tag:theconversation.com,2011:/id/topics/industrie-musicale-26946/articlesIndustrie musicale – The Conversation2024-01-18T17:22:32Ztag:theconversation.com,2011:article/2207112024-01-18T17:22:32Z2024-01-18T17:22:32ZElvis Presley à travers ses biographes : la malédiction de la rock star<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569905/original/file-20240117-21-6op8e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C13%2C2249%2C1479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statue d’Elvis à Liverpool.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/644056">pjxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le film <em>Priscilla</em>, de Sofia Coppola, sorti tout récemment, s’appuie sur l’autobiographie de celle qui fut l’épouse du « King » pendant six ans, et dresse un portrait en creux du chanteur. Depuis sa disparition, en 1977, un récit notamment livresque a été élaboré et massivement diffusé, qui raconte la vie et l’œuvre d’Elvis.</p>
<p><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Gloire_de_Van_Gogh-2109-1-1-0-1.html">Nathalie Heinich</a> a rendu compte de l’« hagiographisation de la biographie » du peintre Vincent Van Gogh. On observe un traitement très semblable de la vie de Presley.</p>
<p>Ce récit emprunte à la fois au récit héroïque, au récit légendaire et épique, au récit hagiographique, et le raconte en héros mythique et civilisateur, en saint, mais aussi – en dépit de sa gloire et de son succès – en artiste maudit, martyr et sacrifié.</p>
<p>Ce récit a pour auteurs des journalistes, des fans, des musiciens, des proches du chanteur (collaborateurs, coiffeur, cuisinière, gardes du corps, membres du cercle familial ou de la « cour » du chanteur, la fameuse Memphis Mafia…). L’étude de 55 biographies d’Elvis Presley m’a permis d’aller à sa rencontre, sans préjuger de sa réalité ou des libertés prises avec la réalité.</p>
<h2>Incompréhension et rejet</h2>
<p>Le malheur de Presley débute avec les persécutions, les rejets et les condamnations qui accompagnent les premiers pas du chanteur sur scène. Le rocker paie un lourd tribut au fait de rompre avec les canons esthétiques de l’époque, incarnés par les crooners. Leurs chansons sont douces, mélodieuses, romantiques, quand celles de Presley sont rythmées, agressives, voire violentes. La diction du jeune chanteur, à l’accent sudiste, qui avale certains mots, ahane, contraste avec celle, claire et nette des crooners. Son comportement sur scène – il se déhanche, se « tortille » – est aux antipodes de celui des chanteurs de l’époque, autrement plus sobre. La tenue de scène de Presley, avec ses vestes voyantes aux couleurs vives, rompt également avec le style vestimentaire strict et soigné des hommes de spectacle de l’époque, tout comme sa coupe de cheveux, qui fera des émules, mais occasionnera bien des sarcasmes.</p>
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<p>Presley voit se dresser sur sa route, avec une extrême véhémence, une série de juges et de contempteurs, parmi lesquels les critiques (journalistes, critiques spécialisés), les marchands (disc-jockeys, programmateurs radio, présentateurs TV) et une partie du public, ou encore les institutions politique, religieuse, judiciaire, scolaire.</p>
<p>Les plus virulents sont sans conteste les « critiques », dont les articles sont abondamment cités par les biographes. Ils dénoncent à la fois l’absence de sens musical, la diction défaillante, le style vocal de Presley, réduisant ses performances de chanteur à d’« horribles hurlements humains », des « reniflements », des « harangues de bas étage », et déplorant une <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">« agression pour les oreilles américaines »</a>.</p>
<p>Les journalistes soulignent de surcroît le caractère « obscène »,« monstrueux », « pornographique », « exhibitionniste », « scandaleux » des performances du chanteur, et érigent la non-conformité aux canons esthétiques de l’époque en perversion, en <a href="https://www.abebooks.fr/9782221009147/ELVIS-PHENOMENE-AMERICAIN-GOLDMAN-ALBERT-2221009142/plp">monstruosité obscène et scandaleuse</a>.</p>
<p>Marginaux, Elvis et sa musique deviennent menace dangereuse. La critique fustige le « délinquant », s’alarme du succès grandissant de cet « ennemi du peuple », « maniaque sexuel » et « antiaméricain », <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">qui corrompt la jeunesse</a>.</p>
<p>La condamnation s’étend à l’industrie musicale, elle aussi corrompue et corruptrice, coupable d’une « exploitation artificielle et malsaine » de la jeunesse, et surtout aux premiers admirateurs de Presley, obscènes, crédules, naïfs, médiocres, aliénés et incultes, à l’image de cet <a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/le-monde-d-elvis/">« auditeur moyen [qui] commence à se tortiller comme les petites créatures grouillantes qu’on observe au microscope dans un jambon pourri »</a>.</p>
<p>L’ensemble du cercle des marchands (membres de l’industrie du disque, programmateurs de salles de concert, présentateurs d’émissions de radio et de télévision) rejette et dénonce le chanteur. Les termes de péché, de honte, d’indécence, d’obscénité, de pornographie, de bêtise, de perversion, de monstruosité, de scandale, d’exhibition témoignent de la virulence de la condamnation.</p>
<p>Certains animateurs de radio brûlent les disques d’Elvis, d’autres refusent de les programmer, d’autres encore lui conseillent d’abandonner toute velléité de poursuivre une carrière musicale. Il en est qui tentent de <a href="https://www.cdandlp.com/elvis-presley/la-biographie-de-elvis-presley-par-jerry-hopkins/livre/r118227960/">« créer une organisation destinée à éliminer les artistes de la décadence et du malheur »</a>. Dénonciations et condamnations s’accompagnent en effet de mesures restrictives et préventives, mais aussi de censures, d’interdictions, d’autodafés.</p>
<p>Les institutions, garantes de l’ordre moral et des règles établies, censurent le chanteur et engagent une vaste campagne de prévention contre les méfaits de son œuvre. Des municipalités interdisent à Presley de se produire dans leur enceinte. Des personnalités politiques, des sénateurs, des maires dénoncent publiquement et officiellement le caractère obscène, immoral, et dangereux du chanteur.</p>
<p>Les représentants de la sphère juridique et policière entrent en action. La brigade des mineurs menace Elvis et lui intime l’ordre de modifier son jeu de scène. Un juge déclare à propos de l’un des disques de Presley, qu’il <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">« portait jusque dans les foyers sa charge de crime, de violence et de sexe »</a>. Un concert d’Elvis est filmé par des policiers cherchant à réunir les preuves de son exhibitionnisme afin de le mettre en état d’arrestation. D’autres sont annulés.</p>
<p>L’institution scolaire condamne à son tour le chanteur. Certains directeurs d’établissement interdisent à leurs élèves de se rendre aux concerts de Presley et renvoient les récalcitrants. Des professeurs dénoncent publiquement le rocker et son influence néfaste sur les jeunes générations.</p>
<p>L’institution religieuse n’est pas en reste et développe dans sa condamnation les thèmes de l’immoralité, l’obscénité, la dangerosité[9]. Les déclarations véhémentes du corps clérical se multiplient ; elles vilipendent la « décadence spirituelle », la « pourriture morale », la « foi en la malhonnêteté, la violence, le vice et la dégénérescence » incarnés par Elvis Presley.</p>
<p>La singularité du chanteur est ainsi constituée en perversité, obscénité, pornographie, anti-américanisme, vice, folie, dégénérescence. Ses concerts sont comparés à <a href="https://fr.shopping.rakuten.com/offer/buy/1177672656/elvis-presley-le-king-en-concert-de-robert-gordon.html">« ces abominables réunions sans frein que les nazis organisaient pour Hitler »</a>… son œuvre, <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">« musique de Nègre » et musique « communiste »</a>, est accusée de conduire la jeunesse américaine « sur le chemin de la dépravation, de la délinquance, du crime. La « déviance » du King le rend <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">victime d’une véritable persécution</a>, d’une campagne nationale de <a href="https://www.cdandlp.com/elvis-presley/la-biographie-de-elvis-presley-par-jerry-hopkins/livre/r118227960/">diabolisation et de dénigrement</a> particulièrement agressive : « […] À Nashville, on pendit Elvis en effigie. À Saint Louis, on le brûla in abstentia […] ».</p>
<p>Si les débuts sont difficiles, la suite ne l’est pas moins.</p>
<h2>Martyr et figure sacrificielle</h2>
<p>Les biographes de Presley racontent son existence comme un long calvaire et font état de son martyr, de sa souffrance, de son dévouement à autrui. La dimension pathétique, christique, qui caractérise la figure de la sainteté, apparaît clairement dans les récits consacrés à la vedette. La vie d’Elvis comme celle du Saint est tout entière transformée en <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">autosacrifice</a> : <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">« À la fin, Elvis avait tellement donné qu’il n’avait plus rien à donner »</a>.</p>
<p>Il sacrifie sa santé physique. Tournées incessantes, séances répétées d’enregistrement de disques, de tournage de films, Elvis mène <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">« une vie absolument folle, grisante, harassante. Pas le temps de dormir, pas le temps de manger, pas le temps d’aimer sérieusement. La route, les trains, les avions, les foules, l’hystérie »</a>. La vie sur la route, lors des tournées, est une vie dure, « exténuante », sans répit ni repos, avec trop de « pression », et trop peu de sommeil. La traversée des États-Unis, de ville en ville, de salle de concert en salle de concert, est décrite comme un véritable chemin de croix. <a href="https://fr.shopping.rakuten.com/offer/buy/1177672656/elvis-presley-le-king-en-concert-de-robert-gordon.html">Ni la fièvre, ni la grippe</a>, ni les déchirures musculaires, ni les maux de gorge <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">ne parviennent à le détourner de sa « mission »</a>. Ni les médecins, ni son père ne peuvent s’opposer à son sacrifice pour des fans, éperdument reconnaissants. Épuisé, malade, le chanteur souffre d’hypertension, de problèmes digestifs, d’un glaucome, de maux de dos, présentés comme autant de symptômes d’un véritable martyr, d’une existence infernale, <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">d’une vie de « bagnard »</a> au service de son manager, de l’« entertainment business », mais surtout de ses fans.</p>
<p>Presley sacrifie également sa santé morale. Tournées et concerts répétés le condamnent aux dépressions et à la consommation de médicaments. Dévoué corps et âme à son public, consacré à son œuvre, il devient dépendant de produits toujours plus nombreux, <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">« esclave de la drogue », au bord de l’épuisement moral, voire de la folie</a>.</p>
<p>Il fait aussi le sacrifice d’une forme de normalité, de son aspiration à un bonheur tranquille : il ne peut assister aux offices religieux, ni emmener sa fille se promener dans un parc, ni flâner avec un ami, <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">ni même simplement développer avec ses contemporains des rapports normaux</a>. Il sacrifie son mariage qui ne <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">résistera pas aux tournées et aux succès</a> et sa vie privée, découvrant « que le prix à payer pour la gloire [est] une <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">absence totale et brutale de vie privée</a>. Où qu’elle aille, la star se [fait] assaillir par ses fans ». Presley ne peut plus être ni un époux, ni un père, ni un ami, ni un homme « normal », destiné à consacrer sa vie à ses fans et au rock’n’roll, comme le Saint dédiant son existence à Dieu.</p>
<p>Les succès et gloire d’Elvis Presley le condamnent au retrait du monde. Ce motif de l’isolement est omniprésent dans la vie du chanteur sous la plume de ses biographes. Dépeint comme un enfant solitaire, marginal, Elvis apparaît ensuite comme souffrant d’une profonde solitude. Entouré pourtant d’une immense cour, composée de proches, d’amis, de membres de sa famille, de collaborateurs, de personnels, la « Memphis Mafia », il affirme lui-même : <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">« Parfois je suis très seul. Je suis seul en plein milieu de la foule »</a>. Personne ne parvient à combler cette solitude, <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">ni sa femme, ni celle qui lui succédera</a>, pas davantage ses « millions de fans » <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">ni tous ceux qui l’aiment</a>.</p>
<p>La célébrité <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">et la gloire</a> de Presley sont évidemment responsables de son isolement, de « son existence de prisonnier ». <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">L’immense amour</a> dont il est l’objet le condamne à une vie d’ermite. Les fans à qui il a voué son existence <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">sont les propres bourreaux malheureux du King</a>. Cette solitude, rançon de la gloire, participe de la vocation d’Elvis, et est responsable, selon certains biographes, de la fin tragique du chanteur, « mort d’une overdose de solitude », comme le soulignent plusieurs de ses biographes[36].</p>
<p>Elvis Presley est également présenté comme un être parfaitement inadapté à un monde auquel il n’appartient pas réellement. Irresponsable, incapable d’autonomie, trop sensible, trop fragile, trop hors du commun, trop génial, trop extraordinaire, il ne peut évoluer normalement dans un monde ordinaire. Tour à tour enfant immature, infirme impotent, fou pathologique, il est pris en charge par une succession de tuteurs et tutrices, sa mère, son manager le « Colonel Parker », les membres de la Memphis Mafia, les femmes de sa vie… Cette inaptitude à la vie sociale apparaît notamment <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">dans le portrait d’Elvis en enfant vulnérable et immature</a> : « il a un besoin éperdu d’amour. Très souvent, il la cherche (sa maîtresse) dans le noir. Il lui demande d’agir comme sa mère. Il l’appelle maman, et elle le traite comme un enfant, presque comme un bébé. Elle l’aide à s’habiller et elle le fait manger. Comme sa mère l’aurait fait s’il était malade ».</p>
<p>Le mal-être, l’inaptitude au bonheur et l’incapacité à mener une vie sociale normale se traduisent <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">par les nombreux accès de rage destructrice</a>. <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">Presley détruit</a> voitures, postes de télévision, <a href="https://www.cdandlp.com/elvis-presley/la-biographie-de-elvis-presley-par-jerry-hopkins/livre/r118227960/">bijoux, guitares, chambres d’hôtel</a>. Il constitue, armé de l’une de ses nombreuses armes, un véritable danger <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">pour lui-même et pour ses proches</a>. Ses colères sont indescriptibles et particulièrement spectaculaires. Elvis est alors parfaitement incontrôlable : <a href="https://www.chasse-aux-livres.fr/prix/B000I17ZIQ/elvis-ou-le-roi-dechu-steve-dunleavy">« Il entrait dans des rages folles quand les choses ne marchaient pas comme il voulait. Il démolissait un plafond. Il tirait dans tous les coins »</a>. Cette folie destructrice se retourne contre lui. Le thème de l’autodestruction est récurrent et largement développé dans le récit biographique. Les auteurs dressent le bilan dramatique d’une vie tout entière consacrée aux autres et véritablement sacrifiée. Ils évoquent « l’échec d’une vie personnelle » ou encore <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">« une vie gâchée avant d’être vécue »</a>, <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">« un long et douloureux suicide »</a>.</p>
<h2>L’archétype de la rock star</h2>
<p>La légende de Van Gogh est devenue, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Gloire_de_Van_Gogh-2109-1-1-0-1.html">explique N. Heinich</a>, le mythe fondateur de l’artiste maudit, dont « la déchéance présente atteste la grandeur future en même temps qu’elle témoigne de la petitesse du monde (la société) coupable de ne pas le reconnaître ». On relit l’histoire de l’art à travers les motifs de l’incompréhension et du martyr et on découvre que l’œuvre d’art naît au prix de terribles souffrances, qu’il existe « une rupture fatale entre le génie et la société », responsable des malédictions qui s’abattent sur les artistes, de Van Gogh à Rembrandt, de Goya à Delacroix, de Toulouse-Lautrec, à Utrillo… Ce paradigme s’applique à l’histoire du rock dont Elvis Presley est le premier grand « maudit » (même si son « destin tragique » intervient après celui d’autres figures du rock). On retrouve, dans sa biographie, les motifs propres aux artistes maudits, incompréhension, persécution et rejet, sacrifice, isolement, mal-être, autodestruction, qui donnent corps aux dimensions tragique, pathétique, sacrificielle de l’existence, comme aux topiques (mélancolie, pauvreté, persécution) <a href="https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_2006_num_36_133_6449_t14_0130_0000_147">constitutives du malheur</a>.</p>
<p>Les biographes transforment la vie de loisir de la star, dominée par la réussite, le succès, la gloire et la fortune (par ailleurs largement soulignés, documentés et illustrés), en une vie de souffrances et en un long calvaire parsemé d’épreuves.</p>
<p>Après le rejet et l’incompréhension coupable (injures, railleries, persécutions multiples, condamnations, autodafés, censures) d’une société injuste et aveugle, c’est le succès, la réussite, la fortune, l’adulation et la gloire qui sont causes du malheur et signes de la malédiction : <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">« Il y a un vieux cliché qui parle du piège du succès, et il est possible qu’Elvis ne puisse y échapper. Artiste accompli, il est rongé par sa propre image, par l’étendue de son public, par la dimension de sa gloire, par la mystique de sa propre présence »</a>.</p>
<p>C’est là une modernisation du motif du martyr opéré par le traitement biographique de Presley, qui meurt du trop-plein d’amour, de succès et de réussite, de gloire et de richesse. La bohème et le chemin de croix subissent également un changement significatif, avec pour décors les hôtels de luxe, les villas de millionnaires, renfermant pourtant la même souffrance. Le motif de l’isolement, propre au saint et à l’artiste maudit est lui aussi modernisé. <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">La prison dorée, la cage de verre</a>, le palais-prison (la demeure d’Elvis à Graceland) remplacent le lieu exigu, la grotte de l’ermite, la cellule de l’ascète. On y retrouve les mêmes souffrances, la même solitude tragique, les mêmes frustrations et dépressions. Les lunettes noires, les limousines aux vitres teintées, les gardes du corps sont autant de déclinaisons de cet exil forcé.</p>
