tag:theconversation.com,2011:/id/topics/francois-mitterrand-23935/articlesFrançois Mitterrand – The Conversation2024-03-25T16:39:32Ztag:theconversation.com,2011:article/2260632024-03-25T16:39:32Z2024-03-25T16:39:32ZComprendre l’histoire de l’UE par ses élargissements successifs : de 1973 à 1986, cap au Sud<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583211/original/file-20240320-30-evm8dd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C327%2C1365%2C758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 1981, la Grèce (vert foncé) rejoint les neuf pays déjà membres de la CEE. Elle sera suivie de l’Espagne et du Portugal (vert clair) en 1986.</span> <span class="attribution"><span class="source">The Conversation France</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Entre 1981 et 1986, la Communauté économique européenne (CEE) s’est élargie à la Grèce, à l’Espagne et au Portugal. Les adhésions précédentes n’étaient pas très éloignées : en 1973, le <a href="https://theconversation.com/comprendre-lhistoire-de-lue-par-ses-elargissements-successifs-de-1957-a-1973-223028">Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni</a> avaient rejoint la Communauté. Ce premier élargissement était apparu comme le bouclage du marché commun institué en 1957 par le traité de Rome : avec les trois entrants de 1973, la carte du marché commun épousait tous les pays traversés par la fameuse <a href="https://www.lhistoire.fr/le-g%C3%A9ographe-et-la-banane-bleue">« banane bleue »</a>, cette dorsale du développement économique, urbain, culturel et politique européen, berceau historique de la révolution industrielle et du capitalisme.</p>
<p>Ces pays entrés dans les années 1970 auraient pu faire partie de la CEE dès 1957. Ce n’était pas le cas des trois pays concernés par le second élargissement. Ils étaient en effet plus agricoles, moins industrialisés, moins urbanisés – en un mot, leurs situations n’étaient pas celles de centres décisionnels, mais plutôt de périphéries économiques et politiques dans l’espace européen. Plus encore, ils étaient en sortie de fascisme ! C’était là leur grande singularité.</p>
<h2>La rapide intégration de la Grèce…</h2>
<p>À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la Grèce, l’Espagne et le Portugal vivent leur transition démocratique. On s’apprête à célébrer, en avril 2024, le cinquantième anniversaire de la <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/evenements/la-revolution-des-o-eillets-un-evenement-de-portee-mondiale/">Révolution des Oeillets</a>, une révolution de hauts gradés de l’armée portugaise qui mit fin en même temps à la dictature salazariste, aux guerres coloniales et à l’empire portugais. En Espagne, la mort du <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-complexe-rapport-de-lespagne-a-la-figure-de-franco-224989">général Franco</a>, qui avait été le fossoyeur de la République espagnole par son coup d’État 40 ans plus tôt, ouvre la voie au retour à la démocratie dans le cadre d’un régime de monarchie parlementaire sous la conduite de Juan Carlos. En Grèce, la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/2017/04/20/26001-20170420ARTFIG00291-il-y-a-50-ans-la-dictature-des-colonels-s-installait-en-grece.php">dictature des colonels</a> instaurée en 1967 tombe au même moment.</p>
<p>Avec ce deuxième élargissement, la CEE et ses dirigeants mettent ainsi en avant le fait que la Communauté n’est pas seulement un projet de prospérité et d’interdépendance économique, mais aussi un projet de consolidation de la démocratie au sein des pays européens : trois régimes fascisants reposant sur la mainmise de l’armée sur la société tombent au même moment, leurs citoyens se tournent immédiatement vers la Communauté européenne, et réciproquement.</p>
<p>C’est l’aboutissement d’un débat initié dans le début des années 1960, lorsque la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/15bb0adb-1ff0-4299-b0aa-a9563ce40459/Resources#8a95e26f-e911-42a0-b811-b623b84a93d9_fr&overlay">dictature franquiste déposa la candidature d’adhésion de l’Espagne à la CEE</a>. Sur la base du <a href="https://www.cvce.eu/content/publication/2005/6/1/2d53201e-09db-43ee-9f80-552812d39c03/publishable_fr.pdf">rapport Birkelbach</a>, la réponse à donner avait <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-4-page-85.htm">fait débat</a> dans les Parlements nationaux de toute l’Europe des Six, sans passion ni urgence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Viens, viens ! » Le 29 octobre 1968, le chancelier fédéral Kurt Kiesinger rencontre à Madrid le général Franco. Au lendemain de cette visite, le 30 octobre, le caricaturiste allemand Wilhelm Hartung ironise sur cette rencontre qui fait polémique et accuse le chancelier d’œuvrer pour un rapprochement de l’Espagne franquiste avec la CEE. À l’issue de leurs conversations, les représentants de la RFA et de l’Espagne estiment qu’un « minimum de collaboration » est nécessaire entre les pays de l’Europe occidentale pour assurer leur défense face à la menace émanant du bloc communiste.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/15bb0adb-1ff0-4299-b0aa-a9563ce40459/Resources#116b4ec0-9cba-4d39-9415-d04e92fd4079_fr&overlay">Wilhelm Hartung</a></span>
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<p>Au final, les Européens avaient proposé à l’Espagne franquiste un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/02/02/un-accord-commercial-preferentiel-a-ete-conclu-entre-l-espagne-et-le-marche-commun-les-six-vont-reduire-progressivement-de-70-leurs-droits-de-douane-sur-les-produits-espagnols_3120538_1819218.html">accord de commerce</a>, pas même un accord d’association, en 1970. Un ultime raidissement très répressif de la dictature les années suivantes les conforta dans cette décision.</p>
<p>Aussi, la société espagnole s’attendait-elle majoritairement à ce que la CEE accueille avec chaleur cette Espagne nouvelle qui démontra très rapidement son engagement dans la transition démocratique. L’adhésion de la Grèce devenue une République, à nouveau gouvernée, à l’issue d’élections libres, par <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/biographie-konstantinos-karamanlis-artisan-de-l-adhesion-de-la-grece-a-la-cee-1907-1998/">Konstantinos Karamanlis</a> (qui avait déjà été premier ministre de 1955 à 1963), ne se négociait-elle pas sans coup férir en un temps très bref ?</p>
<p>Bénéficiant de conditions d’adhésion particulièrement favorables, la Grèce devint le 10<sup>e</sup> État membre dès 1981. Les dirigeants de la CEE, présidents français et européen en tête – Valéry Giscard d’Estaing et <a href="https://spartacus-educational.com/PRjenkinsR.htm">Roy Jenkins</a> – célébraient dans la Grèce libérée des colonels le berceau de la démocratie, quand bien même la démocratie athénienne du siècle de Périclès était une réalité historique éloignée de la Grèce actuelle de près de 25 siècles…</p>
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<h2>… et le long blocage des candidatures espagnole et portugaise</h2>
<p>Pourtant, la demande déposée le 25 juillet 1977 par Marcelino Oreja, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Suárez, qui aboutit à l’ouverture officielle de la procédure d’adhésion en février 1979, ne se négociait ni dans la joie ni avec célérité. La demande du Portugal, déposée elle aussi en 1977, subit le même traitement. Contrairement à l’Allemagne de l’Ouest de la coalition SPD-parti libéral, la France giscardienne freinait.</p>
<p>Il est vrai que les toutes dernières années de la décennie 1970 et les trois premières années de la décennie 1980 sont passées à la postérité comme une période d’euro-pessimisme : confrontés au choc pétrolier, à la crise économique, à la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38285-systeme-de-bretton-woods-fmi-bird-1944-1971">fin du système monétaire international dit de Bretton Woods</a>, à la fin des Trente glorieuses, au chômage de masse et à l’inflation, les dirigeants de l’Europe des Neuf puis des Dix étaient déstabilisés et peu capables de jouer collectif. En 1979, les premières élections au suffrage universel d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_europ%C3%A9ennes_de_1979">Parlement européen</a> aux pouvoirs limités pouvaient difficilement faire contrepoids à cette morosité.</p>
<p><a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/7124614a-42f3-4ced-add8-a5fb3428f21c/9eec77e2-c94d-42d3-beed-a8413e26654c">La mise en place du système monétaire européen</a>, le SME, était très récente (1979) ; elle avait été bloquée pendant sept ans par les divergences de vues et d’intérêts nationaux. Les dirigeants, les entrepreneurs et les syndicats européens n’eurent pourtant pas le temps de se réjouir de cet avènement : Margaret Thatcher, chef de gouvernement britannique depuis l’été de la même année, fit irruption sur la scène européenne avec fracas : <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/05/11/30-novembre-1979-margaret-thatcher-i-want-my-money-back_648386_3214.html">« I want my money back ! »</a></p>
<p>Le sentiment prévalait que cette raideur britannique bloquait le fonctionnement non seulement du budget européen, mais aussi de la vie politique communautaire. En conséquence, le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement demeurait comme indifférent à la finalisation de l’élargissement à l’Espagne et au Portugal. Il ne donnait pas plus suite à plusieurs propositions de relance de la construction européenne – <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/il-y-a-30-ans-le-rapport-spinelli_3069085.html">projet Spinelli</a> du Parlement européen, du nom d’un des eurodéputés les plus respectés ; <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/511084a1-fac4-44e0-82b1-a7a101b2d913">proposition d’« acte européen »</a> par Genscher et Colombo, ministres des Affaires étrangères de RFA et d’Italie.</p>
<p>De façon imprévue, la politique européenne de la France favorisait ce surplace. La gauche y avait remporté une double victoire, première alternance de l’histoire de la V<sup>e</sup> République : à l’élection présidentielle, gagnée par François Mitterrand le 10 mai 1981, puis aux élections législatives de juin 1981. Sa politique économique reposait sur deux grandes actions à contretemps, pour ne pas dire en complet décalage, de celles conduites par les partenaires européens de la France : la relance de la croissance par la consommation (« Le keynésianisme dans un seul pays ? », interroge avec humour <a href="https://www.academia.edu/3438198/Les_partis_socialistes_et_lint%C3%A9gration_europ%C3%A9enne_Belgique_France_Grande_Bretagne">Pascal Delwit)</a> ; et la nationalisation des principaux groupes industriels, bancaires et de crédit. Si, dans tous les pays européens, les socialistes et les sociaux-démocrates ont salué cette victoire de la gauche, ils s’interrogeaient sur ces deux particularités. Quelles seraient leurs implications sur la coordination du système monétaire européen ? Sur les positions françaises dans le domaine du budget de la CEE ?</p>
<p>Ce facteur d’attentisme supplémentaire est d’autant plus vif que les programmes du Parti socialiste refondé en 1969 et de son leader François Mitterrand n’avaient pas de mots assez durs pour désigner la CEE comme <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/45721">l’Europe des marchands, des trusts et du grand capital</a>. Le programme du Parti communiste, certes nettement minoritaire dans cette coalition, était, lui, franchement hostile à la construction communautaire.</p>
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<p>Les citoyens français ayant voté pour une majorité socialiste, la construction européenne devait désormais favoriser <a href="https://books.openedition.org/pur/129129">« la rupture avec le capitalisme »</a>, formule étendard de la nouvelle majorité, et le changement promis aux Français. Si les Dix avaient pu s’engager ensemble dans la réduction du temps de travail, l’abaissement de l’âge de la retraite et l’augmentation du salaire minimum, c’eût été formidable : c’eût été l’Europe socialiste. Et c’eût été grâce à la France. Mais malgré l’engagement et l’expérience européens des ministres Cheysson, Delors et Jobert, le mémorandum français pour une Europe sociale tomba à plat. Le soutien de la Grèce, dirigée depuis 1981 par le Parti socialiste (Pasok) d’Andréas Papandréou, finalement rallié à l’adhésion de son pays à la CEE, n’y suffit pas.</p>
<p>Pendant ce temps, les bras de fer sur les négociations budgétaires – c’est‑à-dire, pour l’essentiel, sur la politique agricole commune (PAC) – absorbaient beaucoup d’énergie. Et les négociations d’adhésion avec le Portugal et l’Espagne patinaient, en raison notamment des <a href="https://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1987_num_78_2_4979">blocages italien et surtout français</a> : leurs dirigeants respectifs subordonnaient l’accès de ces pays méditerranéens à la PAC et aux financements territoriaux du Fonds européen de Développement régional (FEDER) à la garantie que ces financements n’iraient pas moins à leurs agriculteurs que dans la CEE à dix. Sur ce point, Mitterrand prolongeait VGE ! C’était précisément le type d’engagement que les Britanniques, mais pas seulement, refusaient, tant que les contributions budgétaires globales de chacun et le budget de la PAC en particulier ne seraient pas réformés. Tout était lié.</p>
<h2>Un contexte international qui change la donne</h2>
<p>C’est pourtant de l’extérieur qu’est peut-être venu le déclic : la fin de la détente. La reprise de la guerre froide inquiétait et divisait les opinions publiques. Un pacifisme résurgent et significatif les traversait : dans toute l’Europe, en 1982-1983, d’importantes manifestations (et même <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/984">massives en RFA</a>) s’opposaient au <a href="https://www.grip.org/il-y-a-40-ans-debutait-la-crise-des-euromissiles/">déploiement par l’OTAN de missiles Pershing 2</a> à moyenne portée en réponse à l’installation par les Soviétiques de missiles SS 20 dirigés vers l’Europe de l’Ouest. Le slogan <em>lieber rot als tot</em> – « plutôt rouge que mort » – est demeuré emblématique de cette crise des euromissiles.</p>
<p>Le gouvernement français, tout pétri de marxisme qu’il fut, lui opposa en 1983 le <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00018/discours-au-bundestag.html">discours historique</a> de François Mitterrand au Bundestag, puis son propos resté fameux lors d’un sommet en Belgique : <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09082528/francois-mitterrand-le-pacifisme-est-a-l-ouest-et-les-euromissiles-sont-a-l">« Le pacifisme, et tout ce qu’il recouvre, il est à l’Ouest ; et les euromissiles, ils sont à l’Est. »</a> Helmut Kohl ne devait pas oublier ce soutien inespéré – il renvoya l’ascenseur à son ami François en mars 1983, lorsque la <a href="https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2001-2-page-49.htm">Bundesbank soutint le franc de façon massive</a>, et en procédant à une réévaluation sensible du mark. En septembre 1984, les deux hommes d’État endossaient la tunique du mythique <em><a href="https://theconversation.com/quand-merkel-et-macron-endossent-la-tunique-mythique-du-couple-franco-allemand-139191">couple franco-allemand</a> moteur de la construction européenne</em>, avec un sens remarqué de la mise en scène et du maniement des symboles lors de la rencontre devenue iconique de l’ossuaire de Douaumont à Verdun.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La rencontre de Verdun, 22 septembre 1984.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu/eu-pioneers/helmut-kohl-and-francois-mitterrand_fr">Site de l’Union européenne</a></span>
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<p>Dans l’intervalle, la relance de la construction communautaire eut lieu en juin 1984 au <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">Conseil européen de Fontainebleau</a>. Fort d’un accord avec Kohl, Mitterrand fait adopter un paquet de mesures préparées par une intense diplomatie menée depuis le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/134145-declaration-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-li">sommet d’Athènes de décembre 1983</a>. Les Dix se mettent enfin d’accord sur une réduction permanente de la contribution britannique au budget communautaire. </p>
<p>À compter de 1985, la CEE remettrait chaque année au Royaume-Uni un chèque d’un montant ainsi calculé : 66 % de la différence entre, d’une part, la contribution britannique au budget communautaire assise sur sa TVA et, d’autre part, le montant total des financements communautaires reçus par le Royaume-Uni. C’était un compromis. Ce remboursement était moins ambitieux que celui réclamé par Margaret Thatcher et son parti <em>tory</em> depuis cinq ans. En contrepartie, François Mitterrand et les socialistes français acceptaient le principe cher à toute la classe politique britannique d’une <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/histoire-de-la-politique-agricole-commune/">réforme des mécanismes de la PAC</a> dans le but, notamment, d’en diminuer les dépenses. Dès 1985, la production de lait dans la CEE devint contingentée.</p>
<p>Ce dispositif, qui mettait fin à cinq années fatigantes et engourdissantes de conflit budgétaire, s’inscrivait dans un accord à facettes multiples toutes liées entre elles. Les socialistes français (et européens) obtenaient, enfin, un accroissement des ressources du budget communautaire : le plafond de la part de ses recettes de TVA que chaque État membre verse au budget communautaire montait à 1,4 % (il était à 1 % depuis 1970). Cette augmentation signalait que les Dix étaient prêts à s’engager sur de nouvelles politiques communes. Pour autant, celles‑ci ne prendraient leur sens qu’avec un approfondissement du marché intérieur de la CEE – ce serait la réforme du traité de Rome en <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/">Acte unique européen</a> signé en 1986, consacrant la fin de tous les monopoles nationaux dans toutes les branches de l’économie. Les unes comme l’autre, <a href="https://www.cairn.info/la-construction-de-l-europe--9782200353056-page-337.htm">concluait le Conseil européen</a>, concourraient à </p>
<blockquote>
<p>« donner à l’économie européenne une impulsion comparable à celle que lui avait apportée, au début des années 1960, la mise en chantier de l’union douanière […] ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, en 1984, le président Mitterrand avait enfin assoupli sa position sur l’élargissement. Pour ce faire, Mitterrand prétexta de l’arrivée au pouvoir de son homologue et ami socialiste et européiste <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/biographie-felipe-gonzalez-marquez-artisan-de-l-adhesion-de-l-espagne-a-la-communaute-economique/">Felipe Gonzalez</a>. Pourtant, la victoire du PSOE en Espagne remontait alors à près de deux ans déjà.</p>
<p>Dans une scénographie qui ne doit rien au hasard, c’est par un <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/136099-declaration-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-li">voyage à Madrid</a> que le président français achève le semestre de « sa » présidence française de la CEE : </p>
<blockquote>
<p>« Je vous dirai en confiance que je suis très heureux à la fois de me trouver à Madrid (pour) terminer mon rôle dans ce domaine, (et) de pouvoir bâtir avec le peuple espagnol et ses dirigeants un pacte durable. »</p>
</blockquote>
<p>Deux jours plus tôt, Mitterrand et Gonzalez s’étaient retrouvés au <a href="https://www.alamyimages.fr/juin-28-1984-le-president-mitterrand-et-le-premier-ministre-espagnol-felipe-gonzales-sont-vus-ici-au-match-de-foot-ou-la-france-a-battu-l-espagne-par-deux-points-hier-dans-le-final-image69503074.html">Parc de Princes</a> pour la finale du premier <a href="https://www.taurillon.org/euro-retro-1984-grand-succes-pour-la-france-et-pour-l-europe">Euro de football</a> remporté par l’équipe de France de Platini sur <a href="https://www.slate.fr/story/118961/france-vole-titre-champion-europe-espagne">l’Espagne d’Arconada</a>, après son succès sur le Portugal lors d’une <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/07/11/france-portugal-1984-souvenirs-d-une-chaude-nuit-d-ete-a-marseille_6045908_3242.html">demi-finale d’anthologie</a> au Vélodrome de Marseille.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le 12 juin 1985, Felipe González signe le traité d’adhésion à la CEE. Apparaissent à ses côtés Fernando Morán, ministre des Affaires étrangères, et Manuel Marín, secrétaire d’État aux Relations avec les Communautés européennes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Felipe_Gonz%C3%A1lez_in_1985#/media/File:Felipe_Gonz%C3%A1lez_firma_el_Tratado_de_Adhesi%C3%B3n_de_Espa%C3%B1a_a_la_Comunidad_Econ%C3%B3mica_Europea_en_el_Palacio_Real_de_Madrid._Pool_Moncloa._12_de_junio_de_1985.jpeg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Entraînant avec elle les Italiens, la présidence française semestrielle de la CEE débloqua l’aboutissement des négociations d’adhésion avec l’Espagne et le Portugal au moment où le gouvernement socialiste de Mario Soares cédait le pouvoir pour dix ans au centre-droit (PSD) de <a href="https://www.liberation.fr/planete/1995/02/17/l-artisan-du-formidable-bond-en-avant-du-portugal_122963/">Cavaco Silva</a>. La relance de Fontainebleau avait notamment pour fonction d’apaiser les craintes des habitants des régions méditerranéennes de l’ex-Europe des Six, en particulier de leurs agriculteurs, et spécialement des agriculteurs français. Ce fut l’une des fonctions de la très importante <a href="https://www.cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/df06517b-babc-451d-baf6-a2d4b19c1c88/a58194ee-132e-44a4-9a73-2c760ce9010b">réforme budgétaire</a> actée à ce sommet et mise en œuvre par la commission Delors (dont la nomination fut elle aussi décidée à Fontainebleau !) à compter de 1985.</p>
<p>Dès lors, tout alla très vite : le 1<sup>er</sup> janvier 1986, l’Espagne et le Portugal entraient dans la CEE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les années 1980, la CEE ouvre ses portes à trois pays récemment sortis de la dictature : d’abord à la Grèce puis, après des négociations compliquées, à l’Espagne et au Portugal.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2232922024-02-13T15:43:12Z2024-02-13T15:43:12ZRobert Badinter, « l’éloquence du cœur et de la raison »<p>L’annonce de la mort de Robert Badinter s’est accompagnée de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/09/l-hommage-unanime-des-responsables-politiques-a-robert-badinter_6215721_823448.html">très nombreux hommages</a>, dessinant le portrait d’une personnalité faisant aujourd’hui l’unanimité.</p>
<p>Parmi les multiples prises de position de ce grand homme d’État, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/mort-de-robert-badinter/mort-de-robert-badinter-le-monde-de-la-justice-rend-hommage-a-un-modele_6356056.html">défenseur infatigable des libertés publiques</a>, son combat victorieux pour l’abolition de la peine de mort, mené en tant que garde des sceaux de <a href="https://theconversation.com/global/topics/francois-mitterrand-23935">François Mitterrand</a>, restera sans doute comme le plus emblématique.</p>
<p>À ce titre, le discours qu’il a prononcé à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981 dans le cadre de la discussion du projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort, a fait date. La loi sera adoptée le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/waM7DsuhX28?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait d’un journal télévisé d’époque sur le discours de Robert Badinter.</span></figcaption>
</figure>
<p><em>Ce discours est visible dans son intégralité <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/peine-de-mort-discours-robert-badiner-integral">sur le site de l’INA</a>, et on peut le consulter <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/135557-discours-de-m-robert-badinter-ministre-de-la-justice-sur-labolition">ici</a>.</em></p>
<p>Ce texte a fait l’objet de beaucoup d’attentions et de commentaires, dans le cadre politico-médiatique. </p>
<p>Pour ne pas réaliser une nouvelle analyse formelle de ce texte, et afin de porter également à la connaissance des lecteurs d’autres prises de parole de Robert Badinter, nous proposons une mise en relief de caractéristiques de ce discours en lien avec ce que lui-même disait de l’art oratoire, en particulier dans le cadre d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/robert-badinter-se-raconte-dans-memorables/robert-badinter-515-2207617">podcast diffusé sur France culture</a>. C’est dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DOvD9ELmT2U">5ᵉ épisode de cette série</a>, diffusée pour la première fois en 2002, qu’il est question des mots prononcés par Robert Badiner pour en finir avec la peine de mort.</p>
<p>L’avocat y explique que « ça n’était pas une question d’argumentation » et que ce discours n’avait « pas le caractère d’une plaidoirie » : cela signifie que l’enjeu de sa prise de parole dépassait le simple fait de réussir à convaincre, mais qu’il fallait qu’elle soit à la hauteur de l’événement, et de la transformation qu’elle allait entraîner dans la société française.</p>
<p>Il est ici très intéressant, pour un analyste du discours, d’écouter les mots de l’orateur à propos de l’éloquence. S’il considère notamment « la parole comme outil », s’il estime qu’il n’y a « pas de grands avocats, mais de grandes causes », il livre néanmoins en creux une définition du discours et de ses pratiques.</p>
<h2>Émotions et raison : une argumentation millimétrée</h2>
<p>Dans ses analyses de l’art oratoire, Robert Badinter estime qu’« une émotion ressentie ne peut être communiquée que si l’expression en est toujours en deçà plutôt qu’au-delà ». Cela nécessite une maîtrise fine de l’écriture du discours, en particulier en ce qui concerne la dimension pathétique.</p>
<p>Selon le linguiste <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/pathos/">Marc Bonhomme</a>, le terme de <em>pathos</em></p>
<blockquote>
<p>« désigne les effets émotionnels et passionnels produits par un discours sur le public. Il comporte à la fois une dimension sociodiscursive (émotion partagée par plusieurs individus), interactive (émotion communiquée entre énonciateur[s] et énonciataire[s]) et dynamique (émotion construite au moyen du langage) ».</p>
</blockquote>
<p>Lorsque l’on considère le discours pour l’abolition de la peine de mort, on peut considérer que le sujet se prête à un partage d’émotion par une large audience, au-delà de l’Hémicycle. À travers le choix de certains extraits, nous allons nous attarder sur la dimension pathétique de cette allocution, c’est-à-dire sur l’émotion créée par la combinaison des trois dimensions décrites précédemment. Leur combinaison habile permet à l’orateur de parler au groupe et aux individus dans un même mouvement.</p>
<blockquote>
<p>« La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance. À défaut, déclarait un ministre de la justice récent, l’angoisse et la passion suscitées dans la société par le crime ne seraient pas apaisées. Cela s’appelle, je crois, un sacrifice expiatoire.</p>
<p>[…] Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien souvent, de l’assassin. Oui, le crime est malheur, et il n’y a pas un homme, pas une femme de cœur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d’abord le combattre. Mais ressentir, au profond de soi-même, le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable. Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l’être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c’est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d’abord en refusant la loi du talion ? »</p>
</blockquote>
<p>Ici, les termes comme <em>souffrance</em>, <em>malheur</em>, <em>angoisse</em>, <em>passion</em>, ou <em>sensibilité</em>, qui sont répétés voire martelés, délivrent un effet émotionnel portant l’auditeur à engager sa sensibilité, et à réagir non seulement avec sa raison, mais aussi avec son <em>cœur</em>.</p>
<p>On peut relever que ce terme est utilisé sept fois au cours de la prise de parole, dans laquelle il salue d’ailleurs la capacité de Jean Jaurès à allier « l’éloquence du cœur et l’éloquence de la raison ». </p>
<p>Concernant l’appel au groupe, le recours au « progrès historique de la justice » par exemple, ancre le propos dans un contexte historique plus large que le ressenti des émotions.</p>
<p>Ce qui est intéressant, c’est que cette émotion est mise au service d’un procédé rhétorique que le linguiste Raphaël Michelli a mis en évidence <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2006-v19-n1-fr1874/016637ar.pdf">dans ses analyses des débats abolitionnistes</a>.</p>
<p>Celui-ci relève une analogie, dénoncée par Badinter, que l’on peut formuler comme suit : la sanction du crime que prononce la justice est à la société ce que la vengeance privée est à « l’être frappé dans sa sensibilité ». Le garde des sceaux s’attache à rendre cette analogie inacceptable. Il montre qu’on ne peut considérer la justice comme recouvrant les caractéristiques de la vengeance, ni mettre sur le même plan la société et la victime : la société dans son ensemble ne doit pas raisonner comme un seul être meurtri.</p>
<p>On trouve ici un écho à une autre formule de Robert Badinter, qui insiste sur la « nécessité que celui qui vous écoute ne soit jamais étranger à ce que vous dîtes ». Le procédé de l’analogie contribue pleinement à construire ce lien.</p>
<p>Pour cela, Robert Badinter mobilise le pathos, joue sur les émotions, mais il procède aussi d’une rhétorique rigoureuse pour donner de la consistance à son argumentation, tout en gardant une proximité avec son auditoire. Cela s’intègre à une seconde dimension, la dimension relationnelle et interactive du discours.</p>
<h2>L’éloquence est « toujours une relation, jamais un discours »</h2>
<p>Pour Badinter, l’éloquence, qu’il entend comme étant l’art de séduire et de convaincre, est « toujours une relation, jamais un discours ». Il explique en effet que le discours est unilatéral, alors que c’est la prise en compte constante de ce que l’autre ressent qui importe.</p>
<p>Pour préciser ce dont il est question ici, rappelons que dans la <a href="http://icar.cnrs.fr/dicoplantin/logos-pathos-ethos-fr/">triade éthos/logos/pathos proposée par Aristote</a> pour expliquer l’art de la rhétorique, <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/ethos/">ethos</a> et pathos permettent de persuader, le logos (discours rationnel), de convaincre.</p>
<p>Pour convaincre, donc, Robert Badinter s’appuie bien également sur le <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/logos/">logos</a>, dans lequel il s’agit de faire « le choix d’arguments appropriés à la situation ».</p>
<p>Il est donc question de l’adaptation à son public, et de l’anticipation sur ce qui pourra le convaincre. Pour cela, l’orateur prend explicitement en compte les avis opposés aux siens, pour les discuter et les nuancer, non pas de manière frontale, mais avec une beaucoup de finesse et diplomatie :</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir. »</p>
</blockquote>
<p>Rappelons que l’homme a manifesté un engagement de longue date, en tant qu’avocat, sur la question de la peine de mort : sa défense de Roger Bontems, puis de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2024/02/09/la-plaidoirie-de-robert-badinter-au-proces-de-patrick-henry-en-1977-moi-je-vous-dis-si-vous-le-coupez-en-deux-cela-ne-dissuadera-personne_6215669_1819218.html">Patrick Henry</a>, ont en effet <a href="https://www.huffingtonpost.fr/justice/video/mort-de-robert-badinter-roger-bontems-et-patrick-henry-les-deux-proces-qui-ont-faconne-son-combat_229581.html">façonné son combat</a>. Et, comme il l'a raconté par la suite et comme on le ressent dans son discours, l’exécution de Roger Bontems, à laquelle il assista en 1972, le marque à jamais.</p>
<p>La réfutation se fait à la fois par la démonstration logique, mais elle est introduite par une touche personnelle appuyant sur l’expérience de l’orateur :</p>
<blockquote>
<p>« À cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. »</p>
</blockquote>
<p>Cette dimension faillible peut prendre la forme de « l’erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent ». Mais elle peut aussi se traduire par « l’incertitude » et « la contradiction des décisions rendues » : différentes cours ou magistrats peuvent rendre des verdicts différents pour des mêmes faits et affaires.</p>
<p>On voit bien ici, <a href="https://doi.org/10.4000/mots.4903">à la suite de Raphël Michelli</a>, que</p>
<blockquote>
<p>« dans son argumentation, il [Robert Badinter] cherche à débarrasser l’orateur abolitionniste d’un éthos humaniste naïf, aveuglé par sa foi en l’homme ».</p>
</blockquote>
<p>Il se crédite en effet d’un éthos de logique et d’évidence, qui assoit l’argumentation, et anticipe sur les discours antagonistes et les objections.</p>
<h2>Un monologue en forme de dialogue : un orateur interlocuteur</h2>
<p>On peut ainsi dire que Robert Badinter réussit son pari en « coupant l’herbe sous le pied » de ses contradicteurs.</p>
<blockquote>
<p>« La vérité est que, au plus profond des motivations de l’attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l’élimination. Ce qui paraît insupportable à beaucoup, c’est moins la vie du criminel emprisonné que la peur qu’il récidive un jour. Et ils pensent que la seule garantie, à cet égard, est que le criminel soit mis à mort par précaution. Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence.</p>
<p>Au-delà de la justice d’expiation, apparaît donc la justice d’élimination, derrière la balance, la guillotine. L’assassin doit mourir tout simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît si simple, et tout paraît si juste ! Mais quand on accepte ou quand on prône la justice d’élimination, au nom de la justice, il faut bien savoir dans quelle voie on s’engage. Pour être acceptable, même pour ses partisans, la justice qui tue le criminel doit tuer en connaissance de cause. […]</p>
<p>Je m’en tiens à la justice des pays qui vivent en démocratie. Enfoui, terré, au cœur même de la justice d’élimination, veille le racisme secret. […] Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? C’est une interrogation, ce n’est qu’une interrogation, mais elle est si pressante et si lancinante que seule l’abolition peut mettre fin à une interrogation qui nous interpelle avec tant de cruauté. »</p>
</blockquote>
<p>Le passage commence par entrer en dialogue avec les tenants de l’« attachement à la peine de mort », cette « conception », ses « partisans ».</p>
<p>Il argumente en lien avec la vengeance, la prudence, et l’élimination, mais surtout il parvient à réorienter la discussion vers « une interrogation qui nous interpelle » : cette formulation ne pourrait pas être davantage orientée vers le dialogue, et pourtant elle procède d’une habileté à faire le lien entre élimination et racisme, et donc à mettre en cause les jugements moraux au regard de l’origine des condamnés.</p>
<p>On retrouve bien ce que le sociologue Francis Chatauraynaud appelle la <a href="https://journals.openedition.org/ress/93">« reprise dialogique des arguments adverses »</a>.</p>
<p>Ici, Robert Badinder met en lien des arguments et des valeurs, et fait le lien entre l’abolition et des valeurs de gauche : il met en discussion les doctrines, les arguments, et positionne son argumentation de manière juste et efficace.</p>
<p>Conclusion : les mots ont un sens, qui se partage, dans une certaine mesure.</p>
<p>Si Robert Badinter en réfère à la fois au cœur et à la raison des députés, c’est qu’il s’est livré, dans son discours, à une argumentation pleine et totale : captivant l’auditoire par les émotions, il a mis ce recours aux affects au service d’une logique implacable et d’une démonstration précise, qui entre en dialogue avec les objections et réfutations potentielles.</p>
<p>Cette relation crée donc un partage du sens, une co-construction d’une réalité qui allie ses arguments et les discours circulants.</p>
<h2>« Faussaires de l’Histoire »</h2>
<p>Reste qu’il y a une limite à cette plasticité du discours et des mots, qu’il a magnifiquement résumée lors d’une séquence face à Robert Faurisson devant la 17<sup>e</sup> chambre du tribunal de grande instance de Paris, en mars 2007. Robert Badinter s’adresse alors à l’historien négationniste, qui le poursuit en diffamation, pour l’avoir qualifié, lors d’une émission diffusée sur la chaîne Arte, de<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/03/13/robert-badinter-poursuivi-par-le-negationniste-robert-faurisson-a-fustige-l-une-des-pires-entreprises-de-faussaires-de-l-histoire_882421_3224.html">« faussaire de l’histoire »</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lVeho5-J5ws?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le 12 mars 2017, au Tribunal de grande instance de Paris, Robert Badinter se défend face au négationniste Robert Faurisson.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il est question dans cet extrait de l’expression « escroquerie politico-financière » que Faurisson utilise à propos des demandes de réparation financières des juifs survivants de déportation ou des descendants des victimes de l’Holocauste.</p>
<p>Voici les mots de Robert Badinter, qui gagnera ce procès :</p>
<blockquote>
<p>« Les mots ont un sens, sauf pour ceux qui les utilisent comme vous. Et pour qu’il n’y ait aucune équivoque, que les choses soient claires, pour moi jusqu’à la fin de mes jours, tant que j’aurai un souffle, Monsieur Faurisson, vous ne serez jamais, vous et vos pareils, que des faussaires de l’Histoire. »</p>
</blockquote>
<p>On ressent bien ici cette dimension incarnée, et partagée, des mots et de leur sens, et de leur dimension relationnelle : cette relation, possible dans le cadre de son fameux discours pour réclamer l’abolition de la peine de mort, est ici rendue impossible, tant la distance et l’opposition avec l’interlocuteur est totale et irréconciliable.</p>
<p>Cela remet en quelque sorte l’humain au cœur de la langue, interroge sur son partage, et illustre la nécessité de ne pas transiger en matière de discours. Les mots ne sont pas que des mots.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223292/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, Robert Badinter a livré une magistrale leçon d’éloquence pour défendre l’abolition de la peine de mort.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204422024-01-04T21:57:08Z2024-01-04T21:57:08ZJacques Delors, le premier dirigeant politique européen<p>Jacques Delors, qui s’est éteint le 27 décembre dernier à 98 ans, restera dans l’histoire comme l’homme de la relance de l’Europe.</p>
<p>Il façonna ce personnage durant son mandat de président de la Commission européenne (1985-1995), dix années au cours desquelles il joua un rôle décisif et novateur : il a, tout simplement, inventé la fonction de dirigeant politique européen, et a été le premier à l’exercer.</p>
<h2>Père fondateur, non ; bâtisseur, oui</h2>
