tag:theconversation.com,2011:/id/topics/precarite-26102/articlesprécarité – The Conversation2024-02-25T16:26:14Ztag:theconversation.com,2011:article/2234972024-02-25T16:26:14Z2024-02-25T16:26:14ZRechercher un logement : les étudiants face aux inégalités<p>Si la crise du logement étudiant fait régulièrement la « une » des médias, on manque cruellement de statistiques pour établir un diagnostic complet de la situation en France. Les données que commencent à produire les <a href="https://www.aurh.fr/observatoires-et-etudes/otle-lhsm">observatoires territoriaux du logement étudiant</a> (OTLE) nous offrent peu à peu les bases d’une compréhension plus précise des enjeux, tout comme les enquêtes menées par d’autres organismes tels que <a href="https://www.ove-national.education.fr/">l’Observatoire de la vie étudiante</a>, <a href="https://afev.org/actualites/le-logement-etudiant-autrement">l’AFEV</a> ou la <a href="https://www.fondation-abbe-pierre.fr/">Fondation Abbé Pierre</a>.</p>
<p>Se pencher sur un territoire où il y a peu de tension au niveau du marché du locatif, comme c’est le cas du Havre, permet de mettre en lumière d’autres aspects de la recherche de logement. Quels sont les critères privilégiés par les jeunes pour vivre en sécurité et avec plénitude leur vie étudiante ?</p>
<p>Plusieurs enquêtes qualitatives menées par les étudiants du <a href="https://www.univ-lehavre.fr/fr/formations/master-urbanisme-amenagement-parcours-halis/">master HALIS</a> – Habitat, logement, ingénierie sociale d’Université Le Havre Normandie – nous aident à répondre à cette question et à aller au-delà des questions d’accessibilité.</p>
<h2>La pyramide de l’accès au logement</h2>
<p>Le Havre est un territoire où le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, attirant notamment de plus en plus d’étudiants étrangers. Ainsi lors de la rentrée 2021-2022, <a href="https://actu.fr/normandie/le-havre_76351/au-havre-100-des-logements-etudiants-sont-occupes-des-jeunes-toujours-sans-solution_45340382.html">sur 13 650 étudiants, 10 % venaient d’autres pays que la France, représentant 110 nationalités</a>, ce qui s’explique par une offre diversifiée de formations portés par plusieurs structures (Université le Havre Normandie, École de Management de Normandie, École Nationale Supérieure Maritime, École Supérieure d’Art et Design Le Havre Rouen, Institut de Formation d’Éducateurs de Normandie, etc.).</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-pandemie-aggrave-le-mal-etre-des-etudiants-155500">Comment la pandémie aggrave le mal-être des étudiants</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Même dans les territoires sans tension résidentielle particulière, la recherche d’un appartement ou d’une chambre tient d’un parcours du combattant où les inégalités sociales se cristallisent. Certains étudiants effectuent ces recherches seuls, sans accompagnement, sans garant et avec peu de moyens, alors que d’autres sont aidés par leurs familles. Les sites proposent parfois des annonces qui ciblent une population étudiante sans réseau et/ou étrangère à laquelle ils proposent des logements dégradés. Illan, 23 ans, remarque :</p>
<blockquote>
<p>« C’est beaucoup de démarches, beaucoup de paperasse, beaucoup de documents à remplir. C’est ça qui est trop pesant, trop stressant, c’est maintenant que je comprends pourquoi la majorité préfère rester chez leurs parents. »</p>
</blockquote>
<p>Katia, 22 ans, en master, ajoute :</p>
<blockquote>
<p>« Financièrement c’était un peu compliqué dans ma tête au début. Je devais racheter des meubles, payer à nouveau les ouvertures de compteurs, la caution, le loyer d’avance… Ça fait pas mal d’argent à avancer sachant qu’on perd les APL le 1<sup>er</sup> mois. »</p>
</blockquote>
<h2>Trouver un garant</h2>
<p>Une fois le logement trouvé, il s’agit pour les étudiants étrangers, européens ou français sans garant de trouver une solution. Une grande partie des propriétaires n’acceptent pas la <a href="https://groupe.actionlogement.fr/un-million-de-garanties-visale-attribuees">garantie Visale</a>, seuls 1 million de ménages sont logés en France grâce à ce dispositif. Certaines associations (CHLAJ76, Association partageons un Havre…) aident les jeunes quitte à parfois les loger chez l’habitant de façon provisoire. D’autres permettent de repérer les <a href="https://www.ahloet.fr/">logements de qualité labellisés</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En ce qui concerne les logements du CROUS, les résidences les moins chères privilégieront les étudiants à plus faible revenu, souvent étrangers. A l’autre extrême, les résidences privées accueillent les plus favorisés. Ainsi dans les territoires en tension locative, il peut arriver qu’on vous demande de payer dès juillet pour une rentrée en septembre avec des tarifs très élevés, de l’ordre de 1 000 euros pour 18 m<sup>2</sup> en région parisienne. Ces résidences modernes se sont adaptées à cette jeunesse qui aime moins la solitude que par le passé, en développant des espaces collectifs.</p>
<p>Une nouvelle problématique est la mobilité des alternants. Certains jonglent entre leur logement et un lit chez des amis ou de longs trajets au quotidien. Plusieurs dispositifs existent (<a href="https://www.actionlogement.fr/l-avance-loca-pass">Avance loca pass</a>, <a href="https://www.actionlogement.fr/financement-mobilite">Mobili jeunes</a>) mais comportent des limites notamment en termes de visibilité. L’alternance oblige parfois à avoir deux logements, ce qui demande un taux d’effort trop important aux apprentis, notamment parce que les APL ne peuvent être attribuées à logements pour une même personne.</p>
<p>La sécurisation des parcours est aussi à repenser. Les jeunes qui sont en échec professionnel ou dans leur formation se voient obligés de retourner vivre chez leurs parents puisqu’ils se retrouvent sans filet.</p>
<h2>Construire un chez-soi</h2>
<p>Les jeunes des premiers cycles retournent souvent chez leurs parents, considérant qu’ils retournent chez eux. Ils vont progressivement s’approprier leur logement étudiant. Il est important pour eux de s’y sentir bien. Pour cela ils ajoutent des touches personnelles. Feriel, étudiante en master de 23 ans, raconte : </p>
<blockquote>
<p>« J’ai installé ma télé, j’ai posé une grande peluche à côté de mon lit, j’ai accroché un rideau qui sépare mon lit et la grande pièce de vie. J’ai posé des photos partout sur les murs, sur mon frigo. »</p>
</blockquote>
<p>Florence, étudiante en licence de 21 ans, montre l’importance d’être chez elle :</p>
<blockquote>
<p>« En sécurité, car c’est très important. J’étais dans une zone très agréable à vivre donc ce qui fait que, même dans mon studio, j’étais très bien, j’étais dans mon élément comme on peut dire chez moi, dans mon logement, j’avais un sentiment de bien-être. »</p>
</blockquote>
<p>Les étudiants souhaitent habiter un quartier près de leur lieu de formation pour économiser les frais de transport et parfois de nourriture. La sécurité du quartier est recherchée, de jour comme de nuit. Or certains étudiants ne connaissent pas forcément le territoire au moment de la signature du bail, et se retrouvent dans des quartiers au sein desquels ils ne sont pas rassurés la nuit. </p>
<p>La ville du Havre adapte les transports pour favoriser la mobilité nocturne. <a href="https://www.transports-lia.fr/fr/transport-a-la-demande-lia-de-nuit/75">Le service Lia</a> de nuit permet un transport à la demande du lundi au dimanche toute l’année entre tous les arrêts des communes desservies par ce service. Katia, 22 ans en master, précise :</p>
<blockquote>
<p>« Mon quartier est assez riche en opportunités. Déjà j’ai le tram à 5 min à pied, la plage et le square St-Roch à même pas 10 min à pied chacun, et je suis entourée de tous types de commerces et activités. »</p>
</blockquote>
<p>L’ensemble de ces éléments invitent à penser la problématique du logement étudiant de façon globale. Au-delà de l’accès au logement, il s’agit pour les jeunes d’habiter son quartier et de vivre sa vie d’étudiant ou d’étudiante.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Sandra Gaviria, professeure de sociologie, et Kisito Friday Dziwonou, étudiant en master HALIS à l’Université Le Havre-Normandie</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223497/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandra Gaviria ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand on parle de logements étudiants, on s’arrête souvent sur leur pénurie. Mais, pour un jeune, chercher une location recoupe d’autres enjeux au-delà de ces questions d’accessibilité.Sandra Gaviria, Professeure de sociologie, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230412024-02-19T14:55:37Z2024-02-19T14:55:37ZUne pauvreté invisible des jeunes en milieu rural ?<p>Si l’on pense pauvreté, une réalité urbaine vient à l’esprit. La grande ville, la banlieue, le péri-urbain. Seule exception dans cet imaginaire de pauvreté de béton : les agriculteurs. <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">Leur mobilisation</a> contre leur précarité grandissante est actuellement très médiatisée. Lorsqu’ils ne sont pas sur le devant de la scène, ils restent observés avec intérêt par les <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">chercheurs</a> et les <a href="https://theconversation.com/la-fnsea-syndicat-radical-derriere-le-mal-etre-des-agriculteurs-des-tensions-plus-profondes-222438">pouvoirs publics</a>. Trois raisons à cela : ils sont particulièrement subventionnés, le maintien de leur profession joue un rôle déterminant pour les espaces ruraux et les enjeux de <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">« souveraineté alimentaire »</a> cristallisent l’attention.</p>
<p>Mais en dehors de ce corps de métier, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/pauvres-des-champs-les-oublies-9397038">pauvreté des espaces ruraux</a> à très faible densité de population est comme invisible. Les questions de précarité et d’exclusion sociale sont très peu médiatisées lorsque l’on parle de tous les autres habitants des campagnes.</p>
<p>Depuis une vingtaine d’années, la <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1653">pauvreté monétaire</a> sur le territoire national s’accentue (elle se définit par un revenu inférieur à 60 % du revenu médian. En 2023, ce seuil est fixé à un revenu disponible de 1 102 euros par mois pour une personne seule et de 2 314 euros pour un couple avec enfants). Alors qu’en 2004, 12,6 % de Français vivaient sous le seuil de pauvreté, en 2024, ils sont <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2408282">14,5 %</a>. La pauvreté monétaire est plus importante dans les grands centres-villes, c’est vrai.</p>
<p>Mais ensuite, c’est dans les communes rurales dites « isolées et hors de l’influence des villes » qu’elle est la plus forte. Celles-ci accueillent environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283639">5 %</a> de la population métropolitaine. Que sait-on de cette pauvreté rurale ? Qu’en est-il notamment chez les jeunes ?</p>
<h2>Que sait-on de la pauvreté des jeunes ruraux ?</h2>
<p>Tout d’abord, pourquoi s’intéresser particulièrement <a href="https://theconversation.com/18-25-ans-des-jeunes-etonnamment-optimistes-et-resilients-217935">aux jeunes</a> ? Il y a environ 9 millions de personnes en situation de pauvreté en France. Les jeunes de moins de 30 ans représentent à eux seuls la <a href="https://www.inegalites.fr/La-pauvrete-selon-l-age?id_theme=21">moitié de cet échantillon</a>. Ils sont <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/30_RPC/33_PAU">deux fois</a> plus susceptibles de se retrouver dans une situation de pauvreté que ne le sont les personnes de plus de 65 ans. <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-jeunesse--9782200631352.htm">Cela s’explique</a> à la fois par un phénomène de reproduction sociale (qui exacerbe les inégalités au fil des générations) et par une redistribution des richesses et des places en défaveur des jeunes générations. La jeunesse est particulièrement hétérogène, mais elle fait face <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pour-une-politique-de-la-jeunesse-camille-peugny/9782021492439">dans son ensemble</a> à un contexte de <em>marée montante de la précarité</em>. Cependant, les choses ne sont pas les mêmes que l’on soit un jeune vivant en ville ou à la campagne.</p>
<p>Lorsqu’on s’intéresse aux chiffres, la pauvreté en milieu rural semble moins importante qu’en ville. Les ménages ruraux représentent un tiers de la population, mais un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7672092">quart des ménages pauvres</a>. Cela pourrait laisser penser que les espaces ruraux sont des espaces de « résistance » à la pauvreté, notamment chez les jeunes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1664648066094493696"}"></div></p>
<p>Ces chiffres sont trompeurs : ils dissimulent d’autres phénomènes. Le taux de pauvreté des urbains est supérieur à celui des ruraux, mais lorsque l’on s’intéresse aux actifs de moins de 30 ans, la pauvreté est <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893198">très similaire</a>. Les retraités, eux, sont même plus touchés par la pauvreté dans les campagnes que dans les villes. La sociologue Agnès Roche dénonce dans son ouvrage <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres"><em>Des vies de pauvres</em></a> les écrans de fumée qu’imposent les catégories administratives et notamment le découpage géographique de l’Insee qui homogénéise les différents espaces ruraux (périurbain, rural « profond », etc.) en un ensemble parfois incohérent. Difficile alors d’étudier les phénomènes de pauvreté dans un flou territorial.</p>
<p>Ainsi, là où les travaux statistiques tutoient parfois leurs limites, les enquêtes qualitatives réalisées auprès des jeunes ruraux permettent de mieux comprendre ces phénomènes. Elles se révèlent particulièrement éclairantes sur les questions de non-recours aux aides sociales et mettent à jour une <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres">pauvreté invisibilisée</a> et <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">stigmatisée</a> dans les campagnes.</p>
<h2>Un non-recours aux aides plus important</h2>
<p>On observe un <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">écart assez important</a> en fonction des territoires lorsque l’on étudie les jeunes à l’aune des aides qu’ils reçoivent. Dans le modèle français, une grande partie de la solidarité qui permet aux jeunes d’accéder à l’indépendance repose sur l’aide parentale. Ce système « familialiste » crée une <a href="https://www.cairn.info/politiques-de-jeunesse-le-grand-malentendu--9782353712908.htm">reproduction des inégalités</a> importante puisqu’il fait reposer l’avenir socioprofessionnel des jeunes sur les ressources de leurs parents, ressources inégales entre les familles et souvent en <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-ages-de-la-vie--9782200600501.htm">défaveur des territoires ruraux</a>. Pour autant, si la solidarité familiale est acceptée, les aides sociales sont en France particulièrement stigmatisées. Elles sont associées à l’hédonisme, à la fainéantise, à l’inaction, en bref, à <a href="https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2007-3-page-85.htm">l’imaginaire de l’assistanat</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Chez les jeunes ruraux, on observe un phénomène de <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">rejet plus prononcé</a> des aides sociales que chez les urbains. Le fait de vivre en milieu rural diminue d’ailleurs la probabilité de connaître de manière précise le RSA de <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-04/ER1263EMB.pdf">11,2 points</a>. Une opposition assez flagrante entre deux domaines symboliques se dessine dans le discours des jeunes avec lesquels nous nous sommes entretenus : d’une part, la figure du travailleur pauvre, et de l’autre, celle de l’assisté. Dans cette manière très manichéenne de percevoir son rapport à ces revenus, on tente de se placer du côté de ceux qui maîtrisent leurs expériences de vie par le travail. Être ou devenir « un assisté » devient une crainte telle qu’elle détourne souvent les jeunes d’aides auxquelles ils peuvent pourtant prétendre.</p>
<p>Plus que craindre pour l’image que l’on se fait de soi, c’est surtout le risque de stigmatisation que l’on craint. Être perçu comme un « assisté », c’est être localement « mal vu » et donc souffrir d’une mauvaise réputation. Dans des espaces où les réputations <a href="https://theses.fr/2016POIT5037">se font et se défont rapidement</a>, le fait d’être perçu comme « vivant aux crochets » des aides peut notamment limiter l’employabilité des jeunes. Ce non-recours aggrave la précarité des jeunes dans les campagnes. Il participe à une pauvreté plus silencieuse.</p>
<h2>Les jeunes femmes plus durement touchées</h2>
<p>Les jeunes ruraux sont plus souvent en <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2018-2-page-99.htm">situation d’emploi que les urbains</a> mais ils sont également sujets à des phénomènes d’<a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">exploitation dans le travail de manière récurrente</a>. Travailler sans contrat, être sous-payé, voire pas rémunéré du tout, est fréquent dans les parcours de vie de jeunes ruraux, en particulier chez les plus précaires. Parallèlement, les jeunes qui ne sont ni en emploi, étude ou stage (<a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2023/08/21/les-ni-en-emploi-ni-en-etudes-ni-en-formation-neet-en-france-un-defi-qui-reste-a-relever_6186039_1698637.html">NEET</a>) sont particulièrement nombreux dans les espaces ruraux. Ils représentent un <a href="https://pmb.cereq.fr/doc_num.php?explnum_id=2886">quart des 18-24 ans</a>, contre un cinquième en ville.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306100862708854784"}"></div></p>
<p>Les écarts entre hommes et <a href="https://theconversation.com/comment-les-stereotypes-pesent-sur-linsertion-des-femmes-non-diplomees-en-milieu-rural-174412">femmes</a> sont bien plus importants dans les campagnes. Si les territoires ruraux sont hétérogènes, on peut trouver chez les 15-24 ans, 32 % des femmes sont en activité contre 47 % des hommes. En ville, c’est 33 % des femmes de 15-24 ans et 40 % des hommes. Le chômage féminin peut être jusqu’à <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2017/2017_02_jeunesse_territoires_ruraux.pdf">deux fois supérieur</a> à celui des hommes dans certaines zones rurales.</p>
<p>Les inégalités territoriales, des politiques inadaptées et le manque d’intérêt jouent le jeu d’une pauvreté invisible et parfois trop silencieuse des jeunes en milieu rural. Leurs aspirations et leurs besoins semblent rarement pris en considération. Les politiques publiques à destination des jeunes sont urbanocentrées, et lorsque l’on s’intéresse aux habitants des territoires ruraux, il s’agit plus de « bricolage » administratif que de grands plans d’action adaptés et construits. On omet souvent la très grande hétérogénéité de ces espaces, et donc, de leurs besoins. Si la pauvreté semble numériquement plus faible dans les campagnes, elle cache d’autres phénomènes : « […] de stigmatisation, d’assignation territoriale et enferme dans une pauvreté silencieuse » comme le souligne <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2010-2-page-7.htm">Amélie Appéré De Sousa</a>, qui a collaboré avec l’Observatoire Régional de Santé Bourgogne. Il est nécessaire de ne plus penser les espaces ruraux comme en périphérie ou à la marge des réalités contemporaines. Ces espaces représentent plus des deux tiers du territoire français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les jeunesses font face à une montée de la précarité. Les jeunes urbains sont particulièrement étudiés, mais qu’en est-il dans les campagnes ?Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204472024-01-18T17:19:25Z2024-01-18T17:19:25ZCe que coûte vraiment l’aide médicale d’État<p>En décembre 2023, le <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">projet de loi « immigration »</a> a finalement été adopté en excluant le volet dédié à l’Aide médicale d’État (AME).</p>
<p>Mais quand il s'est installé à Matignon, Gabriel Attal, le nouveau premier ministre, a dit vouloir tenir la promesse faite par sa prédécesseure, Élisabeth Borne, qui s'était engagée, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-dans-une-lettre-a-gerard-larcher-elisabeth-borne-annonce-une-reforme-de-l-aide-medicale-d-etat-20231218">dans un courrier envoyé au président du Sénat</a>, à réformer l’AME.</p>
<p>Gabriel Attal envisagerait <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/19/sur-la-reforme-de-l-ame-la-droite-attend-de-voir-pour-croire-les-engagements-de-gabriel-attal_6211730_823448.html">une réforme législative et réglementaire</a>. Reste à savoir quelle pourrait être concrètement la teneur de cette réforme de l'AME et quand elle surviendra.</p>
<h2>Un droit non automatique et complexe à obtenir</h2>
<p>L’AME permet aux sans-papiers de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074069/LEGISCTA000006142840/#LEGISCTA000006142840">bénéficier d’une couverture des frais médicaux pendant un an renouvelable</a> s’ils peuvent prouver leur présence en France depuis au moins 3 mois et si leurs ressources ne sont pas supérieures à 810 euros mensuels.</p>
<p>L’AME ne concerne qu’une partie des migrants, les plus précaires par leur statut administratif et les plus pauvres. Il s’agit d’un droit quérable (il faut le demander), qui plus est particulièrement complexe à obtenir du fait de la lourdeur des démarches administratives pour des personnes en difficultés financières et linguistiques qui craignent d’être signalées aux autorités et expulsées.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-immigration-quel-sort-pour-laide-medicale-de-letat-ce-que-nous-dit-la-recherche-scientifique-219943">Loi immigration : quel sort pour l'aide médicale de l’État ? Ce que nous dit la recherche scientifique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Remplacer l’AME par une aide médicale d’urgence présentée comme moins onéreuse</h2>
<p>Dans le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/controler-l-immigration-ameliorer-l-integration-adoption-du-projet-de-loi-apres-accord-de-la-commission-mixte-paritaire">projet de loi « immigration » qui a finalement été adopté en décembre 2023</a>, il n’est plus fait état de l’AME. Mais une réforme de l’AME était intégrée dans une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/12/19/projet-de-loi-immigration-tout-ce-qui-a-change-entre-le-projet-initial-la-version-du-senat-et-de-l-assemblee-et-celle-de-la-cmp_6205115_4355771.html">version précédente proposée par le Sénat</a>. Elle visait à « transformer » l’AME en aide médicale d’urgence (AMU) pour la réserver aux soins vitaux. Reste à savoir si c’est sur cette base que pourrait être modifié ce dispositif en 2024.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si la réforme de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/aide-medicale-detat-ame-148762">AME</a> devait suivre les préconisations du Sénat, les soins de premier recours ne seraient plus pris en charge par l’Assurance maladie et il faudrait attendre d’être à l’article de la mort pour pouvoir être soigné à l’hôpital. L’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1745-tiii-a41_rapport-fond.pdf#page=12">AMU existe déjà</a>. Il ne s’agit donc pas de transformer l’AME en AMU mais tout simplement de supprimer l’AME.</p>
<h2>L’AME, c’est 0,5 % des dépenses annuelles de santé</h2>
<p>C’est un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1244_rapport-information">rapport parlementaire récent</a> qui est à l’origine du projet de remplacement de l’AME par une AMU. Selon ce rapport, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1745-tiii-a41_rapport-fond.pdf#page=17">l’AMU ne coûterait que 70 millions d’euros contre 1,1 milliard d’euros pour l’AME de droit commun</a> dont bénéficiaient 350 000 patients en 2021.</p>
<p>Or l’AME en tant que telle ne représente qu’une goutte d’eau dans les dépenses de santé, soit 0,468 %. Ainsi on peut se demander si c’est vraiment son coût qui pose problème, ou si ce ne sont pas plutôt les patients concernés qui sont visés, c’est-à-dire les sans-papiers.</p>
<p>Pour obtenir ce pourcentage de presque 0,5 %, les dépenses de 1,1 milliard d’euros correspondants à l’AME sont comparés à <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse-documents-de-reference/panoramas-de-la-drees/les-depenses-de">l’ensemble des dépenses de santé qui s’établissaient à 235,8 milliards d’euros pour l’année 2022</a>.</p>
<p>Le montant de 1,1 milliard est jugé trop élevé pour sauver des migrants. Mais à titre de comparaison, selon certaines estimations, les assurés paient, par exemple, <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/les-depassements-dhonoraires-des-medecins-repartent-a-la-hausse-1410079">3 milliards d’euros par an en dépassements d’honoraires</a> à l’hôpital ou chez le médecin de ville (on parle de « dépassements d’honoraires » quand les soins sont facturés à des tarifs qui dépassent ceux fixés par l’Assurance maladie).</p>
<p>De plus, s’il faut attendre que les patients soient gravement malades pour les prendre en charge, la dépense de santé ne sera pas seulement différée, elle sera majorée. Les malades seront soignés dans des situations plus critiques qui nécessiteront des soins plus lourds donc plus coûteux. La <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/entretien-suppression-de-lame-quand-on-est-medecin-on-doit-soigner-tout-le-monde-04354f22-8224-11ee-a407-397218b61e71">collectivité a toujours intérêt à prendre en charge précocement les malades</a> à la fois au nom de la santé publique mais aussi au nom des finances publiques.</p>
<h2>Le risque d’aggraver la surcharge des services dédiés aux plus précaires</h2>
<p>Il en va particulièrement des sans-papiers dont la vie en France est particulièrement difficile du fait de la précarité des revenus et du délabrement des logements qui accroissent substantiellement la probabilité d’être malade. On ne comprend pas bien ce que la collectivité a à gagner à laisser les problèmes de santé physique et mentale s’aggraver. La santé des uns dépend aussi de celle des autres.</p>
<p>La transformation de l’AME en AMU ne supprimerait pas la maladie. Elle ne ferait qu’interdire la prise en charge des frais de santé si le pronostic vital n’est pas engagé. En supprimant l’AME, on organiserait le renoncement aux soins et on planifierait le retard de soin. Le risque serait d’aggraver le marasme de l’hôpital, épuisé par la crise Covid.</p>
<p>On programmerait ainsi une surcharge insoutenable des Permanences d’accès aux soins de santé dédiées aux personnes démunies (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-de-sante-vos-droits/modeles-et-documents/article/les-permanences-d-acces-aux-soins-de-sante-pass">PASS</a>) et des Services d’accueil et d’urgences (<a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/le_deroulement_de_votre_prise_en_charge_au_sau.pdf">SAU</a>) déjà saturés. Cela planifierait aussi un surcroît de mortalité chez les migrants comme le montre le <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/eecrev/v131y2021ics0014292120302385.html">cas espagnol</a>.</p>
<h2>Les sans-papiers avec AME ne vont pas davantage chez le médecin</h2>
<p>L’hôpital, et notamment ses services d’urgence, serait impacté par une suppression de l’AME du fait de l’arrivée des personnes malades dans des situations de santé plus dégradées. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le fait que ce sont les soins de ville, les séances chez le généraliste, qui sont visés par cette mesure.</p>
<p>l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé <a href="https://www.irdes.fr/recherche/2023/qes-284-une-analyse-des-consommations-de-soins-de-ville-des-personnes-couvertes-par-l-aide-medicale-de-l-etat.html">IRDES</a> a comparé la consommation de soins en médecine de ville d’un échantillon de la population bénéficiaire de l’AME avec un échantillon de la population couverte par la Couverture maladie universelle complémentaire (la CMU-C, qui s’appelle aujourd’hui la <a href="https://www.ameli.fr/assure/remboursements/cmu-aides-financieres/complementaire-sante-solidaire">Complémentaire santé solidaire</a>, est destinée aux personnes à faibles revenus en situation régulière).</p>
<p>La comparaison est menée avec les mêmes caractéristiques d’âge et de sexe, les mêmes critères de revenus pour être éligibles (moins de 810 euros mensuels) et sur un panier de soins à couverture identique, ce qui exclue de l’étude les soins dentaires et d’optique qui sont moins bien pris en charge par l’AME que par la CMU-C.</p>
<p>Il en ressort que pour les deux populations, l’assurance santé permet surtout d’accéder aux généralistes avant d’arriver à l’hôpital ou aux urgences quand les choses sont aggravées, ce que précisément le projet de loi veut supprimer.</p>
<p>Il n’y a pas de surcroît de consommation de soins par les sans-papiers. En d’autres termes, les sans-papiers qui bénéficient de l’AME ne se rendent pas plus chez le médecin que les personnes en situation régulière dont la situation de vie est comparable. Ce n’est pas le titre de séjour qui dicte la consommation mais l’état de santé.</p>
<h2>Près d’une personne éligible sur deux n’a pas l’AME</h2>
<p>Le mythe de « l’appel d’air » a pourtant la vie dure. Ce serait pour séjourner à l’hôpital Avicenne de Bobigny en Seine-Saint-Denis, ou ailleurs en France, que les migrants prendraient la mer sur des canots de fortune. Ils décideraient de traverser le désert libyen, d’affronter les passeurs et de risquer leur vie pour se précipiter gaiement aux guichets de l’administration française et affronter le labyrinthe administratif décuplé par la détérioration des services publics.</p>
<p>La réalité est tout autre. Comment l’AME pourrait-elle décider des migrations alors que les migrants ne la demandent pas ? Alors même qu’ils tombent malades sur le sol français ? En effet, l’une des caractéristiques essentielles de l’AME est qu’elle fait l’objet d’un <a href="https://www.irdes.fr/recherche/enquetes/premiers-pas/note-methodologique-immigrer-pour-raisons-de-sante-enseignements-de-l-enquete-premiers-pas.pdf">non recours exceptionnel de 49 %</a>. Même après cinq années ou plus de résidence en France, <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">35 % des personnes sans titre de séjour n’ont pas l’AME</a>.</p>
<h2>Le mythe de « l’appel d’air » battu en brèche par les études scientifiques</h2>
<p>La thèse du tourisme médical ou de l’appel d’air est <a href="https://sorbonne-paris-nord.hal.science/hal-02424798/document">absurde</a>. Selon un rapport du Comede (<a href="https://www.comede.org/wp-content/uploads/2019/06/Rapport-Comede-2019.pdf">2019</a>), dans la plupart des cas (70 % pour l’ensemble des pathologies), les migrants découvrent leur maladie après leur arrivée en France. Rien dans les travaux scientifiques ne vient corroborer la thèse de l’appel d’air.</p>
<p>Aucune étude n’a montré que les migrants venaient en France pour des raisons de santé. Au contraire, la santé est une raison secondaire. <a href="https://www.srlf.org/article/suppression-laide-medicale-detat-ame">Aucune justification médicale</a> ne vient soutenir la suppression de l’AME. Les médecins y voient au contraire une atteinte à ce qui fait la fierté de leur métier. Le débat sur l’AME est exemplaire de l’impuissance des scientifiques à ébranler les spéculations des dogmatiques.</p>
<h2>Les immigrés contribuent aux budgets sociaux</h2>
<p>Alors qu’il n’y a pas de spécificité de la santé des migrants, la prise en charge de leurs soins est systématiquement agitée en problème politique distinctif. Tout ça parce que derrière la dénonciation de l’AME, c’est l’immigration qui est attaquée en brandissant une AME fantasmée alimentée par de nombreuses <a href="https://www.medecinsdumonde.org/ame-laide-medicale-detat/">désinformations listées par Médecins du monde</a>.</p>
<p>Les immigrés sont des contributeurs nets aux budgets sociaux (ils contribuent davantage qu’ils ne reçoivent de prestations sociales). Les immigrés actifs, âgés de 25 à 54 ans et représentant environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381759#tableau-figure1">50 % de la population immigrée</a> en moyenne entre 2016 et 2022, <a href="https://hal.science/hal-04065384/">ne génèrent initialement aucun coût en matière d’éducation ou de prestations sociales à leur arrivée en France</a>.</p>
<p>En bonne santé, en raison des exigences d’entrée strictes de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), <a href="https://hal.science/hal-04065384/">ces travailleurs étrangers cotisent et ont un faible impact sur les dépenses des caisses de sécurité sociale</a>. Les immigrés âgés de 55 ans et plus, représentant environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381759#tableau-figure1">30 % des immigrés</a> en moyenne entre 2016 et 2022, contribuent de manière indirecte à <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2022-4-page-529.htm">alléger les dépenses de santé en France</a>.</p>
<h2>L’AME : un problème d’intégration dans le système de santé, non d’immigration</h2>
<p>Les problèmes de l’AME ne sont pas ceux de l’immigration mais ceux de l’absence d’intégration. L’AME est un système administratif parallèle à la Sécurité sociale et un loupé de l’universalisation de la protection santé. Toute l’histoire de la sécurité sociale a consisté à permettre à tous les résidents de bénéficier de la même couverture de base.</p>
<p>En isolant les sans-papiers des autres, il devient facile de les montrer du doigt pour laisser s’exprimer le ressentiment d’une partie de la population dont les frais de santé sont en augmentation, du fait des stratégies de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/capital_sante-9782707182135">privatisation de la santé</a>.</p>
<p>L’absence de régime commun permet de sortir les personnes sans titre de séjour de la société comme s’ils n’étaient pas des égaux ou des semblables. C’est au contraire la fusion de l’AME dans le régime général de Sécurité sociale qui garantira un droit inaliénable aux soins de santé, protégeant la dignité de tout être humain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’aide médicale d’État pourrait être réformée en 2024, comme promis par l’ancienne première ministre Élisabeth Borne. Pourtant les études montrent que son coût est limité pour la Sécurité sociale.Philippe Batifoulier, Professeur d'économie / CEPN (UMR 7234 CNRS), Université Sorbonne Paris NordNader Nefzi, Post-doctorant en économie / CEPN (UMR 7234 CNRS), Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203202024-01-18T14:49:04Z2024-01-18T14:49:04ZLe nouveau président argentin, Javier Milei, est-il d’extrême droite ? La réponse n’est pas simple<p>Une onde de choc secoue l’Argentine <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2028009/argentine-vote-presidentielle-massa-milei">depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, le 10 décembre</a>. </p>
<p>Son idéologie qualifiée « d’anarcho-capitaliste » promet de grands bouleversements dans un pays caractérisé par une longue tradition étatique, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/largentine-en-pleine-crise-lance-une-nouvelle-serie-de-mesures-contre-linflation-1972952">et aux prises avec une profonde crise économique</a>. </p>
<p>Le caractère radical de ses propositions aura réussi à lui attirer de nombreux Argentins, mais à s’en aliéner tout autant, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2038012/argentine-greve-generale-24-janvier-reforme-javier-milei">avec plusieurs appels à la grève générale</a>. </p>
<p>Des analystes ont essayé de comprendre les liens idéologiques entre Javier Milei et les divers mouvements d’extrême droite qui ont émergé au cours des vingt dernières années, particulièrement en Europe et aux États-Unis. </p>
<p>Doctorant en science politique à l’Université Laval, mes recherches portent sur les autoritarismes, particulièrement en Argentine. Je souhaite ainsi explorer les relations entre Javier Milei et la mouvance d’extrême droite. </p>
<h2>Attention aux comparaisons rapides</h2>
<p>Javier Milei <a href="https://theconversation.com/le-dilemme-milei-et-lavenir-incertain-de-largentine-219556">peut être décrit comme un populiste</a>. Cette association est pertinente, voire naturelle, si l’on regarde ses multiples références à des figures d’extrême droite telles que <a href="https://twitter.com/JMilei/status/1727501082560205296">Donald Trump</a>, le Brésilien <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/javier-milei-elu-president-de-l-argentine-recoit-les-felicitations-de-donald-trump-et-jair-bolsonaro_6201217_3210.html">Jair Bolsonaro</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Santiago_Abascal">l’Espagnol Sergio Abascal</a>, président de la formation Vox, <a href="https://thediplomatinspain.com/en/2023/11/milei-invites-abascal-to-his-inauguration-as-argentine-president/">qu’il a invité à son investiture</a>.</p>
<p>Ses appels à lutter contre le « gauchisme », <a href="https://www.infobae.com/opinion/2022/05/20/javier-milei-y-su-guerra-contra-el-marxismo-cultural-la-oscura-historia-detras-del-termino/">ses critiques du « marxisme culturel »</a> et son caractère ouvertement antisystème renforcent cette identification.</p>
