tag:theconversation.com,2011:/id/topics/rwanda-23952/articlesRwanda – The Conversation2023-10-30T16:17:24Ztag:theconversation.com,2011:article/2165542023-10-30T16:17:24Z2023-10-30T16:17:24ZLes hommes déclarent qu'ils consacrent plus de temps aux tâches ménagères et qu'ils aimeraient en faire plus : enquête réalisée dans 17 pays<p>Dans les pays du Sud, les femmes effectuent entre <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=7">trois et sept fois plus de tâches de soins</a> que les hommes. Ces tâches comprennent les travaux domestiques et se concentrent principalement sur les soins aux enfants. </p>
<p>Il faut espérer que cette situation évolue. Le <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf">Rapport 2023 sur la situation des pères dans le monde</a>, intitulé “Centrer les soins dans un monde en crise”, a exploré les expériences et l'implication dans les soins de 12 000 hommes et femmes, dont beaucoup sont des parents, dans 17 pays. L'enquête s'est penchée sur ceux qui s'occupent des soins, comment ils s'en occupent, pour qui, et sur ce que les hommes et les femmes pensent des soins.</p>
<p>Je suis l'un des cinq coauteurs du rapport, qui révèle une remarquable appréciation des soins de la part des personnes interrogées. Dans une enquête en ligne, ils ont massivement associé les soins à des termes positifs. L’“amour” est le mot le plus fréquemment mentionné dans tous les pays. </p>
<p>Parmi les autres mots fréquemment cités figurent “aide”, “protection”, “attention”, “responsabilité”, “santé”, “gentillesse” et “famille”.</p>
<p>La plupart des hommes ayant participé à l'enquête ont déclaré qu'ils effectuaient des tâches de soin et qu'ils étaient disposés à en faire davantage. Mais de nombreux obstacles se dressent sur leur chemin, notamment les normes sociétales et les contraintes financières. Si les résultats de l'étude laissent entrevoir des changements, ils montrent également que le rythme de ces changements est beaucoup trop lent. </p>
<h2>Pression croissante en faveur d'une plus grande égalité</h2>
<p>Au début de cette année, les États membres des Nations unies ont désigné à l'unanimité le 29 octobre <a href="https://www.un.org/fr/observances/care-and-support-day">journée internationale des soins et de l'assistance</a>. Cela veut dire qu'il y a de plus en plus de reconnaissance de la valeur des soins et du travail de soins et met en évidence le besoin urgent de répartir plus équitablement les responsabilités en matière de soins. </p>
<p>Fournir des soins à une autre personne peut être une expérience positive, favorisant l'empathie et des relations constructives. Cependant, la répartition inégale des <a href="https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_633115/lang--en/index.htm">soins</a> entre les hommes et les femmes entrave depuis longtemps la participation des femmes au travail rémunéré. </p>
<p>En 2018, l'Organisation internationale du travail a estimé que 606 millions de femmes en âge de travailler n'étaient pas en mesure de le faire en raison des tâches de soin non rémunérées. Et le lourd fardeau de ce travail de soins a eu des <a href="https://www.researchgate.net/publication/354252144_Women's_wellbeing_and_the_burden_of_unpaid_work">conséquences néfastes </a>sur le bien-être physique et mental des femmes.</p>
<h2>Aller dans la bonne direction</h2>
<p>Le rapport sur la situation des pères dans le monde révèle que les mères continuent d'assumer une plus grande part de responsabilité dans les tâches de soins, telles que le nettoyage, les soins physiques et émotionnels pour les enfants, la cuisine et les soins pour le/la conjoint(e). Les femmes ont déclaré avoir effectué 1,32 fois de plus de soins physiques aux enfants et avoir fait 1,36 de fois de plus de ménage que les hommes dans tous les pays étudiés dans le rapport. </p>
<p>Mais les pères de pays aussi divers que l'Argentine, l'Irlande, la Chine, la Croatie et le Rwanda ont également déclaré consacrer un nombre d'heures important à diverses tâches non rémunérées au sein du foyer.</p>
<p>L'étude sur la situation des pères dans le monde attribue cette évolution à plusieurs facteurs, dont l'impact du <a href="https://www.who.int/europe/emergencies/situations/covid-19#page=58">COVID-19</a>, l'évolution des normes sexospécifiques relatives à la prestation de soins et des facteurs structurels tels que les systèmes de soins et les politiques en matière de congé parental.</p>
<p>Dans 15 pays, entre 70 et 90 % des hommes sont d'accord avec l'affirmation suivante : “Je me sens autant responsable des tâches de soins que ma partenaire”. </p>
<p>Fait encourageant, dans certains pays comme <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf">l'Afrique du Sud (85 %) et le Rwanda (93 %)</a>, les hommes n'étaient pas d'accord avec l'affirmation suivante : “On ne devrait pas apprendre aux garçons à coudre, à cuisiner, à faire le ménage ou à s'occuper de leurs frères et sœurs”.</p>
<p>Les hommes plus conscients de leurs émotions et ouverts à solliciter un soutien émotionnel étaient <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=22">deux à huit fois</a> plus susceptibles de s'occuper d'un membre de leur famille que ceux qui n'étaient pas conscients de leurs émotions. </p>
<p>Les hommes qui passaient plus de temps à s'occuper des autres ressentaient un plus grand bien-être. Les personnes interrogées qui se sont déclarées satisfaites de leur participation à l'éducation de leurs enfants étaient <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=8">1,5 fois</a> plus susceptibles d'être d'accord avec l'affirmation “Je suis la personne que j'ai toujours voulu être” et de faire état d'un sentiment de gratitude dans la vie que les personnes interrogées qui ne se sont pas déclarées satisfaites de l'éducation de leurs enfants. </p>
<h2>Tout le monde doit participer</h2>
<p>Il est important de reconnaître que la prise en charge d'un enfant ne peut pas dépendre uniquement des efforts individuels. Les hommes et les femmes ont besoin du soutien des communautés, des systèmes de soins et des politiques pour prodiguer des soins de manière efficace. </p>
<p>Plus de la moitié des mères et des pères considèrent que <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=8">l'activisme</a> en faveur des politiques de congé pour soins est une priorité. Ce sentiment varie : 57 % des pères et 66 % des mères en Inde, et 92 % des pères et 94 % des mères au Rwanda soutiennent cette cause.</p>
<p>Les femmes sont plus enclines que les hommes à <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=54">donner la priorité aux politiques de soins</a>, au même titre que les politiques de santé et d'égalité entre les hommes et les femmes. Les préoccupations concernant le coût de la vie étaient sont assez répandues chez les deux sexe, avec un peu plus de femmes (58 %) que d'hommes (53 %) exprimant cette inquiétude. </p>
<p>L'étude a révélé qu'une proportion importante de personnes dans tous les pays ont déclaré <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=54">prendre des mesures </a> pour améliorer les politiques de soins. La majorité d'entre elles (74 %) ont discuté de la question avec leurs amis et leur famille, tandis que 39 % des femmes et 36 % des hommes ont signé ou partagé des pétitions en ligne. En outre, 27 % des femmes et 33 % des hommes ont participé à des manifestations appelant à l'amélioration des politiques de soins.</p>
<p>Les décideurs politiques ont un rôle important à jouer dans les réformes visant à améliorer le congé parental. De meilleures données permettent d'élaborer de meilleures politiques. Il faut donc disposer de statistiques plus précises sur, par exemple, le nombre de pères qui prennent un congé parental et la répartition du temps consacré aux soins entre les hommes et les femmes. </p>
