tag:theconversation.com,2011:/id/topics/racisme-21596/articlesracisme – The Conversation2024-03-29T07:47:45Ztag:theconversation.com,2011:article/2246682024-03-29T07:47:45Z2024-03-29T07:47:45ZAvec son album country, Beyoncé questionne la dimension raciale des genres musicaux aux États-Unis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/585197/original/file-20240329-18-d517ze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=392%2C181%2C3319%2C2378&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A Paris, un affichage sauvage pour annoncer la sortie du nouvel album de Beyoncé, _Act II - Cowboy Carter_, le 29 mars 2024.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo SZ / The Conversation</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Un coup d’État musical. C’est ainsi qu’on pourrait décrire le succès des deux derniers titres de Beyoncé, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=238Z4YaAr1g">« Texas Hold'Em »</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hhKNjTb6U1Y">« 16 Carriages »</a>, <a href="https://www.npr.org/2024/02/11/1230788187/beyonce-new-music-texas-hold-em#:%7E:text=Hourly%20News-,Beyonc%C3%A9%20releases%20%22Texas%20Hold%20%27Em%22%20and%2216%20carriages,%2C%22%20promising%20more%20in%20March">sortis lors du SuperBowl</a>, en amont d’un <a href="https://pitchfork.com/news/beyonce-announces-act-ii-for-march-29/">nouvel album sorti le 29 mars (<em>Cowboy Carter</em>)</a>, et qui, depuis, caracolent <a href="https://www.officialcharts.com/songs/beyonce-texas-hold-em/">l’un</a> et <a href="https://acharts.co/song/191442">l’autre</a> en tête des <a href="https://www.forbes.com/sites/hughmcintyre/2024/02/13/beyoncs-has-two-new-singles-outand-one-of-them-is-clearly-the-winner/?sh=6f34ce0766af">classements des ventes</a> et des <a href="https://www.billboard.com/pro/beyonce-texas-hold-em-number-1-streaming-songs-chart/">écoutes en streaming</a>.</p>
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<p>Coup d’État, parce que ces premiers extraits de <em>Cowboy Carter</em> et les <a href="https://www.theguardian.com/music/2024/mar/19/beyonce-act-ii-album-cover-country-music">codes visuels qui l’entourent</a> indiquent clairement que le deuxième « acte » de la trilogie entamée en 2022 avec <a href="https://www.nytimes.com/2022/07/30/arts/music/beyonce-renaissance-review.html">l’éponyme <em>Renaissance</em></a> est une <a href="https://time.com/6900295/beyonce-album-cowboy-carter/">réappropriation de la country</a>, genre qu’on associe souvent à une Amérique <a href="https://www.researchgate.net/publication/237775430_Why_Does_Country_Music_Sound_White_Race_and_the_Voice_of_Nostalgia">blanche</a> <a href="https://virginiapolitics.org/online/2021/5/3/the-arranged-marriage-of-republicanism-and-country-music">conservatrice</a> et parfois même <a href="https://www.npr.org/2023/08/01/1191405789/how-racism-became-a-marketing-tool-for-country-music">raciste</a>, <a href="https://www.vox.com/culture/2023/9/19/23880804/maren-morris-country-music">sexiste et identitaire</a>.</p>
<p>Les réactions qui ont entouré cette sortie révèlent à quel point, aux États-Unis, les genres musicaux, unités structurantes de l’industrie musicale, comprennent une dimension raciale, ce qui explique que Beyoncé soit la seule femme noire à s’être hissée à la première place <a href="https://www.billboard.com/music/chart-beat/beyonce-texas-hold-em-number-1-hot-country-songs-chart-1235610582/">du Hot Country 100 du magazine <em>Billboard</em></a>.</p>
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<h2>Résistance de l’industrie musicale</h2>
<p>Il faut dire que l’arrivée de ces singles ne fut pas sans remous. Dès leur sortie, des internautes rapportaient sur Twitter que des <a href="https://www.nytimes.com/2024/02/14/arts/music/beyonce-oklahoma-radio-station.html">stations de radio spécialisées dans la country refusaient de les diffuser</a>, <a href="https://twitter.com/jussatto/status/1757444577416417579">malgré les demandes des auditeurs</a>, et que <a href="https://twitter.com/ChatterboxKeirn/status/1757061941615271944">nombre de plates-formes de streaming</a>, <a href="https://twitter.com/FakeNadine/status/1757421212601372762">blogs et magazines les avaient étiquetés comme « pop »</a>.</p>
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<p>Si le distributeur Sony a rapidement rectifié le tir, en <a href="https://twitter.com/BrianZisook/status/1757065106939084989">remplaçant « pop » par « country » comme genre principal de ces titres</a>, le flottement a suffisamment duré pour raviver de mauvais souvenirs. La première fois où Beyoncé s’était aventurée dans ce genre musical, avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6Mm9ae_qg9I">« Daddy Lessons »</a> en 2016 (rappelons qu’elle a grandi au Texas, comme son père), le comité des Grammys <a href="https://apnews.com/arts-and-entertainment-music-9770ad054e9d48aeba56cc40e12b3c84">avait refusé que le titre puisse concourir dans la catégorie « country »</a>– <a href="https://www.instagram.com/p/C4s6Zr7rlwA/">Beyoncé a d’ailleurs confirmé que ce rejet initial avait largement motivé la sortie de l’album</a>. Mais c’est surtout le <a href="https://www.theguardian.com/music/2019/apr/27/fight-for-your-right-to-yeehaw-lil-nas-x-and-countrys-race-problem">spectre de l’épisode « Old-Town Road » qui ressurgit</a>.</p>
<h2>Le précédent Lil Nas X</h2>
<p>Rappel des faits : fin mars 2019, ce morceau de Lil Nas X monte à la 19<sup>e</sup> place du classement country de <em>Billboard</em>, <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-features/lil-nas-x-old-town-road-810844/">avant d’en être exclu abruptement</a>. Le magazine explique son geste dans un communiqué, arguant que la <a href="https://apnews.com/article/6045fec139204644b616afb63622c2d9">chanson ne « contient pas assez d’éléments de la country d’aujourd’hui » pour rester dans ce classement</a>.</p>
<p>La justification ne passe pas : depuis les années 2000, ce genre est très influencé par le rap, au point <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country-lists/a-history-of-hick-hop-the-27-year-old-story-of-country-rap-22010/blake-sheltons-boys-round-here-video-may-2013-224353/">que le country-rap, ou « hick hop »</a>, s’est glissé en <a href="https://theboot.com/florida-georgia-line-cruise-hot-country-songs-chart-record/">haut des charts</a> et dans les répertoires de stars comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JXAgv665J14">Blake Shelton</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Lb9q1ScC4cg">Jason Aldean</a>.</p>
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<p>Ce ne serait donc pas le rap qui « gênerait » musicalement, et la sortie <a href="https://www.youtube.com/watch?v=w2Ov5jzm3j8">d’une seconde version de « Old Town Road »</a>, dans laquelle Lil Nas X est <a href="https://www.menshealth.com/entertainment/a30736808/lil-nas-x-billy-ray-cyrus-like-family/">accompagné par le chanteur de country (et père de Miley) Billy Ray Cyrus</a>, fait son entrée sans aucun problème dans le classement des titres joués sur les radios country, <a href="https://www.theguardian.com/music/2023/oct/04/country-music-still-resistant-to-diversity">pourtant extrêmement allergiques à l’innovation</a>.</p>
<p>Cela semble suggérer que les rappeurs peuvent accéder aux charts country, à condition qu’ils soient <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/old-town-road-lil-nas-x-forcing-billboard-country-music-ncna992521">chaperonnés par un chanteur blanc</a>. L’historien Charles Hughes résume alors la situation dans le <em>Los Angeles Times</em> : <a href="https://www.latimes.com/entertainment-arts/music/story/2019-09-04/ken-burns-country-music-lil-nas-x">« Quand les gens se plaignent du fait que la country vire pop, ce qu’ils veulent souvent dire, c’est qu’elle est trop noire »</a>.</p>
<h2>Aux origines de la country</h2>
<p>Vue de France, cette déclaration pourrait paraître exagérée. Pourtant elle reflète tout à fait les mécanismes qui ont présidé à la création de la country comme genre musical <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/C/bo3625068.html">au début du XXᵉ siècle</a>. Ceux-ci sont inséparables de la mise en place d’une <a href="https://www.dukeupress.edu/segregating-sound">ségrégation musicale</a> entre, d’un côté, les « race records » regroupant les musiques « noires » (blues, gospel et jazz, entre autres) et, de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304422X04000324">l’autre, ce qui deviendra la country</a>, appelée alors « hillbilly music » ou <a href="https://www.jstor.org/stable/538356?seq=2">« old-time tunes »</a> présentée elle comme blanche, <a href="https://www.jstor.org/stable/23131534?seq=2">par opposition</a>.</p>
<p>Il faut bien comprendre <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/L/bo3622356.html">qu’il ne s’agit pas d’un état de fait, mais d’une construction</a>, orchestrée par deux groupes professionnels : les <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_inventeurs_de_l_i_american_folk_music_i_1890_1940_camille_moreddu-9782140301650-75541.html">folkloristes</a> et <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1675b9g">l’industrie musicale</a>.</p>
<p>Les premiers recherchent, dans des endroits qu’ils estiment reculés, la trace de traditions <a href="https://www.jstor.org/stable/41148022">préservées du monde moderne</a>, <a href="https://www.jstor.org/stable/541085">à l’image de l’Américain John Lomax</a> ou de l’Anglais Cecil Sharp, qui considérait que la musique des Appalaches avait mieux conservé le génie de la race anglo-saxonne (lire : « blanche ») que l’Angleterre industrielle de <a href="https://uncpress.org/book/9780807848623/romancing-the-folk/">la fin du XIXᵉ siècle</a>.</p>
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<p>Les seconds, après le succès financier inattendu du disque de Mamie Smith « Crazy Blues » en 1920, se lancent <a href="https://www.npr.org/2006/11/11/6473116/mamie-smith-and-the-birth-of-the-blues-market">à la conquête du public noir</a>, <a href="https://utpress.utexas.edu/9781477315354/">puis du public rural</a>, jusqu’alors négligés par <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/95017/tin-pan-alley-musique-populaire-americaine-steve-normandin">Tin Pan Alley</a>, la machine à hits new-yorkaise, entre la <a href="https://www.pearsonhighered.com/assets/samplechapter/0/2/0/5/0205956807.pdf">fin du XIXᵉ siècle et le début du 20ᵉ</a>.</p>
<p>A une époque où les disques servent avant tout à stimuler les ventes de phonographes dans les magasins de meubles, ségrégués, l’industrie musicale pense qu’elle augmentera ses bénéfices en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304422X04000324">concevant une offre racialement ciblée</a>.</p>
<h2>Les Afro-Américains exclus progressivement de la country</h2>
<p>Cela ne se fera qu’au prix de nombreuses manipulations. Les folkloristes les rêvent comme une population protégée de la modernité et de sa corruption, mais les musiciens ruraux du Sud, quelle que soit la couleur de leur peau, ont un répertoire très large et jouent souvent ensemble, <a href="https://www.jstor.org/stable/41148022">y compris la variété de l’époque</a>.</p>
<p>Qu’à cela ne tienne : comme les folkloristes, le personnel des maisons de disques fait le tri, n’enregistrant que ce qui semble traditionnel et correspond <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1675b9g">à l’origine ethnique des artistes</a>. Lorsque le morceau ne colle pas, mais qu’il est trop bon pour être rejeté, on maquille l’origine des artistes <a href="https://www.dukeupress.edu/hidden-in-the-mix">en leur donnant des pseudonymes</a>.</p>
<p>Progressivement, les diverses médiations de la musique – image, textes, pratiques – excluent les Afro-Américains de l’univers de la country, consolidant ainsi une division raciale arbitraire, à laquelle se conforment les musiciens par nécessité économique. Elle se poursuivra <a href="https://www.researchgate.net/publication/222028425_Charting_Race_The_Success_of_Black_Performers_in_the_Mainstream_Recording_Market_1940_to_1990">sous diverses formes</a>, <a href="https://shs.hal.science/halshs-03961617/document">plus discrètes</a>, après la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>C’est donc cette composante raciale du genre que taquine la sortie de <em>Cowboy Carter</em>, en réclamant le droit à la country des artistes afro-américains et, par là-même, leur légitimité à revendiquer une identité sudiste, mouvement associé au <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-features/welcome-to-the-yee-yee-club-bitch-805169/">« hee haw agenda »</a> – onomatopée qui imite le hi-han de l’âne et qu’on retrouve dans bon nombre de chansons country – <a href="https://www.highsnobiety.com/p/black-cowboy-culture-yee-haw-agenda/">dont on trouve un écho</a> dans la résurgence de la figure <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/092779-000-A/usa-black-cowboys-la-legende-oubliee/">du cowboy noir</a> et des productions culturelles récentes comme le film <a href="https://www.universalpictures.fr/micro/nope"><em>Nope</em> de Jordan Peele</a>.</p>
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<p>Il est un peu triste de penser qu’il aura suffi d’un coup de baguette magique de Beyoncé pour ouvrir le mainstream aux artistes afro-descendants et <a href="https://www.cnbc.com/2024/03/16/beyoncs-country-songs-are-boosting-streams-for-black-artists.html">surtout afro-descendantes</a> qui, depuis un mois, ont vu les chiffres de leur streaming <a href="https://www.billboard.com/music/chart-beat/beyonce-black-female-country-artists-streams-1235612581/">enfler considérablement</a>, <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/17/arts/music/black-women-country-music.html">après des décennies d’efforts</a>.</p>
<p>Les choses avaient commencé à bouger sous l’influence du mouvement <a href="https://medium.com/@Pittelman/another-country-80a05dd7fc15">Black Lives Matter</a>, avec la création du <a href="https://blackbanjoreclamationproject.org/">Black Banjo Reclamation Project</a> par exemple, puis avec les prises de conscience entourant le <a href="https://www.ehess.fr/fr/carnet/apr%C3%A8s-george-floyd/s%C3%A9gr%C3%A9gation-musicale-et-%C3%A9galit%C3%A9-raciale-lapr%C3%A8s-george-floyd-country-music">meurtre de George Floyd en 2020</a> et, la même année, la <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country/charley-pride-dead-obit-192455/">mort de Charley Pride</a>, une des <a href="https://theconversation.com/charley-pride-country-music-has-obscured-and-marginalised-its-black-roots-151937">seules stars noires du genre</a>.</p>
<p>Sous cette impulsion, en 2021, la journaliste musicale et manager afro américaine autoproclamée « perturbatrice de la musique country » Holly G créait le <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country/black-opry-country-music-1301297/">Black Opry</a>, un <a href="https://www.blackopry.com/">site</a> dédié à <a href="https://www.npr.org/sections/pictureshow/2023/06/30/1183756191/photos-meet-the-emerging-americana-stars-of-the-black-opry-revue">augmenter la visibilité de la country noire</a>. Signe qu’une dynamique s’était mise en place, le <a href="https://www.nytimes.com/2023/11/10/t-magazine/black-folk-musicians.html"><em>New York Times</em> consacrait un article</a> à la nouvelle génération d’artistes folk et country noirs en novembre dernier.</p>
<h2>En finir avec le mythe d’une country exclusivement blanche</h2>
<p>Aussi Beyoncé a-t-elle pris soin de s’entourer d’artistes reconnus dans le genre, dont certains militent depuis des années pour que le mythe <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country/country-music-racist-history-1010052/">d’une country exclusivement blanche explose</a>. </p>
<p>En témoigne la présence de Robert Randolph à la <a href="https://www.washingtonpost.com/archive/lifestyle/2002/12/13/robert-randolph-man-of-sacred-steel/6221e370-ebb5-4490-8623-87de2f25c3e0/">guitare hawaïenne</a> sur « 16 Carriages » et de <a href="https://rhiannongiddens.com/">Rhiannon Giddens</a> au banjo et à l’alto sur <a href="https://www.facebook.com/100044403640493/posts/925096898980423/?paipv=0&eav=AfZcMsYTQnpQH2Z8AxcTXVVpofYJCu94NXJInyme1Bvm4Clw56Zzdsu3W_54-iDUOO0&_rdr">« Texas Hold Em »</a>.</p>
<p>Titulaire d’un <a href="https://www.pulitzer.org/winners/rhiannon-giddens-and-michael-abels">prix Pulitzer pour l’opéra <em>Omar</em></a> et de la très prestigieuse « Genius Grant » <a href="https://www.macfound.org/fellows/class-of-2017/rhiannon-giddens">de la MacArthur Foundation</a> pour son travail de <a href="https://rhiannongiddens.com/all-resources">vulgarisation historique</a>, cette multi-instrumentaliste <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8RtT0obOS80">formée au chant lyrique</a> est devenue en une vingtaine d’années, depuis ses débuts avec les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bNaK_nBp2Yc">Carolina Chocolate Drops</a>, puis en <a href="https://pitchfork.com/reviews/albums/22912-freedom-highway/">solo</a> et au sein de <a href="https://www.npr.org/2019/02/14/693624881/first-listen-our-native-daughters-songs-of-our-native-daughters">Our Native Daughters</a>, la figure de proue du mouvement de réappropriation de la country noire, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RiP8Tfa8bB8">particulièrement du banjo</a>.</p>
<p>Créé dans les Caraïbes par les Africains <a href="https://www.hup.harvard.edu/books/9780674047846">réduits en esclavage</a>, cet instrument, lorsqu’il arrive aux États-Unis, est clairement identifié comme afro-américain et le reste <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EcS8swOv0BQ">jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle</a>, où les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/racisme-le-blackface-outil-de-la-suprematie-blanche-aux-etats-unis">minstrels blancs</a> s’en emparent pour caricaturer les noirs américains <a href="https://nmaahc.si.edu/explore/stories/blackface-birth-american-stereotype">dans leurs spectacles</a>en <a href="https://nmaahc.si.edu/explore/stories/blackface-birth-american-stereotype">blackface</a>.</p>
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<span class="caption">Henry Ossawa Tanner, The Banjo Lesson, 1893.</span>
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<p>A partir de ce moment-là, avant même la country, le banjo devient un signifiant du Sud blanc, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pDlZLsJJkVA">chargé d’une histoire douloureuse</a>. La réappropriation du banjo par Giddens tient donc de l’exorcisme : elle joue elle-même <a href="https://www.youtube.com/watch?v=N7SWUCpHme8">sur la réplique d’un banjo de minstrel</a>, celui qu’on entend au début de « Texas Hold’Em », et grâce à elle, de nombreux artistes noirs comme <a href="https://indyweek.com/music/archives-music/talking-banjo-player-kaia-kater-director-s-cut/">Kaia Kater</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wrRfOzhM2AE">Jake Blount</a> et <a href="https://thebluegrasssituation.com/read/a-right-to-be-here-amythyst-kiahs-innovative-place-in-tradition/">Amythyst Kiah</a> ont réinvesti cet instrument, malgré les stéréotypes qui lui sont associés.</p>
<p>Reste à savoir si l’effet Beyoncé aura des répercussions durables sur la popularité des artistes country afro-descendants, en les installant une fois pour toutes dans le mainstream, et s’il débouchera sur des récompenses musicales dans ce genre dont les frontières sont si bien gardées. <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/26/arts/music/beyonce-country-music.html">Sachant que « Texas Hold’Em » et « 16 Carriages » ont plus de succès sur les plates-formes de streaming que sur les ondes des radio country</a>, les jeux ne sont pas encore faits, bien que les cartes soient déjà clairement sur la table.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Grassy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les réactions qui entourent la sortie du nouvel album de Beyoncé révèlent à quel point, aux États-Unis, les genres musicaux comprennent une dimension raciale.Elsa Grassy, Maîtresse de conférences en études états-uniennes, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2255032024-03-24T17:52:48Z2024-03-24T17:52:48ZComment Éric Zemmour a-t-il droitisé la France ?<p>Comment expliquer la popularité grandissante du Rassemblement national (RN) aujourd’hui ? <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/11/elections-europeennes-2024-le-rn-dans-une-dynamique-favorable_6221331_823448.html">Les sondages récents</a> sur les intentions de vote aux élections européennes mettent en avant un nouvel indicateur central du vote RN : les électeurs <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">insatisfaits</a> de la vie qu’ils mènent seraient plus susceptibles de voter pour lui.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/09/03/marine-le-pen-nantie-du-vote-populaire-vise-les-classes-moyennes_6187612_823448.html">études</a> sur la sociologie électorale du RN mettent en effet l’accent sur sa capacité à capter les classes moyennes en jouant sur la « peur du déclassement » à laquelle il apporterait une réponse en termes de maintien des acquis sociaux. Ce parti deviendrait ainsi le</p>
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<p>« porte-parole d’une demande de souverainisme et de justice sociale, défendant une redistribution qui ne serait pas disponible aux étrangers ».</p>
</blockquote>
<p>Cependant, ces analyses invitent à un raccourci entre demande de justice sociale et adhésion aux idées de « préférences nationales » du RN. Or cela repose sur une idée trompeuse : que le vote RN est un vote d’adhésion totale – théorie qui a été remise en cause par les <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">analyses sociologiques</a>. On peut notamment trouver un exemple de cette adhésion partielle et contextuelle aux idées du RN dans le militantisme de groupes sociaux qui seraient à priori plus rétives à l’engagement au RN que d’autres, notamment les activistes homosexuels ou les militantes féministes. Il convient dès lors de parler de synchronicité plutôt que de lien causal entre le vote RN des classes moyennes et leur perception d’un malaise social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique », abstention et vote RN : une analyse géographique pour dépasser les idées reçues</a>
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<h2>Vers la fin de la stigmatisation du vote RN ?</h2>
<p>La vraie question qui est posée par l’élargissement du socle électoral du RN aux classes moyennes et à une partie des classes supérieures est celle de la marginalité du RN. Il y a 30 ans, le vote FN était honteux, vu comme un geste lourd de sens qui catégorisait automatiquement ses acteurs comme racistes. Aujourd’hui le programme du RN n’a pas changé, mais on peut désormais voter RN et l’assumer publiquement. Cela peut nous porter à croire que le stigmate négatif qui était associé au vote pour l’extrême droite est en voie de disparition.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/G2WDUT9DyCQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il importe dès lors aux études actuelles de poser la question du moteur de la disparition de ce stigmate, c’est-à-dire des ressorts de l’interaction entre les électeurs RN et le débat public. Au niveau microsociologique, celui des électeurs, des <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">études récentes</a> montrent que la dimension toujours stigmatisante du RN peut être « dépassée, contournée par l’inclusion dans des entre-soi particuliers ».</p>
<p>Au niveau macrosociologique, celui du débat public, <a href="https://www.theses.fr/s300079">mes recherches</a> tendent à montrer le décloisonnement des idées portées par l’extrême droite, auparavant confinées au domaine directement politique, pour se diffuser aujourd’hui dans les domaines journalistiques, littéraires et philosophiques. Mon hypothèse est la suivante : la popularité grandissante du RN serait en partie liée à une « droitisation » du débat public français.</p>
<h2>Le rôle des producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public</h2>
<p>En effet, l’un des atouts dont l’extrême droite française dispose aujourd’hui est la multiplication d’intellectuels et d’écrivains qui défendent et font circuler ses idées dans le débat public sous couvert d’un nouveau <a href="https://www.illiberalism.org/illiberalism-conceptual-introduction/">positionnement illibéral</a>, c’est-à-dire opposé au progressisme, aux droits des femmes, des individus racisés, des immigrés et de la communauté LGBTQ+.</p>
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<p>Les producteurs idéologiques illibéraux que j’identifie – notamment <a href="https://theconversation.com/eric-zemmour-une-histoire-francaise-169213">Éric Zemmour</a>, <a href="https://theconversation.com/alain-finkielkraut-nouvel-academicien-le-fragile-bonheur-de-limmortalite-53241">Alain Finkielkraut</a>, <a href="https://theconversation.com/apres-houellebecq-economiste-houellebecq-sociologue-du-travail-171992">Michel Houellebecq</a> et <a href="https://michelonfray.com">Michel Onfray</a> – participent, en irriguant le débat public de leurs idées <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV13_GI_CulturalBacklash_fevrier2022_VF.pdf">nativistes</a>, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/zemmour-candidat-on-a-relu-son-premier-sexe-et-on-a-des-questions-a-lui-poser_189446.html">patriarcales</a> et <a href="https://tetu.com/2021/12/01/tribune-election-presidentielle-2022-eric-zemmour-candidat-homophobie/">hétéronormées</a>, à la normalisation des présupposés racistes, misogynes et LGBT-phobes sur lesquels reposent ces idées.</p>
<p>L’objectif de mes recherches est d’étudier le rôle de ces producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public en France. L’angle d’approche n’est pas celui de la demande, mais de l’offre : autrement dit, je ne cherche pas à montrer que les Français deviennent plus racistes, sexistes ou homophobes dans leurs valeurs politiques – thèse qui est contestée par la <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763">sociologie électorale</a>. Mon hypothèse suppose au contraire un décalage entre une demande publique de tolérance et de respect de la diversité, d’une part, et une offre idéologique obsédée par l’immigration et les valeurs dites « traditionnelles », d’autre part.</p>
<p><a href="https://academic.oup.com/edited-volume/55211/chapter-abstract/441369796">Je me suis tout particulièrement intéressée</a> aux idées qu’ Éric Zemmour véhicule dans ses écrits afin d’expliquer son rôle dans la droitisation du débat public français.</p>
<h2>Le cas Éric Zemmour</h2>
<p>Dans sa trilogie d’essais politiques à succès, Zemmour retrace l’histoire de ce qu’il considère comme la destruction de l’identité et de la souveraineté de la France dans tous les domaines. Ces livres reprennent toutes les thématiques classiques de l’illibéralisme : la disparition des hiérarchies traditionnelles, de l’homogénéité culturelle et le besoin de défendre la nation comprise d’une manière très ethnicisée. L’essai le plus populaire de cette trilogie, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757"><em>Le Suicide français</em></a>, publié en 2014 avec un tirage initial de 85 000 exemplaires, s’est finalement vendu à plus de 450 000 exemplaires. Les maigres résultats électoraux de Zemmour à l’élection présidentielle de 2022 sont donc à mettre en contraste avec le rayonnement médiatique massif de ses écrits et son <a href="https://www.illiberalism.org/wp-content/uploads/2022/09/Perine-Schir-and-Marlene-Laruelle-Eric-Zemmour-The-New-Face-of-the-French-Far-Right-Media-Sponsored-Neoliberal-and-Reactionary-1.pdf">omniprésence dans le débat public</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1065400448377589760"}"></div></p>
<h2>Détourner les propos des forces progressistes</h2>
<p>L’idéologie progressiste condamnée par Zemmour serait responsable non seulement de la marginalisation de l’ancienne majorité culturelle mais aussi de son « remplacement » par des immigrés, musulmans notamment. Zemmour défend ici ouvertement les fondements de la théorie du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-grand-remplacement-est-une-idee-raciste-et-complotiste_4965228.html">« grand remplacement »</a> formulée par Renaud Camus, assurant qu’elle est <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« ni un mythe ni un complot »</a> en la prolongeant d’une intentionnalité cachée de sa propre création.</p>
<p>En invitant « naïvement » cette population musulmane à s’installer en France, cette dernière aurait eu l’opportunité de <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">mettre en œuvre sa stratégie</a> de « revanche » à travers la « contre-colonisation ». En effet, selon Zemmour, les anciennes colonies de la France en Afrique du Nord, d’où proviennent la majorité des immigrés musulmans français, nourrissent un rêve secret de revanche contre leurs anciens maîtres.</p>
<p>Zemmour <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">tire cet argument</a> de la célèbre citation de l’auteur décolonial <a href="https://theconversation.com/quotes-from-frantz-fanons-wretched-of-the-earth-that-resonate-60-years-later-173108">Frantz Fanon</a> : « Le colonisé est un persécuté qui rêve en permanence de devenir persécuteur. » Si Fanon fait ici référence à la violence nécessaire pour parvenir à la décolonisation, il n’évoque en aucun cas une ambition cachée de « revanche ». On peut voir ici un exemple d’une des techniques rhétoriques de persuasion favorites de Zemmour : pour délégitimer en amont toute critique de ses arguments, il se réapproprie la terminologie de ses adversaires progressistes en en retournant le sens, afin d’atteindre des positions opposées.</p>
<p>Zemmour voit une preuve de cette « contre-colonisation » dans la surreprésentation des familles immigrées musulmanes dans les banlieues. Bien que les sources de ce phénomène aient été <a href="https://www.quesaisje.com/la-crise-des-banlieues?v=1820">clairement identifiées</a> comme économiques et sociales, il existe <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a> une raison plus profonde : les musulmans, où qu’ils vivent, formeraient « un peuple dans le peuple », car l’islam serait « à la fois une identité, une religion et un système juridico-politique ». Selon Zemmour, l’islam présupposerait intrinsèquement une volonté de domination, et le rôle de la communauté des fidèles serait de la mettre en œuvre dans le monde.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vivons-nous-dans-une-ere-de-migration-de-masse-196916">Vivons-nous dans une ère de migration de masse ?</a>
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<h2>Manipuler par transfert d’autorité</h2>
<p>Ce réquisitoire contre les musulmans permet ensuite à Zemmour d’introduire le présupposé selon lequel il existe un type d’immigrés potentiellement assimilables – les immigrés chrétiens européens blancs – et un autre qui ne le sera jamais. Les immigrés musulmans ne pourraient être mélangés avec les « bons » immigrés, tout comme <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« l’huile et le vinaigre »</a> ne peuvent pas être mélangés.</p>
<p>Cette dernière référence, régulièrement convoquée par Zemmour, serait d’après lui empruntée au général de Gaulle, bien que ce dernier ne l’a jamais prononcée publiquement (elle aurait été formulée en 1959 lors d’une entrevue privée avec Alain Peyrefitte. Peyrefitte l’a <a href="https://www.fayard.fr/livre/cetait-de-gaulle-tome-i-9782213028323/">rapportée</a> près de 25 ans après la mort de de Gaulle, qui n’a jamais pu en confirmer la véracité.)</p>
<p>L’authenticité de la citation n’est pas essentielle dans la stratégie de Zemmour. Le véritable objectif de ce passage – et de l’intense activité de <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/on-dira-ce-qu-on-voudra/segments/chronique/119094/maude-landry-en-francais-svp-name-dropping">« name dropping »</a> qui caractérise l’ensemble de ses ouvrages – n’est pas l’objectivité mais la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-langue-de-zemmour-cecile-alduy/9782021497472">« manipulation par transfert d’autorité »</a> par laquelle l’auteur fait accepter une opinion problématique en l’associant à une figure d’autorité largement appréciée par le grand public.</p>
<h2>Décréter des vérités indiscutables sur la nature humaine</h2>
<p>Éric Zemmour use également de cette <a href="https://www.arretsurimages.net/chroniques/arrets-sur-histoire/zemmour-et-la-midinette-beauvoir">stratégie</a> pour discréditer les femmes, détournant notamment <a href="https://www.albin-michel.fr/destin-francais-9782226320070">Simone de Beauvoir</a> ou Benoite Groult.</p>
<p>Dans les écrits de Zemmour, les femmes sont <a href="https://theses.fr/s300079">systématiquement décrites</a> en fonction de ce qu’elles peuvent apporter aux hommes : soit comme des génitrices, soit comme des objets de conquête sexuelle. La vie des femmes se <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">résumerait</a> selon l’auteur à une « quête obstinée de protection » qu’elles acquièreraient par le mariage, et le « besoin de protéger et d’éduquer ses petits ». Avec l’utilisation du registre du comportement animal, l’auteur souhaite donner une objectivité à son propos en proposant une perspective éthologique (et non anthropologique) qui exclue automatiquement les femmes de la catégorie des être rationnels.</p>
<p>L’auteur atteste de cette différence fondamentale en <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">rappelant</a> :</p>
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<p>« la subtilité des rapports entre les hommes et les femmes. Le besoin des hommes de dominer – au moins formellement – pour se rassurer sexuellement. Le besoin des femmes d’admirer pour se donner sans honte ».</p>
</blockquote>
<p>Apparait ici un autre procédé rhétorique favori de Zemmour : le discours aphoristique. Il prétend se référer à des vérités indiscutables sur la nature humaine, en usant notamment d’une combinaison d’articles définis à valeur générique (« des femmes »,« des hommes ») et l’usage de l’infinitif (« dominer », « admirer ») permettant un effacement des traces qui permettent de relier l’énoncé avec la scène d’énonciation.</p>
<p>Zemmour reconnaît que les femmes ont progressivement obtenu des droits qui leur permettent d’échapper à leur statut de soumission. Cette nouvelle indépendance reposerait selon lui sur une <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">« virilité d’emprunt »</a> : pour s’émanciper, les femmes auraient décidé de « devenir des hommes ». Cette approche suppose qu’intelligence et masculinité soient indissociables.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-les-nouvelles-femmes-de-droite-sinvitent-dans-la-campagne-177293">Quand les « nouvelles femmes de droite » s’invitent dans la campagne</a>
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<h2>Invisibiliser le lien entre idées promues et discriminations</h2>
<p>Si les femmes ont décidé de « devenir des hommes », cela suppose également l’absence de catégories alternatives en dehors de celles des femmes et des hommes. En effet, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a>, les études de genre ne seraient rien d’autre qu’« une volonté totalitaire mal dissimulée de nous transformer en androgynes, en neutres », et de détruire simultanément les catégories sur lesquelles s’est construite l’ancienne domination patriarcale.</p>
<p><a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">Selon Zemmour</a>, il n’est pas nécessaire de défendre les droits de la communauté queer car « la prétendue “homophobie” » n’existe pas. En effet, l’homosexualité est conceptualisée par l’auteur comme « une forme particulière d’adultère », c’est-à-dire une pratique sexuelle qui existerait en marge du modèle du mariage hétérosexuel. On pourrait ainsi concilier « le mariage pour la famille et les enfants, et le goût des garçons pour le plaisir ». L’homosexualité n’aurait donc vocation qu’à rester dans le cadre strictement privé, et l’auteur <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">va jusqu’à dire</a> que cette autocensure est « la garantie d’une vraie liberté », rendant ainsi invisible le lien causal entre hétéronormativité prescriptive, discriminations et violences envers les personnes LGBTQ.</p>
<p>La diffusion des idées de Zemmour dans l’espace public et médiatique – notamment via <a href="https://www.nouvelobs.com/edito/20230412.OBS72090/bollore-un-projet-politique.html">l’empire médiatique reactionnaire</a> de Vincent Bolloré – contribue à normaliser les discriminations défendues par l’illiberalisme. Cela légitime en retour les projets politiques d’extrême droite.</p>
<h2>Faciliter la tâche du RN</h2>
<p>A ce jour, Zemmour n’arrive pas à s’imposer sur le terrain de la lutte politique.</p>
<p>Le combat culturel qu’il mène profite d’avantage au RN qu’à Reconquête, son propre parti. L’atout du RN est qu’il dispose d’une forme de monopole du parti d’extrême droite dans l’espace médiatique. Celui-ci s’est renforcé peu à peu par une formulation du combat électoral en affrontement bilatéral entre le RN et la majorité présidentielle – lors des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/11/09/progressistes-contre-populistes-macron-tente-d-imposer-sa-vision_5381010_823448.html">européennes de 2019</a>, des <a href="https://www.la-croix.com/France/Presidentielle-2022-Emmanuel-Macron-installe-deja-duel-Marine-Le-Pen-2022-04-08-1201209364">présidentielles de 2022</a> et encore pour les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/europeennes/c-est-trop-tard-pour-faire-autrement-la-majorite-divisee-sur-la-strategie-anti-rn-pour-les-elections-europeennes_6419575.html">européennes de 2024</a>.</p>
<p>Ce monopole fonctionne comme un champ de gravitation : toute défense publique d’idéologie illibérale est systématiquement mise en lien avec le programme porté par le parti, et semble ainsi le légitimer. Le RN profite ainsi du labeur des producteurs idéologiques comme Zemmour ou <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/19/le-rassemblement-national-savoure-sa-victoire-ideologique-obtenue-sans-reflexion-de-fond_6211708_823448.html">Michel Onfray</a>, qui n’ont pourtant rien à voir avec le parti.</p>
<p>Un large score du RN aux élections européennes serait ainsi d’avantage imputable à cet effet gravitationnel, plutôt qu’à une prétendue adéquation entre son programme et les valeurs politiques des Français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225503/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Périne Schir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Producteur d’idées illibérales, Éric Zemmour participe à une « droitisation » du débat public en usant de plusieurs stratégies rhétoriques.Périne Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2260312024-03-19T16:58:05Z2024-03-19T16:58:05Z« Djadja » cause bien français ou pourquoi Aya Nakamura représente aussi la pluralité de la France<p>Aya Nakamura, chanteuse franco-malienne à l’aura internationale – elle est l’artiste francophone la plus écoutée au monde –, a été la cible de propos racistes de la part de membres de l’extrême droite, suscitant <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/15/polemique-aya-nakamura-aux-jo-le-parquet-de-paris-ouvre-une-enquete-apres-un-signalement-de-publications-racistes-visant-la-chanteuse_6222236_3246.html">l’ouverture d’une enquête</a> par le parquet de Paris il y a deux jours.</p>
<p>Cette polémique enfle depuis quelques semaines après une <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/09/le-choix-d-aya-nakamura-pour-la-ceremonie-d-ouverture-des-jeux-olympiques-de-paris-2024-souleve-des-enjeux-politiques-qui-la-depassent_6221072_3246.html">déclaration d’Emmanuel Macron</a> concernant la participation de la chanteuse plusieurs fois primée (dont les <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/musique/victoires-de-la-musique-2024-aya-nakamura-sacree-artiste-feminine-10-02-2024-QWM4NYHHGNBRRMONA3TY5RTIUQ.php">Victoires de la musique 2024</a>) à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques où elle interpréterait une chanson d’Édith Piaf.</p>
<p>Cette hypothèse a suscité des <a href="https://theconversation.com/nostalgie-reactionnaire-et-politique-la-fabrique-dune-memoire-fantasmee-180609">réactions de la droite et de l’extrême droite</a>, surtout du parti « Reconquête » et d’un <a href="https://theconversation.com/comment-les-groupuscules-dextreme-droite-se-recomposent-apres-generation-identitaire-209430">groupuscule d’ultradroite</a> « Les Natifs » qui a déployé une <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/people-culture/ici-c-est-paris-pas-le-marche-de-bamako-aya-nakamura-qui-pourrait-chanter-aux-jo-ciblee-par-l-extreme-droite_AD-202403110620.html">banderole</a> : « Y’a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako », faisant référence au refrain de sa chanson phare, « Djadja ».</p>