<p>Cependant, ce rapprochement assez simpliste fait fi de divergences importantes avec le programme de Milei, notamment en matière de politique économique et migratoire. Ainsi, malgré les similitudes, des divergences importantes existent, en particulier dans la manière dont chaque mouvement comprend le rôle de l’État et sa relation avec la société dans son ensemble. </p>
<p>En particulier, j’aimerais attirer l’attention sur une différence centrale, soit le rôle du nationalisme, ainsi que sur les nouveautés apportées par Milei dans le contexte de la montée de la droite au niveau global.</p>
<h2>Le nationalisme nativiste au cœur de l’extrême droite</h2>
<p>Dans un article de synthèse, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">Matt Golder</a>, professeur de science politique à la Pennsylvania State University, analyse la littérature scientifique sur les partis politiques d’extrême droite en Europe. Il y trouve trois éléments de plus en plus caractéristiques de ce mouvement, soit le « nationalisme », le « populisme » et le « radicalisme ».</p>
<p>Le nationalisme exposé par des partis d’extrême droite peut être décrit comme du « nativisme ». En suivant <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">Cas Mudde</a>, professeur du département de science politique à l’University of Georgia, le « nativisme » est compris comme « du nationalisme plus de la xénophobie ». Il est basé sur l’idée de l’existence d’une population « native », imaginaire, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">construite sur des aspects généralement culturels ou ethniques</a>, et dont l’homogénéité doit être protégée de tout élément qui lui est étranger et externe. </p>
<p>En concevant cette communauté homogène, le <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">nativisme s’ajoute au nationalisme, conçu comme la congruence entre État et nation</a>, soit l’élément de la xénophobie mentionné par Cas Mudde. Ce faisant, les mouvements d’extrême droite avancent une préférence radicalisée pour tout ce qui peut être défini comme appartenant à la « communauté nationale ».</p>
<p>Cette version du nationalisme est bien connue et il est facile d’en trouver des exemples européens et américains : les appels contre le « Grand remplacement » exprimés par <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220214-le-grand-remplacement-o%C3%B9-la-machine-%C3%A0-fantasmes-de-l-extr%C3%AAme-droite">Éric Zemmour</a>, les mises en garde contre les immigrants de <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/the-snake-song-lyrics-trump-b2464914.html">Donald Trump</a>, ou l’islamophobie de <a href="https://www.spiegel.de/international/germany/interview-with-frauke-petry-of-the-alternative-for-germany-a-1084493.html">l’Alternative pour l’Allemagne</a>, entre autres. </p>
<p>Ce nativisme des partis d’extrême droite devient un fondement de leurs projets politiques, incluant leur politique économique.</p>
<p>C’est pour cette raison que l’extrême droite contemporaine avance aussi des projets nettement protectionnistes. L’euro-scepticisme, la nationalisation, ainsi que le discours anti-globalisation sont des éléments partagés par une grande partie des mouvements d’extrême droite. La racine de ces projets est la croyance en une communauté nationale, définie en termes soit ethnique, soit culturel, qui doit être protégée de l’influence d’éléments provenant de l’extérieur. </p>
<h2>Libéraliser l’économie, la priorité de Milei</h2>
<p>On ne trouve pas l’élément du nativisme du côté de Javier Milei, bien que sa liste de promesses puisse surprendre en raison de son caractère radical et par son ampleur.</p>
<p>Les projets et la plate-forme de son parti, La Libertad Avanza (LLA), constituent plutôt une opposition claire au nativisme, répandu en Argentine et représenté par le mouvement péroniste. Les accusations concernant sa prétendue idéologie anti-immigration ne sont pas non plus fondées, du moins jusqu’ici.</p>
<p>Le programme de Javier Milei parle d’immigration que de façon marginale. Il suffit de lire la <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/JUJUY%2079%20PARTIDO%20RENOVADOR%20FEDERAL%20-PLATAFORMA%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA.pdf">plateforme électorale</a> de LLA, où les sujets de la « nation » ou de l’immigration sont relativement absents. </p>
<p>Il est vrai que l’Argentine a reçu proportionnellement, ces dernières années, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=ARG&codeTheme=1&codeStat=SM.POP.NETM">moins d’immigrants que la majorité des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord</a>. Le débat concerne davantage l’universalité du service de santé et d’éducation, grâce à laquelle toute personne, sans égard à sa condition migratoire <a href="https://sherloc.unodc.org/cld/uploads/res/document/ley-de-migraciones-25871-english_html/Ley_de_Migraciones_25871_English.pdf">peut disposer du système de santé publique (même les touristes) et d’éducation gratuite</a>. Javier Milei n’est donc pas tant opposé à l’immigration (il a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xfNnAKnHxGo">même exprimé son appui</a>), mais à certain type de dépenses de l’État qui y sont associés. </p>
<p>En revanche, la libéralisation a constitué et continue à être le pilier de son programme, parfaitement incarnée dans la proposition d’élimination de la banque centrale et l’instauration de la libre concurrence monétaire. <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/CABA%20501%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA%20ADHIERE%20PLATAFORMA%20ON.pdf">Son programme</a> inclut aussi la dollarisation, l’optimisation et la diminution de la taille de l’État, l’ouverture au commerce international, la réforme du code de travail, de la loi sur la santé mentale, des réglementations des services médicaux.</p>
<h2>Attendre avant de juger le projet politique de Milei</h2>
<p>Autrement dit, malgré le style populiste et le caractère radical de ses propositions, l’approche de Milei rend difficile son identification immédiate, sans d’autres qualificatifs, avec l’extrême droite européenne et américaine. </p>
<p>Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut exclure le phénomène de Milei de la famille élargie de l’extrême droite. Comme <a href="https://www.bbc.com/mundo/articles/c983y398v0do">Cristóbal Rovira, professeur à la Pontificia Universidad Católica de Chile, affirme</a> cette « famille » n’a pas d’éléments qui sont nécessairement partagés par tous ses membres. Cependant, il oblige à reconsidérer les associations immédiates et faciles. Le fait que Javier Milei ait déclaré sa préférence pour Trump ne fait pas de lui un Trumpiste.</p>
<p>Il y a certainement des individus à l’intérieur de son parti politique qui se montrent plus proches des projets politiques de Donald Trump ou de Sergio Abascal. Cependant, les positionnements personnels de Javier Milei définissent en grande partie ce que l’on peut attendre de son gouvernement et le caractère de son projet politique.</p>
<p>Bien que Milei affirme lui-même sa parenté idéologique avec des leaders souvent inclus dans la grande famille de l’extrême droite contemporaine, les éléments de son programme et le cœur de son idéologie imposent le maintien d’une certaine distance. De façon plus large, la mise en contexte de tout phénomène politique est nécessaire afin de comprendre leur nouveauté et implication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220320/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Federico Chaves Correa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des aspects du programme du président argentin Javier Milei s’apparentent à l’extrême droite, mais d’autres pas. Sans l’exclure de cette mouvance, il faut attendre avant de juger son projet politique.Federico Chaves Correa, Doctorant en science politique, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199432023-12-17T15:42:51Z2023-12-17T15:42:51ZLoi immigration : quel sort pour l'aide médicale de l’État ? Ce que nous dit la recherche scientifique<p>Alors que le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/12/11/projet-de-loi-immigration-tout-ce-qui-a-change-entre-le-projet-initial-la-version-du-senat-et-le-texte-soumis-aux-deputes_6205115_4355770.html#huit-anchor-suppression-de-laide-medicale">projet de loi « immigration »</a> arrive ce lundi 18 décembre en commission mixte paritaire, la question se pose de savoir quel sort sera réservé à l’aide médicale de l’État (AME), cette couverture maladie dont peuvent bénéficier les étrangers en situation irrégulière.</p>
<p>L’AME se retrouve en effet au cœur de la séquence législative actuelle. Ce droit à l’accès aux soins et à la protection de la santé des personnes résidant sur le territoire français sans titre de séjour est fortement menacé depuis le début de l’examen du <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">« Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration »</a>.</p>
<p>Le 7 novembre dernier, le Sénat vote la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/09/aide-medicale-d-etat-trois-questions-sur-sa-suppression-votee-au-senat_6199192_4355770.html">suppression</a> de l’AME pour la remplacer par une simple aide médicale d’urgence, beaucoup plus restrictive et conditionnée au paiement d’un forfait annuel fixé par décret, alors que les <a href="https://www.la-croix.com/France/Immigration/Immigration-Edouard-Philippe-detaille-durcissement-mesures-soin-2019-11-05-1201058545">conditions d’accès à l’AME ont déjà été durcies en 2019</a>.</p>
<p>Elle est ensuite <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/29/projet-de-loi-immigration-les-deputes-retablissent-l-aide-medicale-d-etat_6203008_823448.html">rétablie</a> par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 29 novembre.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>L’AME sera-t-elle remise en question par la commission mixte paritaire composée de sénateurs et de députés, sachant que le gouvernement a pris l’engagement de la réformer sur la base notamment du <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/292122-laide-medicale-de-letat-rapport-officiel-claude-evin-patrick-stefanini">rapport établi par Claude Evin et Patrick Stefanini</a> ? À noter que d’autres dispositifs pourtant fondamentaux, tels que le <a href="https://sfsp.fr/suivre-l-actualite/les-actualites-generales-de-la-sante-publique/les-dernieres-actualites/20-espace-presse/64042-apres-l-ame-defendons-le-droit-au-sejour-pour-raisons-de-sante">titre de séjour pour raisons médicales délivré aux étrangers malades nécessitant une prise en charge</a>, sont également menacés.</p>
<h2>Un débat politique qui s’appuie peu sur les savoirs scientifiques et la parole des spécialistes</h2>
<p>Les arguments en faveur de l’accès des étrangers en situation irrégulière à la médecine de ville, et pas seulement à la médecine d’urgence, sont pourtant nombreux : mieux garantir le droit fondamental à la santé pour toutes et tous, éviter l’engorgement des services d’urgence, allouer les ressources plus efficacement, ou encore mieux prévenir et contrôler les maladies transmissibles.</p>
<p>Et contrairement à ce qui est <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/defacto/defacto-031/">souvent avancé</a> dans le débat politique, l’argument dit <a href="https://academic.oup.com/eurpub/article/27/4/590/3966622">« économique »</a> est aussi en faveur de l’AME. Elle <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/284-une-analyse-des-consommations-de-soins-de-ville-des-personnes-couvertes-par-l-aide-medicale-de-l-etat.pdf">n’entraîne pas de surconsommation de soins</a> et minimiserait les coûts pour le système de santé en évitant la prise en charge tardive et plus onéreuse des pathologies. En d’autres termes : le coût de l’exclusion des étrangers en situation irrégulière des soins courants serait supérieur au coût de l’inclusion. Enfin, l’exemple de l’Espagne est là pour rappeler la dangerosité de telles mesures : instaurée en 2012, la restriction de l’accès aux soins des migrants a entraîné une <a href="https://doi.org/10.1016/j.euroecorev.2020.103608">hausse de leur mortalité</a>, l’accès ayant ensuite été rétabli en 2016.</p>
<p>Ces faits, documentés par les <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">scientifiques</a> et largement relayés par les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html">soignants</a>, les <a href="https://sfsp.fr/suivre-l-actualite/les-actualites-generales-de-la-sante-publique/le-dossier-du-mois/item/64041-impact-sur-la-sante-du-projet-de-loi-immigration">associations</a> et les <a href="https://www.srlf.org/article/suppression-laide-medicale-detat-ame">sociétés savantes</a>, semblent peu pris en compte dans le débat politique actuel.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">L’aide médicale d’État, un droit « républicain » sur la sellette</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Un accès limité à la couverture santé pour les immigrés précaires, malgré les dispositifs existants</h2>
<p>Bien qu’ils bénéficient d’un droit à la protection de la santé, les immigrés en situation de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/precarite-26102">précarité</a>, en particulier ceux sans titre de séjour, n’ont souvent aucune couverture maladie effective. Parmi les causes les plus courantes figurent les <a href="https://www.medecinsdumonde.org/statement/rapport-2022-de-lobservatoire-de-lacces-aux-droits-et-aux-soins/">obstacles juridiques et administratifs</a>, les <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0192916">difficultés financières</a>, les <a href="https://doi.org/10.1186/s12889-020-08749-8">barrières linguistiques et les problèmes de communication</a> qui entravent la « navigation » dans le système social et de santé, la <a href="https://doi.org/10.1186/s12889-019-8124-z">discrimination dans l’accès aux soins</a> ou encore la <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2011.08.016">peur d’être signalé aux autorités et potentiellement expulsé</a>.</p>
<p>En France, les immigrés en situation régulière (dont les personnes ayant le statut de réfugié et les demandeurs d’asile) ont droit au régime général de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/securite-sociale-21864">Sécurité sociale</a>. Ce sont les immigrés sans titre de séjour résidant sur le sol français depuis plus de trois mois qui peuvent quant à eux bénéficier de l’<a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3079">AME</a>, ce programme national de couverture maladie gratuite <a href="https://doi.org/10.4000/remi.5870">mis en place en 2000</a>.</p>
<p>L’AME permet de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074069/LEGISCTA000006142840/#LEGISCTA000006142840">bénéficier</a> d’une prise en charge à 100 % – avec dispense d’avance de frais et dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale – des soins médicaux et dentaires, des médicaments remboursés par la Sécurité sociale (sauf ceux « à service médical rendu faible »), des frais d’analyses, des frais d’hospitalisation et d’intervention chirurgicale, de certaines vaccinations et certains dépistages, ainsi que des frais liés à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse, etc. Pour bénéficier de l’AME, les personnes doivent fournir une preuve (i) d’identité, (ii) de résidence continue en France depuis au moins trois mois, et (iii) de faibles ressources financières (environ 10 000 € par an pour une personne seule).</p>
<p>L’enquête <a href="https://www.irdes.fr/recherche/enquetes/premiers-pas/actualites.html">Premiers pas</a> conduite par l’Institut de recherche en documentation et en économie de la santé (Irdes) en 2019 a montré que <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">seules 51 % des personnes éligibles étaient effectivement couvertes par l’AME</a>. Ce constat alarmant s’applique plus particulièrement aux immigrés en situation de précarité, à l’instar de ceux suivis dans les Centres d’Accueil de Soins et d’Orientation (CASO) de Médecins du Monde en France : en <a href="https://www.medecinsdumonde.org/statement/rapport-2022-de-lobservatoire-de-lacces-aux-droits-et-aux-soins/">2021, 81 % des personnes éligibles suivies dans les CASO ne disposaient d’aucune couverture maladie</a>.</p>
<h2>Le projet Makasi : une recherche communautaire, participative et interventionnelle</h2>
<p>Garantir un meilleur accès à la couverture maladie pour les immigrés les plus précaires, souvent mal informés de leurs droits, représente donc un enjeu sociétal et de santé publique majeur. La <a href="http://journals.openedition.org/remi/24871">recherche communautaire, participative</a> et <a href="https://doi.org/10.1111/hex.13201">interventionnelle</a> peut aider à répondre à cet enjeu. Nous rapportons ici les <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2023.116400">résultats d’une étude</a> sur l’impact d’une intervention de <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/wp-content/uploads/2021/12/DF29.pdf">renforcement de la capacité d’agir</a> (<em>empowerment</em> en anglais) en matière de santé sur l’accès à la couverture maladie.</p>
<p>Entre 2018 et 2021, nous avons mené le projet <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> auprès d’immigrés originaires d’Afrique subsaharienne en situation de précarité résidant en Île-de-France, une population marginalisée et vulnérabilisée, <a href="https://books.openedition.org/ined/876">dont l’état de santé se dégrade avec la durée de séjour en France</a>. Cette population tend en outre à être exclue du système de santé français en raison <a href="https://doi.org/10.1136/jech-2019-213394">d’une absence de couverture maladie et d’un accès limité aux soins et à la prévention</a>.</p>
<p>« Makasi » signifie « fort, costaud, résistant » en Lingala, une langue parlée dans les deux Congo.</p>
<p>Le projet <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> a rassemblé les associations <a href="https://www.afriqueavenir.fr/">Afrique Avenir</a> et <a href="https://www.arcat-sante.org/">Arcat</a>, un groupe de pairs, ainsi que des équipes de recherche du <a href="https://www.ceped.org/">Ceped</a>, du <a href="https://dial.ird.fr/">LEDa-DIAL</a> et de l’<a href="https://iplesp.fr/equipes/eres">ERES</a>. Ce projet comportait trois dimensions principales :</p>
<ul>
<li><p>Un travail social et de médiation en santé réalisé en routine par Afrique Avenir et Arcat, dans une démarche d’<a href="https://doi.org/10.3917/cact.059.0009">aller-vers</a> ;</p></li>
<li><p>Une <a href="https://doi.org/10.1186/s12889-019-7943-2">intervention</a> innovante d’<a href="https://www.pulaval.com/livres/empowerment-et-intervention-developpement-de-la-capacite-d-agir-et-de-la-solidarite">empowerment</a> en matière de santé et de santé sexuelle proposée aux personnes éligibles. L’intervention Makasi – basée sur les principes de l’<a href="https://www.guilford.com/books/Motivational-Interviewing/Miller-Rollnick/9781462552795">entretien motivationnel</a> et associée à une orientation active et un bilan personnalisé en santé sexuelle – consistait en un entretien de 30 minutes avec une médiatrice dans un des camions des associations ;</p></li>
<li><p>Un travail de recherche basé sur des données collectées par questionnaire au moment de l’inclusion dans l’étude, puis 3 et 6 mois après ainsi qu’un volet qualitatif à partir d'observations et d'entretiens répétés avec les participants.</p></li>
</ul>
<h2>Un programme francilien qui a amélioré l’accès à l’AME pour les participants</h2>
<p>Cette démarche nous a permis d’atteindre des personnes en situation de grande précarité – souvent exclues des enquêtes sur la santé : précarité administrative (75 % n’avaient pas de titre de séjour), alimentaire (45 % avaient connu la privation alimentaire au cours du mois précédent l’enquête) ou encore liée au logement (69 % n’avaient pas de logement stable).</p>
<p>Nos résultats montrent d’abord que les taux de couverture santé étaient très faibles lors de l’inclusion des participants dans l’étude (c’est-à-dire avant la mise en place de l’intervention) : seulement 57 % d’entre eux étaient effectivement couverts, faisant écho aux faibles taux mis en évidence notamment dans l’enquête <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">Premiers pas</a>.</p>
<p>En revanche, l’intervention <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> a nettement contribué à améliorer l’accès des participants à la couverture maladie. Sans détailler les aspects méthodologiques, <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2023.116400">disponibles ailleurs</a>, il est important de préciser ici que nous nous sommes donné les moyens de mesurer l’impact propre de l’intervention, c’est-à-dire indépendamment des autres facteurs influençant l’accès à la couverture maladie, par exemple la durée depuis l’installation en France ou la maîtrise de la langue française.</p>
<p>Ainsi, la probabilité de bénéficier d’une couverture maladie a augmenté de 18 points de pourcentage trois mois après avoir reçu l’intervention (passant de 57 % avant l’intervention à 75 % trois mois après), et de 29 points de pourcentage six mois après avoir reçu l’intervention (passant de 57 % avant l’intervention à 86 % six mois après).</p>
<p>L’enquête <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/244-etudier-l-acces-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-sans-titre-de-sejour.pdf">Premiers pas</a> avait identifié la durée de séjour en France comme le <a href="https://doi.org/10.1017/S1744133122000159">principal déterminant</a> de l’accès à l’AME : après 5 ans de résidence ou plus sur le territoire français, <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">35 % des personnes sans titre de séjour ne bénéficiaient toujours pas de l’AME</a>.</p>
<p>À cet égard, nos résultats sont d’autant plus importants qu’ils montrent qu’une amélioration importante de l’accès à la couverture santé peut être obtenue en peu de temps – dans notre cas de trois à six mois, et indépendamment du nombre d’années passées en France – grâce à une intervention d’<em>empowerment</em> hors les murs.</p>
<p>Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce fort impact de l’intervention <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> : l’orientation active des participants vers les services sociaux et de santé les mieux à même de répondre à leurs besoins en matière de protection sociale, mais aussi le renforcement de la capacité d’agir des participants en matière de santé, grâce notamment à un meilleur outillage en termes de connaissances des ressources sociales et de santé.</p>
<h2>Garantir et renforcer l’accès à la couverture santé des immigrés les plus précaires</h2>
<p>La couverture sanitaire n’est, par définition, pas universelle <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.l4160">si elle exclut les migrants sans titre de séjour</a>. Atteindre la couverture sanitaire universelle est pourtant l’un des <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_7153">objectifs que s’est fixé l’Union européenne</a> afin de faire face aux enjeux de santé mondiale.</p>
<p>Les propositions visant à restreindre, voire supprimer, l’accès à la couverture santé des étrangers en situation irrégulière ne sont fondées sur aucune base scientifique. Bien au contraire, l’expertise scientifique sur la question pointe le <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.o401">besoin d’identifier des stratégies visant à garantir un meilleur accès à la couverture maladie et aux soins aux immigrés en Europe</a>.</p>
<p>Avec le projet <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a>, nous avons montré qu’une intervention communautaire, en aller-vers, de renforcement de la capacité d’agir en matière de santé peut largement améliorer la couverture santé parmi les immigrés originaires d’Afrique subsaharienne en situation de précarité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annabel Desgrées du Loû a reçu des financements de l’ANRS MIE pour la recherche
Makasi.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne Gosselin et Marwân-al-Qays Bousmah ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La suppression de l'aide médicale d'État pour les « sans-papiers » est au cœur de la loi « immigration » soumise à la commission mixte paritaire. Pourtant, la moitié des personnes éligibles ne bénéficie pas de l'AME.Marwân-al-Qays Bousmah, Post-doctorant en économie et santé publique, Ceped, Institut de recherche pour le développement (IRD)Annabel Desgrées du Loû, Directrice de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Anne Gosselin, Chargée de recherche en démographie de la santé, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173402023-12-06T17:40:01Z2023-12-06T17:40:01ZInterdiction des distributions alimentaires, quels moyens d’action pour les associations ?<p>Le 10 octobre dernier, journée internationale de lutte contre le sans-abrisme, a été cyniquement l’occasion pour la Préfecture de Police de Paris de prendre un <a href="https://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/sites/default/files/Documents/Arr%C3%AAt%C3%A9%20n%C2%B02023-01196.pdf">arrêté</a> qui a interdit les distributions alimentaires pour une période d’un mois dans certaines zones des X<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> arrondissements, connues pour abriter – à défaut d’accueillir – des lieux de vie informels d’exilés et demandeurs d’asile.</p>
<p>Cette pratique, récente et localisée, n’a été constatée qu’à Paris et Calais. Il n’est pas étonnant que la pratique ait commencé à Calais, <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=16846">« ville-laboratoire »</a> en ce qui concerne la « chasse » aux étrangers.</p>
<p>Le risque qu’elle se répande reste important malgré des <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/jur_ta-lille_2017-03-22_1702397.pdf">annulations prononcées par le juge</a>, surtout que les arrêtés n’ont pas toujours été annulés immédiatement, ce qui donne un signal positif aux autorités qui pourraient reprendre des moyens qui ont pu être, à un moment, acceptés par le juge.</p>
<h2>Les premiers arrêtés calaisiens</h2>
<p>L’historique des interdictions de distribution alimentaire commence à Calais. En réponse aux associations de défense des exilés qui réclamaient l’ouverture d’un lieu pour pouvoir distribuer des repas, la maire – <a href="https://www.europe1.fr/societe/la-maire-de-calais-veut-empecher-la-distribution-de-repas-aux-migrants-2992127">ouvertement hostile aux exilés</a> – a pris <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/arrete_2017-03-02_calais-maire.pdf">deux arrêtés</a> les <a href="https://gisti.org/IMG/pdf/arrete_2007-03-06_calais-maire.pdf">2 et 6 mars</a> 2017. Ils visent les distributions alimentaires en interdisant les « occupations abusives, prolongées et répétées », notamment dans la zone industrielle des Dunes, où, justement, les distributions conduisent quotidiennement à des rassemblements.</p>
<p>Les associations saisissent le 13 mars 2017 le tribunal administratif de Lille afin que l’arrêté soit annulé et que la commune de Calais leur fournisse « les moyens matériels au fonctionnement d’un service de distribution de repas ».</p>
<p>Pour les associations, les décisions attaquées sont en effet en contradiction avec les droits fondamentaux, notamment « à la liberté de réunion, à la liberté de manifester et à la liberté d’aller et venir ; elles violent le principe de dignité humaine posé par la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946">Constitution de 1946</a> et consacré par le Conseil constitutionnel dans <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/la-dignite-de-la-personne-humaine">sa décision Bioéthique du 27 juillet 1994</a> et le principe de prohibition des traitements inhumains et dégradants posé par l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme ».</p>
<p>C’est d’ailleurs, pour elles, « d’autant plus grave que l’autorité municipale en est l’auteure ». En effet, en vertu de ses pouvoirs de police, la <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=RFDA/CHRON/2021/0152">maire est chargée d’assurer l’ordre public</a>, au rang duquel figure la préservation de la dignité de la personne humaine, alors qu’elle fait primer ici, pour des raisons politiques, des <a href="https://shs.hal.science/halshs-03276760">motifs sécuritaires</a>, en empêchant des personnes en situation de dénuement total de satisfaire leurs besoins élémentaires. Pour la municipalité, les distributions entraînent des débordements, rixes, et atteintes à l’hygiène à cause des déchets (à noter que cette même municipalité refuse de mettre à disposition des bennes à ordures).</p>
<p>Néanmoins, le juge annule <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/jur_ta-lille_2017-03-22_1702397.pdf">l’arrêté le 22 mars 2017</a> car la commune ne fait état d’aucun trouble lié aux distributions et que « la maire a porté une atteinte grave et manifestement illégale » aux libertés et droits fondamentaux des associations et exilés.</p>
<h2>Le renouveau à la faveur de la crise sanitaire</h2>
<p>C’est à la faveur de la crise sanitaire que l’interdiction renaîtra par un <a href="https://www.pas-de-calais.gouv.fr/contenu/telechargement/49220/294676/file/RAA%20-%20recueil%20sp%C3%A9cial%20n%C2%B058%20du%2010%20septembre%202020.pdf">arrêté préfectoral du 10 septembre 2020</a> justifié, entre autres par le non-respect des mesures sanitaires au cours des distributions. L’interdiction est accompagnée de sanctions (essentiellement des amendes, d’un montant de 135€).</p>
<p>Cette fois-ci, le juge sera moins protecteur des droits fondamentaux des exilés. En effet, par une <a href="http://lille.tribunal-administratif.fr/Actualites/Communiques/Arrete-interdisant-la-distribution-gratuite-de-denrees-et-boissons-dans-le-centre-ville-de-Calais">ordonnance du 22 septembre 2020</a>, il rejette la demande des associations d’annuler l’arrêté, solution qui sera confirmée par le <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-juge-des-referes-refuse-de-suspendre-en-urgence-l-interdiction-de-la-distribution-de-repas-aux-migrants-dans-le-centre-ville-de-calais">Conseil d’État</a>, et ce, malgré le soutien <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=33970">du Défenseur des droits</a> contre l’arrêté.</p>
<p>Le Conseil d’État n’y voit aucune atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux et considère que l’urgence n’est pas caractérisée : une association mandatée par l’État fait déjà des distributions – bien que manifestement <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=20107">insuffisantes</a> selon les requérants – et considère que les exilés peuvent toujours accéder aux distributions, même si « elles sont, il est vrai, distantes de plus de 3 kilomètres » du centre-ville où ils sont installés. Solution qui peut laisser perplexe et qui conduira au renouvellement quasi systématique des interdictions entre septembre 2020 et le 19 septembre 2022.</p>
<p>Elles n’ont, à ce jour, plus repris suite à une <a href="http://lille.tribunal-administratif.fr/Actualites/Communiques/Arrete-interdisant-la-distribution-gratuite-de-denrees-et-boissons-dans-le-centre-ville-de-Calais">décision</a> longtemps attendue du tribunal administratif de Lille du 22 octobre 2022 et qui conduit à l’annulation des arrêtés.</p>
<p>Écartant le motif tiré de la crise sanitaire, le juge considère les arrêtés comme disproportionnés, puisque les « troubles établis à l’ordre public sont épars, ponctuels, sans caractère de gravité et non liés à la distribution » et que par ailleurs, de nombreux exilés « dépendent directement des associations humanitaires requérantes pour leur approvisionnement en nourriture et en eau », les distributions assurées par l’État étant insuffisantes. Ainsi, pour le rapporteur public, les arrêtés ont seulement « pour effet de compliquer l’accès pour ces populations précaires à des biens de première nécessité ».</p>
<h2>La récidive parisienne</h2>
<p>Le 10 octobre dernier, la Préfecture de Police de Paris va suivre les (faux) pas de son homologue du Nord, en interdisant aux associations de distribuer des denrées aux exilés puisqu’elles contribueraient à « stimuler la formation de campements dans le secteur du boulevard de la Villette, où se retrouvent des migrants, des personnes droguées et des sans domicile fixe » selon la Préfecture. Cette dernière met aussi en avant l’aspect sécuritaire pour défendre son arrêté parlant d’« attroupements », de « débordements sur la voirie », de la présence de « toxicomanes » et de « troubles à l’ordre public ».</p>
<p><a href="https://www.ldh-france.org/17-octobre-2023-tribune-collective-interdiction-des-distributions-alimentaires-a-paris-nourrir-lerrance-et-lisolement-publiee-dans-mediapart/">La réaction des associations est immédiate</a>, et le tribunal administratif de Paris rend une <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Espace-presse/Distribution-de-repas-dans-un-secteur-delimite-des-dixieme-et-dix-neuvieme-arrondissements-de-Paris-l-arrete-du-prefet-de-police-du-9-octobre-2023-l-interdisant-du-10-octobre-au-10-novembre-2023-est-suspendu">ordonnance</a> le 17 octobre qui suspend provisoirement l’arrêté. En effet, il n’apparaît pas que la mesure soit nécessaire car la Préfecture ne prouve la réalité d’aucun trouble à l’ordre public.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Par ailleurs, « compte tenu de la taille du périmètre d’interdiction et de la saturation des autres dispositifs d’aide alimentaire, cette mesure a pour effet de compliquer pour des centaines de personnes en situation de grande précarité l’accès à une offre alimentaire de première nécessité ».</p>
<p>Cette solution retenue en référé était prévisible (et souhaitable) vu l’arrêt rendu en 2022 par le tribunal de Lille.</p>
<p>Néanmoins, il est probable que des arrêtés similaires soient édictés, à Paris, Calais ou ailleurs. Dans ce cas, les associations et exilés concernés pourraient se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme en se fondant notamment sur les articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et 11 (qui protège la liberté d’association et de réunion) de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/Convention_FRA">Convention</a>.</p>
<p>Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il y a de nombreux demandeurs d’asile parmi les exilés présents dans les zones visées par les interdictions. Or, en vertu de la <a href="https://euaa.europa.eu/sites/default/files/public/reception-FR.pdf">directive européenne dite « Accueil »</a> de 2013, l’État est tenu de leur fournir – outre un hébergement et une allocation – de la nourriture. Il est donc assez ironique qu’il empêche des associations – dont beaucoup ne sont pas subventionnées – de pallier la carence de l’État.</p>
<h2>L’inscription de ces pratiques dans une politique migratoire répressive</h2>
<p>Cette nouvelle pratique s’inscrit dans une politique de criminalisation de la solidarité, comme l’illustre notamment l’amende de 135€ prévue pour les personnes solidaires des exilés qui auraient bravé l’interdiction. Aussi, si les interdictions portent en premier lieu atteinte aux droits fondamentaux des exilés, ils attaquent également le droit des associations de les aider. Or, en vertu <a href="https://blogdroitadministratif.net/2018/08/28/la-liberte-daider-autrui-dans-un-but-humanitaire/">d’une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel</a>, découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire.</p>
<p>D’ailleurs, des députés ont déposé en 2022 une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b5195_proposition-loi#D_Article_1er">proposition de loi</a> visant clairement à interdire les distributions alimentaires aux exilés.</p>
<p>Reste que les pouvoirs publics parviennent quotidiennement à entraver la solidarité, en dehors de textes juridiques. Ils ne manquent pas de créativité pour <a href="https://twitter.com/CalaisFoodCol/status/1570803256506613762/photo/1">gêner les associations</a> : <a href="https://utopia56.org/face-aux-entraves-a-la-solidarite-sur-les-campements-de-loon-plage-mobilisons-nous/">béton</a>, grillages, contrôles des bénévoles, privation des conteneurs d’eau…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1714608954632737199"}"></div></p>
<p>Cette démarche d’entrave à l’aide humanitaire s’inscrit dans le cadre de la « théorie » de l’appel d’air, <a href="https://crde-bearn.fr/appel-dair-un-mythe-venu-de-lextreme-droite/">largement démentie</a> : pour les autorités publiques, offrir des conditions de vie dignes aux exilés risque de les attirer.</p>
<p>Néanmoins ces arrêtés ne parviendront pas à stopper tout aide humanitaire : de façon assez pragmatique, il suffit aux associations de se déplacer de quelques mètres pour sortir de la zone prévue. Si cela complique leur action, ça ne suffira pas à les empêcher. D’ailleurs, à Paris, malgré l’interdiction et la menace de l’amende, les distributions ont repris dès le lendemain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1713617075489460481"}"></div></p>
<p>Finalement, ce n’est qu’une illustration de plus du jeu de chat et de la souris que mènent les pouvoirs publics aux associations et exilés.</p>