<p>Il est essentiel de faciliter le partage des tâches ménagères entre les hommes si l'on veut que les pays <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=81">prospèrent</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Wessel Van Den Berg travaille pour Equimundo : Centre pour les Masculinités et la Justice Sociale</span></em></p>Le dernier rapport sur la situation des pères dans le monde indique que dans 15 pays, entre 70 et 90 % des hommes se sentent autant responsables des tâches ménagères que leurs conjointes.Wessel Van Den Berg, Research fellow, Stellenbosch UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2013302023-03-30T19:33:15Z2023-03-30T19:33:15ZJustice internationale pénale : à la rencontre des accusés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518198/original/file-20230329-16-agt06m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1024%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les anciens responsables croates de Bosnie Jadranko Prlic, Bruno Stojic, Slobodan Praljak, Milivoj Petkovic, Valentin Coric et Berislav Pusic pendant leur procès à La Haye en 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/icty/38043307874/sizes/l/">Zoran Lesic </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les multiples juridictions internationales pénales mises en place depuis le <a href="https://museums.nuernberg.de/memorium-nuremberg-trials/">procès de Nuremberg</a> (1945-1946), à l’image des tribunaux pénaux ad hoc comme ceux créés pour <a href="https://www.icty.org/">l’ex-Yougoslavie</a> et le <a href="https://unictr.irmct.org/">Rwanda</a> (respectivement TPIY et TPIR), ont pour but de juger les crimes les plus graves : les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-de-guerre/">crimes de guerre</a>, les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-contre-lhumanite/">crimes contre l’humanité</a> et les <a href="https://trialinternational.org/topics-post/genocide/">génocides</a>.</p>
<p>En 1998 a été instaurée une juridiction permanente à vocation universelle, la <a href="https://www.icc-cpi.int/">Cour pénale internationale de La Haye</a>, qui, en plus des crimes précités, a également connaissance des <a href="https://www.cairn.info/pas-de-paix-sans-justice--9782724612332-page-233.htm">crimes d’agression</a>. Néanmoins, sa compétence est limitée aux États ayant ratifié son statut, ce qui l’empêche, par exemple, de juger l’acte d’agression commis par la Russie à l’encontre de l’Ukraine et rend plus difficile le jugement des autres crimes commis au cours de cette guerre. La portée du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/17/vladimir-poutine-sous-le-coup-d-un-mandat-d-arret-de-la-cour-penale-internationale_6165924_3210.html">mandat d’arrêt qu’elle vient d’émettre contre Vladimir Poutine</a> restera donc sans doute avant tout symbolique.</p>
<p>Toutes ces juridictions ont fait et continuent de faire l’objet de nombreuses analyses juridiques, anthropologiques ou sociologiques. Ces dernières ont pour la plupart été menées soit via des observations soit via des entretiens auprès des victimes et des professionnels. <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">Nos recherches</a> adoptent un autre angle : celui de l’expérience pénale des accusés (qu’ils aient été acquittés ou condamnés). Elles doivent être lues en supplément des recherches menées auprès des autres protagonistes de cette justice. L’objectif n’est pas de comprendre le passage à l’acte criminel, mais le fonctionnement des institutions qui ont été mises en place pour y répondre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cour-penale-internationale-des-crimes-sans-victimes-156336">Cour pénale internationale : des crimes sans victimes ?</a>
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<h2>Épistémologie d’une recherche singulière</h2>
<p>Ainsi, nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec une soixantaine de personnes jugées par le TPIY ou le TPIR pour connaître leur expérience pénale. Ces entretiens se sont déroulés pour la plupart dans les prisons où les personnes condamnées ou accusées sont détenues. Ils ont duré plusieurs heures et ont été enregistrés.</p>
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<p>De ces douze années d’une recherche qui repose sur un matériau unique – puisqu’aucun journaliste ou chercheur n’a pu avoir accès à toutes ces personnes – ressortent des résultats étonnants qui questionnent la raison d’être de cette forme de justice hors normes. Notons, avant d’entamer la présentation de notre recherche et de ces résultats, que pour des questions d’anonymat des personnes rencontrées – condition à leur participation à notre recherche – nous ne pouvons citer ni des noms ni des faits.</p>
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<p>L’idée de rencontrer des personnes communément appelées <em>génocidaires</em> ou <em>criminels de guerre</em> repose sur l’enseignement de Paul Ricœur. Dans un <a href="https://esprit.presse.fr/article/paul-ricoeur/l-acte-de-juger-11656">article paru dans la revue <em>Esprit</em> en 1992</a>, le philosophe explique :</p>
<blockquote>
<p>« L’acte de juger a atteint son but lorsque celui qui a, comme on dit, gagné son procès se sent encore capable de dire : mon adversaire, celui qui a perdu, demeure comme moi un sujet de droit ; sa cause méritait d’être entendue ; il avait des arguments plausibles et ceux-ci ont été entendus. Mais la reconnaissance ne serait complète que si la chose pouvait être dite par celui qui a perdu, celui à qui on a donné tort, le condamné ; il devrait pouvoir déclarer que la sentence qui lui donne tort n’était pas un acte de violence mais de reconnaissance. »</p>
</blockquote>
<p>L’analyse des finalités de la justice internationale pénale fonde aussi la nécessité d’une telle recherche. En effet, la justice internationale pénale vise plusieurs objectifs : la rétribution, la dissuasion et la réinsertion, mais aussi l’écriture de l’Histoire ou de la mémoire, la satisfaction des victimes ou encore un effet cathartique.</p>
<p>Toutes ces finalités nécessitent la participation et la responsabilisation de l’accusé (ou du condamné) afin d’être atteintes ou, à tout le moins, approchées. Or, comme nous allons le voir, les juridictions internationales pénales ne permettent pas aux auteurs de crimes d’adhérer à cette nécessité de consensus entre tous les protagonistes des drames qui se jouent en temps de guerre.</p>
<h2>Impact de la justice internationale pénale</h2>
<p>Si toutes les personnes que nous avons rencontrées disent adhérer à l’idée d’une justice internationale pénale « au-dessus de tout soupçon » ou qui « permet d’établir la vérité », leur expérience pénale les a confrontées à une violence institutionnelle et symbolique qui entraîne, à leurs yeux, une délégitimation de cette forme de justice.</p>
<p>C’est ainsi qu’elles décrivent un processus pénal semé d’embûches ; trop encadré par une terminologie juridique qui, à leurs yeux, ne retranscrit pas la réalité qu’elles ont vécue ; et qui leur donne trop rarement la parole. Lorsque cela a quand même été le cas, ce sont essentiellement leurs avocats (choisis par les accusés eux-mêmes et bien souvent rémunérés par la juridiction) qui ont pu s’exprimer, et pas les accusés eux-mêmes.</p>
<p>En outre, les accusés disent ne pas se reconnaître dans les actes d’accusation auxquels ils ont dû faire face. Devant le sien, l’un des répondants s’est d’ailleurs demandé « qui était ce monstre ? », exprimant ainsi un sentiment de décalage avec ce qui avait été vécu, ou face à des questions juridiques perçues comme étant déconnectées de toute réalité. S’il s’agit peut-être d’un déni face aux actes commis, cette réaction témoigne aussi, de notre point de vue de juriste, du fossé qui sépare le droit des faits.</p>
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<p>Un autre racontera que, quand le juge lui a demandé « Plaidez-vous coupable ou non coupable ? », il a tenté d’expliquer le contexte et les actes commis… mais le juge a simplement inscrit « l’accusé a plaidé non coupable ». Il aurait voulu parler plus, mais le juge ne lui a pas laissé l’opportunité.</p>