<p>Un sondage réalisé le 10 mars par <a href="https://www.odoxa.fr/sondage/aya-nakamura-aux-jo-une-mauvaise-idee-pour-63-des-francais">Winimax RTL</a> révèle que 63 % des Français seraient opposés à l’idée que la chanteuse puisse interpréter Édith Piaf lors de la cérémonie d’ouverture des JO. Les arguments avancés sont les suivants : les Français n’aiment pas ses chansons (73 %) ; elle ne représente pas la musique française (73 %), et encore moins la jeunesse (60 %). D’autres Français déplacent la polémique <a href="https://theconversation.com/la-defense-de-la-langue-francaise-un-mythe-a-revisiter-158450">sur le terrain linguistique</a> ; c’est le cas du député RN du Nord, Sébastien Chenu qui considère qu’Aya Nakamura ne valorise pas la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9Wqrx8Q0GhQ">langue française</a> ou de <a href="https://theconversation.com/marion-marechal-lheritiere-qui-bouscule-les-codes-du-champ-politique-154524">Marion Maréchal</a> qui <a href="https://www.jeanmarcmorandini.com/article-565360-jo-2024-la-violente-charge-de-marion-marechal-contre-aya-nakamura-sur-bfmtv-elle-ne-chante-pas-francais-ce-n-est-ni-notre-langue-ni-notre-culture-video.html">déclare</a> qu’elle « ne chante pas en français. Ce n’est ni notre langue ni notre culture. »</p>
<p>Pourtant, le premier titre de la chanteuse, « Djadja », sorti en avril 2018, est devenu le « tube de l’été » en traversant les frontières belges, suisses, autrichiennes, allemandes, etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">La chanson « Djadja », 2018, a cumulé 951 millions de vues sur YouTube.</span></figcaption>
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<p>Aux Pays-Bas, « Djadja » a pris la tête des ventes, ce qui était une première depuis 1961 où Édith Piaf avait réussi cet exploit avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FtvJbAkVgbc">« Je ne regrette rien »</a>. Le clip de « Djadja » a cumulé 951 millions de vues sur YouTube. Depuis, la chanteuse a atteint plus de 9 millions d’auditeurs par mois et est l’artiste française la plus écoutée sur Spotify.</p>
<p>Pourquoi Nakamura ne peut donc pas, selon certains, « représenter la France » aux JO ? Maltraiterait-elle à ce point la langue française ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-beyonce-a-contribue-a-la-diffusion-des-cultures-africaines-188477">Comment Beyoncé a contribué à la diffusion des cultures africaines</a>
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<h2>La langue est identitaire</h2>
<p>On sait comme la langue est identitaire. Si la France s’enorgueillit de sa francophonie – en témoigne l’inauguration en octobre 2023 de la <a href="https://www.lemonde.fr/cite-internationale-de-la-langue-francaise/article/2023/10/18/la-langue-francaise-prend-ses-quartiers-au-chateau-de-villers-cotterets_6195169_391.html">Cité internationale de la langue française</a> –, elle se réjouit de ce que ce concept instaure une barrière imaginaire entre le <a href="https://www.sgdl.org/sgdl-accueil/presse/presse-acte-des-forums/l-ecrivain-dans-l-espace-francophone/1171-lespace-francophone-pourquoi">français du dehors</a> – « exotique »- et le français du <a href="https://www.lepoint.fr/histoire/vous-avez-dit-langue-de-moliere-11-01-2022-2459944_1615.php">dedans</a> – assimilé à la langue de Molière.</p>
<p>En ce sens, Aya Nakamura aurait toute latitude pour chanter en français à Bamako, mais le faire à Paris, dans une cérémonie qui engage l’image de la France, devient pour certains, une hérésie.</p>
<p>Les textes d’Aya Nakamura sont en effet parsemés de mots issus d’autres contextes linguistiques. On pense ainsi à des termes <a href="http://www.inalco.fr/langue/bambara-mandingue">bambara</a> (<a href="https://dictionnaire.orthodidacte.com/article/definition-djadja">« djadja »</a>) ou de l’argot ivoirien (« tchouffer »), mais aussi le verlan à partir de mots français (« tit-pe ») ou anglais (« de-spi » pour « speed ») ou encore quand elle a recourt à des expressions argotiques très contemporaines (« bails », « seum », « afficher quelqu’un », « c pas mon délire », « genre »). Elle utilise aussi des structures qui tordent la syntaxe (« donne-moi douceur » ; « il me voulait cadeau »). Or ces usages s’inscrivent dans une dynamique linguistique qui ne lui est pas spécifique.</p>
<p>Comme tous les poètes, écrivains et chanteurs, elle <a href="https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/10/23/le-rap-est-un-braquage-de-la-langue-c-est-de-la-poesie-qui-s-ecoute-comment-les-rappeurs-reveillent-le-francais_6146973_4497916.html">« invente » une « outre-langue »</a>, c’est-à-dire une langue neuve pour réveiller la langue commune. Le pseudonyme « Piaf » (petit oiseau) d’<a href="https://musique.rfi.fr/artiste/chanson/edith-piaf">Édith Gassion</a> vient aussi de l’argot et on sait que la chanteuse populaire, comme bien d’autres (France Gall) n’a pas boudé son plaisir de couper ou mixer les mots (« chand » < « marchand » ; « cré » < sacré ; cézigues < ces zigues) ni de jouer sur les <a href="https://www.researchgate.net/publication/366719034_Le_francais_sauvage_dans_les_chansons_d%E2%80%99Edith_Piaf_-_un_apercu_didactique.">consonances et rythmes</a> (« padam padam »).</p>
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<h2>« Daronne », argot du XVIIIᵉ siècle</h2>
<p>Partout, à côté d’une langue académique, il existe des parlers populaires créatifs, fondés sur des néologismes lexicaux ou sémantiques et divers jeux de langage. Le sens d’un mot comme <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/dis-moi-robert/raconte-moi-robert/mots-bitume/daron.html">« daronne »</a> qui, dans le parler des jeunes, signifie « la mère » n’a pas été inventé dans les cités. Au XVIII<sup>e</sup> siècle, il existait déjà. Au XIX<sup>e</sup> siècle, il a le sens de « patronne de bar », avant d’être repris par le milieu prolétarien du XX<sup>e</sup> siècle pour désigner la mère.</p>
<p>On retrouve, par ailleurs, dans les textes de la chanteuse, des <a href="https://classiques-garnier.com/pour-une-linguistique-de-l-intime-habiter-des-langues-neo-romanes-entre-francais-creole-et-espagnol.html">mots du créole ou du français antillais</a> (« boug » ; « bail » qui vient de « bagay » > « bahay »> « bail », en créole : « chose ») ; « dachine », « parler sur quelqu’un »), des mots anglais, espagnols, etc. La musique – le rap en particulier – est un <a href="https://www.booska-p.com/musique/actualites/la-culture-hispanique-dans-le-rap-francais/">puissant brasseur</a> de langues et de mots d’ici et d’ailleurs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Beyonce, Feat Jay-Z, « déja vu ».</span></figcaption>
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<p>La langue française est fécondée par les mots venus des terres qu’elle a colonisées, mais aussi par ceux de l’anglais et de l’espagnol « globalisés ». Elle colonise aussi les mots des chansons d’ailleurs : en témoigne le titre « Deja vu » de plusieurs chansons différentes (celles de Post Malone, Justin Bieber, Olivia Rodrigo, Beyoncé, Shakira), écoutées par plusieurs millions d’auditeurs dans le monde.</p>
<h2>« Y à R »</h2>
<p>Les réseaux sociaux ont bouleversé les pratiques linguistiques par le boom des formes abrégées. Dans « Djadja », Aya Nakamura recourt à « Y à R » pour « il n’y a rien » mais aussi des formes telles que « déter » pour « déterminé » ; « À c’qui paraît » ou « askip » : à ce qu’il paraît).</p>
<p>Elle invente parfois son propre langage (« pookie », « tu dead ça ») avec une cohérence d’ensemble, tout en reflétant des <a href="https://www.parismatch.com/People/Aya-Nakamura-saluee-par-un-depute-pour-sa-reinvention-de-la-langue-francaise-1713022">usages bien implantés en France</a>, et pas seulement dans les cités.</p>
<p>Ainsi, « Tu dead ça » renvoie à « tuer quelque chose » qui, en argot, signifie « assurer ». Le verbe « dead », perçu comme plus expressif, est mis pour « tuer ».</p>
<p>S’insèrent aussi des archaïsmes de la <a href="https://www.cairn.info/revue-langages-2016-3-page-71.htm">France continentale</a> qui sont des mots encore vivaces dans la francophonie : « catin » (‘prostituée’), « palabre » (très utilisé dans le français de l’Afrique subsaharienne), « louper le coche », etc. Cette façon de tordre les mots, de <a href="https://www.rtbf.be/article/djadja-de-aya-nakamura-une-chanson-sur-l-empowerment-des-filles-aujourd-hui-10156859">mêler</a> des idiomes différents, de jouer avec les sons n’est pas propre à Aya Nakamura.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Dutronc, « Merde in France », 1984 (INA).</span></figcaption>
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<p>On pense ainsi à Jacques Dutronc avec « Merde in France », <a href="https://www.la-croix.com/Culture/Musique-comment-Serge-Gainsbourg-enrichi-langue-francaise-2023-02-11-1201254764">Serge Gainsbourg</a>, ou encore Plastic Bertrand avec « Sentimentale moi » : « donne-moi amour émoi… donne-moi amour et moi… t’es branchée transistor », « t’es branché eskimo ».</p>
<h2>Un déni d’universalité ?</h2>
<p>Pour rappel, la vitalité de la langue française est due en grande partie aux <a href="https://www.researchgate.net/publication/261829614_La_Langue_des_faubourgs_et_des_banlieues_de_l%E2%80%99argot_au_francais_populair">parlers populaires et à l’argot</a>. Sans cette créativité continue, le français perdrait en vitalité et ne serait plus cette langue de tous les continents qui l’ont fécondé.</p>
<p>La mauvaise foi ou méconnaissance de « Reconquête » et leurs semblables est flagrante. Or, ce sont les mêmes qui quémandent des bulletins de vote au moment des urnes en « outre-mer » et qui ont la nostalgie de la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2016-2-page-77.htm">colonisation triomphante</a>.</p>
<p>Le français féconde les autres langues et est fécondé en retour. Aya Nakamura ne chante pas moins en français que les autres, sauf qu’elle n’a peut-être pas la « bonne couleur », et se voit d’emblée assignée au monde de la cité. Que se cache-t-il donc derrière ce rejet, entre racisme et classisme ?</p>
<p>Face à ces réactions jugées « racistes » par Aya Nakamura elle-même (« Raciste mais pas sourd » a répondu le lendemain la <a href="https://www.bfmtv.com/people/musique/vous-pouvez-etre-racistes-mais-pas-sourds-aya-nakamura-repond-au-collectif-identitaire-les-natifs_AV-202403100389.html">chanteuse sur X</a>, et aussi par nombre de <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/musique/aya-nakamura-cible-de-lextreme-droite-5-minutes-pour-comprendre-la-polemique-autour-de-son-potentiel-show-aux-jo-12-03-2024-QQG35Z73PVE5BJYWTFRPB32DTE.php">personnalités</a>, il faut voir la subsistance de représentations de <a href="https://www.politis.fr/articles/2024/03/aya-nakamura-et-le-pays-ou-la-race-nexiste-pas">l’imaginaire colonial</a> selon lesquelles un « Noir » n’a pas accès à l’universel.</p>
<p>Comme nombre de « non Blancs », il se trouve enfermé dans la seule représentation de soi et des gens de sa catégorie, avec tous les clichés associés, dignes du pitch du film <em>An American Fiction</em>, récemment primé aux Oscars.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/i0MbLCpYJPA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce de <em>An American Fiction</em> de Cord Jefferson.</span></figcaption>
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<p>La <a href="https://www.vivelapub.fr/100-ans-de-racisme/">publicité</a> l’illustre bien : au « Noir » sont associés les « objets » noirs ou marron (café, chocolat), c’est-à-dire ce à quoi on l’assimile (une couleur) ou ce à quoi il est réduit (la banane, la fête, le sexe), mais jamais ce qui est perçu comme neutre ou valorisant : un Noir au volant d’une Porsche par exemple.</p>
<h2>Franchir la ligne de couleur ?</h2>
<p>C’est comme si la « couleur » du « Noir » le prédéterminait à ne pas pouvoir « représenter » l’humanité. Il ne peut, selon certains, représenter tous les êtres humains, et encore moins, les « Blancs ». Ce n’est pas par hasard que, dans la langue, l’expression « gens de couleur », d’origine coloniale, renvoie au <a href="https://journals.openedition.org/lrf/1403">« préjugé de couleur »</a> qui délimite une ligne de « couleur » entre les « Blancs » et les « non Blancs ».</p>
<p>La couleur devient un privilège qui conditionne le pouvoir ou non de représenter <a href="https://journals.openedition.org/cedref/428">l’Humain dans son entier</a>, droit refusé auxdits « gens de couleur ». C’est pourquoi une chanteuse comme Aya Nakamura peut se voir dénier le droit de représenter la France, et non pas Edith Piaf qui, malgré ses origines kabyles, a franchi la ligne de couleur.</p>
<p>Pour être « Blanc », point besoin d’être né « Blanc », il faut juste être perçu comme tel, de même que, naguère, pour franchir la ligne du « préjugé de noblesse », point n’était besoin d’être né noble, il suffisait d’être anobli.</p>
<p>Le « préjugé de couleur » reste tenace et les mêmes causes ne créent pas les mêmes effets : Piaf jouant avec le français est une icône, Aya Nakamura faisant de même « ne parle pas français ». L’égérie mondiale de L’Oréal ne peut pas représenter la France, de même que <a href="https://www.francetvinfo.fr/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-l-equipe-de-france-de-football-un-melange-culturel_5548218.html">l’équipe de France de football de 2022</a> ne le pouvait pas non plus, selon certains. Craint-on que le « cocorico » ne soit plus l’apanage du seul coq gaulois ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226031/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Corinne Mencé-Caster ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour certains, Aya Nakamura « maltraiterait » la langue française. La linguistique montre au contraire que ses textes représentent pleinement la diversité et richesse du français contemporain.Corinne Mencé-Caster, Professeure de linguistique hispanique et romane, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2222102024-02-05T09:57:44Z2024-02-05T09:57:44ZLa publicité inclusive, un enjeu aussi bien sociétal qu’économique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572110/original/file-20240130-21-mb78wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1200%2C939&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les consommateurs s’identifiant à des groupes minoritaires se sentent généralement sous-représentés dans la publicité.</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/publicite-24275">publicité</a> inclusive consiste à représenter différents groupes ethniques ou sociaux (LGBTQ+, handicap, etc.) dans les médias. Cette technique <a href="https://theconversation.com/fr/topics/marketing-21665">marketing</a> n’est pas nouvelle. En 1971, Coca-Cola diffusait sa publicité iconique <em>Hilltop</em> où des personnes de diverses origines ethniques chantaient à l’unisson leur appréciation pour la marque tout en célébrant sa capacité à les rassembler <a href="https://www.coca-colacompany.com/about-us/history/id-like-to-buy-the-world-a-coke">malgré leurs différences</a>. Plus de cinquante ans après, la question de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inclusion-67041">inclusion</a> dans la publicité revient au goût du jour et s’impose comme un enjeu aussi bien sociétal qu’économique.</p>
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<figcaption><span class="caption">« I’d like to buy the world a Coke », 1971.</span></figcaption>
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<p>Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommateurs-33275">consommateurs</a> souhaitent voir des publicités qui reflètent le monde qui les entoure et auxquelles <a href="https://www2.deloitte.com/uk/en/pages/technology-media-and-telecommunications/articles/the-profit-in-racially-diverse-movie-casts.html">ils peuvent s’identifier</a>, notamment <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0148296319300712">parmi les plus jeunes générations</a>. Or, nous vivons dans des sociétés de plus en plus diverses où nous fréquentons au quotidien des personnes aux origines ethniques différentes, avec des orientations sexuelles différentes, et avec des handicaps différents.</p>
<p>Même si des marques se sont intéressées à la publicité inclusive par le passé, il s’agit de cas anecdotiques (à l’image de Coca-Cola mentionné précédemment) ou de choix visant à attirer l’attention des consommateurs en créant le choc (à l’instar des <a href="https://www.vanityfair.fr/mode/diaporama/les-pubs-benetton-du-scandale-a-l-art/25081">célèbres publicités</a> pour la marque de vêtements United Colors of Benetton dans les années 1980-90).</p>
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<figcaption><span class="caption">Publicité pour la marque de vêtements United Colors of Benetton de 1989.</span></figcaption>
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<p>Jusqu’encore récemment, la plupart des publicités mettaient en avant des <a href="https://www.forbes.com/sites/bonniechiu/2019/07/16/addressing-the-ad-industrys-sticky-problem-with-race">modèles blancs, hétérosexuels, et valides</a>. Ce profil est alors devenu celui du consommateur type. Or, des enquêtes aux États-Unis et au Royaume-Uni suggèrent que les consommateurs s’identifiant à des groupes minoritaires se sentent généralement sous-représentés dans la publicité.</p>
<h2>Impossible de représenter tout le monde</h2>
<p>Se lancer dans la publicité inclusive présente deux difficultés majeures. D’une part, il s’agit de représenter les groupes minoritaires de manière réaliste et sans heurter les sensibilités individuelles (en évitant par exemple <a href="https://theconversation.com/appropriation-culturelle-peut-on-voler-une-culture-136885">l’appropriation culturelle</a> ou les <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/minorites-visibles-representation-television-stereotypes">rôles stéréotypés</a>). Ceci est d’autant plus compliqué que les groupes minoritaires sont nombreux, que chaque groupe compte un nombre important d’individus qui s’y identifient et que le sentiment d’appartenance identitaire est fort. Une même publicité ne peut tout simplement pas représenter tout le monde pour des raisons de faisabilité (budget, disponibilité des modèles, etc.).</p>
<p>D’autre part, entreprendre une démarche visant à davantage représenter les minorités doit prendre soin de ne pas antagoniser la majorité. Des marques dont le marketing est pourtant rodé s’y sont cassé les dents. Prenons en <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1405196/article/2023-12-05/disney-en-difficulte-la-faute-au-wokisme-ou-l-overdose-de-super-heros">exemple Disney</a>, régulièrement <a href="https://theconversation.com/le-wokisme-ou-limport-des-paniques-morales-172803">accusé de wokisme</a> pour mettre en scène des acteurs issus de minorités dans des rôles autrefois interprétés par des personnages blancs (<a href="https://theconversation.com/la-petite-sirene-une-hero-ne-revendicatrice-independante-et-complexe-207486">La Petite Sirène</a>, Blanche Neige, etc.).</p>
<h2>Différentes personnes, ensemble</h2>
<p>Néanmoins, réussir une publicité inclusive en vaut la peine, non seulement pour l’entreprise, mais également pour la société dans la globalité. Comme nous l’avons montré dans un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11747-023-00977-9">travail</a> de recherche récent publié dans <em>Journal of the Academy of Marketing Science</em>, la publicité inclusive améliore l’attitude des consommateurs envers les marques.</p>
<p>Dans une série d’expérimentations conduites aux États-Unis et aux Émirats arabes unis (où 80 % de la population est immigrée), nous observons notamment que la publicité inclusive permet à certains groupes de consommateurs de se voir représentés dans les médias nationaux (<a href="https://theses.hal.science/tel-01690695">plutôt que les médias spécialisés</a> leur étant destinés). Elle impacte ainsi positivement, dans un second temps, le sentiment d’appartenance à la communauté nationale. La publicité inclusive offre donc aux entreprises un moyen de promouvoir la cohésion sociétale tout en leur permettant d’augmenter leurs ventes.</p>
<p>Si les consommateurs se montrent plus réceptifs aux publicités qui représentent le groupe auquel ils appartiennent, l’inclusion ne doit cependant pas se faire au détriment de la diversité. Pour être efficace, la publicité inclusive doit mettre en scène des personnes différentes, ensemble.</p>
<p>Notre travail de recherche confirme d’ailleurs que les publicités qui représentent des minorités mais qui manquent de diversité ont un effet négatif sur les intentions d’achat car elles perpétuent un sentiment de ségrégation et réduisent le sentiment d’appartenance à la société. Spécifiquement, les consommateurs américains non blancs évaluent plus favorablement les publicités qui incluent différentes minorités ensemble (multi-ethniques ; figure 1) par rapport à celles qui représentent une seule minorité (mono-ethnique ; figure 2).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=190&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=190&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=190&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=239&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=239&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572108/original/file-20240130-25-bq6kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=239&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1 : Exemples de publicité multi-ethnique utilisée dans nos études.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572109/original/file-20240130-27-l0kh6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572109/original/file-20240130-27-l0kh6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572109/original/file-20240130-27-l0kh6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572109/original/file-20240130-27-l0kh6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572109/original/file-20240130-27-l0kh6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572109/original/file-20240130-27-l0kh6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572109/original/file-20240130-27-l0kh6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 2 : Exemples de publicité mono-ethnique utilisée dans nos études.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>D’après nos résultats, les consommateurs blancs perçoivent aussi plus favorablement les publicités inclusives que celles dépeignant uniquement des modèles blancs. En somme, la diversité constitue bien une clé de la réussite d’une publicité inclusive.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ont reçu des financements de CY Initiative d'Excellence (subvention “Investissements d’Avenir” ANR-16-IDEX-0008) et de Zayed University (Research Incentive Fund (subvention R19063).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Conor Henderson et Marc Mazodier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une étude menée aux États-Unis et dans les Émirats arabes unis confirme la perception positive des consommateurs vis-à-vis des publicités mettant en scène des minorités.Jamel Khenfer, Associate Professor of Marketing, ExceliaConor Henderson, Associate Professor of Marketing, Judy and Hugh Oliphant Research Scholar, Lundquist College of Business, University of OregonMarc Mazodier, Professor of marketing, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212492024-01-22T15:36:28Z2024-01-22T15:36:28ZRemigration : ce que « l’anti-mot de l’année » en Allemagne dit du débat public actuel<p>Dans de nombreux pays européens, les fins et les débuts d’année donnent lieu au choix - parfois à l’élection - du mot/des mots de l’année, entendus comme ces unités lexicales qui condensent à elles seules tout un pan de discours, de positions, de controverses qui ont marqué les douze mois écoulés.</p>
<p>L’idée sous-jacente à ces classements, <a href="https://u-bourgogne.hal.science/halshs-03871342/">largement développée en analyse de discours</a>, est que certains mots, souvent <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-langage-et-societe-2010-4-page-5.htm">appréhendés comme « formules »</a>, fonctionnent comme des révélateurs et des marqueurs des soubresauts et des évolutions de la société dans à peu près tous les domaines : politique, économie, vie sociale, sport, etc. Ils sont les pierres angulaires de positionnements et de postures de toute nature et leur simple énoncé active toute une série d’arguments et contre-arguments.</p>
<p>Si cette tradition n’est pas implantée en France – en tout cas pas de façon organisée et institutionalisée – elle l’est largement autour de nous. C’est le cas au Royaume-Uni, où ce sont les Presses universitaires d’Oxford qui président à ce choix et <a href="https://theconversation.com/im-an-expert-in-slang-here-are-my-picks-for-word-of-the-year-218286">ont retenu, pour 2023, le mot <em>rizz</em></a> qui désigne le charisme, le charme, l’attractivité ; ou en Belgique flamande et aux Pays-Bas, où l’éditeur de dictionnaires van Dale fait la même chose et <a href="https://www.les-plats-pays.com/article/le-mot-neerlandais-de-lannee-2023-denonce-linflation-due-a-la-cupidite">a opté, pour l’année qui vient de s’achever, pour <em>graainflatie</em></a>, un mot-valise parfois traduit par « cupideflation » en français et hérité du néologisme anglais <em>greedflation</em> pour désigner la stratégie mise en œuvre par certains industriels afin de profiter de l’inflation liée à l’augmentation des coûts pour augmenter leurs marges. Dans le même domaine de l’économie, on se souvient des discussions, pendant toute l’année 2023, en France et dans d’autres pays, autour de la paire de termes <a href="https://theconversation.com/hausses-de-prix-dissimulees-comment-reagissent-les-consommateurs-191920"><em>shrinkflation</em>/<em>réduflation</em></a>.</p>
<h2>Du mot à l’anti-mot de l’année en Allemagne</h2>
<p>En Allemagne, qui est au centre de cet article, le choix des mots de l’année est beaucoup plus institutionnalisé et connaît, chaque année, un large écho médiatique. J’utilise ici le pluriel, car <a href="https://tekst-dyskurs.eu/resources/html/article/details?id=226831">il y en a en fait plusieurs</a>.</p>
<p>Tout d’abord, le « mot de l’année », au sens strict, qui est choisi régulièrement depuis 1977, après un premier essai isolé en 1971, par une société savante, la <a href="https://gfds.de/"><em>Gesellschaft für deutsche Sprache</em></a> (société pour la langue allemande) dont le siège est à Wiesbaden. À partir d’une première collecte de mots faite dans les médias, mais aussi de propositions spontanées envoyées par des citoyens, le jury, largement composé d’experts de la langue réunis dans le bureau de l’association, opère des vagues de sélection successives pour arriver à une liste de dix mots dont celui classé numéro un prend le titre de mot de l’année.</p>
<p>Cette année, c’est <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/08-breves-de-la-semaine/-/2635084"><em>Krisenmodus</em></a> – littéralement <em>le mode de crise</em> – qui a été retenu pour désigner cet état de crise permanente ou perpétuelle dans lequel vit l’Allemagne, et pas seulement elle, depuis la crise Covid, avec les conséquences, en particulier mentales, que peut entraîner cette situation.</p>
<p>À côté de cette première initiative, une autre fait souvent couler davantage d’encre encore : c’est <a href="https://www.unwortdesjahres.net/">l’« anti-mot » de l’année</a>, que l’on pourrait paraphraser comme le mot abject dont l’emploi est ainsi dénoncé et condamné.</p>
<p>Lancé en 1991 et d’abord choisi dans le sillage du « mot de l’année », il est depuis 1994 déterminé par un jury indépendant constitué de quatre linguistes, un journaliste et un autre membre coopté chaque année, issu des milieux de la culture et des médias. Par « anti-mot », le jury entend des formulations soit « dénuées d’humanité », soit « inadaptées pour ce qu’elles désignent ». Bref, des mots et des formules détestables qu’un emploi réfléchi de la langue ne devrait pas produire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1746882492026458399"}"></div></p>
<p>Le but de cette action est très largement de faire réfléchir les locuteurs de l’allemand à l’utilisation de la langue en contexte, tradition très ancrée dans le monde germanophone, y compris comme discipline académique connue sous le nom de <a href="https://heiup.uni-heidelberg.de/journals/heso/issue/view/2372"><em>Sprachkritik</em></a> – critique de la langue. Les travaux du philologue Victor Klemperer <a href="https://journals.openedition.org/germanica/2464">sur la langue du Troisième Reich</a>, consignés dans son ouvrage majeur publié en 1947, prennent toute leur place dans cette tradition, tout comme la publication en 1958, sous la plume de Dolf Sternberger, Gerhard Storz et W. E. Suskind, du <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-hermes-la-revue-2010-3-page-47.htm?contenu=article"><em>Dictionnaire de l’inhumain</em></a>, qui commentait et mettait en perspective les pires vocables de la dictature nazie.</p>
<h2><em>Remigration</em> et le spectre des affaires de l’AfD</h2>
<p>Publié ce 15 janvier par le jury décrit ci-dessus, l’anti-mot de l’année 2023 est <em>remigration</em> (qui rappelle le concept de « remigration » en français, nous y reviendrons). Les derniers événements autour du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) lui donnent un relief et une actualité toute particulière.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.unwortdesjahres.net/presse/aktuelle-pressemitteilung/">communiqué de presse</a>, le jury justifie son choix par les arguments suivants. Il s’agit tout d’abord d’un euphémisme, une forme linguistique visant donc à atténuer, adoucir une réalité par trop brutale – ici le projet d’expulser par la force, voire de déporter de façon massive des personnes vivant en Allemagne et issues de l’immigration. Pour le jury, il s’agit très clairement d’un mot relevant du combat idéologique d’extrême droite, cachant les véritables intentions qu’il véhicule derrière une façade anodine.</p>
<p>Ce faisant, on assiste à un détournement de sens idéologique puisque, en tout cas pour la tradition allemande, ce terme est issu de la recherche sur les migrations et l’exil où il désigne des formes volontaires de retour dans son pays natal. Ce détournement idéologique en faisait bien sûr un candidat de choix pour être désigné « anti-mot ». Le communiqué de presse du jury continue par ailleurs en dénonçant l’objectif de la Nouvelle Droite qui se cache derrière ce terme, en l’occurrence arriver à une hégémonie culturelle et à l’homogénéité ethnique de la nation allemande.</p>
<p>Ce choix ne pouvait pas plus tomber à point nommé dans la mesure où il vient alimenter un débat enflammé qui fait rage depuis le 10 janvier dernier dans le paysage politique et médiatique allemand suite à la publication ce jour-là d’une <a href="https://correctiv.org/aktuelles/neue-rechte/2024/01/10/geheimplan-remigration-vertreibung-afd-rechtsextreme-november-treffen/">enquête</a> du site d’investigation <em>Correctiv</em>. Cette enquête très détaillée, structurée en actes à la façon d’une pièce de théâtre, révèle une rencontre secrète, le 25 novembre 2023, dans un hôtel situé près de la ville de Potsdam, organisée à l’initiative d’un dentiste retraité bien connu sur la scène d’extrême droite allemande et d’un investisseur non moins connu du secteur de la gastronomie (mais lui-même absent à ladite réunion).</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le « plan secret » de l’extrême droite allemande fait scandale, LCI, 19 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>Cette rencontre avait deux objectifs affichés : d’une part, la collecte de fonds de campagne pour l’AfD et diverses structures proches, existantes ou en création ; et d’autre part, la présentation et la discussion d’un « plan d’action ». Elle a réuni un certain nombre de membres de l’AfD – dont Roland Hartwig, le conseiller personnel de la dirigeante du parti Alice Weidel –, des représentants de diverses mouvances néonazies et des donateurs fortunés, pour discuter justement, dans l’hypothèse d’une accession au pouvoir de l’AfD, d’un « plan de remigration » visant une expulsion à grande échelle de plusieurs catégories de personnes.</p>
<p>Ce plan, qui constituait le point central de la rencontre, a été présenté par Martin Sellner, figure historique du mouvement identitaire autrichien. Sellner y désigne trois groupes-cibles pour la remigration : les demandeurs d’asile, les étrangers ayant droit de séjour et les citoyens « non assimilés ». Il va même plus loin en imaginant la création d’un « État-modèle », par exemple en Afrique du Nord, à même d’accueillir les groupes en question ainsi que celles et ceux qui souhaitent les soutenir. On comprend, à lire ces détails, les arguments du jury de l’anti-mot de l’année pour justifier son choix, et en particulier la dimension euphémistique du terme – et ce d’autant plus dans le contexte allemand dont l’« héritage discursif » a été rappelé ci-dessus.</p>
<p>Ces révélations ont rouvert le débat d’une éventuelle interdiction constitutionnelle du parti AfD en Allemagne, question qui revient comme un serpent de mer dans le débat politique fédéral : une pétition en cours a déjà réuni 400 000 signatures et le député chrétien-démocrate Marco Wanderwitz cherche aussi les soutiens nécessaires au sein de la Diète fédérale pour engager la procédure idoine. Dimanche 14 janvier, des manifestations organisées en réaction à ces révélations à Berlin et Potsdam ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, dont le chancelier Olaf Scholz et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock.</p>
<h2>Remigration – un internationalisme ?</h2>
<p>Le terme choisi comme anti-mot de l’année 2023 en Allemagne, et que le jury présente comme une dérivation du latin <em>remigrare</em> pour <em>rentrer chez soi</em>, apparaît en fait, et surtout, comme un internationalisme utilisé sous cette forme dans beaucoup de langues : il alimente donc de façon croisée des discours dans plusieurs pays qui se répondent, s’alimentent et s’entretiennent mutuellement.</p>
<p>En français, il a fait l’objet d’une forte thématisation dans la discussion politico-médiatique lors du dernier scrutin présidentiel avec la proposition du candidat <a href="https://theconversation.com/fr/topics/eric-zemmour-106952">Éric Zemmour</a>, dont plusieurs thématiques ont d’ailleurs été <a href="https://journals.openedition.org/corela/14675">analysées par l’analyse française du discours</a>, de mettre en place un « ministère de la Remigration ».</p>
<p>Une brève interrogation du corpus français disponible sur l’outil <a href="https://www.sketchengine.eu/">SketchEngine</a>, en particulier de ses contextes d’emploi, montre très clairement <a href="https://journals.openedition.org/mots/30959">son ancrage dans un discours d’extrême droite</a>, confirmant le statut qui lui est reconnu comme marqueur de la mouvance identitaire. Il y voisine en effet avec des noms comme <em>islamisation, communautarisme, identité, remplacement, invasion</em>, mais aussi avec des verbes d’action comme <em>enclencher la remigration</em> ou de positionnement comme <em>prôner la remigration</em>.</p>
<p>On le voit ici nettement, de tels mots – j’ai parlé plus haut d’internationalismes – circulent d’une langue et d’une culture à l’autre dans des discours apparentés où ils constituent autant de signaux d’appartenance et de reconnaissance. Dans le domaine politique, comme dans beaucoup d’autres, les combats idéologiques passent par des combats sémantiques où il s’agit d’occuper les concepts, d’y imprimer sa marque pour, finalement, les soustraire à l’adversaire. Dans cette perspective, le choix 2023 du jury de l’anti-mot allemand de l’année ne pouvait mieux atteindre ses objectifs : nous amener à toujours interroger les implications des mots que nous employons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221249/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gautier a reçu des financements du Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté, de l'ANR et de la Commission Européenne pour divers projets de recherche.</span></em></p>Chaque année, un jury allemand désigne le mot le plus détestable à avoir marqué le débat public. En 2023, sur fond de montée de l’extrême droite, le choix s’est porté sur « remigration ».Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171122024-01-03T17:37:29Z2024-01-03T17:37:29ZComment la jeune nation américaine s'est construit une légitimité grâce à l’Égypte antique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558004/original/file-20231107-15-pyj8cl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C898%2C675&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Détail de la peinture murale du dôme de la bibliothèque du Congrès réalisé par Edwin Howland Blashfield, Washington D.C. (États-Unis).</span> </figcaption></figure><p>En 1860, l’autrice et journaliste Mary A. Dodge écrivait dans <em>The Atlantic Monthly</em> (le magazine mensuel de Boston) : « Ne sommes-nous pas, dans cette catégorie de nos goûts et de nos sentiments, en train de devenir égyptiens ? » Elle faisait allusion à un mouvement qui touche la société américaine depuis la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle : l’« American Egyptomania ». Toutefois, cette idée d’égyptianisation de la société américaine renvoie à une ambivalence, entre complexe d’infériorité face aux nations du vieux continent et un effort exagéré de valorisation, fondé sur une forme d’appropriation culturelle.</p>
<h2>Une nation de « Yankees » ou le complexe américain</h2>
<p>La Révolution américaine (1775-1783) et notamment la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_d%27ind%C3%A9pendance_des_%C3%89tats-Unis">déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776</a> ont donné le jour à une jeune république peuplée pour part d’Amérindiens et d’« Euro – américains », majoritaires, que sont les premiers colons venus s’installer sur ce vaste territoire non encore maîtrisé et sauvage, désireux de s’affranchir de la métropole britannique et de constituer une nation.</p>
<p>Une nation de « Yankees », de renégats et de barbares, comme le signalent les critiques littéraires rédigées par des voyageurs de retour du nouveau continent. En témoigne le poète irlandais Thomas Moore (1779-1852) à propos de la ville américaine de Baltimore « J’ai passé le Potomac, le Rappa Hannock, l’Occoguan, le Potapsio, et beaucoup d’autres rivières, avec des noms aussi barbares que les habitants », ou encore Charles Dickens (<a href="https://www.gutenberg.org/files/675/675-h/675-h.htm"><em>American Notes</em>, 1842</a>) qui parle d’un peuple au « caractère terne et lugubre » et constitué « de personnes qui s’étaient bannies ou qui avaient été bannies de la mère patrie » comme le souligne Frances Trollope (<a href="https://books.google.fr/books/about/Domestic_Manners_of_the_Americans.html?id=hEzuJ8stYwoC&redir_esc=y"><em>Domestic Maners of the Americans</em>, 1832</a>.</p>
<p>Une jeune nation fustigée par les intellectuels européens : « Aux quatre coins du monde, qui lit un livre américain ? Où va-t-il voir une pièce de théâtre américaine ? Ou regarde un tableau ou une statue américaine ? Que doit le monde aux médecins et chirurgiens américains ? » s’exprime Sydney Smith, écrivain et intellectuel anglais dans L’<em>Edinburgh Review</em> de 1820.</p>
<p>Mais ce « ton de plus en plus méprisant et insolent que les voyageurs et les critiques britanniques, et la presse britannique en général, ont choisi d’adopter à l’égard de ce pays » comme le souligne <em>The American Whig Review</em> en juin 1846, va laisser des traces profondes et durables au sein de cette jeune nation, marquée par des années de frustrations provoquées par les abus de la Couronne britannique.</p>
<h2>Une quête d’identité et de reconnaissance</h2>
<p>Bafouée, reléguée au second rang, la jeune république, durant la période définie comme celle de la « condescendance Tory » (1825 1845), n’aura alors de cesse que de défendre ses principes, de proclamer la supériorité de son modèle et de ses vertus : « Notre pays est la seule nation qui considère la critique de sa littérature, de sa politique ou de ses mœurs comme un crime » lit-on encore dans <em>The American Whig Review</em> en mars 1847.</p>
<p>Toutes ces critiques sont à l’origine d’un « traumatisme psychologique » qui va profondément marquer la société américaine. D’un mécanisme de défense lié sans doute au départ à un complexe d’infériorité, les Américains dès le XIX<sup>e</sup> siècle font progressivement de cette faiblesse une force et décident de clamer leur supériorité. « La race américaine, en termes de liberté, de civilisation et de philosophie politique, est inapprochable », affirme ainsi <em>The United States Democratic Review</em>, juillet 1858.</p>
<p>Cette soif de reconnaissance, de grandeur « va forger le caractère national américain, le sentiment de devenir toujours plus puissant en <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-2-page-143.htm">comparaison avec ses voisins »</a></p>