<p>À Calais, c’est désormais <a href="https://reporterre.net/A-Calais-la-mairie-empeche-les-refugies-de-boire">« une guerre de l’eau »</a> qui est menée, par le retrait régulier des sources en eau et conteneurs. Tandis qu’à Paris, le « nettoyage social » et l’entrave des associations risque de se poursuivre <a href="https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/les-francais/plus-de-60-associations-alertent-sur-le-risque-de-nettoyage-social-des-rues-de-paris-pour-les-jo-de-2024_6152391.html">au moins jusqu’à la tenue des Jeux olympiques</a>. Reste à savoir qui le prochain tentera d’interdire les distributions alimentaires ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217340/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lilou Abou Mehaya ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les arrêtés pris pour freiner les distributions alimentaires n’ont pas pour le moment porté leurs fruits mais cela envoie un signal fort aux populations visées.Lilou Abou Mehaya, Doctorante en Droit Public - Droit d'asile, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162112023-11-26T15:34:20Z2023-11-26T15:34:20ZL’aide médicale d’État, un droit « républicain » sur la sellette<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561046/original/file-20231122-15-2sdw76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5970%2C3917&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2022, environ 400 000 personnes ont bénéficié de l'aide médicale d'Etat pour un coût représentant 0,5% de la dépense totale de l'Assurance maladie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/uomo-che-indossa-una-camicia-bianca-vt7iAyiwpf0">CDC / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/09/15/emmanuel-macron-annonce-un-projet-loi-sur-l-immigration-pour-debut-2023_6141806_823448.html">Promesse de campagne d’Emmanuel Macron</a>, le projet de loi immigration, qui sera examinée <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/agendas/les-agendas">au Parlement à partir de décembre</a>, ne devait initialement pas revenir sur les modalités de l’accès aux soins des personnes étrangères. Mais c’était un <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/didier-fassin/laide-medicale-de-letat-menacee/00108254">souhait de longue date de la frange droite de l’hémicycle</a> de modifier ce point. Les sénateurs Républicains ont donc introduit un <a href="https://www.senat.fr/amendements/commissions/2022-2023/304/Amdt_COM-3.html">amendement</a> venant transformer l’Aide médicale d’État (AME) en une Aide médicale d’urgence (AMU) et qui a été <a href="https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-304.html">adopté</a>.</p>
<p>De quoi s’agit-il ? L’AME relève d’un système d’<a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2002-1-page-131.htm">aide médicale gratuite pour les personnes les plus précaires</a> qui existe depuis 1893 en France. Pendant un siècle, les étrangers résidant en France pouvaient bénéficier d’un accès aux soins : s’ils travaillaient, ils bénéficiaient de l’affiliation à l’assurance maladie générale ; sinon, ils pouvaient bénéficier de cette <a href="https://www.cnle.gouv.fr/de-1893-a-1999-de-l-assistance.html">Aide médicale gratuite</a>. En 1993, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000530357">« Loi Pasqua »</a> vient imposer une condition de régularité de séjour pour bénéficier de cette aide « universelle ». Six ans plus tard, en 1999, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000198392/">l’Aide médicale d’État est créée</a>, répondant <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20200505-rapport-entree-sejour-premier-accueil-personnes-etrangeres_0.pdf">pour la Cour des comptes</a> à un impératif humanitaire et sanitaire :</p>
<blockquote>
<p>« faisant de la France un des seuls pays européens à prévoir une couverture maladie minimale gratuite pour les personnes étrangères en situation irrégulière ».</p>
</blockquote>
<h2>Une aide « républicaine »</h2>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/pourquoi-l-aide-medicale-de-l-etat-ame-est-remise-en-cause-6522207">L’AME est vue comme une aide « républicaine »</a> à un moment charnière où les aides « universelles » cessent de l’être réellement. Elle vise à (re)mettre le système de santé en accord avec les valeurs fondamentales de la République, notamment héritées de la philosophie des Lumières et qui se trouvent aujourd’hui inscrits dans la devise française.</p>
<p>Financée par l’État et renouvelable annuellement, l’AME s’adresse aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041474140">étrangers en situation irrégulière</a> pouvant prouver leur présence en France depuis au moins trois mois. <a href="https://www.infomie.net/spip.php?rubrique368">Les mineurs</a> peuvent en bénéficier dès leur arrivée sur le territoire français. <a href="https://www.ameli.fr/assure/droits-demarches/situations-particulieres/situation-irreguliere-ame">Une condition de ressources</a> est également posée : le plafond de revenus à ne pas dépasser pour en bénéficier est le même que celui pour l’accès à la <a href="https://theconversation.com/le-systeme-de-sante-francais-est-il-toujours-aussi-solidaire-85195">complémentaire santé solidaire</a>, soit environ 9 700€ par an pour une personne seule en 2023.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bnsSqMb9pkM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’AME permet à ses bénéficiaires d’accéder à une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3079">prise en charge</a> à 100 % de leurs soins médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale. Elle dispense également de l’avance des frais de santé. Actuellement, les <a href="https://www.ameli.fr/assure/remboursements/cmu-aides-financieres/aide-medicale-etat-soins-urgents">soins classiques de médecine de ville ou hospitalière sont pris en charge</a>, ainsi que la majorité des traitements, y compris contraceptifs. Tous les frais de santé ne sont néanmoins pas couverts par l’AME (sont exclus les frais de traitement et d’hébergement des personnes handicapées, frais d’examen de prévention bucco-dentaire pour les enfants, indemnités journalières, etc.) ce qui conduit certaines associations à parler de <a href="https://www.medecinsdumonde.org/ame-laide-medicale-detat/">couverture santé de second rang</a>.</p>
<p>Au contraire, <a href="https://www.senat.fr/leg/tas23-019.html">l’Aide médicale d’urgence</a>, telle que conçue par les sénateurs Républicains, vise à réduire au maximum l’accès aux soins pour les personnes en situation irrégulière aux seuls :</p>
<blockquote>
<p>« traitement des maladies graves et soins urgents dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître ».</p>
</blockquote>
<h2>Des économies par la suppression de l’AME ?</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/24/obession-de-la-droite-dure-l-aide-medicale-d-etat-est-devenue-un-sujet-de-debat-a-lrm_6012816_823448.html">L’opposition à l’AME est née en même temps que celle-ci</a>. Depuis, la question de sa suppression – ou a minima de sa réforme – est un véritable serpent de mer. <a href="https://seronet.info/article/sans-etat-dame-dix-ans-de-travail-de-sape-85591">Elle est discutée</a> lors de chaque nouvelle loi relative à l’immigration ou de l’adoption des lois de financement de la Sécurité sociale. <a href="https://www.securite-sociale.fr/home/dossiers/actualites/list-actualites/aide-medicale-de-letat--modifica.html">Ses conditions ont notamment été durcies en 2021</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-la-grande-secu-mythe-ou-realite-177665">Débat : La « Grande Sécu », mythe ou réalité ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>À l’image du <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1244_rapport-information#_Toc256000001">rapport d’information</a> d’une députée républicaine déposé en 2021, plaidant notamment pour un recentrement de l’AME sur les soins urgents, les pourfendeurs de l’AME s’appuient sur un argument économique, prétextant régulièrement une « hausse incontrôlée des dépenses de santé ».</p>
<p>Or, le <a href="https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf">nombre de bénéficiaires est stable depuis plusieurs années</a>, bien que l’on constate une légère hausse post-Covid – environ <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/content/download/705304/file/Sant%C3%A9.pdf">7 % de bénéficiaires en plus en 2022</a> par rapport à 2020 et son coût est estimé à environ <a href="https://www.tf1info.fr/sante/immigration-l-aide-medicale-d-etat-ame-ne-represente-t-elle-que-0-4-des-depenses-de-sante-2272555.html">0,5 % des dépenses de santé</a>. Par ailleurs, comme le montre la Cour des comptes dans <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20200505-rapport-entree-sejour-premier-accueil-personnes-etrangeres_0.pdf">son rapport précité</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’analyse du coût économique de l’AME est difficile à établir : il faudrait en effet pouvoir mesurer les coûts d’évitement de la propagation de maladies infectieuses ainsi que le coût des soins vitaux et urgents occasionnés par la non-prise en charge précoce des malades. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, rien n’indique que la transformation de l’AME en AMU permettrait une baisse des coûts.</p>
<h2>Une violation d’un droit fondamental et des risques de santé publique</h2>
<p>Comme le rappelle la professeure de droit public <a href="https://books.openedition.org/putc/337">Christel Cournil</a>, l’accès aux soins est un droit fondamental qui découle du droit à la santé, garanti par la Constitution et par de grands principes universalistes d’après-guerre (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946">alinéa 11 du Préambule de 1946 notamment</a>), confirmés par de multiples engagements internationaux (Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte sociale européenne…). De plus, pour la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/FS_Health_FRA">Cour européenne des droits de l’homme</a>, les États doivent s’assurer du droit à la vie, ce qui passe notamment par l’octroi des soins (obligations positives de l’article 2).</p>
<p>En France, depuis 2003, l’accès aux seuls soins urgents pour toute personne est prévu par le droit commun <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006908175">(article R.1112-13 du Code de la Santé publique</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’état d’un malade ou d’un blessé réclame des soins urgents, le directeur prend toutes mesures pour que ces soins urgents soient assurés. Il prononce l’admission, même en l’absence de toutes pièces d’état civil et de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seront remboursés à l’établissement. »</p>
</blockquote>
<p>Mais l’octroi des seuls soins urgents et vitaux peut sembler insuffisant : à terme, cela risque de conduire à une dégradation générale de l’état de santé de ces personnes par manque de <a href="https://theconversation.com/en-france-nous-sommes-tres-performants-dans-le-soin-mais-beaucoup-moins-en-matiere-de-prevention-146626">médecine préventive</a>. Dans un contexte de surcharge hospitalière, de nombreux médecins alertent sur le risque que les personnes ainsi privées de soins préventifs se présentent aux urgences <a href="https://basta.media/Aide-medicale-d-%C3%89tat-AME-la-droite-veut-empecher-les-personnes-etrangeres-de-se-faire-soigner">avec des problèmes de santé finalement beaucoup plus graves</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1711640206615384443"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, il est de la responsabilité de la police municipale de s’assurer de la salubrité publique, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006164555">qui comprend la santé publique</a>. Or, avec la disparition de l’AME, les <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/071123/l-intox-du-senat-sur-l-aide-medicale-d-etat">maladies risquent de se transmettre beaucoup plus rapidement</a>, pouvant conduire à une épidémie que ces autorités sont chargées de résorber.</p>
<p><a href="https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/non-a-la-suppression-de-l-aide-medicale-d-etat">De multiples associations alertent sur les risques</a> liés à une transformation de l’AME en AMU. C’est aussi le cas de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html">nombreux médecins qui ont appelé à son maintien</a> puis <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/sans-papiers-3-500-medecins-promettent-de-desobeir-si-lame-est-supprimee-acf10d4a-80b7-11ee-a407-397218b61e71">à la désobéissance</a> si la réforme était menée à terme. Entre autres acteurs institutionnels, la <a href="https://theconversation.com/pour-la-creation-dun-defenseur-de-la-republique-86267">Défenseure des Droits</a>, Claire Hédon, se joint à ces protestations. Auditionnée par les rapporteurs de la Commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi, <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/projet-de-loi-immigration-la-defenseure-des-droits-alerte-sur-les-graves-atteintes-aux-droits">elle a alerté sur les atteintes aux droits des étrangers</a>, notamment « en matière d’accès à la santé ».</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Adoption du texte du gouvernement contre suppression de l’AME ?</h2>
<p>Revenant sur un dispositif participant au plein respect des droits fondamentaux des étrangers, les Républicains placent cette suppression de l’AME au centre des négociations avec le Gouvernement. Cet amendement est en effet désormais au coeur d’une stratégie politicienne, malgré les retombées négatives concrètes qu’il risque d’engendrer. <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/immigration-les-senateurs-lr-font-un-pas-les-centristes-sur-les-metiers-en-tension">En échange de l’adoption de mesures proposées par le Gouvernement</a>, les Républicains ont gravé dans le texte « un certain nombre de marqueurs », notamment « le durcissement des conditions d’accès aux soins gratuits pour les étrangers malades ».</p>
<p>Les parlementaires de gauche semblent disposer d’une majorité insuffisante pour parvenir à revenir sur la proposition des sénateurs. Les regards sont donc désormais tournés vers le gouvernement qui peut déposer un amendement <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/synthese/fonctionnement-assemblee-nationale/travail-legislatif/l-exercice-du-droit-d-amendement">à tout moment de la procédure législative</a>.</p>
<p>Avant de se positionner, le gouvernement va sûrement attendre les conclusions de la <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/700601-elisabeth-borne-lance-une-mission-sur-l-aide-medicale-d-etat-confiee-a-claude-evin-et-patrick-stefanini">mission sur l’Aide médicale d’État</a> confiée à l’ancien ministre de la Santé, Claude Evin, et Patrick Stefanini, conseiller d’État honoraire – attendues le 2 décembre 2023. <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/utile-et-pas-si-couteux-voici-les-premieres-conclusions-du-rapport-sur-l-aide-medicale-d-etat-1976206">Le pré-rapport</a> semble indiquer que l’AME n’est ni trop chère, ni trop incitative. Des conclusions corroborant celles du <a href="https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf">précédent rapport public sur l’AME</a>, rendu en 2019 par l’Inspection générale des affaires scoiales (IGAS). Celui-ci démontrait que l’AME ne créait aucun appel d’air et qu’il serait risqué – et <em>in fine</em> coûteux – de réduire le panier de soins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216211/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lilou Abou Mehaya ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Débat autour d’une transformation de l’Aide médicale d’État en Aide médicale d’urgence. Le point sur l’AME et les enjeux autour de sa suppression.Lilou Abou Mehaya, Doctorante en Droit Public - Droit d'asile, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2149852023-11-19T16:34:56Z2023-11-19T16:34:56Z« L’envers des mots » : Exposome<p>L’impact de l’environnement sur la santé humaine est un enjeu de mobilisation majeur pour la science et les pouvoirs publics. Au niveau international, un domaine majeur des recherches se centre sur la notion d’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29960033/">exposome</a>, qui désigne l’ensemble des expositions environnementales auxquelles une personne est sujette tout au long de sa vie. Ce concept est inspiré du terme « génome » (combinaison des mots <em>gène</em> et <em>chromosome</em>) qui désigne l’ensemble de l’information génétique d’un organisme contenu dans ses chromosomes.</p>
<p>Proposée en 2005 par l’épidémiologiste Christopher P. Wild, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22296988/">cette notion d’exposome</a> est intégrée depuis 2012 aux États-Unis dans tous les plans stratégiques du <a href="https://www.niehs.nih.gov/about/strategicplan/">National Institute of Environmental Health Sciences</a>. En France, l’exposome figure comme « élément structurant des politiques de santé » dans les objectifs des <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan-sante-environnement_synthese.pdf">Plans nationaux santé environnement</a> (PNSE) qui sont élaborés tous les cinq ans depuis 2016.</p>
<p>L’appréhender nécessite de prendre en compte de très nombreux paramètres tels que les nuisances chimiques (pesticides, perturbateurs endocriniens, particules fines…) et des facteurs comme les polluants alimentaires, des objets quotidiens (jouets, cosmétiques, tickets de caisse), la consommation de médicaments, les conditions de travail, les infections microbiennes, la pollution sonore et lumineuse, les effets des radiations, etc. L’enjeu est de considérer la multiplicité des expositions, leurs interactions et leurs effets dans le temps, de la conception à l’âge adulte.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-et-environnement-mieux-prendre-en-compte-la-vulnerabilite-des-populations-feminines-157704">Santé et environnement : mieux prendre en compte la vulnérabilité des populations féminines</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les recherches sur l’exposome impliquent de croiser de nombreuses disciplines qui relèvent à la fois des sciences « dures » (physique, chimie, science de la terre et de l’environnement, biologie) et des sciences humaines et sociales (anthropologie, sociologie, économie, épidémiologie, santé publique).</p>
<p>Les études de genre sont aussi concernées, sachant que les conditions de vie, sociales, culturelles et économiques, exposent différemment les femmes et les hommes <a href="https://inserm.hal.science/inserm-03022964/document">à des risques sanitaires</a>. Les hommes, majoritaires dans l’industrie et le bâtiment, ont des risques de santé liés à l’amiante, aux solvants, au port de charges, au bruit, etc. Les femmes, plus nombreuses dans les métiers de commerce, services et soins à la personne, sont exposées aux polluants des produits de nettoyage ou des cosmétiques comme le bisphénol. Les nuisances concernent aussi les facteurs liés à l’organisation et aux contraintes du travail. <a href="https://www.irset.org/">Les troubles musculosquelettiques</a> et les risques psychosociaux sont plus fréquents chez les femmes.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les conditions de vie précaires ont pour corollaire des risques sanitaires accrus par rapport à la population générale : logement insalubre, mauvaise alimentation, sédentarité, pénibilité au travail.</p>
<p>La baisse de fertilité des femmes et des hommes, la vulnérabilité des femmes enceintes et des fœtus constituent un sujet majeur pour la recherche et les politiques de prévention. Une autre préoccupation liée au genre porte sur la situation de vulnérabilité aggravée des femmes en raison des bouleversements climatiques et politiques dans les pays du Sud global : <a href="https://www.unwomen.org/fr/nouvelles/article-explicatif/2022/03/inegalites-entre-les-sexes-et-changements-climatiques-des-enjeux-etroitement-lies">sécheresse, pénurie alimentaire, migrations</a>, etc.</p>
<p>À l’évidence, étudier l’impact de l’exposome sur nos organismes est un projet éminemment ambitieux. L’objectif est d’enrichir les connaissances sur l’impact de l’environnement sur la santé et de comprendre les liens entre les sociétés et les écosystèmes dans l’émergence des pathologies, notamment chroniques et infectieuses. Il s’agit aussi de développer des politiques d’information, de prévention et de santé publique mieux ciblées pour les populations vulnérables. Un tel défi ne pourra être relevé qu’avec la mobilisation de moyens intellectuels et matériels considérables. C’est un enjeu politique majeur pour les générations futures.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-technoference-199446"><em>« L’envers des mots » : Technoférence</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604"><em>« L’envers des mots » : Écocide</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/214985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Vidal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À quelles pollutions et paramètres environnementaux les hommes et les femmes sont-ils exposés tout au long d’une vie ? La notion d’exposome permet d’explorer cet enjeu crucial pour la santé.Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056032023-05-21T15:01:07Z2023-05-21T15:01:07ZPourquoi le lien entre immigration et délinquance est une illusion<p>L’immigration suscite des craintes persistantes, en partie liées à la perception qu’immigration et délinquance <a href="https://www.cambridge.org/core/books/does-immigration-increase-crime/9EA41FA9831C2F52433874FC9B1D5C7B">vont de pair</a>. La Commission nationale consultative des droits de l’homme rappelait ainsi, en 2022, que 52 % des Français considéraient l’immigration comme la principale cause d’insécurité.</p>
<p>Plus récemment, le projet de loi repoussé sur l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/immigration-21314">immigration</a> proposait de « rendre possible l’éloignement d’étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public ». Pourtant, les recherches en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-sociales-25550">sciences sociales</a> montrent que l’immigration n’est pas la cause de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/delinquance-27123">délinquance</a>. C’est ce décalage entre réalités et perceptions que nous avons cherché à comprendre dans la <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=13737">lettre d’avril 2023</a> du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (<a href="https://theconversation.com/institutions/cepii-2912">CEPII</a>).</p>
<p>La perception d’un lien entre immigration et délinquance repose principalement sur l’observation d’une surreprésentation des étrangers (immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française) dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/statistiques-20962">statistiques</a> sur la délinquance. En France, la proportion d’étrangers dans la population totale était, en 2019, de 7,4 %, mais s’élevait à 14 % parmi les auteurs d’affaires traitées par la justice, à 16 % dans ceux ayant fait l’objet d’une réponse pénale et <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Trim_2004.pdf">à 23 % des individus en prison</a>.</p>
<p>De nombreux facteurs, certains quasi mécaniques, peuvent expliquer cette surreprésentation sans que le statut d’immigré ne soit en lui-même lié à une probabilité plus forte de commettre une infraction.</p>
<h2>Une probabilité́ de contrôle plus forte</h2>
<p>Tout d’abord, certains délits ne peuvent, par définition, être commis que par des étrangers (soustractions à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, travail sans titre de séjour, etc.). De plus, ces infractions sont résolues lorsqu’elles sont constatées puisque l’auteur de l’infraction est identifié sur-le-champ. De ce fait, elles peuvent faire l’objet d’un ciblage particulier lors de pressions politiques à l’amélioration des statistiques, comme lors de la mise en place de la « politique du chiffre » <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fabrique_des_jugements-9782348067983">entre 2002 et 2012</a>.</p>
<p>Ensuite, les immigrés présentent des caractéristiques individuelles qui les rendent plus susceptibles d’être en infraction avec la loi. Les hommes, jeunes, sont ainsi surreprésentés dans la population immigrée, deux caractéristiques systématiquement associées à des niveaux de délinquance <a href="https://www.jstor.org/stable/42705620">plus élevés</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Surtout, les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs. Or, la <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jel.20141147">précarité économique</a> reste un des principaux déterminants de la délinquance. Ce n’est donc pas le fait d’être immigré en soi qui conduit à plus de délinquance, mais des caractéristiques qui, lorsqu’elles se retrouvent chez les natifs, conduisent également à plus de délinquance.</p>
<p><strong>À caractéristiques similaires, les étrangers sont plus souvent et plus longtemps condamnés que les Français</strong></p>
<p><iframe id="Uv0iV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Uv0iV/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="lGNZp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lGNZp/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Enfin, les immigrés subissent un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32367028/">traitement différencié́</a> à toutes les étapes du système pénal : de la probabilité́ d’arrestation à celle <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2012-3-page-423.html">d’être incarcéré</a>. Ainsi, les minorités visibles issues de l’immigration ont une probabilité́ plus forte d’être contrôlées, mais aussi de recevoir des peines plus lourdes. En moyenne, pour un même délit avec les mêmes antécédents judiciaires, en ayant suivi la même procédure et avec les mêmes caractéristiques individuelles (âge, sexe, lieu et date de jugement), les étrangers ont non seulement une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fabrique_des_jugements-9782348067983">probabilité plus forte</a> (de 5 points de pourcentage) que les Français d’avoir une peine de prison ferme, mais sa durée est également plus longue, de 22 jours.</p>
<h2>Dynamiques locales</h2>
<p>Ce traitement différencié entre immigrés et natifs se retrouve aussi dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/medias-20595">médias</a>. Des recherches ont montré que la <a href="https://direct.mit.edu/rest/article-abstract/doi/10.1162/rest_a_01152/108836/Anti-Muslim-Voting-and-Media-Coverage-of-Immigrant?redirectedFrom=fulltext">presse pouvait renforcer les croyances initiales</a> sur le lien entre immigration et délinquance en reportant plus systématiquement les infractions commises par les immigrés ou en <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=13737">divulguant</a> de manière plus fréquente l’origine des suspects lorsqu’ils sont immigrés.</p>
<p>La perception d’un lien entre immigration et délinquance provient aussi de l’observation par les natifs d’un plus grand nombre d’infractions reportées dans les zones où les immigrés sont majoritairement installés. Or, pour évaluer l’impact de l’immigration sur la délinquance, il est nécessaire de dépasser cette simple comparaison qui ignore que les immigrés ne se répartissent pas de manière uniforme sur le territoire national. Leur présence est en effet plus concentrée près des frontières, zones plus propices aux trafics, ou dans des quartiers où les logements sont plus abordables et qui concentrent le plus souvent des populations pauvres ou marginalisées.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>De plus, les vagues migratoires, plus soudaines et perceptibles que des changements démographiques de long terme, augmentent le <em>nombre</em> d’infractions, dans la mesure où il y a plus d’habitants, mais sans nécessairement augmenter le <em>taux</em> de délinquance par habitant. Et quand bien même on adopterait le bon raisonnement en taux, l’augmentation simultanée de la part de la population immigrée et des infractions ne vaut pas preuve que les immigrés en sont la cause car des dynamiques locales peuvent être à l’œuvre.</p>
<p>Par exemple, le départ de natifs d’une zone dans laquelle la délinquance et la pauvreté sont en augmentation peut libérer des logements sociaux et attirer de nouveaux immigrés. Immigration et délinquance augmentent alors de concert sans que l’immigration n’en soit la cause.</p>
<p>Face à ces difficultés, les recherches en sciences sociales se sont penchées sur la question du lien entre immigration et délinquance en prenant soin d’éliminer les bais précédemment évoqués. La conclusion de ces études est sans appel. L’immigration n’est pas à l’origine d’une augmentation des taux de délinquance.</p>
<h2>La régularisation entraîne une baisse des infractions</h2>
<p>Au Royaume-Uni, une étude a examiné l’effet de deux vagues migratoires récentes, la première liée aux guerres d’Irak, d’Afghanistan et de Somalie à la fin des années 1997-2002, la seconde, à l’entrée de huit anciens pays de l’Est dans l’Union européenne entre 2004 et 2008. Pour les deux vagues, les localités ayant accueilli plus d’immigrés <a href="https://direct.mit.edu/rest/article-abstract/95/4/1278/58317/Crime-and-Immigration-Evidence-from-Large">n’ont pas vu leur taux d’infractions moyen évoluer plus rapidement</a> que dans le reste du pays.</p>
<p>En revanche, une légère augmentation des atteintes aux biens a été observée pour la première vague des années 2000. Cette différence provient d’un accès au marché du travail différent : là où les nouveaux citoyens de l’Union européenne avaient le droit d’exercer un emploi, les demandeurs d’asile ne pouvaient pas travailler légalement la première année de leur arrivée sur le sol britannique.</p>
<p>Ce constat est confirmé par d’autres travaux. En Italie, un dispositif de décembre 2017 permettait aux immigrés en situation irrégulière de faire une demande de régularisation en ligne. Les permis de travail étaient accordés dans l’ordre des demandes et jusqu’à épuisement de quotas préalablement définis.</p>
<p>Avec ce dispositif, des immigrés s’étant connectés au site à quelques minutes, voire à quelques secondes d’intervalle, se sont trouvés dans des situations très différentes : ceux ayant demandé un visa juste avant l’épuisement des quotas ont acquis le droit de travailler et de résider légalement en Italie, tandis que ceux ayant posté leur dossier l’instant d’après sont restés sans-papiers. En comparant ces deux groupes, il apparaît que les immigrés ayant obtenu un visa ont eu une <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20150355">probabilité deux fois plus faible de commettre une infraction</a> au cours de l’année suivante. Une différence qui s’explique entièrement par une baisse significative des infractions générant des revenus, telles que les vols et les trafics.</p>
<p>Immigration et délinquance ne sont donc pas liées, une fois les raisonnements simplificateurs écartés. Au contraire, si la surreprésentation quasi mécanique des immigrés dans les statistiques peut créer l’illusion d’une relation entre immigration et délinquance, les études rigoureuses montrent qu’il n’en est rien. Des résultats à garder en tête lors des discussions autour de la loi immigration à venir pour traiter le sujet sans passion et au plus près des réalités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205603/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des études démontrent que les vagues migratoires n’augmentent pas le taux de délinquance par habitant.Arnaud Philippe, Senior Lecturer, School of Economics, University of BristolJérôme Valette, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037942023-04-18T15:35:56Z2023-04-18T15:35:56ZLa mobilisation des vacataires à l’université : comment faire entendre la voix des invisibles<p>Dans plusieurs <a href="https://theconversation.com/fr/topics/universites-20604">universités</a> de France, des organisations et enseignants comptent retenir les notes des étudiants en ce deuxième semestre 2023 à l’appel du collectif <a href="https://vacataires.org">vacataires.org</a>. L’objectif : soutenir la revendication consistant à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/04/presidents-d-universites-il-est-temps-de-payer-vraiment-vos-vacataires_6168153_3224.html">augmenter la paie des enseignants vacataires</a>. Ce personnel sous-payé et précaire, sur lequel reposerait environ un quart des heures de cours en universités, représente pourtant moins de 1 % des dépenses pour l’enseignement supérieur, d’après les calculs faits par le collectif.</p>
<p>Les enseignants vacataires sont un contingent d’environ 130 000 intervenants rémunérés à l’heure de cours selon des conditions fixées par un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006066234">décret de 1987</a>. Leur taux de rémunération est d’un peu plus de 40 euros brut pour une heure face aux étudiants, incluant les préparations de cours, corrections et autres tâches, ce qui est de l’ordre du tiers des taux appliqués aux personnels moins précaires.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-de-programmation-recherche-vers-une-polarisation-du-monde-universitaire-153216">Loi de programmation recherche : vers une polarisation du monde universitaire</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Destiné en principe à accueillir des professionnels intervenant ponctuellement dans les formations universitaires, ce statut – nettement moins coûteux qu’un contrat de travail – a été utilisé de <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/660587-globalement-le-nombre-de-vacataires-dans-les-universites-a-augmente-de-20-en-8-ans-de-2012-a-2019">façon extensive et croissante</a> par les universités. Ce seraient ainsi <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/candidats-a-la-presidentielle-faites-entrer-luniversite-dans-vos-debats-20211210_KEWSWT422BDVHEK35F5HGSCKHE/">quatre millions d’heures de cours annuelles</a> qui seraient délivrées à moindres frais, notamment par des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/doctorat-25676">doctorants</a> ou docteurs en situation précaire.</p>
<p>Malgré leur forte présence à tous les niveaux, ces jeunes chercheurs bénéficient d’une très faible reconnaissance et ne sont généralement pas considérés par les universités <a href="https://ancmsp.com/wp-content/uploads/2021/01/Ancmsp_rapport_vacataires_2021_.pdf">comme faisant partie de leur personnel</a>. Leur mobilisation nous renvoie à une grande question des sciences sociales : comment lutter collectivement quand on fait partie des oubliés, quelle stratégie adopter pour se faire entendre quand on relève des invisibles, des « sans » ?</p>
<h2>Les « mobilisations improbables »</h2>
<p>Se mobiliser efficacement quand on fait partie d’un groupe invisible, défavorisé ou privé de ressources est une chose difficile. C’est la situation à laquelle sont confrontés les enseignants vacataires des universités, qui additionnent <em>a priori</em> les handicaps. Très faiblement payés, devant cumuler parfois plusieurs emplois, ils occupent une position particulièrement dévalorisée dans un environnement universitaire complexe même aux yeux des habitués, où les enseignants sont divisés en statuts multiples, <a href="https://www.campusmatin.com/metiers-carrieres/personnels-statuts/pratiques/enseignants-chercheurs-50-nuances-de-precarite.html">titulaires, contractuels, PRAG, PRCE, ATV, CEV…</a>, qui ont tous leurs difficultés et revendications.</p>
<p>Par ailleurs, les enseignants vacataires les plus précaires enseignent dans des universités différentes chaque année, souvent pour des périodes de 3 ou 4 mois et craignent de ne pas retrouver de contrat. Ces conditions sont très peu propices à l’action collective. Du moins si l’on en croit l’approche traditionnelle de l’étude de la <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-mouvements-sociaux--9782724611267-page-364.htm">« mobilisation des ressources »</a> de l’action collective. Celle-ci montre l’importance, pour agir ensemble, de former un collectif uni, conscient et disposant d’importants moyens et réseaux de communication pour se coordonner, et de rétributions incitant ou permettant aux militants potentiels d’y prendre part.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2tdNhLmirZ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les vacataires de l’université de Rouen réalisent un <em>flash mob</em> sur leurs conditions de travail (Paris Normandie, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Les recherches sur les « mobilisations improbables » parmi lesquelles le <a href="https://www.belin-editeur.com/mobilisations-de-prostituees">travail fondateur de Lilian Mathieu</a> sur les mobilisations de prostituées lyonnaises depuis les années 1970, ont cependant apporté de nouveaux éléments à l’étude des ressources permettant les mobilisations collectives. Certes, les similarités entre les cas des prostituées et des enseignants vacataires ne sautent <em>a priori</em> pas aux yeux. Mais leurs situations face à des perspectives de mobilisation présentent objectivement des points communs : elles et ils sont éparpillés et disposent d’une <a href="https://www.campusmatin.com/metiers-carrieres/personnels-statuts/la-precarite-des-enseignants-vacataires-aggravee-par-la-crise-sanitaire.html">faible reconnaissance par les autorités</a>. Beaucoup d’universités ne sont même pas en mesure de fournir des chiffres précis sur <a href="https://basta.media/Enseignants-vacataires-universites-precarite-chercheurs-auto-entrepreneur-parcoursup">leur propre recours aux vacataires</a> lorsqu’on les interroge…</p>