<p>S’y ajoute le fait qu’une grande majorité des personnes rencontrées estiment avoir été confrontées à une justice « hors sol », imposée par « l’Occident » et politiquement orientée, refusant d’entendre tout élément de contextualisation (qu’il s’agisse du contexte de guerre ou, plus largement, de celui entourant la commission des crimes, les deux étant inévitablement politiques).</p>
<p>Les répondants décrivent une « justice des vainqueurs » qui s’est abattue sur eux (les vaincus) sans pour autant que les premiers, eux aussi coupables de <a href="https://www.hrw.org/news/2008/12/12/rwanda-tribunal-should-pursue-justice-rpf-crimes">crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (principalement au Rwanda)</a>, ne soient inquiétés. En outre, ils constatent une justice « à double vitesse » qui ne juge jamais les dirigeants des États puissants – notamment américains ou européens – et qui poursuit principalement des ressortissants des États « dominés ».</p>
<p>Enfin, et c’est là l’une des critiques les plus acerbes exprimées par les répondants sur la justice internationale pénale, les accusés comme les condamnés s’interrogent régulièrement en ces termes : « Pourquoi moi ? » Ils traduisent ici un constat indépassable en droit international pénal : l’idée de juger des culpabilités individuelles pour des crimes de masse, c’est-à-dire ayant entraîné un nombre dramatique et démesuré de victimes, mais aussi ayant été commis par un nombre conséquent d’auteurs. Ainsi, s’ils admettent souvent avoir commis des crimes, ils réfutent néanmoins la responsabilité (qu’on leur attribue symboliquement) du crime de masse dans son entièreté. Il en résulte un sentiment de servir de bouc émissaire (<a href="https://www.rene-girard.fr/57_p_44429/le-bouc-emissaire.html">au sens girardien</a>) et d’être victime d’injustice, d’où, dans l’immense majorité des cas, leur non-reconnaissance des crimes ou responsabilités individuelles attribuées par les juges internationaux.</p>
<h2>Plaidoyer pour le savoir expérientiel</h2>
<p>Une seule des personnes interrogées a tenu un discours négationniste durant nos entretiens et seules 3, sur 51 condamnés rencontrés, admettent pleinement la justesse de leur condamnation.</p>
<p>Cela signifie que la très grande majorité des personnes interviewées (parmi lesquelles certaines avaient plaidé coupable devant la juridiction internationale) ne reconnaissent pas soit les actes reprochés, soit leurs qualifications juridiques, soit leur illégalité, soit les responsabilités associées. S’il existe une multitude de <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2011-1-page-65.htm">paramètres psychologiques</a> pour expliquer cette non-reconnaissance, celle-ci n’en reste pas moins un échec du droit international pénal : pour reprendre la formule de Paul Ricœur, la sentence reste un acte de violence et ne devient pas, pour le condamné, un acte de reconnaissance.</p>
<p>Cet échec a des conséquences qui vont au-delà du seul cas des personnes condamnées, dans la mesure où il empêche de faire œuvre de mémoire commune (ou consensuelle) et influence l’ensemble du processus de reconstruction.</p>
<p>Il est en effet accepté que les crimes de masse sont généralement commis par une masse d’auteurs. Au Rwanda, par exemple, on a parlé de 100 000 à 150 000 participants au génocide contre les Tutsis. Or, il est impossible de reconstruire un pays sans prendre en compte cette large partie de la population. Le rejet de la justice internationale pénale par les accusés n’aide certainement pas à reconstruire ensemble. Ce rejet déteint bien évidemment sur les familles et communautés des accusés ; plus largement, il empêche une reconnaissance des actes commis. In fine, ce sont les populations et les victimes qui se retrouvent sans réelles réponses à leurs attentes ; celles de connaître la vérité ou celles d’être simplement reconnues.</p>
<p>Il importe dès lors de prendre en compte la parole des accusés (tout comme celle des autres protagonistes que sont les victimes, les juges, les populations touchées par la guerre, etc.) et de constater qu’elle conduit inévitablement vers d’autres voies de justice : des voies de justice réparatrice ou réconciliatrice, des voies de justice traditionnelle ou interpersonnelle, des voies judiciaires locales, ancrées culturellement et moins politisées, ou simplement des voies de justice plus symboliques. Si des pistes ont d’ores et déjà été mises en œuvre, à travers des juridictions plus locales et ancrées culturellement (à l’image des <a href="https://www.asf.be/wp-content/publications/Rwanda_MonitoringGacaca_RapportAnalytique3_FR.pdf">gacaca</a> ou des commissions <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-313.htm">Vérité et Réconciliation</a>) au Rwanda, le rôle des accusés reste à définir et à modeler, de façon à ce que leur expérience soit prise en compte.</p>
<p>Un progrès envisageable consiste à combiner ces divers types de justice, comme cela semble déjà être le cas en <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-1-page-117.htm">Colombie</a>. Ce type de processus, affichant des promesses réalistes, minimes peut-être, mais réalisables, comme la responsabilisation des auteurs de crimes ou l’acceptation des actes commis, pourrait peut-être contribuer à une mémoire partagée et assumée. Les procès ne doivent pas être une continuation de la guerre dans l’arène du tribunal. Il n’est ainsi plus question d’en finir avec l’ennemi par le droit, mais de se relever avec lui grâce au droit.</p>
<p>–</p>
<p><em>Pour plus de détails sur cette recherche, voir <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">« Génocidaire(s). Au cœur de la justice internationale pénale »</a>, Dalloz, décembre 2022</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Scalia a reçu des financements du Fonds national suisse et du Fonds de la recherche scientifique belge.</span></em></p>Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda (TPIR) et pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ont jugé des dizaines d'individus. Une enquête s'intéresse à la façon dont les accusés ont vécu ces procès.Damien Scalia, Professeur en droit international pénal, Études empiriques du droit, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976262023-01-25T18:01:32Z2023-01-25T18:01:32ZEnvoi de tous les migrants indésirables au Rwanda : quand le Royaume-Uni bafoue le droit d’asile<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505628/original/file-20230120-7984-qp49hp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5808%2C3860&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dungeness, Kent, Royaume-Uni, le 29&nbsp;août 2022. Des migrants arrivent sur la plage de Dungeness après avoir été secourus en mer par un bateau de sauvetage. Ils pourraient désormais en théorie être envoyés au Rwanda.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/dungeness-kent-uk-29th-august-2022-2198925823">Sean Aidan Calderbank/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 19 décembre, le « rêve » de Suella Braverman, la ministre de l’Intérieur britannique, s’est – presque – réalisé : celle qui rêvait de <a href="https://www.independent.co.uk/news/uk/politics/suella-braverman-rwanda-dream-obsession-b2195296.html">voir décoller avant le 25 décembre un premier avion</a> pour le Rwanda emportant à son bord des migrants entrés irrégulièrement sur le sol anglais n’aura pas reçu ce « cadeau de Noël », mais à tout le moins elle aura eu la satisfaction d’entendre la <a href="https://www.judiciary.uk/wp-content/uploads/2022/12/AAA-v-SSHD-Rwanda-judgment.pdf">Haute Cour de Londres valider la faisabilité juridique</a> du dispositif.</p>
<p>Attendu bien au-delà des frontières du Royaume-Uni et du cercle des spécialistes des questions de migrations, cet arrêt témoigne des enjeux d’un mécanisme téméraire par lequel le gouvernement britannique entend montrer à ses électeurs – car tel sera probablement son principal effet – que la « maîtrise des frontières », promise lors du Brexit, est à son agenda, et qu’il reste donc quelques raisons de voter « conservateur » lors des prochaines échéances électorales.</p>
<h2>Que prévoit cet accord ?</h2>
