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lobbying – The Conversation
2024-02-08T10:39:34Z
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Comment l’industrie fossile influence les négociations mondiales sur le plastique
<p>Le pétrole règne en maître sur l’univers des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pollution-plastique-81856">plastiques</a>, dont près de 99 % proviennent encore de cette ressource fossile. Leur production a doublé entre 2000 et 2019, atteignant <a href="https://www.oecd.org/fr/environnement/la-pollution-plastique-ne-cesse-de-croitre-tandis-que-la-gestion-et-le-recyclage-des-dechets-sont-a-la-traine.htm">460 milliards de tonnes par an</a>.</p>
<p>Ces plastiques, qui ne se décomposent pas facilement, se retrouvent dans les océans, contaminent les sols et perturbent les écosystèmes, entraînant une <a href="https://www.zero-dechet-sauvage.org/articles/plastique-sante-couts-caches">détérioration de l’environnement et de la santé humaine</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-pollution-plastique-des-cotes-est-largement-sous-estimee-147269">Pourquoi la pollution plastique des côtes est largement sous-estimée</a>
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<p>En 2022, l’Assemblée des Nations unies pour l’Environnement a donc adopté une <a href="https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/journee-historique-dans-la-campagne-de-lutte-contre-la">résolution historique</a> visant à élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, pour lequel un comité intergouvernemental de négociation (CIN) a été mis en place.</p>
<p>Cinq réunions sont prévues sur une période de deux années. La première a eu lieu en Uruguay en décembre 2022, la deuxième en juin 2023 à Paris et la troisième en novembre 2023, au Kenya. La quatrième est planifiée à Ottawa en avril 2024 et la dernière n’est pas encore fixée, mais le texte final doit être prêt en 2025, <a href="https://www.20minutes.fr/planete/4038119-20230526-pollution-plastique-plus-vers-traite-mondial-tout-comprendre-negociations-vont-ouvrir-paris">l’objectif étant de ne plus avoir de pollution plastique en 2040</a>.</p>
<p>Depuis le début, États pétroliers et industrie fossile entendent bien peser dans ces débats afin d’en maîtriser l’issue.</p>
<h2>À Paris, des discussions entravées</h2>
<p>Au démarrage de la réunion à Paris, un groupe de pays – principalement producteurs de pétrole – a entravé les discussions en revisitant des questions de procédures déjà abordées <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1983678/petrole-pollution-accord-paris-bouteille">lors de la première négociation</a>. Leur objectif était de ne pas attaquer le fond du problème, en se focalisant sur les aspects de procédures.</p>
<p>Les délégations de la Russie, de l’Inde, de la Chine, de l’Arabie saoudite, de l’Iran, du Brésil, du Venezuela, d’Oman, de Dubaï et d’Égypte, ont ainsi refusé que le futur traité soit approuvé par un vote à la majorité des deux tiers, si jamais un consensus n’était pas trouvé. En face, une majorité de pays défend le vote comme ultime recours, afin de passer outre une minorité de blocage.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Cette action étonnante, qui a conduit <a href="https://www.leparisien.fr/environnement/negociations-sur-la-pollution-plastique-dernier-jour-pour-arracher-un-compromis-02-06-2023-SF3NNIBESNGGVHHQUFC4ODEMJY.php">à un échec diplomatique</a>, a été vécue comme une prise d’otage par les participants. Société civile et groupes de défense des droits ont exprimé leurs préoccupations quant à l’influence exercée par le lobbying de groupes industriels comme l’American Chemistry Council et Plastics Europe. Leur présence a d’ailleurs été recensée par le média d’investigation <em>Mediapart</em>, qui a décompté, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/020623/dans-les-negociations-sur-le-plastique-les-industriels-ont-depeche-190-lobbyistes">lors des pourparlers à Paris</a>, pas moins de 190 représentants de l’industrie.</p>
<h2>Au Kenya, des négociations qui patinent</h2>
<p>À Nairobi, qui accueillait du 13 au 19 novembre 2023 la troisième session de négociations du traité plastique, les discussions pouvaient se baser sur un avant-projet ou « version zéro » du texte, qui recensait thème par thème les différentes options avancées par les pays lors des réunions précédentes. De la limitation de la production à la gestion des déchets en passant par des interdictions de substances.</p>
<p>Les négociations n’ont toutefois pas permis d’aboutir à une version épurée du texte, ni même de donner mandat au secrétariat pour la préparation d’un premier projet de texte. C’est donc une « version zéro » gonflée de nouvelles options qui en est ressortie, rendant la suite des négociations plus complexes et les risques de blocages <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/traite-mondial-contre-le-plastique-les-negociations-patinent-2030285">encore plus importants</a>.</p>
<p>Ce résultat s’explique par l’opposition de deux approches sur l’objet et le champ du futur traité.</p>
<h2>Deux approches qui s’opposent</h2>
<p>D’un côté, celle promue par la <a href="https://www.tf1info.fr/environnement-ecologie/climat-qu-est-ce-que-la-coalition-de-la-haute-ambition-qui-veut-mettre-fin-a-la-pollution-plastique-d-ici-2040-2258586.html">coalition de haute ambition</a> pour mettre fin à la pollution plastique, présidée par la Norvège et le Rwanda, et rassemblant 60 pays de l’OCDE (sans les États-Unis), de la région Amérique latine-Caraïbes, d’Afrique, des petits États insulaires en développement et les Émirats arabes unis.</p>
<p>La coalition s’appuie sur la résolution de l’ANUE donnant mandat pour traiter l’ensemble du cycle plastique et plaide donc pour un traité ambitieux couvrant l’amont (production de polymères) comme l’aval (gestion rationnelle des déchets).</p>
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<p>De l’autre, celle portée par une coalition annoncée par l’Iran en début de session, qui réunit notamment l’Arabie saoudite, la Chine, la Russie, l’Iran, Cuba et Bahreïn : elle entend limiter le champ du traité à la gestion des déchets et s’oppose à toute régulation de la production.</p>
<p>La présence d’États producteurs de pétrole ainsi que de nombreux représentants de l’industrie parmi les observateurs a pu également créer le sentiment que le souci de défendre les intérêts de la pétrochimie et de l’industrie plastique était particulièrement fort.</p>
<h2>Les COP, hauts lieux de lobbying</h2>
<p>Cette configuration se retrouve dans les coulisses des sommets mondiaux sur le climat. La COP28 qui s’est déroulée à Dubaï du 30 novembre au 13 décembre 2023 sous la présidence controversée <a href="https://www.20minutes.fr/planete/4056734-20231008-cop28-monde-peut-debrancher-systeme-energetique-actuel-selon-president">du sultan Ahmed Al-Jaber</a>, ministre de l’Industrie et des Technologies avancées et PDG du groupe pétrolier Abu Dhabi National Oil Company, en est l’acmé.</p>
<p>Le sultan Al-Jaber a proclamé l’accord évoquant pour la première fois une sortie des énergies fossiles <a href="https://theconversation.com/apres-la-cop28-fin-de-partie-pour-les-energies-fossiles-219859">comme « historique »</a>. Le texte final appelle à une « transition hors des énergies fossiles » pour lutter contre le réchauffement climatique, visant à accélérer l’action afin de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050.</p>
<p>Selon un rapport publié le mardi 5 décembre 2023 <a href="https://www.globalwitness.org/en/press-releases/record-number-fossil-fuel-lobbyists-granted-access-cop28-climate-talks/">par l’ONG Global Witness</a>, la COP a atteint un record en termes de présence de lobbyistes liés aux énergies fossiles. Leur nombre s’élève à 2 456, une augmentation significative par rapport aux 636 lors de la COP27 à Sharm el Sheikh et aux 503 de Glasgow en 2021.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-echapper-a-la-malediction-de-la-rente-fossile-218546">Comment échapper à la malédiction de la rente fossile ?</a>
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<h2>États et lobbys, des liaisons dangereuses</h2>
<p>Les groupes de pression jouent un rôle crucial pour représenter divers intérêts, mais leur influence soulève des questions sur la transparence et l’équité dans l’accès aux décideurs politiques.</p>
<p>Ceux des grandes entreprises s’opposent à l’environnement, car la transition vers une économie respectueuse du climat, de la santé et de la biodiversité les obligerait à revoir leurs modes de fonctionnement. ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et Total, ont dépensé un milliard de dollars en lobbying depuis l’accord de Paris sur le climat entre 2015 et 2019, selon <a href="https://influencemap.org/report/How-Big-Oil-Continues-to-Oppose-the-Paris-Agreement-38212275958aa21196dae3b76220bddc">l’ONG britannique InfluenceMap</a>.</p>
<p>En février 2019, l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO) a également mis en évidence dans un <a href="https://corporateeurope.org/sites/default/files/captured-states-exec-summary-fr.pdf">rapport</a> la relation symbiotique entre les États membres de l’Union européenne et les groupes de pression privés, qui conduit à la défense des intérêts privés au détriment de l’intérêt public et explique le manque de prise en compte des enjeux environnementaux dans les décisions politiques, voire des décisions qui aggravent la situation lors de la signature de traités commerciaux.</p>
<p>Des enquêtes journalistiques et des poursuites judiciaires ont souligné le fait que certaines grandes entreprises du secteur énergétique connaissaient les impacts potentiels du changement climatique tout en finançant des campagnes de désinformation pour semer le doute sur le réchauffement climatique. Des documents internes d’Exxon Mobil ont révélé au public en 2015 que la société était consciente des risques liés <a href="https://trustmyscience.com/scientifiques-exxonmobil-avaient-predit-avec-precision-rechauffement-climatique-annees-1970/">au changement climatique dès les années 1970</a>.</p>
<h2>Quelles perspectives à Ottawa ?</h2>
<p>Dans ce tumulte entre l’industrie fossile, le climat et la pollution plastique, les négociations internationales s’avèrent être un pas de deux complexe.</p>
<p>Les aspirations à éradiquer la pollution plastique d’ici à 2040 se heurtent à des blocages diplomatiques inattendus et à <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/291790-pollution-plastique-pas-daccord-au-kenya-pour-un-traite-international">l’influence massive des lobbyistes des énergies fossiles</a>.</p>
<p>Alors que la prochaine session de l’ANUE en <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/traite-sur-la-pollution-plastique-de-faibles-avancees-a-nairobi.N2196878">avril 2024</a> approche, la question demeure : cette réunion sera-t-elle le début d’une vraie transformation ou un nouvel acte dans ce drame environnemental en cours ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222112/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Shérazade Zaiter est membre d'Avocats sans Frontières et du Centre International de Droit Comparé de l'Environnement.</span></em></p>
Une 4ème session de négociations est prévue en avril à Ottawa pour élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique.
Shérazade Zaiter, Juriste International- Auteure, Université de Limoges
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/219999
2024-01-22T15:31:50Z
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Glyphosate et après : où va le droit des pesticides ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566247/original/file-20231218-21-76ww21.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C12%2C2032%2C1348&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Épandage de pesticides dans les Yvelines, en France.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/yvelines/50342895677/">© Nicolas Duprey / CD 78</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>À l’heure où la Commission européenne a procédé au <a href="https://theconversation.com/le-glyphosate-revelateur-de-linfluence-des-lobbys-industriels-sur-la-science-reglementaire-215604">renouvellement de l’approbation du glyphosate</a> pour une période de dix ans, l’abstention de la France lors du vote interroge.</p>
<p>D’un côté, Foodwatch et Générations futures dénoncent une <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/16/glyphosate-la-decision-de-reautorisation-de-la-commission-europeenne-critiquee62005163244.html">« trahison »</a>, quand Greenpeace pointe le « manque de courage » du gouvernement. De l’autre, l’absence affichée de choix politique pourrait s’interpréter comme un refus, certes timide, de soutenir la proposition européenne.</p>
<p>Le regard sur les pesticides a, en effet, bien changé. S’ils ont été ce « parapluie chimique » à l’abri duquel les cultures industrielles se sont développées, aujourd’hui leurs effets <a href="https://theconversation.com/pesticides-et-biodiversite-les-liaisons-dangereuses-182815">délétères pour l’environnement</a> et la santé sont attestés par un nombre croissant d’<a href="https://www.anses.fr/fr/content/liens-cancers-pediatriques-residence-vignes">études</a>.</p>
<p>Mais changer les modes de protection des cultures pour sortir de la dépendance aux pesticides chimiques revient à <a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">bouleverser les modes de production agricole</a> majoritaires. Trancher en faveur de la transition agroécologique est un vrai choix politique, économique et citoyen difficile à assumer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/glyphosate-vous-avez-dit-probablement-cancerogene-216947">Glyphosate : vous avez dit « probablement » cancérogène ?</a>
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<p>Le droit, qui encadre les conditions d’usage des pesticides et assure le contrôle des risques attachés à leur utilisation, est pourtant un puissant outil à mobiliser pour y parvenir. Les normes juridiques actuelles comprennent effectivement les possibilités de remettre en cause le modèle dominant.</p>
<p>La Constitution française reconnaît elle-même, dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement">Charte de l’environnement</a>, que « certains modes de consommation ou de production » affectent « la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines ». Le droit peut ainsi être un levier essentiel de la transition agroécologique.</p>
<p>Mais face aux intérêts de l’agro-industrie et à la nature diffuse des dommages, les règles relatives à la mise sur le marché et l’usage des pesticides sont largement désarmées. Les juges, saisis par la société civile, sont alors appelés à monter au front.</p>
<h2>Un droit désarmé</h2>
<p>Le droit européen des produits phytopharmaceutiques a pour objet aussi bien le contrôle de l’efficacité de ces produits que la prévention de leurs dangers pour la santé et l’environnement. La réglementation est stricte, puisque tous les produits destinés à protéger les végétaux doivent faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché et ne doivent pas présenter d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine et animale, pas plus que d’effets inacceptables sur la biodiversité et les écosystèmes.</p>
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<p>Par ailleurs, les textes comme le juge affirment que « l’objectif de protection de la santé et de l’environnement […] devrait <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32009R1107">primer</a> sur l’objectif d’amélioration de la production végétale ». C’est que la réglementation repose sur l’illusion d’une maîtrise complète des risques : on peut mettre sur le marché des produits dangereux puisque, dans les conditions d’usage préconisées, ils sont censés ne pas avoir d’effet nocif.</p>
<p>C’est peu dire que les conditions fixées par le droit ne sont pas respectées et ne peuvent pas l’être, sauf à repenser nos modèles de protection des cultures : c’est-à-dire réduire les quantités et la dangerosité, promouvoir l’usage de produits alternatifs moins dangereux, s’orienter vers d’autres modes de phytoprotection, mais aussi modifier les critères de sélection des semences pour les rendre <a href="https://theconversation.com/cereales-les-mils-meilleurs-allies-dune-agriculture-durable-nourriciere-et-resiliente-199051">plus résistantes aux parasites et maladies</a>.</p>
<p>On l’aura compris, vouloir atteindre les objectifs fixés par la réglementation, en termes de protection de la santé et de l’environnement, apparaît de nature à remettre en cause le système de production conventionnel le plus répandu, fondé sur l’utilisation de pesticides chimiques. L’enjeu est donc pour les industriels de désarmer le droit afin de le rendre inoffensif.</p>
<h2>Infiltrer le droit</h2>
<p>Pour ce faire, les efforts se portent principalement sur les données scientifiques produites lors des demandes d’autorisation. Si les stratégies sont diversifiées : données scientifiques faussées, <a href="https://theconversation.com/pesticides-et-sante-ne-pas-ignorer-ce-que-lon-sait-56405">production du doute</a>, mais l’une des plus discrète et efficace est probablement d’infiltrer le processus de production des normes techniques régissant notamment la conduite des évaluations.</p>
<p>La « science réglementaire » qui en est issue produit alors une vision tronquée, étroite, des effets des pesticides sur la santé et l’environnement, là où les études scientifiques et académiques, en adoptant une approche globale et systémique, montrent, au contraire, la diversité des facteurs de risques et la difficulté, voire l’impossibilité, de les <a href="https://www.inrae.fr/actualites/biodiversite-services-rendus-nature-que-sait-limpact-pesticides">contrôler</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-glyphosate-revelateur-de-linfluence-des-lobbys-industriels-sur-la-science-reglementaire-215604">Le glyphosate, révélateur de l’influence des lobbys industriels sur la « science réglementaire »</a>
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<p>Ce sont ainsi les fondements mêmes de la décision publique d’autoriser – ou non – la mise sur le marché d’un produit qui sont biaisés, alors même que cette décision, de nature politique résulte en principe d’une mise en balance des intérêts en présence.</p>
<h2>Contrepoids juridiques insuffisants</h2>
<p>En outre, les contrepoids juridiques que constituent les régimes de responsabilité pénale et civile sont largement inopérants en la matière.</p>
<p>Le droit pénal sanctionne en effet le non-respect des règles d’emploi des produits et vise ainsi les usagers, les agriculteurs en première ligne, et non les responsables de la conception et de la mise sur le marché des pesticides.</p>
<p>Quant au droit de la responsabilité civile, il est inapplicable du fait de l’impossibilité d’établir le lien de causalité indispensable entre l’usage d’un produit et la perte de biodiversité ou la pollution des nappes phréatiques notamment. Reste alors le recours aux juges amenés à contrôler l’action des pouvoirs publics.</p>
<h2>Des juges appelés au front</h2>
<p>Depuis quelques années, la contestation de l’inertie administrative en matière environnementale s’intensifie ; elle n’est pas seulement politique et sociale, mais aussi juridique. C’est ainsi que l’on assiste à une multiplication des procédures juridictionnelles qui s’explique, entre autres, par le travail des associations et l’élargissement de leurs conditions d’accès au prétoire.</p>
<p>Des affaires célèbres (<a href="https://laffairedusiecle.net/">« l’Affaire du siècle »</a>, notamment) ont, par exemple, conduit le juge administratif français à sanctionner la carence de l’État à respecter ses engagements pour diminuer ses émissions de gaz à effet de serre (GES).</p>
<p>Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l’homme est actuellement saisie de plusieurs recours dirigés contre les pays membres du Conseil de l’Europe et pointant leur <a href="https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/fs_climate_change_fra">inaction climatique</a>.</p>
<h2>Des condamnations périodiques</h2>
<p>En matière de pesticides, les juridictions viennent régulièrement rappeler au gouvernement la nature de ses obligations. En 2023, la <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/international/neonicotinoides-la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne-siffle-la-fin-de-la-derogation-551/">Cour de justice de l’UE</a> et le <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/neonicotinoides-pas-de-derogation-possible-a-l-interdiction-europeenne">Conseil d’État</a> ont, par exemple, jugé que les dérogations pour l’utilisation de néonicotinoïdes étaient illégales, dès lors que la Commission européenne avait formellement interdit ce type de pesticide.</p>
<p>Suivant la même logique, le Tribunal de l’Union a, le <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2023-10/cp230153fr.pdf">4 octobre 2023</a>, confirmé l’application du principe de précaution aux produits phytosanitaires, considérant que pour que la demande d’approbation d’une substance active soit refusée il suffit qu’une simple incertitude quant à la présence d’un risque pour la santé puisse être identifiée.</p>
<p>Enfin, dans une décision remarquable, le tribunal administratif de Paris a considéré le <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Espace-presse/Prejudice-ecologique-lie-a-l-utilisation-des-produits-phytopharmaceutiques-l-%C3%89tat-est-condamne">29 juin 2023</a> que l’État a méconnu les objectifs qu’il s’était lui-même fixés en matière de réduction de l’usage des pesticides et l’a condamné à réparer le préjudice écologique causé par ces produits.</p>
<p>La réponse du gouvernement ne s’est d’ailleurs pas fait attendre : le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/02/28/pesticides-l-etat-ne-fixe-pas-d-objectif-de-reduction-des-produits-phytosanitaires-pour-le-nouveau-plan-ecophyto-2030_6163587_3234.html">nouveau plan Ecophyto</a> est vidé de ses objectifs chiffrés, par crainte que les juges ne rendent obligatoire ce qui avait été pensé, à l’origine, comme des affichages politiques sans conséquence.</p>
<h2>Prendre en compte les générations futures</h2>
<p>Les juges ne peuvent pas tout, l’affaire du <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/06/27/scandale-du-chlordecone-la-justice-reconnait-des-negligences-fautives-de-l-etat_6132239_3244.html">chlordécone</a> en atteste. Désormais saisis de ces questions environnementales, ils s’érigent néanmoins en gardiens des promesses politiques non tenues et en protecteurs des écosystèmes des générations futures.</p>
<p>Le tribunal administratif de Strasbourg a ainsi pu suspendre, le <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/07/dechets-toxiques-de-stocamine-le-droit-des-generations-futures-applique-pour-la-premiere-fois-par-la-justice_6198787_3244.html">7 novembre 2023</a>, l’arrêté qui prolongeait l’autorisation de stockage souterrain de produits dangereux non radioactifs, accordée pour une durée illimitée à la société des Mines de potasse d’Alsace (Stocamine).</p>
<p>Il a considéré qu’il fallait analyser davantage les alternatives à l’enfouissement de déchets au nom du droit à un environnement sain dont bénéficient les générations futures depuis une récente décision du <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2023-1066-qpc-du-27-octobre-2023-communique-de-presse">Conseil constitutionnel</a>.</p>
<p>Audacieuse, l’interprétation est pour l’heure encore provisoire, dans l’attente d’un jugement sur le fond. Elle témoigne toutefois d’un réel changement d’appréhension des problématiques sanitaires et environnementales par les juridictions. Elles tentent d’interpréter les décisions administratives dont elles sont saisies en se projetant vers l’avenir et en analysant si les trajectoires de réduction de substances dangereuses sont bel et bien suivies par les autorités.</p>
<p>Ce type de raisonnement quasi probabiliste est complexe à mener, car il suppose aussi le recours à une expertise scientifique solide. En outre, les juges sont contraints par les règles de droit applicables au litige. L’engagement de la responsabilité de l’État, en ces matières comme ailleurs, répond en effet à des conditions strictes et notamment celle de la preuve du lien de causalité et celle du préjudice invoqué.</p>
<h2>Pour un retour du politique</h2>
<p>C’est parfois là qu’achoppe, en matière de pollution atmosphérique ou dans le dossier du chlordécone par exemple, le travail du juge. Celui-ci ne peut avoir réponse à tout et, parfois, seul un <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/09/glyphosate-theo-grataloup-porteur-de-graves-malformations-apres-une-exposition-prenatale-sera-indemnise_6193378_3244.html">fonds d’indemnisation</a> peut prendre le relais.</p>
<p>Au-delà du consensus social et des juridictions, la protection du climat, de l’environnement ou de la biodiversité nécessite des décisions politiques. L’interdiction des produits les plus dangereux, la prise en compte de l’incertitude, le principe pollueur-payeur sont d’ores et déjà prévus par le droit actuel. Reste au <a href="https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43161-rapport-enquete-echec-ecophyto.pdf">pouvoir politique</a> à s’en <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/environnement/budget-2024-le-gouvernement-renonce-a-la-hausse-des-taxes-sur-les-pesticides-et-lirrigation-en-agriculture">souvenir</a> et à l’appliquer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219999/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sara Brimo, en tant que titulaire de la Chaire « Observatoire Santé et Environnement - Analyse Juridique et InterdisciplinaiRe (OSE AJIR) » a reçu des financements de l'ANR.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Doussan a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p>
En réaction aux détournements du droit par les fabricants de pesticides, les juges deviennent progressivement des acteurs de la défense de la santé et de l'environnement.
Sara Brimo, Professeur Junior HDR en droit public, Université Paris-Panthéon-Assas
Isabelle Doussan, Directrice de Recherche en droit, Inrae
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/219859
2023-12-13T20:44:05Z
2023-12-13T20:44:05Z
Après la COP28, fin de partie pour les énergies fossiles ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565489/original/file-20231213-14492-yeiyph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La COP28 s'achève à Dubaï sur un compromis historique, mais n'a pas réussi à totalement évacuer l'éléphant dans la pièce : l'avenir des énergies fossiles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Chris LeBoutillier / unsplash</span></span></figcaption></figure><p>Chaque année, les <a href="https://theconversation.com/a-quoi-servent-les-cop-une-breve-histoire-de-la-negociation-climatique-218366">négociations des COP sur le climat</a> se déroulent un peu plus sous pression. Année la <a href="https://theconversation.com/on-a-depasse-1-5-fin-de-partie-pour-le-climat-213791">plus chaude</a> jamais connue par l’humanité, 2023 a battu les records. Loin d’avoir commencé à décroître, nos émissions de gaz à effet de serre n’ont même pas encore atteint leur plafond. Comme l’a montré une étude publiée pendant le sommet, les émissions mondiales de dioxyde de carbone d’origine fossile (CO<sub>2</sub>) ont à nouveau augmenté de <a href="https://theconversation.com/les-emissions-de-co-dorigine-fossile-ont-atteint-un-nouveau-record-en-2023-219133">1,1 % en 2023</a>…</p>
<p>Et même si certains scénarios du pire s’éloignent peu à peu, les résultats des négociations climatiques tardent à être au rendez-vous. Les politiques mises en œuvre par les États sont loin de nous placer sur une trajectoire conforme à l’accord de Paris, comme l’a confirmé le <a href="https://unfccc.int/documents/632334">rapport annuel de l’ONU</a>.</p>
<p>Un sommet sous haute tension donc, d’autant plus qu’il se déroulait dans l’ombre de l’industrie fossile, notamment par le choix de son président, Sultan al-Jaber, ministre de l’Industrie et des Technologies avancées des Émirats arabes unis mais aussi <a href="https://theconversation.com/vu-des-emirats-arabes-unis-une-cop28-sous-le-signe-du-petrole-218880">dirigeant de la compagnie pétrolière nationale, Adnoc</a>. Méfiance renforcée par une <a href="https://www.bbc.com/news/science-environment-67508331">fuite de documents révélée par la BBC</a>, témoignant d’un mélange des genres dans la préparation de la COP, mais aussi par la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/05/cop28-a-dubai-presence-massive-des-lobbyistes-des-energies-fossiles_6203988_3244.html">présence record de lobbyistes en faveur d’énergies fossiles</a>.</p>
<p>Pourtant, après une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/cop/cop-27-une-edition-decevante-et-sans-ambition_5488956.html">COP27 largement décevante</a>, contre toute attente, cette COP28 est plutôt à ranger parmi les COP « à succès ».</p>
<ul>
<li><p>D’abord parce que le fonds sur les pertes et préjudices (« loss and damages » en anglais) est enfin opérationnel.</p></li>
<li><p>Mais aussi – et c’est probablement la vraie nouveauté – parce que dans le cadre du « bilan mondial » de l’accord de Paris, les pays se sont (enfin) entendus sur une perspective de sortie des combustibles fossiles.</p></li>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-echapper-a-la-malediction-de-la-rente-fossile-218546">Comment échapper à la malédiction de la rente fossile ?</a>
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<h2>Un succès dès le premier jour</h2>
<p>Dès le 30 novembre – le premier jour du sommet – un accord a été trouvé sur l’opérationnalisation du <a href="https://theconversation.com/cop28-un-an-apres-la-percee-sur-les-pertes-et-dommages-en-egypte-pays-riches-et-pays-pauvres-toujours-divises-218445">fonds international sur les pertes et préjudices</a> créé un an plus tôt lors de la COP27 à Charm-el-Cheikh. C’était une revendication de longue date des pays du Sud et, depuis plusieurs années, l’un des principaux points de crispation le long de l’axe Nord-Sud.</p>
<p>Son objectif est d’aider financièrement les pays vulnérables à faire face aux <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/5acc2318-fr/index.html?itemId=/content/component/5acc2318-fr">conséquences dommageables des changements climatiques</a>, qu’elles soient d’ordre économique ou non, qu’il s’agisse de catastrophes à l’image des <a href="https://theconversation.com/face-au-rechauffement-climatique-des-initiatives-pour-construire-une-nouvelle-science-des-risques-198748">événements météorologiques extrêmes</a> (tempêtes, cyclones…) ou de ceux dont l’évolution est plus lente (<a href="https://theconversation.com/elevation-du-niveau-de-la-mer-quels-littoraux-voulons-nous-pour-demain-180711">élévation du niveau de la mer</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/secheresse-24478">sécheresse</a>…).</p>
<p>Le fonds est vu par les pays du Sud comme un <a href="https://theconversation.com/justice-climatique-ce-nouveau-front-ouvert-par-les-petits-etats-insulaires-a-lonu-203135">instrument de justice climatique</a>, en ce qu’il doit permettre des transferts financiers des pays les plus émetteurs et historiquement les plus responsables des changements climatiques vers les pays en développement, qui sont souvent à la fois particulièrement vulnérables aux changements climatiques et mal armés pour y faire face.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-coulisses-des-negociations-de-la-cop28-vues-par-un-enseignant-chercheur-219422">Les coulisses des négociations de la COP28 vues par un enseignant-chercheur</a>
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<h2>Un fonds sur fond de compromis</h2>
<p>Un « comité de transition » composé d’une vingtaine de pays avait été chargé d’en définir les détails et s’était mis d’accord peu de temps avant la COP. Il n’est donc pas complètement surprenant que l’accord ait été acté dès le début de la conférence. De quoi se concentrer ensuite sur les autres questions importantes, sans être parasité par celle-ci.</p>
<p>Malgré tout, le <em>design</em> du fonds reste un compromis. Les pays du Nord ont obtenu qu’il soit hébergé par la Banque mondiale, les pays du Sud que ce ne soit que provisoire (pour quatre ans) et qu’il soit doté de sa propre gouvernance. En particulier, son secrétariat sera indépendant et son conseil (son « board ») composé en majorité de pays en développement, puisqu’il ne comprendra que douze représentants de pays développés sur 26. Sa première réunion devrait se tenir avant le 31 janvier 2024. Il aura la délicate charge d’élaborer les critères d’octroi des financements.</p>
<p>Les bénéficiaires seront les pays en développement les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. Mais il est d’ores et déjà acquis que les financements seront accessibles non seulement à des États, mais aussi à des régions, des villes, ou directement aux communautés locales affectées.</p>
<p>Quant aux donateurs, la décision distingue, comme l’accord de Paris, les « pays développés », qui sont exhortés à continuer de fournir un appui, et les « autres Parties » qui ne sont qu’encouragées à le faire, sur une base volontaire. La décision insiste aussi sur le besoin urgent et immédiat de ressources financières nouvelles, supplémentaires, prévisibles et adéquates, selon une formule habituelle dans les instruments internationaux de protection de l’environnement.</p>
<h2>Trop de fonds, pas assez de financements</h2>
<p>Mais le montant des financements dépendra du bon vouloir des pays donateurs qui déterminent leur contribution de manière discrétionnaire. Plusieurs pays (Émirats arabes unis, Union européenne, États-Unis, Royaume-Uni, Japon…) ont d’ores et déjà fait des promesses de financement qui vont permettre au fonds de démarrer rapidement, avec une mise de départ de 792 millions de dollars.</p>
<p>Cette somme reste toutefois loin du compte, car les pertes et préjudices liés au climat pourraient atteindre 150 à 300 milliards de dollars d’ici 2030, comme le montrait un <a href="https://www.lse.ac.uk/granthaminstitute/wp-content/uploads/2022/11/IHLEG-Finance-for-Climate-Action-1.pdf">rapport de 2022</a>). Les besoins devraient aller <em>crescendo</em> avec l’intensification des effets des changements climatiques, et même si les estimations sont sujettes à des incertitudes méthodologiques.</p>
<p>Les pays concernés souhaiteraient de surcroît recevoir des dons plutôt que des prêts, souvent à des taux peu avantageux et qui viennent alourdir leur charge de la dette et les fragiliser, comme l’a encore récemment mis en évidence un <a href="https://policy-practice.oxfam.org/resources/climate-finance-shadow-report-2023-621500/">rapport d’OXFAM</a>. En l’occurrence, la décision reste assez floue et évoque la fourniture « de subventions et de prêts à des conditions très favorables ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cop28-un-an-apres-la-percee-sur-les-pertes-et-dommages-en-egypte-pays-riches-et-pays-pauvres-toujours-divises-218445">COP28 : un an après la percée sur les « pertes et dommages » en Egypte, pays riches et pays pauvres toujours divisés</a>
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<h2>Un manque de lisibilité de la finance climat</h2>
<p>Celle-ci précise aussi que le fonds doit fonctionner de manière à promouvoir la cohérence et la complémentarité avec les autres instruments internationaux de financement préexistants. Or, il existe déjà de nombreux mécanismes de financement : Fonds pour l’environnement mondial, Fonds spécial pour les changements climatiques, Fonds pour les pays les moins avancés, Fonds d’adaptation et bien sûr le Fonds vert pour le climat), dans et hors du régime climatique onusien instauré par la Convention-cadre des Nations unies contre le changement climatique.</p>
<p>Alors que les États sont censés se mettre d’accord l’an prochain sur un nouvel objectif plus ambitieux, l’objectif de 100 milliards de dollars annuels pour la finance climat <a href="https://www.oecd.org/environment/growth-accelerated-in-the-climate-finance-provided-and-mobilised-in-2021-but-developed-countries-remain-short.htm">a probablement été atteint en 2022, mais avec du retard</a> par rapport aux engagements pris à Copenhague en 2009 – et confirmés à Paris en 2015 – qui avaient fixé la date de 2020.</p>
<p>Pour ajouter à la complexité, la présidence émiratie de la COP28 a annoncé la création d’un <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/13/cop28-la-presidence-emiratie-propose-un-compromis-historique-sur-les-energies-fossiles_6205509_3244.html">nouveau fonds doté de 30 milliards de dollars</a>, basé cette fois sur des financements privés et orienté vers les solutions technologiques et la transition énergétique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/climat-lepineuse-question-de-la-responsabilite-historique-des-pays-industrialises-193511">Climat : l’épineuse question de la responsabilité historique des pays industrialisés</a>
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<h2>Le premier « bilan mondial », exercice perfectible</h2>
<p>Dès la COP21, il était clair qu’il fallait prévoir des mécanismes pour pousser les États à relever le niveau d’ambition de leurs contributions nationales. Parmi ceux prévus par l’accord de Paris figure le <a href="https://theconversation.com/a-quoi-servent-les-cop-une-breve-histoire-de-la-negociation-climatique-218366">« bilan mondial »</a> (<em>Global Stocktake</em> en anglais).</p>
<p>Réalisé tous les cinq ans, c’est un exercice d’évaluation des progrès collectifs – et non individuels – des États parties, qu’il s’agisse de l’atténuation (la réduction de nos émissions), de l’adaptation aux conséquences des changements climatiques ou encore des financements.</p>
<p>La COP28 a ainsi marqué la clôture du premier bilan mondial, qui a duré plusieurs mois et a été l’occasion de l’occasion de synthétiser les <a href="https://unfccc.int/topics/global-stocktake/information-portal">informations soumises par les États</a> et diverses autres sources, alternant des temps de discussion techniques et politiques.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565515/original/file-20231213-27-yrjtrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Evaluation du premier bilan mondial de l’accord de Paris, en date de septembre 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNFCC</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’exercice pouvait sembler un peu rhétorique : nous savions déjà que les trajectoires actuelles ne sont pas les bonnes. De ce point de vue, l’organisation même du processus sera sans doute à revoir. La longue partie technique pourrait être raccourcie et mieux articulée à la discussion politique. Dans un contexte où on « sait », c’est bien cette dernière qui importe le plus.</p>
<p>Le fait que le bilan porte à la fois sur l’atténuation, l’adaptation et les financements a permis une discussion globale très utile, connectant différents volets, mécanismes et programmes de l’accord de Paris habituellement déconnectés. Mais c’est aussi ce caractère global qui a rendu la négociation délicate.</p>
<h2>Les conclusions du bilan mondial</h2>
<p>Au final, <a href="https://unfccc.int/documents/636608">l’accord final sur le bilan mondial</a> est plutôt ambitieux et en phase avec les connaissances scientifiques, faisant explicitement référence aux <a href="https://theconversation.com/nouveau-rapport-du-giec-toujours-plus-documente-plus-precis-et-plus-alarmant-178378">conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat</a> (GIEC). Il rappelle à plusieurs reprises l’importance de l’objectif de 1,5 °C, dont le président de la COP avait fait son « étoile polaire » et la nécessité d’accélérer l’action ainsi que le caractère critique de la décennie à venir.</p>
<p>Il reconnaît que des progrès ont été accomplis, conduisant le monde vers une hausse non pas de 4 °C, mais comprise entre 2,1 et 2,8 °C si les contributions nationales des États sont toutes mises en œuvre. Mais il admet qu’il est urgent de combler le fossé en matière d’ambition climatique. Il rappelle aussi que la fenêtre pour atteindre le 1,5° se réduit rapidement, <a href="https://theconversation.com/combien-de-tonnes-demissions-de-co-pouvons-nous-encore-nous-permettre-171227">avec un « budget carbone » presque entièrement consommé</a>.</p>
<p>En foi de quoi, il est demandé aux Parties de revoir et mettre en œuvre leurs contributions nationales s’agissant des réductions d’émission, mais aussi d’aider les pays du Sud à le faire, soulignant que leurs besoins sont ici estimés à près de 6 milliards de milliards de dollars d’ici à 2030…</p>
<h2>Les énergies fossiles, l’« éléphant dans la pièce »</h2>
<p>Ce bilan a aussi permis de poser la question de la sortie des énergies fossiles, qui s’est retrouvée au cœur de l’agenda de la COP. Celles-ci sont bien évidemment au cœur du problème, puisqu’elles représentent la principale source d’émissions de gaz à effet de serre. Le GIEC avait conclu que cette sortie était indispensable et devait être rapide, si l’on veut se donner une chance d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.</p>
<p>Il a pourtant fallu attendre la COP26 à Glasgow, pour que soit enfin <a href="https://www.reuters.com/business/cop/business-usual-global-fossil-fuel-firms-now-after-un-climate-deal-2021-11-15/">évoquée frontalement la question du charbon</a>. La décision adoptée proposait timidement d’« accélérer les efforts destinés à cesser progressivement de produire de l’électricité à partir de charbon sans dispositif d’atténuation et à supprimer graduellement les subventions inefficaces aux combustibles fossiles ».</p>
<p>Toutefois l’année suivante, la COP27 a délaissé le sujet, et a précisément été critiquée pour cette raison, qui s’est donc retrouvée au menu de la COP 28. La formule choisie dans le texte final est même devenue <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-cop-dictionnaire-portatif-des-negociations-climatiques-a-duba-219339">l’un des principaux sujets de la COP</a> à l’aune à laquelle évaluer son succès ou son échec.</p>
<p>Après un premier texte laissant toutes les options ouvertes, y compris la possibilité de ne pas mentionner les fossiles du tout, la présidence émiratie a fait une proposition lundi après-midi qui a été jugée très molle et déséquilibrée. Elle offrait un « menu à la carte » aux États les laissant entièrement libres.</p>
<p>Les discussions ont repris à huis clos, la COP se prolongeant comme à son habitude bien au-delà de l’heure prévue, alors que Sultan Al Jaber avait promis le contraire. Un accord a finalement été trouvé dans la nuit.</p>
<p>S’il n’évoque pas explicitement la sortie des fossiles – ligne rouge pour plusieurs pays conduits par l’Arabie saoudite –, le texte évoque une transition vers l’abandon des énergies fossiles. Ce qui est symboliquement moins fort, mais constitue malgré tout un énorme pas en avant. Il ne vise toutefois que les combustibles, et pas le pétrole utilisé pour la fabrication du plastique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1734900985217057103"}"></div></p>
<p>Le texte indique que cette transition doit s’accomplir « d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie critique, de manière à atteindre l’objectif de zéro net d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques ».</p>
<p>Enfin, les COP entrent « dans le dur », discutant de manière très concrète des voies et moyens d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris. La COP28 s’achève ainsi sur un compromis historique qui conforte le processus multilatéral onusien, qui bien qu’imparfait et désespérément lent, permet à l’ensemble des États de surmonter leurs divergences de vues et d’intérêts pour construire peu à peu des compromis indispensables.</p>
<h2>L’équilibre des pouvoirs à venir</h2>
<p>Devant la lenteur des négociations internationales, les <a href="https://theconversation.com/justice-climatique-comment-de-jeunes-portugais-mobilisent-les-droits-de-lhomme-devant-la-cour-europeenne-214420">contentieux climatiques</a> se multiplient dans de nombreux États. En quelques mois, trois cours internationales ont été saisies d’une demande d’avis consultatif destinée à clarifier les obligations internationales des États en matière climatique :</p>
<ul>
<li><p>le Tribunal international du droit de la mer par la Commission des petits États insulaires en décembre 2022,</p></li>
<li><p>la Cour interaméricaine des droits de l’homme par la Colombie et le Chili en janvier 2023</p></li>
<li><p>et la <a href="https://theconversation.com/justice-climatique-ce-nouveau-front-ouvert-par-les-petits-etats-insulaires-a-lonu-203135">Cour internationale de Justice par l’Assemblée générale des Nations unies en mars 2023</a>.</p></li>
</ul>
<p>Ce dernier avis, par la formulation large des questions et par l’autorité dont jouit la Cour internationale, pourrait notamment contribuer à mettre un peu plus les États, en particulier industrialisés, sous pression, et alimenter de futurs contentieux à l’échelle nationale mais également internationale. Il pourrait – ou non – modifier l’équilibre des forces en présence lors des prochaines COP.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219859/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Maljean-Dubois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La COP28 s’achève sur un compromis historique. Même si la sortie des énergies fossiles n’est pas entièrement réglée, enfin, les COP entrent « dans le dur » des négociations.
Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/213793
2023-09-18T15:59:49Z
2023-09-18T15:59:49Z
Alcool : pourquoi les campagnes de prévention sont-elles ciblées et non générales ?
<p>Le ministère de la Santé a récemment <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/alcool-deux-campagnes-de-prevention-enterrees-par-le-ministere-de-la-sante-8784229">annulé deux campagnes de prévention</a> contre les méfaits de l’<a href="https://theconversation.com/topics/alcool-26411">alcool</a> élaborées par Santé publique France. L’une avait été commandée pour la coupe du Monde de Rugby qui se tient actuellement en France pour sensibiliser les supporters aux dangers de l’abus d’alcool. L’autre présentait les risques sur la santé d’une consommation ordinaire en rappelant que « boire de l’alcool multiplie les risques de troubles du rythme cardiaque ».</p>
<p>Ces annulations font écho aux protestations de certaines associations représentant la filière alcool concernant une <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2023/alcool-et-bonne-sante-une-association-paradoxale-denoncee-dans-la-nouvelle-campagne-de-sante-publique-france">autre campagne</a> diffusée en janvier dernier. Celle-ci soulignait que trinquer à la santé de quelqu’un était pour le moins paradoxal compte tenu justement des risques sur la santé.</p>
<p>La non-diffusion de ces <a href="https://theconversation.com/topics/prevention-sante-51166">campagnes</a> pourtant prêtes suscite des interrogations alors que l’alcool reste responsable de <a href="https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/addictions/article/l-addiction-a-l-alcool">49 000 morts par an</a> en France. Sa consommation provoque également des pathologies parfois invalidantes ainsi que des accidents non mortels qui ne sont pas sans conséquence non plus sur l’entourage des personnes concernées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1701302543555436611"}"></div></p>
<p>Les pouvoirs publics justifient ces annulations en expliquant prioriser les messages destinés à la cible des jeunes. Comme le suggèrent nos travaux auprès de responsables <a href="https://theconversation.com/topics/marketing-21665">marketing</a>, les croyances dominantes dans le secteur constituent un frein à l’élaboration de campagnes aux propos plus généraux.</p>
<h2>Quel problème ? Le produit ou le consommateur ?</h2>
<p>Les associations comme Addictions France ont rapidement <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2023/09/13/annulation-des-campagnes-de-prevention-sur-l-alcool-les-acteurs-de-la-sante-publique-denoncent-les-faux-pretextes-du-gouvernement_6189115_1651302.html">dénoncé les pressions des lobbys</a> du secteur comme explication des campagnes annulées. Le ministère de la Santé s’en défend. Ce revirement montre en tout cas les difficultés qu’il y a en France à aborder les risques liés à la consommation ordinaire d’alcool.</p>
<p>Comme l’ont montré des <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2016-1-page-77.htm">travaux universitaires</a>, le <a href="https://theconversation.com/topics/lobbying-21110">lobby</a> de l’alcool semble s’appuyer, depuis les années 90, sur la notion d’addiction pour installer l’idée dans l’esprit du législateur que ce n’est pas la toxicité du produit en lui-même qui pose problème mais sa consommation excessive. La responsabilité se déplace ainsi de l’entreprise qui vend les produits nocifs vers celle de l’individu qui le consomme. S’opère un glissement sémantique de la toxicité de l’alcool vers l’addiction à l’alcool.</p>
<p>Cette évolution se retrouve dans les campagnes de prévention menée par l’État. Le contenu des messages de prévention diffusés par les pouvoirs publics témoigne de la façon dont les acteurs politiques se sont approprié cet argumentaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1703449232454095083"}"></div></p>
<p>La campagne de prévention mise en place en décembre 2022 pour retenir l’ami qui a trop bu l’illustre bien : « Quand on tient à quelqu’un, on le retient ! » Est dénoncée une consommation potentiellement dangereuse lorsqu’elle est massive et, de façon plus générale, un problème de comportement de la part des consommateurs, plus qu’un problème induit par le produit. Les mentions légales dans les publicités font figurer un message sanitaire préventif qui traduit également cette idée : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé ».</p>
<h2>Croyances paradoxales des marketeurs</h2>
<p>Ces discours de légitimation de l’alcool se diffusent également en interne auprès des salariés du secteur et influencent en profondeur les arguments qui vont être mobilisés dans leurs stratégies marketing. La façon dont les offres sont pensées et présentées aux consommateurs contribue à ancrer l’idée que le problème réside dans l’usage de l’alcool plus que dans l’éthanol qu’il contient.</p>
<p>Des entretiens que nous avons menés auprès de marketeurs de l’industrie de l’alcool à l’occasion d’une <a href="https://www.jstor.org/stable/26375587">recherche</a> sur le caractère éthique de leurs pratiques le confirment. Ils reflètent les mêmes discours de légitimation.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ces professionnels reconnaissent l’existence de cibles plus vulnérables pour lesquelles des actions de prévention ont été mises en place comme les femmes enceintes. Le pictogramme ou les mentions légales spécifiques pour signifier le risque pour le fœtus de consommer de l’alcool constituent un progrès à leurs yeux.</p>
<p>Ils ont également bien identifié la question du <a href="https://www.drogues.gouv.fr/le-binge-drinking#:%7E:text=C%E2%80%99est%20un%20terme%20anglo,%C2%BB%20ou%20%C2%AB%20alcoolisation%20massive%20%C2%BB."><em>binge drinking</em></a> (que l’on traduit en « alcoolisation ponctuelle importante ») souvent pratiqué par les jeunes et la mise en danger immédiate que celle-ci représente, notamment les accidents de la route. Ils ne se disent par ailleurs pas très à l’aise avec l’idée de mettre en valeur des produits comme des shots de vodka destinés à la consommation festive de ce public. Ils essaient d’éviter de travailler pour pareils produits qu’ils opposent à d’autres formes d’alcool plus nobles comme le champagne ou tout autre produit « premium » ou encore ce qu’ils appellent les produits de dégustation dits « culturels ».</p>
<p>Ils développent ainsi des croyances paradoxales. Selon les usages, ils percevront l’alcool comme un produit nocif ou non.</p>
<h2>Quels discours en conséquence ?</h2>
<p>Une telle segmentation de marché leur permet de développer leurs actions marketing en valorisant les usages. Ils estiment parfois contribuer à l’éducation du consommateur, en promouvant la dégustation. Un professionnel nous a par exemple expliqué l’intégration de l’approche <em>slow drinking</em> dans une stratégie de communication :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une façon de consommer un alcool de façon modérée, lente. On ne parle alors plus de consommation mais de dégustation. On a lancé toute une plate-forme digitale, à destination précisément des jeunes, avec une page Facebook, un compte Twitter, un site Internet, qui vient étayer toute la démarche à travers des recettes de cocktails, des associations de mets… ».</p>
</blockquote>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/taxer-plus-fortement-les-alcools-en-france-une-affaire-de-symbole-plus-que-de-recettes-211367">Taxer plus fortement les alcools en France : une affaire de symbole plus que de recettes</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Résultat notable des entretiens menés, les méfaits ordinaires de l’alcool ne sont presque pas abordés par les marketeurs interrogés.</p>
<p>Dans ce contexte, l’irruption de nouveaux discours soulignant les risques sur la santé de la consommation d’alcool sans invoquer de contexte particulier (cibles jeunes, consommation abusive) aurait ainsi de quoi déstabiliser le secteur. Elle pourrait battre en brèche l’idée que c’est le consommateur qui est responsable de ses maux lorsqu’il consomme de l’alcool et atténuer l’image de convivialité et de fête propre à la culture de l’alcool qui est dominante.</p>
<p>Elle pourrait <em>in fine</em> donner lieu à une dénormalisation de l’alcool, à l’instar de ce qui s’est passé dans le domaine du tabac, produit reconnu dangereux quelque soit sa consommation comme l’indique la mention légale « Fumer tue », bien plus radicale que « À consommer avec modération », d’usage pour l’alcool.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213793/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Une idée répandue, notamment chez les marketeurs du secteur, suggère que les méfaits de l’alcool sont liés au comportement de certains consommateurs davantage qu’au produit lui-même.
Bénédicte Bourcier-Béquaert, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management
Anne Sachet-Milliat, Enseignante-chercheure en éthique des affaires- Directrice du laboratoire de recherche, ISC Paris Business School
Loréa Baïada-Hirèche, Maître de conférences en management des ressources humaines, Institut Mines-Télécom Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/213142
2023-09-18T14:37:13Z
2023-09-18T14:37:13Z
Climat : comment l’industrie pétrolière veut nous faire porter le chapeau
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548418/original/file-20230914-4201-zir9fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1000%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue aérienne d'une exploitation pétrolière dans les sables bitumineux, en Alberta.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Canicule, ouragans, inondations, feux de forêt… Les effets du dérèglement climatique deviennent de plus en plus <a href="https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/rechauffement-climatique-l-inquietante-acceleration-du-calendrier_5304409.html">visibles et violents</a>. Sans pour autant que les ripostes politiques à ces phénomènes des plus inquiétants n’adviennent, s’inquiétait encore, la semaine dernière, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres en affirmant que l’humanité ouvrait <a href="https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/crise-climatique-l-humanite-a-ouvert-les-portes-de-l-enfer-alerte-le-chef-de-l-onu_6073716.html">« les portes de l’enfer »</a> en n’arrivant pas à mettre fin à son « addiction aux énergies fossiles ».</p>
<p>Mais si l’industrie pétrolière a pu réussir à se rendre indispensable d’un certain mode de vie occidental, elle est en partie responsable de cette inertie politique par l’influence qu’elle exerce sur les décideurs politiques et par l’imposition de l’idée que le consommateur est le premier responsable de la crise climatique.</p>
<p>Doctorante en science politique et spécialiste de l’adaptation aux changements climatiques, je me suis penchée sur les intérêts, les idées et les institutions qui façonnent et restreignent nos pratiques d’adaptation. J’analyse ce phénomène en Amérique du Nord, et en particulier, depuis trois ans, les discours environnementaux en Louisiane, aux États-Unis, afin d’expliquer l’inertie des politiques climatiques.</p>
<p>Pour sécuriser leurs intérêts, les industries polluantes utilisent deux types de discours. Tout d’abord, elles discréditent et marginalisent les enjeux écologiques. On n’a qu’à penser, par exemple, aux actions menées par les compagnies pétrolières et gazières contre les politiques climatiques. On l’a vu <a href="https://www.theguardian.com/environment/2020/aug/20/gas-industry-waging-war-against-climate-action">à Seattle aux États-Unis</a> : des lobbyistes ont été embauchés pour torpiller des politiques pro-environnementales adoptées par la Ville, et des influenceurs Instagram ont été payés pour faire la promotion du gaz.</p>
<p>Dans un deuxième temps, ces industriels s’emploient à convaincre que leurs activités polluantes sont compatibles avec la gestion de la crise climatique et environnementale. Ces stratégies de changement d’image s’inscrivent dans une dynamique plus large de « greenwashing » des activités extractivistes. Sur les trois dernières décennies, les cinq plus grandes compagnies pétrolières américaines ont ainsi dépensé plus de <a href="https://www.theguardian.com/business/2020/jan/08/oil-companies-climate-crisis-pr-spending">3 milliards de dollars US</a> en marketing et donations pour renforcer leur communication auprès du grand public et des décideurs politiques.</p>
<h2>Le citoyen responsable de freiner la crise climatique</h2>
<p>Une stratégie rhétorique particulièrement significative de l’industrie pétrolière est l’attribution de la responsabilité de l’atténuation et de l’adaptation aux changements climatiques au niveau individuel.</p>
<p>Ainsi, en faisant porter la charge de réduire la pollution et les émissions de gaz à effets de serre aux individus, et par conséquent, la lutte contre le changement climatique, les industries pétrolières et leurs alliés politiques visent à empêcher un changement de leurs pratiques de production, de consommation et d’exploitation des énergies fossiles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue d’une raffinerie de pétrole, avec des montagnes à l’arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/548420/original/file-20230914-22774-qv076i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548420/original/file-20230914-22774-qv076i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548420/original/file-20230914-22774-qv076i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548420/original/file-20230914-22774-qv076i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548420/original/file-20230914-22774-qv076i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548420/original/file-20230914-22774-qv076i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548420/original/file-20230914-22774-qv076i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une raffinerie de pétrole à Burnaby, en Colombie-Britannique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’empreinte carbone, symbole phare de la supercherie</h2>
<p>L’expression la plus évidente de cette stratégie d’individualisation est la création de l’empreinte carbone. Née d’une <a href="https://mashable.com/feature/carbon-footprint-pr-campaign-sham">campagne de communication du géant British Petroleum</a> au début des années 2000, « Beyond petroleum », l’empreinte carbone mesure les impacts de la consommation individuelle sur les émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>À travers de <a href="https://www.theguardian.com/environment/2021/nov/18/the-forgotten-oil-ads-that-told-us-climate-change-was-nothing">nombreuses publicités</a> promouvant l’importance des gestes individuels dans la crise climatique, BP est parvenu à renverser la responsabilité du problème climatique vers le consommateur, de manière à en effacer celle des industries en s’excluant de la recherche de solutions.</p>
<p>La campagne « Beyond Petroleum » de BP visait par ailleurs à encourager les individus à adopter un mode de vie plus durable par des gestes leur permettant tout de même de maintenir leur consommation. Cette stratégie contribue à ce que les chercheurs Karl Smerecnik et Valerie Renegar, de San Diego State University et Southwestern University, appellent <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17524031003760879">l’agentivité capitalistique</a>.</p>
<p>Endossant l’image environnementaliste et se retirant du problème, le géant pétrolier restreint la capacité des gens à penser d’autres formes d’actions environnementales au-delà de la consommation, et donc, de la croissance économique. Il circonscrit ainsi l’individu et sa responsabilité envers les changements climatiques dans des logiques de marché, réduisant les possibilités de transformation systémique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="station-service, avec des voitures stationnées" src="https://images.theconversation.com/files/548421/original/file-20230914-29-77m7k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548421/original/file-20230914-29-77m7k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548421/original/file-20230914-29-77m7k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548421/original/file-20230914-29-77m7k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548421/original/file-20230914-29-77m7k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548421/original/file-20230914-29-77m7k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548421/original/file-20230914-29-77m7k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une station-service de la multinationale British Petroleum (BP), à Cordoue, en Grèce.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2590332221002335">ExxonMobil et Total utilisent également les mêmes stratégies</a>. Elles mettent l’emphase sur les émissions de gaz à effets de serre comme un problème de demande, et non d’offre. Elles créent ainsi un imaginaire autour de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/aug/23/big-oil-coined-carbon-footprints-to-blame-us-for-their-greed-keep-them-on-the-hook">l’individu comme consommateur</a>, seul responsable de l’atténuation des changements climatiques.</p>
<p>Cette stratégie de communication légitime ainsi la production continue des énergies fossiles et sert à protéger l’industrie des régulations environnementales contraignantes en pointant du doigt la demande grandissante.</p>
<h2>En Louisiane, l’industrie pétrolière « verte » et communautaire</h2>
<p>Ma recherche doctorale sur les discours et pratiques politiques de l’adaptation en Louisiane démontre que les industries fossiles s’inscrivent dans ces logiques rhétoriques et marketing. Le « greenwashing » leur permet de renverser leur rôle et de se poser en véritables sauveurs environnementaux par leurs investissements dans la restauration des côtes, ainsi que par la promotion d’une industrie écoresponsable et ancrée dans la communauté.</p>
<p>Les lobbyistes de grandes compagnies pétrolières comme ExxonMobil et les groupes de représentation comme le Louisiana Mid-Continent Oil and Gas Association, ainsi que leurs partenaires politiques au Sénat et à la Chambre de représentants de la Louisiane, insistent sur la caractéristique « verte » des énergies fossiles.</p>
<p>Cette rhétorique véhicule l’idée que la préservation des activités extractivistes est un bénéfice pour les États-Unis et pour la lutte contre les changements climatiques. Selon ce raisonnement, le pétrole et le gaz américain ont une meilleure empreinte carbone que ceux produits à l’international. Ils contribuent donc à réduire les émissions globales face à une demande grandissante des consommateurs.</p>
<p>Le <a href="https://www.washingtonpost.com/climate-environment/2023/01/17/ohio-natural-gas-green-energy/">narratif des industries fossiles « verts »</a> prend également de l’ampleur dans les sphères législatives d’autres États et assure la mainmise de ces industries sur les économies locales.</p>
<p>Parlant d’un véritable « mouvement environnemental Cajun » pour désigner les activités écologiques des compagnies pétrolières en Louisiane, les lobbyistes sollicitent les identités locales et le soutien des citoyens pour la préservation des activités d’exploitation. Cette autre forme d’individualisation cible les politiques climatiques, notamment celles de l’administration Biden, comme une attaque directe sur les intérêts et le bien-être des populations locales.</p>
<p>Une véritable « culture du pétrole » est ainsi née par le biais d’investissements dans la communauté (par exemple, le financement depuis de nombreuses années du Jazz and Heritage Festival de La Nouvelle-Orléans par Shell, ou celui des opérations locales de secours après les ouragans). On met aussi en exergue l’enchevêtrement des identités cajuns dans l’histoire du développement de l’industrie pétrolière locale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548419/original/file-20230914-19-rfrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548419/original/file-20230914-19-rfrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548419/original/file-20230914-19-rfrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548419/original/file-20230914-19-rfrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548419/original/file-20230914-19-rfrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548419/original/file-20230914-19-rfrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548419/original/file-20230914-19-rfrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le chanteur de hip-hop Big Freedia se produit au New Orleans Jazz and Heritage Festival 2023, à la Nouvelle-Orléans, le 28 avril 2023. Shell finance le festival depuis des années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’individualisation au service de l’inertie politique</h2>
<p>En Louisiane, particulièrement, l’individualisation se manifeste ainsi par un soutien populaire aux activités extractivistes et un rejet des régulations contraignantes ou des mouvements écologistes. Positionnée en véritable protecteur environnemental et communautaire, l’industrie pétrolière et gazière maintient son influence sur les sphères législatives par le lobbyisme politique et le soutien de l’opinion publique. Elle empêche ainsi une reconsidération de ses pratiques d’exploitation.</p>
<p>L’individualisation à grande échelle, qu’elle existe à travers les campagnes de BP ou <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/dans-la-peau-de-l-info/un-arbre-par-eleve-de-sixieme-la-promesse-d-emmanuel-macron-qui-cache-une-foret-de-mauvaises-nouvelles_6022016.html">l’appel du président Macron</a> aux élèves à planter des arbres, inverse la responsabilité de la lutte contre les changements climatiques. Elle favorise l’inertie politique qui préserve, toujours aujourd’hui, les intérêts des industries polluantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213142/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah M. Munoz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En faisant porter aux individus la responsabilité de réduire la pollution et les émissions de GES, les industries pétrolières empêchent un changement profond de leurs pratiques de production.
Sarah M. Munoz, Doctoral researcher in political science / Doctorante en science politique, Université de Montréal
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/208259
2023-07-03T16:58:30Z
2023-07-03T16:58:30Z
Nucléaire, éolien : quelle évolution du discours médiatique en France ?
<p>Le discours médiatique est non seulement un reflet, mais aussi un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1081180X02251047">producteur d’opinions</a>. Ayant un contact direct avec les décideurs politiques, la presse sélectionne et échantillonne à partir d’une gamme d’informations et de sources possibles.</p>
<p>Par là, elle joue un rôle clé dans l’amplification sociale des risques ou des bénéfices ; les <a href="https://journals.openedition.org/communiquer/1226?lang=en">débats</a> autour de la place du nucléaire et des énergies renouvelables dans le mix énergétique ne fait pas exception en la matière. <a href="https://wires.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wcc.134">Dans ce contexte</a>, nous nous sommes intéressés, dans le cadre des travaux de la <a href="https://recherche.grenoble-em.com/energie-societe">Chaire Energy for Society de Grenoble École de Management</a>, aux discours émergents dans la presse française sur l’énergie nucléaire et éolienne, et leur évolution dans le temps.</p>
<p>Nous avons pour cela analysé plus de 34 000 articles de presse nationale (de journaux comme <em>Le Monde</em>, <em>Le Figaro</em>, <em>Les Échos</em> ou <em>Libération</em>, à la fois les plus vendus et représentatifs d’une diversité de bords politiques) publiés entre 2005 (quand l’énergie éolienne commence à être déployée en France) et 2022. Ce travail a été articulé en deux temps : une analyse textuelle algorithmique pour faire émerger les grandes classes de mots par période ; et une analyse qualitative au travers des citations d’articles les plus représentatives par classe pour mieux comprendre leur contexte de production, et donc l’image de ces infrastructures.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=120&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=120&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=120&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=151&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=151&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534327/original/file-20230627-19-qnqr5q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=151&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Nombre d’articles mentionnant au moins deux fois le terme <em>nucléaire</em> ou <em>éolien</em> faisant l’objet de notre analyse. En termes de volume, si le nombre d’articles de presse mentionnant (au moins deux fois) l’éolien ne représente en moyenne que 10 % des volumes d’article sur le nucléaire, celui-ci a été multiplié par 3,5 fois entre la période 1 et la période 3, contre 1,6 fois pour le nucléaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les auteurs</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Jusqu’en 2010, la sûreté du nucléaire en question</h2>
<p>De 2005 à 2010, de nombreux articles évoquent la <a href="https://theconversation.com/surete-du-nucleaire-en-france-comprendre-la-brusque-reforme-voulue-par-le-gouvernement-201191">« sûreté du nucléaire »</a> à travers des mouvements de contestation portés par les manifestations d’opposants tels que « Sortir du nucléaire », pour dénoncer les risques encourus par l’utilisation de l’énergie nucléaire, faisant référence à la catastrophe de Tchernobyl ou à la gestion des déchets radioactifs avec le projet d’enfouissement à Bure.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533209/original/file-20230621-27-dcrftg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Évolution des classes de mots émergentes sur le corpus de presse nucléaire de 2005 à 2022. Celles relatives à la géopolitique ont ici été retirées pour simplifier la lecture. Le pourcentage associé à chaque classe correspond au poids des mots associés et utilisés dans les articles de la période concernée. Pour plus de détails voir exemple de mots associés à la classe « mix énergétique » dans les nuages de mots de la figure 3.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les auteurs</span></span>
</figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« Le 25 janvier 2010, des militants de Greenpeace bloquaient ainsi par trois fois dans la Manche un convoi d’uranium en provenance de Pierrelatte. Seize personnes avaient été interpellées à l’issue de l’opération. » (<a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2010/02/16/greenpeace-bloque-un-convoi-d-uranium-au-tricastin_1306905_3244.html"><em>Le Monde</em>, 17 février 2010</a>)</p>
</blockquote>
<p>En 2011 avec l’accident de Fukushima-Daishi au Japon, cette question de la sûreté s’intensifie dans la presse et s’invite dans le débat politique en vue des présidentielles de 2012. Si la transparence au sujet de la <a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">gestion des centrales</a> et des incidents locaux est accrue, la production électronucléaire n’est pas remise en cause.</p>
<blockquote>
<p>« François Hollande, qui jugeait au printemps qu’"un candidat socialiste ne peut prétendre sortir du nucléaire", s’engage à “réduire de 75 % à 50 % la production d’électricité d’origine nucléaire à l’horizon 2025”. » (<a href="https://www.lemonde.fr/primaire-parti-socialiste/article/2011/09/15/primaire-ps-les-sujets-qui-divisent-les-candidats_1572719_1471072.html"><em>Le Monde</em>,15 septembre 2011</a>)</p>
</blockquote>
<h2>Malgré les doutes, une relance franche du nucléaire</h2>
<p>Les critiques émises quant à la construction de l’EPR de Flamanville qui accuse des retards et une hausse significative de son coût prennent de l’ampleur sur la dernière période 2017-2022.</p>
<blockquote>
<p>« Un nouveau retard pour l’EPR de Flamanville et 400 millions d’euros de coût supplémentaire. EDF annonce ce mercredi de nouveaux retards et surcoûts pour le réacteur nucléaire EPR à la suite des problèmes de soudures rencontrés sur le chantier. » (<a href="https://www.liberation.fr/economie/economie-numerique/epr-de-flamanville-un-autre-retard-un-enieme-surcout-et-une-explication-plutot-etonnante-20221219_2KQ4N6QAT5ANVL3WZHKRSWZTYY/"><em>Libération</em>, 19 décembre 2022</a>)</p>
</blockquote>
<p>Le sujet du nucléaire prend une place de plus en plus importante dans l’« agenda politique » sur la dernière période, marquée par deux élections présidentielles. Si Emmanuel Macron fraîchement élu promet d’exécuter la promesse d’Hollande de fermer Fessenheim, son deuxième mandat débute par une crise énergétique qui l’aide à justifier son choix d’une relance franche du nucléaire.</p>
<blockquote>
<p>« Pour faire face à la crise, il nous faudra une électricité puissante, pilotable, disponible à la demande et seul le nucléaire peut apporter ces solutions. » (<a href="https://www.lefigaro.fr/vox/economie/il-est-illusoire-de-croire-que-l-on-retrouvera-notre-souverainete-energetique-grace-a-l-eolien-en-mer-20220922"><em>Le Figaro</em>, 22 septembre 2022</a>)</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, on note la disparition de la classe « sûreté nucléaire », quand bien même la période se termine avec la crainte d’une catastrophe nucléaire de la centrale de Zaporijia depuis le début de la guerre en Ukraine.</p>
<h2>L’émergence médiatique du renouvelable</h2>
<p>Intéressons-nous maintenant à l’éolien. Du fait de la forte dépendance aux énergies fossiles et d’un mix électrique déjà décarboné (en très grande partie grâce au nucléaire), la part des renouvelables (hors hydraulique) est faible en France jusqu’en 2010 <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-10/lepointsur_13_cle03273e_0.pdf%20pour%20l%E2%80%99ann%C3%A9e%202008">(1,1 % de la production primaire d’énergie éolienne en France en 2008)</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533212/original/file-20230621-19-dmpt0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533212/original/file-20230621-19-dmpt0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533212/original/file-20230621-19-dmpt0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533212/original/file-20230621-19-dmpt0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533212/original/file-20230621-19-dmpt0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533212/original/file-20230621-19-dmpt0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533212/original/file-20230621-19-dmpt0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Évolution des classes de mots émergentes sur le corpus de presse éolien, de 2005 à 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les auteurs</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les rares articles sur le sujet dans la presse nationale (environ 100/an contre 1500/an pour le nucléaire dans les mêmes journaux sur la période 2005-2010) mettent surtout en avant <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-les-retards-de-la-france-en-matiere-denergies-renouvelables-202815">« le retard français »</a> en matière de développement des renouvelables, dont l’éolien.</p>
<blockquote>
<p>« La France reste loin derrière l’Allemagne en termes de puissance installée en éolien. » (<a href="https://www.lesechos.fr/2008/07/surcout-dun-milliard-deuros-par-an-pour-leolien-selon-linstitut-montaigne-512493"><em>Les Échos</em>, 2 juillet 2008</a>)</p>
</blockquote>
<p>Ce retard français perd de l’importance entre 2011 et 2016 puis disparaît, malgré l’annonce d’une amende pour la France de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/24/renouvelables-la-france-devra-debourser-plusieurs-centaines-de-millions-d-euros-pour-ne-pas-avoir-atteint-ses-objectifs_6151464_3244.html">500 millions d’euros</a> en novembre 2022, causée justement par son retard dans le développement des énergies renouvelables par rapport aux objectifs de la Commission européenne.</p>
<h2>Croissance des contestations sur l’éolien</h2>
<p>Notons, par comparaison avec le nucléaire, l’apparition d’une classe « <a href="https://theconversation.com/debat-mettre-fin-a-la-defiance-a-legard-des-energies-renouvelables-175536">contestations</a> locales », qui prend de l’ampleur à mesure que les projets éoliens se développent dans le temps. Dès 2005, l’éolien est contesté à la fois par les riverains et les professionnels (pêche, notamment offshore) qui dénoncent le développement anarchique de projets.</p>
<p>Entre 2011 et 2016, les contestations s’intensifient et s’étendent aux élus, l’éolien devient un objet de crispation dans les instances de consultation et de concertation locales.</p>
<blockquote>
<p>« Tout un symbole : le projet de construction de ce qui pourrait être le premier parc éolien en mer de France divise élus, associations, riverains, pêcheurs. » (<a href="https://www.liberation.fr/terre/2010/05/07/critiques-en-rafale-contre-l-eolien-offshore_624752/">Libération, 7 mai 2011</a>)</p>
</blockquote>
<p>L’objet des résistances n’évolue pas sur la période suivante : impacts négatifs sur les paysages et la <a href="https://theconversation.com/ou-et-comment-implanter-les-eoliennes-pour-epargner-les-chauves-souris-160518">biodiversité</a>, nuisances sonores et faible productivité. La sensibilité́ du public s’est accrue, poussée par quelques contestations emblématiques comme celle lancée en 2020 par Stéphane Bern contre l’éolien.</p>
<blockquote>
<p>« La France ne peut se permettre, en plus, une politique éolienne meurtrière pour nos paysages et nos pêcheurs, inutile pour la défense du climat et bientôt insupportable pour les finances des particuliers comme pour celles de l’État. » (<a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/ne-sacrifions-pas-nos-plus-beaux-paysages-aux-eoliennes-20200623"><em>Le Figaro</em>, 6 mai 2020, tribune de S. Bern</a>)</p>
</blockquote>
<p>Les contestations sont alimentées par des recours juridiques – soit par des associations, soit par des élus – contre des projets en cours de construction ou déjà réalisés et des demandes d’annulation de permis de construire.</p>
<h2>Éolien vs nucléaire : polarisation du débat</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533213/original/file-20230621-18-pixdob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Nuage de mots de la classe « mix énergétique » sur la période 2017-20022 corpus nucléaire (à gauche) et éolien (à droite). À noter que les mots renouvelable ou éolien apparaissent dans le corpus nucléaire de gauche (et inversement nucléaire pour le corpus éolien de droite) étant donné que le mix énergétique contient ces deux énergies et qu’ils sont souvent associées.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’analyse du corpus de texte associé aux deux énergies révèle l’apparition d’une classe majeure et récurrente au cours du temps (qui s’intensifie dans le cas de l’éolien) : celle du « mix énergétique ». Les deux énergies, décarbonées, contribuent au même titre à la transition énergétique et l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050.</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit de compenser rapidement le déclin de la production de pétrole et de gaz de la mer du Nord pour atteindre les objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO<sub>2</sub> qui passe par le développement du nucléaire et des énergies renouvelables éolien et solaire. » (<em>Le Monde</em>, 25 septembre 2008)</p>
</blockquote>
<p>Les annonces gouvernementales à partir de 2011 remettent en question l’importance du nucléaire et de nombreux articles présentent l’éolien comme un élément essentiel de la transition énergétique souhaitée par l’État français et l’Europe.</p>
<h2>Retour en grâce du nucléaire</h2>
<p>Le point de bascule survient après 2017 avec le retour en grâce du nucléaire : si l’éolien est toujours vu comme nécessaire, ses faiblesses – qui sont celles des renouvelables en général (intermittence, faible productivité, impact sur le paysage) – sont de plus en plus récurrentes. « </p>
<p>Ces difficultés sont souvent mises en perspective avec l’Allemagne qui a déployé massivement les renouvelables (de 6% en 2000 à 39% en 2020 d’électricité produite), en diminuant progressivement le nucléaire (de 30% à 12% sur la même période) et en maintenant une part importante d’électricité produite à partir du charbon et du gaz naturel <a href="https://www.iea.org/countries/germany">(46% en 2021 versus 62% en 2000)</a>). »</p>
<blockquote>
<p>« D’autant que l’Allemagne, où les énergies renouvelables progressent, ne pourra pas remplir son objectif de réduction de 40 % de ses émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990 en raison de sa forte consommation de charbon. » (<em>Le Monde</em>, 16 novembre 2017)</p>
</blockquote>
<p>Le nucléaire tend, lui, à s’imposer comme la solution privilégiée, avec toujours en toile de fond la comparaison et la critique implicite de l’éolien ou des ENR. Il est promu comme une énergie complétant l’intermittence des énergies renouvelables.</p>
<blockquote>
<p>« Autant les pro-gaz que les pro-nucléaire s’entendent pour faire valoir que les énergies renouvelables éolien et solaire déjà labellisées par la commission souffrent de production intermittente et ne permettront pas dans les prochaines années de fournir une électricité à bas prix et dont on peut maîtriser la production : nous devrons donc avoir recours au nucléaire. » (<a href="https://www.lefigaro.fr/societes/l-ue-devoile-un-projet-de-label-vert-pour-le-gaz-et-le-nucleaire-20220101"><em>Le Figaro</em>, 1 janvier 2022</a>)</p>
</blockquote>
<h2>Discours sur le nucléaire : une exception française ?</h2>
<p>De nombreux scénarios prospectifs démontrent qu’avec ou sans énergie nucléaire, il est nécessaire d’augmenter en France nos capacités de production d’énergie renouvelable. À ce titre, la décentralisation de la production d’énergie renouvelable conduit à la multiplication des projets d’aménagement et donc à l’augmentation mécanique des points de friction avec la société civile – dont la sensibilité s’est accrue ces dernières années.</p>
<p>Le <a href="https://youmatter.world/fr/definition/licence-to-operate-definition-enjeux-methode/">« permis social d’opération »</a> est devenu aujourd’hui une question centrale dans l’élaboration de la stratégie des opérateurs d’infrastructures énergétiques renouvelables comme l’éolien. D’après notre analyse, l’opposition à ce dernier s’intensifie et se structure, à l’inverse du nucléaire qui bénéficie dans le même temps d’un regain d’intérêt (outre les références à l’EPR).</p>
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<p>L’analyse des articles de presse sur ces 17 dernières années reflète <a href="https://theconversation.com/nucleaire-en-france-un-peu-beaucoup-passionnement-a-la-folie-175000">l’attachement historique du pays au nucléaire</a>. La stratégie énergétique annoncée dernièrement par le président l’inscrit dans le long terme.</p>
<p>Le nucléaire a su maintenir en France une place dominante dans le débat énergétique malgré des stigmates forts (déchets, retards de l’EPR ou accident de Fukushima). Un phénomène qui relate la prépondérance persistante (dans les médias) des <a href="https://theconversation.com/face-au-danger-nucleaire-les-effets-dun-discours-expert-desinvolte-85554">certitudes et du discours technique</a> des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1978/03/09/les-nucleocrates-de-philippe-simonnot-connaissez-vous-peon_3130813_1819218.html">« nucléocrates »</a>.</p>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/actualites/paris-saclay-summit-2024-choose-science">Saclay Summit</a>, qui se tient du 29 février au 1er mars à l’EDF Lab Paris-Saclay.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208259/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carine Sebi est titulaire de la Chaire Energy for Society de Grennoble Ecole de Management.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frédéric Bally est membre de la Chaire Energy for Society et de la Chaire Territoires en Transition de Grenoble Ecole de Management. </span></em></p>
Malgré l’émergence du renouvelable dans le discours médiatique au cours des 17 dernières années, le nucléaire a su s’y maintenir une place dominante.
