le 1er janvier 2024, l'opposant et président du parti Les Transformateurs, Succès Masra, a été <a href="https://www.jeuneafrique.com/1520538/politique/au-tchad-succes-masra-nomme-premier-ministre/">nommé Premier ministre</a> par Mahamat Idriss Déby Itno, le président de transition en remplacement de <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/c0w5nyzxl3wo">Saleh Kebzabo</a>, ex-opposant lui aussi au régime des Déby. Kebzabo est l’un des artisans de <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/tchad-d%C3%A9claration-de-la-porte-parole-sur-l%E2%80%99accord-de-doha_fr">l’accord de Doha</a> dont la nomination au poste de Premier ministre avait été perçue comme une récompense pour services rendus au régime.</p>
<p>Le discours de cet ancien opposant tchadien a objectivement changé dès son retour d’exil. Un changement de stratégie qui n’a pas plu à une grande partie de ses alliés qui ont préféré garder leur position. A titre d’exemple, pendant les derniers jours de la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1520258/politique/au-tchad-la-nouvelle-constitution-definitivement-adoptee-et-promulguee/">campagne référendaire</a> du 17 décembre 2023, Succès Masra a appelé ses partisans à voter oui. Pourtant, il a boycotté le dialogue national qu'il a qualifié de <a href="https://lendjampost.com/dialogue-national-succes-masra-menace-de-passer-a-une-vitesse-superieure/">monologue</a>. Aujourd'hui, il doit appliquer les conclusions de ce même dialogue. C'est d'ailleurs ce paradoxe qui caractérise sa nouvelle approche politique.</p>
<p>L'exil de Masra faisait suite à la chasse aux sorcières lancée par le régime en place contre les hauts cadres de son parti politique ainsi que les autres organisateurs (société civile, <a href="https://www.dw.com/fr/wakit-tama-le-mouvement-tchadien-qui-appelle-%C3%A0-manifester-ce-samedi/a-56934129">Wakit Tama</a>) suite à la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1387229/politique/tchad-pourquoi-les-manifestations-du-20-octobre-ont-tourne-au-drame/">manifestation sanglante</a> du 20 octobre 2022 contre la prorogation de la transition pour une période supplémentaire de 18 mois. L'opposant avait alors qualifié cette décision de processus de la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/tchad-lopposant-succ%C3%A8s-masra-nomm%C3%A9-premier-ministre-/3097519">succession dynastique</a> au sommet du pouvoir.</p>
<p>Tout compte fait, cette nomination est un virage à 180 degrés pour celui qui était devenu, depuis quelques temps, l’opposant farouche des Déby. Cette nomination oscille entre réalisme politique de l’un et un coup de poker de l’autre. Elle ressemble à un pari difficile à l’approche de la présidentielle à haut risque et avec plusieurs enjeux et défis. Elle suscite en même temps <a href="https://cameroonvoice.com/actualite/2024/01/04/succes-masra-un-mauvais-genie-a-la-primature/">des critiques </a> au sein de son propre parti, au sein de l'opinion tchadienne, surtout dans la classe politique, mais aussi au niveau africain et de la diaspora.</p>
<p>Cette nomination intervient à moins de 8 mois de l’élection présidentielle qui devrait mettre fin à la transition entamée en avril 2021 après <a href="https://www.courrierinternational.com/article/inconnu-tchad-deby-est-mort-et-maintenant-le-chaos">le décès brutal d'Idriss Déby Itno</a> (père du président de Transition), selon le calendrier issu du dialogue national. Elle fait également suite au retour d’exil de Succès Masra, le 3 novembre 2023, après <a href="https://fr.africanews.com/2023/11/01/tchad-signature-dun-accord-entre-lopposition-et-le-pouvoir//">l’accord de réconciliation de Kinshasa </a>du 31 octobre. </p>
<h2>De l'opposition à l'exil</h2>
<p>Visé par un mandat d’arrêt international, Succès Masra a réussi à nouer des contacts avec plusieurs partenaires du Tchad qui œuvrent pour la résolution de cette crise interne. Il s'est s’attaché les services de cabinets de lobbying occidentaux afin de plaider sa cause à Washington, Paris, Kinshasa, Bruxelles, etc. Sa stratégie a été payante. Elle a joué fortement en faveur de son retour au pays. En même temps, elle a crédibilisé les autorités de la Transition auprès de la communauté internationale qui serait favorable au financement de l'élection présidentielle dans le sens où, ce retour vient légitimer le caractère inclusif de la transition et parfaire le processus de la réconciliation nationale.</p>
<p>La reconnaissance de l’actuel régime par les bailleurs de fonds est l’un des objectifs des autorités de transition sous pression mais qui en même temps avaient réussi à bloquer en exil Succès Masra qui était devenu leur plus grand problème. L'exil n'était pas avantageux pour Succès Masra dont l’objectif principal était de participer à la présidentielle. Il n’avait pas d’autre choix que de saisir cette occasion qui va à contresens de son idéologie politique de départ. Mais cela devrait lui permettre de garder sa place de leader après un an d'absence sur le terrain politique en perpétuelle mutation.</p>
<h2>Les premières décisions</h2>
<p>Ceci étant, cette nomination acte un changement de paradigme qui n'a pas été <a href="https://afrique.tv5monde.com/information/tchad-la-nomination-de-succes-masra-au-poste-de-premier-ministre-une-decision-attendue">accueilli</a> comme une surprise par de nombreux Tchadiens parmi lesquels les partisans du parti les Transformateurs qui étaient conscients du climat politique en défaveur de Masra après les évenements du 20 octobre 2022. Elle a été plutôt perçue comme une décision imposée par la communauté internationale en général et la France en particulier, selon <a href="https://fr.africanews.com/2024/01/02/tchad-masra-nomme-premier-ministre-reactions-mitigees-a-ndjamena/">les avis</a> de certains Tchadiens. </p>
<p>Entre trahison, rétropédalage, changement de paradigme, coup de poker, Succès Masra n’a pas, cette fois-ci, lancé la consultation de sa base - qui lui voue une allégeance sans faille - avant d’accepter d’être nommé Premier ministre. Le soutien aveugle de ses partisans est l’une des principales forces sur laquelle il compte pour réussir sa mission de chef du gouvernement. </p>
<p>Par contre, Succès Masra va devoir faire face à des adversaires politiques qui sont constitués en grande partie de certains membres du gouvernement et de hauts cadres du pays qu'il tenaient par des mots forts pour responsables de la situation catastrophique du pays.</p>
<p>Les grands défis du <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20240101-tchad-succ%C3%A8s-masra-nouveau-premier-ministre">nouveau Premier ministre</a>, sont, entre autres, la grève des enseignants, l’organisation d'une élection présidentielle libre et transparente. A cela s'ajoutent la résolution des problèmes courants à l'image du problème de l’énergie, de la cherté de vie, de la santé, de l’eau, l’insécurité, la corruption, de la corruption, etc. </p>
<p>Tout compte fait, le nouveau Premier ministre a réussi son baptême du feu en convaincant les syndicats d'enseignants de lever la grève en vigueur depuis deux mois. Il a également <a href="https://www.agenceecofin.com/politique/0801-115011-tchad-succes-masra-dit-renoncer-a-son-salaire-de-premier-ministre">renoncé entièrement à son salaire</a> de Premier ministre, lancé une opération de recrutement des membres de son cabinet par voie de candidature, etc. </p>
<p>Des <a href="https://www.afrique-sur7.ci/tchad-succes-masra-renonce-a-son-salaire">actes salués</a> par une grande partie de la population et qui lui ont permis de glaner de nouveaux partisans et sympathisants. Mais les grands défis restent à venir parmi lesquels, l’organisation de l’élection présidentielle.</p>
<h2>Cap sur la présidentielle</h2>
<p>Si Succès Masra a tout fait pour <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/01/tchad-l-ancien-opposant-succes-masra-nomme-premier-ministre_6208651_3212.html">rentrer au pays</a> afin d’être au centre des grands événements politiques, c’est pour un objectif bien déterminé, celui d’avoir toutes les chances de participer à l’élection présidentielle qui se profile à l'horizon. Il a choisi de briguer la magistrature suprême par la voie des urnes et semble pouvoir profiter de son statut de Premier ministre et de la position de son équipe qui a glané <a href="https://www.dw.com/fr/succ%C3%A8s-masra-premier-ministre-du-tchad-un-pi%C3%A8ge/a-67873465">quelques portefeuilles ministériels</a> afin d’organiser une élection présidentielle transparente et crédible. </p>
<p>Mais toute la question est de savoir s'il pourra atteindre son objectif face à un régime qui a su mettre en place des stratégies pour engloutir tous ses opposants les plus farouches. Le président Mahamat Idriss Déby Itno semble être le grand gagnant de cette nomination qui marque un tournant décisif dans le processus de la réconciliation nationale et une avancée notable dans sa conquête du pouvoir par les urnes. il vient d'être investi comme candidat du Mouvement patriotique du salut (MPS) pour la présidentielle. Pourra-t-il réduire l’influence de l’actuel Premier ministre en lui faisant goûter à l’une des fonctions politiques les plus élevées du pays ?</p>
<h2>Risque d'embrasement</h2>
<p>Il faut rappeler que Masra hérite d’un gouvernement en crise qui traverse une zone de turbulences, un volcan qui menace d'exploser. Bref, cette troisième phase de la transition est la dernière et vient compléter la première ayant conduit à <a href="https://www.state.gov/translations/french/signature-par-le-tchad-dun-accord-de-paix-a-doha/">l'accord de Doha</a> entre le gouvernement et les politico-militaires suite au dialogue national et la deuxième dont l'aboutissement a été l'organisation du référendum et la mise en place d'une nouvelle Constitution. Elle pourrait aller dans tous les sens en cas de rupture de l’accord de Kinshasa dont on ne connaît pas tous les contours. </p>
<p>Le signe d’un bras de fer au niveau de l’État menace avec une sorte de bicéphalisme. Il y a un risque d’embrasement futur si l’élection présidentielle ne se passe pas de façon régulière. Le non-respect de l’accord de Kinshasa par par une partie pourrait déboucher sur une crise qui peut plonger tout le pays dans un nouveau cycle la violence dont les signes sont visibles. Le climat d'insécurité et de tensions socio-politiques dans lequel se trouve actuellement le pays et surtout la position du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT), le mouvement politico-militaire tenu pour responsable de <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/direct-le-president-tchadien-idriss-deby-est-mort-un-conseil-militaire-dirige-par-son-fils">la mort de Déby</a>, de pas participer au processus de transition, montrent à suffisance le risque que comporte cette dernière phase.</p>