<p>L’ambition officielle de ce « memorandum of understanding » est de limiter les arrivées sur le territoire anglais d’étrangers dépourvus du droit d’y entrer et d’y séjourner. Il s’agit de décourager les traversées de la Manche sur des embarcations de fortune, lesquelles se sont multipliées ces derniers mois pour atteindre <a href="https://fr.euronews.com/2022/11/13/royaume-uni-plus-de-40-000-migrants-ont-traverse-la-manche-en-2022">plus de 40 000 en 2022</a>.</p>
<p>Issu d’un <a href="https://www.gov.uk/government/publications/memorandum-of-understanding-mou-between-the-uk-and-rwanda/memorandum-of-understanding-between-the-government-of-the-united-kingdom-of-great-britain-and-northern-ireland-and-the-government-of-the-republic-of-r">protocole d’accord signé le 13 avril 2022</a>, le dispositif prévoit l’acheminement vers le Rwanda des demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni « illégalement ou par des méthodes dangereuses ou inutiles depuis des pays sûrs » et qui ne peuvent être admis sur le territoire anglais. Après un « screening » (examen sommaire) de leur situation, ces personnes, si elles entrent dans le champ d’application de l’accord, seront envoyées au Rwanda – quelle que soit leur nationalité, et quand bien même elles n’auraient jamais eu quelque contact que ce soit avec cet État. La plupart de ceux qui ont traversé la Manche en 2022 sur des embarcations de fortune sont d’ailleurs <a href="https://www.gov.uk/government/statistics/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022">originaires d’Albanie, d’Afghanistan ou d’Iran</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rwanda – Royaume-Uni : accord controversé sur les migrants, TV5 Monde, 11 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Une fois au Rwanda, cet État aura la charge de leur accueil et de l’examen de leur demande d’asile. Si celle-ci prospère, elles seront autorisées à séjourner au Rwanda, sans possibilité ou presque de retourner au Royaume-Uni. Si la demande est rejetée, le Rwanda devra accorder aux personnes ainsi déboutées un titre de séjour sur un autre fondement, ou les renvoyer vers un pays tiers qui les accepterait. Enfin, cet accord est défini par ses rédacteurs comme « non contraignant » juridiquement et insusceptible de recours.</p>
<p>Cela n’aura pas empêché la Cour européenne des droits de l’homme de demander, le <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7360406-10055338&filename=Mesure%20provisoire%20accord%C3%A9e%20concernant%20le%20refoulement%20imminent%20d">14 juin 2022</a>, la suspension en urgence du premier vol prévu sur ce fondement et, le 19 décembre dernier, la Haute Cour anglaise de valider l’accord.</p>
<h2>Un dispositif juridiquement problématique</h2>
<p>Le dispositif imaginé par le Royaume-Uni participe de <a href="https://esprit.presse.fr/article/thibaut-fleury-graff/tenir-a-distance-la-politique-europeenne-d-externalisation-de-l-asile-44374">« ces apo-politiques »</a>, destinées à « tenir à distance » les migrants des territoires occidentaux.</p>
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<p><a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/iles-prisons-migrants-lAustralie-pointees-doigt-2019-07-19-1201036431">L’Australie en a été précurseur</a> en confiant l’examen des demandes d’asile à Nauru ; l’UE a suivi au mitan des années 2010 en <a href="https://theconversation.com/laccord-union-europeenne-turquie-sur-les-migrants-un-troc-de-dupes-57601">facilitant le renvoi en Turquie des personnes arrivant en situation irrégulière</a> sur les côtes grecques ; le <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/le-danemark-fait-un-pas-de-plus-vers-la-delocalisation-des-demandes-dasile-au-rwanda-20220909_6LU7QD55UBCM5LIITNYF36VNM4/">Danemark y songe</a>. Le Royaume-Uni est cependant le premier à confier à un État tiers, de manière générale, non seulement le soin d’examiner les demandes d’asile, mais encore d’accueillir sur son territoire les personnes protégées ou déboutées. Un tel dispositif soulève un certain nombre de difficultés juridiques, ainsi que l’a <a href="https://www.unhcr.org/62a317d34">notamment relevé le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés</a> (UNHCR).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1615077160091262976"}"></div></p>
<p>L’une des principales tient à la qualification du Rwanda de « pays sûr ». En vertu de l’article 33§1 de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié et du droit international coutumier, les États ne peuvent renvoyer les étrangers, même en situation irrégulière, vers un État où il existerait « un risque pour leur vie ou leur liberté » pour l’un des motifs prévus par la Convention (opinions politiques, race ou nationalité, religion ou appartenance à un groupe social).</p>
<p>Qui plus est, en vertu de l’article 3 de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention européenne des droits de l’Homme</a>, à laquelle le Royaume-Uni n’a pas cessé d’être partie, la torture et les traitements inhumains ou dégradants sont interdits, ce qui prohibe également l’éloignement des étrangers vers des pays où existerait un risque de tels traitements. Il est également interdit de renvoyer les étrangers vers des États avec lesquels ils n’ont aucun lien.</p>
<p><em>A contrario</em>, l’éloignement est donc possible vers les États – dits « sûrs » – où un tel risque n’est pas constitué. Encore faut-il s’assurer que tel est bien le cas : cela suppose d’examiner la situation individuelle de l’étranger éloigné, de s’assurer que la qualification d’État sûr est bien fondée, et que l’étranger a un lien avec cet État. Or, en l’espèce, aucun de ces critères n’est rempli.</p>
<p>Tout étranger pourra être renvoyé au Rwanda. L’examen de la situation individuelle aura généralement lieu par téléphone, alors que l’étranger se trouve en détention. Quant au Rwanda, il est loin d’avoir un système d’asile, une justice et un gouvernement garantissant que les personnes transférées depuis le Royaume-Uni ne sont pas soumises à de tels traitements. Connu pour ses détentions arbitraires et ses exécutions extra-judiciaires, le Rwanda s’est illustré récemment encore par l’arrestation, la détention – et même <a href="https://www.hrw.org/news/2019/02/23/rwanda-year-no-justice-refugee-killings">l’exécution sommaire pour douze d’entre eux</a> ! – de réfugiés protestant contre leur accès insuffisant aux services les plus élémentaires. Le pays, par ailleurs, n’est <a href="https://theconversation.com/rwanda-lgbt-rights-are-protected-on-paper-but-discrimination-and-homophobia-persist-182949">guère actif, pour dire le moins, dans la lutte contre les discriminations</a> à l’égard des personnes LBTQ+.</p>
<h2>Pourquoi le Rwanda ?</h2>
<p>Pour quelles raisons le Royaume-Uni, peuplé de 67 millions d’habitants, cinquième puissance mondiale, bien connu pour ses textes fondateurs en matière de protection des libertés, a-t-il donc bien pu décider de confier au Rwanda, 13 millions d’habitants, 144<sup>e</sup> économie mondiale et piètre garant des droits humains, le soin de gérer à sa place les questions d’asile ? Et quel intérêt, pour ce petit pays africain, d’accepter cet « <em>asylum deal » ?</em></p>
<p>Du point de vue britannique, l’accord vise à démontrer que le gouvernement conservateur travaille à la concrétisation de l’une des promesses du Brexit : limiter les migrations, dites irrégulières, sur le territoire anglais. Il est peu probable que l’accord y parvienne réellement – le gouvernement ne s’est d’ailleurs pas risqué à chiffrer le nombre de personnes qui pourraient être concernées. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/24/francois-heran-il-est-temps-que-nos-dirigeants-tiennent-sur-l-immigration-une-parole-de-raison-plutot-qu-un-discours-de-peur_6012799_3232.html">Comme souvent en la matière</a>, l’affichage politique semble plus précieux que l’efficacité pratique – ce dont il faut sans doute se réjouir en l’espèce tant l’accord est « épouvantable » <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/jun/10/prince-charles-criticises-appalling-rwanda-scheme-reports">selon les mots</a> du Roi Charles III lui-même.</p>