<p>Il n’a pas été l’un des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20311-quelles-sont-les-personnalites-lorigine-de-la-construction-europeenne">« pères fondateurs de l’Europe »</a>. Non seulement parce qu’il appartient à la génération d’après : les fondateurs (Adenauer, Schuman, Spaak, Beyen, Bech, De Gasperi, Martino, Hallstein, Mollet – ainsi que Monnet qui n’est jamais entré en politique) sont nés entre 1875 et 1905, alors que Delors est né en 1925 ; mais aussi parce que les fondateurs ont été avant tout des dirigeants nationaux – certes décidés à unir leurs pays, à les reconstruire ensemble et à mettre fin à l’état de guerre entre eux. C’est à cet effet qu’ils inventèrent dans les années 1950 la supranationalité : ils instituèrent la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-de-paris-1951/">par le traité de Paris de 1951</a> puis la Communauté économique européenne (CEE) <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-traites-de-rome-1957/">par le traité de Rome de 1957</a>. Lorsque Delors arrive au pouvoir comme ministre français des Finances en 1981, tout ceci est acquis.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/1957-2017-que-reste-t-il-des-traites-de-rome-70791">1957-2017 : que reste-t-il des traités de Rome ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si Delors n’a pas été à l’origine de la construction européenne, il lui donne un coup d’accélérateur décisif lors de ses dix années à la tête de la Commission. Sous sa férule réformatrice, le marché commun du traité de Rome devient le marché unique – institué par <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/">l’Acte unique européen de 1986</a> entré en vigueur en 1992, puis l’Union européenne avec le <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-de-maastricht-1992/">traité de Maastricht</a> qui entre en vigueur en 1993.</p>
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<p>Émerge un véritable territoire politique européen : l’Acte unique mutualise des pans entiers de souveraineté puisqu’il n’y a plus d’obstacle à la mobilité des femmes et des hommes, ni à la circulation des biens et des services. C’est le temps de la création des programmes de mobilité étudiante <a href="https://www.cairn.info/erasmus-et-la-mobilite-des-jeunes-europeens--9782130581260-page-1.htm">Erasmus</a> et <a href="https://www.etudionsaletranger.fr/programme-leonardo/le-programme-leonardo">Leonardo</a> ; de l’essor d’une politique régionale dite de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-europe-en-region/qu-est-ce-que-la-politique-de-cohesion-de-l-union-europeenne/">cohésion</a> – sorte de plan Marshall permanent de soutien aux régions et aux pays les moins prospères ou en crise ; et de l’instauration d’une politique européenne de R&D très bien financée (<a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/608697/EPRS_IDA(2017)608697_FR.pdf">PCRD</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/08/06/europe-160-millions-de-dollars-pour-le-programme-esprit_3009596_1819218.html">Esprit</a>, <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/fr/numerique/ressources/eureka">Eureka</a>, bientôt suivis d’Airbus, de Galileo et du spatial en lien avec <a href="https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Des_faits">l’Agence spatiale européenne</a>).</p>
<p>Le marché unique s’est lui-même fondu dans l’Union européenne du traité de Maastricht. Signé en 1991, entré en vigueur en octobre 1993, « Maastricht » mutualise des éléments de la souveraineté régalienne : justice, police, affaires étrangères, défense le sont à petits pas et très partiellement. La monnaie, elle, est totalement mutualisée, et Delors est personnellement très impliqué puisqu’à la fin des années 1980, il a présidé l’instance qui invente l’euro.</p>
<p>Margaret Thatcher, qui n’a pas vu venir cette dynamique à laquelle elle tenta, seule souverainiste du Conseil européen, de s’opposer, fut poussée à la démission par sa propre majorité parlementaire en 1990.</p>
<p>Au passage, la Commission Delors accompagne avec finesse l’unification de l’Allemagne et l’intégration de l’ex-RDA dans la CEE, ainsi que <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/801">l’élargissement</a> en 1995 à trois pays neutres (la Suède, la Finlande et l’Autriche) et l’association à l’UE des pays de l’Est libérés du communisme et <a href="https://www.cvce.eu/obj/conclusions_du_conseil_europeen_de_copenhague_extrait_sur_les_criteres_d_adhesion_a_l_ue_21_22_juin_1993-fr-24104be4-664b-41b8-8e16-756c57868498.html">devenus candidats</a> – trois développements totalement imprévus et rendus possibles par la fin de la guerre froide et de l’URSS.</p>
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<p>Delors incarne mieux que tout autre le passage de la CEE à l’UE et de l’Europe des Dix à l’Europe des 25. Bien entendu, il n’était pas seul. L’Europe était et demeure, selon <a href="https://www.cvce.eu/histoire-orale/unit-content/-/unit/07f58085-4b00-405f-a403-a603c1397fd5/7a55379d-7ca2-4086-bcda-61ed3ad44b17/Resources">sa propre formule</a>, une « fédération d’États-nations ». La construction européenne met effectivement en place une <a href="https://theconversation.com/lavenement-de-letat-europeen-un-etat-baroque-unique-au-monde-143328">sorte d’État fédéral</a> qui associe non pas des États fédérés mais des États souverains ; non pas des peuples mais des nations, indépendantes et politiquement construites.</p>
<p>Delors fut le premier à mettre en scène le système politique européen et à en utiliser tout le potentiel. Dès la rédaction collective de l’Acte unique, il favorise le renforcement progressif des pouvoirs du Parlement européen, historiquement bien moindres que ceux du Conseil (nom donné au parlement des États membres) et donc le caractère bicaméral de la CEE. En incarnant la Commission européenne, il lui fait jouer pleinement son double rôle d’administration centrale des politiques publiques européennes et d’inspirateur de dispositifs et de solutions à décider par les États. Il téléphone régulièrement aux chefs de gouvernements pour avancer, proposer, négocier ; il en tutoie un certain nombre. Il est des leurs. Ils l’ont d’ailleurs choisi, en 1984, en connaissance de cause.</p>
<h2>1984 : le candidat idéal</h2>
<p>Cette année-là, les dirigeants des Dix, à qui il revient de choisir ensemble le ou la présidente de l’exécutif européen, veulent désigner un président de la Commission fort. Car la commission qui entrera en fonctions en janvier 1985, aura fort à faire. Au <a href="https://www.deezer.com/fr/episode/399246497">sommet de Fontainebleau de juin 1984</a> que préside François Mitterrand, les Dix se sont mis d’accord pour relancer la construction européenne : au prix tout relatif du compromis sur le <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/budget-europeen-qu-est-ce-que-le-rabais-britannique/">rabais britannique</a>, ils mettent fin au blocage budgétaire exercé par le gouvernement de Margaret Thatcher depuis 1979, ouvrent grand la porte à l’Espagne et au Portugal, <a href="https://www.cvce.eu/recherche/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/d4c04734-67dc-4e67-8168-1f996b10672f">qui adhéreront en 1986</a>, annoncent la création du passeport européen, la suppression des contrôles aux frontières internes de la CEE, l’équivalence des diplômes universitaires au sein de la CEE, la création d’un drapeau et d’un hymne européens et, <em>last but not least</em>, la mise en place d’un « comité Spaak » destiné à <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">approfondir la construction européenne et sa vie politique</a>.</p>
<p>Pour ces dirigeants de l’Europe des Dix – Kohl, Mitterrand, Craxi, Martens, Lubbers, Santer, Thatcher, FitzGerald, Schlüter et Papandreou –, Delors sera <em>the right man at the right place</em>. Il a la confiance des trois leaders socialistes, puisqu’il est l’un des proches de François Mitterrand depuis le milieu des années 1960, mais aussi celle des cinq démocrates-chrétiens et des deux conservateurs : ministre des Finances depuis 1981, il est celui qui a su imposer aux courants souverainistes et marxistes du gouvernement de gauche français la préférence pour l’Europe et l’économie de marché, et la faire endosser par le président Mitterrand. Et de 1969 à 1972, il avait été le conseiller de Jacques Chaban-Delmas, un premier ministre de droite, gaulliste social.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’heure de Vérité (Antenne 2 | 20/05/1982).</span></figcaption>
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<p>Delors a fait ses preuves : il sait diriger, il connaît la vie politique nationale et supranationale, il a une vision claire des tenants, des aboutissants et des enjeux de l’économie internationale. Dans ses différentes fonctions, il a mis en pratique sa foi dans l’intelligence collective, la concertation et la négociation, qui débouche sur la contractualisation. Il n’a le culte ni de l’État ni du parti d’avant-garde : pour lui, les États et les partis sont des acteurs certes importants, mais parmi d’autres. Il n’y a « pas de solutions durables sans le concours des différents groupes de producteurs, chefs d’entreprise, salariés, paysans… », a-t-il écrit.</p>
<p>C’est un homme de 60 ans qui s’apprête à transformer l’Europe. À cet âge-là, dans la France des années 1980 et de la victoire de la gauche, on prend sa retraite ! C’est que Delors est entré en politique sur le tard : son premier mandat électif date de 1979, lorsqu’il devient député européen sur la liste du parti socialiste français – mandat qu’il interrompt en 1981 en entrant au gouvernement. En 1983, il est élu maire de Clichy, en banlieue parisienne – fonction qu’il quitte en rejoignant Bruxelles. C’est tout pour les élections. En 1977 et en 1978, alors membre des instances dirigeantes du PS, Delors décline les propositions de s’engager comme candidat dans les batailles électorales des municipales puis des législatives.</p>
<p>Jusqu’au début des années 1980, l’essentiel de <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/video-qui-etait-jacques-delors-sa-vie-en-cinq-dates-cles-CNT000002aZ6Ld.html">son parcours</a> a donc moins été celui d’un homme politique que celui d’un ingénieur de la réforme et d’un homme d’idées : durant les décennies 1960 et 1970, il co-anime des clubs et des réseaux de réflexion, comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_Jean-Moulin">Jean Moulin</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/11/27/le-club-echange-et-projets-la-france-s-rsquo-enfonce-dans-le-sous-developpement-en-matiere-d-information_2763906_1819218.html">Échanges et projets</a>. En 1990, encore, il fonde le <a href="https://institutdelors.eu/publications/discours-de-jacques-delors-au-colloque-du-club-temoin-sur-les-relations-entre-la-france-et-leurope/">club Témoin</a>.</p>
<p>C’est un chrétien de gauche : l’inclusion, la justice sociale et la solidarité lui importent au premier chef – plus que l’émancipation individuelle et l’extension des droits de la personne. Pour y parvenir, il est convaincu de la centralité du travail dans la société. C’est pourquoi il consacre ses efforts à la création d’emplois, au partage du travail et à son humanisation. « Pas d’économique sans social, pas de social sans économique, et pas d’économique sans modernisation », écrit-il.</p>
<p>Militant syndical, il contribue à la déconfessionnalisation de la <a href="https://www.cftc.fr/notre-histoire">CFTC</a> et à la <a href="https://f3c.cfdt.fr/portail/f3c/nous-connaitre/histoire-de-la-cfdt/histoire-de-la-cfdt-srv1_612979">naissance de la CFDT</a>. Dans les années 1960, il n’est pas énarque mais chef de service au Commissariat général au Plan ; le Plan n’était-il pas le <em>think tank</em> de l’État ? De là, il est appelé à rejoindre le cabinet de Jacques Chaban-Delmas, nommé premier ministre par le nouveau président Pompidou.</p>
<p>Il est alors l’inspirateur de l’implantation de la formation professionnelle dans toutes les entreprises (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000687666/">loi de 1971</a>) et des <a href="https://www.lesechos.fr/1996/03/contrat-de-progres-mode-demploi-832267">contrats de progrès</a> dans les entreprises publiques. Si Mitterrand était devenu président en <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/24174-election-presidentielle-1965-ses-specificites">1965</a>, Delors l’aurait sans doute suivi à l’Élysée car il avait avec discrétion rejoint son équipe de campagne. D’ailleurs, en 1981, il s’imaginait plus en secrétaire général de l’Élysée ou en commissaire au Plan qu’en ministre des Finances. Avec ces quelques éléments en perspective, on est moins surpris qu’il <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/jacques-delors-election-presidentielle-1994-politique">n’ait pas franchi le pas de la candidature à l’élection présidentielle de 1995</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1740069594277048597"}"></div></p>
<p>Mais revenons à 1984. La nomination de Delors comme futur président de la Commission à partir du 1<sup>er</sup> janvier 1985 s’impose d’autant plus qu’il ne candidate pas. Aucun des prétendants (Cheysson, Christophersen, Biedenkopf…) ne fait l’unanimité ni même ne convainc. Aucun ne coche toutes les cases que coche Delors.</p>
<p>Helmut Kohl le premier évoque son nom en arrivant à Fontainebleau. <em>Mutatis mutandis</em>, Delors n’est-il pas, au vu de toutes ses qualités, ce qu’en Allemagne on reconnaîtrait comme un dirigeant chrétien-démocrate adepte de l’économie sociale de marché ? Kohl, aux affaires depuis 1982, a en très peu de temps scellé avec Mitterrand une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/helmut-kohl-et-francois-mitterrand-au-coeur-de-l-amitie-franco-allemande-il-y-avait-une-vraie-affection-entre-les-deux-hommes_2241227.html">solidarité d’une grande vigueur</a>, éprouvée dans la crise des euromissiles et les spéculations contre le franc. 1984 est le sommet où le tandem franco-allemand se déploie avec une rare intensité et une efficacité maximale.</p>
<p>Mitterrand n’est pas fâché d’exfiltrer Delors du gouvernement : il vient de nommer premier ministre Laurent Fabius, qui le déteste ; il est fatigué des menaces à la démission, l’un des pêchés mignons de Delors, qui a par ailleurs refusé en 1983 le poste de premier ministre au motif qu’il voulait le cumuler avec celui de ministre des Finances. L’essentiel est pourtant ailleurs. Avec Fontainebleau, Mitterrand prend un tournant majeur : il <a href="https://www.sciencespo.fr/centre-etudes-europeennes/sites/sciencespo.fr.centre-etudes-europeennes/files/01_2012%20la-place-de-la-construction-europeenne-dans-la-conquete-puis-la-conservation-du-pouvoir-par-les-socialistes-francais-1966-1984.pdf">se drape dans son habit de grand président français européen</a>, qui fait de la construction européenne sa priorité et la planche de salut de son programme socialiste et progressiste.</p>
<p>Delors lui est loyal et fidèle : depuis 20 ans, il l’a prouvé à maintes reprises. Dans le même temps, son indépendance, sa réticence à l’embrigadement partisan et idéologique, son positionnement social-démocrate, son indifférence au marxisme – toutes caractéristiques pour lesquelles il n’a jamais été en odeur de sainteté au sein du <a href="https://www.slate.fr/story/210404/congres-epinay-cinquante-ans-parti-socialiste-lecon-politique-oubli-signification">PS d’Épinay</a> – sont autant de qualités pour diriger un exécutif supranational à une époque où les socialistes sont minoritaires au sein du Conseil européen.</p>
<h2>L’européanisation de la politique des États membres</h2>
<p>Le legs le plus original et le plus porteur transmis par Delors aux générations suivantes et actuelles est la façon dont il a dénationalisé et européanisé la politique. Il a été secondairement un homme politique français car il a été avant tout un homme politique européen. Il contribue comme ministre des Finances à la relance de l’Europe de 1984 par le rôle qu’il a joué dans la conversion du PS français et de la société française à l’Europe communautaire.</p>
<p>Désigné président de la future Commission, il joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre et le déploiement de cette relance de la construction européenne. Comme l’écrit <a href="https://www.letemps.ch/opinions/le-discours-de-jacques-delors-qui-fit-rever-les-suisses">Chantal Tauxe dans <em>Le Temps</em></a>, « on se figure mal aujourd’hui (combien) la création du marché et de la monnaie uniques (a été) une sorte de big bang de l’intégration européenne ».</p>
<p>Avant même son entrée en fonctions, il entreprend le tour des capitales. À chaque chef de gouvernement, il propose quatre modalités de relance de la construction européenne. Dans l’immédiat, une fit consensus – même les thatchériens la soutinrent : le marché unique. La politique européenne de création par le droit d’un marché à la taille de l’espace européen est tout sauf du néo-libéralisme : c’est un marché institué, régulé et encadré.</p>
<p>Il s’est agi de mettre fin, d’une part aux obstacles non tarifaires au commerce entre pays (c’est-à-dire autres que les droits de douane : des règlements nationaux ou régionaux utilisés à des fins protectionnistes), et d’autre part aux monopoles d’État sur la production et la distribution de l’électricité, du gaz, du courrier postal, des télécommunications, des communications terrestres (routières, ferroviaires, fluviales) et aériennes. Les conséquences de l’ouverture d’un marché européen dans les secteurs en question sont immenses pour les populations et les sociétés : démocratisation des transports, de la mobilité, de l’usage du téléphone…</p>
<h2>Un héritage durable</h2>
<p>Le 17 janvier 1989, reconduit par les dirigeants des Douze, Delors rappelle, dans le premier <a href="https://www.cvce.eu/obj/discours_de_jacques_delors_devant_le_parlement_europeen_17_janvier_1989-fr-b9c06b95-db97-4774-a700-e8aea5172233.html">discours</a> au Parlement européen de son nouveau mandat bruxellois, que ce qui est à l’œuvre est « la combinaison du jeu du marché – qui ne peut fonctionner sans un minimum de règles –, du dialogue social et de l’action des institutions publiques […], et ce dans le respect du principe de subsidiarité afin d’éviter une centralisation excessive et inutile ». Et d’ajouter : « Le succès de l’Acte unique européen […] ne dépendra pas que du dynamisme et du savoir-faire de la Commission. Loin de là ! Il sera fonction de l’esprit d’innovation de chaque région. Il ne sera possible que si les bureaucraties nationales renoncent à vouloir tout contrôler et à raisonner uniquement en termes de transferts financiers. »</p>
<p>L’héritage que laisse Delors à la classe et aux partis politiques d’aujourd’hui est donc celui-ci : ne vous laissez pas enfermer par l’illusion du monopole national de la politique. La politique réduite au national fait partie du problème. Pour trouver des solutions, faites de la politique entre Européens et prenez vos décisions à l’échelle européenne.</p>
<p>De fait, dans la durée, ce legs est vivant et entretenu. Même avec difficulté, même si cela a parfois pris du temps, les classes politiques européennes n’ont cessé de résoudre les problèmes et les défis par des solutions européennes :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-mecanisme-europeen-de-stabilite-mes/">Mécanisme européen de stabilité</a> (MES) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-pacte-budgetaire-europeen/">Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro</a> (TSCG) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/politiques-economiques/theories-economiques/politique-monetaire/l-assouplissement-quantitatif/">Quantitative easing</a> (QE) mis en œuvre par la Banque centrale européenne pour sortir de la crise des dettes souveraines et de la zone euro (2010-2018) ;</p></li>
<li><p>mandat unique donné à la Commission européenne par les 27 pour négocier le Brexit et établir un <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/relations-non-eu-countries/relations-united-kingdom/eu-uk-trade-and-cooperation-agreement_fr">nouveau traité bilatéral avec le Royaume-Uni</a> (2016-2020) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/">Pacte vert pour la transition climatique et énergétique</a> ;</p></li>
<li><p><a href="https://france.representation.ec.europa.eu/strategie-et-priorites/le-plan-de-relance-europeen_fr">plan de relance européen</a> financé par l’émission inédite de bons du trésor européens ;</p></li>
<li><p>création d’une politique industrielle et d’une <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/coronavirus-response/safe-Covid-19-vaccines-europeans/questions-and-answers-Covid-19-vaccination-eu_fr">politique de vaccination</a> pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie du Covid-19 qui a tué près de 1,4 million d’Européens (2020) ;</p></li>
<li><p>coordination et convergence sans précédent de la politique étrangère et de défense pour <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-response-ukraine-invasion/eu-solidarity-ukraine/">soutenir l’Ukraine</a> agressée par la Russie, <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/les-sanctions-contre-la-russie-fonctionnent-2023-12-21_fr">sanctionner</a> cette dernière, et <a href="https://fr.euronews.com/my-europe/2023/08/31/lue-se-desengage-du-gaz-russe-malgre-la-hausse-des-importations-de-gnl">mettre fin</a> aux importations d’énergie russe (depuis 2022).</p></li>
</ul>
<p>Et tout cela avec un Parlement européen dont le rôle et l’influence n’ont cessé d’augmenter.</p>
<p>De façon significative, face au Brexit, au Covid et à la guerre d’Ukraine, le rôle d’impulsion, d’invention et de coordination de la Commission européenne est à nouveau très tangible, comme il l’était du temps de Delors. Et comme alors, son lointain successeur, Ursula von der Leyen, en poste depuis 2019, a donné à l’Europe un visage, une incarnation et un leadership. Mais l’époque a changé et ce changement ne doit rien à Delors ni à son héritage : cette fois, avec éclat, et alors que le Conseil européen s’est féminisé, ce visage et ce leadership européens sont ceux d’une femme !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il fut notamment ministre français des Finances de 1981 à 1985, c’est avant tout pour son rôle majeur à la tête de la Commission européenne (1985-1995) que Jacques Delors restera dans les mémoires.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021722023-03-21T00:17:54Z2023-03-21T00:17:54ZArticle 49.3 et réformes sociales : une histoire française<p>Le projet de réforme des retraites, porté par le gouvernement d’Elisabeth Borne, donne lieu à un <a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">bras de fer entre le pouvoir et la rue</a> qui, depuis le milieu du mois de janvier 2023, se manifeste par un recours à des formes classiques de mobilisation (grèves, manifestations), canalisées par un <a href="https://le1hebdo.fr/journal/le-pouvoir-face--la-rue/433/article/un-mouvement-qui-fdre-une-somme-de-singularits-5758.html">front intersyndical unanime</a>.</p>
<p>Il s'est doublé d’un affrontement politique entre la majorité et ses oppositions, exacerbé par l’annonce du recours à l’article 49.3 pour faire adopter une loi contestée aussi bien par la rue que par une <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-la-reforme-des-retraites-ifop-lexpress/">majorité croissante de Français</a>.</p>
<p>Dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, ce n’est toutefois pas la première fois qu’un gouvernement, isolé face à la montée de contestations sociales et politiques, doit engager une telle épreuve de force qui, dans un contexte incertain, comporte une réelle prise de risque. De fait, quelle que soit la nature de leur majorité, les gouvernements qui se sont succédé depuis 20 ans ont quasi toujours recouru à l’article 49.3 pour faire passer des projets modifiant en profondeur le système social ou la réglementation du travail – quitte à reculer ensuite sous la pression de la rue.</p>
<h2>Mai 68 était aussi une crise parlementaire</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/manu-tu-nous-mets-64-on-te-mai-68-ce-que-les-slogans-disent-de-notre-histoire-sociale-200207">Référent quasi inévitable</a> de tous les mouvements de contestation sociale depuis cinquante ans, la crise de mai 68 ne s’est pas déroulée simplement dans les amphithéâtres et dans la rue. Elle a aussi réveillé les oppositions politiques à un gaullisme qui, usé par dix années de pouvoir, ne disposait alors que d’une majorité fragile, aussi bien dans l’opinion publique qu’à l’Assemblée nationale : le 24 avril 1968, il a manqué simplement huit voix pour qu’une motion de censure, portant sur la situation de l’audiovisuel public, soit adoptée.</p>
<p>En plein cœur du mouvement, alors même que l’exécutif semble partagé sur la réponse qu’il doit apporter aux revendications des étudiants comme des salariés, l’opposition dépose une <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/evenements/2018/mai-68-s-invite-dans-l-hemicycle-les-seances-du-14-et-22-mai-1968">nouvelle motion de censure</a>, qui est discutée les 21 et 22 mai, dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2008-1-page-134.htm">climat d’extrême tension</a>. François Mitterrand, alors leader de la gauche non communiste, évoque alors une crise de régime qui décrédibilise le « système » au pouvoir et rend nécessaire une « alternative » politique, qu’il est prêt à incarner. Grâce à l’appui de Valéry Giscard d’Estaing et de son groupe des Républicains indépendants, pourtant critiques face à la gestion de la crise par le gouvernement, la motion de censure est rejetée – à une nette majorité : seuls 233 députés l’ont votée, alors que la majorité s’élevait à 244.</p>
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<p>Cette victoire parlementaire est toutefois insuffisante à restaurer la légitimité du pouvoir, dans un contexte où la mobilisation des étudiants et des salariés ne faiblit pas. C’est pourquoi, sur les conseils de son premier ministre Georges Pompidou, le général de Gaulle, le 30 mai, <a href="http://juspoliticum.com/article/L-Executif-sous-tension-Les-enseignements-de-Mai-68-1333.html">prononce la dissolution de l’Assemblée nationale</a>, après avoir envisagé de recourir au référendum.</p>
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<figcaption><span class="caption">Avant de dissoudre l’Assemblée nationale, de Gaulle a hésité jusqu’à la dernière seconde, comme le prouve le brouillon de son discours retrouvé aux Archives nationales. Public Sénat.</span></figcaption>
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<p>Attisant les craintes de l’opinion publique face à la radicalisation du mouvement social et exploitant la peur du désordre révolutionnaire, les gaullistes obtiennent, à l’occasion des législatives des 23 et 30 juin 1968, une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1968_num_18_5_393112">majorité sans précédent</a> mais dépendant très étroitement de ce contexte particulier. En fait, le pouvoir sort affaibli de cette crise, et de Gaulle démissionnera dix mois plus tard, après l’échec du référendum d’avril 1969.</p>
<h2>Mobilisations de masse</h2>
<p>C’est en 1984 que le pouvoir exécutif est à nouveau ébranlé par des manifestations de masse. Le gouvernement à dominante socialiste, dirigé par Pierre Mauroy, fait face à une opposition virulente contre le projet de loi Savary, visant à créer un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale ».</p>
<p>Portée aussi bien par les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/a-la-droite-du-pere-collectif/9782021472332">partis de droite</a> que par une fraction notable de l’opinion et les réseaux de parents d’élèves de l’enseignement privé, cette opposition culmine lors d’une grande manifestation qui, le 24 juin 1984, rassemble plus d’un million de personnes à Paris.</p>
<p>Le gouvernement bénéficiait d’une majorité pour adopter ce texte, qui était d’ailleurs l’une des 110 propositions formulées par François Mitterrand en 1981 : il avait toutefois eu recours à <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/decouvrir-l-assemblee/engagements-de-responsabilite-du-gouvernement-et-motions-de-censure-depuis-1958">l’article 49-3</a> le 23 mai 1984 pour accélérer l’adoption du texte en première lecture à l’Assemblée nationale.</p>
<p>Le président François Mitterrand cède toutefois à la pression de l’opinion et de la rue et, le 12 juillet 1984, annonce le retrait du projet de loi – entraînant de ce fait la démission du ministre Alain Savary et du premier ministre Pierre Mauroy.</p>
<p>Deux ans plus tard, Jacques Chirac prend la même décision après les importantes mobilisations contre le projet de loi Devaquet, avant même d’avoir eu le temps de le présenter en séance plénière à l’Assemblée nationale et de recourir éventuellement au 49.3 !</p>
<p>Entre 1988 et 1993, les gouvernements socialistes n’ont bénéficié que de majorités relatives à l’Assemblée. Mais lorsqu’ils ont recouru à l’article 49.3 ou fait face à des motions de censure qui, parfois, ont failli les renverser, ce n’était jamais dans un contexte de mobilisation de masse ou de contestation radicale d’une réforme.</p>
<p>En revanche, en <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/entretien-retraites-pourquoi-la-reforme-inevitable-de-1995-avait-fini-par-passer-a-la-trappe-1a2fceac-bf19-11ed-8b0a-102ab124256a">novembre-décembre 1995</a>, la réforme des retraites et de la sécurité sociale proposée par le gouvernement d’Alain Juppé suscite un mouvement social inédit depuis 1968, alors même que le pouvoir bénéficiait d’une très large majorité dans les deux assemblées. Comme en 1986, le gouvernement retire le 15 décembre 1995 son projet de réforme sans avoir sollicité un vote à l’Assemblée. </p>
<p>Toutefois, le 30 décembre 1995, en plein milieu de la « trève des confiseurs » qui marque habituellement une suspension dans la vie politique, il recourt à l’article 49.3 pour faire adopter une loi l’autorisant à prendre des ordonnances pour réformer la sécurité sociale. Ce double acte d’autorité (le recours aux ordonnances et au 49.3) ne suscite pas de réaction particulière de la part des oppositions qui estimaient sans doute avoir obtenu l’essentiel (le retrait de la réforme des retraites), dans un contexte où le gouvernement avait, au Parlement, la majorité : il s’agissait surtout pour l’exécutif d’aller vite en évitant les pratiques d’obstruction.</p>
<h2>Fronde et fracture à gauche</h2>
<p>Le 9 février 2006, Dominique de Villepin fait ainsi adopter en bloc sa « loi pour l’égalité des chances » instaurant le <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2016/03/09/il-y-a-dix-ans-les-jeunes-obtenaient-le-retrait-du-cpe_4879453_4401467.html">Contrat première embauche</a>. En dépit d’une contestation massive, notamment de la jeunesse, la loi est promulguée le 31 mars 2006 – avant que Jacques Chirac ne décide finalement, le 16 avril, d’en abroger l’article qui instaurait le CPE : à moins d’un an des présidentielles, il ne souhaitait pas faire courir à sa famille politique un risque électoral majeur.</p>
<p>Sous la présidence de François Hollande, marquée notamment par la « fronde » de députés récusant la politique économique incarnée notamment par Manuel Valls et Emmanuel Macron, l’article 49.3 a été utilisé pour faire adopter les « lois Macron », au grand dam de celui-ci, et surtout la « loi Travail », portée par la ministre Myriam El Khomri aussi bien en première lecture (le 10 mai 2016) que lors de l’adoption définitive (le 21 juillet).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NQxbUS3E_n0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mardi 10 mai 2016, Manuel Valls a utilisé le 49.3 pour faire adopter le « projet de loi Macron », du nom du ministre de l’Économie de l’époque. France 24.</span></figcaption>
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<p>En dépit de l’opposition d’une majeure partie de l’opinion, de la quasi-totalité des syndicats et d’un mouvement social particulièrement virulent et durable (autour notamment du mouvement « Nuit debout »), les députés frondeurs du PS ne rejoignent pas leurs collègues du Front de gauche et de la droite et, le 12 mai, ne votent pas la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/05/12/loi-travail-la-motion-de-censure-de-la-droite-debattue-a-l-assemblee-dans-un-climat-tendu-a-gauche_4917732_823448.html">motion de censure</a>, qui ne recueille que 246 voix que sur les 288 requises. Mais cette épreuve de force suscite une fracture au sein de la gauche gouvernementale, qui ne s’en est jamais réellement remise.</p>
<h2>L’adoption d’une loi ne sonne pas la fin de l’histoire</h2>
<p>Le projet de réforme des retraites, portée par <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/retraites-philippe-engage-sa-responsabilite-par-le-49.3-181001">Édouard Philippe</a> lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, a également été adopté en première lecture par le recours à l’article 49.3, le 29 février 2020, qu’ont violemment dénoncé les différentes organisations syndicales.</p>
<p>Le pouvoir avait sans problème la majorité pour faire voter ce texte. Mais il souhaitait clore rapidement une séquence marquée par une forte mobilisation sociale qui, un an après le mouvement des « gilets jaunes », contribuait à affaiblir son assise politique et électorale.</p>
<p>Cette volonté délibérée d’esquiver une longue discussion au Parlement n’a pas eu de suites immédiates : dès le 16 mars 2020, Emmanuel Macron annonce la suspension de cette réforme, en raison de la crise Covid qui frappe alors la France et lui impose le confinement. Son attitude intransigeante face à un mouvement social a sans doute contribué à l’évolution de son électorat d’une élection présidentielle à l’autre, un électorat désormais plus proche de celui que capte traditionnellement la droite modérée.</p>
<p>Le gouvernement d’Elisabeth Borne n’est pas le premier à faire preuve d’autorité au Parlement pour faire passer une réforme contestée et pour tenter de mettre un terme à une agitation qui, si elle perdurait, serait délétère pour l’image du pouvoir. Toutefois, une victoire parlementaire acquise par l’intermédiaire de l’article 49.3 ou par le rejet d’une motion de censure ne suffisent pas à reconquérir une légitimité – le général de Gaulle lui-même l’a expérimenté en mai 68. Plusieurs lois, ainsi adoptées, n’ont d’ailleurs pas été promulguées. À l’évidence, le vote de ce lundi 20 mars ne constitue pas un terme définitif à un épisode particulièrement délicat pour la présidence d’Emmanuel Macron.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202172/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont-Auvergne.</span></em></p>Le gouvernement d’Elisabeth Borne n’est pas le premier à faire preuve d’autorité au Parlement pour faire passer une réforme contestée.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1985402023-01-29T17:00:24Z2023-01-29T17:00:24ZRéforme des retraites : des craintes pour l’emploi des seniors à nuancer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506550/original/file-20230126-25004-ace5r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C226%2C2047%2C983&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chaque réforme ou tentative de réforme des retraites amène son lot d'inquiétude quant au chômage, photo ici d'une manifestation de décembre 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/49234146823">Jeanne Menjoulet / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Lors de son élection en mai 1981, le président François Mitterrand proposait aux Français de partir en retraite à taux plein dès 60 ans (contre 65 auparavant), en n’ayant cotisé que 37,5 années. Pour les jeunes qui avaient alors la vingtaine, « l’acquis social » semblait crédible. Cette génération arrive aujourd’hui à l’âge de la retraite et sera concernée par les nouvelles conditions proposées par le président Emmanuel Macron et le gouvernement de la Première ministre Élisabeth Borne. Un certain « réalisme » a succédé au « rêve de 81 ».</p>
<p>Ceux nés en 1963 et ayant commencé à travailler avant 23 ans seraient partis cette année en retraite si rien n’avait changé depuis Mitterrand. Pour eux, la réforme mise en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy a décalé à 62 ans l’âge légal de départ puis la <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/retraites-ce-qu-il-faut-savoir-de-la-reforme-touraine-qui-modifie-la-duree-de">réforme Touraine</a> est venue augmenter leur durée de cotisation à 42 ans, durée déjà relevée en 1993, 2003 et 2012. La réforme Touraine visait 43 ans pour tous à partir de 2035 mais le projet de loi actuel ramènerait l’échéance à 2027.</p>
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<p>Avec l’application progressive de la réforme actuellement en discussion, ils ne pourront quitter la vie active qu’en 2026, âgés de 63 ans et en ayant cotisé au moins 43 années. Et encore, cela ne vaudrait que pour ceux ayant commencé à travailler avant 20 ans. Pour les autres, nés en 1963 mais qui auraient rejoint le marché du travail entre 21 et 23 ans, ce n’est qu’entre 2027 et 2029 qu’ils atteindront le nombre minimal d’annuités pour avoir le taux plein.</p>
<h2>Une question d’anticipation</h2>
<p>Les ajustements proposés par le gouvernement répondent à une tension très simple à mesurer et indépendante des précédentes réformes : en 1981, il y avait environ 3,03 personnes âgées de 20 à 59 ans pour une personne de 60 ans et plus ; aujourd’hui, ce <a href="https://www.cor-retraites.fr/node/595">chiffre</a> n’est plus que de 1,8. Ce vieillissement de la population rend difficile la gestion d’un système basé sur la solidarité intergénérationnelle si le curseur actif/inactif se situe à 60 ans. Le ratio est en revanche de 2,7 si on le monte à 65 ans.</p>
<p>L’évolution démographique pèse naturellement sur les comptes. Sans les différentes réformes mises en place à partir de 1993, la part des ressources (PIB) consacrées aux retraites aurait été de 17 % en 2023 au lieu de 12,6 %. À l’horizon des 25 prochaines années, cela conduit tout de même à un déficit moyen de <a href="https://www.cor-retraites.fr/node/595">0,6 % du PIB</a> par année selon les projections établies par le Conseil d’orientation des retraites (COR).</p>
<p>Reculer l’âge de la retraite ne s’avère cependant pertinent que si les personnes qui auraient pu quitter la vie active se retrouvent en emploi et non au chômage. Remplacer des retraités par des chômeurs plutôt que par des salariés cotisants ne résoudrait pas l’équation budgétaire. Beaucoup s’inquiètent d’ailleurs, en France, du taux de chômage des seniors déjà <a href="https://theconversation.com/valoriser-lemploi-des-seniors-le-prealable-oublie-de-la-reforme-des-retraites-197141">plus élevé que la moyenne européenne</a>.</p>
<iframe style="border-radius:12px" src="https://open.spotify.com/embed/episode/6xRT3ZQDtEKBBHqVfFAagk?utm_source=generator" width="100%" height="352" frameborder="0" allowfullscreen="" allow="autoplay; clipboard-write; encrypted-media; fullscreen; picture-in-picture" loading="lazy"></iframe>
<p>Cette « peur » d’une perte d’employabilité des seniors semble en fait avoir partie liée à un « effet de bord ». </p>
<p>Avec une retraite à 60 ans comme norme sociale, salariés comme employeurs anticipent un départ dans les 5 ans pour une personne de 55 ans. Si la norme sociale devient 64 ans, cette personne de 55 ans peut encore rester dans la même entreprise presque dix ans. Or, dix ans, c’est la <a href="https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=TENURE_AVE">durée moyenne</a> d’un contrat entre un employé et un employeur. Ce sont donc les croyances et les anticipations sur la durée d’une relation d’emploi qui motivent un investissement dans cette relation. </p>