<p>Les deux hommes les plus forts du pays aujourd’hui visent la magistrature suprême tout en sachant que le code électoral n’est pas encore établi pour <a href="https://www.dw.com/fr/succ%C3%A8s-masra-premier-ministre-du-tchad-un-pi%C3%A8ge/a-67873465">déterminer les règles</a> du jeu, y compris la mise en place de l'Agence nationale de gestion des élections (Ange), l’organe qui va s’occuper de l’élection présidentielle. Telles sont les sujets sur lesquels des dissensions peuvent surgir et mettre à mal le processus électoral tout entier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220856/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bourdjolbo Tchoudiba does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Entre trahison, rétropédalage, changement de paradigme, coup de poker Succès Masra n’a pas consulté la base comme d’habitude avant d’accepter d’être nommé Premier ministre.Bourdjolbo Tchoudiba, Chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire d'Études du Politique Hannah Arendt (LIPHA), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208952024-01-21T07:06:47Z2024-01-21T07:06:47ZFin de parcours pour la Force conjointe du G5 Sahel : quels enseignements en tirer ?<p>Le 2 décembre 2023, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé <a href="https://www.jeuneafrique.com/1510714/politique/apres-le-mali-le-burkina-faso-et-le-niger-quittent-le-g5-sahel/#:%7E:text=Apr%C3%A8s%20le%20Mali%20l'an,contre%20le%20jihadisme%20au%20Sahel">leur retrait du G5 Sahel</a> et de sa force conjointe. Ce qui porte à trois le nombre de pays membres ayant mis fin à leur participation à ces mécanismes, après le retrait du Mali en 2022. </p>
<p>Quatre jours plus tard, le 6 décembre, la Mauritanie et le Tchad, les deux derniers membres annoncent, à leur tour, la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20231206-g5-sahel-mauritanie-tchad-dissolution-force-alliance-antijihadiste-mali-burkina-faso-niger">dissolution prochaine du G5 Sahel</a> et de ses mécanismes. Une décision en phase avec <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Countries/Africa/Convention_creation_G5_Sahel.pdf#page=8">l’article 20 de la Convention portant création du G5 Sahel</a> selon lequel “le G5 Sahel peut être dissous à la demande d’au moins trois États membres”. </p>
<p>Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience de coopération contre le terrorisme, notamment pour les acteurs africains?</p>
<p>Je m’intéresse aux questions <a href="https://scholar.google.ca/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=Moda+Dieng&btnG=">de paix et de sécurité en Afrique</a>, avec un intérêt particulier pour les initiatives nationales et internationales visant à ramener la paix et la stabilité.</p>
<h2>Soutiens logistiques</h2>
<p>Le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/quest-ce-que-le-g5-sahel-1162497">G5 Sahel a été créé en 2014</a> avec une approche développement et sécurité. En 2017, les pays membres ont lancé la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) pour combattre le terrorisme et le crime organisé. La FC-G5S est une force ad hoc en ce sens qu’elle ne faisait pas partie des mécanismes et organisations de <a href="https://www.peaceau.org/fr/topic/the-african-peace-and-security-architecture-apsa">l’Architecture africaine de paix et de sécurité de l’Union africaine</a>. </p>
<p>Outre l’avantage d’éviter les lourdeurs bureaucratiques et les retards dûs à la recherche de consensus, les réponses de type ad hoc permettent de gagner en flexibilité et en autonomie dans la définition du champ d’intervention géographique. Elles permettent aussi aux États engagés de choisir leurs alliés, et <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01436597.2020.1763171">d’accéder à des soutiens logistiques et financiers </a>.</p>
<p>Grâce à la coopération, les pays du G5 Sahel ont pu établir des projets de développement et renforcé <a href="https://www.g5sahel.org/le-president-de-la-republique-islamique-de-mauritanie-preside-le-g5-sahel/">les canaux d’échange et de coordination en matière de défense et de sécurité</a>. Le G5 Sahel et sa Force conjointe ont aussi permis d’ouvrir des voies de communication entre des pays qui avaient très peu d’interactions comme la Mauritanie et le Tchad.</p>
<h2>Dissensions entre pays membres</h2>
<p>En matière de lutte contre l’insécurité dans le cadre d’un regroupement étatique, l’engagement de tous les membres est essentiel, pour donner corps à la mutualisation des efforts. Dans le cadre de la Force conjointe-G5 Sahel, l’implication militaire était trop disproportionnée. La Mauritanie, qui n’a pas été affectée par le terrorisme de la même manière que les autres pays de la coalition, est restée à l’intérieur de ses frontières dans une posture défensive, en dépit de tirer beaucoup d’avantages de la coopération multilatérale en abritant le siège du Secrétariat permanent du G5 Sahel ainsi que le Collège de défense de l’organisation. Ce dernier est une <a href="https://www.cdg5s.org">école de guerre</a> dont la mission consiste à former et préparer les cadres militaires des pays membres.</p>
<p>À cela s’ajoutent les dissensions entre les pays membres. La Mauritanie a été accusée à tort ou à raison par le Mali d’avoir <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2021-2-page-115.htm">noué un pacte de non-agression avec les organisations terroristes</a>. Avant les coups d’État intervenus récemment au Mali et au Niger, Niamey reprochait aussi à Bamako de <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/mali/261-frontiere-niger-mali-mettre-loutil-militaire-au-service-dune-approche-politique">n’être pas capable</a> d’empêcher les groupes terroristes d’ériger en sanctuaires les espaces proches de la frontière avec le Niger.</p>
<h2>Les limites de cette initiative</h2>
<p>Le leadership est présenté comme un facteur nécessaire en matière de coopération militaire multilatérale. Or, dans le cadre de la Force Conjointe-G5 Sahel, le leadership n’était pas assuré par les pays membres. La Force conjointe était vue tantôt comme un “projet français”, tantôt comme une initiative africaine accaparée par la France, une des principales sources d’influence diplomatique, politique et militaire de la task force. Au lieu de se mettre dans une posture d’appui aux États et à la Force Coinjointe-G5 Sahel, Paris a plutôt voulu agir de manière autonome,créant beaucoup de <a href="https://dandurand.uqam.ca/wp-content/uploads/2023/12/2023-12-05-rapport-.pdf">frustration du côté des forces de sécurité des États du Sahel et de leurs opinions publiques</a>.</p>
<p>L’expérience dans le cadre de la Force conjointe montre aussi que les pays peuvent certes solliciter une aide internationale, y compris financière, mais ils doivent éviter de tomber dans une dépendance forte ou totale. Sinon, les acteurs internationaux vont saisir l’opportunité d’instrumentaliser cette dépendance, en imposant leur agenda et des <a href="https://africacenter.org/wp-content/uploads/2022/08/ASB-41-FR_updated.pdf">solutions “prêtes à l’emploi” et peu pertinentes</a> par rapport aux réalités locales et nationales.</p>
<p>Dans le cadre du G5 Sahel, la prévalence écrasante de l’approche sécuritaire a été voulue et imposée par la France, l’Union européenne (UE) et leurs partenaires internationaux. La posture du <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-etat-islamique-designe-ennemi-numero-1-au-sahel-20200115">président français, Emmanuel Macron, lors du sommet de Pau de janvier 2020</a> disant à ses homologues sahéliens qu’il fallait accentuer les opérations militaires, en désignant l’État islamique du Grand Sahara (EIGS) comme l’ennemi prioritaire au Sahel en est une illustration nette.</p>
<h2>Dépendance financière</h2>
<p>Une forte dépendance à l’aide financière extérieure a également l’inconvénient de créer beaucoup d’incertitudes du fait des retards dans l’exécution des promesses de financement. Celles-ci dépendent de l’agenda des acteurs dont les intérêts changent en fonction des circonstances géopolitiques. La Force conjointe avait reçu beaucoup de promesses de financements, mais peu d’entre elles ont été tenues. </p>
<p>Par ailleurs, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01436597.2020.1763171">les recherches</a> ont montré que lorsque les organisations régionales reçoivent beaucoup de financements directs de la part d’acteurs non africains, l’influence de l’UA a tendance à diminuer. L’essentiel des financements de la Force conjointe provenait de l’UE et ne passaient pas par l’UA. Cette réalité et la forte influence française sur la task force, ont joué un rôle important dans la posture de l’UA de ne pas soutenir la Force conjointe, comme elle l’a fait pour la Force multinationale mixte du Bassin du lac Tchad. <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-modern-african-studies/article/abs/au-task-forces-an-african-response-to-transnational-armed-groups/078D127A0CD09915059938CEBCC06B7A">Le soutien de l’UA est important</a>, notamment pour renforcer la légitimité des initiatives militaires et générer des ressources, même si c’est de manière limitée.</p>
<h2>L’importance de la stabilité politique</h2>
<p>L’expérience de la Force conjointe montre aussi qu’en matière de coalition militaire contre le terrorisme, la stabilité politique des pays engagés est importante. Les crises politiques fragilisent les institutions et les politiques de sécurité des États ainsi que la coopération régionale et internationale, du fait notamment des changements ou des ruptures dans les politiques des États. Les changements consécutifs aux coups d’État au Mali, au Niger et au Burkina Faso empêchent l’émergence d’une stratégie cohérente contre l’insécurité. Les coups d’État ont aussi tendance à fragiliser les forces de défense et de sécurité censées combattre l’insécurité. </p>