<p>Du point de vue rwandais, l’accord est un joli coup économique et diplomatique. Économique, d’abord, car il inclut le versement par Londres de 120 millions de livres sterling au titre de l’aide au développement, auxquels il faut ajouter 12 000 livres par étranger relocalisé. Diplomatique, ensuite, car l’accord constitue pour Kigali un instrument de pression sur le Royaume-Uni, tant dans leurs relations bilatérales – le président rwandais Paul Kagamé a d’ores et déjà <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/may/16/rwanda-president-suggests-uk-extradite-genocide-suspect-asylum-deal-paul-kagame">pris prétexte de l’accord pour demander l’extradition de l’un de ses ressortissants</a> – que dans un contexte plus général, où le soutien de Londres pourrait être précieux – que l’on songe par exemple aux <a href="https://theconversation.com/m23-quatre-elements-essentiels-a-retenir-sur-le-role-du-groupe-rebelle-dans-le-conflit-entre-le-rwanda-et-la-rdc-195243">accusations de soutien du Rwanda aux rebelles du M23</a> dans le cadre du conflit en RDC.</p>
<p>En signant la Convention de Genève, en participant au <a href="https://globalcompactrefugees.org/sites/default/files/2020-05/GCR%20Booklet%20FR.pdf">Pacte mondial pour les Réfugiés de 2018</a>, le Royaume-Uni s’est engagé à coopérer en matière d’asile de manière à favoriser la protection des réfugiés, le partage des responsabilités entre États, et la garantie des droits des personnes en besoin de protection internationale : Londres n’en a manifestement pas fini avec le renoncement à ses engagements internationaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour le Projet "RefWar - Protection en France des exilés de guerre" (2019-2023) associant les Universités Paris Panthéon-Assas, Paris-Saclay, de Bordeaux et le UNHCR. </span></em></p>Londres et Kigali ont signé un accord qui permettra au Royaume-Uni d'envoyer au Rwanda les migrants qu'il refuse d'accueillir. Un texte qui enfreint, entre autres, la Convention de Genève.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1860942022-06-30T17:00:40Z2022-06-30T17:00:40ZBurundi, soixante ans après l’indépendance : un pays en paix… et en crise<p>Le Burundi, qui célèbre ce 1<sup>er</sup> juillet les 60 ans de son indépendance, est le <a href="https://fr.statista.com/statistiques/917055/pays-les-plus-pauvres-monde/">pays le plus pauvre de la planète</a> en termes de PIB par habitant. Ce triste constat doit se comprendre au regard d’une histoire jalonnée de nombreux événements dramatiques. Jusqu’en 1996, le pays a vécu au rythme des coups d’État, massacres, assassinats politiques… avant de plonger dans une longue guerre civile. La paix est progressivement rétablie en 2003. Pour autant, il renoue avec une gouvernance autoritaire en 2015.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/heurs-et-malheurs-du-modele-burundais-53279">Heurs et malheurs du « modèle burundais »</a>
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<p>Depuis, l’ONU note des progrès mais continue de dénoncer les violences politiques qui gangrènent le pays. Comment le Burundi en est-il arrivé là et pourquoi son sort ne s’améliore-t-il pas ?</p>
<h2>Installer des autorités capables d’instaurer la paix : les élections de 2005</h2>
<p>En 2005, après 25 ans de régimes militaires pro-tutsis (à cette date, les deux principales ethnies du pays : les Hutus et les Tutsis, comptaient respectivement pour 85 % et 14 % de la population) et dix années de guerre civile, les électeurs voulaient la paix et portaient à la présidence <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/burundi-le-president-pierre-nkurunziza-est-mort-gouvernement-362581">Pierre Nkurunziza</a>, le chef du Conseil National de Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD), le plus puissant mouvement de la rébellion hutue, capable de s’imposer aussi bien vis-à-vis de l’armée régulière, les Forces armées burundaises (FAB), que des ex-rébellions du camp hutu.</p>
<p>La position de force du CNDD-FDD (branche armée dissidente du CNDD, qui avait accepté de signer un cessez-le-feu avec le pouvoir en place en 1998) n’en était pas pour autant assurée. Sa primauté devait être validée électoralement alors que le processus de négociation entre partis politiques et d’<a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/bi2005.htm">élaboration du cadre constitutionnel</a> avait été conduit sans sa participation.</p>
<p>Suivent cinq années de décantation politique au cours desquelles le CNDD-FDD parachève son implantation nationale.</p>
<h2>Conforter la paix retrouvée et la stabilité du cadre politique : les élections de 2010</h2>
<p>Face à une opposition divisée, les candidats locaux du CNDD-FDD et la personnalité charismatique du président sortant bénéficient d’un soutien massif des populations rurales. L’aspiration à la stabilité est d’autant plus forte que, pour la première fois dans l’histoire du pays, les électeurs sont appelés à voter au terme normal d’une échéance électorale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président Pierre Nkurunziza en campagne électorale.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais au-delà du réalisme, la forte participation électorale et les scores obtenus par le CNDD-FDD expriment un réel satisfecit envers un parti qui a su apaiser les divisions ethniques et a réussi l’intégration des forces armées, désormais sous contrôle de l’exécutif. Cette « réconciliation » nationale, notamment vis-à-vis d’une armée qui ne fait plus « peur à la population », a été le facteur déterminant de la victoire du CNDD-FDD.</p>
<p>Disposant des pleins pouvoirs aux divers échelons de la représentation nationale, sa direction s’engagea immédiatement dans la campagne électorale pour 2015. La priorité absolue accordée à la gestion des problèmes locaux, au renforcement de l’encadrement des populations, la structuration et la mobilisation permanente des militants et cadres du parti sont à la mesure de l’objectif : conserver durablement la totalité des pouvoirs.</p>
<h2>Le coup de force du « troisième mandat » de Pierre Nkurunziza : les élections de 2015</h2>
<p>Ayant réussi, en dix ans d’exercice, à concentrer entre ses mains les outils et ressources du pouvoir et instauré un parti unique <em>de facto</em> doté d’une jeunesse milicienne chargée de l’encadrement de proximité des populations et de la neutralisation de toute opposition organisée, il paraît alors insupportable au président d’avoir à renoncer à ses prérogatives.</p>
<p>Le 25 avril 2015, après la confirmation par le parti de la candidature du président sortant, la contestation populaire est immédiate et se renforce malgré la mobilisation policière. Le <a href="https://www.refworld.org/docid/568fc3064.html">putsch militaire manqué du 13 mai</a>, suivi d’une violente répression, met à nu les fractures au sein des forces armées. La génération de la liberté d’expression et des médias indépendants, qui aspire à la démocratie sans l’avoir vraiment expérimentée, est soumise.</p>
<p>En juillet, au terme d’élections « <a href="https://news.un.org/fr/story/2015/07/315472-burundi-lonu-estime-que-lenvironnement-general-netait-pas-propice-des-elections">ni libres, ni crédibles</a> » selon l’ONU, le CNDD-FDD dépasse la majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale, qui est le pourcentage nécessaire pour s’émanciper des contraintes constitutionnelles et des <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2000-4-page-136.htm">accords d’Arusha</a> afin de reconduire le président à la tête de l’État.</p>
<h2>Le sauve-qui-peut électoral de 2020</h2>
<p>Outre la répression des opposants, les tensions économiques s’aggravent : croissance en berne, fuite des capitaux, absence d’entretien des infrastructures, pillage des ressources publiques et forte réduction des prestations sociales dissuadent les aides internationales.</p>
