tag:theconversation.com,2011:/id/topics/hopital-23258/articleshôpital – The Conversation2024-03-25T16:56:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2253722024-03-25T16:56:04Z2024-03-25T16:56:04ZLa lente convalescence des hôpitaux victimes de cyberattaques<p>La pandémie a entraîné une accélération significative de la numérisation des établissements de santé, une tendance déjà bien établie. Malgré tout et contrairement aux secteurs de la distribution ou de la finance où la numérisation est plus avancée, celle de la santé demeure relativement récente, avec des systèmes d’information encore vulnérables aux cyberattaques. En conséquence, le <a href="https://healthcaredatainstitute.com/2023/07/11/une-premiere-analyse-de-limpact-des-cyberattaques-sur-les-etablissements-de-soin/">secteur de la santé s’est classé au troisième rang des domaines les plus touchés par les attaques informatiques</a> dans le monde au cours du premier trimestre de 2023.</p>
<p>Les failles ainsi exploitées permettent aux attaquants de pénétrer les systèmes et les équipements médicaux, d’acquérir le contrôle des données hospitalières, de modifier les paramètres opérationnels des dispositifs existants, de déclencher des dysfonctionnements et d’occasionner de sérieux dommages aux patients.</p>
<p><iframe id="cqEV2" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/cqEV2/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Or, de plus en plus de données de santé sont aujourd’hui produites et disponibles. Selon une étude d’OpinionWay datant de juillet 2020, il a par exemple été constaté que 70 % des Français avaient utilisé des services de prise de rendez-vous en ligne, tandis que 66 % d’entre eux avaient consulté ou reçu des résultats médicaux de manière numérique. Parmi les patients ayant eu recours à la téléconsultation pour la première fois pendant la pandémie, 53 % avaient déclaré être satisfaits de ces nouvelles modalités, avec un <a href="https://www.opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/marketing/sante/opinionway-pour-les-assises-citoyennes-du-numerique-en-sante-les-francais-et-le-virage-numerique-en-sante-novembre-2020.html">taux de satisfaction atteignant 91 %</a>.</p>
<h2>Une panoplie de techniques</h2>
<p>Plusieurs techniques sont utilisées pour permettre aux cybercriminels d’accéder aux données des établissements de santé visés.</p>
<p>Parmi celles-ci, on peut citer les attaques par déni de service, également connues sous l’acronyme DDoS (<em>Distributed Denial-of-Service</em>), qui représentent près de la <a href="https://www.ponemon.org/research/ponemon-library/security/sixth-annual-benchmark-study-on-privacy-security-of-healthcare-data.html">moitié des attaques recensées dans le monde</a>. Cette méthode consiste à submerger le réseau informatique de l’établissement ciblé avec un grand nombre de requêtes simultanées, dans le but de rendre son système d’information hospitalier indisponible. Les attaques DDoS, en perturbant la vitesse et l’efficacité des services, ont un impact durable sur la réputation de l’établissement visé et entraînent d’importantes pertes financières.</p>
<p>Après le <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-le-chru-de-brest-perturbe-par-une-cyberattaque-89796.html">centre hospitalier régional de Brest</a> (Finistère) en mars 2023, c’est dans la nuit du 14 au 15 janvier 2024 que le <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-le-chu-de-nantes-vise-par-une-attaque-ddos-92684.html">centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes</a> (Loire-Atlantique) a été victime à son tour d’une attaque de ce type bloquant notamment le réseau Internet de l’établissement, l’envoi et la réception d’e-mails, ainsi que l’accès aux outils de gestion du CHU depuis l’extérieur (prise de rendez-vous sur le site de l’établissement via Doctolib notamment).</p>
<p>Une autre menace significative pour les établissements de santé réside dans les attaques de <em>phishing</em> (ou hameçonnage). Dans ces situations, les cybercriminels envoient des e-mails ou des messages trompeurs dans le but de persuader les utilisateurs de divulguer des informations personnelles en cliquant sur des liens malveillants. Ces attaques peuvent être exploitées pour accéder directement aux données personnelles et médicales des patients ou pour introduire des logiciels délétères dans le système d’information de l’établissement. Les attaques de phishing sont souvent sophistiquées, à partir de messages qui semblent <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32239357/">provenir de sources fiables en lien vers des sites apparemment légitimes</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, cette méthode représente près de 80 % des attaques informatiques signalées, ce qui en fait la technique la plus répandue et celle dont la croissance est la plus marquée, passant de 32 % du total des attaques en 2016 à 57 % en 2020.</p>
<p>Le 22 août 2023, le <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/cyberattaque-de-l-hopital-de-corbeil-essonnes-lockbit-contribue-a-attaquer-les">centre hospitalier de Corbeil-Essonnes</a> (Essonne) avait vu son fonctionnement fortement perturbé par une cyberattaque de ce type qui avait désorganisé son activité durant plusieurs semaines (dégradations de services et reports d’opérations notamment). À la suite de l’attaque, une demande de 10 millions de dollars avait été exigée par le groupe Lockbit, collectif de hackers d’origine russe, coutumiers du fait.</p>
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<p>Autre pratique répandue : le <em>ransomware</em>. Cette méthode implique le chiffrement des données des systèmes informatiques de l’établissement à l’aide de logiciels malveillants. Les cybercriminels exigent ensuite une rançon en échange d’une clé de déchiffrement nécessaire pour récupérer les données verrouillées. Ces attaques sont particulièrement inquiétantes pour les établissements de santé, car elles entraînent la <a href="https://data.europa.eu/doi/10.2824/28801">perte de données cruciales et des interruptions de service préjudiciables</a>.</p>
<p>Initialement répandues aux États-Unis, où elles sont devenues un commerce très rentable pour les cybercriminels, ces attaques ont commencé à se propager en Europe, à l’instar du <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-le-si-du-chu-de-rouen-infecte-par-un-cryptovirus-revit-progressivement-77099.html">CHU de Rouen (Seine-Maritime) en novembre 2019</a>. Si les établissements de santé publics en Europe sont souvent incapables de payer les rançons exigées, certains établissements privés, ayant rapidement retrouvé un fonctionnement normal, laissent supposer avoir versé aux hackers la rançon demandée, encourageant de ce fait les criminels à perpétuer ce type d’attaques.</p>
<h2>Une facture salée à Dax</h2>
<p>L’une des cyberattaques par <em>ransomware</em> les plus marquantes de ces dernières années a frappé le Centre hospitalier de Dax, 10 février 2021, lorsque l’ensemble de son système d’information hospitalier (SIH) a été mis hors service. Les conséquences de cette attaque, qui a fait l’objet de <a href="https://www.cairn.info/revue-securite-globale-2023-3-page-147.htm">nos récentes recherches</a>, ont été désastreuses pour les opérations de l’hôpital, entraînant plusieurs semaines de perturbations, tandis que la résolution complète du problème a nécessité plusieurs mois de travail pour les réparations.</p>
<p>Le jour de l’attaque, toutes les connexions, qu’elles soient internes ou externes, ont été complètement interrompues, y compris les lignes téléphoniques et le système informatique de l’établissement. Les accès informatiques ont été également bloqués, ce qui a rendu impossible toute forme de communication habituelle (appels téléphoniques, e-mails ou accès au site web de l’établissement notamment).</p>
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<p>Il était, par ailleurs, impossible de se connecter aux serveurs en raison du risque de compromission des comptes. Une sauvegarde préalable sur bandes a heureusement permis de récupérer les données informatisées de nombreux patients, bien que ces données ne puissent être consultées qu’en lecture seule sur un poste dédié, sans possibilité de mise à jour.</p>
<p>Après plus d’un an, les <a href="https://www.techopital.com/story?ID=6255">coûts totaux de cette attaque ont été estimés par l’établissement à plus 2,3 millions d’euros</a>, intégralement pris en charge par l’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine. Les coûts induits prennent en compte les investissements matériels nécessaires à la reconstruction du réseau (174 000 euros), des prestations de cybersécurité et de réinstallation des systèmes (546 000 euros), la sous-traitance de prestations de biologie médicale (9 000 euros), des coûts de formation et d’information internes, les équipes de renforts mobilisées et les heures supplémentaires induites (1,48 million d’euros) ou encore les pertes de recettes commerciales de l’établissement (143 000 euros).</p>
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<p>L’incident survenu au centre hospitalier de Dax illustre les coûts financiers significatifs auxquels un hôpital est confronté lorsqu’il est victime d’une attaque. Comme cela a été le cas à Dax ainsi <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/securite-sur-internet/cyberattaques/cyberattaque-au-centre-hospitalier-de-versailles-une-rancon-a-ete-demandee_5524872.html">qu’à Versailles (Yvelines) à la fin de l’année 2022</a>, l’arrêt des opérations causé par une immobilisation des systèmes informatiques peut entraîner des pertes d’activité pendant des semaines, voire des mois.</p>
<h2>Un risque pour le patient</h2>
<p>Les dépenses nécessaires à la reconstruction d’un système informatique plus sécurisé doivent être également prises en compte, augmentant d’autant la facture d’ensemble d’une cyberattaque sur les établissements de soins. Selon les experts, ces travaux de reconstruction peuvent s’étaler sur près d’un an et coûter <a href="https://www.enisa.europa.eu/publications/cyber-security-and-resilience-for-smart-hospitals">entre 3 et 5 millions d’euros</a>. Bien que certaines parties de ces dépenses puissent, en France, être prises en charge par des organismes tels que les Agences Régionales de Santé (ARS), une telle assistance est loin d’être permise partout dans le monde.</p>
<p>Pire encore, le risque encouru par les patients : une perte de contrôle des dispositifs médicaux, une altération des diagnostics ou des traitements prescrits, ou encore des erreurs dans leur administration peuvent avoir des conséquences dramatiques, voire fatales, pour les patients hospitalisés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225372/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Jallat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les perturbations informatiques liées aux phishing, ransomware ou autres dénis de services engendrent d’importants coûts financiers pour les établissements de santé.Frédéric Jallat, Professor of Marketing and Academic Director of MSc. in Biopharmaceutical Management, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2258252024-03-25T16:34:35Z2024-03-25T16:34:35ZGérer autrement notre système de santé : les acteurs du secteur incités, mais insuffisamment formés<p>Raisons budgétaires, manque de personnel, évolution des pratiques médicales… Les 2976 hôpitaux publics et privés français ont fait l’objet de la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/292502-hopitaux-et-cliniques-les-chiffres-cles-de-lannee-2022">fermeture de près de 40 000 lits d’hospitalisation complète en 10 ans</a>. Des dizaines de petits hôpitaux ont fermé, tout comme des maternités et des services hospitaliers mal équipés ou déficitaires. En parallèle, le nombre de places d’hospitalisation a progressé de près de 2 % grâce notamment à l’hospitalisation partielle et à l’hospitalisation à domicile, en hausse de 16 % entre fin 2019 et fin 2020 pour atteindre <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=5">240 000 séjours</a>. La moitié seulement de cette hausse s’explique par le coronavirus. Si la courbe s’est <a href="https://www.fnehad.fr/wp-content/uploads/2023/04/MOP-3015.pdf">infléchie en 2021</a>, les pouvoirs publics se sont donné pour feuille de route de <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=7">développer</a> plus encore cette approche des soins.</p>
<p>Avec pareilles évolutions, l’organisation des soins mobilise de multiples intervenants professionnels rendant leur coordination essentielle. L’<a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=23">injonction</a> à cela de la part des pouvoirs publics semble de plus en plus forte au moment où le système de <a href="https://theconversation.com/topics/sante-20135">santé</a> doit faire face à d’importantes contraintes comme le <a href="https://theconversation.com/la-population-de-la-france-va-t-elle-diminuer-suite-a-la-baisse-de-la-natalite-222790">vieillissement de la population</a>, l’<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/mieux-connaitre-et-evaluer-la-prise-en-charge-des-maladies-chroniques">augmentation des maladies chroniques</a> et l’importance de contenir le déficit de l’assurance maladie qui pourrait <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/a-8-8-milliards-d-euros-le-deficit-de-la-securite-sociale-va-doubler-d-ici-trois-ans-977591.html">doubler d’ici trois ans</a>.</p>
<p>Plusieurs acteurs du système de santé ont déjà intégré dans leurs pratiques une fonction de <a href="https://theconversation.com/topics/organisation-21871">coordination</a>. En complément des professionnels de santé intervenant à domicile se développent également des dispositifs d’appui à la coordination (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/structures-de-soins/les-dispositifs-d-appui-a-la-coordination-dac/">DAC</a>) ou des communautés professionnelles territoriales de santé (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/structures-de-soins/les-communautes-professionnelles-territoriales-de-sante-cpts/">CPTS</a>). L’organisation de ce système dense semble néanmoins <a href="https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_276592407385.P001/REF.pdf">difficile car il paraît peu lisible</a>. Il reste par ailleurs <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/systeme-de-sante/strategie-de-transformation-du-systeme-de-sante/">cloisonné</a> avec notamment la persistance de frontières entre les soins de ville et hospitaliers, entre les professionnels médicaux, paramédicaux et sociaux.</p>
<h2>Cinq ans d’expérimentation</h2>
<p>Pour en sortir, les pouvoirs publics tentent de mettre en place une législation favorable, à l’innovation. Celle-ci peut certes être technologique ou thérapeutique, mais aussi organisationnelle. L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000036339172">article 51</a> de la loi de Finances de la Sécurité sociale 2018 (LFSS 2018) visait notamment à permettre aux acteurs de la santé, peu formés au management, à s’approprier la notion de « projet ».</p>
<p>Ce dispositif réglementaire autorisait pour les cinq années suivantes à expérimenter de nouvelles organisations grâce à des modes de financement qui n’étaient, jusqu’à présent, pas utilisés. Il s’agit par exemple des <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-une-incitation-a-une-prise-en-charge-partagee-ipep">incitations à une prise en charge partagée</a> (IPEP) : un intéressement versé à des professionnels qui se constituent une patientèle commune pour une meilleure coordination et prise en charge.</p>
<p>On retrouve également le <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-un-paiement-en-equipe-de-professionnels-de-sante-en-ville">paiement en équipe de professionnels de santé en ville</a> (Peps), qui, dans une même logique de coordination, vise à remplacer le paiement à l’acte par une rémunération collective.</p>
<p>L’objectif était notamment, d’après la loi, de « permettre l’émergence d’organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médico-social concourant à l’amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1764055240679080270"}"></div></p>
<p>Près de mille projets ont été déposés sur les plates-formes régionales et nationale et plus de cent ont été autorisés à être expérimentés, regroupant au total un <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-rendez-vous-de-l-article-51/article/journee-nationale-des-porteurs-de-projet-23-novembre-2023">million de patients</a>. L’article 51 de la LFSS 2018 marque ainsi une <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2020-1-page-35.htm?ref=doi">rupture nette</a> avec les tentatives précédentes d’amélioration des prises en charge du fait d’une plus grande souplesse, d’une rapidité des procédures accrue et d’un dispositif législatif davantage ouvert aux acteurs de santé.</p>
<h2>Aligner les motivations</h2>
<p>Nos <a href="https://www.theses.fr/2023PAUU2132">travaux de recherche</a> ont suivi certaines de ces expériences et mettent en avant leur potentiel transformatif. Observant succès et échecs, ils donnent également quelques clefs pour permettre de les mettre au mieux en œuvre.</p>
<p>Deux projets en Nouvelle-Aquitaine ont particulièrement été suivis, avec des fortunes diverses : un projet A, porté par un hôpital public et qui a échoué dans sa mise en œuvre, et un projet B, lancé par un Groupement de coopération sanitaire, qui, lui, a connu une réussite. Chacun reposait sur une innovation organisationnelle, de financement et technologique avec le développement d’interfaces numériques.</p>
<p>Le premier consiste à prendre en charge de manière coordonnée des patients qui souffrent de maladies inflammatoires chroniques. Il est porté par quatre médecins hospitaliers. Le second consiste à prendre en charge de manière coordonnée des patients pour des chirurgies orthopédiques. Ce projet est porté par un médecin militaire.</p>
<p>Le premier élément clé qui peut rendre compte de l’échec du projet A a trait aux motivations. Qu’elles soient collectives ou individuelles, elles restent le socle d’un projet innovant. L’enjeu est de les aligner et de faire adhérer les acteurs aux valeurs et à la culture de l’organisation. Que tout le monde, en somme, soit sur la même longueur d’onde. Or, les porteurs du projet A semblaient aussi animés par des motivations individuelles qui ont freiné l’élan collectif. Un personnel de l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine nous a ainsi confié :</p>
<blockquote>
<p>« Ce sont des porteurs qui aiment être devant. Il y a, quoi qu’on en dise, une volonté d’attirer la lumière. C’est positif pour faire naître des projets ; la preuve ils ont répondu à l’appel à manifestation d’intérêt. Mais lorsqu’il s’agit de les décliner, les choses deviennent plus compliquées. »</p>
</blockquote>
<h2>Apprendre à gérer</h2>
<p>Porter un projet et faire naître des coordinations nouvelles appelle en outre des compétences managériales particulières. Le financement et la gestion de budget, tout d’abord, représentent la condition <em>sine qua non</em> de l’amorçage des projets. Sans financement, pas de projet et sans maîtrise des outils de gestion, pas de mise en œuvre. Au-delà, la maîtrise des interactions humaines (gestion des conflits, résistance au changement…) doit être développée. Un pilotage de projet et des évaluations régulières sont également nécessaires pour garantir des avancées. Cela limite par ailleurs les risques d’exposition médiatique.</p>
<p>L’ARS relevait sans nuance pour le projet B, celui qui a réussi, le point suivant :</p>
<blockquote>
<p>« Clairement, depuis le début, il y a une maîtrise de tous les éléments qui sont nécessaires au bon déroulement du projet. Le porteur est en réalité un manager qui a un sens humain très fort et une connaissance globale du système ».</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1766823677914472915"}"></div></p>
<p>La nouveauté se heurte par ailleurs bien souvent à une résistance au changement que nous avons pu observer notamment de la part de certains médecins hospitaliers. L’« hospitalocentrisme » reste assez marqué dans les mentalités. Dans la même veine, les conflits persistants entre les parties prenantes du projet A ont sans doute figé le projet avec un non-déploiement malgré le fort potentiel. Un des porteurs déplore :</p>
<blockquote>
<p>« Les conflits l’emportent sur le sens et la dynamique commune. Pourtant je peux vous dire que ce projet avait tout pour réussir et on a mis le paquet… »</p>
</blockquote>
<p>Face à cet enjeu, les tutelles comme l’ARS peuvent apporter une aide précieuse. Le dispositif article 51, dans son essence même, incite les acteurs de santé à travailler de manière coordonnée et facilite la conduite et le déploiement des projets grâce à l’accompagnement prévu et aux financements alloués.</p>
<p>Reste que, comme nous le montrons, ces éléments s’avèrent nécessaires mais non suffisants. Les professionnels de santé qui portent les projets doivent être formés aux outils et méthodes du projet sans oublier la dimension de management des ressources humaines. Leurs tutelles semblent, en la matière, avoir un rôle à asseoir pour notamment rappeler aux porteurs de projet le cadre des dispositifs afin d’éviter les risques de non-déploiement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Dezest a reçu des financements de ARS NA-CDAPPB. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Cargnello et Isabelle Franchisteguy-Couloume ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La Loi de Finances de la Sécurité sociale 2018 ouvrait la voie à de nouvelles expérimentations pour organiser notre système de soins. Une recherche en dresse un premier bilan.Cécile Dezest, Docteure en sciences de Gestion, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Emmanuelle Cargnello, Professeur des universités en sciences de gestion, IAE Pau-BayonneIsabelle Franchisteguy-Couloume, Maître de conférences - Habilitée à Diriger les Recherches en sciences de gestion, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239462024-02-27T16:13:54Z2024-02-27T16:13:54ZDans les hôpitaux, le mal-être des soignants face à l’accélération du rythme de travail<p>Depuis l’an 2000, en France, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/infographies-comment-la-france-a-perdu-pres-de-80-000-lits-d-hospitalisation-publics-en-vingt-ans_4833931.html">environ 80 000 lits d’hospitalisation complète ont été fermés</a>, représentant un quart de la capacité d’accueil des hôpitaux. Cette évolution vise à favoriser une hospitalisation plus brève, connue sous le nom d’« ambulatoire » où les patients entrent le matin à l’hôpital, reçoivent leurs soins, et repartent dans la journée.</p>
<p>Cette tendance à accélérer la prise en charge s’inscrit dans une <a href="https://www.researchgate.net/publication/281512421_Post-NPM_Reforms_or_Administrative_Hybridization_in_the_French_Health_Care_System">logique d’amélioration de l’efficience et de la rentabilité des hôpitaux</a>, en lien avec les réformes inspirées du <a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=XFphDAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT4&dq=nouveau+management+public%3B+h%C3%B4pitaux">nouveau management public</a> (NMP), un modèle de gestion qui vise à importer des pratiques du secteur privé dans les organisations publiques. Le NMP permettrait de rendre plus performants les hôpitaux publics, en s’appuyant sur des principes tels que l’optimisation des ressources, le renforcement de la compétitivité face aux structures privées, et <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/735">l’amélioration de la capacité de rendement</a>. L’application de ce nouveau modèle de gestion a des répercussions sur le terrain, comme nous avons pu le constater lors de <a href="https://www.researchgate.net/publication/372988846_Ethical_Implications_of_Acceleration_Perspectives_From_Health_Professionals">l’enquête</a> que nous avons réalisée, fondée sur des entretiens avec divers professionnels de santé ainsi que des observations menés <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">entre 2017 et 2020</a>.</p>
<h2>Des mesures pour réduire les dépenses</h2>
<p>Les réformes, notamment la <a href="https://sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/financement/financement-des-etablissements-de-sante-10795/article/financement-des-etablissements-de-sante">transition d’un budget global à une tarification à l’activité (T2A)</a> en 2004-2005, ont redéfini les incitations financières dans le système hospitalier. Ce changement a instauré une relation entre le volume d’activité réalisé et le financement des établissements, encourageant ainsi une augmentation du nombre de patients pris en charge pour obtenir des fonds liés à l’activité.</p>
<p>Parallèlement, l’émergence des pôles d’activités médico-économiques, initiée par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000606537/">l’ordonnance du 2 mai 2005</a> et confirmée en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020879475">2009</a> par une loi portant réforme de l’hôpital, a ajouté une dimension nouvelle.</p>
<p>Les pôles placent les médecins, en tant que chefs de pôles, au cœur des pratiques budgétaires. Ils jouent un rôle déterminant dans l’établissement et la réalisation des objectifs financiers des hôpitaux. La performance est devenue la pierre angulaire de ces changements, répondant à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).</p>
<p>Une des conséquences de ces réformes est la <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">mise en avant d’objectifs de performance quantitatifs</a> tels que la réduction des durées moyennes de séjour, l’augmentation du taux d’occupation des lits et l’augmentation du taux d’activité médicale, incitant les professionnels de santé à <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-12-2019-4309/full/html">accélérer le <em>turn-over</em> des patients</a>.</p>
<h2>La rentabilité est associée à l’accélération du <em>turn-over</em></h2>
<p>Cette accélération du rythme s’inscrit dans le concept plus large d’<a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/la-fuite-en-avant-de-la-modernite_1333903_3260.html">« accélération sociale »</a> et de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/alienation_et_acceleration-9782707182067">« stabilisation dynamique »</a> du sociologue allemand Hartmut Rosa.</p>
<p>L’accélération sociale est définie par Hartmut Rosa comme une tendance de la société moderne à accélérer dans trois domaines principaux : les innovations technologiques, les normes culturelles, et nos rythmes de vie (en réalisant davantage d’actions par unité de temps). Ces processus d’accélération créent un stress chez les individus qui doivent constamment s’adapter à ce rythme effréné caractéristique de la modernité. Afin d’expliciter le processus de stabilisation dynamique, Rosa compare les systèmes capitalistes à un vélo.</p>
<p>Pour maintenir un équilibre, il faut pédaler en continu, aller de l’avant, et augmenter la vitesse sinon le vélo risque de basculer. Dans le contexte des entreprises, cette tentative pour maintenir une stabilité et rester en place se traduit par une intensité de travail croissante. Les décisionnaires voient dans cette accélération une opportunité, associant la rapidité à la rentabilité. Cependant, cette vision occidentale industrialisée du temps, axée sur l’optimisation, peut conduire à des effets néfastes pour les salariés.</p>
<h2>Des effets néfastes sur les soignants</h2>
<p>Du point de vue des soignants, les soins nécessitent du temps, de la lenteur afin d’être présents pour les patients et leur famille. Cependant, cette dimension relationnelle n’est pas toujours possible en raison du manque de temps. On constate alors une <a href="https://www.jstor.org/stable/44875693">érosion de l’éthique du soin</a>. Une cadre de santé, Sylvie, chargée de coordonner les équipes soignantes, a déploré lors de nos entretiens « la perte de cette dimension relationnelle essentielle ». Cette réalité alimente chez elle un sentiment d’insatisfaction au travail.</p>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients a aussi un impact sur le bien-être au travail des soignants. « Cela crée du stress pour tout le monde », affirme Olivier, un autre cadre de santé interviewé lors de notre enquête. Plus le <em>turn-over</em> est élevé, plus la charge de travail des médecins, des internes et des paramédicaux est importante et plus la fatigue se fait sentir, et peut entraîner des cas de dépression, d’absentéisme et de burn-out. Une infirmière, Sara, nous a expliqué que pendant les six premiers mois après son embauche, une fois par semaine, en rentrant du travail dans sa voiture, elle pleurait juste pour des choses stupides, témoignant de l’impact émotionnel de la charge et du rythme de travail intense. Aujourd’hui, elle prévient ses nouveaux collègues qu’elle forme des défis qui les attendent, soulignant la réalité difficile de ce contexte de travail.</p>
<p>Les professionnels se sentent souvent traités comme des automates, semblables à des machines et alertent sur le risque de déshumanisation des soignants. Plusieurs cadres de santé comparent maintenant l’hôpital à une chaîne de production dans une usine.</p>
<h2>Une spirale vicieuse qui crée de la désorganisation collective</h2>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients crée donc non seulement une pression accrue mais aussi une désorganisation collective. En effet, plus l’absentéisme augmente, plus les infirmiers doivent faire des heures supplémentaires et raccourcir leur temps de repos avant leur prochain tour de travail. L’accélération peut donc devenir une spirale vicieuse, brouillant les frontières entre la vie privée et professionnelle des infirmiers.</p>
<p>Camille, une infirmière qui est employée depuis deux ans et demi à l’hôpital, a déjà fait 150 heures supplémentaires. Elle précise que « cela représente plus d’un mois d’heures supplémentaires ». Tandis que sa responsable a réussi à lui octroyer des jours de congé, elle lui conseille de ne pas répondre si l’hôpital l’appelle car il est probable qu’on lui demande de revenir de son congé pour apporter son aide au fonctionnement des services de l’hôpital. Camille estime que « ce type de management est déshumanisant ».</p>
<p>Du point de vue des cadres de santé, cette gestion les pousse à prendre des décisions managériales qui vont à l’encontre de leurs valeurs, générant un sentiment de ne pas respecter les infirmiers, de les manipuler et de les utiliser pour faire face à l’absentéisme. Pour Nathalie, le rôle de cadre de santé voudrait de respecter leur vie personnelle, de respecter les horaires, mais « ce n’est tout simplement pas possible ». Alors, nous confie-t-elle, elle se retrouve régulièrement « contrainte de les épuiser ».</p>
<p>L’impact de ces effets sur les soignants ne fait guère de doute aujourd’hui, en raison d’une littérature scientifique et d’une presse importante. Pourtant, le gouvernement a reporté à 2028 la fin du caractère central de la tarification à l’activité dans le financement des hôpitaux et n’a pas fait d’annonce concernant un plan stratégique visant à assurer le bien-être des professionnels de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Morinière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus le turn-over des patients est élevé, plus la charge de travail des soignants est importante et entraîne stress, dépression, absentéisme et cas de burn-out.Agathe Morinière, Maître de conférence (Professeur assistant), EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208552024-01-22T15:31:20Z2024-01-22T15:31:20ZIA : Comment votre médecin saura quand il peut lui faire confiance pour ses diagnostics<p>L’intelligence artificielle (IA) <a href="https://crh.cgos.info/informations/l-intelligence-artificielle-a-l-hopital-au-service-des-patients-et-des-agents">commence</a> déjà à être utilisée dans certains hôpitaux. Cependant, nombre de professionnels de la santé <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2023/08/10/ai-chatbots-hospital-technology/">sont encore sceptiques</a> quant à l’adoption généralisée de l’IA dans un contexte clinique.</p>
<p>La question du degré de confiance qu’un médecin peut avoir dans une IA qui l’aide à prendre des décisions médicales – pour poser par exemple un diagnostic ou choisir un traitement – est donc centrale. Dans cette optique, <a href="https://www.nature.com/articles/s41591-023-02562-7">plusieurs</a> <a href="https://www.nature.com/articles/s42256-018-0004-1">chercheurs</a> ont appelé ces dernières années à ce que l’incertitude des prédictions des IA soit estimée et fournie aux médecins.</p>
<h2>Les IA expérimentées à l’hôpital</h2>
<p>Le recours à l’IA par les médecins comme outil de travail a certainement le potentiel de révolutionner la prise en charge des patients.</p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/peut-on-deja-faire-confiance-a-lia-pour-diagnostiquer-un-cancer-197180">aide au diagnostic</a> de divers cancers, comme celui du poumon ou des seins, est ainsi un domaine de recherche très <a href="https://theconversation.com/how-ai-could-dramatically-improve-cancer-patients-prognosis-216713">prometteur</a>, car l’IA se révèle parfois plus précise et rapide qu’un médecin, par exemple pour établir le stade du cancer ou le localiser.</p>
<p>Certaines IA sont déjà présentes sur le terrain. Depuis quelques années, dans divers hôpitaux américains, des <a href="https://journals.lww.com/ccejournal/fulltext/2023/07000/epic_sepsis_model_inpatient_predictive_analytic.8.aspx">IA signalent</a>, en routine, aux médecins et infirmiers les patients qui montrent les premiers signes de <a href="https://theconversation.com/maladies-infectieuses-de-nouveaux-resultats-eclairent-les-mecanismes-de-la-septicemie-197290">septicémie</a>, une <a href="https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/sepsis-septicemie">réponse inflammatoire généralisée associée à une infection grave</a> qui est souvent mortelle.</p>
<p>L’IA est aussi expérimentée dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) à travers la France, par exemple pour améliorer la <a href="https://www.chu-bordeaux.fr/Espace-m%C3%A9dia/Actualit%C3%A9s/Actualit%C3%A9-2021/MARS-BLEU-:-l-intelligence-artificielle-s-invite-en-endoscopie-digestive/">détection de lésions cancéreuses lors d’endoscopies digestives</a>.</p>
<p>Il s’agit d’un sujet d’autant plus important que les conséquences des erreurs de diagnostic peuvent être désastreuses. Aux États-Unis, les diagnostics erronés ou retardés causent près de <a href="https://www.statnews.com/2023/07/21/misdiagnoses-cost-the-u-s-800000-deaths-and-serious-disabilities-annually-study/">800 000 morts et handicaps sévères</a> par an, ce qui pourrait correspondre à un coût de près de $ 100 milliards <a href="https://www.statnews.com/2023/07/21/misdiagnoses-cost-the-u-s-800000-deaths-and-serious-disabilities-annually-study/">selon certaines estimations</a>.</p>
<p>En accélérant et en améliorant le diagnostic des patients, les IA pourraient donc jouer un rôle déterminant. Néanmoins, bien que les IA soient très prometteuses, de nombreuses raisons freinent leur déploiement massif dans les hôpitaux.</p>
<p>Au-delà des considérations de coût ou de formation des personnels, la question de la confiance en ces algorithmes est cruciale. Ce manque de confiance pourrait être en partie pallié par une <a href="https://www.nature.com/articles/s42256-018-0004-1">quantification des incertitudes</a> de prédiction des IA. Chaque IA devrait alors fournir, en plus de son diagnostic, une indication sur son incertitude. Ainsi, le médecin pourra décider en connaissance de cause s’il peut faire confiance à l’IA ou si des examens complémentaires sont nécessaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-deja-faire-confiance-a-lia-pour-diagnostiquer-un-cancer-197180">Peut-on déjà faire confiance à l'IA pour diagnostiquer un cancer ?</a>
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<h2>De nombreuses sources d’incertitudes</h2>
<p>Cependant, quantifier l’incertitude ou le degré de confiance que l’on peut avoir dans la prédiction d’une IA n’est pas aisé et c’est un domaine actif de recherche. En effet, <a href="https://doi.org/10.1016/j.compbiomed.2023.107441">plusieurs sources</a> d’incertitudes se combinent et doivent être prises en compte.</p>
<p>Généralement, l’IA se sert de données comme, entre autres, des radiographies ou des résultats de bilans sanguins, pour fournir une prédiction, qui peut être par exemple un diagnostic, un pronostic ou encore un traitement à suivre. Pour ce faire, l’IA est entraînée sur des données d’anciens patients, avant d’être utilisée par le médecin pour l’aider au diagnostic ou à l’établissement du pronostic de nouveaux patients.</p>
<p>Les incertitudes peuvent donc provenir des données elles-mêmes, qui peuvent être incomplètes ou erronées, par exemple à cause d’erreurs de saisie. Les incertitudes de mesure, liées aux imprécisions des instruments de mesure, tels les IRM ou les échographes, sont également à considérer.</p>
<p>Elles peuvent aussi être dues à la variabilité intrinsèque entre les patients. Ainsi, des <a href="https://doi.org/10.1038/clpt.2010.96">différences</a> physiologiques et génétiques entre patients font que certains vont guérir suite à l’administration de chimiothérapie, et d’autres non.</p>
<p>De surcroît, la typologie des patients peut évoluer : les IA peuvent être entraînées sur des patients potentiellement différents de ceux sur lesquels elles vont être utilisées en conditions réelles, ce qui peut engendrer une diminution de la qualité des prédictions.</p>
<p>Par exemple, pendant la pandémie de Covid-19, à cause de la modification des types de patients hospitalisés, des IA <a href="https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMc2104626">n’arrivaient plus</a> à signaler correctement les patients atteints de septicémie. Il s’agit ici d’un exemple évocateur où, du fait d’une évolution des patients, l’IA aurait dû afficher une plus grande incertitude dans ses prédictions.</p>