<p>Les États-Unis façonnent alors l’idée de « vraie civilisation » (<em>The American Whig Review</em>, 1846) en s’appropriant un modèle architectural et culturel émanant d’une civilisation ayant incarné dans l’histoire, la grandeur et la puissance, dont la grandeur est partout admirée depuis les campagnes de Bonaparte (1798-1801) et la <a href="https://heritage.bnf.fr/bibliothequesorient/fr/la-description-egypte-article"><em>Description de l’Egypte</em></a> qui en émane : l’Égypte antique. Appelée « mère » ou « parent », l’Égypte antique s’inscrit ainsi dans l’histoire américaine.</p>
<p>Dès lors, le paysage américain se couvre de références égyptiennes. Un lien indéfectible et néanmoins totalement artificiel se crée par l’assimilation du nom de villes égyptiennes dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Little_Egypt_(r%C3%A9gion)">Little Egypt</a> (fondée en 1819 dans le Tennessee), Le Caire (fondée en 1818) et Thèbes (fondée en 1835). Même le Mississippi devient le « Nil d’Amérique ».</p>
<p>Mais ce processus d’identification s’effrite avec l’essor de l’impérialisme à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. A cette période, les États-Unis développent leur propre soft power comme on peut le voir lors de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Exposition_universelle_de_1893">l’exposition universelle de Chicago en 1893</a> et « Pour la première fois, la grande majorité des visiteurs britanniques manifestaient clairement leur respect à l’égard de cette nation riche, puissante et extrêmement complexe par-delà les océans… Ils ont plutôt tendance à regarder <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-2-page-143.htm">l’Amérique avec respect</a> ».</p>
<h2>L’art égyptien au service de l’exceptionnalisme américain</h2>
<p>La fascination que les États-Unis portent à l’Égypte antique s’explique en partie par la magnificence de l’architecture, la grandeur et la pérennité des monuments égyptiens. En s’appropriant le style architectural égyptien et les valeurs qui y sont associées, les Américains façonnent leur propre « culture » ; en s’associant à l’intemporalité égyptienne le « Nouveau Monde » et sa nouvelle nation se targuent d’une forme de permanence.</p>
<p>« Dans un pays qui s’efforçait à la fois d’acquérir une suprématie technologique et de faire comprendre au monde la pérennité de ses propres monuments et institutions, quelle civilisation offrait une meilleure inspiration que celle qui avait construit les pyramides éternelles ? » <a href="https://books.google.fr/books/about/Characteristically_American.html?id=ENzPBAAAQBAJ&redir_esc=y">écrità ce propos la spécialiste de la culture commémorative américaine Joy Giguere</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567707/original/file-20240103-23-4bcv1y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Beth Israel Crown Street réalisée par Thomas Ustick Walter en 1850.</span>
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<p>Ainsi de nombreux édifices s’inspirant du style architectural égyptien ont été construits sur le territoire Américain. On les trouve dans de multiples lieux, parfois insolites voire improbables, comme la synagogue de Beth Israel Crown Street réalisée par <a href="https://www.philadelphiabuildings.org/pab/app/ar_display.cfm/21624">Thomas Ustick Walter</a> en 1850 ou parfois dans des lieux ou l’occultisme mystique égyptien est jugé plus approprié : les loges maçonniques, avec la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3012287/">Skull and Bones undergraduate secret society</a> de 1856 à New Haven, Connecticut.</p>
<p>Le langage iconographique caractérisé par la mise en relief des symboles et des motifs égyptiens sur certains monuments officiels tend à rappeler les grands principes de la civilisation d’Égypte antique, comme la loi et l’ordre, très prégnants dans les prisons et les Tribunaux. En témoigne le Halls of Justice and House of Detention (1815-1838) de New-York plus communément appelés <a href="http://daytoninmanhattan.blogspot.com/2011/07/lost-1838-egyptian-revival-tombs.html">The Tombs</a>, réalisé par John Haviland.</p>
<p>Les éléments architecturaux ou figuratifs d’inspiration égyptienne, qui témoignent quant à eux de l’importance consacrée par l’Égypte aux connaissances – on pense à la célèbre bibliothèque d’Alexandrie – sont également utilisés au service de l’exceptionnalisme américain. C’est le cas par exemple avec la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Egyptian_Building#/media/File:Egyptian_Building.JPG">faculté de Médecine de Richmond en Virginie</a> de 1845. L’éclectisme égyptien sert aussi à démontrer la supériorité américaine au niveau technologique avec la construction des ponts en suspensions, les stations de métro et de tramway (Suspension Bridge de St-John-New Brunswick de 1853).</p>
<p>L’imprégnation égyptienne dépasse la sphère temporelle en s’appropriant le domaine spirituel et le souvenir des défunts. En effet, à partir des années 1820 un mouvement que l’on pourrait qualifier « d’Egypto-american way of death » (Joy Giguere) touche la réorganisation et l’embellissement des cimetières sur des critères similaires aux croyances funéraires pharaoniques. Dans l’idée de marquer le passage entre les deux mondes, les portes de certains cimetières comme celui de <a href="https://www.mountauburn.org/egyptian-revival-gate/">Mount Auburn de Jacob Bigelow</a> en 1831 (Massachusetts) sont couverts de motifs égyptiens.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567706/original/file-20240103-29-wsh5hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Porte du cimetière fondé par le médecin et botaniste américain Jacob Bigelow en 1831 à Mount Auburn.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une identité basée sur l’exclusion</h2>
<p>L’identité américaine s’est façonnée en grande partie sur les fondements d’une ascendance ethnique excluant tour à tour les amérindiens et les noirs américains.</p>
<p>Les civilisations amérindiennes sont évidemment riches d’une longue histoire et de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-histoire-des-indiens-d-amerique">grandes richesses culturelles</a>, mais les premiers colons ont cherché à se détacher de ces peuples <a href="https://journals.openedition.org/transatlantica/678">qu’ils considéraient comme des « sauvages »</a>. Pour les Américains des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, les populations amérindiennes n’ont joué aucun rôle dans l’essor de la civilisation américaine. Ils ne revendiquent aucun héritage culturel provenant de l’Ancien Monde : « Ils (les Amérindiens) n’avaient pas d’histoire, pas d’avenir, c’est-à-dire qu’ils étaient des sauvages » (<em>The American Whig Review</em> de Juin 1846)</p>
<p>La construction identitaire fondée sur la construction de la race au XVIII<sup>e</sup> siècle, dans le sillage de l’esclavage et de la traite transatlantique, intimement liée à « l’attitude des Américains blancs à l’égard des noirs » (Scott Malcolmson, <em>One Drop of Blood</em>), est basée sur la blancheur comme marqueur identitaire, assimilant la couleur noire à la servitude.</p>
<p>« Nous ne serons pas leurs nègres. La Providence ne nous a jamais conçus pour être des nègres, je le sais, car si elle l’avait fait, elle nous aurait donné des peaux noires, des lèvres épaisses, des nez plats et des cheveux courts et laineux, ce qu’elle n’a pas fait, et elle ne nous a donc jamais destinés à être des esclaves. » s’exprime John Adams en réaction aux taxations des documents imprimés dans les colonies imposées par le <a href="https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-22354/stamp-act/">Stamp Act en 1765</a>.</p>
<p>Cette racialisation de la société est d’ailleurs légalisée. La constitution américaine de 1787 exclut de la citoyenneté américaine les personnes d’ascendance africaine et amérindienne. À partir de 1816, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/American_Colonization_Society">l’American Colonization Society</a> propose même une solution au « problème » des Noirs américains en les réinstallant en Afrique dans une colonie appelée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/le-liberia-4354051">Libéria</a>.</p>
<p>À partir des années 1840, des théories raciales se développent sur fond de <a href="https://www.mnhn.fr/fr/buste-phrenologique">phrénologie</a> et d’égyptologie. Par l’analyse de restes humains momifiés, les égyptologues vont associer la formation crânienne aux capacités intellectuelles des populations et notamment des populations noires. Ces études permettent ainsi à l’Égyptologue Robbin George Gliddon ou encore au médecin américain Josiah Nott de justifier par des théories pseudo-scientifiques de l’infériorité intellectuelle des noirs et de <a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">leur place subalterne</a> dans la société américaine.</p>
<p>« Il (le noir) manque presque totalement de capacité exécutive et à très peu de génie. […] Incapable de s’éduquer au-delà de l’éducation la plus simple » lit-on dans <em>The Old Guard</em>, 1867.</p>
<p>De même au milieu du XIX siècle, des études égyptologiques américaines tentent d’établir un parallèle sociétal entre l’Égypte antique et l’Amérique postcoloniale sous suprématie blanche. Dans la même veine, sur fond d’égyptologie racialisée, certains anthropologues développent quant à eux la théorie polygénique de la race humaine dans des ouvrages comme <a href="https://www.loc.gov/item/49043133/"><em>Types of Mankind</em></a>. <a href="https://books.google.fr/books/about/Crania_Aegyptiaca.html?id=852cAkr93L4C&redir_esc=y">Samuel George Morton écrit ainsi dans <em>Crania Aegyptiaca</em>, en 1844</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La vallée du Nil tant en Égypte qu’en Nubie, a été peuplée à l’origine par une branche de race caucasienne… Les nègres étaient nombreux en Égypte, mais leur position sociale dans l’Antiquité était la même que maintenant, celle de serviteur et d’esclaves »</p>
</blockquote>
<p>Pour les Afro-Américains chrétiens, l’Amérique de l’antebellum – la période de la montée du séparatisme conduisant à la guerre de Sécession – représente un territoire imaginaire, à forte connotation biblique, sur lequel les terres agricoles sudistes incarnant l’Égypte sont délimitées par le fleuve Mississipi apparenté au Nil. Sur ce territoire vivaient les propriétaires terriens blancs associés aux Pharaons et les esclaves noirs qui s’identifient aux Hébreux. Ces mêmes esclaves que l’on a pu entendre chanter à l’extérieur de la Maison Blanche <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2012-4-page-194.htm">« Go Down Moses »</a> alors qu’Abraham Lincoln signait la proclamation d’émancipation en 1863, associant la figure du pharaon au système d’exploitation esclavagiste :</p>
<p>« Descends, Moïse,<br>
En Terre d’Égypte,<br>
Dis au vieux Pharaon,<br>
De laisser partir mon peuple ».</p>
<p>Les théories raciales prônant la supériorité de la « race blanche » sont également critiquées par des Afro-Américains réactionnaires et abolitionnistes qui essaient quant à eux de prouver une origine noire de la civilisation égyptienne. Les revendications remettant en cause la supériorité supposée des Américains blancs prennent de l’ampleur dans les villes du Nord suite aux affranchissements massifs d’esclaves et grâce à l’adoption de lois progressistes donnant davantage de droits aux populations noires.</p>
<p>Ainsi, l’imaginaire américain du XIX<sup>e</sup> siècle a façonné et conceptualisé une certaine image de l’Égypte ancienne, dans un parallélisme à la fois anachronique et totalement imaginaire, sur fond de théories raciales, afin d’asseoir une légitimité historique et culturelle qui se voulait dominatrice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217112/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fustigée par les intellectuels européens, la jeune nation américaine a cherché à se doter d’une forme de légitimité historique et culturelle. Pour y parvenir, elle s’est tournée vers la civilisation égyptienne.Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175782023-12-06T17:45:34Z2023-12-06T17:45:34ZDe Twitter à X : un an après, les suprémacistes blancs sont-ils de retour ?<p>Le 28 octobre 2022, un jour seulement après avoir fait l’acquisition de Twitter, Elon Musk publie un message qui résume à lui seul sa vision pour le futur de la compagnie : « L’oiseau est libéré ».</p>
<p>Le bleu symbolique, partagé par les premiers réseaux sociaux, cède rapidement sa place au <a href="https://theconversation.com/desinformation-et-souverainete-des-continents-virtuels-de-linternet-113523">X noir du dark web</a> lorsque la X Corp., filiale de X Holdings Corp. et détenue par Elon Musk, prend le contrôle de Twitter. Dans la foulée, le milliardaire annonce la <a href="https://www.platformer.news/p/why-some-tech-ceos-are-rooting-for">restauration de 62 000 comptes préalablement suspendus</a>, y compris, ce qui fera les gros titres, de celui de Donald Trump.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/twitter-2-0-le-populisme-assume-delon-musk-195476">Twitter 2.0 : le populisme assumé d’Elon Musk</a>
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<p>De fait, le magnat de la technologie énonce clairement son dessein : métamorphoser Twitter en une plate-forme où la liberté de parole se rapprocherait de l’absolu. Il se place ainsi en <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/14/twitter-supprime-une-grande-partie-de-ses-capacites-de-moderation_6149773_4408996.html">rupture radicale</a> avec les dispositifs de modération encouragés par le <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/10/27/facebook-twitter-et-google-devant-le-senat-americain-pour-repondre-de-leur-responsabilite-sur-les-contenus-publies_6057588_4408996.html">Congrès états-unien</a> pour tenter de contenir les discours haineux et de contrer l’épidémie de désinformation.</p>
<p>Cette nouvelle orientation engendre des réactions polarisées aux États-Unis. Certains craignent une montée de l’extrémisme, en particulier des mouvements suprémacistes, en raison de la possibilité de voir se propager et normaliser des <a href="https://www.tf1info.fr/international/elon-musk-accuse-de-faire-une-promotion-abjecte-de-l-antisemitisme-sur-x-twitter-par-la-maison-blanche-2276594.html">contenus à caractère raciste et antisémite</a>. Parallèlement, de nombreuses voix s’élèvent sur Twitter pour réclamer le rétablissement des comptes de leaders nationalistes blancs qui aspirent à retrouver leur place sur la plate-forme, appels manifestés par des interpellations directes faites à Musk.</p>
<p>Un peu plus d’un an plus tard, alors que, à l’occasion de l’anniversaire de son rachat, Musk a retweeté son message initial en l’agrémentant du mot « Freedom », quelle est la situation effective des comptes nationalistes blancs sur le réseau social, et quelles sont les implications prévisibles pour l’évolution de l’extrémisme dans le discours public ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1717917213301055508"}"></div></p>
<h2>La suspension persistante des leaders nationalistes blancs</h2>
<p>Les équipes de X ont procédé à une première vague de restaurations des comptes suspendus <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/24/elon-musk-annonce-le-retablissement-des-comptes-suspendus-sur-twitter_6151502_4408996.html">à partir de novembre 2022</a>.</p>
<p>Parmi les comptes dont le retour était le plus craint se trouvent ceux de leaders nationalistes blancs suspendus de 2017 à 2021, lors de vagues de <a href="https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/deplatform">déplatforming</a> consécutives aux <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/aux-etats-unis-les-reseaux-sociaux-mobilises-contre-les-extremistes-blancs_115584">événements de Charlottesville</a> puis à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/direct-violences-au-capitole-twitter-suspend-le-compte-de-donald-trump-de-facon-permanente_4250747.html">l’assaut du Capitole</a>.</p>
<p>Avaient alors été suspendus les comptes de personnalités notoires comme la figure emblématique du Ku Klux Klan, <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/twitter/twitter-suspend-le-compte-de-david-duke-l-ancien-chef-du-ku-klux-klan_4063395.html">David Duke</a>. La mesure avait également concerné des individus moins médiatisés mais tout aussi importants, tels le théoricien du « réalisme racial » <a href="https://www.cnet.com/culture/white-nationalist-jared-taylor-american-renaissance-sues-twitter-for-account-suspension/">Jared Taylor</a>, fondateur du site suprémaciste blanc <a href="https://www.amren.com/">American Renaissance</a>, ou encore <a href="https://academic.oup.com/book/25370/chapter-abstract/192454202?redirectedFrom=fulltext">Greg Johnson</a>, éditeur du magazine nationaliste blanc <a href="https://counter-currents.com/">Counter-Currents</a>.</p>
<p>Contre toute attente, même avec l’arrivée de Musk, ces comptes sont demeurés inaccessibles. Ayant en commun la promotion organisée d’un État racial aux États-Unis, basé sur une identité blanche homogène, leurs contenus sont restés en contradiction avec les nouvelles règles de sécurité de la plate-forme X, qui interdisent les <a href="https://help.twitter.com/en/rules-and-policies/x-rules">associations avec les entités violentes ou haineuses</a>. D’autres comptes clés ont ainsi été désactivés par les équipes d’Elon Musk, comme celui du psychologue antisémite et nationaliste blanc <a href="https://www.splcenter.org/fighting-hate/extremist-files/individual/kevin-macdonald">Kevin MacDonald</a> en avril 2023.</p>
<p>Si l’absence persistante de ces leaders prive un mouvement fragmenté de points de convergence idéologique, cela ne signifie pas pour autant que le racialisme anti-démocratique est absent de la plate-forme. De nombreux comptes de personnalités secondaires, déjà présents sur Twitter, sont parvenus à passer entre les mailles du filet des nouvelles règles de X et à exploiter la situation pour s’établir comme les nouvelles voix à suivre.</p>
<p>En outre, X a procédé à une deuxième vague de restaurations en janvier 2023. Sans rétablir les théoriciens du racialisme, des groupes que l’on peut qualifier d’adjacents au nationalisme blanc tels que les <a href="https://www.isdglobal.org/explainers/groypers/">Groypers de Nick Fuentes</a> ont ainsi tenté de réinvestir la plate-forme.</p>
<h2>Le dark web intellectuel ou l’authentique X de droite</h2>
<p>Le Twitter de Musk tend à ouvrir ses portes à une ligne essentialisante de <a href="https://intellectualdarkweb.site/">l’Intellectual dark web</a>, ensemble hétéroclite de personnalités médiatiques revendiquant leurs qualifications académiques pour se définir comme penseurs. Leur idéologie commune s’appuie néanmoins sur une conception biologique des genres, cristallisant des rôles traditionalistes qui confinent l’homme à une puissance masculine productive, tout en assignant à la femme une féminité délicate et protectrice du foyer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1604080906746355719"}"></div></p>
<p>Le compte de l’influenceur Stefan Molyneux, qui a fait partie de la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/16/etats-unis-qu-est-ce-que-l-alt-right-et-le-supremacisme-blanc_5173096_4355770.html">mouvance alt-right</a>, est l’un de ceux qui ont été rétablis dès novembre 2022. Suivi par plusieurs centaines de milliers d’abonnés, il est connu pour ses prises de position libertariennes au sein des sphères de la <a href="https://unherd.com/2021/12/why-the-right-is-obsessed-with-masculinity/">« manosphère »</a>. Cette manosphère est une version particulièrement réactionnaire du masculinisme, largement caractérisée par une hostilité militante à l’encontre de tout ce qui relève, aux yeux de ses membres, du wokisme. Cette tendance idéologique a été confortée par la <a href="https://www.tvqc.com/2022/11/19/news/video/twitter-jordan-peterson-remercie-elon-musk-davoir-reactive-son-compte/">réactivation des comptes de Jordan B. Peterson</a> et de <a href="https://www.louderwithcrowder.com/james-lindsay-exclusive-part-one">James Lindsay</a>, deux figures controversées de ce mouvement.</p>
<p>La manosphère tend en outre à servir de porte d’entrée à d’autres groupes adjacents au nationalisme blanc. La synthèse identitaire est incarnée par le retour sur X de Bronze Age Pervert – dit « BAP » par ses followers – pseudonyme provocateur du philosophe roumano-américain <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2023/09/bronze-age-pervert-costin-alamariu/674762/">Costin Alamariu</a>. Son marketing repose sur une hiérarchie sexuelle explicite dominée par des mâles alpha amateurs de séductions éphémères. Il y rajoute également l’ambiguïté d’amitiés viriles marquées par une esthétique guerrière.</p>
<p>Depuis le feu vert offert par Elon Musk, le contenu proposé par « BAP » rencontre un public croissant qui dépasse désormais les 130 000 fidèles, soit une augmentation de deux tiers en un an. Sa présence a permis de rendre sa structure pyramidale à un mouvement qui se désigne couramment comme l’authentique Twitter de Droite (Right-Wing Twitter). Elle favorise en outre un glissement du libertarianisme anti-woke vers le néofascisme.</p>
<p>En effet, BAP n’est pas si différent des comptes nationalistes blancs pourtant inaccessibles sur X. <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2023/07/16/bronze-age-pervert-masculinity-00105427">Promoteur décomplexé d’un projet antidémocratique</a>, il souscrit à une philosophie néo-nietzschéenne qui oppose sa notion élitiste de la fraternité à des groupes ethniques qu’il décrit comme de simples « ferments ». Les rapports sociaux sont essentialisés à leur paroxysme : ils ne sont plus euphémisés, mais sublimés par l’illusion d’appartenir à une communauté basée sur la célébration d’une force qui se réalise dans la seule domination d’autrui.</p>
<h2>Vers une même cohérence politique masculiniste anti-woke, la mouvance NatCon</h2>
<p>Il peut de prime abord sembler paradoxal de refuser, comme le fait actuellement Twitter-X, la présence de comptes explicitement racialistes ou antisémites tout en admettant la présence et la croissance d’un réseau néofasciste adjacent. Plusieurs explications sont envisageables.</p>
<p>D’un point de vue sémiotique, cette faction de la droite extrême a développé ses propres codes de langage qui lui permettent de contourner les algorithmes de recommandation. Au niveau thématique, les discours masculinistes, qui se positionnent contre les théories du genre, semblent <a href="https://www.europe1.fr/people/elon-musk-une-biographie-depeint-les-obsessions-et-les-methodes-brutales-du-milliardaire-4203220">rencontrer les faveurs d’Elon Musk</a>. Celui-ci a en effet exprimé sans détour son opposition au « virus woke » quand il a rétabli le <a href="https://www.foxnews.com/media/the-babylon-bees-twitter-account-reinstated-elon-musk-suspension-transgender-joke-back">compte satirique Babylon Bee</a>. Enfin, les influenceurs de la droite extrême réadmis sur la plate-forme répondent à une cohérence idéologique qui tend à étayer un projet politique convergent.</p>
<p>En effet, ces acteurs gravitent autour de la mouvance NatCon, un <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">conservatisme nationaliste</a> rassemblant diverses branches politiques illibérales, <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">sous la houlette de Yoram Hazony</a>. Alors qu’il ne peut être catégorisé comme conservateur nationaliste, BAP a <a href="https://newrepublic.com/article/174656/claremont-institute-think-tank-trump">bénéficié dès 2019 du relais du Claremont Institute</a>, un think tank étroitement associé au réseau NatCon, pour la <a href="https://claremontreviewofbooks.com/are-the-kids-altright/">promotion de son ouvrage _Bronze Age Mindset</a>_.</p>
<p>Cette inclusion dans une organisation clé du conservatisme national établit un lien vers le <a href="https://reason.com/2020/08/02/wait-wasnt-peter-thiel-a-libertarian">libertaire Peter Thiel</a>, fondateur de Palantir, co-fondateur de Paypal et ancien associé d’Elon Musk, devenu l’un des principaux influenceurs du mouvement. La relation entre un magnat de la Silicon Valley et un philosophe masculiniste peut sembler ténue. Pourtant, Thiel est un important donateur du Parti républicain et n’a jamais caché son adhésion à une idéologie antidémocratique proche de la <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/28/opinion/marc-andreessen-manifesto-techno-optimism.html">pensée néo-réactionnaire de Curtis Yarvin</a>. Bénéficiant d’importants soutiens, le BAPtisme se situe à l’extrême du <a href="https://www.vanityfair.com/news/2022/04/inside-the-new-right-where-peter-thiel-is-placing-his-biggest-bets">continuum promouvant une « Nouvelle Droite »</a>. Cette New Right est une actualisation de la faction non racialiste de l’alt-right qui tente de gagner en prépondérance en utilisant la plate-forme X.</p>
<p>La question du nationalisme blanc peut donc se poser en termes stratégiques. Malgré une proximité idéologique, le refus des organisateurs des conférences NatCon d’accepter la présence des leaders du mouvement est justifié par le <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/rosiegray/national-conservatism-trump">souci de ne pas voir leur image liée à une mouvance aussi ouvertement extrême</a>. L’association avec ce qui est étiqueté « nationalisme blanc » est considérée comme dommageable à l’attraction d’une audience large et diversifiée. La mise en scène de son rejet permet au contraire de rassurer et de renforcer la respectabilité du NatCon.</p>
<p>Dans les salles de conférence comme sur X, le NatCon semble avoir entrepris de reconstruire un mouvement sur la base de nouveaux codes et de nouvelles figures. Ce sont ces choix qui détermineront si le projet antidémocratique peut être perçu comme acceptable par le plus grand nombre. Et si l’extrémisme masculiniste peut devenir la norme politique du Parti républicain. En 2022 déjà, le républicain Blake Masters, candidat malheureux à la fonction de Sénateur de l’Arizona, a su rassembler le soutien de la droite dure grâce à un programme à la fois traditionaliste et protectionniste.</p>
<p>L’oiseau Twitter est peut-être libéré, mais le X se montre sélectif. Un an après la prise de contrôle du réseau social par Elon Musk, il apparaît que les craintes sur la montée en puissance du nationalisme blanc ont plus que jamais besoin d’être contextualisées et rationalisées. L’étude des comptes influents effectivement actifs montre que les termes du débat risquent de passer de l’alt-right à la New Right. À l’approche des élections de 2024, ce cadre sera d’une grande importance pour analyser la résurgence de toutes les formes de suprémacisme aux États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217578/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Après la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk en octobre 2022, beaucoup s’inquiètent de la réapparition des comptes nationalistes qui avaient été suspendus auparavant.Sarah Rodriguez-Louette, Doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle, membre de la Chaire Unesco « Savoir Devenir à l'ère du développement numérique durable»., Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173302023-11-30T16:51:39Z2023-11-30T16:51:39ZRegards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France<p><em>Depuis les attaques du Hamas sur des civils israéliens le 7 octobre et les représailles massives d'Israël à Gaza, des événements graves et une hausse de l’antisémitisme en France ont conduit à des prises de position politique ou médiatique, tandis que de nombreux débats émaillent les discussions pour savoir ce qui est antisémite ou non. Parmi les artistes engagés sur ce sujet, l’illustrateur Joann Sfar a publié une série de posts <a href="https://www.instagram.com/joannsfar/?hl=fr">Instagram</a> afin d’exprimer son ressenti. La chercheuse Solveig Hennebert s’est appuyée sur certains de ses dessins afin d’expliciter un certain nombre d’éléments constitutifs de l’antisémitisme. Si certains faits ont surgi en lien avec le contexte, ils doivent aussi être analysés dans l’histoire longue de l’antisémitisme, sans prétention à l’exhaustivité. Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de Joann Sfar.</em></p>
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<p>Les dernières semaines ont vu une hausse des actes antisémites en France : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/15/antisemitisme-1-518-actes-recenses-depuis-le-7-octobre-peu-de-condamnations_6200221_3224.html">1 518 ont été recensés</a> entre le 7 octobre et le 15 novembre. Depuis le début des années 2000, les chiffres oscillent entre 400 et 1 000 par an habituellement, mais il est courant d’observer des pics de propos ou violences antisémites selon les actualités nationales ou internationales. Face à ces actes antisémites, les personnes juives ou – assimilées – ont souvent exprimé un sentiment d’abandon <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2018_num_250_2_5616?q=solveig%20hennebert">lors de cérémonies commémoratives</a> ou encore dans les entretiens que j’ai réalisés au cours de mon <a href="https://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article6505">enquête de terrain de thèse</a>.</p>
<p>J’utilise à dessein la formulation « personnes juives ou assimilées » que j’ai forgée dans le cadre de mes recherches. Cela permet d’inclure les personnes qui se définissent comme juives par religion, par culture, par rapport à leur histoire familiale ; tout autant que celles qui ne se considèrent pas comme juives, mais subissent l’antisémitisme malgré tout, du fait de représentations discriminantes liées au nom de famille, à l’apparence physique, etc.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-democratie-pervertie-un-antisemitisme-sans-antisemites-91012">L’antisémitisme</a> renvoie à la haine contre les personnes juives envisagées comme appartenant à une « race ». Cette conceptualisation remonte entre autres au XV<sup>e</sup> siècle avec les <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/catalogue/histoire-moderne-et-contemporaine/iberica/la-purete-de-sang-en-espagne">premiers statuts de pureté de sang</a> dans la péninsule ibérique. Avant (sans que cela ait totalement disparu), les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">persécutions</a> étaient plutôt liées à de l’antijudaïsme, c’est-à-dire que les personnes étaient visées en tant que membres d’une religion et non d’une supposée race.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">Les Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme aujourd’hui</a>
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<h2>Les chiffres de l’antisémitisme</h2>
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<p>Le recensement des crimes et délits est source de <a href="https://theconversation.com/linsecurite-un-epouvantail-electoral-a-deminer-132362">nombreuses interrogations méthodologiques</a>, mais les chiffres restent malgré tout des indicateurs à prendre en compte. Les données sont collectées de la même manière à toutes les périodes, et indiquent donc quoi qu’il en soit une hausse drastique.</p>
<p>Des événements nationaux ou internationaux sont parfois identifiés comme le déclencheur d’une « nouvelle » vague d’attaques antisémites, et souvent associés au conflit israélo-palestinien. Cependant, des recherches scientifiques ont montré que les perceptions antisémites sont également en hausse lors d’événements centrés sur la France, comme ce fut le cas en 1999, au moment des débats sur l’indemnisation des spoliations subies par les <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>Il convient de garder en tête que si analytiquement le contexte peut avoir du sens, il faut prendre en compte ce qu’il y a de <a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">structurel dans l’antisémitisme</a> tel qu’il s’exprime en France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/combattre-lantisemitisme-lenseignement-de-la-shoah-a-lere-de-twitter-et-tiktok-198542">Combattre l’antisémitisme : l’enseignement de la Shoah à l’ère de Twitter et TikTok</a>
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<h2>L’héritage de l’extrême droite</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzG2HQ5ogTU","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La présence du Rassemblement national et plus largement de l’extrême droite au <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/france/131123/aux-marches-contre-l-antisemitisme-des-elus-d-extreme-droite-au-lourd-passif">rassemblement contre l’antisémitisme du 12 novembre</a> a causé de nombreux débats, certains allant même jusqu’à parler de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/12/gregoire-kauffmann-historien-la-presence-siderante-du-rn-a-la-manifestation-contre-l-antisemitisme-est-le-signe-d-une-profonde-recomposition-du-jeu-politique_6199658_3232.html">« recomposition du champ politique »</a>. À l’inverse, des organisations se sont mobilisées pour rappeler les <a href="https://blogs.mediapart.fr/juives-et-juifs-revolutionnaires/blog/121123/pour-l-emancipation-de-toutes-et-tous-contre-l-antisemitisme-d-ou-qu-il-vienne">liens du RN avec les idéologies antisémites</a>.</p>
<p>L’antisémitisme tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines s’inscrit dans une histoire longue avec des références au nazisme, un ancrage à l’extrême droite, et repose sur des mythes et des préjugés séculaires. En effet, de nombreux préjugés antisémites sont hérités de la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">l’antijudaïsme chrétien</a> :</p>
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<p>« les Juifs ont de l’argent »</p>
<p>« les Juifs contrôlent le monde »</p>
<p>« les Juifs contrôlent les médias »</p>
<p>« les Juifs sont des tueurs d’enfants »…</p>
</blockquote>
<p>L’ensemble de ces mythes qui sont formulés ainsi ou réappropriés selon des tournures différentes sont à comprendre dans une généalogie historique.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
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<p>Ces dernières années nous assistons à des discours sur ce qui est présenté comme « un nouvel antisémitisme ». Celui-ci serait le fait des populations musulmanes – ou assimilées – et aurait des spécificités liées à l’islam.</p>
<p>Cependant, des <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">enquêtes scientifiques</a> montrent que ce sont toujours en partie les mêmes mythes issus de l’Europe chrétienne qui sont mobilisés dans les discours antisémites.</p>
<p>Les stéréotypes principaux sont ceux qui renvoient à l’argent et au pouvoir notamment. Par ailleurs, le rejet des Juifs va souvent de pair avec des visions négatives d’autres minorités.</p>
<p>Ainsi l’expression <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2020_num_107_1_2992?q=jud%C3%A9ophobie#comm_0588-8018_2020_num_107_1_T8_0068_0000">« nouvel antisémitisme »</a> ne semble pas appropriée puisque ce sont les mêmes préjugés qui reviennent. Même si des <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/international/211123/l-operation-du-7-octobre-ne-vise-pas-seulement-tuer-mais-filmer-les-tueries-et-les-atrocites">évolutions sont perceptibles</a>, il est nécessaire encore une fois de penser les préjugés dans une <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-du-6-9-france-bleu-isere/antisemitisme-un-mouvement-de-fond-depuis-les-annees-2000-juge-l-historien-grenoblois-tal-bruttmann-6454392">histoire longue</a>.</p>
<h2>« Laissez-moi hors de propos »</h2>
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<p>La question du silence de certains vis-à-vis des événements n’a pas manqué de soulever aussi celle de l’antisémitisme à gauche. Le sujet ne cesse d’être discuté depuis le 7 octobre, même si ce débat est présent depuis de nombreuses années. Les différentes personnalités politiques de gauche accusées <a href="https://www.lepoint.fr/politique/melenchon-face-aux-accusations-repetees-d-antisemitisme-23-10-2023-2540503_20.php">se défendent de tous préjugés</a> à l’encontre des Juifs. Un argument souvent mobilisé est de renvoyer à la tradition antisémite de l’extrême droite. S’il est vrai que les électeurs du Rassemblement national ont des préjugés antisémites particulièrement élévés, ceux des électeurs de La France Insoumise sont également supérieurs à la moyenne, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/10/nonna-mayer-les-stereotypes-antisemites-gardent-un-certain-impact-dans-une-petite-partie-de-la-gauche_6199286_823448.html">rapporte Nonna Mayer dans <em>Le Monde</em></a>. Ce sont par ailleurs notamment les mythes séculaires du rapport des Juifs à l’argent et au pouvoir qui persistent, y compris à l’extrême gauche.</p>
<p>L’antisémitisme de personnes à gauche du spectre politique n’est cependant pas récent, et des travaux universitaires montrent même que certains préjugés étaient présents au sein des <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">mouvements de résistance</a> de gauche (et de droite) pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Des manifestations directes de la violence</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzVoJsIoYcO","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Au niveau international, de nombreux actes de violence physique ont été perpétrés, des menaces de mort proférées. En France comme ailleurs, on a recensé des cris de « mort aux Juifs », des incitations à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/video-des-slogans-antisemites-scandes-devant-l-opera-de-sydney-aux-couleurs-d-israel">« gazer les Juifs »</a>, des tags <a href="https://www.instagram.com/p/CzOh4Cvo3Ss/ ?hl=fr&img_index=1">« interdit aux Juifs »</a> notamment devant des boutiques parisiennes. Les agressions physiques, qu’elles soient mortelles ou non, <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/1159-actes-antisemites-recenses-en-france-en-un-mois-annonce-gerald-darmanin">sont également multiples</a>, et la qualification antisémite n’est pas évidente.</p>
<p>Les discussions politico-médiatiques qui interrogent la réalité de la motivation antisémite des auteurs de certains faits contribuent à un <a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">sentiment d’abandon</a> chez certaines personnes juives – ou assimilées, ressenti déjà présent lors d’actes antérieurs aux événements du 7 octobre.</p>
<p>Les crimes sont souvent d’autant plus traumatiques quand les personnes sont attaquées à leur domicile comme ce fut le cas de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtres/meurtre-de-mireille-knoll/meurtre-de-mireille-knoll-l-affaire-sarah-halimi-a-peut-etre-pu-inciter-la-justice-a-retenir-le-caractere-antisemite-selon-l-avocat-d-un-des-deux-suspects_2688360.html">Mireille Knoll et Sarah Halimi</a>.</p>
<p>Le propos n’est pas de dire que toute personne juive agressée l’est à ce titre là ; cependant, les propos tenus par les agresseurs, les tags laissés sur les lieux, les revendications… sont des éléments qui doivent contribuer à interroger le motif. Par ailleurs, je ne remets pas en cause la non-poursuite des personnes qui ne sont pas responsables pénalement ; cependant, le fait que leur violence se soit tournée contre des personnes juives – ou assimilées – doit être interrogé socialement. Si les troubles psychiatriques peuvent expliquer le passage à l’acte, les préjugés antisémites s’inscrivent dans un contexte social.</p>
<h2>Banaliser</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzLcHuBoiJ9","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, des discours <a href="https://www.liberation.fr/checknews/tags-insultes-menaces-que-sait-on-du-recensement-des-antisemites-enregistres-depuis-le-7-octobre-20231117_FIAUJA3DKNGNDFHMH7K3R5B6H4/">relativisent l’existence de l’antisémitisme</a>, soit à travers une minimisation : des chiffres, des formes de la violence, de l’existence des victimes, ou encore du caractère antisémite de certains actes. S’il est vrai que c’est à la justice de statuer sur le caractère aggravant « antisémite », cela n’empêche pas que le motif soit envisagé en amont.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">La « maladie n°9 » : un symptôme de l’antisémitisme français</a>
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<p>Le traitement médiatique des actes antisémites est complexe, et y compris <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">après la Seconde Guerre mondiale</a> la spécificité des discriminations raciales n’était pas nécessairement dite ouvertement. Parfois sous couvert d’humour, la judaïcité des personnes est moquée ou tournée en dérision.</p>
<p>Les manifestations directes et paroxystiques de la violence, tels que les meurtres, les coups et blessures… ne doivent pas conduire à minimiser ce qu’il est commun d’appeler des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/29/universites-americaines-zones-de-langage-surveille_5390404_3232.html">« micro-agressions »</a>.</p>