<p>Au terme de son troisième mandat, les dirigeants du CNDD-FDD poussent vers la sortie « l’éternel guide suprême » devenu « imprésentable ». Ils font élire en mai 2020, suite à une élection contestée, le général Évariste Ndayishimiye, un <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/burundi-qui-est-evariste-ndayishimiye-candidat-du-systeme-cndd-fdd-343510">homme de synthèse avisé et en retrait</a>. Nkurunziza décède peu après.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/burundi-le-lourd-bilan-de-pierre-nkurunziza-140484">Burundi : le lourd bilan de Pierre Nkurunziza</a>
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<p>Alors que le parti-État contrôle tous les pouvoirs et ressources, régule la vie quotidienne des citoyens et n’a plus d’« ennemi » intérieur hors de son contrôle, le <a href="https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2021/07/DL193-Monde-3.-Le-Burundi-sous-Ndayishimiye-une-page-qui-se-tourne.pdf">bilan des trois mandats</a> de gouvernance CNDD-FDD est catastrophique. L’impuissance gestionnaire et la déshérence économique atteignent des niveaux inégalés à l’échelle régionale et internationale.</p>
<h2>Faillite économique, contraintes structurelles et aspirations démocratiques</h2>
<p>Il ne s’agit pas là d’un épiphénomène passager puisque le PIB, déjà très bas aux débuts des années 1990, ne cesse de baisser après les années 1993-1994 puis la guerre civile. Au plus bas en 2005, il repart à la hausse de 2005 à 2014, puis ne cesse de baisser depuis la crise de 2015. Au deuxième rang des pays les plus pauvres du monde en 2013 et 2014, le Burundi accède au premier rang en 2015 et s’y maintient depuis lors. Parallèlement, la <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/dt.tds.dect.gn.zs?locations=BI">dette publique</a> progresse et le déficit des comptes publics se creuse. Une timide reprise de la croissance prévaut néanmoins en 2021.</p>
<p><a href="https://hdr.undp.org/sites/all/themes/hdr_theme/country-notes/fr/BDI.pdf">L’indice du développement humain</a> du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui inclut les critères de longévité, d’éducation et d’inégalités atteste lui aussi la dégradation impressionnante du pays : 138<sup>e</sup> rang mondial sur 189 pays en 1995, 169<sup>e</sup> en 2000, 182<sup>e</sup> en 2005, 180<sup>e</sup> en 2010 et 2015, 185<sup>e</sup> en 2019 et 2020.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plantations de thé au Burundi.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ainsi, dans quasiment tous les domaines économiques et sociaux, les performances burundaises sont parmi les plus basses de la planète, sans que nulle <a href="https://iwacu.global.ssl.fastly.net/une-annee-du-president-ndayishimiye-un-bilan-economique-indolent/">contrainte</a> inédite ne puisse être invoquée. Au contraire, prenant le pas depuis 2012 sur les exportations traditionnelles de café et de thé, l’or et plus récemment les terres rares (<a href="https://www.agenceecofin.com/terres-rares/1303-64633-burundi-rainbow-rare-earths-veut-devenir-un-fournisseur-strategique-cle-pour-le-marche-des-terres-rares">2019</a> – <a href="https://afrique.lalibre.be/66040/burundi-rdcongo-droits-de-lhomme-lambassadeur-americain-roule-pour-les-terres-rares/">2022</a>) sont parmi les <a href="https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Burundi">premiers postes d’exportations du pays</a>.</p>
<p>Potentiellement porteurs, mais fatals pour les agriculteurs aux terres dévastées, il est toutefois difficile, voire impossible, d’évaluer précisément les dividendes retirés du secteur minier, en raison de <a href="http://documents1.worldbank.org/curated/en/563321468184727489/pdf/103086-WP-P145997-Box394854B-PUBLIC-Burundi-English-1607197-Web.pdf">l’absence globale de transparence</a> et de la complexité des arrangements entre les multiples partenaires nationaux et internationaux.</p>
<h2>Le « peuple des collines » face à ses élites</h2>
<p>Après le coup d’État d’avril 2015, la cogestion des « forces armées intégrées » (ex-FAB et rébellions) et les équilibres qui prévalaient entre l’armée et la police prennent fin. <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/coup-d-etat-au-burundi-32942">Sortis vainqueurs du putsch</a>, les gradés récents issus de la rébellion ne s’imposaient plus aucune limite en matière de rattrapage financier et de « retards de carrière » vis-à-vis de leurs collègues tutsis plus âgés et diplômés des écoles militaires. Jusqu’alors contenues ou dissimulées <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/burundi/au-coeur-de-la-crise-burundaise-iv-la-rente-du-maintien-de-la-paix-en-question">(ICG, 2017</a>), ces pratiques se transformaient en une compétition ouverte en matière d’enrichissement personnel à la mesure des pouvoirs de chacun.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1540052374345187329"}"></div></p>
<p>Si l’on ajoute les crispations sécuritaires de l’encadrement de proximité des citoyens par le parti CNDD-FDD, on pourrait penser que la « nouvelle démocratie inclusive » des élites militaires issues des maquis n’a pas fondamentalement rompu avec le cadre et les pratiques des régimes antécédents.</p>
<p>Confirmant ainsi, comme les Burundais le disent, que les paysans sont censés être au pouvoir « par l’intermédiaire de leurs enfants » avec la distance d’une génération via l’école, les universités, les formations militaires et désormais le maquis au nom de leur statut de libérateurs du « peuple burundais ». En effet, après avoir été mis <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1991_num_32_127_4651">autoritairement au travail depuis l’indépendance par les divers régimes militaires</a> qui se sont succédé pour s’approprier l’État, ce sont les propres enfants du « peuple des collines » – qui a majoritairement supporté le poids de la guerre civile – qui vivent désormais de son labeur.</p>
<p>Au regard de la faillite gestionnaire et sociale qui s’est instaurée et semble insurmontable, la rupture pourrait être potentiellement plus profonde que les divisions ethniques et régionales. Ayant porté au pouvoir des dirigeants issus de ses rangs, la paysannerie prend pleinement conscience qu’au-delà de l’atomisation et de l’inorganisation des travailleurs de la terre dont elle porte la responsabilité, c’est au travers des formes mêmes d’intégration et de participation au pouvoir d’État que découle son inexistence politique en tant que classe de petits producteurs.</p>
<h2>Le rôle essentiel de la paysannerie et sa place dans l’État</h2>
<p>C’est en effet la paysannerie qui fournit la quasi-totalité des membres et des ressources d’un parti-État dont la plupart des décisions de politique agraire sont prises sans consultation, y compris aux échelons de base où les délégués du parti, souvent des paysans, n’exercent que des fonctions d’exécutants. Face à un État qui, sous ses divers prête-noms publics ou privés, s’est imposé comme opérateur économique exclusif, ce sont ses fonctionnaires et, concrètement, les cadres du parti qui programment et dirigent les investissements, puis gèrent les interventions productives et leurs retombées.</p>
<p>Mais au Burundi la conscience aiguë de la dévalorisation du mode de vie des paysans et de leur dépossession repose sur une configuration idéologique particulière car, à la différence de nombreux pays africains où l’agriculture est moribonde, l’exercice quotidien de la domination subie est pondéré par la conscience de la puissance potentielle massive, si ce n’est de la paysannerie en tant que classe, du moins de l’ordre paysan. Cette force contenue est bien réelle même si elle s’exprime indirectement dans les limites imposées aux opérations de dynamisation productive et d’animation idéologique.</p>
<p>Dans un pays où l’État ne peut vivre sans le labeur offert des producteurs de la terre (soit 30 % du PIB pour 90 % de la main d’œuvre nationale) sous la forme de produits et de recettes d’exportation, ce repli sur leurs parcelles entretient le sentiment de « tenir » l’État. Largement partagé, il soude la paysannerie par-delà ses différenciations et réactive en permanence les valeurs rurales qui tirent leur force du sentiment séculaire de domination de la nature et d’intégration dans un ordre qui, face à la misère, est devenu pour beaucoup une ultime ligne de défense.</p>