<p>Surtout, les <a href="https://theconversation.com/syndicats-moins-dencartes-mais-une-image-toujours-positive-aupres-des-salaries-201209">syndicats</a> ou grandes associations militantes ne leur ont longtemps accordé qu’une attention limitée puisqu’elles considéraient que l’enjeu principal était moins l’amélioration de leurs conditions de travail que l’abolition de leur statut tel qu’il existait.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">Réforme des retraites : comment se construit une crise politique ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans les cas étudiés par Lilian Mathieu, l’objectif revendiqué de plusieurs organisations vers lesquelles se sont tournées les prostituées comme le mouvement catholique du Nid, était à la base l’abolition de la prostitution. Dans le cadre universitaire, le niveau de rémunération des vacataires a longtemps été un oublié des luttes, le problème perçu comme central étant le <a href="https://www.snesup.fr/sites/default/files/asset/declaration_FSU.pdf">recours abusif à ce statut précaire destructeur de postes pérennes</a>.</p>
<h2>Quelles ressources pour l’action collective, avec ou sans syndicats ?</h2>
<p>Le travail de Lilian Mathieu a montré que des groupes relativement dépourvus parvenaient parfois à construire des mobilisations visibles en érigeant en ressources des caractéristiques originales. Ainsi, le fait d’être un groupe dont les médias n’attendaient pas la mobilisation peut être un atout pour décrocher des alliés extérieurs à leur condition.</p>
<p>C’est ainsi que des prostituées protestant contre le harcèlement policier ont occupé l’église lyonnaise de Saint-Nizier en 1975, créant un précédent marquant. Puis elles ont multiplié les actions dans les décennies suivantes avec l’aide d’organisations issues d’univers ne partageant <em>a priori</em> pas l’ensemble de leurs revendications, comme des mouvements féministes ou celui du Nid.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YoPx-5UVq18?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retards de paiements pour les précaires de l’université Jean Jaurès (France 3 Occitanie, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Au même titre que pour les prostituées, l’une des questions que soulève la mobilisation des collectifs d’enseignants précaires des universités concerne le soutien qu’apporteront à leur action les personnels enseignants titulaires et les fédérations syndicales. Pour celles-ci, s’engager pour une cause inhabituelle et dans un mode d’action encore nouveau ne va pas toujours de soi. Car la rétention des notes n’est devenue une façon reconnue d’agir en universités que <a href="https://ancmsp.com/2019/04/19/organise-toi-meme-une-retention-des-notes-dans-ta-fac/">dans la deuxième moitié des années 2010</a>. Elle a été principalement mise en œuvre par des collectifs de précaires, certaines fois avec le soutien de sections syndicales locales ayant des membres communs avec ces collectifs, mais sans impliquer les fédérations.</p>
<p>On touche là à l’une des difficultés mises en évidence en <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/131609/poor-peoples-movements-by-frances-fox-piven-and-richard-cloward/">1977 par les sociologues Richard Cloward et Frances Piven</a> dans leur travail portant notamment sur des mouvements d’ouvriers et de chômeurs. Si les grandes organisations de mobilisation disposent d’atouts évidents, leurs traditions, leurs logiques d’organisation et le poids de leur bureaucratie tendent à les enfermer dans des stratégies et modes d’action classiques. Cela complique les choses lorsqu’il s’agit de s’associer à des façons de faire plus originales ou offensives. Difficile de dire à ce stade, donc, si les précaires à l’initiative de cette mobilisation réussiront le tour de force d’y joindre les fédérations syndicales.</p>
<p>Mais qu’ils y arrivent ou non, ces enseignants ont construit au cours des toutes dernières années un <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/04/06/les-enseignants-precaires-de-l-universite-disent-leur-ras-le-bol_5281438_4401467.html">tissu d’associations</a> dans lesquelles, certes, seule une minorité de vacataires est impliquée, mais une minorité qui bénéficie d’un soutien croissant et a réalisé <a href="https://ancmsp.com/2019/04/19/organise-toi-meme-une-retention-des-notes-dans-ta-fac/">plusieurs précédents de rétention</a>, souvent couronnés de succès. Ces précédents jouent un rôle extrêmement important en ce qu’ils rendent pensable non seulement la possibilité de reproduire une telle action à plus grande échelle, mais aussi celle de décrocher une victoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessio Motta est membre du collectif Vacataires.org. </span></em></p>Malgré leur forte présence à tous les niveaux d’enseignement, les vacataires de l’université sont très peu reconnus. En ce printemps 2023, un collectif se mobilise contre leur précarité.Alessio Motta, Enseignant chercheur en sciences sociales, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2026742023-04-05T19:22:50Z2023-04-05T19:22:50ZLes étudiants engagés contre la réforme des retraites : une mobilisation inédite ?<p>Alors que se poursuit la mobilisation contre la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reforme-des-retraites-82342">réforme augmentant l’âge de départ à la retraite</a>, les étudiants et les lycéens sont beaucoup plus nombreux à descendre dans les rues, lors des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">journées nationales de manifestations</a> mais aussi lors de rassemblements locaux, qu’ils rejoignent depuis les <a href="https://www.nouvelobs.com/social/20230306.OBS70378/retraites-quelques-universites-deja-bloquees-ce-lundi.html">universités et lycées, en grève ou bloqués</a>.</p>
<p>Si on a noté la présence des <a href="https://theconversation.com/30-ans-de-luttes-etudiantes-la-victoire-est-elle-dans-la-convergence-127978">syndicats étudiants</a> aux côtés des syndicats de salariés dès le début du mouvement contre la réforme des retraites, le déclic semble avoir été l’utilisation de <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19494-le-recours-larticle-493-de-la-constitution">l’article 49.3</a> permettant l’adoption du texte sans vote par l’Assemblée nationale. C’est à partir de là que la sympathie de la jeunesse envers le mouvement social actuel s’est convertie en engagement concret.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-de-limpossible-compromis-au-49-3-185879">Réforme des retraites : de l’impossible compromis au 49.3</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En effet, si les retraites peuvent sembler une perspective lointaine à beaucoup d’étudiants, <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">l’utilisation du 49.3</a>, les obstacles mis aux actions de groupe (fermetures d’établissements, <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/reforme-des-retraites-la-justice-suspend-une-interdiction-de-rassemblement-nocturne-a-paris-6dcb45f6-b7f0-4339-beea-439259dc8359">interdiction de se réunir</a>) et les interventions brutales des forces de l’ordre constituent à leurs yeux une atteinte à la dignité collective.</p>
<p>Plaque sensible de la société, le mouvement étudiant retrouve ainsi son rôle historique de fer de lance contre les injustices et les atteintes aux libertés publiques et individuelles, comme il l’a fait depuis les <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-politique/l%E2%80%99europe-en-r%C3%A9volutions/les-%C3%A9tudiants-dans-les-r%C3%A9volutions-europ%C3%A9ennes-de-1848-1849">révolutions de 1848 en Europe</a>. Comme chaque mobilisation d’ampleur, celle de 2023 réactive des modes d’action bien connus mais elle révèle aussi de nouveaux liens entre monde étudiant et monde du travail.</p>
<h2>Le blocage, un mode d’action plus fréquent</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que la jeunesse scolarisée investit le terrain social général. Lors des <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/retraite-manifestation-greve-1995-paris-france">grèves de décembre 1995</a> contre la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-mecaniques-de-la-politique-alain-juppe-face-aux-grandes-greves-de-1995">réforme proposée par Alain Juppé</a>, Premier ministre de Jacques Chirac, même si le mouvement étudiant s’était retrouvé « noyé » dans la masse des manifestants du secteur et de la fonction publics, il n’en existait pas moins avec ses assemblées générales, ses cortèges, ses coordinations nationales. En 2006, c’est le mouvement étudiant qui avait été la locomotive du mouvement contre le <a href="http://www.germe-inform.fr/?p=1973">contrat première embauche</a>, ou CPE, réformant le code du travail, et de l’intersyndicale mise alors en place.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-la-jeunesse-point-de-bascule-de-la-mobilisation-198524">Réforme des retraites : la jeunesse, point de bascule de la mobilisation ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le <a href="http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2016/03/le-repertoire-daction-collective-%C3%A9tudiant-Morder-CDG-special-4-2003.pdf">répertoire d’action collective</a> mis en œuvre demeure celui pratiqué depuis au moins les années 1968 par les étudiants : comités de mobilisation, assemblées générales, coordinations nationales, grèves, manifestations, actions spectaculaires pour obtenir l’attention des médias, piquets de grève.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Q6AHzjMgrvk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Grève du 15 mars : étudiants et lycéens bloquent contre la réforme des retraites (L’Obs).</span></figcaption>
</figure>
<p>Le <a href="https://www.liberation.fr/societe/2006/04/20/la-loi-fillon-ecole-de-la-lutte-anti-cpe_36814/">mouvement lycéen contre la loi Fillon de 2005</a> y avait ajouté des « blocages », outils repris largement par le mouvement étudiant en 2006. On note d’ailleurs une évolution du vocabulaire : désormais, organisations de jeunes comme autorités publiques ne dressent plus un bilan des établissements « en grève », mais des établissements « bloqués ». Cela révèle-t-il une difficulté à se réunir en AG dans l’établissement, et donc de voter la grève ?</p>
<p>Dans certains cas non, le blocage n’est que la dénomination actuelle de l’ancien piquet de grève – qui peut être « explicatif » (« filtrant », ou « dissuasif » (bloquant), il est voté en AG de grévistes. Dans d’autres, c’est effectivement le seul moyen qui reste pour signifier la participation à l’action, notamment <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4022374-20230209-reforme-retraites-pourquoi-blocus-lycees-font-si-peur">dans les lycées, où la tenue de réunions</a> est subordonnée aux autorisations de l’administration, qui peut les octroyer ou non, ou quand les élèves considèrent ne pas avoir le rapport de forces suffisant pour ce faire.</p>
<p>Du côté des étudiants, comme des <a href="https://twitter.com/CoordEtudiante">délégués à la coordination nationale</a> des 1<sup>er</sup> avril et 2 avril l’ont noté, s’il y a beaucoup de participation aux manifestations, les assemblées générales demeurent – sauf exception – relativement plus restreintes, autour de 300 ou 400 en moyenne.</p>
<h2>Solidarité entre salariés et étudiants</h2>
<p>L’une de particularités de la mobilisation étudiante et lycéenne actuelle, c’est le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7SXMRx9M0EE">lien concret qu’elle établit avec les grèves et actions des salariés</a>. L’affirmation de la « solidarité étudiants travailleurs » n’est certes pas une nouveauté, elle a déjà été <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-jeudi-25-novembre-2021-3138089">proclamée en mai 1968</a>, mais la pratique était plus délicate.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JfXVRimBzdU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Paris : quelques dizaines de lycéens bloquent le lycée Racine (<em>Le Parisien</em>, 2023).</span></figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.ladepeche.fr/article/2018/03/22/2764960-mai-68-vu-afp-devant-usine-programme-est-exaltant.html">Le 17 mai 1968</a>, le cortège qui s’élance de la Sorbonne occupée vers « la forteresse ouvrière » en grève de Renault à Boulogne-Billancourt se heurte aux grilles fermées. On se parle, mais au travers de grilles. La méfiance est souvent de mise contre les « enfants de bourgeois » qui feraient une crise d’adolescence avant de devenir les « patrons de demain ». Cette sociologie était déjà erronée, mais c’est elle qui demeurait dans l’imaginaire collectif.</p>
<p>La présence étudiante et lycéenne est maintenant manifeste non seulement dans les cortèges – ce fut déjà le cas dans les mouvements de 1995, et dans les manifestations sur les retraites des années 2000 et 2010 – elle l’est aussi désormais à la base. Dans de nombreux établissements, étudiants et lycéens décident dans leurs AG et réunions de prêter main-forte aux piquets de grève de salariés, par exemple en Île-de-France <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/val-de-marne/greve-des-eboueurs-barrages-filtrants-devant-les-incinerateurs-d-ivry-sur-seine-et-d-issy-les-moulineaux-incinerateurs-2740818.htm">sur les sites de traitement de déchets</a>, et l’on a eu aussi des cas où des salariés grévistes viennent renforcer des blocages de lycéens pour les protéger face à la police. La nouveauté réside dans la systématisation de ces rencontres, leur multiplication, et que cela « va de soi » pour les acteurs.</p>
<p>En réalité, ces actions sont le révélateur de l’évolution profonde du monde du travail et en amont, du monde étudiant, univers étroitement intriqués et pour l’essentiel inséparables dans leurs origines, leur présent et leur avenir.</p>
<h2>Une jeunesse précarisée</h2>
<p>Nous sommes loin du <a href="https://theconversation.com/les-heritiers-ce-que-bourdieu-et-passeron-nous-ont-appris-de-linegalite-des-chances-177185">« petit monde des étudiants »</a>, considéré comme privilégié. Ce sont trois millions de jeunes qui sont dans l’enseignement supérieur. Leur sociologie ne correspond pas à celle de la France, <a href="https://www.education.gouv.fr/reperes-et-references-statistiques-2022-326939">ouvriers et employés demeurant sous-représentés au-delà du bac</a> (27 %) mais on ne saurait assimiler les professions intermédiaires (14 %) et tous les cadres et professions intellectuelles et supérieures mêlées dans les statistiques (34,7 %) aux couches les plus privilégiées. L’écrasante majorité des étudiants a des parents salariés (et même 12 % de retraités et « inactifs »), seuls 10 % sont issus de familles propriétaires de leurs entreprises : commerçants, artisans, agriculteurs.</p>
<p>Au cours de leurs études, <a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-Covid-171165">40 % des étudiants travaillent</a>. Si le pourcentage n’a guère varié au cours de ces dernières décennies – c’est un pourcentage déjà mis en avant dans les années 1950 – c’est le nombre qui s’est démultiplié. 40 % de 250 000 étudiants ou de 2 500 000 étudiants ne donnent pas une même force sociale. Aujourd’hui, c’est plus d’un <a href="http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2016/03/le-repertoire-daction-collective-%C3%A9tudiant-Morder-CDG-special-4-2003.pdf">million d’étudiants qui travaillent</a>, ce qui représente 6 à 7 % du salariat du privé. Autrement dit, un million de salariés, de travailleurs sont aussi étudiants.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-luniversite-le-cercle-vicieux-de-la-precarite-etudiante-201914">À l’université, le cercle vicieux de la précarité étudiante</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La massification du supérieur des dernières décennies a transformé également le salariat, et modifie donc sa connaissance, et partant sa vision du monde étudiant. <a href="https://www.observationsociete.fr/education/donnees-generales/population-par-diplome/">60 % de la population active</a> possède le bac ou équivalent, 41,5 % a suivi des études supérieures, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2416872">27 % a au moins bac +2</a> et les chiffres sont plus élevés encore dans les couches les plus jeunes (diplôme le plus élevé selon l’âge et le sexe).</p>
<p>Selon l’OIT, le <a href="https://www.capital.fr/votre-carriere/les-pays-ou-les-salaries-sont-les-plus-diplomes-1047283">salariat français</a> comptait en 2015 45 % de personnel hautement qualifié. L’accession de Sophie Binet au secrétariat général de la CGT, ancienne responsable syndicale étudiante à l’UNEF au moment de la grève contre le CPE, elle-même diplômée et cadre, est une illustration de ces mutations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robi Morder ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si des syndicats étudiants se sont joints au mouvement contre la réforme des retraites depuis janvier, la mobilisation de la jeunesse a pris une ampleur inédite depuis l’utilisation du 49.3.Robi Morder, Chercheur Associé au Laboratoire Printemps, UVSQ/Paris-Saclay, co-président du Groupe d'études et de recherches sur les mouvements étudiants (Germe), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2028812023-03-30T19:27:27Z2023-03-30T19:27:27ZPrécarité menstruelle : quand le politique et l’économique s’invitent dans l’intime<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518192/original/file-20230329-27-eubi94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=88%2C24%2C2257%2C1204&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les protections périodiques réutilisables seront bientôt remboursables, en officine, pour les moins de 25&nbsp;ans.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/mZel4xJrMUM">Unsplash/@OANA CRISTINA</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 6 mars 2023, deux jours avant la <a href="https://theconversation.com/journee-internationale-des-droits-des-femmes-et-marketing-des-operations-particulierement-risquees-201151">Journée internationale des droits des femmes</a>, la première ministre Élisabeth Borne a <a href="https://twitter.com/cavousf5/status/1632825657704022018">annoncé</a> le remboursement par la Sécurité sociale des protections périodiques réutilisables. Elle a précisé que ce serait, pour les moins de 25 ans, sans ordonnance, à partir de 2024. Cette annonce a ravivé le sujet de la « précarité menstruelle », qui se déploie dans les sphères politiques, économiques et intimes, quitte à se télescoper parfois.</p>
<p>Sous-catégorie de la <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/03/Les-r%C3%A9sultats-1.pdf">« précarité hygiénique »</a>, la « précarité menstruelle » définit la « situation vécue par toute personne qui éprouve des difficultés financières à disposer de suffisamment de protections périodiques pour se protéger correctement pendant ses règles », selon <a href="https://www.regleselementaires.com/asso/chiffres/">Règles élémentaires</a>. Cette association œuvre depuis 2015 à la visibilité du phénomène qui toucherait 4 millions de <a href="https://doccollectes.blob.core.windows.net/outils/notice_transidentit%c3%a9s.pdf">personnes menstruées</a> en France. Les conséquences de cette précarité sont à la fois physiques, psychiques et sociales. Et la situation empire d’après leur <a href="https://doccollectes.blob.core.windows.net/statics/enqu%C3%AAte%20pr%C3%A9carit%C3%A9%20menstruelle%202023.pdf">dernière enquête</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Environ 4 millions de personnes sont concernées par la précarité menstruelle en France" src="https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518191/original/file-20230329-24-ulklkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Environ 4 millions de personnes seraient concernées par la précarité menstruelle en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://doccollectes.blob.core.windows.net/statics/enquête%20précarité%20menstruelle%202023.pdf">Enquête Règles élémentaires X OpinionWay (février 2023)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Face à un phénomène <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceci_est_mon_sang-9782707192929">vieux comme le monde</a>, les politiques français n’en sont pas à leur premier coup d’essai.</p>
<p>Le 21 novembre 2015, le Sénat <a href="http://www.senat.fr/amendements/2015-2016/163/Amdt_I-3.html">vote</a> le passage de la TVA appliquée aux protections périodiques de 20 % à 5,5 %. Ainsi, les produits menstruels sont reconnus comme des denrées de première nécessité, mais <a href="https://www.lsa-conso.fr/hygiene-feminine-la-baisse-de-la-tva-n-est-pas-forcement-repercutee-sur-les-prix,229200">certains distributeurs</a> ne répercutent pas la baisse de TVA sur les prix car la loi ne les y oblige pas.</p>
<p>Pourtant, 2015 avait été baptisée l’« année de la révolution menstruelle » d’après la radio publique américaine <a href="https://www.npr.org/sections/health-shots/2015/12/31/460726461/why-2015-was-the-year-of-the-period-and-we-dont-mean-punctuation">NPR</a>. La chercheuse américaine Chris Bobel, professeure à l’université du Massachusetts et présidente du très académique <a href="https://www.menstruationresearch.org/about-the-society/">Centre de recherche sur les cycles menstruels</a> estime que ce fut une année déterminante dans l’intérêt de la sphère politique pour ce thème jusqu’ici très intime.</p>
<h2>Une Journée mondiale le 28 mai</h2>
<p>En 2019, le gouvernement français mesure la dimension internationale de l’enjeu politique. Il insiste alors sur la tenue de la <a href="https://www.gouvernement.fr/journee-de-l-hygiene-menstruelle-pourquoi-c-est-le-28-mai">Journée mondiale de l’hygiène menstruelle</a> préconisée par l’organisation non gouvernementale internationale <a href="https://www.wash-united.org/">WASH</a> depuis 2014. Cette journée a lieu chaque 28 mai : 28 symbolise le nombre de jours dans le cycle, et mai, cinquième mois de l’année, symbolise le nombre de jours des règles.</p>
<p>En 2020, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, et Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et des Solidarités, annoncent l’expérimentation de la gratuité des protections hygiéniques dans plusieurs lieux collectifs pour un <a href="https://solidarites.gouv.fr/precarite-menstruelle-experimentation-de-la-gratuite-des-protections-hygieniques">budget d’un million d’euros</a>, porté à <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/cp-commun-olivier-veran-et-elisabeth-moreno-5-millions-deuros-pour-la-precarite-menstruelle-en-2021">cinq millions</a> en 2021. Par la suite, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, met en place la gratuité des protections <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/la-ministre-de-l-enseignement-superieur-de-la-recherche-et-de-l-innovation-annonce-la-gratuite-des-46702">dans les universités</a>. Cependant, le déploiement reste à ce jour <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/hygiene/protections-hygieniques-gratuites-dans-toutes-les-universites-l-effet-d-annonce-est-passe-nous-attendons-des-choses-concretes_5163319.html">incomplet</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Certains pays européens ont choisi d’autres manières de distribuer des protections gratuitement. En <a href="https://twitter.com/scotgov/status/1559116993550340096?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1559116993550340096%7Ctwgr%5Eb83157c43f4475e5c53d90e93a4cd79754063f01%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.huffingtonpost.fr%2Flife%2Farticle%2Fles-protections-hygieniques-sont-gratuites-en-ecosse-quid-en-france_206599.html">Écosse</a>, toutes les femmes ont accès à des protections périodiques gratuites et géolocalisables par l’application mobile <a href="https://myperiod.org.uk/">PicqUpMyPeriod</a>.</p>
<p>En France, la volonté politique de distribuer des produits menstruels gratuitement est donc affichée régulièrement, mais le diable se cache dans les détails des mises en œuvre, et la sphère économique n’aime pas l’incertitude.</p>
<p>D’autant plus que ces dernières années, les campagnes des protections périodiques et les réactions qu’elles suscitent sur les réseaux sociaux montrent bien les tensions qui existent sur ce marché de l’intime.</p>
<h2>Des efforts marketing… très politiques</h2>
<p>Certaines campagnes sont saluées pour leur pragmatisme. C’est le cas de la campagne Vania <a href="https://www.voici.fr/beaute/precarite-menstruelle-quand-vania-et-le-secours-populaire-sengagent-ensemble-659618">#leconfortpourtoutes</a>, durant les mois de mai et juin 2019. L’opération est simple : un paquet acheté, une serviette envoyée au <a href="https://twitter.com/SPFIndreetLoire/status/1136560826758942722">Secours populaire</a>, qui les redistribue aux sans-abris. De même, Always affirme avoir augmenté ses dons à des jeunes filles précaires et donne de la visibilité au problème avec sa campagne <a href="https://www.always.fr/fr-fr/a-propos-de-always/non-a-la-precarite-menstruelle">« Non à la précarité menstruelle »</a>. Malgré ces engagements politiques, le discours des produits menstruels est critiqué car il propage certains tabous.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1111561282698833920"}"></div></p>
<p>Dans le cadre de mes recherches en storytelling au sein du <a href="https://lifestyle.em-lyon.com/alice-riou-2/">Lifetyle Research Center</a> de EM Lyon Business School, j’étudie ces tabous avec de la sémantique (analyse des mots) et de la sémiotique (analyse des signes). Les publicités préfèrent encore un <a href="https://twitter.com/BioecoSolidaris/status/1497713362263805958">bleu abstrait</a> à un rouge réaliste jugé trop indécent, les mots « hygiène » ou « protection » entretiennent l’idée de « sale » ou de « menace », et l’adjectif « féminine » exclut les personnes menstruées <a href="https://doccollectes.blob.core.windows.net/outils/notice_transidentit%c3%a9s.pdf">transidentitaires</a>.</p>
<p>Pourtant, certaines marques de serviettes périodiques ont fait des efforts et <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2022/08/15/monstrueuses-menstrues-ou-le-tabou-publicitaire-des-regles_6138053_3451060.html">vont droit au but en</a> changeant leur vocabulaire et leurs représentations.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1559040237300580358"}"></div></p>
<p>Mais deux types de réactions s’affrontent, toutes deux au nom de la dignité.</p>
<p>Il y a ceux qui, au nom du progrès, récompensent la campagne <a href="https://twitter.com/MarketingWeekEd/status/1049770598002507779">#bloodnormal</a> du groupe Essity. Et puis ceux qui, au nom de la décence, déposent plus de <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/culture/2647223-20191108-pub-nana-csa-autorise-diffusion-campagne-viva-vulva">1000 signalements au CSA</a> pour la campagne « Viva la vulva » de Nana.</p>
<p>Sur les réseaux, la tendance actuelle est d’affirmer que pour être acceptées, les règles doivent être montrées. Il existe même depuis 2022 une <a href="https://www.change.org/p/pour-un-emoji-qui-brise-enfin-le-tabou-des-r%C3%A8gles">pétition</a> pour la création d’un émoji qui évoquerait les règles.</p>
<h2>Une concurrence perturbée par la politique</h2>
<p>Depuis plusieurs années, sur le marché des produits menstruels, les marques avaient bien traduit les attentes de naturalité, de produits sains pour le corps et bons pour la planète. De nombreuses gammes de serviettes comportent désormais une ou plusieurs références à base de coton bio, ou sans agents blanchissants.</p>
<p>Plus récemment, innovations plus radicales, de nouveaux produits ont trouvé leur place dans les rayons, comme les culottes de règles ou les <a href="https://youtu.be/67F0ZL9Mwko">coupes menstruelles</a> en silicone. Une <a href="https://www.lsa-conso.fr/les-habitudes-changent-dans-l-hygiene-feminine,344520">étude LSA</a> montre même que ce sont ces produits réutilisables qui boostent le rayon.</p>
<p>Mais quel avenir ont les produits réutilisables vendus en grande surface depuis l’annonce du remboursement de ceux vendus en pharmacie ? Vivent-ils leurs dernières heures ? Une enquête sur un autre marché intime dresse quelques pistes.</p>
<p>L’analyse de ce qui s’est passé sur le marché des préservatifs permet d’anticiper le scénario possible sur les produits menstruels. Ces deux catégories concernent des produits intimes. D’ailleurs, sous le post de l’annonce d’Emmanuel Macron concernant les préservatifs remboursés, les commentaires réclamant le même traitement pour les serviettes hygiéniques sont présents.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Post Instagram du 9 décembre 2022 et du 27 mars 2023 @emmanuelmacron" src="https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518194/original/file-20230329-26-76qkyf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le président lui-même communique sur le remboursement du préservatif, et un des commentaires pose la question de l’équivalent pour les serviettes hygiéniques. Source.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.instagram.com/emmanuelmacron/">Post Instagram du 9 décembre 2022 et du 27 mars 2023 @emmanuelmacron</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2018, alors que <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/assurance-maladie/eden-premier-preservatif-rembourse-par-la-securite-sociale">70 % des ventes</a> de préservatifs se réalisaient en supermarché, les officines avaient pu en délivrer gratuitement <a href="https://sante.gouv.fr/archives/archives-presse/archives-communiques-de-presse/article/premier-preservatif-rembourse-par-l-assurance-maladie">sur prescription médicale</a> (60 % remboursé par la Sécurité sociale et le reste par les mutuelles). Puis, en 2023, ils sont devenus accessibles <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16208">sans prescription</a> pour les moins de 26 ans.</p>
<p>Leur remboursement avait <a href="https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/actu/actualites/actus-medicaments/preservatifs-gratuits-on-connait-le-circuit-de-delivrance.html">pris de court</a> les pharmaciens. Les marques distribuées en grandes surfaces avaient craint un détournement de leur clientèle, voire un trafic de préservatifs gratuits sur le marché noir.</p>
<h2>Des effets finalement limités</h2>
<p>Mais le dispositif est resté assez <a href="https://www.paris-normandie.fr/id368536/article/2022-12-09/gratuite-des-preservatifs-en-france-quatre-questions-pour-tout-comprendre">méconnu</a> des jeunes d’après L’Élysée et les associations de prévention des maladies sexuellement transmissibles le <a href="https://transversalmag.fr/articles-vih-sida/1431-Preservatifs-sur-ordonnance-premier-bilan-a-deux-ans">déplorent</a>. En effet, 4 millions de préservatifs remboursés sur les trois premiers mois de 2023, ce n’est rien comparé aux <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/vih-sida/notre-action/">113 millions</a> vendus chaque année en France.</p>
<p>Ainsi, les grandes surfaces n’ont pas connu d’écroulement de leurs ventes en raison du remboursement en officine, ni l’émergence d’un marché noir. Elles ont renforcé leur marketing en développant de nouveaux produits et en construisant un storyteling attirant pour les jeunes. La <a href="https://www.airofmelty.fr/marques/durex-mise-sur-les-sexplorers-pour-sa-nouvelle-signature-25469.html">contre-offensive de Durex</a> en ce début d’année 2023 passe notamment par l’association avec trois influenceurs très suivis.</p>
<p>Si le parallèle peut être fait entre ces deux produits intimes, il semblerait que les marques de protections périodiques réutilisables vendues hors des officines n’aient pas de soucis à se faire si leurs récits de marques se distinguent bien de celui employé par les marques officinales et si elles évitent les écueils sémantiques et sémiotiques dans leur communication.</p>
<p>À moins que la mode du <a href="https://twitter.com/2400jours/status/1242880991028527104">free-bleeding</a>, consistant à ne porter aucune protection pendant les règles, ne mette ironiquement fin à tous ces marchés ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202881/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Riou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 2024, certains produits menstruels réutilisables seront remboursés en officine. Une annonce qui interroge les marques de produits équivalents vendus en grande surface.Alice Riou, Professeur Associé - Marketing et Innovation, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2019142023-03-22T23:53:08Z2023-03-22T23:53:08ZÀ l’université, le cercle vicieux de la précarité étudiante<p>À l’heure où le recours aux <a href="https://www.liberation.fr/economie/les-points-daide-alimentaire-de-plus-en-plus-sollicites-20230227_75UBS5SWTVFOBD62TCGLMBKWIY/">banques alimentaires</a> explose et où la <a href="https://theconversation.com/bourses-etudiantes-comment-corriger-les-inegalites-du-systeme-francais-191611">réforme des bourses étudiantes</a> se fait attendre, la <a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-Covid-171165">précarité de la jeunesse</a> devient un sujet central. Celui-ci a été mis sur le devant de la scène avec la pandémie et les confinements successifs. Les analyses de l’<a href="https://www.ove-national.education.fr/publication/ove-infos-n45-une-annee-seuls-ensemble/">Observatoire de la vie étudiante</a> ont montré la dégradation de la situation économique des étudiantes et étudiants, alors placés à l’écart du marché du travail, et la progression des difficultés psychologiques. Et, pour la rentrée 2023, les organisations étudiantes sont pessimistes. Dans son enquête annuelle dévoilée mercredi 16 août, la FAGE a pointé <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/08/16/le-cout-de-la-vie-etudiante-atteint-un-nouveau-record_6185505_3234.html?random=4464626">une hausse du coût de la vie étudiante « historique »</a>, dans le sillage <a href="https://www.leparisien.fr/economie/consommation/jamais-on-navait-atteint-de-tels-sommets-le-cout-de-la-rentree-etudiante-en-hausse-de-647-D53C2NDLWJG6RN5J4YSCL7AKXU.php">des prévisions faites par l'UNEF</a>.</p>
<p>Pour autant, peu de recherches permettent de bien cerner l’étendue de cette précarité et son évolution dans le temps. La mesurer objectivement à partir des ressources dont disposent les jeunes pose de nombreuses difficultés étant données la variété de leurs sources et de leurs formes, à commencer par les aides des familles, versées directement ou indirectement.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-crise-sanitaire-affecte-la-sante-mentale-des-etudiants-163843">Comment la crise sanitaire affecte la santé mentale des étudiants</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Réalisée à l’échelle de l’Université Paris-Nanterre au printemps 2022, <a href="https://www.parisnanterre.fr/enquete-sur-les-conditions-de-vie-des-etudiants-de-luniversite-paris-nanterre">l’enquête <em>Conditions de vie étudiantes</em></a> coordonnée par la mission précarité et santé de l’établissement nous apporte un éclairage de terrain sur l’ampleur de cette précarité et le caractère multidimensionnel du phénomène. Voici les enseignements qu’on peut tirer de près de 2500 réponses – redressées sur critères de bourse, sexe, catégorie socioprofessionnelle des parents, nationalité, série et mention du baccalauréat, niveau d’étude, discipline et formation.</p>
<h2>Une précarité qui pèse sur la santé des jeunes</h2>
<p>22 % des étudiantes et des étudiants interrogés déclarent avoir eu des difficultés financières telles qu’il leur a été impossible de faire face à leurs besoins (alimentation, loyer, EDF…) depuis le début de l’année universitaire. 12 % ont des factures impayées ou des retards de paiement. Par conséquent, la place de l’emploi étudiant dans leur vie est cruciale : plus d’un étudiant et d’une étudiante sur deux travaillent en parallèle de ses études (contre <a href="https://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2022/03/OVE-INFOS-46-Une-uberisation-du-travail-etudiant.pdf">40 % à l’échelle nationale</a> selon l’Observatoire de la vie étudiante), et parmi celles et ceux qui travaillent, 61 % déclarent que cette activité leur est indispensable pour vivre.</p>
<p>Les difficultés à boucler les fins de mois se répercutent sur d’autres dimensions, à commencer par leur alimentation : depuis la rentrée, 13 % déclarent ne pas avoir mangé à leur faim pour des raisons financières et un sur 10 a eu recours à une aide alimentaire (bon CROUS, distribution de colis, banque alimentaire, épicerie sociale et solidaire, e-carte…).</p>
<p>Ces restrictions de budget ont des répercussions aussi sur leur santé : plus d’une personne interrogée sur 10 a renoncé à voir un médecin ou un autre professionnel de santé pour des raisons financières, et respectivement 21 % et 41 % d’entre elles perçoivent leur état de <a href="https://theconversation.com/comment-la-crise-sanitaire-affecte-la-sante-mentale-des-etudiants-163843">santé physique et psychologique</a> comme « très mauvais » ou « mauvais », ce qui va de pair avec un sentiment de nervosité intense pour 16 %.</p>
<p>Les situations de logement étudiant sont parfois d’une extrême précarité : 1,3 % n’ont pas de logement pérenne et sont hébergées gratuitement mais temporairement, parfois contre paiements en nature. Plus généralement, 16 % disent rencontrer de grandes difficultés concernant leur logement actuel. Sur l’ensemble de l’échantillon, 25 % déclarent des difficultés de logement en lien avec son coût, 23 % en lien avec la surface, 5 % sur l’accessibilité, 10 % sur l’insalubrité et 9 % sur le chauffage. Seulement 6 % des étudiantes et étudiants de l’université habitent un logement CROUS, quand 72 % déclarent ne pas en avoir besoin, preuve du manque criant de logement social étudiant.</p>