Carine Sebi, Professeure associée et coordinatrice de la chaire « Energy for Society », Grenoble École de Management (GEM)
Frédéric Bally, Post-doctorant, Grenoble École de Management (GEM)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/207525
2023-06-12T10:28:41Z
2023-06-12T10:28:41Z
Quand le greenwashing débouche sur une véritable démarche RSE
<p>Beaucoup d’entreprises mettent en œuvre des politiques de <a href="https://theconversation.com/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale et environnementale (RSE)</a> afin de se présenter sous une belle image et de gagner ainsi en légitimité aux yeux de leurs parties prenantes. Certaines ne sont toutefois pas à la hauteur de leurs prétentions.</p>
<p>Beaucoup n’entreprennent des projets écologiques qu’à des fins de marketing ou pour donner une image de marque à leurs produits. Ou bien ne font-elles que ce que la législation et la pression des parties prenantes les obligent à faire. D’autres utilisent la RSE pour obtenir des avantages concurrentiels à long terme. Elles considèrent ces « stratégies durables » comme un élément essentiel de leur stratégie d’entreprise globale. Les engagements sociaux sont alors alignés sur les objectifs commerciaux.</p>
<p>Pour mieux comprendre la responsabilité sociale stratégique des entreprises, nous avons <a href="https://www.intechopen.com/chapters/83782">analysé</a> les études et théories pertinentes sur les <a href="https://theconversation.com/topics/strategie-21680">stratégies</a> de RSE. Il en ressort deux types de stratégies de RSE : celles introduites pour faire face à la législation environnementale et sociale et à la pression des parties prenantes (ou RSE réactive) ; et celles considérant la RSE comme un processus de différenciation organisant les performances sociales, environnementales et financières.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Nous avons ainsi examiné comment de grandes entreprises dans le secteur de l’énergie semblent utiliser la RSE pour légitimer de mauvaises pratiques. Des <a href="https://www.globalwitness.org/en/campaigns/greenwashing/fossil-fuel-greenwash-since-launch-of-green-claims-code/#:%7E:text=The%20fossil%20fuel%20industry%E2%80%99s%20insidious%20record%20of%20greenwashing&text=A%202021%20study%20found%20that,action%20over%20misleading%20environmental%20claims.">messages trompeurs</a> ont pu être observés sur les médias sociaux concernant l’investissement dans des projets à faible émission de carbone, l’<a href="https://www.euronews.com/green/2022/09/23/shell-bp-exxon-seized-emails-reveal-deceptive-climate-tactics-and-greenwashing">exploration des gisements augmentant</a> en parallèle. Le secteur de l’énergie est l’un des plus grands pollueurs au monde. Il a produit <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat-2022/7-repartition-sectorielle-des-emissions-de#:%7E:text=En%202019%2C%20la%20production%20d,%2C%20y%20compris%20la%20construction">47 % des émissions mondiales</a>.) de gaz à effet de serre dans le monde en 2019. À partir de scandales d’« <a href="https://theconversation.com/topics/greenwashing-27714">écoblanchiment</a> » (c’est-à-dire de tromperie du public sur les réalisations environnementales ou « greenwashing »), nos <a href="https://www.intechopen.com/chapters/83415">travaux</a> expliquent également pourquoi et comment la société civile peut jouer un rôle actif dans la promotion de pratiques durables.</p>
<h2>Une RSE purement stratégique ?</h2>
<p>Sur la base d’une analyse de la littérature qui passe en revue les différentes méthodologies de plus de 100 études, nous concluons qu’il est fréquent que les entreprises de différents secteurs utilisent des stratégies élémentaires pour se conformer aux réglementations sociales et environnementales. Elles cherchent à gagner en légitimité aux yeux des parties prenantes sans faire de la responsabilité sociale des entreprises une pierre angulaire de leur stratégie globale.</p>
<p>Les entreprises énergétiques de 55 pays se sont engagées à respecter l’accord de Paris et un monde à émissions nettes nulles, visant à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 1,5 °C. Mais une <a href="https://oversightdemocrats.house.gov/news/press-releases/oversight-committee-releases-new-documents-showing-big-oil-s-greenwashing">enquête du Congrès américain</a> qui a analysé 200 pages de notes internes d’entreprises a révélé que les <a href="https://www.euronews.com/green/2022/09/23/shell-bp-exxon-seized-emails-reveal-deceptive-climate-tactics-and-greenwashing#:%7E:text=A%20US%20congressional%20investigation%20into,and%20joke%20about%20climate%20collapse%5D">géants du pétrole</a> tels que Shell, Chevron et ExxonMobil se contentaient d’une adhésion de pure forme à l’accord.</p>
<p>On peut lire, par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Shell ne prévoit pas dans l’immédiat de passer à un portefeuille d’émissions nettes nulles sur notre horizon d’investissement de 10 à 20 ans. »</p>
</blockquote>
<p>Selon Richard Wiles, président du <em>Centre for Climate Integrity</em>, ces révélations constituent « la dernière preuve que les géants pétroliers continuent de mentir sur leurs engagements à résoudre la crise climatique et que les décideurs politiques ne devraient jamais leur faire confiance ».</p>
<p>Des affirmations ambiguës, des euphémismes sophistiqués ou des mensonges purs et simples semblent être devenus fréquents dans la communication des entreprises, en particulier en ce qui concerne les activités liées à la responsabilité sociale des entreprises et au développement durable.</p>
<p>Quand cela soulève des accusations d’écoblanchiment, il y a néanmoins matière pour les entreprises à repenser leurs stratégies sociales et environnementales et <a href="https://www.euronews.com/green/2022/09/23/shell-bp-exxon-seized-emails-reveal-deceptive-climate-tactics-and-greenwashing#:%7E:text=A%20US%20congressional%20investigation%20into,and%20joke%20about%20climate%20collapse%5D">introduire des changements efficaces</a>.</p>
<h2>Des retombées parfois positives au <em>greenwashing</em></h2>
<p>Les <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JCM-06-2019-3257/full/html">effets négatifs</a> de l’écoblanchiment, tels que la tromperie et la manipulation des consommateurs, l’évitement d’actions concrètes et le blocage de la transition écologique, peuvent être importants. De cette situation peuvent cependant aussi naître des changements positifs. C’est notamment le cas lorsque les parties prenantes, les décideurs politiques et commerciaux et les chercheurs sensibilisent à ces pratiques. Les consommateurs peuvent réclamer plus de <a href="https://www.intechopen.com/online-first/83782">transparence</a> et demander des comptes aux entreprises lorsqu’elles se comportent mal.</p>
<p>L’affaire Volkswagen de 2015 est instructive. Le gouvernement américain avait découvert des « irrégularités » dans les tests mesurant les niveaux d’émissions de dioxyde de carbone affectant des milliers de voitures produites par l’entreprise allemande. L’<a href="https://www.epa.gov/enforcement/volkswagen-clean-air-act-civil-settlement">accord</a> conclu avec l’Agence américaine de protection de l’environnement a poussé l’entreprise à investir dans l’infrastructure et la technologie des véhicules électriques. Par la suite, Volkswagen est devenu un acteur clé sur le <a href="https://www.volkswagen-newsroom.com/en/press-releases/new-auto-volkswagen-group-set-to-unleash-value-in-battery-electric-autonomous-mobility-world-7313">marché des véhicules électriques</a>.</p>
<p>L’engagement public pris par les entreprises peut également inciter les employés à travailler à la réalisation de ces objectifs et contribuer à établir une norme de durabilité pour les entreprises.</p>
<h2>La société civile, motrice de changements</h2>
<p>Autre exemple, en février 2023, l’ONG internationale Global Witness a par exemple accusé l’une des plus grandes compagnies pétrolières, Shell, d’avoir <a href="https://www.globalwitness.org/en/campaigns/fossil-gas/shell-faces-groundbreaking-complaint-misleading-us-authorities-and-investors-its-energy-transition-efforts/">trompé les autorités américaines</a> et les investisseurs sur sa transition écologique.</p>
<p>Shell a révélé dans son rapport annuel 2021 que 12 % de ses dépenses d’investissement étaient consacrées au développement de solutions énergétiques renouvelables et vertes. Cependant, seulement 1,5 % a été utilisé pour développer des sources et des centrales solaires et éoliennes. Global Witness a constaté que l’entreprise entreprenait en fait des projets gaziers nuisibles au climat. L’ONG a déposé une <a href="https://www.sec.gov/newsroom/sec-stories/chair-gary-gensler-marks-2nd-year-sec">plainte</a> auprès de la <em>Securities and Exchange Commission</em> aux États-Unis pour qu’elle enquête sur les affirmations du géant mondial de l’énergie.</p>
<p>Ce n’est pas le seul scandale dans lequel Shell s’est retrouvée impliquée. En 2021, un tribunal néerlandais a jugé la filiale de Shell responsable des déversements de pétrole survenus entre 2004 et 2007 au Nigeria. Il a ordonné à l’entreprise de verser des indemnités aux quatre agriculteurs nigérians qui ont intenté le procès. La réputation de Shell a été gravement entachée. La société s’est engagée à <a href="https://corpaccountabilitylab.org/calblog/2023/2/8/shell-agrees-to-pay-15-million-euros-to-nigerian-farmers-and-fishermen#:%7E:text=A%20historic%20settlement,compensation%20for%20the%20harm%20caused.">dédommager les agriculteurs nigérians</a> à hauteur de 15 millions d’euros et à installer un système de détection des fuites.</p>
<p>Shell s’est également <a href="https://www.britishcycling.org.uk/about/article/20221017-about-bc-static-SHELL-UK-0">associée à un groupe de réflexion</a> militant pour l’environnement, <em>British Cycling</em>, afin de donner une image verte et d’améliorer l’acceptation et la désirabilité de ses produits et services. Mais très vite, British Cycling a été <a href="https://www.independent.co.uk/sport/british-cycling-cycling-shell-british-friends-of-the-earth-b2199756.html">accusée</a> d’écoblanchiment.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1287449139559661569"}"></div></p>
<p>Comme nous le montrons dans notre <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JCM-06-2019-3257/full/html">étude</a>, lorsque les consommateurs prennent conscience d’un comportement socialement irresponsable, leur identification positive à l’entreprise est interrompue. Des citoyens ordinaires ont ainsi participé à la prise de conscience de cas d’écoblanchiment au travers de campagnes de dénonciation. En juillet 2020, une communication trompeuse d’Air France sur ses vols neutres en CO<sub>2</sub> a par exemple été <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/greve-a-air-france/vol-neutre-en-co2-la-petite-mention-d-air-france-qui-fait-tiquer-des-scientifiques_4058309.html">largement retweetée</a>.</p>
<h2>Des annonces abritées par une certaine complexité</h2>
<p>L’empreinte carbone ne peut être évaluée que si les conséquences et les émissions associées à une série de technologies sont prises en compte. Celles-ci vont de l’extraction des matières premières à l’élimination ou au recyclage. Or, de nombreuses technologies liées aux énergies renouvelables dépendent encore, dans une certaine mesure, des combustibles fossiles. De nombreuses entreprises profitent de cette complexité et du marketing pour écologiser leurs modèles d’entreprise sans procéder à des changements significatifs.</p>
<p>Pour lutter contre ce phénomène, il s’agirait alors, pour les pouvoirs publics, d’imposer une certaine transparence, d’implémenter une réglementation efficace et de développer des mécanismes de contrôle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207525/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Les annonces RSE ne semblent parfois qu’une vitrine ou un moyen de répondre à quelque obligation légale. La société civile peut néanmoins s’en servir pour contraindre les entreprises à agir.
Ouidad Yousfi, Associate Professor of Finance, Université de Montpellier
Maha El Kateb, Ph.D candidate, Université de Montpellier
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/206909
2023-06-08T18:01:37Z
2023-06-08T18:01:37Z
Alimentation et santé : pourquoi l’Europe doit adopter le logo Nutri-score
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530318/original/file-20230606-29-gscvwa.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">shutterstock</span> </figcaption></figure><p>Apposé sur la face avant des emballages des aliments, le logo nutritionnel Nutri-score à 5 couleurs permet aux consommateurs de juger de la qualité nutritionnelle globale des aliments, afin de les aider à orienter leurs choix au moment de l’achat vers les alternatives de meilleure qualité nutritionnelle.</p>
<p>S’appuyant sur des bases scientifiques solides, le Nutri-score a récemment été mis à jour pour être plus performant et plus en accord avec les recommandations nutritionnelles les plus récentes.</p>
<p>Il n’est cependant toujours pas obligatoire, du fait de la réglementation européenne. Mais les choses pourraient changer. En effet, dans le cadre de sa <a href="https://www.europarl.europa.eu/legislative-train/theme-a-european-green-deal/file-mandatory-front-of-pack-nutrition-labelling">stratégie « Farm to fork »</a>, la Commission européenne s’est engagée en 2020 à changer sa réglementation sur l’information des consommateurs. Elle s’est engagée à proposer, d’ici 2023, un logo d’information nutritionnelle obligatoire à l’échelle de toute l’Union européenne.</p>
<p>Mais cette annonce n’est pas du goût de tous : certains lobbys industriels très actifs depuis la première proposition du Nutri-score par les scientifiques, en 2014, poursuivent leur mobilisation pour empêcher son adoption au niveau européen. Et ce, en dépit des arguments scientifiques qui démontrent clairement la supériorité de ce logo sur les alternatives proposées.</p>
<h2>Une efficacité scientifiquement établie</h2>
<p>De très nombreuses études scientifiques réalisées au cours des dernières années ont permis de valider l’algorithme qui sous-tend le calcul du Nutri-score et de démontrer son efficacité pour aider les consommateurs à orienter leur choix vers des aliments de meilleure qualité nutritionnelle et donc plus favorable à leur santé.</p>
<p>Plus d’une <a href="https://nutriscore.blog/2022/09/23/bibliography-references/">centaine d’études</a> ont été publiées depuis 2014 démontrant l’intérêt de ce logo, en particulier pour les populations défavorisées, ainsi que ses <a href="https://theconversation.com/logo-nutritionnel-pourquoi-certains-industriels-font-de-la-resistance-87424">performances supérieures par rapport aux autres logos</a>.</p>
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<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/logo-nutritionnel-pourquoi-certains-industriels-font-de-la-resistance-87424">Logo nutritionnel : pourquoi certains industriels font de la résistance</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>C’est également ce que conclut le <a href="https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC130125">rapport du Centre commun de recherche européen (JRC)</a> de la Commission européenne : les consommateurs, y compris ceux à faibles revenus, préfèrent les logos simples, colorés et évaluatifs (comme Nutri-score) par rapport aux logos monochromes non évaluatifs plus complexes (comme le <a href="https://theconversation.com/lobbying-et-alimentation-les-aliments-traditionnels-le-nouvel-argument-des-anti-nutri-score-162022">Nutrinform proposé par l’Italie</a> comme alternative au Nutri-score).</p>
<p>Par ailleurs, le Nutri-score évolue régulièrement pour améliorer ses performances et prendre en compte les évolutions les plus récentes en matière de nutrition, comme le montre sa dernière mise à jour.</p>
<h2>Un Nutri-score mis à jour pour être plus performant</h2>
<p>La récente mise à jour de l’algorithme du Nutri-score par un comité scientifique composé d’experts européens indépendants a permis de corriger certaines des « limites » identifiées depuis sa mise en place et d’améliorer encore sa cohérence avec les recommandations nutritionnelles actuelles de santé publique.</p>
<ul>
<li>Modifications <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/maj__rapport_nutri-score_rapport__algorithme_2022_.pdf">pour les aliments solides</a> :</li>
</ul>
<ol>
<li><p>les produits riches en sel ou en sucre sont finalement classés moins favorablement ;</p></li>
<li><p>les céréales de petit déjeuner à teneur relativement élevée en sucre ne peuvent plus être classées A et passent en C ;</p></li>
<li><p>les produits laitiers sucrés sont moins favorablement classés ;</p></li>
<li><p>les pains complets sont principalement classés A alors que les pains raffinés se répartissent entre B et C (selon leur teneur en sel) ;</p></li>
<li><p>L’huile d’olive passe en B ainsi que les huiles végétales à faible teneur en acides gras saturés (colza, noix, tournesol oléique). L’huile de tournesol passe en C. Les autres produits de la catégorie demeurent inchangés ;</p></li>
<li><p>Les noix et graines sans sel ni sucre ajoutés, sont classées en A ou B, alors que les versions salées et/ou sucrées sont en moyenne en C ou même D ;</p></li>
<li><p>Les plats composés (plats prêts-à-manger, pizzas, etc.) passent en moyenne des classes A/B aux classes B/C ou même D pour certaines catégories de produits notamment les pizzas ;</p></li>
<li><p>Les fromages à pâte dure à faible teneur en sel (type Emmental) sont maintenant classés C ; les autres fromages restent D ou E en fonction de leur contenu en sel et en acides gras saturés ;</p></li>
<li><p>La viande rouge est moins bien classée et se retrouve globalement dans des classes de notes inférieures à celles de la volaille et du poisson.</p></li>
</ol>
<ul>
<li>Modifications <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/documents/rapport-synthese/update-of-the-nutri-score-algorithm-for-beverages.-second-update-report-from-the-scientific-committee-of-the-nutri-score-v2-2023">pour les boissons</a> :</li>
</ul>
<ol>
<li><p>Les laits de vache écrémés et partiellement écrémés sont en majorité classés B et le lait entier C ;</p></li>
<li><p>Les boissons lactées sucrées (laits aromatisés), ne peuvent plus être A ou B et se retrouvent principalement en D et E (certains à faible teneur en sucre en C) ;</p></li>
<li><p>Les boissons fermentées à base de lait (incluant les yogourts à boire sucrés et aromatisés) ne peuvent plus être A et sont différenciées en fonction de la teneur en sucre entre C et E ;</p></li>
<li><p>Les cacaos et cafés en poudre sont inclus comme boissons pour le calcul de leur Nutri-score si leur déclaration nutritionnelle est indiquée comme consommée (c’est-à-dire après reconstitution avec du lait ou de l’eau) plutôt que comme vendue et se retrouvent moins bien classées ;</p></li>
<li><p>Les boissons à base de plantes (soja, amande, avoine, riz…) ne sont plus classées en A comme actuellement mais se distribuent entre B e E ;</p></li>
<li><p>Les boissons sucrées avec des quantités très limitées de sucre (<2 g/100mL) passent en B, tandis que celles avec des quantités élevées de sucre sont maintenues en D/E ;</p></li>
<li><p>Les boissons contenant des édulcorants sont pénalisées et se trouvent classées au moins en C (voire D ou E si elles contiennent des édulcorants et du sucre).</p></li>
</ol>
<p>Récemment, 320 scientifiques et professionnels de santé ont publié un <a href="https://nutriscore-europe.com/blog/">rapport reprenant l’ensemble des arguments scientifiques robustes en faveur du Nutri-score</a>. Ils y pointent également la forte demande sociétale justifiant le choix du Nutri-score au niveau européen.</p>
<h2>Un logo largement soutenu</h2>
<p>Sur la base des données scientifiques probantes, de nombreuses associations scientifiques et sociétés savantes européennes ont apporté leur soutien à l’adoption du Nutri-score en Europe, notamment l’<a href="https://eupha.org/repository/advocacy/2023/EUPHA%20Statement%20on%20FoPNL%20FINAL.pdf">European Public Health Association (EUPHA)</a>, <a href="https://nutriscore.blog/2021/02/27/a-position-statement-of-the-european-academy-of-paediatrics-eap-and-the-european-childhood-obesity-group-ecog-strongly-supporting-the-eu-wide-mandatory-introduction-of-the-nutriscore-published-in/">l’European Childhood Obesity Group (ECOG)</a>, l’European Heart Network (EHN), l’European Academy of Paediatrics, United European Gastroenterology…</p>
<p>C’est également le cas pour de nombreuses associations de consommateurs (en particulier le <a href="https://www.beuc.eu/sites/default/files/publications/beuc-x-2019-051_nutri-score_factsheet.pdf">Bureau européen des Unions de Consommateurs (BEUC)</a>, qui regroupe 46 organisations de consommateurs de 32 pays européens) ainsi que de nombreuses ONG.</p>
<p>Dans le même sens, la <a href="https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12749-Food-labelling-revision-of-rules-on-information-provided-to-consumers/public-consultation_fr">consultation publique</a> lancée à l’initiative de la CE entre décembre 2021 et mars 2022 a montré que la majorité des organisations de consommateurs et des ONGs, les citoyens, les institutions de recherche et d’éducation et les autorités de santé publique soutiennent massivement un logo nutritionnel qui fournit des informations graduelles sur la qualité nutritionnelle globale des aliments. Ce qui correspond totalement aux caractéristiques du Nutri-score.</p>
<p>Malgré tout, certaines certaines grandes firmes refusent toujours de l’afficher sur leurs produits, et militent pour éviter la Commission ne l’adopte.</p>
<h2>Un intense lobbying anti-Nutri-Score</h2>
<p>Dès la naissance du Nutri-score et sa proposition, en 2014, par les scientifiques, de puissants lobbys qui ont tenté de bloquer sa mise en place. A l’issue d’une <a href="https://www.humensciences.com/livre/Mange-et-tais-toi/99">bataille qui a duré près de 4 ans</a>, ce logo a finalement été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000035944131">adopté en France</a> et dans six autres pays européens, mais sur une base volontaire. La réglementation européenne empêche en effet les états-membres de rendre obligatoire un logo d’information nutritionnelle.</p>
<p>Si aujourd’hui plus de <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/articles/nutri-score">900 marques en France l’ont adopté</a> (ce qui correspond à 60 % du marché alimentaire), il n’est que facultatif et certaines grandes firmes refusent toujours de l’afficher sur leurs produits.</p>
<p>A l’origine des pressions anti-Nutri-Score, on retrouve plusieurs grandes entreprises alimentaires qui s’opposent depuis toujours à son implémentation (Ferrero, Lactalis, Coca-Cola, Mars, Mondelez, Kraft…) ainsi que certains secteurs agricoles, notamment ceux du fromage et des charcuteries et leur puissante représentation européenne (COPA-COGECA).</p>
<p>Leurs actions de lobbying sont relayées au niveau des structures européennes par divers partis politiques et des politiciens, et surtout par le gouvernement italien (particulièrement depuis les dernières élections italiennes) instrumentalisant Nutri-score comme un <a href="https://www.european-views.com/2019/12/nutri-score-and-the-battle-over-europes-food-labels/">complot de l’Europe contre les produits « made in Italy »</a>.</p>
<p>Bien que ce lobbying s’appuie sur des arguments non scientifiques, il semble avoir été suffisamment efficace pour amener la Commission européenne à ne pas tenir ses engagements concernant le calendrier de l’évolution de la réglementation européenne concernant l’étiquetage nutritionnel des aliments.</p>
<p>En outre, les déclarations de certains de ses représentants laissent entendre que la Commission pourrait finalement ne pas retenir le Nutri-score comme logo nutritionnel obligatoire pour l’Europe, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=j7YgIo6xALo">considérant qu’il serait trop « polarisant »</a>.</p>
<p>Il est pourtant clair que le Nutri-score dans sa version mise à jour est un moyen simple et efficace d’aider les consommateurs à tendre vers des choix alimentaires plus favorables sur le plan nutritionnel. Ce faisant, ils réduisent leur risque de développer bon nombre de maladies chroniques liées à la nutrition (obésité, maladies cardiovasculaires, diabète, certains cancers…), lesquelles constituent des problèmes de santé publique don le coût humain, social et économique majeur n’est plus à démontrer.</p>
<p>Espérons donc que la Commission européenne prendra en considération les données issues de la science pour motiver une décision en faveur de la santé publique plutôt que de la défense d’intérêts économiques ou politiques.</p>
<hr>
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206909/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amandine Garde a reçu des fonds de l'Organisation mondiale de la santé et du Conseil de la recherche économique et sociale du Royaume-Uni pour mener des recherches sur la relation entre le marketing alimentaire, la législation, les régimes alimentaires sains et la prévention de l'obésité. Elle refuse les financements d’un large éventail d’industries, notamment les industries de l'alimentation, de l'alcool et du tabac. Il en va de même pour l'unité "Droit et MNT" qu’elle a créé. Cette mesure vise à protéger la crédibilité de ses recherches et à garantir l'absence de tout conflit d'intérêts réel, perçu ou potentiel.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathilde Touvier a reçu des financements publics et associatifs à but non lucratif de l'Institut National du Cancer, l'European Research Council, le Ministère de la Santé, la Fondation Bettencourt, l'Agence Nationale pour la Recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Chantal Julia, Pilar Galan et Serge Hercberg ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Le logo Nutri-score est régulièrement amélioré pour mieux guider les consommateurs. Mais malgré ses performances scientifiquement établies, l’Europe hésite à l’adopter en raison d’un intense lobbying.
Serge Hercberg, Professeur Emérite de Nutrition Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13) - Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Amandine Garde, Professor of Law, University of Liverpool
Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Mathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Inserm
Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAe, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm, Université de Paris, Université Sorbonne Paris Nord, Cnam, Inrae
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tag:theconversation.com,2011:article/203599
2023-05-03T20:46:40Z
2023-05-03T20:46:40Z
Comment les lobbyistes influencent-ils la vie politique française ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520803/original/file-20230413-26-d9l4gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=54%2C54%2C5952%2C3953&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">78 % des Français estiment que les lobbies ont trop d’influence sur la vie politique. Yougov 2018.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://d25d2506sfb94s.cloudfront.net/cumulus_uploads/document/mizxbjm9so/Résultats%20YouGov%20pour%20Le%20Huff%20Post%20(Baromètre)%20139%20050918.pdf">Ben White / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« Nous comptons sur votre commission pour mettre fin à cette opacité. Un lobbyiste ne devrait pas pouvoir dicter sa loi aux représentants du peuple ». C’est par <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceuberfil/l16ceuberfil2223002_compte-rendu">ces mots</a> que le représentant de la CGT-Taxis a interpellé l’actuelle commission d’enquête relative aux révélations des <a href="https://theconversation.com/les-uber-files-revelent-la-strategie-du-chaos-de-lentreprise-peut-elle-vraiment-changer-186937">Uber Files</a>. À l’initiative du groupe La France Insoumise, les députés cherchent à déterminer l’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0594_proposition-resolution#">influence d’Uber auprès des décideurs publics</a> et notamment auprès d’Emmanuel Macron – alors ministre de l’Économie. Celui-ci est soupçonné d’avoir passé un <a href="https://www.liberation.fr/politique/comment-emmanuel-macron-a-fait-lagent-duber-20220710_JX7LKGDVA5HPDF6DMZBETCVUG4/">« deal secret »</a> avec le géant du VTC, afin de faciliter sa croissance sur le marché français. Si le Parlement peut creuser cette question, c’est en grande partie grâce aux révélations de Mark MacGann, ex-« lobbyiste » de la plate-forme reconnaissant avoir <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/11/nous-avons-vendu-un-mensonge-a-tout-le-monde-mark-macgann-le-lanceur-d-alerte-des-uber-files-se-devoile_6134366_4408996.html">« vendu [du] mensonge à tout le monde »</a>, et aux gouvernements européens particulièrement.</p>
<p>Mais <a href="https://theconversation.com/lobbying-aller-au-dela-des-poncifs-par-la-recherche-55421">au-delà des fantasmes</a>, qu’est-ce que le lobbying ? Qu’est-ce que ce métier permettant d’influencer les hommes politiques, au point de faire démissionner certains ministres, comme en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/08/28/hulot-la-presence-d-un-lobbyiste-prochasse-a-une-reunion-a-acheve-de-le-convaincre-de-demissionner_5347027_823448.html">témoigne l’« épisode Nicolas Hulot »</a> sous la présidence, une nouvelle fois, d’Emmmanuel Macron ?</p>
<h2>Distinguer le lobbying du lobbyiste</h2>
<p>Le lobbying est un <a href="https://www.lgdj.fr/sociologie-des-groupes-d-interet-9782707607850.html">« mot-valise »</a> qui désigne toute action d’origine privée ayant pour intention d’influencer les comportements des acteurs, quels qu’ils soient, à travers des canaux divers. Cette tentative d’influence a pour but de présenter une vision partielle ou subjective des faits sociaux et bénéficier ainsi de rétributions économiques, symboliques, politiques. Le <a href="https://theconversation.com/lobbies-espaces-de-decisions-et-transparence-103122">lobbying</a> intervient à toutes les étapes du processus de production des normes – des consultations avec l’exécutif <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/lobbying-devant-conseil-constitutionnel-derriere-portes-etroites#.ZDZ8hXZBw2w">aux délibérations du Conseil constitutionnel</a>, en passant bien entendu par l’examen parlementaire. Il peut s’incarner aussi bien par des spectaculaires campagnes médiatiques que par des rencontres informelles.</p>
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<p>Les lobbyistes, eux, sont des professionnels de la « représentation d’intérêts » (« représentant d’intérêts » étant le terme retenu par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000033558541">loi Sapin 2</a> encadrant l’activité). Leur profession est de porter la voix de leur(s) employeur(s) ou de leur(s) financeur(s) auprès des acteurs de la production normative, dans le but d’influer sur leur décision.</p>
<p>Ce métier de lobbyiste s’apprend généralement aujourd’hui dans des formations en « affaires publiques ». Durant celles-ci, de nombreux intervenants se succèdent pour enseigner les ficelles du métier. Ceux-ci éclairent les étudiants sur le processus décisionnel français ou européen, les initient à l’écriture d’un amendement, les incitent à se constituer un « réseau », les invitent à scruter les journaux pour anticiper les futures réformes, leur apprennent à effectuer une veille de leur environnement professionnel. Ces connaissances sont présentées comme indispensables pour dialoguer avec l’autorité publique et exiger d’elle une évolution de la norme juridique. Selon ces intervenants, leur travail consiste à influencer la loi, influencer les élus, influencer la « société civile » pour qu’elle-même influence le monde politique.</p>
<p>Mais les lobbyistes, c’est-à-dire les professionnels de la représentation d’intérêts, sont-ils réellement des influenceurs de la loi ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"913346922785763328"}"></div></p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-l-action-publique--9782200259990.htm">indices</a> – documentés de manière <a href="https://www.cairn.info/les-groupes-d-interet--9782200259983.htm">plus</a> ou <a href="https://www.jstor.org/stable/1952327">moins récente</a> par les sciences humaines et sociales – permettent de nuancer cette idée répandue que des hommes de l’ombre tirent les ficelles.</p>
<h2>Une influence mineure des lobbyistes…</h2>
<p>Tout d’abord, le professionnel de la représentation n’est pas le seul à faire du lobbying au sein de sa structure. Sa direction générale ainsi que ses collègues directeurs spécialistes d’une thématique et titulaires d’une expertise dite technique sur une problématique ou sur un périmètre donné (juridique, énergie, fiscalité, santé, etc.), peuvent occasionnellement exercer cette activité. Les lobbyistes peuvent donc être substitués par leurs collègues ou leur hiérarchie, voire connaître une concurrence de leur mandat de représentant d’intérêts. Il existe dès lors une division du lobbying entre le professionnel de la représentation d’intérêts (pour qui le lobbying est l’activité principale) et ses collègues experts (pour qui le lobbying est une activité secondaire, ponctuelle).</p>
<p>Cette dichotomie suit généralement une autre division : celle de l’élaboration de la loi entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. En effet, par un effet d’homologie (le partage de dispositions et de codes sociaux communs tels que le langage, le parcours scolaire, les lieux de sociabilité par exemple), les lobbyistes dialoguent plus facilement avec le monde politique (collaborateurs d’élus compris), lorsque leurs collègues directeurs spécialisés interagissent plus volontiers avec les (hauts-)fonctionnaires. Ainsi, une partie considérable de l’activité des lobbyistes se concentre sur l’arène parlementaire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bJ9AX4v4I14?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La série « Parlement » illustre le poids des lobbies à Bruxelles.</span></figcaption>
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<p>Or, le <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/La-force-de-gouverner">pouvoir législatif a connu un déclassement institutionnel et symbolique au profit de l’exécutif ainsi que de ses administrations centrales</a>. Le Parlement n’est plus le lieu stratégique pour la fabrique de la norme. Une grande partie de l’écriture d’un texte de loi se fait dans les bureaux des administrations ministérielles, davantage ouverts aux directeurs spécialisés qu’aux professionnels de la représentation d’intérêts.</p>
<p>Durant les réunions organisées par l’administration, le professionnel de la représentation d’intérêts (pour qui le lobbying est l’activité principale) est au mieux accompagnateur de son collègue expert. Par conséquent, il n’est pas rare que le lobbyiste se retrouve exclu d’un moment clef de la conception de la loi.</p>
<p>Son rôle se révèle d’autant plus secondaire qu’un fragment important de la représentation d’intérêts est délégué aux organisations tierces (fédérations professionnelles, chambres de commerce, syndicats, associations, etc.). Celles-ci sont chargées de centraliser les positions de leurs adhérents et demeurent les interlocutrices privilégiées de l’autorité publique.</p>
<p>Enfin, certains chercheurs soulignent que les dynamiques libérales qui ont pénétré l’action publique sont <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/histoire-intellectuelle-du-liberalisme-9782702115572/">davantage la conséquence d’un long processus historique que le fruit d’un groupe social précis</a>. Ainsi, le plus souvent, l’adoption d’un amendement promouvant les vertus du marché est <a href="https://www.peterlang.com/document/1113389">moins à mettre au crédit de l’action individuelle d’un lobbyiste</a> que de la <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/le-concert-des-puissants/">correspondance entre la mise en retrait volontaire de l’État avec les intérêts capitalistes</a>.</p>
<h2>… Mais une influence lucrative</h2>
<p>En résumé, les lobbyistes « vendent », ou plutôt promeuvent le <a href="https://agone.org/livres/leneoliberalismealafrancaise">libéralisme économique à des décideurs publics déjà plus ou moins convaincus</a>. Ils ne sont ni les créateurs ni les gardiens du (néo-)libéralisme. Les lobbyistes sont seulement des agents au service de secteurs économico-financiers, des émissaires – parmi d’autres – chargés de connecter les intérêts du marché à ceux de l’État. De surcroit, leurs interlocuteurs sont plutôt les parlementaires (et leur équipe), dont le poids est moindre dans le processus décisionnel.</p>
<p>Leur lobbying n’est pas pour autant sans incidence sur la version définitive de la norme. Si l’exécutif a bâti la structure du texte, il revient aux législateurs de régler les formalités et de corriger certains détails pouvant se révéler lucratifs pour un secteur d’activités. Le lobbying des professionnels de la représentation d’intérêts porte ainsi le plus souvent sur des mesures – pouvant sembler – marginales d’une résolution publique plus ambitieuse. Ainsi, une lobbyiste <a href="https://www.theses.fr/2022UPSLD001">nous a rapporté</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je me suis battue une fois à deux heures du matin au Sénat contre les kinés avec un amendement pour permettre aux esthéticiennes de continuer à faire des massages. Alors, ça ne devait plus s’appeler massage, ça s’appelait “modelage”. »</p>
</blockquote>
<p>Le changement d’appellation constituait un enjeu économique (et symbolique) majeur pour le secteur de l’esthétique : un article de la loi <a href="https://www.ehess.fr/fr/ouvrage/courtiers-capitalisme">peut ouvrir (ou fermer) un marché à des acteurs privés</a>. Gageons néanmoins que les députés ne trouveront pas pertinent d’ouvrir une commission d’enquête sur cette influence de l’esthétique dans notre vie démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203599/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Docteur en sociologie, Rémi BOURA est également responsable des relations parlementaires et de la recherche-action à la Fédération des Acteurs de la Solidarité.</span></em></p>
Alors que les députés enquêtent au sujet de l’influence d’Uber sur Emmanuel Macron, retour sur le travail des lobbyistes, au-delà des fantasmes.