<p>Avec la mise en récit de la vie de Presley s’élabore l’image archétypale et fondatrice de la rock star et plus globalement de la star « maudite ». Le « paradigme Presleyen » est appliqué à de nombreuses stars. <a href="https://www.livreshebdo.fr/livres/fans-de-sociologie-des-nouveaux-cultes-contemporains-armand-colin-9782200283117">En témoigne l’étude des biographies</a> de Dalida, Edith Piaf, Claude François, Michael Jackson, James Dean, Marilyn Monroe, Diana Spencer…</p>
<p>L’« enfance sacrifiée » est un motif récurrent. Le jeune âge est présenté comme une période de souffrance, marqué par la misère affective, économique, sociale, psychique, comme si le destin fabuleux, le talent et les qualités exceptionnelles trouvaient leur source dans les blessures de l’enfance (solitude, abandon, perte d’un parent, mauvais traitement, pauvreté, misère…). De cette enfance misérable et malheureuse, les vedettes conservent blessures et séquelles qui ne cicatriseront jamais, et expliqueront vulnérabilité et complexes, désespoir et mal-être, quête effrénée d’amour et vocation.</p>
<p>Puis le martyr se poursuit, succès et misère affective, gloire et épreuves font de ces stars des héros et héroïnes de tragédie et de leur vie un long calvaire, un chemin de croix sans fin. Les drames et les tragédies, les épreuves et malheurs, les pertes et abandons se succèdent dans ces existences pathétiques, ponctuées de nombreux sacrifices et marquées par l’inaptitude au bonheur et à la vie sociale, par les addictions, les dépressions, les accidents, les conduites autodestructrices, les tentatives de suicide, ou les suicides, la combinaison d’un récit ascensionnel et d’une tragédie avec le sacrifice, l’autodestruction et la mort pour résolution… On retrouve, de façon presque systématique, les rejets, persécutions et condamnations d’un corps social coupable, le drame de l’isolement nécessaire et de la profonde solitude.</p>
<p>Depuis le suicide de Marilyn Monroe, en 1962, on sait la star insatisfaite et dépressive, <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/les-stars-edgar-morin/9782757853016">habitée par un « tourment intérieur</a>. Sa vie est une quête inassouvie, une errance dramatique. Avec James Dean, Marlon Brando, Marilyn ou Elvis, apparaissent les héros adolescents qui, devenus adultes, demeurent des « héros problématiques ». C’est dans la réussite sociale, mais dans « l’échec du vivre » qu’ils se détruisent ou se suicident, nous révélant la vanité de tout succès, la solitude que cache la gloire, le gouffre qui sépare le bonheur d’une vie de divertissements et de loisirs, nous invitant à relire les destins de stars comme autant de <a href="https://data.bnf.fr/temp-work/8348edb54ca7a5d5c419a643b2af3a30/">tragédies et de malédictions</a>.</p>
<p>Après Presley, le motif du rejet et de l’incompréhension combiné au succès précoce et spectaculaire domine les récits de vie des vedettes de rock, de Little Richard aux États-Unis ou de Johnny Hallyday en France, des Rolling Stones aux sages Beatles, de Bowie aux punks, de Madonna à Prince, des groupes de hard rock, de « grunge », de rap, aux groupes de techno…</p>
<p>La malédiction résume les existences de ces stars, comme semblent l’attester les morts prématurées de tant d’entre elles. Je citerais, à titre d’exemple, entre de nombreux autres, Buddy Holly, Eddy Cochran à la fin des années 1950, plusieurs des représentants du triste club 27 qui rassemble ces rock stars mortes à l’âge de 27 ans (parmi lesquelles Robert Johnson, Brian Jones, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin, puis Kurt Cobain, Amy Winehouse…) dans les années 1970, John Lennon, Sid Vicious (Sex Pistols), Bon Scott (AC/DC), Bob Marley, Ian Curtis (Joy Division), dans les années 1980, Michael Hutchence (INXS), Jeff Buckley, Tupac Shakur, Notorious Big, Freddie Mercury (Queen) ou Stevie Ray Vaughan dans les années 1990, ou plus récemment Michael Jackson et prince, jusqu’aux rappeurs des dernières années, qui incarnent le mieux à présent ces disparitions aussi tragiques que précoces (Marc Miller, Lil Peep, Aka, Juice Wrld, XXXTentacion, DMX, Prodigy, Nate Dogg…)</p>
<p>Plus que les disparitions précoces, ce sont les causes directes de nombre de ces décès qui paraissent témoigner de la malédiction dont souffrent les stars comme de leur martyr. Il s’agit en effet bien souvent d’actes d’autodestruction (excès d’alcool ou de drogue), ou de suicides, ou de plus en plus, avec les rappeurs, d’assassinats…</p>
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<p><em>Ce texte est une synthèse remaniée d’un chapitre d’un ouvrage <a href="https://www.puf.com/le-culte-presley">« Le culte Presley »</a> publié aux PUF en 2003</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220711/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Segré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré un succès incommensurable et des millions de fans, l’histoire d’Elvis fut une succession de rejets et de sacrifices, à en croire ses biographes.Gabriel Segré, Maître de Conférences HDR, Sociologie de l'art, culture et médias, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818962022-11-25T14:13:21Z2022-11-25T14:13:21ZQuatre figures tordues de la masculinité dominent l’industrie musicale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497046/original/file-20221123-24-8n53lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C986%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si nous devions rencontrer, dans la vie de tous les jours, l'un des héros des chansons d'amour industrielles, celui-ci nous inspirerait sûrement de la peur, de la pitié, du mépris ou même de l'aversion plutôt que de l'amour au sens conjugal du terme.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Par nature et vocation ludique, l’industrie musicale semble contribuer en masse à la désinformation des jeunes quant à la réalité de la vie adulte. Notamment, dans le registre des chansons d’amour, elle offre une image faussée, caricaturale et nuisible de la masculinité. Elle laisse dans l’esprit d’un auditoire essentiellement féminin, sans réelle expérience des relations amoureuses, l’idée trompeuse que les hommes sont puérils, faibles, mièvres et obsédés. Et qu’ils n’attendent qu’une jolie princesse pour les consoler.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/il-faut-se-mefier-des-chansons-damour-qui-sadressent-aux-jeunes-filles-163130">Il faut se méfier des chansons d’amour qui s’adressent aux jeunes filles</a>
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<p>Dans l’article qui suit, je montre comment les chansons d’amour industrielles – du moins celles qui déclenchent des millions, voire des milliards de « clics » – exposent le besoin frénétique des héros masculins d’obtenir réparation pour les différentes blessures narcissiques qui leur sont infligées par la société.</p>
<p>Je mène cette étude par l’exercice d’une <a href="https://journals.openedition.org/methodos/100">herméneutique critique</a>, c’est-à-dire d’une <em>recherche de sens</em> qui se veut <em>engagée</em> et qui s’inscrit dans le cadre de <a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">mes fonctions universitaires à la Faculté des arts de l’UQAM</a>. Cet exercice vise principalement à exercer une pression sur les promoteurs du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Patriarcat_(sociologie)">patriarcat</a> en tant que culte professé par l’industrie musicale auprès d’un public de filles et de jeunes femmes en voie d’entrer dans leur vie conjugale active.</p>
<h2>Morphologie des histoires d’amour industrielles</h2>
<p>Aux fins de compréhension, il faut d’abord savoir que les créateurs de contenus œuvrant professionnellement dans l’industrie mondiale de la musique travaillent généralement à partir de quelques modèles dramaturgiques simples et classiques. De là, ils intègrent un nombre restreint de figures masculines, principalement celles qui font recette auprès de l’auditoire féminin. Autrement dit, la grande variété de chansons d’amour offertes par cette industrie (il y en aurait des millions) ne résulte pas de l’imaginaire bouillonnant de ses créateurs. Au contraire, elle découle d’un recyclage continuel des mêmes trois ou quatre scénarios de base, lesquels semblent délibérément inspirés par la littérature romanesque des siècles passés.</p>
<p>Les canevas les plus populaires respectent normalement la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphologie_du_conte">séquence narrative traditionnelle des contes de fées</a>. L’histoire va ainsi d’un préjudice subi par le héros masculin jusqu’à sa réparation, laquelle prend la forme symbolique d’une femme livrée à son contrôle.</p>
<p>L’examen critique des chansons d’amour industrielles révèle la présence de quatre blessures masculines assez douloureuses et béantes pour radicaliser les revendications d’un tel héros. Ce sont ces blessures et leur rattachement à une figure particulière de la masculinité qui font l’objet du modèle que je mets ici en place dans la perspective d’informer, au mieux, les jeunes auditrices et leurs parents bienveillants.</p>
<h2>La blessure d’humiliation</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S4asq3SicN0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Goodbyes, Post Malone.</span></figcaption>
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<p>C’est à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_de_chevalerie#:%7E:text=Un%20roman%20de%20chevalerie%20est,e%20et%20XIII%20e%20si%C3%A8cles">littérature médiévale</a> (1100-1400) que les créateurs de contenus empruntent généralement le thème de l’amour obsessionnel et impossible envers lequel le héros est contraint, par serment chevaleresque, de pratiquer une dévotion excessive : c’est le modèle arthurien de la quête du Graal que j’appelle, pour ma part, le <em>modèle christique</em>.</p>
<p>La blessure qui motive ce récit est l’humiliation publique que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lancelot_ou_le_Chevalier_de_la_charrette">Lancelot</a> doit subir pour sauver la reine Guenièvre, l’épouse du Roi Arthur tenue prisonnière par le méchant Méléagant.</p>
<p>C’est sur ce motif que se construit la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=S4asq3SicN0">« Goodbyes » de Post Malone (2019)</a>, dans laquelle le héros masculin, un hors-la-loi solitaire, meurt poignardé sur la place publique sous les yeux d’une femme. Pour obtenir réparation, Malone ressuscite et revient la hanter pour la vie éternelle, faisant désormais de celle-ci son obsession réparatrice.</p>
<h2>La blessure d’exclusion</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aHkwrs__Z6o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Room for 2, de Benson Boone.</span></figcaption>
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<p>On tire ensuite du <a href="https://www.cerveauetpsycho.fr/sr/autour-oeuvre/don-quichotte-l-homme-de-toutes-les-psychoses-1017.php">« Don Quichotte » de Cervantès</a> (1605-1615) le motif d’un héros troublé dont le délire le pousse à croire qu’il est follement aimé par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dulcin%C3%A9e">Dulcinée</a>, une inconnue qu’il utilise pour combler son manque affectif et se magnifier lui-même : c’est ce que j’appelle le <em>modèle psychotique</em>.</p>
<p>À partir de ce modèle, la deuxième blessure narcissique du héros des chansons d’amour lui est causée par sa mise à l’écart de la société en raison de ses comportements jugés déviants. On parle d’un délinquant, un paranoïaque, un paresseux, peut-être même un violeur, un pédophile ou un tueur en série.</p>
<p>C’est la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=aHkwrs__Z6o">« Room for 2 » de Benson Boone (2022)</a> qui illustre cette figure d’un homme perturbé séquestrant sa victime dans le coffre de sa voiture. Tel un Don Quichotte des temps modernes, Boone combat pour elle des dangers imaginaires et lui crie sa supériorité dans un désert sans écho :</p>
<blockquote>
<p>Je peux être tout ce que tu veux/I can be all you need</p>
</blockquote>
<h2>La blessure d’abandon</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/olGSAVOkkTI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Falling, de Harry Styles.</span></figcaption>
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<p>C’est à Goethe qu’on emprunte par ailleurs le récit des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Souffrances_du_jeune_Werther">« Souffrances du jeune Werther »</a> (1774), un héros immature qui préfère se suicider plutôt que de subir la honte du rejet féminin : c’est ce que l’on identifie habituellement comme étant le <em>modèle romantique</em> « classique ».</p>
<p>La blessure narcissique qui affecte ce type de héros résulte d’un abandon cruel par sa mère à un âge où il était toujours sous sa dépendance physique, émotive et psychologique. C’est ce qui fait de lui un enfant perpétuel qui voit désormais toute femme comme une pourvoyeuse de soins, sans laquelle il ne peut survivre aux difficultés pragmatiques de la vie quotidienne. Sans elle, il tombe, il sombre, il boit à outrance ; éventuellement, il se noie dans ses larmes et dégrade, du même coup, son environnement social et matériel. Comme Werther, ses souffrances le conduiront au suicide.</p>
<p>C’est ce qu’illustre, presque sans subtilité, la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=olGSAVOkkTI"><em>Falling</em>, de Harry Styles (2020)</a>. La caractéristique essentielle de ce genre de tableau romantique est l’absence totale de cette femme qu’on accuse d’avoir abandonné son amant puéril, un être à jamais impuissant, par sa faute :</p>
<blockquote>
<p>Je suis dans mon lit, et tu n’es pas là/I’m in my bed, and you’re not here</p>
</blockquote>
<h2>La blessure de castration</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GS-666L0VLE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Thousand Miles, de The Kid LAROI.</span></figcaption>
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<p>Enfin, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Don_Juan">mythe moderne de Don Juan</a> (datant du XVII<sup>e</sup> siècle, mais largement repris au XX<sup>e</sup> siècle) fournit la trame de vie d’un héros libertin et abusif qui n’est motivé que par ses propres besoins impérieux : je range ce dernier sous la rubrique du <em>modèle machiavélique</em> pour souligner le fait que, pour un tel héros, la fin justifie toujours les moyens.</p>
<p>La blessure caractéristique de ce modèle est celle de la castration sociale qu’on lui impose par le frein puissant qu’appliquent à ses envies pressantes les règles de la bienséance et du consentement. Ce héros contemporain croit subir l’injustice inqualifiable de son émasculation psychologique par les effets d’un féminisme ambiant qu’il abhorre. Il voit celui-ci comme une menace constante et dissuasive planant sur sa virilité, ce qui génère en lui une frustration vive et intolérable.</p>
<p>Or, ce Don Juan n’est pas sans recours : c’est un séducteur abusif passé maître dans l’art de la duplicité, un manipulateur talentueux qui piège délibérément les autres afin d’obtenir ce qu’il désire. Et ça fonctionne, comme veut nous en convaincre The Kid LAROI dans sa chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GS-666L0VLE"><em>Thousand Miles</em> (2022)</a> :</p>
<blockquote>
<p>Je connais cette expression sur ton visage, tu vas venir à moi ce soir/I know that look on your face, You’re comin’ my way tonight</p>
</blockquote>
<p>Heureusement, ce luciférien aux cheveux bouclés a le réflexe de lancer, avant de sévir, cet avertissement lucide et charitable :</p>
<blockquote>
<p>Je ne changerai jamais. Si j’étais toi, je resterais à des kilomètres de distance…/I will never change. If I was you, then I would stay a thousand miles away…</p>
</blockquote>
<h2>A-t-on assassiné la virilité ?</h2>
<p>Dans leur étude de la psyché masculine, les auteurs <a href="https://www.masculinity-movies.com/articles/king-warrior-magician-lover">Moore et Gillette</a> affirment que nous vivons actuellement sous « la malédiction d’un infantilisme généralisé ». Pour ces auteurs comme pour moi, au sortir de mon examen des chansons d’amour industrielles, cela signifie que le patriarcat « n’est pas le règne de la maturité, mais plutôt celui de la puérilité masculine », une sorte de « puerarchie » dont les lois nous ordonnent d’assassiner la virilité au profit d’une immaturité à la fois attendrissante et scandaleuse.</p>
<p>Ce qui me semble clair, en tous cas, c’est que si nous devions rencontrer, dans la vie de tous les jours, l’un de ces héros des chansons d’amour industrielles, celui-ci nous inspirerait sûrement de la peur, de la pitié, du mépris ou même de l’aversion plutôt que de l’amour au sens conjugal du terme.</p>
<p>Il n’y a donc pas, à mon sens, de raison valable pour qu’une société égalitaire donne libre cours aux fantasmes de ces « petits garçons » aux corps d’adultes. Peut-on à tout le moins espérer que nos créateurs soient largement récompensés lorsqu’ils écrivent des romances exaltant la virilité assumée des hommes matures, sans rien sacrifier à leur art tout en s’élevant à la hauteur des attentes, des droits et du haut potentiel de nos inestimables princesses en processus de maturation sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181896/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans ses chansons d’amour, l’industrie mondiale du divertissement musical met en scène des héros masculins caractérisés par l’obsession, la psychose, l’immaturité et la duplicité.Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1860802022-08-15T13:34:58Z2022-08-15T13:34:58ZL’anglais dans la chanson francophone : qu’est-ce qui s’y cache ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/477506/original/file-20220803-20-8xmi2n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C991%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le mot « franglais » est un terme utile, mais non académique pour cerner et localiser les enjeux d'un phénomène que, plus globalement, les linguistes étudient sous le nom d'alternance codique.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le 29 juin 2022, un article publié dans <em>Le Devoir</em> annonçait le <a href="https://www.ledevoir.com/culture/musique/728100/musique-le-triomphe-du-franglais-a-la-radio">« triomphe du franglais »</a> à la radio musicale québécoise. Doit-on s’en étonner ? Sûrement pas, car ce n’est que l’aboutissement prévisible d’une tendance qui se manifeste <a href="https://voir.ca/jepenseque/2014/07/23/la-replique-aux-offusques/">depuis une bonne dizaine d’années déjà</a>. Le fait lui-même vient toutefois de gagner en actualité dans la foulée de l’adoption récente de la <a href="https://coalitionavenirquebec.org/fr/blog/editionspeciale/adoption-de-la-loi-96-la-plus-grande-avancee-pour-la-langue-francaise-au-quebec-depuis-ladoption-de-la-loi-101/#:%7E:text=La%20loi%2096%20constitue%20une%20pi%C3%A8ce%20l%C3%A9gislative%20de,commune%20et%20comme%20seule%20langue%20officielle%20du%20Qu%C3%A9bec">Loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec</a> (24 mai 2022) et de l’annonce de l’ouverture prochaine, à Montréal, d’une <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2022/06/23/le-projet-de-maison-de-la-chanson-et-de-la-musique-prendra-son-envol-a-montreal-1">Maison de la chanson et de la musique</a> (23 juin 2022) dont l’objectif est de faire « découvrir la musique d’ici aux Québécois, jeunes et moins jeunes, aux nouveaux arrivants et aux touristes ».</p>