<p>Avec un allongement de la durée des contrats de travail des seniors, induit par le recul de l’âge de départ en retraite, il est alors possible d’expliquer la hausse, à un âge donné, de la chance d’être en emploi, plutôt qu’au chômage, depuis que les réformes reculent l’âge de départ en retraite. </p>
<h2>Évolutions parallèles</h2>
<p>Avec un changement dans les paramètres d’âge et de durée de cotisation, l’effet de bord ne fait que se décaler. Il y a, de fait, toujours des gens « proches » de la retraite, quel que soit l’âge légal de départ. La situation « ni, ni », ni en emploi, ni en retraite, qui concerne les 60-62 ans aujourd’hui devrait ainsi concerner, avec la réforme en débat, les 62-64 ans. On peut présumer que cela contribuera mécaniquement à améliorer la situation des premiers.</p>
<p>L’évolution du taux d’emploi des 55-59 ans au gré des réformes donne un aperçu de ce phénomène. Cet indicateur statistique rapporte le nombre de personnes en emploi sur la population totale de la classe d’âge. Ici, ne pas être en emploi, c’est donc être au chômage ou en inactivité ce qui, sauf cas particulier, ne peut pas être la retraite.</p>
<p><iframe id="bq8MF" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bq8MF/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En 1980, 76 % des hommes et 45 % des femmes âgés entre 55 et 59 sont en emploi. Après l’abaissement de l’âge de départ en retraite, ils ne sont plus que 60 % et 41 %, en 1991. Avec les réformes successives, ces taux se remettent à croître pour atteindre en 2021, 78 % et 73 %. On voit ainsi comment le taux d’emploi évolue lorsque l’on s’éloigne du « bord »</p>
<p>En outre, ce que nous montrent également ces statistiques est que la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047733?sommaire=6047805">féminisation de la population active</a> a été une aubaine pour contenir les déficits des régimes de retraite pendant de nombreuses années : les femmes ont fortement contribué à la hausse de l’emploi des seniors depuis 1993. L’écart de participation au marché du travail s’étant fortement réduit aujourd’hui, il est impossible de compter sur un nouvel accroissement du nombre des cotisants venant de la hausse de l’emploi des femmes.</p>
<p><iframe id="XyUJH" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/XyUJH/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Enfin, ces statistiques suggèrent également que la lenteur relative de l’évolution du taux d’emploi des hommes s’explique aussi par l’introduction, en 2003, du dispositif <a href="https://www.statistiques-recherches.cnav.fr/nouveaux-retraites-par-annee-de-depart-a-la-retraite.html">« carrières longues »</a> permettant un départ anticipé pour ceux qui ont commencé à travailler tôt. Il concerne beaucoup plus les hommes, 30 % des flux d’entrée en retraite aujourd’hui, que des femmes, 13 %. Avec le projet actuellement en discussion, les femmes se trouveront moins exclues de ce dispositif du fait de la possible intégration des interruptions de carrière pour élever des enfants.</p>
<p>Ces évolutions historiques poussent également dans le sens d’un élément désiré par le gouvernement, un <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/20/reforme-des-retraites-qu-est-ce-que-l-index-seniors-que-veut-mettre-en-place-le-gouvernement_6158634_3234.html">index senior</a> qui obligerait les entreprises de plus de 300 salariés de donner des statistiques sur l’emploi des plus de 55 ans. Même si l’obligation serait purement déclarative, gageons que cet indice permettrait de diffuser dans la société l’idée que les seniors, à 55 ans, peuvent toujours avoir une utilité sociale par le travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Langot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’évolution de l’âge légal de départ déplacerait simplement un « effet de bord » qui se manifeste lorsque l’employeur renonce à embaucher un senior qui ne restera que peu de temps dans l’entreprise.François Langot, Professeur d'économie, Chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781852022-03-14T19:00:35Z2022-03-14T19:00:35ZLe vote utile est-il un problème ?<p>À la présidentielle de 1965, le parti communiste se range dès le premier tour derrière la candidature de François Mitterrand. Le secrétaire général Waldeck Rochet justifie ce choix comme étant celui du vote utile, c’est-à-dire <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1965/11/15/pour-eviter-le-chaos-preparer-la-releve-en-votant-mitterrand_3069242_1819218.html">« un vote qui pèse réellement dans la balance »</a>. Il s’agit alors d’affaiblir le général de Gaulle en le mettant en ballotage et de faire en sorte que son adversaire pour le second tour soit le candidat de l’union de la gauche plutôt que le candidat centriste. <a href="https://www.franceculture.fr/politique/14-decembre-1965-le-jour-ou-de-gaulle-a-saute-comme-un-cabri">Ce plan se réalise</a> parfaitement, puisque de Gaulle n’est pas élu dès le premier tour et ne l’emporte qu’à 55,20 % au second tour contre Mitterrand. </p>
<p>Il y a cependant une autre lecture de ce résultat : les électeurs communistes ont été contraints de voter pour François Mitterrand dont, de l’aveu même du communiste Waldeck Rochet « les options politiques […] ne contiennent pas toutes les mesures prévues dans notre programme », sachant que « sur certaines questions, nos opinions diffèrent des siennes ». Les électeurs communistes, dont le camp ne l’a finalement pas emporté, n’ont surtout pas eu l’occasion d’exprimer sincèrement leur opinion.</p>
<h2>Le dilemme entre un vote d’expression et un vote utile</h2>
<p>Certes, le vote utile n’est pas toujours organisé par les partis. Mais beaucoup d’électeurs se trouvent individuellement face au dilemme qui impose de choisir entre un vote d’expression et un vote utile : au premier tour de l’élection présidentielle, dois-je voter utile <a href="https://www.cambridge.org/core/books/making-votes-count/42CD9425E1410457FFC5079EC851F32B">pour que mon vote compte ?</a></p>
<p>Le vote utile peut être une source de frustration pour les électeurs quand il suppose de sacrifier l’expression sincère de sa préférence électorale. Il pèse aussi sur la perception et la dynamique du paysage politique. Car au-delà de la désignation du vainqueur, les scores électoraux sont la jauge de l’importance relative des candidats et des sujets qu’ils incarnent, ainsi associe-t-on par exemple un <a href="http://www.slate.fr/tribune/52875/presidentielle-joly-vote-juste-utile">« signal écologiste »</a> au score obtenu par le ou la candidate qui représente ce parti.</p>
<p>La détermination du vote utile s’appuie sur l’information diffusée sur les chances relatives des candidats en lice. Lors de l’élection présidentielle, pendant des semaines, des sondages presque quotidiens conduisent, <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763">à tort ou à raison</a>, les électeurs à identifier les candidats susceptibles de se qualifier pour le second tour. Dans certains cas, comme en 2017, les enquêtes prévoyaient des scores très serrés pour les quatre candidats (effectivement) arrivés en tête, si bien que les électeurs pouvaient prévoir que toute voix attribuée à un autre candidat serait par avance perdue. </p>
<p>Aussi la pression du vote utile réduit-elle l’offre politique en invisibilisant une partie des candidats : ceux qui n’ont aucune chance d’être présents au second tour. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le scénario de la présidentielle de 2022, mais la dispersion de la gauche pourrait effacer du tableau tout cette <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/la-tentation-du-vote-utile">famille politique</a>, dont aucun des candidats ne pourrait espérer être présent au second tour.</p>
<h2>Le vote utile n’est pas un problème moral</h2>
<p>Le vote utile n’est pas un problème moral. Si voter consister à participer au choix d’un vainqueur, on doit s’attendre à ce que les électeurs votent en fonction de préoccupations stratégiques. Le vote utile est même une bonne option pour ceux qui le pratiquent. La gauche a appris à ses dépens à la présidentielle de 2002 que l’insuffisance de vote utile pouvait transformer une possible victoire en échec retentissant.</p>
<p>En effet, les 600 000 électeurs qui se sont exprimés en votant pour Christiane Taubira au premier tour de cette élection, envisageaient en majorité de voter pour Lionel Jospin au second tour ; il a pourtant <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/il-y-a-dix-ans-le-21-avril-2002-lionel-jospin-etait-elimine-au-premier-tour_265655.html">manqué 200 000 voix</a> à celui-ci pour y accéder. Sans présumer d’un résultat de second tour qui n’était pas acquis, les électeurs qui préféraient Lionel Jospin à Jacques Chirac, se seraient ouvert la possibilité d’un meilleur résultat final en votant utile dès le premier tour.</p>
<p>Le vote utile n’a cependant, rien d’un réflexe automatique pour tous les électeurs français : même placés dans une situation à l’issue aussi incertaine que le premier tour de la présidentielle de 2017, ils étaient deux fois plus nombreux à s’exprimer en faveur de leur candidat favori distancé dans les sondages – comme nous le montrons dans un <a href="https://doi.org/10.1016/j.electstud.2022.102458">article</a> – qu’à se reporter sur un candidat, un peu moins satisfaisant de leur point de vue, mais qui a une chance d’arriver au second tour.</p>
<h2>Une source d’inégalités entre les électeurs</h2>
<p>Cette situation est une source d’inégalités entre les électeurs. Voter utile nécessite d’être bien informé de l’évolution des sondages, d’y consacrer du temps, de mesurer les enjeux qui existent derrière ces chiffres, et d’y consentir. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les plus âgés, les plus riches et les mieux éduqués soient les plus susceptibles de voter stratégiquement, ainsi que l’a établi une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/who-votes-more-strategically/0CF7B90AE7CBBAB337C4255BF2C7E1E5">étude</a> réalisée sur plusieurs élections au Royaume-Uni. </p>
<p>Remarquons que les caractéristiques de ceux qui ne votent pas utile – plutôt jeunes, défavorisés et peu diplômés – sont aussi celles de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1023.htm">ceux de qui ne votent pas</a> ou <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2016-1-page-17.htm">qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales</a> : la mal inscription en France touche essentiellement les 18-35 ans, et l’abstention concerne environ deux fois plus les sans diplômes que les diplômés du supérieur ou titulaires d’un bac, ainsi que les ouvriers plutôt que les cadres. Il faudrait certes confirmer les tendances du vote utile par catégorie sur les données françaises mais, déjà, cette coïncidence ouvre une piste.</p>
<p>Le vote utile crée un biais social en renforçant la segmentation entre une population qui s’exprime et qui compte, et une population qui, qu’elle s’abstienne ou qu’elle participe au scrutin, ne compte jamais. Le vote utile n’est pas un problème moral mais un problème social. Prendre ce problème au sérieux devient alors une responsabilité essentielle de la démocratie.</p>
<h2>Une pression qui varie en fonction des modes de scrutin</h2>
<p>La pression du vote utile varie selon les modes de scrutin. Il en existe qui la réduise en permettant aux électeurs de s’exprimer sur chaque candidat. Ces modes de scrutin ne se résument pas à de simples constructions théoriques. Certains sont effectivement utilisés dans différents pays, comme le vote unique transférable mis en œuvre depuis longtemps pour les <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/irlande-elections-mode-d-emploi-552439.html">élections irlandaises</a>, et en cours de développement aux <a href="https://www.nytimes.com/2022/02/15/opinion/alaska-elections-ranked-choice.html">États-Unis</a>. Les électeurs classent plusieurs candidats ; si un électeur positionne en tête un petit candidat, sa voix n’est pas perdue car elle est transférée au candidat qu’il a classé derrière si ce petit candidat est éliminé. </p>
<p>D’autres modes de scrutin considèrent les évaluations sur une échelle prédéfinie que les électeurs donnent à chaque candidat pour désigner le vainqueur. Le <a href="https://mieuxvoter.fr/">jugement majoritaire</a>, qui a été utilisé lors des primaires populaires de 2017 et 2022, sélectionne le candidat qui obtient la meilleure évaluation médiane. Les systèmes de <a href="https://www.votedevaleur.org/co/votedevaleur.html">vote par note</a> (dont le plus simple est le <a href="https://electionscience.org/library/approval-voting/">vote par approbation</a>), donnent vainqueur celui qui a la somme des notes la plus élevée (respectivement le plus grand nombre d’approbations). Les <a href="https://www.gate.cnrs.fr/vote">réflexions sont en cours et</a> l’enjeu est de taille : identifier un mode de scrutin moins manipulable qui puisse être compris et mobilisé par le plus grand nombre, y compris par les plus jeunes, les plus pauvres et les moins éduqués est l’une des clés d’une démocratie inclusive.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178185/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoinette Baujard a reçu des financements de: IDEXLYON, Université de Lyon (project INDEPTH) dans le cadre du Programme Investissements d’Avenir (ANR-16- IDEX-0005)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Lebon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le vote utile n'est pas un problème moral mais un problème social.Isabelle Lebon, Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen NormandieAntoinette Baujard, Professeur de sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1771862022-02-23T11:16:15Z2022-02-23T11:16:15Z« Moi, président·e » : Règle n°11, garder le secret<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=19546">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Au micro de Clea Chakraverty et de Fabrice Rousselot, les chercheurs de The Conversation France vous font entrer dans les coulisses de la campagne présidentielle et vous dévoilent les secrets qui permettent de décrocher la fonction suprême.</em></p>
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<p>Nombreux sont les candidats qui jouent la carte de la transparence en campagne. Néanmoins leurs actes et leurs secrets ne résistent pas toujours à l'enquête, surtout une fois qu'ils sont arrivés au pouvoir. </p>
<p>Pour comprendre comment le secret fait partie de l'art de gouverner, nous recevons Benjamin Puybareau, doctorant en relations internationales à Sciences Po Paris.</p>
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<p><strong>À écouter aussi</strong></p>
<p><a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">Règle n°1, la jouer people</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-2-hyper-president-e-tout-le-temps-167410">Règle n°2, hyper-président·e tout le temps</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-3-manier-la-rhetorique-168287">Règle n°3, manier la rhétorique</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-4-se-plier-aux-rituels-168298">Règle n°4, se plier aux rituels</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-5-surfer-sur-la-crise-170725">Règle n°5, surfer sur la crise</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-6-depasser-les-clivages-170598">Règle n°6, dépasser les clivages</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-7-lart-de-linjure-171140">Règle n°7, l’art de l’injure</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-8-bien-dans-son-habit-172805">Règle n°8, bien dans son habit</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-9-lobbys-a-tout-prix-173275">Règle n°9, lobbys à tout prix</a> <br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-10-sortir-du-sexisme-176189">Règle n°10, sortir du sexisme</a></p>
<p><strong>Références</strong></p>
<p><a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/ego-politique-essai-sur-individualisation-du-champ-politique"><em>Le secret, cet outil indispensable à la diplomatie</em></a>, C. Le Bart, Dunod, 2019</p>
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<p>_Crédits, Animation et conception, Fabrice Rousselot. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni. Musique, « La Marseillaise », Oberkampf (1983). Photo d’illustration. Jean-Claude Coutausse. Archives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Puybareau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à l'exigence de transparence inhérente à toute démocratie, la simulation et la dissimulation doivent être utilisées avec précaution.Benjamin Puybareau, Doctorant, CERI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703982021-11-01T18:28:18Z2021-11-01T18:28:18ZLes communistes et l’élection présidentielle : une histoire tumultueuse<p>Pour la première fois depuis 2007, les communistes ont annoncé que l’un des leurs, Fabien Roussel, secrétaire national du parti, sera candidat à la prochaine élection présidentielle. Vu le contexte de division à gauche, les chances que son dirigeant fasse un score très faible sont importantes.</p>
<p>Malgré tout, cette prise de risque est <a href="https://www.pcf.fr/vote_des_communistes_des_7_8_et_9_mai_2021">soutenue par une majorité des adhérents du parti</a>.</p>
<p>Ne pas participer à l’élection du chef de l’État, moment central dans la vie politique française, pénalise en effet toute formation politique d’autant plus si elle cherche, comme le PCF, à s’adresser en priorité aux classes populaires. Celles-ci se mobilisent davantage lors de ce scrutin que lors des autres élections. La campagne pour l’élection présidentielle bénéficie d’une couverture médiatique importante et, par conséquent, d’un intérêt plus prononcé de la part des populations qui sont prises dans la gestion de difficultés de vie et donc éloignées du monde de la politique.</p>
<h2>Le PCF en perte de visibilité</h2>
<p>En s’effaçant au profil de Jean-Luc Mélenchon lors des deux derniers scrutins, les communistes ont perdu en visibilité, et ils espèrent réaffirmer leurs couleurs à l’occasion de la campagne. C’est d’ailleurs sur cette base que Fabien Roussel est devenu secrétaire national en 2018 : pour la première fois dans <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/12/MISCHI/62584">l’histoire de ce parti centenaire</a> qui a dominé la gauche française de la Libération à la fin des années 1970, le dirigeant sortant, Pierre Laurent, a été mis en minorité par les signataires d’un <a href="https://congres2018.pcf.fr/bases_alternatives">texte alternatif</a> dénonçant « l’effacement » du PCF sur la scène politique, notamment lors des élections présidentielles.</p>
<p>L’année précédente, en 2017, seule une faible majorité des adhérents communistes consultés (54 %) avait accordé leur soutien à la candidature de Mélenchon. Ce choix était pourtant soutenu par la direction du parti, malgré l’absence d’entente avec La France insoumise (LFI) sur le programme et les législatives suivantes, durant lesquelles les candidats du PCF durent souvent affronter ceux de LFI.</p>
<p>La candidature de Fabien Roussel pour 2022 était donc attendue en interne même si ce choix peut tout autant renforcer la visibilité du PCF que fragiliser une organisation qui peine traditionnellement à s’affirmer lors de ce type de scrutin.</p>
<h2>Un scrutin pour construire l’union de la gauche</h2>
<p>Les dirigeants communistes se sont toujours méfiés de cette élection, surtout depuis le référendum de 1962 et le <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000094/le-referendum-du-28-octobre-1962.html">passage au suffrage universel direct</a>. Les communistes, favorables à un régime plus parlementaire, dénoncent alors une <a href="https://archives.seinesaintdenis.fr/ark:/naan/a0115500685764cM7Pf/8825736e04">élection plébiscite et la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme</a>.</p>
<p>Le PCF n’a pas présenté de candidat à quatre reprises au cours des 10 élections qui se sont déroulées depuis cette date, y compris lorsque son poids politique était conséquent.</p>
<p>Dès 1965, lors du premier scrutin présidentiel au suffrage universel, sa direction décide de soutenir François Mitterrand, alors à la tête de la petite Convention des institutions républicaines, malgré là encore l’absence d’accord programmatique.</p>
<p>Cette décision surprend et soulève des réserves : une composante significative de la base militante, peu séduite par le profil modéré de Mitterand, aurait préféré une candidature communiste. Plusieurs étudiants communistes comme <a href="https://maitron.fr/spip.php?article136624">Alain Krivine</a> sont exclus parce qu’ils refusent de soutenir Mitterrand et partent fonder les Jeunesses Communistes Révolutionnaire, ancêtres du NPA.</p>
<p>Le soutien à Mitterrand est justifié au nom de la construction d’une union des forces de gauche et de la désignation d’un candidat qui permet de contourner le Parti socialiste. La direction défend ce choix tactique en dépit des réticences des responsables soviétiques, qui se méfient de Mitterrand, perçu comme plus favorable aux États-Unis que de Gaulle, dont la politique extérieure se rapproche de l’URSS. Pour la première fois, le PCF prend alors nettement ses <a href="https://silogora.org/le-role-du-pcf-dans-lelection-presidentielle-de-1965/">distances par rapport aux Soviétiques</a> lorsqu’ils présentent sous un jour favorable la candidature de De Gaulle au nom du maintien du statu quo international. Les dirigeants français sont confrontés dans leur stratégie unitaire par la mise en ballotage de De Gaulle par Mitterrand : la gauche sort renforcée de ce scrutin.</p>
<h2>Contester la domination politique des élites sociales</h2>
<p>En 1969, une candidature unique de la gauche échoue faute d’accords avec des socialistes réticents. Jacques Duclos, membre de la génération fondatrice du PCF, est alors désigné comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VnBGGRFtgIo">premier candidat communiste à une élection présidentielle</a> sous la V<sup>e</sup> République. Né dans une famille modeste (son père est artisan-charpentier et sa mère couturière) d’un village des Hautes-Pyrénées, l’ancien ouvrier boulanger, communiste depuis 1920, fait partie des dirigeants d’origine populaire qui sont à la tête du parti qui se revendique porte-parole de la classe ouvrière.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/x88k_W_mogg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jacques Duclos, premier candidat à la présidentielle sous la Vᵉ République issu du PCF, en 1969 (INA).</span></figcaption>
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<p>En présentant des candidats d’origine populaire aux élections, le PCF constitue une entreprise inédite de <a href="https://lvsl.fr/le-pcf-a-permis-a-des-categories-dominees-de-saffirmer-dans-lespace-public-entretien-avec-julian-mischi/">contestation de la domination politique des élites sociales</a>. Alors que les postes politiques sont traditionnellement monopolisés par les classes socialement dominantes, les militants et élus communistes proviennent en grande partie des milieux populaires qu’ils entendent représenter au sein des municipalités et du Parlement. Avec son accent du Midi et ses origines ouvrières, le candidat communiste à la présidentielle de 1969 tranche dans paysage politique dominé par la bourgeoisie.</p>
<p>Jacques Duclos obtient un score important avec 21,5 % des suffrages alors que le candidat socialiste, Gaston Deferre, avocat de profession, n’en rassemble que 5 %. Arrivé troisième, il manque de 400 000 voix une qualification pour le second tour.</p>
<h2>Déclin d’un parti populaire et présidentialisation du régime</h2>
<p>Au scrutin suivant, en 1974, François Mitterrand est le candidat de l’Union de la gauche, que les communistes soutiennent sur la base du Programme commun de gouvernement signé deux ans auparavant. Cependant, les communistes, constatant que les socialistes bénéficient le plus de la dynamique unitaire, provoquent la rupture du programme commun en septembre 1977. L’inversion du rapport de force à gauche au profit du Parti socialiste est confirmée lors de la présidentielle de 1981 : Georges Marchais, secrétaire national du PCF, ancien ouvrier syndicaliste de la métallurgie, obtient 15 % des voix contre 26 % pour Mitterrand, avocat de formation, élu au second tour avec le soutien mesuré des communistes. Le PCF réalise alors son plus mauvais score à une élection nationale depuis 1936. Il est entré dans un cycle de déclin électoral dont il ne s’est en quelque sorte jamais remis.</p>
<p>Le PCF perd durant cette période l’essentiel de ses soutiens intellectuels, qui ont longtemps constitué une force singulière du mouvement communiste. Ces intellectuels dénoncent alors le repli sectaire du parti et la faiblesse des critiques portées sur les régimes communistes.</p>
<p>Cependant, au regard de l’effondrement de son audience nationale depuis la fin des années 1970, les positions locales du PCF résistent relativement bien : le nombre de municipalités communistes ne diminue que lentement tout au long des trente dernières années. Aujourd’hui encore le PCF gère une <a href="http://www.regards.fr/politique/article/elections-retour-sur-le-communisme-municipal">cinquantaine de villes de plus de 10 000 habitants</a> et peut s’appuyer sur des réseaux militants locaux. Il compte environ 40 000 adhérents, présents dans une diversité de territoire, notamment dans de petites villes où les autres forces politiques de gauche et de l’écologie sont quasiment absentes.</p>
<h2>Une base militante de plus en plus réduite</h2>
<p>La base militante et électorale du parti s’est néanmoins réduite continuellement sous le coup de <a href="https://www.revue-ballast.fr/julian-mischi/">multiples facteurs</a> liés à l’effondrement de l’URSS mais aussi aux recompositions du tissu industriel et des classes populaires.</p>
<p>La présidentialisation du régime de la V<sup>e</sup> République est également un frein au maintien d’une organisation militante ancrée dans les milieux populaires. Elle favorise en effet une personnification du jeu politique et une transformation des partis en machines électorales tournées vers la présidentielle, tout particulièrement depuis le couplage des élections présidentielles et législatives et l’inversion du calendrier électoral en 2001.</p>
<p>La délégitimation des partis et des idéologies politiques, tout autant que la focalisation des débats politiques et médiatiques sur les enjeux électoraux du moment, sont peu propices au déploiement dans le temps et dans les milieux populaires d’un tissu militant structuré.</p>
<h2>Une gauche divisée et fragilisée</h2>
<p>Marie-Georges Buffet est la dernière communiste à s’être présentée à l’élection présidentielle. En 2007, elle a rassemblé 1,9 % des suffrages, le plus faible score jamais obtenu par le PCF. Les relais du parti dans les quartiers et les entreprises se sont érodés : ses élus locaux proviennent désormais davantage des classes moyennes, notamment de la <a href="https://metropolitiques.eu/Qui-sont-les-nouveaux-dirigeants.html">fonction publique territoriale</a>, tandis que les profils issus du syndicalisme ouvrier se font de plus en plus rares.</p>
<p>Les syndicalistes, en proie à des difficultés dans leur entreprise, prolongent moins facilement leur engagement dans la scène politique qui s’embourgeoise et se professionnalise. La participation du PCF à des gouvernements qui ont privatisé et se sont résignés à accompagner le déclin de l’État social, d’abord en 1983-1984 puis en 1997-2002, a contribué à détourner les classes populaires de ce parti.</p>
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<figcaption><span class="caption">Marie-Georges Buffet en 2007.</span></figcaption>
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<p>Pour contrer à cette tendance, la direction du PCF a remis en avant depuis les années 2000 un souci d’ancrage spécifique dans les milieux populaires, avec un discours centré sur le monde du travail et la volonté de promouvoir des syndicalistes et des militants du mouvement social dans les directions. Cette stratégie de retour aux fondamentaux prend du temps et pâtit de la dynamique imposée par la présidentielle.</p>
<h2>Démocratie militante et personnalisation du jeu politique</h2>
<p>C’est tant pour marquer sa singularité face à Mélenchon que dans l’objectif de renouer avec les classes populaires que Fabien Roussel s’est emparé à son tour des thématiques de l’insécurité et l’immigration, parfois dans un sens conservateur, exprimant une reprise de l’agenda sécuritaire de la droite et du gouvernement.</p>
<p>Sa participation à la manifestation des policiers du 19 mai contre l’institution judiciaire a ainsi provoqué des mécontentements en interne. Elle pose la question de la démocratie militante car il est difficile de savoir si certaines positions de Roussel, qui peuvent surprendre les militants, reposent sur des délibérations collectives.</p>
<p>Là encore, on peut y déceler un effet du jeu de la présidentielle qui personnalise l’action politique et rend difficile le contrôle militant sur les candidats. Cette difficulté à faire vivre un collectif militant se retrouve également dans le camp de Mélenchon, dont les organisations successives (Parti de gauche, LFI) sont surtout mises au service de sa stratégie présidentielle et peinent à se structurer sur le territoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170398/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julian Mischi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après avoir soutenu Mélenchon, le PCF aura son propre candidat à la présidentielle. Retour sur les raisons de la candidature de Fabien Roussel et sur l’histoire des candidatures communistes.Julian Mischi, Sociologue et historien, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1671372021-09-13T17:53:48Z2021-09-13T17:53:48ZDes boat-people aux Afghans : les réfugiés, une cause politique pour le PS<p>La prise de Kaboul par les talibans et le séisme politique frappant la région ont eu des répercussions dans la politique intérieure de nombreux pays, à commencer par les États-Unis. En France également, les dirigeants de différents mouvements politiques ont réagi. Ainsi, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste et député, a publié trois tweets relatifs à la chute de Kaboul dès le 15 août, <a href="https://twitter.com/faureolivier/status/1426862047866855425">l’un en son nom</a>, l’autre <a href="https://twitter.com/partisocialiste/status/1427022973857406984">au nom du PS</a>, et un <a href="https://twitter.com/arminarefi/status/1426967842797277187">retweet d’article de presse</a>.</p>
<p>Ces prises de parole, liées aux événéments précis de ces derniers jours, reflètent aussi l’histoire des mouvements politiques. Ainsi les prises de positions socialistes s'inscrivent dans l'histoire longue du PS, dont <a href="https://books.openedition.org/pur/50889?lang=fr">j'étudie la politique internationale depuis de nombreuses années</a>.</p>
<p>Bien que membre de l’Internationale socialiste et héritier d’une tradition ouvrière internationaliste qu’il ambitionne de renouveler, le Parti socialiste <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2000_num_65_1_2874#xxs_0294-1759_2000_num_65_1_T1_0089_0000">refondé au congrès d’Épinay en 1971</a> reste une organisation dont l’ancrage et les objectifs ne sont pas d’abord internationaux. Il entend promouvoir un « nouvel internationalisme » pour « changer la vie » à toutes les échelles, mais ses préoccupations sont celles de ses militants et de son électorat.</p>
<p>Lorsqu’en 1973 le royaume d’Afghanistan devient une République à la suite d’un coup d’État mené avec l’appui militaire soviétique, puis lorsqu’un nouveau coup d’État débouche sur l’instauration de la République démocratique d’Afghanistan en 1978, le Parti ne réagit pas officiellement.</p>
<p>En effet, l’Afghanistan n’est alors pas central dans l’agenda politique français. Le pays entre réellement dans l’horizon diplomatique du PS à partir de son <a href="https://www.jeuneafrique.com/72000/archives-thematique/l-urss-envahit-l-afghanistan/">invasion par l’URSS</a> en décembre 1979, qui en fait un enjeu de Guerre froide de premier plan.</p>
<h2>Le PS face à l’invasion soviétique de l’Afghanistan</h2>
<p>Dès le 2 janvier 1980, un communiqué socialiste condamne l’ingérence soviétique au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pointe le risque d’enlisement dans un « conflit meurtrier ». Le même jour, le président Valéry Giscard d’Estaing envoie une invitation à François Mitterrand et Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, les conviant à s’entretenir avec le ministre des Affaires étrangères pour évoquer la situation afghane.</p>
<p>Le 11 janvier, Georges Marchais s’exprime à la télévision française en duplex de Moscou, d’où il apporte son soutien à l’intervention soviétique. S’ensuit une <a href="https://www.ina.fr/video/I08017706">passe d’armes à la télévision avec Pierre Joxe</a>, qui dénonce une direction communiste « justifiant l’injustifiable ».</p>
<p>Les tensions entre PS et PCF, déjà fortes depuis la rupture de l’union de la gauche (1972-1977), s’aggravent. Alors que l’invasion de l’Afghanistan marquait la fin incontestable de la Détente, la position du PCF fut dénoncée par le PS comme le signe de son réalignement indéniable sur Moscou - un réalignement auquel on pouvait même désormais imputer la fin des discussions sur la réactualisation du Programme commun.</p>
<p>Le sujet afghan, et à travers lui celui de l’URSS, sont ensuite régulièrement débattus dans l’arène politique française, par exemple lors des réflexions sur l’opportunité d’un boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980 (boycott rejeté par le PS).</p>
<p>S’emparant du sujet en mars 1981 pour critiquer la droite durant la campagne présidentielle, le candidat Mitterrand revient sur un épisode de juin 1980 : l’annonce giscardienne erronée d’un retrait significatif des troupes soviétiques d’Afghanistan. Il attaque alors la diplomatie du président sortant et le qualifie de « petit télégraphiste » de Moscou.</p>
<p>En juin 1981, l’entrée de ministres communistes au gouvernement de Pierre Mauroy suit la conclusion d’un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/06/25/le-texte-de-l-accord-p-s-p-c_2730407_1819218.html">« accord politique de gouvernement »</a> préalable entre le PS et le PCF. Sur le plan international, où les désaccords étaient majeurs, la ligne du PS mitterrandien s’impose : les signataires y « affirment le droit du peuple afghan à choisir son régime et son gouvernement et se prononcent pour le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan et la cessation de toute ingérence étrangère ».</p>
<p>Fin 1982, l’Afghanistan compte toujours parmi les grandes causes internationales de mobilisation du PS, aux côtés du Salvador, de la Pologne et du Liban. <a href="https://archives-socialistes.fr/themes/archives/static/pdfviewer/?docid=367092&language=fra">Les objectifs socialistes affichés</a> sont de soutenir la circulation des informations émanant des mouvements de résistance afghans, d’aider au financement d’écoles publiques dans les zones tenues par les résistants, ainsi que l’installation d’un dispensaire au Pakistan pour les réfugiés afghans.</p>
<h2>Le PS et la question de l’accueil des réfugiés dans les années 1970</h2>
<p>Le 16 août 2021, la déclaration télévisée du président Emmanuel Macron à propos de potentiels <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sJ1Yr-5FXV0">« flux migratoires irréguliers importants »</a> provoqua une polémique immédiate à gauche. Si, dans les années 1970, la question des réfugiés n’était pas encore un enjeu majeur dans le cas afghan, c'était déjà le cas pour d’autres populations.</p>
<p>À l’époque, la solidarité socialiste et internationaliste s’exerce en premier lieu en faveur de « camarades », de militants et de leurs proches. Celle-ci s’inscrit dans une vaste tradition internationaliste, que l’on retrouve par exemple dans l’aide apportée <a href="https://books.google.fr/books?id=HV6FBPol6iUC&pg=PA196&lpg=PA196&dq=psoe+toulouse">aux socialistes espagnols ayant fui la dictature franquiste</a> par la SFIO puis par le PS, de la reconstitution du PSOE en exil à Toulouse en 1944 à sa <a href="https://www.psoe.es/el-socialista/sucedio-en/sucedio-en-1974-el-congreso-de-suresnes/">refondation en 1974</a> à Suresnes notamment.</p>
<p>Dans ces années 1970, on songe surtout à la mobilisation exceptionnelle de l’ensemble des socialistes en faveur des exilés de la gauche chilienne, victimes en 1973 du coup d’État de Pinochet. Beaucoup d’<a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2722">initiatives locales</a> permirent de fournir aide, domicile ou emploi à ces réfugiés. La direction centrale socialiste, soutenant cet élan, chercha aussi à <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-parti-socialiste-francais-dans-la-recomposition-du-parti-socialiste-chilien-a-partir-de-1973/">l’orienter vers le Parti socialiste chilien</a>.</p>
<p>À côté de cette solidarité politique à l’égard d’homologues étrangers ayant choisi la France comme terre d’asile, les socialistes se mobilisèrent également dans des accueils présentés comme plus « humanitaires » que politiques.</p>
<p>Le PS prit par exemple part à l’immense vague française de solidarité envers les réfugiés d’Asie du Sud-Est, dont les départs sont provoqués dès le printemps 1975 par l’<a href="https://www.herodote.net/30_avril_1975-evenement-19750430.php">effondrement du Sud-Vietnam</a>, et <a href="https://www.histoire-immigration.fr/collections/1979-l-arrivee-des-refugies-d-asie-du-sud-est">s’intensifient en 1979</a> en raison de la crise économique vietnamienne, de la guerre sino-vietnamienne et de l’invasion du Cambodge par le Vietnam.</p>
<p>Fin juin 1979, interpellée par de nombreux militants et élus, la direction nationale donne ses consignes en faveur de la coordination de l’accueil de réfugiés par les municipalités, fédérations et sections. Un appel aux dons est aussi lancé pour financer l’envoi très médiatisé, en juillet 1979, d’un avion qui porte secours à 156 réfugiés. Or cette mobilisation du PS pour l’ex-Indochine fait partie d’une campagne nationale qui est un moment clé pour le champ humanitaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Arrivée de boat-people à Rouen le 22 juillet 1987, archive INA.</span></figcaption>
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<h2>L’accueil de réfugiés, un choix toujours politique</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/l-asile-et-l-exil--9782707198792-page-171.htm">Karen Akoka</a> montre combien cet épisode accompagne et nourrit la promotion d’une nouvelle idéologie sans-frontiériste contre le tiers-mondisme et le romantisme révolutionnaires.</p>
<p>Cette nouvelle pensée humanitaire présente la défense des droits humains comme une cause consensuelle et apolitique, alors même qu’elle correspond à l’intégration, dans les discours de solidarité internationale, de l’antitotalitarisme qui marque alors le débat intellectuel et politique. Cet antitotalitarisme et sans-frontiérisme s’accompagne chez certains d’un indéniable anticommunisme.</p>