Rémi Boura, Docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSL
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tag:theconversation.com,2011:article/186937
2022-07-17T18:23:39Z
2022-07-17T18:23:39Z
Les « Uber Files » révèlent la stratégie du chaos de l’entreprise: peut-elle vraiment changer ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/474278/original/file-20220715-22-bp9ebb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C7%2C4905%2C3245&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">350 millions : c'est le nombre de trajets réalisés avec l'application Uber en France depuis 2011. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/soest-germany-august-4-2019-uber-1497227390">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis sa création en 2009, Uber a connu une histoire controversée, allant de violents <a href="https://www.sudouest.fr/economie/social/manifestation-des-taxis-les-images-des-violences-a-paris-7763710.php">conflits</a> entre chauffeurs à un logiciel secret prétendument utilisé pour <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/12/uber-files-quand-uber-trafiquait-son-application-pour-echapper-a-la-police_6134413_4408996.html">échapper aux forces de l’ordre</a>. Aujourd’hui, une fuite de plus de 124 000 documents nommés <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/affaire/uber-files/"><em>Uber Files</em></a> montre à quel point l’entreprise, sous la direction de son cofondateur et ancien PDG Travis Kalanick, a tiré parti de ce chaos pour se développer dans 40 pays.</p>
<p>Mes <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/rego.12456">recherches explorent</a> la relation entre Uber et les États. La stratégie de croissance à tout prix de l’entreprise a été inégale, façonnée et ralentie par des réglementations variables selon les marchés. Ces dernières années, Uber semble avoir calmé son approche et mis fin à certaines des activités les plus agressives décrites dans les documents fuités. Mais à mon avis, la stratégie qui est au cœur du succès de l’entreprise impose qu’elle sera toujours en conflit avec les lois des pays où elle opère.</p>
<p>Les <em>Uber Files</em> montrent que l’entreprise prenait des libertés avec la loi. Le modèle initial d’Uber – des citoyens conduisant d’autres citoyens dans leurs voitures privées sans permis ni licence d’aucune sorte – se situait juridiquement dans une zone grise. Dans des courriels, des cadres ont même plaisanté sur le fait qu’ils étaient des « pirates » et que le modèle de l’entreprise était « tout simplement illégal », lorsqu’ils se heurtaient à une opposition juridique pour aborder de nouveaux marchés.</p>
<p>Les documents divulgués révèlent également le rôle que le lobbying et les relations amicales avec des politiciens ont joué dans le succès d’Uber. La société a engagé de puissants lobbyistes, dont beaucoup étaient d’anciens membres ou associés de gouvernements nationaux qui avaient notamment promis de mettre fin au « copinage » entre politique et industrie. Parmi les rencontres avec les politiciens figuraient des personnalités telles que <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/10/uber-files-revelations-sur-le-deal-secret-entre-uber-et-macron-a-bercy_6134202_4408996.html">Emmanuel Macron</a> (alors ministre français de l’Économie) et le maire de Hambourg de l’époque (aujourd’hui chancelier d’Allemagne) Olaf Scholz.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-lobbying-une-activite-qui-reste-largement-meconnue-173450">Le lobbying, une activité qui reste largement méconnue</a>
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<p>Cette <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/10/uber-files-une-strategie-du-chaos-assumee-pour-conquerir-le-monde_6134211_4408996.html">stratégie du chaos</a> aurait également consisté à mettre en danger les chauffeurs de l’entreprise. Presque partout où Uber s’est implanté, les syndicats de taxis ont organisé des manifestations en signe de protestation qui pouvaient parfois devenir violentes. Des messages de Kalanick dans les dossiers d’Uber montrent que ce dernier considérait que la présence des chauffeurs Uber à une manifestation de chauffeurs de taxi en France « en valait la peine », car « la <a href="https://www.nouvelobs.com/social/20220711.OBS60800/la-violence-garantit-le-succes-une-enquete-revele-les-methodes-agressives-d-uber-pour-s-imposer-dans-le-monde-entier.html">violence garantit le succès</a> ».</p>
<p>Uber aurait également mis en place un « kill switch », un outil technologique permettant d’empêcher les autorités d’accéder aux données d’Uber lorsqu’elles font une descente dans ses bureaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/uber-et-si-on-oubliait-un-instant-les-taxis-et-les-chauffeurs-68180">Uber, et si on oubliait un instant les taxis et les chauffeurs ?</a>
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<p>L’entreprise s’est efforcée de prendre ses distances par rapport aux allégations des dossiers d’Uber. <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/travis-kalanick-le-createur-d-uber-ejecte-de-son-siege-20190821">Une déclaration</a> publiée par la société attribue le contenu des fuites à l’ère Kalanick, et souligne le changement de direction et de valeurs.</p>
<p>Entre-temps, le porte-parole de Kalanick a déclaré que l’approche d’Uber en matière d’expansion n’était pas de son fait, mais qu’elle était au contraire « sous la supervision directe et faite avec l’approbation totale des groupes juridiques, de politique et de conformité d’Uber ».</p>
<h2>Ce qui a (et n’a pas) changé</h2>
<p>Cette stratégie du chaos a sans aucun doute fonctionné. Uber est désormais une entreprise <a href="https://www.leparisien.fr/politique/uber-files-lobbying-role-de-macron-cinq-minutes-pour-comprendre-les-revelations-sur-le-geant-du-vtc-11-07-2022-ZIEPLJGFEBCDTMQLUO6FNOQ57A.php">valorisée à 43 milliards de dollars</a> (42 milliards d’euros) et ses chauffeurs effectuent environ 19 millions de trajets par jour. Pourtant, elle se bat toujours avec la rentabilité et des concurrents agressifs.</p>
<p>En 2017, Kalanick a quitté ses fonctions et a été remplacé comme PDG par Dara Khosrowshahi. La plupart des dirigeants ont également changé depuis lors. Les accusations concernant une <a href="https://www.lepoint.fr/economie/harcelement-sexisme-litiges-uber-empetre-dans-les-affaires-09-06-2017-2134096_28.php">certaine culture de harcèlement et de sexisme sur le lieu de travail</a> semblent s’être taries.</p>
<p>L’entreprise s’est globalement éloignée de son activité d’origine pour s’orienter vers un service où des chauffeurs agréés utilisent des véhicules munis de permis spécifiques pour transporter des passagers (en d’autres termes, un taxi à l’ère du smartphone), et a introduit « Uber Eats », un service de livraison de nourriture. L’entreprise a également adopté une approche plus calme et plus civilisée de l’expansion. « Doucement, mais sûrement », semble être sa nouvelle devise.</p>
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<p>En voici deux exemples : Uber s’est implanté à Madrid en 2014 au mépris d’une loi espagnole exigeant que les entreprises et les chauffeurs possèdent une licence spécifique. Elle s’est implantée à Berlin la même année, en violation des lois allemandes sur la concurrence. L’entreprise a été interdite, a quitté les deux villes et est revenue plus tard en respectant la réglementation en vigueur.</p>
<p>Lorsqu’il a abordé l’expansion allemande en 2018, Khosrowshahi a admis que l’approche d’Uber s’était retournée contre elle, et s’est engagé à se développer de manière responsable. De même, en parlant de l’expérience en Espagne, Carles Lloret, PDG d’Uber pour l’Europe du Sud, a reconnu que « c’était une erreur de reproduire le modèle américain – plus libéral – sans tenir compte <a href="https://www.elmundo.es/economia/empresas/2017/04/20/58f7aca346163f1d3b8b4615.html">du contexte espagnol</a> ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme donne une conférence" src="https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Travis Kalanick, co-fondateur et ancien PDG d’Uber.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://wordpress.org/openverse/image/1e9d649c-d7d0-4c2d-bacf-548d1a27d052">« Travis Kalanick » by jdlasica</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et pourtant, certaines choses n’ont pas changé. L’entreprise fait face à de multiples poursuites judiciaires, dont la plupart portent sur la question de savoir si ses travailleurs sont considérés comme des employés, et sa <a href="https://www.bfmtv.com/economie/uber-avance-vers-la-rentabilite_AD-202111050022.html">rentabilité</a> reste une question ouverte. Comme je l’explique <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/rego.12456">dans mes recherches</a>, ces deux éléments peuvent s’expliquer par la stratégie de fond de l’entreprise : celle de la « conformité litigieuse ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-limiter-le-pouvoir-du-lobbying-aupres-des-politiques-125986">Comment limiter le pouvoir du lobbying auprès des politiques ?</a>
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<p>Uber s’adapte aux règles existantes, mais seulement dans la mesure où cela est nécessaire pour fournir ses services. Dans le même temps, elle continue de lutter contre la législation partout – dépensant des milliards en lobbying et dans l’élaboration de connexions politiques – afin de rapprocher les règles existantes de ses préférences.</p>
<p>Les dirigeants d’Uber savent que leur modèle économique pourrait ne pas être viable, et encore moins s’ils sont obligés de classer les travailleurs comme des employés et de payer pour les droits et avantages qui y sont liés. La lutte contre les réglementations est une stratégie de survie.</p>
<p>Ils ont un modèle ultime en tête – aussi proche que possible de leur modèle initial. Bien qu’ils n’enfreignent plus ouvertement les lois, ils continuent à faire pression pour obtenir les réglementations qu’ils préfèrent par le biais des tribunaux ou en trouvant des échappatoires juridiques.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-patron-d-uber-veut-reduire-la-voilure-pour-faire-face-a-la-chute-de-wall-street-20220509">mémo</a> récemment envoyé aux employés et divulgué à la presse, Khosrowshahi écrit : « Nous serons encore plus stricts sur les coûts dans tous les domaines. » L’entreprise sait que si elle est contrainte de reclasser les chauffeurs en tant que travailleurs (comme, par exemple la Cour suprême britannique <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/19/la-cour-supreme-britannique-considere-que-les-chauffeurs-uber-sont-des-employes_6070534_3210.html">l’a décidé</a>, la situation financière sera encore pire.</p>
<p>Au-delà d’une nouvelle tâche sur sa réputation, Uber a des problèmes très réels. La rentabilité est peut-être le problème le plus urgent pour l’entreprise, mais il en existe un bien plus important pour notre société.</p>
<p>Des applications comme Uber et les centaines d’autres qui ont suivi promettaient l’innovation. Au lieu de cela, elles ont surtout développé un modèle à la limite de l’exploitation et de la corruption qui sont aussi des caractéristiques du capitalisme chevronné. Compte tenu des allégations contenues dans les dossiers d’Uber, on peut également se demander s’il y aura un jour des conséquences pour ces entrepreneurs technologiques qui ont pour mauvaise habitude d’enfreindre les règles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jimena Valdez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La fuite des documents d'Uber souligne la culture conflictuelle de l’entreprise. Même en changeant ses méthodes, elle se heurte toujours aux législations des pays dans lesquels elle est implantée.
Jimena Valdez, Lecturer in Comparative Politics, City, University of London
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2022-06-16T20:42:29Z
2022-06-16T20:42:29Z
Le port d’armes aux États-Unis, entre droit et devoir
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468291/original/file-20220610-45677-6dog2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4859%2C3261&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le deuxième amendement de la Constitution américaine est systématiquement invoqué par les tenants du port d’armes pour s’opposer à l’interdiction de la détention d’armes à feu à domicile.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans une école (Uvalde), un lycée (Columbine), une université (Virginia Tech)… Mais aussi dans un cinéma du Colorado, dans le métro new-yorkais et même sur une base militaire au Texas : les tueries par armes à feu se produisent n’importe où et n’importe quand aux États-Unis depuis une vingtaine d’années. Pourquoi ? En 2021, des psychiatres ont réalisé une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34102649/">étude qui est venue confirmer un diagnostic extrêmement commun</a> : « Ces tueurs sont tous complètement malades ! » Ils le sont, en effet, et plus précisément : schizophrènes, bipolaires, <em>borderline</em>, etc. Malades et non soignés. Malades et armés.</p>
<p>Chaque tuerie pose alors deux questions. La première, très complexe, est celle de l’accès des Américains aux soins psychiatriques, en particulier aux dispositifs de dépistage. La seconde, désormais bien connue du grand public, est celle de l’omniprésence des armes à feu aux États-Unis. Et l’on donne pour explication le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787a.htm">deuxième amendement à la Constitution des États-Unis</a>, qui garantit, ou garantirait, à chacun le droit de porter une arme à feu, un amendement défendu par le puissant lobby NRA, la <em>National Rifle Association</em>, qui empêche effectivement quiconque de légiférer pour prévenir de nouveaux carnages. Ainsi, rien ne change.</p>
<h2>L’amour américain pour les armes à feu</h2>
<p>Comme le résume très bien André Kaspi dans son <a href="https://www.editions-observatoire.com/content/La_Nation_arm%C3%A9e">livre sur la culture des armes à feu aux États-Unis</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le cycle paraît immuable : des tueries, une émotion largement répandue, une forte demande pour des changements législatifs, l’inaction du Congrès. »</p>
</blockquote>
<p>Même si cette fois-ci Républicains et Démocrates <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220624-%C3%A9tats-unis-le-s%C3%A9nat-adopte-une-loi-de-limitation-des-armes-avant-un-vote-de-la-chambre">sont enfin parvenus à s’entendre au Sénat</a> sur l'adoption de nouvelles mesures (prévoyant entre autres des <a href="https://www.npr.org/2022/06/12/1104433332/gun-control-senate-deal">contrôles plus stricts pour les personnes âgées de 18 à 21 ans</a>), leur application ne réglerait qu’un tiers du problème, <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2022/06/04/upshot/mass-shooting-gun-laws.html">selon les calculs du <em>New York Times</em></a>. Surtout, le vote au Sénat, ce 23 juin, est intervenu quelques heures à peine après que la Cour suprême a <a href="https://fr.euronews.com/2022/06/23/un-mois-apres-uvalde-la-cour-supreme-consacre-le-droit-au-port-darmes-hors-du-domicile">consacré le droit des Américains à sortir de chez eux armés</a>.</p>
<p>La décision de la Cour a été <a href="https://www.businessinsider.com/nra-celebrates-victory-in-supreme-court-ruling-expanding-gun-rights-2022-6?r=US&IR=T">bruyamment célébrée par la NRA</a>. Si ce lobby est si puissant, cela ne doit rien au hasard. Les Américains aiment les armes à feu comme les Français aiment le vin : ils s’intéressent à leur production, à leurs particularités et ils aiment en faire usage. Chaque arme a ainsi son terroir. Rappelons-nous qu’au printemps 2020, pendant le confinement, les cavistes étaient restés ouverts en France, alors qu’aux États-Unis, ce sont les <a href="https://apnews.com/article/marijuana-france-wa-state-wire-ct-state-wire-virus-outbreak-f81fafc80efc9488ca706505b6789806">armureries qui étaient considérées comme des « commerces de première nécessité »</a>.</p>
<p>Une étude récente du très sérieux <em>Pew Research Center</em> nous renseigne davantage sur cet <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/09/13/key-facts-about-americans-and-guns/">amour des Américains pour les armes à feu</a>. Premièrement, il est bien moins inconditionnel qu’on ne veut le croire. Deuxièmement, la question du port d’armes est aujourd’hui politisée à l’extrême. Donnons comme exemple les affirmations du célèbre chroniqueur de <em>Fox News</em> Tucker Carlson pour qui, après la tuerie d’Uvalde et avant les prochaines élections de mi-mandat, <a href="https://www.foxnews.com/opinion/tucker-biden-spoke-need-disarm-population">l’objectif de Joe Biden serait de désarmer tous ceux qui n’ont pas voté pour lui</a> ! Dans un paysage politique polarisé à l’extrême, ces polémiques incessantes empêchent tout débat, tout consensus, toute solution. D’ailleurs, <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2022/06/23/gun-reform-republican-support-bipartisan/7714298001/">aucun des sénateurs Républicains (sauf deux)</a> en lice pour les <em>midterms</em> de Novembre ne s’est risqué à voter en faveur des mesures pour restreindre l’accès aux armes. Le caractère « bipartite » du projet de loi « <em>Bipartisan Safer Communities Act</em> » est tout relatif.</p>
<p>L’histoire pourrait-elle alors apporter cette solution ? Assurément non, car comme toujours, elle est sinueuse et sujette à des interprétations divergentes. Et elle ne saurait être substituée au travail du législateur. En revanche, elle peut lui fournir des pistes de réflexion.</p>
<h2>Batailles juridiques, débats académiques</h2>
<p>L’histoire est de toute façon déjà présente dans les débats.</p>
<p>En 2008, la Cour suprême des États-Unis dut se prononcer dans l’affaire <a href="https://www.oyez.org/cases/2007/07-290"><em>District of Columbia v. Heller</em></a>, dont l’issue détermine aujourd’hui la législation sur le port d’armes dans tout le pays. En apparence, cette affaire était simple : un policier résidant dans la capitale américaine porta plainte contre les autorités qui l’obligeaient à laisser son arme à feu au vestiaire après son service, la détention d’arme à domicile étant interdite à Washington. En réalité, le coup, très bien préparé, impliquait un monsieur Tout-le-Monde qui aime bien les armes parce qu’il en a vu à la télé et un <em>think tank</em> conservateur très puissant et prêt à le défendre, le <a href="https://www.cato.org/"><em>CATO Institute</em></a>. Tout ceci est <a href="https://www.c-span.org/video/?441468-1/conservative-political-action-conference-2018">raconté par M. Heller en personne !</a> Mais revenons-en <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/554/570/">au jugement</a> de la Cour suprême. Comme l’a expliqué le juge conservateur Antonin Scalia :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne fait aucun doute que, d’après les textes et l’histoire, le deuxième amendement confère à un individu le droit de détenir et de porter des armes. »</p>
</blockquote>
<p>De quelle histoire s’agirait-il ? De l’histoire anglaise tout d’abord, et plus précisément, de celle de la seconde révolution anglaise (1689), qui s’acheva par l’adoption d’une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/uk1689.htm">Charte des droits</a> (en anglais <em>Bill of Rights</em>) proclamant, entre autres, que « les sujets protestants peuvent avoir, pour leur défense, des armes conformes à leur condition et permises par la loi ».</p>
<p>L’histoire est souvent présente dans les Cours fédérales américaines ; les historiens peuvent d’ailleurs l’y introduire en rédigeant des mémoires d’<a href="https://journals.openedition.org/revdh/14241"><em>amicus curiae</em></a> (« amis de la cour »), dans lesquels ils mettent leurs savoirs au service de la justice, ou plus exactement, au service d’une des parties en présence. Dans l’affaire <em>Heller</em>, une historienne du droit reconnue soutient la thèse qui allait être reprise par le juge Scalia. Dans un <a href="https://www.scotusblog.com/wp/wp-content/uploads/2008/02/07-290_amicus_cato.pdf">mémoire d’une quarantaine de pages</a>, Joyce Lee Malcolm affirme que le droit de posséder et porter en toute circonstance une arme à feu est bien un droit anglais, un droit individuel.</p>
<p>À l’inverse, une dizaine d’autres constitutionnalistes et historiens, tout aussi réputés, soutiennent que le <a href="https://www.scotusblog.com/wp/wp-content/uploads/2008/02/07-290_amicus_academicsforsecondamendment.pdf">droit de porter des armes est un droit collectif</a>, qui ne peut s’exercer légalement que dans le cadre d’une milice d’État, milice dont l’existence même est facultative selon eux.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tgHcCn6DP5I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le triomphe des armes aux États-Unis (L’Effet Papillon, 5 août 2021).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Porter une arme : droit ou devoir ?</h2>
<p>Droit individuel ou droit collectif ? Qui croire ? L’argument selon lequel le droit de porter une arme serait un droit individuel et inaliénable puisqu’il est anglais est surprenant. Il résiste mal à l’épreuve de l’histoire américaine, qui commence par une révolution abrogeant joyeusement les lois de sa Majesté.</p>
<p>En outre, aux XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, ce droit anglais était strictement encadré : il n’était individuel que pour les membres d’une <a href="https://www.british-history.ac.uk/statutes-realm/vol5/pp745-746">élite agraire, seule autorisée à posséder une arme pour chasser</a>. Quant aux milices anglaises, leurs membres étaient choisis, entraînés et armés par cette même élite agraire chassant pour son bon plaisir. Ainsi les armes de ces miliciens pouvaient-elles être soit conservées par leur fournisseur, soit confiées individuellement à ceux qui devaient apprendre à les manier. Mais défendre la Couronne était davantage un devoir qu’un droit.</p>
<p>Or dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord, les futurs États-Unis d’Amérique, <a href="https://doi.org/10.1017/S0738248000001115">ce rapport entre devoir et droit se complexifia</a>. Pourquoi ? Il faut garder à l’esprit les circonstances particulières dans lesquelles se trouvaient ces colons : la nécessité de chasser pour survivre, la nécessité de pouvoir se défendre, la distance avec Londres… Le devoir de défendre les autres se confondait alors avec le droit individuel de posséder une arme à feu. Ainsi émergea une sorte de « devoir-droit » ambigu pour nous aujourd’hui mais parfaitement cohérent dans l’esprit du législateur de l’époque. Chaque colonie adopta donc des lois stipulant que les hommes blancs et libres, âgés en général de 16 à 60 ans, devraient servir dans la milice locale <em>avec leurs propres armes et leurs propres munitions</em>. Très tôt dans leur histoire, les Américains furent armés autant par obligation que par nécessité.</p>
<p>La Guerre d’indépendance américaine eut pour effet de faire pencher très légèrement la balance du côté de l’obligation. Prenons pour exemple la Virginie : dans sa <a href="https://www.puf.com/sites/default/files/L%27%20Europe%20des%20patriotes.pdf"><em>Déclaration des droits</em></a> de 1776, il est affirmé à l’article 13 :</p>
<blockquote>
<p>« Une milice bien réglée, composée de l’ensemble du peuple entraîné aux armes, est la défense appropriée, naturelle et sûre d’un État libre. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468295/original/file-20220610-24084-5fcrtg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468295/original/file-20220610-24084-5fcrtg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468295/original/file-20220610-24084-5fcrtg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468295/original/file-20220610-24084-5fcrtg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468295/original/file-20220610-24084-5fcrtg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468295/original/file-20220610-24084-5fcrtg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468295/original/file-20220610-24084-5fcrtg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Battle of Guilford Courthouse, 15 March 1781 ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">H. Charles McBarron</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’indépendance acquise, les Américains se dotèrent en 1787 d’une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787.htm">nouvelle Constitution</a> qui subordonna, du moins en théorie, les treize États fédérés à un nouvel État fédéral unifié. Les débats pour la ratification de cette nouvelle Constitution nous indiquent que la balance penchait désormais du côté du droit : la Pennsylvanie, le New Hampshire et le Massachusetts proposèrent d’amender la Constitution pour y inclure une reconnaissance d’un droit individuel à détenir des armes.</p>
<p>Dans l’immédiat, leurs efforts furent vains, mais en 1791, les Américains, qu’ils se soient prononcés ou non en faveur de la nouvelle Constitution, se réconcilièrent en adoptant une série d’amendements appelée « Déclaration des droits » (en anglais <em>United States Bill of Rights</em>), pour reconnaître entre autres, ce « devoir-droit » de posséder des armes retranscrit dans le deuxième amendement.</p>
<p>En 1803, St George Tucker, l’éditeur du premier manuel de droit américain, observa ainsi qu’en Angleterre, le simple fait d’être armé pouvait être retenu contre vous comme un acte de guerre, alors qu’aux États-Unis, le droit de porter une arme étant reconnu par la Constitution, et <a href="https://lonang.com/library/reference/tucker-blackstone-notes-reference/tuck-5b/">nul ne songerait à quitter son domicile sans fusil ni mousquet</a>. Le droit de porter une arme était devenu un trait distinctif de l’identité américaine.</p>
<p>Le 23 juin 2023, c’est au nom de cette histoire ambigüe que la Cour Suprême a abrogé une loi du New York instaurant un permis de port d’arme. Mais dans <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/21pdf/20-843_7j80.pdf">l’affaire <em>New York State Rifle & Pistol Association Inc. v. Bruen</em></a>, le juge Thomas est allé bien plus loin que son confrère Scalia dans l’affaire Heller, puisqu’il a affirmé la supériorité de l’histoire sur la jurisprudence. Inutile donc, selon Thomas, de s’interroger sur les liens entre la loi et ses objectifs (<em>means-end scrutiny</em>), comme la Cour Suprême le fait depuis plus d’un siècle. La loi du New York aurait-elle survécu à l’épreuve du droit ? Sans doute. Mais cette fois ci, elle a bel et bien succombé à celle de l’histoire. </p>
<p>Quel sens donner au deuxième amendement aujourd’hui ? Est-il toujours un moyen efficace d’assurer la sécurité d’un État libre ? La balance pencherait-elle trop du côté du droit, au détriment du devoir ? Telles sont les questions que devraient se poser les citoyens américains et leurs représentants réunis au Congrès. L’histoire ne pourra leur fournir que des pistes de réflexion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ghislain Potriquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’histoire peut-elle trancher le débat sur le port d’armes aux États-Unis ? La réponse se trouve probablement dans le sens donné par les Américains au deuxième amendement de leur Constitution.
Ghislain Potriquet, Maître de conférences en études américaines, Université de Strasbourg
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/178765
2022-03-15T14:08:58Z
2022-03-15T14:08:58Z
Le pétropopulisme freine la transition énergétique
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451994/original/file-20220314-133396-rbnfcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C997%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le pétropopulisme est un discours binaire qui conduit à la démonisation des «environnementalistes», soupçonnés d’association avec des puissances étrangères.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/">Le dernier rapport du GIEC</a>, consacré aux impacts et à l’adaptation au changement climatique, paru en février 2022, <a href="https://theconversation.com/nouveau-rapport-du-giec-toujours-plus-documente-plus-precis-et-plus-alarmant-178378">est alarmant</a>. Des transformations sociales, politiques, économiques sont nécessaires pour que l’humanité puisse survivre aux bouleversements attendus.</p>
<p>Dans les obstacles au changement, les experts du GIEC pointent spécifiquement la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-02-28/nouveau-rapport-du-giec/la-desinformation-fait-mal-en-amerique-du-nord.php">désinformation en Amérique du Nord</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nouveau-rapport-du-giec-toujours-plus-documente-plus-precis-et-plus-alarmant-178378">Nouveau rapport du GIEC : toujours plus documenté, plus précis et plus alarmant</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le Canada est le <a href="https://www.rncan.gc.ca/energie/sources-denergie-et-reseau-de-distribution/petrole-brut/survol-de-lindustrie-du-petrole-brut/18148">5ᵉ producteur mondial de pétrole</a>. Les Canadiens sont aussi <a href="https://www.cer-rec.gc.ca/fr/donnees-analyse/marches-energetiques/profils-energetiques-provinces-territoires/profils-energetiques-provinces-territoires-canada.html">parmi les plus gros consommateurs</a> de pétrole au monde. Depuis la découverte des premiers gisements de pétrole en 1947, les économies de l’Ouest canadien se sont profondément transformées, passant d’un modèle agraire à une dépendance structurelle à l’extraction.</p>
<p><a href="https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/indicateurs-environnementaux/emissions-gaz-effet-serre.html">Premier secteur émetteur de CO₂ au pays</a>, l’industrie extractive devrait être au cœur des réflexions politiques sur l’adaptation au changement climatique. Or, le changement est encore limité.</p>
<p>En tant que doctorante en sociologie politique, intéressée par les populismes et régionalismes canadiens, je cherche à comprendre les tenants sociopolitiques et sociohistoriques du changement social au Canada.</p>
<h2>Un discours politique populiste</h2>
<p>Sur ce sujet, le climatoscepticisme n’explique pas la résistance au changement, ce qui ajoute à l’énigme. La réalité du réchauffement climatique est en effet admise par les Canadiens : <a href="https://climatecommunication.yale.edu/visualizations-data/ccom/">83 % d’entre eux reconnaissent que « la planète se réchauffe »</a>, dont 70 % des Albertains. De surcroît, <a href="https://climatecommunication.yale.edu/visualizations-data/ccom/">60 %</a> des Canadiens estiment que ce réchauffement est dû au moins en partie à « l’activité humaine ». Enfin, en 2021, un Canadien sur deux était en faveur d’une <a href="https://cwf.ca/wp-content/uploads/2021/06/cot2021-report3-final_jun-18c83cfe0dd49c4cfc936522ae59fb396b.pdf">élimination progressive de l’utilisation des combustibles fossiles</a>.</p>
<p>En réalité, l’un des obstacles majeurs à la mise en place de politiques ambitieuses en matière environnementale tient à la mobilisation d’un discours politique populiste, clivant et réducteur. On a pu parler de pétronationalisme (des <a href="http://www.iaee.org/en/publications/ejarticle.aspx?id=2662">pays consommateurs</a>, comme <a href="https://www.utpjournals.press/doi/abs/10.3138/jcs.2019-0033">producteurs</a>), tant la question du contrôle des ressources est liée à la construction nationale. D’autres ont évoqué l’émergence d’un <a href="https://www.macleans.ca/news/canada/the-rise-of-albertas-unapologetic-petro-patriots/">pétropatriotisme</a>. Dans le contexte canadien contemporain, je préfère parler de pétropopulisme.</p>
<p>Le populisme est partie intégrante de la <a href="https://theconversation.com/canadian-populism-got-shut-out-this-election-but-its-still-a-growing-movement-168133">culture politique</a> historique canadienne. Cette <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00323217211002669">stratégie</a> rhétorique suppose la construction et la consolidation d’une <a href="https://www.researchgate.net/publication/345743715_1_What_is_populism">opposition d’ordre moral</a>, entre un peuple pur et des élites corrompues. Depuis les débuts de la fédération, populisme et protestation politique au Canada ont été arrimés à la question de la libre exploitation des ressources (ainsi du <a href="https://www.jstor.org/stable/25143525">populisme agraire</a>, porté par les fermiers de l’Ouest canadien contre les politiques nationales du gouvernement fédéral).</p>
<h2>La crise ukrainienne en renfort</h2>
<p>Le pétropopulisme – en anglais, <a href="https://policyalternatives.ca/publications/monitor/extractive-populism-and-future-canada"><em>extractive populism</em></a> est la forme contemporaine d’un mode politique historique. Articulé aux questions pétrolières, il s’agit d’une stratégie rhétorique qui <a href="https://www.researchgate.net/publication/350746148_Challenging_Petro-Nationalism_Another_Canada_Is_Possible">associe le pétrole canadien au « bien », voire au « sens commun »</a>. Inversement, il « diabolise » les politiques environnementales, associées aux élites déconnectées. Mobilisé autant par des acteurs politiques conventionnels que par les représentants de l’industrie extractive, le pétropopulisme, forme de <a href="https://www.ubcpress.ca/code-politics">« code politique »</a>, permet de cadrer le débat acceptable dans un espace politique donné et de limiter l’opposition, disqualifiée comme ennemie de la communauté politique.</p>
<p>Récemment, on a entendu le premier ministre albertain <a href="https://edmonton.ctvnews.ca/kenney-denounces-putin-s-aggression-as-he-renews-calls-to-build-keystone-xl-1.5792901">Jason Kenney</a> et des lobbys du secteur, associer leur soutien aux projets de pipelines à une <a href="https://www.canadianenergycentre.ca/yager-will-ukraines-crisis-finally-force-canada-to-rethink-its-energy-policies/">forme d’aide humanitaire</a> auprès des populations européennes dans le conflit russo-ukrainien. Le pétrole canadien serait en fait <a href="https://financialpost.com/commodities/energy/oil-gas/eric-nuttall-what-canadian-policymakers-can-learn-from-europes-energy-woes">« éthique »</a>, contrairement à celui extrait dans d’autres régions du monde, en Arabie saoudite (<a href="https://friendlyenergy.com/">« tyranny oil »</a>), ou en Russie. L’appel à l’extractivisme redouble ainsi un discours nationaliste, opposant les « bons » pays aux « mauvais », desquels on devrait se défendre par l’extraction.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="extraction de pétrole en Alberta, ciel dramatique" src="https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451992/original/file-20220314-19-1uluu3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le pétropopulisme au Canada est un discours porté par une morale particulière, défendant l’expansion des activités extractives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Inversement, le pétropopulisme consolide une opposition de type guerrière aux « environnementalistes » <a href="https://www.nytimes.com/2021/10/22/world/canada/alberta-energy-inquiry.html">soupçonnés</a>, entre autres, d’être <a href="https://www.alberta.ca/public-inquiry-into-anti-alberta-energy-campaigns.aspx">opposés aux intérêts de la Province</a>, à la solde de puissances étrangères.</p>
<h2>Une extraction pétrolière éthique et réconciliatrice ?</h2>
<p>L’exploitation participerait aussi de la « réconciliation » avec les communautés autochtones. Selon l’<a href="https://www.capp.ca/explore/reconciliation-with-indigenous-peoples/">Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP, CAPP en anglais)</a>, qui représente les intérêts de l’industrie et 80 % de la production gazière et pétrolière au Canada, l’extraction offre des emplois de qualité et des opportunités commerciales aux communautés autochtones. Leur <a href="https://www.nationalobserver.com/2019/11/06/features/when-it-comes-oil-and-gas-western-canada-it-divides-indigenous-communities-too">division</a> interne complexifie cette réalité. En pratique, <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2021063-fra.htm">seuls 6 %</a> des travailleurs du secteur extractif s’identifient comme autochtones : une <a href="https://www.fraserinstitute.org/sites/default/files/first-nations-and-the-petroleum-industry-from-conflict-to-cooperation.pdf">« coopération »</a> encore limitée, donc.</p>
<p>Dans cette perspective pétropopuliste, l’industrie extractive est également systématiquement associée à la production d’emplois. Pourtant, les revenus nets de l’industrie sont <a href="https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=2510006501">déficitaires</a> et le nombre d’emplois dans la dernière décennie est <a href="https://www.parklandinstitute.ca/the_future_of_albertas_oil_sands_industry">à la baisse</a>. Ils représentent une part décroissante dans l’ensemble des emplois du secteur de l’énergie au pays. Ce sont aussi, en <a href="https://open.alberta.ca/dataset/f4f39b9e-48cb-4f6a-b491-25ee6f9c281e/resource/8db15e6c-5826-4ac5-b804-675e95867e9e/download/lbr-alberta-mining-and-oil-and-gas-extraction-industry-profile-2020.pdf">Alberta</a>, des emplois moins qualitatifs même si plus rémunérés. Ils sont moins syndiqués, moins durables et impliquent plus d’heures travaillées que la moyenne provinciale.</p>
<h2>Le pétropopulisme nuit à l’environnement et à la démocratie</h2>
<p>Le pétropopulisme est aussi porté des mouvements sociaux issus de la « société civile », favorables aux intérêts de l’industrie. C’est le cas des <a href="https://www.energycitizens.ca/about/">« Energy Citizens »</a> directement financés par le CAPP ; ou de <a href="https://www.canadaaction.ca/about">« Canada Action »</a>, <a href="https://thenarwhal.ca/canada-action-received-100-thousand-from-arc-resources/">soutenu</a> par les industries du secteur. Encore peu instruits par la littérature académique francophone, ces mouvements sociaux se sont multipliés ces dernières années. On pense ainsi, dans la dernière décennie, aux <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/dec/20/canada-yellow-vest-protests-gilets-jaunes">« Yellow Vests »</a> et à leur défense des sables bitumineux, aux convois de <a href="https://www.thestar.com/news/canada/2019/02/14/one-convoy-to-pool-them-all-pro-oil-caravan-sets-course-for-ottawa.html">« United We Roll »</a> (opposés à la taxe carbone) ou au <a href="https://theconversation.com/convoi-des-camionneurs-aux-origines-dun-mouvement-en-pleine-derive-176833">« Convoi de la liberté »</a>. Les trois mouvements partagent des organisateurs, un programme idéologique et pour les convoyeurs, sont proches des mouvements séparatistes de l’Ouest canadien.</p>
<p>La transition énergétique semble inévitable. L’Agence internationale de l’énergie a appelé les pays producteurs à <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1794032/aie-exploration-petrole-gaz-neutralite-carbone">renoncer</a> à tout projet pétrolier ou gazier pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Enfin, le Gouvernement canadien, lié par ses engagements internationaux, a annoncé en 2020 le lancement d’un <a href="https://www.canada.ca/content/dam/eccc/documents/pdf/climate-change/climate-plan/plan_environnement_sain_economie_saine.pdf">plan climatique</a> renforçant sa cible de zéro émission nette d’ici 2050.</p>
<p>Dans ce contexte, le pétropopulisme pose des problèmes environnementaux et démocratiques. En <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anti.12179">réduisant</a> les politiques environnementales à un rapport de force défavorable à l’amélioration du territoire national, ce discours restreint considérablement l’espace du dialogue. Il consolide une clôture symbolique entre ce qui est bon et favorable à la nation d’une part ; ce qui ne l’est pas de l’autre : la préservation de l’environnement. Le pétropopulisme nuit à une information éclairée sur le changement climatique en Amérique du Nord et bride les possibilités de négociation collective pour une sortie graduelle des énergies fossiles, protectrice de l’emploi. En servant les intérêts de l’énergie extractive associée au bien commun, le pétropopulisme satisfait avant tout des intérêts privés.</p>
<p>De manière plus inquiétante, le pétropopulisme pave la voie à des mouvements sociaux aux financements diffus, aux tactiques problématiques (siège, occupation), qui, au nom de la défense de l’extraction pétrolière, abîment les institutions démocratiques. Ces mouvements sociaux débordent les industries qu’ils soutiennent, jusqu’à mettre en danger les institutions canadiennes. Le <a href="https://theconversation.com/convoi-des-camionneurs-aux-origines-dun-mouvement-en-pleine-derive-176833">Convoi de la liberté</a> l’a bien montré.</p>
<p>Le contexte énergétique, climatique et géopolitique actuel est probablement déterminant pour la transition énergétique au Canada. Souligner les liens entre certains discours et le maintien d’une dépendance énergétique aux énergies fossiles est essentiel pour construire une <a href="https://policyalternatives.ca/publications/reports/canada %e2 %80 %99s-energy-sector">autre politique énergétique</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178765/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Djamila Mones ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Articulé aux questions pétrolières, porté par des politiques comme les lobbys extractivistes, le pétropopulisme associe le pétrole canadien au « bien », voire au « bien commun ».