<p>Enfin, le <a href="https://www.nature.com/articles/s42256-018-0004-1">manque de connaissance</a> lié à des lacunes dans la compréhension des mécanismes fondamentaux qui régissent les sciences médicales et le fait qu’un modèle est par définition imparfait, est une source d’incertitude à part entière.</p>
<h2>Quantifier le degré de confiance de la prédiction</h2>
<p>Plusieurs approches de quantification de l’incertitude de la prédiction d’une IA existent. La plus simple consiste à estimer une <a href="https://www.nature.com/articles/s41746-020-00367-3">valeur</a> qui donne directement une indication sur la confiance de l’IA. À titre d’illustration, cela pourrait correspondre à la probabilité que le patient soit atteint d’une maladie. Plus la probabilité est élevée, plus on peut faire confiance au diagnostic.</p>
<p><a href="https://www.nature.com/articles/s41591-023-02562-7">Certaines méthodes</a> fournissent aussi un ensemble de diagnostics possibles, chacun étant associé à une probabilité. <a href="https://www.nature.com/articles/s41591-023-02562-7">Par exemple</a>, une IA pourrait diagnostiquer l’origine de maux de tête d’un patient comme étant des migraines avec une probabilité de 50 % ou un accident vasculaire cérébral (AVC) avec une probabilité de 20 %. Le médecin aura alors moins confiance dans le diagnostic de migraine que si sa probabilité avait été de 98 % et celle d’un AVC de moins de 1 %.</p>
<p>Cependant, avoir une simple valeur qui décrit à elle seule l’incertitude de la prédiction n’est parfois pas suffisant, son estimation n’étant pas toujours fiable.</p>
<p>D’autres approches visent ainsi à quantifier également la <a href="https://www.nature.com/articles/s41746-020-00367-3">stabilité</a> de la prédiction à travers l’estimation d’intervalles ou zones de confiance, ou encore de distributions de probabilité. Ainsi, plus la zone de confiance est large, ou plus la distribution de probabilité est étalée, plus la prédiction de l’IA est incertaine et plus le médecin devra se montrer prudent, et potentiellement recourir à des examens supplémentaires.</p>
<h2>Accompagner les médecins dans la prise de décision</h2>
<p>Une fois l’incertitude quantifiée, encore faut-il la communiquer efficacement au médecin. Une visualisation claire et informative des incertitudes est donc primordiale.</p>
<p>On peut prendre en exemple la représentation des projections des résultats des élections présidentielles américaines de 2020 dans un <a href="https://news.stanford.edu/2021/03/19/honesty-statistical-models/">journal américain</a> lors du dépouillement – qui a duré plusieurs jours. Des statisticiens ont collaboré avec les journalistes pour représenter les incertitudes du nombre de votes pour chaque candidat sous forme de dégradé de couleur : plus la couleur est foncée, plus le nombre de votes estimé par l’IA est incertain.</p>
<p><a href="https://www.nature.com/articles/s41746-020-00367-3">Certains chercheurs</a> recommandent aussi que l’algorithme puisse dire « je ne sais pas » quand la prédiction est trop incertaine, ce qui indiquerait au médecin qu’une évaluation plus approfondie du patient est nécessaire. Un <a href="https://www.nature.com/articles/s41591-023-02437-x">modèle récent</a>, qui s’inscrit dans ce paradigme, permet en théorie de diminuer de 25 % les faux positifs dans le contexte de diagnostics de cancer du sein (on parle de faux positifs quand une anomalie est constatée à la mammographie alors qu’il n’y a en fait aucun cancer), tout en réduisant de 66 % la charge de travail des médecins. Des tests en conditions cliniques seront néanmoins nécessaires pour confirmer ces résultats très encourageants.</p>
<h2>Vers une généralisation des IA à l’hôpital</h2>
<p>Quantifier et communiquer l’incertitude des prédictions des IA aux médecins est nécessaire pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées sur le traitement de leurs patients. Pour que l’IA soit adoptée de façon généralisée et pérenne, ces démarches devront en outre être intégrées à un ensemble plus large d’<a href="https://theconversation.com/peut-on-faire-confiance-aux-ia-148867">actions</a> visant à améliorer la confiance en ces IA, tel qu’améliorer la compréhension de leur fonctionnement ou des garanties sur la protection de la vie privée.</p>
<p>De nombreuses questions restent donc ouvertes, même si les nombreux résultats prometteurs récents laissent penser qu’une révolution dans la prise en charge des patients est déjà amorcée.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-20-NEUC-0003">« Q-Func Appel à projets franco-américains en neurosciences computationnelles 2020 »</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220855/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>La thèse de Hanâ Lbath a été financée par l'ANR.</span></em></p>À l'hôpital, des projets sont menés pour utiliser l'IA afin d'aider le médecin à poser ses diagnostics et décider des traitements. Mais le degré d'incertitude des prédictions doit être pris en compte.Hanâ Lbath, Docteure en Mathématiques et Informatique, InriaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2107722023-09-07T15:17:15Z2023-09-07T15:17:15ZLa littératie médicale permet aux patients de mieux comprendre leur état de santé et favorise leur bien-être<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541036/original/file-20230803-19-ji9w80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C992%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les médecins ne sont pas nécessairement de bons vulgarisateurs ou n’ont pas toujours le temps d’expliquer tout dans les moindres détails. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Qu’est-ce qu’un pontage ? Quels sont les risques liés à ma chirurgie cardiaque ? Le domaine de la santé peut être difficile à comprendre et à expliquer. </p>
<p>En effet, interpréter les informations médicales demande un niveau de littératie élevé pour les patients et les membres de leur famille. Dans ce cas, lorsque l’on parle du développement de la littératie médicale (ou littératie en santé ; <em>health literacy</em> en anglais), c’est le fait, pour un patient, de pouvoir lire, écrire et parler de son état de santé et des différentes étapes à venir pour favoriser son bien-être personnel. </p>
<p>Nous sommes un groupe de chercheurs provenant de l’éducation, de la psychologie, de la santé et de la médecine. La littératie médicale est un domaine que nous développons ensemble depuis quelques années.</p>
<h2>Mieux comprendre pour pouvoir prendre sa santé en main</h2>
<p>Dans le domaine médical, développer les compétences en littératie est lié au fait :</p>
<ul>
<li><p>de lire et de comprendre des informations médicales (ex. : qu’est-ce qu’un anévrisme ?) ; </p></li>
<li><p>d’annoter des documents, d’écrire des notes pour soi-même ou des questions pour le médecin (quels sont les risques liés à ma chirurgie cardiaque ?) ; </p></li>
<li><p>de parler au médecin, d’écouter les informations mentionnées par celui-ci et de les comprendre à l’oral.</p></li>
</ul>
<p>Le but pour les patients est de pouvoir prendre leur propre santé en main et de savoir ce qui s’en vient ou ce qui doit être fait. </p>
<p>Très souvent, les patients vont aller chercher de l’information par eux-mêmes sur Internet. Par contre, les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5471568/">informations disponibles en ligne ne sont pas nécessairement fiables ou à jour</a>. Il peut aussi y avoir un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1761906/">problème de lisibilité</a>, c’est-à-dire que les patients ne vont pas nécessairement comprendre ce qu’il est écrit. </p>
<p>C’est d’ailleurs souvent le problème avec les documents disponibles pour les patients, que ce soit sur le web ou en format papier : ils ne sont pas assez compréhensibles et le langage utilisé est souvent complexe. </p>
<p>Selon le National Institute of Health et différents organismes du domaine de la santé, les documents remis aux patients devraient avoir un niveau de lisibilité similaire à celui qu’un élève de <a href="https://www.chudequebec.ca/chudequebec.ca/files/ad/ad7c7c71-ed00-4767-9726-a0b9d4865778.pdf">sixième année du primaire peut lire et comprendre</a>. Par contre, dans les faits, à cause de la complexité du jargon médical, il est extrêmement difficile d’atteindre ce niveau.</p>
<h2>Des vidéos à la rescousse</h2>
<p>Pour pallier cette difficulté, et pour aider les patients et leur famille à comprendre <a href="https://youtu.be/XqeHmTE-uWE"><em>Les différentes étapes de la chirurgie cardiaque</em></a>, nous avons créé des vidéos informatives, vulgarisées et fiables. Elles sont gratuites et disponibles sur YouTube. Ces vidéos font partie du <a href="https://lavoixdunord.ca/2023/02/23/a-la-recherche-dune-plus-grande-comprehension-des-patients/">design de recherche d’un projet en littératie médicale qui est actuellement en cours</a>. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XqeHmTE-uWE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les différentes étapes de la chirurgie cardiaque.</span></figcaption>
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<p>La première vidéo, <a href="https://youtu.be/xZLSocQ0NPo"><em>Avant la chirurgie cardiaque</em></a>, permet de distinguer le chirurgien cardiaque du cardiologue. Il y a également toute une section sur comment se préparer pour une chirurgie cardiaque et ce qu’il est important de savoir avant de subir une opération à cœur ouvert. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xZLSocQ0NPo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Avant la chirurgie cardiaque.</span></figcaption>
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<p>La deuxième vidéo, <a href="https://youtu.be/Qii7tS_tgio"><em>Pendant la chirurgie cardiaque</em></a>, essaie de répondre aux questions suivantes : que se passera-t-il dans la salle d’opération ? Quels sont les différents types de chirurgie cardiaque ? Pourquoi ai-je besoin d’une chirurgie cardiaque ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Qii7tS_tgio?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pendant la chirurgie cardiaque.</span></figcaption>
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<p>La troisième vidéo, <a href="https://youtu.be/7P0gF_F5uQo"><em>Après la chirurgie cardiaque : à l’hôpital</em></a>, informe les patients sur ce qui se passe aux soins intensifs, après les soins intensifs, les médicaments à prendre, les émotions ressenties, les exercices à faire le plus rapidement possible, etc. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7P0gF_F5uQo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Après la chirurgie cardiaque : à l’hôpital.</span></figcaption>
</figure>
<p>La quatrième vidéo, <a href="https://youtu.be/IKO3t3890kQ"><em>Après la chirurgie cardiaque : le retour à la maison</em></a>, ne devait pas être créée au départ. Par contre, à la lumière des questions et des commentaires de patients <a href="https://lavoixdunord.ca/2021/05/10/bien-comprendre-pour-mieux-se-retablir/">d’une recherche précédente</a>, nous avons voulu leur donner une voix. En effet, trop souvent, les patients ont peur de poser des questions parce qu’ils ne veulent pas déranger le médecin, ont peur d’avoir l’air stupide ou se disent que le problème va passer… Si un patient est inquiet, il doit communiquer avec le bureau de son médecin. </p>
<p>Cette vidéo répond entre autres aux questions suivantes : à quoi devez-vous vous attendre lorsque vous retournez à la maison après avoir subi une chirurgie cardiaque ? Comment prendre bien soin de vous-même ? Qu’est-il permis de faire ? Qu’allez-vous vivre comme émotions ? </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IKO3t3890kQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Après la chirurgie cardiaque : le retour à la maison.</span></figcaption>
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<h2>Le pouvoir de la vulgarisation</h2>
<p>Toutes les vidéos ont été créées et approuvées par une équipe de chercheurs interdisciplinaire en éducation et en psychologie, un chirurgien cardiaque, un cardiologue, une médecin de famille et un infirmier. Elles sont également disponibles en <a href="https://www.youtube.com/@isabellecarignan">anglais</a> en entier et par sections.</p>
<p>L’accès à des informations médicales fiables, de qualité et à jour est en lien direct avec tout ce qui touche le consentement libre et éclairé. En effet, comme patient, lorsque vous signez le document pour approuver une intervention médicale, le médecin spécialiste – ou un professionnel de la santé – doit s’assurer que vous comprenez bien dans quoi vous vous engagez. Comprenez-vous ce qu’il arrivera dans la salle d’opération ? Le type de chirurgie que vous allez subir ? Les risques associés ?</p>
<p>Le but des vidéos était de répondre au quoi et au pourquoi pour les patients et les membres de la famille. Il faut toujours garder en tête que le patient est un élève qui apprend par rapport à sa condition médicale. De plus, les médecins ne sont pas nécessairement de bons vulgarisateurs ou n’ont pas toujours le temps d’expliquer tout dans les moindres détails. </p>
<p>Voilà pourquoi il est important de créer des outils de vulgarisation fiables, peu importe le domaine médical, pour que les patients puissent s’éduquer par eux-mêmes et bien assimiler les informations. </p>
<p>En comprenant bien ce qui l’attend, le <a href="https://miceapps.com/client/EventAttendeeAbstracts/view_published_abstract/512/13418/92108">niveau d’anxiété baisse chez le patient</a>, car il se sent plus en contrôle. Enfin, le développement des compétences en littératie médicale permet aux patients de prendre des décisions libres et éclairées par rapport à leur propre santé. </p>
<p><em>Les auteurs tiennent à souligner la très grande contribution de Paul-André Gauthier, Ph.D., consultant en santé et en nursing. Il a participé activement à la rédaction de cet article, à la création des vidéos et il est cochercheur dans nos projets de recherche en littératie médicale</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210772/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Carignan a reçu du financement du Consortium national de formation en santé (CNFS) à titre de professeure associée à l'Université Laurentienne. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Adèle Gallant, Annie Roy-Charland, Marie-Christine Beaudry et Rony Atoui, MD, MSc, FRCSC, FACS ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Le développement des compétences en littératie médicale permet aux patients de prendre des décisions plus réfléchies par rapport à leur propre santé. Mais un accompagnement adéquat est nécessaire.Isabelle Carignan, Ph.D., Professeure titulaire en éducation, Université TÉLUQ Adèle Gallant, Doctorante en psychologie, Université de MonctonAnnie Roy-Charland, Professeure titulaire en psychologie, Université de MonctonMarie-Christine Beaudry, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Montréal (UQAM)Rony Atoui, MD, MSc, FRCSC, FACS, Cardiac Surgeon and Full Professor at NOSM University, Northern Ontario School of Medicine Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2086202023-06-28T20:07:39Z2023-06-28T20:07:39ZCyberattaques dans les hôpitaux, universités, administrations… Comment mieux résister ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534356/original/file-20230627-23-ievjpf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C1014%2C684&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis mi-2021, une cybermenace sur 4 dans le monde environ concerne directement un organisme public.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/illustrations/hacker-la-cyber-sécurité-matrice-8033977/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Collectivités territoriales, administrations publiques, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hopital-23258">hôpitaux</a>, écoles et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/universites-20604">universités</a>, aucune de ces organisations publiques n’est à l’abri des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cyber-attaques-36559">cyberattaques</a>, que la Défense française définit comme :</p>
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<p>« (toute) action volontaire, offensive et malveillante, menée au travers du cyberespace et destinée à provoquer un dommage (en disponibilité, intégrité ou confidentialité) aux informations ou aux systèmes qui les traitent, pouvant ainsi nuire aux activités dont ils sont le support. »</p>
</blockquote>
<p>Selon l’Agence de l’Union européenne pour la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cybersecurite-31367">cybersécurité</a>, 24,21 % des cybermenaces recensées depuis juillet 2021 à travers le monde <a href="https://www.enisa.europa.eu/publications/enisa-threat-landscape-2022">visaient spécifiquement des administrations publiques</a>.</p>
<p>Cependant, ce risque reste largement sous-estimé en France, comme le soulignait en 2020 une <a href="https://clusif.fr/newspaper/le-risque-associe-aux-rancongiciels-demeure-sous-evalue-dans-les-collectivites-territoriales-clusif/">étude</a> du Clusif, l’association de référence de la sécurité du numérique, menée auprès de collectivités territoriales – malgré le fait que près de 30 % d’entre elles ont subi des attaques par rançongiciel en 2019.</p>
<h2>Des organismes plus vulnérables</h2>
<p>En effet, contrairement aux entreprises privées qui peuvent investir fortement en cybersécurité, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/administration-27868">administrations</a> publiques ont généralement des moyens plus restreints. En conséquence, leur capacité à recruter des experts dans ce domaine, attirés par les salaires plus élevés du secteur privé, reste limitée. Ces contraintes renforcent leur vulnérabilité face aux cyberattaques, qui ont connu une <a href="https://theconversation.com/cyberattaques-et-kidnapping-des-donnees-comment-proteger-les-organisations-des-rancongiciels-155384">augmentation considérable</a> depuis la crise du Covid-19.</p>
<p>Depuis une dizaine d’années, les hôpitaux français étaient déjà des cibles privilégiées.</p>
<p>Encore très récemment, le 7 juin 2023, Aix-Marseille Université a connu une cyberattaque qui a eu pour effet le blocage total et temporaire de l’ensemble de ses services numériques pour les étudiants, les enseignants-chercheurs et les personnels administratifs. La direction du numérique de l’établissement ayant très rapidement isolé son réseau, cette mise hors d’accès a permis de préserver l’intégrité du système informatique, d’éviter des dégâts potentiellement importants et d’assurer un retour rapide à la normale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1666437434358284296"}"></div></p>
<p>Si un niveau élevé de sécurité permet de contrecarrer et résorber la plupart des tentatives d’intrusion, ces phénomènes posent néanmoins de sérieux défis en matière de résilience technologique et organisationnelle. En effet, comment assurer la continuité des services publics tout en protégeant les systèmes d’information et les données personnelles des utilisateurs (personnels et usagers) ?</p>
<h2>Des mesures techniques et organisationnelles</h2>
<p>La notion de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/resilience-22971">résilience</a> renvoie de manière générique à une capacité à résister, absorber et/ou rebondir face à un choc traumatisant, que cela soit à un niveau individuel, organisationnel, territorial voire sociétal. Sur le plan organisationnel, la résilience implique des capacités dynamiques visant à anticiper, résister, s’adapter ou encore <a href="https://econpapers.repec.org/paper/haljournl/hal-03083051.htm">se transformer, se réinventer</a>.</p>
<p>Appliquée au domaine des technologies du numérique, la résilience implique à la fois des mesures de sauvegarde, de protection des données, mais aussi de maintien de l’activité. Selon une <a href="https://www.oracle.com/security/cloud-threat-report/">étude</a> conjointe du cabinet de consulting KPMG et l’entreprise informatique Oracle, il convient de définir ces mesures de manière préventive afin qu’elles puissent être déployées efficacement et rapidement le cas échéant.</p>
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<p>Plusieurs méthodes peuvent être mobilisées. Sur le plan technique, le <strong>principe du moindre privilège</strong>, selon lequel même les communications internes sont considérées non sécurisées, peut notamment être appliqué. De même, des <strong>systèmes de gestion de l’information</strong> et des événements de sécurité (SIEM) analysent les informations en temps réel pour détecter d’éventuelles anomalies. Enfin, rappelons qu’une bonne compréhension de la <strong>configuration du réseau</strong> est cruciale pour anticiper et prévenir les attaques.</p>
<p>Sur le plan organisationnel, obtenir une <strong>certification</strong> d’une autorité compétente peut aider à prouver que le système a atteint un certain niveau de sécurité. Une <strong>cartographie claire du système d’information</strong>, même s’il est complexe, reste également essentielle pour identifier les failles potentielles. La <strong>communication de crise</strong> auprès des usagers doit aussi être prête en cas de crise. Enfin, la <strong>formation du personnel</strong> doit permettre aux équipes de reconnaître les tentatives d’hameçonnage.</p>
<p>Le cas de l’entreprise GitHub, même s’il ne met pas en scène une administration publique, constitue une illustration de l’efficacité de ces principes. En 2018, ce site de développement collaboratif de logiciel a été victime de ce qui a été qualifié de <a href="https://siecledigital.fr/2018/03/02/github-grosse-attaque-ddos/">plus importante cyberattaque de l’histoire</a>, ce qui ne l’a pas empêché de maintenir son service grâce à une organisation bien pensée (réplication de données, existence de serveurs alternatifs) et une préparation préalable à ce genre d’attaque. Cet épisode montre que les solutions résident dans une approche qui combine des mesures techniques et organisationnelles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cyberattaques-des-hopitaux-que-veulent-les-hackers-192407">Cyberattaques des hôpitaux : que veulent les hackers ?</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les organismes publics constituent des cibles privilégiées pour les hackers qui ont multiplié leurs offensives depuis la crise du Covid-19.Mohammed Chergui Darif, Doctorant contractuel en science de gestion à l'Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale (IMGPT) / CERGAM, Aix-Marseille Université (AMU)Bruno Tiberghien, Maître de conférences HDR en sciences de gestion à l’Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale (IMPGT) d’Aix-en-Provence, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071982023-06-26T17:21:15Z2023-06-26T17:21:15ZPartout dans le monde, la résilience des systèmes de santé affaiblie par les réformes néolibérales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532365/original/file-20230616-19-wyhese.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C26%2C5955%2C3961&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’épuisement des soignants n’est que l’un des nombreux effets des réformes conduites dans de nombreux pays du monde.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/frightened-doctor-infectious-diseases-having-mental-1709102851">eldar nurkovic/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les systèmes de santé sont avant <a href="https://www.ijhpm.com/article_3902.html">tout des systèmes sociaux</a>. La manière dont ils fonctionnent aujourd’hui s’inscrit dans une histoire politique nationale mais aussi dans la diffusion d’idées et de croyances à l’échelle internationale concernant la manière dont ils devraient être organisés. Or, depuis plusieurs décennies, en de nombreux lieux de la planète, ce sont les idées néolibérales qui ont le vent en poupe et qui ont inspiré les réformes des systèmes de santé. </p>
<p>Un débat organisé par la revue internationale <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277953623000989?via%3Dihub"><em>Social Science & Medicine</em></a> a notamment permis de mettre en exergue les effets qu’ont eus les réformes néolibérales des systèmes de santé sur la <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/346527/WHO-UHL-PHC-SP-2021.02-fre.pdf">résilience de ceux-ci</a>, c’est-à-dire sur leur capacité à s’adapter aux chocs auxquelles ils sont exposés.</p>
<p>Les crises récentes, à commencer par la pandémie de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/Covid-19-82467">Covid-19</a>, ont mis à rude épreuve cette résilience, déjà mise à mal par les réformes des années précédentes.</p>
<h2>Des systèmes de santé « néo-libéralisés »</h2>
<p>Les exemples ne manquent pas, dans de nombreux pays du monde.</p>
<p>En France, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/12/LONDON/65370">Nicolas Da Silva</a> montre parfaitement comment, au cours de l’histoire des réformes successives du système de santé, on a de plus en plus laissé le service privé et la pratique privée de la médecine se développer, y compris au sein des hôpitaux publics. Alors que les soins concernent d’abord les malades, ceux-ci ont été mis à l’écart des prises de décisions qui affectent directement leur vie.</p>
<p>Au Mali et au Sénégal, les thèses de <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/24405">Lara Gautier</a> et de <a href="https://theses.hal.science/tel-02336956">Jean-Hugues Caffin</a> ont explicité comment les organisations internationales cherchent à imposer la mise en œuvre de réformes néolibérales des systèmes de santé nationaux, à commencer par l’indexation du financement sur la performance.</p>
<p>L’objectif, le plus souvent, est d’inciter à l’utilisation d’instruments politiques issus de la « nouvelle gestion publique » (<a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2012-2-page-1.htm">New Public Management</a>, NPM) où l’État est censé réduire ses actions au profit d’acteurs privés, soi-disant plus efficaces.</p>
<p>Dans le domaine des réformes hospitalières, cela se traduit par une demande de plus d’autonomie pour les établissements, d’approches contractuelles où les hôpitaux ont des objectifs à atteindre pour obtenir des financements, de séparation des fonctions entre l’acheteur et le fournisseur de soins, de paiement direct de la part des patients ou d’incitations liées à l’atteinte d’objectifs de performance.</p>
<p>Dans les années 1990, des <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/9780230599819">études</a> conduites au Ghana, au Zimbabwe, au Sri Lanka, en Inde et en Thaïlande avaient déjà mis en évidence les effets catastrophiques de ces approches sur le fonctionnement des hôpitaux et l’accès aux soins. En France, les réformes de l’hôpital public ont été qualifiées par des spécialistes de <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/la-casse-du-si%C3%A8cle/">casse du siècle</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-racines-de-la-crise-de-lhopital-128341">Les racines de la crise de l’hôpital</a>
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<p>Au <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2011-1-page-57.htm">Québec</a>, une analyse portant sur 50 années (1961-2010) de réformes s’appuyant sur le NPM constate qu’elles ont abouti à « l’omniprésence de l’idéologie managériale » et eu un impact profondément négatif sur le système de santé. Une synthèse mondiale du recours des approches fondées sur le paiement à la performance dans les systèmes de santé montre <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JHOM-04-2020-0161/full/html">qu’il n’existe pas de théorie</a> permettant de justifier scientifiquement cette approche et que son application doit plus à l’idéologie du NPM qu’à son efficacité concrète pour mieux soigner les malades.</p>
<p>Dans la revue du MAUSS, <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-1-page-77.htm">Batifollier</a> montre aussi combien en France, <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">comme en Afrique d’ailleurs</a>, la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/15/la-marchandisation-des-soins-et-la-financiarisation-de-la-sante-s-opposent-a-l-ideal-d-un-systeme-solidaire-equitable-et-de-qualite_6177809_3232.html">marchandisation</a> des soins s’est développée au détriment de la solidarité, de l’accès aux soins et des relations de soins. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I6UC-6HauIo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2022-2-page-5.htm">Gelly et Spire</a> ont rendu compte des effets délétères de la présence du privé dans les hôpitaux publics français sur l’égalité de traitement pour les patients mais aussi sur les conditions de travail des soignants.</p>
<h2>Aux racines d’une crise organisationnelle</h2>
<p>C’est dans ce contexte, dont un <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">résumé concernant l’Afrique est présenté ailleurs</a>, qu’il faut appréhender la façon dont les systèmes de santé contemporains réagissent aux crises. Que ces crises soient internes (changements de personnel, mode de financement, modalité de gestion) ou externes (épidémie, attaque informatique ou terroriste, ouragan, etc.), de forte ou de basse intensité, de courte ou de longue durée, anticipées ou non, il est essentiel de comprendre comment les systèmes y font face.</p>
<p>L’enjeu n’est évidemment pas seulement scientifique ou conceptuel : il suffit de penser aux épidémies ou aux événements liés aux changements climatiques (canicules, inondations, etc.) pour comprendre qu’il est indispensable de tirer les leçons de ces expériences afin de se préparer à réagir au mieux face à d’autres événements similaires. Comment expliquer l’absence de préparation du système de santé français à la pandémie de Covid-19 alors qu’il disposait de plans, de comités, et d’expériences, avec par exemple la canicule de 2003, les attentats de 2015 ou la lutte contre le VIH ? </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratie-sanitaire-en-france-les-lecons-de-la-pandemie-de-covid-19-200369">Démocratie sanitaire en France : les leçons de la pandémie de Covid-19</a>
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<p>Le concept de résilience est très ancien et, évidemment, ses critiques sont nombreuses et <a href="https://academic.oup.com/heapol/article/32/suppl_3/iii88/4210464?login=false">très connues</a>. D’abord utilisé dans le monde de la physique et de la <a href="https://www.ecologyandsociety.org/vol21/iss4/art44/">biologie</a>, puis développé dans celui de la psychologie, il a été mobilisé plus récemment dans le champ de la <a href="https://bmchealthservres.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12913-023-09242-9">recherche sur les systèmes de santé</a>.</p>
<p>Il convient, en employant ce concept, de ne pas se laisser emporter par le mésusage politicien d’une résilience néolibérale comme cela a été le cas de nombreux pays durant la pandémie de Covid-19. Le terme a été instrumentalisé à des fins politiques, afin de cacher les enjeux de pouvoir, les inégalités structurelles et surtout les réformes de ces dernières décennies qui ont contribué, comme nous venons de l’expliciter, à <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2022-3-page-215.htm">fragiliser les systèmes de santé</a>. En quelques jours, les politiciens de presque tous les pays ont trouvé des moyens presque infinis pour répondre à la crise alors qu’ils n’en trouvaient pas pour renforcer les systèmes de santé et qu’ils les avaient fragilisés avec des instruments néolibéraux, justifiés par… le manque de financement et leur efficience théorique.</p>
<h2>La négligence des soins de santé primaires en temps de crise</h2>
<p>On se rappellera qu’en 2008, le <a href="https://apps.who.int/iris/handle/10665/43951">apport mondial de la santé de l’OMS</a> mettait en avant trois principales tendances nuisant à l’orientation des systèmes de santé envers les soins de santé primaires : l’hospitalo-centrisme, la marchandisation, la fragmentation. Cela explique certainement pourquoi <a href="https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/EB152/B152_5-en.pdf">l’Assemblée mondiale de la santé de mai 2023</a> a mis l’accent sur le fait que les soins de santé primaires sont la fondation de la résilience des systèmes de santé, dont il faut s’occuper en urgence. </p>
<p>Quinze ans après ce rapport, nos études ont montré que ce contexte de réformes néfastes avait contraint les établissements de santé lorsqu’il a fallu faire face à la pandémie de Covid-19. C’est le cas aussi bien au <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23288604.2023.2186824">Québec</a>, qu’au <a href="https://gh.bmj.com/content/7/Suppl_9/e010683.info">Mali</a>, dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-6-page-971.htm?ref=doi">Nord-Est du Brésil</a>, à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23288604.2023.2175415">Tokyo</a>, au <a href="https://gh.bmj.com/content/7/Suppl_9/e010062">Sénégal</a> ou <a href="https://gh.bmj.com/content/1/1/e000056">au Burkina Faso</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">Sénégal : un modèle d’assurance santé résilient en temps de Covid-19</a>
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<p>Ces exemples tirés d’études scientifiques confirment que l’étude de la résilience n’empêche évidemment pas une <a href="https://odi.org/en/publications/applied-political-economy-analysis-a-problem-driven-framework/">analyse d’économie politique</a>, au cœur, depuis longtemps, de la recherche sur les systèmes de santé.</p>
<h2>Comprendre la résilience</h2>
<p>En outre, à l’aide d’une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4255090">démarche systématique et consensuelle</a>, les travaux menés par notre équipe ont permis de tirer des leçons opérationnelles et de les valider auprès des différentes parties prenantes. Certaines suggèrent par exemple de fournir aux équipes médicales un encadrement plus réactif en matière de prévention et de contrôle des infections, ou encore d’améliorer la coordination et la numérisation des systèmes d’information par les autorités sanitaires afin de faciliter le partage de l’information et la prise de décision rapide par la direction de l’hôpital. Mais évidemment, tout cela n’est possible que si les enjeux d’économie politique et de contexte local sont pris en compte dans la mobilisation de ces leçons des crises passées.</p>
<p>Ainsi, la résilience n’est finalement qu’un mot, qu’un concept, dont on voit bien que chacun <a href="https://gh.bmj.com/content/8/1/e010895.abstract">peut l’interpréter dans le sens qu’il le souhaite</a>. </p>
<p>Pour des raisons idéologiques, certains peuvent vouloir ne pas l’utiliser car ils l’interprètent dans une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17441692.2023.2212750">perspective néolibérale</a>, bien loin de son origine, de son usage possible et de son utilité pour la recherche sur les systèmes de santé. Ce qui est certain, c’est que « la poursuite de l’économie néolibérale ne résoudra pas les problèmes d’inégalité et de changement climatique, et ne fera pas de la santé un droit humain fondamental », <a href="https://www.bmj.com/content/381/bmj.p1178">comme viennent de l’affirmer Michael Marmot et Paulo Buss</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valery Ridde a reçu des financements de l'ANR, des IRSC et de l'AFD pour les études évoquées dans cet article. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christian Dagenais a reçu des financements des IRSC et de l'ANR pour les études évoquées dans.cet article.</span></em></p>Ayant subi des années de réformes néolibérales, les systèmes de santé de nombreux pays du monde ont vu leur résilience face aux crises se réduire significativement.Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Christian Dagenais, Professeur, département de psychologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2032602023-04-10T19:24:07Z2023-04-10T19:24:07ZCandida auris : que sait-on de ce champignon mortel qui se répand dans les hôpitaux des États-Unis ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519612/original/file-20230405-28-orfs27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C3295%2C2534&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le champignon Candida auris est difficile à combattre.</span> <span class="attribution"><span class="source">Stephanie Rossow/CDC</span></span></figcaption></figure><p>Un « supermicrobe » du nom de <em>Candida auris</em>, un champignon pathogène, est en train de se propager rapidement dans les hôpitaux et les maisons de retraite des États-Unis. Au point qu’une <a href="https://www.cdc.gov/media/releases/2023/p0320-cauris.html">alerte vient d’être diffusée par le CDC (Centers for Disease Control and Prevention)</a>.</p>
<p>Depuis la découverte du premier cas en 2016, ce micro-organisme s’est répandu dans la <a href="https://www.cdc.gov/fungal/candida-auris/tracking-c-auris.html">moitié des 50 États du pays</a>. Selon un <a href="https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/M22-3469">nouveau rapport</a>, les infections qu’il cause ont triplé entre 2019 et 2021.</p>
<p>Mais les États-Unis ne sont pas les seuls concernés. Depuis qu’elle a été identifiée pour la première fois au Japon en 2009, cette levure a été découverte dans <a href="https://www.cdc.gov/fungal/candida-auris/candida-auris-qanda.html">plus de 30 pays</a>, parmi lesquels le Royaume-Uni, l'Inde, la Corée du Sud… et la France (<a href="https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=730">dans une moindre mesure, actuellement</a>).</p>
<p>Cette situation est extrêmement préoccupante, car l’infection par <em>Candida auris</em> est l’une des plus difficiles à traiter à l’heure actuelle : ce champignon est en effet résistant à de nombreux traitements fongicides.</p>
<p>Ce <em>Candida</em> est apparenté à d’autres types de levures qui peuvent entraîner des infections fongiques, comme <em>Candida albicans</em> – responsable du « muguet buccal » (reconnaissable à la prolifération blanchâtre locale de ce microorganisme sur la langue et les muqueuses). <em>Candida auris</em> est cependant très différent et, à certains égards, très inhabituel.</p>
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<h2>Les dangereuses particularités de <em>Candida auris</em></h2>