<h2>Des étudiantes et étudiants étrangers en grande précarité</h2>
<p>Pour analyser les profils des étudiantes et étudiants précaires, nous nous appuyons sur un score d’expérience de la précarité étudiante construit selon la méthode proposée par <a href="https://resosup.fr/IMG/pdf/Cahier_de_Resosup_no5.pdf">Resosup (2016)</a>. Ce score, variant de 0 à 12, combine les différentes dimensions de la précarité mentionnées plus haut (économies, emploi, isolement, renoncement aux soins, expérience de la faim, perception de l’état de santé). Le score moyen s’élève à 2,5 (sur une échelle de 0 à 12), et 20 % des étudiants ont un score supérieur ou égal à 5. Cette mesure de la précarité varie selon les situations sociale et résidentielle des étudiantes et étudiants.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/precarite-etudiante-un-vecu-lie-a-lage-et-au-soutien-familial-127070">Précarité étudiante : un vécu lié à l’âge et au soutien familial</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La cohabitation avec les parents joue un rôle protecteur. Les étudiants et étudiantes vivant chez leurs parents ont en effet le score de précarité le plus bas. Les plus précaires sont celles et ceux qui n’ont pas de logement pérenne (score de 6,1), ainsi que celles et ceux habitant en résidence collective, en foyer, internat ou logement CROUS, avec un score de 4,2. Les femmes décohabitantes connaissent des niveaux de précarité plus élevés que les hommes.</p>
<p>41 % des étudiantes et étudiants étrangers connaissent une situation de grande précarité, avec un score supérieur ou égal à 5, soit deux fois plus élevé que celui des étudiantes et étudiants français. La nationalité étrangère est donc sans conteste un déterminant fort de la précarité, de même que l’origine sociale : les enfants de cadres ont un score deux fois plus faible que ceux d’origine très défavorisée. <a href="https://theconversation.com/precarite-etudiante-un-vecu-lie-a-lage-et-au-soutien-familial-127070">Les ressources économiques des parents</a>, saisies à travers la bourse, déterminent aussi la vulnérabilité étudiante : les boursières et boursiers font plus souvent l’expérience de la précarité, et en tendance, plus les ressources économiques familiales des étudiantes et étudiants sont faibles (et donc plus les montants des bourses s’élèvent avec l’échelon de bourse), plus les scores de précarité s’élèvent.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Sur le plan scolaire, les étudiantes et étudiants les plus vulnérables étudient dans les formations de langues et sont titulaires d’un équivalent au baccalauréat. Inversement, les étudiantes et étudiants en BUT et DUT et dans une moindre mesure, celles et ceux en première année de licence et de doctorat, ainsi que celles et ceux dans des formations de sciences fondamentales et AES, sont moins précaires. Et chez les étudiantes et étudiants ayant quitté le domicile parental, à caractéristiques sociales contrôlées, celles et ceux des filières de langues, sciences humaines et Staps font partie des plus précaires.</p>
<h2>Des aides institutionnelles méconnues et insuffisantes</h2>
<p>La bourse permet-elle de réduire les inégalités étudiantes devant la précarité ? Et qu’en est-il des autres aides institutionnelles, comme le lien avec les assistantes sociales du Crous, l’accès à un logement Crous ou une aide alimentaire ? Pour y répondre, nous utilisons des méthodes d’analyse qui permettent d’isoler différents facteurs participant de la précarité chez les étudiants et étudiantes décohabitants, lesquelles font davantage l’expérience de la précarité que les autres.</p>
<p>Notre enquête montre que ces aides sont efficaces, dans la mesure où elles réduisent les inégalités sociales, mais très insuffisantes à plusieurs égards. Les plus précaires restent, après redistribution <em>via</em> les aides, les plus précaires, ce qui traduit l’insuffisance des montants versés pour la bourse et la faiblesse des moyens mis en œuvre dans la lutte contre la précarité plus largement.</p>
<p>Les modèles soulignent en outre les biais de méconnaissance des dispositifs dans l’accès aux aides. Par exemple, un tiers des étudiantes et étudiants étrangers déclarent qu’ils ou elles auraient eu besoin d’une aide mais ne savaient pas qu’ils ou elles pouvaient en faire la demande. C’est le cas d’un dixième des étudiantes et étudiants de nationalité française.</p>
<p>De plus, outre l’épreuve de la précarité, les bénéficiaires des aides peuvent faire l’expérience du stigmate associé, qui accroît peut-être la perception de la précarité vécue ou la capacité à la dire. De fait, l’expérience vécue aux guichets lors des démarches administratives est souvent difficile pour les demandeurs et demandeuses. Et quand ils et elles obtiennent les aides, les bénéficiaires sont alors étiquetés comme tels, pas toujours avec une image positive, ce qui peut augmenter leur identification à une population précaire.</p>
<p>Une enquête qualitative qui débute pourra permettre de mieux appréhender ces expériences de précarité et de sollicitation d’aides, en les replaçant dans des trajectoires longues.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit avec l’appui de la mission Précarité et santé des étudiant·e·s de l’université Paris-Nanterre.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201914/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le recours aux banques alimentaires explose et que la réforme des bourses étudiantes tarde, les enquêtes de terrain nous renseignent sur l’ampleur de la précarité qui touche la jeunesse.Fanny Bugeja, MCF en sociologie à l’Université Paris Nanterre, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLeila Frouillou, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1981672023-01-26T18:10:23Z2023-01-26T18:10:23ZAccès à l’emploi : la double peine des femmes précaires et peu qualifiées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506324/original/file-20230125-12-5967jn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C2043%2C1354&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation contre la réforme des retraites du 19 janvier 2023 à Paris. Pour de nombreuses femmes, avant même la question de la retraite équitable se pose celle de l'accès équitable au marché du travail.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52637098004/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La récente mise à l’agenda politique d’une énième réforme des retraites a suscité des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/retraites-en-dehors-de-la-reforme-point-de-salut-5088895">analyses</a> sur les risques d’accroissement des inégalités de revenu entre les femmes et les hommes qu’elle comporte.</p>
<p>En France comme dans la plupart des autres pays européens, de <a href="https://www.inegalites.fr/Le-niveau-des-retraites-selon-le-sexe?id_theme=22">tels écarts existent déjà</a>, avant même l’âge de la retraite, en premier lieu en raison d’inégales rémunérations comme le relève <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4514861">l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)</a>.</p>
<p>Pour les femmes en emploi les moins qualifiées, dont le diplôme est inférieur au baccalauréat, ces inégalités s’expliquent d’abord par des volumes de travail plus réduits. De fait, en 2019, le temps partiel représentait en France, selon l’enquête emploi de l’Insee, 28,4 % de l’emploi féminin chez les 15-64 ans, mais seulement 8,3 % de celui des hommes ; il est particulièrement présent dans des secteurs d’activité très féminisés tels que les services à la personne ou la grande distribution.</p>
<p>À cela s’ajoutent des salaires horaires peu élevés dans ces secteurs. En 2020, par exemple, 9 aides à domicile sur 10 <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lCK3NTxe-L4">gagnent moins que le smic mensuel net</a> soit 1 202,92€.</p>
<p>Mais si les positions différenciées sur le marché du travail sont à l’origine d’inégalités importantes, l’inégal accès à ce marché ne l’est pas moins.</p>
<p>En France, d’après les données Eurostat pour 2019, le taux d’emploi des femmes (68,1 % chez les 20-64 ans) reste inférieur à celui des hommes (75,2 %). Et les femmes peu ou pas diplômées sont celles qui ont les <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2018-6-page-131.htm">taux d’emploi les moins élevés</a>. Cette inégalité financière engendre d’autres types d’inégalités, l’emploi restant, dans notre société, le principal vecteur de reconnaissance sociale.</p>
<p>Que font aujourd’hui les politiques publiques pour remédier à ce problème ? Les défis, relevant à la fois des politiques de formation, de régulation du temps de travail et des formes d’emploi, sont nombreux.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Une mise en œuvre politique à faible impact</h2>
<p>Les politiques qui visent à favoriser l’accès au marché du travail pour les personnes qui en sont privées ont aussi un rôle à jouer. Si l’objectif d’égalité des sexes est officiellement reconnu par les institutions de ce secteur depuis le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2014-3-page-111.htm">début des années 2000</a>, la mise en œuvre concrète de ces politiques ne permet que marginalement de corriger les inégalités femmes/hommes dans l’accès à des emplois de qualité sur le marché du travail.</p>
<p>Dans les années 2000, dans un contexte où les pouvoirs publics européens s’inquiètent des modalités de financement de la protection sociale, la hausse du taux d’emploi des femmes est <a href="https://www.peterlang.com/document/1053820">mise à l’agenda de l’Union européenne</a>. Cet objectif gagne alors en légitimité dans les politiques d’emploi françaises : des formations sur le genre sont parfois dispensées à ses professionnel·le·s, des postes de chargé·e de mission à l’égalité sont créés dans certaines institutions du service public de l’emploi et auprès de ses partenaires, l’objectif d’égalité est visibilisé dans plusieurs documents directeurs des politiques d’emploi.</p>
<p>En outre, des professionnelles du secteur sensibilisées à ces questions montent quelques initiatives ciblant des demandeuses d’emploi en difficulté d’insertion.</p>
<h2>Des marges de manœuvre existantes mais limitées</h2>
<p>Ces initiatives s’inscrivent alors largement dans la continuité des premières démarches pour l’emploi des femmes menées par les institutions en charge des droits des femmes au sein de l’État français à partir des années 1980.</p>
<p>Il s’agit souvent d’orienter des chômeuses peu ou pas qualifiées vers des secteurs habituellement occupés par des hommes, où les employeurs peinent à recruter (transport ou bâtiment notamment), et où la qualité de l’emploi (avec des CDI à temps plein par exemple) est meilleure que dans les secteurs où elles s’orientent généralement (grande distribution, secrétariat, aide à domicile).</p>
<p>Il peut aussi s’agir de coopérer avec des professionnel·le·s de la politique familiale pour faciliter l’accès des jeunes enfants de chômeuses à un mode de garde, ou son financement. Plus rarement, on observe des actions d’un nouveau type, proposant un accompagnement spécifique à des femmes sans emploi <a href="https://www.cairn.info/je-travaille-donc-je-suis--9782707199706-page-132.htm">victimes de violences sexistes et sexuelles</a> et entravées à ce titre dans leur accès au marché du travail.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Collectif femmes contre les précarités en manifestation à Paris le 8 mars 2018" src="https://images.theconversation.com/files/506112/original/file-20230124-12-23wq05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506112/original/file-20230124-12-23wq05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506112/original/file-20230124-12-23wq05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506112/original/file-20230124-12-23wq05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506112/original/file-20230124-12-23wq05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506112/original/file-20230124-12-23wq05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506112/original/file-20230124-12-23wq05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Collectif femmes contre les précarités en manifestation à Paris le 8 mars 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/40695789721">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, les marges de manœuvre professionnelles pour infléchir les parcours des femmes accompagnées, bien que limitées, existent. Outre les actions décrites ci-dessus, les professionnel·le·s de l’emploi peuvent aussi favoriser certaines mises en relation entre employeur et personne sans emploi, ou choisir les personnes qui bénéficieront des mesures proposées par le service public de l’emploi (formations, emplois aidés, etc.).</p>
<p>Mais même si de telles initiatives existent, la prise en compte effective des inégalités de genre qui structurent le marché du travail reste peu fréquente. Comment l’expliquer ?</p>
<h2>Les enjeux de l’insertion</h2>
<p>D’une part, les conditions de travail du secteur de l’insertion sont difficiles. Dans un contexte où le nombre de chômeurs et chômeuses à suivre par les professionnel·le·s de l’insertion est souvent élevé (il peut à Pôle emploi dépasser 100 personnes même quand celles-ci sont considérées comme étant en difficulté d’insertion), les conseillers et conseillères en insertion ont « le nez dans le guidon », comme le dit <a href="https://public-pur-production.azurewebsites.net/product/8818/genre-et-politiques-d-emploi">l’une d’elles</a>. Il est alors difficile de prendre le temps de réfléchir aux marges de manœuvre existant pour favoriser l’égalité.</p>
<p>Cette prise de recul sur les pratiques professionnelles apparaît d’autant plus difficile à prendre quand la précarité parfois grande des publics suivis confronte les professionnel·le·s à des situations d’urgence sociale. L’égalité femmes/hommes apparaît alors comme un objectif non prioritaire.</p>
<p>D’autre part, la centralité de l’objectif de retour rapide à l’emploi, qui prime dans les institutions du service public de l’emploi sur celui de l’accès à un emploi de qualité (CDI, temps plein), peut placer les professionnel·le·s de l’insertion dans des situations difficiles. Dans un contexte institutionnel où pèsent souvent des <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-territoriales--9782724626001-page-208.htm?contenu=article">objectifs chiffrés</a> de retours en emploi des publics suivis, la tentation existe parfois de donner la priorité aux profils considérés comme les plus facilement insérables sur le marché du travail.</p>
<p>Certaines catégories de demandeuses d’emploi ne le sont pas. Ainsi, tant que la question de la garde de leur jeune progéniture n’est pas résolue, des mères de jeunes enfants peuvent être écartées des dispositifs d’accompagnement dit renforcé vers l’emploi.</p>
<p>Cette sélection à l’entrée des dispositifs concerne parfois aussi celles qui se sont consacrées prioritairement aux affaires familiales et domestiques, et qui atteignent 50 ans sans expérience professionnelle préalable. Quand elles sont immigrées, elles peuvent aussi rencontrer des difficultés linguistiques. Leurs « parcours vers l’emploi » exigent généralement des étapes supplémentaires par rapport aux parcours plus classiques (avec par exemple une nécessaire mise à niveau sur le plan linguistique et/ou une formation pré-qualifiante avant de pouvoir envisager une formation qualifiante). L’objectif de retour rapide à l’emploi peut alors sembler trop lointain aux professionnel·le·s de l’emploi qui se soucient des objectifs quantifiés.</p>
<h2>Activer d’autres leviers</h2>
<p>La lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes ne peut reposer sur les seules épaules des professionnel·le·s de l’emploi et de l’insertion, dont le travail apparaît fortement contraint et dont les objectifs sont nombreux, et parfois difficilement conciliables.</p>
<p>Une politique publique de l’emploi qui viserait à faire reculer ces inégalités devrait également activer des leviers structurels, comme celui du recul des offres d’emploi à temps partiel, qui précarisent toute une partie de la <a href="https://www.inegalites.fr/temps-partiel-subi?id_theme=22">population active féminine</a> – quitte à réduire la durée légale du travail pour toustes, afin de favoriser une articulation des temps de vie plus viable.</p>
<p>La revalorisation des secteurs d’activité féminisés, indispensables pour le bien-être de notre société, en particulier tous les métiers du soin et de l’aide aux personnes vulnérables, constitue également une exigence fondamentale, car la politique de diversification professionnelle, pour légitime qu’elle soit, n’absorbera jamais l’ensemble de la main d’œuvre féminine.</p>
<p>L’égalité ne peut être à géométrie variable. Les dispositifs tels que les quotas, s’ils sont utiles, ne visent que les femmes les <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2016-1-page-27.htm?contenu=article">plus qualifiées et les plus dotées</a>. En restreignant la réflexion sur les inégalités de revenu au plafond de verre, les politiques d’égalité des sexes ratent toute une partie de leur cible : les plus précaires, pour qui l’accès au marché du travail et à un emploi de qualité reste un enjeu fondamental.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’appuie sur une enquête de l’autrice récemment parue aux Presses universitaires de Rennes <a href="https://pur-editions.fr/product/8818/genre-et-politiques-d-emploi">Genre et politiques d’emploi Une comparaison France-Allemagne</a>, 2022</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198167/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gwenaëlle Perrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour les femmes les moins qualifiées et les plus précaires, les inégalités sociales et économiques commencent par l'accès au marché du travail, avant même de pouvoir envisager une retraite digne.Gwenaëlle Perrier, maîtresse de conférence en science politique, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1984282023-01-26T11:44:54Z2023-01-26T11:44:54ZSobriété : Et si on s’inspirait de ceux et celles qui la pratiquent au quotidien ?<p>« Je baisse, j’éteins, je décale » : c’est à partir de ce slogan que le gouvernement entend sensibiliser la population à la sobriété énergétique et promouvoir les éco-gestes. L’explosion des coûts de l’énergie – en partie imputable au conflit russo-ukrainien – apparaît depuis quelques mois comme l’opportunité de réduire ou optimiser nos consommations individuelles et collectives. </p>
<p>Un ensemble de « trucs et astuces » ont été mis en avant <a href="https://agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/maison/economies-denergie/20-solutions-reduire-consommation-delectricite">par les médias et les agences de l’État</a> pour réduire significativement notre consommation d’énergie, repenser les approvisionnements alimentaires ou bien encore optimiser nos déplacements. </p>
<p>Si personne ne semble opposer de résistance au contenu de ces incitations, leur réception n’est toutefois pas uniforme : quand les mieux dotés ont tendance à y voir un message de bon sens, voire les <a href="https://www.puf.com/content/La_conversion_%C3%A9cologique_des_Fran%C3%A7ais">prémices d’un tournant écologique attendu de longue date</a>, les plus précaires – on parle principalement ici des personnes qui se situent hors emploi – ont eux tendance à se sentir peu concernés par des appels à une sobriété qu’ils ne connaissent déjà que trop bien.</p>
<p>Une étude que nous avons menée en 2020-2021 dans le cadre du <a href="https://msh-dijon.u-bourgogne.fr/actualites/livinglabterritorial/">Living lab territorial</a> pour la transition sociale et écologique de la Maison des sciences de l’homme de Dijon révèle que les plus précaires possèdent déjà une véritable expertise de l’optimisation énergétique. </p>
<p>Cette étude a consisté en 20 entretiens semi-directifs ayant pour but de sonder les pratiques de débrouillardise développées au quotidien pour parvenir à boucler son budget mensuel. Ces entretiens taisaient volontairement la variable écologique afin de la laisser émerger le cas échéant. Ils ont été complétés par trois entretiens collectifs en lien avec des associations permettant de produire et confronter différents discours de justification de ces pratiques.</p>
<h2>Sept besoins fondamentaux à satisfaire</h2>
<p>C’est en effet en situation de sobriété contrainte que les individus bricolent les pratiques de débrouillardises à la fois les plus efficaces et les plus adaptées à leur quotidien. Ils déploient et affinent ainsi, au fur et à mesure du temps, de véritables compétences de gestion dédiées à la survie. </p>
<p>Pour parvenir à « boucler les fins de mois », les plus précaires n’ont en effet d’autres choix que d’opérer à des optimisations et arbitrages articulés autour de sept besoins principaux relevant d’une égale importance : se loger et aménager son logement, pour s’y sentir véritablement chez soi ; se nourrir d’une manière jugée convenable ; se déplacer de façon à ne pas se sentir assignée à un territoire restreint ; se vêtir de manière confortable et valorisante ; s’alimenter en énergie et en eau de manière suffisante, mais supportable ; développer des liens de solidarité pour s’entraider dans la difficulté ; prendre soin de soi et des autres, afin de conserver une estime de soi suffisante. </p>
<p>C’est une forme de débrouillardise populaire écologique qui se développe en situation de contrainte économique, prise dans une ambiguïté entre sobriétés subie et quête d’estime sociale d’une expertise citoyenne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506316/original/file-20230125-22-z5n9du.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Cartographie des pratiques de la débrouillardise pour répondre aux 7 besoins fondamentaux du quotidien.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fourni par les auteurs</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À n’en pas douter, la motivation première de l’investissement dans cette débrouillardise est économique et s’inscrit dans les conséquences des inégalités environnementales liées à l’accès aux ressources et aux services de première nécessité. </p>
<p>Les dépenses sont ainsi prises dans une sorte de matrice mentale qui suppose, avant toute chose, de pourvoir à ses besoins tout en se conformant aux contraintes budgétaires. Le registre de pratiques autour des économies d’énergie et de l’eau est représentatif de cette sobriété sous contrainte impliquant une charge mentale dont beaucoup préféreraient se défaire.</p>
<h2>Des îlots de débrouillardise</h2>
<p>Parce qu’elle suppose de vivre en sobriété et de s’appuyer sur des solutions durables dès que possible, la précarité incline à développer des pratiques par ailleurs qualifiées d’écologiques. </p>
<p>Le logement est bien souvent à taille restreinte et décoré à partir d’objets récupérés ou achetés en seconde main. La cuisine accueille généralement un congélateur permettant d’accueillir les denrées achetées en quantité lors des promotions. La « chasse aux bonnes affaires » permet en outre d’accéder occasionnellement à des produits de plaisir (fromage à raclette, pâte à tartiner…) pour faire plaisir aux enfants ou se donner le sentiment de consommer « comme tout le monde », comme l’évoque le sociologue <a href="https://journals.openedition.org/lectures/41256">Denis Colombi</a>. </p>
<p>Les quantités d’énergies consommées sont réduites au strict minimum. Là non plus, les plus précaires n’ont pas attendu les incitations aux baisses de consommation pour préférer enfiler un pull à des dispositifs de chauffage souvent vétustes et énergivores. </p>
<p>Par ailleurs, les vêtements de la penderie sont largement issus de trocs ou acquis en seconde main, et les pratiques de soin du corps, qui reposent largement sur la fabrication « maison » des cosmétiques (par ailleurs proche du mouvement « zéro déchets ») et des compétences développées par la pratique (coiffure, esthétisme…) relèvent d’un travail du quotidien. </p>
<p>À l’extérieur, les pratiques de mobilité reposent largement sur la mutualisation des moyens de transport ou le recours à des mobilités certes avantageuses économiquement, mais coûteuses en temps ou en compétences (transports en commun, mobilités dites « douces », mais qui se révèlent parfois dures lorsqu’il s’agit de transporter des affaires et/ou se déplacer sur une longue distance). </p>
<p>En outre, ces pratiques se développent, se peaufinent, se partagent et s’alimentent au travers d’un ensemble de sociabilités développées au sein d’îlots de débrouillardise : brocantes, ressourceries et associations de quartier représentent autant de lieux qui confèrent une précieuse sociabilité et permettent d’enrichir ses compétences.</p>
<h2>Une écologie à « nous »</h2>
<p>Toutes ces pratiques de sobriété appellent ainsi à une redéfinition par la pratique de ce dont peut relever la sobriété. En leur sein se loge, en effet, une <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2021-4-page-37.htm">conception populaire de l’écologie qui s’oppose aux discours dominants sur les enjeux environnementaux</a>. </p>
<p>Ainsi, les plus pauvres confrontent volontiers une écologie « à nous » – jugée réaliste, car fondée sur l’expérience pratique du quotidien, et qui se confronte à la faiblesse des ressources économiques ainsi qu’aux restrictions d’accès qu’impliquent la ruralité ou les périphéries urbaines – à une écologie « à eux », celle des élites politiques et médiatiques, vécue comme moralisante, voire punitive, et considérée comme déconnectée des réalités de vie des populations, notamment parce qu’elle se base largement sur un mode de vie davantage urbain et plus aisé. </p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Au programme, un mini-dossier, une sélection de nos articles les plus récents, des extraits d’ouvrages et des contenus en provenance de notre réseau international. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
<hr>
<p>Cette conception alternative de l’écologie se fonde sur quelques logiques culturelles – primat donné à la famille, importance de l’honneur personnel notamment – que l’on retrouve par ailleurs dans les travaux portant sur les milieux populaires ; on peut citer ceux de <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Culture_du_pauvre-2122-1-1-0-1.html">Richard Hoggart</a> ou encore ceux d’<a href="https://www.cairn.info/le-monde-prive-des-ouvriers--9782130608769.htm">Olivier Schwartz</a>. </p>
<p>Elle traduit ainsi un attachement aux liens sociaux de proximité, en premier lieu desquels on retrouve la famille. La sphère domestique correspond à un refuge, et les liens qu’elle contient sont à prioriser. Ainsi, les pratiques de frugalité pour soi relèvent ici d’un sacrifice pour ses enfants. La jeune génération représente un double espoir : celui de l’ascension sociale individuelle autant que de la salvation écologique collective. </p>
<h2>Des pratiques valorisantes</h2>
<p>Cette conception de l’écologie participe également à sauver son honneur et son estime personnelle, en ce qu’elle permet de revaloriser des pratiques développées en situation de pauvreté à l’aune des nouvelles préoccupations écologiques moralement valorisées. </p>
<p>Plus encore, elle permet d’affirmer un mode de vie qui serait « réellement écologique », non seulement sobre, mais qui demande un investissement en temps, en compétences et en travail quotidien, face à des pratiques qui ne remettent pas en cause la société de consommation (mobilité électrique, consommation de produits bios) et empreintes de « distinction verte » voire de <em>greenwashing</em>. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387185/original/file-20210302-21-1dditw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=258%2C77%2C5492%2C3492&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387185/original/file-20210302-21-1dditw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387185/original/file-20210302-21-1dditw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387185/original/file-20210302-21-1dditw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387185/original/file-20210302-21-1dditw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387185/original/file-20210302-21-1dditw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387185/original/file-20210302-21-1dditw0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Réparer pour retarder au maximum les achats.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/technician-repairing-smartphones-motherboard-lab-showing-1662975682">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette écologie fondée sur la revendication du goût de l’effort permet alors de contrer l’étiquette d’inactif que peuvent subir les personnes sans emploi.</p>
<p>Sans ériger les plus pauvres en héros de la transition écologique, car une part de la débrouillardise est bien subie, il est possible de trouver dans l’expérience de la précarité des savoirs et des compétences à partir desquels redéfinir des objectifs qui soient à la hauteur des enjeux de réduction des consommations. </p>
<p>En d’autres termes, et alors que les mesures politiques d’incitation à la baisse des consommations énergétiques se multiplient, l’attention portée aux modes de vie des plus pauvres rappelle qu’une expertise ordinaire de la sobriété n’a pas attendu la crise pour se développer et se partager. En outre, les appels à la sobriété doivent prendre en considération les injustices environnementales que subissent les plus pauvres, ces derniers ne pouvant guère aller plus loin en la matière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198428/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gaëtan Mangin est membre du Living lab territorial pour la transition écologique (LTTE) hébergé par la MSH de Dijon depuis 2020. Il y était salarié en tant qu'ingénieur d'étude au moment où cette recherche fut menée.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alex Roy est membre du Living lab territorial pour la transition écologique (LTTE) de la MSH de Dijon. </span></em></p>En situation de sobriété subie, les populations précaires deviennent expertes d’une économie de la débrouille dont les vertus écologiques sont nombreuses. Gaëtan Mangin, ATER en sociologie, Université d'ArtoisAlex Roy, Chercheur associé en sociologie urbaine, ENTPELicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957702023-01-02T19:09:50Z2023-01-02T19:09:50ZLa culture entrepreneuriale est-elle vraiment plus développée ailleurs qu’en France ?<p>L’entrepreneuriat constitue un moteur essentiel de la santé et de la richesse de la société. Il est également un formidable moteur de la croissance économique. Il favorise l’innovation nécessaire pour non seulement exploiter de nouvelles opportunités, promouvoir la productivité et créer des emplois, mais aussi pour relever certains des plus grands défis de société, tels que les <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/">objectifs de développement durable (ODD)</a> des Nations unies.</p>
<p>La promotion de l’entrepreneuriat figure ainsi au cœur des préoccupations de nombreux gouvernements dans le monde. En France, les chiffres de la création d’entreprise ont atteint de nouveaux records, avec près <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/pres-d-1-million-d-entreprises-ont-ete-creees-en-france-en-2021">d’un million de nouvelles entreprises en 2021</a>, même si ce chiffre peut être relativisé en raison de la part du micro-entrepreneuriat et de l’entrepreneuriat lié aux plates-formes. Est-ce le reflet d’une culture entrepreneuriale qui s’est développée et installée ces dernières années ? Et comment se situe la France par rapport aux autres pays dans son rapport à l’entrepreneuriat ?</p>
<p>Pour répondre à ces questions, nous avons mené, en 2021, deux études pour le <a href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor</a> (GEM) dans le cadre du LabEx Entreprendre de l’Université de Montpellier : la première porte sur l’activité entrepreneuriale et est menée auprès de la population française de 18 à 64 ans (Étude APS) ; la seconde porte sur l’écosystème entrepreneurial national et est réalisée auprès d’un panel d’experts (Étude NES). Ces deux études sont répliquées dans d’autres pays par des équipes nationales adhérentes au GEM, permettant ainsi une comparaison internationale.</p>
<h2>La France dans la moyenne</h2>
<p>L’étude menée auprès des experts montre notamment que, parmi les pays du G7, il existe une certaine proximité sur la perception de l’écosystème entrepreneurial, qui est vu comme globalement favorable. Seuls les États-Unis (5,3/10) se distinguent légèrement. On peut noter une forte similarité entre des pays comme l’Allemagne, le Canada et la France (5,1/10) pour lesquels les conditions sont perçues globalement comme assez favorables. Ces conditions sont en revanche perçues comme moins favorables pour l’Italie et le Japon (4,7/10).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=198&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=198&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=198&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500723/original/file-20221213-16138-3sffsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor (2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parmi les 19 pays les plus riches participant au GEM, la France se distingue en termes de politiques gouvernementales (4e/19). Les efforts réalisés au niveau national et régional depuis une vingtaine d’années pour favoriser l’entrepreneuriat sont donc reconnus et ont contribué à faire émerger un écosystème de l’accompagnement entrepreneurial particulièrement dynamique.</p>
<p>La France reste toutefois en retrait sur les normes culturelles et sociales (18e/19) et sur l’éducation entrepreneuriale au niveau du primaire et du secondaire (17e/19). La révolution entrepreneuriale ne semble donc pas encore faire sentir tous ses effets sur la société et des efforts sont encore nécessaires pour diffuser une culture entrepreneuriale. De même, la question de l’accès au marché apparaît comme un point faible (17e/19) de l’écosystème entrepreneurial français, ce qui fragilise le développement des entreprises émergentes.</p>
<h2>Représentation positive</h2>
<p>La valorisation de l’activité entrepreneuriale dans un pays, et donc le poids de la culture entrepreneuriale, peut être appréciée à l’aide de quatre indicateurs. Il s’agit d’évaluer : si l’entrepreneuriat est perçu comme un choix de carrière souhaitable, s’il confère un statut social élevé, s’il est valorisé dans les médias et si finalement il est facile d’entreprendre en France. C’est ce que nous avons fait dans l’enquête auprès de la population générale.</p>
<p>Si l’on compare la France par rapport aux économies du G7, elle se situe là encore dans la moyenne. Pour un peu plus des deux tiers des Français interrogés, l’entrepreneuriat constitue un choix de carrière souhaitable. Pour autant, seule une courte majorité (55,4 %) considère qu’il s’agit aujourd’hui d’un statut social élevé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500724/original/file-20221213-18124-oz0t5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor (2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500725/original/file-20221213-14622-fx32l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor (2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette représentation positive est un marqueur de l’évolution de la culture entrepreneuriale. Cette dernière est influencée par les médias qui contribuent à diffuser une image plus ou moins favorable de l’entrepreneuriat. Les Français ont le sentiment dans une large majorité, que ce soit dans les médias ou sur Internet, que les histoires de nouvelles entreprises qui réussissent sont mises en valeur (Figure 8).</p>
<p>On peut citer par exemple le programme « Qui veut être mon associé » sur M6 qui met en scène des entrepreneurs à la recherche de fonds. Ce programme de téléréalité, présent depuis une vingtaine d’années dans d’autres pays, a été diffusé en France pour la première fois en 2021 et contribue à démocratiser l’entrepreneuriat et la question de la levée de fonds.</p>
<p>Au-delà de la désirabilité perçue, la question de la faisabilité perçue est importante. Selon les pays et les époques, les barrières perçues qui tiennent à la facilité d’enregistrement, au poids de la bureaucratie peuvent freiner l’intention et le comportement entrepreneurial. Une courte majorité considère qu’en France, il est facile de démarrer une entreprise (Figure 9).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=175&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=175&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=175&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=220&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=220&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500726/original/file-20221213-17473-f7sylx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=220&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor (2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=190&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=190&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=190&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=238&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=238&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500727/original/file-20221213-14811-7g9lp5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=238&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor (2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Depuis une vingtaine d’années, les pouvoirs publics adoptent en effet des mesures pour simplifier la création d’entreprise. Cette perception varie fortement d’un pays à l’autre : les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni se distinguent avec le sentiment qu’il est facile d’entreprendre par opposition avec le Japon, l’Italie ou l’Allemagne.</p>