<p>Dans ce contexte de modernisation du cadre politique, juridique et social de la culture au Québec, l’enjeu linguistique dans la musique populaire semble devoir être clarifié. À cette fin, il serait bon de comprendre ce que cache cet engouement des artistes pour le mélange des langues. Est-ce un choix de nature artistique ? Le reflet d’un phénomène d’acculturation ? Ou alors le résultat d’une stratégie commerciale ?</p>
<p><a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">De mon point de vue d’anthropologue et de musicienne</a>, la création musicale considérée dans sa pleine participation à une industrie culturelle internationale, lucrative et performante offre un cadre d’analyse particulièrement utile à cet égard. Dans cette perspective, on peut se demander <em>si</em> et <em>à quelles conditions</em> l’alternance du français et de l’anglais dans une même chanson peut contribuer à en accroître la qualité interne de sorte à en augmenter le pouvoir d’attraction sur les auditeurs, à en déclencher le succès commercial ou à en assurer la pérennité dans le répertoire culturel local, national ou mondial.</p>
<h2>L’alternance codique et sa fonction dans la communication</h2>
<p>Le mot « franglais » est un terme utile, mais non académique pour cerner et localiser les enjeux d’un phénomène que, plus globalement, les linguistes étudient sous le nom d’<em>alternance codique</em>. <a href="https://journals.openedition.org/corela/3042">Pour le spécialiste Charles Brasart</a>, l’alternance codique est « l’usage fluide de deux langues ou plus au cours de la même conversation par un ou plusieurs locuteurs bilingues ».</p>
<p>Cette pratique est observable dans toutes les sociétés multilingues où elle peut assumer plusieurs fonctions telles que mettre en valeur une identité culturelle, une idée, un ton ou un niveau de langage ; exprimer les nuances d’une émotion ou d’une signification ; déployer une stratégie relationnelle ; ou, même, pallier un défaut de mémoire ou un problème de fluidité verbale.</p>
<h2>L’alternance codique et sa fonction dans la chanson</h2>
<p><a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1754&context=pwpl">Lorsqu’elle est pratiquée en art</a>, l’alternance codique peut remplir les mêmes fonctions, à la différence que, dans une chanson, le résultat n’est ni improvisé ni spontané, mais plutôt planifié, voire étudié. Par conséquent, il n’y a aucune raison valable pour laquelle un auteur de talent en ferait usage pour s’acquitter d’une obligation réglementaire comme celle du quota de contenu francophone au Québec, laquelle est imposée par le <a href="https://crtc.gc.ca/fra/accueil-home.htm">Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC)</a>. Autrement, il risquerait d’être perçu comme sacrifiant son art au profit d’une pure stratégie d’affaires.</p>
<p>En revanche, lorsque ce procédé est pleinement justifié sur le plan artistique, il peut vraiment contribuer à augmenter la valeur et le rayonnement d’une chanson.</p>
<h2>Des exemples historiques convaincants</h2>
<p>L’histoire de la chanson populaire a retenu plusieurs bons exemples de chansons usant des procédés de l’alternance codique. En voici trois.</p>
<p>En 1935, la vedette américaine de la radio, Hildegarde, chantait <em>Darling, je vous aime beaucoup</em>, une chanson dans laquelle l’autrice Anna Sosenko mélangeait les codes pour illustrer la détermination d’un homme à faire sa déclaration d’amour malgré la barrière linguistique.</p>
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<p>En 1963, Charles Aznavour écrivait une chanson qui juxtapose des mots anglais et français de même sonorité, mais pas de même sens. Et le résultat est vraiment <em>For me… formidable</em> !</p>
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<p>En 1976, Gilles Vigneault et Gaston Rochon composaient la chanson <em>I went to the Market</em>, laquelle use de l’alternance codique pour commenter la réalité politique canadienne dans la perspective de la lutte identitaire québécoise.</p>
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<h2>Les conditions de la réussite</h2>
<p>Justement parce qu’elles sont destinées à être chantées plutôt que déclamées ou lues, les paroles d’une chanson doivent posséder, en plus de leurs qualités sémantiques, des qualités sonores et rythmiques essentielles en conséquence de leur interaction constante avec la musique. C’est ce qu’on appelle les lois de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Prosodie">prosodie</a>. Il importe, par exemple, que les mots « cognent » sur l’<a href="http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=4511">accent tonique</a> par leur coïncidence avec l’<a href="https://accents-poetiques.com/index.php?/prosodie/les-vers/g%C3%A9n%C3%A9ralit%C3%A9s/#:%7E:text=Le%20rythme%20d%E2%80%99un%20texte%2C%20que%20ce%20soit%20un,des%20r%C3%A8gles%20s%C3%A9v%C3%A8res%20r%C3%A9gissent%20cette%20notion%20de%20rythme.">accent poétique</a> et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pulsation_(musique)#:%7E:text=Dans%20la%20musique%20mesur%C3%A9e%2C%20le%20terme%20pulsation%20d%C3%A9signe%2C,est%20donc%20une%20graduation%20r%C3%A9guli%C3%A8re%20du%20temps%20musical.">pulsation musicale</a>, comme le parolier québécois Luc Plamondon l’a fait dire à Céline Dion dans une chanson de 1991 où tous les mots « sonnent <em>right on</em> » !</p>
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<h2>Un défi important</h2>
<p>Le respect des règles de la prosodie est en fait le <a href="https://journals.openedition.org/palimpsestes/1516">principal défi de l’écriture d’une chanson</a>. À plus forte raison quand plusieurs langues y contribuent, puisque chacune a ses propres caractéristiques dont il faut tenir compte dans ce travail de joaillerie sonore qu’est le métier d’auteur compositeur. L’omission de se conformer à ces règles donne souvent des résultats médiocres. Car, à moins d’en contrôler volontairement les gaucheries dans une perspective humoristique, ce genre de négligence donne une apparence d’amateurisme qui peut nuire sérieusement et de façon durable à la réputation de ceux qui s’y adonnent.</p>
<p>Le chanteur français Renaud s’est prêté à l’exercice avec <em>It is not because you are</em> (1980). L’effet cocasse du mauvais accent décuple ici les propriétés de l’identité nationale de l’artiste.</p>
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<p>La chanson <em>Loved By</em>, de la chanteuse Nova Rose, en fournit un autre exemple avec, cette fois, des effets indésirables, notamment en raison d’une accentuation trop appuyée de la première syllabe des mots <em>images</em>, <em>visages</em> et <em>mirages</em>, ce qui va à l’encontre de la prononciation naturelle de la langue française. Et c’est très regrettable ! Car la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=P0OxlgES5po">version anglophone originale</a> est non seulement réussie, mais fait également preuve d’un talent qui promet pour l’avenir de cette jeune Montréalaise. Il aurait peut-être fallu qu’elle travaille davantage ou même renonce à cette version à moitié francisée de sa composition.</p>
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<h2>Un atout dans sa manche</h2>
<p>Pourtant, lorsqu’un artiste y met tout le soin, le budget et le talent nécessaires, l’alternance codique est un moyen astucieux et sophistiqué de représenter sa culture locale sur la scène internationale. Le rayonnement exceptionnel de quelques artistes asiatiques dans le monde occidental en donne l’exemple.</p>
<p>Chanter en anglais fut d’abord, pour les membres du groupe sud-coréen <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/BTS_(groupe)">BTS</a>, « un moyen crucial de maintenir le buzz pendant la pandémie » même si, de leur propre aveu, cette pratique paraissait <a href="https://www.lefigaro.fr/musique/c-est-contre-nature-bts-le-groupe-de-k-pop-coreen-ne-souhaite-plus-chanter-en-anglais-20210901">contre nature</a>. Toutefois, en conséquence du succès éloquent de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gdZLi9oWNZg"><em>Dynamite</em></a> en 2020, le groupe a persévéré en présentant des chansons où se côtoient désormais l’anglais et le coréen. Le succès du titre (방탄소년단) <em>’Yet To Come (The Most Beautiful Moment)</em> consacre actuellement <a href="https://www.billboard.com/music/music-news/bts-yet-to-come-tops-japan-hot-100-1235104508/">« l’écrasante popularité mondiale de BTS »</a>.</p>
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<p>Le groupe japonais <a href="https://www.oneokrock.com/en/">One OK Rock</a> a réussi un exploit similaire en 2021 avec <em>Renegades</em>. Ce qui est très instructif, dans cet exemple, c’est que le propos animé d’un patriotisme fervent se tient paradoxalement dans la langue de « l’Autre ».</p>
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<h2>Un constat à la lumière de ce qui précède</h2>
<p>En création musicale, l’alternance codique est un procédé tout à fait admissible et même ingénieux lorsqu’il remplit ses fonctions artistiques d’ordre sémantique, prosodique, théâtral, culturel, social ou même politique. C’est en revanche un procédé totalement disgracieux quand son utilisation n’apporte rien à l’histoire racontée par une chanson. Dans ce cas, il n’est qu’un moyen de contourner un obstacle administratif posé devant un objectif qui n’a rien à voir avec l’art ou la culture.</p>
<p>Pour nos artistes locaux, l’utilisation des deux langues pourrait n’être, en ce sens, qu’une façon de jouer leur carrière sur plusieurs tableaux : composer des œuvres destinées au marché anglophone tout en raflant une part du temps d’antenne réservé au contenu francophone, et ce, avec l’approbation du CRTC qui tolère que 49 % du temps chanté d’une composition en français soit <em>en anglais</em>. Pour pratiquer cette stratégie, il suffirait alors pour de tels artistes de traduire en français quelques passages de leurs <em>original song tracks</em> et de les épingler de la mention « v.f. ».</p>
<p>Actuellement, c’est un peu plus de 30 % des chansons comptabilisées dans le quota francophone qui intègrent des passages en anglais. Si certaines sont de « bonnes chansons », bien peu m’apparaissent avoir les qualités nécessaires pour percer le marché international. Quelques auteurs peuvent sans doute évoquer un argument artistique pour justifier l’usage des deux langues alors que d’autres y voient plus prosaïquement un moyen de refléter leur réalité culturelle. Mais hélas, à en juger par ce que j’entends, je crois pouvoir dire sans complaisance qu’il s’agit le plus souvent d’un pis-aller permettant aux moins scrupuleux d’augmenter, à peu de frais, leur présence en onde.</p>
<p>Une fois ce constat établi, chacun reste libre d’écouter ce qui lui plaît.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186080/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un peu plus de 30 % des « chansons francophones » entendues dans les radios commerciales québécoises sont à 49 % en anglais. Quoi en penser ?Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775912022-03-08T14:13:19Z2022-03-08T14:13:19Z« Stay » : voici comment une chanson d’amour véhicule mépris et violence envers les femmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450126/original/file-20220304-17-1tqzhjs.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C15%2C2455%2C1276&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image de « Stay » (Kid Laroi) qui joue sur l'ambiguïté du message « Privacy Matters » de la compagnie iPhone.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=kTJczUoc26U">(YouTube)</a></span></figcaption></figure><p>Les chansons d’amour qui visent un public de jeunes filles véhiculent des messages de tout ordre. Dans la foulée de la Journée internationale des femmes, cet article consiste à montrer par quels moyens symboliques ces formes de la culture populaire peuvent communiquer des messages négatifs tout en se prétendant inoffensives.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/il-faut-se-mefier-des-chansons-damour-qui-sadressent-aux-jeunes-filles-163130">Il faut se méfier des chansons d’amour qui s’adressent aux jeunes filles</a>
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<p>C’est à titre d’anthropologue que j’ai approfondi cette question dans le cadre d’un ouvrage collectif publié en <a href="https://www.puq.ca/catalogue/livres/pratiques-recherches-feministes-matiere-violence-conjugale-3840.html">mars 2022</a>. J’y examine les stratégies musicales d’une industrie qui entretient un esprit mercantile, misogyne, patriarcal et globalement méprisant à l’égard des femmes.</p>
<p>Ma démonstration repose ici sur le seul décryptage de la chanson « <em>Stay</em> », du chanteur australien The Kid LAROI. Si vous avez une adolescente à la maison, vous le connaissez sans doute déjà ; sinon, vous verrez son nom sur la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_awards_and_nominations_received_by_the_Kid_Laroi">liste des récompenses et nominations qu’il a reçues depuis ses débuts en 2019</a>.</p>
<h2>Mercantilisme</h2>
<p>Il faut d’abord visionner la vidéo officielle de cette chanson de 2 minutes 37 secondes. Vu plus de 488 millions de fois sur YouTube depuis sa sortie en 2021, ce clip paraît répondre aux attentes d’un public ciblé, très majoritairement composé de filles, d’adolescentes et de jeunes femmes. Or, ce succès n’est pas un hasard : il résulte d’une stratégie payante.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kTJczUoc26U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Stay, de The Kid LAROI.</span></figcaption>
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<p>Comme le répétait inlassablement à ses émules <a href="https://www.magazinesocan.ca/features/ralph-murphy-chaque-jour-je-tente-decrire-la-chanson-ultime/">Ralph Murphy</a>, auteur-compositeur plusieurs fois acclamé par <a href="https://www.ascap.com/">l’American Society of Composers, authors, and publishers</a>, le succès commercial d’une chanson est intrinsèquement lié à la capacité du créateur de se mettre dans la tête d’un <em>auditoire féminin</em> : « Quand on va à la pêche, affirmait-il, il ne faut pas penser comme le pêcheur, mais comme le poisson ». Murphy en savait quelque chose : sa chanson la plus payante s’intitule <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8Jb9Pg9BAzg"><em>He Got You</em> (Il t’a eue) (1982) interprétée ici par le chanteur Trea Landon (2020)</a>.</p>
<p>Parmi les conseils livrés par Murphy aux professionnels de la chanson dans ses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f7yykcoyMcw">conférences</a> ou dans son livre <a href="https://ivorsacademy.com/info_advice/murphys-law-of-songwriting">Murphy’s laws of Songwriting</a>, celui-ci est capital : « le script doit faire passer le chanteur pour un héros, même quand les auditrices sont prédisposées à le détester ».</p>
<p>En s’attribuant le rôle du proxénète dans « <em>Stay</em> », The Kid LAROI semble avoir compris la leçon.</p>
<h2>Phallocratie</h2>
<p>La scène se déroule dans le voisinage d’un hôtel de mauvaise réputation, <a href="https://la.curbed.com/2017/10/20/16476232/hotel-barclay-history-downtown">l’Hôtel Barclay</a> situé au Centre-Ville de Los Angeles. Les histoires macabres qu’on raconte à son sujet n’ont rien à envier à celles entourant le tristement célèbre <a href="https://www.vanityfair.fr/culture/voir-lire/story/lhistoire-sanglante-du-cecil-hotel-lhotel-le-plus-hante-du-monde/10559">Cecil Hotel</a>, situé tout proche.</p>
<p>Ce quartier est hostile aux femmes. À quelques minutes se trouve la rue Figueroa, bien connue des policiers pour son trafic d’êtres humains et ses parades de <a href="https://www.foxla.com/news/human-trafficking-prostitution-surging-on-streets-of-south-la-during-covid-19-shutdowns">filles piégées par les mécanismes de la prostitution</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/449295/original/file-20220301-23-czo9q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449295/original/file-20220301-23-czo9q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449295/original/file-20220301-23-czo9q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449295/original/file-20220301-23-czo9q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449295/original/file-20220301-23-czo9q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449295/original/file-20220301-23-czo9q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449295/original/file-20220301-23-czo9q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La rue Figueroa, à 14 minutes de marche de l’Hôtel Barclay, au centre-ville de Los Angeles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bing Maps</span></span>
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<p>Dans ce décor sordide où la vie des femmes est suspendue au règlement de problèmes graves d’inégalité sociale, d’itinérance ou de proxénétisme, deux jeunes hommes (The Kid LAROI et Justin Bieber) et une femme (anonyme) sont placés dans des rapports mutuels difficiles à saisir.</p>
<h2>Un héros masculin en état d’apesanteur</h2>
<p>Dans « <em>Stay</em> », The Kid LAROI est un héros à la fois vulnérable et invincible. Par quelques indices, on le devine violent (un miroir vole en éclat), oisif (il est affaissé sur la table à déjeuner) et irresponsable (il marche à contresens de la circulation). Lui-même s’avoue menteur, manipulateur et plein de défauts indécrottables :</p>
<blockquote>
<p><em>I do the same thing I told you that I never would</em>/(Je fais tout ce que je t’ai dit que je ne ferais jamais/)</p>
<p><em>I told you I’d change, even when I knew I never could</em>/(Je t’ai dit que je changerais, même si je savais que je ne pourrais jamais/)</p>
<p>[…] <em>I get drunk, wake up, I’m wasted still</em>/(Je me soûle, je me réveille, je suis encore saoul/)</p>
</blockquote>
<p>Progressivement, on comprend que le proxénète est surtout contrarié par la perte de sa source de revenus :</p>
<blockquote>
<p><em>I know that I can’t find nobody else as good as you/</em> (Je sais que je ne peux pas en trouver une autre aussi bonne que toi/)</p>
<p><em>I’ll be fucked up if you can’t be right here</em> (Je serai dans la merde si tu ne peux pas rester/)</p>
</blockquote>
<p>Alors, pourquoi aimerions-nous un perdant pareil ? Une réponse plausible se trouve dans la voix plaintive et suraiguë du chanteur imberbe qui réclame la présence de sa compagne comme un bébé réclamerait le sein de sa nourrice :</p>
<blockquote>
<p><em>I need you to stay, need you to stay, hey, hey !</em> (J’ai besoin que tu restes, besoin que tu restes, hey, hey)</p>
</blockquote>
<h2>Une femme alibi</h2>