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<p><em>Cette « Histoire du Burundi » est développée et étayée par de nombreux documents inédits dans le texte accessible <a href="https://recherche-afriquedesgrandslacs.pantheonsorbonne.fr/activites-et-programmes-scientifiques">ici</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Guichaoua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Burundi, s’il n’est plus en guerre, se trouve toutefois confronté à de graves difficultés sur les plans politique et économique.André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694222021-10-14T17:19:57Z2021-10-14T17:19:57ZLes défis de la couverture sanitaire universelle en Afrique : un ouvrage de synthèse en français<p>L’accès aux soins de santé est au cœur de la volonté déclarée des États du monde de se diriger vers la <a href="https://www.uhc2030.org/fr/">couverture sanitaire universelle</a> (CSU) en 2030. Depuis 2015, celle-ci est l’un des objectifs de développement durable (<a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/health/">ODD</a>).</p>
<p>Dans un <a href="https://www.editionscienceetbiencommun.org/?p=1636">ouvrage collectif</a> qui vient de paraître, nous avons souhaité rendre accessibles en français (et gratuitement) les plus récentes connaissances scientifiques sur l’état des lieux en la matière en Afrique pour soutenir les réflexions et les débats sur les différentes options pour y parvenir.</p>
<h2>Où en est-on ?</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 » vient de sortir aux Éditions Science et bien commun et est gratuitement disponible en téléchargement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Science et bien commun</span></span>
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<p>La couverture sanitaire est aujourd’hui loin d’être universelle. Elle est très variable d’un pays à l’autre mais aussi, au sein de chaque pays, d’un groupe de population à l’autre et d’un service de santé à l’autre. Par exemple, plusieurs chapitres du livre montrent comment le Burkina Faso a été en mesure d’améliorer de manière incroyable l’accès aux soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes (pour leur accouchement) par l’intermédiaire d’une politique de suppression du paiement des soins financée par l’État.</p>
<p>Cette politique s’est révélée non seulement <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/limpact-de-la-reduction-et-de-la-suppression-du-paiement-des-frais-dutilisation-sur-la-prestation-de-services-au-burkina-faso/">efficace</a> mais aussi <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/cout-efficacite-des-politiques-dexemption-du-paiement-des-soins-de-sante-maternelle-au-burkina-faso/">efficiente</a>, et son rapport coût-bénéfice est impressionnant.</p>
<p>Mais malgré les progrès remarquables de certains pays en Afrique, il reste encore de nombreux défis et obstacles pour que soient atteints les deux objectifs principaux de la CSU, à savoir l’amélioration de l’accès aux soins de santé de qualité pour tous et la réduction du fardeau financier pour les familles dans un contexte où l’on demande encore aux patients de payer lorsqu’ils se rendent dans un centre de santé. Plusieurs chapitres du livre illustrent ces défis dans de nombreux pays de la région ouest-africaine car les obstacles sont encore nombreux.</p>
<h2>Des financements publics insuffisants</h2>
<p>Le premier obstacle, souvent peu abordé, est celui du manque de financement public accordé au secteur de la santé. De même que la France est loin d’atteindre ses engagements internationaux pour l’aide publique au développement, très rares sont les pays en Afrique à approcher de leur <a href="https://au.int/sites/default/files/pages/32894-file-2001-abuja-declaration.pdf">objectif de consacrer 15 % de leur budget au secteur de la santé</a>. Par exemple, le <a href="https://www.unissahel.org/wp-3-senegal">Sénégal</a> accorde autant (soit 5 %) de son budget annuel au ministère de la Santé qu’à celui de la Défense où à celui de l’Ordre et de la sécurité publique.</p>
<p><a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/345336/9789290234531-eng.pdf">Selon l’OMS</a>, un seul pays, le Rwanda, a atteint cet objectif aujourd’hui. De fait, ils restent tous très dépendants de l’aide internationale pour financer leur système de santé. Par exemple, <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/345336/9789290234531-eng.pdf">au Rwanda</a>, 49 % des dépenses de santé sont payées par l’aide internationale contre 15 % au Burkina Faso ou 27 % en Guinée. Du fait de l’insuffisance des dépenses publiques en matière de santé des États, les citoyens doivent payer des sommes considérables quand ils doivent se soigner.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149003073882337281"}"></div></p>
<p>Ainsi, au Burkina Faso, 40 % des dépenses totales de santé sont supportées par les habitants, qui payent lorsqu’elles se rendent au centre de santé. Or, ce mode de financement est injuste puisque l’on demande aux malades de payer sans tenir compte de leur capacité financière. C’est tout l’intérêt des <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/acces-aux-soins-de-sante-en-afrique-de-louest-l">politiques de suppression</a> de ces paiements au point de service que nous évoquons dans notre ouvrage et qui datent des années 2000.</p>
<p>Mais, évidemment, pour que cela puisse fonctionner, il faut que le retrait de ces paiements par les populations soit compensé par un financement public dont le mode de collecte tient compte des enjeux d’équité, c’est-à-dire que les gens devraient payer en fonction de ses capacités. Rares sont les pays qui se sont déjà engagés dans ce mode de financement équitable et solidaire à une échelle nationale. C’est certainement le principal défi des prochaines décennies pour les pays africains car l’argent, <a href="https://books.openedition.org/pum/3607?lang=fr">contrairement aux idées reçues</a>, ne manque pas toujours. Il suffit de penser à l’évasion fiscale, qui se chiffre en milliards, et aux <a href="https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/opinions/secteur-minier-financer-soins-sante-afrique/">industries minières internationales</a> présentes en Afrique.</p>
<h2>Des choix à la fois techniques et idéologiques</h2>
<p>Le corollaire à cette dépendance à l’aide internationale est l’influence que les experts étrangers peuvent exercer sur le choix des instruments de politique de santé. En effet, pour atteindre la CSU, il existe de multiples choix possibles et les débats sont très nombreux et très anciens. Par exemple, faut-il prélever une partie du salaire ou taxer les populations pour financer un système de santé ? Faut-il demander un paiement au point de service ou le supprimer ? Faut-il payer une prime de performance au personnel de santé ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Couverture-Santé Universelle (CSU) : Un exemple au Ghana/OMS, 22 mars 2019.</span></figcaption>
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<p>Ces choix sont techniques mais ils sont aussi souvent enchâssés dans des idéologies et des perspectives propres aux personnes et aux organisations d’aide internationale qui imposent encore très souvent leurs idées, comme c’est le cas de la <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/la-diffusion-politique-du-financement-base-sur-les-resultats-au-mali/">Banque mondiale et de certains cabinets de consultants</a>. L’ouvrage collectif met en évidence les débats en cours autour de ces différents instruments, mais aussi la permanence et l’échec des outils issus de l’approche du <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/"><em>New Public Management</em></a> (par exemple le financement basé sur les résultats, le paiement direct des soins, etc.) comme c’est le cas en <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-1-page-77.htm">France pour son système de santé</a>.</p>