<p>Beaucoup d’espoirs ont été attachés à la Force conjointe au moment de son lancement en 2017. Les pays membres ne vont pas regretter sa dissolution, en raison de son <a href="https://press.un.org/fr/2022/cs15108.doc.htm">apport limité sur le terrain</a>. Son échec peut néanmoins servir d’enseignements pour des structures de coopération militaire encore embryonnaires comme l’<a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221122-l-initiative-d-accra-un-forum-s%C3%A9curitaire-%C3%A0-la-crois%C3%A9e-des-chemins">Initiative d’Accra</a>et l’<a href="https://theconversation.com/burkina-faso-mali-et-niger-signent-un-pacte-de-defense-lalliance-des-etats-du-sahel-en-quete-dautonomie-strategique-215361">Alliance des États du Sahel</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220895/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moda Dieng est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. </span></em></p>Les changements consécutifs aux coups d’État au Mali, au Niger et au Burkina Faso empêchent l’émergence d’une stratégie cohérente contre l’insécurité.Moda Dieng, Professor of Conflict Studies, School of Conflict Studies, Université Saint-Paul / Saint Paul UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2210002024-01-18T19:26:58Z2024-01-18T19:26:58ZNapoléon le législateur : la gênante omission du film de Ridley Scott<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568962/original/file-20240105-27-wtm75j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=177%2C262%2C3633%2C2662&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Joaquin Phoenix dans le rôle de Napoléon, dans le film de Ridley Scott. Napoléon était un législateur prolifique qui a parrainé le « Code civil des Français » à l’influence planétaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Apple TV+)</span></span></figcaption></figure><p>Les conquêtes napoléoniennes sur le champ de bataille et sur l’oreiller forment la trame narrative du film biographique « Napoléon », de Ridley Scott.</p>
<p>Mais devant cette <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/joachim-murat-le-napoleon-de-ridley-scott-est-bourre-de-defauts-mais-allez-le-voir-20231122">caricature</a> des excès de la masculinité, qui sacrifie la <a href="https://www.geo.fr/histoire/que-vaut-le-napoleon-de-ridley-scott-histoire-incoherences-reconstitutions-217638">cohérence narrative</a> et <a href="https://variety.com/2023/film/news/napoleon-inaccuracies-french-historians-pyramids-1235823975/">l’exactitude historique</a> sur l’autel du sensationnalisme vendeur, ma principale réserve d’<a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780367808471-31/fugitives-france-kelly-summers?context=ubx&refId=f0b06c28-a29a-49b5-a5ba-d37bee069054">historienne</a> de la <a href="https://ageofrevolutions.com/2021/01/25/a-cross-channel-marriage-in-limbo-alexandre-darblay-frances-burney-and-the-risks-of-revolutionary-migration/">Révolution française</a> tient moins aux inventions du cinéaste qu’à ses omissions.</p>
<p>Car à trop appuyer sur le génie tactique de Napoléon, ses erreurs de jugement et ses frasques sexuelles, on en oublie son principal héritage : celui d’un législateur visionnaire, mais paradoxalement égocentriste.</p>
<p>Après dix ans <a href="https://www.cairn.info/tous-republicains--9782200272821-page-9.htm">d’expérimentations postrévolutionnaires</a>, Napoléon Bonaparte a promulgué une série de réformes qui ont fini d’effacer les hiérarchies sociales, <a href="https://www.jewishvirtuallibrary.org/napoleon-bonaparte">religieuses</a> et féodales de l’époque.</p>
<p>Ce qui, par ailleurs, n’a jamais empêché ce personnage contradictoire de renier ses idéaux révolutionnaires chaque fois que ceux-ci entraient en conflit avec son insatiable ambition dans son empire continental ou ses colonies d’outre-mer.</p>
<h2>Achever la Révolution française en droit</h2>
<p>Reconnaissons l’habileté de Ridley Scott dans les quelques séquences humoristiques de son film qui décapent à la fois l’hagiographie et les contempteurs du mythe napoléonien. Joaquin Phoenix y incarne davantage la figure du <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/5133">Petit Caporal</a> lourdaud que l’ogre corse.</p>
<p>Mais ce portrait d’un guerrier socialement inepte néglige les plus grandes réalisations et les plus grands échecs d’un législateur prolifique.</p>
<p>Dès sa prise de pouvoir en 1799, ce jeune général de 30 ans a entrepris une série de vastes réformes tout aussi marquantes que les exploits <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-napoleonic-wars-9780199951062?cc=ca&lang=en&">militaires</a> et <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-27435-1_11">politiques</a> qui forment la geste napoléonienne.</p>
<p>L’homme d’État a laissé une marque indélébile en tant que promoteur énergique de nouvelles institutions et procédures, dont un <a href="https://www.revuepolitique.fr/la-politique-scolaire-de-napoleon-et-son-heritage/">système éducatif laïc pour former les cadres d’une bureaucratie en croissance</a>, un ambitieux programme de <a href="https://www.napoleon.org/en/history-of-the-two-empires/articles/bullet-point-30-did-napoleon-transform-paris/">travaux publics</a> et, par-dessus tout, un système de lois uniforme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OAZWXUkrjPc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La bande-annonce du « Napoléon » de Ridley Scott.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La fin réelle de la féodalité</h2>
<p>Dès l’été de 1789, les députés avaient voulu abolir la féodalité et son système de gestion des terres issu du Moyen-Âge. Ils ont rapidement balayé les droits, les corvées et les dîmes qui, pendant des siècles, avaient lié la paysannerie aux seigneurs et au clergé.</p>
<p>Mais comme l’a montré l’historien Rafe Blaufarb, les gouvernements successifs n’ont pas su régler le problème le plus épineux : la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9780230236738_8">conversion des biens féodaux en propriété au sens moderne</a>.</p>
<p>Le code civil des Français de 1804 a facilité ce processus en instituant un système transparent de droit de la propriété et de la famille.</p>
<p>Mais Napoléon ne s’est pas arrêté là. Ses <a href="https://archive.org/details/napoleonhiscolla0000wolo">infatigables collaborateurs</a> ont élaboré divers codes complémentaires — commercial, pénal, rural et <a href="https://www.napoleon-series.org/military-info/organization/France/Miscellaneous/c_FrenchMilitaryCode.html">militaire</a>. Ensemble, ils ont assaini le marécage des privilèges féodaux, des ordonnances royales de l’Ancien Régime, ainsi que des lois romaines, coutumières et canoniques.</p>
<h2>Vocation didactique du nouveau droit</h2>
<p>Ce Code napoléonien était le projet des Lumières par excellence : à la fois nécessité pratique et outil de consolidations des réformes révolutionnaires.</p>
<p>Sa prose directe et son organisation rationnelle avaient également valeur didactique. Il informait le citoyen des <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/lhistoire-du-senat/dossiers-dhistoire/bicentenaire-du-code-civil/code-civil-6.html">« principes de sa conduite »</a> et réconciliait une population divisée avec l’idée de son égalité devant la loi.</p>
<p>Dans le contexte d’un empire en croissance, le zèle de Napoléon pour la normalisation anticipait bon nombre des <a href="https://www.thenation.com/article/archive/enlightened-elitist-undemocratic/">objectifs politiques et économiques</a> de la future <a href="https://www.justice.gouv.fr/actualites/espace-presse/archives-code-civil-leurope-influences-modernite">Union européenne</a>. Il envisageait déjà « une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois », relate <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109845d/f279.image.r=216">Joseph Fouché dans ses mémoires</a>.</p>
<h2>Détournement et trahison</h2>
<p>Si Napoléon a exporté un cadre juridique égalitaire en Europe, il l’a trop souvent imposé par les armes.</p>
<p>L’homme qui a transformé la Première République française durement gagnée en un <a href="https://www.upress.virginia.edu/title/3424/">« État policier »</a> n’a pas livré « les Lumières à cheval », contrairement à ce que <a href="https://www.andrew-roberts.net/books/napoleon-a-life/">prétendent</a> ses <a href="https://www.napoleon.org/en/history-of-the-two-empires/articles/napoleon-hegelian-hero/">admirateurs</a>.</p>
<p>Tout en défendant la <a href="https://revolution.chnm.org/exhibits/show/liberty--equality--fraternity/item/277">liberté de conscience</a>, la souveraineté nationale et le gouvernement représentatif, Napoléon a emprisonné un pape, truqué des plébiscites, rétabli la monarchie héréditaire et plongé l’Europe dans un état de guerre permanente.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme portant un chapeau bicorne et un manteau bleu à simple boutonnage avec des détails dorés devant un paysage désertique" src="https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Napoléon — incarné par Joaquin Phoenix dans le film éponyme — et ses collaborateurs ont remplacé l’Ancien Régime par de nouveaux codes commerciaux, pénaux, ruraux et militaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Apple TV+)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malgré ses mérites, le Code civil annulait plusieurs acquis révolutionnaires pour les travailleurs et les <a href="https://officedelaportedemars-reims.notaires.fr/article-le-statut-de-la-femme-dans-le-code-civil-de-1804-a-nos-jours-6.html">femmes</a>. Une femme adultère risquait la maison de correction, alors que son mari infidèle se voyait simplement interdit de recevoir sa concubine au domicile conjugal.</p>
<p>La <a href="https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/40099">liberté d’expression</a> s’est trouvée compromise par la conviction de Napoléon qu’une presse libre contrôlée par le gouvernement peut devenir un allié solide. Ses agents réprimaient toute dissidence par la détention préventive, l’exil et la censure.</p>
<p>Ridley Scott se contente de faire défiler en silence des personnages de première importance. <a href="https://fr.linkedin.com/pulse/cambac%C3%A9r%C3%A8s-et-napol%C3%A9on-moins-quun-num%C3%A9ro-un-plus-deux-thierry-lentz">Comme son numéro deux</a>, l’archichancelier Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, qui a rédigé le code civil. Ou son Ministre de la police, Joseph Fouché, qui supervisait les opérations de surveillance.</p>
<h2>Tentative de rétablissement de l’esclavage</h2>
<p>Le film passe également sous silence sa violation la plus flagrante des valeurs révolutionnaires : <a href="https://theconversation.com/the-napoleon-that-ridley-scott-and-hollywood-wont-let-you-see-218878">sa tentative de rétablir l’esclavage dans les Antilles en 1802</a>.</p>
<p>Cet épisode inclut la trahison de Toussaint Louverture, figure de proue de la Révolution haïtienne, et <a href="https://www.cairn.info/revue-africultures-2005-3-page-88.htm">personnage tout aussi digne d’une superproduction hollywoodienne par son importance et sa complexité</a>.</p>