<h2>« Gagner sa vie »</h2>
<p>Cependant, selon notre étude, la motivation la plus forte des entrepreneurs est de « gagner sa vie car les emplois sont rares » (51,2 %). Ce résultat laisse à penser qu’une majorité d’entre eux se lance dans l’aventure entrepreneuriale par nécessité. Ce score est plus élevé au Canada (70,7 %), en Italie (61,3 %) ou au Royaume-Uni (63,8 %). Il est en revanche plus en retrait aux États-Unis (45,8 %), en Allemagne (40,9 %) et au Japon (40,1 %).</p>
<p>Les entrepreneurs visent dans une moindre mesure la carrière entrepreneuriale pour « bâtir une grande richesse ou obtenir un revenu très élevé » (39,4 %). Les deux autres motivations ne concernent qu’un quart à un cinquième des entrepreneurs. La création d’entreprise motivée par la volonté de faire une différence dans le monde n’est exprimée que par 25,8 % des entrepreneurs interrogés alors qu’aux États-Unis (71,2 %) et au Canada (70,4 %), les proportions sont beaucoup plus élevées. Il en va de même de la motivation pour « perpétuer une tradition familiale » qui ne concerne que 22,9 % des entrepreneurs en France contre 41,5 % aux États-Unis et 50 % au Canada.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500728/original/file-20221213-16302-ei0np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor (2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500729/original/file-20221213-10710-g5huck.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=51019">Global Entrepreneurship Monitor (2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’étude confirme donc l’idée que la France devient une société entrepreneuriale. Pour autant, la culture entrepreneuriale ne semble pas imprégner toute la société. Des actions restent nécessaires pour lever certains freins. Comme le soulignent les experts du panel, la France est en retard par rapport aux autres pays les plus riches sur la question de l’éducation entrepreneuriale au niveau du primaire et du secondaire.</p>
<p>Des assises sur l’éducation entrepreneuriale au niveau du primaire et du secondaire pourraient par exemple permettre d’une part de mieux comprendre les bonnes pratiques en France et l’étranger, et d’autre part de concevoir une stratégie adaptée à la diversité des contextes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195770/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Karim Messeghem a reçu des financements de l'ANR (PIA - 10-LABX-0011). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frank Lasch et Justine Valette ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Un rapport situe la France parmi les pays où le contexte apparaît le plus propice à la création d’entreprise. Cependant, une grande partie des entrepreneurs se lancent avant tout par nécessité.Karim Messeghem, Professeur des universités, Université de MontpellierFrank Lasch, Full professor in Entrepreneurship, Montpellier Business SchoolJustine Valette, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1953852022-12-08T19:26:19Z2022-12-08T19:26:19ZNounous africaines à Paris : trop présentes pour être visibles ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499236/original/file-20221206-3888-xtadd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C1592%2C893&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">'Les Femmes du square', sorti le 18 novembre 2022, de Julien Rambaldi, témoigne du parcours précaire des 'nounous' originaires d'Afrique subsaharienne.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-287059/photos/detail/?cmediafile=21939178">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://www.agecsa.com/expert_comptable_etude_etude_enfant_chap1.html">marché de la garde d’enfants</a> est en plein essor. L’offre d’accueil des jeunes enfants dans les grandes villes comme Paris ne suffit pas à absorber toute la demande de garde. Face à ce déficit, de nombreuses <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">femmes immigrées d’Afrique subsaharienne</a> en difficulté d’insertion professionnelle, ont trouvé dans les services de garde à domicile une niche d’emplois.</p>
<p>Certaines d’entre elles ont laissé leurs enfants dans leurs pays natals, sur le continent africain. D’autres les font garder par des parents pour pouvoir garder elles-mêmes les enfants d’autres femmes. Leur parcours de nounous est constitué d’expériences sans cesse renouvelées dans différentes familles. Ce qui a pour conséquence de les rendre précaires.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">« Les Noires sont sales, par contre, elles font de bonnes nounous » : dans l'emploi domestique, des stéréotypes tenaces</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le film de Julien Rambaldi, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=287059.html"><em>Les femmes du square</em></a>, sorti en salle le 16 novembre 2022, vient remettre au cœur de l’actualité la figure de la « nounou africaine ». En, effet, il suffit de regarder dans les squares, les parcs ou autres jardins publics parisiens pour voir des femmes « noires » derrière des poussettes contenant des enfants « blancs ». Ce spectacle nous est sans doute devenu tellement familier qu’il est tombé dans une certaine banalité.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WPVlf2nsd1s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les Femmes du square est un film réalisé par Julien Rambaldi avec Eye Haïdara, Ahmed Sylla. Les Films du Kiosque.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La garde à domicile : une spécificité parisienne</h2>
<p>À l’échelle nationale, la garde à domicile est très peu développée car les enfants de moins de trois ans sont avant tout gardés par leurs parents la plupart du temps : <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/er896.pdf">61 % contre 19 %</a> chez des assistantes maternelles agrées et <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/er896.pdf">13 %</a> dans les établissements d’accueil pour jeune enfant.</p>
<p>La garde à domicile ne représente en fait que <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er678.pdf">2 % au niveau national</a>. La situation est différente à Paris. Le mode de garde collectif arrive en tête (40 %), suivi de la garde par les parents (33 %) ; 16 % pour la garde à domicile et 6 % pour les assistantes maternelles ; 3 % par un proche de la famille.</p>
<p>Cette spécificité parisienne pour la garde à domicile s’explique entre autres, par le fait qu’une large part des enfants de moins trois ans vivent avec un père ou un parent-cadre lorsqu’il s’agit <a href="https://www.apur.org/sites/default/files/documents/accueil_petite_enfance_paris.pdf">d’un foyer monoparental</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>S’il est en moyenne plus onéreux que les autres, le mode de garde à domicile permet une plus grande souplesse pour les familles qui y ont recours. Cette souplesse se décline sous diverses formes. De l’assurance d’avoir une adulte avec les enfants en cas de retard des parents à des tâches parfois éloignées de la simple garde, comme en témoignent ces notes reprises du carnet de liaison où une employeuse laissait les consignes à sa nounou, rencontrée au cours <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-03663311">notre travail de thèse</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai demandé à J. (la fille de l’employeuse) de vous indiquer le pressing où je dépose les pantalons de N. (le père des enfants), il y en a 2 dans le sac papier à déposer s’il vous plait ».</p>
</blockquote>
<p>Un autre jour, pour sa fille :</p>
<blockquote>
<p>« Il faut laver ses cheveux et faire 2 tresses, le lendemain il y a la photo de classe. Il faut absolument qu’elle fasse une sieste le mercredi après-midi. »</p>
</blockquote>
<p>Un soir quand elle rentre :</p>
<blockquote>
<p>« C’était super d’avoir le poisson déjà prêt. Merci ! ».</p>
</blockquote>
<p>Ou encore :</p>
<blockquote>
<p>« Merci pour le linge, quel soulagement pour moi le soir ».</p>
</blockquote>
<p>Des situations dont certaines sont bien illustrées par Angèle, personnage principal des <em>Femmes du square</em>.</p>
<h2>Instabilité de l’emploi et précarité</h2>
<p>Les nounous africaines que j’ai rencontrées dans le cadre de mes recherches sont arrivées d’Afrique subsaharienne, pour l’essentiel, avec un visa touristique de courte durée. Devenues très vite sans-papiers, elles pouvaient travailler en étant le moins inquiétées dans le secteur de la garde d’enfant à domicile.</p>
<p>Même <a href="https://theconversation.com/une-domesticite-qui-mene-a-lesclavage-mais-que-fait-letat-91711">si la loi semble ambiguë à ce sujet</a>, le <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">domicile des particuliers employeurs</a> reste relativement protégé des contrôles de l’inspection du travail, ou même des contrôles d’identité par la police.</p>
<p>Cependant, les services de la nounou au sein de la famille s’inscrivent dans une temporalité incertaine. Celle-ci est faite d’expériences successives qui se rompent ou se prolongent suivant le désir des parents de faire un second enfant ou non. La nounou peut ainsi facilement totaliser plus d’une dizaine d’années dans différentes familles, en circulant de l’Est à l’Ouest parisien, passant parfois par la petite couronne au gré des offres de garde.</p>
<p>Cette instabilité est source de précarité. La nounou doit sans cesse renégocier son contrat et son salaire. La plupart du temps, elle ne dispose pour cela que des seules références que ses anciens employeurs veulent bien lui rédiger s’ils se sont quittés en bons termes, et à condition qu’elle ait eu un contrat.</p>
<p>L’expérience des années passées dans différentes familles n’est pas systématiquement prise en compte quand elle en intègre une nouvelle, comme un salarié pourrait le revendiquer en changeant d’entreprises. La nouvelle convention du secteur (janvier 2022) reprécise et garantit ce droit pour le même employeur par l’<a href="https://particulier-employeur.fr/wp-content/uploads/2022/01/2021-12-20_CCN_OS_BD_compressed.pdf">article 60</a> mais sans prendre en compte l’expérience accumulée dans d’autres familles. Cette situation constitue un des nombreux obstacles à la reconnaissance du travail de ces femmes. Elle est d’autant plus difficile que le secteur voit régulièrement arriver de nouvelles candidates.</p>
<h2>Diversification des profils et concurrence accrue</h2>
<p>Dans <em>Les femmes du square</em>, Fatou, une des protagonistes, ironise en comparant les nounous dans les squares aux clubs de foot où chaque joueur reste avec ses coéquipiers. La métaphore n’est pas injuste. L’univers des nounous s’est diversifiée avec le temps. Les nounous africaines partagent les squares avec des Sud-Asiatiques, des Sud-Américaines, etc. Les unes et les autres se mélangeant rarement.</p>
<p>L’arrivée de nouvelles « concurrentes » entraîne une reconfiguration du marché de la garde d’enfants à domicile. La marge de négociation entre nounous et employeurs sur la rémunération devient plus étroite à mesure que les candidates deviennent nombreuses. Une des nounous interrogées durant nos recherches exprime ainsi ce sentiment :</p>
<blockquote>
<p>« Ah bah c’est difficile, quand on regarde sur Internet, il y en a qui mettent des annonces du style je cherche quelqu’un pour récupérer les enfants après l’école et s’occuper de la maison, et souvent c’est des nounous anglophones qu’on appelle. Déjà parce que c’est pour parler aux enfants, pour qu’ils apprennent une deuxième langue gratuitement, et y a qu’elles qui acceptent de tout faire pour le même prix. »</p>
</blockquote>
<p>Ce phénomène est classique, les spécialistes des migrations et du travail l’ont <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/limmigration-coute-cher-a-france-quen-pensent-economistes/00072021">bien démontré</a>. Les derniers venus occupent les emplois ou acceptent plus facilement des conditions de travail que les plus anciens refusent. Eux-mêmes ayant parfois occupé des <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2013-4-page-22.htm">emplois dont les autochtones ne voulaient plus</a>.</p>
<p>Cette diversité des candidates donne aux familles un spectre de choix plus large. Celui-ci repose encore sur des préférences liées à des <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">préjugés raciaux</a> en fonction des <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2012-2-page-121.htm">origines géographiques</a> des nounous..</p>
<h2>Les défis de la reconnaissance</h2>
<p>Les <a href="https://particulier-employeur.fr/wp-content/uploads/2022/01/2021-12-20_CCN_OS_BD_compressed.pdf">récentes évolutions</a> dans le secteur des salariées de particuliers-employeurs dont dépendent les nounous, tentent de hisser la condition de ces dernières au niveau de celle des assistantes maternelles.</p>
<p>Une nouvelle <a href="https://particulier-employeur.fr/wp-content/uploads/2022/01/2021-12-20_CCN_OS_BD_compressed.pdf">convention collective</a>, entrée en vigueur en janvier 2022 regroupe tout le secteur des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile. Elle précise la garantie de droits sociaux tels que la liberté syndicale mais la réalité est plus complexe. Les auxiliaires parentales – terme officiel pour désigner les nounous – ne sont pas des salariés comme les autres. Contrairement aux salariés d’une entreprise qui peuvent se réunir sur leur lieu de travail, le square -et donc l’espace public –, est le seul endroit où elles peuvent se retrouver entre elles. La configuration particulière de leur travail rend difficile toute forme d’action collective.</p>
<p>Un accord inter-branche conclu par les <a href="https://particulier-employeur.fr/wp-content/uploads/2022/01/2021-12-20_CCN_OS_BD_compressed.pdf">partenaires sociaux du secteur en décembre 2018</a> vise entre autres à promouvoir et à améliorer la formation professionnelle des salariés du secteur. La formation en amont reste encore faible.</p>
<p>Les nounous que j’ai rencontrées, quand elles se formaient, le faisaient des années après le début de leur « carrière ». Pour beaucoup d’entre elles, la formation est un moyen de sortir de la garde à domicile : soit en se mettant à leur propre compte comme assistante maternelle, soit en se réorientant vers les structures d’accueil collectif comme les crèches. Les professionnaliser davantage et en amont, aura sans doute le mérite de revaloriser leur condition. Et peut-être que nous commencerons à mieux prêter attention à leur présence dans l’espace public.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195385/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Paul Batiga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parcours des « nounous » originaires d’Afrique subsaharienne en France est constitué d’emplois sans cesse renouvelés dans différentes familles comme en témoigne le film « Les femmes du square ».Adrien Paul Batiga, Docteur en sociologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957132022-12-05T19:01:26Z2022-12-05T19:01:26ZLa réforme de l’assurance-chômage pourrait creuser les inégalités et accélérer la polarisation de l'emploi<p>Très attendu, les mécanismes de la <a href="https://www.lefigaro.fr/social/assurance-chomage-la-reforme-va-etre-devoilee-ce-lundi-20221120">réforme de l’assurance-chômage</a> ont été présentés aux partenaires sociaux lundi 21 novembre par Olivier Dussopt, ministre du Travail, après son adoption par le parlement quelques jours plus tôt.</p>
<p>C’est un projet contracyclique qui a été exposé, avec pour idée principale de corréler la durée d’indemnisation des chômeurs avec le cycle économique. Ainsi, en période de croissance économique la durée d’indemnisation sera-t-elle plus courte qu’en période de récession en partant du principe que cela demande moins de temps pour retrouver du travail quand l’économie se porte bien.</p>
<p>En prenant cette mesure, le gouvernement poursuit deux objectifs : assurer l’équilibre financier du système d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/assurance-chomage-45771">assurance-chômage</a> et favoriser la baisse du chômage structurel (pour lequel la conjoncture économique n’est pas en cause). Depuis 2009, en effet, le système d’indemnisation chômage est déficitaire avec une prévision de retour à l’équilibre pour fin 2022. </p>
<p>Quant au chômage structurel, il est mesuré <a href="https://www.bfmtv.com/economie/emploi/avec-8-de-chomage-la-france-a-t-elle-atteint-son-plein-emploi_AV-202111220016.html">entre 7 et 8 % des actifs en France</a>, proche de la moyenne de la zone euro, tandis qu’il est aux alentours de 5 % dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).</p>
<p><iframe id="uKCfv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/uKCfv/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cette réforme part du présupposé qu’une durée d’indemnisation trop longue serait désincitatif au retour à l’emploi. En économie, il s’agit de ce que l’on appelle un aléa moral : les individus bénéficiant de l’indemnisation feraient un calcul coût-avantage et verraient un avantage à bénéficier de l’allocation chômage sans travailler plutôt que de chercher ou d’accepter un emploi. Autrement dit, cela ne vaudrait pas le coup de travailler vu le trop faible revenu supplémentaire que l’on peut espérer. Par cette réforme, le ministre du Travail table sur <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/21/reforme-de-l-assurance-chomage-le-gouvernement-va-devoiler-les-futures-regles-d-indemnisation-reduisant-la-duree-en-fonction-du-taux-de-chomage_6150860_823448.html">100 000 à 150 000 retours à l’emploi</a> dans un contexte de pénuries de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs.</p>
<p>Des études économiques, notamment l’ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/lectures/16234"><em>Améliorer l’assurance-chômage</em></a> publié en 2014 par les économistes Stéphane Carcillo et Pierre Cahuc (Presses de Sciences Po), montrent d’ailleurs que les demandeurs d’emploi intensifient leurs recherches d’emploi en fin de période d’indemnisation. Quand on compare, en outre, le <a href="https://data.oecd.org/fr/benwage/prestations-chomage-part-du-revenu-precedent.htm">taux de remplacement</a>, qui rapporte l’indemnisation chômage au salaire net du dernier emploi de l’assuré, nous constatons également que le système français est très généreux par rapport aux autres pays de l’OCDE.</p>
<h2>Inefficace face aux problèmes d’appariement</h2>
<p>Cependant, cette réforme ne prend pas en compte deux problèmes : le premier concerne les spécificités territoriales. En effet, si l’on compare les taux de croissance annuels moyens du PIB par habitant entre 2000 et 2018 de la région Île-de-France et de la région Grand-Est, on constate qu’ils sont respectivement de 1,04 % et 0,19 % selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les différentes dynamiques économiques entraînent donc des difficultés différentes en matière de retour à l’emploi. Pourtant, la réforme doit s’appliquer partout de la même manière.</p>
<p><iframe id="Ld9pf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Ld9pf/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Mais il n’y a pas que les régions que cette réforme semble confondre. À englober tous les chômeurs dans une même catégorie, mélangeant les parcours, les qualifications et les types d’emploi, le texte ne tient pas compte d’un second problème : ce que les économistes appellent le chômage d’appariement.</p>
<p>On désigne par là une situation où l’on observe un taux de chômage important alors qu’il y a beaucoup d’emplois vacants. Ce décalage s’explique par une inadéquation entre les qualifications des demandeurs d’emploi et les emplois proposés par les employeurs. De ce fait, en période de croissance économique et face à un chômage d’appariement, un individu en recherche d’emploi ne bénéficierait pas du temps nécessaire pour trouver un poste en adéquation avec ces qualifications ou se former. Or, toucher une allocation, c’est pouvoir prendre le temps de se former, surtout pour les plus précaires qui ont besoin d’acquérir de nouvelles compétences pour répondre au besoin du marché du travail et qui n’ont pas pu mettre de l’argent de côté auparavant.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pour l’observer, les économistes disposent d’un outil en particulier : la <a href="https://www.routledge.com/Full-Employment-in-a-Free-Society-Works-of-William-H-Beveridge-A-Report/Beveridge/p/book/9781138830370">courbe de Beveridge</a> qui décrit la relation, décroissante, entre le taux d’emplois vacants et le taux de chômage. En période de croissance économique, la demande de travail augmente, ce qui accroît le taux d’emplois vacants et favorise la baisse du taux de chômage. <em>A contrario</em>, en période de récession, la demande de travail baisse, entraînant avec elle le nombre d’emplois vacants. On observe alors une hausse du chômage.</p>
<p>On peut mesurer le degré d’appariement sur le marché du travail en fonction du positionnement de la courbe de Beveridge par rapport à l’origine. Plus la courbe est proche de l’origine, moins il y a de chômage d’appariement. En France, la baisse du taux de chômage s’opère en fait dans un contexte d’augmentation du taux d’emplois vacants, ce qui prouve que le chômage d’appariement est important.</p>
<p><iframe id="p0Q2C" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/p0Q2C/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Or, la solution face aux problématiques d’appariement est souvent la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/formation-21393">formation</a> pour permettre aux demandeurs d’emploi de satisfaire les besoins des employeurs. Et de ce point de vue, la réforme peut sembler assez inefficace.</p>
<h2>Pour les plus précaires, plus le temps de se former</h2>
<p>Quand on compare le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2429772">taux de chômage en fonction des qualifications</a> professionnelles, on constate que les employés au niveau bac+2 ont un taux de chômage très bas depuis 2015, aux alentours de 5,3 % en 2021, alors qu’il est de 8,5 % pour les employés niveau bac ou certificat d’aptitude professionnelle (CAP), et 14,4 % à un niveau brevet des collèges ou sans qualifications.</p>
<p>Pour les moins qualifiés, la réforme porte le risque de la précarisation de leur situation. En effet, il s’agit de la catégorie qui occupe le plus les emplois à temps partiel, en partie involontaire. Cette réforme pourrait donc creuser les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inegalites-20617">inégalités</a> en créant une trappe à sous-qualification et grossir le « halo du chômage » (inactifs n’étant pas au chômage mais dans une situation qui s’en approche) : les assurés en fin de droit se verraient obliger d’accepter un emploi sous peine de perdre leurs revenus ; il serait alors plus difficile de trouver le temps de bénéficier d’une formation adéquate pour augmenter leur niveau de qualification et donc sortir de ce schéma.</p>
<p>En période de croissance économique, le temps que pourra consacrer le demandeur d’emploi pour se former ou se reconvertir sera donc réduit… sauf <em>a priori</em> pour les plus qualifiés. En effet, selon la <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1496221">théorie du capital humain</a> énoncée par le prix « Nobel » d’économie américain Gary Becker en 1964, le revenu augmente avec le niveau de qualification car plus ce capital, qui correspond plus ou moins à son niveau d’éducation, est important chez un individu, plus ce dernier est productif et plus son revenu augmente.</p>
<p>En outre, comme le soulignait l’économiste britannique <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/john-maynard-keynes">John Maynard Keynes</a>, plus le revenu d’un individu augmente, plus la part de son revenu épargné augmente. Or, cette épargne en période de chômage peut constituer un complément à l’assurance-chômage qui permet de financer la recherche d’un nouvel emploi tout en se formant. Autrement dit, plus on touchait un salaire élevé avant d’être au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chomage-20137">chômage</a>, plus on a de l’argent de côté, et plus on peut les utiliser pour se former une fois sans emploi.</p>
<p>Selon un <a href="https://www.unedic.org/publications/profils-et-trajectoires-des-demandeurs-demploi-ayant-suivi-une-formation">rapport</a> de l’Unedic publié récemment, ce sont d’ailleurs les plus diplômés des allocataires de l’assurance-chômage qui suivent une formation. 58 % ont au moins un niveau bac, contre 46 % de l’ensemble des allocataires.</p>
<h2>Et l’objectif financier ?</h2>
<p>En résumé, la réforme envisagée par le gouvernement va inciter à retrouver un emploi le plus vite possible, avec pour risque que les chômeurs les plus précaires acceptent des emplois nécessitant des qualifications faibles. Un hiatus peut alors apparaître : cette réforme risque de réduire les qualifications des chômeurs qui n’ont pas des emplois hautement qualifiés et d’accentuer la polarisation sur le marché du travail.</p>
<p>Or, si le capital humain des individus se détériore dans une économie, c’est la croissance de long terme qui est en jeu, ce qui interroge in fine l’objectif financier de la réforme.</p>
<p>Pour que cette réforme soit juste, il ne faudrait ainsi à nos yeux pas toucher à la durée d’indemnisation mais plutôt accompagner et conditionner l’assurance-chômage à un suivi de formation pour un meilleur retour à l’emploi, comme c’est le <a href="https://www.institutmontaigne.org/analyses/assurance-chomage-formation-professionnelle-et-apprentissage-au-service-du-marche-du-travail-le-cas">cas au Danemark</a> au bout de neuf mois de chômage. Les autorités devraient en outre considérer les contraintes géographiques car la mobilité limitée des travailleurs peut impliquer l’existence de déséquilibres locaux du marché du travail. Il s’agit enfin de s’interroger sur le défaut d’attractivité de certains métiers dans lesquels les conditions de travail ou de salaire sont trop dégradées font fuir les candidats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195713/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Laurent représente la CFTC au Conseil Economique Social Environnemental (CESER) de la région Auvergne-Rhône-Alpes .</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kévin Parmas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Réduire la période d’indemnisation, c’est réduire le temps dont disposent les plus précaires pour se former, avec le risque de les enfermer dans une trappe à sous-qualification.Bernard Laurent, Professeur, EM Lyon Business SchoolKévin Parmas, Instructeur d'économie, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1898062022-10-04T17:53:37Z2022-10-04T17:53:37ZÀ Marseille, les transports maritimes polluent les quartiers parmi les plus pauvres de la ville<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484053/original/file-20220912-20-j1pjnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C173%2C6831%2C4826&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paquebot de croisière d’une capacité de 5 200 passagers, dans le port de Marseille en 2021. La pollution générée par les activités de ce type de navire affecte tout particulièrement les quartiers pauvres de la ville.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/20211113.Ports_of_Marseille.-026.jpg">Bybbisch94, Christian Gebhardt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 19 juillet 2022, la municipalité de Marseille a initié une pétition pour interdire, lors des périodes de pics de pollution à l’ozone, l’accueil des bateaux de croisière les <a href="https://marsactu.fr/avec-sa-petition-contre-la-pollution-marseille-veut-peser-sur-la-regulation-des-croisieres/">plus polluants</a>.</p>
<p>Intitulée « Stop à la pollution maritime en Méditerranée », elle a été signée, à ce jour, par environ 50 000 personnes et s’accompagne d’une vidéo du maire de la ville, Benoît Payan qui introduit <a href="https://www.marseille.fr/mairie/stop-pollution">son propos par ces termes</a> : « Marseille suffoque. On sent, on voit, on respire la pollution ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1564672296748347392"}"></div></p>
<p>La photographie, accompagnant la pétition, montre un panache noir issu d’un navire, masquant le panorama habituel de la ville. Cette pétition s’inscrit dans une dynamique, datant d’une dizaine d’années, de <a href="https://reporterre.net/A-Marseille-vent-de-fronde-contre-les-bateaux-de-croisiere">mobilisations</a> au sujet de la présence des paquebots de croisière dans la ville et de leurs impacts sur la qualité de l’air et de l’environnement, en général.</p>
<h2>38 % des émissions d’oxyde d’azote proviennent des navires</h2>
<p>Le 14 juin 2022, le collectif Stop Croisières et Extinction Rebellion ont empêché, durant quelques heures, l’entrée d’un des plus grands paquebots américains dans le port. L’association Cap au Nord, rassemblant des habitant·e·s des XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> arrondissements, œuvre à la prise en compte de la pollution atmosphérique dans leurs quartiers.</p>
<p>Cette pollution que l’on « sent, voit et respire » fait l’objet de mesures scientifiques, afin de l’objectiver, menées par l’<a href="https://www.atmosud.org/article/atmosud">observatoire de la qualité de l’air en région Sud-PACA</a> (AtmoSud) en collaboration avec des laboratoires de recherche d’Aix-Marseille Université, tels que le laboratoire de Chimie de l’Environnement (LCE) <a href="https://www.scipper-project.eu">(voir par exemple le projet en cours SCIPPER)</a>.</p>
<p>Les médias locaux ont largement repris les données des associations. D’après une estimation du collectif Stop Croisières concernant la zone portuaire des bassins est de la ville, <a href="https://marsactu.fr/avec-sa-petition-contre-la-pollution-marseille-veut-peser-sur-la-regulation-des-croisieres/">38 % des émissions</a> d’oxyde d’azote proviennent des navires (un taux quasi équivalent à celui du <a href="https://theconversation.com/pauline-pourquoi-lessence-des-voitures-et-des-avions-pollue-184111">trafic routier</a>) et <a href="https://marsactu.fr/les-cheminees-flottantes-font-tousser-marseille/">10 % des PM<sub>10</sub> ou particules fines</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les campagnes de mesures menées par Atmosud mettent en évidence <a href="https://www.atmosud.org/publications/quelle-qualite-de-lair-pour-les-riverains-des-ports-de-nice-et-marseille">deux autres résultats majeurs</a>. Le premier montre une pollution dite « de panache », impactant certains quartiers selon les vents dominants, durant une durée déterminée. Le second souligne que les polluants mesurés (dioxyde de soufre SO<sub>2</sub> ; oxyde d’azote NO<sub>x</sub> et les particules fines, PM 10) ne se retrouvent pas, de manière continue, en quantité supérieure aux normes en vigueur en milieu urbain. Les auteurs du rapport notent également que d’autres sources polluantes s’ajoutent à celles maritimes, relatives aux transports et aux activités urbains.</p>
<p>L’impact de ces pollutions maritimes sur la santé reste difficile à appréhender car il s’inscrit dans le contexte d’une mauvaise qualité de l’air en général. Celle-ci, quelle que soit sa source, peut impacter, de la même manière, les individus (pathologies respiratoires, maladies cardiovasculaires, cancers…). Les organisations mondiales de la santé alertent, depuis longtemps, sur les effets néfastes de la pollution de l’air en <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/10558?lang=fr">termes de mortalité et de morbidité</a>.</p>
<p>Les impacts sanitaires résultent d’effets cumulés, <a href="https://www.liberation.fr/sciences/2015/09/03/une-etude-revele-la-dangerosite-de-l-effet-cocktail-des-molecules_1374910/">appelés effet-cocktail en ce qui concerne les polluants chimiques</a> qui articulent des polluants d’origines diverses et dont la mesure reste complexe à réaliser.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pollution-de-lair-en-ville-cartographie-microcapteurs-et-sciences-participatives-152276">Pollution de l’air en ville : cartographie, microcapteurs et sciences participatives</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Un problème de santé environnementale</h2>
<p>Face à ces impacts négatifs, les acteurs économiques développent un certain nombre de réponses. À l’échelle locale, le Grand Port autonome de Marseille collabore, en partie, à l’élaboration des mesures, développe des branchements électriques et d’autres technologies moins polluantes et incite, <a href="https://marsactu.fr/pollution-de-lair-costa-croisieres-veut-se-racheter-une-conduite-a-marseille/">par des exonérations de taxes portuaires</a>, à l’accueil des compagnies qui ont des pratiques jugées respectueuses de l’environnement.</p>
<p>À l’échelle internationale, l’Organisation maritime internationale a approuvé très récemment, le 10 juin 2022, la création pour l’ensemble de la Méditerranée, d’une <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/creation-dune-zone-faibles-emissions-soufre-en-mediterranee">zone de contrôle</a> des émissions d’oxydes de soufre et de particules (<a href="https://mer.gouv.fr/accord-trouve-pour-la-zone-de-controle-des-emissions-doxydes-de-soufre-seca-pour-la-mediterranee">zone dite Seca</a>). Le combustible utilisé doit avoir une teneur en soufre qui ne dépasse pas les 0,1 % en masse.</p>
<h2>Une configuration classique</h2>
<p>Ces réponses, de la part des acteurs économiques, <a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00518428">sont récurrentes</a> dans le cadre des problèmes de santé environnementale. Très souvent, la solution technique est priorisée, telle que le raccordement électrique ou l’installation de <a href="https://www.journalmarinemarchande.eu/actualite/shipping/le-nombre-de-navires-equipes-de-scrubbers-a-double-en-un-an">« scrubbers »</a>, hottes mobiles captant les émanations lorsque les bateaux sont à quai.</p>
<p>La seconde réponse est de mettre en place des procédures de certification dites « environnementales » qui émanent des <a href="https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-sociologies-pratiques-2005-1-page-97.htm">acteurs économiques eux-mêmes</a>, justifiant de leur engagement.</p>
<p>Enfin, une troisième stratégie consiste à discuter des mesures scientifiques, à émettre des doutes sur les méthodologies employées et <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2021-3-page-9.htm">à entretenir une controverse</a> sur les alertes sanitaires tout en initiant des concertations avec les acteurs locaux, à l’instar d’une charte Ville-Port dans le <a href="https://www.marseille-port.fr/index.php/charte-ville-port">cas marseillais</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-9-lobbys-a-tout-prix-173275">« Moi, président·e » : Règle n°9, lobbys à tout prix</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>L’imaginaire économique d’une ville</h2>
<p>En effet, le port est historiquement le poumon économique de la ville et s’est orienté au début des années 2000, en accueil de bateaux de croisière. En 2018, 1,8 million de voyageurs auraient fait escale à Marseille, pour des retombées économiques estimées à <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/marseille_en_resistances-9782348042270">310 millions d’euros pour la même année</a>.</p>
<p>Ce poids économique repose sur une nouvelle construction symbolique de la ville, longtemps en déprise économique et jouissant d’une « mauvaise » réputation, notamment en ce qui concernait le <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/lhistoire-portuaire-marseillaise-chantier">fonctionnement même de son port</a>. Aujourd’hui, le club des croisiéristes marseillais présente Marseille, comme une ville « dynamique, moderne et réinventée » en lien avec le front de mer réaménagé en zone touristique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue sur le quai des Belges depuis la grande roue (Marseille, France)" src="https://images.theconversation.com/files/484061/original/file-20220912-20-1i28ua.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484061/original/file-20220912-20-1i28ua.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484061/original/file-20220912-20-1i28ua.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484061/original/file-20220912-20-1i28ua.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484061/original/file-20220912-20-1i28ua.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484061/original/file-20220912-20-1i28ua.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484061/original/file-20220912-20-1i28ua.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue sur le quai des Belges depuis la grande roue, Marseille, 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Marseille_20160813_08.jpg">Georges Seguin (Okki)</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La croisière, une activité au cœur du renouvellement urbain</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/venise-au-pic-de-la-crise-comment-sortir-de-lultra-dependance-au-tourisme-135210">L’activité croisiériste</a> s’inscrit dans un secteur de la ville soumis à un un important programme de renouvellement urbain, <a href="https://euromediterranee.fr/">l’opération d’intérêt national Euromed</a>, œuvrant <a href="https://www.editionsparentheses.com/IMG/pdf/p225_marseille_euromediterranee.pdf">depuis 1995</a> à développer l’économie locale en construisant un vaste parc immobilier d’affaires, des structures commerciales, des logements et des espaces publics.</p>