<p>Nous pouvons poser l’hypothèse que l’une des conséquences des violences extrêmes (qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes…) est de contribuer à banaliser les autres formes d’agressions. Ainsi, par rapport au génocide, ou aux meurtres, d’autres actes peuvent paraître anodins ; ils sont pourtant constitutifs de l’expérience de l’antisémitisme et témoignent de la permanence des préjugés et discriminations.</p>
<h2>« Leur peur, ma rage »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cyc96WzIuFr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>De nombreuses personnes font le récit de micro-agressions qu’elles subissent dans leur quotidien. Par exemple, le fait d’associer automatiquement les personnes juives – ou assimilées – à Israël et plus spécifiquement au gouvernement en place, ou les personnes musulmanes – ou assimilées – au Hamas et au terrorisme.</p>
<p>L’usage même du <a href="https://www.instagram.com/p/C0BoM2yNi_o/ ?img_index=1">terme « antisémitisme »</a> est parfois remis en question sur la base de l’argument selon lequel « les Arabes/les Palestiniens/les Musulmans » seraient également des Sémites.</p>
<p>Utiliser ce terme pour parler uniquement des discriminations envers les personnes juives – ou assimilées – serait alors selon eux excluant. Pourtant l’expression « peuples sémites » n’est pas une réalité sociale, mais le fruit d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-4-page-441.htm">conceptualisation raciste en Europe au XIX<sup>e</sup> siècle</a>.</p>
<p>Il s’agissait à l’époque de soutenir les idéologies stigmatisant les personnes juives – ou assimilées – en présentant une théorie pseudo-biologique sur les « sémites ». Cela a permis d’enraciner le <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2014-4-page-901.htm">discours racialiste</a> envers les individus qui ne peuvent plus sortir du groupe par la conversion (bien que celle-ci ne protégeait pas toujours). Par ailleurs, à cette époque, les discours étaient centrés sur l’Europe et les Juifs, et l’antisémitisme dans ce contexte a véhiculé le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.</p>
<h2>« Dieu et moi ne sommes pas en bons termes »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzqHrYJoDon","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, et face à la multiplication des actes antisémites, de nombreuses personnes juives – ou assimilées – ont pris la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches… pour parler de leur vécu de l’antisémitisme. Certains à l’inverse ne prennent pas la parole, d’autres prient… ces réactions sont variées, à l’image de la diversité de la population juive.</p>
<p>Certains ont exprimé leurs critiques face à <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/121123/marche-contre-l-antisemitisme-les-gauches-qui-appellent-ne-pas-manifester-renoncent-leur-role-historique">l’absence de la gauche</a> dans la lutte contre l’antisémitisme, et à la présence de l’extrême droite.</p>
<p>Le <a href="https://www.instagram.com/collectif_golem/">collectif « Golem »</a> a même été créé dans ce prolongement, à l’image d’une autre organisation, les <a href="https://www.lesguerrieresdelapaix.com/mouvement/ ?goto=manifeste">« guerrières de la paix »</a> créée en 2022, qui se mobilise aux côtés de personnes musulmanes – ou assimilées, contre « les racismes » et pour la paix en Israël-Palestine.</p>
<p>L’humour peut aussi être un moyen de surmonter les violences vécues au quotidien. Joann Sfar propose par exemple « la nouvelle blague juive », présentée en ouverture de cet article, pour dire que « ça ne va pas ». Cependant, l’humour ne doit pas faire oublier que <a href="https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-legicom-2015-1-page-39.htm#no11">certains propos peuvent être antisémites</a> s’ils stigmatisent une population (à travers une tradition, des traits physiques, etc.), même s’ils sont pensés pour faire rire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">L’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/217330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solveig Hennebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vague de comportements et attaques antisémites de ces dernières semaines doit être analysée dans l’histoire longue de l’antisémitisme ordinaire en France.Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2187392023-11-29T17:25:13Z2023-11-29T17:25:13ZDes affaires « Thomas » à « Mourad », une inquiétante libération de la parole raciste<p>Les récents événements, ratonnades à Romans sur Isère, <a href="https://www.slate.fr/story/256848/mort-thomas-agression-mourad-concurrence-politique-faits-divers-france">récupérations politiques</a> suite à la mort du jeune Thomas à Crépol et l’agression de Mourad dans le Val-de-Marne mais aussi les tags, comportements, agressions <a href="https://theconversation.com/comment-le-racisme-et-lantisemitisme-salimentent-aujourdhui-193740">racistes antisémites ou islamophobes</a>, témoignent <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/mort-de-thomas-a-crepol-pour-rn-et-reconquete-un-horizon-de-guerre-civile-a-peine-voile-20231128_VFDH3ICMGFAJFGPX2IGTPUBSUY/">d’une transformation d’un certain nombre d’idées en actes</a>.</p>
<p>Chaque fois qu’une société se montre de plus en plus hostile à toute marque d’altérité, elle convoque un imaginaire fondé sur <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/linvention-de-la-tradition/">l’idéalisation d’un passé mythique</a>.</p>
<p>Les origines, la « communauté » deviennent alors des biens « menacés ». On recherche dans les traditions, dans les racines, parfois dans le sang, la vérité de l’identité. Il n’est pas rare alors de nourrir, sur le registre de la déploration, une <a href="https://editions.flammarion.com/contre-les-racines/9782081409460">nostalgie rance</a>. Et que déplorons-nous ? Que d’autres que nous viennent peupler nos paysages familiers, paysages géographiques et mentaux que nous ne reconnaissons plus, l’étranger les ayant dénaturés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>Ce refus de la rencontre, cette obsession de l’homogénéité ne restent pas dans les psychismes individuels. Ils nourrissent le ressentiment et s’incarnent politiquement dans des mesures répressives de contrôle des mouvements de population.</p>
<p>Tout particulièrement, lorsque les pouvoirs publics, comme la droite classique, entretiennent <a href="https://www.liberation.fr/politique/eric-ciotti-plus-a-droite-que-lextreme-droite-20231127_VDOYYNLN6BF3VEYRZLHLEY26O4/">l’illusion que le meilleur moyen de combattre l’extrême droite est de parler sa langue</a>.</p>
<p>Il convient d’analyser les mutations du climat intellectuel qui expliquent largement la libération de la parole raciste. Ce mouvement s’accomplit dans deux directions, l’islamophobie et l’antisémitisme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">De l’impensable au possible : comment le RN s’est inséré dans la société française</a>
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<h2>Du droit d’être islamophobe</h2>
<p>Pour la première d’entre elle, il est significatif que certains intellectuels aient réclamé, au nom de la liberté d’expression, le droit d’être islamophobe.</p>
<p>Pascal Bruckner, parmi d’autres, auteur de <em>Un racisme imaginaire. Islamophobie et culpabilité</em> (Grasset, 2017), n’hésite pas à <a href="https://www.licra.org/lislamophobie-une-arme-dintimidation-massive">prétendre</a> que « l’accusation d’islamophobie n’est rien d’autre qu’une arme de destruction massive du débat intellectuel, digne de ce qui se faisait contre “ les ennemis du peuple ” en Union soviétique » !</p>
<p>Le Conseil de l’Europe a pourtant, dès 2005, défini ce terme :</p>
<blockquote>
<p>« Peur ou préjugés à l’égard de l’islam, des musulmans et des questions qui les concernent, prenant la forme de situations quotidiennes de racisme et de discrimination. »</p>
</blockquote>
<p>Comment, en effet, ne pas voir que les mécanismes de l’essentialisme racisant sont ici repérables : <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/islamophobie-9782707189462">l’islamophobie</a>, en effet, construit une identité définitive, négativement attribuée à tous les musulmans.</p>
<p>Mais certains auteurs, appartenant le plus souvent à des courants rationalistes et/ou anticléricaux, revendiquent le terme pour désigner la critique de l’islam en tant que religion et, donc, défendent la légitimité de son rejet. La phobie, pourtant, ne peut être comprise comme un simple rejet.</p>
<p>Il y a surtout la peur et l’effroi suscités par la perception d’une menace. Bref, peut-on avoir peur de l’islam sans craindre les musulmans ? En définitive, ne contribue-t-on pas ainsi à occulter les discriminations dont les musulmans sont victimes ?</p>
<p>Ces discriminations – que de nombreux « républicains » autoproclamés, ont du mal à reconnaître – prennent des contours parfois <a href="https://theconversation.com/fr/topics/les-couleurs-du-racisme-121322">insidieux</a>, dont témoignent sans ambiguïté <a href="http://marieannevalfort.com/wp-content/uploads/2017/05/Panthe%CC%81onSorbonneMagazine2015_VALFORT.pdf">depuis plusieurs années</a> diverses <a href="https://www.liberation.fr/societe/violences-emploi-logement-ce-que-revele-le-premier-rapport-sur-les-discriminations-en-france-20231128_D5T5OUOXZBDNRLHUFMIUAZ3B74">enquêtes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecole-de-la-republique-est-elle-islamophobe-52729">L’école de la République est-elle islamophobe ?</a>
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<h2>Un « racisme de résistance » assumé</h2>
<p>Ce processus d’aveuglement au racisme dont les musulmans sont victimes trouvent le renfort d’une <a href="https://theconversation.com/controverses-pourquoi-la-notion-de-la-cite-perturbe-le-debat-public-216654">interprétation contestable de la laïcité</a>, laquelle relativise sa dimension de pacification pour privilégier celle d’émancipation : la philosophie implicite est qu’il convient de combattre par la raison l’obscurantisme religieux.</p>
<p>Dans son livre de 2017, <em>Philosophie libérale de la religion</em> (titre de la récente traduction française), <a href="https://www.cairn.info/philosophie-liberale-de-la-religion--9791037028990.htm">Cécile Laborde</a> montre que l’objet privilégié de la laïcité française, durant les trois dernières décennies, est le religieux pathologique ou, si l’on préfère, le religieux dangereux. Cette vision de l’islam semble pourtant très éloignée de la <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2017-4-page-599.htm">pratique du croyant ordinaire</a>.</p>
<p>Ce n’est pas un hasard si le Front national devenu Rassemblement national s’est <a href="https://www.marianne.net/politique/le-pen/presidentielle-pourquoi-le-programme-de-le-pen-transgresse-laicite-et-liberte-de-conscience">emparé de la laïcité</a> pour la transformer en valeur patrimoniale.</p>
<p>L’islamophobie se justifie ainsi, à l’extrême droite mais pas seulement, par une sorte de « racisme de résistance », c’est-à-dire attitude fondée sur l’hypothèse que l’influence islamique mettrait en péril nos valeurs, voire notre civilisation.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
<p>Il faut aussi souligner ce qui apparaît comme le produit d’une opération idéologique de stigmatisation des musulmans : la thèse du « nouvel antisémitisme ».</p>
<p>En avril 2018, <em>Le Parisien</em> publie le <a href="https://www.leparisien.fr/societe/manifeste-contre-le-nouvel-antisemitisme-21-04-2018-7676787.php">« Manifeste contre le nouvel antisémitisme »</a>, rédigé par Philippe Val et réunissant environ 300 signataires dont un ancien président de la République (Nicolas Sarkozy). À peu près simultanément, chez Albin Michel, paraît <a href="https://www.albin-michel.fr/le-nouvel-antisemitisme-en-france-9782226436153"><em>Le Nouvel Antisémitisme en France</em></a>, ouvrage collectif signé de quinze auteurs (et préfacé par Élisabeth de Fontenay). Le « Manifeste » et l’ouvrage dénoncent une épuration ethnique des Juifs dans certains quartiers, « à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau », épuration dont la responsabilité est attribuée à l’islamisme et, par amalgame, bien souvent aux musulmans.</p>
<p>Pourtant, invoquer un « nouvel antisémitisme » qui serait spécifiquement musulman, c’est contribuer à l’opération de blanchiment de l’extrême droite, dont la judéophobie serait en voie d’extinction.</p>
<p>Or, comme le défendait lucidement une tribune publiée par <em>Le Monde</em> peu après, le 3 mai 2018 :« La lutte contre l’antisémitisme doit être le combat de tous ».</p>
<p>Cette tribune fit l’objet des attaques de l’extrême droite, mais aussi de celles des nationaux-républicains, terme qui désigne <a href="https://journals.openedition.org/lectures/58369">l’idéologie du Printemps républicain</a> et de quantité d’autres organisations unies par la volonté de transformer le principe juridique de laïcité en valeur identitaire. Autrement dit de substituer l’exaltation de l’identité nationale à l’attachement aux principes universalisables de la devise républicaine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gZERxHEKiFg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Y a-t-il vraiment un « antisémitisme musulman » ? Médiapart, mai 2018.</span></figcaption>
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<p>Il ne s’agit évidemment pas de prétendre que les personnes de confession musulmane seraient exemptes de propos antisémites. Comment ignorer l’antisémitisme virulent porté par le djihadisme et auquel de jeunes musulmans sont parfois sensibles ? Ainsi que le souligne Claude Askolovitch, <a href="https://www.slate.fr/story/160777/manifeste-contre-nouvel-antisemitisme-logie-devastatrice">dans un article profondément juste</a>, le Manifeste, en exigeant de l’islam de France qu’il « ouvre la voie », « rend responsable chaque musulman de la violence de quelques-uns ». On peut, avec lui, se demander si « la passion nationale pour une laïcité de combat n’est pas un refus de notre part musulmane ». Et, ajoute-t-il :</p>
<blockquote>
<p>« On reproche d’abord aux musulmans d’être ici, d’ici. L’antisémitisme est un autre élément à charge de preuve : une bonne raison, progressiste, de détester celles et ceux, voilées, barbus, dont on ne veut pas. »</p>
</blockquote>
<p>Nous faisons nôtre sa conclusion :</p>
<blockquote>
<p>« Il est, dans le Juif, pour celui qui le hait, une licence à quitter l’humanité. Ce n’est ni nouveau, ni singulièrement, ni essentiellement musulman. »</p>
</blockquote>
<h2>L’inextinguible haine des Juifs</h2>
<p>L’idée, défendue depuis 2002 par Pierre-André Taguieff, selon laquelle l’antisémitisme a changé de nature en se parant des habits de l’antiracisme, c’est-à-dire en prenant la défense des Arabes et des musulmans, est non conforme au fait que les stéréotypes judéophobes s’accompagnent le plus souvent d’une image négative de l’islam et, plus généralement, nourrissent des opinions hostiles aux minorités, quelles qu’elles soient. Une étude quantitative, récemment menée en Allemagne, l’établit nettement. N’oublions pas le <a href="https://www.bmi.bund.de/SharedDocs/downloads/DE/publikationen/themen/heimat-integration/BMI23010-uem-frz.pdf">célèbre avertissement</a> de Fanon :« Noirs, quand on dit du mal des Juifs, tendez l’oreille, on parle de vous ».</p>
<p>Partout où le nationalisme progresse, que l’immigration arabe ou musulmane soit ou non présente, la haine des Juifs est réactivée et <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/04/12/orban-reecrit-lhistoire-de-la-shoah-en-hongrie/">emprunte des chemins balisés</a>.</p>
<p>Dans l’actuel contexte de guerre au Proche-Orient, la croissance spectaculaire des actes antisémites est profondément alarmante. Il devrait être clair pour tous que chercher à les dissimuler sous le masque de l’antisionisme n’est qu’un mécanisme opportuniste de recyclage de la haine.</p>
<p>La tentative de considérer <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/LOOS/59034">l’antisionisme comme antisémite par nature doit être vigoureusement dénoncée</a>. Il existe des critiques légitimes de la politique de colonisation d’Israël qui se disent antisionistes sans que leurs positions puissent être qualifiées d’antisémites. Ceci étant, le terme antisionisme ne devrait être utilisé que dans un sens bien précis : désigner ceux qui ont combattu le sionisme (ou n’y ont pas adhéré) avant qu’il ne se réalise dans la création d’un État pour les Juifs.</p>
<p>Son usage devrait être considéré comme obsolète : ou l’on critique la politique coloniale d’Israël (était-il anti-français de s’élever contre la puissance coloniale française ?) ou l’on veut la destruction de l’État et, alors, on est antisémite.</p>
<p>Qu’il s’agisse de l’antisémitisme ou de l’islamophobie, les formations extrémistes jouent des termes pour diffuser leurs idées et promouvoir la haine de l’autre et le refus de l’altérité. Les derniers événements l’illustrent. C’est dans cette perspective que le combat pour donner leur sens aux mots relève de l’exigence démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218739/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mutations du climat intellectuel expliquent largement la libération de la parole raciste notamment dans deux directions, l’islamophobie et l’antisémitisme.Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2130002023-10-11T10:49:39Z2023-10-11T10:49:39ZComment expliquer la violence des supporters ?<p>Dans la nuit du 7 au 8 août 2023, un match devant opposer Athènes à Zagreb produit des rixes entre aficionados : un <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/un-supporter-de-football-poignarde-a-mort-en-grece-une-dizaine-de-personnes-interrogees-11-08-2023-XS5UAGZUQVBZTDE5LOEBBSGF2Y.php">supporter grec est poignardé à mort</a>. Le 3 juin 2023, dans un stade de football en Corse, un père et son fils de 8 ans alors atteint d’un cancer du cerveau sont agressés par <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/ce-que-l-on-sait-de-l-agression-du-petit-kenzo-8-ans-fan-de-l-om-par-des-supporters-corses-3968157">trois supporters</a>. En septembre 2022 une rencontre entre Cologne et Nice conduit à des violences dans les tribunes : le <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/football-le-parquet-ouvre-une-enquete-apres-les-affrontements-entre-supporters-lors-du-match-nice-cologne_5351578.html">bilan fait état d’une trentaine de blessés</a>.</p>
<p>À l’échelle mondiale le football produit son lot quasiment hebdomadaire de faits divers au sujet de violences entre supporters. Alors chaque nouvel évènement chasse le précédent, l’écrase, crée l’oubli ou au mieux une trace. Bien sûr <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_catastrophes_survenues_pendant_un_match_de_football">quelques dates et de funestes bilans</a> demeurent dans les mémoires : le drame du Heysel en 1985 : 39 morts ; Lima en 1964 : 330 morts ; Le Caire en 1974 et Johannesburg en 2001 : 50 morts.</p>
<p>À quoi ressemble le stade de football si on ajoute à cet inventaire imparfait les usages de banderoles injurieuses dans les stades, des <a href="https://doi.org/10.3917/rai.029.0147">chants racistes</a> issus de certaines tribunes, des cris de singe provoqués par les prises de ballon de certains joueurs ? Mais est-ce surprenant de constater pareil spectacle dans les tribunes quand le problème se poserait également au niveau de certains clubs ou <a href="https://doi.org/10.3917/mouv.078.0081">dans les institutions fédérales</a> ?</p>
<p>Tout cela n’empêche pas le football de poursuivre sa domination en termes d’audience, d’investissements financiers, de couvertures médiatiques, d’identifications.</p>
<p>Une telle situation mériterait un examen mais observons ici précisément les faits de violences physiques parmi les fans. Comment peuvent-ils être violents sachant, en outre, qu’un arsenal législatif s’est notablement étoffé depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000509542">l’introduction de la loi Alliot-Marie du 6 décembre 1993</a> avec la création du Fichier national des interdits de stade en 2007, les interdictions judiciaires de stade ou de déplacement, les dissolutions ou suspensions d’activité d’associations de supporters ?</p>
<h2>Un théâtre de violences</h2>
<p>Les pratiques de spectacles sportifs dérivent donc sur des débordements, heurts et autres agressions caractérisées. Ces phénomènes soulèvent plusieurs questions. La première interroge la possibilité même de telles déviances au cours de situations festives, récréatives. La seconde nous rapproche des faits : pourquoi le stade et ses abords sont-ils un théâtre privilégié des violences ?</p>
<p>La troisième nous rapproche encore du sol raboteux des évènements : pourquoi tous les supporters ne sont-ils pas violents et pourquoi ceux-là le sont-ils ? Enfin, nous voilà au plus près du réel : pourquoi les supporters violents ne le sont-ils pas en permanence ?</p>
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<figcaption><span class="caption">PSG : la violence des supporters (Archive INA, 2006).</span></figcaption>
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<p>Répondre à ces questions m’a occupé plusieurs années car cela impliquait de mener des <a href="https://doi.org/10.3917/ds.292.0155;https://doi.org/10.4000/lectures.5587">enquêtes ethnographiques</a>, de dépouiller d’innombrables archives policières, de profiter des connaissances de collègues français et étrangers, de qualifier la situation du match et finalement de travailler les scènes des crimes. Que voit-on ?</p>
<p>Un stade rassemble une population hétéroclite. S’y côtoient en effet des professionnels du football (joueurs, techniciens, dirigeants), des <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2020-1-page-83.htm?ref=doi">arbitres</a>, des journalistes, des agents privés de sécurité, des employés du commerce du spectacle sportif, des forces publiques de l’ordre, des spectateurs.</p>
<h2>Une population hétérogène</h2>
<p>Ces derniers composent une population hétérogène, et c’est là que se trouvent les auteurs des violences. On distingue grossièrement plusieurs catégories. Il y a des individus dont la présence tient du hasard (une place gagnée ou offerte), de la curiosité ou de la nécessité (le stade permet de faire des affaires, de se montrer…). L’engagement n’a ici rien à voir avec le soutien à une équipe.</p>
<p>Dans les faits l’essentiel des tribunes est peuplé de spectateurs impliqués, regroupés et en de rares cas pratiquant le spectacle sportif en solo : ce sont les supporters. On retrouve ici l’un des ingrédients structurants <a href="https://doi.org/10.3917/rsss.008.0051">du supporterisme</a> : c’est une activité qui exclut le quant à soi et privilégie un engagement avec autrui (un ami ou plusieurs, un ou des membres de la famille, un voisin, un collègue).</p>
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<figcaption><span class="caption">Olympique de Marseille, ultras, historique « meilleurs moments » (YouTube).</span></figcaption>
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<p>D’un stade à l’autre ces collectifs de circonstance garnissent plus ou moins les stades. Ils les partagent cependant avec des pratiquants formant des groupes à part entière qui, parfois, occupent une tribune entière voire un espace particulier pensés comme un territoire possédé.</p>
<p>Ces groupes sont constitués en associations plus ou moins reconnues et dépendantes des clubs, des instances sportives. Présidées et organisées autour d’un bureau, ces associations de supporters colorent les stades. Elles contribuent à leurs paysages sonores et visuels grâce aux chants plus ou moins originaux entonnés, aux spectacles organisés avant et durant les matchs appelés <em>tifos</em>. Ces groupes rassemblent parfois plusieurs milliers de fans constitués en sections : l’audience d’un club pourrait se mesurer à leur nombre variant de quelques unités à plus <a href="https://doi.org/10.3917/socio.043.0291">d’une centaine et au-delà</a>.</p>
<p>Il y a néanmoins des styles partisans, et par conséquent des types variés d’associations intégrant une complexité sociologique d’engagements. Une majorité de clubs est ainsi soutenue par des associations indépendantes, affranchies de modèles de conduites imposés, organisées autour de manières d’être produites par le groupe lui-même. C’est là que nous retrouvons les mouvements ultras et hooligans d’<a href="https://doi.org/10.3917/pouv.101.0075">inspirations anglo-saxonne et latine</a>. Ici aussi les fans pratiquent collectivement leur activité, l’inscrivent dans l’opposition aux clubs non soutenus. Mais il y a plus.</p>
<h2>De l’humour à la provocation</h2>
<p>Ces groupes sont principalement constitués de jeunes hommes de sexe masculin, d’horizons sociaux divers parmi lesquels on retrouve cependant une majorité de mâles issus des classes populaires. Ils se définissent premièrement à leur association elle-même, à l’usage de la provocation, de l’humour qui graduellement peut aussi verser vers l’intimidation et la violence, voire la confrontation à d’autres groupes indépendants.</p>
<p>Pour les ultras le soutien au club est indéfectible : il faut assister à tous les matchs à domicile et en déplacement, défendre les couleurs préférées et dénoncer les conséquences d’une marchandisation du football conduisant à en faire un produit.</p>
<p>Mais pour les ultras le groupe lui-même compte autant que le club choyé : on le rend visible grâce à des tifos plus spectaculaires les uns que les autres ; audible en le faisant chanter le plus possible ; lisible sur les réseaux sociaux et dans des fanzines fabriqués de manière artisanale. Ici les attachements sont structurants, se confondent et se répondent, se parent d’attributs qui font du groupe l’espace d’un supporterisme au-delà qui joue avec les règles. On doit au mouvement ultra les remarquables polyphonies et polychromies des tribunes, mais aussi les règlements de compte entre groupes du même style que ce soit dans les tribunes ou autour des stades. Bien sûr les violences proviennent également des hooligans pour qui la violence constitue un levier identitaire premier, un moteur des engagements émotionnels et par corps.</p>
<h2>On existe dans la partisanerie sportive locale</h2>
<p>L’établissement d’une sociologie des supporters autorise un éclaircissement des raisons de la violence. Bien sûr des faits échappent à une logique sociale parce que des passages à l’acte auraient à voir avec la consommation d’alcool ou de psychotropes. Mais en quoi la violence des stades est-elle sociale ? Qu’est-ce qui la distingue du fait divers ? Des explications générales défendent la nécessité d’affirmer une virilité, une suprématie nationale ou « raciale ».</p>
<p>Un regard plus circonstancié montre que les violences dépendent de logiques de groupes : on veut montrer que l’on existe dans la partisanerie sportive locale ou nationale, on défend un territoire, on joue avec la contrainte policière et l’autorité, on règle un contentieux passé comme l’agression d’un congénère ou le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/italie-un-vol-de-bache-dans-un-stade-romain-pourrait-declencher-une-guerre-d-ultras-en-europe">vol de la bâche du groupe</a> considéré comme le cœur dans la poitrine des supporters : dans ces cas la violence renforce et devient une ressource identitaire.</p>
<p>Préméditée, collective, elle se comprend, peut se réguler contrairement à ce passage à l’acte provenant d’une décision individuelle, dissimulée et pensée par son auteur comme un moyen de progresser dans un groupe. C’est ce qui rend la violence si difficile à éradiquer d’autant que sa gestion se heurte à des <a href="https://doi.org/10.3917/rfs.623.0451">impératifs économiques</a>. Et, peut-être aussi que, quel que soit le coût de la sécurisation des enceintes sportives, il sera toujours inférieur au profit qu’il procure quand assister à un spectacle sportif demeure une pratique sociale pacifiée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213000/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Williams Nuytens a reçu des financements de l'université d'Artois, de la région des Hauts-de-France, de l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure, de la Fédération Française de Football, de l'UFOLEP du Pas-de-Calais, de l'UFOLEP nationale, du Ministère de l'Enseignement Supérieure et de la Recherche, de l'APELS, de certaines villes et de certains comités sportifs, de la Ligue de Sport Adapté des Hauts-de-France...</span></em></p>Comment les supporters peuvent-être aussi violents sachant, en outre, que l’arsenal législatif s’est notablement étoffé ces dernières années ?Williams Nuytens, Sociologue, professeur des universités en Sciences et Techniques des APS, Université d'ArtoisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2142802023-10-02T18:21:12Z2023-10-02T18:21:12ZLaïcité ou islamophobie ? De la Belgique à la France, le brouillage des catégories racistes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/551433/original/file-20231002-15-1c63zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C31%2C4230%2C2803&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les différentes acceptions de laïcité et de neutralité, dans l'espace belge ou français, rendent parfois les discours politiques confus.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/photographie-en-accelere-de-personnes-marchant-sur-une-voie-pietonne-842339/">Pexels/Mike Chzi</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les polémiques autour de l’islam ont de nouveau agité la rentrée scolaire française, notamment en raison de l’<a href="https://o-re-la.ulb.be/analyses/item/4446-le-caract%C3%A8re-%C2%AB%20religieux%20%C2%BB-de-l%E2%80%99abaya-au-del%C3%A0-de-la-pol%C3%A9mique-fran%C3%A7aise.html">interdiction du port de l’abaya à l’école</a>. En Belgique aussi, le sujet crispe.</p>
<p>Début septembre, la militante Nadia Geerts dénonçait la présence d’une salle de prière clandestine dans les locaux de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui a ensuite déclaré l’interdiction de ce lieu. Cette décision a déclenché de <a href="https://www.7sur7.be/belgique/prieres-a-lulb-des-etudiants-denoncent-une-polemique-islamophobe-br%7Eae745c7e/">vives réactions</a> d’opposition, notamment de la part de jeunesses politiques et de syndicats étudiants.</p>
<p>Le monde politique bruxellois a lui aussi été éclaboussé par une <a href="https://www.lesoir.be/535320/article/2023-09-05/polemique-autour-de-la-nomination-dune-echevine-voilee-molenbeek-le-centre">controverse</a> suite au refus du parti libéral (Mouvement réformateur) de soutenir la nomination d’une échevine voilée au sein de la commune de Molenbeek. Ces polémiques ont en commun de faire circuler un terme dont le sens est en négociation permanente entre acteurs médiatiques, militants et politiques : <a href="https://www.lalibre.be/debats/edito/2023/09/01/le-rapide-proces-en-islamophobie-JOG4YKM3R5BFJNNXCJF6BXJWKI/">l’islamophobie</a>.</p>
<h2>L’islamophobie, un terme mouvant</h2>
<p>Le terme <em>islamophobie</em> émerge entre la fin du XIX<sup>e</sup> et le début du XX<sup>e</sup> siècle et dispose de deux acceptions : un traitement différencié des musulmans dans l’administration coloniale française en Afrique occidentale et un préjugé contre <a href="https://www.cairn.info/islamophobie-comment-les-elites-francaises--9782707189462.htm">l’islam</a>.</p>
<p>Pourtant, il n’est mis que très progressivement en circulation dans le débat public sous l’influence des milieux britanniques antiraciste, politique et académique dans les années 1990 avant d’être complètement popularisé à la suite des attentats <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-1-page-13.htm">du 11 septembre 2001</a>. Aujourd’hui, malgré un usage croissant, la définition du terme reste instable et disputée. D’une intolérance de l’islam, le terme est devenu pour certains, l’expression d’une nouvelle forme de racisme.</p>
<p>Ainsi, dans les débats, le concept d’islamophobie vient régulièrement en charrier d’autres tels que celui de <a href="https://www.revuepolitique.be/laicite-neutralite-et-multiculturalite/">laïcité en France ou de neutralité en Belgique</a>, parce qu’il questionne en partie la place accordée aux revendications religieuses.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>La série « » laïcité » » s’attache à décrypter les possibles incompréhensions, les polémiques mais aussi usages de ce terme et de ce qu’il recouvre au sein du débat public.</em></p>
<hr>
<h2>Indétermination belge</h2>
<p>Contrairement à la France, la Belgique dispose d’une séparation souple entre religion et État qui autorise la reconnaissance et le financement des cultes et <a href="https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/2009-12_Sagesser_Le_financement_public_des_cultes.pdf">facilite les accommodements, notamment religieux</a>. En effet, le pays n’est pas un état laïc mais un état neutre où ce qu’il convient d’entendre par neutralité reste largement indéterminé et débattu. Les discours politiques sont souvent le lieu privilégié de ces débats où le terme <em>neutralité</em> recouvre des réalités très éloignées en fonction de la position idéologique du locuteur :</p>
<p>Cette indétermination rend donc aussi bien possible une restriction ou une permission de la <a href="https://www.shs-conferences.org/articles/shsconf/pdf/2022/08/shsconf_cmlf2022_01011.pdf">visibilité religieuse dans l’espace public</a>. Si l’islamophobie est aussi un objet de débat en Belgique, les discussions sont moins passionnées qu’en France parce que le concept circule dans un contexte où la place du religieux est moins contestée. <a href="https://hal.science/hal-03167194v1/file/CALABRESE_GUARESI_JADT2020.pdf">Des travaux</a> ont d’ailleurs montré que le terme <em>islamophobie</em> se trouve moins problématisé dans le débat belge que le débat français :</p>
<p>Cependant, ces polémiques autour de l’islam invitent à nous interroger sur l’évolution de la perception qu’une société a du racisme. En effet, lorsqu’on observe la circulation du terme au fil du temps, on constate un glissement de sens allant d’un préjugé religieux non condamnable à un nouveau racisme. Dans un article à paraître, nous montrons que ce glissement est visible dans le discours médiatique en même temps que le terme se généralise, notamment sous l’action d’acteurs antiracistes.</p>
<h2>Un nouveau racisme dans l’antiracisme ?</h2>
<p>Si la plupart des chercheurs s’accordent pour dire que l’islamophobie est une idéologie <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/rhpr_0035-2403_2012_num_92_2_1629_t13_0352_0000_2.pdf">semblable au racisme</a>, ce rapprochement entre les deux concepts n’a pas toujours explicitement prévalu dans les discours de l’antiracisme belge. Parfois niée, parfois revendiquée, l’assimilation entre islamophobie et racisme est plutôt le résultat d’une construction progressive de la part des acteurs antiracistes.</p>
<p>Ces derniers sont nombreux en Belgique francophone mais les deux principaux sont : <a href="https://www.unia.be/fr">Unia</a> et le <a href="https://mrax.be">Mrax</a>. Le premier est une institution publique indépendante qui existe depuis 1993 et le second, considéré comme l’équivalent du Mrap en France, est créé en 1950 par des résistants juifs. Du côté des associations dédiées à la lutte contre l’islamophobie, le pays dispose depuis 2014 d’un acteur emblématique : le <a href="https://islamophobia.be">CIIB</a>, précédé par Muslim Rights Belgium (MBR) en activité entre 2012 et 2014.</p>
<p>D’abord entendu comme une intolérance vis-à-vis de l’islam, le terme devient progressivement une <a href="https://www.unia.be/files/Documenten/Jaarrapport/01_rapportcentre.pdf">manifestation implicite du racisme</a> avant d’être considéré comme un racisme à part entière <a href="https://mrax.be/wp-content/uploads/2014/01/Rapport_Annuel-2010.pdf">au début des années 2010</a>.</p>
<h2>L’ambigüité du terme</h2>
<p>Ce rapprochement islamophobie-racisme n’empêche pourtant pas l’ambigüité du terme qui conserve une importante polysémie. À titre d’exemple, dans les discours du CIIB, l’islamophobie renvoie à la fois à un racisme, une peur de l’islam (entre 2014 et 2018) et une forme de violence à l’encontre d’une personne musulmane ou supposée telle.</p>
<p>Des tentatives pour réduire cette polysémie ont été développées, notamment chez Unia qui distingue en 2008 l’islamophobie infractionnelle de l’islamophobie non infractionnelle. Il peut s’agir tant de propos que d’actes punissables par la <a href="https://www.belgium.be/fr/justice/victime/plaintes_et_declarations/discrimination">loi belge anti-discrimination</a>. <a href="https://www.unia.be/files/Documenten/Jaarrapport/Rapport_Annuel_2008_-FR.pdf">Plusieurs exemples</a> en témoignent :</p>
<blockquote>
<p>« Suite à sa conversation à l’islam, une personne subit des coups et blessures de la part des membres de sa famille. »</p>
<p>« Dans le cadre d’une plaidoirie dans une affaire de divorce, un avocat entretient clairement des propos islamophobes afin de convaincre le juge de donner la garde au parent non musulman. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, cette distinction n’est pas toujours reprise par les autres acteurs qui, le plus souvent, tentent de faire reconnaître l’islamophobie comme un tout condamnable en la définissant par exemple comme <a href="https://islamophobia.be/wp-content/uploads/CCIB_PUBLIC_PDF_RapportActivitesCCIB/ccibrapport2015juin2016-160704133300.pdf">« une violation des droits de l’homme »</a>.</p>
<h2>Un concept en discussion permanente</h2>
<p>La polysémie du concept va également engendrer des discussions voire des crispations au sein de l’antiracisme belge (chez Unia et au Mrax) contraignant les acteurs à débattre de la dénomination islamophobie <a href="https://www.cairn.info/revue-langages-2018-2-page-105.htm">pour en négocier le sens</a>.</p>
<p>En effet, au Mrax notamment, le terme fait débat et divise le mouvement entre une branche plus universaliste et une autre plus favorable à la particularisation des racismes.</p>
<p>Elle perçoit dans le terme une tentative d’empêcher la critique du religieux. L’autre branche, plus particulariste, est plus encline à l’usage du terme. Ce débat renvoie de manière plus globale à un clivage désormais bien installé dans l’antiracisme entre universalistes et particularistes, pour plus de précisions sur ce débat, nous renvoyons vers un <a href="https://journals.openedition.org/traces/14416">travail paru antérieurement</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La question structurante de ces discussions est toujours de situer la frontière entre la critique du religieux et la haine des personnes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/45sjAjSjArQ">Unsplash/José Martin Ramirez Carrasco</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Ces moments de débat s’observent par le recours au métadiscours, ou autrement dit, les mots qui discutent le sens d’autres mots, que nous utilisons parfois dans des conversations courantes pour préciser <a href="https://mrax.be/wp-content/uploads/2014/01/MRAX-RAPPORT_ACT2005.pdf">nos conceptions sur un même objet</a>.</p>
<p>La question structurante de ces discussions est toujours de situer la frontière entre la critique du religieux et la haine des personnes. En effet, le terme <em>islamophobie</em> oblige les acteurs à des explicitations constantes dans lesquelles ils précisent que la phobie de l’islam ne peut être condamnable que lorsqu’elle induit des actes de discriminations à l’encontre de personnes.</p>
<p>Si ces débats existent pour l’ensemble des acteurs étudiés et témoignent d’un travail de cadrage du concept, ils sont progressivement neutralisés dans les discours d’Unia et du Mrax par l’assimilation islamophobie-racisme. En revanche, les acteurs de la lutte contre l’islamophobie ne cessent pas d’user de ce métadiscours qu’ils mobilisent comme un argumentaire en faveur de la dénomination. Il existe pourtant des dénominations alternatives, comme <a href="https://www-tandfonline-com.ezproxy.ulb.ac.be/doi/pdf/10.1080/014198799329305?needAccess=true">racisme anti-musulman</a>, mais qui ne parviennent jamais à s’installer durablement dans le débat public.</p>
<p>Le terme <em>antisémitisme</em> pourrait suggérer un débat similaire, pourtant il est absent des discours des différents acteurs, témoignant par là d’un terme moins problématisé et dont le sens semble déjà bien intériorisé.</p>
<h2>La plasticité des phénomènes sociaux</h2>
<p>Ce travail de cadrage peut également se comprendre par la plasticité des phénomènes sociaux accolés au terme <em>islamophobie</em>. Les controverses sur l’interdiction du port du voile en milieu scolaire ou professionnel ou sur l’interdiction de l’abattage rituel sont représentatives de cette réalité malléable. En étant tantôt exclues, tantôt incluses du champ de l’islamophobie, elles participent à brouiller les frontières du phénomène et à renforcer la nature polémique du terme.</p>