<p>Alors que de nombreuses autres espèces de <em>Candida</em> aiment se développer dans nos intestins en tant qu’éléments du <a href="https://theconversation.com/microbiote-intestinal-et-sante-une-alliance-que-chacun-peut-optimiser-168965">microbiote (la « flore intestinale »)</a>, ce n’est pas le cas de <em>Candida auris</em>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33385336/">qui semble préférer la peau humaine</a>. La peau des personnes ainsi « colonisées » peut excréter beaucoup de nouvelles levures, ce qui est à l’origine de la forte <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1008563">contamination de leurs vêtements et des surfaces alentour</a>.</p>
<p>De ce fait, <em>Candida auris</em> peut être à l’origine d’épidémies, en particulier dans les unités de soins intensifs et les maisons de retraite, où, d’une manière générale, les personnes sont plus susceptibles de contracter des infections fongiques. Cette situation est inhabituelle, car généralement les infections fongiques ne se propagent pas d’un individu à l’autre.</p>
<p>Ce champignon peut également survivre sur les surfaces pendant <a href="https://www.cdc.gov/fungal/candida-auris/c-auris-drug-resistant.html">plusieurs semaines</a>, et il peut être difficile de s’en débarrasser. À cet effet, il est nécessaire de <a href="https://www.gov.uk/government/publications/candida-auris-infection-control-in-community-care-settings">renforcer le nettoyage et le lavage des mains</a> pour tenter de limiter sa propagation et l’exposition des patients à risque (immunodéprimés, etc.).</p>
<p>Il faut savoir que la plupart des personnes colonisées par <em>Candida auris</em> ne seront pas malades et ne s’apercevront même pas de sa présence… Par contre, cette levure <a href="https://www.gov.uk/government/publications/candida-auris-a-guide-for-patients-and-visitors">provoque des infections graves</a> lorsqu’elle pénètre dans l’organisme, via des plaies chirurgicales ou suite à la pose d’une intraveineuse. Une fois à l’intérieur du corps, elle peut infecter les organes et le sang, provoquant ainsi des atteintes sévères et potentiellement mortelles.</p>
<h2>Un risque mortel</h2>
<p>Le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9344200/">taux de mortalité</a> chez les personnes infectées par ce champignon (par opposition aux personnes simplement colonisées) se situe entre 30 et 60 %. Il s’agit d’une fourchette large, car déterminer un taux de mortalité précis est difficile. En effet, les personnes infectées par <em>Candida auris</em> sont souvent déjà gravement malades, et souffrent d’autres affections.</p>
<p>En outre, diagnostiquer une infection par cette levure n’est pas aisé, car elle peut engendrer un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7211321/#S0004title">large éventail de symptômes peu spécifiques</a>, notamment de la fièvre, des frissons, des maux de tête et des nausées.</p>
<p><em>Candida auris</em> doit donc être étroitement surveillé, car l’infection qu’il provoque peut aisément être confondue avec d’autres maladies. Ces dernières années, de nouveaux tests ont été mis au point pour faciliter son dépistage.</p>
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<img alt="Un professionnel de santé pose une intraveineuse sur la main d’un patient" src="https://images.theconversation.com/files/517943/original/file-20230328-480-mklbx5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517943/original/file-20230328-480-mklbx5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517943/original/file-20230328-480-mklbx5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517943/original/file-20230328-480-mklbx5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517943/original/file-20230328-480-mklbx5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517943/original/file-20230328-480-mklbx5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517943/original/file-20230328-480-mklbx5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Candida auris peut pénétrer dans l’organisme via une intraveineuse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/cropped-image-female-nurse-attaching-iv-224584333">Tyler Olson/Shutterstock</a></span>
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<p>Au Royaume-Uni, le premier cas d’infection à <em>Candida auris</em> a été signalé en 2013. Toutefois, il est possible que d’autres infections se soient produites avant cette date – il semblerait en effet que certains des premiers cas aient été <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1008563">mal identifiés</a>, et attribués à des levures non apparentées à celle-ci.</p>
<p>Jusqu’à présent, les autorités sanitaires du Royaume-Uni <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1008563">ont réussi à stopper toute épidémie majeure et la propagation de la plupart des cas a été limitée</a>. La plupart des patients tombés malades à cause de <em>Candida auris</em> avaient voyagé dans des régions du monde où cette levure <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1008563">se rencontre plus fréquemment ou circule depuis plus longtemps</a>.</p>
<h2>Sous l’impulsion du Covid</h2>
<p>L’augmentation du nombre d’infections à <em>Candida auris</em> serait en partie liée à la pandémie de Covid-19. Les malades qui font des formes graves de Covid peuvent en effet avoir besoin d’une ventilation mécanique et nécessiter un séjour prolongé en unité de soins intensifs. Or il s’agit là de <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1008563">facteurs de risque de colonisation et d’infection par <em>Candida auris</em></a> lorsque la souche est présente à l’hôpital.</p>
<p>Déterminer précisément comment la pandémie a affecté les taux et le nombre d’infections fongiques dans le monde prendra du temps. Connaître la réponse à ces questions est cependant important si l’on veut pouvoir prédire comment pourraient à l’avenir fluctuer les cas de colonisation et d’infection par <em>C. auris</em>.</p>
<p>Comme pour la plupart des maladies potentiellement mortelles causées par des champignons, celles dues à <em>Candida auris</em> sont difficiles à traiter et les options, limitées. Nous ne disposons que d’une poignée de médicaments antifongiques pour les combattre, de sorte que lorsqu’une espèce est résistante à un ou plusieurs de ces médicaments, les options thérapeutiques deviennent rapidement extrêmement restreintes.</p>
<p>Or, certaines infections à <em>Candida auris</em> sont résistantes aux <a href="https://www.cdc.gov/fungal/candida-auris/c-auris-drug-resistant.html">trois types de médicaments antifongiques</a> actuellement disponibles.</p>
<p>Les professionnels de la santé doivent donc rester vigilants face à cette levure, car sans une surveillance étroite et une sensibilisation accrue à cette infection, nous pourrions assister à l’avenir à une augmentation des épidémies et des maladies graves qu’elle provoque.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203260/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rebecca A. Drummond est financée par le Conseil de la recherche médicale.</span></em></p>Une levure multirésistante aux traitements antifongiques, Candida auris, se répand aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. Un appel à la vigilance est lancé. Quels sont les risques ?Rebecca A. Drummond, Associate Professor, Immunology and Immunotherapy, University of BirminghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988072023-03-12T17:15:23Z2023-03-12T17:15:23ZCrise des systèmes de santé en Europe : comment expliquer les difficultés françaises ?<p>Les systèmes de santé de nombreux pays européens sont en difficulté. Au Royaume-Uni, le manque de moyens pour le National Health Service (NHS) est criant depuis des années. En Espagne, des manifestations d’ampleur à la fin de l’année dernière demandaient de meilleures conditions de travail pour les soignants. En Italie ou en Allemagne, la crise de recrutement des soignants prend des proportions inquiétantes. Au Québec, des voix s'élèvent <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1855525/rapport-final-commissaire-sante-bien-etre-pandemie-quebec">pour repenser en profondeur le système de santé</a>.</p>
<p>La France, elle aussi, vit au rythme des crises de son système de santé. Elles ont précédé la pandémie de SARS-Cov-2, et reviennent régulièrement sur le devant de la scène. Cette fragilité, qui touche tous les secteurs, de l’hôpital au médico-social en passant par le secteur libéral. Quelles sont les raisons de cette situation de crise permanente ? </p>
<h2>Le système de santé français</h2>
<p>Les systèmes de santé qui ont été mis en place dans les pays occidentaux après la Seconde Guerre mondiale pouvaient à l’origine <a href="https://www.cairn.info/la-reforme-des-systemes-de-sante--9782715406711-page-22.htm">être classés en trois catégories</a> : les systèmes nationaux de santé (pays scandinaves, Royaume-Uni, Italie, Espagne…), les systèmes de santé basés sur l’assurance-maladie (France, Allemagne, Pays-Bas…), et les systèmes de santé libéraux (États-Unis, Suisse).</p>
<p>Le système français s'est construit selon les principes de la seconde catégorie : l’offre de services de santé est en partie publique (majeure partie du système hospitalier notamment), en partie privée, et financée dans une large proportion par des cotisations sociales. Son fonctionnement <a href="https://www.cleiss.fr/particuliers/venir/soins/ue/systeme-de-sante-en-france.html#ambulatoire">repose sur l’articulation de différentes structures</a>, qui assurent des niveaux d'attention aux personnes peu coordonnés entre eux : les soins « de ville » (notamment assurés par les professionnels libéraux, mais pas uniquement), l'accueil dans les établissements de santé, et les dispositifs d'accueil et de soutien médico-social et social (publics « fragiles », âgés ou porteurs de handicaps). Dans ce système, chaque patient peut en théorie choisir son médecin, généraliste ou spécialiste, et son établissement de santé.</p>
<p>Basé sur des principes d’universalité, d’égalité, d’accessibilité et de qualité, ce système est aujourd’hui en crise, même si c’est en France que le reste à charge des ménages est encore, en moyenne, le plus faible des pays de l’OCDE après le Luxembourg (<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/CNS2022">8.9 % de la dépense courante, en incluant la part des complémentaires</a>).</p>
<p>Les difficultés de l’hôpital public sont sous le feu des projecteurs, mais les autres secteurs ne sont pas épargnés, comme le souligne la récente grève des médecins libéraux et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/01/echec-de-la-convention-medicale-medecine-liberale-financement-public_6163723_3232.html">l’impasse de la négociation conventionnelle</a>.</p>
<h2>Une crise systémique</h2>
<p>En France, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance continue à évoluer de façon positive : elle était estimée en 2021 <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/etudes-et-resultats/lesperance-de-vie-sans-incapacite-65-ans-est">à 67 ans chez les femmes et 65,6 ans chez les hommes</a>. Ce chiffre, qui se situe juste au niveau de la moyenne des pays européens, ne doit cependant pas être utilisé pour éviter de s’interroger sur la fragilité de notre système de santé. </p>
<p>En effet, <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/286468-l-etat-de-sante-de-la-population-en-france-edition-2022">certains indicateurs de l’état de santé sont préoccupants</a> : taux de mortalité infantile en hausse, évolution préoccupante du surpoids et de l’obésité (notamment en fonction des conditions sociales), taux de vaccination contre le papillomavirus faible, signant un déficit en prévention médicale, évolution préoccupante du surpoids et de l’obésité, toutes ces données accentuées par de fortes inégalités sociales.</p>
<p>Dans son avis n° 140, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souligne d’ailleurs que la situation tendue de l’hôpital public est <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2022-11/Avis140_Final_0.pdf">« le symptôme le plus saillant de la crise du système de soin »</a>.</p>
<p>Mais l’hôpital n’est pas le seul secteur concerné. Le problème des « déserts médicaux » vient rappeler que l’organisation des soins dits « primaires », c’est-à-dire permettant le premier contact avec le patient, laisse une partie de la population sans solution d’accès aux services. </p>
<p>Une des conséquences, en France comme dans de nombreux pays, est que les urgences hospitalières deviennent de plus en plus le premier recours, ce qui contribue à l’engorgement de ces structures, dont certaines se retrouvent par ailleurs <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/A-lhopital-services-durgences-ferment-nuit-faute-soignants-2022-01-25-1201196712">contraintes de fermer la nuit, faute de personnels</a>.</p>
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<p>Enfin, le scandale Orpea, révélé suite à la parution, le 24 janvier 2022, du livre-enquête <em>Les Fossoyeurs</em>, du journaliste Victor Castanet, démontre que la question du vieillissement et de l’accompagnement des dépendances est loin d’être réglée dans notre pays. S’interroger sur la capacité de notre société à accompagner dignement les personnes les plus fragiles, les plus vulnérables passe non seulement par la valorisation et la reconnaissance des personnels qui travaillent auprès de ces publics, mais aussi par une réflexion sur le type de structures et services à développer et leur mode de financement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deserts-medicaux-lacces-reel-des-patients-aux-soins-est-aussi-important-que-le-nombre-de-medecins-199703">Déserts médicaux : l’accès réel des patients aux soins est aussi important que le nombre de médecins</a>
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<p>Les raisons de cette situation dégradée, qui peut être qualifiée d’endémique, sont connues. Elles ne sont pas spécifiques à la France et se retrouvent dans toutes les sociétés, dans tous les pays. </p>
<h2>Trois raisons majeures à l’évolution des besoins de santé</h2>
<p>La crise du système de santé français est liée tout d’abord à une forte évolution des besoins de santé, caractérisée par trois éléments majeurs. </p>
<p>Deux d’entre eux sont connus depuis des décennies : la progression régulière <a href="https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2022-3-page-121.htm?contenu=article">des maladies chroniques</a> (maladies cardiovasculaires, diabète, cancers, maladies neurodégénératives…) et le vieillissement de la population. </p>
<p>Ces deux facteurs modifient en effet le profil des patients, et demandent des approches plus transversales et globales. Ainsi, près de 4 millions de personnes vivent aujourd’hui avec un cancer dans notre pays. Il faut non seulement que le diagnostic soit le plus précoce possible, mais aussi que les patients bénéficient des meilleurs traitements pendant l’ensemble de leur parcours. Il faut aussi, pour pouvoir vivre avec cette maladie, garder une vie sociale ainsi qu’une inscription professionnelle.</p>
<p>Un troisième élément a un impact sur l’évolution des besoins de santé comme nous l’a brutalement rappelé la pandémie de Covid-19 : c’est le fait que nous sommes et resterons confrontés à notre environnement. Notre écosystème continuera à avoir un impact sur la santé des populations, que ce soit par la survenue d’épidémies, ou par les conséquences des évolutions de notre planète, en premier lieu les effets du changement climatique. Or, nos systèmes de soins et de santé publique ne sont pas prêts à prévenir et absorber de tels chocs dont la fréquence et la gravité risquent selon toute vraisemblance d’augmenter.</p>
<p>En outre, en regard de cette évolution des besoins, des changements dans la nature et le niveau des ressources professionnelles et dans les modes d’exercice sont en cours. </p>
<h2>La question des ressources humaines</h2>
<p>La France, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/27/crise-des-systemes-de-sante-en-europe-la-grande-penurie-de-soignants_6136283_3210.html">comme de nombreux pays</a>, fait face à une pénurie de professionnels de santé. Ce déficit se double d’un manque d’attractivité de ces professions. La récente alerte sur <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/01/31/pharmacie-la-penurie-de-diplomes-fait-craindre-la-catastrophe_6159908_4401467.html">l’effondrement des effectifs d’étudiants en pharmacie en est une illustration</a></p>
<p>Ce manque d’attractivité se retrouve également dans les fonctions d’encadrement et de management, comme le révèlent les statistiques de l’École des hautes Études en Santé publique. Ainsi, depuis plusieurs années, un pourcentage non négligeable de postes offerts pour les élèves directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, directeurs de soins, attachés d’administration hospitalière ou inspecteurs de l’action sanitaire et sociale ne sont pas pourvus.</p>
<p>Par ailleurs, les modes d’exercice évoluent eux aussi fortement. Les jeunes professionnels ne souhaitent plus s’installer de manière isolée, et sont en demande d’une grande souplesse dans leur carrière. Ils et elles privilégient les exercices collectifs pluriprofessionnels, comme les maisons de santé pluriprofessionnelles, en pleine expansion (leur nombre a plus que doublé entre 2017 et 2022, avec 2251 maisons de santé au 31 décembre 2022) ou les centres de santé. Ils souhaitent concilier vie professionnelle et vie personnelle, et sont prêts à utiliser les avancées des nouvelles technologies. Mais avant tout, ils et elles demandent à retrouver du sens dans leur engagement professionnel.</p>
<h2>Un décloisonnement à améliorer</h2>
<p>Le cloisonnement des structures et l’organisation en silos sont une constante de nos systèmes de santé. Construits sur le paradigme dominant de l’hospitalo-centrisme au sortir de la 2e Guerre mondiale, ils n’ont, pour bon nombre d’entre eux, que peu évolué dans leurs fondements. </p>
<p>Ce modèle qui se reflète dans les types de recrutement des professionnels autant que dans les modes de financement. D’une part, les recrutements sont liés à une structure et deviennent de plus en plus spécialisés, chaque exercice se trouvant ainsi isolé. D’autre part les modes de financement privilégient l’activité (<a href="https://theconversation.com/hopital-financement-au-parcours-de-soins-lhumain-avant-loutil-101076">tarification à l’activité pour l’hôpital</a>, à l’acte pour le libéral) et non la continuité des services à la personne. Cette situation ne favorise pas la nécessaire coordination des interventions autour de la personne malade ou fragilisée, <a href="https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article437">malgré les nombreux dispositifs empilés pour lutter contre ce cloisonnement</a>.</p>
<p>Pourtant des initiatives montrant des effets positifs en termes de décloisonnement existent. C’est par exemple le cas <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-un-paiement-en-equipe-de-professionnels-de-sante-en-ville">du paiement en équipe de professionnels de santé en ville (PEPS)</a>, qui consiste à mettre en place, pour des médecins généralistes et infirmiers exerçant dans une structure de ville (maisons ou centres de santé par exemple), une rémunération forfaitaire collective à la place du paiement à l’acte. Mais ces dispositifs <a href="https://www.irdes.fr/recherche/seminaires-les-mardis-de-l-irdes-en-economie-de-la-sante.html">restent expérimentaux et se diffusent peu</a>.</p>
<h2>Des nouvelles technologies dont l’impact reste à évaluer</h2>
<p>Les nouvelles technologies sont souvent présentées comme une solution pour alléger la charge qui pèse sur le système de santé.</p>
<p>Elles pourraient certes permettre de mieux répondre aux besoins des personnes, sans aggraver les inégalités sociales et géographiques d’accès aux soins (grâce à la téléconsultation par exemple). Ou être utilisées pour améliorer le quotidien des patients (prothèses pour certains patients dépendants, nouveaux traitements…), des soignants (<a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-exosquelettes-pour-soulager-les-soignants">exosquelettes pour les assister</a> dans les gestes les plus pénibles…). Des évolutions majeures sont anticipées dans certaines spécialités (robots chirurgicaux, amélioration des diagnostics grâce à l’intelligence artificielle…). Le secteur biomédical est également concerné, avec la mise au point de nouvelles stratégies de développement des médicaments, ciblant des produits « de niche », personnalisés (mais très onéreux…).</p>
<p>Enfin, les nouvelles technologies contribuent aussi au développement d’outils de prévention individuelle, par la mise sur le marché de nombreuses applications, plus ou moins validées, plus ou moins utiles.</p>
<p>Cependant, l’impact réel de ces avancées sur le système de santé est pour l’instant difficile à appréhender, en raison du grand nombre de domaines concernés. Évaluer leur impact réel demandera un suivi attentif de toutes ces technologies dans les années à venir.</p>
<p>Un autre point devra faire l’objet de toutes les attentions : le devenir et la sécurisation de la quantité considérable de données de santé générées par les nouvelles technologies (ce que l’on appelle les « big data » ou données massives). Si lesdites données peuvent aider à améliorer les connaissances dans le domaine de la santé ou à mieux organiser les services, elles constituent une arme à double tranchant : très sensibles, elles peuvent être l’objet de cyberattaques. </p>
<p>Cette transformation numérique devra donc être appréhendée et réfléchie, notamment d’un point de vue éthique. Le Comité consultatif national d’éthique <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis_130.pdf#page=6">proposait dès 2019 12 recommandations</a> permettant d’y veiller.</p>
<h2>Une démocratie en santé à repenser et renforcer</h2>
<p>Le questionnement sur l’avenir de notre système de santé déborde du cercle des experts, et devient l’objet d’une préoccupation grandissante de la population. Le domaine de la santé est un enjeu politique et médiatique de plus en plus important, comme l’a montré de manière brutale la récente pandémie. </p>
<p>Celle-ci a bousculé une démocratie en santé qui s’était construite lentement, depuis plus d’une vingtaine d’années. Ce concept, qui se traduit par des démarches visant à <a href="https://www.ars.sante.fr/quest-ce-que-la-democratie-en-sante-3">« associer l’ensemble des acteurs du système de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé, dans un esprit de dialogue et de concertation »</a> (en créant par exemple des « conférences » traitant de la santé au niveau national, régional ou local, ou en permettant par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/03/28/droit-des-malades-la-democratie-sanitaire-victime-collaterale-du-covid-19_6119530_1650684.html">aux usagers d’être représentés dans les instances de santé publique et hospitalières</a>, devra probablement être revisité suite à la pandémie, car cette crise a figé des institutions fragiles. </p>
<p>Elle a montré d’une part une absence de maturité de ce dispositif, et d’autre part, une ambiguïté entre le rôle des associations et la place des collectivités territoriales.</p>
<h2>Une réponse insuffisante des pouvoirs publics</h2>
<p>Depuis 20 ans, face à ces évolutions majeures, la réponse des pouvoirs publics français s’est traduite par une succession de lois dont les intitulés semblent indiquer une préoccupation croissante pour l'avenir de notre système : loi de 2002 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">« relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé »</a> ; loi de 2004 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000787078/">« relative à la politique de santé publique »</a> ; loi de 2009 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020879475">« Hôpital, patient, santé, territoires »</a> ; loi de 2016 dite de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000029589477/">« modernisation de notre système de santé »</a> ; loi de 2019 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038821260">« relative à l’organisation et à la transformation du système de santé »</a>.</p>
<p>Mais malgré des lois aux intitulés de plus en plus pressants, malgré les nombreuses expérimentations lancées au plan local pour initier plus de coordination et plus de souplesse, malgré le choc de la pandémie et les milliards débloqués pour l’hôpital, les fondements du système de santé français n’ont que très peu bougé, provoquant une désillusion croissante des professionnels de santé.</p>
<p>Cette inertie résulte probablement de la croyance que des « ajustements continuels » peuvent suffire, les lois se contentant de fournir une boite à outils complexifiant la technostructure.</p>
<p>Le débat public sur l’avenir de notre système de santé est toujours esquivé, toujours reporté. La question de la place de la prévention et la promotion de la santé est à ce titre emblématique. </p>
<h2>Un nécessaire changement de paradigme</h2>
<p>Promues depuis longtemps dans les discours, la prévention et la promotion de la santé pourraient être un puissant outil pour éviter l’entrée dans la maladie. </p>
<p>Mais dans les faits, elles stagnent dans leur soutien financier et reposent bien souvent sur un tissu associatif fragile. Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-11/CNS2022MAJ%20Fiche%2024%20-%20Les%20d%C3%A9penses%20de%20pr%C3%A9vention.pdf#page=3">les dépenses de prévention n’ont augmenté qu’au rythme de 1,1 % par an entre 2013 et 2019</a>. </p>
<p>Par ailleurs, la promotion de la santé, qui recouvre des actions aussi diverses que les campagnes pour promouvoir la mobilité active, la promotion du <a href="https://theconversation.com/qualite-nutritionnelle-des-aliments-nutri-score-ou-en-est-on-conversation-avec-mathilde-touvier-158985">logo NutriScore</a>, le développement d’un urbanisme favorable à la santé (avec par exemple la lutte contre les îlots de chaleur), n’est jamais comptabilisée. Or bon nombre de ces actions sont souvent aux mains des collectivités locales, qui n’ont pas de compétence spécifique dans le domaine de la santé !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leurope-la-france-et-la-sante-publique-apres-la-covid-19-une-nouvelle-donne-168007">L’Europe, la France et la santé publique : après la Covid-19, une nouvelle donne ?</a>
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<p>En Europe, le système de santé se construit au niveau de chaque État, en fonction d’une histoire, d’une culture, d’un développement économique. Mais il est grand temps que l’Union européenne puisse intervenir pour défendre et promouvoir des bases communes. Et que cet ensemble soit ouvert aux enjeux mondiaux et planétaires colossaux en termes d’accès à la santé. </p>
<p>Rappelons que l’on estime que les besoins en professionnels de santé se situent - a minima - <a href="https://www.wma.net/fr/news-post/action-urged-to-meet-world-shortage-of-health-professionals/">autour de 18 millions de personnes</a>, au niveau mondial. Dans de nombreux pays, dont la France, le changement de paradigme nécessaire pour faire face aux évolutions en cours semble toujours être remis à demain. Une procrastination qui risque d’engendrer un réveil douloureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Chambaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Hôpital, médecine de ville, secteur médico-social… Le système de santé français tout entier est en crise. Pourquoi ? Quelles pistes pour en sortir ?Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1915692023-01-20T14:25:17Z2023-01-20T14:25:17ZComment les gestionnaires du réseau de la santé peuvent favoriser des lieux de travail psychologiquement plus sûrs<p>La crise du personnel des soins de santé au Canada semble s’aggraver de jour en jour, avec des <a href="https://www.nytimes.com/2022/09/14/world/canada/nurse-shortage-emergency-rooms.html">fermetures de salles d’urgence</a>, une <a href="https://theconversation.com/with-family-doctors-heading-for-the-exits-addressing-the-crisis-in-primary-care-is-key-to-easing-pressure-on-emergency-rooms-189199">pénurie de médecins de famille</a> et des <a href="https://www.wellesleyinstitute.com/wp-content/uploads/2020/09/Waiting-for-Long-Term-Care-in-the-GTA.pdf">délais d’attente élevés pour accéder aux soins de longue durée</a>. </p>
<p>Au cœur du problème se trouve un personnel soignant physiquement et mentalement épuisé par les milieux peu sécuritaires dans lesquels on lui demande de travailler depuis des années, et qui se sont considérablement détériorés pendant la pandémie de Covid-19. </p>
<p>Les dirigeants du secteur de la santé ont un rôle clé à jouer dans la conception de lieux de travail psychologiquement plus sûrs pour favoriser le bien-être de nos professionnels de la santé. Pour créer des milieux plus sûrs, il faut des décideurs qui comprennent comment des années de restrictions des ressources, d’environnements malsains, <a href="https://doi.org/10.1186/s12913-020-05084-x">d’abus de la part des patients</a>, <a href="https://doi.org/10.3389/fpubh.2021.750529">sans oublier une pandémie</a>, ont contribué à l’épuisement professionnel et à l’insatisfaction que l’on constate chez les travailleurs.</p>
<h2>Risques physiques et émotionnels</h2>
<p>Avant même la pandémie de Covid-19, les travailleurs de la santé canadiens souffraient déjà d’<a href="https://www.cma.ca/sites/default/files/2018-11/nph-survey-f.pdf">épuisement professionnel et de dépression</a>. La pandémie a détérioré des environnements de travail déjà précaires, les exposant non seulement à un virus mortel, mais aussi à une <a href="http://doi.org/10.1001/jama.2021.2701">montée de la violence physique et verbale</a>, entraînant une <a href="https://www.cma.ca/sites/default/files/2022-08/NPHS_final_report_FR.pdf">hausse des taux d’épuisement professionnel et de dépression</a>.</p>
<p>Il n’est donc pas surprenant que les travailleurs de la santé soient de plus en plus nombreux à quitter la profession, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/nurses-canada-overtime-pandemic-burnout-1.6545963">ce qui exacerbe encore davantage les conditions de travail de ceux qui restent</a>. </p>
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<img alt="Un ambulancier portant une visière de protection et une veste jaune fluo longe une file de patients sur des civières dans un couloir d’hôpital" src="https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les enjeux ne se limitent pas à un seul groupe de travailleurs de la santé ni à un seul type de lieu de travail ; les préposés aux bénéficiaires, le personnel infirmier, les médecins, les ambulanciers exerçant dans les hôpitaux, les soins de longue durée, les cliniques de soins primaires et les services d’urgence font tous état d’épuisement professionnel.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Nathan Denette</span></span>
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<p>Les enjeux ne se limitent pas à un seul groupe de travailleurs de la santé ni à un seul type de lieu de travail ; les préposés aux bénéficiaires (PAB), le personnel infirmier, les médecins, les ambulanciers exerçant dans les hôpitaux, les soins de longue durée, les cliniques de soins primaires et les services d’urgence font tous état d’épuisement professionnel. <a href="https://clri-ltc.ca/files/2021/02/PSW_Perspectives_FinalReport_Feb25_Accessible.pdf">Les PAB actifs dans le domaine des soins de longue durée dénoncent</a> des milieux de travail dangereux sur le plan physique et émotionnel, des ratios personnel/patients insuffisants et des environnements irrespectueux.</p>
<p>Nous savons que la <a href="https://www.mentalhealthcommission.ca/wp-content/uploads/drupal/Workforce_Psychological_Safety_in_the_Workplace_ENG.pdf">santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail</a> sont directement liées à la productivité, à la rétention, à l’absentéisme, aux conflits professionnels et au succès opérationnel global du lieu de travail. Les dirigeants, gestionnaires et superviseurs canadiens du secteur de la santé sont exceptionnellement bien placés pour aider les organisations de soins de santé à créer des environnements de travail où le personnel se sent soutenu et en sécurité. </p>
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<img alt="Panneau extérieur affichant « Recrutement de PAB -- nombreux quarts de travail -- avantages »" src="https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les PAB actifs dans le domaine des soins de longue durée dénoncent des milieux de travail dangereux sur le plan physique et émotionnel, des ratios personnel/patients insuffisants et des environnements irrespectueux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Frank Gunn</span></span>
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<p>Notre équipe de recherche a récemment été financée par la <a href="https://commissionsantementale.ca/">Commission de la santé mentale du Canada</a> pour examiner les facilitateurs et les obstacles rencontrés par les organisations de soins de santé dans la création d’environnements de travail sûrs. Nous avons sondé et interviewé des <a href="https://commissionsantementale.ca/resource/exploration-de-deux-facteurs-de-securite-psychologique-pour-les-travailleurs-de-la-sante/">centaines de travailleurs de la santé, toutes disciplines, tous lieux de travail et toutes provinces confondus</a>. Voici ce qu’ils nous ont dit : </p>
<ul>
<li><p>Beaucoup d’attention est accordée au renforcement de la résilience du personnel soignant, mais sans lui donner le temps et l’espace nécessaires pour le faire. Les organisations peuvent aider en garantissant les congés des travailleurs. </p></li>
<li><p>Des travailleurs de la santé nous ont dit que des ressources organisationnelles à long terme telles que des champions du mieux-être, des éthiciens et des indemnités de maladie efficaces pour tout le personnel soignant (par exemple, des prestations qui couvrent les services de consultation) contribueraient à soutenir leur bien-être. </p></li>
<li><p>Des politiques et des procédures opérationnelles appropriées et transparentes liées aux soins cliniques ou aux ressources humaines, qui régissent l’ensemble d’une organisation, contribuent à instaurer un climat de travail équitable et sûr. Les gestionnaires peuvent appuyer davantage leurs travailleurs en s’assurant que ces politiques et procédures sont appliquées et suivies de manière cohérente.</p></li>
<li><p>Les organisations devraient recruter et épauler des dirigeants efficaces, compatissants et authentiques. Il est essentiel de former des dirigeants du secteur des soins de santé qui sont compétents et se montrent à la hauteur dans leur environnement stressant ; il convient de les encourager et de les récompenser. Les gestionnaires ont également été mis à rude épreuve au cours des dernières années et ont besoin d’être soutenus par leur organisation. </p></li>
<li><p>Moins de 50 % des travailleurs de la santé de notre étude ont déclaré exercer dans un climat éthique. Par exemple, de nombreux soignants n’ont pas accès aux soutiens nécessaires pour résoudre les dilemmes éthiques. Les organisations de soins de santé ont tout intérêt à se concentrer sur ce point ; en cultivant un environnement de travail éthique, elles démontrent à leurs employés leur volonté de les protéger de la détresse morale. </p></li>
<li><p>Des professionnels de la santé nous ont dit que la transparence et les communications efficaces sont essentielles et renforcent la confiance dans leurs dirigeants. </p></li>
</ul>
<p>L’avenir de notre système de santé dépend du recrutement et de la rétention de travailleurs de la santé passionnés, dévoués et hautement qualifiés. Chaque travailleur de la santé, dans chaque lieu de travail, dans chaque province, a besoin d’une organisation qui valorise et privilégie sa santé et sa sécurité psychologiques. </p>
<p>Pour le rapport complet, veuillez visiter : <a href="https://commissionsantementale.ca/resource/exploration-de-deux-facteurs-de-securite-psychologique-pour-les-travailleurs-de-la-sante/">CSMC – Exploration de deux facteurs de sécurité psychologique pour les travailleurs de la santé</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191569/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’avenir de notre système de santé dépend du recrutement et de la rétention d’un personnel soignant et hautement qualifié. Il est essentiel de créer des environnements où ils se sentent soutenus et en sécurité.Angela Coderre-Ball, Assistant Professor (Adjunct), Family Medicine, Queen's University, OntarioColleen Grady, Associate Professor, Family Medicine, Queen's University, OntarioDenis Chênevert, Professor and director of healthcare management hub, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1974422023-01-10T20:42:35Z2023-01-10T20:42:35ZSystème de santé : sortir de la « crise sans fin » n’est pas qu’une question de moyens<p>Le vendredi 6 janvier, le président de la République Emmanuel Macron a présenté, lors de ses vœux aux acteurs de la santé, plusieurs pistes pour tenter de sortir le système français « de ce jour de crise sans fin ». Des moyens supplémentaires, comme l’<a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2023/01/06/emmanuel-macron-annonce-un-plan-pour-sortir-le-systeme-de-sante-d-une-crise-sans-fin_6156883_1651302.html">accélération du recrutement d’assistants médicaux</a> afin de parvenir à 10 000 créations d’ici 2024 (contre 4 000 actuellement), viennent donc s’ajouter à ceux déjà actés lors de son premier quinquennat : 12 milliards d’euros par an pour l’accroissement des rémunérations des soignants et les 19 milliards d’investissements dans les hôpitaux.</p>
<p>En plus de ces moyens financiers supplémentaires, des moyens humains et organisationnels ont été débloqués : la fin du numerus clausus pour les étudiants en médecine depuis la rentrée 2021en attendant la <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2023/01/06/emmanuel-macron-annonce-un-plan-pour-sortir-le-systeme-de-sante-d-une-crise-sans-fin_6156883_1651302.html">réorganisation du travail à l’hôpital</a> annoncée le 6 janvier.</p>