<p>En adoptant la posture du dramaturge, on peut identifier dans la trame de ce clip l’une des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/36_situations_dramatiques">36 situations dramatiques</a> distinguées par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Polti">Georges Polti</a>, une référence classique dans le domaine de l’écriture romanesque. Le scénario retenu se classe sous la rubrique « aimer l’ennemi ». En gros, une femme s’éprend d’un homme pour qui elle n’est qu’un alibi, une couverture, une diversion, parce que son héros a besoin d’elle pour préserver un secret qu’il ne saurait dévoiler sans ravaler son honneur.</p>
<p>Marguerite Yourcenar fournit une déclinaison élaborée de cette structure dans <a href="https://www.babelio.com/livres/Yourcenar-Le-coup-de-grace/60212">« Coup de grâce » (1939)</a>, un roman dont s’inspire le <a href="https://stream-blog.net/film/217-le-coup-de-grace.html">film du même titre (1976)</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448476/original/file-20220225-15-ok7gki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448476/original/file-20220225-15-ok7gki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448476/original/file-20220225-15-ok7gki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448476/original/file-20220225-15-ok7gki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448476/original/file-20220225-15-ok7gki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448476/original/file-20220225-15-ok7gki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448476/original/file-20220225-15-ok7gki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une scène du film « Coup de grâce » dans laquelle Sophie se livre à une introspection dans l’intimité de sa chambre à coucher.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stream-Blog.net</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans un moment de lucidité, Sophie réalise qu’elle est amoureuse d’un homme qui n’est « pas fait pour elle ». Elle change alors d’état d’esprit : « J’en ai assez de vos mensonges, assez de vous, de votre honneur et de vos amitiés viriles. Si vous avez des désirs pareils, pour les satisfaire, prenez un valet d’écurie, mais ne m’utilisez pas comme alibi ».</p>
<h2>La supercherie</h2>
<p>Selon une structure dramatique similaire, la femme anonyme du vidéoclip n’est que l’alibi d’une entreprise rentable. Comme l’héroïne de Yourcenar plongeant son regard froid dans un miroir à main, l’amoureuse bafouée fixe un regard vide sur l’écran de son téléphone tactile, condamnée à perpétuité dans cette posture.</p>
<p>Dans un mouvement d’indiscrétion, la caméra survole alors l’appareil, au moment mal choisi où s’affiche un solde bancaire. Cette intrusion dans la vie privée de cette femme est la représentation de ce qui se passe à une échelle plus vaste : Internet utilise les données de navigation des enfants pour faire du placement de produits. C’est dans ce rapport aux écrans que résonne l’injonction « <em>Stay !</em> » (Reste !). Ce n’est pas le cri du cœur d’un amoureux transi, mais un impératif auquel l’industrie musicale soumet son auditoire féminin.</p>
<p>Dans cette mécanique d’exploitation, le rôle de Justin Bieber est explicite. Son message l’est également : c’est celui de sa gratitude pour les énormes redevances encaissées.</p>
<blockquote>
<p><em>Ain’t no way that I can leave you stranded</em>/(Il n’est pas question que je te laisse tomber/)</p>
<p><em>’Cause you ain’t ever left me empty-handed</em>/(Parce que tu ne m’as jamais laissé les mains vides/).</p>
</blockquote>
<h2>Casser le code</h2>
<p>D’un point de vue critique, la chanson n’est pas une œuvre, mais un dispositif d’exploitation des émotions pubères qui livre un message codé globalement méprisant pour les femmes.</p>
<p>Pour le rendre inopérant, il faut en casser le code.</p>
<p>Or, ça prend plus qu’une écoute distraite pour décrypter les mystères d’une chanson piégée. Il faut tout ce qui manque généralement aux enfants : de la culture et de la maturité.</p>
<p>Dans « <em>Stay</em> », par exemple, l’énigme n’est déchiffrable que si l’on saisit la symbolique du corps flottant au-dessus d’un lit, dans la chambre trop blanche d’une maison de passe. Cette métaphore, radicalement insoutenable, est celle du <a href="https://www.franceculture.fr/peinture/six-peintres-qui-ont-denonce-les-horreurs-de-la-guerre">spectre de la mort qui plane au-dessus des femmes et des enfants « inaptes au travail » du tableau de David Olère (1945)</a>.</p>
<p>Dans le prolongement d’une <a href="https://femmes-egalite-genres.canada.ca/fr/commemorations-celebrations/journee-internationale-femmes/theme-2022.html">Journée internationale des femmes</a> et d’une <a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/lancement-de-la-semaine-et-de-la-journee-nationales-de-la-lutte-contre-lexploitation-sexuelle-des-mineurs-38263">Semaine nationale de lutte à l’exploitation sexuelle des mineurs</a> passées presque inaperçues, je vous presse d’écouter <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6AyaEB7dSbU">« Jenny », la très belle chanson d’amour de Richard Desjardins</a>. C’est un hommage émouvant à l’indulgence de toutes les femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177591/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Décryptage de la chanson « Stay », du jeune chanteur australien The Kid LAROI. En apparence anodine, elle est empreinte de mercantilisme, phallocratie et mépris à l’égard des femmes.Sylvie Genest, Professeure, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1722522021-11-22T21:36:06Z2021-11-22T21:36:06ZOrelsan, une nouvelle leçon de « hip-hop management »<p>Après avoir « lâché » 24 heures plus tôt le morceau intitulé <em>L’odeur de l’essence</em>, Monsieur Aurél’ (<em>OrelSan</em> en japonais) nous livre, le 19 novembre, <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/11/19/civilisation-le-grand-cru-d-orelsan_6102682_3246.html">son dernier « grand cru »</a> intitulé <em>Civilisation</em>. Dans ce quatrième album, le rappeur normand de 39 ans aborde les grands challenges de notre société de façon chirurgicale, et avec un cynisme va qui certainement (<a href="https://www.lexpress.fr/culture/musique/la-polemique-enfle-contre-le-rappeur-orelsan_749668.html">encore</a>) susciter des réactions épidermiques. L’œuvre est un témoignage nouveau du dialogue nécessaire entre cet objet de recherche <a href="https://aoc.media/opinion/2018/10/16/rap-medias-longue-histoire-de-defiance/">longtemps marginalisé, utilisé ou survolé</a>, et nos théories managériales.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=926&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432982/original/file-20211121-22767-buyok7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1164&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Introuduction au Hip-Hop Management, 2014, par Jean-Philippe Denis.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions EMS</span></span>
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<p>Mis au jour à la fin 2014 par Jean-Philippe Denis, professeur des universités en sciences de gestion à l’Université Paris-Saclay, le <a href="https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Jean-Philippe-Denis-Le-Hip-Hop-management_1849.html"><em>Hip-hop Management</em></a> est un concept qui repose notamment sur trois concepts forts que sont l’exemplarité, le mimétisme et le calcul. Directement inspiré d’observations sur le temps long des acteurs du hip-hop (entendu dans une acception large, de l’ancien patron d’Apple Steve Jobs jusqu’à Eminem en passant par Jay-Z), l’auteur élabore une critique forte des concepts traditionnels de management, à l’appui de ces trois comportements stratégiques fondamentaux.</p>
<h2>Orelsan, seul contre tous ?</h2>
<p>En s’inspirant directement de cette idée selon laquelle cette industrie du hip-hop est à la fois le témoin de grandes évolutions sectorielles, le laboratoire d’innovations managériales et le terreau d’une critique radicale du management <em>business as usual</em>, nous avions pris le sillon de cet ouvrage pour nous intéresser aux stratégies marketing de rappeurs comme <a href="https://theconversation.com/rap-et-strategie-etes-vous-plutot-pnl-ou-jul-118808">PNL ou Jul</a>, ou encore pour étudier les stratégies relationnelles de rappeurs tels que Fianso (à paraître).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1141985467468066817"}"></div></p>
<p>Dans le monde du rap, le rappeur détonne. Son style est reconnaissable entre mille, tout comme son positionnement récurrent en « victime », loin des clichés à la testostérone qui ont la peau dure lorsque des non-initiés parlent d’un genre musical qu’ils connaissent peu. Culture jap’ assumée, cynisme, second degré (voire plus), critique de son propre art : l’artiste est un individu complexe et le mimétisme n’est pas sa plus grande caractéristique.</p>
<p>Son univers reste difficile à saisir en première lecture, comme d’autres avant lui, et certains le placent d’ailleurs « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OrGLz4S-kY0">dans lignée de Renaud ou Brassens »</a> ». L’auditeur plus âgé lui, verra peut être avec le morceau <em>La Quête</em>, un clin d’œil à Jacques Brel qui chantait un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iKCmB_13zFw">titre du même nom</a>. Une autre forme de mimétisme ?</p>
<p>Son origine géographique caennaise aussi détonne, car Orelsan n’est pas issu des grands ensembles périurbains comme nombre de rappeurs à succès. Il l’assume d’ailleurs ouvertement en se présentant comme le « plus connu de sa ville avec Guillaume le Conquérant » (<em>Casseur Flotteurs Infinity</em>). Il la revendique même : au lendemain de la sortie de <em>Civilisation</em>, le Normand a ainsi fêté la sortie de l’album avec les supporters du club de Caen, qui évolue en Ligue 2, au stade Michel-D’Ornano. Qui lui ont bien rendu l’hommage : après une triste défaite (0-1) face au Paris FC, les tribunes ont entonné un titre du rappeur en détournant les paroles :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1462149590703087617"}"></div></p>
<p>Un épisode dans la lignée de cette authenticité que nous avions <a href="https://theconversation.com/rap-et-strategie-etes-vous-plutot-pnl-ou-jul-118808">déjà observée chez le rappeur Jul par exemple</a>.</p>
<p>S’il rappe le quotidien et l’inavoué (« Les choses que j’ose dire à personne sont les mêmes qui remplissent des salles », <em>La Quête</em>), cela n’empêche pas le rappeur de se positionner au sein du <em>rap game</em>, en citant (et ce sont les seuls cités dans l’ensemble de l’album) les rappeurs du groupe PNL (« Soirée karaoké, je chante “Au DD”, Ademo, c’est ma sœur », <em>Seul avec du monde autour</em>). Ainsi, il se place de façon surprenante en fan de ce groupe discret qui a pour caractéristique principale de ne nouer aucune collaboration en dehors des Tarterêts, leur quartier d’origine dans l’Essonne.</p>
<h2>Gestion des attentes et <em>buzz strategy</em></h2>
<p>Sur la méthode du succès, Aurélien Cotentin (de son vrai nom) n’est pas en reste. C’est un modèle de gestion des attentes et de stratégie de buzz qu’il nous propose ici. Après avoir fait monter la température avec la sortie d’un reportage sur Amazon Prime Video intitulé <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/rap/orelsan-quatre-bonnes-raisons-de-voir-le-documentaire-montre-jamais-ca-a-personne-sur-amazon-prime-video_4808811.html"><em>Montre jamais ça à personne</em></a> et quatre ans après son dernier album, il ravive le lien affectif avec sa <em>fanbase</em>, ce qui n’est pas sans rappeler la <a href="https://theconversation.com/sortie-de-lalbum-de-pnl-un-nouveau-coup-de-force-strategique-114115">stratégie de rareté du groupe PNL</a>.</p>
<p>Ce faisant, il élargit également fortement son audience, avec une stratégie de rebond intrafamiliale. Le reportage est l’occasion pour les fans d’ouvrir le monde de leur rappeur préféré à leur famille, tournant ainsi un peu plus la page de son procès pour incitation à la violence envers les femmes dans lequel <a href="https://www.konbini.com/fr/musique/orelsan-juge-sexisme-tribunal-femmes-rap/">il a été relaxé en 2016</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-A3l-p9zi_U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>On y découvre ainsi le rappeur en train de se lancer, d’amorcer sa carrière et de devenir celui que l’on connaît, entre amitiés, doutes, problèmes du quotidien et jobs alimentaires. Après ce coup de <em>polish</em> documentaire de la mi-octobre 2021, il rend disponible son premier extrait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zFknl7OAV0c"><em>L’odeur de l’essence</em></a> qui atteindra en huit heures le million de vues sur YouTube, et les 4 millions au cœur du week-end.</p>
<p>Le morceau est cinglant, et le clip apocalyptique fait écho à un style dont l’artiste est coutumier (voir par exemple <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B2kvtRprvkk"><em>Suicide social</em></a>, sorti en 2013). Il entraîne l’auditeur dans une noirceur profonde qui embrasse de vastes sujets : ravages de l’extrémisme politique, désillusion démocratique, capitalisme débridé, dérives médiatiques, idéologies <em>woke</em> et <em>cancel culture</em>, pensée binaire et rejet de la pensée complexe, système éducatif fragilisé, collapsologie et changement climatique. Le constat est radical, les mots sont tranchants et le morceau place l’auditeur dans « un avion qui va droit vers le CRASH ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1461310872102522880"}"></div></p>
<p>Cette fin soudaine du morceau renforce les attentes autour de l’album dont la sortie est prévue le lendemain même. Des premières écoutes arrivent chez les observateurs avisés (ci-dessus chez le journaliste spécialisé hip-hop Olivier Cachin), et la rumeur se répand d’une œuvre singulière et majeure pour l’artiste.</p>
<p>La crainte de l’échec commercial était déjà largement réduite car l’album <em>Civilisation</em> a été <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/civilisation-lalbum-dorelsan-est-deja-un-succes-avant-meme-detre-sorti_fr_61967e93e4b0f398af01ed5f">certifié disque d’or en précommande, avant sa sortie</a>. L’essai sera rapidement transformé puisque les albums en éditions limitées <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/civilisation-orelsan-des-prix-fous-pour-les-editions-limitees_fr_619778f2e4b07fe20109fb45">s’échangent déjà à prix d’or</a>. La raison ? L’album, qui compte 15 morceaux, est commercialisé en 15 versions différentes, une par chanson, dont certaines sont limitées à quelques centaines d’exemplaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1462476770637135873"}"></div></p>
<h2>Une critique du management ?</h2>
<p>L’exercice auquel se livre l’auteur dans ses textes est quasi-anthropologique. Ce <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/quand-orelsan-etait-un-etudiant-en-ecole-de-commerce-pas-tres-motive-_728af1fc-0d9f-11e8-8e45-f934993d24f8/">diplômé de Master à l’EM Normandie (à l’époque Sud Europe)</a>, réserve une place importante bien qu’elle ne soit pas centrale à la critique du travail et des modes de management. En dressant un constat radical et noir, il confronte à l’occasion la pensée et les pratiques managériales, et les <a href="https://rfg.revuesonline.com/component/content/article/99-actualites/319-appel-a-contribution-avant-le-30-septembre-2022-organisations-et-sciences-de-gestion-a-l-epreuve-de-l-anthropocene">met à l’épreuve de l’Anthropocène</a>.</p>
<p>Il aborde par exemple les données personnelles et leur usage par les GAFAM (« que d’la data pour les GAFA, bâtard t’es rien qu’une donnée », <em>Civilisation</em>), même s’il s’arrête au constat. Le morceau <em>Manifeste</em> lui, fait l’archéologie d’un dialogue social à bout de souffle. Plongé au cœur d’une manifestation, le narrateur se retrouve dans un monde qu’il ne comprend pas, où des revendications hétérogènes s’entrechoquent sans convergence ni régulation interne. L’affaiblissement des corps intermédiaires est ici disséqué, et lorsque la situation s’envenime, l’importance de ces corps de régulation et de représentation (syndicats, partis politiques, etc.) pour éviter l’implosion sociale est mise au jour.</p>
<p>Concernant le travail, Orelsan évoque aussi l’augmentation contemporaine de la charge de travail et le surmenage (« Génération burn-out, sous pression, courir après des chimères de perfection », <em>Rêve mieux</em>), mais sa formule interroge. Le burn-out est-il un phénomène générationnel ? Est-ce un mal contemporain, ou un mal historique reconnu récemment ? Le concept même de génération a-t-il du sens ?</p>
<p>Même question plus loin, avec la fin de la Génération Z (« Génération Z, parce que la dernière », <em>L’odeur de l’essence</em>). Est-ce ici une critique de l’approche générationnelle, <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre1-2012-2-page-39.htm">telles que d’autres ont pu exister</a> ? Classer les individus selon leur vécu sociologique commun et leur attribuer synthétiquement un corpus d’attentes personnelles et professionnelles ? La réponse semble ici dans l’œuvre elle-même : du haut de ses 39 ans, Orelsan n’appartient évidemment pas à cette génération Z (<a href="https://pure.royalholloway.ac.uk/portal/en/publications/generation-z-childrens-adaptation-to-digital-consumer-culture(3bb4fd52-32cd-44d4-9ada-fd3f6f50b0a0).html">personnes nées après 1995</a>) et pourtant, il semble s’y identifier.</p>
<h2>Quel devenir pour le <em>Hip-hop Management</em> ?</h2>
<p>Après ce nouveau récit qui illustre la richesse de l’industrie du rap, plusieurs axes de recherche s’ouvrent légitimement, pour poursuivre la structuration théorique <a href="https://www.editions-ems.fr/livres/collections/gestion-en-liberte/ouvrage/338-introduction-au-hip-hop-management.html">du champ du <em>Hip-hop Management</em></a>. Les stratégies de visibilité, la gestion des attentes ou encore les stratégies relationnelles sont des points d’intérêt déjà identifiés. Parmi ces stratégies relationnelles, les effets de l’appropriation des marques par les rappeurs sont particulièrement intéressants (<a href="https://www.bfmtv.com/economie/lacoste-cesse-sa-collaboration-avec-les-rappeurs-moha-la-squale-et-romeo-elvis_AN-202009180232.html">Moha la Squale et Lacoste par exemple</a>), et retiennent notre attention depuis quelques années.</p>
<p>Ce que nous apprend ici Orelsan, c’est que le rap est aussi un terrain aux pratiques nouvelles qui peuvent éclairer nos théories classiques (souvent construites ailleurs et pour d’autres contextes) et accompagner leur nécessaire recontextualisation. Ainsi, il s’agit peut-être tout particulièrement d’un terrain réflexif pour les chercheurs en management qui ne se positionnent pas seulement dans une perspective d’aspiration des <em>best practices</em> dans un contexte donné.</p>