<p>Si l’accusation d’islamophobie gagne en légitimité jusqu’à permettre parfois une modification des règlements <a href="https://mrax.be/interdiction-du-port-du-voile-a-francisco-ferrer/">d’ordre intérieur et des actions en justice</a>, c’est parce que le concept à fait l’objet d’un cadrage de la part de différents acteurs sur le temps long.</p>
<p>En étant progressivement assimilée au racisme dans les discours de l’antiracisme belge, la notion d’islamophobie s’est appuyée sur un concept à la fois sémantiquement plus stable dans l’imaginaire collectif (bien que comme tous les concepts sociaux, il reste débattu), plus chargé historiquement et plus solide juridiquement.</p>
<p>Cependant, ce que ces récentes polémiques montrent surtout, c’est que nos représentations du racisme sont en train de changer. Si la dénomination <em>islamophobie</em> oriente déjà le débat vers un enjeu religieux en raison de son étymologie, elle a avant tout brouillé les catégories du racisme ordinaire en s’appliquant à des mesures de restriction de la visibilité religieuse.</p>
<p>L’assimilation islamophobie-racisme évacue alors progressivement du débat la question des motivations de ces mesures de restriction qui deviennent, à priori, considérées comme racistes. En définitive, les passions se déchaînent souvent sur ce concept parfois moins en raison de son instabilité sémantique que de la nouvelle conception du racisme qu’il induit et qui met sous pression nos sociétés sécularisées.</p>
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<p><em>À lire aussi</em> :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-cite-comment-les-enfants-la-percoivent-ils-151860">Laïcité : comment les enfants la perçoivent-ils ?</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/signes-religieux-a-lecole-une-longue-histoire-deja-212646">Signes religions à l’école, une longue histoire déjà</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-cite-lexception-nest-pas-la-ou-les-francais-la-voient-128338">Laïcité : l’exception n’est pas là où les Français la voient</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-la-cite-vertu-ou-principe-192262">La laïcité : vertu ou principe ?</a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/214280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurye Joncret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les débats, le concept d’islamophobie vient régulièrement en charrier d’autres tel que celui de laïcité en France ou de neutralité en Belgique.Laurye Joncret, Assistante doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096312023-09-03T14:21:20Z2023-09-03T14:21:20ZRacisme sexuel : quand les migrants gays asiatiques font face à la fétichisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539925/original/file-20230728-23-434fnd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C7695%2C5142&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le racisme sexuel se manifeste particulièrement sur les applications de rencontre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/SFUDMknYuuk">Jiang Xulei - 青 晨 / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« L’une des particularités des discriminations et du racisme qui touchent les populations asiatiques réside dans le fait qu’ils sont rarement dénoncés, débattus publiquement ou encore sanctionnés juridiquement. » Ces quelques lignes sont extraites des <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">conclusions</a> de l’étude <a href="https://www.migrations-asiatiques-en-france.cnrs.fr/projet-reactasie/resume-scientifique-du-projet-reactasie">REACTAsie</a>, publiée par le Défenseur des droits en mars 2023.</p>
<p>Cette étude a mis en lumière l’expérience du racisme et des discriminations vécues par les personnes originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est en France. </p>
<p>Celle-ci pénètre l’école, le <a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">travail</a>, l’espace public. Mais elle se glisse aussi dans l’intimité, jusque dans nos lits. Si, comme le souligne <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">l’étude</a>, « les hommes asiatiques subissent des stéréotypes liés à leur masculinité souvent déniée ou dévalorisée », les migrants gays asiatiques, eux, font l’objet d’une accumulation d’oppressions <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">entrelacées</a> en raison de leur statut migratoire, de leur orientation sexuelle et de leur condition de minorité raciale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1134028857416265728"}"></div></p>
<h2>Le rêve d’un « paradis gay »</h2>
<p>J’ai rencontré Jie (<em>NDLR : tous les prénoms ont été modifiés</em>) dans le cadre de ma <a href="http://dx.doi.org/10.13140/RG.2.2.14493.49129/1">recherche</a>. Celle-ci portait sur l’interrelation entre migration et sexualité chez d’(anciens) étudiants gays chinois en France. Jie s’identifie comme homosexuel, mais n’a pas encore fait son <em>coming-out</em> auprès de ses parents. Passionné par la culture étrangère, notamment occidentale, il a choisi d’étudier pendant sa licence en Chine la langue et la littérature françaises, avec le rêve d’étudier un jour en France. Y étant parvenu, Jie avait pour ambition d’obtenir un master, puis un doctorat, tout en cherchant à bénéficier d’une société <em>gay-friendly</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-touristes-lgbt-se-cachent-pour-mieux-voyager-163097">Comment les touristes LGBT+ se cachent pour mieux voyager</a>
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<p>La France, <a href="https://www.campusfrance.org/fr/ressource/chiffres-cles-2023">classée 6ᵉ</a> en matière du nombre d’étudiants internationaux accueillis en 2020, attire chaque année à peu près 30 000 étudiants chinois qui choisissent l’Hexagone pour diverses raisons : les frais d’inscription nettement moins élevés que dans les pays anglo-saxons, la qualité de l’enseignement supérieur, le riche patrimoine culturel et le diplôme occidental survalorisé sur le marché du travail chinois.</p>
<p>Pour certains, comme les Chinois LGBT+, la France est une destination d’études et d’installation particulièrement attrayante en raison de sa réputation de liberté. Comme Jie, de nombreux hommes gays en Chine perçoivent l’Occident comme un « paradis gay », où l’atmosphère est généralement plus libérale et tolérante, et où la reconnaissance juridique des minorités sexuelles est une réalité, avec le « mariage pour tous » souvent cité comme argument. Ainsi, il convient de souligner que la <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo27160091.html">quête de liberté sexuelle</a> est intrinsèquement liée à leur aspiration de <a href="https://www.theses.fr/2016ROUEL026">mobilité sociale ascendante à travers des études à l’étranger</a>.</p>
<h2>« Pas branché Asiatique » ou « J’adore les Asiat »</h2>
<p>Loin d’un environnement sociétal homophobe, les migrants gays chinois bénéficient d’une plus grande liberté sexuelle et ne ressentent plus le besoin de « cacher leur homosexualité », ce qui leur permet d’embrasser le « véritable soi-même ». Cependant, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, comme le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/une_minorite_modele_-9782348065125">racisme anti-asiatique</a>, dont sont également victimes leurs homologues hétérosexuels résidant en France. Même au sein de la communauté gay en France, les <a href="https://frictions.co/toutes-identites-confondues/la-couleur-du-desir/">Asiatiques subissent différentes formes de racisme sexuel</a> en raison de leurs traits phénotypiques ou de leur origine présumée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kEwuosHiwPE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le chercheur australien Denton Callander définit le <a href="https://doi.org/10.1007/s10508-015-0487-3">racisme sexuel</a> comme « une forme spécifique de préjugé racial qui s’exprime dans le contexte du sexe ou de la romance ». Il est <a href="https://doi.org/10.1080/13691058.2012.714799">prévalent sur les plates-formes de rencontres</a> sous l’effet de la <a href="https://doi.org/10.1089/1094931041291295">désinhibition en ligne</a>. Les rencontres en ligne, étant perçues comme anonymes, virtuelles et dépersonnalisées, favorisent une expression plus libre des attitudes, perceptions et stéréotypes concernant la « race » lors de la recherche de partenaires. De plus, ces applications encouragent souvent les utilisateurs à s’identifier avec des étiquettes raciales simplifiées et permettent de rechercher et de filtrer les profils en fonction de l’origine « ethnique », par exemple, Asiatique, Noir, Latino, Blanc ou encore homme du Moyen-Orient (<a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/06/03/l-appli-de-rencontre-grindr-va-supprimer-son-filtre-de-recherche-par-origine-ethnique_6041640_4408996.html">bien que Grindr ait supprimé cette fonctionnalité en 2020</a>).</p>
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<p>Le racisme sexuel se manifeste non seulement par le rejet sexuel et la hiérarchisation, mais également par la fétichisation ou l’hypersexualisation des partenaires potentiels issus d’un groupe racialisé. Les gays chinois ou plus largement asiatiques rencontrent parfois des personnes qui affichent explicitement « Pas branché Asiatique ! » sur leur profil, ou qui répondent dès le premier message « Désolé, je ne m’intéresse pas aux Asiatiques. ». Jie a ainsi partagé son expérience :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rencontré des personnes [sur des applications de rencontres] qui, bien qu’elles ne soient pas nécessairement racistes, véhiculaient certains stéréotypes qui m’ont mis mal à l’aise. Certains semblaient croire que les Chinois ou Asiatiques en général étaient physiquement plus faibles et devaient adopter un rôle passif, efféminé, soumis et docile. Malheureusement, j’ai également reçu des messages racistes […], tels que “Tu sais masser ?”, “Salut, les Asiat m’excitent.”, “Je peux te baiser ? Je paie bien !”, “Les Asiatiques sont ici pour chercher du sexe avec les Blancs, pour se faire baiser par nous !”, etc. […] Cependant, ce type de messages ne venaient pas uniquement d’un groupe racial spécifique. J’ai reçu aussi des messages racistes d’individus arabes et noirs. »</p>
</blockquote>
<p>En revanche, il existe un autre type d’hommes (souvent) blancs, surnommés <a href="https://doi.org/10.1080/14443050009387602">« rice queens »</a> (littéralement, les « reines du riz »), qui sont principalement attirés par des Asiatiques et affichent sur leur profil des déclarations telles que « J’adore les Asiatiques ! ».</p>
<p>Effectivement, certains enquêtés, comme Xin (25 ans, diplômé de master), affirment être très vigilants à ce type de personnes soupçonnées d’être fétichistes, car ils ne savent pas « s’ils [les] apprécient en tant que personnes telles qu’ils sont ou simplement en raison de [leur] origine asiatique ». Cette méfiance découle de l’expérience de se sentir réduits à un objet exotique ou à une simple fantaisie sexuelle pour les « rice queens ».</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/ChpTye-jpZH","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p><em>Pour dénoncer le racisme sur les applis de rencontre, Miguel Shema, journaliste au <a href="https://www.bondyblog.fr">Bondy Blog</a>, a lancé le compte Instagram « Personnes racisées vs. Grindr »</em></p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CeQOv86A623","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Préférence ou racisme ?</h2>
<p>Des expériences similaires sont partagées, mais les points de vue sur ce phénomène se révèlent différents. Pour Peng, étudiant en master de 29 ans :</p>
<blockquote>
<p>« Il est très difficile de tracer une ligne de démarcation entre préférence et racisme, car il est impossible de connaître la véritable signification derrière ces mots. »</p>
</blockquote>
<p>Néanmoins, Romain, migrant qualifié de 35 ans, peut personnellement comprendre ce genre de comportements, y voyant « des préférences sexuelles individuelles et un moyen efficace de trouver des partenaires sexuels désirables », ce qui soulève aussi l’idéal libertaire du choix inhérent à l’idéologie démocratique occidentale.</p>
<hr>
<p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>Il semble que certains hommes gays non blancs ne considèrent pas la discrimination raciale entre partenaires sexuels comme une expression du racisme, parce qu’ils participent eux-mêmes à une forme d’attraction et de discrimination fondées sur la « race ». On entend également le terme « potato queen » (reine de la pomme de terre) pour désigner les Asiatiques qui ne sortent qu’avec des hommes blancs.</p>
<p>Les gays chinois ont également leurs propres « préférences » sur les plates-formes de rencontres. Certains ne répondent jamais aux messages des « Arabes ou Noirs résidant dans le 93 [Seine-Saint-Denis] », qu’ils perçoivent comme « pauvres, non éduqués ou réfugiés », tandis que d’autres « trouvent les Arabes charmants » en raison de leurs barbe, virilité et côté dominant. Ces « préférences » et stéréotypes sont largement influencés par les représentations médiatiques, les normes sociales et les expériences individuelles.</p>
<p>Comme le rappelle l’<a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/reactasie-num_02.pdf">étude REACTAsie</a>, une multitude de facteurs inextricablement liés agissent de concert pour produire des situations d’injustice. Ainsi, l’expérience du racisme sexuel vécue par les gays chinois ne peut être pleinement appréhendée si on l’isole d’autres paramètres. Il s’agit d’une facette seulement de l’expérience migratoire. Pour mieux comprendre cette dernière, il apparaît essentiel d’adopter une perspective <a href="https://anamosa.fr/livre/pour-lintersectionnalite/">intersectionnelle</a> tenant notamment compte des relations de pouvoir inégales liées à la race, au genre, à la classe sociale et au statut de citoyenneté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209631/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cai Chen a reçu des financements de la bourse Erasmus Mundus (2019-2021) et de la bourse MSH-ULB Seed Grant (2022-2023).</span></em></p>La France attire les migrants LGBT+ originaires de régimes oppressifs tels que la Chine. Une fois sur place, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, y compris le racisme sexuel.Cai Chen, Doctorant en anthropologie sociale, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094302023-08-31T17:58:02Z2023-08-31T17:58:02ZComment les groupuscules d’extrême droite se recomposent après Génération identitaire<p>La présence de groupuscules violents affiliés à l’extrême droite dans les rues de Lyon durant les émeutes de juin 2023, ou plus tôt, lors de rassemblements organisés (tel le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/quatre-questions-sur-le-comite-du-9-mai-autroise-a-manifester-dans-les-rues-de-paris-ce-week-end%205813786.htlm">comité du 9 mai</a>) tout comme la résurgence d’une <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-menace-terroriste-issue-de-lultradroite-en-france-et-en-europe/">menace terroriste d’ultra droite</a>, souligne une forme de recomposition de ces mouvements, pourtant mis à mal ces dernières années par une série de dissolutions.</p>
<p>En 2019, l’association le Bastion social avait en effet été dissoute suivi de Génération identitaire (GI) et l’Alvarium en 2021, puis des Zouaves en 2022. Quels effets sur les fragmentations et sur les restructurations locales des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/ultradroite-la-menace-est-elle-reelle-9374531">différents groupuscules et de leurs militants</a> ?</p>
<p>En prenant le cas de Génération identitaire, on s’intéressera à la manière dont se déroule une dissolution en interne et aux efforts déployés par l’organisation pour rester active.</p>
<h2>2012-2021 : les années GI</h2>
<p>GI est une association créée en 2012 par plusieurs cadres du réseau <a href="https://reflexes.samizdat.net/une-autre-jeunesse/">Une Autre Jeunesse</a>. Elle est constituée d’un bureau national qui dicte la direction politique du mouvement et d’un réseau d’organisations à travers la France (GI Paris, GI Lyon, GI Toulouse, GI Rouen, etc.). En 2017, l’organisation revendique <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2022-2-page-153.htm">3 500 adhérents (dont 300 militants actifs)</a> et on recensait environ une trentaine de sections actives contre moins d’une dizaine en mars 2021. Les sections locales de GI vont d’une part, <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-etdiversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">participer aux campagnes nationales</a> et, d’autre part, former leurs militants et mettre en place des actions politiques <a href="https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/intrusion-a-la-caf-de-bobigny-en-2019-condamnation-confirmee-pour-les-19-militants-de-generation-identitaire-29-09-2022-FHQ4FKWWCNFB7EN3BJWEYZPGYE.php">au niveau régional</a>.</p>
<p>Le 3 mars 2021, le Conseil d’État confirme la dissolution de l’association Génération Identitaire. Le décret de dissolution avance deux raisons principales, l’une idéologique :</p>
<blockquote>
<p>« [l’idéologie de GI incite à la] haine, à la violence ou à la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion. »</p>
</blockquote>
<p>L’autre est d’ordre organisationnel :</p>
<blockquote>
<p>« Génération identitaire » emploie […] dans son organisation, une symbolique et une rhétorique martiales, l’identifiant implicitement ou explicitement à une formation paramilitaire [et] démontrent la volonté d’agir en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043210363">tant que milice privée</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Concrètement, la dissolution interdit l’utilisation du nom « Génération identitaire ». Elle impose également une modification de l’identité des dirigeants, des méthodes et des objets de l’organisation. Il est donc impossible de recréer un « GI bis », avec les mêmes membres au bureau national et les mêmes actions d’agitation-propagande (banderole et fumigène) contre « l’islamisation de la France » et « l’immigration de masse ». À la suite du décret de dissolution et en attendant de reformer des organisations locales en accord avec la loi, le mouvement suspend toutes les actions militantes.</p>
<h2>Cohésion, sport, formation</h2>
<p>De façon générale, et pour permettre à l’ensemble des sections de maintenir une activité entre la dissolution (mars 2021) et la création officielle des nouvelles organisations locales (début 2022), le bureau national impose la mise en place d’un triptyque : cohésion, sport, formation. Ce triptyque existait déjà avant la dissolution. Cependant, là où sous GI, il était considéré comme un prérequis aux mobilisations collectives, il devient à partir de la dissolution l’activité principale des différentes sections.</p>
<p>D’abord, les actions de « cohésion » ont pour but de fédérer la communauté militante. Au niveau national, cela consiste à se rendre à la journée de la « fierté » parisienne ou lyonnaise. Au niveau local, cela peut consister en des week-ends de « cohésion ». L’objectif affirmé est de maintenir des expériences communes et par là des sociabilités militantes. Bien que le bureau national sépare les actions de cohésion des actions sportives dans son triptyque, ces dernières se retrouvent au cœur de la cohésion.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/P3tkdJcpD5w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire sur la jeunesse nationaliste et identitaire, France 3 ile de France, 2022.</span></figcaption>
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<p>Les week-ends organisés dans les sections locales sont l’occasion de pratiquer la randonnée ou de mettre en place des entraînements physiques (courses à pied, renforcement musculaire, courses d’obstacles, formation anti-agression, etc.). Au niveau national, on trouve les tournois de foot et de boxe organisés entre les fédérations chaque année.</p>
<p>Enfin, la formation passe par des activités ciblées localement : conférence, cercle de lecture, rédaction de communiqué, comportement à adopter en garde à vue, etc. Au niveau national, l’université d’été, qui a lieu au mois d’août, permet d’homogénéiser les connaissances de plus d’une centaine de participants. L’objectif de ce triptyque est de maintenir un style de vie basé sur la communauté, la fierté de sa culture et le dépassement de soi.</p>
<h2>La création de nouveaux groupes</h2>
<p>À la fin de l’année 2021, un ensemble de nouvelles organisations locales, qui s’appuient sur les anciennes sections de GI, commencent à voir le jour : « les Natifs » à Paris, « les Normaux » à Rouen, « les Remparts » à Lyon, « Furie française » à Toulouse, etc. Les groupes locaux les mieux implantés vont reprendre le système d’Une Autre Jeunesse (ancêtre de GI), c’est-à-dire un réseau composé de sections régionales qui possèdent leurs propres identités. Il existe toujours un bureau national, mais il prend des décisions officieusement et il n’y a plus de campagne nationale officielle comme cela a pu exister avec l’opération « Defend Europe » au sein de GI, qui consistait à s’opposer aux passages de migrants dans les <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">Alpes françaises</a> ou par la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Defend-Europe-loperation-anti-migrant-identitaires-Mediterranee-2017-08-02-1200867223">Méditerranée</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AN42o72wRoQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes (Euronews, 2021).</span></figcaption>
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<p>Sous l’effet de la dissolution, les nouveaux groupes se réorientent vers d’autres thèmes et essaient notamment de mener des <a href="https://www.liberation.fr/checknews/slogans-et-banderoles-que-sest-il-passe-lors-de-lintervention-a-rouen-de-la-militante-alice-coffin-20210617_MAVVMQNZMNCFRFHXGNVXCJX5B4/">actions « anti-woke »</a> et contre la « dictature sanitaire ».</p>
<p>Cependant, l’objectif premier est de continuer à porter le thème de la défense de l’identité européenne, c’est ce qui amènera la création d’une nouvelle association nationale en octobre 2022 <a href="https://argosfrance.org/">dénommée « Argos »</a>, en référence aux argonautes de la mythologie grecque. Il s’agit d’un mouvement communautaire qui vise à rassembler tous les Français de « souche européenne » et qui prône « le dépassement de soi, la communauté et l’aventure ».</p>
<p>Les activités communautaires nationales sont transférées à l’association « Argos » : Université d’été, tournoi de boxe, journée de la fierté, etc. Les activités militantes restent sous le contrôle des sections régionales, qui gardent leurs identités (« les Remparts » à Lyon, « les Normaux » à Rouen, etc.) et ne se confondent pas avec « Argos », contrairement à ce qui fut le cas au moment de la création de GI.</p>
<h2>Des espaces de socialisation</h2>
<p>Les locaux associatifs utilisés par les groupes régionaux de GI n’ont pas été dissous par le décret de mars 2021. Les Identitaires louent des locaux mais par l’intermédiaire d’<a href="https://www.rue89lyon.fr/2021/03/04/dissolution-locaux-identitaires-toujours-ouverts-lyon/">associations indépendantes de GI</a>. Ces lieux peuvent avoir plusieurs fonctions : permanence politique, conférence, formation militante, bar, salle de boxe, etc. Ce sont des espaces de socialisation importants, que ce soit pour les sympathisants et les militants Identitaires, mais aussi pour les sympathisants et les militants des autres organisations d’extrême droite qui peuvent se rendre dans ces « maisons de l’identité » (nom donné par les militants Identitaire à ces lieux). La référence en la matière étant bien évidemment « La Traboule », « la Maison de l’identité » lyonnaise. Au moment de la dissolution, seuls Lyon et Rouen occupaient un local.</p>
<p>Occuper ce type de lieu est un avantage politique indéniable pour s’implanter localement face aux organisations concurrentes d’extrême droite. C’est d’ailleurs ce qui explique que depuis une dizaine d’années, les sections de GI les plus importantes ont toutes essayé d’ouvrir leur local associatif.</p>
<h2>Un nouveau concurrent ?</h2>
<p>La réorganisation de l’espace politique d’extrême droite à partir d’avril 2021, avec notamment, la candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle et la création de son parti politique « Reconquête », ainsi que l’émergence de Génération Z (GZ), son organisation de jeunesse, va avoir des effets importants sur les sections locales de GI post-dissolution.</p>
<p>GZ est créée en février 2021 et va apparaître comme un concurrent direct de Génération identitaire, mais aussi des autres organisations politiques d’extrême droite (Action française, Rassemblement national de la jeunesse, etc.). GZ revendique <a href="https://www.lepoint.fr/politique/dans-les-coulisses-de-gz-les-jeunes-partisans-d-eric-zemmour-17-12-2021-2457340_20.php#11">6 500 membres</a> et réussi à s’implanter dans les régions où GI est déjà présent (Lyon, Paris, Rouen, Toulouse, Montpellier, etc.).</p>
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<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes, Euronews, 2021.</span></figcaption>
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<p>L’éclosion de GZ modifie les rapports de force au sein de cet espace politique. Ainsi, Génération Z constitue un concurrent de poids, mais apparaît également comme un réservoir militant incontournable et attire les convoitises des autres groupes de jeunesses d’extrême droite. Ceci permet par exemple d’expliquer les stratégies d’entrisme mise en place par Furie française (ex-GI Toulouse) en direction de GZ Occitanie. L’objectif étant d’y recruter les meilleurs profils.</p>
<p>En définitive, la dissolution de la marque « Génération identitaire » a clairement limité ses capacités d’actions et son rôle de lanceur d’alerte. Cependant, ce mouvement a pu s’appuyer sur ses structures communautaires locales pour maintenir une activité et relancer de nouveaux projets. Toujours est-il que pour le moment, le potentiel de mobilisation et l’écho médiatique des Identitaires se limite au niveau <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/qui-est-le-groupuscule-furie-francaise-a-toulouse-8328681">régional</a> et reste donc largement en deçà de ce qu’a pu proposer GI. Néanmoins, cela n’empêche pas les militants appartenant aux nouvelles sections locales Identitaires, de venir gonfler les rangs de l’ultra droite lors des <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/a-lyon-quatre-blesses-dans-des-affrontements-entre-manifestants-et-militants-dextreme-droite-20230622_WWVV6HLAIZCUDIBSO4SAHI5Q3A/">récentes manifestations</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Mitrevitch s'intéresse au maintien de l'engagement militant à l'extrême droite. Entre 2016 et 2022, il a réalisé une enquête éthnographique à découvert, avec plusieurs fédérations de Génération Identitaire à travers la France.</span></em></p>Les groupuscules d’extrême droite déploient plusieurs stratégies afin de se maintenir en activité, malgré les risques de dissolution, comme le montre l’exemple de Génération identitaire.Nicolas Mitrévitch, Doctorant en sociologie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2110222023-08-21T13:15:04Z2023-08-21T13:15:04ZSanté : la formation de sensibilisation aux réalités autochtones de Québec est inadéquate et contient des inexactitudes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541800/original/file-20230808-23-xrcjya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C8%2C1902%2C1290&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation demandant justice pour Joyce Echaquan à Montréal, en octobre 2020.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, a récemment déposé le projet de <a href="https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-32-43-1.html">loi 32</a>, qui vise à instaurer « l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux ».</p>
<p>Le projet de loi <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2023-06-09/securisation-culturelle-des-premieres-nations/quebec-depose-son-projet-de-loi.php">concerne l’adoption</a>, par le réseau de la santé et des services sociaux du Québec, d’une approche de sécurité culturelle envers les Autochtones qui prenne en compte leurs réalités culturelles et historiques.</p>
<p>Les efforts que déploie le gouvernement du Québec en cette matière ne sont pas les premiers. En novembre 2020, dans la foulée du <a href="https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1828421/coroner-joyce-echaquan-atikamekw-rapport-gouvernement-racisme-lacunes">décès de Joyce Echaquan</a> au Centre hospitalier de Lanaudière à Joliette, le gouvernement du Québec a instauré une <a href="https://www.ledevoir.com/societe/sante/589272/quebec-sensibilisera-les-travailleurs-de-la-sante-a-la-realite-autochtone">formation de sensibilisation aux réalités autochtones</a> de 90 minutes, obligatoire pour l’entièreté du corps employé du ministère de la Santé et des Services sociaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-principe-de-joyce-pour-une-approche-de-soins-securitaire-et-libre-de-discrimination-147826">Le principe de Joyce : pour une approche de soins sécuritaire et libre de discrimination</a>
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<p>Le but de cette formation est de sensibiliser rapidement le personnel soignant aux cultures autochtones afin d’améliorer la prise en charge des personnes des issues des Premières Nations et inuites. Elle a également pour objectif de <a href="https://cdn.ciussscentreouest.ca/documents/ciusss-coim/Coin_des_employes/Formations/DAA_FAQ_formation_sensibilisation.pdf">déconstruire les mythes et les préjugés</a> concernant les personnes autochtones, à favoriser une communication interculturelle efficace, et à permettre aux employés de mieux travailler avec les membres des communautés autochtones.</p>
<p>Toutefois, depuis le lancement du programme de formation, plusieurs leaders autochtones et professionnels de la santé ont élevé leur voix pour signaler que ce programme n’améliorait pas la sécurité culturelle des peuples autochtones et présentait même des risques à leur sécurité.</p>
<p>Légiférer sur les individus et les systèmes pour modifier les comportements et les attitudes est inutile sans des approches de sécurité culturelle bien développées, élaborées et mises en œuvre par les peuples autochtones.</p>
<h2>La formation</h2>
<p>En avril, nous avons contribué à l’organisation d’une table ronde sur la sécurité culturelle avec l’Environnement réseau pour la recherche sur la santé des Autochtones, le Bureau du Principe de Joyce, des universitaires autochtones, des patients partenaires et d’autres membres de la communauté à Montréal. Les participants de la table ronde ont réitéré les mêmes préoccupations, selon lesquelles le <a href="https://www.cbc.ca/news/indigenous/quebec-health-care-cultural-training-1.6593446">contenu de la formation obligatoire est inadéquat</a> et contient des inexactitudes.</p>
<p>De plus, le contenu de la formation omet les résultats importants et les appels à l’action de la <a href="https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1450124405592/1529106060525">Commission de vérité et réconciliation du Canada</a>, du rapport de la <a href="https://www.cerp.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport/Rapport_final.pdf">Commission Viens</a> et de <a href="https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1448633299414/1534526479029">l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées</a>. De façon encore plus flagrante, on remarque l’absence de toute référence au concept de sécurité culturelle, d’humilité culturelle, de racisme systémique, de même qu’au <a href="https://principedejoyce.com/fr/index">Principe de Joyce</a> — qui « vise à garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé ».</p>
<p>Dans cet article, qui se base sur notre expertise de recherche, nous affirmons que la formation québécoise n’atteint pas ses objectifs parce qu’elle repose sur trois postulats erronés quant au problème et à la solution proposée.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme tient une bougie et une photo de femme sur laquelle on peut lire : « Justice pour Joyce » (Justice for Joyce)" src="https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538367/original/file-20230719-19444-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un homme participe à une veillée pour Joyce Echaquan, décédée dans un hôpital en septembre 2020. Des dirigeants autochtones et des professionnels de la santé ont déclaré que la formation à la sensibilisation culturelle rendue obligatoire après sa mort n’améliorait en fait pas la sécurité des autochtones dans le système de santé du Québec.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Paul Chiasson</span></span>
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<p><strong>1. Le racisme est un problème individuel.</strong></p>
<p>À la suite du décès de Joyce Echaquan, la formation obligatoire a été présentée comme une solution au racisme et à la discrimination expérimentés par les personnes autochtones dans le système de santé. Toutefois, mettre l’accent sur une telle solution trahit une représentation fautive du racisme comme un problème de préjugés, d’attitudes et de connaissances individuels. En fait, la discrimination exercée par les professionnels de la santé ne doit pas être considérée comme une somme d’actes individuels, mais plutôt comme faisant partie de schémas plus larges de racisme institutionnel et systémique qui imprègnent la société et les individus à différents niveaux. </p>
<p>Les <a href="https://www.homelesshub.ca/resource/first-peoples-second-class-treatment-role-racism-health-and-well-being-indigenous-peoples">chercheurs</a> et les <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2013.09.006">universitaires</a> dans ce domaine affirment que le racisme dans les soins de santé doit nécessairement être considéré dans le contexte du colonialisme passé et actuel. </p>
<p>Il est démontré que les politiques coloniales d’assimilation étaient fondées sur une <a href="https://www.ccnsa.ca/525/Transformer_nos_r%C3%A9alit%C3%A9s___les_d%C3%A9terminants_de_la_sant%C3%A9__et_les_peuples_autochtones.nccih?id=179">idéologie raciste</a> qui présupposait l’infériorité des peuples autochtones. Ces politiques ont imprégné des structures et des stéréotypes racistes dans chacune des institutions de notre société actuelle.</p>
<p>Par exemple, au cours de l’enquête sur le décès de Joyce Echaquan, la <a href="https://www.coroner.gouv.qc.ca/fileadmin/Enquetes_publiques/2020-EP00275-9.pdf">coroner Géhane Kamel</a> a révélé que les mauvais traitements qu’elle a subis avaient eu lieu dans un environnement dépourvu de ressources culturellement appropriées, caractérisé par des pratiques inéquitables et au sein duquel les attitudes et propos racistes étaient tolérés.</p>
<p>S’attaquer au problème de la discrimination raciale dans les soins de santé implique de discuter franchement et ouvertement des réalités colonialistes et racistes contemporaines. Pour lutter contre le racisme systémique, nous devons aller au-delà des préjugés raciaux individuels et lutter contre les <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2013.09.006">inégalités de pouvoir structurelles</a>. En somme, le racisme systémique a besoin de solutions systémiques, et non individuelles.</p>
<p><strong>2. Le racisme, les préjugés et les stéréotypes peuvent être résolus grâce à une formation de sensibilité culturelle.</strong></p>
<p>Les stratégies éducatives qui sous-tendent la formation de sensibilisation aux réalités autochtones sont insuffisantes pour contrer le racisme et favoriser la sécurité culturelle. En effet, le programme de formation est basé sur une approche de sensibilité culturelle. Or, de nombreuses études suggèrent que ce type de formation peut <a href="https://doi.org/10.1093/intqhc/mzr008">renforcer les stéréotypes négatifs</a> envers les groupes concernés. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme assise, portant des lunettes et tenant des papiers, parle dans un micro" src="https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=570&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=570&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538370/original/file-20230719-19-ux8gy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=570&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dans son rapport, la coroner Géhane Kamel demande au gouvernement du Québec de reconnaître l’existence du racisme systémique et de s’engager à l’éliminer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, la sensibilité culturelle tend à se concentrer sur la connaissance de la culture d’un patient et à réduire son expérience du système de santé à une question de <a href="https://www.ccnsa.ca/525/Transformer_nos_r%C3%A9alit%C3%A9s___les_d%C3%A9terminants_de_la_sant%C3%A9__et_les_peuples_autochtones.nccih?id=179">différences culturelles</a>.</p>
<p>La recherche démontre que la <em>sécurité</em> culturelle est une meilleure approche pour favoriser le changement. Celle-ci appelle à examiner les <a href="https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2870-formations-securisation-culturelle-sante-services-sociaux.pdf">déséquilibres de pouvoir et les inégalités raciales</a> qui sous-tendent le système de soins de santé. Il s’agit d’une approche pour favoriser le changement qui s’éloigne du simple apprentissage d’une culture. Elle vise plutôt à aider le personnel à <a href="https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2870-formations-securisation-culturelle-sante-services-sociaux.pdf">examiner leurs propres croyances</a> et la façon dont celles-ci se manifestent dans leurs interactions avec les patients autochtones.</p>
<p>Plusieurs chercheurs proposent une conception de la sécurité culturelle comme une approche systémique de la transformation des soins de santé, une méthode qui va au-delà de la formation individuelle et qui fait appel aux organisations et à la société dans son ensemble pour appliquer les principes de la sécurité culturelle, de l’équité, de la justice sociale et de la décolonisation. Ainsi, les programmes de formation en sécurité culturelle autochtone devraient intégrer explicitement les notions de pouvoir, de privilège, de colonialisme et de racisme.</p>
<p><strong>3. La sécurité culturelle ne peut être réalisée sans impliquer les groupes concernés.</strong></p>
<p>Le processus de développement de la formation de sensibilisation n’a pas impliqué pas de façon significative les intervenants autochtones. Pourtant, la sécurité culturelle <a href="https://doi.org/10.2182/cjot.2012.79.3.4">suppose l’autonomie</a> et l’autodétermination des peuples autochtones par rapport à leurs services de santé.</p>
<p>La formation s’appuie sur <a href="https://www.cbc.ca/news/indigenous/quebec-health-care-cultural-training-1.6593446">relativement peu de perspectives et de voix autochtones</a>, par rapport au nombre de celles de professeurs non autochtones, par exemple. Ceci va à l’encontre du concept même de sécurité culturelle. Cela contredit également toutes les déclarations, <a href="https://www.vch.ca/sites/default/files/import/documents/VCH-AH-ICS_Resources_Workbook_JAN21.pdf#:%7E:text=Many%20Indigenous%20communities%20live%20by%20the%20principle%20of,empower%20and%20facilitate%20sustainable%20change%20with%20Indigenous%20communities">protocoles et principes</a> établis par les groupes autochtones au cours des dernières décennies, qui sont basés sur le principe « Rien sur nous, sans nous ».</p>
<p>La réalisation de la sécurité culturelle doit être guidée par les personnes qu’elle concerne. Celles-ci sont les seules à avoir l’expérience de vie nécessaire pour adéquatement définir la sécurité et la <a href="https://www.croakey.org/wp-content/uploads/2017/08/RAMSDEN-I-Cultural-Safety_Full.pdf">nature des soins souhaités</a>. </p>
<p>La sécurité culturelle des soins reconnaît l’expertise autochtone dans la conception de solutions adaptées aux besoins des personnes concernées. La <a href="https://cerpe.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/29/2016/08/Protocole-de-recherche-des-Premieres-Nations-au-Quebec-Labrador-2014.pdf">sécurité culturelle</a> <a href="https://fnigc.ca/fr/les-principes-de-pcap-des-premieres-nations/">s’appuie sur des principes</a> qui favorisent l’autodétermination des peuples autochtones et des valeurs telles que le respect, l’équité et la réciprocité.</p>
<p>En plus de ne pas résoudre les problèmes auxquels les peuples autochtones sont confrontés, la formation actuelle risque de marginaliser davantage ces populations en plus de contribuer à augmenter la discrimination dont elles font l’expérience, et d’alimenter la méfiance de ces peuples envers le gouvernement et les institutions.</p>
<p>Pour ces raisons, cette formation devrait cesser immédiatement. Pour créer un système de santé plus égalitaire, les peuples autochtones, les organisations et les professionnels de la santé — autochtones ou non — doivent avoir la possibilité d’élaborer des solutions fondées sur leurs connaissances culturelles, leurs expériences vécues et leur expertise collective. </p>