<p>Le matin des annonces du président de la République, l’économiste Thomas Piketty appelait à accroître drastiquement les moyens alloués à la santé. Il appelait ainsi sur France Inter à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique/le-debat-eco-du-vendredi-06-janvier-2023-1595793">consacrer jusqu’à 30 % du PIB à la santé</a> en finançant les dépenses supplémentaires par des hausses de taxes, ce qui le faisait alors envisager des prélèvements pouvant aller jusqu’à 70 % du PIB !</p>
<h2>Une simple question d’argent ?</h2>
<p>En 2021, la France <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/CNS2022">consacrait 12,3 % de son PIB aux dépenses de santé</a>, ce qui est approximativement la même chose qu’en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/allemagne-24115">Allemagne</a> où la part est de 12,8 % (9,5 % en Italie, 11,9 % au Royaume-Uni et 17,8 % aux États-Unis). Le manque de moyens n’est donc pas « criant ». Cependant, si la France et l’Allemagne consacrent la même part de leurs ressources à la santé, l’utilisation de ces moyens peut être très différente : en contrôlant ainsi par le niveau des moyens, on peut alors identifier, en comparant la France à l’Allemagne, les changements d’organisation qui permettraient de mieux faire.</p>
<p><iframe id="yBHJv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/yBHJv/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Avec <a href="https://data.oecd.org/fr/healtheqt/lits-d-hopitaux.htm">près de 8 lits pour 1 000 habitants en Allemagne</a> en 2020, la possibilité de bénéficier de soins hospitaliers est plus importante que dans un pays où il y a seulement 5,7 lits pour 1 000 habitants comme en France (il y a 3,2 lits pour 1 000 habitants en Italie, 2,3 au Royaume-Uni et 2,8 aux États-Unis). De plus, l’Allemagne investit davantage dans la « qualité » des soins. Le pays compte plus de médecins (<a href="https://data.oecd.org/healthres/doctors.htm">4,5 pour 1 000 habitants contre 3,4 en France</a>), mais également plus de personnel médical (<a href="https://data.oecd.org/healthres/nurses.htm">12,1 infirmiers contre 11,3 pour 1 000 habitants</a>). Cet écart en capital humain s’est creusé, en défaveur de la France, depuis 2000.</p>
<p><iframe id="DcWQp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/DcWQp/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>De plus, les médecins et infirmiers allemands sont mieux payés que leurs homologues français. Un médecin généraliste allemand gagne environ <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/social-issues-migration-health/remuneration-of-doctors-ratio-to-average-wage-2019-or-nearest-year_a5406374-en">4,4 fois le salaire moyen allemand</a>, alors que son homologue français ne gagne que 3 fois le salaire moyen français. Un infirmier allemand gagne <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/social-issues-migration-health/remuneration-of-hospital-nurses-ratio-to-average-wage-2019-or-nearest-year_c9058ced-en">1,1 fois le salaire moyen allemand</a> alors que ce facteur n’est que de 0,9 en France.</p>
<p>Pour le patient, l’accès et la qualité des soins ne peuvent alors être que meilleurs outre-Rhin : <a href="https://www.oecd.org/fr/sante/systemes-sante/Panorama-de-la-sant%C3%A9-2019-Chapitres-0-1-2.pdf">chaque Allemand consulte davantage un médecin qu’un Français</a>, il bénéficie de plus de radios, de scanners, de séjours plus longs en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hopital-23258">hôpital</a> et de davantage d’innovations médicales.</p>
<p>Des inefficacités organisationnelles peuvent alors expliquer qu’à dépense égale dans la santé, il y ait moins de lits en France, moins de personnels soignants percevant de plus faibles rémunérations et moins d’innovations médicales. Nous allons en dégager trois, dans les domaines de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pharmacie-27983">pharmacie</a>, l’hôpital et la recherche médicale.</p>
<h2>Le pharmacien peut redevenir un soignant</h2>
<p>Il y a plus de pharmaciens de France qu’en Allemagne (<a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/fea50730-fr.pdf">1,03 contre 0,67 pour 1 000 habitants</a>) et ces personnels de santé ont de <a href="https://www.lequotidiendupharmacien.fr/exercice-pro/politique-de-sante/le-revenu-mensuel-des-pharmaciens-evalue-7671-euros">fortes rémunérations</a> sans pour autant effectuer de soins. Cette forte « force de vente française » en médicaments a conduit la part française des dépenses de santé consacrées aux produits pharmaceutiques à être supérieure à celle de l’Allemagne : avant 2014, elle a <a href="https://data.oecd.org/fr/healthres/depenses-pharmaceutiques.htm">culminé à 18 % des dépenses de santé en France</a>, alors qu’elle n’a jamais dépassé 15 % en Allemagne.</p>
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<p>Pour faire face à une offre qui ne permet pas à tous les patients d’être en contact avec un personnel de santé, les pharmaciens pourraient effectuer des tâches de prescriptions simples, et ainsi désengorger les médecins généralistes. Cette réallocation des tâches permettrait aux généralistes de se concentrer sur les cas qui nécessitent une expertise pointue. Ceci justifierait alors en partie <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/greve/greve-des-medecins/greve-des-medecins-generalistes-pourquoi-les-liberaux-veulent-que-la-consultation-passe-de-25-a-50-euros_5564802.html">l’augmentation des honoraires qu’ils demandent</a>. Les pharmaciens contribueraient donc à la production de soins.</p>
<h2>Reconcentrer les hôpitaux français</h2>
<p>Si l’on se focalise sur l’hôpital, qui est aujourd’hui sous les projecteurs de l’actualité, la France y consacre davantage de moyens que l’Allemagne, avec <a href="https://fipeco.fr/pdf/h%C3%B4pitaux2020.pdf">4,6 % de son PIB contre 3,6 %</a> (deuxième rang en Europe après le Royaume-Uni). Mais ce qui caractérise la France, c’est son très grand nombre d’établissements hospitaliers : il y a <a href="https://stats.oecd.org/Index.aspx?ThemeTreeId=9&lang=fr">4,42 hôpitaux pour 100 000 habitants en France contre seulement 3,62 hôpitaux pour 100 000 habitants en Allemagne</a> (il y en a 2,86 au Royaume-Uni, 1,80 en Italie et 1,86 aux États-Unis).</p>
<p><iframe id="nv99g" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/nv99g/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Comme la France a aussi un très grand nombre de lits d’hôpitaux (pour rappel, 6 lits pour 1 000 habitants), il y a donc un phénomène d’atomisation : le nombre moyen de lits en France par hôpital reste inférieur à la situation en Allemagne. Cette atomisation réduit la qualité des soins car celle-ci est fortement liée au volume de travail de ses agents : le niveau d’expertise croît fortement lorsque de multiples cas ont été traités par les équipes médicales d’un établissement. Les patients intègrent bien cela en demandant toujours à être traités par l’hôpital le mieux réputé.</p>
<p>Ainsi, une partie des moyens consacrés à l’hôpital n’améliore pas les soins. De plus, cette atomisation est très coûteuse car l’activité hospitalière se caractérise par des effets de seuil : quel que soit le volume de soins effectué par un hôpital, des moyens minimaux en équipements et en personnels sont exigés (coûts fixes de fonctionnement). Le saupoudrage des moyens sur une trop grande quantité de structures hospitalières conduit alors à payer plusieurs fois les mêmes coûts fixes, alors que dans certains hôpitaux, l’utilisation de ces équipements et des personnels reste trop faible pour garantir une bonne qualité du soin.</p>
<p>Enfin, cette multiplication des centres hospitaliers a conduit la part des dépenses de santé consacrée à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/administration-27868">administration</a> du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/systeme-de-sante-32263">système de santé</a> à être plus forte en France : elle était de 8 % dans les années 1990 et 7 % dans les années 2000 contre 5,5 % pendant ces 20 années en Allemagne.</p>
<p><iframe id="l1Lfy" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/l1Lfy/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ceci doit conduire à transformer rapidement une partie des hôpitaux locaux de soins aigus en hôpitaux de proximité. Cela assurera une meilleure rationalité économique dans la gestion des moyens octroyés aux hôpitaux (réduction de coûts fixes), satisfera davantage l’exigence de qualité des soins hospitaliers aigus, tout en maintenant d’un tissu local de prise en charge de soins de premiers recours.</p>
<p>Enfin, il faut remarquer que le très grand nombre d’hôpitaux sur notre territoire ne garantit pas à la population un meilleur soin en cas d’accident : le taux de mortalité dans les 30 jours après une admission pour un infarctus est <a href="https://www.econ.queensu.ca/sites/econ.queensu.ca/files/R.%20Fonseca%20Paper.pdf">7,05 % en France contre 5,5 % en Allemagne</a> (6,6 % aux États-Unis et 7,25 % en Italie). La santé et donc l’hôpital sont des « biens publics », pas des outils de développement local d’un territoire !</p>
<h2>Réallouer les moyens de la recherche</h2>
<p>L’épisode du Covid-19 a alerté le grand public sur les déficiences de la recherche médicale française. L’Allemagne, avec BioNTech et l’université de Mayence, le Royaume-Uni, avec AstraZeneca et l’université d’Oxford ainsi que les États-Unis avec Moderna et les fonds engagés par Pfizer pour soutenir BioNTech sont les pays qui ont mis au point un vaccin.</p>
<p>Est-ce une surprise ? La qualité de la recherche-développement (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/randd-34548">R&D</a>) des pays est particulièrement mise à l’épreuve lorsqu’il s’agit de trouver une solution à un nouveau problème : des moyens doivent être réalloués pour « créer » ces nouveaux produits, et ces moyens doivent être mis entre des mains qui ont les très fortes compétences nécessaires pour produire un bien de niveau international.</p>
<p>Or, le manque de moyen de la R&D française est connu. Il se traduit par un plus faible nombre de brevets déposés chaque année (approximativement 110 brevets par million d’habitants en France contre 350 en Allemagne). Mais, si l’on fait abstraction du niveau des moyens, la France se caractérise par une plus faible part de ces moyens en R&D consacrée au domaine médical et pharmaceutique : cette part est trois fois plus grande en Allemagne (et deux fois plus grande aux États-Unis).</p>
<p><iframe id="8Boy5" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8Boy5/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Là encore, ce n’est pas forcément le « manque de moyens » qui explique les mauvais résultats de la France, mais davantage leurs mauvaises utilisations. Ainsi, une étude menée par le Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en 2021 analysait finement le retard français dans le domaine de recherche médicale. Premièrement, les moyens accordés à la R&D en santé sont faibles et décroissent : les crédits publics en R&D pour la santé sont <a href="https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note62v3.pdf">passés de 3,5 milliards de dollars en 2011 à 2,5 en 2018</a> (soit -28,5 %), alors que pendant la même période ils augmentaient de 11 % en Allemagne (+16 % au Royaume-Uni).</p>
<p>Deuxièmement, les financements ne sont pas utilisés dans des recherches ayant les standards scientifiques internationaux. Plus précisément, sur 19 287 essais cliniques menés en France, seulement 5910 étaient des essais randomisés (outils statistiques reconnus en sciences médicales comme les meilleurs moyens d’évaluer les effets bénéfiques et néfastes d’une thérapie), soit 30 %, alors que 75 % l’étaient en Allemagne (68 % au Royaume-Uni). Il faut aussi souligner que 75 % des essais non randomisés français étaient financés par la recherche publique (seulement 20 % en Allemagne, et 25 % au Royaume-Uni).</p>
<p>Si une grande partie des fonds publics de R&D en santé sont alloués à des expériences qui n’auront jamais aucune reconnaissance internationale, car utilisant des méthodes dépassées, alors la R&D en santé française ne sera jamais en position de leadership. Il n’est donc pas surprenant que la France n’ait pas pu trouver, sur un même laps de temps, les protocoles de vaccination trouvés en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.</p>
<h2>Réduire les inégalités de santé</h2>
<p>Améliorer l’utilisation des compétences de personnels de santé, rationaliser la gestion de nos hôpitaux en évitant l’atomisation, et enfin aligner la recherche en santé française sur les standards internationaux constituent des priorités pour faire progresser notre système de soins.</p>
<p>Les changements nécessaires pour y parvenir ne doivent pas être freinés par la croyance que ces réformes augmenteraient les inégalités de santé : avec un système différent en Allemagne, la probabilité d’être en bonne santé pour une personne parmi les 25 % les plus riches est 1,07 fois plus grande que pour une personne parmi les 25 % les plus pauvres, alors que ce chiffre est de 1,08 en France, comme nous l’avons montré dans une <a href="https://www.econ.queensu.ca/sites/econ.queensu.ca/files/R.%20Fonseca%20Paper.pdf">recherche</a> récente.</p>
<p>En nous réformant, nous pourrons donc également réduire les inégalités de santé !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Langot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une comparaison avec l’Allemagne montre que les difficultés du système français restent liées à un problème d’allocation moins efficace des ressources.François Langot, Professeur d'économie, Chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1946622022-11-22T19:27:37Z2022-11-22T19:27:37ZAnesthésie, Covid… comment l'interdisciplinarité profite à l'innovation en santé<p>Personne ne niera la gravité de la crise sanitaire que nous venons de traverser. Mais, au-delà des manques et des carences de notre système sanitaire, la pandémie de Covid a également été un révélateur à de multiples niveaux. Il y a notamment eu une prise de conscience de la valeur de la santé, et de l’importance d’avoir un hôpital capable de s’adapter et de se développer pour faire face aux défis de demain.</p>
<p>Or, si on parle depuis des années de la mutation du système de santé, il faut souligner qu’elle ne suit plus les rythmes des mutations sociétales. Il y a là une importante réflexion à avoir, d’autres visions et d’autres propositions à envisager.</p>
<p>Parmi les ressorts possibles, nous travaillons, à l’<a href="https://cfdc.aphp.fr/ifcs/">Institut de formation des cadres de santé</a>, à initier un nouvel élan. L’avenir du système hospitalier ne peut, en effet, être déconnecté des évolutions des formations en santé : c’est par la formation initiale et continue de ses acteurs que toute organisation se transforme.</p>
<p>Une des pistes que nous explorons, pour favoriser une meilleure adaptation, repose sur la construction d’une véritable interdisciplinarité et sur l’usage du concept anglo-saxon de « fertilisation croisée » (<em>cross fertilization</em>).</p>
<h2>L’impact (éphémère) de la crise sanitaire</h2>
<p>Si le terme est peu connu, il n’est pas un concept abstrait : de telles <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/31/respirateurs-protections-pour-les-soignants-l-impression-3d-mobilisee-contre-le-coronavirus_6035086_3244.html">opérations de fertilisation croisée, relayées par les médias, ont eu lieu pendant la crise du Covid</a>. Une multitude de compétences et savoirs issus de différents horizons, et portés par des énarques, des informaticiens, des soignants et autres spécialistes, se sont alors <a href="https://theconversation.com/Covid-19-comment-les-etablissements-sanitaires-et-sociaux-ont-gere-lurgence-160377">conjugués pour permettre la prise en soin des patients</a>.</p>
<p>Rapidité, adaptabilité et créativité a semblé, un temps, être les mots d’ordre partagés par tous, avec pour résultat le développement de plates-formes d’appel et de suivis de patients (tel <a href="https://www.covidom-idf.fr/">Covidom</a>), de systèmes de suivi informatiques ou encore l’usage d’imprimantes 3D pour fabriquer des lunettes de protection aux soignants, etc.</p>
<p>Malheureusement, l’enthousiasme est retombé trop vite. Sans doute n’avons-nous pas su capitaliser sur ces rencontres.</p>
<p>Nous étudions la manière d’incorporer ce concept de fertilisation croisée de façon plus durable dans la pratique médicale. Pour cela, il importe de bien le définir au préalable, d’en montrer l’intérêt pour nos systèmes de formation et plus largement en santé. C’est ce que cet article entend éclairer.</p>
<h2>Le paradoxe de l’hôpital : l’interdisciplinarité, mythe ou réalité ?</h2>
<p>Le monde hospitalier et universitaire se distingue, aujourd’hui encore, par ses disciplines très cloisonnées – un cloisonnement structurel et organisationnel, lié notamment, en santé, au cloisonnement initial des formations dispensées. L’hyperspécialisation médicale fragmente encore aujourd’hui la prise en soin des patients en sillon disciplinaire.</p>
<p>Pourtant, la complexité des décisions n’a cessé de nourrir le besoin d’interdisciplinarité, en témoigne l’explosion des publications sur ce thème depuis les années 1970. Le professeur émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord et philosophe du soin Gérard Reach montre que la prise de conscience dans ce domaine date de cette période clef. Selon lui, l’idée d’interdisciplinarité émerge autour de quatre « inventions » :</p>
<p>1)
<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/5030023/">L’éducation thérapeutique du patient</a> (1972),</p>
<p>2)
<a href="https://documentation.ehesp.fr/memoires/2002/edh/belot.pdf">Le concept de gestion du risque (<em>risk managment</em>) à l’hôpital</a> (1975),</p>
<p>3)
<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/847460/">Le modèle biopsychosocial qui intègre les facteurs psychosociaux au même titre que les facteurs biologiques</a> (1977),</p>
<p>4)
<a href="https://www.em-consulte.com/article/1180695/education-therapeutique-a-la-recherche-d-une-defin">La reconnaissance des principes éthiques d’autonomie</a> <a href="https://global.oup.com/ushe/product/principles-of-biomedical-ethics-9780190640873?cc=fr&lang=en&">(le respect de choix des patients) du droit au soin</a> (1979).</p>
<p>C’est dans ce contexte qu’émergent les premières publications sur l’interdisciplinarité : non plus une simple superposition ou juxtaposition de l’action des professionnels de santé, mais une réelle concertation, collaboration entre différents acteurs sans prévalence d’une discipline par rapport à l’autre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les publications sur l’interdisciplinarité sont en croissance désormais quasi exponentielle" src="https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495373/original/file-20221115-21-lujpyx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Nombre de publications sur la thématique de la collaboration interprofessionnelle et grands tournants historiques expliquant le besoin d’interprofessionnalité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Naudin, d’après les publications PubMed (Juin 2020)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans la pratique, l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16987842/">interdisciplinarité est souvent mise a mal</a> par des enjeux budgétaires, de pouvoir… ou simplement par manque de temps ou de lieux pour amener les professionnels à travailler réellement ensemble. Si bien que la révolution copernicienne interdisciplinaire, qui n’est plus une idée neuve, n’a en fait pas vraiment eu lieu.</p>
<p>Aussi, contrairement à l’idée reçue, les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6481564/">bénéfices mesurés de cette interprofessionnalité sont encore modestes pour les patients (données de 2017)</a>. Ils seraient pourtant particulièrement précieux à une époque où les évolutions s’accélèrent.</p>
<p>Mutations technologiques, avènement de la télémédecine et de la télésurveillance en e-santé, utilisation d’objets connectés, de robots voire demain du métavers nécessitent de plus en plus des expertises croisées, dépassant la simple interprofessionnalité.</p>
<p>Pour citer quelques exemples, la révolution du big data n’en est qu’a ses débuts et l’utilisation des écosystèmes en réseau ne fera que s’accentuer. Les questions de cybersécurité, de droit d’accès et d’<a href="https://theconversation.com/debat-les-donnees-de-notre-sante-doivent-rester-confidentielles-92950">exploitation des données médicales</a> sont déjà prégnantes. L’<a href="https://theconversation.com/lintelligence-artificielle-va-t-elle-bouleverser-la-profession-medicale-140113">utilisation de l’intelligence artificielle</a>, de la robotique, de la réalité augmentée et de casques de réalité virtuelle, des imprimantes en 3 dimensions devraient s’accentuer.</p>
<p>Ces défis technologiques imposent d’autres organisations comme des compétences nouvelles, et appellent une ouverture aux autres domaines. C’est là tout l’enjeu de la fertilisation croisée.</p>
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<h2>Un concept qui a pourtant fait ses preuves</h2>
<p>Le concept de fertilisation croisée est né de la recherche et du développement dans le domaine de l’industrie. Il s’agissait alors de susciter des interactions entre divers champs disciplinaires et de réunir des personnes aux compétences, méthodes de travail et outils différents afin de produire des solutions innovantes et créatrices. Une démarche fertile dans l’élaboration de prototype.</p>
<p>Un tel croisement de regard n’est pas inconnu en santé. Début des années 2000, l’anesthésie s’est par exemple rapprochée des experts de l’aéronautique pour élaborer sa culture de gestion du risque. Le professeur de médecine René Amalberti, directeur de la <a href="https://www.foncsi.org/fr">Fondation pour une culture de la sécurité industrielle (FONCSI)</a>, a été d’une grande aide. Passant de la médecine à la psychologie et l’ergonomie, via l’ingénierie et les sciences de l’organisation et des risques, il a <a href="https://www.puf.com/content/La_conduite_de_syst%C3%A8mes_%C3%A0_risques">su faire dialoguer ces disciplines pour créer un système ultra-sûr</a>. L’aéronautique a apporté l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24845919/">utilisation de check-list</a> ou des <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmsa0810119">aides cognitives au bloc opératoire</a>. Le document <a href="https://academieairespace.com/wp-content/uploads/2018/05/CR_22e_forum_ANAE_web.pdf">« Du bloc opératoire au cockpit d’un avion de ligne »</a>, issu de la direction générale de l’aviation civile, montre les ponts établis entre ces deux mondes.</p>
<p>Plus récemment, l’équipe de Rhona Flin, professeur de psychologie à l’Aberdeen Buisness School, a contribué à la <a href="https://www.researchgate.net/publication/336808533_Crew_resource_management_CRM_and_non-technical_skills">compréhension des compétences non techniques</a> dans la <a href="https://rgu-repository.worktribe.com/output/248996/human-factors-in-safety-management-safety-culture-safety-leadership-and-non-technical-skills">gestion des risques et de la sécurité</a>. L’usage d’outil comme la <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMsa1204720">simulation en santé</a> a été <a href="https://www.researchgate.net/publication/358995744_Adaptation_of_a_Simulation_Model_and_Checklist_to_Assess_Pediatric_Emergency_Care_Performance_by_Prehospital_Teams">largement inspiré de ces travaux</a>.</p>
<p>D’autres exemples peuvent être cités, comme l’usage de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35951576/">réalité augmentée pour la rééducation de la marche d’enfants atteints de paralysie</a> qui a nécessité le travail de chercheur en physiologie de la marche et la réalisation des outils numériques adaptés.</p>
<p>Cependant, si les progrès technologiques se sont accentués avec la crise du Covid-19, les cursus qui préparent les étudiants n’ont pas évolué à la même vitesse. Ils n’ont pas totalement anticipé la télémédecine, les objets connectés, l’intelligence artificielle… Parallèlement, l’émergence depuis quelques années déjà de techniques de soin alternatives (hypnose, <a href="https://theconversation.com/lentrainement-cerebral-pour-ameliorer-la-sante-des-seniors-104120">méditation</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30306545/">yoga</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31235453/">Qi gong</a>…) impose aussi de repenser une autre forme de rapport au savoir académique.</p>
<p>La question des futures organisations des soins qu’amènent ces nouveautés nous impose de former des professionnels préparés non pas juste à accompagner ces transformations mais à y contribuer. Les nouvelles structures hospitalières doivent également incorporer de façon prospective des visions plurielles.</p>
<h2>La formation des futurs soignants doit devenir un espace d’ouverture</h2>
<p>C’est dans cette perspective que les cursus de formation en santé doivent relever un double défi : accentuer l’ouverture aux autres formations en santé et s’ouvrir aux disciplines hors du champ de la santé. Les cursus de rééducation sont déjà de bons exemples de fertilisation croisée entre « geeks » de la technologie, concepteurs informatiques, en robotique et en ergonomie.</p>
<p>Les cadres de santé ont beaucoup à gagner à fréquenter les spécialistes de la communication, du marketing, des métiers du social ou de l’architecture, de futurs directeurs de projets, etc. pour penser les organisations et espaces de soin de demain.</p>
<p>On pourrait multiplier les exemples à souhait… La question est de créer politiquement (au sens noble du terme) des espaces de fertilisation croisée. La création de projets avec un enjeu fort en termes d’innovation est structurante pour ce type de fertilisation : c’est donc autour de projets entre cursus différents que cette fertilisation croisée pourrait se créer.</p>
<p>La recherche, souvent interdisciplinaire, constitue une autre piste majeure. Récemment, la formation des cadres de santé de l’AP-HP a pris le parti de faire réaliser le travail de mémoire final en groupe : toute une équipe doit contribuer, ensemble, à répondre à une question de recherche utile pour la communauté. On pourrait également imaginer des travaux de recherche communs avec d’autres formations que celles issues du monde du soin.</p>
<p>Initier ces démarches, c’est contribuer à gommer les résistances disciplinaires qui maintiennent les routines et les habitudes… et empêche parfois de penser réellement l’hôpital de demain. Les formations n’ont plus uniquement comme mission de former des professionnels compétents : elles devraient être le lieu d’expérimentations et d’innovations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194662/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’interdisciplinarité, ou fertilisation croisée entre spécialités, est dans tous les discours. Mais son plein potentiel est loin d’être atteint. Qu’a-t-elle déjà permis et quelles sont ses promesses ?David Naudin, Coordonnateur du Pôle de la Recherche Paramédicale en Pédagogie du CFDC PhD - Laboratoire Éducations et Pratiques en Santé (LEPS UR 3412), AP-HP, Université Sorbonne Paris NordMichèle Jarraya, Directeur du CFDC chez AP-HP, AP-HPLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924072022-11-02T19:39:04Z2022-11-02T19:39:04ZCyberattaques des hôpitaux : que veulent les hackers ?<p>Le 20 août 2022, le Centre Hospitalier Sud Francilien (CHSF) de Corbeil-Essonnes a été <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/hopital-pirate-en-essonne-des-hackers-russophones-revendiquent-lattaque-20220912_ZS2FG5FIM5EKVL2ORDTQFDJZ7Q/?redirected=1">victime d’une cyberattaque</a>. Pour le vice-amiral Arnaud Coustillère, chargé de la cyberdéfense française, la <a href="https://theconversation.com/comment-lutter-contre-les-cyberattaques-192346">cyberattaque</a> se définit comme « une action volontaire, offensive ou malveillante, menée au travers du cyberespace et destinée à provoquer un dommage aux informations et aux systèmes qui les traitent, pouvant ainsi nuire aux activités dont ils sont le support ».</p>
<p>De son côté, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information <a href="https://www.ssi.gouv.fr">(ANSSI)</a> définit la cyberattaque comme « une tentative d’atteinte à des systèmes d’information réalisée dans un but malveillant. Elle peut avoir pour objectif de voler des données (secrets militaires, diplomatiques ou industriels, données personnelles bancaires, etc.), de détruire, endommager ou altérer le fonctionnement normal de systèmes d’information (dont les systèmes industriels) ».</p>
<h2>Le cas du CHU de Corbeil</h2>
<p>Dans le cas du <a href="https://www.tf1info.fr/justice-faitsdivers/cyberattaque-au-chu">CHSF de Corbeil</a>, il s’agissait de voler et chiffrer (c’est-à-dire coder) une partie des données traitées par le Centre hospitalier, ce qui a eu pour effet de bloquer le système informatique. Les cybercriminels ont ensuite exigé le paiement d’une rançon pour débloquer le système et ses ressources nécessaires au bon fonctionnement des services et à la prise en charge des patients.</p>
<p>S’en est suivie une certaine désorganisation, malgré le souci du CHU et du personnel d’assurer la pérennité des soins. Le CHSF a déposé une plainte dès le 21 août 2022 et l’enquête a été confiée au Centre de lutte contre les criminalités numériques, le service compétent de la gendarmerie nationale. Une notification de violation de données à caractère personnel a été effectuée auprès de la <a href="https://www.cnil.fr/">Commission nationale informatique et libertés</a> (CNIL) le 22 août 2022, conformément à <a href="https://gdpinfo.eu/fr/fr.article33">l’article 33</a> du Règlement général sur la protection des données.</p>
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<p>Le 12 septembre 2022, les rançonneurs ont lancé un ultimatum de diffusion en masse des données volées en exfiltrant certaines données. Le CHSF a refusé de céder au chantage. Le 23 septembre, les cybercriminels ont divulgué pour l’exemple certaines données. Ces dernières portent sur des éléments afférents à des informations d’identité, tels nom, prénom, date et lieu de naissance, genre, numéro de sécurité sociale, les données de contact, tels les adresses postales et électroniques, les coordonnées téléphoniques, les informations résultant du passage des patients dans le CHU, comptes rendus médicaux, résultats d’examens, hospitalisation, ordonnances, etc.</p>
<h2>Comment sont traitées les données sensibles ?</h2>
<p>Le premier danger résulte dans l’éventuelle divulgation de données de santé. Ces dernières sont des données à caractère personnel, et des <a href="https://www.cnil.fr/fr/definition/donneesensible">données dites sensibles</a> selon le <a href="https://www.economie.gouv.fr/entreprises/reglement.general">Règlement général sur la protection des données</a> (RGPD) européen.</p>
<p>Les données personnelles permettent d’identifier ou de rendre identifiables, directement ou indirectement, des personnes physiques. Les données sensibles sont les données relatives à l’origine ethnique, aux opinions politiques, syndicales, religieuses, philosophiques, les données de santé, afférentes à la vie sexuelle, et depuis le RGPD, les données des fichiers biométriques et génétiques.</p>
<p>Les données sensibles ne sont pas censées être stockées, et quand le stockage est autorisé pour des raisons tenant à l’intérêt général, elles ne doivent en aucun cas être cédées, à titre gracieux ou onéreux (par exemple, un parti politique possède un fichier de ses adhérents, mais la <a href="https://www.cnil.fr/fr/elections/obligations-des-partis">vente de ce fichier est un délit</a>).</p>
<p>En ce qui concerne la santé, les données sont stockées, car elles sont nécessaires aux soins, et, en période d’épidémie, à l’intérêt public ; il existe aussi une finalité gestionnaire. La non-divulgation des données de santé est fondée sur le secret professionnel des soignants et <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F530">l’obligation de discrétion</a> à laquelle sont tenus les gestionnaires de santé.</p>
<h2>La jurisprudence « Jacques Brel »</h2>
<p>La santé s’attache à l’intimité de la personne. Cette intimité est tout particulièrement protégée dans les centres hospitaliers, maillons du système social français qui ne considère pas la santé comme un bien commercial, contrairement à ce qui s’impose aux <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-de-la-sante-et-de-l-assurance-maladie-2018-3-page-30.htm">États-Unis</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, la divulgation des données de santé est protégée contre les intrusions, qu’il s’agisse de cyberattaques ou de photographies « dérobées » sans l’accord d’un malade.</p>
<p>Les journaux « people » ont gardé en mémoire la jurisprudence d’octobre 1978 : Jacques Brel, atteint d’un cancer en phase terminale, avait été photographié au téléobjectif sans son consentement et les clichés avaient fait l’objet d’une publication, révélant indiscrètement les ravages causés par la maladie à ce célèbre auteur-compositeur-interprète. La saisine en référé d’un tribunal avait abouti au retrait de la vente des exemplaires incriminés de <em>Paris Match</em>.</p>
<p>Le CHSF est donc particulièrement sensible à cette cyberattaque et il a informé individuellement les patients dont les données ont été prises en otage, avec communication de liens, et exemplaire d’une lettre de plainte.</p>
<h2>Le hameçonnage</h2>
<p>Une autre risque encouru par les patients dont les données sont diffusées pourrait être le <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/hameconnage">hameçonnage</a>. Le hameçonnage correspond à une usurpation d’identité. Grâce aux données personnelles indûment obtenues, un SMS ou un courriel sont envoyés à une personne physique, sous couvert d’une identité médicale ou de la Sécurité sociale, pour obtenir de nouvelles informations ou un paiement non justifié.</p>
<p>Le CHSF de Corbeil a invité ses patients à faire preuve de vigilance après cette fuite de données. Il s’agit de vérifier que l’expéditeur du message est bien légitime et en rapport avec le sujet abordé, de ne jamais fournir d’informations confidentielles, telles des données bancaires (exemple : numéro de la carte bancaire), un ou des mots de passe, de ne pas ouvrir des pièces jointes qui pourraient être piégées. Il convient aussi de suivre de près les comptes associés à un numéro de Sécurité sociale, et de changer ses mots de passe au moindre doute.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-se-joue-egalement-dans-le-cyberespace-178846">Ukraine : la guerre se joue également dans le cyberespace</a>
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<hr>
<p>Si malgré ces recommandations, des personnes sont victimes d’escroqueries, elles sont invitées à porter plainte. La plainte sera en phase avec <a href="https://www.cybermalveillance.gouv.fr/tous-nos-contenus/actualites/violation-donnees-chsf-formulaire-lettre-plainte-electronique">l’enquête préliminaire</a> diligentée sur les instructions du Parquet de Paris, en cours au Centre de lutte contre les criminalités numériques, pour infractions d’accès et maintien dans un système de traitement automatisé de données (STAD), introduction frauduleuse de données dans un STAD, modification frauduleuse de données contenues dans un STAD, entrave au fonctionnement d’un STAD, extorsion en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ou un délit punis de cinq ans au moins d’emprisonnement.</p>
<p>Les plaignants qui se constituent partie civile pourront aussi saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, conformément aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038312693/">articles 706-3</a> ou 706-14 du code de procédure pénale. Ils pourront ensuite espérer obtenir réparation du préjudice subi par voie d’indemnisation, notamment en cas d’escroquerie. Rappelons que pour l’heure, les polices d’assurance civile font rarement apparaître une clause « hameçonnage ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudine Guerrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les cybercriminels ont exigé le paiement d’une rançon pour débloquer le système informatique nécessaire au bon fonctionnement des services et à la prise en charge des patients.Claudine Guerrier, Professeur à l'Institut Mines-Télécom Business School, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1882752022-09-13T13:21:43Z2022-09-13T13:21:43ZLes groupes de médecine de famille (GMF) : un modèle à revoir en profondeur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/481173/original/file-20220825-18-z6zhnf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C29%2C4948%2C3172&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, brandit une copie du nouveau plan de soins de santé de la province lors d'une conférence de presse à Montréal, le 29 mars 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson</span></span></figcaption></figure><p>Au Québec comme ailleurs, la pandémie de Covid-19 a révélé les failles majeures du système de santé et forcé le gouvernement à promettre une révision en profondeur de l’organisation des services. C’est dans ce contexte que le ministre de la Santé, Christian Dubé, a présenté en mars dernier un <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/plan-de-refondation-en-sante-petard-mouille-ou-bombe-a-retardement/">plan de « refondation »</a> du réseau sociosanitaire québécois, qui repose en bonne partie sur le recours au secteur privé et, notamment, sur le renforcement des groupes de médecine de famille (GMF).</p>
<p>Créé en 2002, ce modèle essentiellement privé de dispensation des services de première ligne est loin d’avoir fait ses preuves. Au contraire, après vingt ans d’existence, le <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">bilan des GMF</a> démontre que, malgré un soutien financier et organisationnel important de la part des gouvernements successifs, ils n’ont atteint aucun des objectifs pour lesquels ils ont été créés.</p>