<p>Ainsi, si les Vietnamiens secourus par les socialistes français n’étaient effectivement pas ciblés en fonction de leurs affiliations politiques, on ne peut qualifier la solidarité socialiste d’humanitarisme apolitique : par sa participation et dans ses déclarations, le PS était soucieux d’une part de se positionner contre les anticommunistes oublieux des responsabilités historiques du Japon, de la France et des États-Unis dans les difficultés de la région, et d’autre part de condamner les dysfonctionnements des régimes communistes d’Asie du Sud-Est, ainsi que leurs crimes et violations des droits humains.</p>
<p>L’accueil de réfugiés, militants politiques ou non, et les raisons qui le motivent, restait et reste ainsi un choix très politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Judith Bonnin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fidèle à ses traditions, le PS a appelé à « se mobiliser » pour le peuple afghan dès le 15 août. Pour le parti, l’accueil de réfugiés est une tradition autant qu’une cause politique.Judith Bonnin, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1617872021-05-30T20:42:28Z2021-05-30T20:42:28ZGénocide au Rwanda : l’appel au pardon d’Emmanuel Macron à Kigali rétablit des liens historiques<p>Le président français Emmanuel Macron vient d’effectuer sa <a href="https://www.france24.com/en/france/20210526-macron-seeks-reset-with-rwanda-on-africa-visit-after-years-of-tensions">première visite d’État au Rwanda</a>. Si de nombreux dirigeants du monde entier se sont rendus dans ce pays d’Afrique centrale de 13 millions d’habitants, y compris d’anciens présidents français, comme le <a href="https://www.nytimes.com/2010/02/26/world/europe/26france.html">président Nicolas Sarkozy en 2010</a>, ce déplacement promettait d’être différent.</p>
<p>Comme on pouvait l’anticiper, de tous les discours prononcés par des présidents français depuis 27 ans, celui d’Emmanuel Macron aura été le plus proche d’exprimer des <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/may/27/kagami-the-winner-as-macron-gives-genocide-speech-in-rwanda">excuses</a> pour l’implication de la France pendant le <a href="https://news.trust.org/item/20140402113037-u315s/">génocide</a> de 1994 contre les Tutsis.</p>
<p>Au Mémorial du génocide de Kigali, Macron a <a href="https://www.newtimes.co.rw/news/time-bow-genocide-victims-listen-survivors-macron">demandé</a> le pardon pour l’implication de la France dans le génocide. Il a également exprimé sa volonté de combattre l’idéologie et le déni du génocide afin de favoriser des relations plus fortes avec le Rwanda.</p>
<p>Quel sera l’impact à long terme de ce voyage et de ce discours ? La réponse à cette question dépend de la façon dont Paris appliquera cet engagement. La France peut apporter une assistance concrète au Rwanda par le biais de l’aide au développement et d’une contribution à la campagne de vaccination contre la Covid-19. Cependant, pour que la France gagne la confiance des Rwandais, le pays doit agir pour combattre l’idéologie et le déni du génocide. Un bon début serait l’arrestation et l’extradition des Rwandais qui ont participé au génocide de 1994 contre les Tutsis.</p>
<h2>Rappel historique</h2>
<p>Avant le génocide, la France était le plus proche allié européen du Rwanda, pays qu’elle n’a jamais colonisé. Le Rwanda a été colonisé par <a href="https://www.britannica.com/place/Rwanda/Rwanda-under-German-and-Belgian-control">l’Allemagne</a> (1884-1919), puis transféré à la Belgique. C’est au cours de la <a href="https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/rwanda/etc/cron.html">période coloniale belge</a> (1919-1962) que les divisions socio-économiques entre Hutus, Tutsis et Twa sont devenues des divisions ethniques inamovibles. Pour <a href="https://www.google.com/books/edition/Rwanda_Before_the_Genocide/IawzAAAAQBAJ?hl=en&gbpv=1&dq=jj+carney&pg=PP2&printsec=frontcover">justifier les atrocités coloniales de la Belgique</a>, le gouvernement colonial a promu certaines élites tutsies à des postes de pouvoir de façon à donner l’apparence d’un pouvoir qui serait exercé par des locaux.</p>
<p>En 1973, coup d’État a porté à la présidence <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp#P1538_159983">Juvénal Habyarimana</a>. Il a développé une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/feb/05/paris-trial-elysee-rwanda-genocide">relation personnelle étroite</a> avec le président français François Mitterrand (1981-1995).</p>
<p>La France de Mitterrand a fourni au régime d’Habyarimana un soutien financier et militaire considérable. Le soutien de Mitterrand a contribué à conforter la légitimité de son homologue rwandais. Cela a ensuite favorisé les politiques de <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/4187200.pdf">divisionnisme ethnique</a>, de haine et de pogroms qui ont abouti au génocide de 1994.</p>
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<p>Depuis lors, les relations franco-rwandaises ont été, au mieux, mauvaises. De nombreux membres du gouvernement rwandais, menés par le Front patriotique rwandais, <a href="https://scholarcommons.usf.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1696&context=gsp">ont jugé inacceptable</a> la proximité de la France avec Habyarimana. Le Rwanda a également exigé la reconnaissance de l’implication de la France dans le génocide de 1994. Malheureusement, cela ne s’est pas produit sous le successeur de François Mitterrand, <a href="https://www.nytimes.com/2008/08/15/opinion/15iht-edkinzer.1.15328850.html">Jacques Chirac</a>.</p>
<p>Par la suite, le président <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/feb/25/sarkozy-rwanda-genocide-kagame">Sarkozy</a> a tenté de renforcer les relations de Paris avec le Rwanda. Il n’a pas été loin d’admettre le rôle de la France pendant le génocide, mais a finalement seulement reconnu que son pays avait commis des « erreurs politiques ». Les relations se sont à nouveau détériorées sous la présidence de <a href="https://www.newtimes.co.rw/section/read/187831">François Hollande</a>, qui a minimisé l’implication de la France avant et pendant le génocide.</p>
<p>Par son discours de Kigali, Macron est allé au-delà des avancées timides enregistrées sous Sarkozy.</p>
<h2>Comment les relations se sont dégradées</h2>
<p>Avec le déclin de la guerre froide au début des années 1990, la France <a href="https://apnews.com/article/edfa5353874d34c97d3062d300bca767">a commencé à faire pression</a> sur ses alliés africains – comme Habyarimana – pour qu’ils démocratisent leurs régimes respectifs. Au Rwanda, cependant, la transition de la dictature à une compétition politique ouverte ne s’est pas bien passée. Plutôt qu’une mobilisation pacifique, l’ouverture de l’espace politique a aidé les extrémistes idéologiques hutus fidèles à Habyarimana à propager l’idéologie du génocide contre les Tutsis.</p>
<p>Au même moment, des exilés rwandais, principalement des Tutsis, ont formé le <a href="https://www.jstor.org/stable/161382?seq=1#metadata_info_tab_contents">Front patriotique rwandais</a>. De 1990 à 1994, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/1462352042000225958?casa_token=XXZMNZVErBsAAAAA:EHqfGZrSRrG1vr1c8CDkKHS1k_Mx8BN5bSuyYwg0OJB7RwtuZ4DBw8Djnr4iFG7AZrDLzMZ1RXw">guerre civile</a> opposa le gouvernement à ces rebelles bien organisés.</p>
<p>La France a soutenu le régime d’Habyarimana en repoussant la première invasion du Front patriotique rwandais (1990-1991). Après cette campagne, le gouvernement français a fourni une aide militaire au Rwanda pour aider celui-ci à reconstruire son armée contre ce même parti. Les Français ont également secrètement appuyé une milice soutenue par le gouvernement, les <a href="https://www.britannica.com/event/Rwanda-genocide-of-1994/Genocide#ref1111308">Interahamwe</a> (Ceux qui combattent ensemble).</p>
<p>Le génocide a commencé quelques heures après l’<a href="https://www.theguardian.com/world/2010/jan/12/rwanda-hutu-president-plane-inquiry">assassinat</a> d’Habyarimana. Son avion présidentiel a été abattu par des assaillants inconnus.</p>
<p>La France s’est résolument placée derrière le nouveau gouvernement, qui mit en œuvre le génocide. Sans fournir de matériel militaire ou de troupes, elle a fait pression pour le retrait de la <a href="https://peacekeeping.un.org/en/mission/past/unamirS.htm">force de maintien de la paix des Nations unies</a> au Rwanda. Elle a également déplacé le <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-arrest-of-madame-agathe">cercle restreint</a> du pouvoir du gouvernement rwandais hors du Rwanda dans les premiers jours du génocide.</p>
<p>Plus tard, la France a envoyé des troupes dans le cadre de <a href="https://www.realcleardefense.com/articles/2018/05/14/assessment_of_opration_turquoise_113440.html">l’Opération Turquoise, autorisée par l’ONU</a>. Le gouvernement français a déclaré publiquement que sa contribution substantielle de près de 2 500 soldats aiderait à mettre fin aux tueries génocidaires. Cependant, les auteurs du génocide ont pu poursuivre les massacres et <a href="https://www.hrw.org/reports/1996/Zaire.htm">fuir</a> vers le Zaïre voisin.</p>
<h2>Gestes de bonne volonté</h2>
<p>Les retombées politiques du génocide de 1994 resteront au cœur des relations entre le Rwanda et la France pendant un certain temps encore. Mais les signes sont prometteurs. Un premier pas d’importance a été accompli en 2019 avec la création de la <a href="https://www.voanews.com/europe/report-frances-role-rwandas-genocide-fails-lay-rest-dark-past">Commission Duclert</a> pour enquêter sur le rôle de la France dans le génocide.</p>
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<p>Le rapport de la commission exprime des doutes raisonnables quant au fait que le gouvernement français était pleinement conscient de la manière dont ses relations avec le régime Habyarimana et la formation des forces Interahamwe conduiraient au génocide. Il reconnaît néanmoins l’implication de la France dans les événements qui ont conduit aux massacres.</p>
<p>Le gouvernement rwandais <a href="https://www.gov.rw/blog-detail/statement-on-the-release-of-the-duclert-commission-report">a accepté</a> les conclusions du rapport et a souligné l’importance de ce dernier pour aider à restaurer la confiance entre les deux nations.</p>
<p>M. Macron et l’actuel président rwandais Paul Kagame se sont récemment <a href="https://www.nytimes.com/2021/05/27/world/africa/france-rwanda.html">rencontrés</a> en France. Macron a publiquement dit sa volonté d’avoir des relations <a href="https://www.france24.com/en/video/20210527-replay-france-s-macron-meets-rwanda-s-kagame-to-turn-page-on-post-genocide-tensions">amicales</a> avec son homologue rwandais.</p>
<p>Au cours de la visite d’État du président français au Rwanda, des <a href="https://www.newtimes.co.rw/news/rwanda-france-sign-two-bilateral-agreement">accords</a> importants ont été conclus entre les deux pays – par exemple un accord de coopération bilatérale signé entre les ministres des Affaires étrangères des deux nations, ainsi qu’un soutien financier au développement et à la lutte contre le Covid-19.</p>
<p>Mais pour les Rwandais, l’un des moments clés a été la visite de Macron au Mémorial du génocide de Kigali. Bien que cela puisse ne pas sembler être un avantage tangible en matière de politique étrangère, ce déplacement a une influence significative sur la perception que les Rwandais ont de la France – une perception qui oscille entre hésitation, scepticisme et haine ouverte de la France.</p>
<p>Pour de nombreux Rwandais, la France est associée à une période de l’histoire de leur pays qui a été marquée par les haines ethniques, l’instabilité et la dictature d’Habyarimana. Beaucoup tiennent encore la France pour responsable de l’aide apportée à l’idéologie destructrice du génocide.</p>
<p>Il faudra du temps pour que les Rwandais, en particulier ceux qui ont souffert ou été témoins du génocide, fassent à nouveau confiance à la France. Emmanuel Macron devra être conscient de ces défis et du fait que les relations franco-rwandaises nécessiteront du temps, des gestes de bonne volonté et des actions concrètes visant à remédier au passé.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161787/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Beloff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il faudra du temps pour que les Rwandais, en particulier ceux qui ont souffert ou été témoins du génocide, fassent à nouveau confiance à la France.Jonathan Beloff, SOAS, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1595502021-05-14T15:01:42Z2021-05-14T15:01:42ZHomard bleu et macaron à la rose… Ces aliments rois de la politique<p>Du homard bleu, de la volaille de Bresse et du macaron à la rose… Le tout servi dans une porcelaine de Sèvres dans la galerie des Glaces du château de Versailles. </p>
<p>C'est un menu royal qui a été servi à Charles III et à Camilla pour leur visite officielle en France de trois jours. </p>
<p>Mais au delà du faste et du prestige, l’alimentation a toujours entretenu un <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782200354701-aux-tables-du-pouvoir-des-banquets-grecs-a-l-elysee-albert-j-m/">lien étroit</a> avec la politique. Aussi bien pour les simples <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/diners-clandestins-marlene-schiappa-pour-sanctionner-des-ministres-s-ils-y-participaient-20210404">dîners en ville</a> que pour les banquets républicains.</p>
<p>La table est un espace de pouvoir qui sert à mobiliser des réseaux, afficher sa puissance et porter un <a href="http://www.persee.fr/issue/rfsp_0035-2950_1998_num_48_3">discours politique</a> à travers ce que l’on mange et ce que l’on boit.</p>
<p>Pour le <a href="https://data.bnf.fr/fr/16605002/jean_anthelme_brillat-savarin_la_physiologie_du_gout/">célèbre gastronome Anthelme Brillat-Savarin</a></p>
<blockquote>
<p>« Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s’est décidé dans un banquet. Ceci n’est ni un paradoxe, ni même une nouveauté, mais une simple observation des faits. Qu’on ouvre tous les historiens, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, et on verra que, sans même en excepter les conspirations, il ne s’est jamais passé un grand événement qui n’ai été conçu, préparé et ordonné dans les festins. »</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, au fil des siècles et des régimes politiques, des aliments et des plats ont été revêtus d’un sens politique fort dont les évolutions s’inscrivent tout à la fois dans les transformations de la gastronomie française et de l’histoire politique de la France.</p>
<h2>Afficher son pouvoir</h2>
<p>La profusion des mets est considérée pendant des siècles comme un signe évident de puissance. Sur les tables royales au Moyen-Âge, l’abondance et la prodigalité permettent au roi de montrer qu’il est le premier des seigneurs. La profusion de nourriture impose une hiérarchie. Mais, la rareté des aliments servis participe aussi du prestige de la table pour les différents pouvoirs, notamment à travers <a href="https://www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1983_num_2_5_933">l’emploi d’épices en nombre</a> (girofle, cannelle, muscade).</p>
<p>Il s’agit d’avoir ce que les autres n’ont pas. Lorsque <a href="http://www.potager-du-roi.fr/site/pot_histoire/table_royale.htm">Louis XIV réclame des petits pois</a> en primeurs cultivés dans le potager du roi à Versailles, il montre ainsi qu’il peut tout contrôler, même la nature. Pendant longtemps, le luxe fut une caractéristique majeure des tables des politiques.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les Grandes Chroniques de France de Charles V.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Banquet_Charles_IV.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
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<p>Les mets les plus recherchés, les plus rares, les plus prisés se devaient d’y figurer. Au Moyen-Âge, paons, hérons, cygnes ou marsouins sont présentés comme des mets d’exception, véritables spectacles, lors des banquets princiers comme ceux donnés au milieu du XV<sup>e</sup> siècle à la <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/public/files/Ducs-Bourgogne_2009-05-23_HISTOIRE_ET_IMAGES_MEDIEVALES_.pdf">cour de Bourgogne</a> par Philippe le Bon puis Charles le Téméraire pour <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_2002_num_57_5_280111_t1_1367_0000_3">éblouir leurs invités</a>.</p>
<p>Toutes les institutions politiques assoient leur prestige sur des repas d’apparat. Dans la France du XVIII<sup>e</sup> siècle, les <a href="https://feret.com/livre/banquets-gastronomie-et-politique-dans-les-villes-de-province-xive-XXe-siecles/">corps de ville donnent des banquets</a> où sont présentés les plats à la mode du temps comme des poulardes aux huîtres, des tourtes de pigeons garnies de truffes et de champignons ou des pâtés chauds de bécasses.</p>
<p>Ils affichent ainsi leur pouvoir et le prestige de la cité. Au moment de la Révolution, ces fastes culinaires suscitent néanmoins des critiques. Les caricatures de Louis XVI le présentent ainsi comme un affameur du peuple contraint de lui fournir les nourritures les plus précieuses (vins de Bordeaux, Champagne, pâtés de canards d’Amiens, etc.).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397032/original/file-20210426-13-b4d42e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397032/original/file-20210426-13-b4d42e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397032/original/file-20210426-13-b4d42e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397032/original/file-20210426-13-b4d42e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397032/original/file-20210426-13-b4d42e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397032/original/file-20210426-13-b4d42e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397032/original/file-20210426-13-b4d42e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Ci devant Grand Couvert de Gargantua Moderne en Famille vers 1791.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/le-ci-devant-grand-couvert-de-gargantua-moderne-en-famille#infos-principales">parismuseescollections.paris.fr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Se distinguer</h2>
<p>Les aliments ont une dimension symbolique forte dans une société d’ordres marquée par les hiérarchies. La consommation de gibiers à plumes représente ainsi un trait distinctif des tables des élites politiques de l’Ancien Régime. Les perdrix, les grives ou les cailles sont placées au sommet d’une hiérarchie des aliments fondée, dans une perspective religieuse, sur la proximité avec le ciel. Dictée par un <a href="https://www.armand-colin.com/lalimentation-en-europe-lepoque-moderne-9782200244071">principe d’incorporation et d’élévation spirituelle</a>, leur consommation, comme celle des fruits, est jugée plus raffinée que celle des nourritures qui poussent dans la terre (légumes, tubercules).</p>
<p>Mais ces oiseaux renvoient aussi aux privilèges nobiliaires et à l’exercice de droits seigneuriaux à travers la chasse, synonyme de pouvoir, qui différencie la noblesse du peuple.</p>
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<figcaption><span class="caption">Maité explique comment manger l’ortolan à la serviette (INA, 1987).</span></figcaption>
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<p>Cette valorisation gastronomique lorsqu’elle est associée au goût de l’interdit, comme, à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, dans le cas de François Mitterrand et des <a href="https://www.commentaire.fr/boutique/achat-d-articles/le-petit-oiseau-du-paradis-6290">ortolans</a> (petits oiseaux interdits de chasse, engraissés, puis rôtis qu’il fallait manger en entier), devient l’illustration d’un pouvoir politique hors du droit commun.</p>
<h2>Entretenir ses réseaux d’influence</h2>
<p>Le choix des aliments par et pour les hommes de pouvoir intervient aussi dans l’entretien des réseaux d’influence. Durant l’Ancien Régime, il est ainsi d’usage pour les villes de province d’honorer la famille royale, le contrôleur général des finances, les ministres ou les intendants par des présents en début d’année ou lors de visites officielles.</p>
<p>Pour les villes, <a href="https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_2006_num_25_1_2579">ces dons</a> auxquels sont consacrées parfois des sommes importantes, sont un moyen de s’assurer la protection et la bienveillance des puissants. Chacune offre alors des aliments jugés emblématiques de la gastronomie locale et dignes d’être envoyés à de grands personnages : Périgueux offre ainsi des pâtés de perdrix aux truffes, Bayonne des jambons, Amiens des pâtés de canards, Montélimar des nougats blancs, Reims des vins de Champagne, etc.</p>
<p>La table peut également servir à montrer la cohésion politique de la nation comme lors du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/histoire-de-la-cuisine-34-les-banquets-republicains">célèbre banquet des maires</a> de France dans les jardins des Tuileries à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 en pleine période troublée de <a href="https://www.lemonde.fr/un-jour-un-festin/article/2020/08/18/un-jour-un-festin-en-1900-le-banquet-des-maires_6049195_6046388.html">l’affaire de Dreyfus</a> et de contestations de la République. Les plats servis aux 22 000 convives symbolisent une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1998_num_48_3_395283">démarche fédératrice</a> en rassemblant les plats emblématiques de la grande cuisine française de l’époque (darnes de saumon glacées parisiennes, filet de bœuf en Bellevue) et les aliments qui font la réputation des régions françaises (canetons de Rouen, poulardes de Bresse).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">22 000 convives ont pris part au grand banquet des maires de France, le 22 septembre 1900.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/grand-banquet-1900-maires-de-france#infos-principales">www.parismuseescollections.paris.fr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Cuisine et communication politique</h2>
<p>L’alimentation sert de point d’appui à un discours politique ; elle peut être porteuse d’un message ou bien support de critiques comme contre Louis XVI.</p>
<p>Les nombreux banquets organisés sous la III<sup>e</sup> République au lendemain de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace-Lorraine témoignent souvent d’un choix politique des mets.</p>
<p>Saumons du Rhin ou écrevisses de la Meuse figurent, par exemple, au menu du banquet offert par la ville de Cahors à Léon Gambetta, président de la Chambre des députés le 28 mai 1881. La dénomination des plats sert à ancrer malgré tout les provinces perdues dans la gastronomie nationale.</p>
<p>Avec la V<sup>e</sup> République et la médiatisation des chefs étoilés, les liens entre la cuisine et la politique demeurent toujours très étroits. Suivant les évolutions de l’art culinaire, le luxe et l’abondance ne sont plus seulement les fondements de la distinction. La dimension politique s’exprime surtout dans les valeurs associées aux nourritures choisies. En 1975, à l’occasion de la remise de sa Légion d’honneur par Valérie Giscard d’Estaing, le chef Paul Bocuse crée une soupe aux <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/lhistoire-derriere-la-celebre-soupe-aux-truffes-vge-concue-pour-valery-giscard-destaing_fr_5fc8e158c5b66bc57467e50b">truffes noires</a> qu’il baptise « Soupe aux truffes VGE » en l’honneur du président.</p>
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<figcaption><span class="caption">La recette de la soupe « VGE ».</span></figcaption>
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<p>Cet épisode montre que l’alimentation des présidents de la République devient un <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/28042017/les-menus-presidentiels?mode=desktop">objet politique</a>. Ceux-ci savent alors s’en emparer pour façonner leur image, soit du côté du raffinement et de l’excellence française, soit, à l’inverse, en affichant l’image plus populaire d’un amateur de <a href="https://www.lhistoire.fr/au-club-de-la-t%C3%AAte-de-veau-0">tête de veau</a> comme Jacques Chirac, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-tripiers-de-france-rendent-hommage-a-leur-meilleur-ambassadeur-de-la-tete-de-veau_fr_5d8cb4c8e4b0e9e760486862">promoteur de la cuisine de terroir</a>, expression politique de l’ancrage et de la proximité.</p>
<p>Aliments et spécialités culinaires deviennent alors support d’une communication politique, plus ou moins maîtrisée, que l’on retrouve des campagnes électorales aux visites médiatiques au salon de l’agriculture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Meyzie a reçu des financements du Conseil Régional Nouvelle-Aquitaine</span></em></p>Au fil des siècles et des régimes politiques, les aliments ont été revêtus d’un sens politique fort, lié aux évolutions tant gastronomiques que politiques.Philippe Meyzie, Maître de conférences HDR en histoire moderne, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1593702021-05-06T18:23:18Z2021-05-06T18:23:18ZIl y a 40 ans, la gauche arrivait au pouvoir dans une société en pleine transformation<p>Depuis l’élection présidentielle de 2017, la <a href="https://www.marianne.net/politique/gauche/a-un-an-de-la-presidentielle-la-deroute-annoncee-de-la-gauche">gauche</a> est au plus bas dans les sondages et elle apparaît toujours très divisée. Lors de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/17/apres-la-premiere-reunion-des-gauches-les-participants-decident-de-se-retrouver-fin-mai_6077147_823448.html">réunion des gauches</a> du 17 avril pour évoquer la présidentielle de 2022, l’objectif était surtout de définir un cadre de respect mutuel entre candidats, mais pas d’élaborer un programme et une candidature commune au premier tour.</p>
<p>Ces fortes divisions ne sont pas nouvelles. La nouveauté réside surtout dans le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/presidentielle-2022-la-gauche-apparait-tres-affaiblie-a-15mois-du-scrutin-selon-notre-sondage_4281999.html">déclin persistant</a> de la gauche (elle ne réunit aujourd’hui qu’entre 25 % et 30 % des intentions de vote, alors qu’il y a exactement 40 ans, elle remportait la présidentielle avec François Mitterrand. Cette victoire a des explications structurelles économiques et sociales de long terme mais aussi des aspects politiques plus conjoncturels.</p>
<h2>Une victoire liée à une crise économique, après les 30 Glorieuses</h2>
<p>À sa troisième tentative, après 23 ans de V<sup>e</sup> République dirigée par les gaullistes et la droite, François Mitterrand gagnait l’élection présidentielle de 1981. Après avoir dissous le Parlement, il obtenait une large majorité législative, dans sa dynamique de victoire. Il avait donc les coudées franches pour impulser <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/cinquieme-republique-les-annees-mitterrand-1981-1995/">ses réformes</a>.</p>
<p>Depuis la guerre, la population avait beaucoup augmenté, grâce à un fort excédent des naissances mais aussi au solde migratoire. L’agriculture, qui représentait autour d’un quart de la population active en 1945, n’en occupe plus que <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/08/01/la-fin-des-paysans-par-laetitia-clavreul_1079462_3232.html">7 % en 1981</a>. Les ouvriers en constituent encore 30 % et les employés, en hausse, 25 %, comme les professions intermédiaires (18 %) et les cadres (8 %). La France est de plus en plus urbaine avec une explosion de nouveaux quartiers périphériques.</p>
<p>Le niveau de vie avait fortement augmenté, donnant naissance à une société dite de consommation, avec une forte diffusion des <a href="https://www.1jour1actu.com/culture/electromnager__les_femmes_libres_par_les_robots">appareils ménagers</a> et de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_de_la_t%C3%A9l%C3%A9vision_fran%C3%A7aise">télévision</a>, la construction de très nombreux logements équipés du confort moderne (alors qu’à la sortie de la guerre, seul un quart des logements étaient équipés d’un WC et 10 % d’une douche ou d’une baignoire), l’accès fréquent à la <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1970_num_16_1_1994">voiture familiale</a>, le développement des <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1962_num_3_4_6151">loisirs</a>. Environ 50 % de la population est propriétaire de son logement.</p>
<p>À l’époque, on a parfois parlé d’un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/01/08/l-ouvrier-s-embourgeoise-t-il_2557125_1819218.html">« embourgeoisement de la classe ouvrière »</a> mais il faut surtout insister sur la montée de <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1983_num_24_4_6980">« nouvelles classes moyennes salariées »</a>. Les études s’allongent : si seulement 5 % d’une classe d’âge obtenaient le baccalauréat en 1950, c’est le cas de 25 % en 1979 et de 80 % aujourd’hui. Ces générations plus éduquées aspirent à une plus grande qualité de vie et à davantage de libertés.</p>
<p>Avec les « chocs pétroliers », la fin de la décennie 70 est marquée par des difficultés économiques, la croissance faiblit, l’inflation s’installe (plus de 10 % par an), la désindustrialisation du pays commence avec la crise sidérurgique, le chômage devient très important (on passe de 400 000 chômeurs en 1974 à 2 millions en 1981), l’immigration est stoppée, les prix sont provisoirement bloqués, les impôts des plus fortunés augmentés. Tous ces problèmes font baisser la popularité du président Giscard d’Estaing en fin de <a href="https://theconversation.com/valery-giscard-destaing-le-dernier-des-grands-notables-de-la-droite-liberale-149306">septennat</a> et contribuent à la victoire du candidat socialiste. Mais ce n’est pas la seule explication.</p>
<h2>Un système de valeurs en pleine mutation</h2>
<p>Du fait du développement économique des Trente Glorieuses, le système de valeurs des Français est aussi en pleine mutation. Cette <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt13x18ck">« révolution silencieuse »</a> est initiée par la génération du <em>baby boom</em> qui atteint l’âge adulte <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/generation-sans-pareille-les-baby-boomers-de-1945-nos-jours">à la fin des années 60</a>. La révolte étudiante de <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1969_num_10_1_1484">mai 1968</a> accélère un mouvement de transformation des valeurs commencé antérieurement.</p>
<p>Cette première modernisation de la société française favorise plutôt la gauche, qui défend la libéralisation des mœurs contre les idées traditionnelles. Celle-ci avait gagné les cantonales de 1976 et les municipales de 1977 et avait <a href="https://www.cairn.info/france-de-gauche-vote-a-droite--9782724605532.htm">failli emporter les législatives de 1978</a> malgré la division de la gauche.</p>
<p>La bascule politique s’accomplit en 1981, François Mitterrand obtenant 51,8 % des suffrages exprimés au second tour et une très <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1986_num_10_1_1562_t1_0134_0000_2">confortable majorité parlementaire</a>.</p>
<h2>Une France déjà peu religieuse</h2>
<p>Si une première modernisation a eu lieu, la France reste encore assez traditionnelle dans de nombreux domaines, comme le montrent les chiffres de l’enquête sur les <a href="https://www.valeurs-france.fr">valeurs des Français et des Européens</a>. La sécularisation avait commencé dès les années 60 mais le poids du catholicisme reste important : 37 % disaient en 1952 aller à la messe tous les dimanches contre 12 % en 1981. Si 71 % se déclaraient catholiques en 1981, seulement 32 % l’affirment encore aujourd’hui. 10 % se sentaient « athée convaincu » en 1981, 23 % actuellement. La religion était déjà largement désinstitutionnalisée, à distance du credo des grandes religions. Ne subsiste souvent qu’une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1985_num_26_1_3922">« spiritualité ou religiosité diffuse »</a>.</p>
<p>Les catholiques votaient alors très massivement à droite. En 1981, au second tour de l’élection présidentielle, seulement 20 % des catholiques pratiquants hebdomadaires ont voté pour François Mitterrand, alors que 88 % des sans religion ont fait de même. Les choix religieux et politiques sont donc très liés et le déclin du catholicisme fait perdre des soutiens électoraux à la droite.</p>
<p>La laïcité et l’islam ne sont pas alors des sujets de crispation aussi forts qu’aujourd’hui même si François Mitterrand proposait d’intégrer l’enseignement catholique dans un grand service public national, ce qui n’était pas pour plaire aux croyants.</p>
<p>Il y a renoncé en 1984 après une grande manifestation de l’enseignement catholique, réunissant un million de personnes. La grande période de crispation de la politique française remonte à la négociation de la séparation des Églises et de l’État.</p>
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<figcaption><span class="caption">INA, manifestation pour l’école catholique privée, 1984.</span></figcaption>
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<p>Il faudra d’ailleurs attendre 1946 pour que le catholicisme accepte la laïcité, inscrite alors dans la Constitution, signant – au moins pour un temps – la fin du <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-1-page-55.htm">« conflit des deux France »</a>.</p>
<h2>Famille et travail, des valeurs fortes</h2>
<p>La conception de la morale avait déjà beaucoup changé, n’étant plus considérée comme un ensemble de principes absolus. Deux tiers des Français estimaient qu’il faut agir selon les circonstances et non en fonction de principes intangibles. En matière de mœurs, le relativisme se développe : la « cohabitation hors mariage » devient beaucoup plus <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1996_num_51_3_6078">fréquente</a> (mais elle est souvent suivie par une légalisation), les grands enfants s’émancipent de la tutelle parentale. Le divorce et l’avortement commençaient à être largement acceptés. Seulement 27 % rejetaient totalement l’euthanasie, qui n’est pourtant pas encore légalisée aujourd’hui, même si le <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/deputes-adoptent-larticle-leuthanasie-pas-texte-fin-vie-2021-04-09-1201150098">débat parlementaire a commencé</a>. Par contre la condamnation de l’homosexualité restait forte : 49 % la disaient jamais justifiée.</p>
<p>La famille était – <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2018-1-page-163.htm">comme aujourd’hui</a> – un lieu très valorisé de <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1990_num_32_4_2532_t1_0588_0000_3">construction de soi et de ressourcement</a>, avec un conjoint et des enfants plus nombreux qu’aujourd’hui. Mais ce bel idéal produit aussi des désillusions, le divorce était depuis 1965 en forte hausse, souvent suivi par une nouvelle union, pour trouver le bonheur familial auquel beaucoup aspirent. Les familles monoparentales ou recomposées augmentent aussi.</p>
<p>En 1981, l’égalité entre hommes et femmes et le partage des rôles sont encore loin d’être la norme. Seulement 33 % jugent important de partager les tâches ménagères (46 % aujourd’hui). 67 % estiment qu’une femme a besoin d’avoir des enfants pour s’épanouir et 85 % que ceux-ci ont besoin d’avoir un père et une mère pour être heureux.</p>
<p>Le travail était aussi un domaine de la vie jugé très important parce qu’il assure des ressources financières régulières et constitue un lieu central de sociabilité. Le temps de travail n’a cessé de baisser : on est passé de 45 heures hebdomadaires en 1950 à 40 en 1981 et 35 aujourd’hui.</p>
<p>C’est au début de la présidence mitterrandienne qu’une cinquième semaine de congés payés est accordée et la durée légale du travail ramenée à 39 heures hebdomadaires, permettant un surcroît de loisirs. Les attentes à l’égard du travail sont déjà multiples. Il doit assurer un bon niveau de salaire et être stable pour éviter le chômage, mais il doit aussi être intéressant et permettre au salarié de développer ses capacités et ses relations sociales.</p>
<p>La préférence nationale à l’embauche est alors jugée normale par 61 % contre 42 % aujourd’hui, ce qui indique une acceptation alors plus forte des inégalités entre nationaux et immigrés.</p>
<h2>Une société fragmentée mais beaucoup moins anti-élites</h2>
<p>La société de 1981 était au moins aussi fragmentée que celle d’aujourd’hui. Les grandes idéologies, marxisme d’un côté, libéralisme de l’autre, s’incarnaient dans les partis et leurs programmes. Ceux de 1981 étaient plus clivés que ceux d’aujourd’hui entre les partisans de « changer la vie » et ceux de la continuité, qui n’acceptaient pas le « risque » socialiste.</p>
<p>La société française était en 1981 beaucoup plus conformiste et moins critique à l’égard des élites politiques. Encore 48 % faisaient confiance au Parlement, seulement 34 % en 2018. Les partis politiques n’étaient déjà pas très aimés mais ils avaient un nombre assez important d’adhérents comparé à leur <a href="https://newsroom.univ-grenoble-alpes.fr/the-conversation/the-conversation-la-crise-de-confiance-dans-les-partis-politiques-une-specificite-francaise--819860.kjsp">décrépitude</a> actuelle. Adhérents et militants sont évidemment une ressource très importante pour animer une campagne électorale.</p>
<p>En matière politique, la population française était, comme aujourd’hui, assez modérée, même si les partis étaient plus clivés. Dans leurs opinions, les Français se situaient majoritairement entre gauche et droite modérée mais ils étaient moins volatiles dans leurs <a href="https://www.cairn.info/l-atlas-electoral-2007%E2%80%939782724610116-page-111.htm">choix électoraux</a>.</p>
<p>Depuis 1981, la France a beaucoup changé. On croit beaucoup moins au progrès, le pessimisme et le déclinisme se sont installés durablement, le citoyen déférent d’autrefois est devenu critique mais il s’engage surtout de <a href="https://ville-inclusive.millenaire3.com/billets/comment-les-citoyens-qui-viennent-transforment-la-politique-en-france">manière épisodique</a>.</p>
<p>Si le système partisan a volé en éclat depuis 2017, l’élection présidentielle reste le grand moment de la démocratie représentative à la française. Quelle place la « gauche » peut-elle encore y jouer ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159370/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la victoire présidentielle de 1981, en fonction d’évolutions de long et de court terme. Retour sur une société au milieu du gué, entre tradition et modernité.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1524712021-01-05T19:15:20Z2021-01-05T19:15:20ZLes politiques doivent-ils médiatiser leur vaccination pour nous convaincre ?<p>Rassurer les citoyens en montrant des leaders d’opinion en train de se faire vacciner, est-ce une bonne stratégie de persuasion ?</p>
<p>Relativement à l’efficacité de l’influence, la réponse est affirmative. En revanche, il est peu surprenant que cela fasse débat – en particulier dans des pays où la vulgarisation de l’éthique de la discussion invite les représentants de l’Etat à préférer l’argumentation verbale à la communication émotionnelle avec comme support, le corps mis en scène.</p>