<p>Il y aurait certainement à élaborer avec cette industrie notamment, des théories et des pratiques managériales en phase avec l’époque, et connectées au réel. Plus fondamentalement encore, la substance du <em>Hip-hop Management</em> est-elle dans le comportement des acteurs, dans leurs discours, ou dans leur œuvre ? L’idée d’une <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-pour_une_analyse_textuelle_du_rap_francais_mathias_vicherat-9782747510899-6493.html">analyse textuelle des textes de rap paraît séduisante</a>, mais risque de produire des résultats superficiels. La mission peut ainsi paraître complexe, et heureusement Orelsan nous nous rappelle que « ce qui compte c’est pas l’arrivée, c’est la Quête » (<em>La Quête</em>).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre de l'AGRH, du Pôle recherche de l'Observatoire Action Sociétale - Action Publique et de la Chaire Gouvernance et RSE de Le Mans Université.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tarik Chakor est enseignant-chercheur universitaire et co-fondateur de l'agence La Firme, spécialisée dans les partenariats entre artistes et marques.</span></em></p>On retrouve dans le succès du quatrième album du Normand, « Civilisation », tous les comportements stratégiques fondamentaux du monde du rap – à l’exception du mimétisme.Hugo Gaillard, Maître de Conférences en Management, Le Mans UniversitéTarik Chakor, Maître de conférences en sciences de gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1141152019-04-02T22:51:30Z2019-04-02T22:51:30ZSortie de l’album de PNL, un (nouveau) coup de force stratégique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/266134/original/file-20190327-139341-nqltpd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=106%2C0%2C860%2C404&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/PNLMusic/status/1110264886368653312">PNLMusic/Twitter</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.oklm.com/video/pnl-lhistoire-ou-rien/">« PNL : L’Histoire ou rien »</a>. Voilà ce que titrait le média urbain <a href="https://www.oklm.com/">OKLM</a> trois jours après ce vendredi 22 mars, date de sortie <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BtyHYIpykN0">du clip « Au DD »</a> du groupe PNL, qui peut être analysé comme un double temps fort. Temps fort pour le monde du rap, puisqu’il marque le retour en force d’un groupe emblématique quasiment muet depuis le succès de son dernier opus <a href="https://www.melty.fr/pnl-dans-la-legende-bat-des-records-de-vente-en-seulement-3-jours-a558715.html">« Dans la légende »</a> (2016), et temps fort pour tout observateur attentif aux stratégies, à LA stratégie… et aux stratèges.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BtyHYIpykN0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Annoncée en clôture du clip, la sortie du nouvel album du duo parisien, intitulé « Deux frères », est prévue ce vendredi 5 avril, avec certainement son lot d’incertitudes, de surprises… et d’enseignements stratégiques, donc.</p>
<p>Nous proposons ainsi d’analyser ce nouveau coup de force stratégique au prisme du triptyque « Rareté – Luxe – Disruption », trois concepts nous paraissant être au cœur de leur stratégie globale.</p>
<h2>La rareté</h2>
<p>À contre-courant des autres rappeurs lancés dans une course à la surexposition médiatique, PNL se caractérise par sa rareté : aucune interview accordée aux médias traditionnels (rap ou hors rap), une communication au compte-gouttes, des apparitions aussi rares que commentées… Ce silence devient ainsi un outil de communication et de promotion, créant l’attente et le désir. En effet, comme démontré depuis longtemps par les sciences économiques, la rareté d’un bien suscite un <a href="https://www.actionco.fr/Action-Commerciale/Article/Quand-la-rarete-fait-vendre-588-1.htm#qdHKDtj0GsxxIOo4.97">désir plus grand</a> que s’il était disponible sans réserve, du fait d’une valeur perçue supérieure. De plus, cette rareté offre une capacité à créer la notoriété, par le contrôle de la diffusion du bien, pour en renforcer le sentiment d’exclusivité. Ce qu’a parfaitement compris PNL.</p>
<p>Stratégiquement, la rareté attise également la curiosité. Parmi les 20 millions de personnes ayant regardé le clip moins de 72 heures après sa sortie, combien sont des « clients fidèles » du groupe ? Des auditeurs de la première heure ? Il est toujours assez significatif de lire certains médias, notamment ceux s’intéressant peu au rap ou au « monde urbain », s’étonner de la fusée qui venait de décoller à la sortie du clip.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1110206244361592833"}"></div></p>
<p>Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Cette stratégie de la rareté est autoréalisatrice : par sa finesse, elle structure le manque, le besoin, et l’aiguise. Au-delà du besoin de nombreux auditeurs d’écouter du PNL, c’est aussi un besoin d’être dans les premiers à avoir écouté le nouveau PNL, comme si l’auditeur était convaincu que le groupe détenait la recette, la formule magique, celle qui influencera le rap pour les années à venir : « j’connais la route, j’connais l’adresse », comme le disent les deux frères de Corbeil-Essonnes dans leur dernier titre.</p>
<p>Cette stratégie de la rareté s’apprécie enfin dans son contexte global, celui du milieu rap : en pleine expansion, tant artistique qu’économique, le rap est tiraillé entre les clashs et clivages des uns, la course au leadership des autres, un rap conscient entré en résistance face à une tendance à l’uniformisation commerciale… Et il y a PNL, hors sol (« j’suis ni d’chez moi ni d’chez vous »), quasi inhumain (« me sens pas trop humain, un peu comme mes igos habités, yah » ou « t’as reconnu le cri, côté animal »). <a href="https://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2012/02/Le-commerce-et-le-gouvernement-Etienne-de-Condillac.pdf">Condillac</a> illustrait dès le XVIII<sup>e</sup> siècle le lien entre rareté et utilité en prenant l’exemple du verre d’eau dans le désert : c’est dans son contexte donc, que le verre d’eau prend de la valeur. Un contexte marqué ici par la coopétition des rappeurs, tantôt en coopération, tantôt en compétition, dans lequel PNL se démarque, prend de la valeur… et de la hauteur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1110264886368653312"}"></div></p>
<h2>Le luxe</h2>
<p>Il ne s’agit toutefois pas d’une stratégie de rareté pure. En effet, pour filer la métaphore économique, « consommer du PNL » ne réduit pas le nombre de parts de « PNL disponible ». À l’instar des produits du monde du luxe, c’est sa mise en consommation qui est limitée. Le « produit PNL » est identifié « luxe » par son auditoire, louant sa rareté, sa qualité (perçue ou réelle), la satisfaction apportée, l’image qu’il représente, etc.</p>
<p>Plus qu’un produit créé pour répondre à un besoin, PNL crée lui-même le besoin, leur produit de luxe devant faire rêver les consommateurs : c’est ainsi que le groupe a tenu en haleine son public durant une journée entière sur sa chaîne YouTube via une diffusion en direct (ou présentée comme telle) de la planète Terre se rapprochant progressivement, rapprochement parsemé d’indices furtifs, jusqu’à l’atterrissage annonçant la sortie du nouveau clip le soir même à 20h. Et c’est également ainsi que le groupe a préféré envoyer un singe les représenter à l’émission <em>Planète Rap</em> sur Skyrock ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vnfFXxLlO6c">pour la remise des disques d’or obtenus</a>, le luxe ne se mélangeant pas avec « la masse ».</p>
<p>Mise en bouche, exaspération pour certains, exhausteur de goût pour d’autres : nul doute, avant d’avoir vu le clip ou entendu l’album, l’objectif est de confirmer que PNL est toujours PNL, et plus que jamais ce que les autres ne sont pas. Rareté et luxe donc, tous deux assis sur le dernier étage de la tour Eiffel, leurs regards témoignant d’une volonté de domination presque hégémonique sur la capitale et sur le monde du rap, évidemment.</p>
<p>La résonance ne s’arrête pas à nos frontières : des médias <a href="https://www.clashmusic.com/news/french-rap-icons-pnl-launch-new-album-deux-fr%C3%A8res">anglais</a>, <a href="https://noisey.vice.com/it/article/j5733g/pnl-au-dd-video-recensione?fbclid=IwAR0Ls4GRYRt7I6VrFv6dcSOWsXQatbK6VmZRKCijTN8nr9aGM8HVyOqjSgM">italiens</a>, <a href="https://juice.de/pnl-au-dd-video/">allemands</a>, <a href="https://www.mondosonoro.com/noticias-actualidad-musical/pnl-au-dd-single-videoclip-deux-freres/">espagnols</a>, <a href="https://dopest.se/pnl-slapper-singeln-au-dd/">suédois</a>, mais également <a href="https://voir.ca/nouvelles/actualite-musicale/2019/03/22/pnl-marque-son-retour-avec-un-clip-epatant/">canadiens</a> et <a href="https://hypebeast.com/jp/2019/3/pnl-custom-off-white-virgil-abloh-rap-video?utm_term=Autofeed&utm_campaign=twitter_post&utm_medium=social&utm_source=Twitter#Echobox=1553464874">japonais</a> ( !) réagissent et font la promotion du groupe… PNL, c’est aussi la francophonie qui s’exporte, leur principal fait d’arme jusqu’à aujourd’hui étant d’avoir fait la couverture de l’emblématique magazine new-yorkais <a href="https://www.thefader.com/2016/06/14/pnl-cover-story-french-rap">The Fader</a>, sans pour autant avoir répondu aux questions des journalistes s’étant déplacés pour l’occasion.</p>
<h2>La disruption</h2>
<p>Dernier ingrédient de la recette PNL : la rupture avec le préexistant visant à définir de nouvelles règles, également appelé disruption, pour reprendre un anglicisme à la mode. Plutôt que d’innover par de simples améliorations minimes ou incrémentales, PNL tend à proposer une nouvelle manière de fonctionner et de communiquer vis-à-vis de ses auditeurs. Outre la rareté et le luxe, le groupe innove radicalement et à différents niveaux : stratégie de <a href="https://en.fabernovel.com/insights/transformation-en/a-lesson-in-growth-hacking-with-french-rap"><em>growth hacking</em></a> visant à se constituer une large base de données de consommateurs au détour d’une campagne d’affichage sous forme d’avis de recherche et d’un numéro à joindre, permettant dans un second temps une communication prioritaire des dates de la tournée, des affichages publicitaires majeurs, des collaborations ciblées, le duo s’étant retrouvé égérie d’une célèbre marque qui lui a créé un modèle de veste spécialement pour le clip en question, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6ktqHEWQANo">après avoir été associé à la marque Supreme en 2016</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1110883182260432896"}"></div></p>
<p>Cette disruption vis-à-vis du marché traditionnel du rap peut également s’analyser à partir de la constitution d’un univers propre, caractérisé par des musiques planantes et hypnotiques, des clips vidéo et visuels soignés, un storytelling relatant des thèmes peu assumés dans le monde viril du rap (dépression, mélancolie, vision romantique de la « galère », etc.), tout en conservant une forte proximité avec leur public. QLF, ou « Que La Famille », un slogan devenu mode de vie pour certains, accroissant leur sentiment d’appartenance à cet univers comme une seule et même communauté de valeurs. La musique n’est ainsi plus une fin en soi pour les fans : elle devient un moyen devant permettre de percer le mystère PNL, analysant le moindre texte, le moindre clip, alimentant de multiples théories, interprétations et fantasmes. Une communication qui n’est peut-être pas si calculée que cela, comme le laissait envisager Mouloud Achour, animateur de Clique TV, <a href="https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=mouloud+achour+pn+l+jean+philippe+deni%C3%A7s">il y a quelque temps</a>.</p>
<p>Bref, c’est un peu ça la stratégie PNL : savoir combiner rareté, luxe et disruption afin de fédérer des fans tout aussi fidèles qu’impatients. Et cela semble toujours fonctionner : le titre « Au DD » est le premier morceau de rap français à intégrer le <a href="https://twitter.com/PNLMusic/status/1110275749699862528">top 30 mondial des morceaux les plus streamés sur Spotify</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1110275749699862528"}"></div></p>
<p>Rendez-vous donc le 5 avril pour un moment stratégique rare, que certains chercheurs en gestion suivront de près. D’autant que l’un des rappeurs, dans son dernier couplet, nous laisse à penser que nous n’en avons pas fini avec cette stratégie : « c’est peut-être mon dernier album »…</p>
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<p><em>Rareté, luxe, disruption : et si c’était cela le triptyque de la stratégie PNL ? Une question qui nous fait au passage dire qu’il serait temps de donner suite à l’<a href="https://www.dailymotion.com/video/x26evsb">Introduction au Hip Hop Management</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114115/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard conseille en parallèle de son travail de recherche des entreprises et administrations sur les questions de faits religieux et de laïcité au travail, de GRH et d'insertion professionnelle.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tarik Chakor ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le nouvel album du binôme composé des rappeurs Ademo et N.O.S. sortira ce vendredi 5 avril, avec certainement son lot d’incertitudes, de surprises… et d’enseignements stratégiques.Tarik Chakor, Maître de conférences en sciences de gestion - Université Savoie Mont Blanc, Membre de la chaire Management et Santé au travail, Université Grenoble Alpes (UGA)Hugo Gaillard, Doctorant en Sciences de Gestion et chargé de cours en GRH, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1054692018-11-13T23:07:39Z2018-11-13T23:07:39ZQuand le rappeur Sofiane invite des chercheurs à « rentrer dans le Cercle »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/243756/original/file-20181103-83632-1pr5as.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C8%2C1896%2C863&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran de l'émission « Rentre dans le Cercle » à laquelle ont participé les auteurs de cet article. </span> <span class="attribution"><span class="source">https://www.youtube.com/watch?v=UggGtXdH3tA</span></span></figcaption></figure><p>Tout est parti d’un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-enseignants-chercheurs-devraient-tweeter-104214">simple tweet</a>. Dans ce message, nous demandions au rappeur Sofiane, dit Fianso, l’une des figures incontournables de la scène hexagonale, si nous pouvions venir assister au tournage de son émission rap <a href="https://www.youtube.com/playlist?list=PLCJzyrL5XauEr6ftvWH1YBNCnShezbfQM">« Rentre dans le cercle »</a> en tant qu’observateurs, ce à quoi il a répondu : « pourquoi pas ».</p>
<p>Quelques échanges plus tard, nous avons même été invités à intervenir dans l’émission, qui avait d’ailleurs déjà fait l’objet d’une analyse publiée <a href="https://theconversation.com/les-rappeurs-sont-ils-des-leaders-en-puissance-pour-que-le-management-entre-dans-le-cercle-100927">sur The Conversation</a>. Puisqu’elle est diffusée sur la chaîne YouTube du même nom et cumule entre 500 000 et un million de vues à chaque épisode, ce fut une formidable occasion de présenter, en quelques minutes, nos travaux en cours et à venir autour du hip-hop management dans la lignée de l’<a href="http://www.editions-ems.fr/livres/collections/gestion-en-liberte/ouvrage/338-introduction-au-hip-hop-management.html">ouvrage fondateur</a> de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud (voir sa chronique <a href="https://theconversation.com/columns/jean-philippe-denis-191179">#HipHopManagement</a>).</p>
<p>Vous pouvez retrouver notre intervention à partir de 12’00 dans la vidéo, tournée à la fin du mois d’août 2018, ci-dessous :</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UggGtXdH3tA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tarik Chakor, Hugo Gaillard et Léo Denis dans « Rentre dans le Cercle » S2 E8 à partir de 12’00.</span></figcaption>
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<p>Cette émission, comme le présente Sofiane lui-même et comme nous le reprenions dans notre premier article, vise à « réunir dans un même projet la crème dans le Cercle, la crème des kickers (c’est-à-dire rappeurs), la crème des médias, la crème des majors, la crème des DJ’s, toutes les branches de nos métiers ».</p>
<p>Elle avait attiré quelques mois auparavant notre œil de chercheur en gestion, non pas tant pour le fond des textes (encore que certains <em>lyrics</em> méritent vraiment que l’on s’y attarde) que pour les interactions entre les artistes, les manières de faire du rappeur-animateur Fianso ou encore la fonction fédératrice de l’émission qui, quoi qu’on en dise, n’a rien à envier aux « petits déjeuners thématiques » où de nombreux managers s’empressent d’aller recueillir la bonne parole ou la bonne pratique.</p>
<h2>Un enjeu de taille : instaurer la confiance</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/les-rappeurs-sont-ils-des-leaders-en-puissance-pour-que-le-management-entre-dans-le-cercle-100927">L’article initial</a> posait un certain nombre d’hypothèses : le Cercle comme organisation inclusive, organisation apprenante, et comme organisation reposant sur un manager-leader qui pourrait, par l’observation, questionner et alimenter nos réflexions autour du leadership et de l’innovation, notamment managériale.</p>
<p>La démarche n’était donc pas envahissante ni même colonisatrice : il ne s’agissait pas d’aller dire au monde du rap comment il fonctionne, ni même de lui prêcher une quelconque « vulgate managériale », mais, au contraire, d’extraire des éléments d’élaboration afin d’alimenter l’état de nos connaissances dans ce domaine.</p>
<p>Historiquement, le <a href="https://aoc.media/opinion/2018/10/16/rap-medias-longue-histoire-de-defiance/">monde du rap entretient des relations complexes avec les partenaires extérieurs, notamment médiatiques</a>. Certainement parce qu’ils sont nombreux à avoir tenté de se l’approprier, de le déposséder, d’en faire un art de salon… L’enjeu était donc de taille pour nous : instaurer la confiance, à la fois à l’intérieur du Cercle, mais aussi à l’extérieur auprès des férus de management qui (peut-être), restent dubitatifs sur l’apport potentiel d’un tel terrain pour les sciences de gestion.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-hip-hop-doit-il-devenir-frequentable-54635">Le hip-hop doit-il devenir fréquentable ?</a>
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<p>Pour ce faire, nous avons adopté une posture d’observation participante, à la fois acteur et observateur de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=ST3UkwQ57N0">épisode 7 de la saison 2</a> de « Rentre dans le Cercle ». Nous avons ensuite été interviewés lors de l’épisode 8, pour, en quelque sorte, « dire ce que nous faisions là ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1036655502833405952"}"></div></p>