<p>Je suis une spécialiste des politiques de santé et de l’histoire du système de santé québécois. Je suis l’autrice de plusieurs publications sur le sujet, et notamment du livre <a href="https://ecosociete.org/livres/le-capitalisme-c-est-mauvais-pour-la-sante#:%7E:text=Pour%20Anne%20Plourde%2C%20le%20diagnostic,privatisation%20croissante%20des%20services%E2%80%A6"><em>Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé</em></a>, publié aux Éditions Écosociété en 2021.</p>
<h2>Un modèle imparfait</h2>
<p>Un GMF est un regroupement de médecins de famille qui obtient du financement et des ressources professionnelles publics en échange du respect de certaines conditions (heures d’ouverture étendues, prise en charge d’un nombre minimal de patientes et de patients, etc.). Il faut savoir que ce modèle a été créé en <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/clsc-ou-gmf-comparaison-des-deux-modeles-et-impact-du-transfert-de-ressources/">remplacement du modèle des centres locaux de services communautaires (CLSC)</a>, un réseau de cliniques publiques auquel les médecins de famille ont pour la plupart refusé d’adhérer, préférant pratiquer dans leurs propres cliniques privées à but lucratif. La grande majorité des GMF (74 %) regroupent d’ailleurs des médecins pratiquant dans ce type de cliniques.</p>
<p>En 2020-2021, la valeur des ressources publiques investies dans les GMF s’élevait à environ <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">340 millions de dollars</a>, sans compter la rémunération des médecins.</p>
<p>En accordant aux GMF un financement important et en leur octroyant du personnel professionnel (infirmières, travailleurs sociaux, psychologues, ergothérapeutes, nutritionnistes) provenant du réseau public, le ministère de la Santé espère atteindre trois objectifs principaux :</p>
<ul>
<li><p>améliorer l’accès aux médecins de famille ;</p></li>
<li><p>désengorger les urgences ;</p></li>
<li><p>favoriser l’accès aux services psychosociaux de première ligne.</p></li>
</ul>
<p>Or, l’analyse que nous avons réalisée démontre clairement que sur ces trois plans, les GMF ne parviennent pas à remplir les fonctions d’une première ligne efficace.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1529842363744587785"}"></div></p>
<h2>En attente d’un médecin de famille</h2>
<p>Bien que le pourcentage de la population inscrite auprès d’un médecin de famille ait augmenté au cours des dernières années, la cible de 85 % en 2020 n’est toujours pas atteinte. Le nombre de personnes en attente sur la liste du Guichet d’accès à un médecin de famille a quant à lui explosé au cours des dernières années, passant de 423 215 en 2016-2017 <a href="https://www.journaldequebec.com/2022/04/27/pres-dun-million-de-quebecois-en-attente-dun-medecin-de-famille#:%7E:text=En%202019%2C%20522%20603%20personnes,sont%20ajout%C3%A9s%20depuis%20d%C3%A9cembre%20dernier.">à près d’un million</a> en février 2022.</p>
<p>De plus, le <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">ratio</a> du nombre de patients par médecin pratiquant en GMF n’a augmenté que de 2 % depuis 2014-2015, et il a même diminué selon certaines données.</p>
<p>L’intégration des médecins au modèle des GMF n’a donc pas permis d’améliorer leur prise en charge des patients, malgré les ressources publiques considérables dont ils bénéficient.</p>
<h2>Les urgences désengorgent les GMF</h2>
<p>De même, l’ensemble des cibles ministérielles concernant la réduction du temps d’attente dans les urgences ont été systématiquement ratées depuis 2015-2016. Si les GMF ne peuvent être tenus pour seuls responsables de cette situation, notre analyse révèle que, dans bien des cas, ce sont en fait les urgences qui désengorgent les GMF.</p>
<p>En effet, un GMF sur six a conclu une entente avec les services d’urgence d’un hôpital pour que ceux-ci assurent une partie de leurs heures d’ouverture. De plus, plus de la moitié des <a href="https://ciusssmcq.ca/soins-et-services/ou-consulter/gmf-reseau-super-clinique/">GMF-réseaux</a>, qui reçoivent un financement supplémentaire afin de jouer le rôle de « mini-urgences », ne respectent pas les exigences du ministère liées à ce financement (par exemple, le nombre minimal de rendez-vous offerts à des personnes non inscrites auprès des médecins du GMF).</p>
<h2>Des services psychosociaux moins accessibles</h2>
<p>En ce qui concerne l’amélioration de l’accès aux services psychosociaux de première ligne, on voit difficilement comment les GMF pourraient y contribuer, puisque leur offre de services ne passe pas par une augmentation des ressources offertes par ces cliniques privées. Au contraire, on assiste à un <a href="https://iris-recherche.qc.ca/blogue/sante/des-clsc-aux-gmf/">transfert de travailleurs sociaux et de psychologues</a> des CLSC vers les GMF, le tout aux frais du réseau public.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="couloir d’hôpital avec civière" src="https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Notre analyse révèle que, dans bien des cas, ce sont en fait les urgences qui désengorgent les GMF.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’augmentation des services psychosociaux offerts en GMF, qui sont réservés aux patients inscrits auprès des médecins de GMF, s’est donc traduite par une diminution de ceux offerts en CLSC, accessibles à l’ensemble de la population du territoire. Ainsi, ce sont <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">plus de 700 000 heures de services</a> de consultation sociale de courte durée et près de 60 000 heures de services de consultation psychologique qui sont perdues annuellement pour les personnes qui ne sont pas inscrites auprès d’un médecin de GMF, ce qui représentait, en 2020-2021, le tiers de la population du Québec.</p>
<h2>Clinique médicale ou entreprise ?</h2>
<p>Enfin, si elle n’a pas permis d’atteindre les objectifs du ministère, la mise en œuvre du modèle des GMF a cependant favorisé le développement d’une véritable « médecine inc. » de première ligne. En effet, sous l’impulsion du financement public accordé aux GMF, les petits cabinets médicaux détenus et gérés par les médecins qui y pratiquent sont progressivement remplacés par de grandes entreprises médicales détenues et gérées par des investisseurs extérieurs au réseau de la santé.</p>
<p>Sur les 50 GMF-réseaux privés existants au Québec, le quart ne compte aucun médecin parmi leurs actionnaires ou dirigeants et un nombre équivalent fait partie de ce qu’il faut bien appeler des « chaînes » de GMF, parfois détenues par de grandes entreprises comme Telus.</p>
<p>De plus, près de la moitié des GMF-réseaux privés comprennent des sociétés de portefeuille dans leur structure de propriété. Ce type d’entreprise, qui ne compte aucun employé et n’a aucune activité commerciale, est notoirement utilisé dans des stratégies d’optimisation fiscale visant à minimiser l’impôt payé par l’entreprise principale et ses actionnaires.</p>
<p>Si une refondation du système de santé est incontestablement nécessaire, une révision en profondeur du modèle des GMF s’impose également. Cette révision doit s’inspirer du modèle des CLSC, <a href="https://iris-recherche.qc.ca/blogue/sante/uchronie-dune-pandemie-et-si-le-projet-initial-des-clsc-setait-realise/">qui auraient pu faire une réelle différence</a> durant la pandémie.</p>
<p>Or, les GMF sont actuellement les vecteurs du démantèlement de ce modèle innovateur. Il est temps pour eux de devenir une base à partir de laquelle sera reconstruit un réseau de cliniques publiques réellement au service de la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188275/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Plourde est affiliée à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS). Elle a reçu des financements de l'IRIS et de Mitacs, un organisme subventionnaire à but non lucratif. </span></em></p>Les groupes de médecine de famille (GMF) ne parviennent pas à remplir les fonctions d’une première ligne efficace.Anne Plourde, Chercheuse postdoctorale spécialiste des politiques de santé, York University, CanadaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1904142022-09-13T09:20:52Z2022-09-13T09:20:52ZPourquoi se dirige-t-on vers une légalisation de l’euthanasie en France ?<p>Le président de la République a lancé une concertation nationale sur la fin de vie, à l’occasion de la publication le 13 septembre 2022 de l’avis que le Comité consultatif national d’éthique consacre notamment à l’évolution possible de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.</p>
<p><a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/529?taxo=0">Dans cet avis n° 139</a>, le CCNE revient sur sa position de 2013. Le Comité considère en effet « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte. »</p>
<h2>Politisation de la fin de vie</h2>
<p>Après s’être sécularisée, individualisée puis médicalisée, notre approche de la mort s’est politisée, suscitant des débats de société. À défaut de recours moraux ou religieux incontestés, des législations tentent de « l’encadrer ».</p>
<p>Depuis les années 1980 se discute un <em>art de mourir</em> qui suscite des tensions profondes et des positionnements idéologiques controversés. Ce parcours complexe, dans un domaine intime qui concerne les valeurs profondes des sociétés humaines, est jalonné d’événements et d’étapes, dont témoigne l’évolution de notre législation entre 1999 et 2016, que nous détaillerons plus loin.</p>
<p>Chacun aspire à vivre jusqu’au terme de son existence, chez soi, de manière digne, en société. La vision d’une mort instrumentalisée et anonyme dans le contexte technique d’un service hospitalier est une source d’effroi que l’on refuse, quitte à solliciter de la médecine le dénouement anticipé, faute d’autres solidarités espérées.</p>
<p>Est-il désormais l’heure d’envisager en France, de manière responsable, une conception de la fin de vie médicalisée qui autoriserait, avec un encadrement strict, une pratique de l’euthanasie ?</p>
<p>Évoquer les conditions de la mort lorsque l’on n’y est pas confronté, pour soi ou un proche, laisse la liberté d’y penser sans autre enjeu que de s’y préparer. Mais face à la réalité, les circonstances sont toujours inattendues, spécifiques, délicates, douloureuses, pour ne pas dire exceptionnelles.</p>
<h2>Un événement « exceptionnel » face à la routine et l’idéalisation</h2>
<p>Il n’y aurait rien de plus redoutable que de systématiser des procédures et des protocoles selon des critères inspirés par une idéalisation compassionnelle de la mort dans la dignité, voire dans la liberté.</p>
<p>L’histoire doit nous rendre vigilants à l’égard de représentations, de discours, de normes et d’un esprit de système donnant prétexte à justifier l’injustifiable, y compris en respectant les formes de la légalité.</p>
<p>L’expérience pervertie et criminelle d’une euthanasie politisée et institutionnalisée, au nom de considérations légitimant la transgression, nous force à un devoir de rigueur, de retenue et à une exigence éthique insoumise aux tentations des renoncements.</p>
<blockquote>
<p>« La notion de mort dans la dignité me paraît respectable comme une existence qui l’aurait été. L’idée même d’euthanasie me révulse car je sais, d’expérience, qu’elle peut être appliquée de manière dogmatique, mécanique, inhumaine. » (Bernard Kouchner, « La mort douce », France-Soir, 18 janvier 1999)</p>
</blockquote>
<p>L’euthanasie est un acte ayant pour intention d’interrompre volontairement et médicalement une vie. Elle se distingue du suicide, voire du suicide médicalement assisté, en ce que l’intervention directe du médecin provoque la mort. <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis063.pdf">« Celle-ci consiste en l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable »</a>.</p>
<p>Une législation octroyant au médecin le droit de donner la mort est-elle la réponse civilisée aux défis d’une souffrance existentielle dans notre exposition à la finitude, aux détresses des maladies ou des handicaps, voire aux altérations du grand âge qui parfois entament la force et l’envie de les surmonter ?</p>
<h2>Penser la fin de vie</h2>
<p>Autrefois valorisée, la souffrance était spiritualisée et rédemptrice. Aujourd’hui, la personne malade veut qu’on lui épargne l’insupportable et n’admet plus les consolations de l’au-delà. Elle revendique comme un droit fondamental l’apaisement de souffrances indues. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé indique dans l’article L. 1110-5 que :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »</p>
</blockquote>
<p>La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reconnaît ce droit, au point même d’admettre que son « double effet » pourrait abréger l’existence de la personne (sans intention pour autant de provoquer directement sa mort) :</p>
<blockquote>
<p>« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade […] »</p>
</blockquote>
<p>« Le droit de ne pas souffrir » justifierait-il, en certaines circonstances, l’exercice d’une « aide active à mourir » ?</p>
<h2>Assister la fin de vie</h2>
<p>Au moment où le président de la République souhaite engager une concertation nationale sur la fin de vie, rappelons l’article 1 de la proposition de loi donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie adoptée par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 1<sup>er</sup> avril 2021, ayant fait l’objet d’un vote favorable en séance plénière le 8 avril 2021.</p>
<p>Il est assez évident que cet article constituera le point déterminant de la future législation relative à la fin de vie :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à disposer, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée active à mourir. »</p>
<p>« L’assistance médicalisée active à mourir est définie comme la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle‑ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin […] »</p>
</blockquote>
<p>Cette « assistance médicalisée active à mourir » vise donc à répondre par l’euthanasie à la sollicitation d’une personne malade ou en fin de vie éprouvant une « souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».</p>
<p>Témoigner par un acte d’euthanasie notre respect à la personne qui n’en peut plus de l’existence qu’elle subit, est-ce la réponse humaine que notre société doit lui apporter, est-ce celle qui est attendue de notre part ?</p>
<p>La question mérite d’être posée, car plus complexe que l’injection létale déléguée à un médecin, assumer nos devoirs de non-abandon à l’égard de celui qui va mourir est un engagement éthique et politique au fondement même de la responsabilité humaine. Et c’est à cette valeur inconditionnelle qu’il nous faut être attentifs, d’une tout autre portée qu’une position favorable ou non à l’euthanasie, favorable ou non aux soins palliatifs.</p>
<h2>Le devoir d’humanité envers celui qui part</h2>
<p>Oui, être présent à ce que vit la personne dans la maladie et à l’approche de sa mort, lui témoigner la persistance de ce qui nous est commun en humanité, c’est avoir le souci d’apaiser et de consoler ses souffrances mais sans postuler que cette tâche est impossible ou inutile au point d’y renoncer en déterminant les règles de son euthanasie.</p>
<p>Trop de personnes vivent leurs dernières heures dans l’exiguïté et l’inconfort d’un box aux urgences de l’hôpital, faute de bénéficier de l’hospitalité et de la bienveillance que nous leur devons. D’autres meurent dans des établissements sanitaires ou médico-sociaux encore peu préparés à leur prodiguer l’attention et le réconfort d’une assistance humaine digne.</p>
<p>Le « mal mourir » interroge les lieux de soin et d’accompagnement, y compris le domicile, là où, pour toutes sortes de raisons, la préoccupation du « bien vivre » a été reléguée au regard d’autres contingences, notamment d’ordre gestionnaire, organisationnel, voire économique.</p>
<p>Notre impréparation aux circonstances humaines de la maladie chronique, aux situations de handicap et de dépendance induit des maltraitances que certains ne supportent plus. Doit-on se résigner à admettre ce que le constat de carences institutionnalisées semble révéler de notre détachement social aux plus vulnérables ? Doit-on se résoudre aux normes et aux protocoles médicalisés d’une mort par compassion ?</p>
<p>Les techniques de la réanimation médicale, l’évolution sur un long temps de maladies dont le pronostic annonçait par le passé une échéance de mort rapprochée, ainsi que la longévité de l’existence, rendent parfois indistincte la frontière entre vie et « survie artificielle ». Solliciter de la part du médecin une « aide active à mourir » peut alors sembler préférable à la continuation d’une existence ramenée au sentiment d’une souffrance dont il faudrait se délivrer.</p>
<p>Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les services hospitaliers de longs séjours au même titre que des établissements accueillant des personnes en situation de handicap sont apparus ces dernières années comme les symboles du « mal mourir ».</p>
<p>Si les scandales de fins de vie indignes doivent être dénoncés, il ne faudrait pas pour autant renoncer à évoquer ces morts intimes qui se vivent dans la sollicitude et la pudeur d’un accompagnement respectueux, au domicile ou en établissement. Nous y découvrons les valeurs d’une présence humaine jusqu’au bout, fort éloignées de toute « obstination déraisonnable », attentive à l’histoire d’une personne reconnue dans le droit de vivre sa vie jusqu’à son terme.</p>
<p>Nos visions péjoratives de la mort médicalisée, en réanimation ou dans l’isolement et l’anonymat d’une institution, ne sauraient nous inciter à conclure qu’une mort choisie et anticipée est la seule réponse adaptée.</p>
<p>N’a-t-on pas à repenser les conditions d’une fin de vie préservée dans son intégrité et son intimité, vécue dans un environnement humain et social à la hauteur d’attentes et de considérations vraies ?</p>
<h2>Une difficile législation</h2>
<p>Dès le 6 avril 1978, une <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/s77780301.html">législation favorable à l’euthanasie a été envisagée pour reconnaître le « droit de vivre sa mort »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce texte donne le moyen de s’épargner les douleurs, et d’épargner aux autres le tragique spectacle d’un corps convulsé ou celui triste, d’un corps étale et inerte. Il prétend non pas désarmer l’homme face à la mort, mais l’armer devant la douleur. Ne renversons pas la proposition. La vie reste le sursis. Le glissement vers la mort, le répit. Et non l’inverse. Les temps primitifs sont révolus. L’homme est avant tout un être doué d’intelligence et non un être de chair. Prétendre le contraire réduirait l’homme à peu de choses. » (Proposition de loi n° 301 relative au droit de vivre sa mort, Assemblée nationale, 6 avril 1978)</p>
</blockquote>
<p>Pour autant, quatre textes législatifs successifs ne sont pas encore parvenus à instituer l’euthanasie dans notre pays :</p>
<ul>
<li><p>En 1999, la loi n° 99-477 destinée à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000212121/">« garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs »</a> ;</p></li>
<li><p>En 2002, l’article L. 1110-5 2002-303 de la loi « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé » vise à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006685747/2002-03-05">« assurer à chacun une vie digne jusqu’à sa mort »</a> ;</p></li>
<li><p>En 2005, la loi n° 2005-370 vise à reconnaître le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000446240/#:%7E:text=%2D%20Lorsqu%E2%80%99une%20personne%2C%20en,inscrite%20dans%20son%20dossier%20m%C3%A9dical.">« droit des malades en fin de vie »</a> ;</p></li>
<li><p>Enfin, en 2016, la loi n° 2016-87 crée <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000031970253/">« de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie »</a>.</p></li>
</ul>
<p>La législation française actuelle est opposée à l’euthanasie, lui préférant la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. À la demande de la personne malade ou en fin de vie, une injection est pratiquée en vue de la plonger dans un coma jusqu’à sa mort.</p>
<p>Une controverse porte cependant <a href="https://www.lemonde.fr/fin-de-vie/article/2015/10/31/marquons-les-limites-entre-sedation-profonde-et-euthanasie_4800755_1655257.html">sur l’assimilation de cette sédation profonde et continue à une forme d’euthanasie</a> ou d’agonie lente, l’exécutif n’ayant pas estimé politiquement opportun de soutenir explicitement le droit à l’euthanasie.</p>
<p>La loi ne concerne d’ailleurs pas seulement « des personnes en fin de vie » mais également, indistinctement, « des malades […] atteints d’une affection grave et incurable », qui, décidant « d’arrêter un traitement [qui] engage [leur] pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable », peuvent solliciter « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience main – tenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie. »</p>
<p>Sommes-nous, en 2022, dans un contexte sociopolitique favorable à considérer que la réflexion développée depuis près de 40 ans aboutisse à l’ultime étape du parcours législatif : celle de la légalisation ou de la dépénalisation de l’euthanasie ?</p>
<h2>Maîtriser ou subir ?</h2>
<p>La prise en compte de l’autonomie d’une personne et de sa volonté de maîtriser son existence, en restant préoccupé jusque dans les conditions de la mort de sa dignité et de sa qualité de vie, est-elle l’argument justifiant de relativiser ou d’abolir des principes d’humanité qui ne se discutaient pas ?</p>
<p>Sénèque, dans un contexte culturel bien différent de notre modernité, affirmait déjà :</p>
<blockquote>
<p>« Je choisis moi-même mon bateau quand je m’embarque et la maison où je veux habiter ; j’ai le même droit de choisir le genre de mort, par où je vais sortir de la vie. » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 26.)</p>
</blockquote>
<p>La société française s’est sécularisée et, dans un domaine aussi sensible que celui qui concerne la fin de vie, les convictions traditionnelles ont évolué. Être soucieux de la dignité de la vie en certaines circonstances extrêmes peut inciter à discuter les justifications d’une vie encore digne d’être vécue. Il ne s’agit donc pas tant d’affirmer le « droit de mourir dans la dignité » que de revendiquer celui de ne pas poursuivre une existence qui s’avérerait incompatible avec des valeurs personnelles.</p>
<p>Le 24 février 1987, le sénateur Henri Caillavet, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), affirmait dans <em>Le Monde</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux façons d’aborder la mort. La maîtriser ou la subir. En cela, le suicide conscient est l’acte authentique de la liberté de l’homme. Pour tous ceux qui considèrent que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, que d’un bien elle est devenue une malédiction, nul pouvoir, serait-il religieux, médical, législatif, moral, ne saurait se dresser contre leur décision de mourir, parce qu’ils sont seuls juges de la qualité de leur vie. » (Henri Caillavet, « L’euthanasie : un mot qui ne doit pas faire peur », Le Monde, 24 février 1987.)</p>
</blockquote>
<h2>Le contexte social de la mort a changé</h2>
<p>La médicalisation de la fin de vie est venue remplacer les rites du trépas. À l’exception d’événements exceptionnels, la perte d’un membre de notre communauté n’est plus inscrite dans le paysage social. Les endeuillés sollicitent des psychologues là où, auparavant, les solidarités et les accompagnements spirituels conféraient un sens aux moments du départ.</p>
<p>Les derniers témoins de notre vie seront plus souvent des professionnels de santé que les personnes auxquelles nous étions attachés. On meurt en anonyme dans un lieu qui n’est pas familier, avec comme ultime demande à faire reconnaître celle d’une « assistance médicalisée active à mourir ».</p>
<p>La société est sollicitée aujourd’hui non plus pour témoigner sa sollicitude à celui qui meurt mais pour lui reconnaître le droit d’abréger une existence qui semble ne plus être digne d’une considération sociale. Un tel constat est révélateur de nos conceptions du vivre ensemble et de notre souci du bien commun.</p>
<p>Il ne s’agirait donc pas tant d’instituer les conditions recevables d’une pratique de l’euthanasie que d’estimer, dans certaines circonstances exceptionnelles, que pouvoir solliciter l’aide active d’un médecin pour mettre un terme à l’évolution inexorable des souffrances d’une maladie relève d’une conception de nos obligations politiques.</p>
<h2>Les évolutions des avis du Comité consultatif national d’Éthique</h2>
<p>Le 27 janvier 2000, dans son avis n° 63 <a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/239?taxo=75">« Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie »</a>, le CCNE proposait le concept « d’exception d’euthanasie » et en développait certaines justifications :</p>
<blockquote>
<p>« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la vie des individus. Par ailleurs, la perspective qui ne verrait dans la société qu’une addition de contrats individuels se révèle trop courte, notamment en matière de soins, là où le soignant ne serait plus considéré que comme un prestataire de services. Mais, ce qui ne saurait être accepté sur le plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur. Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l’inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d’engagement solidaire. »</p>
</blockquote>
<p>Dans son avis n° 121 du 13 juin 2013 <a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/181#:%7E:text=L%E2%80%99avis%20N%C2%B0121,le%20rapport%20de%20la%20Commission">« Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir »</a>, le CCNE revient sur cette option :</p>
<blockquote>
<p>« Certains membres du CCNE considèrent que le suicide assisté et l’euthanasie doivent – au moins dans certaines circonstances – être légalisés. Ils estiment que le respect de la liberté des individus doit aller jusqu’à ce point et permettre d’autoriser des tiers qui accepteraient de leur prêter assistance à le faire, sans risque majeur pour les liens de solidarité au sein de la société. Le Comité estime cependant majoritairement que cette légalisation n’est pas souhaitable : outre que toute évolution en ce sens lui paraît, à la lumière notamment des expériences étrangères, très difficile à stabiliser, il souligne les risques qui en découlent au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble dans une société marquée par de nombreuses fragilités individuelles et collectives et des carences importantes dans le champ de la politique relative à la fin de vie. »</p>
</blockquote>
<p>Dans son avis n° 139 du 13 septembre 2022 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » le CCNE revient sur sa position de 2013 pour retenir cette fois « l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie » : « Certaines « situations limites » qui avaient déjà été évoquées par le CCNE dans son avis n° 129 conduisent à nous interroger à nouveau sur l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie. Il s’agit de la situation des personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, évolutive, mais conservant leurs capacités de discernement, et dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais à moyen terme, n’étant pas en capacité physique de se suicider, mais qui en expriment le désir de façon constante ; comment justifier que le soulagement des souffrances – s’il était permis à d’autres, physiquement valides, via l’assistance au suicide – leur soit refusé du fait de leur handicap ? La discrimination que générerait un tel refus pour les personnes non valides mais mentalement autonomes serait éthiquement critiquable. »</p>
<p>Il ne m’appartient pas ici de me prononcer sur ce qui est « éthiquement critiquable »</p>
<p>L’euthanasie est parfois assimilée à un meurtre :</p>
<blockquote>
<p>« Plus qu’un meurtre, l’euthanasie est considérée comme un assassinat en raison de la préméditation qu’elle implique et de la faiblesse de la personne concernée, qui constituent des circonstances aggravantes. La volonté de la victime, même expressément démontrée, ne modifie en rien la qualification pénale du geste, et l’auteur d’une euthanasie ne peut s’en prévaloir. » (<a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/inegaux-devant-mort-droit-mourir-ultime-injustice-sociale">Robert Holcman, Inégaux devant la mort. « Droit à mourir, l’ultime injustice sociale », Paris, Dunod, 2015</a>)</p>
</blockquote>
<h2>La question des limites</h2>
<p>De ce fait, autoriser l’euthanasie, considérer cet acte comme l’ultime expression de nos solidarités suscite des controverses à la hauteur de ce qui apparaît comme une transgression. D’autant plus que dans les quelques pays européens qui ont dépénalisé l’euthanasie, les stricts critères encadrant au départ les pratiques ont évolué au point de donner droit à des demandes qui ne relèvent plus des principes édictés pour éviter les risques d’extensions incontrôlables des pratiques.</p>
<p>À terme, des limites tiendront-elles, dès lors que toutes sortes de bonnes raisons sont avancées pour les dépasser ? Défend-on les droits de la personne affectée de souffrances psychiques ou atteinte d’une maladie d’Alzheimer, voire seulement trop âgée pour avoir envie de poursuivre son existence, en convenant possible de lui permettre de bénéficier de cette libération d’une mort donnée par un médecin ?</p>
<p><a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/529?taxo=0"> Dans son avis n° 139</a>, le CCNE pose encore quelques limitations « éthiques » au recours à l’euthanasie : « Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. La demande d’aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d’une procédure collégiale. »</p>
<p>On a observé l’inconsistance de cette résolution formelle à l’usage extensif des législations qui ont précédé la France dans la dépénalisation ou la légalisation de l’euthanasie.</p>
<p>Il nous faudrait être plus attentifs à cette tentation de recourir à des instances éthiques pour cautionner, « au nom de l’éthique », des choix politiques qui justifiaient une intelligence du réel soucieuse de valeurs qui ne se bradent pas.</p>
<p>La concertation nationale débute en ce mois de septembre 2022, alors que la société française est confrontée à d’autres urgences qui auraient pu justifier, plus que l’euthanasie, un débat public.</p>
<p>Le président de la République estime le temps venu de cette conquête prioritaire du « droit de mourir dans la dignité » en bénéficiant « d’une assistance médicalisée active à mourir ». Anticiper les conditions de sa mort, les limites que l’on pose au temps de son mourir relève d’une démarche respectable et nécessaire à la fois philosophique et politique.</p>
<p>Les conditions sont-elles pour autant favorables à une délibération collective sur la fin de vie, dans un contexte sanitaire marqué par les tragédies de la pandémie, l’effondrement du système hospitalier, les difficultés d’exercice au quotidien auprès des personnes en situation de dépendance ou de handicap, et tant de précarité qui affectent le vivre ensemble ?</p>
<hr>
<p><em>Emmanuel Hirsch est notamment auteur de : « Faut-il autoriser l’euthanasie ? » (First, 2019), « Vincent Lambert. Une mort exemplaire ? » (Le Cerf, 2020) et « Apprendre à mourir » (Grasset, 2008)</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190414/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis plus de quarante ans, la France n'arrive pas à organiser une réflexion sur l'euthanasie à la hauteur des enjeux humains posés. Alors qu'un débat national va être lancé, ce temps est-il venu ?Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1887742022-09-01T12:56:04Z2022-09-01T12:56:04ZQuel accès aux soins pour les femmes enceintes migrantes dépourvues d’assurance maladie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480882/original/file-20220824-2207-pwpqn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C995%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des milliers de femmes migrantes enceintes expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Au Québec, l’admissibilité à la couverture de santé publique est gérée par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (RAMQ) et dépend du statut migratoire des individus. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens, les résidents permanents et les réfugiés.</p>
<p>Les demandeurs d’asile bénéficient d’une couverture de santé fédérale : le <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/aide-partir-canada/soins-sante/programme-federal-sante-interimaire/resume-couverture-offerte.html">Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI)</a>. Les personnes qui ne sont pas admissibles aux couvertures de santé publiques ni provinciale, ni fédérale, peuvent souscrire à des assurances privées, assez coûteuses. C’est ainsi qu’en 2020, on estimait la présence au Québec de près de <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">50 000 individus (adultes et enfants) dépourvus de couverture de santé, la majorité vivant à Montréal</a>.</p>
<p>Ces personnes sont communément désignées par le terme de Migrants sans assurance maladie (MSAM). Lorsqu’elles sont enceintes, certaines femmes MSAM renoncent à leurs soins obstétricaux, en raison de leur incapacité à payer des frais médicaux pouvant osciller entre <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">8 934 $ et 17 280 $</a>. Or, la <a href="https://www.sogc.org/fr">Société des obstétriciens et gynécologues</a> recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de <a href="https://doi.org/10.1038/jp.2015.218">réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance</a>.</p>
<p>En tant que chercheuse en éthique clinique spécialisée sur la santé des migrants, je me propose de vous informer sur l’existence de ces milliers de femmes qui expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. Mon approche éthique offre une analyse critique du statu quo de la RAMQ, à l’aune des principes de dignité de la personne humaine et de justice sociale.</p>
<h2>Portrait de la situation au Québec</h2>
<p>Les MSAM sont réparties en <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0231327">trois catégories</a>, selon leur statut administratif au Canada :</p>
<ul>
<li><p>les personnes en attente de statut à la RAMQ, telles que les Résidents permanents en période de carence de 3 mois ou les demandeurs d’asile en attente de PFSI ;</p></li>
<li><p>les Résidents non permanents ayant généralement des visas étudiants (à l’exception de ceux originaires des 11 pays européens ayant une entente avec la RAMQ) ou des permis de travail ouverts ;</p></li>
<li><p>les personnes sans statut qui restent au Québec après l’expiration de leur visa ou à la suite de l’échec de leur demande d’asile.</p></li>
</ul>
<p>Au Québec, l’entrée à l’hôpital est théoriquement ouverte à toute personne s’y présentant. Or, lorsqu’une personne ne bénéficie d’aucune couverture médicale et qu’elle souhaite recevoir des services de santé non urgents, elle doit d’abord prouver sa capacité à s’acquitter de la facture qui en découlera. Dans le cas des MSAM, cette facture est de surcroît soumise à la circulaire 03-01-42-07, qui prescrit l’application d’une majoration tarifaire de 200 % à <a href="https://doi.org/10.7202/1087213ar">toute personne non affiliée à la RAMQ ayant eu recours à des soins de santé effectués dans des établissements publics</a>. Par exemple, pour un suivi de grossesse et un accouchement, les frais totaux peuvent s’élever à <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">17 280 $</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="femme enceinte fait une échographie" src="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Société des obstétriciens et gynécologues recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors que des associations comme Médecins du monde plaident depuis plus de 20 ans en faveur de la mise en place gouvernementale d’une <a href="https://medecinsdumonde.ca/uploads/Memoire-Medecins-du-Monde-Sante-sexuelle-et-reproductive-des-femmes-migrantes-a-statut-precaire-vivant-au-Quebec_15avril-2022.pdf">couverture universelle de soins obstétricaux</a>, la RAMQ juge dans son <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">rapport publié en juin 2022</a> que le statu quo reste une réponse adéquate à la situation de ces femmes.</p>
<h2>Préserver la dignité humaine</h2>
<p>Il arrive dans certaines situations que des femmes enceintes choisissent de se présenter à l’hôpital à la dernière minute pour minimiser leurs coûts, et passer en urgence en salle de naissance. Dans les cas extrêmes, les femmes <a href="https://books.openedition.org/pum/5389">décident d’accoucher seules chez elles, au péril de leur vie</a>.</p>
<p>De plus, des recherches ayant examiné les différents dossiers médicaux en services d’obstétriques prouvent que l’absence d’assurance maladie augmente les taux de césariennes dues à des <a href="https://doi.org/10.3390%2Fijerph10062198">anomalies du rythme cardiaque fœtal et de réanimations néonatales</a>.</p>
<p>Ainsi, d’un point de vue clinique, la mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux apparaît appropriée et efficace pour garantir des conditions d’accouchement sécuritaires et dignes à toutes les femmes et leurs enfants, sans égard à leur statut migratoire.</p>
<h2>Loin d’être des touristes</h2>
<p>Le <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">dernier rapport de la RAMQ</a> témoigne que ce sont davantage des préoccupations liées au phénomène de « tourisme obstétrique » qui incitent au statu quo, plutôt qu’un regard médical ajusté et humaniste à l’égard de la réalité des femmes enceintes MSAM. Or, ce ne sont pas des touristes, puisque la plupart d’entre elles <a href="https://doi.org/10.1080/17441692.2020.1771396">résident au Québec depuis au moins deux ans et qu’elles ont l’intention de s’y établir</a>.</p>
<p>Par ailleurs, ces femmes contribuent à la société de diverses façons, à commencer par leur travail, notamment au cours de la pandémie de Covid-19. Les travaux de l’<a href="https://sherpa-recherche.com/">Institut universitaire SHERPA</a> ont révélé que les travailleuses migrantes ont été surreprésentées dans les métiers désignés de première ligne. Elles étaient nombreuses à être <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">préposées aux bénéficiaires, vendeuses ou agentes d’entretien ménager</a>.</p>