Djamila Mones, Doctorante en Sociologie | PhD Candidate in Sociology, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/173450
2021-12-09T18:17:09Z
2021-12-09T18:17:09Z
Le lobbying, une activité qui reste largement méconnue
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436381/original/file-20211208-25-1rh0aw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C8%2C1185%2C948&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Environ 4 actions de lobbying sur 5 consistent à transmettre des suggestions ou à organiser des discussions informelles avec les pouvoirs publics.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/greensefa/14151146613">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>« Lobby de la chasse », « lobby du tabac », « lobby de Monsanto »… Le traitement médiatique du lobbying évoque souvent de grandes firmes ou de larges groupements d’intérêts dans des industries décriées.</p>
<p>Ce fut le cas, en novembre dernier, lors de la COP26 lorsque les médias y ont présenté le « lobby des énergies fossiles », en s’appuyant sur l’étude de <a href="https://www.globalwitness.org/en/press-releases/hundreds-fossil-fuel-lobbyists-flooding-cop26-climate-talks/">ONG Global Witness</a>, comme étant la plus grande délégation sur place. Cette vision d’organisations opaques est d’ailleurs confirmée par la définition du terme « lobby » qui est assimilée à celle de « groupe de pression » dans le dictionnaire <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/lobby/47563">Larousse</a>.</p>
<p>Pourtant, les acteurs du lobbying sont bien plus divers que ces groupes de pression et leurs modalités d’action – souvent fantasmées – restent largement méconnues.</p>
<h2>Une pratique qui se normalise</h2>
<p>Tout d’abord, il nous semble important de poser un contexte pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles le lobbying bénéficie d’une image négative en France. Dans la tradition française, l’intérêt général est considéré comme étant différent de la somme des intérêts particuliers des citoyens. Ainsi, tenter d’influencer une décision publique pour défendre son propre intérêt irait à l’encontre de l’intérêt général.</p>
<p>Cette vision, largement inspirée par les travaux du philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau et de son <em>Contrat social</em>, a abouti à l’interdiction des groupes de pression (par conséquent du lobbying et du syndicalisme) pendant près d’un siècle, entre la <a href="https://institutions-professionnelles.fr/reperes/documents/119-1791-la-loi-le-chapelier-interdit-les-corporations">loi Le Chapelier</a> (1791) et la <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/10939-promulgation-de-la-loi-dite-waldeck-rousseau-instaurant-la-liberte-syndicale">loi Waldeck-Rousseau</a> (1884).</p>
<p>Depuis quelques décennies, la pratique tend à se normaliser avec une série de lois, dont la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033558528">loi Sapin II</a> qui reconnaît, définit et encadre le lobbying. Cette dernière impose également la tenue d’un répertoire des représentants d’intérêts piloté par la <a href="https://www.hatvp.fr/espacedeclarant/representation-dinterets/les-actions-de-representation-dinterets/">Haute autorité de la transparence de la vie publique</a> (HATVP). Ce répertoire constitue une précieuse source d’information pour comprendre les organisations lobbyistes en France et leurs modalités d’action.</p>
<iframe title="Répartition des inscrits par type d'organisation" aria-label="Graphique en anneau" id="datawrapper-chart-VXHC5" src="https://datawrapper.dwcdn.net/VXHC5/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="645" width="100%"></iframe>
<p>À sa lecture, nous constatons que les principales organisations déclarant du lobbying sont bien loin des « groupes de pression ». Il s’agit en effet des sociétés commerciales avec 29,1 % des entités inscrites viennent ensuite successivement des organisations professionnelles (22,6 %), associations (19,3 %) et syndicats (12,2 %). Les autres organisations inscrites étant, pour la plupart, des cabinets de conseil spécialisés en lobbying.</p>
<p>Cependant, cette typologie ne permet pas d’identifier clairement une catégorie d’acteurs pourtant centrale dans le lobbying : les méta-organisations, un terme qui désigne les organisations dont les membres sont eux-mêmes des organisations. Or, les méta-organisations apparaissant comme des interlocuteurs légitimes, leur accès au décideur public est facilité.</p>
<h2>Un dialogue avec le décideur public</h2>
<p>L’une des spécificités de ces formes d’organisations est qu’il n’existe pas de hiérarchie au sein de la structure et que les décisions y sont prises par consensus. En effet, dans les méta-organisations, <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:165312">l’autorité n’est pas fondée sur des liens de subordination</a>.</p>
<p>Par exemple, les Nations unies, la Fédération internationale de football association (Fifa) ou encore l’Union européenne constituent des méta-organisations : leurs membres sont des États, des associations, des entreprises et non des individus. L’une des principales motivations à la création d’une méta-organisation est de permettre l’interaction entre ses membres, <a href="https://theconversation.com/la-gouvernance-sectorielle-chainon-manquant-de-la-refonte-de-lentreprise-92318">réguler son secteur</a> et de <a href="https://theconversation.com/les-meta-organisations-une-cle-pour-une-economie-plus-durable-172447">guider l’action collective</a>.</p>
<p>Ce dernier point englobe notamment les stratégies politiques, dont du lobbying. Selon les chercheures Madina Rival et Véronique Chanut, la stratégie politique des organisations correspond à « l’influence menée par une organisation sur la décision publique pour obtenir ou maintenir un <a href="https://rfg.revuesonline.com/articles/lvrfg/abs/2015/07/lvrfg41252p71/lvrfg41252p71.html">environnement qui lui soit favorable</a> ».</p>
<p>Or, les idées reçues sur l’activité de lobbying concernent également les actions pour mettre en place cet environnement favorable. Les principales stratégies adoptées par les organisations répertoriées par la HATVP consisteraient avant tout en des échanges avec le décideur public, des consultations et auditions, publications de lettres ouvertes, le tout dans une approche relationnelle de long terme avec le décideur public.</p>
<iframe title="Répartition par type d'actions menées" aria-label="Graphique en anneau" id="datawrapper-chart-YN2ag" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YN2ag/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="746" width="100%"></iframe>
<p>Ces actions à destination du décideur public prennent la forme de discussions, d’échanges écrits, de transmissions de rapports ou livres blancs, etc. À l’inverse, les actions indirectes comme des stratégies d’influence sur Internet ne représentent que 1 % des actions de représentation d’intérêts menées.</p>
<p>Comme nous l’avons montré dans notre étude sur notre <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2021-5-page-21.htm">étude</a> des stratégies politiques engagées dans un secteur régulé, l’enseignement supérieur privé français, les méta-organisations déploient principalement des actions directes vers le décideur public.</p>
<p>Les grandes méta-organisations du secteur comme la Conférence des grandes écoles (CGE) ou la Conférences des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) sont ainsi régulièrement auditionnées par le ministère. Elles transmettent en outre des rapports et expertises, proposent des amendements, interpellent parfois le décideur public à travers des lettres ouvertes comme lors de la proposition d’ouverture du grade licence aux formations de type bachelor, etc.</p>
<h2>Des actions peu visibles</h2>
<p>Le secteur de l’enseignement supérieur est loin d’être un cas isolé, de nombreuses entreprises, associations, syndicats, TPE/PME répertoriées par la HATVP déploient des actions similaires. Par exemple, sur les <a href="https://www.hatvp.fr/fiche-organisation/?organisation=350149530">12 actions déclarées en 2020 par l’ONG Greenpeace</a>, l’association annonce avoir eu recours à 48 modalités d’actions.</p>
<p>Parmi celles-ci, 39 (soit 81 %) consistent à transmettre des informations, suggestions ou organiser des discussions informelles et des auditions avec le décideur public. Ainsi, malgré la forte visibilité des opérations « coup de poing », seules 19 % des actions de lobbying visent à envoyer des pétitions et lettres ouvertes ou à organiser des débats publics ou des stratégies d’influence sur Internet.</p>
<p>De même, une autre <a href="https://colloquepmp.hypotheses.org/programme">étude</a> que nous avions réalisée en 2018 s’était intéressée à la loi dite Hydrocarbures. 33 organisations (entreprises, coopératives, ONGs et syndicats) avaient déclaré 90 actions de représentation d’intérêts sur la loi étudiée. Parmi ces actions, 3,24 % étaient des actions visibles du grand public (organiser des débats publics, marches ou des stratégies d’influence sur Internet ; envoyer des pétitions ou lettres ouvertes ; prise de position publique sur le contenu d’une loi). Les 96,76 % d’actions de lobbying restantes regroupaient des relations directes entre l’organisation ou la méta-organisation et le décideur public (organiser des réunions, transmission d’informations ou de suggestions, correspondance écrite régulière, etc.).</p>
<p>Ainsi, les stratégies politiques des organisations sont encore peu étudiées et souffrent d’une certaine méconnaissance, notamment en matière d’acteurs impliqués et de modalités d’actions. Gageons que, compte tenu du rôle croissant des méta-organisations dans les actions de lobbying, ces dernières fassent davantage l’objet de recherches à l’avenir afin de mieux éclairer ce phénomène.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Nicolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Ces actions ne concernent pas que des groupes de pression, mais aussi un grand nombre de sociétés commerciales et d’organisations professionnelles qui alimentent le décideur public en informations.
François Nicolle, Enseignant chercheur - ICD Paris, ICD Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/162022
2021-06-10T21:58:46Z
2021-06-10T21:58:46Z
Lobbying et alimentation : les « aliments traditionnels », le nouvel argument des anti-Nutri-score
<p>Proposé en 2014 par des chercheurs académiques indépendants spécialisés en Nutrition et santé publique (dont les auteurs de cet article), le <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/325207/php-3-4-712-725-eng.pdf">Nutri-score</a> est un logo d’information nutritionnelle à cinq couleurs destiné à aider les consommateurs à juger, d’un simple coup d’œil, la qualité nutritionnelle des aliments au moment de leur acte d’achat pour les orienter vers des choix alimentaires plus favorables à la santé.</p>
<p>Depuis, le Nutri-score a fait l’objet de très nombreuses <a href="https://worldnutritionjournal.org/index.php/wn/article/view/579">attaques de lobbies de l’industrie agroalimentaire</a> visant à empêcher son déploiement, certains de ses membres étant peut enclins à communiquer de façon transparente sur la qualité nutritionnelle de leurs produits.</p>
<p>Si ce logo est désormais officiellement adopté par plusieurs pays européens, ses opposants restent très actifs, et la majorité des grandes multinationales continue à s’y opposer. Alors que la Commission européenne a programmé pour 2022 sa stratégie <a href="https://ec.europa.eu/food/farm2fork_en">« Farm to Fork »</a>, dont l’objectif est de « rendre les systèmes alimentaires équitables, sains et respectueux de l’environnement », les adversaires du Nutri-score espèrent faire en sorte qu’il ne soit pas adopté comme logo unique et obligatoire.</p>
<p>Depuis quelques mois, on observe donc, dans plusieurs pays (Italie, Espagne et plus récemment en France) l’émergence de nouvelles actions de lobbying anti-Nutri-score. La nouveauté est que des acteurs économiques et politiques qui ne s’étaient pas – ou peu – manifestés jusqu’alors s’y associent désormais. C’est notamment le cas des secteurs de production agricole exploitant l’image des « aliments traditionnels ». Penchons-nous sur leurs arguments.</p>
<h2>Une guerre d’attrition</h2>
<p>Pendant 4 ans, de grands groupes de pression agroalimentaires ont développé toutes les stratégies possibles pour essayer de bloquer ou, au moins, retarder l’application du Nutri-score. Elles l’ont d’abord condamné en le déclarant stigmatisant, réducteur, simpliste, faux, incomplet… Elles ont ensuite proposé des alternatives pour le concurrencer. Elles ont fait monter au créneau des politiques, au moment des votes parlementaires.</p>
<p>Elles ont également nié ou mis en doute les résultats des <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/nutrition/nutri-score/etudes-et-rapports-scientifiques/">études scientifiques</a> qui démontrent l’efficacité du Nutri-score, et surtout sa supériorité par rapport aux autres formats graphiques existants.</p>
<p>Les différents acteurs sociétaux (scientifiques, professionnels de santé, associations de consommateurs et de patients…) se sont alors mobilisés pour rappeler l’intérêt de ce logo et <a href="https://www.ligue-cancer.net/article/43777_oui-au-nutri-score-non-aux-menaces-de-brouillage-de-certains-industriels">exiger sa mise en place</a>.</p>
<p>Le Nutri-score a finalement été adopté en France, par un arrêté interministériel, en octobre 2017, ainsi que par la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg, l’Espagne, les Pays-Bas et la Suisse (son affichage repose sur une base volontaire, car du fait de la réglementation européenne, aucun État membre ne peut imposer un étiquetage nutritionnel au niveau national). Si aucune entreprise ne s’était prononcée en sa faveur en 2017, aujourd’hui plus de <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/articles/nutri-score">600 entreprises</a> se sont engagées à afficher Nutri-score.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xdINR_2s9YI?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Malgré cette évolution plutôt favorable, la majorité des grands groupes agroalimentaires internationaux (Coca-Cola, Mars, Ferrero, Mondelez, Lactalis, Unilever, Kraft…) et de nombreuses marques nationales continuent encore à s’y opposer. Ils sont désormais rejoints par d’autres acteurs, mobilisés par la crainte que le Nutri-score puisse devenir obligatoire au niveau européen. Un mouvement renforcé par l’attitude de certains politiques, qui utilisent le patriotisme alimentaire à des fins électorales.</p>
<h2>Le Nutri-score ne fait que rendre lisible des informations déjà existantes</h2>
<p>Les secteurs de production agricole qui s’opposent aujourd’hui à la généralisation du Nutri-score considèrent que leurs produits ne sont pas bien classés, ou pas suffisamment bien classés, et considèrent donc que ce logo « pénaliserait » de façon injuste leurs produits.</p>
<p>Au nombre des secteurs concernés figurent ceux des charcuteries et des fromages, dont il est vrai qu’une grande partie se trouve classée D et E, en raison de leur teneur élevée en acides gras saturés et en sel, ainsi que de leur forte densité calorique. Seuls certains fromages et certaines charcuteries moins grasses et moins salées sont classés C, voire B pour certains jambons blancs à teneur réduite en sel.</p>
<p>Il ne s’agit cependant pas d’une pénalisation intentionnelle ou nouvelle : le classement est opéré en toute transparence et objectivité sur la base des données de composition de ces produits. Le Nutri-score ne fait que traduire de façon synthétique les informations de l’étiquette nutritionnelle obligatoire qui existait avant lui, mais était peu compréhensible pour des non-initiés. Il remplit donc totalement son rôle d’information sur la composition nutritionnelle globale de ces aliments.</p>
<p>Il informe clairement les consommateurs sur le fait que ces produits peuvent faire partie d’une alimentation équilibrée, mais à condition d’être consommés en quantité modérée et avec une fréquence limitée. En cela, le Nutri-score est en totale cohérence avec les recommandations nutritionnelles concernant les charcuteries et les fromages qui poussent à limiter leur consommation.</p>
<h2>Non, le Nutri-score ne s’oppose pas à l’alimentation méditerranéenne</h2>
<p>En Espagne et en Italie, les secteurs agricoles relayés par des personnalités politiques locales ont pris l’habitude, pour discréditer Nutri-score, de l’accuser de s’opposer à l’alimentation méditerranéenne, sous prétexte qu’il classe en D ou E les charcuteries et les fromages qu’ils présentent comme des piliers de l’Alimentation méditerranéenne, ce qui est faux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-regime-mediterraneen-ideal-pour-maigrir-152577">Le régime méditerranéen : idéal pour maigrir ?</a>
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<p>Le régime méditerranéen est en effet caractérisé par une consommation importante de fruits, légumes, légumineuses et céréales complètes, une consommation modérée de poisson et de produits laitiers (dont le fromage), peu de viande rouge et de charcuteries, et ses matières grasses sont essentiellement apportées par l’huile d’olive.</p>
<p>Or le Nutri-score classe plus favorablement tous les aliments qui sont pauvres en gras, sucre ou sel, et riches en fibres, fruits et légumes, légumineuses et fruits secs à coque. Autrement dit, les éléments principaux de l’alimentation méditerranéenne.</p>
<p>En outre, il classe l’huile d’olive dans la meilleure catégorie possible pour les matières grasses ajoutées. Ce qui élimine d’office un autre argument souvent utilisé par ses opposants, notamment en Espagne et en Italie : le fait que le Nutri-score pénaliserait l’huile d’olive en lui attribuant un C. Au contraire : ce classement correspond à la meilleure classe possible pour une matière grasse ajoutée, notamment par rapport aux autres huiles végétales qui sont plutôt classées en D ou en E (seules les huiles de colza et de noix sont également classées C).</p>
<p>Aucune huile n’est classée A ou B, du fait de leur composition, il s’agit d’un produit composé à 100 % de matière grasse. Il est donc clair que ce classement est en réalité favorable à l’huile d’olive, dont les scientifiques reconnaissent son intérêt.</p>
<p>Son positionnement dans le Nutri-score est en parfaite cohérence avec les recommandations de santé publique et le modèle de l’alimentation méditerranéenne qui invitent les consommateurs à privilégier l’huile d’olive dans leurs choix d’achat de matière grasse ajoutée, notamment dans les pays où elle fait partie de la culture culinaire. Tout en insistant sur l’importance d’éviter les excès de matières grasses au global, quelles qu’elles soient…</p>
<h2>« Aliment traditionnel » ne rime pas forcément avec « qualité nutritionnelle »</h2>
<p>Progressivement, les lobbys agricoles ont élargi leur stratégie en laissant entendre qu’en fait, le Nutri-score pénaliserait, d’une façon générale, les aliments dits traditionnels. De ce fait, il ne serait pas acceptable pour ces aliments considérés comme faisant partie d’un patrimoine culinaire national ou régional.</p>
<p>Cette tentative d’opposer Nutri-score à un modèle alimentaire traditionnel (en l’occurrence un modèle soutenu par tous les nutritionnistes, dont ceux qui ont développé Nutri-score) correspond à une stratégie de désinformation. Ces faux arguments ont malheureusement été récupérés par des personnalités politiques qui les ont exploités pour renforcer un argumentaire de « patriotisme alimentaire ».</p>
<p>Les lobbys cherchent de cette façon à entretenir une confusion dans l’esprit du public, en mettant en avant le fait que les charcuteries et les fromages font partie du paysage culinaire et gastronomique d’une région ou d’un pays. Ils mettent notamment en avant l’existence des labels de qualité (AOC/AOP, Indication géographique protégée – IGP, bio, Label rouge…) attribués à certains de ces aliments traditionnels.</p>
<p>Cependant, ces labels de qualité ne font que garantir la provenance d’un produit alimentaire, le fait qu’il a été transformé et élaboré dans une zone géographique déterminée, selon un savoir-faire reconnu, qu’il respecte un cahier des charges spécifique, ou encore qu’il présente des qualités sensorielles et des conditions de production supérieures par rapport à d’autres produits similaires.</p>
<p>S’ils sont utiles pour le consommateur, ces labels n’intègrent pas la notion de « qualité nutritionnelle ». Même avec un label AOP, un label rouge, une IGP, ou le fait d’être bio, les charcuteries ou les fromages riches en acides gras et en sel et caloriques restent riches en acides gras et en sel et caloriques !</p>
<p>Ces aliments, comme tous les autres, doivent donc également jouer le jeu de la transparence nutritionnelle. Ils ne peuvent être exemptés de l’affichage du Nutri-score, qui doit venir en complément des labels reflétant d’autres qualités des produits.</p>
<h2>L’instrumentalisation politique du Nutri-score</h2>
<p>À côté de ce lobbying porté par des industriels et divers secteurs agricoles, on assiste également, dans divers pays, à un lobbying actif de personnalités politiques. Ce lobbying politique revêt plusieurs dimensions.</p>
<p>On retrouve le lobbying « classique » porté par les ministres de l’Agriculture qui, par leur proximité avec les acteurs économiques, ont souvent tendance à s’aligner sur leurs positions. Ainsi, le <a href="https://giovanimpresa.coldiretti.it/notizie/attualita/pub/nutriscore-patuanelli-sistema-che-attacca-export-da-461mld/">ministre italien de l’Agriculture</a>, reprend dans sa communication les éléments de langage utilisés par Federalimentare (l’association qui représente l’industrie agroalimentaire italienne, dont le puissant groupe Ferrero) et par les associations agricoles Coldiretti et Confagricoltura, membres importants de la COPA-COGECA, le lobby des agriculteurs européens : soi-disant risques pour les exportations italiennes, problèmes de concurrence au sein de l’Union européenne, défense des produits traditionnels italiens (Prosciutto, Parmesan, Gorgonzola…) qu’ils considèrent injustement attaqués par Nutri-score et, bien sûr, fake news concernant l’alimentation méditerranéenne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etiquetage-nutritionnel-la-guerre-du-parmesan-et-du-prosciutto-116905">Étiquetage nutritionnel : « La guerre du parmesan et du prosciutto »</a>
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<p>La défense des produits « Made in Italy » est également un argument largement utilisé par les partis politiques populistes (comme la <a href="https://www.inews24.it/2019/12/05/nutri-score-made-in-italy-salvini/">Lega</a>) et d’extrême droite (comme les <a href="https://www.secoloditalia.it/2021/03/meloni-il-nutriscore-e-una-follia-contro-il-made-in-italy-bloccarlo-sia-una-priorita-di-tutti-i-partiti-video/">Fratelli d’Italia</a>). Ces partis font appel au patriotisme culinaire, à l’orgueil alimentaire national, à la défense des valeurs traditionnelles italiennes et nourrissent des théories complotistes sur le rôle de l’Europe, celui de la France… À aucun moment, dans leurs arguments, ils n’évoquent la santé des consommateurs et notamment les grands enjeux de santé publique auxquels l’Italie est confrontée.</p>
<p>Face à ces affirmations inexactes, d’éminents <a href="https://www.scienzainrete.it/articolo/nutri-score-perch%C3%A9-non-dobbiamo-averne-paura/2019-12-13">scientifiques italiens</a> se sont mobilisés pour dénoncer l’instrumentalisation du Nutri-score à des fins politiques.</p>
<p>Ce type d’argumentaire se retrouve également dans le discours d’hommes politiques espagnols qui eux aussi dénoncent Nutri-score de façon démagogique (pour les mêmes raisons électoralistes), essayant d’apparaître comme les défenseurs des produits locaux et des intérêts économiques des régions où ils sont élus ou candidats. Comme ses homologues en Italie, le parti d’extrême droite</p>
<p><a href="https://www.vozpopuli.com/espana/vox-nutriscore-jamon.html">Vox</a> fait de la bataille contre Nutri-score un élément de sa stratégie. Leurs arguments faux et démagogiques sont maintenant également repris par les mouvements conservateurs, notamment le <a href="https://sevilla.abc.es/andalucia/sevi-partido-popular-defiende-calidad-nutricional-jamon-bellota-y-pide-certifique-nutriscore-202102191942_noticia.html">Partido Popular (PP)</a> et le parti libéral <a href="https://www.laverdad.es/murcia/ciudadanos-pide-etiquetado-20210228002727-ntvo.html">Ciudadanos</a>.</p>
<p>Dans la même ligne, en France, où le Nutri-score est officiellement adopté depuis 2017, on a vu récemment des personnalités politiques se positionner, à l’approche des élections régionales, en défenseur de produits de la région où ils sont candidats et là où les filières locales de production considèrent (à tort) que leurs produits sont mal classés par Nutri-score…</p>
<p>Ils n’hésitent pas à interpeller le ministre de l’Agriculture pour proposer de sortir du Nutri-score « leurs » <a href="https://terres-et-territoires.com/cest-tout-frais/nutriscore-xavier-bertrand-demande-lexemption-pour-les-fromages-dappellations">fromages locaux</a>), voire exempter du Nutri-score tous les produits ayant une appellation d’origine, ce qui n’est pas cohérent du point de vue de la santé publique.</p>
<h2>Proposer des alternatives au Nutri-score</h2>
<p>Pour bloquer ou au moins retarder l’étiquetage nutritionnel, les lobbys ont depuis longtemps tenté de brouiller les pistes en proposant des « alternatives ». Ces tentatives ont débuté avant même l’ouverture de l’examen du règlement sur l’information des consommateurs, en 2008. Il s’agissait d’anticiper la mise en place d’un système potentiellement gênant.</p>
<p>Dès 2005, les industriels, distributeurs et leurs représentants (Food and Drink Europe, à l’époque nommé CIIA) ont donc proposé un modèle d’étiquetage volontaire (GDA, <em>guideline daily amount</em>, renommé « Reference Intakes » en 2014). Si ce système fournit des renseignements sur la teneur en nutriments des aliments, il est complexe et ne permet pas de comparaisons directes entre les produits. De plus, il utilise la référence à des portions fixées par les industriels eux-mêmes. Non seulement cet étiquetage incompréhensible a-t-il été rejeté par les consommateurs, mais de plus de nombreuses études scientifiques ont démontré son inutilité.</p>
<p>De la même façon, on a même vu, en mars 2017 six grandes multinationales agroalimentaires (Coca-Cola, Pepsi, Nestlé, Mars, Unilever, Mondelez) s’associer pour proposer leur propre modèle de logo nutritionnel (« Evolved Nutrition Label »). Basé sur un système de portions, il indique les quantités et les apports journaliers en énergie et nutriments. Il bénéficie, on pouvait s’y attendre, à leurs produits. Sous la pression des associations de consommateurs et grâce aux travaux scientifiques démontrant l’inefficacité du logo et ses <a href="https://www.mdpi.com/2072-6643/10/9/1268">effets contre-productifs</a>, le « Big 6 » a retiré son système en novembre 2018.</p>
<p>Plus récemment c’est le gouvernement italien qui a proposé son alternative au Nutri-score : le système des batteries Nutrinform. Ce logo fournit une information par nutriment, dont le principe et la représentation graphique sont très proches du logo des GDA/RIs. Bien que rejeté par les associations de consommateurs et les structures de santé publique, ce logo est soutenu en Italie par les lobbys représentant à la fois les industriels agroalimentaires (Federalimentare), et les secteurs agricoles (Coldiretti et Confagricoltura) et par divers hommes politiques, dont le ministre de l’Agriculture.</p>
<p>Divers lobbys espagnols, notamment des politiciens et organisations agricoles soutiennent également ce système qui laisse en outre la possibilité aux produits d’appellation d’origine de ne pas mettre le logo…</p>
<p>Toutes les études indépendantes montrent pourtant que ces <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/nutrition/nutri-score/etudes-et-rapports-scientifiques/article/etudes-sur-la-validation-du-format-graphique-du-nutri-score-en-france">logos descriptifs</a> [alternatifs] sont plus difficiles à comprendre et à interpréter par les consommateurs. En outre, ils ne permettent pas de faire des comparaisons entre les aliments. Ils n’ont pas d’impact positif sur les comportements d’achat des consommateurs.</p>
<p>À l’inverse, le Nutri-score a fait l’objet de plus de <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/nutrition/nutri-score/etudes-et-rapports-scientifiques/article/etudes-sur-la-validation-du-format-graphique-du-nutri-score-en-france">45 études scientifiques</a> publiées dans des revues internationales à comité de lecture. Celles-ci démontrent son efficacité, sa pertinence et son utilité pour les consommateurs et pour la santé publique. C’est aussi le logo qui a obtenu les meilleures performances par rapport à d’autres logos existants ou soutenus par des groupes de pression.</p>
<h2>Des stratégies visant à empêcher l’adoption d’un label obligatoire</h2>
<p>Les stratégies des lobbies sont toujours les mêmes : jeter le doute sur Nutri-score au travers de fausses affirmations, entretenir de la confusion, nier les données scientifiques qui les dérangent, proposer des alternatives à leur avantage… Elles visent à bloquer le processus décisionnel de mise en place d’un label nutritionnel harmonisé et obligatoire à travers l’Europe et surtout à empêcher le Nutri-score d’être choisi.</p>
<p>Dans ce combat opposant santé publique et intérêts économiques, <a href="https://nutriscore.blog/2021/03/16/un-appel-des-scientifiques-europeens-pour-la-mise-en-oeuvre-du-nutri-score-en-europe-un-logo-nutritionnel-simple-et-transparent-reposant-sur-des-bases-scientifique-solides-destine-a-aider-les-consom/">400 scientifiques européens et 30 associations</a> représentant des centaines d’experts ont décidé de se mobiliser pour rappeler que seules les données scientifiques doivent guider les décisions politiques dans le domaine de la santé publique. Il s’agit de rappeler que le choix d’un logo nutritionnel efficace pour l’Europe ne doit répondre qu’à cette seule exigence, et ne pas être dicté par les intérêts de certains opérateurs économiques ou des États membres qui les défendent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chantal Julia a reçu des financements de l'Université Sorbonne Paris Nord et de l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris (salaire). Elle a bénéficié de financement de projets du Ministère de la Santé, de l'Institut National du Cancer, de Santé Publique France concernant des projets de recherche portant sur le Nutri-score. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathilde Touvier a reçu des financements de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Inserm (salaire), et, concernant les projets de recherche sur le NutriScore: de la Fondation pour la Recherche Médicale, FRM (ARF201809007046) et de l'Institut National du Cancer, INCa (No 2017-1-PL SHS-01-INSERM ADR 5-1).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pilar Galan et Serge Hercberg ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Malgré des données scientifiques démontrant son intérêt et son efficacité ainsi que la forte demande des associations de consommateurs, les lobbys continuent à se mobiliser contre le Nutri-score.
Serge Hercberg, Professeur Emérite de Nutrition Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13) - Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Mathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Inserm
Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAe, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm, Université de Paris, Université Sorbonne Paris Nord, Cnam, Inrae
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tag:theconversation.com,2011:article/156990
2021-03-15T18:00:22Z
2021-03-15T18:00:22Z
Bisphénol A : comment les lobbies ont ralenti son interdiction
<p>Dans les années 1960, le bisphénol A est devenu l’un des produits chimiques les plus utilisés au monde par les industriels du plastique. Grâce à ses capacités anticorrosion et à sa stabilité thermique, ce composé organique a permis de créer des produits qui ont considérablement amélioré la qualité de vie des individus (emballages alimentaires, lunettes de soleil, biberons…). En outre, son utilisation peu coûteuse a également réduit les coûts des producteurs et donc les prix sur le marché.</p>
<p>Si cette innovation était très appréciée, sa réputation a commencé à être ébranlée par un nombre considérable d’études sur son niveau de toxicité <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9074884/">dès les années 1990</a>. Cependant, malgré ces études scientifiques rassemblant des preuves accablantes de l’effet nocif du bisphénol A sur la santé et l’environnement, le bisphénol A a continué d’être utilisé légalement par les fabricants, sans aucune mention du principe de précaution.</p>
<p>Ce n’est qu’à partir de 2010 que le bisphénol A commence à être <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2010/05/10/832555-deputes-enterinent-suspension-commercialisation-biberons-contenant-bisphenol.html">interdit en France</a>, avec une suspension de la commercialisation des biberons au bisphénol. Le 14 juin 2017, le bisphénol A est officiellement reconnu dans l’Union européenne comme un <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/bisphenol">perturbateur endocrinien</a> et une substance extrêmement préoccupante après une évaluation de l’agence REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques).</p>
<h2>Comportement de routine</h2>
<p>Mais pourquoi l’attente a-t-elle été si longue entre les premières preuves sur le danger du bisphénol A sur la santé humaine et l’environnement et son interdiction ? Comment explique-t-on le manque de réaction de l’État ?</p>
<p>Une première explication se trouve dans le concept de <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674272286">« routine organisationnelle »</a> qui décrit l’entreprise comme une entité routinière. Les entreprises seraient enclines à sortir de leur routine uniquement si d’autres concurrents ont acquis de meilleures connaissances. Elles vont alors mener un effort de recherche pour être à nouveau compétitives.</p>
<p>L’industrie du plastique a ainsi adopté un comportement de routine, et n’a pas fait d’investissements significatifs, car aucun composé organique n’était en concurrence avec le bisphénol A.</p>
<p>En outre, comme nous l’avons montré dans nos récents travaux de recherche, les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01781310">stratégies d’influence</a> des lobbies industriels peuvent <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02891112">arrêter, ralentir ou diluer les réglementations</a> qui vont à l’encontre de leurs intérêts commerciaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1192580110186102785"}"></div></p>
<p>Les lobbies industriels peuvent notamment financer des scientifiques afin de crédibiliser leurs études. C’est ainsi qu’en 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a autorisé le bisphénol A en se référant aux résultats d’une étude portant sur trois à quatre années consécutives dans le cadre du programme national de toxicologie des États-Unis soutenu par des lobbies industriels du plastique.</p>
<p>Avec leurs expertises, ces mêmes scientifiques peuvent œuvrer directement dans des comités décisionnels. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/intoxication-9782707186379">L’affaire du bisphénol A</a> a d’ailleurs révélé que 8 des 18 experts du groupe nommés par la Commission européenne devant se prononcer sur la dangerosité présumée du bisphénol A pour élaborer une stratégie afin de réglementer les perturbateurs endocriniens, étaient en rapport avec l’industrie chimique.</p>
<p>Les lobbies industriels fabriquent le doute en proposant systématiquement des études contredisant des résultats d’experts indépendants qui leur sont peu favorables. Ainsi, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1280330/">parmi les publications concernant le bisphénol A</a> publiées en décembre 2004, 94 des 104 études financées par le gouvernement prouvaient les effets de faibles doses de bisphénol A alors que 100 % des études financées par des entreprises privées réfutaient cette hypothèse. Cette différence soulève des interrogations sur la validité des résultats des études fournies par les entreprises.</p>
<p>La bataille se joue également auprès de l’opinion publique. PlasticsEurope, qui représente les producteurs européens de matières plastiques, avait ainsi utilisé la perspective d’une éventuelle réduction de l’emploi à la suite de l’interdiction du bisphénol A pour encourager les citoyens intéressés par la préservation de leur travail à soutenir son maintien. Cet argument, impliquant une perte de bien-être de la société, a ralenti les décisions à l’encontre du bisphénol A.</p>
<h2>Éviter les mêmes erreurs</h2>
<p>Une réflexion sur la régulation des risques, notamment chimiques, devient donc urgente. En effet, à la suite de l’interdiction du bisphénol A, de nouveaux composés de la famille des bisphénols ont émergé : les bisphénols B, F et S. Les premières études toxicologiques sur ces substituts <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31313948/">ne sont guère rassurantes ni pour la santé</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28601665/">ni pour l’environnement</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326747171044077571"}"></div></p>
<p>Répartir les responsabilités entre l’industrie du plastique et les fabricants pourrait d’une part rendre plus prudente l’ensemble de la chaîne de production dans le choix de leurs produits et de leurs substituts. En effet, le profit des fabricants pouvant être impacté, leur demande de mesures de contrôle vis-à-vis de l’industrie du plastique pourrait devenir plus exigeante conduisant l’industrie du plastique à être plus précautionneuse et moins routinière.</p>
<p>Cependant, le partage des responsabilités pourrait également avoir un effet contre-productif lié à l’affaiblissement du niveau de compensation financière de l’industrie du plastique. Le choix du niveau de responsabilités et du niveau d’indemnisation entre les différents acteurs de la chaîne de production est ainsi à arbitrer méticuleusement.</p>
<p>Un autre point doit par ailleurs être considéré. Bien que l’État dispose d’une base d’études relativement étendue, le système reste confronté à la nécessité de respecter la confidentialité des brevets. Ainsi, les instituts de régulation ne peuvent consulter que les résultats des tests, ce qui est une véritable porte d’entrée vers d’éventuels conflits d’intérêts. Pourrions-nous permettre aux instituts de régulation d’accéder à des résultats plus fiables ? Devrions-nous financer davantage d’expertises indépendantes et de recherches publiques ?</p>
<p>La santé publique et la préservation de l’environnement demeurent liées à ce questionnement. À l’approche des décisions sur l’interdiction des néonicotinoïdes et du glyphosate, cette réflexion sur la régulation des risques est une nécessité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156990/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Orset ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les stratégies d’influence des industriels du plastique ont abouti à un délai de près de 20 ans entre les premières études alertant sur les dangers de ce composé chimique et son interdiction.
Caroline Orset, Enseignant-Chercheur en sciences économiques, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
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tag:theconversation.com,2011:article/155158
2021-02-21T17:21:47Z
2021-02-21T17:21:47Z
Réintroduction des pesticides néonicotinoïdes : comment nos députés ont-ils voté et pourquoi ?