<p>L’intérêt des parties était réciproque : pour nous, étudier ce que le monde du rap, et plus largement du hip-hop, peut potentiellement apporter au monde de l’entreprise ; et, pour le rappeur, échanger avec des chercheurs pouvant « mettre des mots » sur certaines réalités vécues sur le terrain… Ainsi, au-delà des quelques minutes de tournage où nous échangeons, notamment autour <a href="https://youtu.be/sPNWQzHHm88">des travaux de Jean‑Philippe Denis sur le hip-hop management</a>, nous avons pu avoir hors antenne un échange poussé avec le rappeur autour de sa conception du leadership. Un moment aussi intéressant pour son contenu que pour la clairvoyance de Sofiane, qui est venue confirmer notre hypothèse initiale d’un leadership inspirant et incarné par le rappeur.</p>
<h2>Leadership par le bas et légitimité du « terrain »</h2>
<p>L’un des premiers enseignements repose sur la conscience par le rappeur-animateur de l’existence d’intérêts divers et variés des participants à l’émission et de la nécessité de les gérer de manière transparente. En effet, Sofiane tend à exercer son rôle en toute authenticité avec les nombreux participants, une relation de franchise inscrite dans un contexte socioculturel où elle est perçue et vécue systématiquement comme une vertu par les parties prenantes.</p>
<p>Le rappeur fait ainsi preuve d’une capacité à tisser des liens différenciés vis-à-vis des partenaires qu’il rencontre, adaptant son discours en fonction de la célébrité des participants, de leur parcours, de leur ancienneté dans le milieu, de leur reconnaissance, de l’historique de leur relation, ou encore en fonction de leur appartenance ou non au staff du Cercle, etc. Son autorité semble acceptée de tous, certainement en raison des intérêts que chacun a à se montrer dans l’émission, du fait de la popularité de celle-ci, notamment dans le milieu du rap. C’est finalement en se mettant au service de son organisation que le rappeur se retrouve porté par elle : un leadership par le bas, ou par la base, qui se maintient et qui se renforce en permanence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-ce-que-le-rap-dit-de-notre-societe-102624">Podcast : Ce que le rap dit de notre société</a>
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<p>Expert en gestion de conflits et prise en compte des divergences, Sofiane fait preuve d’une connaissance fine des historiques entre acteurs, ce qu’il qualifie lui-même de « géopolitique de quartier ». Cette image est évocatrice d’un réel sens des réalités et de leurs enjeux, toujours dans l’optique d’un bon fonctionnement de son organisation, son « bébé » : le Cercle. La force de son leadership est évidemment complétée par une légitimité issue du « terrain », qui conduit certainement les acteurs à s’identifier à son modèle de réussite : il n’est donc pas seulement un leader que l’on respecte, mais aussi une ligne d’arrivée que beaucoup souhaitent, consciemment ou inconsciemment, dépasser. Par son travail incarné, il motive, engage et permet la projection.</p>
<h2>Intelligence situationnelle</h2>
<p>L’une des interrogations du <a href="https://theconversation.com/les-rappeurs-sont-ils-des-leaders-en-puissance-pour-que-le-management-entre-dans-le-cercle-100927">premier article</a> était la capacité du rappeur-animateur à exercer dans un contexte désitué, différent de celui au sein duquel il évolue le plus fréquemment. Nous renvoyons pour répondre à cette interrogation aux différents passages de l’individu <a href="https://www.mouv.fr/culture/sofiane-foule-le-tapis-rouge-de-l-un-des-plus-prestigieux-festivals-de-cinema-du-monde-347060">au cinéma</a>, sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lvgTILjamh4">France Inter</a>, ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F7gbznaHTCI">France Culture</a>, ou encore <a href="https://www.facebook.com/MouvRadio/videos/le-magnifique-la-pi%C3%A8ce-avec-sofiane-musique-dissam-krimi/10156462766578349/">au théâtre</a> pour avoir une idée de l’intelligence situationnelle qu’il est capable de mobiliser.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F7gbznaHTCI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Nous terminerons sur une phrase prononcée par le rappeur lui-même lors de nos échanges, dans le cadre d’une discussion plus large sur les caractéristiques et les objectifs d’un leader. Elle illustre toute l’importance de son organisation d’un point de vue personnel, mais aussi pour protéger son secteur d’activité, qu’il estime sans cesse victime d’OPA par des structures (maisons de disque, industrie de la musique, etc.) qui lui en feraient perdre tout son sens :</p>
<blockquote>
<p>« L’objectif principal est d’asseoir ma position de contrôle : comme le pétrole vient de chez nous, il faut installer un comptoir et réguler le prix du baril. »</p>
</blockquote>
<p>Ce territoire de recherche innovant permet de mettre en lumière plusieurs perspectives que nous avons, pour certaines, déjà engagées. En vrac : rap et langage managérial, rap et entrepreneuriat, management des rappeurs, en plus de cette réflexion déjà entamée sur le leadership. Bref, vous n’avez pas fini d’entendre parler de hip-hop management…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre de l'Institut du pluralisme religieux et de l’athéisme (IPRA). Il conseille en parallèle de son travail de recherche des entreprises et administrations sur les questions de faits religieux et de laïcité au travail, de GRH et d'insertion professionnelle.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tarik Chakor ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Témoignage : des chercheurs en management ont été invités à participer à une émission rap. Voici les quelques enseignements sur le leadership qu’ils en retirent.Hugo Gaillard, Doctorant en Sciences de Gestion et chargé de cours en GRH, Le Mans UniversitéTarik Chakor, Maître de conférences en sciences de gestion - Université Savoie Mont Blanc, Membre de la chaire Management et Santé au travail, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/943842018-04-10T19:38:44Z2018-04-10T19:38:44ZÉtude de cas : le streaming peut-il rapporter aux artistes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/214070/original/file-20180410-584-h6p677.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C5%2C3976%2C2790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Publicité pour la musicienne Taylor Swift, réfractaire aux plateformes de streaming sur les camions UPS en Californie en septembre 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/gazeronly/36933775856/">Torbakhopper/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>La citation du compositeur et chef d’orchestre américain Leonard Bernstein, « On ne vend pas la musique, on la partage », est plus que jamais adéquate à l’heure du streaming.</p>
<p>Le partage des fichiers commence avec l’arrivée de NAPSTER en 1999, plateforme d’échange de fichiers audio peer to peer, qui sera suivi d’autres plateformes du même type. C’est le début du téléchargement illégal.</p>
<h2>Vingt ans de révolution sur le marché de la musique</h2>
<p>Depuis bientôt 20 ans, l’industrie musicale, suite à la crise de la vente de CD, connaît de perpétuelles mutations. Le partage de musique libre et illimité a relancé cette industrie.</p>
<p>En 2006, c’est une nouvelle ère qui commence avec le streaming, par la création de You tube, Spotify ou Deezer. Cette nouvelle forme de consommation représente une alternative au problème du téléchargement et faire face à la loi Hadopi qui sanctionnait le téléchargement illégal.</p>
<p>L’arrivée du streaming a permis l’accès à un choix divers et gratuit en échange de visionnage de courtes publicités. Désormais, Spotify et autres plateformes proposent un abonnement aux consommateurs en échange d’un accès illimité sans stockage de la musique. Sans avoir la propriété de la musique, le consommateur à la possibilité de créer des playlists.</p>
<p>Le développement des accès Internet à haut débit va favoriser cette pratique. Cette écoute est utilisée par les disquaires et autres magasins spécialisés dans la vente de musique. Nombreuses sont les plateformes qui proposent un service d’écoute large et illimité : cela devient une forme de location. Avant il fallait débourser entre 10 et 15 euros par album, aujourd’hui pour 10 euros par mois en moyenne il est possible d’avoir accès une musique internationale.</p>
<p>En 2014, 40 % des revenus de la musique était généré par le téléchargement alors qu’en 2017, ce n’est plus que <a href="http://www.zdnet.fr/actualites/chiffres-cles-le-marche-francais-de-la-musique-sur-Internet-39790982.htm">12,3 %</a> contre 85,2 % pour le streaming.</p>
<p>C’est un paradoxe : après avoir longtemps contribué à sa chute (par sa gratuité et par le téléchargement illégal), le <a href="http://www.europe1.fr/international/etats-unis-les-ventes-de-musique-au-plus-haut-depuis-une-decennie-grace-au-streaming-3607256">streaming</a> est en train de réanimer le marché !</p>
<h2>Mais qu’en est-il des revenus versés aux artistes ?</h2>
<p>Les plateformes de streaming ne vont pas autant rémunérer les artistes qu’auparavant avec leurs ventes de disques.</p>
<p>La forte diminution des revenus tirés du streaming et le manque de transparence des contrats entre les plateformes et les maisons de disques ont souvent été critiquées par les syndicats d’artistes. Les artistes n’ont souvent pas accès aux revenus versés par les plateformes aux labels et n’ont conscience que des royalties négociées entre eux et leur maison.</p>
<p>Napster, plateforme la plus généreuse, rémunère les artistes <a href="http://www.multiroom.fr/remuneration-des-artistes-par-les-services-de-streaming-en-2017/">0,016$</a> par écoute tandis que pour YouTube, ce n’est seulement que 0,0006$. Pour gagner 100 euros, un artiste doit soit passer 14 fois à la radio, soit vendre 100 albums, soit être écouté 250 000 fois sur un site de streaming payant… et en moyenne un <a href="http://elise.news/2016/03/infographie-cd-radio-streaming-inegalite-remuneratrice/">million</a> de fois sur un site de streaming gratuit !</p>
<p>En moyenne, ces plateformes proposent un abonnement à 9,99 euros par mois. La répartition de ce revenu représente : 1,99 euros pour les taxes dues à l’état, 1 euro pour les droits d’auteurs, 6,54 euros pour les intermédiaires (70 % pour les producteurs et 30 % pour les plateformes de streaming) et enfin seulement <a href="https://culturebox.francetvinfo.fr/musique/selon-l-adami-les-artistes-ne-profitent-pas-assez-du-streaming-200199">0,46 euros pour les artistes.</a> Le travail autour de sa création va générer un revenu 22 fois supérieur à ce qu’il va rapporter à l’artiste.</p>
<p>Ces services comptent 1 273 millions d’utilisateurs mais seulement 93 millions ont souscrit un service payant. Même si le streaming donne une bonne alternative à l’écoute de la musique, elle ne représente plus un revenu suffisant pour les artistes, et ne sera donc profitable qu’aux artistes de renoms.</p>
<p>Au niveau des artistes, les avis divergent, <a href="http://time.com/3554468/why-taylor-swift-spotify/">Taylor Swift</a> a décidé de retirer toutes ses musiques de la plateforme Spotify, en déclarant :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne pense pas que la musique doit être gratuite, et j’espère que les artistes et leur label décideront un jour du prix de leurs musiques. J’espère qu’ils ne se sous-estiment pas eux-mêmes, ainsi que leur art. »</p>
</blockquote>
<p>Elle a par la suite renégocié un contrat avec plusieurs plateformes pour remettre en ligne ses musiques et avoir des revenus générés par le streaming supérieur à ceux proposés à la base. Ce n’est en revanche possible que pour des artistes du niveau de Taylor Swift.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/214071/original/file-20180410-584-hd0gtc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ed Sheeran.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/7456774820/04414ab026/">NRK P3/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tandis qu’<a href="http://www.bbc.com/news/entertainment-arts-30436855">Ed Sheeran</a> a une vision différente sur le sujet :</p>
<blockquote>
<p>« Ma musique a été écoutée plus de 860 millions de fois, ce qui signifie qu’elle plaît aux gens […] Je joue à guichets fermés en Amérique du Sud, en Corée et en Asie du Sud-Est. Je ne pense pas que je serais capable de faire ça sans Spotify. »</p>
</blockquote>
<p>Avant l’arrivée de ces plateformes de streaming, les artistes émergents devaient s’adapter aux exigences des labels qui leur demandaient à tout prix un tube dans l’album, qui allait devenir un « hit ». Car ce n’était qu’une fois que la chanson rencontré un succès à la radio que des fonds étaient levé pour la communication de l’album et le tournage de clips vidéo.</p>
<p>Le développement de ces plateformes qui entraîne un accès facile au plus grand nombre de personnes va permettre la découverte et l’écoute d’un grand nombre d’artistes peu connus. Grâce à ces sites de partage, de jeunes artistes indépendants souhaitant se faire un nom dans monde de la musique vont pouvoir mettre en ligne leur production sans avoir une maison de disque au préalable et donc par la suite se faire connaître. Le manque de moyen de certains artistes était le principal frein à ceux qui souhaitent être connus, et par la suite pouvoir signer dans une maison de disque.</p>
<p>Reste qu’en 2018, et plus que jamais, les représentations sur scène des artistes émergents, comme pour les artistes reconnus sont leur principale – et parfois unique – source de revenus.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/214075/original/file-20180410-536-1k7h9gx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Revenus des artistes musicaux en 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/la-vente-de-musique-ne-rapporte-quasiment-plus-rien-aux-artistes-972907.html">Billboard/BFM Business</a></span>
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<p><em>Cet article a été co-écrit avec Hubert Basyn, Ali Lefriyekh et Hugo Maurin.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Régis Chenavaz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour gagner 100 euros, un artiste doit passer 14 fois à la radio, vendre 100 albums, être écouté 250 000 fois en streaming payant… ou en moyenne un million de fois en streaming gratuit !Régis Chenavaz, Enseignant-chercheur en économie et marketing, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/927092018-03-04T21:09:33Z2018-03-04T21:09:33ZMusique en ligne : le stream finira par payer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/208793/original/file-20180304-65547-6j1vj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=67%2C156%2C1971%2C1119&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Musique !</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/110360/">Rebel T2i/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Ce texte est publié dans le cadre du partenariat de The Conversation France avec le <a href="http://www.cerna.mines-paristech.fr/Recherche/Chaire-Mines-ParisTech-d-Economie-des-Medias-et-des-Marques/seminar/">Séminaire PSL Écosystèmes de médias</a>. La cinquième séance consacrée à la musique s’est tenue le 12 février. Elle a été animée par Sébastien de Gasquet et Jean Charles Mariani, respectivement Secrétaire général et Directeur de la stratégie numérique d’Universal Music France, et par Margaret Kyle, professeur d’économie à Mines ParisTech.</em></p>
<hr>
<p>Le streaming relance le marché de la musique enregistrée dont le chiffre d’affaires a été divisé par 2,5 entre 2002 et 2015. Les chiffres publiés par le <a href="http://www.snepmusique.com/wp-content/uploads/2018/02/02-2018-DOSSIER-DE-PRESSE-MARCHE-2017.pdf">SNEP</a> font état d’une croissance de 23 % du streaming en 2017, dont 82 % des revenus proviennent des abonnements payants. À l’heure où Spotify annonce son entrée en bourse, le streaming payant pèse 42 % du marché français. Mais au-delà de ce retournement, c’est l’ensemble du modèle économique de la musique qui doit se reconstruire.</p>
<h2>Un écosystème touffu</h2>
<p>La musique enregistrée à des fins commerciales relève d’un <em>process</em> bien plus complexe que la pratique d’amateur. Et pour cause, l’économie doit y être créée de toutes pièces et opérer à très large échelle. Car la musique est un produit de masse, ses titres se comptent en dizaines de millions, ses consommateurs en milliards. Pour encadrer ces échanges économiques – des millions de disques, des milliers de milliards de clics –, il faut structurer des transactions tout au long du processus créatif, puis dans la médiatisation et la distribution des enregistrements. C’est le rôle des institutions de propriété intellectuelle et du droit des contrats. À quoi s’ajoutent les effets externes de la médiatisation par la radio ou les performances en concert.</p>
<p>L’ensemble de ces transactions et de leurs effets externes sont couverts par des métiers et des organisations industrielles spécifiques : auteurs, compositeurs, interprètes, producteurs, distributeurs, radios, détaillants, sociétés de gestion collective des droits…</p>
<p>La numérisation affecte l’ensemble de cet écosystème : le <strong>protocole éditorial</strong> de la musique, déterminé par des conditions institutionnelles, techniques, et économiques (<a href="https://theconversation.com/les-ecosystemes-de-medias-approche-economique-et-institutionnelle-86667">voir la première séance</a>) se transforme en mille endroits.</p>
<p><strong>Sébastien de Gasquet</strong> détaille la mécanique institutionnelle des contrats accompagnant la création musicale où interviennent auteurs, compositeurs, et interprètes des enregistrements. Ces contrats sont assis sur des droits d’auteur et des droits dits <em>voisins</em> aux règles codifiées.</p>
<p>Outre ces règles de propriété intellectuelle, le dispositif contractuel fixant les interventions des talents et des producteurs est structuré par l’intensité capitalistique de chaque activité. Ainsi, les relations entre le producteur et les interprètes sont-elles encadrées en France par le droit du travail ; les conflits entre artistes et producteurs sont arbitrés aux prud’hommes.</p>
<p>Cette architecture contractuelle – des dizaines d’intervenants parfois pour un seul titre – explique la lourdeur transactionnelle de l’industrie et les économies d’échelle dans la gestion des catalogues et la distribution des œuvres.</p>
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<p>La numérisation réduit les coûts de production des enregistrements, permettant désormais aux interprètes de s’autoproduire. Le succès du rap et du hip-hop fait surgir de nouvelles fonctions créatives – <em>beatmaker</em>, <em>topliner</em>, <em>punchliner</em> – jusqu’alors absentes des contrats. L’introduction de logiciels ou d’intelligence artificielle laisse entrevoir de nouveaux modes de création. En outre, les artistes peuvent se médiatiser eux-mêmes via les réseaux sociaux.</p>
<p>Certes, les fan-clubs des yéyés rendaient les mêmes services, mais la combinaison de Facebook, Twitter et Instagram amplifie considérablement le phénomène. Dès lors, l’artiste n’est plus un salarié, mais un entrepreneur cherchant à développer sa marque éditoriale. En résulte une mue du producteur et de la syndication des moyens d’enregistrement et de promotion des artistes.</p>