<p>Pour quelles raisons l’exposition ritualisée du corps d’une célébrité tend-elle à devenir une technique d’influence et de persuasion qui se généralise ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vitrail représentant Saint-Louis et son gendre le roi de Navarre" src="https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377182/original/file-20210105-17-sfx1ts.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vitrail représentant Saint-Louis et son gendre le roi de Navarre portant un infirme sur un drap de soie lors de l’installation des malades dans le nouvel Hôtel-Dieu. (Église Saint-Jacques de Compiègne, Oise).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Saint-Louis_et_le_roi_de_Navare_-_Vitrail_de_l%27%C3%A9glise_St-Jacques_de_Compi%C3%A8gne.JPG">Jean‑Pol Grandmont</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Faciliter l’adhésion par l’émotion</h2>
<p>Depuis les travaux fondateurs de Gabriel Tarde, sociologue français du XIX<sup>e</sup> siècle, et en particulier son ouvrage <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/tarde_gabriel/lois_imitation/lois_imitation.html"><em>Les lois de l’imitation</em></a>, le recours à la représentation physique du leader d’opinion pour faciliter l’adhésion par l’émotion est un procédé bien connu.</p>
<p>Il <a href="https://www.augustins.org/documents/10180/15842787/corpsdoc01.pdf">s’avère même très ancien</a>. L’exposition des représentations du corps du Christ et des saint·e·s, des <a href="https://www.cairn.info/le-corps-du-roi--9782262064228.htm">rois et des reines</a>, et même de simples défunts ont tour à tour sidéré les collectifs.</p>
<p>Émouvoir pour faire agir repose sur un besoin social d’imitation afin de se sentir appartenir à un collectif. Toute communauté s’identifie à la figure charismatique ou au leader en qui elle a confiance. Le passage à l’action sur ordre du leader se diffusera par imitation entre les individus qui se sentent ainsi appartenir à la communauté.</p>
<blockquote>
<p>« Un homme énergique et autoritaire exerce sur les natures faibles un pouvoir irrésistible ; il leur offre ce qui leur manque, une direction. Lui obéir n’est pas un devoir, mais un besoin. C’est par là que débute tout lien social. » (Gabriel Tarde, 1890).</p>
</blockquote>
<p>Reprenant les éléments de cette construction anthropologique, depuis plus de vingt ans, le marketing émotionnel au service du capitalisme exploite une technique de communication déconstruite dès 1955 par le sociologue des médias <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Elihu_Katz">Elihu Katz</a>, lui-même nourri par la pensée de Gabriel Tarde.</p>
<h2>Rendre l’apparence spectaculaire</h2>
<p>Par la professionnalisation de la communication, comment accentuer le pouvoir affectif du leader ? En spectacularisant son apparence. La projection affective est d’autant plus aisée qu’elle se trouve sémiotiquement construite afin de déclencher les émotions rassurantes.</p>
<p>La campagne de François Mitterand par Jacques Séguéla « La force tranquille » inaugure l’usage des corps pour déclencher les émotions désirées.</p>
<p>Le recours à l’image de la Reine Élisabeth II pour soutenir les Anglais dans ce moment de crise face à la pandémie repose sur le même mécanisme.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376428/original/file-20201222-21-t19rqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376428/original/file-20201222-21-t19rqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376428/original/file-20201222-21-t19rqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376428/original/file-20201222-21-t19rqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376428/original/file-20201222-21-t19rqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376428/original/file-20201222-21-t19rqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376428/original/file-20201222-21-t19rqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une photo de la reine Élisabeth II trône sur la place de Piccadilly Circus à Londres, peu après son adresse à la nation concernant l’épidémie de Covid-19 en avril 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Isabel Infantes/AFP</span></span>
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<p>En 2021, l’image des corps construits des sportifs, des acteurs et autres célébrités est régulièrement associée à des campagnes de communication dans le but de favoriser l’imitation.</p>
<p>Selon Gabriel Tarde :</p>
<blockquote>
<p>« Toutes les passions l’emportent en contagiosité imitative sur les simples appétits, et tous les besoins de luxe sur les besoins primitifs. »</p>
</blockquote>
<h2>Les réseaux sociaux, surenchère de la médiatisation des émotions</h2>
<p>Au service de la surenchère de médiatisation des émotions, les réseaux sociaux ont exploité ce désir et cette efficacité de la mise en scène de soi pour émouvoir. L’exposition sur les réseaux sociaux de l’intimité scénarisée engendre des sentiments volontairement déclenchés.</p>
<p>Emmanuel Macron est lui-même bien entouré : dans ce selfie très commenté, niché dans un cadre savamment orchestré (le drapeau, le gel sur le bureau) pour être adapté aux réseaux sociaux, la bienveillance, la proximité, l’authenticité, la vulnérabilité, la compassion sont susceptibles d’être physiquement ressenties par les téléspectateurs.</p>
<p>Il apparaît même difficile de résister à ces figures (au sens linguistique du terme) des émotions. On se sent tressaillir malgré nous.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GA97edmgh9o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron positif à la Covid-19.</span></figcaption>
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<p>Le mécanisme est d’autant plus efficace à mesure que le spectateur est anxieux, inquiet, voire apeuré face à une situation qu’il ne maîtrise pas. S’il n’est pas en mesure de décider, car émotionnellement fragilisé, il délègue plus facilement sa confiance sur une personnalité qu’il estime source de confiance, ou qu’il juge authentique. Son jugement repose alors sur les émotions qu’il ressent et dont la valeur de vérité l’emporte sur les arguments verbaux.</p>
<p>La communication des émotions est d’origine animale, elle se transmet entre les corps, dans les termes du professeur d’éthologie des communications humaine <a href="https://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/l-empathie-un-sixieme-sens_sh_30493">Jacques Cosnier, par échoisation corporelle</a>. Ce concept métaphorique construit à partir du radical « écho » permet d’illustrer le fait que la contagion des émotions s’appuie physiquement sur le corps. Cette transmission corporelle et non consciente s’avère très puissante lorsqu’il s’agit d’une passion comme la peur. Une foule apeurée se remarque par la disparition des individus raisonnables. Le leader pourra alors facilement manipuler ces derniers qui délégueront leur confiance par perte de repères.</p>
<p>La puissance de contagion des émotions permet aussi de comprendre pourquoi des dictateurs comme Benito Mussolini ou Adolf Hitler se sont nourris des techniques de captation des foules investiguées par <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-2008-2-page-79.htm">Gustave le Bon</a> afin de manipuler par l’émotion les collectifs.</p>
<p>Les réseaux sociaux numériques (en particulier Instagram et Tiktok) sont des espaces où ne se communiquent des émotions en ayant massivement recours aux corps mis en scène. Et ça marche.</p>
<h2>L’efficacité du corps comme support de com’</h2>
<p>Pour convaincre dans un contexte de crise et donc de grandes angoisses collectives, utiliser le corps des politiques comme support de communication affective s’avère donc très efficace.</p>
<p>Faut-il voir dans ce phénomène un échec de la modernité ? Une argumentation scientifiquement construite ne permet-elle plus de convaincre ? Dans un pays comme la France, creuset de la modernité et plus généralement la vieille Europe marquée par l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique_de_la_discussion#%C3%89thique_de_la_discussion_telle_que_d%C3%A9velopp%C3%A9e_par_Habermas">éthique de la discussion</a> nourrie par les travaux de Jürgen Habermas, cela ne peut que susciter le débat voire être considéré comme totalement inacceptable.</p>
<p>La controverse autour de la mise en scène des politiques en train de se faire vacciner montre à quel point ces questions sont <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/carnet-de-philo/carnet-de-philo-du-lundi-14-decembre-2020">d’actualité</a>.</p>
<p>D’un côté Jair Bolsonaro n’hésite pas à promouvoir le vaccin comme s’il s’agissait d’une publicité pour une grande marque de produits.</p>
<p>D’un autre côté, les derniers articles de presse autour de cet <a href="https://www.lci.fr/sante/le-pdg-de-pfizer-a-t-il-refuse-de-se-faire-vacciner-comme-le-dit-nicolas-dupont-aignan-2173571.html">interview du PDG de Pfizer</a>, soulignant qu’il préfère attendre avant de se faire vacciner, ont été immédiatement interprétés comme le signe qu’il faut se méfier du vaccin.</p>
<p>Cet exemple révèle aussi, comme en miroir, l’efficacité de l’exemplarité du leader en tant que technique de communication de la confiance.</p>
<p>Pourquoi les institutions et en particulier le système éducatif ne forment-ils pas plus les individus à la compréhension des mécanismes de la communication des émotions ?</p>
<p>Or, enseignant depuis plus de vingt à l’université, je ne peux que constater le manque d’enseignements sur ce domaine. L’éducation somatique et émotionnelle est absente des cursus car trop souvent assimilée à du <a href="https://www.sfsic.org/publication/laventure-du-corps">développement personnel</a>.</p>
<p>La demande est pourtant très forte de la part des étudiants en formation initiale et continue pour apprendre à identifier, dissocier, mettre des mots sur leurs sensations, leurs pulsions, les émotions, leurs sentiments et savoir analyser la manière dont une stratégie de communication <em>via</em> différents médias s’appuie sur des émotions pour faire agir sans réfléchir.</p>
<hr>
<p><em>L’autrice vient de publier <a href="https://www.sfsic.org/publication/laventure-du-corps">« L’aventure du corps. La communication corporelle, une voie vers l’émancipation »</a>, Grenoble, PUG.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabienne Martin-Juchat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le recours à la représentation physique du leader d’opinion pour faciliter l’adhésion par l’émotion est un procédé bien connu.Fabienne Martin-Juchat, Professeure en sciences de l'Information et de la communication, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1493062020-12-03T07:34:57Z2020-12-03T07:34:57ZValéry Giscard d’Estaing, le dernier des grands notables de la droite libérale<p>Valéry Giscard d’Estaing, décédé le 2 décembre des suites de la Covid-19 à l’âge de 94 ans, était l’héritier d’une grande famille de notables politiques, ayant occupé – de génération en génération – de nombreux postes dans la haute fonction publique et au Parlement.</p>
<p>À l’été 1944, le jeune Valéry, élève de classe préparatoire à Louis-le-Grand, participe à la Libération de Paris et s’engage dans la 1<sup>re</sup> armée française. À l’automne 1945, il reprend ses études et va intégrer Polytechnique d’abord, l’ENA ensuite.</p>
<p>Sorti dans la botte en 1951, il choisit <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/membres/valery-giscard-d-estaing">l’inspection des finances</a>. Après un bref passage en cabinet ministériel (comme directeur adjoint du cabinet d’Edgar Faure, président du conseil), il se présente aux élections législatives de 1956 et est élu à 30 ans député du Puy-de-Dôme, terroir d’ancrage familial. Il siège parmi les élus du Centre national des Indépendants et Paysans (CNIP), parti de droite conservateur et libéral, sans idéologie très construite.</p>
<p>Il vote l’investiture au général de Gaulle en 1958 et devient secrétaire d’État aux finances, en appui d’Antoine Pinay, ministre des Finances et des Affaires économiques. Il sait se faire apprécier dans les arcanes gouvernementaux et devient ministre de l’Économie et des Finances en 1962. Il crée alors les Républicains indépendants, groupe issu du CNIP mais qui, à la différence d’une grande partie de ses élus et de toute la classe politique traditionnelle, continue de soutenir de Gaulle : il est favorable à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, ce qui donne une nouvelle dimension à la V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>La route vers la présidentielle</h2>
<p>Ayant mené une politique de rigueur budgétaire qui mécontente une partie de l’opinion, Valéry Giscard d’Estaing n’est pas renouvelé dans ses fonctions ministérielles début 1966, ce qui lui permet d’affirmer une stratégie de « oui, mais » à la majorité gaulliste. Il souhaite un fonctionnement plus libéral des institutions, une politique économique plus moderne et davantage de construction européenne.</p>
<p>Il veut avec cette attitude de soutien critique renforcer progressivement le poids des Républicains indépendants dans la majorité pour devenir le fédérateur d’une future majorité allant de la droite au centre. En 1969, lorsque le général de Gaulle organise un référendum sur la réforme des régions et du Sénat, il prône l’abstention ou le vote négatif, contribuant ainsi à la démission de De Gaulle. Pendant le mandat de Gorges Pompidou (1969-1974), il retrouve le ministère de l’Économie mais continue à jouer sa partition en faveur d’une majorité élargie, ouverte aux centristes.</p>
<p>Lors de la présidentielle de 1974, ayant renforcé son influence dans la majorité, il estime son heure venue. Il fait campagne sur les besoins de changements, sans les risques du programme commun de la gauche. Il supplante très largement au premier tour le gaulliste Jacques Chaban-Delmas. Il <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mY8267pz_Bw">est élu</a> au second tour – à seulement 48 ans – dans un scrutin très serré contre François Mitterrand.</p>
<p>La stratégie du leader des Républicains indépendants de phagocytage progressif de la majorité gaulliste et de construction d’une candidature présidentielle crédible, lancée dès 1962, a donc abouti avec d’ailleurs le soutien – provisoire – de Jacques Chirac et d’une partie des gaullistes qui ont lâché leur propre candidat.</p>
<h2>Un septennat, des réformes et une « société libérale avancée »</h2>
<p>Le début de son septennat va être marqué par de <a href="https://www.letelegramme.fr/france/les-principales-reformes-du-septennat-de-giscard-d-estaing-03-12-2020-12666472.php">nombreuses réformes</a>. Il veut symboliser le changement par un style plus simple et décrispé, ce qui se traduit par la médiatisation de repas dans des familles de catégories moyennes ou populaires.</p>
<p>Il instaure pour la première fois un <a href="https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/actualites/en-1974-vge-cree-un-ministere-pour-les-femmes-la-senatrice-en-devient-titulaire-sous-mitterrand_1904857/">ministère de la condition féminine</a> et impulse plusieurs réformes sociétales importantes. L’âge de la majorité, électorale et civile, est abaissé à 18 ans, ce qui est une manière de reconnaître l’importance de la jeunesse. L’avortement est légalisé, ainsi que le divorce par consentement mutuel. Les contraceptifs seront remboursés par la Sécurité sociale. Les réformes touchent aussi les institutions. Il élargit notamment la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour s’opposer à la promulgation d’une nouvelle loi, ce qui renforce le pouvoir de l’opposition.</p>
<p>Il instaure aussi l’élection d’un maire pour la ville de Paris, celle-ci ne sera donc plus sous la tutelle de l’État. Il fait éclater le monopole de la radiotélévision (l’ORTF) en sept sociétés publiques autonomes. Il augmente fortement – à plusieurs reprises pendant son septennat – le minimum vieillesse. Il arrête l’immigration légale mais veut favoriser une politique d’intégration conduite – pour la première fois – par un secrétaire d’État aux travailleurs immigrés.</p>
<p>Il précise <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/12/03/mort-de-valery-giscard-d-estaing-le-destin-facetieux-du-president-moderne_6061999_3382.html">sa conception</a> de la société – une « société libérale avancée » – et son ambition pour la France dans Démocratie française (1976). L’État doit favoriser la croissance économique, il doit être au service du dynamisme des acteurs économiques et impulser de grands investissements industriels modernisateurs, comme le TGV ou la filière nucléaire.</p>
<p>Selon lui, le pays n’est plus clivé entre bourgeoisie et prolétariat, il est de plus en plus dominé par les classes moyennes salariées. Le pouvoir doit répondre aux aspirations de ce grand groupe central, en développant les libertés individuelles, en favorisant l’épanouissement personnel et la qualité du cadre de vie. Il faut « gouverner au centre ».</p>
<p>Beau programme, mais à partir de 1976, Valéry Giscard d’Estaing va devoir faire face à la dégradation de la situation économique, avec une forte inflation et une hausse spectaculaire du chômage. Le plan d’austérité mis en place par Raymond Barre, Premier ministre et ministre de l’Économie et des Finances, instaure un blocage provisoire des prix et une hausse des impôts des plus fortunés.</p>
<p>Pour réduire le chômage, le gouvernement finance des programmes de formation professionnelle. Il crée aussi le <a href="https://www.telerama.fr/idees/1974-giscard-a-la-barre-6749777.php">contrat de travail à durée déterminée (CDD)</a> au nom du libéralisme économique. Il freine les possibilités de regroupement familial des immigrés et met en place des mécanismes de retour au pays, volontaire ou forcé. La popularité du président souffre fortement de cette crise économique qu’il ne parvient pas à maîtriser.</p>
<p>Dans le même temps, le président Giscard d’Estaing doit affronter des critiques de plus en plus fortes des partisans de Jacques Chirac et de la gauche, dont l’union est pourtant chancelante. Il réussit cependant à garder une majorité à l’issue des élections législatives de 1978 et même à renforcer le poids du centre et de la droite libérale, réunie dans l’Union pour la Démocratie française (UDF), fédération de partis qu’il lance à la veille des élections.</p>
<h2>La politique européenne et la fin de l’aventure présidentielle</h2>
<p>Les débats internes à la majorité se jouent notamment sur la politique européenne. Giscard d’Estaing a toujours été un <a href="https://www.valery-giscarddestaing.org/engagement-europeen/">chaud partisan de la construction européenne</a>. Il a d’ailleurs, dès son élection, agi pour renforcer la gouvernance européenne, en initiant la création du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement et en oeuvrant pour un système monétaire européen.</p>
<p>Il a aussi soutenu l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct dont le RPR craignait une dérive supranationale. Ses efforts ont été couronnés de succès puisque, dans les urnes européennes, la liste UDF conduite par Simone Veil devance largement celle du RPR, après une campagne clivée entre partisans d’une Europe renforcée et plus intégrée et adeptes d’une Europe des nations.</p>
<p>Aux difficultés économiques qui s’aggravent à la fin de son septennat (second choc pétrolier, crise de la sidérurgie, chômage toujours croissant, forte inflation) s’ajoutent des mises en cause plus personnelles, centrées principalement sur le don de diamants par l’empereur centrafricain Bokassa, diamants qui se sont révélés ultérieurement de moindre valeur qu’annoncé.</p>
<p>Souhaitant exercer un second mandat présidentiel, il est à nouveau opposé à François Mitterrand au second tour. <a href="https://www.elysee.fr/valery-giscard-d-estaing/1981/05/05/face-a-face-televise-entre-mm-valery-giscard-destaing-et-francois-mitterrand-lors-de-la-campagne-officielle-pour-le-second-tour-de-lelection-presidentielle-paris-mardi-5-mai-1981">Il est battu</a> et vivra assez mal cet échec au profit d’une gauche qu’il déteste, trahi par certains responsables gaullistes qui ont préféré faire voter pour le candidat de gauche. Après 23 ans de République gaullienne, il aura incarné une « petite alternance », au nom d’un libéralisme de centre droit.</p>
<p>Il ne renonce pas à la politique et repart à la conquête du pouvoir par l’implantation locale. Il est élu en 1982 conseiller général du Puy-de-Dôme dans son fief de Chamalières (dont il avait été maire de 1967 à 1974), puis en 1984 il redevient député de ce département, mandat qu’il exercera jusqu’en 2002 (simplement interrompu de 1989 à 1994 du fait de son mandat de député européen). Il est aussi président de la région Auvergne de 1986 à 2004.</p>
<p>Son retour en politique passe aussi par un <a href="https://editions.flammarion.com/deux-francais-sur-trois/9782080646613">nouvel essai</a> : « Deux Français sur trois » (1984) qui prolonge son ouvrage-programme de 1976. Il le dit lui-même : « C’est l’objet de ce livre : concevoir un dessein national conciliant la générosité et l’efficacité et répondant aux aspirations de deux Français sur trois. Je veux servir la cause d’une France libérale et réconciliée ».</p>
<p>Il renonce pourtant à de se représenter à l’élection présidentielle de 1988, jugeant ses soutiens insuffisants, mais il anime la campagne de la majorité aux élections législatives qui suivent. Il conduit une liste d’union UDF-RPR aux élections européennes de 1989. Il exerce la présidence de l’UDF de 1988 à 1996, la fédération de partis qu’il avait fondée en 1978, contribuant notamment à un rééquilibrage entre RPR et UDF aux législatives de 1993, gagnées par les deux partis. Il hésite aussi à se représenter à la présidentielle de 1995 mais renonce à nouveau pour les mêmes raisons qu’en 1988. En 1999-2000, il réussit à imposer à Jacques Chirac, président de la République, la réduction du mandat présidentiel à 5 ans.</p>
<h2>Référendum</h2>
<p>En 2001, il est choisi comme président d’une Commission européenne, chargé de préparer un traité constitutionnel pour l’Union. Il est alors au centre des négociations sur la Constitution européenne et s’engage ensuite activement dans le soutien en faveur <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/mort-de-vge-disparition-d-un-europeen-convaincu-7800933493">du oui au référendum français</a> sur ce projet. Très favorable à un approfondissement de l’intégration européenne, il est très réticent à l’égard des élargissements successifs de l’Union, qui en transforment selon lui la nature.</p>
<p>Battu aux élections régionales de 2004 et n’exerçant plus de fonctions électives, il va siéger au Conseil constitutionnel, dont il était membre de droit depuis 1981 en tant qu’ancien président de la République. Ce qui l’oblige à un certain devoir de réserve dont il sort pour soutenir Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007 plutôt que le centriste François Bayrou. Il est élu à l’Académie française en 2004 et écrit plusieurs romans, pas très bien reçus par les critiques.</p>
<p>Valéry Giscard D’Estaing restera le symbole d’un grand héritier qui a su secouer une France traditionnelle et impulser une modernisation libérale ouverte sur l’intégration européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>VGE prônait une « société libérale avancée » dans laquelle l’État doit favoriser la croissance. Il a également engagé de nombreuses réformes et ouvert la voie de l’Europe.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412332020-06-24T21:18:51Z2020-06-24T21:18:51ZLe « péril rouge », un discours politique de droite à la finalité bien particulière<p>Ces dernières semaines, les élections municipales ont entraîné un changement de ton dans les discours de certains candidats Les Républicains (LR).</p>
<p>À Marseille, Martine Vassal appelle à l’union face au <a href="https://madeinmarseille.net/68130-comment-la-droite-tente-de-sauver-marseille-du-peril-rouge-municipales-second-tour/">« péril rouge »</a> que constituent la gauche et les <a href="https://madeinmarseille.net/68130-comment-la-droite-tente-de-sauver-marseille-du-peril-rouge-municipales-second-tour/">« extrêmes »</a> de la liste d’union de gauche, le Printemps Marseillais, menée par Michèle Rubirola. Le 18 juin à Lille, c’est le chef de la liste divers droite (DVD) Thierry Pauchet qui se rallie à un vote « de raison » en soutenant désormais la maire sortante Martine Aubry (Parti socialiste) contre les <a href="https://www.ouest-france.fr/elections/municipales/municipales-lille-la-droite-appelle-voter-martine-aubry-face-aux-fous-furieux-ecologistes-6874758">« fous furieux »</a> de la liste écologiste.</p>
<p>L’idée sous-jacente dans ces prises de parole reste la même : discréditer les candidats de gauche et d’extrême gauche en les diabolisant. Ce processus de diabolisation visant à jouer sur le « péril rouge » est désormais centenaire puisqu’il est employé en France (comme dans le reste du monde) depuis la prise de pouvoir des bolchéviques en Russie en 1917.</p>
<h2>Après la révolution d’octobre 1917, un anticommunisme acharné</h2>
<p>La Russie connaît <a href="https://www.lhistoire.fr/la-prise-du-pouvoir-par-les-bolcheviks">deux révolutions en 1917</a> : une première en février, qui fait tomber le tsarisme et instaure une démocratie représentative républicaine ; la seconde en octobre, où les bolchéviques s’emparent du pouvoir par un coup d’État. La mise en place d’une <a href="https://livre.fnac.com/a10623983/Stephane-Courtois-Lenine-l-inventeur-du-totalitarisme">dictature d’un genre nouveau</a> où la bourgeoisie et le capitalisme sont voués aux gémonies inquiète particulièrement les États européens et américains.</p>
<p>La situation catastrophique en Europe suite à la Première Guerre mondiale influence grandement les réactions. En Allemagne, la <a href="https://www.marxists.org/francais/harman/1982/lrp/index.htm">guerre civile</a> oppose les communistes à leurs opposants dans des affrontements sanglants (notamment en 1918-1919). Aux États-Unis, la révolution russe provoque une <a href="http://aubel.online.fr/HIS/depuis_1945/etats-unis/DS_explicat_doc_Liberte_americaine_affiche_sovietique_1949_corr_CA.pdf">première « red scare »</a> (peur des rouges) entre 1917 et 1920 où attentats et arrestations arbitraires sont réguliers.</p>
<p>La France ne connaît pas de situation aussi extrême. Certes, l’anticommunisme est très répandu dans le pays et touche <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/feuilleter.php?ID_ARTICLE=PERRI_RICHA_2017_01_0205">toutes les tendances politiques</a> (du socialisme à l’extrême droite en passant par le radicalisme). Particulièrement inquiet, le patronat met à la disposition des candidats de droite des <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/feuilleter.php?ID_ARTICLE=PERRI_GARRI_2011_01_0163">fonds très importants</a> pour faire « face au péril rouge », cette peur de voir des communistes « assoiffés de sang » prendre le pouvoir et créer une dictature où les opposants politiques seraient torturés et exécutés ou envoyés dans des camps de travaux forcés. Une peur motivée par les échos terrifiants (et les rumeurs) provenant de l’URSS qui serait impitoyable envers <a href="https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2010-14-page-5.htm">ses adversaires</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343227/original/file-20200622-55009-4txwqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343227/original/file-20200622-55009-4txwqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343227/original/file-20200622-55009-4txwqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343227/original/file-20200622-55009-4txwqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343227/original/file-20200622-55009-4txwqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343227/original/file-20200622-55009-4txwqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343227/original/file-20200622-55009-4txwqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche anticommuniste à l’époque du Front populaire, 1936.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>C’est pourquoi ils n’hésitent pas à pratiquer la corruption des notables pour augmenter les chances de succès de leurs protégés. Le <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/feuilleter.php?ID_ARTICLE=PERRI_GARRI_2011_01_0173">« cartel des gauches » de 1924</a> et plus encore le <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/feuilleter.php?ID_ARTICLE=PERRI_GARRI_2011_01_0182">Front populaire</a> suscitent la peur dans les rangs de droite, d’extrême droite ainsi que du patronat. À chaque fois, mais plus encore avec le Front populaire, l’opposition est convaincue (ou feint de croire) que l’URSS manipule le gouvernement, confirmant leur crainte d’un « péril rouge » imminent.</p>
<h2>Traques contre les communistes</h2>
<p>Après la parenthèse vichyste durant la Seconde Guerre mondiale, la France de la Libération reconnaît les sacrifices consentis par les militants du Parti communiste français (PCF) qui combattirent dans les rangs des Francs-tireurs et partisans. Le PCF devient le <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-1994-3-page-156.htm">principal parti politique</a> et domine temporairement l’Assemblée constituante. Cependant, l’idylle est de courte durée : de plus en plus critiqué et craint, le PCF décide de rejoindre l’opposition en mai 1947.</p>
<p>L’anticommunisme revient de plus bel, trouvant dans le <a href="https://www.amazon.fr/R-P-F-rassemblement-peuple-fran%25C3%25A7ais/dp/2254665359">Rassemblement du peuple français</a> (RPF, parti gaulliste fondé et dirigé par Charles de Gaulle en personne) et le mouvement <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-parlements-2019-1-page-49.htm">« Paix et Liberté »</a> (créé par le radical Jean‑Paul David et soutenu par l’État), ses plus ardents adversaires. L’État traque les personnes soupçonnées d’être communistes ou proches du communisme, par exemple dans <a href="https://journals.openedition.org/rha/7576">l’armée</a>. Les affrontements entre militants communistes et anticommunistes sont fréquents, <a href="https://www.amazon.fr/Histoire-services-dordre-France-si%25C3%25A8cle/dp/2360134337/ref=sr_1_1">notamment entre gaullistes et communistes</a>.</p>
<p>Les enjeux étant importants, les <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/histoire-politique-de-la-ive-republique--9782707133373.htm">élections législatives de 1951</a> connaissent de fortes tensions et excès de violence militante. Les grands gagnants sont le RPF (121 députés) et le PCF (103 députés). Ce <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/la-ive-republique--9782130536512.htm">succès</a> ne permet à aucun d’eux de prendre l’ascendant : marginalisés, diabolisés (les uns étant qualifiés de fascistes, les autres de stalinistes), ils sont voués à rester dans l’opposition et à mener un combat sur trois fronts (partisans de la IV<sup>e</sup> République, communistes, gaullistes). L’effondrement du RPF en 1952-1953 et la baisse des tensions internationales provoquent un recul de l’anticommunisme (sans y mettre un terme).</p>
<h2>1968, renouveau du discours anticommuniste</h2>
<p>La « peur des rouges » recule progressivement entre le milieu des années 1950 (où le PCF réalise son meilleur score aux élections législatives de 1956) et la fin des années 1960. Cela s’explique en grande partie par la <a href="https://www.riveneuve.com/catalogue/histoire-des-services-dordre-en-france-du-XIXe-siecle-a-nos-jours/">mort de Staline en 1953 et la fin de la guerre de Corée</a>, qui ont permis le début de la Détente entre les deux blocs.</p>
<p>La guerre d’Algérie et le <a href="https://www.ina.fr/video/AFE85009640">terrorisme d’extrême droite</a> (<a href="https://journals.openedition.org/criminocorpus/1777">OAS</a>) ont également contribué à cet apaisement relatif. Celui-ci semble déjà disparaître lors des élections législatives de 1967 où un début de renouveau de la violence militante anticommuniste s’entame. Toutefois, ce sont les événements de mai-juin 1968 qui changent réellement la donne. <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-parlements1-2008-1-page-12.htm">Le doute dans lequel fut plongé le pouvoir</a> et l’impression de sa vacance ont provoqué l’effroi dans les rangs de la droite et l’extrême droite, à commencer par les gaullistes. Le <a href="https://www.jstor.org/stable/3770212?seq=1">sursaut du 30 mai 1968</a> (discours du président suivi par une immense manifestation sur les Champs-Élysées) permet une reprise en main progressive du pays par le général de Gaulle. Le ton employé par la majorité en place (gaullistes et républicains indépendants) est volontairement dramatique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343230/original/file-20200622-54993-17imjof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343230/original/file-20200622-54993-17imjof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343230/original/file-20200622-54993-17imjof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343230/original/file-20200622-54993-17imjof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343230/original/file-20200622-54993-17imjof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343230/original/file-20200622-54993-17imjof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343230/original/file-20200622-54993-17imjof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche CDR de juin 1968.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives de Jean‑Marie Vissouze</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les candidats gaullistes comme les membres du gouvernement évoquent un complot international communiste (la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-4-page-53.htm">« subversion marxiste »</a>) dont les coupables seraient tantôt la Chine, l’URSS ou Cuba, les trois à la fois ou encore un ensemble de petits complots réalisés plus ou moins en même temps par plusieurs pays, tels la <a href="https://livre.fnac.com/a13392661/Georges-Pompidou-Le-noeud-gordien">Chine et la RFA</a>, la <a href="https://www.amazon.fr/C%25C3%25A9tait-Gaulle-Alain-Peyrefitte/dp/2070765067">CIA et le Mossad</a>, ou encore la <a href="https://www.amazon.fr/Lordre-groupes-r%25C3%25A9volutionnaires-MARCELLIN-RAYMOND/dp/B0018TXD56/ref=sr_1_3">« Tricontinentale rouge »</a> – cette improbable coalition entre l’URSS, la Chine et Cuba pour financer, armer et former toutes les entreprises révolutionnaires du globe si chère à Raymond Marcellin.</p>
<p>La peur de l’anarchie et d’une dictature communiste se répand et offre à la majorité sortante une <a href="https://books.openedition.org/pur/111632?lang=fr">« vague bleue » sans précédent</a>. C’est ce que l’opposition surnomme les <a href="https://theconversation.com/mai-68-du-mouvement-des-enrages-aux-elections-de-la-peur-92701">« élections de la peur »</a>. Les années qui suivent voient la prolifération de ce discours, amplement soutenu par les élus et ministres de droite, et largement amplifié par les organisations du « gaullisme d’ordre » (SAC, CDR, CFT, UNI) ainsi que des organisations d’extrême droite.</p>
<h2>Nouvel apogée et déclin de l’antimarxisme dans les années 1970</h2>
<p>Globalement, l’anticommunisme socialiste et radical de gauche tend à s’atténuer (sans disparaître complètement), ce qui permet la création du <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/la-france-ouvriere--9782708231740.htm">« programme commun » en 1972</a> – une alliance politique entre radicaux de gauche, socialistes et communistes. Programme qui permet à la droite et l’extrême droite de dénoncer le « péril rouge » à l’œuvre, à une époque où les violences d’extrême gauche <a href="https://books.openedition.org/pur/24627">disparaissent peu à peu</a>. En effet, alors que la période 1968-1973 offre à la majorité et l’extrême droite l’opportunité de dénoncer les « sévices » des <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/feuilleter.php ?ID_ARTICLE=ARCO_BERNA_2008_01_0073">organisations libertaires, trotskistes et (surtout) maoïstes</a>, le recul qui s’enclenche à ce moment-là (et s’accélère sous la présidence giscardienne) permet de diaboliser la gauche à travers l’idée – erronée – d’une future dictature soviétique en France en <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/27-juin-1972-la-signature-du-programme-commun-de-gouvernement">cas de succès « des socialo-communistes »</a>.</p>
<p>La <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2017-4-page-115.htm">rupture du programme commun en 1977</a> rend ce discours obsolète, les socialistes et les communistes faisant désormais cavalier seul. Finalement, les élections présidentielles de 1981 voient le socialiste François Mitterrand l’emporter et prendre des ministres communistes dans son gouvernement. Elles marquent alors la fin de cette conviction (de plus en plus marginale) d’une dictature communiste en France où les <a href="http://www.slate.fr/story/143585/chars-russes-concorde">chars soviétiques défileraient sur les Champs-Élysées</a>.</p>
<p>La dénonciation d’un « péril rouge » est donc très ancienne et portée par tous les mouvements politiques anticommunistes. Idée vague, elle voulait à la fois <a href="https://livre.fnac.com/a3110300/Stephanie-Roulin-Un-credo-anticommuniste ?esl-k=sem-google %7cng %7cc296173252253 %7cm %7ckpla366875966876 %7cp %7ct %7cdc %7ca58971167745 %7cg1575919641&gclid=EAIaIQobChMIk_y7yu6X6gIVg8CyCh25FQVQEAQYBCABEgKh3fD_BwE&gclsrc=aw.ds&oref=3ac0199b-8576-d897-463d-07ea7cbd861a">convaincre la population d’un danger de dictature totalitaire</a> imminente, le rôle d’agents intérieurs de puissances étrangères communistes revêti par les différents militants se revendiquant du marxisme, la fourberie de politiciens communistes prêts à tromper leurs prochains et leurs alliés (forcément temporaires) <a href="https://www.cairn.info/le-peril-rouge%20--%209782130619956-page-71.htm ?contenu=resume">pour obtenir le pouvoir</a>. La présidence de François Mitterrand voit se mobiliser de nouveaux discours justifiant l’opposition à la gauche. Cela ne met pas pour autant un terme définitif au discours anticommuniste. Bien que marginalisés, des militants de droite et d’extrême droite maintiennent ce discours, comme les <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/DB=2.1/SRCH ?IKT=12&TRM=197696295&COOKIE=U10178,Klecteurweb,D2.1,E88c266cf-f2,I250,B341720009+,SY,QDEF,A %255C9008+1,J,H2-26,29,34,39,44,49-50,53-78,80-87,NLECTEUR+PSI,R92.138.92.82,FN">Comités d’actions républicaines</a> (CAR) de Bruno Mégret, le <a href="http://www.lemil.org/documents/va/2009/va2009_238.pdf">Mouvement initiative et liberté</a> (MIL) de Jacques Rougeot ou encore le <a href="https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/feuilleter.php ?ID_ARTICLE=PERRI_RICHA_2017_01_0438">Front national</a> (FN) de Jean‑Marie Lepen.</p>