<p>L’Assemblée nationale a voté, en octobre 2020, la réintroduction partielle des pesticides néonicotinoïdes. 59 % des députés se sont prononcés en faveur du projet de loi autorisant les producteurs de betteraves sucrières à utiliser, à titre dérogatoire, des semences traitées avec des <a href="https://theconversation.com/interdiction-des-insecticides-neonicotino-des-pourquoi-a-t-il-fallu-attendre-plus-de-20-ans-95759">pesticides pourtant interdits depuis 2018</a>. Une enquête du <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/19/neonicotinoides-des-derogations-fondees-sur-une-erreur-de-calcul_6070521_3244.html"><em>Monde</em></a> a révélé récemment que ce projet de loi s'est fondé, en partie, sur des calculs erronés, interrogeant la façon dont sont pris les arbitrages en la matière.</p>
<p>Le texte, qui a <a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">suscité de nombreux débats</a>, a été soutenu par les députés des groupes du centre et de la droite – La République en Marche, Les Républicains, Mouvement Démocrate et Agir Ensemble.</p>
<p>Ce vote a provoqué un cas de conscience chez nombre d’élus de ces formations, qui étaient tiraillés entre leur loyauté à leur parti ou au gouvernement, les intérêts de leur circonscription, et leurs propres convictions. Concrètement : comment les députés ont-ils voté et comment expliquer leur choix ?</p>
<h2>L’importance du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale</h2>
<p>Dans toutes les démocraties parlementaires, l’appartenance à un groupe politique détermine largement le sens du vote des députés. C’est notamment le cas à l’Assemblée nationale, où les élus suivent le plus souvent ligne arrêtée par leur groupe.</p>
<p>Cette discipline s’explique d’abord par la cohésion idéologique : les membres d’un groupe ont des positions politiques similaires et ont fait campagne sur le même programme. Plus prosaïquement, dans les régimes politiques où la polarisation de la vie politique est la norme, les parlementaires appartiennent à la majorité ou à l’opposition, et acceptent l’idée qu’ils doivent s’employer à soutenir ou à contrer l’action du gouvernement. Les présidents de groupe disposent aussi de ressources pour discipliner leurs élus, en récompensant les plus loyaux et en sanctionnant les dissidents.</p>
<p>Dans le système politique français, la cohésion des groupes parlementaires a permis de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01402380802670602">stabiliser les institutions</a> de la V<sup>e</sup> République. Elle aide aussi les citoyens à comprendre le jeu politique qui se déploie à l’Assemblée nationale et au Sénat.</p>
<p>Ceci étant, les députés se désolidarisent parfois de leur groupe, notamment lorsque des divergences politiques apparaissent. Celles-ci peuvent aboutir à de vrais divorces, comme cela a été plusieurs fois le cas parmi les députés LREM <a href="https://theconversation.com/apres-trois-votes-de-confiance-la-majorite-presidentielle-serode-t-elle-a-lassemblee-nationale-143426">depuis 2017</a>.</p>
<p>Plus périodiquement, les députés votent contre la ligne de leur groupe, notamment pour faire prévaloir leurs convictions personnelles ou les <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674187887">intérêts de leur circonscription</a>. Depuis 2017, de nombreux députés LREM ont dévié de la ligne du groupe sur plusieurs sujets clés, notamment le <a href="https://datan.fr/votes/vote_2952">renforcement du droit à l’avortement</a>, le <a href="https://datan.fr/votes/vote_2856">projet de loi bioéthique</a>, ou encore la <a href="https://datan.fr/votes/vote_2059">ratification de l’accord de libre-échange avec le Canada</a> (CETA).</p>
<p>En somme, les députés ne sont pas des élus « hors-sol » : sur des votes médiatiques, ils n’hésitent pas à voter contre leur groupe pour contenter les intérêts de leurs électeurs. Ceci est d’autant plus important en <a href="https://yalebooks.co.uk/display.asp?k=9780300105872">période électorale</a>, surtout dans un pays comme la France, où les élections législatives ont lieu à l’échelle de circonscriptions uninominales et qu’il existe, de fait, un un <a href="https://www.researchgate.net/publication/263559602_Attitudes_Towards_The_Focus_and_Style_of_Political_Representation_Among_Belgian_French_and_Portuguese_Parliamentarians">lien étroit</a> entre l’élu et son territoire.</p>
<h2>Le vote sur la réintroduction des néonicotinoïdes</h2>
<p>Le projet de loi sur la réintroduction des pesticides néonicotinoïdes visait à aider le secteur de la betterave sucrière, dont la production était affectée par la jaunisse, une maladie causant d’importantes <a href="http://www.itbfr.org/tous-les-articles/article/news/f-a-q-tout-savoir-sur-la-jaunisse/">pertes de rendement</a>.</p>
<p>Il a suscité de fortes mobilisations dans les deux camps et a été largement médiatisé. De vives dissensions sont apparues au sein des groupes du centre et de la droite qui entendaient soutenir la loi. Elles sont reflétées par le taux de cohésion des groupes, un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/abs/power-to-the-parties-cohesion-and-competition-in-the-european-parliament-19792001/C9DEC632B97560226F7208FC735C3C56">indicateur statistique</a> qui varie de 0 (chaos total) à 1 (parfaite cohésion), et se situe généralement autour de 0,90 à l’Assemblée nationale. Lors du <a href="https://datan.fr/votes/vote_2940">vote sur les néonicotinoïdes</a>, il s’est échelonné entre 0,20 à 0,60 pour les groupes du centre et de la droite, un score particulièrement faible.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Données du vote sur la réintroduction des néonicotinoïdes, par groupe politique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Marie, O.Costa, Datan</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À La République en Marche, 28 % des députés ont choisi de s’abstraire des consignes de vote du groupe. Pour savoir si ce choix s’explique par des enjeux locaux, et notamment par d’éventuelles pressions de la filière betteravière, nous avons croisé les données de vote avec les <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/SAANR_DEVELOPPE_2/detail/">chiffres de la production de betterave sucrière en 2019</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte de la production de betteraves sucrières (données Agreste, Ministère de l’Agriculture).</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Marie, O.Costa</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Notre analyse montre que les députés élus dans des départements à forte production de betterave sucrière ont davantage voté en faveur de la réintroduction des néonicotinoïdes que les autres. Ainsi, alors que 87 % des députés LREM élus dans ces zones ont soutenu le projet de loi, cette proportion n’est que de 60 % pour les autres.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dans chaque groupe, les députés venant de département où la filière betteravière est importante ont été davantage susceptibles de voter en faveur du projet de loi.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Marie, O. Costa, Datan</span></span>
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</figure>
<p>Les députés ont sans aucun doute été influencés par les intérêts liés au dossier des néonicotinoïdes. Les parlementaires élus dans les régions betteravières ont été sensibles aux positions des producteurs, qui ont des ressources financières et organisationnelles importantes, la faveur d’une partie de l’opinion et des relais solides dans la vie politique, économique et sociale. Les élus venant de territoires sans filière betteravière ont été davantage à l’écoute des défenseurs de l’environnement, qui soulignaient les incohérences de la majorité présidentielle, qui avait été à l’origine de l’interdiction de cette catégorie de pesticides.</p>
<h2>Les députés votent-ils « avec leur conscience » ?</h2>
<p>S’il est manifeste que les députés peuvent arbitrer entre la ligne de leur parti et les intérêts qui s’expriment dans leur circonscription, qu’en est-il de leurs convictions personnelles ? Leur vote n’est-il pas aussi guidé par leur conscience ?</p>
<p>Pour le déterminer, nous avons estimé la position moyenne des députés sur l’axe gauche-droite en analysant, au moyen de l’algorithme développé par les chercheurs</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/2111172?origin=crossref&seq=1">Keith Poole and Howard Rosenthal</a>, plus d’une centaine de scrutins de l’Assemblée nationale. Cette méthode permet de déterminer si un élu a tendance à être plus à gauche ou plus à droite que la position moyenne de son groupe.</p>
<p>Dans le cas de la réintroduction des néonicotinoïdes, les votes ont bien été influencés par les positions idéologiques. Dans chaque groupe politique, plus un élu se situe à droite, plus il a été susceptible de voter en faveur du texte, et inversement. Au sein des formations du centre et de la droite, les députés situés le plus à gauche se sont donc davantage opposés au gouvernement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’échelle verticale indique le position idéologique des élus (-1 étant le plus à gauche, +1 le plus à droite) et l’échelle horizontale le vote des parlementaires sur la réintroduction des néonicotinoïdes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Marie, O.Costa, Datan</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des députés tiraillés entre trois logiques de représentation</h2>
<p>La représentation parlementaire est donc un mécanisme plus complexe qu’il n’y paraît. Les députés ne sont pas de simples rouages de leur parti, coupés des réalités socio-économiques de leur circonscription et dépourvus de libre arbitre. Il leur arrive de s’abstraire des consignes de vote pour privilégier des intérêts locaux ou leurs propres convictions. Nos données reflètent ainsi les tensions qui existent entre trois logiques distinctes, et qui ne sont pas toujours compatibles.</p>
<p>En premier lieu, la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/folder/les-deputes/le-mandat-parlementaire/quel-est-le-sens-du-mandat-parlementaire-representer-la-nation-exprimer-la-volonte-generale-relayer-les-demandes-des-electeurs">tradition constitutionnelle française</a> de la « généralité » du mandat et de la souveraineté nationale voudrait que les députés, pris collectivement, représentent la Nation. En principe, ils ne peuvent affirmer agir au nom d’un territoire donné et sont appelés à se prononcer sans tenir compte d’intérêts particuliers, en leur âme et conscience.</p>
<p>La pratique institutionnelle et politique voudrait, en deuxième lieu, que les députés soient fidèles à leur groupe parlementaire. C’est là le <a href="https://www.jstor.org/stable/43205624?seq=1">projet des artisans de la Vᵉ République</a> : aboutir à une vie politique polarisée, où l’exécutif dispose d’une majorité claire et stable à l’Assemblée nationale, et où l’opposition remplit une fonction de contrôle et de mise en débat.</p>
<p>Concrètement, les partis peuvent exiger cette discipline de leurs élus, car ces derniers leur doivent le plus souvent leur élection. Certains députés attirent des voix sur leur nom, mais la plupart des électeurs votent aux élections législatives pour confirmer leur choix des présidentielles.</p>
<p>Ainsi, rares sont les députés LREM qui peuvent prétendre avoir été élus pour leurs qualités personnelles ; la plupart d’entre eux étaient des inconnus qui ont bénéficié de la dynamique électorale engendrée par l’élection d’Emmanuel Macron.</p>
<p>En troisième lieu, et même si cela est a priori contraire à la tradition constitutionnelle française, les citoyens entendent que leurs élus se montrent réactifs à leurs sollicitations et sensibles à leurs intérêts. Il convient ainsi que les députés soient présents dans leur circonscription et prennent part à la défense des intérêts qui s’y expriment.</p>
<p>Nos données confirment ce point : les députés élus dans des départements à forte production de betterave ont défendu les intérêts économiques d’une minorité. Ceci étant, ils pourraient arguer que la filière betteravière ne se résume pas à une poignée d’agriculteurs, et qu’elle irrigue largement l’économie des zones où elle est prédominante.</p>
<p>Les députés ne sont pas tiraillés au quotidien par ces différentes conceptions de la représentation. Dans la plupart des cas, ils se prononcent sur des textes qui ne suscitent pas de tension entre leurs convictions et les consignes de vote de leur groupe, n’ont pas de répercussions spécifiques pour leur circonscription, et sont faiblement médiatisés. Seuls quelques votes impliquent des choix cornéliens. Ils font inévitablement des insatisfaits – certains électeurs, le groupe ou l’éthique – mais sont la preuve que la représentation parlementaire n’est pas un mécanisme inerte, et que les élus ne sont pas des pions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Awenig Marié a co-fondé Datan. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Costa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le vote sur la réintroduction de pesticides néonicotinoïdes permet de montrer comment les élus sont tiraillés entre leurs partis, les intérêts de leur circonscription et leurs propres convictions.
Olivier Costa, Directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF / Directeur des Etudes politiques au Collège d'Europe, Sciences Po
Awenig Marié, Doctorant au Centre d'étude de la vie politique (CEVIPOL), Université Libre de Bruxelles (ULB)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/154746
2021-02-11T20:32:33Z
2021-02-11T20:32:33Z
Emballages : intense bataille entre l’industrie laitière et les entreprises végétaliennes à Bruxelles
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/382701/original/file-20210205-23-ji49zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5534%2C3686&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2017, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne a déjà interdit aux producteurs d’aliments végétaliens commercialisant dans l’UE d’utiliser des termes tels que «&nbsp;lait d’avoine&nbsp;» et «&nbsp;yaourt de soja&nbsp;» sur les emballages.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/portland-oregon-usa-sep-6-2019-1500236915">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La marque leader de lait d’avoine Oatly et le propriétaire de la margarine Flora <a href="https://stopam171.com/">mènent actuellement une campagne</a> visant à contester de nouvelles règles européennes qui pourraient avoir des <a href="https://www.politico.eu/sponsored-content/what-is-amendment-171-and-how-could-it-affect-plant-based-foods/">conséquences désastreuses</a> pour les entreprises alimentaires végétaliennes.</p>
<p>Un <a href="https://www.loc.gov/law/foreign-news/article/european-union-milk-cannot-be-used-to-market-purely-plant-based-products/#:%7E:text=(June%2027%2C%202017)%20On,(e.g.%2C%20tofu%20butter).">arrêt</a>, de la Cour de justice de l’Union européenne, rendu en 2017, <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A32013R1308">a déjà interdit</a> aux producteurs d’aliments végétaliens commercialisant dans l’UE d’utiliser des termes tels que « lait d’avoine » et « yaourt de soja » sur les emballages. Mais si de nouvelles règles, pour l’instant connues sous le nom <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-8-2019-0198_EN.pdf">d’amendement 171</a>, sont approuvées, les producteurs ne pourront pas utiliser de termes ou d’images sur les emballages qui font référence, ou évoquent, des produits laitiers.</p>
<p>S’il est interprété au sens large, l’amendement pourrait ainsi les empêcher d’inclure des mentions ou des dénominations telles que « produits laitiers », « crémeux », « dessert de style yaourt » ou « ne contient pas de lait ». Les producteurs seraient également incapables d’utiliser des emballages qui rappellent les produits laitiers, tels que des pots de yaourt ou des cartons de lait. Le simple fait de montrer <a href="https://www.theguardian.com/environment/2018/may/31/avoiding-meat-and-dairy-is-single-biggest-way-to-reduce-your-impact-on-earth">l’impact climatique</a> en comparant l’empreinte carbone de leurs produits avec des équivalents laitiers pourrait même devenir illégal.</p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? L’industrie végétalienne a-t-elle une chance d’empêcher ces nouvelles règles de se mettre en place ?</p>
<h2>Une histoire de deux lobbies</h2>
<p>L’industrie laitière, qui a fait pression en faveur de l’amendement 171, soutient que l’interdiction d’utiliser des termes liés aux produits laitiers est nécessaire afin de protéger les consommateurs et s’assurer qu’ils ne sont pas induits en erreur. Les acteurs de la filière peuvent pour cela s’appuyer sur des lois européennes similaires et déjà existantes, comme celles sur les <a href="https://www.foodcomplianceinternational.com/intel-eu/2020/7/22/is-your-trademark-a-health-claim-prepare-for-the-end-of-the-exemption-now">mentions nutritionnelles et de santé</a> ou la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-risk-regulation/article/abs/geographical-indications-food-fraud-and-the-fight-against-italian-sounding-products/E97B0A9C23BD8285FA047D9F8959B20F">région d’origine</a> d’un produit.</p>
<p>Les entreprises alimentaires végétaliennes <a href="https://plantbasednews.org/lifestyle/food/oatly-slams-eu-over-dairy-ban/">craignent</a> de leur côté que, si ces « mesures de protection » sont mises en place en vertu de l’amendement, elles devront changer leur nom de marque, renommer et repenser les stratégies de marketing – avec des coûts supplémentaires importants. En d’autres termes, il s’agit d’un face-à-face entre un secteur établi de longue date mais toujours en croissance et un rival en plein essor.</p>
<p>Le marché du lait végétal a représenté à lui seul 12 milliards de dollars américains (environ 10 millions d’euros) de ventes mondiales en 2019 et <a href="https://www.gminsights.com/industry-analysis/plant-milk-market">devrait croître</a> de 11 % par an entre 2020 et 2026 pour atteindre 21 milliards de dollars US. Mais cela reste minime par rapport à l’industrie laitière qui <a href="https://www.imarcgroup.com/global-dairy-market">devrait passer</a> de 718 milliards de dollars en 2019 à un peu plus de 1 000 milliards de dollars en 2024.</p>
<p>L’amendement 171 a obtenu un vote majoritaire au Parlement européen en octobre 2020. Il doit maintenant être approuvé par le Conseil des ministres de l’UE, qui a examiné la proposition lors des réunions en trilogue avec le Parlement et la Commission européenne à la fin du mois de janvier. Si le Conseil et la Commission l’acceptent, cela deviendra une loi. Oatly, le propriétaire de Flora Upfield, et l’ONG ProVeg International ont alors <a href="https://www.foodnavigator.com/Article/2021/01/14/How-Oatly-Upfield-and-ProVeg-plan-to-overthrow-Amendment-171">lancé une pétition</a> pour tenter de persuader l’UE d’abandonner les nouvelles restrictions.</p>
<h2>Faire du lobbying pour la réalité</h2>
<p>Les débats ont aujourd’hui tendance à se porter sur les impacts de la filière. Le plus souvent, on fait valoir que, puisque l’élevage laitier peut être considéré <a href="https://foodprint.org/reports/the-foodprint-of-dairy/">comme mauvais</a> à la fois pour l’environnement et pour le bien-être des animaux, présenter les produits végétaliens comme des alternatives pourrait aider à compenser ces effets. Les problèmes de bien-être liés à l’élevage laitier <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10806-018-9740-9">seraient même sans doute pires</a> que ceux liés à filière la viande, par exemple. On pourrait en outre noter qu’il y aurait <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10408398.2012.761950?casa_token=YGI5eSd2rlAAAAAA%3A7hyuZejeu5t6cde2t_t14XHqX2JpGwbDTUIVeFSCFk77UErrEFD43uSXkvX1ygK2nudf0gV0QQ-MHA">davantage de place dans le débat</a> pour les comparaisons de santé entre les alternatives laitières et végétaliennes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vaches en cage dans une ferme laitière." src="https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380231/original/file-20210122-15-i9hdpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les détracteurs de l’élevage laitier font aujourd’hui porter les débats sur les impacts pour l’environnement et le bien-être des animaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/diary-cows-modern-free-livestock-stall-1782458204">Vladimir Mulder</a></span>
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<p>Quant aux arguments du lobby laitier sur la confusion des consommateurs, ils risquent de paraître rapidement dépassés, étant donné les changements considérables dans les habitudes alimentaires qui ont eu lieu ces dernières années. Selon une <a href="https://veganz.com/blog/veganz-nutrition-study-2020/">enquête</a>, la proportion de végétaliens dans l’UE a en effet considérablement augmenté au cours des quatre dernières années. Et bien qu’il ne s’agisse au mieux que de 3 % des consommateurs, comme c’est le cas en Allemagne, pas moins d’un tiers se considèrent comme des « flexitariens » plutôt que comme des mangeurs de viande, et une proportion importante prévoit de devenir végétarienne ou végétalienne à l’avenir.</p>
<p>Cela aborde l’un des autres arguments du lobby laitier, qui concerne l’étymologie : ils mentionnent que les termes « lait » et « produits laitiers » restent essentiellement liés au liquide riche produit à partir de glandes de mammifères – contrairement à la « viande », qui n’aurait pas besoin d’avoir quoi que ce soit à voir avec les animaux. C’est pourquoi, selon eux, le vote du Parlement européen, en octobre dernier, <a href="https://www.euractiv.com/section/agriculture-food/news/meps-save-veggie-burger-from-denomination-ban/">contre une proposition</a> qui aurait interdit des termes tels que « Veggie burger » et « Vegan steak », ne constitute pas un précédent. Inutile de dire que les producteurs laitiers végétaliens pensent le contraire…</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Veggie burger sur une table" src="https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380233/original/file-20210122-13-1r4qgql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’appellation « Veggie burger » ou burger végétarien est autorisée par la loi européenne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/close-veggie-burger-on-piece-paper-1206428425">Anna.q</a></span>
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<p>Il est difficile de prévoir comment les institutions de l’UE vont maintenant procéder. Vont-elles valoriser les points « pro-santé » du secteur végétalien ? Ou seront-elles persuadées par l’argument au sujet de la « confusion des consommateurs » poussée par l’industrie laitière ? L’amendement 171 a été adopté au parlement européen avec une faible majorité (54 %), ce qui <a href="https://www.veganfoodandliving.com/news/oatly-plant-based-censorship-petition-vegan-dairy-alternatives/">nourrit l’espoir</a> au sein de l’industrie végétalienne qu’un doute suffisant ait été jeté sur la question pour que la nouvelle règle soit bloquée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154746/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>
La Commission européenne examine actuellement un projet d’amendement qui interdirait aux producteurs de lait d’avoine ou de soja de faire référence à des produits laitiers sur les briques et les pots.
Enrico Bonadio, Reader in Intellectual Property Law, City, University of London
Andrea Borghini, Associate Professor of Philosophy, University of Milan
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/141255
2020-06-23T20:55:02Z
2020-06-23T20:55:02Z
Les élus locaux sont-ils à l’abri des groupes d’intérêt ?
<p>Dans un <a href="https://www.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2020/06/lobbying-epidemie-cachee-at-odm-juin2020.pdf">rapport récent</a>, deux associations (Les Amis de la Terre et l’Observatoire des multinationales) accusent des acteurs économiques d’avoir profité de la crise provoquée par le Covid-19 pour demander des assouplissements en matière de réglementations environnementales et sociales, considérées trop contraignantes pour leurs affaires.</p>
<p>Cette dénonciation laisse entendre que des intérêts privés agiraient en coulisses pour peser sur les décideurs. C’est là une idée fort ancienne, contemporaine de l’autonomisation (au XIX<sup>e</sup> siècle) des dirigeants politiques qui seraient désormais soumis aux pressions d’intérêts privés.</p>
<p>Longtemps, les restrictions censitaires du suffrage ont garanti la promotion des intérêts des plus privilégiés (<a href="https://www.cairn.info/explication-du-vote--9782724605667-page-106.htm?contenu=plan">et notamment des propriétaires</a>. Cependant, à partir de la III<sup>e</sup> République, alors que l’accès au pouvoir est désormais arbitré par le suffrage universel, les groupes sociaux, et notamment les plus dominants, ont dû développer de nouvelles pratiques pour faire entendre leur cause : non seulement présenter des candidats directement, mais aussi peser sur les préférences des élus.</p>
<p>Ainsi s’instaure, dans le discours républicain, une distinction entre l’intérêt général, dont seraient dépositaires les élus, et les intérêts particuliers <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00964020/document">qui n’auraient d’autres choix que de « faire pression »</a>.</p>
<p>Mais, longtemps, la démocratie locale a semblé épargnée par cette lecture grâce notamment à sa supposée « proximité ». Celle-ci garantirait une fluidité des relations entre élus et citoyens, ainsi qu’une plus grande transparence. Est-ce à dire que les élus locaux sont préservés des activités de lobbying auxquelles seraient soumis les dirigeants nationaux ?</p>
<p>Cette question mérite d’être posée dès lors qu’en campagne, les candidats aux élections municipales rivalisent de projets volontaristes pour l’avenir d’un territoire, et notamment sur les questions écologiques lors de ce cru électoral 2020. Aux propositions de « forêts urbaines », de « trames vertes » et de <a href="https://c.leprogres.fr/politique/2020/01/15/metropole-francois-noel-buffet-devoile-son-central-parc-a-la-lyonnaise">« Central Parc »</a> répondent des surenchères sur les superficies d’arbres à planter ou encore sur les kilomètres de pistes cyclables.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’image de la maire sortante et candidate à la mairie de Paris Anne Hidalgo (ici le 21 juin), de nombreux candidats aux municipales ont proposé des mesures écologistes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alain Jocard/AFP</span></span>
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<p>D’autres prétendent contrecarrer la densification immobilière, ou encore revoir la commande publique dans un sens plus durable. Le temps d’une élection est effectivement celui des promesses et des engagements. Mais les élus peuvent-ils les tenir ? Rien n’est moins sûr tant les leviers de l’action publique locale cristallisent des convoitises. Pour autant, cela n’oblige pas à succomber à une vision simplifiée en termes d’intérêts cachés manipulant les décideurs.</p>
<h2>Les oublis de l’effervescence électorale</h2>
<p>Les campagnes constituent des rituels démocratiques. Candidats et électeurs sont enclins à croire que les élus auront la capacité de maîtriser et de transformer le réel en appliquant leurs programmes.</p>
<p>Mais cette vision occulte les contraintes multiples (budgétaires, techniques, médiatiques… et même les événements imprévus de l’actualité comme peut l’être une crise sanitaire) avec lesquelles composent les élus une fois en position de pouvoir.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-publiques--9782724611755-page-201.html">Bien trop de facteurs</a> interfèrent et complexifient une <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100416230">chaîne décisionnelle qui n’a rien de linéaire</a>. Oublier cela, c’est se condamner aux déceptions postélectorales.</p>
<p>À ce titre, l’existence de groupes organisés constitue un paramètre susceptible d’affecter les promesses et les intentions affichées. Même parés de l’onction du suffrage universel, les élus locaux doivent faire avec les mobilisations régulières de groupes et d’organisations qui entendent faire valoir les intérêts de certains segments de la population. Dès lors, la question qui se pose est plus de savoir avec qui gouverne une équipe municipale ?</p>
<p>Localement, les élus sont confrontés à des sociétés pluralistes. Ils sont d’abord tenus d’interagir avec des organisations économiques (les chambres consulaires) dotées statutairement d’un droit à l’expression sur les principaux documents d’action publique (comme un plan local d’urbanisme).</p>
<p>Par-delà ces interlocuteurs institués, les intérêts défendus collectivement s’expriment au travers d’une myriade d’associations (sportives, culturelles, comités de quartier), de collectifs en tous genres (riverains, usagers), de groupements professionnels (commerçants notamment), alors que les fédérations syndicales (de salariés et de patrons), traditionnellement centralisées, souffrent en France d’une implantation locale très fragile.</p>
<p>Les intérêts portés peuvent également revêtir une forme plus individualisée par l’action propre des entreprises. Mais tous ces acteurs ne disposent pas des mêmes chances de succès et des mêmes accès aux élus.</p>
<h2>Inégalité de moyens</h2>
<p>Primo, ces acteurs ne bénéficient pas de moyens identiques pour se faire entendre des élus. Quand certains se prévalent principalement de leur nombre ou de leur attachement à un territoire pour plaider leur cause, d’autres mobilisent des expertises pour se doter d’une crédibilité.</p>
<p>De grandes entreprises au contact régulier des élus locaux – dans les domaines notamment de la promotion immobilière, de la distribution, de l’économie numérique, des réseaux – se sont ainsi dotées de services de relations institutionnelles et de lobbying pour travailler auprès des collectivités.</p>
<p>Cette inégalité de moyens oblige de fait bon nombre d’associations à redoubler d’efforts pour se faire entendre. On le voit quand des édiles cèdent aux sirènes de grands promoteurs commerciaux invoquant les richesses et emplois induits, études à l’appui, par l’implantation d’un nouveau centre commercial : les riverains et associations de défense du cadre de vie sont contraints de multiplier leurs actions (manifestations, pétitions, recours, contre-expertises…) pour espérer infléchir un tel projet.</p>
<p>Ainsi, après des années de mobilisation, le projet de megacomplexe « EuropaCity », qui devait voir le jour à Gonesse (Val d’Oise), <a href="https://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/gonesse-europacity-un-projet-abandonne-dix-ans-apres-ses-debuts-21-11-2019-8198847.php">a finalement été enterré, en novembre 2019</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans la ville de Gonesse (Val d’Oise), le 5 octobre 2019, des riverains défilent contre le projet’EuropaCity’.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jacques Demarthon/AFP</span></span>
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</figure>
<p>Secundo, l’écho des intérêts défendus dépend des liens entretenus avec les élus locaux. Plus les acteurs sont sociologiquement et idéologiquement proches des élus, plus il leur est aisé d’en être entendu : en toute logique, les élus <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2016-1-page-117.htm">sont portés à écouter ceux qui partagent les mêmes codes et langages</a>.</p>
<p>On comprend mieux l’importance pour tel ou tel segment de la société d’avoir l’un de ses représentants sur une liste. Dans cette perspective, l’élection possible d’équipes écologistes à la tête de municipalités pourrait bien représenter une opportunité pour des associations environnementales partageant les points de vue de ces nouveaux élus.</p>
<p>Tertio, les causes défendues résonnent différemment selon les conjonctures. Tout laisse penser que, dans les prochains mois, les arguments autour de l’emploi et du développement économique auront une portée renforcée auprès des élus. Il est vrai que, compte tenu des échéances électorales, les demandes mesurables quantitativement (comme les emplois) sont plus aisément monnayables que des biens communs auprès d’élus tenus d’afficher des bilans.</p>
<h2>Des élus sous observation</h2>
<p>Tous ces éléments dessinent dès lors des relations entre élus et groupes très variées selon les territoires. Ils rendent surtout la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2018-2-page-215.html">destinée d’une promesse électorale incertaine</a>. Ils nous rappellent que gérer une ville demeure une affaire de conciliation d’intérêts et de paramètres (partiellement) contradictoires.</p>
<p>C’est bien pourquoi les soutiens d’une équipe municipale nouvellement élue auraient bien tort, une fois l’élection passée, d’attendre passivement des actes. D’ailleurs, des associations l’ont bien compris en demandant aux candidats de s’engager sur des chartes ou des manifestes durant la campagne <a href="https://reseauactionclimat.org/kit-municipales-2020/">afin de suivre plus efficacement par la suite les engagements pris</a>.</p>
<p>Après avoir évalué et parfois noté les programmes, il leur revient ainsi de faire preuve d’une capacité d’observation, de vigilance et d’interpellation. Autant d’exigences qui sont, néanmoins, difficiles à assumer pour des groupements aux moyens très souvent limités (grâce à quelques bénévoles) dans les espaces locaux.</p>
<h2>Les échelles de la défense des intérêts</h2>
<p>Les stratégies pour se faire entendre des élus se compliquent aujourd’hui avec le pluralisme des scènes de décision. En effet, bon nombre de responsabilités et de moyens ont désormais été transférés aux intercommunalités, devenues de véritables centres de pouvoir. Pour en rester aux questions écologiques, la plupart des politiques (eau, mobilité, déchets, habitat, climat) sont du ressort de telles instances intercommunales.</p>
<p>Elles se discutent et se négocient dans des territoires, institutionnels et géographiques, élargis. Sauf que bon nombre de groupements associatifs conservent une assise communale et dépassent rarement ce périmètre (ou se concentrent dans les villes-centres). La métropolisation des intérêts et des mobilisations <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00653922/">est encore balbutiante</a>.</p>
<p>Ainsi se crée une déconnexion croissante entre l’échelle des compétences, de plus en plus intercommunales, et l’échelle des groupements de la société civile à forte dimension municipale. Doit-on parler dans ce cas de politiques publiques destinées à rester sans interlocuteurs ?</p>
<p>En fait, là encore, la capacité d’adaptation à ce nouveau jeu institutionnel est inégale. Les plus à même de s’y ajuster sont les intérêts les plus volatiles et flexibles (sans doute les moins attachés à un espace particulier), et en premier lieu ceux du monde des affaires et des entreprises. Pour la plupart des groupes, cette recomposition institutionnelle constitue un nouveau défi exigeant. C’est dire si, l’élection passée, le travail des groupes localisés ne fait que… continuer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141255/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Cadiou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les élus locaux doivent faire avec la mobilisation de groupes divers qui font valoir leurs intérêts. Mais ces acteurs ne disposent pas des mêmes chances de succès et des mêmes accès aux élus.
Stéphane Cadiou, Politologue, Université Jean Monnet, Saint-Étienne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/137297
2020-05-14T18:42:10Z
2020-05-14T18:42:10Z
« Mrs. America », portrait d’une antiféministe redoutable et controversée
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/330983/original/file-20200428-110779-1slku5i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1020%2C671&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">(De gauche à droite) Coco Francini, Tracey Ullman, Sarah Paulson, Stacey Sher, Cate Blanchett, Dahvi Waller et Anna Boden, les actrices de la nouvelle série "Mrs America", lors d'une conférence de presse au Winter TCA Tour 2020 au Langham Huntington, le 09 janvier 2020 à Pasadena, Californie.</span> <span class="attribution"><span class="source">Amy Sussman/Getty Images North America/Getty Images Via AFP</span></span></figcaption></figure><p>Aux États-Unis, <a href="https://www.equalrightsamendment.org">l’Equal Rights Amendment</a> ou ERA, est revenu sur le devant de la scène en janvier 2020. Cette proposition d’amendement à la Constitution, destinée à assurer l’égalité entre hommes et femmes et ainsi prohiber toutes formes de discriminations basées sur le sexe, a en effet été ratifiée par deux tiers des États américains (38), après le vote en Virginie du début de l’année. D’abord votée par les deux chambres du Congrès en 1972, grâce à la pression exercée par le mouvement féministe, elle était restée lettre morte depuis 1982, après des années de lobbying acharné par les antiféministes menées par leur figure de proue, Phyllis Schlafly.</p>
<p>La mini-série <a href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=24399.html"><em>Mrs. America</em></a>, réalisée par Dahvi Waller, brosse le portrait de plusieurs femmes américaines qui militèrent dans les années 1970-80, au moment de l’affrontement décisif entre féministes et antiféministes. Phyllis Schlafly – interprétée par l’actrice oscarisée Cate Blanchett – y fait figure d’anti-héroïne puisqu’elle incarne l’opposition à la « deuxième vague » du féminisme des années 1960-70. Comme le laisse entendre le titre de la série, c’est l’identité même de la femme américaine qui semblait être en jeu. Il s’agissait de redéfinir ou de préserver le modèle féminin idéal, c’est-à-dire celui de la femme au foyer. Mais Phyllis Schlafly correspondait-elle réellement à l’archétype féminin qu’elle défendait corps et âme ?</p>
<h2>Pourquoi Phyllis Schlafly était-elle contre l’égalité des sexes ?</h2>
<p>En 1972, Schlafly publia un texte retentissant dans sa newsletter, <em>The Phyllis Schlafly Report</em>, intitulé <a href="https://eagleforum.org/publications/psr/feb1972.html">« What’s Wrong with Equal Rights for Women ? »</a>. Dans ce manifeste antiféministe, elle fit l’apologie de la famille « traditionnelle » dans laquelle les époux endossaient des rôles genrés distincts ; la femme s’occupait du foyer et des enfants, tandis que l’homme était chargé de subvenir aux besoins de la famille grâce à son travail.</p>
<p>Cette vision socioéconomique du couple était héritée d’une idéologie en vogue dans les années 1950 qui faisait de la cellule familiale un partenariat émotionnel fonctionnel, une unité économique adaptée à l’ère de la consommation de masse et un idéal patriotique. Les époux n’étaient pas considérés comme égaux mais leurs contributions étaient vues comme complémentaires.</p>
<p>Cependant, largement idéalisée et rarement à la portée d’autres groupes sociaux que les classes moyennes blanches, la famille « nucléaire » fut envisagée par les féministes comme une source d’oppression, notamment après la parution en 1963 de l’ouvrage de Betty Friedan, <a href="https://bookfrom.net/betty-friedan/47425-the_feminine_mystique.html"><em>The Feminine Mystique</em></a>, qui mit en lumière le désarroi de certaines femmes au foyer aux prises avec les carcans patriarcaux.</p>
<p>Pour les conservatrices, ce modèle familial était menacé par la promesse d’égalité entre hommes et femmes ; l’ERA aurait par exemple selon elles supprimé le soutien économique des maris aux épouses. Sous l’égide de Phyllis Schlafly, elles lancèrent donc une campagne nationale contre l’amendement pour l’égalité des droits qu’elles nommèrent <a href="https://www.thoughtco.com/stop-equal-rights-amendment-3528861">STOP ERA</a> (STOP étant l’acronyme de « Stop Taking Our Privileges »).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/330998/original/file-20200428-110734-2p9186.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/330998/original/file-20200428-110734-2p9186.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/330998/original/file-20200428-110734-2p9186.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/330998/original/file-20200428-110734-2p9186.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/330998/original/file-20200428-110734-2p9186.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/330998/original/file-20200428-110734-2p9186.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/330998/original/file-20200428-110734-2p9186.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La militante Phyllis Schlafly manifestant avec d’autres femmes contre l’ERA devant la Maison-Blanche, Washington, DC, le 4 février 1977.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Activist_Phyllis_Schafly_wearing_a_%22Stop_ERA%22_badge,_demonstrating_with_other_women_against_the_Equal_Rights_Amendment_in_front_of_the_White_House,_Washington,_D.C._(42219314092).jpg">Warren K. Leffler/Public domain</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une figure ambivalente</h2>
<p>Malgré son combat pour la préservation des « privilèges » de la femme, épouse et mère avant tout, Phyllis Schlafly cultivait elle-même une certaine ambiguïté. <em>Mrs. America</em> met en effet en scène un personnage controversé de l’histoire américaine : une femme à la longue carrière politique et militante, pourtant opposée à l’égalité homme-femme et à l’émancipation de cette dernière en dehors du foyer.</p>
<p>Prenant sans doute des libertés avec la réalité historique, les scénaristes de la série ont souhaité montrer que Phyllis Schlafly était tout aussi victime du sexisme que les autres femmes, et donc que son antiféminisme était incohérent avec sa propre expérience. Dans l’épisode 1, on lui enjoint par exemple d’exhiber son plus beau sourire sur le plateau d’une émission télévisée ou de s’improviser secrétaire de séance lors de sa rencontre avec le sénateur Barry Goldwater. Phyllis Schlafly est ainsi ramenée à sa condition de femme, dans un monde encore dominé par les hommes.</p>
<p>Pour autant, et les féministes ne tardèrent pas à le souligner, il y avait un véritable écart entre son discours, qui faisait de la femme au foyer l’idéal américain, et la pratique. La biographe de Schlafly, Carol Felsenthal, mentionne par exemple Betty Friedan, <a href="https://openlibrary.org/books/OL4404009M/The_sweetheart_of_the_silent_majority">qui avait accusé Schlafly de trahir son propre sexe</a>.</p>
<p>Le parcours de Phyllis Schlafly révèle en effet un certain paradoxe. Elle était certes une mère et une épouse accomplies, mais aussi une militante très active dans les milieux politiques de droite, et ce depuis les années 1950. La série de Dahvi Waller nous donne ainsi à voir une Schlafly affairée, qui virevolte de la cuisine au salon, formulant des directives et supervisant ses amies militantes (épisode 2). Pendant ce temps, c’est sa belle-sœur Eleanor qui se propose de faire les devoirs avec l’un de ses fils. Plus tard, à 51 ans, son ambition la conduisit également à étudier le droit pour affiner son expertise sur l’ERA (épisode 5). Ces différents aperçus de la vie de Phyllis Schlafly semblent ainsi pointer du doigt son hypocrisie.</p>
<h2>Phyllis Schlafly : autopsie de la « femme parfaite »</h2>
<p>Phyllis Schlafly dut ainsi soigner son image et elle se construisit un véritable personnage pour protéger sa réputation. Sa crédibilité en tant qu’égérie du mouvement antiféministe était ainsi ancrée dans une figure de femme modèle, suscitant l’admiration du contingent de femmes au foyer qui l’accompagnait.</p>
<p>Agrémentant régulièrement ses publications de photographies privées, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dd0E72ZU5oM">participant avec son époux Fred à des interviews</a> et clamant haut et fort qu’elle avait enseigné la lecture à ses six enfants, Phyllis Schlafly utilisa sa propre famille comme vitrine de sa réussite personnelle et de sa conformité. La mise en scène était d’ailleurs visible jusque dans son choix de vêtements : robes, colliers de perles et coiffures sophistiquées, scrupuleusement reproduits à l’écran, devinrent sa signature. Son élégante stature et son apparence impeccable sont d’ailleurs admirablement rendues par une Cate Blanchett qui parvient avec justesse à faire transparaître la rigueur et le charisme de la militante jusque dans ses intonations et les expressions de son visage.</p>
<h2>La stratégie militante des antiféministes</h2>
<p>Chères à Schlafly, les questions de représentation concernaient aussi le format de la mobilisation des conservatrices, qui tentaient d’offrir un contrepoids au militantisme parfois radical des féministes. Les actions militantes des femmes conservatrices consistaient par exemple à approcher les législateurs au sujet de l’ERA au moyen de pains et confitures faits maison (épisode 2).</p>
<p>Ce militantisme féminin et discret, qui mettait en avant les qualités nourricières de la femme – prétendument naturelles – participait ainsi à rassurer les hommes politiques. En soulignant leur respect des rôles genrés traditionnels, les femmes conservatrices accentuaient aussi leurs différences avec les féministes.</p>
<p>La série montre ainsi que la société américaine d’alors estimait encore que certains comportements n’étaient pas convenables pour une femme : exprimer publiquement sa colère, comme Betty Friedan dans l’épisode 4 lorsqu’elle affronte Schlafly dans un débat, ou encore refuser d’endosser le rôle traditionnel d’épouse, comme Gloria Steinem dans l’épisode 2.</p>
<p>Conquérir une partie du pouvoir politique sans remettre en cause le système s’avéra une stratégie gagnante pour les antiféministes, qui parvinrent à se faire entendre. En maintenant la pression sur les hommes politiques les plus conservateurs dans les États, elles firent échouer l’amendement en 1982, lorsque la date limite de ratification fut atteinte.</p>
<h2>Controverses sur la série</h2>
<p>Pour autant, le portrait de Phyllis Schlafly et de son mouvement dans la série déplaît fortement aux partisans d’Eagle Forum, l’organisation qu’elle fonda en 1975 et qui est aujourd’hui scindée en deux. En effet, la volonté du cercle proche de Schlafly de protéger son image s’inscrit dans un contexte bien spécifique de querelle fratricide, de concurrence pour son héritage et de mise en mémoire.</p>
<p>Anne, la plus jeune des filles de Phyllis Schlafly, déplore par exemple que <a href="https://mrsamerica.org/anne-schlafly-cori-discusses-mrs-america/">sa mère soit dépeinte comme un « monstre »</a>. Il est vrai que Phyllis Schlafly apparaît comme ambitieuse et calculatrice, et, Anne l’admet volontiers, sa mère était une « femme forte et dominatrice ». Cependant, la série ne lui rendrait pas justice car elle était très appréciée des bénévoles qui l’entouraient.</p>
<p>À cet égard, il semblerait que Schlafly ait privilégié un type de leadership autoritaire et vertical dans son organisation. Tel un chef d’orchestre, elle supervisait l’élaboration d’un discours uniforme, coordonnait la formation politique de ses fidèles et s’était imposée comme leader incontesté du mouvement antiféministe, ainsi qu’en témoigne par ailleurs sa rencontre avec une autre militante conservatrice, Lottie Beth Hobbs, dans l’épisode 6 (voir notre thèse soutenue à la Sorbonne Nouvelle le 29 novembre 2019, dirigée par Hélène Le Dantec-Lowry et intitulée « Le discours socioculturel et les pratiques militantes des conservatrices aux États-Unis. Le cas de Phyllis Schlafly et Eagle Forum »).</p>
<h2>Effigie conservatrice jusqu’en 2016</h2>
<p>En septembre 2016, celle que ses pairs surnommaient la « mère du conservatisme » s’éteignit à l’âge de 92 ans. Conservatrice opiniâtre et véritable guide du mouvement antiféministe, Phyllis Schlafly mit un point final à cinquante ans de militantisme au profit de la droite américaine, une carrière politique qui culmina d’ailleurs avec un soutien au candidat Donald Trump.</p>
<p>Son parcours personnel, exposé dans la série <em>Mrs. America</em>, témoigne de l’ampleur des changements socioculturels à l’œuvre dans la société américaine dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, et de ceux, moins connus, qui affectèrent les femmes conservatrices.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137297/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amélie Ribieras ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La série « Mrs. America » dresse le portrait de Phyllis Schlafly, militante conservatrice, à la fois peu connue du grand public et exécrée par les féministes de son temps.