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<p>Enfin, la distribution numérique change l’exposition, la « mise en place » et la vente au détail de la musique. La dématérialisation abolit, certes, des coûts logistiques – impression, stockage, retours – mais elle en crée d’autres pour construire les plateformes, exposer les nouveautés, attirer les consommateurs vers des services payants.</p>
<p>Si la radio conserve un rôle essentiel pour la médiatisation des artistes, elle est concurrencée par YouTube et les réseaux sociaux qui offrent gratuitement une écoute à la demande. Conséquence, le payant se déploie par saccades et ses tarifs restent bas. Malgré ses 70 millions d’abonnés payants, Spotify est accusé de retards de paiement et affiche des pertes autour de 600 millions de dollars.</p>
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<h2>Retour vers le futur</h2>
<p>Comment en est-on arrivé là ? L’histoire de l’industrie musicale des 35 dernières années est un scénario insensé. Tout commence en 1983 avec l’arrivée du CD, une invention quasi-miraculeuse présentée en grande pompe au journal télévisé…</p>
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<p>On y voit un journaliste scientifique s’étonner de ce que la musique, autant dire la gaudriole, s’invite dans les progrès de l’électronique. En fait, la musique ouvre à la technologie un champ d’application très grand public. Ce rapprochement d’un art très populaire, générateur de modes, et d’une technologie porteuse d’effets de réseau va formidablement prospérer durant toute la phase de déploiement d’Internet.</p>
<p><strong>Jean‑Charles Mariani</strong> retrace l’ensemble des avatars ayant conduit de l’encodage numérique à la révolution du streaming. Le point-clé de cette saga est la complémentarité du média et des équipements. Elle offre d’abord au marché de la musique le boom de la substitution du CD au vinyle. Dans les années 1980 et 1990, les consommateurs rachètent leurs discothèques. Viennent les années 2000 et le déploiement d’Internet. Dans un retournement inouï, la copie du CD qui nourrit le piratage livre aux opérateurs télécoms, équipementiers et autres acteurs du web, des subventions en nature pour déployer leurs marchés.</p>
<p>Le passage du MP3 aux générations successives de <em>peer-to-peer</em>, puis à l’iPod emportant des bibliothèques extraites du CD ou piratées en ligne, le lancement du premier Music Store, le naufrage des systèmes de cryptage (les DRMs), noyés dans l’océan des MP3, et finalement, après déploiement complet des réseaux et des terminaux, la stabilisation progressive du modèle du streaming restaurant le respect des droits, tous ces épisodes dessinent une trajectoire industrielle et technique digne des meilleures séries d’Hollywood.</p>
<p>La conséquence économique de cette métamorphose n’est pas, comme dans le cas du CD, la substitution d’un support par un autre. Pas plus que l’effacement du support au profit d’un clone immatériel comme le proposait le Music Store d’Apple. La rupture vient de l’élargissement de l’accès, de l’abonnement à d’immenses catalogues. Car derrière la façade égalitaire de l’abonnement, se construit une nouvelle répartition des gains, une tarification de la musique à l’écoute.</p>
<p>L’industrie doit donc passer d’un modèle basé sur la vente de disques à un autre où la recette dépend du clic, c’est-à-dire de l’écoute effective des titres proposés. Cette transformation qui affecte tous les signaux économiques du secteur est bien plus qu’un simple changement de support.</p>
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<h2>L’économie des plateformes</h2>
<p>Les médias s’adressent à des consommateurs aux préférences très variées. Ils doivent donc s’efforcer de discriminer les consommateurs en sorte de vendre les produits à ceux qui les valorisent le plus. Les techniques de discrimination sont très nombreuses. Le cinéma pratique une discrimination temporelle – la chronologie des médias – proposant successivement les films à des consommateurs de moins en moins-disant. Mais la technique la plus courante, surtout lorsque les coûts marginaux de diffusion sont faibles, est la vente groupée permettant au consommateur de choisir lui-même ses produits préférés.</p>
<p>Un journal, une revue, un CD, un service de télévision payante fonctionnent selon ce modèle. Le consommateur achète le bouquet et choisit ses articles, ses titres, ses programmes préférés. Le risque est, comme l’explique <strong>Margaret Kyle</strong>, que le consommateur apprécie moins ce qu’il consomme et se lasse de payer pour tout ce qu’il ne consomme pas.</p>
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<p>Dès lors, plus l’offre groupée est large, plus elle attire de consommateurs avec de bonnes chances de les retenir. En cela, l’offre de streaming est a priori plus attractive que celle du CD pour autant que le consommateur – voire lui et sa famille – soit prêt à payer mensuellement le prix d’un CD pour accéder à des millions de titres. On en est là. L’IPO de Spotify devrait consacrer cette étape.</p>
<p>Cependant, la nouveauté radicale des plateformes numériques est qu’elles permettent de suivre, voire de profiler, l’utilité de chaque consommateur et de rémunérer le producteur (et les artistes) au prorata de la consommation de chaque titre. Ni les journaux papier, ni les revues, ni les CDs ne permettaient ce traçage individuel. C’est cette étape qui s’ouvre avec la stabilisation de l’écosystème musical : les grands acteurs du secteur – les majors et les plateformes – vont devoir traiter les milliards de données de consommation individuelle pour positionner leur offre, discriminer les tarifs, contracter avec les autres parties, fixer les règles d’achats de droits et de retour aux artistes. La discrimination numérique est en marche. Dans la musique comme dans la presse en ligne, la vidéo à la demande, comme déjà chez Uber ou Airbnb, les <em>data scientists</em> ont de beaux jours devant eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92709/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Bomsel est Professeur à MINES ParisTech, institution membre de PSL. La Chaire qu'il dirige a reçu des financements de divers groupes industriels de médias dont Vivendi.</span></em></p>Le streaming relance le marché de la musique enregistrée dont le chiffre d’affaires a été divisé par 2,5 entre 2002 et 2015. Mais l’ensemble du modèle économique de la musique doit être reconstruit.Olivier Bomsel, Senior Researcher (HDR) and Professor, Director of the MINES ParisTech Chair of Media and Brand Economics, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/656382016-09-27T04:36:02Z2016-09-27T04:36:02ZPourquoi toutes les chansons commerciales sonnent pareil<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138818/original/image-20160922-22509-1qm3wq6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les effets sonores produisent-ils une musique standardisée?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mybloodyself/75483334">Dan Machold/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>S’il vous arrive d’écouter les radios grand public, vous avez peut-être l’impression que toutes les chansons se ressemblent. En réalité, ce n’est pas qu’une impression : la science semble confirmer que la musique pop revêt une forme assez homogène depuis ses débuts, et tend à le devenir de plus en plus.</p>
<p>Dans une étude de 2014, des chercheurs américains et autrichiens ont analysé <a href="https://mic.com/articles/107896/scientists-finally-prove-why-pop-music-all-sounds-the-same">plus de 500 000 albums</a> issus de 15 genres musicaux et 374 sous-genres. La complexité de chaque genre et son évolution dans le temps a été mise en regard avec les ventes d’albums. Et dans presque tous les cas, les chercheurs ont découvert que plus un style devient populaire, plus le son qui y est associé se standardise.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138822/original/image-20160922-22521-ehvlzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138822/original/image-20160922-22521-ehvlzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138822/original/image-20160922-22521-ehvlzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138822/original/image-20160922-22521-ehvlzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138822/original/image-20160922-22521-ehvlzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138822/original/image-20160922-22521-ehvlzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138822/original/image-20160922-22521-ehvlzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L'impression diffuse que tous les titres se ressemblent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">pexels</span></span>
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<p>En soi, ça ne veut pas dire grand-chose, dans la mesure où, en musique, de nouveaux genres et sous-genres apparaissent sans cesse. On pourrait même dire que cette découverte est une forme de truisme : évidemment, quand les codes d’un genre musical sont bien établis, ce genre devient de plus en plus populaire, et une fois qu’il s’est installé dans le paysage musical, un nouveau genre (ou sous-genre) « rebelle » apparaît. C’est par exemple le cas de la funk music, née de la soul et du RnB, mais avec des basses et des rythmiques beaucoup plus prononcées.</p>
<p>En 2012, une autre étude <a href="http://www.nature.com/articles/srep00521">s’est penchée sur l’évolution de la musique pop occidentale</a> en utilisant un fonds d’archives impressionnant, le <a href="http://labrosa.ee.columbia.edu/millionsong/">« Million Song Dataset »</a>, qui renferme des données très détaillées sur le contenu de chaque chanson. Les chercheurs ont découvert qu’entre 1955 et 2010, la sensation subjective de volume sonore (sonie) des chansons n’a cessé d’augmenter, tandis que leur structure musicale était de moins en moins variée.</p>
<p>Ce ne sont certes que des tendances – mais cette perception d’une homogénéisation du paysage musical, partagée par bien des auditeurs, semble s’accélérer ces dernières années, peut-être à cause de certaines évolutions technologiques.</p>
<h2>La guerre du volume</h2>
<p>La <a href="http://www.cnet.com/uk/news/is-dynamic-range-compression-destroying-music/">compression dynamique du son</a> est l’ajustement automatisé de la dynamique sonore pour augmenter la sensation subjective de volume sonore (sonie) tout en gardant le même niveau maximal lors du mastering des albums et de leur diffusion radio. Ce système devait au départ réduire les trop grandes variations de volume dans un même titre.</p>
<p>Mais un usage trop systématique de la compression a abouti à une <a href="https://musicmachinery.com/2009/03/23/the-loudness-war/">« course au volume » (« loudness war »)</a>. La faute au musicien qui ne veut pas sonner moins fort que les autres, au producteur qui veut créer un « mur sonore », aux ingénieurs du son qui ajustent le volume au cours de l’enregistrement, à ceux qui préparent le son pour le diffuser à la radio et enfin aux radios eux-mêmes, qui cherchent à attirer un maximum de d’auditeurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137538/original/image-20160913-19222-15gdk94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137538/original/image-20160913-19222-15gdk94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137538/original/image-20160913-19222-15gdk94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137538/original/image-20160913-19222-15gdk94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137538/original/image-20160913-19222-15gdk94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137538/original/image-20160913-19222-15gdk94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137538/original/image-20160913-19222-15gdk94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Poussez le volume.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jeff Wilson</span></span>
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<p>Mais le pire de cette course au volume est peut-être derrière nous. Les spécialistes de l’audition s’inquiètent désormais des dommages provoqués par l’exposition fréquente et prolongée à <a href="http://www.sfxmachine.com/docs/loudnesswar/loudness_war.pdf">des volumes sonores trop élevés</a>, tandis que les musiciens dénoncent ses dégâts sur la <a href="http://articles.latimes.com/2008/aug/30/entertainment/et-code30">qualité du son</a>. Une journée annuelle de la compression <a href="http://dynamicrangeday.co.uk/">(Dynamic Range Day)</a> a même été organisée pour sensibiliser à la question, et l’organisation à but non lucratif <a href="http://www.turnmeup.org/">Turn me Up ! !</a> a été créée pour promouvoir des enregistrements dont la gamme dynamique est plus étendue. Les organisations de normalisation ont aussi mis en place des recommandations sur la mesure du volume et de la dynamique sonore à l’usage des radios. Autant d’initiatives qui montrent que la course au volume tend à s’essouffler.</p>
<h2>Auto-tune</h2>
<p>Il y a une autre tendance, qui, elle, semble s’installer dans la durée : l'usage de l'auto-tune. Il s’agit à l’origine de l’invention d’un ingénieur de l’industrie pétrolière, qui sert aujourd’hui à corriger la tonalité des chanteurs, et dont les producteurs de musique usent et abusent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137562/original/image-20160913-4980-1ffd93d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137562/original/image-20160913-4980-1ffd93d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137562/original/image-20160913-4980-1ffd93d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137562/original/image-20160913-4980-1ffd93d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137562/original/image-20160913-4980-1ffd93d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137562/original/image-20160913-4980-1ffd93d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137562/original/image-20160913-4980-1ffd93d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">C’est une banale conversation qui a mené à l’invention de l’auto-tune.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Antares</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>De 1976 à 1989, Andy Hlidebrand a travaillé dans l’industrie pétrolière, où il interprétait des données en rapport avec l’activité sismique. Il envoyait des ondes sonores dans le sol pour le cartographier et connaître les sites à explorer afin d’y puiser du pétrole. L’ingénieur – surnommé <a href="http://www.antarestech.com/about/dr-andy.php">Dr Andy</a> – a aussi étudié la composition musicale à l’Université Rice de Houston, au Texas, et s’est servi de ses connaissances dans les deux domaines pour développer des outils de traitement audio – dont le plus connu est sans conteste l'auto-tune.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137539/original/image-20160913-19266-1ohyox0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137539/original/image-20160913-19266-1ohyox0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137539/original/image-20160913-19266-1ohyox0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137539/original/image-20160913-19266-1ohyox0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137539/original/image-20160913-19266-1ohyox0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137539/original/image-20160913-19266-1ohyox0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137539/original/image-20160913-19266-1ohyox0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une révolution discutable ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">believekevin</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Lors d’un dîner, l’une des convives lui a lancé un défi : inventer un outil qui l’aiderait à chanter juste. En se fondant sur la technologie du vocodeur de phase, qui utilise les maths pour manipuler la représentation des signaux sous forme de fréquence, Hildebrand a imaginé des techniques qui permettent d’analyser et de traiter le son pour produire des sons harmonieux. Sa société, Antares Audio Technologies, a lancé l’auto-tune fin 1996.</p>
<p>À l’origine, l’auto-tune sert à corriger ou dissimuler les fausses notes. Le procédé permet de déplacer la hauteur d’une note vers le demi-ton le plus proche (c’est à dire vers l’intervalle musical le plus proche dans la musique tonale occidentale, fondée sur la gamme tempérée)</p>
<p>Au départ, l’auto-tune était équipé d’un régulateur paramétrable entre 0 et 400 millisecondes pour déterminer à quelle vitesse la note passait à la hauteur souhaitée. Mais rapidement, les ingénieurs du son se sont rendus compte que ce régulateur pouvait servir à déformer les voix et à les faire bondir d’une note à l’autre tout en sonnant toujours parfaitement juste. En plus, l’utilisation de cet effet donne une texture artificielle à la voix, qui sonne presque comme un synthétiseur – un effet qui irrite ou qui plaît en fonction des goûts musicaux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5Uu3kCEEc98?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Cet effet inédit est devenu la marque de fabrique de Cher avec son hit de 1998, « Believe », le <a href="http://www.theverge.com/2013/2/27/3964406/seduced-by-perfect-pitch-how-auto-tune-conquered-pop-music">premier titre commercial</a> dans lequel les « effets secondaires » d'auto-tune sont parfaitement assumés et audibles.</p>
<p>Bien sûr, comme pour beaucoup d’autres effets audio, les ingénieurs comme les artistes ont trouvé le moyen d’utiliser l’auto-tune de façon créative, en le détournant de son objectif initial. Hildebrand s’en étonne lui-même : « Je n’aurais jamais imaginé qu’une personne saine d’esprit puisse faire ça », <a href="http://www.dolphinmusic.co.uk/article/3244-auto-tune-why-pop-music-sounds-perfect.html">dit-il</a>. Et pourtant Auto-Tune et ses concurrents comme <a href="http://www.celemony.com/en/melodyne/what-is-melodyne">Melodyne</a> font désormais partie intégrante du paysage musical (amateur ou professionnel, tous styles confondus), tant pour ses applications classiques que pour ses possibles détournements.</p>
<p>L’effet est devenu si banal que tous les enregistrements de pop commerciale se doivent de l’utiliser ; Pour les critiques, c’est une des raisons pour lesquelles tant de chansons <a href="https://www.theguardian.com/music/2012/jul/27/pop-music-sounds-same-survey-reveals">sonnent pareil</a>, même si la course au volume et la surproduction musicale y sont aussi pour quelque chose. Et parmi les plus jeunes – ceux qui ont grandi en écoutant de la musique « auto-tunée » – beaucoup pensent que le chanteur n’a pas de talent si sa voix n’a pas été trafiquée.</p>