<p>À l’occasion de grandes élections, la diabolisation de la gauche dite radicale ressurgit dans des discours politiques. Ce fut par exemple le cas lors des élections présidentielles de 2017 où Jean‑Luc Mélenchon fut de plus en plus attaqué au fil de sa progression dans les sondages. Il devint peu à peu, pour une partie des médias et des politiciens, un <a href="https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/un-mec-comme-melenchon-est-dangereux-c-est-les-insoumis-sarl-en-ce-moment-981287.html">homme « dangereux »</a>, peut-être même un <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/04/11/31001-20170411ARTFIG00304-editorial-maximilien-ilitch-melenchon.php">Lénine</a> en puissance, voire un <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/04/12/a-dix-jours-du-premier-tour-hollande-sort-de-son-silence_5109768_4854003.html">« péril »</a> pour la nation. Certains, à l’instar de François Hardy, ne manquèrent pas de le qualifier de <a href="https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/melenchon-c-est-un-fou-furieux-il-est-aussi-dangereux-que-marine-le-pen-895249.html">« fou furieux »</a>, ce qui n’est pas sans rappeler les mots de Thierry Pauchet lors de ce scrutin municipal…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141233/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la révolution russe de 1917 aux municipales de 2020, le Parti communiste français s’est toujours attiré les foudres de ses adversaires.Bryan Muller, Doctorant contractuel chargé d'enseignement en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/632832019-09-26T10:26:03Z2019-09-26T10:26:03ZJacques Chirac, un « bulldozer » en politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138235/original/image-20160919-11131-1j9jko7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jacques Chirac (ici en 2005) aura marqué la vie politique française d’après–Mai 68.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/worldeconomicforum/346655272/in/photolist-wCGx3-7bn24n-8qdc9-6jMHTN-wCGwX-JZzNH-dTsfd-dSUTJ-DWPjE-dBmhDC-8u3rbV-3ft5Gq-91QsRH-2vEEkx-b9bd1-b99rs-b99rt-b99ry-b99rw-b9bcX-4NkHt-7SQEQF-rqMfA2-57FtgM-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ">World Economic Forum/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Jacques Chirac est mort. Sa famille l’a annoncé, jeudi 26 septembre, auprès de l’Agence France Presse. « Le président Jacques Chirac s’est éteint ce matin au milieu des siens. Paisiblement », a déclaré son gendre Frédéric Salat-Baroux, époux de Claude Chirac.</p>
<p>La santé de Jacques Chirac s’était dégradée depuis son départ de l’Élysée en 2007, conséquence notamment d’un accident vasculaire cérébral survenu en 2005, durant son second mandat de président de la République. Il avait été hospitalisé pour une infection pulmonaire en 2016.</p>
<h2>Une carrière de haut fonctionnaire engagé</h2>
<p>Né en 1932, petit-fils d’instituteurs de la Corrèze, Jacques Chirac est socialisé très jeune aux valeurs de la République et aura <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20091103.OBS6652/quand-jacques-chirac-se-raconte.html">quelques velléités d’engagement communiste</a>. Il fait de brillantes études : Institut d’études politiques de Paris, puis École Nationale d’Administration.</p>
<p>Une année sabbatique aux États-Unis pendant ses études à Sciences Po Paris, un mariage dans une famille de l’aristocratie parisienne, un service militaire volontaire en Algérie, un nationalisme républicain contribuent probablement à son évolution vers le gaullisme en 1958.</p>
<p>Sa carrière de haut fonctionnaire engagé va lui permettre une ascension politique très rapide, selon un modèle qu’on peut retrouver dans d’autres familles politiques. Il est, dès 1962, chargé de mission au cabinet du premier ministre, Georges Pompidou, dont il devient un ardent partisan, étant probablement plus pompidolien que gaulliste. Il est un collaborateur apprécié, baptisé par son patron <a href="https://www.franceculture.fr/politique/le-bulldozer-jacques-chirac-sest-eteint">« mon bulldozer »</a>.</p>
<p>Jacques Chirac est parachuté dans sa Corrèze natale pour les élections législatives de 1967, après avoir été élu conseiller municipal de Sainte Féréole en 1965. Il fait partie d’une génération de « jeunes loups » que les gaullistes lancent en politique pour assurer la relève des générations. Contre toute attente, il remporte ce fief du communisme rural, après une campagne très active, alors que le contexte national n’est pas favorable à son camp.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jacques Chirac en famille, dans les années 70.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/retrorama/16689344213/in/photolist-rqMfA2-57FtgM-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ-aU7i6-ebQHjA-33i2ka-4gV3pD-exfcJ-4Cr5iy-4Cr5kj-9rUL8c-4Vw7rV-eZhEN4-ebK7r8-nxszNC-GTHyo-bfQT2-4BKgUd-81N9Mk-3rAert-uspaG-38kmr-8JtECX-mmASup-nrULXF">Flashback/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>À 35 ans, le jeune député devient immédiatement secrétaire d’État à l’emploi, ce qui lui vaut de jouer un rôle actif auprès du premier ministre, Georges Pompidou, pendant la négociation des accords de Grenelle, en mai 1968. Il exerce ensuite plusieurs fonctions ministérielles, d’importance croissante, devenant ministre de l’Intérieur au début de 1974. Pendant la campagne présidentielle qui suit la mort de Georges Pompidou, il préfère appuyer la candidature du libéral Valéry Giscard d’Estaing plutôt que celle du gaulliste Jacques Chaban-Delmas.</p>
<h2>Premier ministre</h2>
<p>L’apport décisif de Jacques Chirac à la victoire giscardienne lui vaut d’être nommé premier ministre. Il défend – sans être toujours convaincu – les grandes réformes du début du septennat : majorité à 18 ans, <a href="https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01807/la-reforme-du-divorce-de-1975-l-introduction-du-divorce-par-consentement-mutuel.html">instauration du divorce par consentement mutuel</a>, <a href="https://www.lci.fr/sante/simone-veil-pantheon-il-a-ete-legalise-il-y-a-43-ans-apres-quels-sont-les-chiffres-de-l-avortement-en-france-ivg-2057209.html">légalisation de l’avortement</a>, <a href="http://www.slate.fr/story/158533/reforme-audiovisuel-public-ortf-francoise-nyssen-france-televisions-radio-france">réforme de l’audiovisuel</a>…</p>
<p>Mais ses rapports avec le président deviennent très vite conflictuels. Estimant ne pas avoir les moyens de mener la politique qu’il souhaiterait faire, il démissionne en 1976 et refond le parti gaulliste dans une stratégie de critique de la droite libérale au pouvoir, défendant alors un « véritable travaillisme à la française ». Il devient maire de Paris en 1977 après une bataille acharnée avec le candidat du pouvoir giscardien, ce qui lui donne des moyens très renforcés d’action politique. Il conservera ce mandat durant 22 ans jusqu’en 1995.</p>
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<p>Il mène sa première campagne présidentielle en 1981. Chirac s’oppose toujours au président sortant, mais avec une orientation idéologique très différente puisqu’il se convertit au néo-libéralisme.</p>
<p>Largement distancé par Valéry Giscard d’Estaing au premier tour, il ne l’appuie que très modérément au second. Environ 15 % de l’électorat gaulliste vote en fait pour François Mitterrand, qui l’emporte.</p>
<h2>Opposant en chef</h2>
<p>Jacques Chirac devient alors le leader de l’opposition au « pouvoir socialo-communiste », ce qui aboutit à une victoire de celle-ci aux législatives de 1986. Le RPR ayant davantage de députés que l’UDF, <a href="https://www.europe1.fr/emissions/Le-journal-d-il-y-a-trente-ans/le-journal-dil-y-a-30-ans-la-cohabitation-mitterrand-chirac-2703511">François Mitterrand choisit Jacques Chirac comme premier ministre</a>. « Cohabitant » avec un président socialiste, il exerce en fait la plus grande part du pouvoir, contrairement à son premier mandat de chef de gouvernement (1974-1976), où il était très contrôlé par Valéry Giscard d’Estaing. Il mène une politique économique libérale, avec notamment de nombreuses privatisations et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Chirac conquérant version 1986.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
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<p>Mais après deux années de cohabitation, la popularité de Jacques Chirac s’est nettement dégradée alors que François Mitterrand s’est refait une santé en incarnant le rôle du président–chef de l’opposition. Ce dernier est donc facilement réélu, en mai 1988, pour un second mandat présidentiel, alors que Jacques Chirac fait des scores plutôt modestes (20 % des suffrages au premier tour, 46 % au second).</p>
<p>À nouveau dans l’opposition, Jacques Chirac doit faire face à des divisions internes à son parti, mais il en conserve le contrôle et prépare les législatives de 1993, très largement gagnées dans un contexte de désaveu de la gauche, après deux mandats présidentiels socialistes.</p>
<p>Jacques Chirac, tirant les leçons de ses deux expériences de premier ministre, qui n’avaient pas constitué les tremplins espérés vers la présidence de la République, laisse Édouard Balladur, un de ses très proches collaborateurs, qui avait été son ministre de l’Économie, des Finances et de la Privatisation lors de la première cohabitation, exercer cette fonction, se réservant pour l’élection présidentielle de 1995.</p>
<h2>À la troisième tentative</h2>
<p>Mais la forte popularité d’Édouard Balladur dans l’opinion le conduit à se présenter lui-même, ce qui génère une guerre fratricide étonnante.</p>
<p>Beaucoup au RPR considèrent le combat de Jacques Chirac perdu d’avance et lui conseillent de renoncer pour ne pas faire perdre son camp. Contre toute attente, là encore, après une campagne conduite autour d’un diagnostic – plutôt de gauche – sur la « fracture sociale » qu’il convient de combler, il parvient à renverser les pronostics sondagiers et à prendre l’avantage au premier tour – de peu – sur le premier ministre sortant (20,8 % contre 18,6 %). Il est assez facilement élu au second tour contre Lionel Jospin.</p>
<p>C’est donc <a href="http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=239">à sa troisième tentative</a>, après une campagne à rebondissements, qu’il atteint le sommet, manifestant ainsi une grande obstination dans ses combats pour l’exercice du pouvoir politique.</p>
<p>Mais l’exercice de la fonction suprême ne va pas être une promenade de santé. Son premier ministre, Alain Juppé, mène une politique de rigueur budgétaire et doit affronter dès l’automne 1995 un mouvement social très important contre sa réforme des retraites et de la Sécurité sociale.</p>
<p>En 1996, le président Chirac annonce la suspension du service militaire obligatoire et le lancement d’une politique de professionnalisation des armées.</p>
<p>La popularité de l’exécutif étant fortement effritée, Jacques Chirac crée la surprise en décidant de dissoudre l’Assemblée nationale en avril 1997, un an avant le terme du mandat, estimant être alors en meilleure position pour conserver la majorité qu’en laissant s’écouler une année supplémentaire.</p>
<p>Ayant dissous en semblant vouloir poursuivre la même politique, Jacques Chirac perd son pari et doit, à son tour, accepter une cohabitation avec la gauche. Il est en fait privé d’une large partie de son pouvoir, exercé par le nouveau Premier ministre, Lionel Jospin, leader des socialistes, pendant les cinq dernières années de son premier mandat.</p>
<h2>Réélu avec 82 % des suffrages</h2>
<p>Il maintient – contre le souhait de certains de ses partisans – une stratégie de cordon sanitaire à l’égard du Front national, quel qu’en soit le prix électoral. Il doit faire face à des conflits de tendance internes au RPR et perd le contrôle de son parti. Chirac doit aussi accepter – sous la contrainte de Valéry Giscard d’Estaing et des socialistes – la réduction du mandat présidentiel à cinq ans avec une inversion du calendrier électoral, donc avec d’abord une élection présidentielle et en principe juste après, des législatives.</p>
<p>Il n’en reste pas moins très obstiné dans son combat en vue d’un second mandat. Il adopte une stratégie semblable à celle de François Mitterrand lors de la première cohabitation, attaquant son premier ministre sur sa politique, notamment sur son laxisme à l’égard des délinquants et proposant au contraire une approche sécuritaire.</p>
<p>Bénéficiant aussi de l’éclatement de l’UDF et de l’absence d’une autre candidature de poids à droite, ainsi que de la division que la gauche plurielle entre de nombreux prétendants, il devance – avec un score modeste pour un président sortant – Lionel Jospin lors du premier tour.</p>
<p>Opposé au second tour à Jean‑Marie Le Pen, il peut se dispenser de faire campagne et l’emporte avec <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-2002/resultats-elections/france.html">82 % des suffrages</a>, score totalement inédit dans une élection présidentielle française.</p>
<h2>Engagement pour l’environnement et politique anti-américaine</h2>
<p>Ce franc succès lui permet de refaire en large partie l’unité de la droite, avec le lancement de l’UMP, Union pour la majorité présidentielle, rebaptisée ensuite Union pour un mouvement populaire. Mais il perd rapidement le contrôle de la nouvelle formation, dont Nicolas Sarkozy prend la tête fin 2004. Devenu assez pro-européen au fil de l’exercice de ses mandats, il souhaite faire ratifier le projet de Constitution européenne par référendum, opération à haut risque, qu’il va perdre nettement en 2005.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chirac s’adresse à la nation suites aux émeutes dans les banlieues (2005).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/humain/83939174/in/photolist-8qdc9-6jMHTN-wCGwX-JZzNH-dTsfd-dSUTJ-DWPjE-dBmhDC-8u3rbV-3ft5Gq-91QsRH-2vEEkx-b9bd1-b99rs-b99rt-b99ry-b99rw-b9bcX-4NkHt-7SQEQF-rqMfA2-57FtgM-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ-aU7i6-ebQHjA">jalbertgagnier/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Outre une politique de baisse de l’impôt sur le revenu, des mesures fortes pour renforcer la sécurité routière, lutter contre le cancer et mieux indemniser les handicapés, son quinquennat est marqué par un engagement important en faveur de l’environnement dont une charte est mise au point et constitutionnalisée.</p>
<p>Surtout, il se distingue par une politique nettement anti-américaine, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2002/09/28/irak-chirac-dit-non-a-bush_416923">refusant d’associer la France à l’intervention militaire en Irak</a>. Il doit faire face, fin 2005, à un mouvement d’émeutes dans les banlieues sensibles et au printemps 2006 à un mouvement social contre le contrat de travail première embauche, qui génère une opposition des syndicats de salariés et des mouvements étudiants, aboutissant au retrait du projet.</p>
<p>Les rapports du président de la République et du premier ministre, Dominique de Villepin, avec Nicolas Sarkozy vont se tendre, les deux derniers aspirant à être le candidat de l’UMP à la présidentielle de 2007.</p>
<p>Ayant mis le parti à son service, Nicolas Sarkozy est très largement intronisé candidat en janvier 2007 mais Jacques Chirac laisse planer le doute quant à une possible troisième candidature jusque début mars. Il annonce ensuite son soutien au candidat que son parti s’est choisi, abandonnant la polémique et le combat politique actif.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jacques Chirac (ici en 2011), un retraité de la politique très populaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bryanpelz/6466361407/in/photolist-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ-aU7i6-ebQHjA-33i2ka-4gV3pD-exfcJ-4Cr5iy-4Cr5kj-9rUL8c-4Vw7rV-eZhEN4-ebK7r8-nxszNC-GTHyo-bfQT2-4BKgUd-81N9Mk-3rAert-uspaG-38kmr-8JtECX-mmASup-nrULXF-nPdsWy-nJmWpq">Bryan Pelz/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dans sa retraite, Jacques Chirac va se consacrer à des actions en faveur de la prévention des conflits internationaux, du dialogue des cultures, des arts premiers et du développement durable. Il siège aussi au Conseil constitutionnel jusqu’en 2010.</p>
<p>Comme beaucoup d’hommes politiques de premier plan ayant quitté la difficile gestion des affaires publiques, il va retrouver une forte popularité dans l’opinion.</p>
<p>Il laisse le souvenir d’un homme au contact facile, aimant les bains de foule et le « cul des vaches », gardien des valeurs républicaines, défenseur de la tolérance face à l’altérité, très actif sur la scène internationale pour faire entendre la voix de la France et défendre un monde multipolaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/63283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une ascension politique très rapide, un grand volontarisme pour arriver à la fonction suprême, une grande longévité dans la gestion des affaires publiques : retour sur le parcours de Jacques Chirac.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1149982019-04-11T22:49:40Z2019-04-11T22:49:40ZVidéo : Le médecin de l’impasse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/267916/original/file-20190406-115777-72jr4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=29%2C5%2C608%2C344&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jean Pierre Hoss, « Le médecin de l'impasse », dans l'émission « Fenêtres Ouvertes sur la Gestion ».</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p>Dans la lettre <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40SFHJBW8y39A1xNDSEjbsnfOMLzipEaOZ%2BE7%2B%2F1DV%2BOs%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG060419">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a>, datée du 6 avril 2019, Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>, reçoit Jean‑Pierre Hoss, conseiller d’État honoraire et médiateur de la région Ile-de-France, pour évoquer son dernier livre, <a href="https://www.babelio.com/livres/Hoss-Le-Medecin-de-limpasse/1013231"><em>Le médecin de l’impasse</em></a>, et l’éclairage sur l’actualité que permet un retour aux années… 1980.</p>
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<p>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114998/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>1981, François Mitterand est élu président de la République. Un personnage principal de roman revient dans une impasse qu’il a quittée 20 ans plus tôt. Les thèmes traités, eux, sont d’aujourd’hui.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1144042019-03-31T19:12:14Z2019-03-31T19:12:14ZCoup de pompe démocratique : remettre le pouvoir en proportion<blockquote>
<p>« Le véritable bien, c’est la proportion ! » Benjamin Constant.</p>
</blockquote>
<p>Il est loin le temps où Gambetta, fustigeant le scrutin d’arrondissement, déplorait « le miroir brisé où la France aurait peine à retrouver son image » ! Il est près l’instant où la France se détourne de ses représentants faute d’y retrouver la traduction de ses aspirations.</p>
<p>Le rouleau compresseur du scrutin majoritaire assigne les minorités à camper sous les murs de la cité. Faible de sa force même, la majorité embrasse le vide que l’agitation législative peine à combler. Ce n’est pas seulement de croissance qu’on a besoin, mais de confiance retrouvée à l’avenir. Et donc, pour les Français, d’une ambition partagée.</p>
<p>Le mythe du président démiurge a sombré, brisé par trente ans de navigation à vue sur une mer d’embûches. D’abstention en protestation croissante, la sève démocratique abandonne la vie de nos institutions. Le <a href="https://theconversation.com/le-grand-debat-national-et-la-democratie-un-jeu-dangereux-114241">grand débat</a> s’est avéré un nécessaire sinon utile thermomètre des symptômes et des fièvres d’insatisfaction. Il revient, toutefois, aux élus de proposer les moyens de leur dépassement. L’heure n’est plus à ménager la chèvre populiste et le chou démocratique : elle est à la rupture avec les habituels comportements politiciens. Paraphrasant Anacharsis Cloots, il faut lancer :</p>
<blockquote>
<p>« France, guéris-toi de tes partis ! »</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron a ouvert le bal en traversant victorieusement la mêlée archaïque. Il lui faut maintenant aller plus loin et retrouver l’esprit de sa campagne, sans se laisser enliser dans un centrisme mou fleurant bon le passé révolu et abandonnant son flanc gauche à ses vieux démons. Certes, comme dit le proverbe, on ne dépouille jamais tout à fait le vieil homme. Mais cela n’interdit pas de créer les conditions d’un réel dépassement.</p>
<h2>Restaurer la proportionnelle pour l’élection des députés</h2>
<p>Nul besoin du tohu-bohu d’une assemblée constituante ni d’une chimérique VI<sup>e</sup> République pour remettre en route le système. Deux mesures, dont l’une des deux n’est même pas d’ordre constitutionnel, y pourvoiront : l’une doit permettre au peuple de réintégrer l’Assemblée nationale ; l’autre, de faire marcher la représentation parlementaire sur ses deux jambes. Nous reviendrons dans un autre article sur la seconde qui implique une nécessaire réforme du Sénat. Pour l’heure, regardons la première.</p>
<p>Il faut d’urgence <a href="https://theconversation.com/la-proportionnelle-derniere-etape-de-la-strategie-demmanuel-macron-79286">restaurer la proportionnelle pour l’élection des députés</a> : il s’agit là d’un préalable si l’on veut retrouver ces millions d’électeurs non représentés aujourd’hui, qui ne trouvent à s’exprimer que dans le vote protestataire ou dans la désertion des urnes. Parallèlement, en coupant les arrières des vieux partis à la dérive, elle permettra d’irriguer la vie politique par l’émergence de nouvelles forces reposant sur des projets plus que sur des personnes.</p>
<p>Dans une période où l’on pointe vivement le <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-lurgence-democratique-commence-par-le-bas-109598">décalage entre les citoyens et leurs élus</a>, la représentation proportionnelle devrait retenir naturellement l’attention : elle est pratiquée déjà à plusieurs niveaux (européen ; régional, corrigée modérément par la prime majoritaire ; municipal, excessivement corrigée). Chacun lui reconnaît d’approcher au mieux de l’équité la diversité des courants d’opinion, de permettre leur représentation crédible.</p>
<p>Mais voilà qu’on se pince le nez, qu’on tergiverse, qu’on envisage des doses homéopathiques. De quoi aurait donc peur l’auteur du courageux ouvrage <em>Révolution</em> ? C’est que, comme bien d’autres avant lui, il approche la question de la représentation proportionnelle d’une manière tactique et idéologiquement biaisée par l’histoire. Au lieu de la prendre pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un simple outil de traduction des suffrages, on l’habille d’un passé sulfureux, tout en lui prêtant des effets dévastateurs ! Et de braquer le regard sur la IV<sup>e</sup> République, relue au travers de la doxa gaulliste, en l’identifiant au régime des partis et à l’impuissance gouvernementale.</p>
<p>Nous avons, <a href="https://theconversation.com/la-guillotine-majoritaire-111380">dans ces mêmes colonnes</a> déjà rendu compte de l’injustice de cette accusation. La faiblesse du système ne tenait pas au mode de scrutin : la proportionnelle n’a, par exemple, aucunement empêché l’émergence-surprise d’un grand nouveau parti, le MRP, lequel réussit en 1946 à passer devant un PCF au mieux de sa forme.</p>
<p>L’une des causes principales, outre la cassure du monde en deux blocs et la décolonisation, en est l’écrasement de l’exécutif réduit à la portion congrue par un compromis constitutionnel déguisant un régime d’Assemblée en régime parlementaire. Les gaullistes ne s’y sont pas trompés, en 1958, en dessinant une figure exactement inversée.</p>
<p>La vérité est que la querelle autour de la proportionnelle est aussi ancienne que la République, et que les jugements positifs ou négatifs sont fonction des circonstances, des intérêts partisans et des positions idéologiques, pas de l’outil lui-même.</p>
<h2>Méandres opportunistes</h2>
<p>D’où ces incroyables méandres qui, à moins de 20 ans d’intervalle font inverser les positions entre la droite et la gauche. À l’aube de la III<sup>e</sup> République, la gauche républicaine se méfie du scrutin majoritaire d’arrondissement et souhaite une vraie représentation de la France :</p>
<blockquote>
<p>« Si la France pouvait rentrer dans cette enceinte, voici ce qui serait l’idéal, la perfection dans l’expression de la manifestation du suffrage universel… » (Gambetta)</p>
</blockquote>
<p>Au début des années 1900, inversion « radicale » : la droite conservatrice s’enthousiasme pour la proportionnelle. Étienne Flandin, alors député, pourfend le scrutin majoritaire :</p>
<blockquote>
<p>« En réduisant les partis à l’alternative “tout ou rien”, on fausse à la fois le suffrage universel et le régime parlementaire. »</p>
</blockquote>
<p>Seule l’extrême gauche, par la bouche de Jaurès lui vient en renfort :</p>
<blockquote>
<p>« Ceux-ci tueront ceux-là, voilà le scrutin majoritaire. Ceux-ci et ceux-là auront leur juste part, voilà le scrutin de liste avec la représentation proportionnelle. »</p>
</blockquote>
<p>Mais en face le camp républicain fait rempart : en novembre 1909, sous l’impulsion de Briand, la chambre des députés rejette en bloc la proposition de loi instituant la proportionnelle dont elle avait pourtant adopté les articles séparés. C’est que l’heure n’est plus à la conquête, elle est à la défense d’une République qu’on estime menacée par le parti clérical :</p>
<blockquote>
<p>« La représentation proportionnelle est un redoutable instrument de division et de destruction ; nous comprenons que les oppositions s’en emparent. Pourquoi s’étonner que résistent à leur entreprise ceux qui croient à la stabilité des majorités et des gouvernements nécessaire à la grandeur de la France ? » (Léon Bourgeois)</p>
</blockquote>
<p>L’argument récurrent est lancé : seul le scrutin majoritaire garantirait la majorité nécessaire à la stabilité.</p>
<p>La suite et la fin de la III<sup>e</sup> République suffiraient à montrer l’inanité de cette affirmation incantatoire : si l’on excepte la Guerre, c’est l’instabilité gouvernementale accélérée qui caractérisera ce régime. D’où le virage en sens inverse de la gauche qui instaure la plénitude de la proportionnelle dès la Libération, marquant ainsi sa volonté de rompre avec les errements antérieurs et les mares stagnantes des arrondissements.</p>
<p>Brutal revirement en 1958 avec la droite, où l’on revient au tout majoritaire, qui devient le sésame électoral unique. Le dispositif est ensuite coulé dans le marbre par le mode de désignation du Président, qui impose le rythme et le sens aux autres scrutins, réduisant les législatives à des postfaces de présidentielle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">François Mittterrand et son premier ministre, Jacques Chirac, en juin 1986, à La Haye (Pays-Bas).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:EEG-top_in_Den_Haag_vergadering_ministers_van_Buitenlandse_Zaken_vergadering,_Bestanddeelnr_933-6981.jpg">Bart Molendijk/Anefo/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La gauche, sous la férule d’un enfant de la proportionnelle, se convertit totalement au système. Mitterrand, en habile politicien, y aura toutefois recours en 1986, quand il s’agira d’ouvrir un parachute pour amortir le choc de la défaite attendue et de jeter le Front national dans les roues de la droite. Bref interlude, vite refermé avec le retour au scrutin majoritaire dès 1988, le Président réélu signant la fin de la récréation.</p>
<h2>Confusion entre représentation et décision</h2>
<p>Voilà qui suffit à faire percevoir que, loin d’être une question de fond, la dispute entre le sel de la proportionnelle et le fer majoritaire, est avant tout affaire de convenance empirique. D’autant que si l’on regarde le fond des argumentaires, qui lui ne change pas, on pense à une manière d’interminable querelle des Anciens et des Modernes, tant les inconvénients ou avantages de l’une et l’autre apparaissent parfaitement réversibles.</p>
<p>Car le débat est biaisé. Plus qu’une différence de point de vue, c’est une divergence d’objet qui sépare les deux camps. La critique essentielle contre la proportionnelle viendrait de ce qu’elle ne permettrait pas d’obtenir de majorité de gouvernement. Combes y voit un dispositif « conçu pour ébrécher, émietter, émasculer les majorités », et qui imposerait des coalitions contre-nature. Flandin trouve dans le scrutin majoritaire, un système où la lutte des personnes étouffe celle des idées, exigeant des compromissions et des ententes pour atteindre la majorité, faisant triompher le clientélisme et les « coalitions d’intérêts », au détriment des programmes.</p>
<p>Les partisans du scrutin majoritaire, enjambant la question de la représentativité des élus, ne pensent qu’à la majorité gouvernementale et à la décision politique. Les proportionnalistes s’intéressent d’abord à la désignation des représentants. Ils soupçonnent leurs adversaires de mettre la charrue gouvernementale avant le bœuf électoral.</p>
<p>Flandin note avec pertinence :</p>
<blockquote>
<p>« Sans doute, la logique exige que, dans une assemblée délibérante la majorité décide, mais en matière d’élection, il ne s’agit pas de décision, il s’agit de représentation. Une nation élisant ses députés se donne simplement des représentants. »</p>
</blockquote>
<p>Phrase de bon sens, qui résonne puissamment dans le contexte actuel. A l’heure où les vieux partis s’effondrent, où les <a href="https://theconversation.com/des-elections-sans-electeurs-le-fleau-de-labstention-massive-79708">abstentions augmentent</a> à la mesure des frustrations dans le choix des élus, où les représentants sont l’objet d’une perte de confiance, où la protestation prend la clef des rues, il est urgent d’ouvrir la possibilité d’un choix dégagé des entraves majoritaires du tout ou rien.</p>
<p>L’affaire est d’autant moins risquée que les institutions de la V<sup>e</sup> République garantissent contre les dangers d’instabilité : l’exécutif dispose d’armes nombreuses pour canaliser l’activité parlementaire ; l’élection d’un chef de l’État doté de puissantes prérogatives au suffrage direct donne à l’édifice une cohérence et forme un contrepoids aux éventuels débordements. La voix du Président n’est ni celle de Paul Deschanel, ni celle de René Coty.</p>
<p>En revanche, la renaissance de nouvelles forces et de nouvelles idées viendra heureusement combler le vide séparant les gouvernants et les gouvernés. Il y a 230 ans Mirabeau résumait ainsi le débat :</p>
<blockquote>
<p>« Les assemblées sont pour la nation ce qu’est une carte réduite pour son étendue physique ; soit en partie, soit en grand la copie doit toujours avoir les mêmes proportions que l’original. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/114404/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La querelle autour de la proportionnelle est aussi ancienne que la République : les jugements positifs ou négatifs sont fonction des circonstances, des intérêts partisans et des positions idéologiques.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1088442018-12-14T17:45:09Z2018-12-14T17:45:09Z« Gilets jaunes » : le (dés)intérêt général<blockquote>
<p>« Il y a bien souvent de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun ; l’autre regarde à l’intérêt privé et n’est qu’une somme de volontés particulières. »
Jean‑Jacques Rousseau, Contrat social, Livre II, chap. III.</p>
</blockquote>
<p>Foin de romantisme compassionnel, la crise qui s’abat sur le système politique français, non seulement ne nous semble pas être une source d’innovation démocratique, mais elle surligne crûment la panne dont souffre notre démocratie. Car derrière ces flambantes qualifications de « démocratie liquide » et autre « démocratie participative », on fait plus qu’apercevoir une béance que des années d’errances politiques ont contribué à creuser entre les gouvernants et les gouvernés. </p>
<p>Certes, les politiques ne sont pas seuls responsables d’une révolution des comportements induite par des mutations économiques et technologiques. Mais en préférant dissimuler leur impuissance et les contraintes du nouveau monde dans un discours politicien au goût d’anesthésiant technocratique, ils ont installé un doute profond. </p>
<p>Avec la séquence des « gilets jaunes », le curseur s’est brutalement déplacé de la méfiance vers le mépris, et du mépris vers la haine. De même que les experts sont confrontés à une machine économique incontrôlable et potentiellement dévastatrice, les politiques, tous bords réunis, ont perdu la main pour contrôler une situation sociale totalement fragmentée.</p>
<h2>Le piège du présidentialisme</h2>
<p>L’affaire déborde largement du cas français : elle s’inscrit dans un mouvement global remarquablement analysé par Yascha Mounk dans son ouvrage <em>Le peuple contre la démocratie</em> (2018), qui met en évidence l’érosion de la confiance dans la démocratie libérale. Mais dans une France longtemps nourrie au lait du capitalisme d’État et de l’État-providence, l’onde de choc de la mondialisation et du déclin de l’État résonne profondément. </p>
<p>D’autant plus qu’elle s’inscrit dans un système institutionnel aussi ambigu que fatigué : le cadre constitutionnel de 1958 est d’abord un bricolage hâtif de circonstance, établi dans une atmosphère de guerre civile, pour permettre à un homme considéré comme providentiel d’assumer la plénitude du pouvoir. D’où ce compromis incertain entre un exécutif monarchique dans son principe mais parlementaire dans son habillage, afin d’obtenir la neutralité des partis du système. </p>
<p>Passée la crise algérienne, De Gaulle transformera le provisoire en durable, imposant dans l’émotion du Petit Clamart la légitimité suprême du président de la République par le suffrage universel. Ses successeurs, appuyés sur des partis devenus de simples machines électorales dévouées, accentueront le dispositif. Tentant de recopier l’expérience de Mitterrand, Jospin corsètera définitivement le système en inversant le calendrier électoral : désormais, les élections législatives sont réduites à une fonction de confirmation de l’hégémonie présidentielle, étouffant toute dimension pluraliste. </p>
<p>Cette puissance prêtée à un homme seul engendre une mortelle illusion : elle fait de lui un démiurge, alors qu’il n’est de plus en plus qu’un colosse aux pieds d’argile. La distance verticale qui s’instaure, faute d’intermédiaires crédibles, forge un hiatus entre l’État et la population. D’espoirs déçus en promesses non tenues, la frustration passe de l’indifférence blasée à la colère et à la rancœur. </p>
<p>L’échec fait du démiurge un diable en forme de paratonnerre sur lequel s’abattent les foudres réunies de la colère sociale et de la frustration politique. Nicolas Sarkozy, François Hollande en feront l’expérience. Au tour d’Emmanuel Macron d’essuyer avec une violence inconnue une colère dégénérée en manière d’insurrection : c’est qu’il est tombé à pieds joints dans le piège que lui tendaient les institutions.</p>
<h2>Retour de bâton populaire</h2>
<p>Conscient de la nécessité d’agir vite, celui qui s’était pourtant fait élire sur la promesse d’un nouveau monde et d’un nouveau mode de gouvernement, va imposer un rythme de réforme accéléré, réalisant ainsi une bonne part de ses engagements en avançant sans grandes résistances sur des terrains jusque là tabous. Il utilisera pour ce faire le potentiel de ressources institutionnelles à sa portée. </p>
<p>D’où une accentuation considérable, dans l’urgence, de l’usage vertical du pouvoir. D’où le sentiment pour une large part de la France d’être laissée sur le bord du chemin, et pour les intermédiaires traditionnels d’être les otages d’un centre qui les ignore. Illusionné par une majorité parlementaire acquise en trompe-l’œil comme par l’absence de résistance sérieuse à ses projets, Emmanuel Macron se proposait de poursuivre la cadence réformiste, touchant d’autres secteurs sensibles : ceux des institutions et des retraites. Voilà son élan coupé par une exaspération dont il avait ignoré les clignotants annonciateurs.</p>
<p>Le contre-coup est à la mesure même de son succès : les frustrations des partis vaincus en 2017 soufflent les braises d’une colère populaire lentement, longuement accumulée. Pour avoir oublié qu’il avait été élu sur une méthode plus que sur un programme, Emmanuel Macron se heurte au mur de la déception de ceux qui avaient cru au « en même temps » : entendons ici ceux qui souhaitaient à la fois un État vraiment agissant et une écoute réelle de leurs attentes. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_Mo1u_z7IMk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Une étincelle suffisait : ironiquement, c’est du moteur des voitures que viendra l’explosion. Avec une rigidité hautaine, l’exécutif a totalement ignoré la protestation d’une écrasante majorité contre la surcharge des mesures frappant les automobilistes. Voilà le trop symbolique 80 km/h obligeant l’État à marcher au pas ! Mais voilà surtout la boule de neige transformée en avalanche par agglomération hétéroclite de revendications parfois contradictoires.</p>
<h2>Problématique fabrique de l’intérêt général</h2>
<p>Cette déferlante fait l’objet de lectures contradictoires, y compris chez les spécialistes des sciences humaines : certains, dans une vision euphorisante, tentent d’y voir l’aube d’une nouvelle démocratie, reposant sur l’Internet et/ou sur l’implication citoyenne. </p>
<p>Mais si l’on veut bien appréhender le mouvement dans sa globalité et sa profondeur, des signes lourdement discordants se dégagent, de plus en plus apparents avec la durée. Ce qui était au départ une colère ressentie pour une majorité comme légitime révèle, par sa violence souvent haineuse vis-à-vis du Président (et de son épouse) un phénomène plus grave. Amplifiée par la complaisance des médias en continu, contaminée par la surenchère des réseaux sociaux, la contestation dépasse le simple rejet d’une politique pour mettre en cause notre contrat social. </p>
<p>C’est en effet la légitimité même des gouvernants qui est en question. Avec son corollaire, la substitution du mépris au respect. La légitimité, c’est cette croyance dans la valeur sociale des institutions, qui s’identifient à un système de normes consacrées par le droit. Elle ne se confond pas avec le consensus, qui est l’appréciation de la capacité du pouvoir à résoudre les problèmes de la société. Une rupture de consensus se résout par une alternance. Le refus de reconnaître aux gouvernants la capacité à incarner la légitimité va bien au-delà en ce qu’il sape leur autorité.</p>
<p>A travers ce déni de consentement au pouvoir, c’est le moteur même de l’idéologie démocratique qui est mis en cause. Les revendications cumulées des « gilets jaunes » apparaissent comme une addition de volontés particulières souvent contradictoires. Loin d’être en présence de citoyens visant à dépasser leurs intérêts particuliers, individuels ou de groupe, il y a des individus exigeants pour eux des droits. </p>
<p>Or, notre système de démocratie repose sur la capacité collective à dégager un <em>intérêt général</em>. Une société n’existe que par la possibilité de surmonter les antagonismes sociaux et de dégager un intérêt commun à l’ensemble des participants. Ce sont aux gouvernants légalement élus, et donc révocables à terme, que l’on confie le soin de rendre compatibles et harmonisés ces intérêts particuliers contradictoires.</p>
<h2>La refondation nécessaire</h2>
<p>La question essentielle est donc celle de la fabrication de cet intérêt commun. Dans le <em>Contrat social</em>, Rousseau avait clairement et théoriquement posé le problème : après avoir rappelé, dans la phrase que nous avons placée en exergue, que l’intérêt général n’est pas une somme d’intérêts particuliers, il donnait le mode d’emploi dans une formule mathématique : </p>
<blockquote>
<p>« Mais ôtez de ces mêmes volontés particulières les plus et les moins qui s’entredétruisent, reste pour somme des différences la volonté générale. » </p>
</blockquote>