<p>Ces personnes prennent soin de notre société. La mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux et obstétricaux témoignerait d’une reconnaissance juste de leurs apports économiques, sociaux, culturels, académiques et démographiques au Québec.</p>
<h2>Pour garantir la justice sociale</h2>
<p>Il est primordial de distinguer les femmes enceintes MSAM des personnes qui voyagent au Canada dans l’unique but d’y accoucher pour garantir l’obtention de la citoyenneté à leurs enfants à naître.</p>
<p>De plus, les limitations d’accès à la RAMQ n’empêchent pas le phénomène de <em>tourisme obstétrical</em> d’exister, bien qu’il demeure <a href="https://www.lesoleil.com/2012/03/08/du-tourisme-obstetrique-a-quebec-26f02f95a23fdca000845c92e0becef7">marginal</a>.</p>
<p>Pour la période du 1<sup>er</sup> janvier 2015 au 31 décembre 2021, la <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">RAMQ dénombre 9 917 femmes ayant accouché alors qu’elles n’avaient pas d’assurance maladie</a>. Cette donnée regroupe toutes les femmes, installées ou non dans la province. D’après la RAMQ, il n’existe aucun moyen de distinguer celles qui résident au Québec de celles n’ayant que l’intention d’y accoucher.</p>
<p>Rien ne prouve qu’une couverture universelle de soins de grossesse s’accompagnera inexorablement d’une recrudescence du <em>tourisme obstétrical</em>. En effet, l’accès à cette mesure pourrait par exemple être conditionné par des preuves de résidence.</p>
<p>En revanche, le statu quo génère un accroissement des inégalités d’accès aux soins. Des inégalités aux conséquences cliniques potentiellement lourdes pour les nourrissons en cas de suivi de grossesse inadéquat ou inexistant.</p>
<h2>Des exemples à suivre</h2>
<p>C’est justement par respect des principes humanistes de meilleur intérêt de l’enfant et de dignité humaine de la femme que des pays dotés d’un système de santé public comme la France, l’Allemagne, et la Finlande, offrent des soins prénataux et obstétricaux gratuits à toutes les femmes, sans discrimination, ni d’égard à leur statut migratoire, légal ou non.</p>
<p>D’autres provinces canadiennes tout aussi concernées par <em>le tourisme obstétrical</em>, comme la Colombie-Britannique et l’Alberta, réduisent leur taux de MSAM en octroyant l’assurance maladie provinciale à toutes personnes détentrices d’un permis d’étude ou d’un permis de travail. En Ontario, le gouvernement finance les soins de grossesse et d’accouchement à toutes les femmes enceintes qui résident dans la province avec un statut légal.</p>
<p>À l’aube des élections provinciales au Québec, nous encourageons le futur nouveau gouvernement à suivre ces modèles inspirants dans l’optique de garantir des droits de la personne fondamentaux, comme la santé, à l’ensemble de la communauté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188774/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annie Liv a reçu des financements du Centre de recherche en éthique (CRÉ) et de l'Équipe de recherche interdisciplinaire sur les familles réfugiées et demandeuses d'asile (ERIFARDA). </span></em></p>L’admissibilité à la RAMQ dépend du statut migratoire. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens et les résidents permanents. Les étudiant-es, par exemple, en sont exclus.Annie Liv, Doctorante en Éthique clinique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1859432022-07-19T17:53:44Z2022-07-19T17:53:44ZLes soins psychiatriques sans consentement : quels enjeux en France ?<p>Par un arrêt du 17 juin 2022, la Cour d’appel de Bordeaux a infirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) du 9 juin 2022 autorisant le transfert de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/pyrenees-atlantiques/pau/romain-dupuy-schizophrene-qui-avait-tue-deux-soignantes-defend-son-transfert-dans-une-unite-psychiatrique-classique-2562936.html">Romain Dupuy</a> de l’Unité pour malades difficiles (UMD) du centre hospitalier de Cadillac (Gironde) à une autre unité fermée de soins psychiatriques. La Cour d’appel a déclaré incompétent le JLD pour statuer sur cette demande.</p>
<p>Le cas de Romain Dupuy, âgé aujourd’hui de 39 ans, avait connu un large écho fin 2004 lors du « Drame de Pau ». Le jeune homme, atteint de schizophrénie, avait alors tué deux soignantes de l’hôpital psychiatrique de Pau. Jugé irresponsable pénalement en appel, il est depuis 2005 hospitalisé à l’UMD de Cadillac. Son placement dans ce service est régulièrement contrôlé par le JLD. Il demandait son déplacement dans une autre unité fermée du CH de Cadillac, mesure refusée par le préfet de Gironde.</p>
<p>Cette affaire fait ressurgir dans l’actualité la question de l’hospitalisation sans consentement en hôpital psychiatrique. Très médiatisée, cette cause d’admission en UMD n’est toutefois pas unique – ni majoritaire.</p>
<p>S’il existe dix unités pour malades difficiles en France (dont trois sont en mesure d’accueillir des femmes), capables de recevoir environ <a href="https://www.psycom.org">530 patients</a>, elles ne constituent qu’une <a href="https://theconversation.com/liberez-britney-spears-hospitalisation-sous-contrainte-tutelle-et-sante-mentale-155394">petite partie des unités psychiatriques accueillant des patients hospitalisés sans consentement</a>.</p>
<p>Quelques chiffres permettent de se rendre compte de la méconnaissance de la réalité des soins psychiatriques et des maladies mentales dans l’Hexagone. Le regard du grand public sur ces sujets est donc <a href="https://theconversation.com/la-place-des-malades-psychiatriques-est-a-lhopital-pas-en-prison-82670">particulièrement biaisé</a>.</p>
<p>En 2014, une étude réalisée par l’entreprise de sondage <a href="https://www.fondation-fondamental.org/sites/default/files/rapport_ipsos_fondamental_1.pdf">Ipsos</a> pour la fondation FondaMental montrait ainsi que 55 % des Français étaient incapables d’estimer la fréquence des maladies mentales au regard des autres maladies au sein de la population – 71 % sous-évaluaient leur prévalence.</p>
<p>Dans les faits, une personne sur cinq sera un jour touchée par une maladie psychique. Ces pathologies sont ainsi classées au troisième rang des plus fréquentes en France, après les cancers et les maladies <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_laforcade_mission_sante_mentale_oct_2016.pdf">cardiovasculaires</a>.</p>
<h2>Le soin psychiatrique</h2>
<p>Il est nécessaire de rappeler que, en principe, chacun est libre d’accepter ou de refuser des soins et que le médecin est tenu de respecter ce choix.</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041721056/">Code de la Santé publique, Art. L1111-4, 2020</a>)</p>
</blockquote>
<p>Ce qui signifie que l’on est libre de demander son admission en soins psychiatriques, en vertu du principe de consentement aux soins.</p>
<p>En France, les soins psychiatriques sont organisés en secteurs. Chacun d’entre eux couvre une zone d’environ 80 000 habitants. À titre d’exemple, dans le département de la Gironde, les soins psychiatriques sont organisés autour de <a href="https://www.unafam.org/gironde/la-psychiatrie-en-gironde">trois centres hospitaliers</a>.</p>
<p>L’un d’entre eux, le <a href="https://www.ch-perrens.fr/sites/default/files/files/Etablissement/Chiffres%20cl%C3%A9s/RA%202020%20juillet%202021.pdf">centre hospitalier de Charles Perrens, comporte quatre pôles cliniques adultes, un pôle universitaire de pédopsychiatrie et un pôle d’addictologie interétablissement</a>. Selon les pôles, on retrouve des unités d’hospitalisation à temps plein, des hôpitaux de jour, des centres médico-psychologiques, etc. La prise en charge peut donc être à temps complet dans le cadre d’une hospitalisation, ambulatoire ou la journée dans le cas des hôpitaux de jour.</p>
<p>L’admission en soins psychiatriques dits « libres » est une modalité d’hospitalisation dans laquelle le consentement de la personne est requis ; et la personne qui est à l’origine de son hospitalisation est également libre d’y mettre fin à tout moment. Par opposition, on trouve l’admission en soins « sans consentement ». Dans ce cas de figure, tel celui de Romain Dupuy, le patient n’est libre ni de son entrée ni de sa sortie.</p>
<p>Le soin des maladies mentales a connu une évolution importante au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle avec la <a href="https://www.cnle.gouv.fr/le-XIXe-si%C3%A8cle-la-loi-de-1838-et-l.html">loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, dite loi Esquirol</a>. Cette dernière avait incité, dans chaque département, à la création d’un asile. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, diverses réformes seront promulguées.</p>
<p>L’une des dernières, datée du 5 juillet 2011, est relative aux droits à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement et aux modalités de leur prise en charge ; elle a notamment remodelé les conditions d’entrée dans ce cas de figure.</p>
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<h2>Le cadre actuel des soins psychiatriques sans consentement</h2>
<p><a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-04/programme_de_soins_psychiatriques_sans_consentement._guide.pdf">En 2018, 96 000 personnes</a> en France étaient concernées par une mesure de soins psychiatriques sans consentement. Attention, parmi elles, seule une minorité a commis un crime.</p>
<p>Ce mode d’hospitalisation se décline en trois volets, prévus dans le Code de la santé publique :</p>
<ul>
<li><p>L’admission à la demande d’un tiers (une personne suffisamment proche du patient souffrant de troubles mentaux, parents par exemple, et justifier de liens importants avec lui),</p></li>
<li><p>L’admission à la demande du représentant de l’État,</p></li>
<li><p>L’admission pour péril imminent.</p></li>
</ul>
<p>Concernant l’admission sur demande d’un tiers, le patient doit présenter un trouble mental rendant impossible son consentement ainsi que d’un état de santé justifiant une surveillance constante et des soins immédiats – la seule demande d’un tiers ne suffit pas, par exemple.</p>
<p>La demande doit de plus être associée à deux certificats médicaux, qui devront être datés de moins de 15 jours avant l’admission. L’un des deux au moins devra émaner d’un médecin qui n’appartient pas à l’établissement considéré.</p>
<p>La mesure d’hospitalisation fera ensuite l’objet d’un contrôle. Deux nouveaux certificats, l’un après 24 heures et l’autre après 72 heures, devront faire état de la nécessité de maintenir la mesure de soins. Par la suite, le juge des libertés et de la détention statuera sur le bien-fondé et la régularité de la décision.</p>
<p>Les patients sont généralement hospitalisés en unités psychiatriques au sein de centres hospitaliers spécialisés. Nous avons déjà mentionné l’UMD, l’Unité pour malades difficiles. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006072816/">Y est hospitalisé tout patient dont l’état de santé requière une vigilance importante et qui représente un potentiel danger pour autrui</a>. Son admission se fait sur arrêté du préfet de département sur proposition du psychiatre du patient, avec l’accord du psychiatre de l’UMD, sur la base d’un dossier comprenant un certificat médical motivé et éventuellement une ou plusieurs expertises médicales.</p>
<p>Il existe d’autres types de structures, que nous avons évoquées. Les différentes modalités de prise en charge sont le meilleur moyen de s’adapter à la pathologie et à la situation de la personne atteinte par ces troubles.</p>
<p>Ces soins sans consentement peuvent ainsi prendre une autre forme que l’hospitalisation complète : il peut s’agir de soins ambulatoires ou à domicile dispensés par un établissement, ou encore de séjours de courte durée <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043499459">(art L3211-2-1 I du CSP)</a>.</p>
<p>Le véritable enjeu ici concerne la protection de la liberté individuelle, qui sera assurée par le <a href="http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/lordre-judiciaire-10033/juge-des-libertes-et-de-la-detention-25302.html">juge de la liberté et de la détention</a>. Ce processus complexe a été pensé pour assurer le respect et la sécurité de la personne et éviter tout internement abusif – et actuellement, la jurisprudence ne semble effectivement pas connaître de tels exemples.</p>
<p>Il est à noter que la France n’est pas le seul pays à disposer d’un système de soins sans consentement : nos voisins belges, par exemple, ont, eux, mis en place deux régimes de prise en charge en soins psychiatriques sous contrainte. La première dite « internement » concerne les personnes ayant commis des crimes ou délits. La seconde, nommée « mise en observation », concerne les personnes atteintes d’un trouble psychique grave nuisant à leur santé, à leur sécurité ou à celle d’autrui.</p>
<h2>Un large panel de pathologies mentales concerné</h2>
<p>Il n’existe pas de patient avec une « pathologie type » admis en soins psychiatriques sans consentement. Pour l’UMD de Cadillac, le <a href="http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2018/04/Rapport-de-la-deuxi%C3%A8me-visite-dunit%C3%A9-pour-malades-difficiles-UMD-de-Cadillac-Gironde.pdf">contrôleur général des lieux de privation de liberté</a> rapporte, dans son rapport de visite de 2016, que les pathologies les plus représentées dans cette unité étaient les schizophrènes paranoïdes pour 53 % des patients, les autres schizophrénies (9 %) puis l’autisme (9 %).</p>
<p>Pourtant, ces chiffres ne sont pas représentatifs des pathologies des personnes hospitalisées en soins sans consentement dans les autres unités psychiatriques en France ou encore dans les autres unités pour malades difficiles de France : addiction, dépression ou encore troubles du comportement alimentaires graves peuvent conduire à une hospitalisation sous contrainte (hors UMD), tant que les conditions prévues par le Code de la santé publique et évoquées ci-dessus sont remplies.</p>
<p>Si la maladie mentale est un sujet tabou, l’hospitalisation sans consentement l’est tout autant. Il est donc nécessaire de continuer à diffuser des éclairages techniques et opérer une prévention sur ce sujet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Drouillard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question de l’hospitalisation sans consentement en hôpital psychiatrique a fait, il y a peu, l’actualité. Complexe et méconnue, elle est strictement encadrée. Voici comment en France.Marie Drouillard, Doctorante en Droit de la santé, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827302022-05-16T19:46:54Z2022-05-16T19:46:54ZViolences obstétricales en Afrique de l’Ouest : la pandémie de Covid-19 a-t-elle changé la face des hôpitaux ?<p>Le Sénégal est actuellement sous le choc depuis le décès d’une mère et son bébé à naître de 9 mois dans la salle d’attente d’un hôpital régional. La famille de la défunte dénonce une négligence de l’équipe de garde et plusieurs sages-femmes sont en garde à vue en attente de jugement définitif.</p>
<p>Face à cela, les syndicats de la santé sont en grève – <a href="https://www.courrierinternational.com/article/sante-apres-la-mort-d-astou-sokhna-le-senegal-choque-par-le-martyr-des-femmes-enceintes">journées sans accouchement</a> – pour défendre leur corporation. Une suspension des services de santé qui nourrit un sentiment d’injustice sociale des patientes, qui organisent de leur côté des <a href="https://mobile.twitter.com/seneweb">marches de soutien à la famille éplorée</a>.</p>
<p>Le décès de cette jeune femme n’est que la partie émergée des défis de santé que constituent les <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-5-page-629.htm">violences obstétricales</a>, en Afrique et dans le monde entier. Cet événement terrible est un exemple révélateur d’un environnement sociosanitaire souvent dysfonctionnel, caractérisé par l’impossible admission de patientes aux urgences par manque de garant, où des femmes en travail ou leurs fœtus peuvent mourir dans les ambulances par manque de lit de réanimation après avoir fait le tour des hôpitaux référencés.</p>
<p>En dépit de <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-5-page-695.htm">projets d’humanisation de l’accouchement</a> et des <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2012-3-page-100.htm">politiques de gratuité</a> en faveur du couple mère/enfant en vigueur dans la plupart des formations sanitaires publiques des pays ouest-africains, ce drame fait ainsi ré-émerger les tensions suscitées par le <a href="https://ideas4development.org/violences-obstetricales-afrique-ouest/">sort réservé à de très nombreuses femmes dans les maternités en Afrique de l’Ouest</a>, et repose les questions structurelles sur les <a href="https://theconversation.com/afrique-francophone-a-quoi-servent-tous-ces-hopitaux-106459">hôpitaux</a> dans ces pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514104425270464514"}"></div></p>
<h2>Développer les capacités d’accueil hospitalier</h2>
<p>En 2020, l’organisation de la riposte contre la pandémie de Covid-19 a été un moment fort pour le diagnostic des systèmes sanitaires du monde entier.</p>
<p><a href="https://www.ceped.org/fr/publications-ressources/working-papers-du-ceped/article/la-riposte-nationale-contre-la">En Afrique</a>, plusieurs initiatives ont été entreprises par les États pour y <a href="https://doi.org/10.3917/spub.216.0785">faire face et renforcer les systèmes sanitaires locaux</a> : augmentation de la capacité d’accueil (construction d’hôpitaux, de salle d’hospitalisation), relèvement du plateau technique (lits de réanimation), recrutement de spécialistes et déploiement dans les zones enclavées.</p>
<p>Aujourd’hui, malgré ces efforts consentis en période d’urgence, les difficultés d’accès aux soins persistent en Afrique de l’Ouest, surtout concernant la santé maternelle. Les femmes enceintes issues de familles démunies décèdent encore par défaut de prise en charge adéquate (encore plus au Sahel <a href="https://doi.org/10.1186/s13031-020-00334-5">dans les zones de conflit</a>).</p>
<p>Les familles aisées affiliées aux assurances privées ou aux mutuelles de santé, ou celles capables de payer, se tournent vers les <a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010074622">cliniques privées locales</a>. Pendant ce temps, l’accouchement à domicile ou assisté par une accoucheuse traditionnelle reste une <a href="https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/37992/1/34919.pdf">pratique largement partagée par les familles les plus démunies</a>, mais aussi par certaines femmes ayant eu une <a href="https://doi.org/10.1111/j.1600-0412.2011.01163.x">expérience traumatique antérieure d’accouchement à l’hôpital</a>.</p>
<p>Ainsi, les inégalités d’accès aux soins entre les classes sociales demeurent, en Afrique comme ailleurs. Faut-il croire que l’engouement du « renouveau » qu’avait suscité la pandémie de Covid-19 n’a finalement pas permis une réforme en profondeur, ni la généralisation de la <a href="https://theconversation.com/les-defis-de-la-couverture-sanitaire-universelle-en-afrique-un-ouvrage-de-synthese-en-francais-169422">couverture sanitaire universelle</a> promulguée par les Nations unies en 2015 ?</p>
<p>Il nous semble que le déterminisme structurel des réformes néolibérales reprend le dessus sur les mesures conjoncturelles de la riposte face au Covid-19, largement financées par l’extérieur.</p>
<h2>Un modèle hospitalier néolibéral ?</h2>
<p>Depuis les programmes d’ajustements structurels des années 1980-1990, le fonctionnement des formations sanitaires en Afrique repose surtout sur un modèle néolibéral.</p>
<p>Si la plupart des ressources humaines sont payées par l’État, chaque structure de santé (hôpital, centre, poste) gère son propre budget de fonctionnement, provenant en grande partie des prestations payantes (pour la partie officielle) des patients (tickets de consultation, frais examens médicaux, vente de médicaments). Le fonctionnement financier de l’hôpital public repose donc sur une logique de marché – offre des professionnels de santé et demande des usagers (malades) – et une bonne santé financière permet d’assurer la pérennité du service et des soins.</p>
<p>En plus des deux parties prenantes (prestataires et clients), s’ajoute le rôle régulateur de l’État, tantôt salvateur, tantôt déstabilisateur.</p>
<p>La politique interventionniste de l’État providence accorde sur le papier aux usagers des prestations gratuites, comme pour les <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2012-3-page-11.htm">enfants</a> de moins de 5 ans ou les césariennes. Ces initiatives à vocation sociale reposant sur une équité territoriale par la couverture santé universelle permettent aux familles, dont les plus démunies, d’accéder aux soins à moindre coût et augmentent ainsi le <a href="http://www.equitesante.org/wp-content/uploads/2015/12/Numero-1-Nov2015.pdf">pouvoir d’agir des usagers et des usagères</a>. Le Burkina Faso est un bel exemple de volonté politique et de réussite à cet égard.</p>
<p>Mais l’État doit rembourser <em>a posteriori</em> aux formations sanitaires les prestations des populations enregistrées dans le registre des politiques de gratuité. C’est souvent là que le bât blesse.</p>
<p>En effet, les retards de remboursement de l’État mettent les structures de santé sous pression financière pour acheter des intrants et payer les salaires du personnel contractuel. Ces retards contribuent à une rupture <a href="https://doi.org/10.1016/j.rbms.2019.12.001">éthique des soignants</a> qui enveniment les relations soignants-soignés et conduisent à des pratiques médicales inappropriées.</p>
<p>Conjuguée à la faible formation en psycho-sociologie des relations aux soins, la pression financière pousse certains prestataires à <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2016-1-page-89.htm">trier les malades</a>, non pas suivant l’urgence médicale mais suivant la capacité de paiement : <a href="https://pfongue.org/IMG/pdf/tdr_etude_anthropologique_aacid.pdf">« On prend les patients qui payent cash ! Les patients ayant besoin de prestations gratuites ou sans lettre de garantie de la mutuelle de santé vont devoir attendre »</a>, nous a dit une sage-femme lors d’une analyse des barrières à l’adhésion des populations dans les mutuelles de santé au Sénégal.</p>
<p>Les femmes avec un capital économique (et social) faible sont alors plus exposées aux violences obstétricales que les autres.</p>
<h2>Violences exercées et injonctions contradictoires</h2>
<p>Les <a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010031060">violences en institutions de soins ne sont ni nouvelles</a> ni <a href="https://editions.flammarion.com/les-brutes-en-blanc/9782081390331">l’apanage des professionnels de santé ouest-africains</a>.</p>
<p>Les négligences et pratiques inappropriées des soignants sont quotidiennes ; elles se manifestent dans des hôpitaux sous pression assaillis par des <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2004-1-page-37.htm">injonctions étatiques qui brouillent leur fonctionnement</a>. En Afrique, des centaines de <a href="https://www.chathamhouse.org/2017/12/hospital-detentions-non-payment-fees">femmes sont retenues dans les hôpitaux après avoir accouché par défaut de paiement des prestations</a>.</p>
<p>L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait pourtant demandé aux pays de <a href="https://www.who.int/publications/m/item/public-health-and-social-measures-for-covid-19-preparedness-and-response-in-low-capacity-and-humanitarian-settings">supprimer le paiement direct des soins durant la pandémie</a>. Même si certains économistes de l’OMS ne sont pas d’accord avec cette solution, la commission pour la santé de la revue <a href="https://doi.org/10.1016/S2214-109X(22)00005-5">The Lancet</a> vient de rappeler l’importance que les soins de santé primaires soient gratuits au point de service, étant entendu que l’État doit en garantir le financement.</p>
<p>Néanmoins, rares sont les <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">pays africains à garantir ce droit à la santé et respecter leurs engagements au financement de la santé</a>.</p>
<h2>Quelles perspectives ?</h2>
<p>L’hôpital public des pays ouest-africains est plus que jamais sous tension, d’autant que la pandémie de Covid-19 a remis l’hospitalo-centrisme au goût du jour (au Sénégal, les hôpitaux absorbent deux tiers des dépenses de santé).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Porte ouverte sur l’intérieur d’une salle d’accouchement dans un état de propreté limite" src="https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les maternités demandent encore de gros investissements au Sénégal pour offrir de bonnes conditions d’accouchement aux femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdoulaye Moussa Diallo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au-delà de la baisse constante de la mortalité maternelle depuis 1987, pour améliorer ce climat socioprofessionnel, l’État doit absolument consentir à augmenter son investissement dans le secteur sanitaire. Au Sénégal, par exemple, seulement 5 % du budget national est alloué à la santé. Ce montant est dérisoire au regard des nombreux défis auxquels l’organisation sanitaire est confrontée.</p>
<p>Le plan d’investissement annoncé en 2020 de 1 400 milliards de francs CFA, dont 62 % pour les infrastructures, jusqu’en 2024 ne sera certainement pas suffisant. De surcroît, moins de <a href="https://www.dhsprogram.com/pubs/pdf/FR368/FR368.T.pdf">5 % de la population</a> est couverte par une mutuelle de santé communautaire, instrument phare du programme de couverture sanitaire universelle (CSU).</p>
<p>L’<a href="https://ceim.uqam.ca/db/IMG/pdf/note_politique_se_ne_gal.pdf">utilisation des profits dérivés des ressources extractives pour financer la santé</a> parait une solution durable et réalisable. Elle pourrait favoriser l’avènement de la CSU, notamment (mais pas seulement) par des <a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">unités départementales d’assurance maladie</a>, à grande échelle et professionnelles, résilientes, solvables et dynamiques, capables de parer aux éventuelles actions hégémoniques et contreproductives pour le bon fonctionnement du système. Et de participer ainsi à l’avènement d’un « meilleur hôpital ».</p>
<p>Le soutien à la structure de la demande, à la réalisation d’un contre-pouvoir où les malades sont au cœur du système de santé devient une urgence pour débattre et trouver une solution, ensemble, avec les représentants de l’offre de soins. La judiciarisation de la santé ne sera pas une solution.</p>
<p>Pour cela, il va falloir que les acteurs se réconcilient avec le système sanitaire, en plaidant en faveur de l’effectivité d’une gouvernance sanitaire locale harmonieuse <a href="https://www.theses.fr/2021LILUA013">incluant les acteurs de santé communautaire</a>.</p>
<p>Cela peut passer par la création d’entités locales qui instaureront des relations de confiance basées sur des échanges constructifs et inclusifs afin d’en arriver à une <a href="https://www.academia.edu/9483200/La_promotion_de_la_sant%C3%A9_une_probl%C3%A9matique_au_coeur_de_nos_pr%C3%A9occupations_%C3%A9ditoriales">« santé » non seulement « par » et « pour » les communautés, mais aussi « selon elle »</a> où le <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/206971/9789290613176_eng.pdf">patient sera au cœur des prises de décisions</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182730/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clémence Schantz a reçu des financements d'organismes de recherche publics (ANR, Institut Convergences et Migrations, Cité du Genre, Institut du Genre, etc)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valéry Ridde a reçu des financements d'organismes de recherche publics (ANR, IRSC, AFD, ONG etc.). Il est actuellement affecté à l'ISED/UCAD au Sénégal.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abdoulaye Moussa Diallo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La prise en charge des femmes enceintes à l’hôpital reste un défi au Sénégal, notamment pour des raisons pécuniaires. Comment remédier aux violences obstétricales qui peuvent en découler ?Abdoulaye Moussa Diallo, Sociologue, Université de LilleClémence Schantz, Sociologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1809792022-04-14T18:21:40Z2022-04-14T18:21:40ZDébat : L’éthique du soin à l’épreuve des politiques gestionnaires<p>La loi du 4 mars 2002 relative aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">droits des malades et à la qualité du système de santé</a> a eu 20 ans cette année. Au cours de ces deux dernières décennies, les personnels soignants ont régulièrement fait part de leur inquiétude quant à l’évolution du système de santé français, et en particulier de l’hôpital public.</p>
<p>Quelles sont les conséquences des politiques gestionnaires mises en place au fil des années sur l’éthique du soin ?</p>
<h2>Des choix qui engagent les soignants</h2>
<p>Dans une <a href="https://blogs.mediapart.fr/michel-canis/blog/210322/lettre-ouverte-au-president-du-comite-consultatif-national-dethique">lettre ouverte adressée fin mars au président du Comité consultatif national d’Éthique</a> (CCNE), Michel Canis, professeur de Gynécologie obstétrique au CHU de Clermont-Ferrand, soulignait que chaque jour les soignants doivent faire « des choix impossibles qui peuvent conduire à la négligence, voire à la maltraitance ».</p>
<p>Prenant l’exemple d’une infirmière de nuit d’un service de chirurgie devant « gérer » seule 22 malades, parmi lesquels une patiente en fin de vie, il s’interroge : </p>
<blockquote>
<p>« Qui négliger, les opérés qu’il faut surveiller pour dépister une complication, tellement plus grave quand elle est prise en charge avec retard, ou celle qui vit sa dernière nuit, physiquement soulagée mais si seule face à la mort ? »</p>
</blockquote>
<p>Face à ce type de dilemme moral dont les conditions de résolution ne peuvent être remplies, les soignants sont obligés de faire des choix tragiques, qui créent des situations maltraitantes pour les patients.</p>
<p>Les politiques gestionnaires ont donc bien des conséquences sur l’éthique du soin. Dans cette perspective éthique, il convient de se rappeler ce que <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soi-meme-comme-un-autre-paul-ric-ur/9782020114585">Paul Ricœur</a> entendait par visée éthique : « appelons visée éthique la visée de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes ». Agir éthiquement est ainsi se soucier de soi, de l’autre, de l’institution.</p>
<h2>Les étalons d’excellence de la profession de soignant</h2>
<p>Agir éthiquement suppose de fait d’être capable de s’accorder sur ce qu’est un « bien-vivre ». Dans le cas particulier des soignants, il s’agit d’accorder une valeur intrinsèque aux pratiques qui fondent le métier du soin. Soigner est dès lors une catégorie de l’action, dont le but y est contenu : non pas soigner pour dominer, contraindre, ou gagner une place de choix dans la hiérarchie hospitalière ou sociale, mais soigner seulement, en respectant les règles constitutives de la profession, que <a href="https://www.puf.com/content/Apr%C3%A8s_la_vertu">MacIntyre</a> appelle « étalons d’excellence ».</p>
<p>Ces standards ou règles pratiques idéales reconnus par les professions et intériorisés par les professionnels aguerris permettent de qualifier de « bon » (dans le sens de compétence à la fois technique et relationnelle) tout représentant d’une profession qui participe au soin des patients. C’est en insistant sur cette idée de biens immanents à la pratique que cette notion d’étalon d’excellence recouvre que la visée du bien-vivre – du bien faire – prend tout son sens : par la satisfaction de bien faire, par l’appréciation de nos actions « nous nous apprécions nous-mêmes comme en étant l’auteur », selon <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soi-meme-comme-un-autre-paul-ric-ur/9782020114585">Paul Ricœur</a>.</p>
<p>Mais dans le réel des chambres et des salles de soin, l’absence de reconnaissance peut mener à la perte de l’estime de soi.</p>
<h2>Avec et pour autrui</h2>
<p>Travailler sans sollicitude envers « ce patient-là » – cette patiente en fin de vie, dans l’exemple de Michel Canis – conduit les soignants à une forme de dévalorisation de leur propre travail. Si les contraintes physiques et psychiques s’avèrent ainsi trop importantes – du fait en particulier du manque de personnel, elles peuvent conduire à un certain désinvestissement auprès des personnes malades et fragiles.</p>
<p>Ces limites dans l’attention portée à l’autre n’empêchent pas toujours de faire correctement le travail, comme l’a bien montré la sociologue <a href="https://www.cairn.info/je-travaille-donc-je-suis--9782707199706-page-205.htm">Christelle Avril</a> dans son enquête auprès d’aides à domicile. Ces aides osaient dire ne pas aimer les personnes âgées dont elles s’occupaient, sans pour autant que leur travail ne s’en ressente. Elles se bornaient à faire les courses, entretenir la maison, préparer les repas et estimaient qu’au prix où elles étaient payées, elles ne pouvaient pas toujours s’investir émotionnellement et affectivement dans une relation interpersonnelle avec lesdites personnes âgées.</p>
<p>Ainsi, substituer la notion de soin attentionné envers l’autre vulnérable – le « care » – attendu de tout soignant, à celle de « travail » risque, pour Christelle Avril, de masquer les pénibilités plus ordinaires du travail et de faire oublier qu’au-delà d’un certain niveau de contraintes, le risque est grand d’aboutir à l’oubli de la subjectivité propre du patient – devenu objet de soin et non plus sujet de soin.</p>
<p>Avec cette objectivation de l’autre, le soin perd son sens premier d’accueil et d’hospitalité, pourtant au cœur de toute relation soignante. Dans le dialogue avec le soignant, le « tu » du patient devient un « on » quelconque, tandis que le travail devient un « job » à faire. En perdant, au passage, la dimension éthique que lui confère la relation entre la personne du soignant et la personne du patient…</p>
<h2>Exercer dans des institutions justes</h2>
<p>La pandémie a encore dégradé cette situation, constate Michel Canis, qui s’interroge : </p>
<blockquote>
<p>« Que doit faire cette équipe chirurgicale de gynécologie qui, à la fin du Covid va devoir […] réduire son activité ? Elle ne “rattrapera” pas le retard. Au contraire, elle va encore faire des choix. »</p>
</blockquote>
<p>Si la prise en charge des urgences et des cas les plus graves sera assurée, qu’en est-il des autres patientes ? Qui prioriser ? Sur quels critères ? Comment trancher, par exemple, entre des « patientes infertiles dont l’âge avance, qui voient chaque report éloigner leur rêve de famille » et des patientes « atteintes d’endométriose, en arrêt de travail depuis des mois à cause de douleurs sévères », s’interroge le praticien.</p>
<p>Dans un tel contexte, les écrits de Paul Ricœur nous rappellent que la justice s’étend plus loin que le face-à-face avec autrui. Elle recouvre pour l’essentiel une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soi-meme-comme-un-autre-paul-ric-ur/9782020114585">exigence d’égalité</a> : « l’institution comme point d’application de la justice et l’égalité comme contenu éthique du sens de la justice, tels sont les enjeux ».</p>
<p>Le « tu » du face-à-face devient le « chacun » que la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">loi du 4 mars 2002</a> a voulu défendre. Chaque patient a le droit d’être informé et de choisir, sans discrimination possible. Mais rien n’est gagné, comme montre l’enquête <a href="https://www.espace-ethique.org/sites/default/files/enquete_-_refonder_la_ds_-_22.03.22-2.pdf">« refonder ensemble la démocratie en santé »</a> conduite par l’Espace éthique Île-de-France, dont les résultats ont été publiés en mars 2022.</p>
<p>Si la reconnaissance des patients comme acteurs de leur propre santé a été grandement améliorée, il persiste un écart entre la loi et les pratiques effectives nécessitant :</p>
<ul>
<li><p>d’œuvrer à l’essor du dialogue entre l’ensemble des acteurs du système de santé ;</p></li>
<li><p>de restaurer urgemment l’attractivité des métiers de la santé en améliorant les conditions de travail des professionnels, préalable indispensable à une reconnaissance mutuelle entre ces professionnels et les patients ;</p></li>
<li><p>de mener une réflexion collective pour défendre les plus exclus et les plus vulnérables de notre société, dans une perspective d’égal accès aux soins de qualité pour toutes et tous, seule garante d’une véritable démocratie sanitaire.</p></li>
</ul>
<p>L’hôpital public ne risque-t-il pas de perdre cette éthique d’hospitalité pour toutes et tous, de toutes conditions, chère à toutes et tous, et qui fonde son existence au sein de la cité, si une véritable place n’est pas faite à l’ensemble des acteurs du système public, travailleurs du soin et citoyens ordinaires, afin d’y gouverner en égaux ? En espérant que le CCNE puisse répondre à celles et ceux qui croient encore que l’hôpital peut être sauvé de ses maux et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/lhopital-public-en-crise-peut-il-renaitre-blog_fr_620a1edde4b0ccfb3e57ee5e">renaître</a>, et que les gouvernants puissent prêter toute l’attention souhaitée aux cris d’alarme des travailleurs du soin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Bizouarn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les soignants alertent sur les effets de la logique gestionnaire sur l’éthique du soin.Philippe Bizouarn, Médecin anesthésiste-réanimateur au CHU de Nantes, chercheur associé au laboratoire SPHERE, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781072022-03-08T19:05:20Z2022-03-08T19:05:20ZQuelles que soient ses évolutions, la chirurgie reste un travail d’équipe<p>Dans un bloc du CHU de Nancy, un chirurgien, la tête enfouie dans sa console, observe en trois dimensions le corps d’une patiente venue pour une ablation de rein. Il commande par des manettes et des pédaliers un robot doté de quatre bras au bout desquels des instruments et une microcaméra entrent dans le corps de la patiente grâce à quelques fines incises.</p>