<p>L'auto-tune est devenu un sujet de blagues sur les médias sociaux, à la télévision et à la radio ; <em>Time Magazine</em> l’a même nommé parmi les « 50 pires inventions de tous les temps ». Cela étant, l’effet auto-tune continue à faire son chemin, que ce soit sous forme subtile ou de manière plus visible. Alors, si vous n’arrivez pas à distinguer un <a href="http://6thfloor.blogs.nytimes.com/2011/08/12/love-letter-to-auto-tune-final-installment/?_r=0">titre de Chris Brown</a> d’une <a href="http://www.musicradar.com/news/tech/kanye-west-says-auto-tune-makes-him-a-better-singer-185278">chanson de Kanye West</a>, c’est peut-être la faute de Dr Andy.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joshua Reiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’invention d'un ingénieur du secteur pétrolier a révolutionné le monde des tubes musicaux.Joshua Reiss, Reader, Centre for Digital Music, Queen Mary University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/585352016-04-28T04:33:57Z2016-04-28T04:33:57ZLoué soit Prince<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/120379/original/image-20160427-30970-jiz0lz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La guitare de Prince dans l’expositions American Music History à Washington, DC.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ejk/417442724/in/photolist-CTvbm-oyhark-4kwN-eGM5b-4JsYjv-4vVEEQ-cuS6TN-4JxcQj-UmG2J-4JxcZj-GscmBQ-4Jxd8Y-fxTWv-e8uqk-qXRcHh-4fCeD8-no4N4J-fqLc1j-axgus3-gYb65B-d5zBRU-axgu6y-5ubRKm-axdMJM-DSN3M-AbdWu-8Bfadp-axdMRz-8BifQb-iZQvp-pZUUZm-8Bifv5-83uoxW-83rhu8-7tsUV4-zRGe-7pps9T-5z3u7F-2MLFxr-9aJ6tQ-jsSnFi-5HHWoh-7e5FdH-5HHXSu-n6CkTx-7e5McB-f8Z7ge-5QzwQs-7e9Dgs-7e5MUp">Eric/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’annonce de la disparition de Prince, le jeudi 21 avril 2016, à son domicile dans la banlieue de Minneapolis, a aussitôt donné lieu à une multitude de commentaires, tweets, déclarations et vibrants hommages. Vedettes et anonymes, proches et fans, personnalités du monde des médias, de la chanson, du cinéma, de la mode, de la politique, chacun s’est empressé de célébrer l’homme, son génie et son œuvre, de témoigner de sa douleur et d’affirmer sa reconnaissance et sa gratitude pour ce que nous a apporté et légué Prince.</p>
<p>Depuis quelques jours, l’ensemble du corps social s’est constitué en un immense chœur funèbre et fait entendre un chant mêlant louanges et célébration, deuil et désespoir, amour et admiration, gratitude et bénédiction. Chaînes de télévision, ondes radiophoniques, pages des magazines et quotidiens, réseaux sociaux, sites Internet, blogs et forum, rues de France ou des États-Unis sont devenus autant de lieux de diffusion de ce chant unanime ; lieux de célébration, lieux de mémoire, lieux de recueillement.</p>
<h2>Une légende en train de s’écrire</h2>
<p>Ces messages (tenant à la fois de la messe de requiem et de l’hommage) sont les premiers mots d’un récit qui s’écrit, d’une légende qui se construit, d’un mythe qui s’élabore et commence à se diffuser. Le récit s’enrichit déjà de versions nouvelles. Messages postés sur
Twitter, communiqués, articles de journaux, puis bientôt, à n’en pas douter, biographies dressent ou vont dresser un portrait, livrer une histoire toujours plus détaillée et laudative. Le récit écrit, est aussi oral (alimenté par les déclarations, les discours, les commentaires, puis ou déjà les conférences, les cours…).</p>
<p>Il est rapidement récit iconographique (bientôt composé de peintures, photographies, dessins, expositions de photographies, parfois bandes dessinées) ; récit audiovisuel, avec la réédition à venir de films, l’organisation de rétrospectives, mais aussi, faisons-en le pari, la production de téléfilms, documentaires, fictions, l’édition ou la
réédition de vidéos, de DVD, ou encore l’édition et la réédition de disques, de compilations, de disques hommages, de <em>tribute</em> concerts…). La scène théâtrale va devenir à son tour lieu de mémoire et de construction et diffusion de ce récit (créations de pièces de théâtre, de comédies musicales…) ; jusqu’au web qui pourrait voir se multiplier pages, blogs, forums, sites consacrés au grand disparu et qui contribueront à la production et la diffusion de ce récit.</p>
<p>L’histoire du grand disparu est composée d’un certain nombre de motifs et dimensions que l’on retrouve de façon assez systématique. C’est ce que révèle l’analyse des biographies de grandes vedettes disparues telles que <a href="https://volume.revues.org/2108">Elvis Presley</a>, Michael Jackson, Jim Morrison, Dalida, Édith Piaf, Claude François, mais aussi James Dean, Marilyn Monroe, ou encore Che Guevara ou <a href="http://www.armand-colin.com/fans-de-9782200283117">Lady Di</a>… C’est que semble déjà démontrer aujourd’hui une rapide étude des messages, des témoignages, des textes produits depuis quelques jours à l’occasion de la disparition de Prince. Le récit de la vie de ces disparus articule souvent sinon systématiquement trois dimensions qui sont celles de la sainteté et qui structurent le récit de la vie des saints (existences compilées au XIII<sup>e</sup> siècle par Jacques de Voragine dans <a href="http://www.seuil.com/livre-9782757840238.htm"><em>La légende dorée</em></a>). On les retrouve, ainsi que l’a démontré Nathalie Heinich, dans <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2109"><em>La légende de Van Gogh</em></a>.</p>
<h2>Vocation, sacrifice et amour</h2>
<p>La narration de l’enfance de la vedette met en scène la dimension vocationnelle de son existence (et les motifs de l’élection et de la prédestination, de l’autodidaxie et de la précocité, de l’appel et de la révélation). Nombreux sont les commentaires parus dans la presse ou les médias faisant état de ces qualités et attributs de Prince :</p>
<blockquote>
<p>[…] Le petit prodige […] Prince Rogers Nelson manifeste des dispositions précoces pour la musique, composant sa première chanson (« Funk Machine ») à l’âge de sept ans <a href="http://www.lefigaro.fr/musique/2016/04/22/03006-20160422ARTFIG00004-prince-le-geant-de-la-pop-et-du-funk-est-mort.php">sur le piano familial</a>.</p>
</blockquote>
<p>L’artiste sacrifie tout à cette vocation selon un récit qui s’enrichit d’une dimension sacrificielle et pathétique. Elle est émaillée des motifs de l’enfance sacrifiée, de la misère économique et sociale, de la solitude, de la fêlure ou des complexes, des blessures et de la
quête, du martyr, du sacrifice, de l’inaptitude au bonheur (en raison notamment de l’esprit rebelle, de l’anticonformisme, de la soif de liberté qui expliquent tout à la fois la singularité de la personne et le caractère novateur de l’œuvre) et du prix à payer : la gloire, le statut de vedette, le talent, le génie, le culte des fans ont en effet un prix : la santé physique, morale psychique, et souvent la mort comme sacrifice ultime.</p>
<p>À nouveau, les commentaires, témoignages, reportages, articles et hommages donnent à voir, à lire, à entendre le sacrifice et ses corollaires : il laisse l’image d’un homme <a href="http://www.lefigaro.fr/musique/2016/04/22/03006-20160422ARTFIG00004-prince-le-geant-de-la-pop-et-du-funk-est-mort.php">« dévoré par son art »</a>, qui <a href="http://www.leparisien.fr/laparisienne/actu-people/personnalites/mort-de-prince-avec-lui-je-ne-dormais-jamais-22-04-2016-5736459.php">ne dormait jamais</a> et consacrait chaque minute de sa vie à créer, composer, jouer, pour notre plus grand bonheur (selon les témoignages de fans ou collaborateurs de l’artiste). <a href="http://www.leparisien.fr/laparisienne/actu-people/personnalites/mort-de-prince-souvenir-d-une-breve-rencontre-22-04-2016-5736235.php">« Prince respirait la musique, ne vivait que pour ça »</a>, pour « sa quête perpétuelle du son Graal », pris de <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20160422.OBS9064/prince-des-centaines-d-inedits-dans-les-studios-de-paisley-park.html">« crise de boulimie scénique »</a>.</p>
<p>La dimension christique, enfin, compose ce récit et achève de le constituer en récit hagiographique. Amour du prochain, vertus chrétiennes, bonté, générosité, don de soi, dévouement, consécration, altruisme, participation à la construction d’un monde meilleur et à
l’avènement du bonheur sur terre, délivrance d’un message de paix, en sont les thèmes principaux. Nombreux sont les messages et les textes consacrés à Prince qui soulignent l’importance du « don » de Prince, du bonheur reçu, et qui affirment la nécessaire gratitude : « Merci de nous avoir tant donné » déclare ainsi la <a href="http://www.leparisien.fr/laparisienne/actu-people/mort-de-prince-les-artistes-saluent-un-musicien-de-genie-21-04-2016-5734671.php">chanteuse Kathy Perry</a>.</p>
<h2>Aux côtés d’Elvis, Michael, Lady Di et les autres…</h2>
<p>L’existence ainsi racontée se structure souvent autour de quatre phases, déjà observées par Heinich dans le traitement biographique de Van Gogh et que j’ai pu observer à mon tour dans celui de nombreuses vedettes disparues : rejet (de l’artiste et son œuvre, incompris d’abord parce que novateurs), dénoncée comme provocante (elle est ainsi à l’origine du « Parental advisory » qui indique sur les pochettes des disques que leur contenu est provoquant), puis déviation (l’adhésion d’un groupe d’aficionados précurseurs, experts et fans), réconciliation (la reconnaissance unanime du génie créateur) et enfin célébration (les gestes de cette reconnaissance qui se traduit par le culte, les formes de célébration et pèlerinages). Cette succession de phases met en scène une existence qui prend les traits d’une lutte contre l’adversité, d’une revanche sur un destin contraire, d’une ascension. On y trouve les motifs de l’unicité, la singularité, l’exceptionnalité de la personne, de son œuvre, de son destin, l’affirmation de son génie, de son talent.</p>
<p>Les messages et témoignages qui se multiplient ces derniers jours à propos de Prince ne semblent pas déroger à la règle. Ils racontent déjà cette adversité, cette ascension, cette unanimité conquise de haute lutte, et ils affirment l’exceptionnalité de l’homme de l’artiste, de l’œuvre et de cette destinée. Les superlatifs ne manquent pas : « génie », « bête de scène », « incomparable », « incroyable », « artiste total », « personnalité surdimensionnée », « légende », « star planétaire », « surdoué », « virtuose de la guitare », « danseur hors pair », « unique », « exceptionnel », « prodige » « sommité », « hors du commun », « surnaturel ».</p>
<p>Les commentaires, hommages et témoignages sur le chanteur, commencent ainsi déjà à organiser un récit légendaire qui fait entrer Prince dans le cercle prestigieux des artistes sanctifiés, aux côtés d’Elvis, Michael, Lady Di et les autres…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=184&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=184&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=184&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=231&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=231&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120378/original/image-20160427-30976-1h28ym3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=231&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Prince.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/cultureculte/2307719708/in/photolist-4vVEEQ-cuS6TN-4JxcQj-UmG2J-4JxcZj-GscmBQ-4Jxd8Y-fxTWv-e8uqk-qXRcHh-4fCeD8-no4N4J-fqLc1j-axgus3-gYb65B-d5zBRU-axgu6y-5ubRKm-axdMJM-DSN3M-AbdWu-8Bfadp-axdMRz-8BifQb-iZQvp-pZUUZm-8Bifv5-83uoxW-83rhu8-7tsUV4-zRGe-7pps9T-5z3u7F-2MLFxr-9aJ6tQ-jsSnFi-5HHWoh-7e5FdH-5HHXSu-n6CkTx-7e5McB-f8Z7ge-5QzwQs-7e9Dgs-7e5MUp-9Rw8DM-pZUUTQ-kXpjGq-7TurbU-e8uq7">Culture Culte/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/58535/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Segré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À peine Prince disparu que la construction de sa légende était en marche. Observations sur cette production multi-médias.Gabriel Segré, Maître de Conférences HDR, Sociologie de l'art, culture et médias, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/583412016-04-25T04:40:17Z2016-04-25T04:40:17ZLa quête de Prince pour le contrôle artistique total a marqué l’industrie musicale à jamais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/119941/original/image-20160424-22383-1wcbibb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C60%2C668%2C373&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Prince fait une apparition surprise durant un épisode live d’« American Idol » en 2006.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://pictures.reuters.com/Package/2C0BF1F6GA5QT#/SearchResult&ALID=2C0BF1F6GA5QT&VBID=2C0BX425XO9D&POPUPPN=1&POPUPIID=2C0BF1FH86RY2">Chris Pizzello/Reuters</a></span></figcaption></figure><p>La mort du Kid de Minneapolis signe la fin du parcours exceptionnel de l’un des artistes les plus talentueux et éclectiques de la musique pop. Multi-instrumentiste virtuose, maître arrangeur, producteur à succès et immense <em>showman</em>, Prince est l’auteur d’une musique variée, à l’image de ses nombreux talents.</p>
<p>Mais c’est sa quête d’une liberté artistique totale – et des protections légales qui vont avec – qui laissera une empreinte majeure. Ses combats répétés – et médiatisés – avec l’industrie du disque, les services de <em>streaming</em> et les utilisateurs de réseaux sociaux ont poussé d’autres artistes à demander la même liberté pour avoir, eux aussi, leur part du gâteau.</p>
<h2>Talent précoce</h2>
<p>En 1978, à 19 ans, Prince signe avec Warner Bros et sort un premier album, <em>For You</em>. Il se voit crédité pour avoir joué chaque instrument et chanté chaque partie vocale de l’album, une pratique contraire à celles en cours à l’époque. Cet épisode marqua la naissance d’une mégastar qui allait profondément marquer la musique des années 1980.</p>
<p>La plupart des albums de l’époque s’appuyait sur une armée de producteurs, d’arrangeurs, de compositeurs et de musiciens. L’album <em>Off the Wall</em> de Michael Jackson (1979), par exemple, se targue d’avoir fait travailler pres de 40 musiciens et pas moins de 15 compositeurs et arrangeurs. Même s’il n’a peut-être pas atteint le succès triomphal escompté, <em>For You</em> a révélé le génie naissant de Prince et son désir de contrôler l’intégralité de sa production musicale pour servir sa vision artistique.</p>
<p><em>For You</em> fut le premier d’une longue série d’albums studio que Prince produisit avec la Warner Bros. La sortie de deux autres opus, <em>1999</em> (1983) et <em>Purple Rain</em> (1984) confirmèrent la place unique de l’artiste dans la pop des années 1980.</p>
<h2>Menottes contractuelles</h2>
<p>Au début des années 1990, les relations entre l’artiste et sa maison de disques commencent à se tendre. Après le succès de <em>Diamonds and Pearls</em> (1991), l’artiste signe un contrat pour six albums à 100 millions de dollars avec la major.</p>
<p>La signature du contrat donne lieu à d’interminables négociations et à une bataille à la fois artistique et juridique relative à la propriété du catalogue de l’artiste chez Warner. Le contrat stipulait que Warner possédait l’ensemble des morceaux que Prince avait produit pour l’entreprise. En contrepartie, l’artiste recevait de très importantes sommes d’argent pour continuer à produire des albums dans son studio de Paisley Park Records (Minnesota).</p>
<p>Furieux d’avoir dû céder les droits de sa musique, l’artiste commença à afficher son opposition en apparaissant notamment en public avec le mot <em>slave</em> (esclave) sur la joue. Il en vint même à troquer son nom pour se faire appeler <a href="https://upload.Wikim%C3%A9dia.org/Wikim%C3%A9dia/en/thumb/a/af/Prince_logo.svg/870px-Prince_logo.svg.png">« Love Symbol »</a>, après avoir déclaré la mort de son ancien « moi artistique ».</p>
<p>Pour livrer la production musicale prévue dans le contrat avec la Warner, Prince choisit de fournir à la major des morceaux de musique pré-enregistrée, comme en témoigne l’album <em>Chaos and Disorder</em> (1996), un méli-mélo de chansons écrites à la hâte, défiant Warner et ses exigences.</p>
<h2>Bras de fer continu avec l’industrie du disque</h2>
<p>Le bras de fer entre Prince et la Warner Bros fut si long et médiatisé que la fin de leur collaboration semblait inévitable. Pourtant, les deux parties renouèrent une <a href="http://www.billboard.com/articles/news/6062423/prince-deal-with-warner-bros-new-album-coming">relation de travail</a> en 2014 ; Prince put ainsi récupérer ses droits sur ses premiers albums sortis chez la major.</p>
<p>Prince passa ses dernières années à livrer d’autres batailles contre l’industrie musicale pour s’assurer que son œuvre soit correctement protégée. En 2007, l’artiste et Universal Music <a href="https://scholar.google.com/scholar_case?case=12567649168680108221&hl=en&as_sdt=6&as_vis=1&oi=scholarr">assignèrent ainsi en justice</a> une mère de famille. Pour quelle raison ? Cette dernière venait de poster sur YouTube une vidéo de son fils dansant sur un morceau de Prince.</p>
<p>Toujours en 2014, l’artiste <a href="https://www.scribd.com/doc/201201287/Prince-v-Chodera-Complaint">enchaîna les plaintes</a>
contre 20 personnes qui, selon lui, avaient violé les copyrights protégeant son œuvre, soit en postant un de ses morceaux en ligne, soit en participant à des services de partages de fichiers. Un million de dollars de dommages et intérêts fut réclamé à chaque personne.</p>
<p>Ces actions en justice cherchaient surtout à attirer l’attention sur les problèmes de violation de copyright et dès que les utilisateurs poursuivis arrêtèrent de partager les morceaux, Prince retira sa plainte.</p>
<p>Plus récemment, Prince et d’autres artistes, comme <a href="http://mic.com/articles/121078/taylor-swift-just-took-a-bold-stand-against-i-tunes-and-indie-artists-should-pay-attention">Taylor Swift</a>,
ont demandé à leurs éditeurs en ligne et aux sites de_ streaming_ de verser des royalties plus importantes aux artistes de leurs catalogues. En 2015, Prince <a href="http://variety.com/2015/digital/news/prince-spotify-apple-music-streaming-1201533100/">retira ses albums de la plupart de ses sites marchands</a>, signant une exclusivité <a href="http://www.stereogum.com/1850356/prince-explains-why-tidal-will-win-the-streaming-wars/news/">avec Tidal, la plateforme de JayZ</a>.</p>
<p>Le combat de Prince pour protéger sa production musicale a porté dans de multiples directions. Les arrangeurs vocaux ne peuvent ainsi <a href="http://www.halftimemag.com/features/the-faqs-of-music-licensing.html">plus utiliser la voix de l’artiste</a> comme matériel musical ou pour d’éventuels <em>samples</em>.</p>
<p>Si les 30 albums studio constituent l’héritage de Prince, il restera aussi dans toutes les mémoires pour ses actions de défense des droits des artistes. Tout au long de sa carrière, sa détermination aura pesé lourd, alimentant grandement le <a href="http://www.nytimes.com/2015/08/01/business/media/music-artists-take-on-the-business-calling-for-change.html?_r=0">mécontentement grandissant à l’égard des majors du disque</a> ; un combat que poursuivent aujourd’hui Jay Z, David Byrne ou Neil Young.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/58341/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adam Gustafson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec Prince meurt un génie de la musique, mais également un précurseur dans la rébellion contre l’industrie musicale et ses majors.Adam Gustafson, Instructor in Music, Penn StateLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.