<p>Cette violence <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00313220500106196">génocidaire</a> a eu son prix : la France y a perdu non seulement <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/20/world/americas/haiti-aristide-reparations-france.html">plus de soldats qu’à Waterloo</a>, mais sa colonie la plus rentable et sa stature morale.</p>
<p>Et la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1953/10/17/les-etats-unis-achetaient-il-y-a-cent-cinquante-ans-a-la-france-une-louisiane-vingt-fois-plus-etendue-que-la-louisiane-actuelle_1985193_1819218.html">vente de la Louisiane</a> viendra anéantir son rêve d’empire nord-américain.</p>
<h2>Un héritage mondial</h2>
<p>Ridley Scott saisit bien les angoisses d’un despote exilé sur <a href="https://www.geo.fr/histoire/pourquoi-napoleon-exile-sainte-helene-204106">l’île Sainte-Hélène</a>, privé d’autorité, mais toujours orgueilleux et incapable d’admettre ses erreurs et ses crimes.</p>
<p>Ce que le film ne montre pas, cependant, c’est la lucidité de Napoléon quant à son héritage le plus durable.</p>
<p>« <a href="https://www.geo.fr/histoire/code-civil-histoire-du-chef-doeuvre-de-napoleon-204373">Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil !</a> », souffle-t-il au général Charles-Tristan Montholon, son compagnon d’exil.</p>
<p>La chose est avérée, même au-delà des pays occupés ou colonisés par la France. Le Japon de l’ère Meiji et l’Iran prérévolutionnaire ont utilisé le modèle napoléonien pour codifier leurs lois. Des versions du code sont encore en vigueur dans de <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/lhistoire-du-senat/dossiers-dhistoire/bicentenaire-du-code-civil/bicentenaire-du-code-civil-la-diffusion-a-letranger.html">nombreux pays aujourd’hui</a>.</p>
<p>Si les tactiques napoléoniennes ont échoué à Trafalgar, Vertières et Waterloo, le Code civil s’est révélé invincible.</p>
<p>Malheureusement, les subtilités juridiques ne font pas <a href="https://bigthink.com/high-culture/napoleon-ridley-scott/">« du bon cinéma »</a>, comme le déclarait <a href="https://www.bloomsbury.com/ca/europe-under-napoleon-9781350157675/">l’historien Michael Broers</a>, qui a conseillé Ridley Scott.</p>
<p>Pourtant cela s’est vu, dans la comédie musicale <a href="https://www.stlouisfed.org/on-the-economy/2020/november/unleasing-hamilton-financial-revolution">Hamilton</a> ou la minisérie <a href="https://www.imdb.com/title/tt0472027/">John Adams</a>, qui placent les subtilités légales au centre de l’intrigue. Peut-être Ridley Scott osera-t-il défier les attentes avec la <a href="https://www.ecranlarge.com/films/news/1496691-napoleon-ou-est-version-longue-ridley-scott-sortie-apple">« version longue »</a>, attendue ce printemps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221000/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kelly Summers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En mettant l’accent sur les triomphes tactiques, les erreurs de calcul et les frasques sexuelles de Napoléon, Ridley Scott néglige l’héritage paradoxal qu’il a laissé en tant que législateur.Kelly Summers, Assistant Professor of History, Department of Humanities, MacEwan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2209732024-01-18T17:22:06Z2024-01-18T17:22:06ZUne faute de grammaire sur de gros billets pendant plus de 130 ans, vraiment ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568880/original/file-20240111-27-hksxre.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C32%2C1367%2C771&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pensez-vous repérer deux fautes de grammaire en zoomant sur cette image d’un billet de 1&nbsp;000 francs de 1829&nbsp;?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://archives-historiques.banque-france.fr/chronologie/les-billets-de-la-banque-de-france-10">Banque de France</a></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://theconversation.com/topics/monnaie-21214">billets</a> émis par la <a href="https://theconversation.com/topics/banque-de-france-66374">Banque de France</a> plus de deux siècles durant ont toujours fait l’objet d’un <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100914230">soin attentif</a>. Et pourtant, voici ce qu’on lisait de 1829 à 1962 sur les billets de 500 et 1000 francs :</p>
<blockquote>
<p>« L’article 139 du code pénal punit de mort ceux qui auront contrefait ou falsifié les Billets de Banques autorisées par la loi, et ceux qui auront fait usage de ces Billets contrefaits ou falsifiés. »</p>
</blockquote>
<p>« Banques » au pluriel, « autorisées » au féminin pluriel, il s’agirait d’un cas spectaculaire de ratage grammatical si l’on en croit ce qui circule actuellement sur le Web, et notamment sur l’encyclopédie en ligne <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Billet_de_1_000_francs_1817,">Wikipedia</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Toujours dessiné et gravé par les mêmes créateurs, le 1 000 francs créé le 26 novembre 1829 et émis le 26 mars 1830 introduit le filigrane blanc, la date d’émission imprimée (et non plus manuscrite) et trois cartouches dont deux contenant le même extrait de l’Article 139 (ndlr : du code pénal) (au lieu du timbre humide) avec une technique d’impression noir au blanc particulièrement difficile à reproduire. Ce texte comporte deux fautes d’accord grammatical (le mot <em>banques</em> est au pluriel, le mot <em>autorisées</em> est au féminin pluriel), erreurs qui ne seront pas corrigées avant l’émission du billet de 50 francs Racine… en 1962 ! Il reste à supposer que ces « coquilles » ont été laissées en guise de subterfuge, certains faussaires étant des typographes particulièrement perfectionnistes : ces deux fautes seraient donc des points secrets, mais rien n’est sûr. »</p>
</blockquote>
<h2>Des millions de personnes qui ne les auraient pas vues ?</h2>
<p>Une faute d’orthographe, vraiment ? Un moyen de démasquer de faux monnayeurs ? Plus curieux encore que ce que l’on trouve sur Wikipedia, les Archives historiques de la Banque de France proposent en ligne une <a href="https://archives-historiques.banque-france.fr/chronologie/les-billets-de-la-banque-de-france-10">frise chronologique</a> de tous les billets émis par la Banque, fort bien faite et aux reproductions de grande qualité. La présentation du billet de 500 francs de 1829 écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Ce billet de 500 francs comprend pour la première fois deux cartouches circulaires dans lesquels sont rapportés, à l’identique sur fond noir ou blanc, à la fois l’article 139 du code pénal punissant de mort “ceux qui auront contrefait ou falsifié les billets de Banques autorisées par la loi” et l’article 36 de la loi du 24 germinal an XI qui assimile ces faussaires aux faux-monnayeurs. La faute grammaticale d’accord de genre sur “autorisées” perdurera jusqu’en 1962. »</p>
</blockquote>
<p>Cela signifierait donc que les 16 membres du Conseil général de la Banque de France qui, le <a href="https://archives-historiques.banque-france.fr/ark:/56433/vta61eafb309daa5570/dao/0">jeudi 14 mai 1829</a>, étaient présents pour examiner en détail les caractéristiques du nouveau modèle de billet de 1 000 et de 500 francs ont été incapables de remarquer cette faute. Pas plus que les artistes et ouvriers imprimeurs associés à sa création. Et pas davantage les centaines de personnes qui, à chaque réédition de ce cartouche, ont lu, relu et corrigé les nouvelles versions des billets. Et encore moins les dizaines de millions d’usagers de ces billets, lesquels ont circulé plus de 150 ans avec ce cartouche fautif !</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568884/original/file-20240111-15-w4k7ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Zoom sur les deux médaillons imprimés sur les billets.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Banque de France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il semble donc y avoir là tous les éléments d’une légende urbaine contemporaine, combinant la capacité de diffusion par le Web et le sentiment grisant d’être plus malin que ces millions de personnes qui n’ont pas vu leur nez au milieu de la figure. D’autant que la séance du 14 mai 1829 faisait suite à plusieurs débats tenus depuis 1828 et qu’en aucun cas la précipitation – même s’il y a bien une forme d’urgence – ne peut être retenue comme un motif d’erreur. « Banques » au pluriel, « autorisées » au féminin pluriel : comment l’expliquer ? Tout simplement par le droit.</p>
<h2>Une précision juridique avant tout</h2>
<p>Le langage juridique a ceci de déroutant pour le profane qu’il est exact, au sens où chaque lettre, chaque signe de ponctuation, est non seulement susceptible d’avoir un sens rigoureux, mais qu’en outre le but de cette rigueur est d’éviter l’ambiguïté et donc le risque d’une interprétation fautive du texte.</p>
<p>Pour comprendre le choix grammatical, il faut se reporter à la loi qui fixe, en France, les principes généraux de l’émission fiduciaire, soit la <a href="https://francearchives.gouv.fr/pages_histoire/38864">loi du 24 germinal an XI</a> (14 avril 1803). Celle-ci est surtout connue pour établir par privilège le monopole de la Banque de France sur l’émission des billets à Paris.</p>
<p>Cependant, le texte fixe aussi, en ses articles 31 et 32, les conditions d’émission « dans les départements », c’est-à-dire en dehors de la Seine :</p>
<blockquote>
<p>« Aucune banque ne pourra se former dans les départements que sous l’autorisation du Gouvernement, qui pourra leur en accorder le privilège ; et les émissions de ses billets ne pourront excéder la somme qu’il aura déterminée. »</p>
</blockquote>
<p>C’est bien évidemment le terme « autorisation » qui importe ici : seules les banques <em>autorisées</em> ont le droit, et donc le privilège, d’émettre des billets de banque.</p>
<p>La notion de billet de banque n’est d’ailleurs <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5853891t.texteImage">pas définie par cette loi</a>, comme le rappelle alors le juriste commercialiste Émile Vincens, lequel attribue toutefois cette définition aux Statuts fondamentaux du 16 janvier 1808 alors qu’elle figure en réalité dans les Statuts primitifs de la Banque de France du 24 pluviôse an VIII.</p>
<p>On comprend mieux alors la formulation des cartouches : « les billets de banques autorisées par la loi ». La notion de billet de banque (d’ailleurs souvent écrite « billet de Banque ») n’existe pas en droit dans la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle. La loi emploie plutôt l’expression « billets au porteur et à vue ».</p>
<p>Il n’y a donc pas erreur à écrire « banques » au pluriel, puisqu’il n’est pas question de l’expression « billet de banque » mais des billets émis par des banques, billets dont les caractéristiques sont fixées par ailleurs.</p>