<p>Cet arsenal technologique présent maintenant dans tous les CHU de France, est emblématique de la place croissante des « high » technologies dans les blocs opératoires depuis le début des années 2000. Les gestes du chirurgien sont amplifiés par les bras du robot qui tournent à 360 degrés, sécurisés puisqu’il n’y a pas de risque de tremblement. La prescription d’antalgique et le temps de récupération des patients sont diminués car <a href="https://www.urofrance.org/sites/default/files/fileadmin/documents/data/PF/2016/6420/70936/FR/1187492/main.pdf">l’intervention est moins traumatisante</a>.</p>
<p>Pendant ce temps, au CHU de Grenoble, une anesthésiste s’est assise à la tête d’une patiente venue pour une ablation du sein. Elle lui parle longuement et doucement de balade dans la neige froide, de soleil chaud et de pas qui crissent, surveille ses réactions physiologiques tout en lui injectant de quoi procéder à une sédation légère et une anesthésie qui ne sera que locale. Elle cherche par ces paroles à mettre la patiente dans un état de conscience modifié. Alors, les interventions faites sur le corps, a priori douloureuses et anxiogènes seront dissociées de leur vécu psychique induit pour être agréable.</p>
<p>L’hypnosédation pratiquée ici, connaît aussi un <a href="https://www.inserm.fr/rapport/evaluation-de-lefficacite-de-la-pratique-de-lhypnose-2015/">développement important</a> depuis le début des années 2000. L’injection de drogues anesthésiques, le temps de réveil et la durée de récupération <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23628907/">sont diminués</a>. L’anxiété du patient est prise en charge ; l’expérience de l’intervention vécue plus positivement, offrant aux anesthésistes un levier pour <a href="https://www.academia.edu/17840404/Psychological_approaches_during_conscious_sedation_Hypnosis_versus_stress_reducing_strategies_a_prospective_randomized_study?auto=download">réhumaniser leurs pratiques de soins</a>.</p>
<p>Nos <a href="https://journaleska.com/index.php/jdds/article/view/406">recherches</a> conduites dans deux CHU (dont l’une encore à paraître dans la revue <em>M@n@gement</em>), représentatifs d’autres établissements, montrent que si la réussite de ces techniques, high ou low, repose sur les compétences de personnes pivots, elle reste conditionnée à la qualité du travail collectif. Ce travail collectif doit être soutenu et outillé, alors même qu’il est continuellement menacé.</p>
<h2>Relations modifiées</h2>
<p>Chirurgie assistée par robot et hypnose exigent bien évidemment des compétences spécifiques de ceux qui les mettent en œuvre. Les chirurgiens qui opèrent à l’aide de robot, doivent se former à la manipulation des manettes et du pédalier même si les gestes restent assez intuitifs. Pour cela, des formations en partie sur simulateurs ont vu le jour, dont par exemple un DIU de chirurgie robotique proposé par l’Hôpital virtuel de Nancy.</p>
<p>Les hypnopraticiens, médecins ou infirmiers anesthésistes, suivent eux aussi des formations de plusieurs semaines pour maîtriser le langage de l’hypnose et l’adapter aux situations de chaque patient. Leurs paroles doivent suivre leurs gestes qui dosent des produits, piquent, surveillent les constantes exigeant d’être parfaitement à l’aide dans les compétences de base du métier.</p>
<p>Ces compétences individuelles, techniques, nécessaires à la bonne pratique ne sont pas suffisantes. Le chirurgien et son robot, l’hypnopraticien et son malade, n’interviennent pas seuls mais sont entourés d’autres chirurgiens et anesthésistes, d’infirmières de bloc, de brancardiers.</p>
<p>Le travail de ces intervenants change sous l’effet des nouvelles techniques. Il en est ainsi du travail du chirurgien sous hypnose. C’est l’anesthésiste, y compris s’il est infirmier, qui donne le rythme et impose ses règles de bonne pratique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448950/original/file-20220228-15-1ouz8di.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Organisation et communication du bloc sous hypnose par rapport à une anesthésie générale.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons par exemple été témoins d’une infirmière corrigeant un chirurgien qui venait de dire « attention ça va être froid » au risque de faire sortir la patiente de sa bulle. Ce dernier reconnaît facilement ses torts :</p>
<p>« Il faut vraiment que je me mette au service du travail engagé par l’infirmière anesthésiste. Je deviens un exécutant. C’est très fatigant »</p>
<p>Tous les intervenants du bloc, du brancardier au chirurgien, doivent apprendre à travailler en portant attention aux effets de leurs gestes, de leurs déplacements, de leurs paroles sur l’état de conscience hypnotique du patient.</p>
<p>Pour la chirurgie assistée par robot, la relation entre le chirurgien et les autres membres de l’équipe de bloc est aussi modifiée. Le chirurgien aux manettes au sens propre comme au sens figuré, va imposer le rythme de l’intervention, de la préparation du patient jusqu’à la phase de retrait de l’organe, en passant par les différentes étapes consistant à atteindre l’organe malgré les multiples tissus et la graisse. Les consignes du chirurgien s’apparentent à des ordres : « aspire », « faites descendre une troisième compresse ».</p>
<p>L’infirmière instrumentiste accepte un rôle plus restreint que lors d’une chirurgie ouverte. Elle ne fait que passer du matériel ou des instruments à l’assistant, qui lui-même devient un simple exécutant, en réponse aux consignes du chirurgien. L’infirmière circulante est peu sollicitée durant l’intervention qui peut durer jusqu’à trois heures.</p>
<p>L’abandon de routines anciennes, les déplacements ou rétrécissements des rôles, le renversement des relations de dépendance ne sont acceptables pour ces professionnels que s’ils sont faits au nom d’un travail collectif, au service du bénéfice du patient. Il prend alors tout son sens.</p>
<h2>Changements de communication</h2>
<p>La coordination de l’équipe repose largement sur le contenu des différents métiers qui permet à chacun de se savoir ce qu’il doit faire pour tenir son rôle propre mais aussi pour compléter celui des autres. Mais cela ne suffit pas. Des interactions sont nécessaires tout au long de l’opération s’appuyant sur une communication précise, bien que profondément modifiée par les techniques.</p>
<p>La réussite de l’hypnose exige par exemple que les paroles échangées dans l’équipe n’interfèrent pas avec celles de l’hypnopraticien. Nous avons été témoins d’une jeune fille se redressant brutalement sur la table d’opération, « réveillée » par un chirurgien expliquant qu’elle présentait une particularité physiologique rendant l’intervention intéressante. Il importe alors que les intervenants s’accordent sur d’autres moyens de communiquer que la parole naturelle, par exemple le regard, les mots codifiés…</p>
<p>Les enjeux d’une communication collective renouvelés sont encore plus marqués dans le cas du robot. Le robot organise une « mise à l’écart » de chacun des intervenants. Le chirurgien, la tête dans sa console, voit le déroulement de l’intervention en 3D. Il donne des consignes aux internes et infirmiers de blocs, situés à plus d’un mètre de lui, qui suivent l’intervention sur un écran en 2D et ne l’entendent pas toujours. Les anesthésistes ne voient eux, ni l’écran, ni le reste de l’équipe puisqu’ils sont derrière un champ de protection qui, comme pour l’hypnose, est vécu comme une barrière.</p>
<p>La communication non verbale n’étant pas possible entre le chirurgien et le reste de l’équipe, c’est la communication sécurisée qui doit être privilégiée. Après chaque consigne, l’infirmière ou l’assistant doivent dire tout haut ce qu’ils font de sorte que le chirurgien soit assuré d’avoir été entendu et bien compris.</p>
<p>Cela demande des changements de pratiques sans quoi des tensions apparaissent. On a ainsi pu observer l’énervement d’un chirurgien, qui avait demandé une compresse supplémentaire et n’ayant pas de retour oral et ne la voyant pas arriver dans le corps du patient, a sorti la tête de la console en criant « une troisième compresse s’il vous plaît ! ». Celle-ci était bien en route mais ni l’infirmière ni l’assistant n’avait pensé à le verbaliser. La communication sécurisée est une nouvelle compétence du travail collectif.</p>
<p>Le travail collectif n’est pas une donnée mais un processus, qui exige des apprentissages pas à pas. Il doit être accompagné car il ne va pas de soi. Il est facilité par des temps de débriefing, qui permettent par exemple de prendre conscience qu’il faut changer le tabouret bruyant de l’infirmière de bloc qui altère la communication ou de s’interroger sur la possibilité de faire un trou dans le champ stérile pour permettre un échange visuel entre l’anesthésiste et le chirurgien dans les situations d’hypnose.</p>
<p>Il est aussi facilité lorsqu’il est l’objet d’une représentation partagée. Dans le cas du robot, la visualisation de séquences d’opérations filmées, est une aide pour prendre conscience des obstacles spatiaux créés par la technologie, que le travail collectif doit surmonter. Dans le cas de l’hypnose, l’usage répété de la métaphore de la « bulle », offre une image partagée de ce que le travail collectif doit construire et protéger autour du patient.</p>
<p>L’efficacité de nouvelles techniques n’est donc pas dépendante des seules compétences de ceux et celles qui les mettent en œuvre mais aussi de la qualité du travail de l’ensemble des intervenants des blocs opératoires. L’innovation technique, high ou low, doit être associée au développement de compétences non techniques qui aident le collectif à se représenter son travail, ses interdépendances, ses obstacles. Elle doit aussi être accompagnée de dispositifs d’apprentissage qui nécessitent du temps, de l’espace, de la continuité mis à rude épreuve par le turn-over, les tensions sur les ressources humaines et l’optimisation des taux d’occupation des blocs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178107/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annick Valette a reçu des financements de la Fédération Hospitalière de France</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Delphine Wannenmacher ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une analyse comparée des opérations sous hypnose et assistées par robot montre que ces nouvelles pratiques, loin d’isoler les praticiens, nécessitent de renforcer le collectif.Annick Valette, Professeure, Chaire innovations organisationnelles en santé, CERAG, INP - Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementDelphine Wannenmacher, Maître de conférences en sciences de gestion et du management, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1764292022-02-22T18:38:53Z2022-02-22T18:38:53ZEt si l'hôpital était géré par ses salariés ?<p>Suite à la pandémie, nombre de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/hopital/presidentielle-2022-salaires-deserts-medicaux-fermeture-de-lits-quels-sont-les-remedes-des-candidats-pour-le-secteur-de-la-sante_4905365.html">candidats</a> aux élections se sont emparés de la question de l’hôpital en réclamant de l’embauche de soignants ou en voulant restaurer le service public en général. On ne peut qu’approuver dans son principe un tel projet, même si l’on peut douter de sa concrétisation. Non seulement le candidat en tête dans les sondages, Emmanuel Macron, n’en prône pas, mais encore les gouvernements de gauche successifs ont introduit la maîtrise des dépenses publiques dès l’origine, avec le <a href="https://doi.org/10.3917/rfs.612.0207">tournant de la rigueur en 1983</a>. </p>
<p>La « main gauche » de l’Etat, comme disait le sociologue <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/sur-l-etat-pierre-bourdieu/9782020662246">Pierre Bourdieu</a>, n’offre donc guère de garantie en la matière et plus d’un observateur en a conclu à des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_nouvelle_raison_du_monde-9782707165022">accointances de l’Etat avec le marché</a>, les grands groupes privés et l’accumulation du capital.</p>
<p>Sans être privé, l’hôpital public n’échappe pas à la <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/la-casse-du-siecle/">tendance de la réduction des dépenses publiques</a>. Pour le défendre, on ne peut donc pas non plus s’en remettre à la représentation et faire l’impasse sur un meilleur contrôle des politiques publiques par les principaux concernés : les usagers et les personnels hospitaliers.</p>
<h2>S’appuyer sur l’initiative soignante</h2>
<p>Notons d’abord que les médecins ont jadis eu plus de pouvoir sur l’hôpital public. Nombre de députés médecins, souvent de droite, défendaient leur fief et exerçaient un magistère mandarinal sur les petites mains soignantes, avant de se convertir plus tard au <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_bureaucratisation_du_monde_a_l_ere_neoliberale-9782707174390">management hospitalier</a>. Il ne s’agit pas de revenir à ce contrôle féodal et bourgeois tout à la fois, des médecins issus de bonnes familles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-formation-des-directeurs-dhopital-public-une-singularite-francaise-133024">La formation des directeurs d’hôpital public, une singularité française</a>
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<p>D’autres réformes ont un temps mis l’accent sur l’amélioration de la qualité de soins, en sollicitant la participation des soignants, notamment lors de <a href="https://www.belin-education.com/lhopital-et-ses-acteurs">l’accréditation des établissements hospitaliers</a>. Ainsi, des protocoles médicaux et paramédicaux ont été élaborés par les professionnels eux-mêmes, pour améliorer la qualité de soin. </p>
<p>La crise de la pandémie a fourni aussi l’occasion aux soignants de prendre les affaires en main dans les services covidés : dans les hôpitaux comme dans les EPHAD, les cadres leur ont laissé l’initiative. Mais, si leur participation fut requise dans l’urgence, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2021-4-page-97.htm#:%7E:text=Mobilisations%20soignantes%20par%20gros%20temps%20%3A%20quelle%20prise%20de%20risque%20organisationnelle%20%3F,-Ivan%20Sainsaulieu&text=En%20France%2C%20la%20prise%20de,salu%C3%A9e%20face%20%C3%A0%20la%20pand%C3%A9mie.&text=%C3%80%20la%20troisi%C3%A8me%20vague%2C%20au,CHU%2DEst%20de%20la%20France.">un retour à l’ordre s’en suivi</a> en lieu et place d’une quelconque refonte de l’organisation du travail.</p>
<p>Ce n’était d’ailleurs pas la première fois. Les périodes de crise ou d’urgence sanitaire créent souvent un appel d’air pour les collectifs de travail, qui se retrouvent sur le pont. Il en est ainsi lors des tempêtes, des canicules, des épidémies diverses, et il en fut tout particulièrement ainsi lors de l’irruption du sida, épisode mémorable qui marqua les services infectieux autant que les participants aux <a href="https://journals.openedition.org/sdt/23521">mouvements associatifs hors les murs de l’hôpital</a>. Chaque fois, et plus régulièrement aux urgences ou au bloc opératoire, une dynamique collaborative se met en place particulièrement égalitaire, car, face à l’inconnu, nous sommes tous égaux et tout le monde est sollicité de la même manière, du simple agent au médecin : on a besoin de l’avis de tous et toutes. </p>
<p>Ce sont ce que j’ai appelé des <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-3-page-461.htm">mobilisations consensuelles</a>, car, si elles n’ont aucun motif contestataire, elles créent en même temps une dynamique inclusive qui subvertit pour un temps les logiques hiérarchiques officielles et symboliques, autrement dit établies selon le grade et le diplôme, ou selon le genre et l’origine sociale.</p>
<p>Mais pourquoi se référer à de telles situations d’exception, si récurrentes soient-elles, alors qu’il existe des représentant.e.s élu.e.s aux élections professionnelles par le personnel hospitalier ? </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-collectif-soignant-un-engagement-en-redefinition-perpetuelle-140774">Le collectif soignant, un engagement en redéfinition perpétuelle</a>
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<h2>Faiblesse des syndicats</h2>
<p>La Fonction publique hospitalière comprend des Commissions administratives paritaires et des Comités techniques d’établissement. Les deux sont consultatifs et reposent sur une concertation entre représentants du personnel et de la direction pour traiter soit de l’avancement de carrière personnel des agents (CAP), soit des questions collectives d’organisation (CTE) et jouent, au mieux, un rôle d’apprentissage du <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2013-3-page-127.htm">dialogue social</a>.</p>
<p>Il y a peu de littérature sociologique sur le fonctionnement sectoriel des commissions paritaires. Mais, du fait notamment de leur caractère consultatif, on peut douter de leur impact sur le quotidien hospitalier. En effet, au cours des 500 entretiens que j’ai réalisés auprès de tous les métiers de l’hôpital, au cours de 8 enquêtes sur les relations de travail dans les services, personne ne l’a évoqué. </p>
<p>Dans les mondes du travail en France, le <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ri/1900-v1-n1-ri1626/014766ar/">milieu des syndiqué.e.s</a> a le plus souvent constitué un monde à part, minoritaire : traditionnellement, ce sont surtout les militant.e.s fortement investi.e.s qui font le lien avec les personnels non syndiqués.</p>
<p>A l’hôpital, les soignants votant aux élections professionnelles ne sont pas majoritaires et sont <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2008-1-page-83.htm">moins syndiqués</a> en pourcentage que les personnels non soignants. Cela peut s'expliquer par d'une part une forme d'individualisme des un.e.s et de l'autre un fort <a href="https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2014-3-page-181.htm">bureaucratisme</a>. Il y a sans doute des cercles vicieux où lassitude, désengagement et bureaucratisme s’entretiennent. Tout le monde converge en tous cas, syndicats compris, pour constater que le temps syndical est absorbé par les structures de concertation. </p>
<h2>Des mobilisations hors des syndicats</h2>
<p>On peut surtout invoquer une autre expérience, celle des luttes sociales. Les rares fois où les soignant.e.s se sont mis en grève, ces derniers-ères ont crée des comités ad hoc au lieu de se contenter de suivre les syndicats représentatifs. C’est arrivé au moins deux fois, en 1988-89 avec la mise en place de coordinations lors de la grève des infirmières et en 2019, avec la mise en place d’<a href="https://www.persee.fr/doc/genre_1165-3558_1991_num_2_1_872">un conseil national de grève</a>, lors de la grève des urgences. </p>
<p>Souvent, les syndicats prétendent représenter de facto les salarié.e.s sans éprouver le besoin de se placer sous leur contrôle lorsque ces derniers se mobilisent. Ils ne cherchent pas à créer une mobilisation égalitaire, précisément du type de celles que vivent les soignants du fait des crises ou des urgences sanitaires qui secouent leur travail. Pour monter dans la structure syndicale, il faut souvent en saisir <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2021-2-page-51.htm">l’ethos bureaucratique</a>, pour qui le souci de la structure passe avant celui des personnels. Pour travailler en équipe, il faut pouvoir au contraire compter sur les autres.</p>
<p>Des militants, syndiqués ou non, ont pu rencontrer l’hostilité des appareils fédéraux lors de <a href="https://editions-croquant.org/sociologie/617-petit-breviaire-de-la-lutte-spontanee.html">grèves retentissantes</a>. Lors de la <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2021-2-page-51.htm">grève récente des urgences</a>, le comité inter urgences, émanation du conseil national de grève, a ainsi sollicité leur aide en vain (sauf celle de Sud-santé) voire a ressenti des blocages de la part des appareils.</p>
<p>Alors si ni l’administration, ni les médecins, ni les appareils syndicaux ne se fondent sur la mobilisation soignante, qui peut le faire ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hopital-quand-les-soignants-inventent-eux-memes-des-solutions-a-leur-mal-etre-89504">Hôpital : quand les soignants inventent eux-mêmes des solutions à leur mal-être</a>
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<h2>Le tabou social et politique du pouvoir populaire</h2>
<p>La question est d’augmenter le pouvoir des soignants dans l’hôpital. Ils ne décident de rien et l’on ne voit pas comment améliorer l’organisation du travail sans changer cet état de fait. Si l’on s’intéresse à améliorer la qualité de soin, à faire des économies, à fidéliser le personnel, à en recruter et à en former de nouveaux, nul n’est mieux placé que le personnel soignant lui-même. En effet, il connait son affaire, il est au contact, c’est d’ailleurs pour cela qu’on a compté sur son initiative dans des situations difficiles, comme lors de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2021-4-page-97.htm">récente pandémie</a>.</p>
<p>Surtout, à quelles dépenses inutiles incline-t-il ? A un plan de communication en papier glacé ? A faire intervenir des consultants de luxe ? Vendre des médicaments fort chers ? Vouloir un « partenariat public privé » clientéliste ? Construire un bâtiment vitrine ? Embaucher du personnel sans lien utile au service ? Même l’augmentation des salaires ne prendrait pas des proportions indécentes, si le personnel avait son mot à dire. C’est ce que suggèrent en tous cas les entretiens avec les soignants, mais aussi les historiens et les sociologues des classes populaires, qui mettent en évidence une <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/178147/the-making-of-the-english-working-class-by-e-p-thompson/">« économie morale »</a> ou des <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">habitus populaires spécifiques</a>, notoirement collectifs ou orientés vers l’utile et le nécessaire, du fait de leur socialisation. A l’hôpital, l’esprit d’équipe au travail prolonge la modestie des revenus et le sens des économies des milieux populaires.</p>
<p>Le tabou vient d’en haut, il est politique et social. En effet, si les réformes managériales ont grignoté le pouvoir des médecins, ce n’est pas pour le donner aux salariés, mais pour comprimer le seul poste budgétaire sur lequel on pense pouvoir légitimement rogner : la masse salariale. Ainsi, l’<a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/37919-definition-ondam-objectif-national-des-depenses-dassurance-maladie#:%7E:text=L'Objectif%20national%20de%20d%C3%A9penses,dans%20les%20centres%20m%C3%A9dico%2Dsociaux.">ONDAM</a> (Objectif national de dépenses d'assurance maladie) montre les évolutions des économies faites sur le dos des hôpitaux et non sur celui de la médecine libérale, sans parler du prix des médicaments imposé par l’industrie pharmaceutique. Or non seulement un plus grand pouvoir du personnel hospitalier pourrait trouver des sources d’économie ailleurs, aux dépens des laboratoires et de la médecine libérale précisément, mais surtout il pourrait mieux gérer la masse salariale, la sienne comprise.</p>
<h2>Le contre-pouvoir des usagers</h2>
<p>Certes, tout pouvoir institué, si populaire et large soit-il, comprend ses limites. Il n’est pas douteux qu’un plus grand pouvoir des personnels générerait aussi des blocages, des routines, des abus, non pas du fait de sa nature sociale, mais du fait de la nature du pouvoir majoritaire : si démocratique soit-il, il peut contraindre une minorité d’une part, d’autre part ne pas s’intéresser aux autres collectifs que ceux qu’il représente – comme ceux des usagers. </p>
<p>Signalons tout de même, au préalable, que personne n’a rien à regretter à l’éradication du pouvoir féodal de l’Ancien Régime, malgré les difficultés de la légitimité démocratique et républicaine moderne. Néanmoins, s’il faut aller de l’avant, comment limiter les risques de ce nouveau pouvoir majoritaire ?</p>
<p>Sans nul doute, il faudrait retrouver ici des contre-pouvoirs, notamment chez les usagers de l’hôpital. La question n’est pas simple, car les usagers de l’hôpital sont par définition irréguliers, sauf les malades chroniques. Mais il existe des collectifs, comme des associations de malades, de quartier, ou de défense du service public, qui peuvent aussi dire leur mot sur la gestion de l’hôpital. Pour l’instant, la participation des usagers aux instances est parcimonieuse et sous contrôle vertical. Ainsi, les conseils d’administration des hôpitaux comprennent quelques « usagers » nommés par les Agences Régionales de Santé. On pourrait rendre cette participation plus démocratique, en veillant à ce que les personnes les plus démunies ne soient pas les moins sollicitées.</p>
<p>A ce rééquilibrage du pouvoir par le bas, il faudrait aussi préserver un principe dynamique pour garder intacte la force de mobilisation soignante, sa capacité d’initiative en fonction des événements. Il faudrait donc inventer des formes de défi de l’institué, non seulement de roulement des responsables, mais aussi de partager le pouvoir d’initiative, comme de pouvoir déposer un projet aux suffrages des autres. Le pouvoir créatif de l’instituant est un gage de réactivité de l’institution, mais aussi du maintien de la spontanéité et du moral des troupes. </p>
<p>Evidemment, une telle philosophie démocratique ne se limite pas au milieu soignant. Les Communards l’avaient bien compris, eux qui posèrent le principe de toute une <a href="https://www.fayard.fr/1001-nuits/la-guerre-civile-en-france-9782755500202">refonte démocratique du pouvoir et du travail</a>. Alors pourquoi commencer par l’hôpital ? Peut-être justement parce qu’il nous montre où et comment il y a urgence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176429/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ivan Sainsaulieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie a fourni l’occasion aux soignants de prendre en main plusieurs aspects de gouvernance dans leurs départements.Ivan Sainsaulieu, Professeur des université - Sociologue, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635492022-02-16T18:27:47Z2022-02-16T18:27:47ZUtiliser des images plutôt que des chiffres pour réhumaniser la gestion en santé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/444887/original/file-20220207-127284-15ohmzu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1000%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une salle d’attente pleine, des gens debout, un couloir obstrué, des visages fermés... En gestion de la santé, une image fait état de toute la complexité d’une situation, au contraire d’un chiffre qui simplifie et réduit.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>À l’heure où le fonctionnement du système de santé est mis à mal, notamment dans le contexte de la Covid-19 qui a exacerbé l’épuisement des professionnels, la gestion de la performance est un aspect à prendre en compte.</p>
<p>Dans le cadre des recherches que nous menons dans le secteur de la santé au Québec depuis 2015, notre équipe, composée de chercheurs en gestion de plusieurs universités, analyse <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-12-2018-3799/full/html">l’impact des outils de gestion de la performance sur le travail des professionnels et des gestionnaires</a>. Nous pensons que <a href="https://books.google.ca/books?hl=fr&lr=&id=mdgREAAAQBAJ">l’utilisation de pratiques de gestion basées sur des visuels</a> permettrait de répondre à certains écueils de l’approche actuelle.</p>
<h2>Des outils qui brisent le relationnel</h2>
<p>Le mode de gestion de la performance utilisé dans le secteur de la santé et des services sociaux met l’accent sur l’atteinte de résultats en comparaison à des cibles préétablies. <a href="https://www.routledge.com/Public-Sector-Reform-and-Performance-Management-in-Developed-Economies/Hoque/p/book/9780367435165">Il s’agit d’un contrôle axé sur les résultats</a>.</p>
<p>Cela conduit à synthétiser de nombreuses informations relatives à l’activité des professionnels sous forme d’indicateurs, et donc à réduire une réalité complexe.</p>
<p>Par exemple, à la suite des réformes de 2015, les gestionnaires ont dû suivre des indicateurs et atteindre des cibles chiffrées visant à diminuer les listes et les délais d’attente des patients et à augmenter le nombre de visites effectuées auprès d’usagers sur une période.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Indicateurs présentés sous forme de tableaux ou graphiques – Exemple au sein d’un CIUSSS.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Author)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les nombres présentés sous ces formes donnent l’illusion de produire une vision objective d’une situation. Cependant, cette approche, qui met l’accent sur l’atteinte de résultats quantifiables, réduit les services de soins à des actions mécaniques, sans contingence et dénuées de relations humaines. Gérer uniquement de cette façon est contestable, en particulier dans le secteur de la santé où des individus prennent soin d’autres individus.</p>
<p>Les résultats présentés sous forme de tableaux et de graphiques peuvent figer toute discussion en focalisant l’attention des individus sur les actions nécessaires pour faire varier les indicateurs qui composent ces visuels.</p>
<p>Une solution pourrait résider dans l’utilisation de visuels, comme des images et des photos, qui montreraient des situations pouvant être interprétées et discutées librement par les individus.</p>
<h2>La puissance du visuel</h2>
<p>Au contraire d’un chiffre, qui agrège, simplifie et réduit, <a href="https://doi.org/10.5465/19416520.2013.781867">l’image fait état de toute la complexité d’une situation</a> : une salle d’attente pleine, mais aussi des gens debout, un couloir obstrué, des visages fermés, etc.</p>
<p>Elle pointe les difficultés avec une certaine exhaustivité. Les recherches montrent qu’au contraire d’un chiffre, une image favorise la prise en compte des subjectivités face à une réalité complexe et facilite les discussions. Elle invite chaque acteur à partager autour de l’expérience de terrain pour trouver des actions concrètes à des dysfonctionnements visibles.</p>
<p>L’image peut aussi véhiculer du positif. Par exemple, lorsqu’elle montre un patient souriant, elle transmet un message de reconnaissance envers le professionnel. Elle permet la valorisation de son travail.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme alitée, souriant à travers son masque" src="https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une image peut véhiculer du positif. Par exemple, lorsqu’elle montre un patient souriant, elle transmet un message de reconnaissance envers le professionnel. Elle permet la valorisation de son travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Des outils visuels pour réhumaniser les pratiques</h2>
<p>Comment faire pour que la gestion de la performance par les visuels fonctionne ?</p>
<p>Prenons l’exemple d’une salle d’attente et de ses indicateurs. Utiliser des indicateurs quantitatifs risque d’appauvrir les échanges entre professionnels et gestionnaires : si l’indicateur est vert, il est inutile d’en parler ; s’il est rouge, on se demande comment faire pour qu’il redevienne vert. Le risque est alors de passer à côté des problèmes de fond pour se focaliser sur la variation de l’indicateur.</p>
<p>À l’inverse, si les graphiques et tableaux de bord sont remplacés par l’image d’une salle d’attente pleine, les échanges se concentreront plus facilement sur la situation : ses origines, son évolution et son mode de résolution dans un environnement complexe.</p>
<p>L’idée est de prendre ponctuellement des clichés de salles d’attente (dans le respect de la confidentialité) qui traduisent les difficultés des professionnels et de pouvoir en discuter en équipe.</p>
<h2>Libérer la parole</h2>
<p>Utiliser des visuels appropriés permettrait de créer un espace de discussion où chaque professionnel peut s’exprimer plus facilement autour de visuels porteurs de sens. Ensemble, les professionnels pourraient réfléchir à des actions à entreprendre pour faire face aux situations problématiques.</p>
<p>Cette expression libre, qui favorise une approche relationnelle, pourrait favoriser la perception des signaux faibles (baisse de l’engagement, fatigue) émis par les équipes. Aussi, au-delà des outils, ce qui compte véritablement est la façon dont les gestionnaires les mobilisent avec les équipes. L’image peut « humaniser » et refléter l’accomplissement du professionnel, ce qui est essentiel dans le secteur de la santé et de l’aide sociale.</p>
<p>Nous préconisons donc de faire de la place à des visuels créatifs : photos, dessins, graphiques et même films. Laissons du choix dans les approches en offrant de la souplesse aux gestionnaires et à leurs équipes et acceptons l’existence d’outils et de solutions multiples plus proches des réalités de terrain. Ils permettront d’améliorer les performances, et non uniquement les indicateurs de performance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163549/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elodie Allain est membre de l'ordre des CPA du Québec</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Célia Lemaire et Gulliver Lux ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Le mode de gestion de la performance utilisé en santé et dans les services sociaux met l’accent sur l’atteinte de résultats. Cela réduit une réalité complexe, contrairement à une image révélatrice.Gulliver Lux, Professeur agrégé en Sciences de Gestion, Université du Québec à Montréal (UQAM)Célia Lemaire, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, Université de StrasbourgElodie Allain, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1761982022-02-02T10:20:57Z2022-02-02T10:20:57ZPortrait(s) de France(s) : Santé en danger ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/443838/original/file-20220201-15324-h7khdl.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1917%2C1077&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock/AFP</span></span></figcaption></figure><p><em>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous bimensuel et thématique réunissant articles inédits, cartographies et podcasts, pour aborder les grands enjeux de l’élection présidentielle de 2022.</em></p>
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<p><strong>L’édito de Laurent Chambaud</strong></p>
<p>Nous avons vécu, collectivement, un évènement inédit. Une crise sanitaire planétaire. Nous ne savons pas comment cette pandémie va évoluer, même si la mise au point et la fabrication d’un vaccin se sont déroulées avec une célérité inconnue jusqu’ici.</p>
<p>Nous devons faire preuve d’humilité devant l’étendue de notre ignorance quand surgit une telle crise, mais aussi reconnaître la rapidité avec laquelle se construisent les « ilots de connaissance », selon les mots d’Edgar Morin.</p>
<p>Cette crise a mis en tension l’ensemble de nos systèmes de santé, elle a éprouvé nos solidarités, mis au grand jour les inégalités de santé, remis en cause nos capacités à être en interaction avec nos écosystèmes.</p>
<p>Est-ce que, comme l’affirmait le président de la République au début de la pandémie, le 16 mars 2020, « rien ne sera plus comme avant » ?</p>
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<h2>L’Europe, la France et la santé publique : après la Covid-19, une nouvelle donne ?</h2>
<p>La pandémie de Covid-19 a mis les systèmes de santé à rude épreuve, et a forcé les pays européens à coordonner en partie leurs efforts. Peut-on, pour autant, parler d’une ébauche de politique européenne de santé ? Quel est le rôle réel de l’Europe en matière de santé publique ? Et quelle marge de manœuvre ont les États membres ?</p>
<p><a href="https://theconversation.com/leurope-la-france-et-la-sante-publique-apres-la-covid-19-une-nouvelle-donne-168007">>> Lire l’article</a></p>
<h2>Crise des paramédicaux : des hôpitaux « magnétiques » pour attirer et retenir les soignants ?</h2>
<p>Mal considérés, mal payés, peu écoutés, surchargés de travail… Les paramédicaux, infirmiers et infirmières en tête, sont depuis plusieurs années dans une situation professionnelle difficile, qui se traduit par le nombreux burn-outs et réorientations professionnelles. Comment changer la situation ?</p>
<p><a href="https://theconversation.com/crise-des-paramedicaux-des-hopitaux-magnetiques-pour-attirer-et-retenir-les-soignants-168003">>> Lire l’article</a></p>
<h2>Comment la crise sanitaire affecte la santé mentale des étudiants</h2>
<p>Les étudiants ont vécu des situations de confinement variées. Les inégalités que l’on constatait avant le confinement se sont accentuées, avec un impact sur leurs suivis médicaux.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/comment-la-crise-sanitaire-affecte-la-sante-mentale-des-etudiants-163843">> Lire l’article</a></p>
<h2>L’infographie</h2>
<p>Ces dernières années, plusieurs éléments ont été avancés pour expliquer l’origine des « déserts médicaux », expression qu’on devrait plutôt remplacer par <a href="https://www.medecin-occitanie.org/inegalites-territoriales-versus-desertification-medicale/">« inégalités territoriales de santé »</a>. Mais les inégalités territoriales de santé ne sont en réalité qu’une facette d’un problème plus large d’aménagement du territoire.</p>
<iframe title="Carte de la densité des médecins généralistes en France" aria-label="Map" id="datawrapper-chart-sG4Bp" src="https://datawrapper.dwcdn.net/sG4Bp/5/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="844" width="100%"></iframe>
<iframe title="Carte de la densité des infirmiers en France" aria-label="Map" id="datawrapper-chart-WVgM0" src="https://datawrapper.dwcdn.net/WVgM0/7/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="806" width="100%"></iframe>
<p><a href="https://theconversation.com/contraindre-ou-inciter-lepineuse-gestion-des-deserts-medicaux-167955">> Lire l’article</a></p>