Amélie Ribieras, Docteure en civilisation américaine et Attachée Temporaire d'Enseignement et de Recherche, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/137664
2020-05-11T19:29:53Z
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Les États-Unis avant le Covid-19 : retour sur l'épidémie mortelle des opioïdes
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/333080/original/file-20200506-49558-1hmd6fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1016%2C702&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aux États-Unis, la plupart des nouveaux accros à l'héroïne sont d'abord devenus addicts à des analgésiques opioïdes délivrés sur ordonnance avant de passer à l'héroïne, qui est plus forte et moins chère.</span> <span class="attribution"><span class="source">John Moore/Getty Images North America/Getty Images Via AFP</span></span></figcaption></figure><p>Les grandes épidémies agissent souvent comme un révélateur de l’état d’une société et du rapport qu’elle entretient avec ses populations vulnérables. Aux États-Unis, il semble que ce soient les fractions les plus modestes de la communauté noire, notamment dans les métropoles comme <a href="https://www.economist.com/united-states/2020/04/11/covid-19-exposes-americas-racial-health-gap">Détroit, Chicago ou La Nouvelle-Orléans</a>, qui paient actuellement le plus lourd tribut à la pandémie de Covid-19. </p>
<p>Le drame sanitaire en cours constitue une occasion de s’intéresser à une autre épidémie, passée au second plan du fait du coronavirus, qui, elle, affecte principalement les Blancs issus de la classe ouvrière : celle des « opioïdes », qui a tué <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6911a4.htm">plus de 47 000 personnes en 2018 et plus de 450 000 depuis 1999</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333062/original/file-20200506-49546-bvz5xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333062/original/file-20200506-49546-bvz5xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333062/original/file-20200506-49546-bvz5xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333062/original/file-20200506-49546-bvz5xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333062/original/file-20200506-49546-bvz5xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333062/original/file-20200506-49546-bvz5xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333062/original/file-20200506-49546-bvz5xn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des familles montrent les photos de leurs proches morts d’overdose aux opioïdes lors d’une conférence de presse le 19 mai 2016 à Capitol Hill à Washington, DC.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alex Wong/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette épidémie est de part en part sociale dans sa genèse et ses effets. La vague d’overdoses, principalement liées dans un premier temps à des consommations d’antalgiques opioïdes (dont l’OxyContin), a touché tout spécialement la classe ouvrière blanche du nord-est des États-Unis (Indiana, Michigan, Ohio, Pennsylvanie, Virginie-Occidentale, Wisconsin), mettant en exergue la situation de déclassement de pans entiers de la population américaine, notamment dans ces vastes régions passées en une vingtaine d’années, du fait de la désindustrialisation, du statut de <em>Manufacturing Belt</em> (ceinture des usines) <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/obradovic_crise_opioides_etatsunis_2018.pdf">à celui de <em>Rust Belt</em></a> (ceinture de la rouille).</p>
<h2>L’avidité des industries pharmaceutiques exposée</h2>
<p>Au milieu des années 1990, les médicaments opioïdes anti-douleurs (<em>painkillers</em>) n’étaient encore prescrits en majorité qu’à des patients souffrant de cancers en phase terminale. Certaines compagnies pharmaceutiques ont alors souhaité étendre cette prescription aux personnes souffrant de douleurs chroniques. L’épidémie est partie de là.</p>
<p><a href="https://www.theguardian.com/us-news/2019/apr/10/purdue-opioids-crisis-doctor-testify-against-drugmaker">Instrumentalisation d’études scientifiques douteuses</a>, marketing mensonger, pression commerciale : les procès en cours intentés par les associations de victimes et les États sont en train de lever le voile sur un système fondé <em>in fine</em> sur la recherche maximale de profits.</p>
<p>Le dernier scandale mis à jour implique une firme, Practice Fusion, qui commercialisait des outils informatiques de gestion des données destinés notamment aux médecins généralistes. La justice fédérale du Vermont a révélé que l’entreprise avait perçu, entre 2016 et 2019, 1 million de dollars de la part de Purdue Pharma. Cette firme, responsable de la commercialisation de l’OxyContin, a pu insérer dans le logiciel de gestion des dossiers des patients de 30 000 cabinets à travers le pays une fonctionnalité d’aide à la <a href="https://www.reuters.com/article/us-purdue-pharma-investigation-opioids-e/exclusive-oxycontin-maker-purdue-is-pharma-co-x-in-us-opioid-kickback-probe-sources-idUSKBN1ZR2RY">décision incitant à prescrire des opioïdes</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1173538606662717441"}"></div></p>
<p>Mais au-delà des affaires de corruption, c’est le cynisme des firmes qui est le plus frappant. Le journaliste américain Sam Quinones, auteur d’une remarquable enquête de terrain conduite de l’Ohio au Mexique, a montré que dans sa stratégie commerciale Purdue Pharma avait <a href="https://www.bloomsbury.com/us/dreamland-9781620402511/">délibérément ciblé certaines régions des États-Unis</a>.</p>
<h2>Les plus vulnérables sont les plus ciblés</h2>
<p>Parmi les critères retenus, un taux de chômage et d’accidents du travail supérieur à la moyenne nationale. Dans une <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2017/10/30/the-family-that-built-an-empire-of-pain">interview accordée en 2017 au <em>New Yorker</em></a>, Mitchel Denham, le procureur général représentant les intérêts de l’État du Kentucky, un des plus touchés par les surdoses mortelles liées aux opioïdes, a confirmé l’existence d’un plan de développement axé prioritairement sur :</p>
<blockquote>
<p>« les communautés où la pauvreté est importante, le niveau éducatif faible et les perspectives peu nombreuses. […] Ils exploitaient les données relatives aux accidents du travail et à la fréquentation des médecins pour des douleurs chroniques. »</p>
</blockquote>
<p>La Virginie-Occidentale, un des États de la <em>Rust Belt</em>, a été particulièrement visée par les industriels. Une enquête a montré qu’entre 2007 et 2012, 780 millions de comprimés et de pilules d’oxycodone et d’hydrocodone y avaient été prescrits, soit l’équivalent de <a href="https://eu.courier-journal.com/story/news/politics/2018/05/08/drug-crisis-distributor-apologizes-large-opioid-shipments/589760002/">433 pour chaque habitant, enfants compris</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aGUQrnWw894?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage en Virginie-Occidentale, un des États les plus touchés par la crise des opioïdes, le 30 août 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>En 2019, le procureur général de cet État a <a href="https://www.dea.gov/press-releases/2019/04/17/appalachian-regional-prescription-opioid-strike-force-takedown-results">indiqué</a> que si la crise des opioïdes est <em>« la crise sanitaire la plus grave que les États-Unis aient eu à subir dans leur histoire, c’est la région des Appalaches qui en le plus souffert ».</em></p>
<p>Cette offensive commerciale du cartel pharmaceutique va provoquer dans les territoires les plus affectés par la globalisation la catastrophe sanitaire que l’on sait. Elle va favoriser, notamment, le passage de nombre de patients à des consommations d’héroïne, puis aujourd’hui, de fentanyl, drogues distribuées par le <a href="https://www.noria-research.com/fr/no-more-opium-for-the-masses-2/">crime organisé d’origine mexicaine</a>.</p>
<p>Selon les données du NIDA (National Institute on Drug Abuse), qui remontent à 2017, le taux de mortalité aux opioïdes pour 100 000 habitants est, à l’exception de l’Iowa, largement supérieur à la moyenne nationale dans tous les États qui constituent la <em>Rust Belt</em> (voir tableau 1), la Virginie-Occidentale et l’Ohio étant les États américains où la mortalité est la plus importante.</p>
<p><em>Tableau 1 : Taux d’overdoses mortelles liées aux opioïdes en 2017 dans les États de la Rust Belt</em></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333788/original/file-20200509-49573-1h1ahtp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333788/original/file-20200509-49573-1h1ahtp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333788/original/file-20200509-49573-1h1ahtp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333788/original/file-20200509-49573-1h1ahtp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333788/original/file-20200509-49573-1h1ahtp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333788/original/file-20200509-49573-1h1ahtp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333788/original/file-20200509-49573-1h1ahtp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">National Institute on Drug Abuse (NIDA)</span></span>
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</figure>
<p>Un nombre croissant de chercheurs américains s’intéressent aujourd’hui aux facteurs socio-économiques qui ont favorisé l’épidémie des opioïdes et, notamment, à l’impact du libre-échange et des fermetures d’usines. Ainsi, deux études publiées en 2019, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31309136">« Free Trade and opioid death in the United States »</a> et <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31886844">« Association between Automotive Assembly Plant Closures ans Opioid Overdose Mortality in the United States »</a>, montrent qu’il existe une corrélation entre les pertes d’emplois liées aux délocalisations industrielles et l’augmentation significative des overdoses mortelles. Même si désormais, l’épidémie affecte aussi les grandes métropoles comme New York, elle constituerait en premier lieu une expression des souffrances physiques et psychologiques d’une partie des populations des régions en voie de désindustrialisation.</p>
<h2>Á qui profite le libre-échange ?</h2>
<p>Comme en Europe occidentale, ces populations ont été victimes d’un vaste processus de délocalisation des entreprises manufacturières vers le Mexique et l’Asie. Si entre 1965 et 2001, aux États-Unis, la baisse de l’emploi manufacturier n’était que relative, à partir du début des années 2000, période qui coïncide avec l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle est devenue absolue.</p>
<p>Avant même la crise dite des « subprimes », survenue en 2007 et 2008, l’emploi manufacturier avait <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/ou-en-sommes-nous-emmanuel-todd/9782021319002">baissé de 18 %</a>. Ce phénomène avait été précédé par le développement, à partir du début des années 1980, marqué par l’élection de Ronald Reagan, d’un néolibéralisme jamais vraiment démenti, lequel a favorisé à coups de baisses d’impôts massives destinées aux hauts revenus, une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/capital-et-ideologie-thomas-piketty/9782021448207">concentration des richesses jamais vue depuis les années 1920</a>.</p>
<p>On estime aujourd’hui que 1 % des Américains possèdent plus de 20 % de la richesse nationale, une proportion qui a doublé en vingt ans, tandis que le revenu médian des ménages a baissé tout au long des années 2000, manifestation d’un rapport de forces entre les différentes couches sociales défavorable aux plus modestes.</p>
<p>Entre 1999 et 2015, le revenu en dollars constants de la moitié des foyers américains est passé de 58 000 à 56 500 dollars. L’économiste démocrate Paul Krugman, dans un livre publié en 2008, bilan de l’ère néolibérale, qu’il espérait voir close par l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, symbolisait le cours suivi par la société américaine, par le passage d’un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/675">modèle symbolisé par « General Motors » à un autre représenté par « Walmart »</a>.</p>
<p>Alors que General Motors, le premier constructeur automobile américain, avec ses hauts salaires, son niveau élevé de couverture maladie, son fort taux de syndicalisation, incarne le fordisme des années 1960 et 1970, Walmart, la chaîne de grande distribution devenue la plus puissante entreprise américaine et mondiale, grâce notamment à l’importation de biens de consommation bas de gamme produits en Chine, illustre, avec ses bas salaires et sa politique anti-syndicale, la réalité de la situation d’une partie du salariat.</p>
<p>Au-delà des indicateurs d’ordre économique reflétant l’état de la société américaine, les évolutions démographiques sont particulièrement éloquentes. Entre 1999 et 2013, le taux de mortalité chez les hommes blancs de 45 à 54 ans habitant dans les comtés américains les <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aeri.20180396">plus touchés par la désindustrialisation</a> a connu une hausse sans équivalent dans les pays développés en temps de paix.</p>
<p>En croisant l’évolution de la mortalité avec le niveau éducatif, on constate que celle-ci est concentrée au sein de la population blanche ayant le plus faible niveau scolaire. Si le taux de mortalité est en augmentation de plus de 33 % dans la population blanche en général, il croît de plus de 134 % chez ceux ne disposant que d’un niveau d’éducation secondaire ou moindre (voir tableau 2). Entre 2014 et 2016, l’espérance de vie globale aux États-Unis a baissé de 78,9 ans à 78,7 ans.</p>
<p><em>Tableau 2 : L’évolution de la mortalité des 45-54 ans selon le niveau d’éducation</em></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333789/original/file-20200509-49542-11ebcjs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333789/original/file-20200509-49542-11ebcjs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333789/original/file-20200509-49542-11ebcjs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333789/original/file-20200509-49542-11ebcjs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333789/original/file-20200509-49542-11ebcjs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333789/original/file-20200509-49542-11ebcjs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333789/original/file-20200509-49542-11ebcjs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuel Todd, 2018</span></span>
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<h2>Des répercussions politiques</h2>
<p>La détresse d’une grande partie de la population américaine appartenant aux classes laborieuses n’est pas que sociale, mais également <a href="https://www.respadd.org/wp-content/uploads/2018/11/Actes23eRencontresRespadd.pdf">profondément politique</a>.</p>
<p>L’<a href="https://agone.org/elements/pourquoilespauvresvotentadroite/">historien Thomas Frank</a> a bien mis en évidence le fait que le parti démocrate avait délaissé sa base ouvrière traditionnelle au profit des minorités noires et hispaniques et des couches les plus diplômées des grandes aires métropolitaines, tout en se convertissant massivement au libre-échange. Ce phénomène s’exprime par le fait que la quasi-totalité des banlieues américaines, qui comptent plus de 50 % de diplômés du supérieur, votent pour le <a href="https://www.economist.com/united-states/2020/01/04/the-2020-presidential-election-will-be-decided-in-the-suburbs">parti démocrate</a>.</p>
<p>Le sentiment d’abandon par l’establishment démocrate qu’éprouvent une partie des classes populaires blanches, renforcé par les déclarations d’Hillary Clinton sur les <a href="https://time.com/4486502/hillary-clinton-basket-of-deplorables-transcript/">« déplorables »</a> pendant la campagne de 2016 et son refus d’une alliance avec Bernie Sanders, a favorisé l’élection de Donald Trump. Deux États de la « Rust Belt », qui semblaient solidement acquis aux Démocrates, le Michigan et le Wisconsin, ont basculé du côté républicain, de même que la Pennsylvanie et l’Ohio, deux « swing states » remportés en 2012 par le candidat démocrate Barack Obama et qui en 2016 ont donné la préférence au représentant du parti républicain.</p>
<p>L’État de l’Ohio a notamment offert à Trump une de ses plus larges victoires avec plus de 8 points d’avance. Si, au début de l’année 2020, les sondages, dans le sillage des succès démocrates aux élections de mi-mandat de 2018, laissaient entrevoir un retour de la Pennsylvanie, du Michigan et de l’Ohio dans l’escarcelle du parti démocrate, les marges sont si faibles qu’une nouvelle surprise n’est pas à exclure. Et cela, malgré la manière très erratique dont l’administration de Donald Trump gère <a href="https://www.economist.com/united-states/2020/04/11/the-white-house-v-covid-19">l’épidémie de Covid-19</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Aux États-Unis, les autorités sanitaires luttent contre deux épidémies, le Covid-19 et la crise des opioïdes. Avec le confinement, les cas d’overdoses d’opioïdes auraient nettement augmenté.
Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement, master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
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tag:theconversation.com,2011:article/136873
2020-05-03T17:44:40Z
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Encombrement d’avions et aides d’État : que reste-t-il des interdits européens ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/331560/original/file-20200429-51474-1i82oq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C3%2C2488%2C1657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des avions de la compagnie KLM à l'aéroport d'Amsterdam, 23 avril 2020.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/amsterdam-schiphol-airport-netherlands-may-23-400682443">ingehogenbijl/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le coronavirus est décidément bien mystérieux. Il a rempli les hôpitaux et rendu le ciel européen vierge de toute trace blanche d’avions à l’heure du grand confinement. Les industries aéronautiques rivalisent d’inventivité pour mettre à l’agenda politique européen et national le besoin de capitaux frais pour survivre. </p>
<p>L’Association internationale du transport aérien (IATA) estime que ce secteur soutient près de 25 millions d’emplois dans le monde et 5,6 millions en Europe, et que la perte de revenus de la crise sanitaire pourrait s’élever jusqu’à 113 milliards de dollars, ce qui exige en conséquence un soutien financier massif des États. Le <a href="https://www.iata.org/contentassets/87811256106542a7bfc3a3895d3ec249/2020-03-24-02-fr.pdf">sombre constat des professionnels</a> est que les compagnies aériennes luttent « pour leur survie dans toutes les parties du monde. […] Pour les compagnies aériennes, c’est l’apocalypse ». Le coronavirus induit une valse des milliards en dollars et en euros ; pour autant, à quoi vont-ils servir ?</p>
<p>En Europe, le secteur aérien exige paradoxalement l’intervention de l’État et de l’UE alors qu’il est ouvert à la concurrence depuis le milieu des années 1990, en application du fameux impératif libéral de l’Union européenne. L’action normative de l’UE s’en trouve profondément modifiée pour sauver ce secteur stratégique en emplois et en utilité économique.</p>
<p>L’observation des principales tendances actuelles démontre que le droit s’adapte à la crise, laquelle ne le dissout pas dans l’urgence. Celle-ci peut néanmoins interroger les présupposés des politiques de l’Union et n’évite pas la question des arbitrages entre des impératifs contradictoires.</p>
<h2>La règle s’adapte aux impératifs de l’urgence</h2>
<p>Les compagnies aériennes ont rapidement obtenu un consensus des institutions sur le maintien de leurs créneaux aéroportuaires lors de la prochaine saison d’été ; mais trouver un accord sur l’application du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32004R0261">Règlement européen sur le droit des passagers aériens n° 261/2004</a> semble plus complexe. Ce texte prévoit en effet que toute annulation suppose un remboursement. La crise rend parfois difficile d’arbitrer entre droits des passagers et survie à court terme des compagnies aériennes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1241845835673067520"}"></div></p>
<p>Logiquement, la Commission européenne a rappelé, dès le 18 mars, qu’en vertu de l’alinéa 3 de l’article 5 du Règlement, les passagers dont le vol est annulé n’ont certes pas droit à une compensation financière mais, circonstance extraordinaire ou pas, gardent le droit de se faire rembourser leur vol ou d’opter pour un réacheminement.</p>
<p>Et c’est là que le bât blesse. Ce rappel à la loi – même tempéré par les Commissaires Valèan (Transport) et Reynders (Justice) qui ont évoqué la <a href="https://www.contexte.com/article/transports/adina-valean-commissaire-aux-transports-maintenant-la-priorite-cest-la-crise-du-coronavirus_113450.html">santé financière des compagnies</a> incapables d’assumer le remboursement des billets et les frais annexes – n’évite pas le débat ouvert par les compagnies soutenues par les États autour de la possibilité d’octroyer aux voyageurs un avoir plutôt qu’un remboursement. Mais qui choisira entre les deux types d’indemnisation ?</p>
<p>Le rapport de force est engagé et la <a href="https://www.air-journal.fr/2020-04-24-lufc-que-choisir-met-en-demeure-des-compagnies-aeriennes-qui-ne-remboursent-pas-les-vols-annules-5219751.html">menace d’actions en justice toujours plus présente</a>. Ainsi, alors que les gouvernements néerlandais et allemand autorisent les transporteurs à ne proposer que des avoirs, remboursables après une certaine période, plutôt que des remboursements directs, l’Irlande, appuyée par le secrétaire d’État français aux Transports Jean‑Baptiste Djebbari, souhaite une adaptation pérenne du droit européen à travers une modification du Règlement. Il est à noter, sans ironie, que ce texte fait déjà l’objet d’une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52013PC0130">proposition de réforme</a> qui n’a toujours pas abouti pour les mêmes raisons ici évoquées : quel équilibre entre droit des compagnies aériennes et droit des passagers ?</p>
<p>La crise sanitaire peut aussi saper les fondements des politiques libérales de l’Union, au premier rang desquelles les aides d’État. Elle pose la question de l’action commune et de la réactivité de l’Europe face à des comportements nationaux quasi protectionnistes sinon individualistes.</p>
<h2>Le risque de saper les fondements de la politique des aides d’État</h2>
<p>Le régime des aides d’État est actuellement régi par <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A12008E107">l’article 107 du TFUE</a> qui interdit ces aides pour éviter de fausser la concurrence entre les territoires de l’Union. La validation d’une aide reste possible si et seulement si elle répond à des objectifs européens (protection de l’environnement, développement régional ou encore sauvetage et restructuration d’entreprises en difficulté). Les États sont aujourd’hui sollicités pour renflouer les finances des compagnies aériennes, tant parce qu’elles sont des fleurons nationaux que parce qu’elles sont pourvoyeuses d’emplois et, il ne faut pas le négliger, nécessaires au redémarrage économique.</p>
<p>La réaction des institutions est d’autant plus urgente qu’outre les actions en ordre dispersé des États et donc de leurs compagnies aériennes, les <a href="https://www.air-journal.fr/2020-04-10-ryanair-sans-remboursement-contre-laide-a-austrian-airlines-5219399.html">tensions sont vives</a> entre elles et sources de futurs contentieux quant aux aides nationales accordées. Le <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/la-france-soutient-air-france-a-hauteur-de-7-milliards-d-euros-ce-n-est-pas-un-cheque-en-blanc-dit-le-maire-846122.html">sauvetage massif</a> du Groupe Air France-KLM, à hauteur de 9 milliards d’euros, annoncé le 24 avril par les États français et néerlandais, ne fera qu’attiser le débat.</p>
<p>Dès lors, l’assouplissement du cadre réglementaire des aides d’État décidé par la Commission européenne dans la nuit du 16 au 17 mars dernier a été largement salué. La vice-présidente Margrethe Vestager a proposé aux 27 États membres d’activer l’article 107 (3) (b) du Traité sur le Fonctionnement de l’UE, rendant temporairement légale toute aide « destinée à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires » et permettant notamment aux gouvernements de créer des avantages fiscaux, de garantir des prêts bancaires ou de subventionner les taux d’intérêt de ces emprunts. Déjà sollicitée en 2008 pour éteindre le feu de la crise bancaire, cette disposition permet aux États de fournir des financements pour permettre au secteur aérien d’accéder à des liquidités, le temps (incertain) de la crise sanitaire. Le projet d’aide à Air France/KLM devra entrer dans ce cadre, ce qui paraît possible vu la récession sans précédent du nombre de vols et de passagers.</p>
<h2>Mais la règle demeure intacte ?</h2>
<p>Ce qui est plus notable est la mise à l’écart par la Commission européenne de la règle du « one time last time », selon laquelle une compagnie ne peut recevoir qu’une seule fois une aide à la restructuration et/ou au sauvetage.</p>
<p>Si cette décision a été largement saluée par les États membres qui étaient déjà en pointe sur les différentes mesures à prendre (notamment le report du paiement des taxes aéroportuaires ou des prêts bancaires garantis par l’État), les réactions des compagnies elles-mêmes ont été bien plus mitigées. Dans un <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/air-caraibes-et-french-bee-deplorent-l-aide-prevue-par-l-etat-a-air-france-843312.html">entretien</a> à <em>La Tribune</em> Jean‑Paul Dubreuil, président du groupe qui détient Air Caraïbes et French Bee, questionne ce choix en soulignant qu’« il n’est pas question non plus que ces aides d’État servent à prolonger des compagnies qui n’étaient pas suffisamment performantes », faisant certainement allusion à la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/18/l-etat-italien-va-reprendre-les-commandes-de-la-compagnie-aerienne-alitalia_6033504_3234.html">nationalisation</a> d’Alitalia prévue par le gouvernement italien en réponse à la crise sanitaire, alors que cette compagnie avait pourtant déjà <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32006D0176">bénéficié en 2005 d’une aide</a> pour sa restructuration.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/g_jXgxkmvJY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le cumul des aides semble dans cette hypothèse bien peu efficace. C’est pourquoi les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/10/le-transport-aerien-mettra-au-moins-trois-ans-pour-sortir-de-la-crise-liee-au-coronavirus_6036202_3234.html">souhaits initiaux du directeur général d’Air France-KLM, Ben Smith</a>, à savoir d’obtenir une recapitalisation d’un montant de 12 milliards d’euros pour « surmonter la crise sans encombre » et « participer activement à la phase de consolidation qui suivra », notamment prendre des participations au capital de compagnies <em>low cost</em> telles Norwegian ou Easyjet semblaient difficiles à valider. Les annonces du ministre français de l’Économie Bruno Le Maire vont en conséquence clairement dans le sens du sauvetage conditionnel de l’entreprise pour que l’aide soit rentable, ce qui suppose des réformes internes plus qu’une croissance externe du groupe. Tout ne serait donc pas soluble dans le coronavirus.</p>
<h2>Un nouveau monde suppose de nouvelles priorités ?</h2>
<p>Si l’on peut éteindre le feu de la crise à coups d’aides d’État exceptionnelles, la question qui demeure est celle des priorités politiques de ces coups de pouce. Les écologistes ont tôt fait de critiquer ces aides au secteur aérien qui ne vont pas dans le sens du Green Deal européen, dont l’un des objectifs est de mettre un terme aux subventions accordées aux combustibles fossiles. C’est sous cette pression que Bruno Le Maire a <a href="https://www.air-journal.fr/2020-04-19-compagnies-aeriennes-les-aides-detat-conditionnees-a-des-objectifs-climatiques-5219636.html">conditionné les aides futures aux engagements environnementaux</a>. Cette obligation fait aussi écho aux revendications de l’association Allrail qui, le 23 mars, <a href="https://www.railjournal.com/news/allrail-forecasts-e540m-hit-for-private-passenger-rail-operators/">réclamait</a> que soient « hiérarchis[ées] les demandes en fonction des niveaux de pollution ». S’il faut aider les entreprises les plus stratégiques pour la technologie et l’emploi, il faut donc aussi concentrer les aides pour réinventer le modèle des <a href="https://www.lepoint.fr/politique/pascal-canfin-nos-societes-sont-des-colosses-aux-pieds-d-argile-18-04-2020-2371894_20.php">futurs champions européens</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250702451243614209"}"></div></p>
<p>Pour Air France, le ministre français a exigé que l’aide soit rentable et que l’entreprise devienne la plus protectrice de l’environnement au monde. Se profilent pour ce faire nombre de réformes : réduction du nombre de lignes, départ de personnel, modernisation de la flotte, réduction du court-courrier… Le diable se niche dans les détails du plan d’aide : quels critères vont servir à mesurer l’effectivité de ce changement de modèle de services aériens durables ? Nul doute que la Commission se montrera attentive à ces détails de la mécanique d’allocation d’une aide aussi massive pour l’autoriser. </p>
<p>Le respect du Green Deal pour la reconstruction des compagnies aériennes devrait alors s’imposer comme une évidence et pas comme une alternative pour stimuler une <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/tribune-quel-monde-voulons-nous-rebatir-apres-le-covid-19-6809513">Europe des transports complémentaires et multimodaux</a>. Le contrôle des aides d’État doit donc demeurer un outil essentiel pour orienter l’après-Covid-19 vers des modèles résilients, prêts à affronter la prochaine crise, quelle qu’elle soit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136873/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
La crise actuelle cloue les avions au sol. Les États et les institutions de l’UE se portent donc au secours des compagnies aériennes européennes, mais ces aides s’accompagnent de nombreuses questions.
Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg – Université de Strasbourg
Pascal Simon-Doutreluingne, Professeur agrégé d'économie-gestion, Doctorant en Droit public (droit de la concurrence), Université de Strasbourg
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tag:theconversation.com,2011:article/136126
2020-04-19T18:04:03Z
2020-04-19T18:04:03Z
Aéronautique : le Covid-19 signe-t-il la fin des privilèges ?
<p>Jusqu’au 12 mars 2020, à l’échelle du globe, FlightRadar24 comptabilisait plus de 100 000 vols commerciaux quotidiens. Puis le trafic <a href="https://www.flightradar24.com/data/statistics">s’est effondré</a> avec un creux de 26 774 vols le 7 avril. La violence de ce choc est <a href="https://www.aci-europe.org/european-airports-passenger-traffic-in-march-2020">sans égal</a> dans l’histoire des compagnies aériennes.</p>
<p>Fin 2019, Alexandre de Juniac, le directeur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui représente les intérêts des compagnies aériennes, avait prévu des bénéfices de plus de 29 milliards de dollars pour 2020. C’était un autre monde, et anéanti quelques mois plus tard avec des menaces sur 25 millions d’emplois et un plongeon attendu de 252 milliards de dollars, soit une <a href="https://www.iata.org/en/pressroom/pr/2020-04-07-02/">baisse de 44 %</a> par rapport au chiffre d’affaires de 2019 !</p>
<h2>L’aérien, facteur aggravant de la pandémie</h2>
<p>Au-delà de ces chiffres, les compagnies aériennes se sont en effet retrouvées en première ligne en raison de leur capacité involontaire et foudroyante à diffuser le virus. Le boom du transport aérien, en Asie notamment, est venu aggraver la situation. Rappelons qu’en 1992, la Chine n’avait connu que 500 000 mouvements d’avions, mais 10 249 millions en 2017, dont 869 000 à l’international.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Baisse du trafic aérien en Europe corrélée à la propagation du coronavirus (en nombre de cas confirmés).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.aci-europe.org/european-airports-passenger-traffic-in-march-2020">Airports Council International Europe</a></span>
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</figure>
<p>Dans les années qui viennent, reviendra-t-on à la « normale », c’est-à-dire à une croissance du marché aérien selon les critères du seul libéralisme économique ? Si c’est le cas, ce retour au rythme de croisière d’avant-crise porterait le risque de nouvelles crises pandémiques mondiales. De nombreuses souches de coronavirus ne demandent en effet qu’à s’activer. De manière structurelle, la pression anthropique sur les milieux naturels et ruraux rapproche les hommes et les animaux, et favorise ainsi le franchissement de la barrière des espèces par les virus.</p>
<p>En prendre conscience pourrait donc amener à une rupture, exactement comme les attentats du 11-Septembre l’ont été dans la <a href="http://www.rfi.fr/fr/ameriques/20110909-securite-aerienne-change-depuis-le-11-septembre-attentats-lutte-anti-terroriste">réorganisation</a> de la sécurité aérienne. Au minimum, un confinement radical et brutal du ciel mondial devrait être envisageable en cas de crise sanitaire. Au mieux, cela pourrait passer par la fin du statut particulier de l’aviation commerciale dans le droit international.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1247554584375148544"}"></div></p>
<p>La remise en cause de ce statut permettrait d’endiguer le risque de nouvelles pandémies, mais aussi d’engager la lutte contre la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/20/ce-qu-il-faut-savoir-sur-la-pollution-generee-par-le-trafic-aerien_6012443_3244.html">pollution grandissante</a> générée par le transport aérien, qu’il s’agisse du dérèglement climatique comme des aéroports destructeurs des milieux « naturels » et problématiques en matière de santé publique.</p>
<h2>Une liberté subventionnée</h2>
<p>Ce statut particulier a été mis en place au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. En 1948-49, le <a href="http://www.alliiertenmuseum.de/fr/themes/le-pont-aerien-de-berlin.html">pont aérien</a> de Berlin avait en outre frappé les esprits par la capacité du fret avionné à défendre la liberté.</p>
<p>Les États-Unis avaient alors déjà mis en avant la liberté de voler avec un ciel régulé par l’Organisation des Nations unies (ONU). Dès 1944, les conventions de Chicago et de Montréal avaient posé les bases juridiques de ce principe. Ainsi, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) garantit le fonctionnement concret d’une circulation <a href="https://www.icao.int/about-icao/Pages/FR/default_FR.aspx">aussi libre</a> que possible. Sur le terrain, l’IATA veille à l’application concrète des deux conventions.</p>
<p>C’est ainsi que l’aviation civile a réussi, plusieurs décennies plus tard, à s’affranchir de la lutte contre la pollution. En 1997 à <a href="https://www.ina.fr/video/2092055001012">Kyoto</a>, le lobbying de l’IATA avait été efficace puisque les « soutes internationales » avaient été exclues des calculs des émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>L’argument avait été de dire qu’on ne saurait attribuer des quotas nationaux d’émission aux compagnies puisque celles-ci ont des activités principalement internationales : faudrait-il taxer le pays siège de la compagnie, celui de l’aéroport de départ ou d’arrivée, ou encore l’espace aérien du pays survolé ?</p>
<p>Depuis 1997, au gré des COP successives, les « soutes internationales » ont ainsi continué à se défendre <a href="http://circo70.ac-besancon.fr/wp-content/uploads/2015/10/circo70.ac-besancon.fr_fiche-historique-cop.pdf">avec succès</a>. Mais cette exception apparaît de moins en moins tenable alors que la prise de conscience du risque climatique s’accroît.</p>
<p>L’analyse des comptes des compagnies aériennes nous permet de dire que le prix du carburant représente entre le cinquième et le tiers des charges, en fonction de l’évolution du cours du baril de pétrole. Elles sont par conséquent opposées à la taxation du kérosène – un peu comme si les automobilistes payaient le litre entre 30 et 50 centimes.</p>
<p>En outre, les <a href="https://www.transportenvironment.org/sites/te/files/publications/2019_07_Report_analysis_state_aid_Ryanair_airports.pdf">aides publiques</a> sont une pratique courante. Les compagnies low-cost demandent des subventions et des aides diverses au prétexte qu’elles peuvent sauver de petits aéroports déficitaires, ce qui est vrai, et que la puissance publique récupérera la mise grâce aux activités ainsi induites (ce qui n’a jamais été prouvé).</p>
<p>En France, les élus locaux poussent eux aussi dans ce sens, au nom de l’<a href="http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2019/2019_Infographies/20191003_Rapport-TAAT.pdf">aménagement du territoire</a> et de la défense de la ruralité. Dans certains pays émergents, l’argent public ruisselle sur la compagnie nationale et sur les chantiers aéroportuaires.</p>
<p>Ailleurs, la collusion entre les milieux d’affaires et les élus conduit à <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/11/19/des-folies-en-espagne_1606380_3214.html">surdimensionner les infrastructures</a>, voire à en construire inutilement.</p>
<p>C’est ainsi que la concurrence est faussée et que le prix d’un billet ne correspond pas nécessairement à ce qu’il coûte réellement. Supprimer les subventions, produire un prix du carburant « loyal », égaliser la fiscalité, voilà encore une utopie pour un monde post-libéral.</p>
<h2>Taxer, compenser ou plafonner ?</h2>
<p>Ce n’est que très récemment, pendant l’été 2019, que la pression a commencé à monter avec par exemple la <a href="https://www.air-journal.fr/2019-07-10-ecotaxe-sur-les-billets-davions-colere-generale-5213671.html">taxe Borne</a>, de 1,5 à 18 euros par billet d’avion, dont la mise en place est prévue l’année prochaine sur les vols au départ de la France. En parallèle, le gouvernement néerlandais a appelé la Commission européenne à imposer une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/les-pays-bas-veulent-amener-leurope-a-taxer-le-transport-aerien-1031574">taxe sur l’aviation</a> dans toute l’Union européenne.</p>
<p>Certes, l’avion propre et silencieux existera un jour, probablement dans <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/airbus-travaille-sur-un-premier-avion-decarbone-pour-les-annees-2030-1157570">quelques décennies</a>, et d’abord pour les liaisons court-courrier. D’ici là, si l’aviation civile veut porter sa part du fardeau de la lutte contre le dérèglement climatique, seul un plafonnement de l’activité apparaît comme une solution crédible, tout en poursuivant les progrès techniques permettant de limiter la consommation par passager transporté/kilomètre parcouru ; ainsi l’étau pourrait-il être progressivement desserré.</p>
<p>Dès à présent, les <a href="https://calculcarbone.org/">compensations carbone</a> sont revendiquées par certaines compagnies aériennes. Mais ces compensations ne peuvent constituer qu’un pis-aller, car l’ampleur qu’il faut leur donner et les effets que l’on en attend sont difficiles à mesurer en toute objectivité puisqu’on ne connaît pas encore la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AUgmJnGgv1Q">quantité de biomasse</a> globalement existante.</p>
<p>Ainsi le choc entre le libéralisme défiscalisé mais subventionné et le monde de la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg ne peut aboutir à ce jour à un consensus entre les deux parties. En 2020, lors du 40<sup>e</sup> Forum économique mondial de Davos, le président des États-Unis Donald Trump avait déclaré que « nous devons <a href="https://www.lepoint.fr/monde/entre-trump-et-greta-thunberg-davos-a-l-epreuve-du-defi-climatique-21-01-2020-2358756_24.php">rejeter les éternels prophètes de malheur</a> et leurs prédictions d’apocalypse ». Il avait souligné qu’il ne laisserait pas « des socialistes radicaux » s’attaquer aux énergies fossiles. En réponse, Greta Thunberg avait affirmé qu’il fallait « paniquer » et « cesser immédiatement tous les investissements dans l’exploration et l’extraction d’énergies fossiles » et cela « pas en 2050, pas en 2030 ou même en 2021, mais maintenant ». Bloc contre bloc.</p>
<hr>
<p><em>Raymond Woessner est l’auteur de lu livre <a href="https://www.furet.com/livres/geographie-du-transport-aerien-raymond-woessner-9782350306582.html">« Géographie du transport aérien. Quelle croissance pour quelle planète ? »</a> à paraître aux éditions Atlande.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raymond Woessner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le rôle du trafic aérien dans l’essor de la pandémie actuelle pourrait remettre en cause son statut particulier dans un contexte plus large de lutte contre le dérèglement climatique.