<p><em>Les auteurs de cet article tiennent à souligner les contributions importantes apportées à l’article par les membres du cercle de patients partenaires autochtones de l’Unité Soutien SSA Québec</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211022/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Claude Tremblay reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada, du Fonds de recherche du Québec — Santé et du Fonds de recherche du Québec — Société et culture.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alex M. McComber reçoit des fonds des IRSC pour le projet Pathways 3, mais ne reçoit pas de fonds personnels. Il est affilié avec Boehringer Ingelheim dans le Pathways Indigenous Advisory Committee, pour lequel il est rémunéré.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Georgia Limniatis a reçu des financements de l'Université McGill</span></em></p>Les formations de sensibilisation culturelle aux peuples autochtones destinées au personnel soignant se concentrent sur les préjugés individuels plutôt que d’attaquer les problèmes systémiques.Marie-Claude Tremblay, Professeure agrégée, Département de médecine familiale et de médecine d'urgence, Chercheuse à VITAM, centre de recherche en santé durable, Université LavalAlex M. McComber, Assistant Professor of Family Medicine, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2093802023-07-25T20:03:40Z2023-07-25T20:03:40ZUn nouveau rapport laisse penser qu’aucun effort sérieux n’est déployé pour mettre fin au profilage racial à Montréal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539373/original/file-20230725-17-ah5wvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C5%2C1891%2C1247&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Service de Police de la Ville de Montréal aurait encore du chemin à faire pour éradiquer le profilage racial au sein de son organisation.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Un nouveau rapport accablant <a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">que vient de rendre public le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur le profilage racial à Montréal</a> laisse penser que la Ville et ses forces de police <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1990437/spvm-interpellations-dagher-montreal-police">ont renoncé à lutter contre le problème</a>.</p>
<p>Mise à jour d’une étude réalisée en 2019, le rapport rédigé par quatre chercheurs indépendants engagés par le SPVM a révélé que les taux de profilage racial étaient identiques ou supérieurs à ceux enregistrés quatre ans plus tôt. En effet, les personnes noires, autochtones et arabes sont encore particulièrement susceptibles d’être interpellées par les forces de l’ordre.</p>
<p>Ainsi, le rapport souligne les problèmes non seulement du SPVM, mais aussi de l’administration municipale qui a promis depuis longtemps de mettre fin au profilage racial.</p>
<p>Le problème du profilage racial <a href="https://canadiandimension.com/articles/view/robyn-maynard-police-violence-legacy-of-racial-and-economic-injustice">remonte aux prémices de la surveillance policière</a> en Amérique du Nord. Cependant, il attire davantage l’attention du public depuis 10 ou 15 ans.</p>
<h2>L’histoire du profilage racial à Montréal</h2>
<p>Montréal est une ville marquée par une <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers</a>. La mort de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">Fredy Villanueva</a>, tué par la police dans un parc en 2008, a déclenché des rassemblements de grande envergure. La tournure des événements a pris une telle ampleur, en partie parce que le drame s’est produit au cœur d’une campagne de maintien de l’ordre incroyablement raciste dans un quartier du nord-est de la ville.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme pleure dans une poignée de mouchoirs" src="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lilian Villanueva, mère de Fredy Villanueva, réagit au rapport du coroner sur la mort de son fils lors d’une conférence de presse en 2013 à Montréal. Villanueva a été abattu par la police dans un parc de Montréal en 2008.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un <a href="https://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/profilage-racial-et-discrimina-1">rapport long et accablant</a> de la Commission des droits de la personne du Québec sur le profilage racial a suivi en 2011, tandis qu’une série de rapports plus courts ont été publiés au cours des cinq années suivantes.</p>
<p>Bien que ces manifestations et ces rapports aient interpellé le SPVM, la lutte contre le profilage racial incombe, en fin de compte, aux entités gouvernementales qui encadrent la police, notamment la Ville de Montréal.</p>
<p>La première véritable intervention de la Ville face aux critiques grandissantes à l’endroit du SPVM a été d’organiser une <a href="https://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6877,142735375&_dad=portal&_schema=PORTAL">grande consultation publique</a> sur le profilage racial en 2017. La consultation a permis à un grand nombre d’organismes communautaires, d’activistes et de chercheurs d’<a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">appeler à une réforme de la police</a>.</p>
<p>Parmi ces revendications figuraient le renforcement du contrôle et de la discipline au sein de la police, l’abolition des interpellations policières arbitraires et le transfert partiel du budget de la police à des initiatives de sécurité centrées sur la communauté.</p>
<p>La Ville a refusé ces demandes, mais a pris une mesure sans précédent en <a href="https://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/DOCCONSULT_20170519.PDF">demandant au SPVM de réaliser une analyse des interpellations policières par groupe racial</a>, un indicateur clé du profilage racial. Le SPVM a répondu favorablement à la demande et engagé rapidement les trois chercheurs indépendants pour la rédaction d’un rapport.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un manifestant vêtu d’un parka brandit une pancarte dénonçant le profilage racial par la police" src="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des gens participent à une manifestation à Montréal en février 2021 et demandent justice pour un homme noir qui a été arrêté à tort par la police et emprisonné pendant six jours ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>À quand des mesures ?</h2>
<p>D’une certaine manière, la Ville a repoussé le moment d’agir. Les Montréalais ont été informés que <a href="https://ocpm.qc.ca/sites/default/files/pdf/P100/8-27_Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">des mesures concrètes seraient décidées après une évaluation plus détaillée du problème, mais que des initiatives seraient prises prochainement</a>.</p>
<p>Entre-temps, une nouvelle administration municipale est entrée en fonction. Valérie Plante a été élue mairesse et son parti, Projet Montréal, a remporté une majorité de sièges lors des élections de novembre 2017. Après l’élection, la <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/montreal-police-report-fail-address-racial-profile-1.4416461">mairesse a annoncé</a> que la lutte contre le « profilage social et racial » constituerait une priorité pour son administration.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme aux cheveux bruns fait des gestes avec ses mains alors qu’elle parle dans un microphone" src="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La mairesse de Montréal Valérie Plante s’exprime lors d’une conférence de presse à Montréal en août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’analyse des interpellations policières promise en 2017 a finalement été achevée en 2019. Communément appelée <a href="https://spvm.qc.ca/upload/Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">rapport Armony</a>, l’étude a conclu que les personnes noires et autochtones étaient plus de quatre fois plus susceptibles que les personnes blanches d’être interpellées par la police, tandis que les personnes arabes l’étaient deux fois plus.</p>
<p>Lorsqu’on examine les données en fonction du genre, soulignaient également les auteurs, on observait que les femmes autochtones étaient 11 fois plus susceptibles d’être interpellées que les femmes blanches.</p>
<p>Une fois l’évaluation terminée, la Ville se devait d’agir. Cependant, plutôt que de tenir compte des revendications de la communauté, l’administration de Projet Montréal a investi ses espoirs dans une nouvelle politique d’interpellation policière.</p>
<p>La politique, instaurée en juillet 2020, précise que les interpellations policières ne doivent pas être discriminatoires et qu’elles doivent se fonder sur des « faits observables » qui justifient l’interpellation. Cette politique a été largement critiquée à l’époque, car elle ne faisait que reprendre les dispositions antidiscriminatoires de la Charte canadienne des droits et libertés.</p>
<p>De nombreuses personnes (<a href="https://montrealgazette.com/opinion/opinion-new-montreal-police-policy-wont-stop-racial-profiling">y compris moi-même</a>) ont également fait remarquer que la police pouvait toujours trouver des « faits observables » pour justifier une interpellation motivée par d’autres critères discriminatoires.</p>
<h2>Soutien à la police</h2>
<p>Depuis 2020, l’administration de Valérie Plante a vanté à plusieurs reprises la politique d’interpellation policière comme un antidote efficace au profilage racial. Par exemple, Plante a cité la politique en février 2023, alors qu’elle était appelée à témoigner dans le cadre d’un recours collectif contre la Ville et le SPVM pour profilage racial.</p>
<p>Évoquant la politique, <a href="https://www.noovo.info/nouvelle/action-collective-pour-profilage-racial-temoignage-de-la-mairesse-de-montreal.html">elle a attesté</a> que son équipe était « très proactive et travaillait dur sur le profilage racial ».</p>
<p>Ce récit, déjà contesté, a été totalement discrédité lorsque le rapport actualisé sur le profilage racial a été publié en juin 2023.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme noir chauve fait des gestes pendant qu’il parle" src="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec, répond à une question lors d’une conférence de presse à Montréal en 2019 après qu’un juge ait autorisé un recours collectif contre la Ville pour profilage racial.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Paul Chiasson</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">Ce rapport</a> indique que les personnes noires sont aujourd’hui 3,6 fois plus susceptibles d’être interpellées par la police que les personnes blanches (une légère baisse par rapport à 2019), les personnes arabes sont 2,6 fois plus susceptibles d’être interpellées (une légère hausse) et les personnes autochtones sont maintenant six fois plus susceptibles d’être interpellées (une forte hausse). </p>
<p>Si quiconque s’attendait à un mea culpa de la part de la Ville concernant ses maigres efforts pour lutter contre le profilage racial, il y a de quoi être déçu, comme je le suis. Valérie Plante, qui a reconnu avoir été choquée par le rapport de 2019, n’a pas encore commenté publiquement les nouvelles conclusions.</p>
<p>Son collègue Alain Vaillancourt, membre du comité exécutif et responsable de la sécurité publique, s’est contenté de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/793501/malgre-un-rapport-extremement-critique-le-spvm-maintient-les-interpellations-policieres">dire qu’il soutenait le directeur de la police de la ville, Fady Dagher</a>, et qu’il se sentait « comfortable » avec son projet visant à changer la « culture » du SPVM. </p>
<p>Dagher a notamment refusé d’appliquer le moratoire sur les interpellations recommandé par les quatre chercheurs et s’est plutôt engagé à se concentrer sur l’amélioration du recrutement et de la promotion des policiers racisés, une <a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">mesure en vigueur au SPVM depuis 1991</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672250179611684864"}"></div></p>
<p>La réponse de la Ville au problème du profilage racial semble avoir franchi une nouvelle étape. Après avoir retardé la prise de mesures en 2017 et mis en œuvre une nouvelle politique plusieurs ont jugé inefficace en 2019, la Ville semble se contenter de laisser le problème entre les mains du directeur de la police renoncer à son rôle de supervision de la police au nom de la population.</p>
<p>Dans une ville ayant une longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers, je ne m’attends pas à ce que cette position soit acceptée par la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209380/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ted Rutland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La réponse de la Ville de Montréal au nouveau rapport de la SPVM sur le profilage racial démontre peu de volonté de changer les choses.Ted Rutland, Associate professor, Geography, Planning and Environment, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2029332023-07-13T16:03:27Z2023-07-13T16:03:27ZInsécurité alimentaire : au-delà du prix des aliments, il faut s’attaquer aux obstacles systémiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520632/original/file-20230412-18-1auiz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C1905%2C1273&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une baisse des prix des denrées alimentaires pourrait immédiatement remédier au manque d'accès économique à la nourriture, mais ne s'attaquera pas aux causes profondes de l'insécurité alimentaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>L’augmentation des prix des aliments et la stagnation des revenus ont été identifiées comme des <a href="https://foodsecurecanada.org/fr/consommation-durable-pour-tous">obstacles majeurs à la sécurité alimentaire</a>. Environ une <a href="https://proof.utoronto.ca/resource/household-food-insecurity-in-canada-2021/">famille sur six, soit 15,9 % des foyers, au Canada souffre d’insécurité alimentaire</a>.</p>
<p>Les barrières économiques, comme les prix des aliments, ne sont pas les seuls obstacles à la sécurité alimentaire. Notre étude, publiée par le <a href="https://foodsecurecanada.org/fr/ressources-et-nouvelles/nouvelles-et-medias/rapport-de-recherche-une-consommation-durable-pour-tous">Réseau pour une alimentation durable</a>, montre que les barrières systémiques telles que le colonialisme, le racisme et d’autres systèmes d’injustice sont parmi les causes profondes de l’insécurité alimentaire au Canada.</p>
<p>Selon l’<a href="https://www.fao.org/3/y7352e/y7352e00.htm">Organisation pour l’alimentation et l’agriculture</a> des Nations unies, la sécurité alimentaire repose sur l’accès économique, physique et social à la nourriture.</p>
<p>L’accès <em>économique</em> implique des facteurs tels que le revenu, la pauvreté et l’accessibilité à la nourriture. L’accès <em>physique</em> est lié aux infrastructures et aux équipements tels que les routes et les transports. L’accès <em>social</em> consiste à s’assurer que les personnes ont accès à toutes les ressources nécessaires au sein de la société pour obtenir des aliments nutritifs et culturellement appropriés. L’insécurité alimentaire survient lorsque l’une de ses composantes est compromise.</p>
<h2>La sécurité alimentaire et ses obstacles interconnectés</h2>
<p>Nos travaux de recherche sur l’insécurité alimentaire révèlent trois obstacles majeurs qui entravent l’accès aux aliments :</p>
<ul>
<li><p>L’accessibilité financière ;</p></li>
<li><p>Les politiques qui perpétuent la disparité salariale et de richesse ; et</p></li>
<li><p>Les formes systémiques de discrimination telles que le colonialisme et le racisme.</p></li>
</ul>
<p>Les résultats démontrent que les personnes vivant avec un faible revenu nécessitent des solutions durables qui répondent de manière globale à toutes les formes d’accès à l’alimentation.</p>
<p>Notre étude a identifié la question de l’abordabilité comme le principal obstacle à l’accès à l’alimentation. L’<a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230221/dq230221a-fra.htm">Indice des prix à la consommation</a> montre que les prix des aliments ont augmenté de 10,4 % en 2022. De même, le <a href="https://cdn.dal.ca/content/dam/dalhousie/pdf/sites/agri-food/30083%20Food%20Price%20Report%20FR%20-%20Digital.pdf">Rapport annuel sur les prix alimentaires au Canada en 2023</a> indique que les prix des aliments se retrouvent au cœur des préoccupations des Canadiens et des Canadiennes, et a pour effet d’accroître la pression sur la sécurité alimentaire des ménages.</p>
<p>L’inégalité des revenus au Canada a augmenté au cours des <a href="https://www.conferenceboard.ca/hcp/caninequality-aspx/#:%7E:text=Key%20Messages-,Income%20inequality%20in%20Canada%20has%20increased%20over%20the%20past%2020,income%20Canadians%20also%20lost%20share">20 dernières années</a>. La <a href="https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/prestations/faire-demande-pcu-aupres-arc.html">Prestation canadienne d’urgence</a> (PCU) est une politique visant à réduire les effets de la perturbation de l’emploi pendant la pandémie. Pour de nombreuses personnes qui <a href="https://hungercount.foodbankscanada.ca/assets/docs/FoodBanks_HungerCount_FR_2021.pdf">participent au mouvement d’activisme alimentaire</a>, la PCU est un exemple de mesure de revenu de base pouvant remédier à l’inégalité des revenus. Cependant, les <a href="https://proof.utoronto.ca/resource/household-food-insecurity-in-canada-2021/">statistiques récentes</a> montrent qu’elle n’a pas amélioré la sécurité alimentaire pour ceux et celles qui en bénéficient.</p>
<p>Cela suggère que les politiques futures doivent mieux aborder les disparités de revenus. Les politiques doivent également aborder la raison pour laquelle certains groupes – comme les Autochtones, la nouvelle population immigrante et les personnes en situation de handicap – font systématiquement <a href="https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/reduction-pauvrete/document-information.html">partie des personnes vivant avec de faibles revenus</a>, par rapport à d’autres groupes.</p>
<h2>Discrimination, racisme et colonialisme</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="Première nation autochtone canadienne Wet’suwet’en pêchant le saumon près de la chute d’eau du canyon de Moricetown, en Colombie-Britannique" src="https://images.theconversation.com/files/514287/original/file-20230308-26-j0wigj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514287/original/file-20230308-26-j0wigj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514287/original/file-20230308-26-j0wigj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514287/original/file-20230308-26-j0wigj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514287/original/file-20230308-26-j0wigj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514287/original/file-20230308-26-j0wigj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514287/original/file-20230308-26-j0wigj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les communautés autochtones ont du mal à maintenir des pratiques telles que la chasse et la pêche, nécessaires à l’obtention d’une nourriture culturellement appropriée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>Divers systèmes de discrimination, tels que le racisme et le colonialisme, ont en outre un impact sur l’accès à la nourriture. <a href="https://proof.utoronto.ca/resource/household-food-insecurity-in-canada-2021/">Les groupes les plus touchés par l’insécurité alimentaire</a> au Canada sont les personnes autochtones (30,7 %), arabes et asiatiques occidentales (27,6 %) et noires (22,4 %). Notre étude souligne également que le racisme et le colonialisme ont un effet marqué sur la relation que les personnes <a href="https://www.ledevoir.com/societe/618969/des-mots-pour-mieux-dire-l-alliance-des-non-blancs">BIPOC</a> entretiennent avec la nourriture. Une personne ayant participé à l’étude a déclaré ce qui suit : </p>
<blockquote>
<p>Le colonialisme a un impact permanent sur la façon dont on perçoit la nourriture, les portions et nos relations avec la nourriture. Cet impact doit être remis en question afin qu’on puisse évoluer vers une consommation durable.</p>
</blockquote>
<p><a href="https://foodsecurecanada.org/fr/alimentation-pensionnat-autochtone">Le colonialisme historique et permanent</a> a séparé les peuples autochtones de leurs terres et de leurs systèmes alimentaires. Cela a créé des obstacles majeurs à l’accès aux aliments qui font partie intégrante de la santé et du bien-être des communautés autochtones. Ces communautés ont également des difficultés à maintenir des pratiques telles que la chasse et la pêche, nécessaires à l’obtention d’aliments culturellement appropriés. </p>
<p>Notre étude a également révélé que les initiatives communautaires menées par les personnes noires, de couleur et autochtones se heurtent à des obstacles dans l’obtention de subventions et de financements en raison des structures et processus eurocentriques inclus dans les procédures de demande et d’établissement de rapports. Cela limite le nombre de programmes spécifiques à la culture ou au patrimoine que les organisations peuvent offrir à leurs communautés.</p>
<h2>Une feuille de route vers la sécurité alimentaire pour tous</h2>
<p>Une baisse des prix des produits alimentaires pourrait immédiatement remédier au manque d’accès économique à la nourriture, mais ne s’attaquera pas aux causes profondes de l’insécurité alimentaire. Il est essentiel de s’attaquer aux obstacles systémiques pour garantir l’accès économique, physique et social à la nourriture pour tous, à tout moment. Ces trois types d’accès à la nourriture sont interconnectés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="un homme choisit de la nourriture dans un supermarché" src="https://images.theconversation.com/files/514289/original/file-20230308-24-tblgx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514289/original/file-20230308-24-tblgx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514289/original/file-20230308-24-tblgx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514289/original/file-20230308-24-tblgx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514289/original/file-20230308-24-tblgx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514289/original/file-20230308-24-tblgx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514289/original/file-20230308-24-tblgx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Il est essentiel de s’attaquer aux obstacles systémiques pour garantir l’accès économique, physique et social à l’alimentation pour tous, à tout moment.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les personnes qui ont participé à notre étude ont souligné certaines initiatives qui représentent un pas dans la bonne direction. Par exemple, en 2021, la ville de Toronto a approuvé le <a href="https://www.bfstoronto.ca/bfs-plan"><em>Toronto Black Food Sovereignty Plan</em></a> (Plan de souveraineté alimentaire pour les personnes noires de Toronto). Il s’agit d’un programme quinquennal dirigé par la communauté et axé sur la recherche et la création de solutions à long terme à l’insécurité alimentaire des personnes noires de Toronto.</p>
<p>L’une des personnes interrogées en a décrit l’importance :</p>
<blockquote>
<p>Le plan vise à défendre le droit des personnes d’ascendance africaine à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles et à construire leurs propres institutions pour faire progresser la capacité et la résilience des communautés en matière d’accès à l’alimentation.</p>
</blockquote>
<p>Il ne suffit pas d’identifier les obstacles systémiques à la sécurité alimentaire pour que les choses changent. Pour trouver des solutions à long terme, il faudra que les personnes élues et à la tête du secteur procèdent à des changements institutionnels majeurs. Comme le propose le <a href="https://www.fao.org/publications/sofi/2021/fr/">rapport de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture</a> des Nations unies (FAO), la lutte contre l’insécurité alimentaire passe par l’inclusion et la prise en compte des inégalités structurelles.</p>
<p>Notre étude affirme que toute solution doit être élaborée de manière démocratique, juste et inclusive. Ces approches devraient prendre en compte les connaissances traditionnelles autochtones et s’attaquer au racisme, au colonialisme et à d’autres systèmes de discrimination. Pour atteindre la sécurité alimentaire, les Canadiens et les Canadiennes doivent se concentrer sur les causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire et pas seulement sur les économies réalisées à la caisse de l’épicerie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202933/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nous remercions tout particulièrement Juliette Clochard du Réseau pour une alimentation durable pour la traduction de l'article original en français. Pour le rapport « Une consommation durable pour tous: Retour sur l'accessibilité des aliments produits durablement au Canada dans le contexte de la COVID-19 », le Réseau pour une alimentation durable a reçu du financement en vertu du Programme de contributions pour les organisations sans but lucratif de consommateurs et de bénévoles d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nous remercions tout particulièrement Juliette Clochard du Réseau pour une alimentation durable pour la traduction de l'article original en français. Pour le rapport « Une consommation durable pour tous: Retour sur l'accessibilité des aliments produits durablement au Canada dans le contexte de la COVID-19 », le Réseau pour une alimentation durable a reçu du financement en vertu du Programme de contributions pour les organisations sans but lucratif de consommateurs et de bénévoles d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.</span></em></p>Une baisse des prix des produits alimentaires pourrait immédiatement remédier au manque d’accès économique à la nourriture, mais ne s’attaquera pas aux causes profondes de l’insécurité alimentaire.Farzaneh Barak, Research scientist, School of Human Nutrition, McGill UniversityMonika Korzun, McCain Foundation Postdoctoral Fellow at Faculty of Agriculture, Dalhousie UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2084862023-07-10T15:44:53Z2023-07-10T15:44:53ZZoos humains : quand des expositions suisses déshumanisaient les Noirs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534046/original/file-20230626-5693-3vz70v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C5%2C1141%2C768&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comme les autres zoos humains, le "Village noir" de l'exposition nationale de 1896 à Genève mettait en scène les Africains de façon à les rabaisser. Il fût un terreau fertile pour les idées racistes
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://blog.bge-geneve.ch/le-village-noir-de-lexposition-nationale-de-1896/">Antoine Elie Chevalley</a></span></figcaption></figure><p>Après un séjour à Loèche-les-Bains, <a href="https://www.babelio.com/livres/Baldwin-Un-etranger-au-village-Corps-noir/1505518">James Baldwin écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« De mémoire d’homme et de toute évidence, aucun Noir n’avait jamais mis les pieds dans ce minuscule village suisse avant que j’y débarque. On me dit, avant mon arrivée, que je serais sans doute une “attraction” pour le village ; je pensais que cela voulait dire qu’en Suisse on voit peu de gens de mon teint, et aussi que les gens de la ville sont toujours quelque peu une “attraction” hors de la ville. Il ne me vint pas à l’esprit – peut-être parce que je suis un Américain – qu’il pouvait y avoir des gens, où que ce soit, qui n’ont jamais vu de Noir. »</p>
</blockquote>
<p>Cinquante ans avant que l’écrivain américain ne pose le pied dans les Alpes, environ <a href="https://libreo.ch/revues/didactica-historica/2018/didactica-historica-4-2018/c-est-la-fete-au-village-!-les-exhibitions-de-l-exposition-nationale-suisse-de-geneve-en-1896">deux tiers de la population suisse</a> ont visité un « Village noir » exhibant 200 Africains à Genève. Comment est-il possible que cette « exposition », visitée par deux millions de personnes soit tombée dans l’oubli ? Mais surtout, comment un pays tel que la Suisse a-t-il pu accueillir un « Village noir » ? Qu’est-ce que cela dit de la nation helvète ?</p>
<h2>Un « village noir » au cœur des Alpes</h2>
<p>Aujourd’hui, Genève est considérée comme l’une des capitales des droits humains. Mais en 1896, à l’occasion de la deuxième exposition nationale suisse, elle accueillait un zoo humain. Il y a très peu de références visibles à ce zoo, à l’exception d’une rue qui porte le nom de l’exposition « blanche » correspondante, le <a href="https://www.geneve.ch/sites/default/files/2022-03/monuments-heritage-raciste-colonial-espace-public-etude-2022-ville-geneve.pdf">« Village Suisse »</a>. Ce sont les travaux d’archive de plusieurs chercheurs, notamment <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Patrick-Minder--32514.htm">ceux de l’historien Patrick Minder</a>, qui ont permis de mettre au jour le premier « Village noir » suisse.</p>
<p>Habité par plus de 200 personnes venant du Sénégal, le village était situé à quelques rues de la place centrale de la ville, la plaine de Plainpalais. Pendant six mois, des visiteurs ont payé pour les observer en train de « vivre ». Leurs cérémonies religieuses étaient présentées comme des événements publics. Les touristes pouvaient prendre des photos avec la troupe africaine et se promener dans leur logement.</p>
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<p>Ce « Village noir » suscita des critiques dans deux camps. D’un côté, les tenants du point de vue « missionnaire » <a href="https://www.peterlang.com/document/1052283">demandaient</a> le respect des « indigènes » et condamnaient le comportement de visiteurs censés être civilisés. La critique restait limitée : ils <a href="https://www.chahut.ch/decoloniserlaville/episode/7c593b9f/2-inventer-le-sauvage">ne remettaient pas en question</a> le système des zoos humains en lui-même.</p>
<p>De l’autre, des groupes racistes se plaignaient du fait que les Sénégalais puissent se déplacer en ville. Ils craignaient une « invasion noire ». Y voyez-vous une quelconque similitude avec les discours politiques suisses contemporains ? L’idéologie raciste qui s’est propagée depuis le Parc de Plaisance est encore largement présente parmi nous.</p>
<h2>De la foire aux monstres au zoo humain</h2>
<p>Loin d’être une spécificité suisse, ces exhibitions humaines étaient courantes en Occident. Conçues comme des divertissements, elles furent inventées au début du XIX<sup>e</sup> siècle en Grande-Bretagne. Le principe de ces <a href="https://www.historyextra.com/period/victorian/freak-shows-podcast-general-tom-thumb-pt-barnum-john-woolf/">« foires aux monstres »</a> était d’exhiber des personnes considérées comme « différentes » en raison de leur apparence physique inhabituelle (personnes noires, de petite tailles, albinos, etc.) L’un des spectacles les plus célèbres en Europe était celui de Saartjie Baartman, la « Vénus Hottentote ». Elle avait été amenée d’Afrique du Sud en raison de sa forme corporelle non conventionnelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’histoire de Saartjie Baartman et de son exhibition comme « phénomène de foire » a été adaptée au cinéma par Abdellatif Kechiche en 2010.</span></figcaption>
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<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les zoos humains étaient devenus des <a href="https://theconversation.com/debate-welcome-to-the-new-old-global-age-of-weaponised-racism-126852">divertissements courants</a>. Ils firent alors leur entrée dans les expositions occidentales. La première exhibition ethnique de Nubiens eut lieu en 1877 à Paris – date à laquelle le terme de « zoo humain » semble avoir été utilisé pour la première fois.</p>
<p>Pour le public, l’expérience était comparable à une visite dans un zoo classique : il s’agissait d’observer des « animaux exotiques ». Les organisateurs recréaient d’ailleurs l’« habitat naturel » des sujets, comme c’est souvent fait avec les animaux (ici : huttes en terre, vêtements typiques, quelques rituels…)</p>
<p>Cette mise en scène était pensée pour simuler l’authenticité. Nourries d’un discours civilisationnel cherchant à justifier l’expansion et la domination coloniales, ces exhibitions ethniques exagéraient la représentation du « sauvage ». La prétendue brutalité de l’« indigène » était montrée à travers la mise en scène de sa « vie primitive ». Ces expositions ne présentaient pas la sauvagerie, <a href="https://www.si.edu/object/siris_sil_904393">elles en inventaient une</a> qui préparait le terrain pour légitimer de nouvelles colonisations et la domination de sociétés « barbares » et « non civilisées ».</p>
<p><a href="https://www.letemps.ch/opinions/suisse-exhibait-sauvages-geneve">Ces « indigènes » étaient des « acteurs » rémunérés</a>. Cela ne diminue en rien la violence inhérente au système, mais démontre son caractère performatif. Toutes les activités étaient en effet destinées à nourrir l’enthousiasme des Occidentaux pour l’exotisme : elles érotisaient le corps des femmes noires, déshumanisaient les hommes noirs et cherchaient à prouver leur force animale.</p>
<h2>Racismes scientifique et populaire</h2>
<p>Le tournant du siècle fut également la grande époque du racisme « scientifique », et les zoos humains fournissaient des « spécimens » aux eugénistes. Lors de l’Exposition nationale de Genève de 1896, le biologiste Émile Yung donna une <a href="https://www.geneve.ch/sites/default/files/2022-03/monuments-heritage-raciste-colonial-espace-public-etude-2022-ville-geneve.pdf">conférence</a> où il présenta des habitants du « Village noir ». Il compara la taille de leur crâne à celle d’un Genevois. Ce processus visait à démontrer que la taille du crâne affectait les capacités mentales et le niveau de civilisation. Ces idées furent <a href="https://www.letemps.ch/suisse/emile-yung-village-noir-deferlement-theories-racialistes">diffusées auprès des instituteurs</a>, amplifiant les stéréotypes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dxfbpnjUgUE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La sinistre histoire des zoos humains en Occident, de 1810 à 1940.</span></figcaption>
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<p>Les théories racistes sur le développement humain étaient au cœur des exhibitions ethniques, et elles avaient des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1070289X.2014.944183">objectifs éducatifs clairs</a>. Le racisme « scientifique » développé au sein des universités allait de pair avec le racisme populaire. Les zoos humains étaient des lieux où se rencontraient ces deux faces d’une même pièce.</p>
<h2>S’attaquer à l’héritage des zoos humains</h2>
<p>Les exhibitions humaines étaient le <a href="https://www.cairn.info/l-invention-de-la-race--9782707178923-page-303.htm">fruit de la pensée coloniale occidentale</a>. Le « Village noir » genevois ne fait pas exception. En effet, la <a href="https://www.geneve.ch/sites/default/files/2022-03/monuments-heritage-raciste-colonial-espace-public-etude-2022-ville-geneve.pdf">Confédération helvétique n’a jamais été à l’abri du colonialisme et du racisme</a>. L’installation d’un zoo humain au centre de Genève a servi à répandre et à renforcer le discours sur la supériorité occidentale, son droit à la domination, ainsi que le racisme, que de nombreuses élites politiques, économiques et intellectuelles suisses partageaient. Bien que ne possédant pas de colonies, le pays était aussi impliqué dans le colonialisme et le racisme que le reste de l’Occident.</p>
<p>Contrairement à d’autres pays, la Suisse n’a pas cessé ses exhibitions humaines durant l’entre-deux-guerres. Elle a même continué jusque dans les années 1960, où le cirque national Knie présentait encore le <a href="https://www.orellfuessli.ch/shop/home/artikeldetails/A1030462950?ProvID=10917751&gclid=Cj0KCQiAlKmeBhCkARIsAHy7WVt8zV9ADHtR7dqc3Zuhf0q2vx95ntE9mlpeIAa6YYCevT3Vf09eizkaAq0BEALw_wcB">« Völkerschauen »</a> (littéralement « spectacle des peuples »).</p>
<p>Cette situation est <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1070289X.2014.944183">symptomatique de l’absence de processus de décolonisation en Suisse</a>. En se présentant comme une entité extérieure à la colonisation, la Suisse n’a jamais regardé en face sa mentalité coloniale. Elle n’a jamais questionné ses représentations et ses discours racistes, et n’a donc pas pu les déconstruire.</p>
<p>Parler des zoos humains en Suisse ne devrait pas seulement intéresser les historiens. C’est une étape cruciale pour permettre à la société suisse de prendre conscience de son passé.</p>
<p>Cela ne peut que susciter une réflexion plus large sur les héritages du colonialisme aujourd’hui. Si nous gardons le silence sur les zoos humains, nous ne pouvons pas voir comment la visite d’un village massaï « typique » fait écho aux <a href="https://www.letemps.ch/opinions/suisse-exhibait-sauvages-geneve">vieilles habitudes coloniales de mise en scène de la vie rurale et « primitive »</a>.</p>
<p>L’incapacité à affronter une partie du passé perpétue également les schémas racistes. Ce n’est qu’en reconnaissant une histoire coloniale européenne commune, régie par la construction artificielle d’une supériorité de la blancheur, que la Suisse pourra s’attaquer à ses problèmes de racisme. Pour reprendre les mots de Baldwin, sans une telle réflexion, les Suisses continueront de s’arroger le luxe de regarder les autres comme l’Altérité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Letizia Gaja Pinoja ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sur le papier, la luxuriante et riche ville de Genève est l’une des capitales des droits humains. Pourtant, le travail d’historiens révèle une histoire plus sombre.Letizia Gaja Pinoja, PhD Candidate, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088992023-07-02T09:40:51Z2023-07-02T09:40:51ZLa répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises<p>Bien qu’elles nous surprennent chaque fois, depuis les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-ete-des-minguettes-1981-les-rodeos-de-la-colere-7720633">révoltes des Minguettes</a> dans les années 1980, les émeutes se répètent en suivant le même scénario : un jeune est tué ou gravement blessé par le police et les violences explosent dans le quartier concerné, dans les quartiers voisins, parfois, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-urbaines-comment-se-sont-deroulees-les-emeutes-de-2005_5919854.html">comme en 2005</a> et aujourd’hui, dans tous les quartiers « difficiles » qui se reconnaissent dans la victime de la police.</p>
<p>Depuis quarante ans, les révoltes urbaines sont dominées par la rage des jeunes qui s’attaquent aux symboles de l’ordre et de l’État, aux mairies, aux centres sociaux, aux écoles, puis aux commerces…</p>
<h2>Une rage et un vide institutionnel</h2>
<p>La rage conduit <a href="https://www.letelegramme.fr/morbihan/lorient-56100/nuit-de-violences-a-lorient-a-quoi-bon-detruire-leur-propre-quartier-6383853.php">à détruire son propre quartier</a> devant les habitants qui condamnent mais « comprennent » et se sentent impuissants.</p>
<p>Dans tous les cas aussi se révèle un vide institutionnel et politique dans la mesure où les acteurs locaux, les élus, les associations, les églises et les mosquées, les travailleurs sociaux et les enseignants avouent leur impuissance et ne sont pas audibles.</p>
<p>Seule la révolte des Minguettes en 1981 avait débouché sur la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/marche_egalite.pdf">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a>. Mais depuis, aucun mouvement ne semble naître des colères.</p>
<p>Enfin, dans tous les cas aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/mort-de-nahel-la-choregraphie-tres-classique-des-reactions-politiques_5888596.html">chacun joue son rôle</a> : la droite dénonce la violence et stigmatise les quartiers et les victimes de la police ; la gauche dénonce les injustices et promet des politiques sociales dans les quartiers. Nicolas Sarkozy avait choisi la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/emeutes-urbaines-quatre-questions-sur-le-precedent-de-2005-qui-est-dans-toutes-les-tetes-8489821">police en 2005</a>, Macron a manifesté <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/06/28/jeune-tue-a-nanterre-rien-ne-justifie-la-mort-dun-jeune-declare-emmanuel-macron-11306938.php">sa compassion</a> pour le jeune tué par la police à Nanterre, mais il faut bien dire que les hommes politiques et les présidents ne sont guère entendus dans les quartiers concernés.</p>
<p>Puis le silence s’installe jusqu’à la prochaine fois où on redécouvrira à nouveau les problèmes des quartiers et ceux de la police. </p>
<h2>Des leçons à tirer</h2>