<p>La partie est du domaine portuaire s’articule aux projets d’Euroméditerranée avec l’installation de zones commerciales et d’équipements culturels. L’essor du port de croisières a accompagné, et réciproquement, le renouvellement urbain des quartiers arrière-port, qui sont historiquement des <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1997_num_52_5_279624_t1_1195_0000_001">quartiers populaires</a>.</p>
<p>Ce renouvellement génère des transformations socio-démographiques au profit de catégories sociales plus aisées et diplômées. En 2018, au sein du II<sup>e</sup> arrondissement, la part des cadres et professions intellectuelles supérieures (20 %) et des professions intermédiaires (24 %) se rapproche de celle des <a href="https://www.agam.org/wp-content/uploads/2022/04/13002-Marseille-par-quartier.pdf">employés et ouvriers (49 %)</a>. Les deux autres arrondissements, potentiellement impactés par la pollution maritime, sont les XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> arrondissements. Si le XVI<sup>e</sup> présente une sociographie équivalente à celle du second (où l’augmentation des cadres s’est faite plus précocement), le XV<sup>e</sup> reste le plus pauvre (comprenant 67 % d’employés et d’ouvriers).</p>
<h2>Des aménagements urbains et un arrière-port responsables de nuisances</h2>
<p>Ces situations sociales contrastées s’expriment dans les formes urbaines, entre nouveaux logements, logements rénovés et habitats dégradés ; entre des zones industrielles plus ou moins entretenues et actives. Dans le cadre <a href="https://journals.openedition.org/vertigo/18162">d’une enquête</a> menée en 2016 auprès d’habitant·e·s de ces quartiers, Brigitte Bertoncello et Zoé Hagel ont mis en évidence l’expression de nuisances essentiellement liées aux infrastructures « d’arrière-port » et d’aménagements urbains : passages en continu des camions, présence d’anciens et nouveaux sites pollués, zones d’emplacements pour les containers et les déchets des BTP… Les autrices parlent ainsi d’un front de mer « recomposé présenté comme une vitrine » reléguant « plus loin populations et activités disqualifiées ».</p>
<p>On peut supposer, sans études sanitaires précises à ce jour, que les nuisances provenant de ces activités de logistique s’ajoutent à la mauvaise qualité de l’air ponctuelle émanant des navires, impactant, entre autres, des populations pauvres, dont on sait que les conditions de vie et d’habitat affectent, plus fortement, leurs <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1280972">morbidité et espérance de vie</a>.</p>
<h2>Un panache de fumée sur les inégalités</h2>
<p>Les pollutions maritimes, telles qu’éprouvées à Marseille, ne sont pas seulement caractéristiques d’un problème d’orientation économique. Elles sont également révélatrices de ce que l’économiste Ignacy Sachs appelait, dans les années 1990, un <a href="https://theconversation.com/lecodeveloppement-le-developpement-durable-autrement-114377">« mal développement »</a> que l’on pourrait désigner de « mal développement urbain ».</p>
<p>D’un côté, le paquebot symbolise la vitrine de la ville « méditerranéenne durable de demain » et de l’autre, il occulte avec son panache de fumée, les dysfonctionnements de cette économie qui relègue, plus loin, à l’abri de la carte postale, ses externalités négatives.</p>
<p>Celles-ci ont pourtant des effets sur la santé des habitant·e·s et sur l’habitabilité de leur lieu de vie. Les injonctions environnementales, les mobilisations mais aussi les formes de résistance de ces quartiers qui restent, en partie, populaires laissent présager de futurs compromis qu’il va falloir trouver et qui ne semblent pas encore dessiner une ville totalement « réinventée ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189806/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Barthélémy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pollution maritime relève d’un problème de santé environnementale. Décryptage à Marseille.Carole Barthélémy, Maîtresse de conférences en sociologie de l'environnement, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1910312022-09-25T15:35:36Z2022-09-25T15:35:36ZBonnes feuilles : « La précarité durable. Vivre en emploi discontinu »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/486229/original/file-20220923-24-mcwwzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C27%2C2047%2C1311&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
Jeanne Menjoulet
'Prenez garde à l'armée des précaires, un grand bond en avant vers le XIXe siècle': manifestation contre la loi El Khomri à Paris, 8 mars 2016.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/25624759256/in/album-72157661355951068/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Au moment où le concept même de travail est profondément interrogé dans la société française, le sociologue Nicolas Roux s’interroge sur la notion de précariat. Dans quelle mesure l’emploi discontinu est-il soutenable, c’est-à-dire supportable et acceptable par les personnes concernées ? Poser cette question, c’est s’écarter des raisonnements binaires « choisi »/« subi » pour analyser comment les individus s’adaptent à ce fait social majeur de notre temps, qui veut que tout un pan de la population active soit éloigné des droits et de la sécurité rattachés à l’emploi stable et à temps plein ; une précarité durable, à laquelle est consacrée son ouvrage <a href="https://www.puf.com/content/La_pr%C3%A9carit%C3%A9_durable">« La précarité durable. Vivre en emploi discontinu »</a> (PUF, 24 août 2022). Extraits choisis par l’auteur.</em></p>
<hr>
<p>Février 2021. Le gouvernement prolonge de trois mois l’<a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/l-aide-aux-travailleurs-precaires-prolongee-de-trois-mois">« aide aux précaires »</a>, qui ont pâti des conséquences économiques liées au coronavirus. Cette aide avait déjà concerné 400 000 « permittents », soit les demandeuses et demandeurs d’emploi en activité réduite, « qui ont travaillé plus de 79 % du temps en 2019 et qui n’ont pas pu travailler suffisamment en 2020 pour recharger leurs droits ». Dans une société où <a href="https://www.inegalites.fr/evolution-precarite-emploi">3,7 millions de personnes ont eu un emploi précaire</a> en 2016 (donc avant la crise), où les contrats de moins d’un mois sont devenus une norme d’embauche et où les <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-lignes-de-faille-ok.pdf">chances d’avoir un emploi stable dans un avenir proche se réduisent</a>, cette mesure signale que la précarité ne se réduit pas à une chute sociale – le ou la cadre licenciée sombrant dans la pauvreté – ou à un sas vers le CDI – un « passage obligé » pour les jeunes expérimentant apprentissage, stages et contrats à durée déterminée (CDD).</p>
<h2>Le précariat : un fait social</h2>
<p>Ce que l’on appelle parfois le « précariat », qui se caractérise par l’alternance de périodes d’emploi et de périodes de chômage, est ainsi devenu un fait social dont les contraintes s’exercent sur les précaires en premier lieu, mais aussi sur les stables. <a href="https://journals.openedition.org/sdt/33607">La banalisation des licenciements</a> en est un indicateur parmi d’autres. Celle-ci est accrue dans l’économie globalisée d’aujourd’hui, où les possibilités de résistance aux licenciements sont réduites par la <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/3505">délocalisation des entreprises « mères »</a>. Les politiques de flexibilité jouent également sur les rémunérations (à la productivité, aux rendements, au mérite…) comme le montre Sophie Bernard dans son ouvrage <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-nouvel-esprit-du-salariat-9782130814535.html"><em>Le nouvel esprit du salariat</em></a> (PUF, 2020). L’incertitude sur le marché de l’emploi vaut donc aussi pour une bonne partie des stables, sachant que bien souvent une « armée de réserve » est prête à occuper leur poste s’ils ne sont pas satisfaits.</p>
<p>La précarité et les souffrances que renferme le salariat sont d’ailleurs un argument supplémentaire pour les promoteurs de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/business_model-9782348042706">« l’esprit d’entreprendre »</a>, devenu un leitmotiv de la vie économique et de l’action publique. De l’autoentrepreneuriat à la start-up, le travail indépendant ou semi-indépendant est valorisé par opposition à un salariat qui serait sclérosant, dans une société « liquide » qui demanderait au contraire de savoir innover, créer et s’adapter au changement.</p>
<p>Ce phénomène se déploie d’autant plus avec les plates-formes numériques. <a href="https://journals.openedition.org/nrt/3803">« En attendant mieux »</a>, des livreurs à vélo se disent satisfaits d’un travail qui ne les cantonne pas à un collectif et à un emploi salarié classique.</p>
<p>Un ensemble de facteurs converge ainsi pour que le précariat continue de prospérer par cette voie ambivalente sinon ambiguë : offrir la perspective ou l’illusion d’une plus grande « liberté » sans sécuriser l’avenir.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/se-debrouiller-face-a-une-precarite-qui-nen-finit-plus-183991">Se débrouiller face à une précarité qui n’en finit plus</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Un sens des limites</h2>
<p>D’aucuns y voient une perte de la <a href="https://www.liberation.fr/economie/social/valeur-travail-un-debat-sous-confusion-20220917_WD7Y2Q3LQZDEJAEHJ53DZDNM74/">« valeur travail »</a>, entretenant la confusion : désormais, c’en serait fini du travail dans une même entreprise, un même métier et un même emploi toute sa vie. Ils oublient là tout ce qui détourne les individus de l’emploi stable et à temps plein, et les amène à accepter la précarité voire à s’en satisfaire.</p>
<p>Prenons le cas des saisonniers et saisonnières agricoles d’un côté, et des artistes intermittentes et intermittents du spectacle de l’autre, auprès desquels nous avons mené une enquête qualitative de 2011 à 2014. De manière générale, la première population, peu ou pas diplômée, s’oriente vers les saisons agricoles suite à des difficultés d’insertion professionnelle.</p>
<p>« Quand tu n’as pas de diplôme, c’est ce qu’il y a de plus simple, les saisons », déclare ainsi Helena (les prénoms sont modifiés), 26 ans, qui a pourtant le baccalauréat (dont elle ne précise pas l’intitulé). Prime la <a href="https://theconversation.com/trouver-un-emploi-le-garder-et-gagner-sa-vie-les-attentes-des-jeunes-des-classes-populaires-149606/">nécessité d’avoir un emploi</a>, comme souvent en milieu populaire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-graphiques-comprendre-la-precarite-energetique-en-france-174654">En graphiques : comprendre la précarité énergétique en France</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Plusieurs d’entre elles et eux auraient aimé se stabiliser dans leur secteur de prédilection ou de formation, mais en ont été empêchés. Ainsi de Mohamed (25 ans), titulaire d’un CAP Équipement électrique et d’un BEP en Maintenance des systèmes mécaniques automatisés. Il espérait, au terme de son CDD, obtenir un CDI dans « l’électricité bateau ». Mais il a fait les frais de la crise financière de 2008. Il se retrouve au chômage puis se tourne vers le salariat agricole par défaut.</p>
<p>Quand, comme lui, ces jeunes sont maintenus dans des situations subalternes et précaires sans perspective de progression (une tendance fréquente dans le salariat agricole), une partie des attentes se tournent ailleurs, vers la vie de famille ou de couple, les sociabilités locales ou les plaisirs du territoire de résidence. Il ne s’agit pas d’un refus du travail en soi, mais d’une adaptation à la loi du marché, et d’une logique de compensation à une situation professionnelle insatisfaisante. Mohamed revendique des attentes simples (stabilité de l’emploi, sécurité des conditions de vie), renvoyant à ce que Bourdieu appelait un « sens des limites » ou Éliane le Dantec et Laurence Faure un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01174839">« sens de l’essentiel »</a>, caractéristiques des classes populaires :</p>
<blockquote>
<p>« Moi, je veux juste avoir mon appartement, avoir un petit salaire. Je ne suis pas du genre à vouloir péter plus haut que mon cul. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-la-tete-dun-chauffeur-uber-seul-face-a-lui-meme-183080">Dans la tête d’un chauffeur Uber : seul face à lui-même</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>La « passion » au travail et ses risques</h2>
<p>À l’autre pôle du précariat, les intermittentes et intermittents du spectacle représentent un cas à part : un groupe mobilisé collectivement, qui appelle non pas à la stabilité de l’emploi mais à la sécurisation de l’emploi discontinu. Cela dit, là non plus, on ne saurait y voir une quelconque désaffection envers le travail. Les enquêtes montrent que leur temps de travail est très important, débordant largement sur le <a href="https://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100978710&fa=sommaire">temps de l’emploi et le temps de la vie</a>.</p>
<p>Le cas d’Ethan, comédien de 25 ans, est exemplaire. Il parle de son travail comme une « passion » ou une « vocation », qui ne s’arrête presque jamais – ce qui complique ses relations sentimentales :</p>
<blockquote>
<p>« Toute la journée, tu fais du théâtre. Le soir, tu regardes un film ou tu vas voir une pièce. Le matin, quand tu petit-déjeunes, tu te dis : “Ce truc, il faudra que je l’écrive un jour. "Donc objectivement, tu te dis : "Non, ce n’est pas possible.” En même temps, peut-être qu’il y a un truc de passion, aussi ! Dans le sens où c’est un truc que tu as et dont il est très dur de se séparer. »</p>
</blockquote>
<p>Un tel rapport au travail, classique chez les artistes et les travailleuses et travailleurs intellectuels précaires, comporte aussi son lot de <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00966696/document">risques professionnels</a>, de type épuisement ou burn-out.</p>
<h2>Loin d’un supposé refus du travail</h2>
<p>Ces exemples parmi d’autres – inscrits dans l’ouvrage dans les régularités statistiques et sociales de ces deux populations d’enquête – invitent à considérer avec la plus grande prudence les <a href="https://theconversation.com/il-suffit-de-traverser-la-rue-la-ritournelle-des-emplois-non-pourvus-103389">récits sur la « pénurie de main-d’œuvre »</a> ou <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/la-france-vit-elle-une-grande-demission">« la grande démission »</a> ; des récits qui ont beaucoup concerné <a href="https://theconversation.com/avoir-20-ans-en-2020-quand-le-Covid-19-revele-les-inegalites-entre-les-jeunes-148292">« la jeunesse »</a>, catégorie englobante et manipulable à souhait.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Couverture de l’ouvrage « La précarité durable », parution PUF, 2022." src="https://images.theconversation.com/files/485624/original/file-20220920-11196-9z7s5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485624/original/file-20220920-11196-9z7s5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485624/original/file-20220920-11196-9z7s5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485624/original/file-20220920-11196-9z7s5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485624/original/file-20220920-11196-9z7s5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485624/original/file-20220920-11196-9z7s5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485624/original/file-20220920-11196-9z7s5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>La précarité durable</em>, parution PUF, 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.puf.com/content/La_pr%C3%A9carit%C3%A9_durable">PUF</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La focalisation sur le présent tend effectivement à faire oublier que le thème du refus du travail est une histoire « vieille comme le capitalisme », pour reprendre le titre d’un article d’Alain Cottereau (« Les jeunes contre le boulot, une histoire vieille comme le capitalisme industriel », <em>Autrement</em>, 21) en 1979. Rappelons que le salariat est toujours largement dominant dans la population active (environ 90 %) et que le CDI reste la forme d’emploi majoritaire (85,3 % en termes de « stocks » selon <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2850098">l’Insee</a>) et considérée comme normale par le droit du travail.</p>
<p>Et à rebours de l’idée d’un déclin auprès des nouvelles générations, les enquêtes statistiques rappellent que « les faits sont têtus » et que « partout en Europe, les <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2015-2-page-9.htm">jeunes accordent une importance forte au travail</a> ». S’il y a bien un phénomène durable, aux causes structurelles et qui touche aux supports d’intégration et de cohésion sociale de nos sociétés, c’est le précariat.</p>
<hr>
<p>**</p>
<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://www.puf.com/content/La_pr%C3%A9carit%C3%A9_durable">« La précarité durable. Vivre en emploi discontinu »</a> aux éditions PUF.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191031/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Roux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il existe bel et bien, pour un pan conséquent de la population active, une précarité durable, alternant emploi et chômage sur le temps long. Bonnes feuilles.Nicolas Roux, Maître de conférences en sociologie, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1909312022-09-20T18:31:01Z2022-09-20T18:31:01ZComment l’université peut aider les étudiants à mieux s’alimenter<p>La crise sanitaire liée au Covid-19 a mis en lumière la vulnérabilité de nombreux jeunes en France, révélant notamment des inégalités de santé qui s’étaient déjà considérablement accrues après la <a href="https://injep.fr/wp-content/uploads/2018/09/odf2-inegalites-entre-jeunes.pdf">crise économique de 2008</a>.</p>
<p>La difficile <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/02/16/une-generation-d-etudiants-blessee-par-deux-annees-de-crise-sanitaire_6113852_4401467.html">situation des étudiants</a>, en particulier, a été fortement médiatisée. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32056920/">Troubles de la santé mentale</a>, consommation de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29566003/">substances psychoactives</a>, <a href="https://ireps.gp.fnes.fr/documentation/consulter-les-ressources-en-ligne-veille/dossiers-thematiques/sante-des-jeunes/les-comportements-de-sante-des-jeunes-analyse-du-barometre-sante-2010">alimentation déséquilibrée</a>… Les comportements de santé des étudiants sont préoccupants, et justifient que les problématiques de la jeunesse <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_nyadanu_-_martinot.pdf">soient placées au cœur des politiques de santé publique</a>.</p>
<p>Face à ce constat, que peut faire l’université ? Nous proposons ici un point sur l’alimentation des étudiants, et sur le rôle que pourrait jouer cette institution.</p>
<h2>L’alimentation étudiante en chiffres</h2>
<p>Même si les jeunes connaissent globalement mieux les <a href="https://www.cairn.info/que-manger--9782707197702-page-117.htm">recommandations diététiques que leurs aînés</a>, comme ils le font eux-mêmes remarquer, ces connaissances ne suffisent pas à influencer leurs choix alimentaires. Les jeunes de 18 à 25 ans adhèrent moins aux recommandations diététiques que les personnes plus âgées. Ils consomment moins de fruits et légumes, boivent plus de boissons sucrées, sautent des repas, fréquentent davantage les <em>fast-food</em>… Les étudiants consacrent par ailleurs la moitié de leur budget alimentaire aux <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er1060.pdf">repas pris à l’extérieur</a>, soit deux fois plus que les ménages de 35-64 ans.</p>
<p>Leur alimentation semble encore <a href="http://alimentation-sante.org/wp-content/uploads/2017/06/Rapport-Harris-Les-etudiants-et-lalimentation-Allo-Resto.pdf">se dégrader pendant les périodes d’examen</a>, puisqu’un quart d’entre eux déclarent alors renoncer à faire leurs courses et à préparer leur repas.</p>
<p>L’entrée à l’Université semble propice à la prise de poids, les étudiants prenant en moyenne <a href="https://ijbnpa.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12966-015-0173-9">2,7 kg lors de leur première année universitaire</a>. En France, la proportion de jeunes de 18 à 24 ans en situation d’obésité a presque doublé entre 2012 à 2020, <a href="http://www.odoxa.fr/sondage/enquete-epidemiologique-nationale-sur-le-surpoids-et-lobesite/">passant de 5,4 à 9,2 %</a>. Près de la moitié des étudiants se disent <a href="https://bdoc.ofdt.fr/doc_num.php?explnum_id=8660">préoccupés par leur poids</a>, et près d’un quart <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29566003/">présenteraient un trouble du comportement alimentaire</a>.</p>
<p>Par ailleurs, la <a href="http://www.senat.fr/rap/r20-742/r20-7425.html">précarité alimentaire des étudiants</a> est un problème répandu et préoccupant. L’Observatoire de la vie étudiante révélait en effet en 2016 que 8 % des étudiants déclaraient <a href="http://www.ove-national.education.fr/publication/reperes-sur-la-sante-des-etudiants/">sauter des repas en raison de difficultés financières</a>. Ces chiffres se sont aggravés pendant la crise sanitaire avec un recours grandissant à l’aide alimentaire, un étudiant sur deux déclarant <a href="https://www.publicsenat.fr/article/societe/pauvrete-un-etudiant-sur-deux-ne-mange-pas-a-sa-faim-depuis-le-debut-de-la-crise">ne pas manger à sa faim</a>. Face à ce constat, des <a href="https://u-paris.fr/repas-a-1-euro-dans-les-crous-sous-conditions/">repas à 1 € ont été proposés</a> dans les restaurants universitaires du Crous, cette offre étant toujours accessible aux étudiants boursiers et en situation de précarité.</p>
<h2>La décohabitation, une émancipation entraînant de lourdes responsabilités</h2>
<p>Les étudiants « décohabitants », autrement dit qui ont quitté le domicile familial pour vivre seul, en couple, en colocation, ou encore en résidence universitaire, se retrouvent face à de nouveaux impératifs. L’accès à un logement autonome fait peser sur eux de nombreuses responsabilités : gestion du temps, achats alimentaires, préparation des repas, respect d’un budget souvent restreint…</p>
<p>Autant de savoir-faire que de nombreux étudiants déclarent <a href="https://www.cairn.info/que-manger--9782707197702-page-117.htm">ne pas avoir acquis</a>. Le recours à des plats préparés ou la préparation de plats très simples et peu coûteux, tels qu’une assiette de pâtes, leur apparaît alors souvent comme la seule solution.</p>
<p>Lorsque l’on interroge les étudiants de façon approfondie, on découvre que les repas pris seul au domicile sont vécus par beaucoup comme des moments de solitude douloureuse, qu’ils tentent de contrôler en mangeant vite, devant les écrans, voire en sautant des repas. La solitude s’opposerait à tout plaisir alimentaire, celui-ci semblant entièrement lié, selon leurs propos, à la convivialité qui se crée autour d’un repas pris à plusieurs.</p>
<h2>Le repas étudiant, un acte avant tout social</h2>
<p>Si la décohabitation renforce les contraintes du quotidien, elle s’accompagne également d’un sentiment de liberté et d’insouciance… Ainsi que d’excès. Les étudiants semblent particulièrement apprécier de se retrouver autour d’un menu <em>fast-food</em>. Au-delà du faible coût de ces repas, c’est bien la convivialité et le sentiment de décompression entre amis qui les y attirent. Si <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-2458-14-53">l’influence exercée par le groupe</a> est souvent envisagée de façon négative, elle peut aussi favoriser les comportements bénéfiques.</p>
<p>Dans les restaurants universitaires, par exemple, le simple fait de voir les autres choisir des plats équilibrés peut inciter à faire de même. Parce qu’ils proposent ce type de plats à petits prix et qu’il y règne une bonne ambiance, les restaurants universitaires sont plébiscités par près de la <a href="http://www.ove-national.education.fr/publication/la-restauration-etudiante-2016/">moitié des étudiants</a>, certains affirmant même qu’ils sont la solution idéale pour allier équilibre et convivialité.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de l’offre alimentaire autour du campus de Sorbonne Paris-Nord" src="https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=577&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=577&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=577&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=725&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=725&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485599/original/file-20220920-3427-bmalcv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=725&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Difficile de trouver autre chose que des fast-foods dans un rayon de 800 m autour de ce campus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce constat doit cependant <a href="http://www.senat.fr/rap/r20-742/r20-7425.html">être nuancé</a> : les contraintes d’emploi du temps, les délais d’attente et le manque de diversité ou de qualité gustative des repas dans certaines structures éloignent les étudiants des restaurants universitaires, ou les incitent à y consommer des frites, une « valeur sûre » <a href="https://www.cairn.info/que-manger--9782707197702-page-117.htm">selon leurs propres termes</a>.</p>
<p>Malgré ces limites, les enquêtes réalisées par l’Observatoire de la vie étudiante témoignent d’un attachement des étudiants au modèle de la restauration universitaire. Il semble essentiel de préserver ce modèle, en particulier lorsque l’offre alimentaire autour de l’université est limitée ou principalement restreinte à des <em>fast-food</em>.</p>
<h2>L’université peut-elle améliorer l’alimentation des étudiants ?</h2>
<p>L’université ne peut pas à elle seule agir sur tous les aspects de l’alimentation des étudiants. Elle peut cependant les aider à mieux apprécier le moment du repas, notamment en prévoyant un temps de repas suffisant entre les cours, en créant des espaces conviviaux et en améliorant et diversifiant l’offre alimentaire des restaurants universitaires. La qualité nutritionnelle des aliments qui y sont proposés pourrait également être indiquée, <a href="https://theconversation.com/qualite-nutritionnelle-des-aliments-nutri-score-ou-en-est-on-conversation-avec-mathilde-touvier-158985">grâce à des logos tels que le Nutri-score</a>, qui permet d’avoir une idée en un seul coup d’œil de la qualité nutritionnelle globale des aliments, et qui <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31219721/">aide ainsi les étudiants à faire de meilleurs choix nutritionnels</a>.</p>
<p>Ces actions pourront être renforcées en favorisant des démarches de co-construction avec les étudiants. En s’investissant dans des programmes de recherche participative telles que <a href="https://etude-nutrinet-sante.fr/">l’étude NutriNet-Santé</a>, les étudiants pourront contribuer à une meilleure compréhension de leurs comportements alimentaires et des facteurs qui les influencent, ce qui constitue une première étape essentielle avant d’envisager de nouvelles interventions.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Des initiatives telles que <a href="https://www.u-bordeaux.fr/Actualites/De-la-vie-de-campus/Des-foodtrucks-sur-nos-campus">l’installation de <em>foodtrucks</em> dans les campus</a> ou à proximité, proposant une alimentation saine, variée, <a href="https://timbastien.fr/assets/rapport_activite/Rapport%20Moral%202022%20-%20Tim%20&%20Bastien.pdf">parfois solidaire</a> et élaborée avec des <a href="https://www.leparisien.fr/yvelines-78/montigny-le-bretonneux-ils-creent-un-food-truck-pour-lutter-contre-la-precarite-etudiante-17-09-2021-QNXB6JTMKJGPHCHUP27L5EZFCM.php">produits locaux plus respectueux de l’environnement</a>, se multiplient et complètent ainsi l’offre des restaurants universitaires. Elles tardent cependant à se déployer dans certains territoires qui comptent de nombreux étudiants dans une situation sociale défavorable.</p>
<p>Des initiatives dédiées à lutter contre la précarité étudiante peuvent aussi être saluées, comme la mise à disposition d’un <a href="https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/actualites/developpement-durable/nouveaute-un-frigo-zero-gaspi-sur-le-campus.html">« frigo partagé » à l’Université Bordeaux Montaigne</a>, approvisionné par des <a href="https://www.sudouest.fr/gironde/pessac/universite-bordeaux-montaigne-un-frigo-partage-contre-la-precarite-alimentaire-des-etudiants-6262597.php">associations du quartier, des associations solidaires étudiantes, ou encore les habitants du quartier</a>.</p>
<hr>
<p><em>Nous remercions la promotion du Master 1 Nutrition humaine et santé publique de l’Université Sorbonne Paris Nord qui a contribué à la rédaction de cet article : Qurrat Ashraf, Léa Beaufils, Gloria Bukasa, Fanny Carey, Lucie Casanelli, Mouhamed Diaw, Léa Fernandes, Laure-Astrid Gayon, Alexine Madeira, Racha Mahbani, Neyla Isma Ouallal, Josue Alberto Perez Acosta, Emma Pivert, Leslie Bernadette Simomia Mbowen, Wiame Taek, Joel Tshibangu, Sabina Vasan.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Touvier a reçu des financements publics ou d'instituts à but non lucratif de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Inserm (salaire), de l'European Research Council (ERC), de la Fondation pour la Recherche Médicale, FRM, de l'Institut National du Cancer, INCa, de l'ANR.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice Bellicha, Julia Baudry et Sandrine Péneau ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Difficultés économiques, contraintes de temps, manque de savoir-faire… Les étudiants peinent souvent à équilibrer leur alimentation. Mais l’université peut pallier ces manques de plusieurs façons.Alice Bellicha, Maître de Conférences, Université Sorbonne Paris NordJulia Baudry, Épidémiologiste de la nutrition, InraeMathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, InsermSandrine Péneau, Maîtresse de Conférences en Nutrition, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1844972022-06-28T17:02:11Z2022-06-28T17:02:11ZLes allocations étudiantes au Danemark, un modèle à suivre ?<p>La crise sanitaire que nous venons de traverser amène à nous interroger collectivement sur le modèle de financement des études. Les jeunes les <a href="https://theconversation.com/avoir-20-ans-en-2020-quand-le-covid-19-revele-les-inegalites-entre-les-jeunes-148292">plus précaires</a>, notamment ceux qui doivent travailler en parallèle de leurs études pour les financer, sont ceux qui ont potentiellement été les plus touchés par la crise sanitaire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-covid-171165">« Une jeunesse, des jeunesses » : peut-on vraiment parler de « Génération Covid » ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cette situation concerne un nombre important d’étudiants, puisqu’en France 23 % des étudiants exercent une activité rémunérée pendant l’année universitaire sans aucun lien avec leurs études (calculs réalisés à partir de l’étude publiée par <a href="http://www.ove-national.education.fr/publication/activite-remuneree-2020/">l’Observatoire de la vie étudiante</a> en 2020).</p>
<p>À rebours du modèle français dans lequel les étudiants ne payent pas de frais d’inscription – mais ne sont pas non plus aidés financièrement à hauteur du coût de leurs études par l’État – existent deux autres <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2015-2-page-119.htm">modèles de financement des études</a>. D’un côté, nous trouvons le modèle libéral, qui caractérise les pays anglo-saxons (États-Unis, Angleterre, Australie, etc.) dans lequel les étudiants doivent s’acquitter de frais d’inscription importants, où ils peuvent s’endetter pour financer leurs études et dans lequel il existe à la fois des bourses sur critères sociaux et académiques. De l’autre côté, nous trouvons le modèle social-démocrate dans lequel les étudiants ne payent pas de frais d’inscription et reçoivent des allocations pour financer leurs études.</p>
<h2>Modèle par répartition</h2>
<p>Dans ces deux modèles de financement de l’enseignement supérieur, libéral et social-démocrate, les taux d’accès et de réussite dans le supérieur sont relativement plus élevés que dans les pays du modèle dit conservateur, caractérisant notamment la France. La part des dépenses consacrée à l’enseignement supérieur y est également plus importante (mesurée en pourcentage du PIB, dépenses publiques et privées confondues).</p>
<p>Se retrouvant pris entre deux modèles antagonistes, l’un reposant sur le financement collectif et la solidarité intergénérationnelle – via notamment l’impôt sur le revenu – et l’autre sur les contributions individuelles des étudiants – via notamment le recours au crédit – le modèle français ne parvient pas à garantir des chances d’accès et de réussite des étudiants similaires à ceux des pays du nord de l’Europe.</p>
<p>Si la France a récemment fait le choix d’instaurer des <a href="https://theconversation.com/hausse-des-frais-dinscription-en-fac-une-tendance-contre-productive-111545">frais d’inscription</a> dans plusieurs établissements et filières sélectives, ainsi que pour les étudiants extra-communautaires, il est possible de prendre exemple sur ce qui se fait dans les pays scandinaves pour mettre en place un modèle de financement de l’enseignement supérieur par répartition – par analogie avec le système des retraites et par opposition à un système par capitalisation.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/attirer-les-meilleurs-etudiants-etrangers-genese-dune-politique-selective-108010">Attirer les « meilleurs » étudiants étrangers : genèse d’une politique sélective</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Un tel choix de société a justement été fait il y a plusieurs décennies au Danemark. Jusqu’au début des années 1960, le financement des parcours de formation était réservé aux étudiants méritants et issus d’une catégorie sociale défavorisée, celui-ci étant alors composé de bourses et de prêts d’une somme modeste. Le système a connu un premier bouleversement en 1970 avec la création d’une agence nationale chargée des bourses et des prêts.</p>
<p>Dans les années 1980, à la suite de la suppression des prêts subventionnés en 1975 (qui furent par la suite réintroduits en 1982), les dettes des étudiants ainsi que la durée des études ont augmenté sensiblement. Pour réduire l’échec à l’université et l’ensemble des problèmes lié à l’augmentation de la dette, le gouvernement décide, en 1988, de mettre en place un système de bourses universelles. Celles-ci sont assorties de conditions de réussite.</p>
<p>À partir de 1993, le montant de l’allocation dépend des conditions de vie de l’étudiant mais est indépendant du revenu des parents. Ce système est combiné à des prêts subventionnés par l’État et à la suppression des prêts bancaires. Bien que ce système ait ensuite connu de nombreuses réformes, sa philosophie est restée inchangée.</p>
<h2>Égalité des chances</h2>
<p>Si le revenu des étudiants n’excède pas 1820 euros, ceux-ci perçoivent une bourse (versée durant 12 mois) d’un montant allant de 130 à 362 euros par mois s’ils vivent chez leurs parents et de 840 euros s’ils ne vivent plus chez leurs parents (les chiffres sont issus de <a href="https://www.education.gouv.fr/eurydice-reseau-europeen-sur-les-systemes-educatifs-3182">Eurydice</a> – 2021). Des compléments sont octroyés aux étudiants qui deviennent parents, à ceux qui sont parents célibataires ou à ceux qui sont en situation de handicap.</p>
<p>Historiquement, le calcul de l’allocation délivrée aux étudiants s’est fait sur la base du <a href="https://www.jstor.org/stable/1503432">budget réel des étudiants</a> en tenant compte des besoins des étudiants dans de nombreux domaines (logements, nourriture, vêtement, assurances, sport, téléphone, etc.).</p>
<p>Pour preuve, pendant la crise sanitaire, les étudiants ont eu le droit à un complément de bourse d’un montant de 130 euros versé en octobre 2020. De plus, les étudiants bénéficient de nombreuses réductions dans les transports publics, pour la culture, pour les dépenses de santé et d’assurance, de déductions d’impôts, de places en résidences universitaires, etc.</p>
<p>Un tel système permet alors aux étudiants de se consacrer pleinement à leurs études, sans avoir besoin de travailler à côté de leurs études pour les payer. Le financement de l’enseignement supérieur au Danemark permet aux étudiants de <a href="https://www.cairn.info/devenir-adulte--9782130557173.htm">trouver leur voie</a> en privilégiant l’autonomie et l’égalité des chances. Il permet aux jeunes de mieux se projeter dans leur avenir.</p>