<p>Parfaitement exacte dans son principe, cette affirmation pose bien la nature de l’intérêt général qui tout à la fois se construit à partir des intérêts particuliers mais en même temps les dépasse. Pareille opération de soustraction/addition exige un lieu et des moyens. Rousseau, qui refusait tout corps intermédiaire entre le peuple et le pouvoir, l’imaginait directement accomplie par le peuple assemblé. </p>
<p>Position utopique : Hegel a très vite pointé cette insuffisante dialectique de la souveraine liberté. Ce système s’arrêtait au stade de ce qu’il appelait déjà la <em>société civile</em>, c’est-à-dire l’endroit où règnent l’individualisme et l’égoïsme forcené. Aussi considérait-il comme nécessaire l’instauration d’une médiation politique incarnée par l’État. C’est cette vision moderne qui va fonder les démocraties représentatives que nous connaissons et que l’on voit contestée aujourd’hui, alors même que la complexité des phénomènes géopolitiques et les interdépendances économiques la rend plus nécessaire.</p>
<p>La profondeur de la crise révèle l’effondrement du sentiment collectif sous les coups de boutoirs de l’individualisme consumériste. Au-delà, c’est la capacité d’être ensemble qui est aujourd’hui menacée par la déchirure conséquente du tissu social. Pour remédier à la paralysie de la fabrique de l’intérêt général, il faudra plus que les mesures au demeurant pertinentes proposées par le Président. </p>
<p>On voit bien qu’elles reçoivent l’assentiment de la majorité des Français. Mais on voit aussi qu’elles ne suffisent pas à rétablir la confiance dans les élus. L’heure n’est plus à déplorer l’autisme des dirigeants : elle est à constater la surdité des gouvernés à la parole de ceux-ci. Et seule une refondation en profondeur de nos institutions permettra d’enrayer ce processus délétère, de redonner corps et sens au pacte démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Les politiques, tous bords réunis, ont perdu la main pour contrôler une situation sociale totalement fragmentée.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1058252018-10-28T20:25:51Z2018-10-28T20:25:51ZFragments d’un président écrivain : François Mitterrand et ses livres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242604/original/file-20181028-7053-pv0byf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=135%2C6%2C773%2C509&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">François Mitterrand, portrait officiel, 1981.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/0046260000008/index.shtml">La Documentation Française</a></span></figcaption></figure><p><em>Les 29 et 30 octobre, la maison de vente aux enchères Piasa <a href="https://www.piasa.fr/en/news/actualite-bibliotheque-francois-mitterrand-livres-modernes">disperse une partie de la bibliothèque personnelle de François Mitterrand</a>. Le catalogue, qui propose un petit millier d’ouvrages, essentiellement du XX<sup>e</sup> siècle, généralement en édition originale sinon en tirage de tête, souvent reliés par les meilleurs artisans ou par son épouse Danielle, parfois dédicacés, nous plonge dans l’intimité des lectures de l’ancien chef de l’État…</em></p>
<hr>
<p>Que François Mitterrand fût un amoureux de la chose écrite n’est un secret pour personne. Lui-même ne s’en cachait pas. Selon son propre aveu, il était monté « d’Angoulême à Paris, en 1934, pour entrer à l’Université », avec deux grands rêves en tête : le premier « d’aller au Vél’ d’Hiv’, temple des courses cyclistes sur piste, et d’y assister aux Six Jours, l’autre de rencontrer les écrivains » qu’il admirait. Ce fut d’abord François Mauriac, qui l’accueillit aux premiers jours de son séjour parisien. Puis, au gré de ses pérégrinations dans la capitale, André Gide, André Malraux et Julien Benda qui tenaient des meetings antifascistes à la Mutualité, Georges Bernanos qui fréquentait l’Union pour la vérité ou Paul Valéry qui enseignait la poétique au Collège de France.</p>
<p>Rien d’étonnant donc à le voir durant ces années prendre la tête de la section littérature du Cercle de la Vie des étudiants, activité qui le conduira à organiser des rencontres littéraires et à collaborer un temps avec L’Écho de Paris. Comme dans la Revue Montalembert, journal du foyer où il résidait, il y publiera aussi bien des critiques littéraires que des billets d’actualité, fustigeant par exemple l’étudiant de 1936 qui s’enthousiasmait pour « le match de football Paris-Budapest » mais pensait « que poètes et musiciens ne servent à rien ».</p>
<p>Au fil des articles, le jeune étudiant s’intéressera aussi à l’œuvre littéraire comme expression « d’un peu de la vérité de l’homme et du monde », méditera sur le fait que « la pensée, pour devenir œuvre, doit se réduire en mots, eux-mêmes coordonnés en phrases assouplies, nombrées et rythmées » ou avouera son admiration pour « la réalisation formelle admirable d’un Valéry, la force et la puissance intellectuelle et rythmique d’un Claudel, le charme intime et délicat d’un Jammes ».</p>
<p>Rien de surprenant non plus à le voir choisir, près de cinquante ans plus tard, <a href="http://www.gisele-freund.com/">Gisèle Freund</a>, la portraitiste incontestée du monde littéraire, pour la réalisation de son effigie présidentielle. Face à son regard, derrière lequel avaient posés Simone de Beauvoir, James Joyce, Colette… François Mitterrand murmurera d’ailleurs pour seule consigne de tenir compte qu’il était « un écrivain avant d’être un homme politique ». Le résultat fut cet étonnant portrait officiel où l’on surprend le nouveau chef de l’État lisant les Essais de Montaigne dans la bibliothèque circulaire de l’Élysée. Celui qui avait été élu par près de seize millions de votants, celui qui avait été ministre, secrétaire d’État, sénateur, député et maire, celui qui permettait, enfin, à la gauche d’accéder au pouvoir… se (re)présentait donc pour la postérité en homme épris de littérature.</p>
<h2>Dans les coulisses d’une « écriture juste »</h2>
<p>François Mauriac et Paul Valéry, Paul Claudel et Francis James, Colette et James Joyce… Même si François Mitterrand avouait lui-même que son admiration pour certains écrivains n’avait pas résisté au temps, ce sont autant d’auteurs dont les œuvres parsèment un catalogue qui s’adresse aussi bien aux cercles bibliophiles qu’à ceux qui conservent une affection singulière pour la geste mitterrandienne comme pour l’homme privé.</p>
<p>Pourtant, l’un des vrais intérêts de <a href="https://bit.ly/2JjeS8V">cette vente est ailleurs et se cache dans une petite dizaine de lots</a>, dispersés entre les pages 193 et 206 au nom d’auteur Mitterrand. Notamment dans les lots 420, 423, 425, 429 et 430, composés de feuillets manuscrits et de tapuscrits annotés de la main du premier secrétaire du Parti socialiste, qui viennent compléter le « brouillon » de <a href="http://www.mitterrand.org/L-abeille-et-l-architecte.html"><em>L’abeille et l’architecte</em></a> conservé dans les archives de l’Institut François Mitterrand.</p>
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<figcaption><span class="caption">François Mitterrand à propos de <em>L’abeille et l’architecte</em>, Bernard Pivot, <em>Apostrophes</em> (Archive vidéo INA 15, septembre 1978).</span></figcaption>
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<p>Publié en septembre 1978, cet ouvrage occupe une place importante dans l’entreprise de reconstruction d’une légitimité politique à laquelle se livra François Mitterrand après l’échec de l’actualisation du programme commun, la rupture de l’Union de la gauche puis la défaite aux élections législatives. Se souvenant peut-être des réactions enthousiastes à l’issue de son premier passage à Apostrophe, lorsque de nombreux observateurs affirmèrent « que si cette émission avait eu lieu avant l’élection présidentielle de mai 1974, les 200 ou 300 000 voix qui séparaient (les deux candidats) eussent été comblées », le député de la Nièvre se mit alors à écrire. Ou plutôt, à sélectionner, enrichir, rectifier… consciencieusement un ensemble de chroniques pour la plupart déjà publiées dans les colonnes de L’Unité.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">François Mitterrand présente <em>L’abeille et l’architecte</em> et répond au questions d’Yves Mourousi et Jacques Legris sur le plateau du JT de 13h de TF1 du 22 septembre 1978.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.mitterrand.org/L-abeille-et-l-architecte.html">INA IFM</a></span>
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<p>Pour les besoins de sa démonstration, François Mitterrand écrivit aussi quelques textes inédits lui permettant de se construire une stature d’homme d’État qui « parcourt le monde avec son bâton de pèlerin socialiste » à la rencontre des grands de ce monde. Il reviendra ainsi sur ses rencontres avec Mikhaïl Souslov à Moscou (lot 425), avec <a href="https://www.piasa.fr/fr/products/mitterrand-francois-kissinger-manuscrit-autographe_5bc0afcf0c2ba">Henry Kissinger à Washington</a> (lot 423), avec <a href="https://www.piasa.fr/fr/products/mitterrand-francois-willy-brandt-harold-wilson-carlos-rafael-et-fidel-castro_5bc0afcef1ff2">Willy Brandt dans un train entre Stuttgart à Mayence</a> (lot 420), avec <a href="https://www.piasa.fr/fr/products/mitterrand-francois-fragments-de-labeille-et-larchitecte-et-autres_5bc0afcf31945">Daniel Oduber Quirós dans un restaurant costaricien</a> (lot 430)… Les ébauches de ces chroniques permettent de découvrir son processus d’écriture.</p>
<p>Considérant que « la vraie littérature naît […] de l’exactitude du mot et de la chose », il s’adonnait en effet à une écriture de contention, un style qui « cherche toujours à économiser, à économiser le mot, à économiser la phrase […] sans aller tout à fait jusqu’au digest ».</p>
<p>Pour mieux appréhender l’important travail qui lui permettait d’offrir un texte juste, s’embarrassant le moins possible de détails et de digressions, il suffit de comparer les versions manuscrite (lot 420) et tapuscrite (archives de l’Institut François Mitterrand) de cette anecdote <em>so british</em> publiée dans <em>L’abeille et l’architecte</em>.</p>
<blockquote>
<p>« Invité par Wilson à Chequers, résidence des premiers ministres pour notre “Conférence des leaders” de l’Internationale socialiste, je faisais à la fin d’une réunion de travail, le tour des portraits qui ornent la salle du conseil de cabinet du gouvernement britannique, là même où nous venions de nous réunir, et contemplais Nelson, Pitt, Wellington et d’autres encore représentés en pieds par ces grands maîtres de la peinture anglaise que son […] quand j’entendis mon hôte me poser cette étrange question : “La présence de ces tableaux ne vous gêne pas, je l’espère. Sinon j’ordonnerais qu’on les fasse enlever.” Je crus qu’il se moquait et le lui dit. “Assurément, reprit Wilson, je ne doutais pas de votre réponse. Mais savez-vous que pour éviter un incident diplomatique, nous avons déjà exilé ces portraits dans les musées de Londres ?” »</p>
<p>« À Chequers, résidence des premiers ministres, où Harold Wilson reçoit la “Conférence des leaders” de l’Internationale socialiste, je fais le tour des portraits qui ornent la salle du Conseil de Cabinet du gouvernement britannique où nous venions de nous réunir, et je contemplais Nelson, Pitt, Wellington, d’autres encore représentés en pied par les maîtres de la peinture anglaise, quand j’entendis Wilson me poser cette question : “Si la présence de ces tableaux vous gêne, je peux les faire enlever.” Je crus qu’il se moquait et le lui dis. “Savez-vous, reprit Wilson, que pour éviter un incident diplomatique nous avons déjà exilé ces portraits dans les musées de Londres ?” »</p>
<p>« Aux Chequers, je faisais le tour des portraits qui ornent la salle du Conseil où se tient parfois le Cabinet et je contemplais Nelson, Pitt, Wellington, d’autres encore représentés en pied par les maîtres de la peinture anglaise, quand j’entendis Wilson me poser cette question : “Si la présence de ces tableaux vous gêne, je peux les faire enlever.” Je crus qu’il se moquait et le lui dis. “Savez-vous, reprit Wilson, que pour éviter un incident diplomatique nous avons déjà exilé ces portraits dans les musées de Londres ?” »</p>
</blockquote>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Œuvres de François Mitterrand dans leur réédition aux Belle Lettres.</span>
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<p>François Mitterrand ne manquera jamais une occasion de réaffirmer son plaisir d’écrire, lui qui aurait « aimé consacrer une partie de (sa) vie à construire une œuvre littéraire ». Une œuvre qui aurait sans doute proposé, comme l’écrivait <em>Le Monde</em> à la sortie de <em>L’abeille et l’architecte</em>, « des pages d’une écriture admirable, digne des plus grands ».</p>
<p>Une œuvre qui aurait certainement puisé sa force dans une écriture juste, que l’ancien président de la République considérait comme</p>
<blockquote>
<p>« une compensation à ce défaut que tout homme politique prend, par la nécessité où il se trouve de s’exprimer pour convaincre et pour expliquer, qui finit par donner des rythmes, et notamment un rythme oratoire, un rythme éloquent tout à fait anti-littéraire ».</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/105825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yvan Boude vient de signer l’introduction et l'appareil critique de L'Abeille et l'architecte de François Mitterrand, réédité chez Les Belles lettres. De 2002 à 2007, il a été chargé de mission au Musée du septennat de Château-Chinon.</span></em></p>À l’occasion de la dispersion d’une partie de la bibliothèque personnelle de l’ancien président de la République, François Mitterrand, retour sur l’écrivain et ses lectures.Yvan Boude, Docteur en Sciences politiques et ingénieur de recherche, spécialiste de communication politique, Directeur de la communication, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/996932018-07-10T12:48:54Z2018-07-10T12:48:54ZEmmanuel Macron à Versailles : plus près des étoiles<p>On aurait tort de dater l’affirmation de la prééminence présidentielle sur les lignes d’action du gouvernement et de la majorité parlementaire, que le discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès réuni lundi 9 juillet à Versailles traduisait parfaitement, de la présidence actuelle ou même de celle de Nicolas Sarkozy, que l’on qualifia alors d’« hyper-président ».</p>
<p>Si le quinquennat actuel a accentué la présidentialisation de nos institutions, c’est en fait tout l’édifice de la V<sup>e</sup> République, notamment depuis l’élection du président de la République au suffrage universel, qui est construit <a href="https://theconversation.com/de-la-division-du-travail-entre-le-president-et-le-premier-ministre-80553">sur cette prééminence</a>. Si la possibilité, pour le chef de l’État, de s’exprimer devant le Congrès réuni à Versailles, a renforcé la dimension symbolique de cette prééminence, c’est avant tout par la possibilité de venir physiquement en personne s’exprimer.</p>
<p>Avant la <a href="http://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/election-presidentielle-2012/president-republique-quels-pouvoirs-depuis-reforme-2008.html">réforme constitutionnelle de 2008</a>, qui lui donna cette possibilité, le chef de l’État pouvait adresser aux Assemblées un message écrit lu par le président de l’Assemblée concernée. Ainsi, le 8 juillet 1981, juste avant le discours de politique générale de Pierre Mauroy, François Mitterrand adressa-t-il un message à l’Assemblée nationale dans lequel le lien entre le programme présidentiel et l’agenda de travail des députés nouvellement élus était exprimé de manière nette :</p>
<blockquote>
<p>« Le changement que j’ai proposé au pays pendant la campagne présidentielle, que les Françaises et les Français ont approuvé, que la majorité de l’Assemblée nationale a fait sienne, commande désormais nos démarches. J’attache à cette observation d’autant plus d’importance que le rôle du Parlement, voter la loi et contrôler l’exécutif, est appelé à s’élargir non seulement parce que le fait doit rejoindre le droit, mais aussi parce que j’attends des institutions, toutes les institutions, qu’elles participent à l’œuvre de redressement national. J’ai dit à plusieurs reprises que mes engagements constituaient la charte de l’action gouvernementale. J’ajouterai, puisque le suffrage universel s’est prononcé une deuxième fois, qu’ils sont devenus la charte de votre action législative. Vous les connaissez et je n’y reviens pas. »</p>
</blockquote>
<p>On retrouve bien ici la trame narrative que tous les Présidents de la République ont en fait livrée de leur action : leur élection vaut approbation de tout leur programme, elle fixe la feuille de route, commande l’action du premier ministre et du gouvernement qui, de son côté, procède à la mise en œuvre et au paramétrage des réformes.</p>
<p>Dans cet argumentaire, imparable au plan institutionnel, tout repose sur l’idée d’une élection-validation de tout le programme présidentiel. C’est bien cette trame qu’a utilisée hier Emmanuel Macron, revenant au début de son discours sur le lien entre son élection et son bilan d’un an : « Je n’ai rien oublié », a-t-il martelé afin de rappeler à tous – électeurs, parlementaires, gouvernement – que c’est bien de lui et sa campagne électorale que tout procède.</p>
<p>On peut se demander si Emmanuel Macron interprète cette partition classique de la V<sup>e</sup> République de manière différente de ses prédécesseurs et ce que son discours d’hier nous révèle de sa pensée et sa vision de son rôle.</p>
<h2>Le Président d’un château à l’autre</h2>
<p>Il est difficile de séparer le locuteur du rôle institutionnel qui lui fait franchir les grilles du Château de Versailles. Nulle surprise si le monarque républicain exerce ses pouvoirs en son lieu et son transport d’un château vers l’autre ne change rien de fondamental à l’ordre des choses : d’une certaine manière, on pourrait même soutenir l’idée d’un progrès du fonctionnement de nos institutions puisque c’est au grand jour que le Président vient affirmer sa dominance sur le Parlement.</p>
<p>Mais, dans le cas d’Emmanuel Macron, cette séquence institutionnelle et politique vient fortement en écho du style présidentiel qu’il veut nous montrer : <a href="https://theconversation.com/comment-photographier-un-president-jupiterien-78559">impérial, magistral, visionnaire</a>. Tout a été dit sur cette question depuis plus d’un an : on compare souvent Emmanuel Macron au fondateur de la V<sup>e</sup> République ou à Napoléon. Mais on utilisait déjà la métaphore du « Pont d’Arcole » pour Nicolas Sarkozy et l’on comparait François Mitterrand au Sphinx de Gizeh, énigmatique et tout-puissant.</p>
<p>Le discours prononcé à Versailles ne va pas, loin s’en faut, conduire à atténuer le magistère présidentiel de nos institutions. Interprété par Emmanuel Macron, il prend même un reflet flamboyant. Au-delà des éléments programmatiques et des lignes directrices de l’action publique annoncée, il nous donne à voir un Président qui se veut au-dessus des autres.</p>
<p>Un « performeur » : les respirations ou légères pauses de quelques secondes après l’énoncé des passages les plus longs et les plus denses du discours soulignaient que le Président se sentait accomplir une performance d’élocution. Ces courtes secondes étaient comme des moments de dialogue avec l’histoire de France : le Président donnait le sentiment de mesurer le caractère historique de son propos, de vouloir en faire partager la solennité avec les parlementaires.</p>
<p>On ressentait parfois un trouble : pourquoi une telle emphase ? Qu’est-ce qui se cache derrière l’exposé brillant, la capacité étourdissante à enchaîner les mots, les idées, les concepts ?</p>
<h2>Viser plus haut, plus loin, plus fort</h2>
<p>Le contenu également se situait dans un registre de performance : viser plus haut, plus loin, plus fort que tous les autres. Le « retour de l’héroïsme en politique », que le Président appelait de ses vœux, dans l’interview (de 15 pages) donnée au <em>Point</em>, en août 2017, est le retour du pouvoir magique que le Président attribue aux mots et aux prises de paroles : finis les « renoncements », finis « les petits arrangements » et le jeu « petit bras », comme l’on dit au tennis (que le Président pratique) !</p>
<p>La politique est de retour, mais une politique qui se pense et se veut inspirée par les plus hautes ambitions intellectuelles : aider la France à ouvrir les yeux sur le monde qui a changé et tourner le dos aux faux-semblants, aux illusions et aux hypocrisies d’une « société des statuts » et des rentes de situation. Le héros stendhalien est toujours prêt au combat contre le conservatisme, le vrai, pas celui des idéologies <a href="https://lemonde.fr/politique/article/2017/05/13/recit-de-la-semaine-ou-macron-a-tente-de-bousculer-le-monde-d-avant_5127157_823448.html">du « monde d’avant »</a>.</p>
<p>L’énergie et le volontarisme que se dégagent incontestablement du propos présidentiel (notamment dans ce type de circonstances où la solennité permet la dramaturgie) sont, à dire vrai, assez fascinants : nous sommes tous, analyses et observateurs de la vie politique, fascinés depuis plus d’un an…</p>
<p>Cette fascination est peut-être l’objectif visé par la communication présidentielle : définir totalement l’espace du débat public, tout cadrer, tout embrasser, tout réformer, tout refaire – de la toiture des relations internationales et européennes de la France à celui fragile des Français qui sont exposés aux dures réalités de l’économie ouverte et globalisée.</p>
<h2>Appétit réformateur</h2>
<p>Cet appétit réformateur sans limites s’est à nouveau affirmé devant le Congrès à Versailles, malgré la confession de départ sur le thème du Président qui doute, qui ne peut pas tout et qui ne réussit pas tout. Il y eut un moment où le propos sembla s’emballer : le nombre de chantiers à ouvrir, de problèmes et de défis à relever, de réformes et de catégories de Français concernés éloigna progressivement le propos de l’humilité revendiquée au départ.</p>
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<p>C’est là tout le paradoxe du propos présidentiel : il serait tout à fait désespérant que le Président nous explique que rien ne peut être fait, mais n’est-il pas troublant que tant de promesses et d’idéaux libérateurs puissent être mis en œuvre à l’échelle des trois ans et demi qui lui restent ? Qui ne serait pas d’accord avec l’objectif d’aider les plus démunis d’entre nous à échapper aux mécanismes socio-économiques qui brisent des vies ? Mais ces mécanismes ne parlent-ils pas des inégalités profondes du type de système économique dans lequel nous vivons, celles qui constituent les piliers d’une économie de marché qui segmente, trie, classe les individus ? Rien pour le moment, dans la vie réelle des Français, n’est venu inverser ou corriger fondamentalement les choses à cet égard.</p>
<p>On retrouve ici toute la difficulté pour Emmanuel Macron d’expliquer le changement de paradigme qu’il propose – <a href="http://www.lepoint.fr/politique/revolution-la-troisieme-voie-d-emmanuel-macron-24-11-2016-2085261_20.php">la « révolution » dont parle son livre-programme</a> – publié en 2016, alors même que les inégalités produites, résultats de « l’ancien monde », continuent largement de baliser le destin des Français.</p>
<h2>Refaire le match du second tour</h2>
<p>Le discours du 9 juillet croise plusieurs fois cette relative tension et contradiction : le début ne nous parle que du second tour de la présidentielle. Le premier tour, en quelque sorte, n’a pas eu lieu. En résumant son élection au clivage des « modernistes » contre les « conservateurs » et en repliant la temporalité de son élection sur le seul second tour, Emmanuel Macron souhaite tourner le dos aux « passions tristes », une expression qu’il n’a pas utilisée mais qui était largement présente de manière sous-jacente.</p>
<p>Interpellé avec force par Edwy Plenel lors de son entretien face au directeur de la rédaction de <em>Médiapart</em> et à Jean‑Jacques Bourdin, Emmanuel Macron avait réfuté l’argument de sa base électorale du premier tour tout en rappelant que les élections législatives avaient ratifié le choix majoritaire sur son programme. Là encore l’argument institutionnel est imparable ; mais l’argument politique n’en est pas moins préoccupant pour le chef de l’État. C’est effectivement bien dans les électorats qui ne se sont pas portés sur lui au premier tour et/ou dans les électorats qui l’ont rejoint au second tour que les <a href="https://theconversation.com/qui-est-satisfait-demmanuel-macron-96602">effets de déception</a> se font sentir aujourd’hui. Les électeurs commencent, en fait, de moins en moins à rejouer le match du second tour.</p>
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<p>Ultime paradoxe du verbe présidentiel, riche, dense et tout à sa cohérence : si tout repose sur l’affirmation d’une incurie radicale de ses prédécesseurs, il va devenir de plus en plus difficile au fur et à mesure de ces rendez-vous annuels de Versailles de tout expliquer par ce passé. Les éléments prospectifs d’une « nouvelle révolution française » et d’une « nouvelle abolition des privilèges » devront bien céder la place aux éléments rétrospectifs sur les résultats tangibles.</p>
<p>Mais, après tout, le discours politique héroïque puise son ressort dans un autre paradigme que celui de la causalité ; il est plus proche du discours mythologique, autoréférencé, à la fois cause et effet et qui n’a pas nécessairement besoin de validation empirique.</p>
<p>Il est fort possible que la structure narrative de ce discours ne change pas fondamentalement d’une année sur l’autre : <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/sky-is-the-limit-assure-emmanuel-macron-1164426">« The sky is the limit »</a>, se donnait comme horizon Emmanuel Macron dans un entretien au <em>Un</em> en 2016, un dialogue avec les étoiles, le firmament et le champ de tous les possibles, incroyable métaphore d’une volonté de pousser les murs et de refuser la cage de fer qui transforme l’or de la campagne électorale en plomb quelques années plus tard.</p>
<p>Rendez-vous dans un an, à Versailles ! Et avant, rendez-vous le 26 mai 2019 pour les élections européennes… Les étoiles, encore et toujours !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99693/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Cautrès ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si tout repose sur l’affirmation d’une incurie radicale de ses prédécesseurs, il va devenir de plus en plus difficile au fil de ces rendez-vous annuels à Versailles de tout expliquer par le passé.Bruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/977602018-06-06T21:12:32Z2018-06-06T21:12:32ZDébat : Emmanuel Macron face à 30 ans de faillite intellectuelle et politique sur la transformation du monde<p>Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, il y a un an, des réformes importantes sont annoncées, discutées, contestées et votées dans tous les secteurs de l’intervention publique. La démarche du gouvernement Philippe et de la majorité LaREM à l’Assemblée nationale est souvent perçue comme <em>disruptive</em> parce qu’elle intrigue, inquiète ou exaspère. Bref, parce qu’elle bouscule les repères et ne laisse personne indifférent.</p>
<p>Dans cette effervescence, des spécialistes en politiques publiques multiplient les assertions techniques sur l’idée que « tout va trop vite » et que « ça ne marchera pas ». Ce scepticisme expert vire souvent au <em>Macron Bashing</em> sur l’argument anxiogène que le « modèle français » et sa sacro-sainte conception du « dialogue social » sont menacés.</p>
<p>Le verdict s’accompagne d’arguments politiques sur le déficit de légitimité du Président qui ne serait arrivé au pouvoir que grâce à des circonstances exceptionnelles – le <a href="https://theconversation.com/francois-hollande-la-non-candidature-de-lelysee-69801">renoncement de François Hollande</a>, la mise en examen de François Fillon, l’effondrement des partis traditionnels. Ce sentiment d’une intrusion par effraction valide une tentation à personnaliser le diagnostic et à conclure qu’il ne s’agit, finalement, que d’un technocrate libéral qui met en œuvre des « politiques de droite ».</p>
<p>Disons-le sans détour : cette forme de simplification de la situation illustre l’incroyable aveuglement des élites françaises, depuis au moins trente ans, sur l’analyse des transformations du monde. Avec le recul, il est possible de retracer le film de cette cécité intellectuelle en plusieurs étapes.</p>
<h2>Le volontarisme éclairé du Général</h2>
<p>La première concerne l’après-Seconde Guerre mondiale quand les élites issues de la Résistance ont fait table rase d’un libéralisme rabougri qui menait à la catastrophe. Leur ambition s’est alors concentrée sur un objectif, la « modernisation », et le cycle a connu son apogée dans les années soixante.</p>
<p>Cette période a consacré un autre leader arrivé « par effraction », Charles de Gaulle, qui a impulsé des politiques à marche forcée alors qu’elles étaient violemment critiquées par toutes les corporations. C’est le volontarisme éclairé des technocrates gaullistes (et mendésistes) qui a contribué à transformer la France à l’époque.</p>
<h2>Le refus de la mondialisation</h2>
<p>Les choses se sont gâtées à partir de la crise des années 1970. Au moment où tous les pays développés abandonnaient le fétichisme des solutions fondées sur la dépense publique, l’élite française s’est accrochée à un logiciel <em>made in France</em> qui réfutait la mondialisation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221804/original/file-20180605-119863-1dwib1b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221804/original/file-20180605-119863-1dwib1b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221804/original/file-20180605-119863-1dwib1b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221804/original/file-20180605-119863-1dwib1b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221804/original/file-20180605-119863-1dwib1b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221804/original/file-20180605-119863-1dwib1b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221804/original/file-20180605-119863-1dwib1b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">François Mitterrand (ici aux côtés de Christian Pierret).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/christianpierret/5260365033/in/photolist-91QKfR-eBJane-qNFWzW-r3XhZW-r3W1Ey-r6eeZT-q9rque-qNDwuo-r6fofD-qxkejD-oh4udM-q9dJ5w-o2fksq-Gp9vjZ-r65jHz-q9e7qy-r6a4KQ-r666V8-qNMZYM-qNNYMK-r66act-qNDj2h-qNPpac-r66kBr-r6awbq-5mpeZA-6udY9g-CMpMNT-tRhJa-bRxkCz-q9rBxX-qNEmkd-qNDkqQ-r6as4C-r6aDU1-qNEfVW-r6fozr-qNP236-q9rKtX-r6ehb6-q9er9A-r6frKV-r69DT1-q9rBTg-q9eyV7-qNEtVd-r6abVb-r3WC8h-qNEv8y-r3X57b">Christian Pierret/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>En 1983, François Mitterrand a pris à reculons le tournant de la rigueur, malgré son élection sur un programme ultra keynésien. À la différence de la période des Trente glorieuses, les gouvernements successifs se sont alors trouvés dans l’incapacité de penser cette transformation en profondeur.</p>
<p>Il nous semble que les élites portent, sur cette séquence, une très lourde responsabilité pour la suite : le monde changeait de plus en plus vite, mais la France est restée sur le format d’une société de statuts et de corporations, se focalisant sur des réflexes de frilosité et de méfiance vis-à-vis de la réussite et de l’argent. La posture a conforté une gigantesque machine à produire du chômage tout en amplifiant, chez les Français les plus exposés, les sentiments de fatalisme économique et de peur de l’avenir.</p>
<h2>La crise des années 2000</h2>
<p>La crise des années 2000 a ouvert un nouveau cycle marqué par l’extension de la mondialisation, la financiarisation de l’économie mondiale, la révolution numérique, l’intensification du défi écologique et l’émergence de nouvelles formes de citoyenneté en réseau.</p>
<p>Une fois de plus, face à ces mutations rapides, les élites politiques et syndicales ont gardé pour priorité et pour conviction qu’il fallait préserver un modèle qui craquait de toutes parts. La France est devenue l’exemple un peu caricatural du pays riche qui déplore les transformations du monde et y résiste avec vigueur en circuit fermé.</p>
<h2>En finir avec l’image d’un État « corne d’abondance »</h2>
<p>C’est en réaction à ces aveuglements qu’Emmanuel Macron a construit son programme. Les déboires des partis traditionnels ne doivent pas occulter le fait que son élection tient, d’abord, à sa volonté d’imaginer des solutions en phase avec un monde qui évolue très vite.</p>
<p>Le credo a été charpenté sur une exigence cardinale, presque une obsession : pour enrayer la machine à produire du chômage, il faut rendre l’économie française plus réactive, plus efficace, et il faut favoriser la mobilité, la prise de risque et l’innovation. Cet élan implique de reconsidérer la relation que les Français entretiennent avec l’économie. La France a été construite sur l’image d’un État « corne d’abondance » au sein duquel chaque secteur et chaque corporation cherche avantages et protection.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221806/original/file-20180605-119850-1bmuq94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221806/original/file-20180605-119850-1bmuq94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221806/original/file-20180605-119850-1bmuq94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221806/original/file-20180605-119850-1bmuq94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221806/original/file-20180605-119850-1bmuq94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221806/original/file-20180605-119850-1bmuq94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221806/original/file-20180605-119850-1bmuq94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des cheminots en grève (ici en 2016).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/03/CHEMINOTS_ST_LAZARE_%2827501359385%29.jpg/640px-CHEMINOTS_ST_LAZARE_%2827501359385%29.jpg">Patrick Janicek/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Tout cela ne veut évidemment pas dire que l’État doit s’affranchir de ses fonctions de régulation sociale et de protection des plus faibles mais simplement que l’imaginaire politique des Français, en limitant l’État à cette <em>providence</em>, ne prend pas la mesure des nouvelles menaces économiques et socio-environnementales.</p>
<p>Or c’est précisément là que la dynamique du mouvement En marche questionne les responsabilités du politique. Réguler le monde ne suffit plus, il faut aussi le repenser, le panser, le remettre en synergie, en acceptant l’idée que l’État, seul, ne peut pas mener victorieusement ce combat.</p>
<h2>Dynamique européenne et voie libérale</h2>
<p>L’autre exigence forte du gouvernement d’Édouard Philippe concerne l’inscription systématique des politiques publiques dans une dynamique européenne. Le concert des sceptiques face aux réformes en cours (à droite, à gauche et aux extrêmes) a pour effet de masquer le fait que tous les dossiers « difficiles » sont directement impactés par la panne d’Europe.</p>
<p>La financiarisation de l’économie, l’accueil des migrants, les inégalités socio-urbaines, le déclin du rural, les transports publics, l’harmonisation des retraites : toutes ces questions de société sont liées à la capacité du pays à créer de l’emploi, donc de la richesse, et à enclencher la transition économique et écologique dans un cadre de négociation sur le bien commun qui dépasse les frontières nationales.</p>
<p>Dans ce contexte d’incertitudes, l’insistance des réformateurs sur les valeurs de liberté et de confiance n’est pas anodine. Nombre d’experts s’emploient à faire de l’économie ouverte une fatalité et un fléau qui accélèrent inexorablement les désordres du monde. Le tournant néo-libéral des années 80 a notamment sinistré les imaginaires militants et territoriaux en diabolisant le marché et en dévaluant l’esprit d’initiative.</p>
<p>On sait bien pourtant que sur toutes les questions éthiquement sensibles (la pauvreté, la parité, l’élitisme, les discriminations, la pollution, les exclusions…), la défense des avantages acquis fonctionne de plus en plus souvent comme un totem incantatoire qui aggrave les inégalités et les injustices. La voie « libérale » des élans de liberté et de confiance doit être débattue, sereinement et avec du recul, en n’oubliant pas que dans ses fondations philosophiques et humanistes, le libéralisme est un extraordinaire vecteur de progrès social et d’émancipation culturelle.</p>
<h2>Faire preuve d’imagination et de courage</h2>
<p>Reconnaître la pertinence globale des politiques mises en œuvre depuis un an ne signifie pas qu’il faut s’interdire de les infléchir. Pas plus que le gaullisme à l’époque, le macronisme n’est une dynamique inéluctable et univoque. Mais l’enjeu, pour les forces de progrès, n’est pas de s’accrocher obstinément à des convergences conservatoires quand il faut faire preuve d’imagination et de courage pour promouvoir plus d’égalité, d’équité et de justice.</p>
<p>À l’heure où la société place les individus dans le défi d’être les entrepreneurs de leur propre vie, les réformes sont une invitation à la responsabilité politique, notamment à gauche : il faut d’abord accepter le monde tel qu’il change pour tenter de le réparer et de l’améliorer.</p>
<hr>
<p><em>Alain Faure a co-écrit « La politique à l’épreuve des émotions » (PUR, 2017). Pierre Muller est l’auteur de « La société de l’efficacité globale » (PUF, 2015).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97760/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’enjeu pour les forces de progrès aujourd’hui est de faire preuve d’imagination et de courage pour promouvoir plus d’égalité, d’équité et de justice.Alain Faure, Directeur de recherche en science politique à Sciences Po Grenoble - Université Grenoble Alpes, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Pierre Muller, directeur de recherche honoraire, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/949312018-04-19T21:06:21Z2018-04-19T21:06:21ZLe « passe culture » : révolution ou retour à l’ancien monde ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/215603/original/file-20180419-163966-1osdf7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C5964%2C3511&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le passe culture, gadget ou atout de démocratisation culturelle ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/people-show-chairs-gym-274/">Pexels</a></span></figcaption></figure><p>« Tel que nous sommes en train de le dessiner, le passe culture est une révolution. Une voie d’accès inédite vers la culture » a proclamé la ministre de la culture, <a href="http://www.lemonde.fr/culture/article/2017/12/18/francoise-nyssen-il-faut-combattre-la-segregation-culturelle_5231269_3246.html">Françoise Nyssen</a>, qui fait de la création de ce passe l’alpha et l’oméga de sa politique culturelle.</p>
<p>Ce dispositif devrait, selon la ministre, briser les barrières financières et sociales qui s’opposent à l’accès aux biens culturels. Par le biais d’une application géo-localisée téléchargeable par tous, il deviendrait le premier réseau social culturel, et serait le dispositif amiral de la lutte contre les inégalités culturelles. Comme pour tout dispositif, il convient d’analyser ce qui représente, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Dits-et-ecrits">selon Michel Foucault</a>, une « fonction stratégique dominante » […], d’une certaine manipulation de rapports de force, d’une intervention rationnelle et concertée dans ces rapports de force… »</p>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="270" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x6fs6lf" allowfullscreen="" allow="autoplay"></iframe>