<p>La récurrence des émeutes urbaines et de leurs scénarios devrait nous conduire à tirer quelques leçons relativement simples.</p>
<p>Les politiques urbaines ratent leurs cibles. Depuis 40 ans, de <a href="https://www.capital.fr/immobilier/emeute-les-vraies-raisons-de-lechec-de-politique-de-la-ville-1473031">considérables efforts ont été consacrés à l’amélioration des logements et des équipements</a>. Les appartements sont de meilleure qualité, il y a des centres sociaux, des écoles, des collèges, des lignes de bus… Il est faux de dire que ces quartiers ont été abandonnés.</p>
<p>En revanche, la mixité sociale et culturelle des quartiers s’est plutôt dégradée. Le plus souvent, les habitants sont pauvres, précaires, et sont immigrés ou issus des immigrations successives.</p>
<p>Mais surtout, ceux qui « s’en sortent » quittent le quartier et sont remplacés par des habitants encore plus pauvres et venant d’encore plus loin. Le bâti s’améliore et le social se dégrade.</p>
<p>On répugne à parler de ghettos, mais le processus social à l’œuvre est bien celui <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2016-3-page-415.htm">d’une ghettoïsation</a>, d’un clivage croissant entre les quartiers et leur environnement, d’un entre soi imposé et qui se renforce de l’intérieur. On fréquente la même école, le même centre social, on a les mêmes relations, on participe à la même économie plus ou moins légale…</p>
<p>Malgré les moyens mobilisés et la bonne volonté des élus locaux, on se sent hors de la société en raison de ses origines, de sa culture, de sa religion… Malgré les politiques sociales et le travail des élus, les quartiers n’ont pas de ressources institutionnelles et politiques propres.</p>
<p>Alors que les <a href="http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uoh/paris-banlieues/u4/co/-module_1.html">banlieues rouges</a> étaient fortement encadrées par les partis, les syndicats et les mouvements d’éducation populaires, les quartiers n’ont guère de porte-voix. En tous cas, pas de porte-voix dans lesquels ils se reconnaissent : les travailleurs sociaux et les enseignants sont pleins de bonne volonté, mais ils ne vivent plus depuis longtemps dans les quartiers où ils travaillent.</p>
<p>Cette coupure fonctionne dans les deux sens et l’émeute révèle que les élus et les associations n’ont pas de véritables relais dans les quartiers dont les habitants se sentent ignorés et abandonnés. Les appels au calme sont sans échos. Le clivage n’est seulement social, il est aussi politique. </p>
<h2>Un constant face-à-face</h2>
<p>Dans ce contexte, se construit un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/nanterre-on-assiste-depuis-une-trentaine-d-annees-a-ce-face-a-face-entre-la-police-et-une-ultra-minorite-de-jeunes-qui-abiment-nos-quartiers-deplore-mokrane-kessi-france-des-banlieues_VN-202306290630.html">face à face entre les jeunes et les policiers</a>. Les uns et les autres fonctionnent comme des « bandes » avec leurs haines et leurs territoires.</p>
<p>L’État est réduit à la violence légale et les jeunes à leur délinquance réelle ou potentielle. La police est jugée « mécaniquement » raciste puisque tout jeune est a priori suspect. Les jeunes haïssent la police, ce qui « justifie » le racisme des policiers et la violence des jeunes. Les habitants voudraient plus de policiers afin d’assurer un peu d’ordre, tout en étant solidaires de leurs enfants.</p>
<p>Cette « guerre » se joue habituellement à niveau bas, mais quand un jeune est tué, tout explose et c’est reparti pour un tour, jusqu’à la prochaine révolte qui nous surprendra autant que les précédentes.</p>
<p>Il y a cependant quelque chose de nouveau dans cette répétition tragique. C’est d’abord la montée de l’extrême droite, pas seulement à l’extrême droite, avec un récit parfaitement raciste des révoltes de banlieue qui s’installe, qui parle d’ensauvagement et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/jordan-bardella-si-monsieur-darmanin-veut-lutter-contre-l-islamisme-alors-il-faut-maitriser-l-immigration_VN-202306280290.html">d’immigration</a>, et dont on peut craindre qu’il finisse par triompher dans les urnes.</p>
<p>La seconde nouveauté est la paralysie politique et intellectuelle de la gauche qui dénonce les injustices, qui, parfois, soutient les émeutes, mais qui ne semble pas avoir de solution politique à l’exception d’une réforme nécessaire de la police.</p>
<p>Tant que le processus de ghettoïsation se poursuivra, tant que le face-à-face des jeunes et de la police sera la règle, on voit mal comment la prochaine bavure et la prochaine émeute ne seraient pas déjà là.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Dubet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des efforts pour améliorer les logements ont été réalisés dans les quartiers populaires, la mixité sociale et culturelle s'est dégradée. Reste un face à face entre les jeunes et la police.François Dubet, Professeur des universités émérite, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2059572023-05-19T13:20:24Z2023-05-19T13:20:24ZDiscrimination contre les étudiants africains francophones : Ottawa traine la patte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/527256/original/file-20230519-29-7hogjz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4950%2C3290&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, lors d'une conférence de presse, à Ottawa, le 19 avril 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Spencer Colby</span></span></figcaption></figure><p>La discrimination d’Immigration Canada à l’égard des étudiants noirs d’Afrique francophone est connue, documentée et dénoncée par des chercheurs et des <a href="https://theconversation.com/immigration-canada-discrimine-les-etudiants-dafrique-francophone-voici-ce-que-quebec-devrait-faire-pour-y-mettre-fin-193045">observateurs de la politique québécoise et canadienne</a> depuis plusieurs années. </p>
<p>Encore cette semaine, on apprend dans une étude de <a href="https://institutduquebec.ca">l’Institut du Québec (IDQ)</a> que le <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-05-18/permis-d-etudes-pour-etudiants-etrangers/la-moitie-des-demandes-pour-le-quebec-refusees-par-ottawa.php">fédéral refuse la moitié des demandes de permis d’études aux étudiants étrangers sélectionnés par le Québec</a> et acceptés par une université québécoise. Ce chiffre augmente à 72 % chez les étudiants africains.</p>
<p>La <a href="https://www.lesoleil.com/2022/08/18/les-etudiants-africains-francophones-encore-rejetes-a-la-tonne-ea7882fe4b2df8e99712539dadded58f/">dénonciation de cette discrimination</a> et de l’inaction du gouvernement fédéral dans ce dossier va bien au-delà du cercle des experts sur l’immigration. Elle a mobilisé les dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur francophones, des acteurs de la scène politique et de la société civile. </p>
<p>En tant que chercheurs dans les domaines de la sociologie politique et de l’étude sociologique et ethnologique des nationalismes et des relations interethniques, nous nous intéressons aux transformations sociales au Québec et au Canada, ainsi qu’aux représentations sociales de l’immigration. </p>
<p>À l’échelle globale, cette discrimination envoie un bien mauvais message aux partenaires du Canada dans la francophonie. À l’échelle canadienne, elle a un impact sur la vitalité des institutions des <a href="https://onfr.tfo.org/etablissements-francophones-refus-etudiants-africains-canada-ircc-trudeau-fraser/">communautés francophones hors Québec</a>. </p>
<p>À l’échelle québécoise, elle a un impact sur la vitalité des programmes des <a href="https://www.ledevoir.com/societe/676302/immigration-les-regions-plus-touchees-par-les-refus-d-etudiants-etrangers">institutions collégiales et universitaires en région</a>. Enfin à l’échelle montréalaise, elle a aussi un impact sur la vitalité des institutions d’éducation supérieure francophones et en particulier sur la capacité de l’Université du Québec à remplir sa mission sociale. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/immigration-canada-discrimine-les-etudiants-dafrique-francophone-voici-ce-que-quebec-devrait-faire-pour-y-mettre-fin-193045">Immigration Canada discrimine les étudiants d’Afrique francophone. Voici ce que Québec devrait faire pour y mettre fin</a>
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<h2>Québec a fait ses devoirs</h2>
<p>Cette situation était connue lors de la victoire du gouvernement minoritaire du Parti libéral du Canada en 2019. Elle l’était encore lors de la victoire du même gouvernement en 2021, toujours minoritaire. Et les données qui viennent d’être publiées par l’IDQ sont sans appel, la situation a perduré en 2022. </p>
<p>Des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1938205/etudiants-afrique-francophones-universites-canada-visa-etude">améliorations modestes à quelques endroits</a> n’inversent pas une tendance de fond qui est aussi têtue que tenace. Les données démontrent qu’en dépit des avertissements, des mobilisations et des enquêtes de nombreux journalistes, Immigration Canada se traîne les pieds. </p>
<p>Dans ce dossier, le gouvernement du Québec n’a pas toujours été à l’abri des critiques. La réforme de l’immigration pilotée en 2020 par Simon Jolin-Barrette <a href="https://theconversation.com/reforme-jolin-barette-comment-marginaliser-le-quebec-pour-les-nuls-126634">s’était attiré les critiques pour un ensemble de raisons</a>. L’une d’entre elles était une modification du programme de l’expérience québécoise qui venait ralentir, voir entraver, l’obtention de l’accès à la citoyenneté pour les étudiants étrangers faisant leurs études au Québec. </p>
<p>Or, la nouvelle ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette s’est montrée beaucoup plus <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1974221/immigration-legault-quebec-peq-frechette-etudiants">clairvoyante, informée et pragmatique</a>. Sa promesse de réorientation de la politique d’immigration du gouvernement caquiste est au diapason avec les milieux de l’enseignement supérieur. Ces milieux reconnaissent depuis longtemps l’importance de construire un TGV vers la citoyenneté pour les étudiants bénéficiant d’une expertise acquise à travers leurs études, leurs stages et leurs réseaux développés durant leur séjour au Québec. </p>
<h2>L’inaction d’Immigration Canada est incompréhensible</h2>
<p>Ce virage de la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration est au diapason avec les avis éclairés des institutions d’enseignement supérieur québécoises. Il apporte également de l’espoir au milieu de l’éducation supérieure francophone montréalais qui dénonce depuis plusieurs années le fait qu’il ne lutte pas à armes égales avec les institutions d’enseignement supérieur anglophones. </p>
<p>Ces dernières évoluent sur un marché complètement différent de celui des universités francophones. Depuis le déplafonnement des frais imposés aux étudiants étrangers, les institutions d’enseignement supérieur anglophones engrangent ainsi des revenus nettement supérieurs à ceux des institutions francophones. <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/787251/education-il-faut-sauver-la-mission-de-l-uqam">Comme l’ont dénoncé de nombreux acteurs du milieu de l’éducation</a>, cette inégalité systémique affecte grandement l’attrait des institutions francophones et la capacité du réseau de l’Université du Québec à remplir sa mission universitaire et d’intégration sociale. </p>
<p>Face à cet important changement de cap du gouvernement du Québec, l’inaction d’Immigration Canada ne peut faire autrement que de susciter encore plus d’incompréhension. </p>
<p>Après avoir blâmé les pratiques discriminatoires de son ministère sur des <a href="https://www.ledevoir.com/societe/650031/immigration-un-outil-informatique-mis-en-cause-dans-la-hausse-des-refus-de-permis-d-etudes">erreurs algorithmiques</a>, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1945915/mckinsey-influence-canada-trudeau-immigration-conseils">sous-contracté le travail de ses propres fonctionnaires à la firme McKinsey</a>, avoir reconnu un <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/649539/etudiants-africains-refuses-au-canada-le-ministre-fraser-promet-de-s-attaquer-au-racisme-systemique-a-l-immigration">problème de discrimination systémique au sein même de son organisation</a>, et s’être engagé à s’attaquer à ce problème, les chiffres pour l’année 2022 du ministère de Sean Fraser témoignent des mêmes ratés et de la même dynamique discriminatoire que durant les années précédentes. </p>
<p>Lors d’un moment gênant, la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-05-18/permis-d-etudes-pour-etudiants-etrangers/le-federal-veut-faire-mieux-mais-se-felicite-des-progres.php">secrétaire parlementaire du ministre a été chargée de défendre son bilan</a>. La légère hausse des acceptations qu’elle a alors évoquée ne répond pas aux attentes légitimes des étudiants dont les dossiers ont été acceptés par une institution québécoise. </p>
<h2>Le ministre Fraser n’a plus la légitimité requise</h2>
<p>Ottawa doit tirer des conclusions de ces nouvelles données. Si le gouvernement Trudeau ne se faisait pas le champion de la lutte contre le racisme systémique sur toutes les tribunes, ce manque de crédibilité de son ministre passerait peut-être. Mais à ce stade-ci, le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, n’a plus la légitimité requise pour conserver ce dossier.</p>
<p>Cette inaction du Parti libéral fédéral sur un enjeu aussi important pour le Québec et la francophonie canadienne est regrettable. Elle jette une ombre sur l’importante réussite qu’a été la <a href="https://www.lesoleil.com/actualites/politique/2023/05/15/langues-officielles-c-13-sen-va-au-senat-744WI45MI5EP7JSYNFPW7MCWTQ/">mise à jour de la Loi sur les langues officielles</a> qui a été célébrée avec raison à Ottawa, comme à Québec. </p>
<p>Car, si l’on veut célébrer la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles, il faut être conséquent et donner accès aux institutions d’enseignement supérieur francophones à l’ensemble des étudiants qui veulent faire vivre cette francophonie. </p>
<p>Il faut se réjouir du fait que ce message ait été compris à Québec. Il est plus que regrettable qu’il tarde autant à se faire entendre à Ottawa.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205957/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Malgré une dénonciation de la discrimination qui frappe les étudiants francophones voulant s’établir au Canada, notamment les Africains, le gouvernement fédéral ne semble pas vouloir agir.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Madeleine Pastinelli, Professeur de sociologie, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037082023-04-18T15:37:38Z2023-04-18T15:37:38ZQuelle est la signification de la critique radicale de l’antiracisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520757/original/file-20230413-16-hns1uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=288%2C505%2C3415%2C2160&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une manifestante brandi une pancarte dénonçant le racisme systémique à Seattle, États-Unis, le 12 juin 2020.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pour certains intellectuels, médiatiquement influents, l’antiracisme, autrefois moral, s’est transformé, en devenant politique, en racisme, ce qu’on nomme parfois <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-tour-du-monde-des-idees/le-racialisme-ou-la-perversion-de-l-antiracisme-2622909">l’antiracisme racialiste</a>. Comment expliquer ce mouvement et caractériser le courant qui s’en réclame ?</p>
<p>Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et notamment après les réflexions élaborées à l’Unesco débouchant sur les <a href="https://fr.unesco.org/courier/juillet-ao%C3%BBt-1950">deux premières déclarations sur la question raciale</a>, en 1950 et 1951, l’antiracisme était uniquement considéré dans sa dimension morale : le racisme, c’est le mal. On pensait alors pouvoir éradiquer le racisme avec des arguments plus ou moins scientistes, selon lesquels la race n’a pas de pertinence biologique. Donc, si la race n’existe pas, le racisme, qui est une doctrine de l’inégalité naturelle des races humaines, n’a aucune raison d’être.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-parler-de-racisme-detat-138189">Débat : Peut-on parler de « racisme d’État » ?</a>
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<h2>Le retour de la race</h2>
<p>Pourtant, malgré ces déclarations, la race est remobilisée par certains militants antiracistes à partir des années 2000, dans une perspective politique, avec <a href="https://journals.openedition.org/asterion/8689">« la théorie critique de la race »</a>.</p>
<p>Selon celle-ci, la race est un fait social et non biologique, qui a des effets en termes de discriminations sur les <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-personne-racisee-trois-definitions-pour-eclairer-le-debat-189996">personnes racisées</a>, d’une façon générale les non-Blancs.</p>
<p>Ces analyses nouvelles et d’une grande richesse ont été rendues possibles par un progrès dans la <a href="https://www.france.tv/france-2/decolonisations-du-sang-et-des-larmes/">prise de conscience nationale des crimes coloniaux</a>. Elles se fondent aussi sur le constat que la politique d’indifférence à la couleur a échoué. C’est parce que la race a des effets discriminants sur les individus à qui on attribue une race non-blanche (les « racisés ») que l’on ne peut ignorer les identités dites raciales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>La reconnaissance de celles-ci marque la dissension avec les anti-antiracistes, fortement critiques à l’égard de ce « retour » de la race et, selon eux, du risque d’essentialiser ces identités.</p>
<p>Cette dissension a un moment fondateur : dans son premier livre, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Force_du_pr%C3%A9jug%C3%A9"><em>La force du préjugé</em></a>, paru en 1988, le politologue français Pierre-André Taguieff sous-estime les dimensions institutionnelles du racisme. Il défend un modèle théorique proche de celui du psychologue américain Gordon W. Allport, lequel privilégie dans <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Nature_of_Prejudice"><em>The Nature of Prejudice</em></a> (1954), une acception du racisme en tant qu’attribut des agents individuels. Néanmoins, la pertinence du concept de racisme n’est pas mise en cause et Taguieff en renouvelle l’étude en insistant sur l’émergence d’une forme différentialiste (c’est-à-dire qui insiste sur la différence et non sur l’inégalité).</p>
<p>Mais, dans cette perspective, il ne peut exister <a href="https://rowman.com/ISBN/9781538151419/Racism-without-Racists-Color-Blind-Racism-and-the-Persistence-of-Racial-Inequality-in-America-Sixth-Edition">« un racisme sans racistes »</a>, c’est-à-dire un racisme produit par le fonctionnement des institutions sans que, nécessairement, les membres de celles-ci soient explicitement racistes dans leurs comportements ou dans leur idéologie.</p>
<p>Le racisme crée donc bel et bien et reproduit des rapports inégalitaires et des discriminations. Mais l’antiracisme qui insiste sur cette dimension institutionnelle <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/l-antiracisme-devenu-fou-pierre-andre-taguieff">serait devenu fou</a>. Pourtant, rien ne nous oblige à opposer racisme institutionnel et racisme individuel : plus encore, penser l’un sans l’autre supposerait que l’on fasse <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2022-HS-page-75.htm">abstraction</a> du « milieu sociopolitique et culturel des agents impliqués et des normes morales qui régissent leur environnement ».</p>
<h2>Le racisme : injure ou réalité sociale ?</h2>
<p>Cette critique de l’antiracisme se développe dans des milieux qui insistent sur l’importance de l’appartenance à la nation et, corrélativement, exaltent les <a href="https://theconversation.com/fact-check-les-valeurs-de-la-republique-empechent-elles-de-pratiquer-sa-religion-129853">valeurs de la République</a>.</p>
<p>On peut donc la qualifier de « nationale-républicaine » et, redisons-le, la caractériser par le rejet de l’idée d’un racisme comme rapport social : il résulterait uniquement d’attitudes individuelles, éventuellement traduites en actes hostiles, qu’une idéologie justifierait. C’est dans le cadre de cette opposition théorique que va se développer une véritable guerre des idées, aux conséquences politiques fortes.</p>
<p>Le terrain pour ce changement de paradigme trouve ses racines dans les années 1990 : dans les articles de du sociologue Paul Yonnet dans la revue <a href="http://www.cercle-enseignement.com/Ouvrages/Gallimard/Revue-Le-Debat/Le-Debat86">Le Débat</a> et dans l’infléchissement de la pensée de Taguieff, repérable dès 1993. Dans un article paru dans la revue esprit Esprit (mars-avril), significativement intitulé <a href="https://esprit.presse.fr/article/taguieff-pierre-andre/comment-peut-on-etre-antiraciste-11309">« Comment peut-on être antiraciste ? »</a>, il notait que « la notion de racisme paraît confuse, voire autocontradictoire » et proposait de « refuser toute spécificité aux phénomènes ordinairement caractérisés en tant que racistes ».</p>
<p>Il en déduisait « l’effacement de la valeur conceptuelle du terme de <em>racisme</em> », et voyait en lui un « opérateur d’illégitimation, applicable à tout comportement qu’un sujet se propose de dénoncer, de condamner ou de combattre ». Le philosophe <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/07/13/la-confusion-des-idees-quarante-intellectuels-appellent-a-une-europe-de-la-vigilance-face-a-la-banalisation-de-la-pensee-d-extreme-droite_3949845_1819218.html">Roger-Pol Droit</a> écrivait alors lucidement : « N’allez surtout pas croire que le racisme ait la moindre réalité, ce n’est qu’une injure à éliminer. »</p>
<p>Dès lors, on en déduit que ce n’est pas le racisme qui pose problème, ce sont les mouvements qui s’y opposent, d’autant que Taguieff n’hésite pas à attribuer la responsabilité de la « grande vague de confusion idéologique » à une « certaine prédication antiraciste ». On est ainsi tout à fait disposé à accepter que non seulement l’antiracisme est plus préoccupant mais qu’il est aussi plus nocif que le racisme.</p>
<h2>La confusion des idées</h2>
<p>De ce mouvement vers la réaction, nous avions pourtant été avertis une nouvelle fois, en 2002, par l’historien Daniel Lindenberg et son <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-rappel-a-l-ordre-enquete-sur-les-nouveaux-reactionnaires-daniel-lindenberg/9782020558167"><em>Rappel à l’ordre</em></a> (sous-titré, sans ambiguïté, « Enquête sur les nouveaux réactionnaires ». L’ouvrage fut <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/11/22/ce-livre-qui-brouille-les-familles-intellectuelles_4248851_1819218.html">voué aux gémonies</a> : l’Histoire n’a pourtant invalidé aucune de ses propositions.</p>
<p>Ce qui avait été justement qualifié de « libération de la parole gauloise », cette supposée levée générale des tabous, n’était en réalité qu’une revendication de l’expression des passions et des aversions au détriment de l’argumentation. De cette « libération », Michel Onfray, et sa revue <a href="https://frontpopulaire.fr/">Front populaire</a>, témoignent régulièrement : son dernier numéro s’inquiète de la tyrannie des minorités (de « l’art de détruire la France » !), ces dernières étant énoncées, dans un inventaire à la Prévert, sans traduire le moindre rapport à la réalité, « européisme, immigrationnisme, transgenrisme », etc.).</p>
<p>Les réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui condamnent la société métissée (la mixophilie, c’est-à-dire l’amour du métissage, étant définie comme le mal qui nous menace, en quelque sorte l’arme secrète du « grand remplacement » !), au nom de la prééminence de la nation sur l’individu et, chemin faisant, contestent l’idée d’une humanité commune. Ils se gaussent des « naïvetés » du cosmopolitisme, instruisent le procès de l’égalité et, bien entendu, celui de l’islam, n’hésitant pas à revendiquer leur islamophobie, tout en se plaignant de l’inconsistance « scientifique » du terme.</p>
<p>La confusion des idées, dont parlait Roger-Pol Droit dans l’article de 1993, a produit une aberration idéologique : au lieu de se préoccuper de la réalité des discriminations dont les personnes racisées sont victimes, on préfère reprocher aux antiracistes d’essentialiser les identités raciales, ce qui ferait d’eux, au moins implicitement, des racistes. C’est ne pas comprendre que la prise en compte des mécanismes de racialisation et d’assignation subie vise non pas à exalter des identités particulières mais, <em>in fine</em>, à déracialiser la société, c’est-à-dire, dans le cas américain, banaliser et diversifier les interactions entre Blancs et Noirs. Cet objectif peut être considéré comme un <a href="https://classiques-garnier.com/ronald-dworkin-l-empire-des-valeurs.html">bien collectif</a> dont la réalisation est assimilable à un devoir de citoyenneté.</p>
<p>Faire de l’antiracisme une expression forte de la haine envers l’Occident et les Blancs, est incongru. Tout comme est indigne l’affirmation selon laquelle la « civilisation occidentale » est la seule et unique civilisation, la seule source de savoir légitime, et que la pensée décoloniale est une imposture. Comment mieux justifier la colonisation et le faire, hélas, au nom de l’universalisme, en réalité de son dévoiement au service des causes les plus criminelles ?</p>
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<p><em>Alain Policar vient de publier <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_haine_de_lantiracisme">« La haine de l’antiracisme »</a> aux Éditions Textuel.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span> Alain Policar a été nommé le 14 avril membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République.</span></em></p>Pour certains intellectuels, l’antiracisme s’est transformé en racisme (antiracisme racialiste, dit-on souvent). Comment expliquer ce mouvement et caractériser le courant qui s’en réclame ?Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016902023-04-04T17:37:39Z2023-04-04T17:37:39ZLe RN est-il devenu un parti comme les autres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516066/original/file-20230317-4390-mps24g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président du RN, Jordan Bardella, pose pour un selfie lors d’une cérémonie à Villers-Cotterats, dans le nord de la France, le 11 novembre 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">François Nascimbeni / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Au coeur de la mobilisation sociale et politique contre le projet de réforme des retraites un parti semble particulièrement « profiter » de cette crise : le Rassemblement national (RN), comme <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-marine-le-pen-sort-renforcee-du-conflit-sur-la-reforme-des-retraites-1932612">le montrent de récents sondages</a>. Fort de 88 députés que à l’Assemblée nationale et d'une présence accrue dans les médias, le RN est-il devenu une organisation partisane comme les autres ?</p>
<p>En faisant abstraction du jeu des alliances façon Nupes, il en fait, en tous cas, le <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">principal parti d’opposition</a> au gouvernement – un parti qui a joué un rôle non négligeable lors des dernières séquences législatives autour de la réforme de la retraite.</p>
<p>20 ans plus tôt, lorsque l’extrême droite accède pour la première fois de son histoire au second tour de l’élection présidentielle, la France est sous le choc. 1,3 million de personnes manifestent contre le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-toulon_sous_le_front_national_entretiens_non_directifs_virginie_martin-9782747528009-1698.html">Front national</a> (FN), parmi lesquels beaucoup de <a href="https://youtu.be/TsL-2R402r4">jeunes</a>. Jean-Marie Le Pen fait face à une mobilisation anti-FN si forte qu’il n’atteint même pas 18 % des suffrages au second tour de ces élections de 2002 contre <a href="https://theconversation.com/jacques-chirac-un-bulldozer-en-politique-63283">Jacques Chirac</a> (environ 5,5 millions de voix). Le <a href="https://www.academia.edu/17405902/La_gauche_et_la_droite_face_au_FN_chapter_">Front républicain</a> fonctionne parfaitement.</p>
<p>Quelle stratégie a été appliquée par le FN-RN, pour passer du statut de parti marginal et honni à une organisation notabilisée, voire institutionnalisée ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Manifestations après l’annonce de la présence du FN au second tour des présidentielles de 2002.</span></figcaption>
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<h2>Une stratégie de normalisation en deux temps</h2>
<p>Depuis sa création en 1972, le FN-RN a été présent par trois fois au second tour de l’élection présidentielle : en 2002, en <a href="https://theconversation.com/le-front-national-2002-2017-du-vote-de-classe-au-vote-de-classement-77303">2017</a> et 2022. Les deux dernières fois, Marine Le Pen a atteint des scores considérables : 33,9 % et 41,45 %. Cette progressive montée du RN, la stabilité de ses votes et son ancrage territorial sont les marqueurs d’une normalisation et d’une banalisation du parti d’extrême droite.</p>
<p>Cette normalisation s’est construite autour d’une dynamique de changement, qu’on a coutume de nommer « dédiabolisation ». Celle-ci s’est faite progressivement et a été marquée par deux séquences. La première a permis au parti de se notabiliser, un phénomène accéléré avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN. La seconde séquence est très directement liée à l’élection de députés RN à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une phase d’institutionnalisation.</p>
<h2>Des manifestations de 2002 à « Marine »</h2>
<p>Le congrès de Tours en 2011 marque un tournant dans l’histoire du FN. Le père de la famille Le Pen, créateur du FN, va passer la main. Le vote des militants en faveur de la fille est sans appel – 67,65 % des voix – face à Bruno Gollnisch.</p>
<p>L’image du FN ne sera plus celle de Jean-Marie, l’homme pour qui les chambres à gaz sont un <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab87032378/le-pen-sur-chambres-a-gaz">« détail de l’histoire »</a> celui que les plus âgés ont connu un bandeau noir sur l’œil gauche. Marine Le Pen, femme de 45 ans arrive à la tête de ce parti.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/01/02/le-message-c-est-le-medium_2718681_1819218.html">« Le message, c’est le medium »</a> écrivait le sociologue Marshall McLuhan. Cela vaut aussi pour le FN ; l’égérie a changé, la dédiabolisation s’incarne plus que jamais dès cette <a href="https://www.cairn.info/le-genre-presidentiel--9782707174543-page-131.htm">nouvelle image au féminin</a>.</p>
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<p>Cette dédiabolisation tentée par le passé, fin des années 90, par un Bruno Mégret qui voulait normaliser le FN, voire faire des alliances avec la droite, a finalement semblé indispensable lors de la présidentielle de 2002. À l’époque, il n’était pas envisageable pour Jean-Marie Le Pen de sortir de sa spécificité et de nourrir la droite classique. Il est apparu urgent à ce moment-là de rassurer les français et de montrer combien le FN n’était pas une menace pour l’État et le pays. La <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-2-page-17.htm">dédiabolisation</a> s’est dès lors avérée nécessaire.</p>
<p>Marine Le Pen est une des plus convaincues de cette nécessité depuis 2002. Elle suivra cette ligne au plus près. En 2015, elle finira même par <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/10/05/jean-marie-le-pen-conteste-son-exclusion-du-front-national-devant-le-tribunal_5008310_823448.html">exclure</a> celui qui porte plus que quiconque le stigmate extrême droite : Jean-Marie Le Pen. À la faveur de prises de position dans <em>Rivarol</em> sur Pétain et les chambres à gaz, la <a href="https://theconversation.com/marine-le-pen-oedipe-et-le-meurtre-du-pere-72226">fille sortira le père</a>.</p>
<h2>Modifier l’image de marque du FN</h2>
<p>L’année 2018 est marquée d’un autre moment de stratégie d’effacement du passé. Elle passe par le changement de nom du parti. Le Front national n’est plus, le Rassemblement national est né. Avec ce mot « rassemblement » se matérialise la volonté de passer de parti de la protestation à un parti de gouvernement : « rassembler » pour pouvoir gouverner.</p>
<p>Dans la même logique, en 2022, Marine Le Pen se tient loin d’<a href="https://theconversation.com/pourquoi-eric-zemmour-embarrasse-t-il-autant-la-droite-170846">Eric Zemmour</a> et ne cède pas à ses appels du pied, prouvant encore une fois son attachement à cette stratégie de dédiabolisation.</p>
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<p>Quelques mois plus tard, l’<a href="https://theconversation.com/rn-clap-de-fin-pour-les-le-pen-190153">élection de Jordan Bardella</a> à la tête du RN offre un nouveau visage au parti. Par sa jeunesse et son parcours, il donne encore d’autres gages à cette séquence de dédiabolisation. Fils d’une famille immigrée italienne, son ancrage dans le 93 et son cursus universitaire à la Sorbonne offrent des gages de normalité – son parcours pourrait ressembler à celui de beaucoup de jeunes. Néamoins, derrière ces données, il y a aussi son militantisme à l’UNI et ses accointances traditionnelles, voire identitaires, et son regard sur une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/07/jordan-bardella-l-heritier-de-marine-le-pen-qui-cherche-a-imprimer-sa-marque-identitaire_6129158_823448.html%C2%BB%5D">« France ensauvagée et inhumaine »</a>.</p>
<p>Car bien sûr, malgré cette normalisation en vue de la conquête du pouvoir suprême, le RN reste attaché au corpus idéologique qui est le sien. Preuve en sont les marqueurs tels le renforcement de la politique nataliste en France (<a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/au-c-ur-des-debats-sur-la-reforme-des-retraites-le-rn-appelle-a-soutenir-une-politique-nataliste_5686343.html">pour « résister » face à l’immigration</a>), <a href="https://www.lejdd.fr/politique/marine-le-pen-fondamentalement-contre-la-pantheonisation-de-gisele-halimi-soutien-des-terroristes-du-fln-133456">l’opposition à l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon</a> ou encore la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/09/29/presidentielle-marine-le-pen-propose-de-sacraliser-la-priorite-nationale-dans-la-constitution_6096373_6059010.html">sacralisation de la « priorité nationale » dans la constitution</a>. Le RN ne se défait pas des thématiques historiques qui ont prévalu à la création du FN.</p>
<h2>Le Parlement : le cordon sanitaire est tombé</h2>
<p>Quel que soit le corpus idéologique dont se réclame le RN, l’hémicycle de l’Assemblée nationale offre au parti ses lettres de notabilisation, mais surtout son écrin d’institutionnalisation. De marginal et honni, le parti devient celui qui détient deux vice-présidences à la chambre basse.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2022/06/29/l-assemblee-nationale-en-direct-vice-presidents-questeurs-secretaires-suivez-en-direct-la-seance-d-attribution-des-postes-du-bureau_6132463_823448.html">vice-présidences</a> qui ont mathématiquement été permises avec le soutien d’autres partis politiques – Les Républicains et Renaissance – puisque Hélène Laporte a obtenu 284 voix et Sébastien chenu 290. Face à la vague de députés RN, le cordon sanitaire est tombé. La normalisation s’est installée.</p>
<p>D’autant plus que, ici encore, Marine Le Pen joue la carte de la capacité à gouverner. Elle ne veut pas trop cliver pour présenter une opposition constructive, « une opposition responsable ». Dans cette optique, elle est vigilante au taux de présence de son groupe à l’assemblée, au respect de la fonction (silence, retenue, vêtements) et refuse les blocages systématiques de lois proposés par l’opposition.</p>
<p>Certes, l’épisode du député De Fournas a bien failli saper ces efforts de respectabilité. En prononçant la phrase <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/parlement-francais/assemblee-nationale/qu-il-s-retourne-nt-en-afrique-comment-des-propos-racistes-ont-fini-par-etre-prononces-a-l-assemblee-nationale_5457871.html">« qu’il(s) retourne(nt) en Afrique »</a> au sein de l’hémicycle, celui-ci a donné une occasion aux oppositions de prouver que la dédiabolisation était un leurre. Mais l’épisode a été relativement bien géré médiatiquement et en interne. La <a href="https://theconversation.com/exclusion-du-depute-rn-ce-quen-dit-la-recherche-en-economie-comportementale-sur-les-sanctions-194272">sanction</a> est tombée, l’élu a perdu son porte-parolat. La discrétion est assez vite revenue.</p>
<p>De surcroit, quelles que soient les stratégies adoptées, avoir des députés à l’Assemblée nationale signifie <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2021-1-page-29.htm">saisir des moyens essentiels</a> : assistants, informations, formations, moyens pécuniaires et possibilité, pour beaucoup d’élus sans expérience, de se professionnaliser. Il s’agit d’une marche déterminante pour envisager la conquête du pouvoir.</p>
<p>Reste à savoir quelle attitude adopter face au parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. Est-il possible d’isoler un parti à ce point institutionnalisé et soutenu dans les urnes ? De continuer à « tabouiser » un parti recueillant autant de soutiens électoraux ? De se priver de ses électeurs en le stigmatisant ? Ce mois-ci, un <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-marine-le-pen-et-jean-luc-melenchon-balise-dopinion-214/">sondage Ifop</a> a montré que le RN était considéré comme le parti incarnant le mieux l’opposition au gouvernement (la stratégie de discrétion du RN semble mieux payer que celle du chahut de LFI…).</p>
<p>Depuis le début des années 80, aucune attitude pérenne et efficace n’a été trouvée face au FN-RN. C’est une quadrature du cercle pour le paysage politique français. S’il n’est pas un parti tout à fait comme les autres, le FN-RN est aujourd’hui à certains égards le deuxième parti de France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment, de parti « infréquentable », le FN-RN est-il devenu un parti incontournable du paysage politique français ? Décryptage d’une stratégie de dédiabolisation efficace.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010302023-04-02T16:00:37Z2023-04-02T16:00:37Z« L’envers des mots » : Essentialiser<p>Dire que « les femmes sont bavardes », que « les Africains ont le rythme dans la peau » ou que « les Français sont malpolis », ne relève pas seulement du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/stereotypes-24543">stéréotype</a>, c’est-à-dire de l’opinion toute faite sur un individu ou sur un groupe, il s’agit aussi d’une forme d’essentialisation.</p>
<p>Ce terme est apparu ces dernières années avec les débats relatifs aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/identite-20946">identités</a> et on l’utilise surtout lorsqu’on parle de genres, de sexes, de religions ou de races. « Essentialiser », dans son acception la plus courante, c’est réduire l’identité d’un individu à des caractères moraux, psychologiques ou comportementaux prétendument innés. Ces caractères seraient transmis de génération en génération au sein d’un groupe humain auquel est supposé appartenir l’individu en question.</p>
<p>Le phénomène d’essentialisation est ainsi décrié en raison de sa tendance à enfermer chacun dans une identité étanche et immuable.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tout-simplement-noir-ou-la-fabrique-des-identites-fictionnelles-142757">« Tout simplement noir » ou la fabrique des identités fictionnelles</a>
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<p>On ne peut en saisir le sens actuel sans recourir à son pendant « l’essentialisme », un concept philosophique, contraire du <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/nominalisme">nominalisme</a> et de <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/existentialisme">l’existentialisme</a> qui consiste, tour à tour, à croire que les idées existent en elles-mêmes, que l’essence précède l’existence, ou qu’un être est contenu dans sa définition.</p>
<p>Ainsi, « essentialiser » consiste à réduire une chose ou une personne à une seule de ses caractéristiques et à tenir cette caractéristique pour essentielle. Si ce mot prend une place importante dans le débat public au point qu’on s’en méfie, c’est que la pensée essentialiste peut générer des idéologies réductrices, discriminatoires, voire extrémistes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-male-gaze-199625">« L’envers des mots » : Male gaze</a>