Raymond Woessner, Professeur honoraire de géographie, Sorbonne Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/132226
2020-03-02T21:13:41Z
2020-03-02T21:13:41Z
Des élus sous influence
<p>Le scrutin municipal des <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1952">15 et 22 mars</a> revêt un rôle symbolique majeur car il s’agit de l’échelon politique le plus proche des administrés, et celui pour lequel <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_vague10-1.pdf">ils ont le plus confiance</a>.</p>
<p>La première qualité évoquée par les Français pour accorder leur confiance envers les personnalités politique est l’honnêteté. Une solution pour développer ce sentiment d’honnêteté pour le décideur public est d’offrir de la transparence autour de ses décisions. Celle-ci permet au citoyen de comprendre les mécanismes orientant les choix de ses représentants et de mettre en lumière les actions d’influence exercées par les entreprises ou les lobbies sur les élus locaux. Or ces actions de lobbying au niveau local sont fréquentes, au point que certaines <a href="https://www.univ-lyon3.fr/06260180-strategies-d-influence-et-lobbying-1015972.kjsp">universités</a> et <a href="http://www.seance-publique.com/uploads/Catalogues/formations/42/a5df8f5e3e70e9.pdf">cabinets d’influence</a> proposent des formations dédiées au lobbying territorial.</p>
<h2>Trois formes de lobbying</h2>
<p>Nous pouvons reprendre la typologie formulée par <a href="https://scholar.google.com/citations?user=xafY0xQAAAAJ&hl=en&oi=sra">Amy Hillman</a> et <a href="https://scholar.google.com/citations?user=Vn_4oHYAAAAJ&hl=en&oi=ao">Michael Hitt</a> pour présenter les trois formes que peuvent prendre les actions de lobbying vers les élus locaux : la stratégie d’information, le lobbying financier et la mobilisation publique.</p>
<p>En ce qui concerne la stratégie d’information, les entreprises se positionnent comme des expertes et influencent le décideur public en le conseillant sur des décisions inhérentes à leurs domaines.</p>
<p>Pour mener à bien de telles actions, les entreprises s’appuient sur la légitimité dont elles disposent. Ces stratégies peuvent se matérialiser par la production de livres blancs, des auditions ou des rendez-vous avec les décideurs publics. Nous pouvons noter que type de stratégie est très courant au niveau local où il existe de forts liens interpersonnels entre les représentants d’entreprises et les décideurs publics. Par exemple, lors d’entretiens menés dans le cadre d’une recherche sur le lobbying, de nombreux dirigeants d’entreprises nous ont confié entretenir des relations régulières avec leurs maires, ce qui leur permettait d’obtenir des décisions publiques favorables.</p>
<p>Dans le cas du lobbying financier, il s’agit de tenter d’aligner les intérêts personnels du décideur public à celui de l’organisation.</p>
<p>Parmi les pratiques répandues nous pouvons citer le « pantouflage », qui consiste pour un élu ou un décideur public de faire des aller-retour entre fonctions publiques et emplois dans le secteur privé.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JVmN0jHtYy8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le pantouflage (Brut).</span></figcaption>
</figure>
<p>Cela peut aussi se présenter sous la forme d’emploi dans le privé pour l’entourage du décideur.</p>
<p>Ces pratiques sont très courantes au niveau local. En 2019, <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Rapport%20Enquete%20maires%208_11_19-1.pdf">27,6 % des maires</a> ont un travail à temps plein en parallèle de leur mandat électoral et 14,1 % un travail à temps partiel. Parmi ces maires à double casquette, 26,9 % sont salariés du secteur privé et 13,3 % sont chefs d’entreprises. Les pratiques de lobbying financier étant très encadrées par la loi, le financement de campagne électorale par une entreprise est par exemple interdit en France, tout comme la corruption ou les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=8C43CF83235E40787ABA3A12562D503E.tpdila16v_3?idArticle=LEGIARTI000032441392&cidTexte=LEGITEXT000006070719&categorieLien=id&dateTexte">conflits d’intérêts qui sont sévèrement punis</a>.</p>
<p>Enfin la dernière stratégie d’influence, la plus répandue, est celle de la mobilisation publique. Elle vise à atteindre les électeurs pour agir sur le décideur public en quête de réélection. L’objectif de cette stratégie est d’avoir l’adhésion d’un nombre suffisant d’administrés pour exercer une pression sur le maire. Les actions de mobilisations publiques peuvent consister en des pétitions, ou de manifestations. Ce ne sont pas les stratégies les plus usitées à l’échelle municipale, mais certaines de ces actions sont marquantes. Par exemple, Uber a recueilli plus de <a href="https://www.change.org/p/save-your-uber-in-london-saveyouruber">855 000 signatures</a> sur une pétition adressée au maire de Londres pour renouveler la licence de l’entreprise de VTC dans la ville. En France, le site Change.org, référence, en février 2020, plus de <a href="https://www.change.org/search?q=Anne%20hidalgo">420 pétitions</a> adressées à la maire de Paris, Anne Hidalgo. Ce type de stratégie peut également consister à menacer un maire de ne pas être réélu, la maire de Paris a notamment expliqué dans une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/hidalgo-assure-avoir-ete-menacee-par-les-lobbies-du-diesel-et-automobiliste_1938337.html">interview</a> avoir subi de telles pressions de la part de lobbies du diesel.</p>
<h2>Des outils pour minimiser les « influenceurs »</h2>
<p>Existe-t-il dans ce contexte des outils afin de contrer ces stratégies, à l’instar de ce qui se fait au <a href="https://theconversation.com/comment-limiter-le-pouvoir-du-lobbying-aupres-des-politiques-125986">Parlement français</a> ou au <a href="https://theconversation.com/lobbying-dans-lue-les-regles-ont-change-111373">Parlement européen</a> ? Par exemple, les représentants d’intérêts doivent déclarer à la la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (<a href="https://www.hatvp.fr">HATVP</a>)toutes les actions d’influence intentées vers les députés français, et les eurodéputés devront désormais publier leurs rencontres avec des représentants d’intérêts qui relèvent du registre européen du lobbying.</p>
<p>Certes des dispositions légales existent, mais il est difficile de généraliser leur portée du simple fait que les individus concernés appartiennent à un ensemble hétéroclite. En effet, être maire d’une commune de 100 habitants ou d’une grande mégapole n’a que peu de points communs. Pour rendre compte de cette réalité, certains textes de lois encadrant la transparence de la décision publique locale marquent cette différence en ne concernant que les communes de plus de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000032441746&cidTexte=JORFTEXT000028056315&dateTexte=20160422">20 000 habitants</a>.</p>
<p>Toutefois certaines dispositions concernent l’ensemble des communes. Par exemple, toutes les municipalités sont tenues de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000031038649">publier les comptes rendus des conseils municipaux</a> dans les 7 jours suivant la tenue de ces conseils. Les comptes rendus sont affichés à la mairie, et au cas échéant, publiés sur le site Internet de la commune.</p>
<p>Cette démarche permet de comprendre les débats et les forces exercées au sein du conseil municipal pour aboutir à une décision. Certaines villes, comme <a href="http://www.angers.fr/l-action-municipale/vos-elus/le-conseil-municipal/video-du-conseil-municipal/index.html">Angers</a>, vont plus loin que cette loi pour proposer des diffusions vidéo en direct et en rediffusion des séances de conseil municipal.</p>
<p>Dans certaines villes, des initiatives citoyennes profitent des contenus publics pour proposer des outils de suivis et d’analyse des décisions municipales. Nous pouvons citer l’exemple grenoblois de <a href="https://nosconseilsmunicipaux.grelibre.org">NosConseilsMunicipaux</a> qui propose des comptes-rendus de conseils municipaux, vérifie la tenue des engagements des élus, et fournit des analyses sur les votes et les décisions prises lors de ces conseils.</p>
<h2>Scruter les revenus patrimoniaux des maires</h2>
<p>Pour les communes de plus de 20.000 habitants, depuis 2013, les maires ont l’obligation de publier une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=4D5ABB6FD9A6B91831D3EE76FFE83577.tpdjo15v_2?cidTexte=JORFTEXT000028056315&dateTexte">déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts</a> sur le site de la HATVP. </p>
<p>Cette déclaration permet de connaître les activités professionnelles de l’élu à la date de son élection ou au cours des cinq années précédant la déclaration, les participations financières dans le capital de sociétés, ou encore les activités professionnelles du conjoint de l’élu, toutefois cette déclaration ne prend pas en considération les autres membres de la famille de l’élu.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316489/original/file-20200220-92518-du23v4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Exemple de déclaration d’intérêts pour les adjoints au maire de Clamart.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.clamart.fr/fr/la-mairie/transparence-de-la-vie-publique">Clamart.fr</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces informations permettent notamment de mettre en lumière les intérêts personnels du maire et ainsi de limiter le lobbying financier. Pour les communes de plus de 100 000 habitants cette obligation est étendue aux adjoints titulaires d’une délégation de signature. Nous pouvons souligner les initiatives locales de certaines communes comme celle de <a href="https://www.clamart.fr/fr/la-mairie/transparence-de-la-vie-publique">Clamart</a> qui ont décidé d’aller au-delà de la loi en publiant les déclarations d’intérêts de tous les élus de la majorité.</p>
<h2>Des initiatives à améliorer</h2>
<p>Il n’existe pour l’heure pas de lois contraignantes pour connaître les actions d’influence des organisations auprès des décideurs publics locaux. En effet, les maires et conseillers municipaux ne sont que peu concernés par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033558528&categorieLien=id">loi Sapin II</a> qui définit un cadre précis pour le lobbying en France et impose la tenue d’un répertoire des représentants d’intérêts.</p>
<p>Toutefois cette situation devrait changer à compter du <a href="https://www.hatvp.fr/espacedeclarant/representation-dinterets/les-responsables-publics-et-les-decisions-publiques/#post_4611">1ᵉʳ juillet 2021</a> avec l’élargissement du périmètre du répertoire de la HATVP à certains élus locaux.</p>
<p>Néanmoins de nombreuses petites communes ne disposent pas de ressources nécessaires pour déployer des dispositifs similaires à ceux imposés aux grandes villes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316600/original/file-20200221-92541-1r81668.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Plateforme permettant de connaître quels sont les rendez-vous d’élus de la mairie de Paris pris avec des représentants de divers intérêts économiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://transparence.lobby.paris.fr/site-RDV-avec-RI/jsp/site/Portal.jsp?page=publicmeeting">Transparence Lobby Paris</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des initiatives à l’impact limité</h2>
<p>La <a href="https://transparence.lobby.paris.fr/site-RDV-avec-RI/jsp/site/Portal.jsp?page=publicmeeting">plate-forme</a> mise en place par la mairie de Paris, en 2018, s’inscrit dans une série d’initiatives développées par le pouvoir public depuis quelques années comme la <a href="https://www.paris.fr/pages/la-commission-de-deontologie-des-elu-e-s-du-conseil-de-paris-3167">commission de déontologie des élus</a> créée en 2014. L’objectif est d’offrir un cadre plus éthique pour le lobbying et de permettre au citoyen de mieux appréhender les interactions entre entreprises et décideurs publics.</p>
<p>Ces différents dispositifs offrent ainsi des clés aux citoyens pour mieux comprendre les décisions de leurs élus. Néanmoins, nous pouvons nous interroger sur le réel impact de ces outils. En effet, si les données des différentes plates-formes présentées ici sont en accès libre donc ouvertes à tous, elles restent peu connues et peu visitées des citoyens.</p>
<p>En outre, en parcourant les plates-formes de la mairie de Paris ou de la HATVP, nous pouvons nous rendre compte du nombre considérable d’acteurs qui tentent d’influencer les décisions des élus. Or, il est impossible pour le citoyen de connaître les arguments avancés par chacun de ces acteurs et ainsi de comprendre les motivations des décisions des élus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Nicolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les actions de lobbying vers les élus locaux prennent trois formes : la stratégie d’information, le lobbying financier et la mobilisation publique.
François Nicolle, Assistant enseignant-chercheur ICD Paris - Propedia, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/131532
2020-02-19T19:44:01Z
2020-02-19T19:44:01Z
Du Sénat aux lobbies, retour sur le vote de la loi antigaspillage
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/316174/original/file-20200219-11005-afbjpf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon l’Ademe, en France, moins de la moitié des appareils ménagers en panne sont réparés. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Suite au <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/268681-loi-lutte-contre-le-gaspillage-et-economie-circulaire">vote final de la loi</a> « anti-gaspillage pour une économie circulaire » par le parlement, le 30 janvier 2020, plusieurs mesures phares vont prochainement entrer en vigueur.</p>
<p>Si l’attention médiatique à l’égard de ce texte s’est focalisée sur la <a href="https://theconversation.com/comprendre-la-polemique-sur-la-consigne-des-bouteilles-plastiques-126651">consigne</a> ou le plastique, un autre volet – la lutte contre l’obsolescence programmée – était également au cœur des débats. Plusieurs mesures ont ainsi pour objectif d’allonger la durée de vie des produits pour en finir avec « cette arnaque pour le consommateur comme pour la planète », pour reprendre les termes de la secrétaire d’État Brune Poirson. La création d’un indice de réparabilité pour 2021, figure parmi les initiatives les plus marquantes.</p>
<p>D’autres mesures sont à noter : les éco-organismes devront mettre en place un fonds de la réparation et un fonds du réemploi, pour financer au-delà du recyclage ces piliers de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/economie-circulaire-26694">économie circulaire</a> ; les consommateurs devraient être mieux informés de la durabilité des produits pour faire des choix éclairés ; l’irréparabilité intentionnelle devient un délit au même titre que l’obsolescence programmée ; les fabricants vont devoir respecter de nouvelles obligations sur la disponibilité des pièces détachées…</p>
<p>Or nombre de ces dispositions n’étaient pas prévues dans le projet de loi initial. Comment expliquer ce résultat final ? Nous proposons de dévoiler ici le jeu entre les différents acteurs (élus et lobbies) qui a conduit à l’évolution du cadrage réglementaire concernant la durabilité des objets.</p>
<h2>Des sénateurs pionniers contre l’obsolescence</h2>
<p>Suite aux nombreux échanges organisés par le gouvernement autour de la « feuille de route économie circulaire », un projet de loi a été proposé au banc des sénateurs en septembre 2019 ; cette première copie a ensuite été revue et amendée par les députés, avant l’accord définitif de janvier 2020.</p>
<p>Contrairement à leur réputation conservatrice, les sénateurs ont été à l’avant-garde de l’économie circulaire, votant de nombreuses dispositions en première lecture pour favoriser notamment la réparation et la durabilité des produits.</p>
<p>Ils ont, par exemple, intégré dans le projet de loi un nouvel indice de durabilité ; exigé la transparence des critères permettant de déterminer l’indice de réparabilité proposé par le gouvernement ; obligé la disponibilité des pièces détachées dans le secteur médical pendant 10 ans ou encore la mise en place d’un compteur d’usage sur les produits (à l’instar d’un compteur kilométrique sur les automobiles). Les sénateurs ont également voté deux fonds ambitieux – dédiés à la réparation et au réemploi.</p>
<p>Certains reculs par rapport au projet de loi initial du gouvernement ont toutefois été constatés : date d’entrée en vigueur de l’indice de réparabilité repoussé d’un an, tout comme le délai maximal de livraison des pièces détachées, passé de 20 à 30 jours.</p>
<p>Beaucoup de ces mesures ont été votées contre l’avis du gouvernement, sous l’impulsion de sénateurs écologistes, socialistes, communistes ou républicains, ayant sans doute cherché une caisse de résonance politique pour faire de l’écologie un sujet phare en pointant les lacunes du gouvernement en ce domaine.</p>
<p>Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a ainsi <a href="https://www.senat.fr/presse/cp20190918.html">dénoncé un projet de loi</a> « pas à la hauteur de la nécessaire “accélération écologique” annoncée par le premier ministre ». Dans ce même communiqué de presse, la rapporteur (LR) souligne que le Sénat a « substantiellement enrichi le texte [pour] promouvoir le réemploi et la réparation par la création d’un fonds d’aide à la réparation permettant de prendre en charge une partie des coûts, souvent dissuasifs » ou encore « d’interdire la publicité incitant à jeter des produits encore en état de marche ».</p>
<p>Les sénateurs avaient donc mis la barre assez haut avant le passage du projet de loi à l’Assemblée nationale.</p>
<h2>Des mesures en demi-teinte</h2>
<p>Les députés et la majorité gouvernementale n’ont pas voulu se montrer moins déterminés que le Sénat en matière d’écologie. Les rapporteurs ont dit chercher à « consolider » le texte afin d’en assurer la sécurité juridique, c’est-à-dire éviter de voter des textes inapplicables ou attaquables au niveau européen.</p>
<p>Dans les faits, l’ambition de la plupart des mesures a été revue à la baisse, tout en restant plus importante que le projet initial de l’exécutif. Ainsi, l’indice de réparabilité a été rétabli pour 2021, et étendu dans son format à un indice de durabilité d’ici 2024. Le gouvernement et les députés ont supprimé le compteur d’usage obligatoire, le réduisant à une démarche volontaire dans le cadre de l’indice de durabilité (les produits ayant un compteur recevraient une meilleure note). La loi a ramené la disponibilité obligatoire des pièces dans le secteur médical à 5 ans, mais l’a étendu à d’autres catégories de produits, comme les ordinateurs et les <em>smartphones</em>, pièces qui devront finalement être fournies dans un délai maximum de 15 jours.</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Brune Poirson et l’obsolesce programmée. (Arte, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>En septembre 2019, les sénateurs avaient aussi fait preuve de volontarisme en créant une « garantie logicielle », rassurant le consommateur quant au bon fonctionnement de son téléphone ou de sa tablette avec des mises à jour pendant 10 ans. Seulement, les députés sont revenus en arrière : le consommateur aura simplement le droit de refuser toute mise à jour (sans dissociation de confort ou sécurité).</p>
<p>Dans les deux chambres, le sujet de l’extension de la garantie légale de conformité ou de la publicité sont restés tabous. Malgré de nombreux amendements déposés par des parlementaires sur ces deux thèmes, invoquant respectivement la protection des consommateurs face aux risques de pannes prématurées et le rôle de l’obsolescence culturelle, rien de significatif n’a été adopté.</p>
<p>Au-delà des consignes de vote pouvant émaner des ministères, qui influence les parlementaires dans le dépôt d’amendements et leurs arguments ?</p>
<h2>Des lobbies bien organisés</h2>
<p>En coulisses du vote des lois, les groupes d’intérêts s’activent pour freiner de nouvelles dispositions ou aller plus loin. Il est rare, en effet, que les propositions d’amendements d’un projet de loi émergent de la seule initiative des parlementaires. Ces derniers consultent, plus ou moins officiellement lors d’auditions ou de rendez-vous, des ONG, associations, think tank, fabricants, distributeurs, fédérations professionnelles, syndicats…</p>
<p>Depuis peu, certains parlementaires s’engagent dans une démarche de <em>sourcing</em>, afin de renseigner l’origine de l’amendement porté lorsque celui-ci a été proposé par un représentant d’intérêts, garantissant davantage de transparence, sans pour autant remettre en cause le principe selon lequel le mandat impératif est nul et que le droit de vote des membres du parlement est personnel (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006527492&cidTexte=JORFTEXT000000571356&dateTexte=19581005">article 27 de la Constitution)</a>.</p>
<p>Avec seulement <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/ce-que-declarent-les-deputes-sur-les-lobbies-qui-les-influencent_fr_5e187a8ac5b6da971d146d4a?utm_hp_ref=fr-politique">4,4 % des amendements adoptés sourcés (ou 10 % des amendements recevables)</a> dans le cadre de la loi antigaspillage pour une économie circulaire, cette pratique est encore trop récente et peu généralisée, pour permettre d’en tirer des résultats significatifs sur l’origine et la proportion des représentants d’intérêts présents.</p>
<p>Cependant, nous constatons que les acteurs de l’économie sociale, solidaire et de l’environnement ont été très actifs, aux côtés des fédérations professionnelles. Les associations WWF, Zero Waste France, Surfrider, Halte à l’obsolescence programmée et Tara Océan sont le plus souvent citées dans les amendements adoptés.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1061&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1061&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1061&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1333&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1333&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316188/original/file-20200219-11000-2854gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1333&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Quel « sourcing » pour la loi sur l’économie circulaire ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cominst.com/app/uploads/2019/12/Visuel-sourcing-De%CC%81cembre-2019.png">Cominst</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutefois, les parlementaires assument, plus ou moins aisément, leurs sources d’influence. Tous les groupes politiques ne le renseignent d’ailleurs <a href="https://www.cominst.com/app/uploads/2019/12/Visuel-sourcing-De%CC%81cembre-2019.png">pas dans les mêmes proportions</a>. Les députés de la République en marche, la France insoumise, les Socialistes, le MoDem, Libertés et territoires sont plus enclin à la transparence que Les Républicains ou l’UDI.</p>
<p>De même, les industriels ou groupements d’entreprises ont certainement moins intérêt à être visibles auprès du grand public, contrairement aux associations qui peuvent ainsi démontrer leur efficacité auprès des citoyens et militants.</p>
<p>Les associations ont joué un rôle clef dans le résultat du débat parlementaire en rehaussant l’ambition de la loi. Dans un climat politique tendu au sujet du climat, illustré par de nombreuses manifestations, <a href="https://www.lemonde.fr/climat/article/2018/12/07/la-mobilisation-citoyenne-pour-le-climat-prend-racine_5394337_1652612.html">notamment des jeunes</a>, ou encore les résultats du <a href="https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-33248-synthese-debats.pdf">Grand débat</a> ou de la <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr">Convention citoyenne</a> pour le climat, les jeux d’acteurs ont eu raison d’un texte substantiellement renforcé entre le projet de loi initial du gouvernement et la loi finalement votée.</p>
<p>Bien que restant très mesuré, le texte prend désormais davantage en compte l’allongement la durée de vie des produits, essentiellement via l’incitation des citoyens à une consommation durable et des entreprises à davantage de transparence, voire – dans une moindre mesure – d’obligations, en faveur de la réparation, pour une logique de construction d’une économie plus « circulaire ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131532/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laetitia Vasseur travaille également pour l’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée), qu’elle a co-fondée. Elle a reçu des financements publics pour cette association. </span></em></p>
Dans les coulisses de l’élaboration de la loi antigaspillage, adoptée par le parlement français fin janvier 2020.
Laetitia Vasseur, Doctorante économie circulaire en sciences de gestion, ESCP Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/131985
2020-02-19T19:44:00Z
2020-02-19T19:44:00Z
Le lobby bancaire a-t-il embobiné nos députés ? Conversation avec Jézabel Couppey-Soubeyran
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/316257/original/file-20200219-10980-1ebwh1b.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=61%2C1%2C1126%2C653&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"> L'Assemblée nationale a adopté en début d'année une résolution non contraignante qui invite le gouvernement à assouplir la règlementation bancaire.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8588106_5e14e260e75eb.questions-au-gouvernement---mardi-7-janvier-2020-7-janvier-2020">Capture d'écran / Assemblée nationale.fr</a></span></figcaption></figure><p><em>Le 7 janvier dernier, les députés ont voté une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/08/les-deputes-font-pression-pour-alleger-la-reglementation-bancaire-anti-crise_6025163_3234.html">proposition de résolution</a>, visant selon son intitulé à « protéger la compétitivité du financement de l’économie dans le cadre de la transposition de l’accord du Comité de Bâle de 2017 ». Ce type de texte a une très faible portée juridique, mais cela en dit long sur le degré de capture intellectuelle de nos parlementaires et gouvernants, comme l’explique dans cette interview Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère éditoriale au Centre d’études prospectives et d’informations (CEPII).</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation France : Le financement de l’économie aurait-il à gagner à ce que les accords signés au sein du Comité de Bâle en décembre 2017 fassent l’objet d’un rabotage, comme l’avancent les auteurs de la proposition de résolution votée à l’Assemblée nationale ?</strong></p>
<p><strong>Jézabel Couppey-Soubeyran :</strong> Assurément non ! Prétendre l’inverse, c’est être sous l’emprise du « blablabanque », cette rhétorique si bien rôdée par laquelle le lobby bancaire capture l’esprit de nos parlementaires et gouvernants, pour faire prévaloir l’intérêt des banques (les profits de court terme) sur celui de la collectivité (un secteur bancaire sain et stable, contribuant du mieux possible au financement de l’économie et tout particulièrement à celui des entreprises). Et c’est bien cela le problème : la résolution votée par les députés français ne reflète absolument pas l’intérêt de la collectivité, mais uniquement celui des grands groupes bancaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1228647106577096710"}"></div></p>
<p><strong>TCF : Pouvez-vous revenir sur l’historique de ces accords de Bâle pour mieux comprendre la portée du texte signé en décembre 2017 ?</strong></p>
<p><strong>J. C.-S. :</strong> En réponse à la crise financière de 2007-2008, le G20, lors de sa réunion de crise à Pittsburgh en septembre 2009, avait enjoint le Comité de Bâle, où se réunissent les superviseurs bancaires du monde entier, à renforcer ses recommandations prudentielles.</p>
<p>Depuis la fin des années 1980, les <a href="https://www.dailymotion.com/video/xxn0ry">fonds propres</a>, c’est-à-dire l’argent apporté par les actionnaires ou les sociétaires des banques ainsi que les réserves qui correspondent à leurs bénéfices qui ne sont pas redistribués, sont au cœur du dispositif de prévention des risques bancaires. En effet, ces fonds propres sont à la gestion des risques bancaires ce que l’aspirine est à la médecine, un traitement généraliste, qui permet de traiter tout type de risques de perte, ceux des activités de crédit, de marché, y compris ceux liés à des erreurs humaines, des fraudes, des pannes informatiques, etc. C’est aussi la seule ressource non remboursable au bilan des banques, donc un coussin indispensable d’absorption des pertes non prévues.</p>
<p>Par deux fois avant la crise, des standards internationaux de fonds propres avaient été recommandés par le Comité de Bâle : en 1988 (Bâle 1), en ne considérant que le risque de crédit, ce qui était trop étroit, et, en 2004 (Bâle 2), en élargissant l’assiette de risques à couvrir, mais sans revoir le seuil de l’exigence, restée à 8 % de fonds propres en proportion des actifs risqués, et en déléguant aux banques la mesure du risque de leurs actifs pour gagner en… précision !</p>
<p>Résultat, les grandes banques, disposant de modèles internes d’évaluation de risques, se sont appliquées à les calibrer au mieux pour minimiser la valeur de leurs actifs risqués pondérés par les risques. Cela leur permet de respecter le ratio réglementaire avec moins de fonds propres que les établissements sans modèles internes, obligés de se conformer à l’approche standard du régulateur. En outre, les fonds propres avaient une définition à tiroir, telle qu’il était possible de satisfaire les 8 % de fonds propres requis avec seulement 2 % de vrais fonds propres. Bâle 2 était à peine transposé dans les droits nationaux que la crise financière éclatait et que s’imposait déjà une révision du standard prudentiel.</p>
<p><strong>TCF : Quel bilan peut-on tirer de Bâle 3 ? Ces accords, signés après la crise, ont-ils permis de mieux sécuriser le système bancaire ?</strong></p>
<p><strong>J. C.-S. :</strong> Bâle 3 a eu le mérite de redéfinir les fonds propres en qualité et en quantité, en faisant porter l’essentiel de la nouvelle exigence de 10,5 % sur des vrais fonds propres (actions et bénéfices non distribués), et aussi de prévoir des rehaussements possibles en cas d’emballement du crédit (coussin contracyclique) ainsi que pour les groupes bancaires systémiques (surcharge systémique). Mais pour parvenir à l’accord de 2010, les négociateurs avaient soigneusement évité de remettre en question l’usage des modèles internes, alors même que bon nombre de travaux avaient déjà mis en lumière les manipulations dont ils font l’objet.</p>
<p>Il aura fallu attendre décembre 2017 pour qu’un nouvel accord soit trouvé en la matière. Un accord a minima, comme assez souvent au Comité de Bâle, étant donné la nécessité de parvenir à un consensus entre ses membres : pour limiter l’avantage que les grandes banques tirent de leurs modèles internes d’évaluation de risque, il a été recommandé que la valeur des actifs risqués évaluée à partir de modèles internes (approche dite avancée) ne puisse plus être inférieure à 72,5 % de celle obtenue avec l’approche standard du régulateur à laquelle se soumettent les établissements qui n’ont pas de modèles internes validés.</p>
<p>C’est le fameux plancher ou <em>output floor</em>, auquel nos députés n’ont manifestement rien compris. Ce n’est pas, en tant que telle, une exigence supplémentaire de fonds propres, mais une réduction de l’avantage que les grandes banques tirent de leurs modèles internes et qui renforce leur position dominante. Avant de se soucier des conditions égales et loyales de concurrence entre mastodontes européens et américains, nos députés pourraient d’abord identifier leur manque sur le marché intérieur…</p>
<p><strong>TCF : En quoi la séance parlementaire du 7 janvier dédiée au « financement de l’économie dans le cadre de l’accord du comité de Bâle de 2017 » est-elle selon vous édifiante ?</strong></p>
<p><strong>J. C.-S. :</strong> Le vote de cette proposition de résolution témoigne d’un manque de maîtrise du sujet par les députés présents. La plupart ne faisaient que psalmodier leurs textes. L’ONG Finance Watch, qui se consacre à faire comprendre ces sujets, l’a déploré à juste titre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1214843404468793344"}"></div></p>
<p>Notons au passage que la technicité et la complexité de ces dispositions a ceci de bien pratique pour les banques que cela rend le tout inaccessible à ceux qui n’en ont pas l’expertise. Pas si étonnant dans ces conditions que ce soit auprès des banques elles-mêmes que nos parlementaires aillent chercher l’explication, en se laissant sciemment ou non embobinés par la rhétorique du lobby bancaire.</p>
<p><strong>TCF : Quels sont les mécanismes de cette rhétorique ?</strong></p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=953&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=953&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=953&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1198&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1198&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315845/original/file-20200218-10991-1hjoa4v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1198&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/deux-siecles-de-rhetorique-reactionnaire-9782213026480">Éditions Fayard</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>J. C.-S. :</strong> C’est une rhétorique de l’inaction, autrement dit un discours conçu pour empêcher l’action, en l’occurrence ici le progrès de la régulation financière. Ses arguments sont exactement ceux qu’analysait l’économiste américain Albert Hirschman dans <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/deux-siecles-de-rhetorique-reactionnaire-9782213026480"><em>Deux siècles de rhétoriques réactionnaire</em></a>. J’avais transposé sa grille de lecture au discours du lobby bancaire dans mon livre <a href="https://www.michalon.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=500558"><em>Blablabanque</em></a>.</p>
<p>Le lobby bancaire fait comme les conservateurs ou réactionnaires dont Albert Hirschman décortiquait le discours. Il construit systématiquement son discours autour de l’un ou plusieurs des trois arguments suivants : l’effet pervers, l’inanité, la mise en péril. En matière de réglementation bancaire, cela donne un discours qui oppose systématiquement à une nouvelle réglementation soit qu’elle aboutira à des effets contraires à ceux recherchés (effet pervers), soit qu’elle ne servira à rien (inanité), soit qu’elle fera payer un lourd tribut, en l’occurrence au financement de l’économie, au crédit, à la croissance, etc. (mise en péril).</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">« Blablabanque : décrypter le discours du lobby bancaire », interview de Jézabel Couppey-Soubeyran pour Xerfi canal (2015).</span></figcaption>
</figure>
<p>La séance parlementaire du 7 janvier fut un concentré de ces faux arguments. Tout y était ! Des effets « contraires », « délétères » des exigences de fonds propres pour le financement de l’économie, au coût d’opportunité que représenterait les centaines de milliards de fonds propres « immobilisés » au bilan des banques, en passant par le « fossé réglementaire » que cela creuserait avec les banques américaines.</p>
<p><strong>TCF : En quoi est-ce que cela témoigne d’une désinformation ?</strong></p>
<p><strong>J. C.-S. :</strong> Les fonds propres ne sont pas une somme immobilisée dans un coffre, mais une ressource que les banques investissent comme bon leur semble. Il n’y a pas de raison mécanique pour que plus de ressources disponibles réduisent les financements accordés, pas plus qu’en termes relatifs quand la part des fonds propres dans le total des ressources augmente. D’ailleurs, les petites et moyennes banques de détail, les plus orientées vers le crédit aux entreprises et aux ménages, sont plus capitalisées que les grandes banques d’investissement davantage tournées vers les activités de marchés.</p>
<p>Si les grandes banques préfèrent la dette de marché aux fonds propres, c’est parce que la garantie implicite de sauvetage dont elles bénéficient encore, en dépit de la mise en place des dispositifs de résolution (comme le mécanisme de résolution unique dans le cadre de l’Union bancaire), continue de subventionner implicitement leur dette de marché. Il n’y a qu’à se rappeler la satisfaction du groupe BPCE lorsque, en novembre 2018, il a été réintroduit dans la liste des établissements systémiques que le <em>Financial Stability Board</em> met à jour chaque année. Le quotidien Les Échos rapportait alors les propos d’un observateur à ce sujet : « dans la perception des investisseurs, c’est une distinction. Le fait d’appartenir à la catégorie “établissement systémique” est très importante. En Asie, par exemple, cela peut ouvrir l’accès à certains fonds qui ont des poches d’investissement dédiées aux plus grandes banques considérées comme plus solides ».</p>
<p>En clair, un établissement, lorsqu’il est reconnu comme systémique, lève de la dette de marché à moindre coût. D’où sa préférence pour la dette. S’y ajoute l’attachement des grands groupes cotés à une base étroite de capital pour pouvoir servir une rémunération par action (<em>return on equity</em>, ROE) à la hauteur de celle attendue par leurs actionnaires ou de l’idée qu’eux-mêmes s’en font. Plus la base de fonds propres est large, plus le nombre de parts à rémunérer est grand, ce qui mécaniquement réduit le ROE. À l’inverse, avec une base de fonds propres plus étroite, il est possible de servir avec un même bénéfice un ROE plus élevé.</p>
<p><strong>TCF : Qu’en est-il du fameux fossé réglementaire avec les banques américaines qui pénaliserait les banques européennes ?</strong></p>
<p><strong>J. C.-S. :</strong> La concurrence des banques américaines est une antienne des lobbies bancaires européens. Or, en matière de fonds propres, la contrainte est plus sévère pour les banques américaines que pour les banques européennes. Il y a certes aux États-Unis, depuis la mandature de Donald Trump, une volonté de dérégulation. Mais, d’une part, ce n’est pas une bonne raison pour suivre le mouvement, car il en va de la stabilité financière. Et, d’autre part, les exigences de fonds propres n’ont pas (encore) été défaites.</p>
<p>Il s’avère que, en la matière, le régulateur américain est plus exigeant que ce que recommande le Comité de Bâle et que ce qu’appliquent les régulateurs européens. Les banques américaines sont, en effet, soumises à un ratio de levier qui rapporte les fonds propres au total des expositions sans pondérations de risque. C’est plus exigeant qu’un ratio pondéré par les risques des actifs, car c’est beaucoup moins manipulable. À la demande des Américains, un ratio de levier a certes été introduit dans les accords de Bâle 3, parallèlement au ratio pondéré, mais à un niveau peu contraignant d’au moins 3 % : à ce niveau, la valeur des actifs peut encore aller jusqu’à 33 fois celle des fonds propres, soit un levier d’actifs digne de ceux d’avant la crise financière de 2007-2008.</p>
<p>Il peut être utile de rappeler quelques ordres de grandeur en la matière sur la base du rapport de suivi du Comité de Bâle d’octobre 2019. Les banques européennes sont, avec un ratio de fonds propres pondéré moyen de 15 %, légèrement au-dessus des banques américaines, mais en termes de ratio de levier la donne s’inverse : les banques américaines ont en moyenne un ratio de 6 % de pratiquement 1 point supérieur à celui des banques européennes.</p>
<p>Comme nos députés appellent à « assurer un niveau de contrainte commensurable à celui des banques américaines », voici une proposition pour y parvenir : feu les pondérations, optons comme le fait le régulateur américain pour un ratio de levier, plus fruste certes mais plus simple, plus facilement vérifiable et moins contournable. Tout le monde au même diapason ! Ce n’est pas faire l’apologie du dispositif prudentiel américain que de soutenir la généralisation du ratio de levier, c’est simplement reconnaître l’impasse que constitue une sophistication à outrance des mesures prudentielles, qui finit par échapper au régulateur lui-même, et qui échappe plus encore au décideur et aux citoyens, se retrouvant dans l’incapacité totale d’exercer une quelconque vigilance.</p>
<p><strong>TCF : Pendant la séance parlementaire du 7 janvier, les députés qui soutenaient la proposition de résolution se sont également montrés soucieux de la transition énergétique… Que faut-il penser de cet argument ?</strong></p>
<p><strong>J. C.-S. :</strong> Effectivement, ils ont trouvé là une justification supplémentaire bien commode de leur action ! « À l’heure des investissements requis par la transition énergétique, il ne faudrait pas pénaliser les financements d’infrastructure », ont-ils expliqué. Voilà donc une autre raison de se pencher sur le ratio de levier, car sa simplicité en fait un instrument aisément ajustable. Il pourrait être rendu plus exigeant pour les financements accordés à des secteurs trop carbonés et redonner ainsi de l’attractivité aux financements utiles à la transition écologique, dont ceux de long terme et d’infrastructure.</p>
<p>Les propositions ne manquent pas aujourd’hui pour renforcer la stabilité financière, réorienter dans le même temps la finance vers la transition écologique, et tracer le chemin d’une croissance plus inclusive et soutenable. Mais, pour cela, il faut de la volonté politique. Et pour réenclencher cette volonté, nos parlementaires doivent d’abord réaliser la capture dont ils font l’objet. Condition sine qua non pour s’en libérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jézabel Couppey-Soubeyran ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La rhétorique habituelle des banques semble avoir convaincu les députés de s’opposer à la transposition à venir d’une recommandation internationale pourtant importante pour la solidité du système.
Jézabel Couppey-Soubeyran, Conseillère éditoriale au CEPII, maître de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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