<p>Puisqu’il n’est pas question de « billet de banque », le terme de « banques » peut être précisé, puisque ce terme n’est en aucun cas une qualité associée au billet. En fait, ces « banques » sont le véritable mot clé de la phrase : c’est par elles que les billets sont émis. Mais pour que cette émission puisse avoir lieu, encore faut-il que la loi les y autorise : seules les « banques autorisées par la loi » disposent de ce privilège.</p>
<p>Il n’y a donc, on le voit, aucune erreur de formulation non plus que de grammaire dans les cartouches reproduits de 1829 à 1962 sur les billets émis par la Banque de France. Ces supposées erreurs d’accord ne proviennent que de l’oubli progressif du contexte de rédaction de ces cartouches, du fait de l’élargissement du monopole de la Banque de France à l’ensemble du territoire métropolitain (Corse comprise), et de l’adoption de l’expression « billet de banque », tandis que toutes les autres formes de billets disparaissaient peu à peu de nos pratiques et de nos portefeuilles, en lieu et place de « billet au porteur et à vue ».</p>
<blockquote>
<p>« Dans chacun des angles supérieurs du billet de mille et de cinq cents francs, on imprimera un médaillon d’un pouce de diamètre portant en petits caractères bas de casse <a href="https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A5N0294">nonpareille</a> ce texte : “L’article 139 du code pénal punit de mort ceux qui auront contrefait ou falsifié les billets des Banques autorisées par la loi, et ceux qui auront fait usage de ces billets contrefaits ou falsifiés. L’article 36 de la loi du 14 germinal an XI assimile ces faussaires aux faux monnayeurs. Ils seront poursuivis, jugés et condamnés comme tels.” Sur l’un de ces médaillons ce texte se détachera en blanc sur un fond noir ; sur l’autre médaillon, il sera imprimé en noir sur le fond blanc du papier. Ces médaillons seront placés en regard l’un de l’autre. »</p>
</blockquote>
<p>Lorsque le Conseil de Régence adopta ce texte, le 14 mai 1829, ne commettait-il d’autres fautes que celle d’une formulation obscure au lecteur du XXI<sup>e</sup> siècle ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrice Baubeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il est souvent affirmé sur le web, y compris sur le site de la Banque de France, que les billets de 1 000 francs présentaient deux fautes de grammaire. Et si ces fautes n’en étaient en réalité pas ?Patrice Baubeau, Maître de conférence HDR, Histoire, histoire économique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197732024-01-14T16:26:27Z2024-01-14T16:26:27ZKouang Tchéou Wan : la concession française qui voulait rivaliser avec Hongkong<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567131/original/file-20231221-21-glb7sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C907%2C578&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Miliciens chinois et officiers français dans le territoire français de Kouang Tchéou Wan. Carte postale des années 1920 ou 1930.</span> </figcaption></figure><p>La célébration du soixantième anniversaire de <a href="https://francearchives.gouv.fr/pages_histoire/39242">l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine</a> (27 janvier 1964) invite à se retourner sur la longue histoire du lien entre les deux pays et, notamment, sur un épisode peu connu : celui de Kouang Tcheou Wan (KTW).</p>
<p>En 1899, la France signe un bail de 99 ans avec la Chine pour l’acquisition de ce territoire de 1 300 km<sup>2</sup>, peuplé d’environ 200 000 habitants, situé sur la péninsule de Leizhou, dans le sud de la Chine continentale. KTW aurait donc dû être restitué en 1998, peu après le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/en-1997-la-chine-recupere-hong-kong-et-fait-des-promesses-8398189">retour de Hongkong dans le giron chinois</a>. Mais il le fut dès 1946. Ce pan de l’histoire de la présence française en Chine est le symbole d’un échec de l’expansion française sur le continent asiatique.</p>
<p>L’implantation d’une concession française dans cette région est le fruit d’une politique chinoise de développement économique : au XIX<sup>e</sup> siècle, la Chine a décidé de céder des parties de son territoire à des puissances étrangères dans le but de faciliter son développement économique grâce aux investissements. C’est ainsi que la Russie (Lushunkou, 1897), la Prusse (Qingdao, 1898) ou encore le Royaume-Uni (Hongkong, 1898) se sont implantés en Chine.</p>
<p>Par le bail signé le 16 novembre 1899, Paris rattache administrativement ce territoire à <a href="https://cafi-histoires-memoires.fr/l-indochine/la-france-en-indochine">l’Indochine, instaurée en 1887</a>, et nomme sa capitale Fort-Bayard (aujourd’hui Zhanjiang), une petite ville cotière. La concession de Kouang Tchéou Wan s’est faite par le biais d’un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5839871c/f77.item">échange de lettres</a> et non pas via un traité, démontrant la grande prudence de la Chine, qui précise dans ces lettres que « cette location n’affectera pas les droits de souveraineté de la Chine sur les territoires concédés », c’est-à-dire que Pékin reprendra entièrement la main 99 ans plus tard.</p>
<h2>Une concession aux enjeux stratégiques</h2>
<p>À travers l’obtention de cette concession, la France avait pour objectif de rivaliser avec le développement économique des Britanniques installés à Hongkong un an plus tôt. Paul Doumer, alors gouverneur général de l’Indochine, a choisi cette baie où le riche sous-sol avait été prospecté par un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3754332.r=claudius%20madrolle?rk=193134;0">explorateur français en 1896</a> mais qui avait été qualifiée dans les cartes britanniques de « baie sans espoir ».</p>
<p>Avant Kouang Tchéou Wa, la France a déjà possédé des concessions en Chine à l’image de <a href="https://www.cairn.info/la-france-en-chine--9782262042097-page-226.htm">Shanghai</a> (1849-1946), <a href="https://souvenir-francais-asie.com/tag/concession-franco-britannique-de-shamian/">Canton</a> (1861-1946), <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01985187/document">Tientsin</a> (1861-1946) ou encore <a href="https://www.lepoint.fr/histoire/la-longue-histoire-des-francais-a-wuhan-03-05-2020-2373900_1615.php">Hankéou/Wuhan</a> (1886-1943). Ces précédentes concessions interdisaient cependant la construction d’un port destiné à la marine française, pour ne pas concurrencer les installations existantes (à Canton ou Shanghai), d’où le choix de KTW, où il n’y avait pas de port industriel.</p>
<p>Depuis ce port, la France pouvait ainsi exporter des produits miniers, contrôler le trafic maritime en mer de Chine méridionale pour mieux exporter, éviter la contrebande et éliminer les pirates <a href="https://www.entreprises-coloniales.fr/inde-indochine/Kouang-tcheou-Wan.pdf">(quelques centaines d’après la presse de l’époque</a>. Le phare de Fort-Bayard, construit en 1904, est emblématique de cette stratégie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte postale avec le phare de Nao Tchéou. 1905.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Phare_de_Nao-Tchéo_%28Nǎozhōu%29_1905_%28carte_postale%29.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Une chambre de commerce française est ouverte en 1930. La France organise administrativement le territoire en remplaçant les mandarins locaux, en recensant la population et les armes en circulation, en mettant en place un système d’impôts et de douane ainsi qu’un système judiciaire et un service de renseignement pour prévenir les risques de soulèvements et s’informer sur la piraterie. La présence française prend aussi une dimension militaire avec l’installation de trois bataillons d’infanterie de marine, une section d’artillerie, un bataillon de tirailleurs chinois et une milice chinoise.</p>
<h2>Le faible développement et la fin de la présence française</h2>
<p>KTW va se développer lentement et ne connaîtra pas le même succès économique que Hongkong. La population totale n’a pas réussi à dépasser les 200 000 habitants (dont seulement une centaine de Français). Dès le début, le développement est menacé par le manque de financement et l’hostilité des habitants. Les fonctionnaires ne reçoivent pas toujours leur paie, et l’approvisionnement en charbon des navires de passage est difficile tandis que les installations télégraphiques se font attendre.</p>
<p>KTW passe ainsi pour un <a href="https://journals.openedition.org/abpo/3492">« territoire oublié de la Marine »</a> marqué par un certain isolement et un quotidien morose d’après Charles Broquet, médecin de la Marine stationné à Kouang Tchéou Wan. Les épidémies de peste et la dysenterie rendent la vie sur place difficile, d’autant que les pirates, qui procèdent notamment à des enlèvements, demeurent une menace constante.</p>
<p>En matière d’échanges économiques, les exportations sont majoritairement tournées vers Hongkong, qui n’impose pas de droits de douane, au détriment de l’Indochine. La distance joue aussi un rôle, KTW se trouvant à 22 heures de route de Hongkong et 48 heures de Haiphong, la ville côtière indochinoise la plus proche. KTW devient ainsi simplement un satellite de Hongkong. Le chiffre d’affaires du commerce est toutefois trois fois supérieur à celui de La Rochelle mais correspond seulement à un quart du trafic du port aquitain (les marchandises étant plus coûteuses et plus rares).</p>
<p>D’après la géographe <a href="https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1925_num_34_187_8102">Andrée Choveaux</a>, l’agriculture a néanmoins fortement progressé durant la période. Avant l’arrivée de la France, la production locale de riz ne suffisait pas à la consommation locale et avait rendu indispensable le développement de nouvelles rizières afin de satisfaire les besoins grandissants.</p>
<p>Dans le même temps, la culture de la pomme de terre et du sel et la pêche ont aussi connu un développement alors que le coton, lui, n’a pu être développé en raison du climat et notamment des typhons fréquents. L’installation de sucreries, tanneries et briqueteries a complété l’industrie locale. Cependant, la Banque de l’Indochine, qui a alors le monopole de l’émission de la monnaie dans les colonies françaises d’Asie et du Pacifique, ne s’installe à KTW qu’à partir de 1925, signe d’une économie locale faible et peu intéressante.</p>