<h2>Le podcast</h2>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12724">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kenza EL HADJ SAID a reçu des financements de la Ville de Paris.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier, Gaël Coron, Guillaume Rousset et Odessa Dariel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des hôpitaux qui peinent à recruter, des déserts médicaux qui progressent, une Europe de la santé inexistante, une pandémie qui s’éternise… La santé sera un enjeu majeur de la campagne présidentielle.Gaël Coron, Professeur de sociologie et science politique, École des hautes études en santé publique (EHESP) Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences, chercheur associé au GRIPIC, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Guillaume Rousset, Maître de conférences en droit, HDR, Université Jean-Moulin Lyon 3Kenza El Hadj Said, Doctorante en sociologie de l'éducation à la Ville de Paris, Université de Bourgogne – UBFCOdessa Dariel, Professeure en sciences infirmières, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1747132022-01-17T19:31:35Z2022-01-17T19:31:35Z« Avec Omicron, nous assistons plus à une autre forme d'épidémie qu'à une simple nouvelle vague »<p><em>Depuis le printemps 2020, la France a connu cinq vagues de contaminations dues au SARS-CoV-2 et ses différents variants (depuis 2021). Quelle est aujourd’hui la situation dans le pays ? Quel effet a l’arrivée d’Omicron, tant sur les hospitalisations que pour les enfants ? Et comment l’hôpital a-t-il adapté la prise en charge des patients atteints du Covid ? Analyse et prise de recul par le Pr Karine Lacombe, infectiologue et Cheffe de Service des maladies infectieuses et tropicales (Hôpital Saint-Antoine, Paris).</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation-France : En France, où en est-on des vagues liées aux différents variants du SARS-CoV-2 ?</strong></p>
<p><strong>Karine Lacombe :</strong> Depuis novembre 2021, nous étions dans une cinquième vague où le variant Delta était majoritaire. Elle s’est manifestée par une augmentation des contaminations, qui s’est doublée 15 jours à 3 semaines plus tard d’une hausse des hospitalisations. Jusqu’à atteindre à la période de Noël un <a href="https://covidtracker.fr/">plateau élevé, lentement ascendant, des hospitalisations et des passages en réanimation</a>. On comptait 245 admissions par jour en soins critiques mi-décembre, 285 fin décembre et 345 actuellement.</p>
<p>Et, spécificité de la séquence présente, avant même qu’on ait une inflexion des contaminations et surtout de l’occupation des services de réanimation, on a vu émerger mi-décembre avec l’arrivée d’Omicron une espèce de sixième vague venant chevaucher la précédente. <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/dossiers/coronavirus-covid-19/coronavirus-chiffres-cles-et-evolution-de-la-covid-19-en-france-et-dans-le-monde">On a assisté depuis fin décembre à une augmentation fulgurante des contaminations, mais sans que ça se traduise encore en hospitalisation</a> : pour l’heure, les malades qui arrivent dans nos services sont surtout des patients Delta.</p>
<p>Nous procédons, chez les personnes hospitalisées, a des tests PCR combinés qui dépistent, entre autres, les SARS-CoV-2 et les virus grippaux. Pour l’heure, la grippe n’est pas encore trop présente mais ça va forcément monter. Et <a href="https://theconversation.com/deux-variants-peuvent-se-retrouver-dans-une-meme-cellule-avec-quels-risques-174956">en cas de co-infection</a>, comment va se comporter Omicron ? La grippe ? Les deux virus vont-ils entraîner des symptômes ? On ne peut pas savoir.</p>
<p><strong>T.C. : C’est encore tôt, mais que pouvez-vous déjà observer concernant le variant Omicron ?</strong></p>
<p><strong>K.L. :</strong> Il est possible que ce variant ait des propriétés différentes de celles de ses prédécesseurs, telles qu’une extrême contagiosité et des signes cliniques qui ne sont pas exactement les mêmes. On note ainsi des spécificités au niveau des patients : on a d’un côté des malades porteurs de Delta qui arrivent avec un Covid clair à l’hôpital… et d’autres qui arrivent avec diverses pathologies et chez qui on découvre, en les testant à leur arrivée aux Urgences, la présence passée inaperçue d’Omicron. Dans leur cas, on ne peut pas vraiment parler d’un Covid, puisque le Covid est une maladie avec des symptômes bien définis (le principal étant une pneumonie hypoxémiante, c’est-à-dire nécessitant de forts besoins en oxygène) et ici absents, mais plutôt d’un portage asymptomatique.</p>
<p>Donc on a pour l’instant plus une autre forme d’épidémie qu’une simple nouvelle vague. Mais on est au tout début de cette sixième séquence, il est donc difficile de voir où ça va mener. On a toutefois les exemples de l’Angleterre et de l’Afrique du Sud, qui aurait déjà passé son pic et où il semblerait qu’Omicron ait causé moins de formes Covid graves. En Angleterre, actuellement, sur dix personnes qui arrivent aux Urgences pour Covid, une passe en réanimation ; habituellement c’est une sur cinq… C’est pour ça qu’on entend parfois dire qu’il est deux fois moins pathogène.</p>
<p>À quoi est-ce dû ? Aux propriétés intrinsèques d’Omicron… ou au fait que 75 % de la population est vaccinée (90 % en France) ? Il est encore trop tôt pour le dire, nous aurons des statistiques précises d’ici une quinzaine de jours.</p>
<p><strong>T.C. : Y a-t-il déjà des données concernant les symptômes d’Omicron ?</strong></p>
<p><strong>K.L. :</strong> Les premières constatations cliniques que l’on fait, c’est qu’Omicron donnerait plutôt des formes d’affection « hautes » : de type pharyngite et laryngite, des maux de gorge qui évoquent les angines, le nez qui coule… Des choses touchant plutôt la sphère ORL, et pas le poumon profond à la différence de Delta. Chez les personnes vaccinées, en particulier ayant reçu trois doses, on a beaucoup de porteurs asymptomatiques ou développant de rares symptômes sur deux à trois jours – comme une espèce de grippe, avec un peu de mal de gorge, parfois un peu de fièvre, de courbatures et puis ça passe.</p>
<p>Il faut malgré tout rester prudent : la dernière semaine de décembre, 14 % des personnes hospitalisées pour Covid en réanimation chez nous avaient Omicron.</p>
<p>Autre point, nous avons <a href="https://geodes.santepubliquefrance.fr/#c=indicator&f=09&i=covid_hospit_clage10.hosp&s=2022-01-12&t=a01&view=map1"><strong>500 enfants hospitalisés en France</strong> pour un Covid</a> (on ne sait pas encore si c’est Omicron ou Delta), soit le nombre le plus élevé qu’on ait eu – et 80 % n’ont pas de comorbidités. Ce qui est proportionnellement normal : avec plusieurs centaines de milliers de personnes qui s’infectent tous les jours, les enfants sont forcément touchés. Mais en l’occurrence, c’est une épidémie qui a été fulgurante chez eux et les jeunes adultes.</p>
<p>Et se pose la question des PIMS (<a href="https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/surveillance-nationale-des-cas-de-syndrome-inflammatoire-multi-systemique-pediatrique-pims">syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique</a>) qui peuvent toucher les enfants trois à quatre semaines après leur Covid. On a eu quelques cas avec les autres variants, qu’en sera-t-il avec Omicron ? C’est quelque chose qui inquiète, et on n’en saura pas plus avant février-mars. (<em>Entre le 2 mars 2020 et le 26 décembre 2021, 826 cas de PIMS ont été signalés, dont 745 en lien avec le Covid-19. Le nombre de cas étant en augmentation depuis fin novembre indique <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/surveillance-nationale-des-cas-de-syndrome-inflammatoire-multi-systemique-pediatrique-pims">Santé publique France</a>, ndlr</em>)</p>
<p><strong>T.C. : Avec une telle propagation d’Omicron et la diffusion du vaccin, va-t-on arriver à l’immunité collective régulièrement mise en avant ?</strong></p>
<p><strong>K.L. :</strong> Peut-être par la force des choses… Mais ça ne serait pas une immunité homogène : il y aurait des niveaux différents au sein de chaque groupe de population, car <a href="https://theconversation.com/avoir-ete-malade-de-la-covid-19-ne-protege-pas-aussi-bien-quun-vaccin-surtout-face-au-variant-delta-165196">l’immunité acquise par la vaccination est plus solide et dure plus longtemps que celle acquise par l’exposition au virus – et encore plus quand on est vacciné après infection</a>. Malgré tout, ça devrait permettre de freiner la diffusion de l’épidémie – à moins qu’à un moment émerge un nouveau variant qui échappe totalement à notre système immunitaire.</p>
<p>C’est un peu ce qu’on voit avec Omicron, puisqu’il faut trois doses pour arriver à le maîtriser et que des personnes infectées par d’autres variants et non vaccinées se réinfectent facilement.</p>
<p><strong>T.C. : Vous avez indiqué que la hausse des contaminations ne s’accompagnait pas (encore) de celle des hospitalisations. La prise en charge des patients a-t-elle évolué en deux ans ?</strong></p>
<p><strong>K.L. :</strong> Nous avons effectivement réalisé énormément de progrès : on adapte désormais le type de traitement au profil du patient et au stade de la maladie auquel il se trouve.</p>
<p>On considère, pour simplifier, que le Covid se déroule en deux phases : une virale, qui commence deux à trois jours avant le début des symptômes et persiste trois à quatre jours après ; puis une inflammatoire, où le virus est moins présent mais où le patient développe une réponse inflammatoire exacerbée. Les médicaments développés visent ces deux phases.</p>
<p>Au début de l’épidémie, comme on avait plutôt des malades en phase inflammatoire, on s’est surtout concentré sur l’évaluation de médicaments capables de « casser » cette réaction, puisque c’est l’emballement de nos défenses immunitaires qui amène en réanimation. Le premier qui a vraiment montré son efficacité est un corticoïde (le <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=935">dexaméthasone</a>). D’autres ont ensuite joué sur la modulation de la réponse immunitaire.</p>
<p>Ce qui a permis de diminuer la mortalité en réanimation par deux : avant elle montait jusqu’à 30 %, on culmine maintenant plutôt autour de 15 %.</p>
<p>Ensuite, on a ensuite progressé dans le traitement de la phase virale. Normalement, lorsque l’on est exposé au virus, naturellement ou par vaccination, on développe des anticorps capables de reconnaître l’intrus et de guider notre réponse immunitaire. Or, certains n’ont pas d’anticorps et risquent des formes sévères de la maladie : par exemple les personnes immunodéprimées – et les non-vaccinées.</p>
<p>Des traitements capables de mimer l’action de ces anticorps ont été mis au point, les plus probants étant les <a href="https://www.vidal.fr/medicaments/utilisation/biotherapie-biosimilaire/anticorps-monoclonaux.html">anticorps monoclonaux</a> (<em>créés en laboratoire contre une cible bien précise, ici la protéine Spike, ndlr</em>). Autorisés chez les patients immunodéprimés, ils diminuent de 80 % le risque d’hospitalisation en cas de symptômes les cinq premiers jours de la maladie.</p>
<p>Malheureusement, plusieurs de ces <a href="https://ansm.sante.fr/actualites/traitements-par-anticorps-monoclonaux-actuellement-disponibles-contre-la-covid-19-et-utilisation-selon-les-variants">anticorps monoclonaux (tel Ronapreve)</a> très efficaces contre la souche originelle du SARS-CoV-2 et les précédents variants, dont Delta, ne marchent plus sur Omicron dont la Spike a beaucoup changé du fait de ses mutations (<a href="https://ansm.sante.fr/actualites/evusheld-une-nouvelle-bitherapie-danticorps-monoclonaux-contre-la-covid-19-autorisee-en-acces-precoce">Evusheld restant en partie efficace</a>).</p>
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<img alt="Modélisation 3D du cocktail d’anticorps monoclonaux Evulshed" src="https://images.theconversation.com/files/440764/original/file-20220113-17-1u6jloq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440764/original/file-20220113-17-1u6jloq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440764/original/file-20220113-17-1u6jloq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440764/original/file-20220113-17-1u6jloq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440764/original/file-20220113-17-1u6jloq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440764/original/file-20220113-17-1u6jloq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440764/original/file-20220113-17-1u6jloq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le mélange d’anticorps monoclonaux Evusheld (Tixagevimab à droite, et Cilgavimab, à gauche) conserve une partie de son efficacité contre le variant Omicron.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fvasconcellos, d’après Dong J, Zost SJ, Greaney AJ, Starr TN, Dingens AS, Chen EC (2021)</span></span>
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</figure>
<p>Quand un malade arrive à l’hôpital, on fait donc toujours une analyse sérologique pour rechercher la présence d’anticorps. S’il n’y en a pas, on peut proposer l’injection de monoclonaux.</p>
<p>Un autre type d’antiviral existe, mais à l’efficacité moins établie. L’un n’a d’ailleurs <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/p_3304161/fr/covid-19-deux-nouveaux-traitements-evalues-par-la-has">pas eu son autorisation d’accès précoce en France</a> (le <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-021-03667-0">molnupiravir</a>, de MSD), et l’autre (développé par Pfizer) est en cours d’examen. Les données ne sont pas encore publiées et évaluées scientifiquement, juste <a href="https://www.pfizer.com/news/press-release/press-release-detail/pfizers-novel-covid-19-oral-antiviral-treatment-candidate">annoncées dans des communiqués de presse</a>.</p>
<p><strong>T.C. : Existe-il des traitements préventifs ?</strong></p>
<p><strong>K.L. :</strong> Le meilleur est bien sûr le vaccin, qui protège des formes graves ceux qui peuvent, physiologiquement, faire des anticorps. Et ceux qui ne le peuvent pas, peuvent recevoir des anticorps monoclonaux. Pour ces publics vulnérables, dont les personnes immunodéprimées, on peut les injecter à titre préventif – c’est de la prophylaxie préexposition (avant d’être exposé au virus) ou post-exposition immédiate.</p>
<p>On les utilise aussi en curatif précoce dans les cinq jours après le début des premiers symptômes. Au-delà de ces cinq jours, si on est encore malade, c’est que s’installe une forme grave, en particulier pulmonaire. On a alors recours aux immunomodulateurs et corticoïdes.</p>
<p><strong>T.C. : Comment l’hôpital se prépare-t-il, encore, à faire face ?</strong></p>
<p><strong>K.L. :</strong> On a recommencé à déprogrammer des actes de chirurgie… mais c’est de plus en plus difficile : du personnel est parti, épuisé, entraînant la fermeture de lits. On se bat de nouveau au quotidien pour réinventer des solutions. En essayant par exemple d’accélérer la sortie des patients en les faisant rejoindre plus vite, selon leurs besoins, des centres de rééducation, des maisons de retraite temporaires ou des centres pour SDF Covid, etc. de façon à pouvoir vider les lits et prendre de nouveaux patients.</p>
<p>Ou alors on « détourne » des lits de certaines unités, en changeant leur destination. Par exemple dans des secteurs dédiés à des bilans (diabète, cardio-vasculaire…), on va apporter tout le matériel nécessaire (respirateurs et autres) pour les transformer en unité de soin intensif adaptée au Covid.</p>
<p>Mais d’une part, ça veut dire que les soins et analyses des malades initialement programmés dans ces unités sont décalés, d’un mois, trois mois… Et d’autre part, c’est très compliqué logistiquement parlant, et épuisant physiquement et nerveusement pour les soignants. Un autre souci, avec un Omicron aussi contagieux, ce sont les arrêts de travail pour cause d’infection. Heureusement, avec la vaccination obligatoire des soignants, il n’y a pas de formes graves mais tout de même pas mal de personnel arrêté.</p>
<p>Avec ce variant, ça n’est peut-être pas tant la gravité de la maladie que la désorganisation de la société qui risque de s’en suivre qui va être le principal problème.</p>
<p><strong>T.C. : Avec le recul, comment voyez-vous ces deux années écoulées ?</strong></p>
<p><strong>K.L. :</strong> Aujourd’hui, à chaque nouvelle vague, on a à gérer de nouvelles inconnues : comment les gens vaccinés vont-ils résister, quels signes cliniques vont dominer, comment « armer » (transformer) des lits supplémentaires en réanimation… Mais en 2020, on a vécu quelque chose d’inimaginable et on est passé juste à côté d’une terrible catastrophe.</p>
<p>On a réussi à faire face parce qu’on a été solidaires. À la fois à l’hôpital, où des liens très forts ont été créés et qui perdurent malgré la fatigue, et avec la population qui, quoi qu’on en dise, a été très impliquée. En un an, on en est par exemple à 90 % de vaccinés : qui l’aurait cru ? On ne se rend pas compte de l’effort logistique que représente un tel niveau de vaccination de la population, qui a elle-même accepté l’injection.</p>
<p>On a tendance à sous-estimer cela parce que ceux qui font le plus de bruit, c’est la minorité bruyante qui est contre (le vaccin, etc.) et ceux qui font de la désinformation. Globalement, on est tous allés dans le même sens.</p>
<p>On a été confronté à une crise sans précédent, qui nous a affectés mentalement, physiquement, socialement… Mais je pense que quand on va en sortir et qu’on se retournera sur ces trois années, même si notre démocratie a été mise en tension, on s’en sortira la tête haute.</p>
<p>Si j’ai un grand regret toutefois, c’est la difficulté de lutter contre la désinformation. Au nom de la liberté d’expression, on a laissé des sites diffuser en continu de fausses informations. On peut ne pas être d’accord sur certains points mais, à un moment, on ne peut pas aller contre la connaissance scientifique établie collégialement. Je ne parle pas des victimes de ces Fake-news, que l’on retrouve ensuite dans nos services, mais de ceux qui les promeuvent souvent dans un but économique ou personnel et qui abusent des publics vulnérables qui les écoutent. Cela, on n’a pas su le prendre en charge.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174713/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Karine Lacombe a reçu des financements pour de l’expertise scientifique ponctuelle et de l’aide à la participation à des réunions scientifiques (financement personnel) et un soutien à la recherche clinique (financement de mon institution) : Gilead, MSD, Janssen, Sobi, GSK, ViiV Healthcare.
Karine Lacombe participe au Think Thank de l’Express pour analyser les projets des candidats à la Présidentielle 2022 (responsable de la recherche et de la santé) et biotech SPIKIMM (expertise pour le développement clinique d’un Ac monoclonal de l’Institut Pasteur).</span></em></p>Quelle est la situation sanitaire et hospitalière en France alors que le pays passe de Delta à Omicron ? Comment ont évolué prise en charge et traitement ? L'analyse de l'infectiologue Karine Lacombe.Karine Lacombe, Infectiologue, cheffe de service des maladies infectieuses de l'Hôpital Saint-Antoine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1745872022-01-13T20:02:38Z2022-01-13T20:02:38ZOmicron : les problèmes que pose un variant trois fois moins sévère, mais deux fois plus transmissible<p><em>Identifié pour la première fois au Botswana et en Afrique du Sud en novembre 2021, le variant Omicron s’est rapidement propagé partout sur la planète. S’il semble entraîner moins de formes sévères que les précédents variants du SARS-CoV-2, il est beaucoup plus transmissible, ce qui fait peser un risque important sur les hôpitaux. Épidémiologiste et biostatisticien à l’École des Hautes Études en Santé Publique, Pascal Crépey nous explique pourquoi, et fait le point sur la situation française.</em> </p>
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<p><strong>The Conversation : Sait-on précisément où en est la propagation d’Omicron dans notre pays ? A-t-on assez de données pour suivre efficacement sa dissémination ?</strong></p>
<p><strong>Pascal Crépey :</strong> Aujourd’hui, nous avons une vision assez précise de la dynamique de ce variant sur le territoire. Mais cela n’a malheureusement pas toujours été le cas ces dernières semaines. En effet, identifier un variant peut se faire de deux façons, soit en lisant totalement sa séquence d’ARN (c’est le séquençage), soit en la passant, littéralement, au “crible” (on parle de criblage), c’est-à-dire en recherchant un certain nombre de mutations prédéfinies, dont l’absence ou la présence vont permettre de catégoriser ce variant sans avoir à le séquencer. Cette dernière approche est plus rapide, le résultat est obtenu en quelques heures, mais a des limites, puisqu’elle se focalise sur des quelques mutations déjà connues. </p>
<p>C’est de cette façon qu’on avait pu suivre le variant Alpha : son profil était différent de celui de la souche historique. Dans le cas d’Omicron, la situation était similaire, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’une nouvelle version de ce variant avait émergé, acquérant une mutation qui brouillait les pistes, car elle faisait ressembler son profil avec celui du variant précédent. En effet, Delta peut acquérir certaines mutations d’Omicron et vice-versa. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Profils de criblages des différents variants." src="https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=162&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=162&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=162&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=204&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=204&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439881/original/file-20220108-87662-z0uuzq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=204&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Profils de criblages des différents variants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.afro.who.int/sites/default/files/Covid-19/Techinical%20documents/FF_Technical%20Note_VOC%20Omicron_Fr.pdf">https://www.afro.who.int</a></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=132&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=132&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=132&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=166&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=166&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439880/original/file-20220108-17-xn88w5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=166&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.afro.who.int/sites/default/files/Covid-19/Techinical%20documents/FF_Technical%20Note_VOC%20Omicron_Fr.pdf">https://www.afro.who.int</a></span>
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<p>Le risque était qu’une partie des variants Omicron circulants passent sous les radars. Pour renforcer le système de détection la direction générale de la santé (DGS) a donc décidé mi-décembre de <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgs_urgent_2021_131_actualisation_doctrine_de_criblage.pdf">mettre à jour le système</a>, afin que les laboratoires d’analyse intègrent des marqueurs plus spécifiques d’Omicron. Mais ce genre d’adaptation prend du temps, car tous les laboratoires qui participent doivent modifier leurs protocoles, leurs logiciels, mettre en place des contrôles qualité… En outre, le grand nombre de tests pratiqués en ce moment a compliqué encore un peu plus les choses, en engorgeant les laboratoires.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, selon le bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé Publique France du 13 janvier, durant la première semaine de 2022, <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/bulletin-national/covid-19-point-epidemiologique-du-13-janvier-2022">« 89 % des tests criblés montraient un profil compatible avec le variant Omicron »</a>. Comme pour le reste de l’Europe, en France ce variant aura remplacé le précédent en quelques semaines.</p>
<p><strong>TC : Omicron se répand donc beaucoup plus rapidement que les variants précédents…</strong></p>
<p><strong>PC :</strong> Effectivement. Alors que le nombre de reproduction initial (R0) du variant historique était situé autour de 2,5, le variant Alpha avait un R0 de 80 % supérieur, situé autour de 4. Le variant Delta était lui-même encore plus transmissible, avec un R0 compris entre 6 et 8. Or, le variant Omicron pourrait être jusqu’à 100 % plus transmissible, ce qui signifie son R0 se situerait autour de 12 ou 15.</p>
<p>Ce virus fait donc désormais partie des plus contagieux que l’on connaisse : le seul autre équivalent connu avec un tel R0 est le virus de la rougeole, qui se propage lui aussi par aérosol. Le point positif est que, puisqu’on ne connaît pas d’autre virus avec des R0 plus élevés, on peut espérer qu’Omicron n’a plus vraiment de marge de progression en termes de transmissibilité…</p>
<p>(<em>Le <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/media/multimedia/covid-19-le-r-ou-taux-de-reproduction-du-virus-c-est-quoi">nombre de reproduction R</a>, correspond au nombre moyen de personnes contaminées par chaque personne infectée, à un instant donné. On distingue le nombre de reproduction initial, R0 (au moment où l’agent pathogène est introduit au sein d’une population dans laquelle l’ensemble des individus sont susceptibles d’être infectés, sans mesure de contrôle) du nombre de reproduction effectif Rt, calculé ensuite. Rt est généralement inférieur à R0, car la proportion de sujets non immunisés à tendance à diminuer et en raison de la mise en place de mesures préventives, ndlr</em>)</p>
<p><strong>TC : Le virus semble provoquer moins de formes graves. Est-ce un fait acquis ? Cette moindre sévérité pourrait-elle compenser l’avantage en transmissibilité et alléger le fardeau hospitalier ?</strong></p>
<p><strong>PC :</strong> D’après les <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/1045619/Technical-Briefing-31-Dec-2021-Omicron_severity_update.pdf">dernières données britanniques</a>, la sévérité d’Omicron serait 30 à 50 % de celle de Delta. Cela est aussi confirmé par <a href="https://doi.org/10.1101/2022.01.11.22269045">les données américaines</a>. Ce qui nous ramène à un niveau qui est, au maximum, de l’ordre de la sévérité du variant historique, responsable de la première vague, voire qui pourrait s’avérer moitié moins sévère que ce variant.</p>
<p>Au point de vue individuel, il vaut donc certainement mieux être infecté par le variant Omicron que par l’un des précédents variants, car le risque de développer une forme grave est moins élevé. Mais d’un point de vue collectif, le problème est tout autre : étant donné que sa capacité à se transmettre est très importante, Omicron va infecter beaucoup plus de personnes que ses prédécesseurs. Donc globalement, il risque d’être responsable de davantage de formes sévères, de plus d’hospitalisations, de plus d’entrées en réanimation et donc de plus de morts que les autres variants. </p>
<p>Ce paradoxe apparent complique probablement la compréhension de la dynamique épidémique d’un grand nombre de personnes, politiques et médecins inclus.</p>
<p><strong>TC : On a beaucoup discuté de la fermeture des écoles. Jouent-elles un rôle important dans cette vague ? Omicron touche-t-il davantage les enfants ?</strong></p>
<p><strong>PC :</strong> Pour l’instant, l’augmentation d’incidence observée chez les enfants, qui s’accompagne d’une augmentation des hospitalisations pédiatriques, n’a rien de surprenant. Il s’agit en effet de la partie de la population qui est la moins protégée, et qui a néanmoins des contacts sociaux. Mécaniquement, s’il y a plus d’infections, le risque d’observer des hospitalisations augmente, même si le risque “individuel” pour un enfant de faire une forme grave reste très faible.</p>
<p>Concernant le rôle des écoles dans la dynamique épidémique : certes, elles jouent un rôle dans la propagation du virus, mais on constate que pour cette vague, l’augmentation des contaminations s’est produite pendant les vacances de Noël, alors que les établissements scolaires étaient fermés. Omicron se transmettant beaucoup plus, il n’a plus vraiment besoin des écoles pour diffuser. En outre, les écoles sont le miroir de ce qui se passe dans les foyers : il est difficile de savoir si les plus jeunes se contaminent chez eux ou en milieu scolaire. Donc oui, fermer les écoles pourrait éviter des contaminations, mais cette mesure ne suffirait certainement pas, à elle seule, à bloquer l’épidémie.</p>
<p><strong>TC : Les contaminations atteignent des niveaux record. Pour quand est attendu le pic de cette vague ? Quelles risquent d’être les conséquences pour l’hôpital ?</strong></p>
<p><strong>PC :</strong> Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que la dynamique de la maladie semble un peu différente de celle observée lors des vagues précédentes. Actuellement, les données hospitalières indiquent que les passages en services d’urgence se traduisent par un nombre d’hospitalisations plus faible que lors des vagues précédentes. Par ailleurs, ces hospitalisations entraînent pour l’instant moins d’admissions en réanimation, et les séjours ont aussi l’air d’être plus courts. Si cela se confirme, cela va forcément influer sur les lits disponibles, ce qui pourrait améliorer notre capacité à absorber la vague Omicron.</p>
<p>Mais on attend encore des données plus précises, car même si ces chiffres semblent encourageants, il reste encore trop d’inconnues pour être tout à fait rassuré, notamment parce que <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-021-27163-1">les travaux que nous avons menés avec Simon Cauchemez</a>, de l’Institut Pasteur, ont mis en évidence un effet « cascade d’âge » durant les vagues épidémiques. </p>
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<img alt="Jeunes gens portant des masques en train de discuter à l’extérieur." src="https://images.theconversation.com/files/440780/original/file-20220113-13-14qrmqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440780/original/file-20220113-13-14qrmqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440780/original/file-20220113-13-14qrmqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440780/original/file-20220113-13-14qrmqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440780/original/file-20220113-13-14qrmqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440780/original/file-20220113-13-14qrmqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440780/original/file-20220113-13-14qrmqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À chaque vague de l’épidémie, les classes d’âge les plus jeunes ont été les premières à être touchées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/e0A6lJA4mCI">Xingyue HUANG / Unsplash</a></span>
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<p>Au début d’une vague, ce sont d’abord les personnes les plus jeunes qui sont infectées, parce qu’elles ont plus de contacts sociaux que les autres classes d’âge. L’épidémie se propage ensuite de proche en proche, en remontant la pyramide des âges. Donc en début de vague, les personnes touchées sont forcément plus jeunes, ce qui signifie que le fardeau hospitalier est moins lourd. C’est ce que l’on observe à présent. Il est à craindre que, dans les semaines à venir, lorsque le virus touchera les personnes plus âgées, la situation se détériore. Reste à voir dans quelles proportions. Nous en saurons plus entre mi- et fin janvier, car c’est à cette période qu’est attendu le pic des contaminations.</p>
<p>Il faut aussi souligner que les situations sont très hétérogènes d’une région à l’autre. Dans certains endroits, comme en PACA, le fardeau hospitalier est déjà très lourd, tandis qu’ailleurs, comme dans l’Ouest, le contexte est plus favorable. De multiples facteurs expliquent ces disparités : climatiques, structurels, culturels, comportementaux… On sait notamment que les facteurs socio-économiques sont importants, ils influent à la fois sur le risque d’infection et sur la gravité de la maladie. </p>
<p>Il existe un lien entre le niveau de vie des populations et leur santé, moins bonne chez les plus pauvres. On sait aussi que la couverture vaccinale et le niveau d’éducation sont corrélés : plus la population a un niveau d’éducation élevée, plus la couverture vaccinale est importante. Cela se traduit par des écarts qui peuvent aller jusqu’à plus de 10 % d’une région à l’autre (83 % de la population a reçu une première dose dans le Finistère contre 70 % dans les Bouches du Rhône, par exemple).</p>
<p><strong>TC : Justement, quel rôle joue la vaccination ?</strong></p>
<p><strong>PC :</strong> Il existe des preuves claires que la vaccination est très efficace pour limiter le risque de survenue de formes graves. La stratégie vaccinale en place, et notamment l’administration d’une troisième dose, devrait donc nous permettre d’atténuer très largement la vague d’hospitalisation à venir.</p>
<p>Cela a déjà des conséquences sur les admissions en réanimation, qui pour l’instant sont encore davantage liées au variant Delta qu’au variant Omicron. La troisième dose influe sur les deux variants, et la plus grande sévérité de Delta qui explique qu’il provoque plus d’hospitalisations. Reste à voir ce qui va se passer à mesure que la vague d’Omicron progresse.</p>
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<img alt="Flacons du vaccin à ARN de Pfizer-BioNTech." src="https://images.theconversation.com/files/440784/original/file-20220113-27-kfjknr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440784/original/file-20220113-27-kfjknr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440784/original/file-20220113-27-kfjknr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440784/original/file-20220113-27-kfjknr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440784/original/file-20220113-27-kfjknr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440784/original/file-20220113-27-kfjknr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440784/original/file-20220113-27-kfjknr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le vaccin à ARN de Pfizer-BioNTech.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/qqyIX177sY0">Mat Napo / Unsplash</a></span>
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<p>On entend beaucoup parler de l’absence d’efficacité des vaccins contre la transmission. Or, on a tendance à confondre deux concepts distincts : transmission et excrétion. C’est vrai, une personne vaccinée, si elle est infectée, transmettra quasiment autant qu’une personne non-vaccinée. Cependant, son risque d’être infecté est réduit (de 80 % juste après la 2e ou 3e dose, à 50 % quelques mois plus tard). Et le meilleur moyen de ne pas transmettre est bien de ne pas être infecté ! </p>
<p>Malheureusement, cette protection contre l’infection n’est pas durable, car elle dépend des anticorps neutralisants produits juste après la vaccination et qui disparaissent en quelques mois. On constate néanmoins qu’après une troisième dose, l’efficacité contre l’infection à Omicron est similaire à celle que l’on observait contre Delta après la deuxième dose. </p>
<p><strong>TC : L’immunité collective est-elle désormais une chimère ?</strong></p>
<p><strong>PC :</strong> Non, l’immunité collective n’est pas du tout une chimère : nous l’avons déjà atteinte quatre fois, à chaque fois que nous avons passé le sommet d’une vague !</p>
<p>Il faut bien comprendre ce qu’est l’immunité collective : il s’agit du niveau d’immunité qui permet de faire passer le nombre de reproduction effectif en dessous de 1, donc d’entamer la phase décroissante de l’épidémie. Selon les projections, le pic de contaminations par Omicron pourrait survenir entre mi- et fin janvier : à ce moment-là, grâce à la vaccination et en raison des infections qui seront survenues, on aura atteint un niveau d’immunité dans la population qui permettra de casser le processus de croissance exponentielle de l’épidémie.</p>
<p>Mais l’immunité collective est temporaire : l’immunité individuelle baisse dans le temps et un nouveau variant pourrait lui échapper. C’est la raison pour laquelle il est illusoire de penser que laisser circuler le virus est une solution ! Premièrement, un tel laisser-aller a un coût humain important. Ensuite, plus le virus se réplique, plus il y a de variabilité génétique, et plus on augmente le risque d’émergence d’un variant qui aurait acquis des fonctions d’échappement immunitaire pouvant nous poser problème. C’est d’autant plus inquiétant qu’étant donné que les capacités de propagation d’Omicron sont maximales, son remplaçant potentiel devra avoir un autre avantage évolutif, qui pourrait justement être la capacité d’échapper à l’immunité.</p>
<p>On sait que les virus ne restent généralement pas bloqués très longtemps face à de tels obstacles, ils les contournent, comme les cours d’eau contournent les piles des ponts… Mieux vaut donc rester vigilant et se dire qu’il y a toujours un intérêt à diminuer la circulation virale.</p>
<p><strong>TC : Ce qui pose à nouveau la question de l’immunité vaccinale au niveau mondial ?</strong></p>
<p><strong>PC :</strong> Je pense que, malheureusement, la vaccination au niveau global dans un but d’éradication du virus n’est plus vraiment une option. Il faudrait en effet atteindre des niveaux de vaccination qui sont déjà difficilement atteignables en France ou en Europe, en raison notamment de l’hésitation vaccinale, alors même que ces pays payent déjà l’un des fardeaux épidémiques les plus importants…</p>
<p>Il est plus probable que l’on se dirige vers un scénario de type grippe, qui nécessitera une surveillance annuelle, et un regain de vigueur de l’épidémie en hiver, après une accalmie qui s’étendra de mai à septembre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174587/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascal Crépey a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et de l'ANRS-Maladies Infectieuses Emergentes. </span></em></p>En moins de deux mois, le variant Omicron a envahi notre pays. Que sait-on de lui et des conséquences de sa présence ? Le pic épidémique est-il passé ? Les hôpitaux risquent-ils d’être submergés ?Pascal Crépey, Professeur, département Méthodes quantitatives en santé publique (METIS), EA 7449 REPERES, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.