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<p>Ainsi, dans le débat public, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-de-la-philo/l-essentialisation-2178459">essentialiser</a> tend à devenir péjoratif. Pourtant, paradoxalement, certains groupes susceptibles d’en être victimes vont jusqu’à le revendiquer. C’est le cas des mouvements féministes dits « essentialistes » (ou différentialistes) qui cherchent à prendre en considération les <a href="https://www.bettinazourli.fr/post/divers-mouvements-feministes">différences de genre</a> dans leur lutte. Ils mettent en avant des qualités jugées spécifiques aux femmes afin de contrer la dévalorisation du féminin.</p>
<p>De même, dans les années 1980, la critique littéraire indienne Gayatri Chakravorty Spivak, connue pour ses travaux sur le postcolonialisme, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Strategic_essentialism">a fait de l’essentialisation une stratégie</a>, poussant les groupes minoritaires à s’« essentialiser » temporairement en adoptant les points de vue dans lesquels on les enferme. L’objectif : comprendre les fondements de la pensée essentialiste afin d’en démonter les rouages. Bien avant Spivak, c’est de cette stratégie que semble user Joséphine Baker en adoptant une démarche que l’on peut qualifier d’<a href="https://theconversation.com/auto-essentialisation-quand-josephine-baker-retournait-le-racisme-contre-elle-meme-148280">« auto-essentialisation »</a> afin de correspondre à l’imaginaire colonial.</p>
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<p>Si le verbe « essentialiser » connaît aujourd’hui une fortune dans les milieux de lutte contre le racisme, le féminisme, l’homophobie, en France, la fin des années 2000 peut être identifiée comme un moment clé de son arrivée dans le débat public. Lors du débat politique promu sous la présidence de Nicolas Sarkozy sur l’identité française, on a vite compris que se lancer dans la définition de ce que François Rachline appelle <a href="https://www.francoisrachline.fr/ouvrage/quest-ce-qu%C3%AAtre-francais/">« l’être français »</a> portait le risque certain d’une essentialisation en raison du caractère complexe et composite de ce qui fait <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2007-2-page-79.htm">l’identité française</a>.</p>
<p>En définitive, qu’elles soient individuelles ou collectives, les identités humaines se construisent sur de multiples critères : physiques, ethniques, sexuels, culturels, etc. Elles sont dynamiques, c’est-à-dire évoluent continuellement, en perpétuelle construction. C’est pour cette raison que les sciences sociales poussent à considérer la <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_2001_num_139_1_3508">complexité du terme « identité »</a> afin de ne pas facilement céder au chant des sirènes de l’essentialisation.</p>
<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p>
<p><em>À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-quantique-196536"><em>« L’envers des mots » : Quantique</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-flow-195489"><em>« L’envers des mots » : Flow</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/201030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erick Cakpo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le verbe « essentialiser » est aujourd’hui fréquemment utilisé dans les milieux de lutte contre le racisme, le féminisme, l’homophobie. Retour sur sa signification et son histoire.Erick Cakpo, Historien, chercheur, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2011082023-03-13T19:55:04Z2023-03-13T19:55:04ZRéécrire les livres de jeunesse ou éduquer les enfants ? L’exemple de Roald Dahl<p>Bien que plusieurs de ses livres les plus connus datent des années 1960, <a href="https://theconversation.com/six-livres-pour-redecouvrir-lunivers-de-roald-dahl-153231">Roald Dahl</a> est encore aujourd’hui l’un des <a href="https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235">auteurs de jeunesse</a> les plus populaires. La <a href="https://www.theguardian.com/books/2023/feb/18/roald-dahl-books-rewrite-to-remove-language-deemed-offensive">décision récente</a> de l’éditeur Puffin, en collaboration avec The Roald Dahl Story Company, d’apporter plusieurs centaines de révisions aux nouvelles éditions de ses romans a suscité de nombreuses critiques, l’écrivain <a href="https://twitter.com/SalmanRushdie/status/1627075835525210113">Salman Rushdie</a> allant jusqu’à parler de censure.</p>
<p>Parmi les changements recommandés par les « sensitivity readers », ces « démineurs littéraires » des temps modernes, citons la suppression ou la substitution de mots décrivant l’apparence des personnages et l’ajout d’un vocabulaire non sexiste dans certains passages. Dans <em>Charlie et la chocolaterie</em>, par exemple, Augustus Gloop n’est plus « gros » mais « énorme ». Mme Twit des <em>Deux gredins</em> est devenue « horrible » plutôt que « laide et horrible ». Dans <em>Matilda</em>, le protagoniste ne lit plus les œuvres de Rudyard Kipling mais celles de… <a href="https://theconversation.com/jane-austen-et-germaine-de-stael-le-conte-de-deux-autrices-81194">Jane Austen</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/litterature-classique-que-penser-des-versions-abregees-dhomere-a-jules-verne-194771">Littérature classique : que penser des versions abrégées, d’Homère à Jules Verne ?</a>
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<p>Si certains ont utilisé le terme <a href="https://www.nzherald.co.nz/entertainment/roald-dahl-childrens-books-rewritten-to-delete-offensive-fat-ugly-character-references/L53YBV5A2JCPLABB7UI5BVEGL4/%22">« cancel culture »</a> à ce sujet, ces choix éditoriaux s’inscrivent en fait dans une tradition où les livres destinés aux enfants et adolescents sont retouchés au fil des époques pour correspondre à ce que les adultes estiment qu’ils devraient lire.</p>
<p>Doit-on placer la <a href="https://theconversation.com/trois-questions-sur-lhistoire-des-livres-pour-enfants-181098">littérature jeunesse</a> sur un pied d’égalité avec la littérature adulte, et y condamner aussi catégoriquement l’altération des textes ? Ou bien acceptons-nous que la fiction pour enfants soit traitée différemment dans la mesure où elle jouerait le rôle de porte d’entrée dans le monde qui nous entoure ?</p>
<h2>Des classiques réécrits pour les enfants</h2>
<p>Publié en 1807, <a href="https://archive.org/details/familyshakespear00shakuoft"><em>The Family Shakespeare</em></a> de Thomas Bowdler, recueil de 20 des pièces de Shakespeare, omettait « les mots et expressions […] qui ne sauraient convenablement être lus à haute voix dans le cadre familial », notamment devant les femmes et les enfants.</p>
<p>Depuis lors, le terme de <em>bowdlerisation</em> désigne outre-Manche le processus de modification des œuvres littéraires pour des raisons morales (les éditions édulcorées de Shakespeare ont continué à être utilisées dans les écoles tout au long du XX<sup>e</sup> siècle).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514461/original/file-20230309-22-kzlej3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un épisode de la série d’Enid Blyton.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.hachette.fr/livre/le-club-des-cinq-01-ned-le-club-des-cinq-et-le-tresor-de-lile-9782017072126">Shutterstock</a></span>
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<p>Si les œuvres de Shakespeare n’étaient pas destinées spécifiquement aux enfants, les fictions d’Enid Blyton sont un exemple plus récent d’édulcoration d’œuvres considérées comme des classiques de la littérature jeunesse. Au cours des quarante dernières années, <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-392400/Row-faster-George-The-PC-meddlers-chasing-us.html">ses livres ont été plusieurs fois modifiés</a>, dont les séries <em>Le Club des Cinq</em> et <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Faraway_Tree"><em>The Faraway Tree</em></a>.</p>
<p>Même si beaucoup considèrent que les œuvres de la romancière accumulent les clichés et sont totalement dépourvues d’intérêt sur le plan littéraire, les tentatives de moderniser les noms et de supprimer les références aux châtiments corporels, par exemple, ont agacé les nostalgiques de ces histoires qui souhaitaient les faire connaître à leurs enfants et petits-enfants.</p>
<h2>Une littérature qui influence les plus jeunes</h2>
<p>La littérature jeunesse façonne implicitement l’esprit des enfants en normalisant certaines valeurs sociales et culturelles, présentées comme naturelles, un processus que les chercheurs en littérature jeunesse appellent « socialisation ».</p>
<p>Même si certaines de ses œuvres peuvent être considérées comme obscènes ou moralement répugnantes, on ne considère pas que la littérature pour adultes influe directement sur notre façon de penser de la même manière que peuvent le faire des livres destinés aux plus jeunes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-petite-sirene-dandersen-a-disney-la-veritable-histoire-derriere-le-conte-192224">« La Petite Sirène » : d’Andersen à Disney, la véritable histoire derrière le conte</a>
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<p>Si beaucoup se scandalisent de la censure manifeste des romans de Roald Dahl, celle qui pèse insidieusement sur la publication de tous les livres pour enfants se joue à plusieurs niveaux.</p>
<p>Les auteurs jeunesse savent que certains termes et contenus sont incompatibles avec la publication de leur livre. Les éditeurs sont conscients que les sujets controversés, tels le sexe et l’identité de genre, peuvent conduire à l’exclusion de certains titres des bibliothèques et programmes scolaires, ou à des boycotts. Les bibliothécaires et les enseignants peuvent refuser de choisir certains livres en raison du risque de plaintes ou de leurs propres convictions politiques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hfy6KnPUEtM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La face cachée de Roald Dahl (Culture Prime, France TV).</span></figcaption>
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<p>Plusieurs des livres de Roald Dahl ont déjà fait l’objet de tentatives de réécriture ou <a href="https://www.ala.org/advocacy/bbooks/frequentlychallengedbooks/decade1999">d’interdiction</a>, notamment <em>Charlie et la chocolaterie</em> (1964), partiellement réécrit par l’auteur en 1973 sous la <a href="https://daily.jstor.org/roald-dahls-anti-black-leracisme/">pression de l’Association américaine pour l’avancement des personnes de couleur</a> (NAACP) et des professionnels de la littérature jeunesse.</p>
<p>Dans le texte original, les Oompa Loompas étaient « une tribu de minuscules pygmées miniatures » que Willy Wonka, le propriétaire de la chocolaterie, « découvrit » et « ramena d’Afrique » pour les faire travailler dans son usine, leur seule rémunération étant des fèves de cacao, dont ils étaient friands.</p>
<p>Bien que Roald Dahl se soit défendu d’avoir décrit les Noirs de manière négative, il a accepté de réécrire les passages en question. Les Oompa Loompas sont désormais originaires de Loompaland ; ils ont des « cheveux bruns d’or » et une « peau blanche-rose ».</p>
<h2>Solliciter le regard critique des enfants</h2>
<p>Dans <a href="https://www.google.com.au/books/edition/Was_the_Cat_in_the_Hat_Black/WDoqDwAAQBAJ?hl=en&gbpv=1&dq=was+the+cat+in+the+hat+black&printsec=frontcover"><em>Was the Cat in the Hat Black ? The Hidden Racism of Children’s Literature and the Need for Diverse Books</em></a> (<em>Le chat chapeauté était-il noir ? Le racisme caché des livres jeunesse et la nécessité d’une littérature plus métissée</em>), <a href="https://philnel.com/writing/books/">Philip Nel</a>, spécialiste de la littérature jeunesse, estime que trois réactions s’offrent à nous face aux livres pour enfants qui contiennent des termes et des idées jugés inadmissibles de nos jours.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514268/original/file-20230308-1068-mj988m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Grand-format-litterature/Romans-Junior/Sacrees-sorcieres">Gallimard Jeunesse</a></span>
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<p>La première est de considérer ces livres comme des « artefacts culturels », qui ont une signification historique, mais que les enfants ne doivent pas lire. Cette option fait office de censure insidieuse, puisque les adultes ont le pouvoir de choisir les ouvrages que les enfants sont autorisés à lire.</p>
<p>La deuxième est de ne proposer aux enfants que des versions édulcorées de ces livres, comme ceux que l’éditeur de Roald Dahl a publiés récemment. Cela sape le principe selon lequel les œuvres littéraires sont des objets culturels, qui ne doivent pas être altérés. De plus, la substitution de certains mots ne modifie généralement pas le regard que nous portons sur les valeurs (aujourd’hui qualifiées d’obsolètes) que véhicule le texte, mais rend leur identification et leur remise en question plus difficile.</p>
<p>La troisième est de laisser les enfants lire n’importe quelle version d’un livre, qu’elle soit originale ou édulcorée. En faisant ce choix, nous admettons que même les jeunes lecteurs sont capables de porter un regard critique sur le message d’un livre.</p>
<p>Cette option permet également de discuter de sujets tels que le racisme et le sexisme avec les parents et les éducateurs, ce qui est plus facile si le texte d’origine n’a pas été modifié. Bien que Phil Nel favorise cette approche, il reconnaît que le refus de modifier les textes peut encore déconcerter certains groupes de lecteurs (par exemple, les enfants noirs qui liraient une édition des <em>Aventures de Huckleberry Finn</em> de Mark Twain où figurerait encore le mot <a href="https://theconversation.com/pour-lutter-contre-le-racisme-mieux-comprendre-le-mot-negre-199905">« nègre »</a>.</p>
<p><em>Matilda</em> de Roald Dahl parle du pouvoir des livres, qui enrichissent et transforment notre vie, tout en reconnaissant l’intelligence critique des enfants.</p>
<p>Bien que de nombreux aspects des fictions du passé ne correspondent pas à la version idéalisée du monde que nous souhaiterions présenter aux enfants, les adultes que nous sommes peuvent les aider à comprendre ce passé, plutôt que de tenter de le réécrire.</p>
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<p><em>Traduit de l’anglais par <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201108/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michelle Smith ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’éditeur anglais de Roald Dahl a retouché des textes du célèbre auteur pour en supprimer des termes jugés offensants. Une polémique à réinscrire dans l’histoire de la littérature de jeunesse.Michelle Smith, Senior Lecturer in Literary Studies, Monash UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999052023-02-21T17:45:30Z2023-02-21T17:45:30ZPour lutter contre le racisme, mieux comprendre le mot « nègre »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511383/original/file-20230221-28-d6ho1t.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C8%2C787%2C584&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Toussaint Louverture. </span> <span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque publique de New York via Wikimedia</span></span></figcaption></figure><p>La France vient de lancer son nouveau plan national de lutte contre le racisme, <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/un-nouveau-plan-national-contre-la-haine-et-les-discriminations">l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine</a>.</p>
<p>Ce plan intervient un an après la <a href="https://www.france.tv/documentaires/societe/3013303-noirs-en-france.html">diffusion du documentaire <em>Noirs en France</em></a> et environ un mois après la sortie du film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=289236.html"><em>Tirailleurs</em></a> et d’un ouvrage sur <a href="http://www.philippe-rey.fr/livre-Histoire_globale_de_la_France_coloniale-559-1-1-0-1.html"><em>L’histoire globale de la France coloniale</em></a> mettant le pays des Lumières face à des moments sombres de son passé et de son identité de peuple.</p>
<p>Alors qu’une récente étude montre que 91 % des personnes noires en France métropolitaine <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/02/15/racisme-91-des-personnes-noires-en-metropole-se-disent-victimes-de-discrimination_6161879_3224.html">se disent victimes de discriminations</a>, l’attention est ici portée sur la manière de se nommer, de désigner l’autre et sur un point aveugle de cette lutte qui nécessite, pour être efficace dans la durée, <a href="https://www.cairn.info/seismes-identitaires-trajectoires-de-resilience--9782367177007.htm">d’interroger différents héritages identitaires des siècles passés</a> et de s’inspirer de <a href="https://www.cairn.info/seismes-identitaires-trajectoires-de-resilience--9782367177007.htm">ce qui se passe en dehors de l’Hexagone</a>.</p>
<h2>De l’autre côté de l’Atlantique</h2>
<p>Au moment où l’Amérique du Nord réédite, comme chaque février, le <a href="https://www.moishistoiredesnoirs.com/">Mois de l’histoire des Noirs</a> en mettant notamment en avant la contribution des Noirs à l’histoire de l’humanité dans l’idée de lutter contre le racisme et les préjugés, le risque est grand, dans le même temps, de renforcer [l’ethnocentrisme, de maintenir l’idéologie raciale et] l’essentialisation des Noirs en fantasmant qu’ils forment un bloc homogène face aux Blancs mis dans le même panier de colons agresseurs et racistes. Comme l’écrit Amin Maalouf dans <a href="https://www.grasset.fr/livres/les-identites-meurtrieres-9782246548812"><em>Les identités meurtrières</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Naître noir à New York, à Lagos, à Pretoria ou à Luanda n’a pas la même signification, on pourrait presque dire qu’il ne s’agit pas de la même couleur, du point de vue identitaire ».</p>
</blockquote>
<p>Cependant, si <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-des-idees/des-mots-et-des-choses-3314130">« mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »</a>, ne pas les nommer n’améliore guère la situation. Ainsi en est-il du mot « nègre » qui, dans la lutte contre le racisme, résonne différemment dans les consciences selon les contextes et les références historiques.</p>
<p>En Amérique du Nord, le terme – « nigger » ou « negro » en anglais – est frappé d’interdit dans la société <a href="https://luxediteur.com/catalogue/panique-a-luniversite/">comme à l’université</a>. Dans le milieu francophone européen et antillais, le poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire le revendique. <a href="https://www.albin-michel.fr/negre-je-suis-negre-je-resterai-9782226158789">« Nègre je suis, nègre je resterai »</a>. Quant à l’écrivain afro-américain <a href="https://laffont.ca/livre/i-am-not-your-negro-edition-francaise-9782221215043/">James Baldwin</a> qui a vécu entre les continents américain et européen, il crie haut et fort au « Blanc » : « Je ne suis pas un/votre nègre. Je suis un homme ».</p>
<p>À quelle conception du « nègre » font-ils respectivement référence ? La projection du regard (du) « Blanc » ou la Négritude revendiquée avec de nouveaux signifiés imprévisibles ? De quoi ce vocable est-il le nom dans l’histoire de l’Humanité ?</p>
<h2>Étant donné un nègre, qu’y a-t-il derrière ?</h2>
<p>Dans le langage courant, le mot <em>nègre</em> renvoie à un esclave, à la peau dite noire à qui tout un système esclavagiste, colonialiste, impérialiste et capitaliste <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">a enlevé son humanité</a>. Être traité de « nègre », de « sale nègre », de « nigger » ou de « negro » sonne alors comme une insulte raciste adressée non seulement à la personne mais à tous les descendants d’esclaves. Les représentations du réel changent de sens selon les univers linguistiques, culturels ou religieux.</p>
<p>Selon la <a href="https://www.scienceshumaines.com/ferdinand-de-saussure-reinvente-la-linguistique_fr_12153.html">linguistique saussurienne</a>, signifiant et signifié peuvent entretenir un dialogue de sourds pendant longtemps. Ainsi le mot <em>noir</em> peut-il, dans l’imaginaire, renvoyer à la saleté, au péché et le mot <em>blanc</em> tantôt à la neige, au coton, à la pureté, au vide, tantôt à une catégorie d’humains ou à une métaphore du pouvoir.</p>
<p>En espagnol, le mot <em>negro</em> signifie « noir » et non pas nègre. En France, le terme peut être utilisé dans un contexte familier à l’instar de frérot ou cousin, comme on le voit dans la série télévisée <em>En place</em> mettant en scène la candidature à la présidence française d’un citoyen noir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce de la série En place, de Jean-Pascal Zadi.</span></figcaption>
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<p>Dans ses ouvrages <a href="https://maisonhenrideschamps.ht/product/marrons-du-syllabaire"><em>Les marrons du Syllabaire</em></a> et <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_marrons_de_la_libert%C3%A9.html?id=iywJAQAAIAAJ&redir_esc=y"><em>Les marrons de la liberté</em></a> l’historien haïtien Jean Fouchard a montré comment les esclaves de Saint-Domingue ont pu travestir les signifiants culturels, religieux, idéologiques des colons (langue, religion, style de vie, race…) <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/bonjour-et-adieu-a-la-negritude-9782402618359_9782402618359_1.html">non seulement pour s’affranchir du « déguisement ontologique »</a> en noir et blanc de l’entreprise coloniale mais aussi pour retrouver leur liberté en tant qu’êtres humains.</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<hr>
<p>Si le <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/code-noir">Code Noir</a> de Colbert a pu faire du « nègre » un « bien meuble » (art. I, 1685) déshumanisé, une lecture étymologique africaine en fait de « l’eau qui coule dans le sable » ou encore un « symbole de fécondité » qui amène le médecin et poète haïtien Joël Desrosiers à déduire <a href="https://www.decitre.fr/livres/theories-caraibes-9782890316492.html">« que tous les hommes de la terre sont nègres »</a>.</p>
<p>Ce dernier sens permet de comprendre que face à un « nègre » qui se fait insulter se tient toujours un autre « nègre » qui s’ignore, qui méconnaît ou qui a oublié qu’il était « nègre » parce que probablement frappé par une amnésie collective, une ignorance, un traumatisme identitaire de longue durée, voire une cécité ontologique qui sont à la fois <a href="https://www.cairn.info/seismes-identitaires-trajectoires-de-resilience--9782367177007.htm">producteurs et produits de la colonisation et de l’esclavage</a>.</p>
<h2>Quand nègre signifie « être humain »</h2>
<p>Si les recherches en paléontologie ont définitivement prouvé au XX<sup>e</sup> siècle que les ancêtres de toute l’humanité <a href="https://www.tallandier.com/livre/breve-histoire-des-origines-de-lhumanite/">avaient la peau foncée</a>, l’histoire d’Haïti, première République noire et <a href="https://boutique.arte.tv/detail/les_routes_de_l_esclavage">« premier État moderne »</a>, avait déjà dépoussiéré le mot <em>nègre</em> de ses scories esclavagistes, coloniales et idéologiques.</p>
<p>Haïti a montré au monde entier que derrière le nègre comme insulte et astuce de domination se cache aussi et d’abord un homme libre, un être humain à part entière.</p>
<p>Au lendemain de la proclamation de l’Indépendance d’Haïti le 1<sup>er</sup> janvier 1804, la « race noire » devient un « terme générique synonyme d’"être humain" si bien qu’un Blanc – par exemple Billaud-Varenne, transfuge de la Révolution française – une fois arrivé en Haïti <a href="https://boutique.arte.tv/detail/les_routes_de_l_esclavage">peut être appelé « nègre’ »</a> dans le sens d’être humain comme on l’entend en Haïti. Car en créole haïtien, le mot <em>nèg</em> (masculin) ou <em>nègès</em> (féminin) désigne un homme ou une femme sans distinction de couleur.</p>
<p>L’historien et homme politique Leslie Manigat <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_deux_cents_ans_d_histoire_du_peuple.html?id=LHDPAAAACAAJ&redir_esc=y">faisait d’ailleurs remarquer</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pour l’haïtien, De Gaulle est un grand “nègre” tout comme Mao Tse Toung est un grand “nègre”. »</p>
</blockquote>
<p>Le qualificatif « grand » accentue une certaine hauteur de vue pour un peuple, une certaine vision pour la condition humaine en général.</p>
<h2>« De Gaulle est un grand nègre »</h2>
<p>Dire « De Gaulle est un grand nègre » incarne alors la réconciliation du blanc et du noir, la rencontre des temps anciens et contemporains, d’Haïti et de la France mais surtout le projet de retissage de la diversité de l’humanité qui devrait être central dans la lutte contre le racisme.</p>
<p>Lieu de traitement de la violence historique et du traumatisme identitaire, <a href="https://revue.alarmer.org/tenebres-de-lesclavage-lumieres-de-la-revolte-une-lettre-de-victor-hugo-a-exilien-heurtelou-1860/">qualifié de « lumière » pour l’humanité par Victor Hugo</a> et de <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Mercier_Louis/Contribution_Haiti_histoire/Contribution_Haiti_histoire.docx">« mère de l’Amérique » par Louis Mercier</a>, Haïti incarne ce symbole de fécondité dans sa capacité à faire émerger le désir de liberté chez tous les êtres humains sans distinction.</p>
<p>Il a insufflé cet élan chez nombre de peuples du monde, de l’Amérique latine aux pays africains, de l’Allemagne à la France mais aussi des États-Unis, à qui Haïti a prêté main forte dans des luttes pour la <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_deux_cents_ans_d_histoire_du_peuple.html?id=LHDPAAAACAAJ&redir_esc=y">reconnaissance de sa pleine humanité à chaque être humain</a>.</p>
<p>La négritude qui a fait son apparition dans les années 50 à Paris, s’est mise debout <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/bonjour-et-adieu-a-la-negritude-9782402618359_9782402618359_1.html">pour la première fois en Haïti</a>. En effet, à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les premières réponses scientifiques et argumentées aux thèses racistes et antisémites du Comte de Gobineau envers les Noirs et les Juifs (entre 1853 et 1855) sont apportées par trois voix haïtiennes : Louis Joseph Janvier (<em>L’Egalité des races humaines</em>, 1884), Anténor Firmin (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84229v.r=de+l%E2%80%99%C3%A9galit%C3%A9+des+races+humaines,+anthropologie+positive.langFR"><em>De_l’égalité des races humaines</em></a>, 1889) et Hannibal Price (<a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/price_hannibal/rehabilitation_race_noire_haiti/rehabilitation_race_noire_haiti.html"><em>De_la réhabilitation de la race noire par la république d’Haïti</em></a>, 1898).</p>
<h2>Traiter le trauma racial</h2>
<p>La lutte contre le racisme nécessite ainsi de revisiter certaines références historiques et de traiter le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/17456916221120428">trauma racial</a> qui a affecté des générations entières de Blancs et de Noirs. Parler de <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-personne-racisee-trois-definitions-pour-eclairer-le-debat-189996">« personnes racisées »</a> aujourd’hui en ne pointant que les Noirs ou les « minorités », c’est occulter tout un pan du problème à traiter.</p>
<p>Si on continue au XXI<sup>e</sup> siècle à associer « nègre » à une couleur de peau dévalorisée, ou à une quelconque infériorité au point de le frapper d’interdit, peut-être faut-il rappeler, avec les paléoanthropologues, l’origine génomique de l’humanité. En visite officielle à Kinshasa en 1975, le président Valéry Giscard d’Estaing <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1975/08/09/les-discours-m-giscard-d-estaing-solidariser-nos-developpements-mutuels_3100089_1819218.html">avait prononcé ces mots</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Afrique a jadis donné naissance à l’humanité. Elle lui apporte aujourd’hui, elle lui réserve encore pour demain, des trésors de fraternité, de beauté et de vie. Je rends témoignage à l’africanité de la famille humaine. »</p>
</blockquote>
<p>Rendre témoignage à l’africanité de la famille humaine est un préalable dans la lutte contre le racisme, <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/l-origine-des-autres/">afin de rassembler les « différentes versions de nous-mêmes »</a>. La lutte doit passer par l’élaboration du trauma racial de la maternelle à l’université, dans la société comme dans les lieux de soin. En France, elle ne peut pas faire l’impasse sur les relations franco-haïtiennes ni sur cette « certaine idée de la France » qu’avait le Général de Gaulle.</p>
<p>Quelle que soit la région du monde, les États devraient s’inspirer à la fois de la paléontologie mais aussi de l’histoire globale d’Haïti ou de l’expérience de « grands nègres ou négresses » comme le général Jean-Jacques Dessalines, Toussaint Louverture, Nelson Mandela ou Simone Veil. Revisitant leurs histoires respectives, ils pourraient par la même occasion participer à éclairer certains points aveugles de/dans l’identité de l’Homme car quand on parle des Noirs, <a href="https://drive.google.com/file/d/1ActWJfKEYJyNN00_QnBbzzD90MV7haOU/view">on parle en même temps des Blancs et de toute l’humanité</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Derivois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le mot « nègre », dans la lutte contre le racisme, résonne différemment selon les contextes et les références historiques.Daniel Derivois, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire Psy-DREPI (EA 7458), Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1991142023-02-09T23:42:47Z2023-02-09T23:42:47ZUne enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/508933/original/file-20230208-25-rzefc9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C32%2C3589%2C3552&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Voyageurs déchirés, cité Berryer (rue Royale, Paris). Sculpteur Bruno Catalano, 28 juillet 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/29836497838/in/album-72157650967204866/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La ministre déléguée auprès de la première ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/discours-disabelle-lonvis-rome-presentation-du-plan-national-de-lutte-contre-le-racisme">Isabelle Rome</a> déclarait le 30 janvier dernier lors de la présentation du <a href="https://www.transformation.gouv.fr/ministre/actualite/plan-national-de-lutte-contre-racisme-vers-une-formation-des-agents-publics">Plan national de lutte contre le racisme</a>, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026 :</p>
<blockquote>
<p>« Les racistes, les antisémites, les antitsiganes, ceux qui distinguent les êtres selon ou en raison d’une couleur de peau, d’une religion, ou d’une nationalité, sont nos ennemis les plus redoutables. Ils sont les ennemis de la République. »</p>
</blockquote>
<p>Ce discours s’inscrit en effet dans un climat national tendu en France concernant ces discriminations. Sur la base d’enquêtes qualitatives et quantitatives dans différentes villes de France, il nous a été possible de cumuler des données à partir d’un questionnaire diffusé entre 2015 et 2020, et portant sur le vécu des <a href="https://theconversation.com/discriminations-dans-lacces-au-logement-en-france-un-etat-des-lieux-181858">discriminations</a> dans la ville. Si le sexisme ou les LGBTphobies ressortent dans toutes nos enquêtes territoriales, la question du racisme est celle qui augmente le plus régulièrement dans nos mesures.</p>
<p>Ainsi, lorsque nous demandons aux personnes victimes de racisme quel est leur rapport aux institutions, les trois quarts d’entre elles expriment un sentiment de mépris subi. Cela se concrétise par des tons condescendants, des contrôles au faciès, des changements de place dans les transports…</p>
<p>Puis, quand on leur demande ce qu’ils ont fait pour résister, ils répondent massivement « rien », car ils ne croient pas ou peu au changement « parce que les services publics s’en foutent de nous ! », répondent-ils pour partie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/macaronis-ritals-quand-les-migrants-italiens-etaient-eux-aussi-victimes-de-racisme-196990">« Macaronis », « Ritals » : quand les migrants italiens étaient eux aussi victimes de racisme</a>
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<h2>Que ressentent les individus ?</h2>
<p>Il est important d’analyser ce sentiment de discrimination liée à l’origine réelle ou supposée dans une double analyse géographique : dans et hors des <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2114">quartiers dits prioritaires</a>, car une immense majorité des personnes relatant des faits de racisme les situent en dehors de ces derniers, ou en provenance de personnes vivant à l’extérieur des dits quartiers alors que plus de la moitié de notre échantillon vit dans les quartiers prioritaires de la ville.</p>
<p>À travers d’autres questions, nous avons cherché à comprendre ce qu’ont ressenti les individus à l’instant des discriminations vécues : de la peur ? De la honte ? Et, de façon générale, comment interprètent-ils ces évènements ?</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507834/original/file-20230202-5832-3d58yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau : les émotions ressenties par les victimes de discriminations.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Moins de peur et moins de tristesse, mais plus de colère, voilà ce qui ressort de la compilation de nos données sur plusieurs années. Cette particularité des émotions citoyennes en prise au racisme n’est pas anodine : elle permet de rendre audibles des éléments sensibles propres à cette population victime de discriminations.</p>
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<h2>Différentes perceptions des discriminations</h2>
<p>Toutes les émotions ne sont pas exprimées de la même manière dans le verbatim de nos enquêtes. Trois perceptions semblent apparaître.</p>
<p>Des émotions totales : pour cette catégorie de personnes, il n’y a pas d’extérieur à la discrimination, car toute procédée de phénomènes globaux (l’histoire, le racisme systémique) et essentiellement discriminatoires.</p>
<p>Immiscées dans tous les interstices de la vie quotidienne, les différentes formes de racisme forment, pour ces personnes, un horizon total.</p>
<blockquote>
<p>« La violence de la société est telle que je n’arrive pas à me distancier des remarques que j’entends. Pas d’attaques directes ni d’agressions mais une violence sournoise, relativement discrète omniprésente présente »</p>
<p>« Les discriminations viennent de partout et sont de toutes les natures ». Les victimes de racisme témoignent beaucoup plus de ce type d’émotions.</p>
</blockquote>
<p>Des émotions relatives : généralement, on trouve des émotions plus ténues. Autrement dit, peu importe le trauma de la discrimination, les raisons sont ici plus floues, ou plus individuelles :</p>
<blockquote>
<p>« tout dépend du type de discrimination que je vis »</p>
<p>« ça dépend fortement de la personne aussi ».</p>
</blockquote>
<p>Des retours du refoulé discriminatoire : enfin, de nombreuses discriminations ne sont révélées que lors d’entretiens. Il faudra attendre que les mots de la discrimination résonnent dans les récits des personnes pour qu’elles interprètent leurs vécus de la sorte :</p>
<blockquote>
<p>« En vous parlant, je me rends compte que si, c’était de la discrimination… ».</p>
</blockquote>
<p>Cette situation, où le refoulé ressurgit, fait basculer les narrations individuelles.</p>
<h2>Un éloignement des espaces d’écoute</h2>
<p>Nous avons aussi demandé aux répondant·e·s ce qu’elles et ils avaient fait à la suite de ces discriminations. Le tableau ci-après retranscrit les réponses.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507835/original/file-20230202-20-nvsd79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau : Que faire face aux discriminations racistes ?</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Moins en parler aux collègues, moins en parler aux proches, mais plus témoigner sur les réseaux : est-ce là une caractéristique des soutiens mobilisés par les personnes victimes de racisme ?</p>
<p>Les répondant·e·s à nos enquêtes se sont-ils/elles senti·e·s écouté·e·s durant leurs épreuves ou après, par les personnes ou les institutions qu’ils et elles ont sollicitées ? Nous avons posé la question aux personnes victimes de racisme et nous avons tenté de comprendre pourquoi certains espaces de l’écoute, de l’entraide, sont décrits de façon parfois paradoxale.</p>
<p>En moyenne, 65 % des personnes déclarent ne pas s’être senties écoutées par les institutions censées les prendre en compte… Mais lorsque nous faisons une extraction statistique sur les victimes de racisme, ce chiffre monte à 83 % !</p>
<p>Le dénigrement et le mépris représentant des références de récurrence dans le verbatim de nos enquêtes, il apparaît central d’interpréter cet éloignement vis-à-vis des supports d’aides formel et informel à la lueur de ces émotions.</p>
<p>Les éléments laissés par les répondant·e·s relatent des phénomènes d’infériorisation, d’absence de prise en compte, de mépris. Le champ lexical de dédain, du mépris (se « faire regarder de haut », « se faire mal répondre ») et des phénomènes de mésestime sont donc excessivement présents, principalement dans le domaine de l’emploi d’ailleurs (« comme si le fait d’être jeune et noir ça faisait forcément de moi un abruti »).</p>
<h2>Un sentiment d’oppression</h2>
<p>Aux côtés du mépris, un autre sentiment est témoigné : l’oppression. Plus marginal statistiquement que les autres, il représente plus de 12 % des réponses laissées par les victimes de racisme. L’oppression est un terme très fort qui se distingue, dans son emploi, selon plusieurs facteurs : </p>
<ul>
<li><p>un usage <a href="https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2005-2-page-11.htm">militant</a>, </p></li>
<li><p>un usage qui renvoie à la répétition des faits, à leur fréquence, </p></li>
<li><p>un usage qui fait référence à la présence de nombreux témoins.</p></li>
</ul>
<p>Dans les témoignages de l’oppression, il se peut que les trois logiques se superposent pour donner lieu à des récits qui disent la lourdeur, la pesanteur, la force de la coercition. On notera que le terme d’<em>oppression</em>, très employé dans les entretiens associatifs, comme le terme de <em>privilège</em> par exemple, n’est pas excessivement utilisé dans le verbatim, mais le champ lexical de l’oppression apparaît avec des termes comme <em>domination</em>, <em>contrainte</em> ou bien encore des expressions comme <em>de force</em>. Sur ce point précis, les témoignages de racisme sont bien plus présents que les autres.</p>
<p>Dans le cadre d’une <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/intersectionnalite/">approche intersectionnelle</a>, être victime de racisme peut se cumuler avec d’autres critères de discriminations, tels le handicap, l’apparence physique, le sexe, l’orientation sexuelle et la précarité sociale. C’est d’ailleurs ce qui ressort massivement dans un autre espace public : celui de la sphère médiatique.</p>
<p>On trouve alors des échos de ces stigmatisations dans l’une et l’autre des sphères, comme le montre par exemple le harcèlement produit par les journalistes de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/02/12/ligue-du-lol-cinq-questions-pour-comprendre-l-affaire-et-ses-enjeux_5422639_4355770.html">« la ligue du LOL »</a>, où des personnes discriminées sur leur apparence physique ont été discréditées, dénigrées, dégradées sur les réseaux sociaux sur la base d’un soi-disant humour.</p>
<p>Par l’humour, d’ailleurs, s’ancrent nombre de dominations et de rabaissements de personnes vues comme inférieures. Lutter contre les discriminations racistes dans l’espace public, c’est penser un nouvel espace de vie vivable en commun, un nouveau chemin de citoyenneté retrouvée pour les personnes blessées, discriminées – et pour rétablir le droit le plus fondamental : celui d’être soi, sans subir les ruptures d’égalité.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508927/original/file-20230208-17-8gsiq0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Discriminations dans la ville.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.double-ponctuation.com/produit/discriminations-dans-la-ville/#:~:text=Au%20travers%20de%20multiples%20enqu%C3%AAtes,rel%C3%A9gation%20et%20d'ostracisme%E2%80%A6.">Double Ponctuation, éditeur</a></span>
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<p><em>Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin viennent de publier <a href="https://www.double-ponctuation.com/produit/discriminations-dans-la-ville/">« Discriminations dans la ville : sexismes, racismes et LGBTphobies dans l’espace public »</a> (Double Ponctuation editions, 2023).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199114/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Si le sexisme ou les discriminations contre les personnes LGBTQI ressortent avec force dans les enquêtes, une étude récente montre que la question du racisme est celle qui augmente le plus régulièrement.Johanna Dagorn, Sociologue, Université de BordeauxArnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.