<p>Après la Première Guerre mondiale, la France souhaite mettre fin à son implantation en Chine et se recentrer sur l’Indochine, prenant conscience que KTW ne rivalisera pas avec Hongkong dont la population a doublé, atteignant plus de 600 000 habitants. En 1925, face à la pression impérialiste japonaise ayant des visées sur les côtes chinoises depuis plusieurs décennies, la France pense à transformer KTW en port de guerre. Cependant, les crédits ne suivent pas, notamment à cause de la crise économique des années 1930, et le projet ne voit jamais le jour.</p>
<p>En 1943, le territoire est occupé par le Japon. Le 18 août 1945, à Chongqing, la France et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_de_Chine_(1912-1949)">République de Chine</a> (le régime qui a précédé la RPC) signent un acte de rétrocession du territoire. Le drapeau français est retiré le 20 novembre 1945 et la ville de Fort-Bayard change de nom pour redevenir Zhanjiang. L’idée de rétrocession avait été évoquée dès 1922, mais la France militait pour une rétrocession générale de toutes les concessions étrangères, qualifiées en 1924 de « traités inégaux » par <a href="https://www.cairn.info/les-trente-empereurs-qui-ont-fait-la-chine--9782262051587-page-459.htm">Sun Yat-sen</a>, premier président de la République de Chine, soulignant leur caractère discriminatoire et déséquilibré. Une première concession britannique, Wei-Ha-Wei, avait fini par être rétrocédée en 1930 après 7 ans de négociations.</p>
<h2>L’héritage français</h2>
<p>En 1940, la France avait inauguré un monument en bronze en souvenir de l’escale de six mois à KTW du bateau Amphitrite en 1701-1702 lors de son second voyage en Chine. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de la présence française, si ce n’est quelques monuments chinois, dont certains symbolisent l’hostilité à l’ancien pouvoir colonial.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Monument à la résistance anti-française.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Suixi_County_-_P1580467_-_Huanglüe_People_Anti-French_Resistance_Monument.jpg?uselang=fr">Vmenkov/Wikimedia</a></span>
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<p>Le quotidien des Français sur place a laissé une image ternie par le trafic d’absinthe et d’opium, dont KTW était une plaque tournante. Pour l’historien spécialiste du territoire <a href="https://www.lesindessavantes.com/ouvrage/kouang-tcheou-wan-colonie-clandestine/">Antoine Vanière</a>, la concession a été gérée comme une colonie mais avec opacité et affairisme. La France avait formé localement des cadres et une élite francophone d’un millier de personnes, avec un lycée français d’enseignement bilingue. Cependant, la francophonie a rapidement chuté dans les années 1960, lorsque parler français était considéré comme une attitude impérialiste.</p>
<p>À l’inverse, pour <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5839871c/f1.item">Alfred Bonningue</a>, fervent défenseur du colonialisme français, la présence française a été source de bienfaits avec des avancées dans les domaines sanitaires (hôpitaux), de l’instruction publique (collège Albert Sarraut) ou de la sécurité (paix, justice avec de nouveaux tribunaux et suppression des châtiments corporels). L’auteur avance une comparaison avec les investissements réalisés au Niger qui avait une population cinq fois plus importante, mais où les investissements français ont été inférieurs à 40 % de ceux réalisés à KTW.</p>
<p>L’héritage français se retrouve encore aujourd’hui à travers la religion catholique, pratiquée par environ 5 % de la population à Zhanjiang. Enfin, en 2014, la ville de Zhanjiang a construit une rue « à la française » sur le thème du voyage et des loisirs pour développer le tourisme. Cette rénovation s’inscrit dans une politique plus large qui promet de protéger et de rénover les anciens bâtiments de style français (police, église, chambre de commerce, phare), et de favoriser le développement du secteur de la mode.</p>
<h2>Zhanjiang aujourd’hui</h2>
<p>Après le départ des Français, Zhanjiang s’est développée rapidement : une base navale est construite en 1956 par le gouvernement chinois qui y abrite une flotte de guerre. Sa localisation stratégique sur les côtes de la mer de Chine a rapidement fait prospérer la ville, dont le port lui permet de commercer avec une centaine d’autres cités de Chine et d’ailleurs en Asie et dans le reste du monde.</p>
<p>Dès 1984, la Chine a ouvert la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ouverture-economique-chinoise">Zhanjiang Economic and Technological Development Zone</a>, permettant ainsi à la ville de recevoir des investisseurs étrangers. Cette zone favorise aussi l’implantation d’entreprises de biotechnologies et d’informatique. Les secteurs des chantiers navals et des industries automobiles, électriques et textiles fleurissent, tout comme les raffineries de sucre, minoteries et usines chimiques. Le tourisme se développe aussi, avec l’inauguration de parcs d’attractions. Aujourd’hui, Zhanjiang entretient des relations étroites avec Taïwan, notamment dans le domaine agricole, renforçant ainsi son rôle stratégique.</p>
<p>La présence française à Kouang Tchéou Wan de la Chine reste un échec, pour ne pas parler de <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-histoire-de-l-indochine-francaise--9782262088019-page-170.htm">fiasco</a>. Le parallèle avec Hongkong est frappant : de tailles presque comparables – chacune abrite aujourd’hui environ 7 millions d’habitants – les deux sites ont connu des destins complètement différents et la politique économique britannique, plus audacieuse, y est pour beaucoup.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219773/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Aymard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Méconnu, le territoire Kouang Tchéou Wan est un fragment de l’histoire de la présence française en Chine. Son développement économique fut un échec vis-à-vis de sa rivale Hongkong.Stéphane Aymard, Ingénieur de Recherche, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204122024-01-03T17:36:08Z2024-01-03T17:36:08ZFrance-Chine, 60 ans d’ambivalence<p>Le 27 janvier 1964, le général de Gaulle, de retour aux affaires depuis cinq ans, concrétise l’un de ses objectifs de politique étrangère : la reconnaissance de la République populaire de Chine (RPC). Quatre jours plus tard, lors d’une conférence de presse, <a href="https://www.elysee.fr/charles-de-gaulle/1964/01/31/conference-de-presse-du-general-de-gaulle-president-de-la-republique-palais-de-lelysee-paris-le-31-janvier-1964">il précise</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La masse propre à la Chine, sa valeur et ses besoins présents, la dimension de son avenir la font se révéler de plus en plus aux intérêts et aux soucis de l’univers tout entier. Pour tous ces motifs, il est clair que la France doit pouvoir entendre directement la Chine et aussi s’en faire écouter. »</p>
</blockquote>
<p>Reconnaissance tardive – elle intervient bien après celle effectuée par le Royaume-Uni en 1950, pour ne citer qu’un exemple – liée à une conjoncture défavorable (le Vietminh puis le FLN algérien étant soutenus par Pékin), mais reconnaissance effective conduisant, pour Paris, à la renonciation à tout contact diplomatique officiel avec l’« autre » Chine, la République de Chine, réfugiée sur l’île de Taïwan depuis 1949, avec à sa tête Chiang Kaï-chek. Soixante ans plus tard, les conseils du Général semblent plus que jamais d’actualité, tant la RPC est devenue un acteur incontournable des relations internationales.</p>
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<p>En 2024, le 60<sup>e</sup> anniversaire de cette reconnaissance devrait être célébré en grande pompe, tant cet exercice diplomatique est l’occasion de communiquer sur la coopération économique entre les deux pays (on se souvient du <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/2014-13-14/france-chine-50-contrats-pour-le-50e-anniversaire-201403/">slogan</a>, il y a dix ans, « 50 contrats pour le 50<sup>e</sup> anniversaire »).</p>
<p>Pourtant, en six décennies, le rapport de force entre ces deux membres du Conseil de sécurité de l’ONU a bien changé, au profit de la RPC. Cet anniversaire intervient dans un contexte géopolitique particulièrement tendu : rivalité sino-américaine, guerre en Ukraine, conflits au Proche et au Moyen-Orient, tensions dans l’Indo-Pacifique, influence croissante chinoise en Afrique… Autant de sujets qui structurent une relation bilatérale en pleine évolution.</p>
<h2>60 ans, 60 milliards de déficits</h2>
<p>En 1964, la Chine disposait d’un avantage démographique sur la France, mais sur le plan économique les indicateurs français étaient bien meilleurs, l’Europe occidentale jouissant alors d’une période de pleine croissance (les trente glorieuses) tandis que la Chine sortait à peine de la <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2012-2-page-329.htm">« Grande famine »</a> qui sévit entre 1958 et 1962 en conséquence de la politique désastreuse du Grand Bond en avant, qu’allaient aggraver dès 1966 les dix années noires de la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-chine--9791021001107-page-545.htm">Révolution culturelle</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Douanes/Réalisation Paco Milhiet</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Douanes/Réalisation Paco Milhiet</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En 2023, la relation économique apparait des plus déséquilibrées, avec un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/avec-la-chine-un-deficit-commercial-toujours-plus-abyssal-1932406">déficit commercial français abyssal</a> de plus de 50 milliards d’euros en 2022 – le plus grand déficit commercial bilatéral français. Si les multinationales françaises continuent de faire des profits en Chine (aéronautique et spatial, agroalimentaire, produits de luxe, cosmétique), les bénéfices sur l’ensemble du tissu économique national sont moins évidents, l’ouverture tous azimuts au capitalisme d’État chinois favorisant la désindustrialisation et la perte d’avantages compétitifs de nombreux produits à haute valeur ajoutée. À l’horizon 2024, la barre symbolique des 60 milliards d’euros de déficit devrait être atteinte.</p>
<p>Certes, un tel déséquilibre bilatéral n’est pas l’apanage de notre seul pays, le déficit commercial global des pays de l’UE vis-à-vis de la Chine <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lue-veut-reequilibrer-durgence-sa-relation-commerciale-avec-la-chine-2039750">s’élevant en 2022 à la somme astronomique de 400 milliards d’euros</a>.</p>