<h2>Retour vers le futur</h2>
<p>L’annonce d’un dispositif doté de telles ambitions ne fait que réactiver le discours de la promesse et les illusions technico-économiques portées par le ministère de Jack Lang au cours du premier quinquennat de François Mitterrand. Le directeur de cabinet du ministre, <a href="https://www.pug.fr/produit/665/9782706108167/La%20Culture%20en%20action">Jacques Renard, affirmait déjà, à l’époque</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les nouveaux réseaux de communication, notamment le câble et la télédistribution qui permettent l’interactivité […] vont modifier la politique locale. »</p>
</blockquote>
<p>L’ère nouvelle promise par le ministère de Lang devait être le fruit du mariage de la technique et de la communication. Elle allait s’opposer à la ségrégation spatiale et fonctionnelle des quartiers. Du flux des nouvelles images, de la multiplicité des chaînes et des banques de données, de la relation construite par les logiciels interactifs devaient émerger la civilisation de la ville. La culture circulant dans les réseaux immatériels allait « rompre l’isolement des quartiers périphériques entre eux et par rapport au centre ». On sait ce qu’il en advint.</p>
<h2>Le bilan contrasté de la démocratisation culturelle</h2>
<p>L’objet artistique ayant vocation à circuler dans l’espace public, il s’agissait, dans les années 80, de développer une politique industrielle de la culture adaptée aux mécanismes du marché. La politique culturelle de l’État, ces cinquante dernières années, trouvait sa source dans une aspiration à la démocratisation culturelle.</p>
<p>Sur le plan de l’aménagement du territoire, les effets ont, sans aucun doute, été très positifs ; sur le plan sociologique, le bilan est contrasté et son évaluation suppose d’établir clairement les rapports entre art et culture.</p>
<p>En visant prioritairement les œuvres artistiques, dans leur production comme dans leur diffusion, en fonction de leurs hiérarchies, et en distinguant art majeur et art mineur, la politique culturelle de l’État ne s’est pas attaquée aux ségrégations culturelles. L’administration, nécessaire pour exercer la compétence que s’était donnée l’État, en 1959, a notablement favorisé l’accès aux œuvres « légitimes » et à leur conservation.</p>
<p>Les deux foyers de la trajectoire elliptique de la politique culturelle initiée par Jack Lang s’appuyaient sur la création artistique et les nouvelles technologies. Le « nouveau monde », lui, a choisi de s’appuyer sur le produit culturel et la mise en réseau numérique. D’une certaine manière, la problématique du « passe culture » prolonge et amplifie les illusions de l’ancien monde, « en même temps » qu’elle s’en différencie.</p>
<iframe width="100%" height="100%" frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://player.ina.fr/player/embed/I00015504/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/wide/1"></iframe>
<p>La conception implicite de la culture de la ministre actuelle ne relève pas seulement d’une pensée techniciste et économiste. Elle témoigne d’une perte de sens de la notion de culture. La culture est une relation porteuse de sens entre les personnes, médiée par des formes symboliques. or, le passe culture réduit la nature de cette relation et la convertit en technique, rapport entre le Sujet et les choses.</p>
<p>Ces deux conceptions occultent les pratiques sensibles et symboliques de la personne. L’homme ordinaire était convié à occuper la place du récepteur hier, de client aujourd’hui. Et c’est à la technique de communication pour le premier ; au réseau numérique pour le second, qu’est confiée la mise en contact ou la connexion.</p>
<p>L’horizon de la démocratisation culturelle visait, par les moyens de l’action culturelle, à mettre à la disposition du plus grand nombre les œuvres du patrimoine. La myopie vis-à-vis des résistances sociologiques, le déni des inégalités culturelles, l’insensibilité aux violences symboliques… se sont manifestées, en particulier, dans la rupture entre le socio-culturel et culturel, institutionnalisée par André Malraux, <a href="http://tristan.u-bourgogne.fr/cgc/publications/Politiques_pratiques_culture/politiques_pratiques_culture.html">à la naissance de la Vᵉ République</a>.</p>
<h2>Une logique marketing</h2>
<p>La perspective du « passe culture » ignore la question de la relation de l’objet culturel au récepteur. Sa philosophie implicite se fonde sur des logiques de produit. L’usager du service culturel s’est transformé en cible. L’action marketing a fait place à l’action culturelle.</p>
<p>Ce qui distingue les trajectoires de ces deux formes de politiques culturelles est relatif aux rapports entre l’art et la culture. Dans l’ancien monde, la question de l’art était essentialisée – l’art étant défini par sa nature. Lorsque les collectivités publiques évoquent leur compétence culturelle, elles identifient généralement l’art et la culture. Pour d’autres acteurs – certains professionnels de l’art – la relation est perçue comme une opposition : l’art produirait la rupture dans les perceptions et les sensibilités, alors que la culture serait censée faire du commun. Dans un cas comme dans l’autre, l’administration publique de la culture s’est appuyée sur une certaine conception de l’art, le plus souvent implicite et sans délibération, pour affirmer son existence et exercer son pouvoir de nomination : des catégories artistiques, des genres, des artistes…</p>
<p>Or, les rapports entre les formes artistiques et les pratiques culturelles <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=59178">doivent être problématisés</a>.</p>
<p>De la même façon que les phénomènes de l’art et de la culture doivent être distingués et mis en rapport, il est nécessaire d’établir la distinction et la relation entre expérience de l’art et expérience esthétique. Le phénomène esthétique ne se manifeste pas seulement dans le monde de l’art, il concerne de multiples domaines de l’activité et de l’expérience humaines. Les formes artistiques ne sont pas seules à témoigner de la vie psychique, à mettre en jeu l’imaginaire, à mobiliser les affects, à produire de la jouissance esthétique.</p>
<p>Entre les années 60 et 80, les débats sur la culture se développaient, le plus souvent, à partir des <a href="http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1972_num_26_1_1744">oppositions entre culture dominante et culture dominée</a>. À la fin des années 80, la question se déplace avec la thématique de la fracture sociale et culturelle. L’ambition de la transformation sociale et politique a été balayée, à la fois par un réalisme s’accommodant des inégalités culturelles et par un renoncement du politique à transformer le monde. La rupture de la relation entre avant-garde politique et avant-garde artistique qui date de la fin des années 70, tout comme l’usure de la thématique et de l’idéologie de la révolution dans les années 80, sont les marques de cette « fatigue de l’âme » qui renonce à penser l’articulation entre art et politique.</p>
<h2>Le rôle de la médiation culturelle</h2>
<p>L’émergence de la thématique de la <a href="https://babordplus.u-bordeaux.fr/notice.php?q=id:2697419">médiation culturelle</a>, au début des années 90, est contemporaine de la prise de conscience des phénomènes d’exclusion, de fracture et de segmentation de la société française. De nombreux ouvrages collectifs et colloques sur la médiation culturelle, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, en France et au Québec témoignent de l’intérêt pour cette thématique.</p>
<p>Cette floraison éditoriale, accompagnée d’expériences artistiques et culturelles multiples, marquait la volonté de mettre fin « au temps de défiance et de confrontation » entre le champ de la culture et celui de l’éducation populaire. Il s’agissait de partager une ambition : développer les démarches d’appropriation de l’art vivant et du patrimoine afin de démocratiser l’accès aux œuvres, aux langages et aux pratiques. La médiation était alors, de surcroît, appelée à s’opposer à la fragilisation du lien social ; à favoriser la naissance de nouvelles normes, là où les anciennes avaient perdu leur légitimité.</p>
<p>La médiation culturelle était alors une question socio-politique et esthétique. Elle regroupait des modalités d’intervention riches et diversifiées qui allaient de l’accompagnement des publics aux pratiques des langages sensibles qui valent comme prises de parole (énonciation) dans l’espace public. Elle témoignait d’un projet qui devait être porté par l’art, à travers son insertion sociale et son articulation au projet politique de démocratie culturelle. La médiation culturelle – comme action et comme pensée – s’est positionnée dans le rapport entre, d’une part, l’art comme valeur et pratique et, d’autre part, la culture comme sentiment d’appartenance à une collectivité. Durant sa courte histoire institutionnelle, vingt ans, la médiation culturelle a été souvent l’<a href="http://www.observatoire-culture.net/rep-revue/rub-sommaire/ido-65/la_mediation_culturelle_ferment_d_une_politique_de_la_relation.html">objet d’une usure de son sens</a>.</p>
<p>Avec le « passe culture », l’usure est achevée. La référence à l’art a disparu. L’art ne pouvant plus prétendre à être une « promesse de bonheur », il est relégué aux oubliettes, et le nouveau monde accomplit l’<a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2000-v56-n3-ltp2168/401314ar.pdf">annonce de Hegel</a> sur la « fin de l’art ».</p>
<p>Auguste Comte (secrétaire de Saint-Simon, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/macron-un-president-philosophe">dont la doctrine semble avoir influencé</a> Emmanuel Macron) découpait l’histoire humaine en trois états : théologique, métaphysique, positiviste.</p>
<p>Avec De Gaulle et Malraux, nous vivions dans l’état théologique : la culture, confondue avec l’art, relevait du religieux et de la magie du verbe. Avec Mitterrand et Lang, la culture accédait à son état métaphysique, celle de la création artistique. Macron, lui, fait entrer la culture dans une ère positiviste, celle des « sachants », des techniciens et de la vérité du chiffre. Il s’agit de remplacer une action culturelle publique – qui est d’abord de nature politique – par une recherche de clientèle. Celle-ci vise à satisfaire les attentes et s’adresse sans médiation – autre que celle de la technique numérique et du téléchargement – aux usagers potentiels.</p>
<h2>Devoir de culture</h2>
<p>Sur le plan du phénomène culturel, il s’agit d’une vision courte et qui plus est, sans mémoire. En plus de cinquante ans, la réflexion des sociologues de la culture, les pratiques des professionnels de la culture (artistes, diffuseurs, animateurs ou médiateurs), l’action des militants de l’action culturelle et de l’éducation populaire ont patiemment et difficilement tenté de montrer que le « devoir de culture » du politique était un impératif catégorique pour lutter contre la fracture sociale et l’exclusion.</p>
<p>Les questions que la ministre de la culture met en débat, dans le cadre du comité d’orientation du passe culture, se focalisent sur les types d’offres disponibles et la place accordée aux plates-formes numériques. La question centrale devient celle de savoir si des produits culturels comme, par exemple, <em>Star Wars</em>, entrent dans le cadre des propositions de l’application.</p>
<p>Les questions essentielles ne peuvent être prises en compte, puisqu’elles ne sont même pas identifiées. Quel sens partagé les formes artistiques mises en culture peuvent-elles proposer ? Comment, dans le cadre de politiques publiques, les droits culturels peuvent-ils se construire ? Dans quels dispositifs d’expression et de réception, les pratiques culturelles, dans leur diversité, peuvent-elles participer à la maîtrise du langage, au développement du sens critique, à la construction du Vivre ensemble ?</p>
<p>En somme, la révolution annoncée se résume à fournir un mode d’emploi du « Bon coin » culturel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>
Je suis président de l'association CDJSFA — Centre de jeunes et de séjour au festival d'Avignon — qui regroupe : une association d'éducation populaire, les CEMÉA —Centres d'entraînement aux méthodes éducatives et artistique —, le Festival d'avignon et la ville d'Avignon. </span></em></p>Analyse du dispositif proposé par la ministre de la Culture à la lumière des politiques de démocratisation culturelles de ces cinquante dernières années.Jean Caune, Professeur émérite en sciences de la communication, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/938712018-03-28T18:55:47Z2018-03-28T18:55:47ZTraverses présidentielles : le caillou dans la chaussure du président Macron<blockquote>
<p>« Le temps n’épargne pas ce que l’on fait sans lui. » (Regnard, « Les folies amoureuses »)</p>
</blockquote>
<p>Dans un paysage politique disloqué, le Président fait cavalier seul en tête de l’étrange et hétéroclite armée de l’An I de la République macronienne. À la différence d’un Renzi, et d’une certaine manière d’une Merkel, il a réussi à surimposer à l’agenda politique national un agenda européen et international. Dans une Europe où de Naples à Varsovie, les populistes font fumées du feu des migrants et paralysent le jeu politique, il fait figure de contre-exemple. Il agit. Vite. Ce qui lui vaut, tantôt des sauts de popularité saluant son efficacité ; tantôt des sursauts d’impopularité du fait du contenu des mesures.</p>
<p>Il n’hésite pas à fouetter sa monture de la cravache des ordonnances. Voire de menacer d’enjamber les résistances en faisant appel au référendum. Il avance. Vite. Il sait que son crédit de légitimité ne peut que fondre au fur et à mesure qu’il s’éloigne du soleil de son élection.</p>
<p>Avançant au pas de charge, il multiplie les fronts. Il choisit des terrains de réforme particulièrement symboliques, avec une claire conscience que le bénéfice est proportionnel aux risques de la bataille. La dimension épique est indispensable pour marquer les esprits : une victoire sur le front des chemins de fer où tant de ses prédécesseurs se sont brisé les os serait le <em>Marengo</em> du Président et l’année 2018, sa <em>campagne d’Italie</em>.</p>
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<span class="caption">La Bataille de Marengo (peinture de Louis-François Lejeune).</span>
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<p>L’État a une tête. Emmanuel Macron use au maximum des ressources que lui offrent les ambiguïtés de la V<sup>e</sup> République. Faisant sienne la célèbre petite phrase de François Mitterrand (« Cette constitution n’a pas été faite par moi, mais elle est bien faite pour moi »), il impose les directions, la forme et le rythme des réformes. Il pousse la présidentialisation dans tous ses retranchements constitutionnels, aux limites incertaines d’un présidentialisme gaullien.</p>
<h2>Funambule dans le ciel politique</h2>
<p>En apparence, l’absence d’opposition politique suffisamment structurée lui laisse le champ libre pour agir à sa guise. Mais en réalité, sa marge d’action est fortement contrainte en termes de temps et d’espace. Son horizon est avant tout un horizon d’attente : celle des électeurs dans sa capacité à agir en profondeur, à mettre un terme à l’impuissance politique, à relancer la confiance dans un État retrouvant son autorité. En un mot, à tenir les promesses, sinon tous les espoirs à la base de son élection.</p>
<p>Funambule dans le ciel politique, le voilà amené à avancer sur un fil tendu entre deux exigences : celle de la rapidité, preuve de sa capacité réformatrice ; celle du respect des instances représentatives et des corps intermédiaires. Terrible dialectique qu’il faut assumer, sous peine de perdre l’équilibre entre l’autorité et l’autoritarisme.</p>
<p>Pour incongru que cela paraisse à première vue, on se trouve ramené 6o ans en arrière, au début de la V<sup>e</sup> République. Celle-ci est née de l’effondrement d’un régime devenu impuissant à répondre aux exigences du moment. Le jeu des partis se ramenait à des combinaisons variables dans la forme, mais identiques dans le contenu des dosages. Il a volé en éclat sous les coups de boutoir de la décolonisation.</p>
<p>De Gaulle, ramené aux affaires par la crise, en profite pour réaliser ce qu’il avait échoué à faire en 1945 : prendre la tête d’un exécutif disposant de la plénitude de l’autorité, échappant à l’emprise des partis. En 1958, et plus encore en 1962, il entend faire du chef de l’État plus qu’un arbitre : un véritable responsable de la politique du pays, placé au-dessus de la mêlée par son mode d’élection directe par le peuple.</p>
<h2>Instinct de conservation</h2>
<p>Mutatis mutandis, le parallèle s’impose entre De Gaulle et Macron : dans un vide créé par une crise profonde, ils doivent l’un et l’autre une forte part de leur accession au pouvoir à leur passé. De Gaulle parce qu’il en avait un, gage de capacité de résistance à l’adversité ; Macron parce qu’il n’en avait pas, gage de rénovation et de rajeunissement. Dans les deux cas on se trouvait bien, comme le dira de Gaulle en février 1966, « en ces moments de menace immédiate, où l’instinct de conservation porte le pays à se rassembler moralement ».</p>
<p>Certes, en 2017 la menace n’était pas du même ordre qu’entre 1958 et 1962, quand la France était au bord de la guerre civile. Mais elle existait bien, face à un appareil politique totalement décrédibilisé par sa vacuité et son impuissance. La montée en puissance du Front national alourdissait encore l’hypothèque, menaçant le système d’implosion. Dans les deux cas, les partis de gouvernement se voyaient largement rejetés, par action et par abstention.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/212241/original/file-20180327-109182-16hyl5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/212241/original/file-20180327-109182-16hyl5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/212241/original/file-20180327-109182-16hyl5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/212241/original/file-20180327-109182-16hyl5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/212241/original/file-20180327-109182-16hyl5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/212241/original/file-20180327-109182-16hyl5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/212241/original/file-20180327-109182-16hyl5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Second tour de la présidentielle en mai 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/number7cloud/34356062021">Lorie Shaull/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>De Gaulle n’aimait guère les partis, les jugeant incapables de répondre à l’intérêt général. Aussi tenta-t-il de contourner les corps intermédiaires, en cherchant la confiance directe des Français. D’où cette utilisation intense de la procédure référendaire habillée en question de confiance : en dix-huit mois, il a eu recours trois fois à l’article 11 ; la troisième fois en violation flagrante de la Constitution pour passer outre le Parlement.</p>
<h2>Tentation plébiscitaire</h2>
<p>Mais cette tentation plébiscitaire qui amène à sortir des voies institutionnelles pour chercher le contact direct avec le peuple, n’est ni sans danger, ni suffisante. Le danger, de Gaulle l’a éprouvé et assumé quelques années plus tard, en avril 1969.</p>
<p>L’insuffisance, quant à elle, tient aux exigences de la durée et à la nécessité de disposer d’une ressource partisane pour garantir le contrôle des différentes instances de pouvoir, législatif et local. On peut se faire élire Président <em>contre les partis</em> : de Gaulle et Macron en ont fait la démonstration. Mais on ne peut s’inscrire durablement dans l’ensemble des institutions <em>sans parti</em>.</p>
<p>La République gaullienne, non seulement n’a pas fait disparaître cette indispensable médiation que sont les partis : elle en a engendré de nouveaux, composant un système partisan radicalement différent de l’ancien, modelé par les institutions.</p>
<p>À l’abri d’un parti dominant constitué autour du président de la République s’est formé un dispositif d’alliances qui a progressivement dessiné un système bipolaire imposé par le scrutin majoritaire. La bipolarisation atteindra son zénith à la fin des années soixante-dix et servira de cadre, bon an mal an, aux différentes alternances.</p>
<h2>Des cartes rebattues, mais pas encore redistribuées</h2>
<p>Mais, comme l’avait annoncé le coup de tonnerre d’avril 2002, les termes de l’alternative droite/gauche vont finir par s’épuiser et se dévitaliser. La mécanique présidentielle ne suffisait plus à garantir la bonne marche de l’exécutif. Preuve accablante, le dernier quinquennat : bien que formellement soutenu par une importante majorité parlementaire, François Hollande a vu son action entravée par une fronde constante de députés pourtant élus dans son sillage.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/212242/original/file-20180327-109207-17ufe1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/212242/original/file-20180327-109207-17ufe1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/212242/original/file-20180327-109207-17ufe1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/212242/original/file-20180327-109207-17ufe1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/212242/original/file-20180327-109207-17ufe1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/212242/original/file-20180327-109207-17ufe1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/212242/original/file-20180327-109207-17ufe1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En Estonie, en septembre 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/eu2017ee/37374146841/in/photolist-YWCgL6-XS2d1f-YxYeqm-YyjA19-XS2ZQm-YTZByQ-25mjjM9-VxrUVU-YVzZxJ-2444gpk-VA5gQV-WBXFQF-Zf9ixq-25mjA9w-YeDyNu-UowUeT-WPFGVa-YJj9Kq-YeDyzU-UoFseZ-25mk3o5-TXmM9u-22E8VjG-CdieAm-S7JE1d-UjH8rD-CdieKQ-XHJDbC-YVzXcm-25mjRv3-HhgWah-YeDvFs-YtCNfB-YVzXvC-BQBJ4Q-HhhZYs-XHJEz9-YeDyFL-YeDyJw-qnvA5j-YeDtWW-24knD2A-Zf9iF1-q6a7Bz-24ko2sC-Zf9isA-YpQnou-qnvAT3-q62hJC-25mkmjL">EU 2017 Estonian Presidency/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>S’engouffrant dans le vide de la perte de confiance, un troisième larron, d’élection en élection, a imposé son arbitrage. D’où une figure de triangulation faussant le jeu binaire. Le surgissement subit et victorieux d’Emmanuel Macron coïncide avec l’effondrement de la bipolarisation et des partis qui l’animaient. Voici les cartes politiques totalement rebattues. Pas encore redistribuées.</p>
<p>Reste à ordonner ce nouveau paysage qui met en jeu d’autres clivages idéologiques et d’autres lignes de fractures sociales. Pour l’heure, si LaREM a constitué un outil de conquête du pouvoir efficace, elle est loin d’être en capacité prétendre à être plus qu’une fédération hétérogène encadrant une majorité présidentielle aux contours flottants.</p>
<h2>Pure grammaire gaullienne</h2>
<p>C’est donc seul, sans base partisane solide, qu’Emmanuel Macron doit réussir son pari de réformes en profondeur. D’où ce revirement assez surprenant que souligne <a href="https://theconversation.com/reforme-constitutionnelle-le-macronisme-horizontal-en-campagne-et-vertical-au-pouvoir-93593">Luc Rouban</a>, d’un Président qui avait fait campagne en vantant concertation, réseaux sociaux, mobilisation militante… et qui concentre étroitement la décision.</p>
<p>Macron au pied du mur se voit amené à identifier son agir communicationnel avec la pure grammaire gaullienne : du de Gaulle dans le texte et dans l’esprit ! Même interprétation présidentialiste que son lointain prédécesseur, qui rappelait le 9 février 1967 : « Sans doute, dans notre régime, tel que nous l’avons institué en 1958 été complété en 1962, la politique de la France doit-elle procéder du chef de l’État, élu, lui, par la nation dans son ensemble, et de son gouvernement. »</p>
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<p>Ou encore, dans la fameuse conférence de presse du 16 mai de la même année, défendant le recours aux ordonnances pour réformer la sécurité sociale comme « une procédure rapide pour prendre les mesures d’urgence indispensables et répondant aux conditions incertaines du moment ». Avant de conclure superbement : « Au total, il n’y a donc là rien que de très normal en principe et, en l’occurrence, rien que de très satisfaisant. »</p>
<p>Même symétrie également dans l’articulation permanente de l’international et du national. On sait la part essentielle que de Gaulle faisait à la présence de la France sur la scène mondiale, et comment celle-ci conditionnait son positionnement politique. Sur fond de mondialisation, les voyages d’Emmanuel Macron prennent un relief identique.</p>
<p>Surtout, il y a cette affaire de la 25<sup>e</sup> révision de la Constitution. Le nombre des mesures proposées peut faire impression. Leur contenu laisse songeur : aucune proposition n’est avancée pour trancher le nœud gordien mis en place en 1962. Au contraire. Visiblement, Emmanuel Macron entend garder le bénéfice d’un système ambigu qui fait de lui le chef d’exécutif le plus puissant des démocraties représentatives : il permet au Président de contrôler le Parlement par l’intermédiaire de son premier ministre. En maintenant la fiction d’un gouvernement qui détermine la politique de la nation, on persiste à affaiblir le parlement tant dans sa fonction législative que de contrôle de l’exécutif.</p>
<p>Quant au mode de scrutin, l’introduction de la proportionnelle, condition d’émergence d’une représentation pluraliste, se voit réduite à la portion congrue : pas question, semble-t-il, de se priver du bénéfice du rouleau compresseur majoritaire. L’arme est pourtant à double tranchant…</p>
<h2>Dans le Sénat, le poison</h2>
<p>Cette question de la révision nous amène à saisir un autre parallèle entre le premier Président de la V<sup>e</sup> République et le dernier : il s’agit du caillou sénatorial. De Gaulle, qui avait espéré l’appui d’un Sénat peuplé de notables, n’avait pas prévu que celui-ci serait la bouée de sauvetage des députés battus aux législatives. Mitterrand et bien d’autres y trouveront un havre permettant d’attendre des jours meilleurs.</p>
<p>Aussi fut-il fort dépourvu quand, en 1962, il vit les sénateurs se joindre à la fronde parlementaire pour s’opposer à la révision constitutionnelle. On connaît la suite : il enjamba et le Parlement et la Constitution en utilisant l’article 11. « Forfaiture ! », s’exclamera le Président du Sénat, Gaston Monnerville. « Subterfuge qui ne pouvait tromper aucun juriste et, disons le mot, aucun honnête homme », écrira Mitterrand.</p>
<p>Dans son parcours électoral sans faute jusqu’à l’automne 2017, Emmanuel Macron a totalement raté la <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/institutions-macron-pret-au-bras-de-fer-avec-le-senat-1275325">marche sénatoriale</a>. Certes, l’affaire n’était pas facile, le nouvel élu ne disposant pas de relais suffisants dans les départements, ni du temps nécessaire pour les établir. Mais rien n’a été fait pour occuper sérieusement la position. Pire : d’annonces provocatrices sur les financements des collectivités territoriales en choix erratiques des candidatures, tout semble avoir été conçu pour perdre lourdement la bataille.</p>
<h2>Conservatoire des espèces en voie de disparition</h2>
<p>Délices de Capoue après deux victoires spectaculaires ? Dédain vis-à-vis de ce que Chénier, dans <em>Tibère</em>, désignait comme « Un fantôme affaibli qu’on appelle Sénat » ? Volonté de ne pas apparaître comme contrôlant tous les pouvoirs ? Sans doute par mélange de tout cela, Emmanuel Macron a laissé les vieux partis défaits se réfugier à l’abri de la forteresse sénatoriale, devenue un conservatoire des espèces en voie de disparition.</p>
<p>L’addition est lourde : voilà l’exécutif contraint à une danse de l’ours devant un Sénat récalcitrant par rapport à la réforme. La menace d’utiliser le référendum prévu à l’article 11 est peu crédible : cette procédure étant réservée aux dispositions non constitutionnelles, elle obligerait à tronçonner les dispositions suivant leur nature, introduisant plus de confusion que d’efficacité.</p>
<p>Mais au-delà du clin d’œil de l’histoire, cette affaire du Sénat révèle une faiblesse du dispositif macronien : sa connexion insuffisante avec les territoires, conséquence d’une trop grande indifférence aux corps intermédiaires. Passée la vague des premières réformes, le Président gagnerait à renouer avec une dynamique du dialogue. Seule manière de conjurer le risque de voir son expérience réduite à n’avoir été qu’une ultime tentative pour sauver un régime à bout de souffle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93871/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Emmanuel Macron pousse la présidentialisation dans tous ses retranchements constitutionnels, aux limites incertaines d’un présidentialisme gaullien.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/900852018-01-21T21:06:11Z2018-01-21T21:06:11ZVers la fin du Centenaire : l’importance de la commémoration de la Grande Guerre pour les relations franco-allemandes<p>L’année 2018 marque la fin du Centenaire de la Première Guerre mondiale. Même si le cycle des actes commémoratifs se poursuit, nous pouvons tirer un premier bilan de ce que ce Centenaire a signifié pour les relations franco-allemandes. Dès le début des événements mémoriels, les responsables français ont eu l’ambition de commémorer l’évènement « main dans la main » avec leurs partenaires allemands. En témoigne le préprogramme du centenaire, le <a href="http://centenaire.org/fr/commemorer-la-grande-guerre-rapport-joseph-zimet-septembre-2011">« rapport Zimet »</a>, qui date du mois de septembre 2011 et qui affiche cette volonté de manière exemplaire. Pour les deux pays, la Première Guerre mondiale est un <a href="https://www.tallandier.com/livre-978-2-84734-996-2.htm">événement d’une très grande importance</a>, le seul bilan des morts en témoigne : 1,4 million côté français, 1,8 million côté allemand, sans parler des millions de blessés et mutilés dans les deux pays.</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/le-rire/29-mai-1915/219/1695357/12" frameborder="0"></iframe>
<p>Pour les relations franco-allemandes, l’évènement a également été crucial : jusqu’au début des années 1950, cette guerre a perpétué le mythe d’une haine héréditaire en France et en Allemagne, <a href="http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100391020">née au XIXᵉ siècle</a>.</p>
<p>Ce n’est que dans la deuxième moitié du XX<sup>e</sup> siècle que la commémoration de la Première Guerre mondiale s’est peu à peu transformée en un lieu de mémoire commun : les deux mémoires « concurrentes » se sont rapprochées afin de devenir enfin un symbole de la réconciliation franco-allemande. Le spécialiste des relations franco-allemandes Alfred Grosser l’<a href="http://www.morgenweb.de/nachrichten/politik/elyseevertrag/meistens-einigt-man-sich-am-ende-1.881258">a constaté il y a quelques années</a> avec une certaine stupéfaction :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qui est étonnant, c’est que beaucoup de grandes fêtes – Charles de Gaulle et Konrad Adenauer dans la cathédrale de Reims en 1962, François Mitterrand et Helmut Kohl à Douaumont en 1984, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel le 11 novembre 2009 à l’Arc de triomphe – sont des symboles de la Première Guerre mondiale »</p>
</blockquote>
<h2>De la « haine héréditaire » à l’« amitié héréditaire »</h2>
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<p>Commençons par la <a href="http://books.openedition.org/septentrion/11047?lang=fr">visite d’État de Konrad Adenauer en France au début du mois de juillet 1962</a>. Celle-ci a été parfaitement organisée par le protocole français dans le cadre d’une politique de communication qui visait notamment à préparer les Français à l’aboutissement de la réconciliation. C’est là le fil directeur du programme de la visite d’Adenauer, qui marque également l’étape la plus connue de cette visite : la participation commune du chancelier et du président de la République à une messe célébrée dans la cathédrale de Reims. La photo des deux hommes d’État, debout, côte à côte, unis par leur âge et leur confession catholique est devenue emblématique, non seulement du rapport personnel entre Adenauer et De Gaulle, mais également de la réconciliation franco-allemande.</p>
<p>Le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl reprirent, après 1982, cette tradition, notamment via leur présence le 22 septembre 1984 à <a href="http://www.verdun-douaumont.com/">Douaumont</a>, c’est-à-dire sur un <a href="http://www.verdun-meuse.fr/images/files/DP_Mitterrand_Kohl_2.pdf">champ de bataille emblématique de la Première Guerre mondiale</a>.</p>
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<p>Leur posture – debout pendant plusieurs minutes, main dans la main, devant un catafalque dressé sur le parvis de l’ossuaire de Douaumont recouvert des drapeaux des deux pays – rappelait pour la première fois les douleurs et les pertes des deux peuples. En transformant ainsi la commémoration de la Première Guerre mondiale en souvenir consensuel d’une terrible expérience partagée, cette politique mémorielle contribua définitivement et de manière décisive à passer du mythe de la « haine héréditaire » à celui de l’« amitié héréditaire ».</p>
<p>Lorsque Kohl et Mitterrand quittèrent la scène politique, entre 1995 et 1998, leur gestuelle mémorielle trouva des successeurs. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy commémorèrent, en 2009, le 91<sup>e</sup> anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918 en déposant ensemble une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu, sous l’Arc de triomphe.</p>
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<p>L’événement même était <a href="http://grhis.univ-rouen.fr/grhis/?p=6656">fortement symbolique</a> : c’était la première fois qu’un dirigeant allemand y participait. En revanche, le protocole français et le président de la République firent de leur mieux pour ne pas compliquer l’affaire pour l’invitée allemande : tout d’abord en annonçant une « fête franco-allemande » dans la presse française ; ensuite, grâce à la mise en œuvre d’un rituel transnational avec l’exécution des deux hymnes et la présence des soldats des deux pays, y compris ceux de la brigade franco-allemande ; enfin, par un discours de Sarkozy qui, tout en se situant dans la tradition du geste de Kohl et de Mitterrand, évoquait avant tout, et cette fois explicitement, les victimes des deux camps et la douleur de leurs familles, et ne permettait aucune distinction ni même un calcul de compensation entre les morts des uns et ceux des autres : « Car, en ce 11 novembre, nous ne commémorerons pas la victoire d’un peuple contre un autre mais une épreuve qui fut aussi terrible pour l’un que pour l’autre ».</p>
<p><a href="http://discours.vie-publique.fr/notices/097003250.html">Sarkozy déclara également</a> que les puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale étaient également coresponsables du fait que la paix n’avait pas pu être rétablie après 1918, « non seulement parce que les vainqueurs manquèrent de générosité, mais aussi parce qu’ils refusèrent de voir le destin tragique qui les liait aux vaincus et que l’indicible horreur de la guerre venait de révéler ». Sans en parler explicitement, cet aveu mettait même la Deuxième Guerre mondiale dans une autre perspective et l’intégrait dans « l’engrenage fatal de la guerre civile européenne »</p>
<p>Dans la série des gestes commémoratifs emblématiques, la cérémonie du 9 novembre 2009 mise en scène par Merkel et Sarkozy, marque le point culminant de la commémoration commune de la Grande Guerre et, dans un certain sens, le point final d’un processus entamé en 1962 par De Gaulle et Adenauer : Sarkozy et Merkel en tiraient, en 2009, l’ultime conclusion en parlant pour la première fois explicitement d’une « guerre civile européenne ».</p>
<h2>Un abus de commémorations ?</h2>
<p>De plus, dans les trois cérémonies commémoratives que nous venons d’analyser se manifestait, de la part des deux pays, la fierté d’avoir réussi à surmonter un passé belliqueux en faveur de la création de <a href="http://discours.vie-publique.fr/notices/887005000.html">« leur communauté de destin et leur solidarité dans la défense de leur existence et de leurs libertés »</a>. Emmanuel Macron a repris ce fil commémoratif récemment, lorsqu’il a rencontré, le 11 novembre dernier, son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier, et a inauguré avec lui le nouvel Historial franco-allemand de la guerre 14-18 du Hartmannswillerkopf en appelant les Français et les Allemands à <a href="http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-lors-de-l-inauguration-de-l-historial-franco-allemand-de-la-guerre-14-18-du-hartmannswillerkopf-en-presence-de-frank-walter-steinmeier-president-de-la-republique-federale-d-allemagne/">« faire œuvre de mémoire et d’histoire en conjuguant les regards »</a>.</p>
<p>On peut tout de même se demander au début de cette dernière année du Centenaire de combien de commémorations les relations franco-allemandes ont besoin. En effet, une politique de mémoire excessive peut provoquer le dégoût, voire l’ennui de l’opinion publique. Une telle politique est aussi susceptible de perdre toute crédibilité en déformant le passé, à force de vouloir créer à tout prix une mémoire commune qui diminue, voire nie les anciens conflits ; ou en faisant de la conflagration de 14/18 le simple prélude de l’unification européenne.</p>
<p>Seule une commémoration authentique, tenant compte des traditions des deux pays, qui ne verse ni dans l’angélisme, ni dans des polémiques dépassées, peut contribuer à ancrer positivement la coopération franco-allemande dans l’épaisseur des deux cultures.</p>
<p>Le rapprochement franco-allemand n’est pas seulement l’affaire des hommes et des femmes politiques des deux pays, il est aussi le fruit des échanges entre les citoyens des deux pays. De plus, la commémoration commune du passé ne saurait compenser les déficits actuels de la coopération entre les deux pays. Assurer l’équilibre entre la mémoire d’un passé conflictuel et la démonstration d’une vraie force politique commune est donc l’un des grands défis de l’agenda franco-allemand en 2018. Nous fêtons d’ailleurs ce 22 janvier le 55<sup>e</sup> anniversaire du <a href="https://www.france-allemagne.fr/Traite-de-l-Elysee-22-janvier-1963.html">traité de l’Élysée</a> – un évènement qui démontre que les relations franco-allemandes d’aujourd’hui, sans oublier leur passé conflictuel, restent prometteuses et vivantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Reiner Marcowitz a reçu des financements de l'Université de Lorraine, de l'Université franco-allemande, de l'Institut historique allemand Paris et de la Mission du Centenaire.</span></em></p>L’année 2018 marque la fin du Centenaire de la Première Guerre mondiale : tirons un premier bilan de ce que ce Centenaire a signifié pour les relations franco-allemandes.Reiner Marcowitz, Professeur – Centre d'études germaniques interculturel de Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.