<p>À l’opposé d’une logique en termes d’investissement individuel entraînant des retombées monétaires, l’éducation est vue dans ce pays comme un investissement qui bénéficie à la société dans son ensemble et dont les retombées sont non seulement individuelles, mais avant tout collectives. Les étudiants eux-mêmes participent à ce financement collectif dans la mesure où leurs bourses sont sujettes à imposition.</p>
<p>Un tel système est-il transposable en France ? Tout d’abord, il ne faut pas perdre de vue que les <a href="http://data.uis.unesco.org/">caractéristiques démographiques</a> des deux pays ne sont pas les mêmes, le Danemark comptant moins de 310 000 étudiants en 2019, quand la France en comptait plus de 2 685 000. Nous avons étudié la <a href="https://journals.openedition.org/ei/6233">faisabilité d’un tel modèle</a> dans le cas français en termes financiers. Si le coût que cela représenterait pour les finances publiques est important (24 milliards d’euros par an), il relève avant tout d’un choix de société.</p>
<p>Néanmoins, il est important de garder en tête que les caractéristiques des systèmes d’enseignement supérieur des deux pays sont différentes. D’une part, il existe au Danemark une sélection à l’entrée à l’université. Et, d’autre part, la bourse est délivrée sous conditions de réussite. Ces deux garde-fous sont à ne pas omettre si l’on souhaite importer dans le débat public français l’idée d’une allocation d’études pour les étudiants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184497/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léonard Moulin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les études sont conçues au Danemark comme un investissement qui bénéficie à la société dans son ensemble, d’où un modèle de financement de l’enseignement supérieur par répartition.Léonard Moulin, Research fellow, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1839912022-06-16T20:41:39Z2022-06-16T20:41:39ZSe débrouiller face à une précarité qui n’en finit plus<p>La guerre en Ukraine a, depuis février 2022, rapidement monopolisé les préoccupations, géopolitique d’abord mais aussi celles de la population française déjà fragilisée par la crise sanitaire. Cette dernière, si elle a relativement épargné les salariées et les salariés en contrat stable grâce au dispositif de l’activité partielle, a particulièrement touché les travailleurs et travailleuses précaires, indépendants et intérimaires avec une réduction de revenu et une incertitude quant à leurs horizons professionnels.</p>
<p>Selon le baromètre CSA d’avril 2022, le conflit occupe désormais la deuxième place derrière la <a href="https://csa.eu/news/les-preoccupation-des-francais-pouvoir-dachat-guerre-en-ukraine/">perte de pouvoir d’achat</a>. Aux combats s’est ajoutée une augmentation fulgurante du coût de l’énergie (plus du 20 % en plus du 2021), suivie d’une hausse généralisée des prix, notamment liés à l’alimentaire, aux produits manufacturés et aux services. L’inflation atteint en 2022 son niveau le plus haut depuis des décennies : un bond du 4,8 % sur un an, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6439021">selon les données Insee</a> d’avril 2022. Premier exemple parmi d’autres, le prix de l’essence qui atteint désormais à <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3303443-20220607-prix-essence-barre-2-euros-litre-franchie-semaine-derniere">plus de 2 euros le litre</a>.</p>
<p>De fait, les personnes et les ménages les plus précaires sont les premiers concernés. D’après un <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/panoramas-de-la-drees/minima-sociaux-et-prestations-sociales-2021">rapport de 2018 de la DREES</a>, 40 % des Français disposent d’un niveau de vie de moins de 1582 euros mensuels (ménages définis comme « modestes »). En 2019 ce sont <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5759045">9,2 millions de personnes</a> (14,6 %) qui vivent sous le seuil de pauvreté monétaire fixé à 1 102 euros mensuels (60 % du niveau de vie médian de la population).</p>
<h2>La précarité comme mode de vie</h2>
<p>Les ressources à leur disposition sont toujours au « fil de l’eau », avec des difficultés parfois sévères à boucler les fins de mois et une inquiétude permanente. Pour y faire face, nombreux sont ceux qui multiplient les formes de travail, formelles comme <a href="https://ilostat.ilo.org/fr/resources/concepts-and-definitions/description-informality/">informelles</a>, c’est-à-dire sans contrat de travail, ni de couverture sociale ou possibilité de congés.</p>
<p>Pour ces sujets, la précarité se manifeste d’abord de manière matérielle (bas revenu, emploi temporaire ou instable…), mais également à travers une expérience d’instabilité du présent et de fragilité quant aux perspectives futures.</p>
<p>Certes les formes de redistribution et les minima sociaux permettent d’atténuer les conséquences de ces crises multiples, toutefois, pour de plus en plus d’individus, il devient nécessaire de s’inventer des solutions pour faire face aux à la précarité et aux nombreuses incertitudes qu’elle entraîne, fragmentant d’autant plus les temps de vie, d’activité et de repos.</p>
<p>Autrement dit, une journée type peut débuter à 8h avec l’étude et la recherche d’annonces d’emplois, s’enchaîne avec un travail d’hôte de caisse jusqu’à 14h30, se poursuit par la taille des haies chez une voisine au « noir » jusqu’à 18h, puis il faut encore récupérer quelques denrées à la banque alimentaire à 19h et enfin refaire des CV le reste de la soirée. Tout en jonglant avec les impératifs familiaux et les tâches de la vie courante.</p>
<h2>Trois formes de travail qui s’imbriquent</h2>
<p>Schématiquement, ce qui caractérise l’expérience du travail actuelle pour ceux qui traversent ces multiples précarités est donc le possible recours aux formes de travail indépendant, aux activités informelles et à une composition entre diverses formes de travail. Pour quels résultats ?</p>
<p>La diffusion du travail indépendant a pris de l’élan, notamment depuis 2009 suite à l’introduction du statut d’auto-entrepreneur (puis de « micro-entrepreneur »). Selon l’Urssaf, en <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/le-nombre-dauto-entrepreneurs-a-fortement-augmente-entre-2020-et-2021-1382753">juin 2021</a>, lors de la crise sanitaire, il y a eu une augmentation annuelle du 17,2 % d’autoentrepreneurs, cumulant un total de 2,23 millions administrativement actifs.</p>
<p>Les gouvernements successifs ont fortement mis en avant ce dispositif, en mobilisant surtout une rhétorique autour de sa capacité présumée d’offrir des opportunités aux habitants de banlieue discriminés dans les embauches. Bien que ce dispositif accompagne plusieurs <a href="https://lentreprise.lexpress.fr/creation-entreprise/entreprendre-en-banlieue-c-est-possible_1918125.html">« success story »</a>, la moitié des auto-entrepreneurs a déclaré un chiffre d’affaires nul ou négatif en 2021 (51,3 % selon l’Urssaf) et même Emmanuel Macron, alors candidat, soulignait dans un entretien <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/021116/emmanuel-macron-face-la-redaction-de-mediapart?onglet=full">à Médiapart le 2 novembre 2016</a> que chez Uber, les jeunes des quartiers « parfois travaillent 60-70 heures par semaine pour toucher le smic ».</p>
<p>Le recours à l’auto-entrepreneuriat pour les personnes ayant d’abord la volonté de créer leur propre emploi est souvent le reflet des échecs dans l’intégration de conditions plus stables d’emploi, et peut être considéré, <a href="https://lvsl.fr/luberisation-retour-au-XIXeme-si%C3%A8cle-entretien-avec-sarah-abdelnour/">comme le souligne la chercheuse Sarah Abdelnour</a>, comme une conséquence de la promotion d’un contournement délibéré du salariat.</p>
<h2>La recherche d’une autonomie supplémentaire</h2>
<p>Cette pratique offre une opportunité supplémentaire pour obtenir du revenu, même au prix d’une intériorisation croissante de la responsabilité nécessaire pour gérer la continuité et la rentabilité de l’activité (tâches administratives, fiscales, etc.).</p>
<p>Le recours à l’indépendance se fait dans la recherche d’une autonomie supplémentaire dans le rapport au travail (« être son propre patron »), mais laisse souvent apparaître maintes formes de soumissions aux donneurs d’ordre (comme les plates-formes pour chauffeurs et livreurs), aux clients, maîtres de l’évaluation et au volume de rétributions en encourageant à travailler toujours plus.</p>
<p>Le recours à l’indépendance mobilisant des compétences techniques et entrepreneuriales peut également se faire dans le cadre de l’économie informelle, estimée selon un rapport de France Stratégie en 2019 <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/coe-rapport-travail-non-declare-fevrier-2019.pdf">à 2,5 millions de personnes</a></p>
<p>Nous rencontrons ici un large spectre de figures sociales proposant de produits ou de services hors du cadre légal et fiscal : comme les personnes engagées dans <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/le-bizness-une-economie-souterraine-9782130558361/">« le bizness »</a> de produits de contrefaçons ou « tombés du camion » ou les travailleurs informels tels que les <a href="https://theconversation.com/le-mecanicien-de-rue-un-expert-de-la-debrouille-au-coeur-de-la-precarite-110573">mécaniciens de rue</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-mecanicien-de-rue-un-expert-de-la-debrouille-au-coeur-de-la-precarite-110573">Le mécanicien de rue, un expert de la « débrouille » au cœur de la précarité</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Des frontières poreuses entre formel et informel</h2>
<p>Loin d’une accumulation capitaliste, ces propositions de services s’inscrivent plutôt dans une logique économique que le collectif de chercheurs et chercheuses Rosa Bonheur <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-ville-vue-den-bas/">a défini</a> de « centralité populaire » permettant d’obtenir du revenu et une circulation de biens et de services au sein de populations précaires.</p>
<p>Les porosités entre économie formelle et informelle <a href="https://www.octares.com/serie-colloques-congres/210-aux-marges-du-travail.html">demeurent fréquentes</a>, mais ont pris une ampleur nouvelle à l’aune de l’économie de plate-forme où s’enracine le contournement de règles fiscales et du code du travail.</p>
<p>Un exemple est le cas des <em>jobbers</em>, les personnes qui se proposent pour des services ou pour la réalisation de tâches (même minuscules) sur des plates-formes qui ont le rôle d’intermédiaires, comme se popularise sur <em>le bon coin</em> par exemple.</p>
<p>Comme l’ont illustré Marine Snape et Marion Plaut dans leur récent rapport <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/59c9fe47828f2fa42060b2f811fa2e35/Rapport-Le%20jobbing-Une%20enqu%C3%AAte%20sociologique%20sur%20le%20travail%20de%20plateforme.pdf">pour la DARES</a>, les jobbers s’insèrent dans un « halo d’activités professionnelles » dans laquelle on peut trouver des auto-entrepreneurs, des personnes payés en cash (au noir), en prestation de service ou en chèques emploi service.</p>
<h2>Les cumulards, un mode de vie ?</h2>
<p>L’expérience de travail de personnes précaires est donc toujours plus composée d’une multiplication d’activités entre lesquelles jongler pour arriver à la fin du mois : salariat, informalité et autoentrepreneuriat. Ces « cumulards » de plusieurs activités (déjà 2,1 millions de personnes selon les chiffres <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5391996?sommaire=5392045">à fin 2018</a> veulent sécuriser une continuité de revenu et peuvent être motivés par des raisons diverses : parfois par choix (composer un travail « de passion » et un « boulot alimentaire »), le plus souvent comme conséquence d’une situation subie.</p>
<p>La multiplication des engagements de travail pour faire face à la précarisation nous consigne la diffusion d’une expérience d’intensification des temporalités de travail.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/slashers-pluriactivite-et-transformations-du-travail-opportunite-ou-menace-pour-le-management-84939">« Slashers », pluriactivité et transformations du travail : opportunité ou menace pour le management ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La journée et les fardeaux professionnels débordent dans la vie personnelle, en arrivant souvent à une <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-colonisation-du-quotidien/">colonisation du quotidien</a> pour reprendre l’expression de Patrick Cingolani.</p>
<h2>Monopolisation du temps de vie</h2>
<p>L’intensification s’accompagne d’un manque de temps pour alimenter les relations sociales et affectives, mais également pour « sortir la tête du guidon » et permettre une réflexivité sur les parcours professionnels et de vie. La possibilité de réfléchir au sens et aux valeurs de propre travail représente ainsi une forme de privilège dans une époque d’intensification de l’engagement professionnel pour faire face aux crises.</p>
<p>Cette monopolisation du temps de vie par une expérience de travail dominée par la logique individualiste du surinvestissement peut conduire à un autre risque majeur : celui d’une réduction des espaces pour des formes de débrouille inscrites dans la convivialité, la solidarité et le mutualisme, alors que celles-ci pourraient au contraire dessiner une solution collective aux défis de la précarité comme on a pu voir avec les <a href="http://www.citego.org/bdf_fiche-document-810_fr.html">banques du temps</a> ou les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/tontine-1375068">tontines</a> par exemple.</p>
<p>Ou tout du moins commencer à esquisser une possible ligne de fuite à l’intérieur de l’expérience contemporaine du travail : une expérience certes de précarité, mais réorientée par la tentative de réduire la dépendance à la (sur)consommation et au surinvestissement individuel, telle qu’on peut la trouver parfois dans des formes de travail « à côté » au sens <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782713214066-la-travail-a-cote-etude-d-ethnographie-ouvriere-florence-weber/">où l’écrit Florence Weber</a>, entre initiatives d’autoproduction et de partage de ressources matérielles et culturelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183991/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Giordano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour faire face à l’inflation, de plus en plus de Français multiplient les formes de travail dans les secteurs formels comme informels.Denis Giordano, Enseignant-chercheur en sociologie du travail à OCE em-lyon de Lyon et chercheur associé au CMH de Paris., EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1840612022-06-05T16:21:32Z2022-06-05T16:21:32ZAu-delà de la fraude sociale, le non-recours à l’allocation pose un problème bien plus important<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466559/original/file-20220601-48778-h4iu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1020%2C637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour 2,1&nbsp;millions de foyers.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:RSA_2.jpg">ArnoD27/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Un nouveau plan pour lutter contre la fraude sociale <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/29/allocations-familiales-carte-vitale-retraites-a-l-etranger-le-gouvernement-presente-un-plan-de-lutte-contre-la-fraude-sociale_6175352_823448.html">a été dévoilé lundi 29 mai</a> par Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics. Ce dernier prévoit « de doubler les redressements d’ici à 2027 » et propose notamment de fusionner la carte Vitale et carte d’identité pour mieux cibler les éventuels fraudeurs. Il y a un an déjà, le président candidat Emmanuel Macron créait la <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/les-interrogations-autour-des-15h-20h-d-activite-qu-emmanuel-macron-veut-imposer">polémique</a> en proposant de réformer les droits et devoirs des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). </p>
<p>Le chef de l’État, réélu depuis, avait souhaité instaurer une « obligation de travailler quinze à vingt heures par semaine » afin de favoriser leur insertion professionnelle. Des mesures en cours d'expérimentations et qui créent <a href="https://www.liberation.fr/economie/reforme-du-rsa-le-gouvernement-pose-ses-conditions-20230523_JTODOYM235CQBDT5KDXOBEVDGY/">polémiques et discours contradictoires</a>.</p>
<p>Pour les uns, il est indécent d’alourdir la culpabilité des victimes de la crise. Menacées par la pauvreté, elles doivent faire face plus que toute autre au recul de leur pouvoir d’achat et il faut les soutenir par des aides automatiques et inconditionnelles. Pour les autres, l’accès à l’emploi doit être prioritaire et il importe de réformer le volet non monétaire du RSA, de renforcer l’accompagnement et aussi les contrôles…</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eJgINHPmDJg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron propose une réforme du RSA avec « 15 à 20 heures » d’activité hebdomadaire (Public Sénat, 17 mars 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce débat comporte incontestablement une dimension idéologique, voire même politicienne. Il s’agit pourtant d’un sujet important, à la fois du point de vue de la recherche et de celui des politiques publiques.</p>
<h2>Suspicion montante</h2>
<p>Comme l’a rappelé en début d’année le <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-revenu-de-solidarite-active-rsa">rapport</a> de la Cour des comptes, le nombre d’allocataires progresse de façon irrésistible d’année en année depuis la mise en place du RSA en 2009, comme le faisait déjà celui des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) qu’il a remplacé (voir le graphique). La crise sanitaire a ajouté à la série temporelle une bosse, aujourd’hui en voie de résorption, mais la tendance est toujours là, parallèle à celle de la progression de la durée du chômage. Si cette tendance n’est pas soutenable, ce n’est principalement pas sur un plan budgétaire.</p>
<p>Le RSA constituait en 2020 un socle de revenus pour 2,1 millions de foyers, soit plus de 4 millions de personnes avec les conjoints et les enfants à charge, pour une dépense publique annuelle de 15 milliards d’euros en ajoutant la prime d’activité et l’accompagnement, soit moins de trois quarts de point de PIB. Son montant moyen avoisine les 7000 euros par an et par ménage bénéficiaire, ce qui en fait l’une des aides publiques les moins coûteuses par rapport à son impact social.</p>
<p><iframe id="m5Oae" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/m5Oae/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En parallèle de la hausse du nombre de bénéficiaires, le regard de l’opinion publique a évolué vis-à-vis des minima sociaux. De multiples indices convergents confirment notamment la suspicion croissante envers les bénéficiaires des aides sociales.</p>
<p>Une <a href="https://www.credoc.fr/publications/prestations-sociales-et-familiales-conge-parental-aides-au-logement-aides-aux-grands-enfants-etat-de-lopinion-2018">enquête du Crédoc</a> publiée en 2018 indiquait ainsi qu’une grande majorité de Français souscrit à l’idée selon laquelle les Caisse d’allocations familiales (Caf) ne contrôlent pas suffisamment les situations des allocataires. Ils étaient plus de 80 % en 2018 à partager ce sentiment, contre 64 % vingt ans plus tôt.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.unedic.org/publications/barometre-unedic-quel-regard-les-francais-portent-ils-sur-le-chomage-et-les-chomeurs">enquête plus récente de l’Unédic</a>, une majorité de Français estime que les demandeurs d’emploi ont des difficultés à trouver du travail car ils ne font pas de concession dans leur recherche d’emploi. De plus, pour 55 % des sondés, les chômeurs ne travaillent pas parce qu’ils risqueraient de perdre leur allocation chômage.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5EPuDoUGC4A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment les Français perçoivent le chômage et les chômeurs ? (unedictv, février 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Enfin, les politistes Vincent Dubois et Marion Lieutaud ont étudié les occurrences sur la fraude sociale en exploitant un corpus de 1 108 questions parlementaires posées entre 1986 et 2017. De rares, voire inexistantes au début de la période, elles ont progressivement augmenté jusqu’à devenir une thématique à part entière du débat politique. Leur formulation révèle un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03462599">durcissement progressif des prises de position</a>, plus particulièrement à l’égard des fractions les plus démunies de l’espace social, et un affaiblissement concomitant des discours critiques à l’égard de telles tendances.</p>
<h2>La fraude reste l’exception</h2>
<p>Le contraste apparaît donc très net entre ce sentiment montant et les résultats des actions de contrôle opérées par les institutions en charge du suivi des bénéficiaires. Ces derniers montrent que les fraudes sont concentrées sur une très petite minorité de bénéficiaires et qu’elles sont surtout le fait de certains réseaux organisés. Selon la Cour des comptes, le montant cumulé des aides indues représenterait <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-09/20200908-rapport-Lutte-contre-fraudes-prestations-sociales_0.pdf">3,2 % des prestations sociales</a>. Des cas existent et ils sont largement relayés par les médias, mais ils forment toujours l’exception. S’il importe de lutter contre ces délits, le rôle de la puissance publique n’est pas d’entretenir le climat de suspicion qui prévaut à l’encontre de la très grande majorité des allocataires respectant les règles.</p>
<p>En complet contre-pied, la recherche en sciences sociales sur le RSA montre au contraire que le fait dominant est celui de la permanence et de la généralité d’un non-recours massif aux prestations sociales destinées à soutenir les ménages à bas revenus. Ainsi, une part importante des ménages ayant droits aux aides sociales n’en bénéficient pas, en réalité. Cela provient principalement d’une absence de demande de leur part.</p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2018-1-page-41.htm?contenu=resume">raisons sont multiples</a> mais font intervenir des difficultés à effectuer les démarches administratives et la stigmatisation qu’entraîne la demande de l’aide : en 2018, un <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/les-dossiers-de-la-drees/mesurer-regulierement-le-non-recours-au">tiers des foyers éligibles</a> au RSA sont ainsi en situation de non-recours chaque trimestre ; 1 foyer sur 5 est en situation de non-recours pérenne toute l’année. Le non-recours touche, par ailleurs, les populations les plus vulnérables du public ciblé comme les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/roiw.12274">personnes sans domicile fixe</a>.</p>
<h2>Des contrôles aux effets inattendus</h2>
<p>La suspicion croissante envers les allocataires a cependant conduit à une intensification de leur surveillance et à l’encadrement de leurs démarches d’insertion professionnelle et sociale. En contrepartie de leurs droits, les allocataires ont des devoirs qui se matérialisent par différentes étapes, comme la signature d’un contrat d’engagement ou d’un projet personnalisé, puis la participation à des démarches d’insertion (sociale ou professionnelle). La participation à ces démarches reste cependant elle-même faible pour des raisons qui tiennent en partie aux difficultés rencontrées par les départements pour organiser l’accompagnement de façon satisfaisante.</p>
<p>Pour augmenter la participation, certains départements ont modifié leur politique d’action sociale. Une <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2018-5-page-777.htm">expérience contrôlée</a> a ainsi été mise en œuvre en Seine-et-Marne. Celle-ci consistait à faire varier le contenu des courriers invitant les allocataires à s’inscrire dans l’accompagnement. La simplification des courriers et l’ajout d’éléments incitatifs n’a cependant pas permis d’augmenter substantiellement la participation aux démarches d’insertion.</p>
<p>Un autre département a fait le choix d’une action plus coercitive consistant à contrôler la situation de l’ensemble des allocataires et à envoyer un message d’avertissement, suivi d’une sanction sous forme de réduction de l’allocation si la situation ne change pas. Ces courriers d’avertissement ont fortement augmenté la participation aux premières étapes <a href="http://www.tepp.eu/doc/users/268/bib/dedicacefinal.pdf">du parcours d’insertion</a>. Mais ces notifications ont également accru les sorties du RSA.</p>
<p>L’étude ne permet pas d’identifier si les sorties vont vers l’emploi ou si elles correspondent à un arrêt de la perception de l’allocation par des individus toujours éligibles. Cependant, il apparaît vraisemblable que ces contrôles découragent les allocataires et accroissent leur non-recours. Une plus grande intensité de contrôle augmente les coûts supportés par les allocataires pour accéder à l’allocation, ce qui peut les conduire à renoncer à l’allocation et à leurs démarches d’insertion, soit l’exact inverse de l’objectif poursuivi.</p>
<p>L’épidémie de Covid-19 a rappelé avec force la résilience du modèle de protection sociale français, en capacité de faire face à une crise économique et sociale de très grande ampleur. La crise sanitaire a montré que les risques de perdre son emploi et de tomber dans la pauvreté concernent l’ensemble de la population et qu’il est nécessaire de disposer d’un mécanisme d’assurance et d’assistance collective. Dans le débat actuel, ce n’est pas seulement le volet monétaire qu’il faut réformer, mais plutôt la manière dont l’accompagnement se déploie et les moyens qui lui sont alloués pour mieux résorber les vulnérabilités sociales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184061/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick L’Horty a reçu des financements du conseil départemental de Seine-et-Marne pour certaines études citées dans cet article. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rémi Le Gall a bénéficié d'un financement de la Délégation Interministérielle de Prévention et de Lutte contre la pauvreté pour une étude citée dans cet article. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvain Chareyron a reçu des financements du conseil départemental de Seine-et-Marne pour une étude citée dans cet article.</span></em></p>Un tiers des ménages éligibles renonce au revenu de solidarité active, tandis que le montant cumulé des prestations indues reste minime.Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave EiffelRémi Le Gall, Economiste, Maître de conférences, Université de LorraineSylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1833012022-05-19T19:29:14Z2022-05-19T19:29:14ZFace aux difficultés financières, les jeunes deviennent autonomes différemment<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/463699/original/file-20220517-14-dxb00o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C30%2C1151%2C641&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon des chercheurs, l’adolescence prendrait plutôt fin vers 24&nbsp;ans que vers 19.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Andreas Åkre Solberg/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les jeunes rêvent d’autonomie, et pourtant le nombre de jeunes cohabitant chez leurs parents ne cesse d’augmenter. En 1973, 59 % des 18-24 ans résidaient chez leurs parents, contre 65 % aujourd’hui. Une <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanchi/article/PIIS2352-4642%2818%2930022-1/fulltext">récente étude</a> menée par des chercheurs de l’université de Melbourne affirme d’ailleurs que l’adolescence prendrait fin vers 24 ans et non 19, comme il est communément admis.</p>
<p>Il existe des facteurs explicatifs de l’augmentation de jeunes qui cohabitent avec leurs parents, tels que l’allongement de la durée des études, la montée du chômage chez les jeunes, ou encore la difficulté de trouver un emploi stable. Parmi les générations nées entre les années 1950 et celles nées dans les années 1980, l’âge médian de fin d’études est passé de 16,5 ans à 20 ans pour les filles et de 18,6 ans à 19,7 ans pour les garçons.</p>
<p>L’âge du premier emploi a aussi progressé du fait de l’allongement de la scolarité mais aussi des difficultés à trouver rapidement du travail en sortant de l’école. L’âge du premier emploi est passé de <a href="https://www.observationsociete.fr/ages/jeunes/a-quel-age-est-on-jeune/">17,3 ans à 20 ans</a> entre les filles nées dans les années 1950 et celles nées dans les années 1980, et chez les garçons, de 16,8 ans à 19,6 ans. Enfin, après une décennie de baisse, le taux de chômage moyen pondéré dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans est passé de <a href="https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/quelles-mesures-ont-ete-adoptees-par-les-pays-pour-aider-les-jeunes-face-a-la-crise-du-covid-19-c1d692cb/">11,8 % fin 2019 à 14,2 % début 2021</a> sous l’effet de la pandémie de Covid-19.</p>
<p><iframe id="bkajM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bkajM/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cependant, il reste difficile aujourd’hui de différencier la fin de l’adolescence et les débuts de l’âge à partir d’événements marqueurs propres à la société industrielle, comme le premier emploi, le premier mariage, le premier achat de résidence, la naissance des enfants, qui jalonnaient le parcours de vie. Même si ces événements demeurent présents dans la vie des jeunes, ils prennent souvent un sens différent pour chacun.</p>
<h2>Un processus plus qu’un statut</h2>
<p>Les études sur la jeunesse ont été longtemps dominées par des analyses de trajectoires qui délaissaient les processus individuels. Or, les sociologues reconnaissent aujourd’hui qu’il importe de <a href="https://journals.openedition.org/sdt/16088">cerner les processus individuels</a> de l’âge adulte pour mieux comprendre les changements qui s’organisent aux différents moments du cycle de vie, et notamment lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte.</p>
<p>Les travaux issus de ma <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00361520v2">thèse</a> de doctorat sur le processus d’autonomisation des adolescents ont montré que le passage à l’âge adulte apparaît de plus en plus comme un processus plutôt que comme l’accès à un statut. Ainsi, l’entrée dans l’âge adulte ne se présente plus comme une rupture entre l’adolescence et l’âge adulte. Le passage de l’adolescence à l’âge adulte admet des allers et retours possibles, des sortes d’essais/erreurs, comme l’illustre le caractère aléatoire du départ de la maison et le retour chez les parents.</p>
<p>Depuis mars 2020 et le début de la pandémie de Covid-19, près de 50 % des étudiants français ont été contraints de quitter leur logement pour retourner chez leurs parents et reprendre une place d’enfant au sein du cocon familial, du fait de difficultés financières pour <a href="https://theconversation.com/comment-la-pandemie-redessine-les-chemins-des-jeunes-vers-lautonomie-158096">près d’un tiers d’entre eux</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1387652618428686337"}"></div></p>
<p>Les racines grecques du mot « autonomie » évoquent l’idée de se donner soi-même (<em>auto</em>) ses lois (<em>nomos</em>). Le fait de devenir autonome n’amène pas l’individu à être indépendant des liens sociaux. L’indépendance ne relève donc pas du même processus que l’autonomie. L’autonomie se construit à travers les liens et amène à une redéfinition du lien parent-enfant, sans parler de rupture.</p>
<p>Jusque dans les années 1980, l’autonomie n’a été étudiée que sur un plan affectif comme étant une prise de distance vis-à-vis des parents, ne nécessitant pas pour autant un détachement profond des parents. Il faudra attendre les années 2000 pour que l’autonomie soit intégrée dans un modèle plus global où se retrouvent ces différentes dimensions : l’autonomie affective (prise de distance vis-à-vis des parents), l’autonomie cognitive (prise de décisions), l’autonomie conative (actions dans la vie de tous les jours), ou encore l’autonomie financière (gestion de son argent). Les travaux de <a href="https://www.afm-marketing.org/en/system/files/publications/s03_gentinae39_39.pdf">recherche</a> que j’ai menés sur le concept d’autonomie de l’adolescent consommateur ont contribué à mettre en œuvre un outil de mesure multidimensionnel comprenant ces différentes formes d’autonomie.</p>
<h2>« Apprendre la socialisation »</h2>
<p>Plusieurs gestes apparemment anodins peuvent ainsi être déterminants dans le processus d’autonomisation de l’adolescent, tels que ne pas tout raconter aux parents le soir (autonomie affective), être capable de prendre des décisions seul (autonomie cognitive), faire des sorties non accompagnées ou encore rentrer seul à la maison après le collège (autonomie conative).</p>
<p>L’argent de poche contribue aussi au processus d’autonomisation de l’adolescent. D’après le baromètre Pixpay, sur un échantillon de 1000 parents de collégiens et de lycéens, <a href="https://www.pixpay.fr/wp-content/uploads/2021/05/202101_CP_Barometre2_2021_vdef.pdf">92 % des adolescents français recevraient de l’argent de poche</a>, depuis l’âge de 11 ans, dès l’entrée au collège. Pour 42 % d’entre eux, ce don est régulier, pour un montant moyen de 30 euros par mois.</p>
<p>Comme le déclare la spécialiste des sciences de l’éducation Marie-Agnès Hoffmans-Gosset, « apprendre l’autonomie, c’est <a href="https://www.decitre.fr/livres/apprendre-l-autonomie-apprendre-la-socialisation-9782850082603.html">apprendre la socialisation</a> ». Les parents ont recours au processus de communication familiale centrée sur les valeurs de l’argent pour dispenser l’apprentissage de l’autonomie de leur enfant.</p>
<p>Le fait d’attribuer ou non de l’argent de poche peut répondre à différents objectifs : les parents donnent-ils de l’argent de poche pour favoriser à leur enfant une certaine autonomie, pour qu’il prenne la valeur des choses, pour qu’il apprenne la notion de budget ou qu’ils aient la possibilité de s’octroyer des « petits plaisirs » ? Les réactions des parents face à l’utilisation de leur enfant de l’argent de poche contribuent à éduquer ces derniers à la consommation.</p>
<p>D’après une étude qualitative réalisée auprès de 30 adolescents français et américains âgés de 12 à 18 ans, la provenance de l’argent (don vs. gain) joue un rôle significatif sur l’identification de l’argent à la fois comme un moyen de réalisation de soi ou une source d’inquiétude. Les résultats de l’étude montrent qu’aux États-Unis les adolescents considèrent l’argent comme une réalisation de soi puisque ces derniers n’attendent pas leur majorité pour gagner de l’argent via un petit job.</p>
<h2>Nouvelles sources de revenus</h2>
<p>D’ailleurs, face à la pénurie de main-d’œuvre actuelle, des sénateurs de plusieurs états aux États-Unis ont présenté un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/aux-etats-unis-les-adolescents-mis-a-contribution-pour-pallier-la-penurie-de-main-doeuvre-1365521">projet de loi</a> pour étendre le nombre d’heures de travail légales pour les jeunes de 14 et 15 ans.</p>
<p>En France, la législation du travail reste plus contraignante pour les mineurs, notamment en termes d’horaires. Les entreprises hésitent à embaucher des adolescents mineurs, et les parents français privilégient l’octroi d’argent de poche. Les résultats de l’étude ont montré que, parmi l’échantillon d’adolescents français interrogés, le fait de recevoir de l’argent risque de conduire l’adolescent à développer un sentiment d’inquiétude à l’égard de l’argent. Les adolescents français, qui reçoivent de l’argent par l’intermédiaire de sources extérieures, tendent à être davantage préoccupés par la crainte de manquer d’argent pour assouvir leurs besoins, ce que nous n’avons pas retrouvé auprès de l’échantillon d’adolescents américains.</p>
<p>L’émergence de plates-formes numériques telles que Vinted, Etsy, etc, ont-elles permis aux adolescents de trouver une nouvelle manière de se faire de l’argent de poche ? Vendre sur Vinted apparaît aujourd’hui comme une pratique courante et très largement partagée par cette jeune génération : <a href="https://www.lefigaro.fr/conso/depuis-decembre-je-me-suis-fait-2700-euros-comment-les-ados-utilisent-vinted-pour-se-faire-de-l-argent-de-poche-20210707">22 % des utilisateurs</a> de Kard, une néo-banque pour les jeunes, l’utilisent ainsi comme seule source de revenus. Vinted permettrait à presque un quart des jeunes de 10 à 18 ans de gagner en moyenne 25 euros par mois.</p>
<p>Le succès de ces plates-formes est le signe d’une génération très entrepreneuriale, qui imagine et teste de nouveaux modèles économiques. On peut d’ailleurs voir dans ces usages une nouvelle manière de « jouer à la marchande » et d’entreprendre. Vinted n’est-elle pas finalement en train de devenir la plus grande école de commerce de France !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183301/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elodie Gentina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’âge du départ du domicile parental ou du premier emploi recule, les jeunes acquièrent de désormais de plus en plus leur autonomie par d’autres moyens.Elodie Gentina, Associate professor, marketing, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.