<p>Largement biaisés par des considérations idéologiques et le mythe d’une RPC qui respecterait les règles du commerce mondial après son accession à l’OMC (2001), les exécutifs français et européens n’ont su contrecarrer ni les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-chine-est-le-pays-le-plus-protectionniste-vis-a-vis-de-leurope-1029884">mesures protectionnistes de la Chine sur son marché intérieur</a>, ni les subventions chinoises dissimulées. Les indicateurs économiques les plus récents obligent à constater l’écrasant avantage et l’omnipotence de la RPC dans de nombreux pans de l’économie pour lesquels chaque déficit sectoriel apparaît colossal et peu réversible.</p>
<h2>Le « en même temps » à l’œuvre</h2>
<p>Oscillant entre intégration à des organismes multilatéraux censés démultiplier sa puissance et volonté de porter une voix singulière dans les relations internationales, le positionnement français vis-à-vis de la RPC est un exemple caractéristique du « en même temps » élyséen dans la pratique des relations internationales. Ainsi, dans une volonté globale visant à lier les contextes euro-atlantique et indo-pacifique, les principales organisations multilatérales auxquels la France contribue ont toutes durci leurs positions contre Pékin.</p>
<p>L’OTAN d’abord, avec deux documents doctrinaux récemment publiés, le programme <a href="https://www.nato.int/nato2030/fr/">OTAN 2030</a>, et le <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_210907.htm">concept stratégique 2022</a>, qui désignent sans équivoque la Chine comme un concurrent et une menace pour l’ordre international. L’UE ensuite, qui par le truchement d’un document-cadre publié en 2022 intitulé <a href="https://theconversation.com/le-petit-pas-inapercu-de-lue-vers-une-defense-commune-203011">« la boussole stratégique »</a>, a qualifié la RPC de « rival systémique ». Le G7 enfin, dont le dernier sommet à Hiroshima, en 2023, a abouti à un <a href="https://www.g7hiroshima.go.jp/documents/pdf/Leaders_Communique_01_en.pdf">communiqué conjoint</a> par lequel les chefs des États formant le Groupe ont adressé plusieurs reproches explicites au gouvernement de Pékin.</p>
<p>Ainsi, l’OTAN, l’UE, et le G7 voient clairement la RPC comme un concurrent, voire comme une menace. La France, pourtant membre de ces trois organisations, tient dans le cadre bilatéral franco-chinois un discours plus policé, consciente que Pékin est un interlocuteur incontournable sur un certain nombre d’enjeux transnationaux : dossier climatique, dette des pays en voie de développement, guerre en Ukraine, crise au Moyen-Orient, etc. Les observateurs ont pu constater cette singulière approche française lors de la <a href="https://theconversation.com/macron-a-pekin-les-europeens-peuvent-ils-freiner-le-rapprochement-sino-russe-201980">dernière visite d’Emmanuel Macron en Chine en avril 2023</a>, le président français appelant à cette occasion les Européens à ne pas <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/09/taiwan-emmanuel-macron-appelle-l-union-europeenne-a-ne-pas-etre-suiviste-des-etats-unis-ou-de-la-chine_6168865_3210.html">« être suivistes »</a> des États-Unis sur la question taiwanaise.</p>
<p>Par ailleurs, lors du sommet de l’OTAN de Vilnius, Emmanuel Macron a confirmé <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2023/07/09/national/tokyo-nato-office/">son refus</a> de voir une antenne de l’OTAN ouvrir à Tokyo, probablement pour ne pas susciter le mécontentement de Pékin, dont les officiels ont rappelé à de nombreuses reprises qu’ils voyaient d’un très mauvais œil l’extension de l’Organisation à la région Asie-Pacifique. La France juge qu’il est dans son intérêt de ne pas provoquer la Chine dans cette zone, à laquelle les ramifications de la relation franco-chinoise s’étendent désormais largement.</p>
<h2>L’Asie-Pacifique, future composante centrale de la relation sino-française ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/04/07/declaration-conjointe-entre-la-republique-francaise-et-la-republique-populaire-de-chine">communiqué conjoint</a> franco-chinois publié à l’issue du voyage du président français en 2023 mentionne en son point quatre que :</p>
<blockquote>
<p>« La France et la Chine s’accordent à approfondir les échanges sur les questions stratégiques et notamment entre le Théâtre Sud de l’Armée populaire de libération de la Chine et le Commandement des forces françaises en Zone Asie-Pacifique (ALPACI). »</p>
</blockquote>
<p>Une reconnaissance explicite chinoise de la légitimité française à se poser comme puissance de l’Indo-Pacifique ? C’est une évolution notable qui contraste avec la posture traditionnelle des officiels chinois, la RPC ayant longtemps considéré la France comme une puissance non légitime dans la zone. On se souvient des <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/06/02/la-france-puissance-de-l-asie-pacifique-combien-de-divisions_3422496_3216.html">remarques acerbes</a> d’un amiral chinois au Shangri-La Dialogue en 2013 : « Pour nous la France, c’est en Europe. »</p>
<p>Par ailleurs, si Pékin n’a jamais contesté ouvertement la souveraineté de Paris sur les collectivités françaises de la zone, le développement incontestable de la RPC dans le Pacifique océanien a souvent été mis en avant comme repoussoir à toute velléité indépendantiste, notamment en <a href="https://www.lefigaro.fr/international/ambitions-geostrategiques-ressources-enviables-pourquoi-la-chine-etend-son-influence-en-nouvelle-caledonie-20230725">Nouvelle-Calédonie</a>. Rappelons que deux chefs d’exécutifs indépendantistes sont actuellement aux affaires à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/08/un-independantiste-kanak-a-la-tete-du-gouvernement-de-nouvelle-caledonie_6087453_823448.html">Nouméa</a> et à <a href="https://www.lemonde.fr/outre-mer/article/2023/05/13/l-independantiste-moetai-brotherson-elu-president-de-la-polynesie-francaise_6173181_1840826.html">Papeete</a>, et revendiquent des relations spécifiques avec la RPC, parfois en dehors de la relation sino-française.</p>
<p>Une évolution significative de la relation sino-française qu’il conviendra de surveiller pendant les dix prochaines années. Si d’aucuns jugent la position française ambivalente vis-à-vis de la RPC, elle l’est assurément sur au moins deux volets : stratégique et économique. Stratégique avec, dans le rétroviseur de l’histoire, un passé proche qui ne passe pas, à commencer par la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/sous-marins-cinq-questions-sur-la-rupture-du-contrat-du-si%C3%A8cle-par-laustralie-1346834">dénonciation en 2021 par Canberra du contrat de vente à l’Australie de sous-marins français</a>, sous la pression des États-Unis, et la signature subséquente de l’AUKUS. Cet épisode a montré que Français et pays de l’anglosphère partagent les mêmes valeurs mais n’ont pas les mêmes intérêts.</p>
<p>A contrario, la France ne partage certainement pas les mêmes valeurs avec la Chine, mais les deux pays ont des intérêts communs en matière économique. Que ce soit dans le domaine de l’agro-alimentaire, des industries du luxe ou de l’aéronautique, la Chine demeure pour les fleurons de l’industrie française un marché de tout premier plan. L’Hexagone ne peut s’en aliéner les promesses.</p>
<p>En somme, la France n’entend pas entrer dans une logique de confrontation avec la Chine et risquer de perdre des parts de marché que lui raviraient sans l’ombre d’un doute ses concurrents occidentaux.</p>
<h2>Une ambivalence cultivée par Paris : « bruit à l’est, attaque à l’ouest »…</h2>
<p>Cette ambivalence française s’observe tout autant à l’égard de Taïwan. Ainsi a-t-il été décidé l’ouverture d’un <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=56&post=190872">deuxième bureau de représentation de Taïwan à Aix-en-Provence, en décembre 2020</a>. Trois ans plus tard était décidée par Emmanuel Macron l’implantation d’une usine de batteries électriques de deuxième génération du <a href="https://lemarin.ouest-france.fr/shipping/lusine-de-batteries-de-prologium-attendue-en-2026-sur-le-port-de-dunkerque-7b51e36f-7857-4032-aecc-5b51fcf3ef5c">groupe taïwanais au port de Dunkerque</a>.</p>
<p>Qu’est-ce à dire ? Que si le découplage économique vis-à-vis de la Chine, qu’appelle de ses vœux Washington, n’est certainement pas d’actualité pour Paris, les tensions entre les enjeux stratégiques d’une part et les enjeux économiques de l’autre ne cessent en revanche de s’accentuer. D’où la très grande prudence de la diplomatie française pour ce qui concerne l’Asie orientale et la conscience aiguë du coût que représenterait la multiplication des théâtres de crise. Ils s’ajouteraient à ceux se développant dans le périmètre sécuritaire de notre pays (Afrique sahélienne, Proche et Moyen-Orient, Europe orientale).</p>
<p>Demeure une option que semble avoir saisie l’Élysée : celle de la guérilla diplomatique. Autrement dit : survenir où on ne l’attend pas. La France s’est ainsi récemment impliquée au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/11/au-bangladesh-emmanuel-macron-defend-sa-troisieme-voie-et-evoque-la-vente-d-une-dizaine-d-avions-a350_6188835_3210.html">Bangladesh</a> puis à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/macron-fait-une-etape-express-et-historique-au-sri-lanka-28-07-2023-2529947_24.php">Sri Lanka</a> pour conforter sa stratégie de l’Indo-Pacifique. Elle a aussi vendu successivement des Rafale à l’Inde et à l’Indonésie, et privilégie, en lisière des hégémonies russo-chinoises, l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/01/emmanuel-macron-en-asie-centrale-pour-contrer-l-influence-de-la-chine-et-de-la-russie_6197590_3210.html">Asie centrale</a> en initiant des rapprochements inédits avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/21/emmanuel-macron-en-visite-en-mongolie-une-premiere-pour-un-president-francais_6174223_3210.html">Mongolie</a> et l’Ouzbékistan tout en maintenant une relation forte dans le domaine des énergies avec le Kazakhstan.</p>
<p>Les difficultés de l’heure et l’approche à la fois coopérative et concurrente que nourrit la France à l’égard de la Chine forcent Paris à plus d’agilité et d’innovation. L’année 2024 devrait sans doute le confirmer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220412/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La France a reconnu la RPC il y a 60 ans. Par la suite, et spécialement ces dernières années, Paris a cherché à combiner, dans son rapport à Pékin, défiance sécuritaire et proximité commerciale.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200542024-01-02T16:25:57Z2024-01-02T16:25:57ZAttentats, agressions : comment l’injonction de soins peut-elle être utilisée par la justice ?<p>Après <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/06/attentat-de-paris-le-terroriste-avait-initialement-prevu-d-attaquer-une-cible-juive_6204271_3224.html">l’attentat perpétré à Paris le 2 décembre dernier</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/debat/Faut-permettre-lEtat-delivrer-injonctions-soins-2023-12-04-1201293312">presse</a> et les <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/attaque-a-paris-gerald-darmanin-veut-que-les-autorites-puissent-demander-une-injonction-de-soins-66708d68-9201-11ee-8602-1e868188f4e2">politiques</a> se sont penchés sur une mesure pouvant être appliquée par les praticiens de la justice et de la santé : l’injonction de soins. En effet, le mis en cause venait d’arriver au terme de cette mesure après la fin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181747/">son sursis probatoire</a>.</p>
<p>La mesure d’injonction de soins, ordonnée par la justice, permet d’enjoindre une personne condamnée à suivre des soins de nature psychiatrique et/ou psychologique en dehors du milieu carcéral. Si la personne décide de ne pas suivre les soins, elle s’expose à sa réincarcération pour non-respect de ses obligations.</p>
<p>Cette mesure a été créée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006094059">loi n°98-468 du 17 juin 1998</a> relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Alors qu’elle concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions et cadres procéduraux.</p>
<h2>Lutter contre la récidive</h2>
<p>La mesure d’injonction de soin a été créée par le législateur après la médiatisation de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reclusion-a-perpetuite-pour-les-freres-jourdain-28-10-2000-2001724762.php">crimes sexuels</a> commis par des <a href="https://www.lemonde.fr/ete-2007/article/2006/08/23/guy-georges-le-tueur-de-l-est-parisien_805633_781732.html">individus déjà connus de la justice</a>. Elle répondait à la volonté de prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles, en leur imposant un suivi post-pénal de nature judiciaire et médico-social.</p>
<p>L’injonction de soins a été instaurée dans le cadre de la peine de suivi sociojudiciaire qui oblige le condamné à se soumettre à des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181732/">mesures de surveillance</a> et d’assistance une fois la peine de réclusion ou d’emprisonnement effectuée. Elle s’applique pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans dans le cadre d’une condamnation pour un délit et jusqu’à vingt ans pour une condamnation criminelle.</p>
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<p>L’objectif initial de cette loi était de mener des individus vers des opportunités de soins, alors qu’ils n’y auraient pas nécessairement recours eux-mêmes, de façon à limiter leur risque de récidive. Néanmoins, progressivement, les mesures prévues dans le cadre de la loi de 1998 ont été perçues comme insuffisantes.</p>
<p>Au début des années 2000, la médiatisation de faits divers dramatiques (le meurtre de <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/06/17/460209-assassinat-nelly-cremel-perpetuite-gateau-30-ans-mathey.html">Nelly Cremel</a> en 2005, l’enlèvement et le <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/viol-d-enis-evrard-condamne-a-30-ans-de-reclusion_245897.html">viol d’Enis</a> en 2007 et <a href="https://www.leparisien.fr/essonne-91/en-2009-l-effroi-apres-le-viol-et-le-meurtre-d-une-joggeuse-02-09-2016-6087131.php">l’assassinat de Marie-Christine Hodeau</a> en 2009), cristallise les débats publics autour de la prévention de la récidive et des soins ordonnés aux délinquants. En 2009, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice exprimait vouloir, en réponse à la délinquance sexuelle, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/02/nicolas-sarkozy-exige-de-nouvelles-mesures-contre-la-recidive-des-delinquants-sexuels_1248342_3224.html">« la castration chimique ou la prison »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CXr5puqLZLA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire Nelly Cremel en 2005.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte social et politique, pas moins de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000249995">six lois</a> ont été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">adoptées</a> afin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">prévenir</a> la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000017758194/#:%7E:text=Projets%20de%20lois-,Loi%20n%C2%B0%202007%2D1198%20du%2010%20ao%C3%BBt%202007%20renfor%C3%A7ant,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs&text=Communiqu%C3%A9%20de%20presse%20du%20Conseil,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs">délinquance</a> entre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018162705">2004</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021954436#:%7E:text=LOI%20n%C2%B0%202010%2D242,proc%C3%A9dure%20p%C3%A9nale%20(1) %20 %2D %20L %C3 %A9gifrance">2010</a>. Le soin apparaît alors comme l’instrument par excellence de lutte contre la récidive.</p>
<h2>Une disposition progressivement élargie</h2>
<p>Bien que la <a href="https://www.senat.fr/rap/l06-358/l06-358.html">Commission des lois</a> rapportait l’opacité entourant la mesure d’injonction de soins et son application, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164">plusieurs</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">lois</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">ont</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/#:%7E:text=au%20sein%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202010%2D769%20du%209%20juillet%202010%20relative,derni%C3%A8res%20sur%20les%20enfants%20(1)">élargi</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043403203#:%7E:text=%E2%80%98inceste%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202021%2D478%20du%2021%20avril%202021%20visant,de%20l%E2%80%99inceste%20(1)&text=Recherche %20simple %20dans %20le %20code %20Rechercher %20dans %20le %20texte%E2%80%A6">renforcé son cadre d’application</a>. Les dispositions légales du suivi sociojudiciaire se sont progressivement élargies à plusieurs faits de nature violente.</p>
<p>Désormais, l’injonction de soins peut concerner des personnes placées sous main de justice aux profils pluriels condamnées pour des faits d’atteintes à la vie, de violences conjugales, pour des actes de terrorismes et de destructions et dégradations par moyens dangereux. Ainsi, le domaine d’application de l’injonction de soins dépasse aujourd’hui le seul cadre de la peine de suivi sociojudiciaire puisque les personnes peuvent être soumises à cette mesure dans divers cadres légaux (mesures de sûreté, aménagements de peines, peines probatoires).</p>
<p>Pour être soumis à une injonction de soins, il faut qu’un expert psychiatre détermine qu’il est opportun que la personne entre dans un processus de soins.</p>
<p>Récemment, une <a href="https://repeso.hypotheses.org/">équipe de chercheurs</a> a procédé à l’analyse de rapports d’expertises et constate que les indications de soins « viennent en réponse à une question implicite qui serait : le prévenu ou l’accusé pourrait-il bénéficier de soins sous contrainte et ceux-ci contribueraient-ils à éviter, sinon limiter, une réitération d’actes similaires de sa part ? » Selon les auteurs, l’opportunité de soins ne serait pas toujours appréciée en fonction des pathologies ou des troubles de la personne, mais plutôt selon l’intérêt de la mesure de soins pénalement ordonnée pour limiter la récidive et accompagner l’auteur de l’infraction.</p>
<h2>Comment mesurer le véritable effet de cette mesure ?</h2>
<p>La mise en place de l’injonction de soins correspond à un enchevêtrement de différentes modalités d’application et à une articulation entre les acteurs de la chaîne pénale et du soin. En effet, la personne placée sous main de justice doit, en plus de ses soins, respecter diverses obligations et se soumettre à des mesures de contrôle. Tout manquement à ces obligations pourra conduire à son retour en détention. Afin de justifier l’exécution et le respect de ses obligations, elle doit rencontrer un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce dernier assure également le suivi de la personne dans les différents aspects de sa situation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731392072815436191"}"></div></p>
<p>Dans le cadre de la mise en œuvre de son injonction de soins, la personne doit rencontrer plusieurs fois par an un médecin coordonnateur. Il est désigné par le juge de l’application des peines pour faire le lien entre les professionnels de la santé et les professionnels de la justice. Le médecin coordonnateur a un double rôle de conseil. Il conseille la personne placée sous main de justice dans le choix du professionnel assurant sa prise en soins (nommé médecin ou psychologue traitant). Il conseille également le médecin psychiatre ou le psychologue traitant dans l’orientation et la mise en place des soins. Ce dernier professionnel n’a aucun contact avec les acteurs de la chaîne pénale. Toutes les informations relatives aux soins sont transmises au médecin coordonnateur, qui en assure la diffusion aux acteurs compétents.</p>
<p>L’application de cette mesure nécessite une articulation et un maillage important entre les professionnels du champ sanitaire et les professionnels du champ judiciaire, ce qui peut parfois engendrer des difficultés. Les acteurs en présence ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs dans la mise en œuvre de l’obligation judiciaire, qui s’applique pendant une durée relativement longue. En effet, les professionnels ont un rôle distinct dans l’accompagnement des personnes et l’application de cette mesure qui s’inscrit dans une double dimension de soins et de contrôle. De plus, le manque de moyens humains dans les différentes institutions peut avoir un impact sur le temps dédié aux échanges pluridisciplinaires.</p>
<p>À ce jour, aucune statistique publique ne permet d’analyser le nombre de recours à l’injonction de soins. Cette absence de statistiques et d’évaluation conduit à s’interroger sur l’impact des réformes successives sur le recours à l’injonction de soins et sur la diversification – ou non – du profil des personnes qui y sont soumises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Colombier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’injonction de soins concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Depuis, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions.Lisa Colombier, Doctorante en sociologie et en droit, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.