<h2>La piste des assurances communautaires professionnelles à grande échelle</h2>
<p>Il existe cependant des initiatives prometteuses dans la région ouest-africaine dont il faut parler et sur lesquelles il convient de continuer de produire des connaissances scientifiques pour en vérifier la pertinence.</p>
<p>Avec plusieurs collègues, nous étudions une innovation relativement récente en Afrique de l’Ouest francophone, celle des assurances communautaires à grande échelle avec un soutien de professionnels pour la gestion. En effet, après plus de 20 ans d’expériences, les recherches ont montré que les mutuelles communautaires organisées au niveau des villages et des communes avec une gestion bénévole n’étaient pas une solution, comme nous <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/implications-pour-la-recherche-et-pour-les-politiques-de-sante/">l’évoquons dans l’ouvrage</a>. Elles couvrent trop de peu personnes et leur stabilité financière est très précaire. Ainsi, depuis quelques années, des pays comme le <a href="https://www.ceped.org/fr/publications-ressources/working-papers-du-ceped/article/la-couverture-universelle-en-sante">Mali</a> et le <a href="https://www.itg.be/files/docs/shsop/shsop34.pdf">Sénégal</a> se sont engagés (alors que cela avait été proposé <a href="http://dspace.itg.be/handle/10390/6090">il y a très longtemps</a>) dans le développement de mutuelles de santé, où la cotisation reste volontaire (c’est un autre défi !), à l’échelle d’un département/cercle.</p>
<p>De plus, la gestion de ces mutuelles n’est plus laissée à des bénévoles mais réalisée par des professionnels de l’assurance et de la gestion. Les instances de gouvernance continuent d’impliquer les communautés et leurs représentants. Cela pose évidemment des défis concernant la place des communautés et de la <a href="https://theconversation.com/les-invisibles-du-systeme-de-sante-au-senegal-137456">démocratie sanitaire</a> qu’il faudra étudier. Par exemple, au Sénégal, nous évoquons dans le livre le fait que deux départements disposent aujourd’hui d’une assurance maladie qui couvre plus de la moitié de leur population, ce qui est un record historique à notre connaissance. Ce modèle, qui s’est montré <a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">résilient</a> face à la pandémie de Covid-19, commence à s’étendre dans d’autres départements du Sénégal et il a reçu des délégations du Niger, de la Guinée, de la Mauritanie, montrant son attractivité et son potentiel.</p>
<h2>Rendre accessibles les résultats de la recherche</h2>
<p>Enfin, cet ouvrage collectif aborde aussi l’enjeu central de <a href="https://www.equiperenard.org/">l’accès et de l’utilisation de la science</a>. C’est en effet aussi un enjeu scientifique que de produire des connaissances sur la manière dont il est possible de favoriser l’utilisation des données probantes par les acteurs de terrain et les décisionnaires.</p>
<p>Cet objet de recherche est encore rarement abordé en <a href="https://alternatives-humanitaires.org/fr/2020/03/18/lutilisation-de-la-recherche-par-les-ong-un-appel-a-actions-et-a-reflexions/">Afrique de l’Ouest</a>. Un chapitre du livre est consacré à ces défis au <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/le-point-de-vue-des-decideurs-du-burkina-faso-sur-lutilisation-de-la-recherche-au-ministere-de-la-sante/">Burkina Faso</a> et montre comme la science éclaire peu les responsables du ministère de la Santé.</p>
<p>L’un des défis de l’utilisation de la recherche est que cette dernière est la plupart du temps, dans le domaine de la santé, publiée en anglais, ce qui n’en facilite pas l’utilisation par les décisionnaires francophones de l’Afrique de l’Ouest. C’est pour cela que nous avons publié ce livre en français et en accès gratuit. Il n’est pas en vente et quelques copies papier sont actuellement distribuées dans les pays.</p>
<p>De plus, il y a encore beaucoup d’équipes de recherche qui rechignent à s’engager dans un soutien aux politiques publiques et à adapter leurs résultats de recherche pour que ceux-ci puissent nourrir les réflexions des décideurs. Certaines équipes préfèrent attendre que leurs résultats soient publiés dans des revues scientifiques (souvent payantes) en anglais, ce qui peut prendre de nombreux mois et parfois des années, avant de les partager avec les responsables des systèmes de santé concernés. </p>
<p>Il nous reste donc collectivement encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les résultats de nos travaux puissent soutenir le développement et les décisions en faveur de la couverture sanitaire universelle en 2030. Nous espérons que cet ouvrage collectif pourra nourrir les réflexions francophones sur le sujet au-delà des idées reçues et des solutions miracles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169422/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valéry Ridde a reçu des financements d'organismes de recherche publics (ANR, IRSC, AFD, ONG etc.). Il est actuellement affecté à l'ISED/UCAD au Sénégal.</span></em></p>De nombreux travaux sont consacrés aux défis et aux promesses de la mise en place de la couverture sanitaire universelle en Afrique. Un ouvrage qui vient de paraître fait le point sur la situation.Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1617872021-05-30T20:42:28Z2021-05-30T20:42:28ZGénocide au Rwanda : l’appel au pardon d’Emmanuel Macron à Kigali rétablit des liens historiques<p>Le président français Emmanuel Macron vient d’effectuer sa <a href="https://www.france24.com/en/france/20210526-macron-seeks-reset-with-rwanda-on-africa-visit-after-years-of-tensions">première visite d’État au Rwanda</a>. Si de nombreux dirigeants du monde entier se sont rendus dans ce pays d’Afrique centrale de 13 millions d’habitants, y compris d’anciens présidents français, comme le <a href="https://www.nytimes.com/2010/02/26/world/europe/26france.html">président Nicolas Sarkozy en 2010</a>, ce déplacement promettait d’être différent.</p>
<p>Comme on pouvait l’anticiper, de tous les discours prononcés par des présidents français depuis 27 ans, celui d’Emmanuel Macron aura été le plus proche d’exprimer des <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/may/27/kagami-the-winner-as-macron-gives-genocide-speech-in-rwanda">excuses</a> pour l’implication de la France pendant le <a href="https://news.trust.org/item/20140402113037-u315s/">génocide</a> de 1994 contre les Tutsis.</p>
<p>Au Mémorial du génocide de Kigali, Macron a <a href="https://www.newtimes.co.rw/news/time-bow-genocide-victims-listen-survivors-macron">demandé</a> le pardon pour l’implication de la France dans le génocide. Il a également exprimé sa volonté de combattre l’idéologie et le déni du génocide afin de favoriser des relations plus fortes avec le Rwanda.</p>
<p>Quel sera l’impact à long terme de ce voyage et de ce discours ? La réponse à cette question dépend de la façon dont Paris appliquera cet engagement. La France peut apporter une assistance concrète au Rwanda par le biais de l’aide au développement et d’une contribution à la campagne de vaccination contre la Covid-19. Cependant, pour que la France gagne la confiance des Rwandais, le pays doit agir pour combattre l’idéologie et le déni du génocide. Un bon début serait l’arrestation et l’extradition des Rwandais qui ont participé au génocide de 1994 contre les Tutsis.</p>
<h2>Rappel historique</h2>
<p>Avant le génocide, la France était le plus proche allié européen du Rwanda, pays qu’elle n’a jamais colonisé. Le Rwanda a été colonisé par <a href="https://www.britannica.com/place/Rwanda/Rwanda-under-German-and-Belgian-control">l’Allemagne</a> (1884-1919), puis transféré à la Belgique. C’est au cours de la <a href="https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/rwanda/etc/cron.html">période coloniale belge</a> (1919-1962) que les divisions socio-économiques entre Hutus, Tutsis et Twa sont devenues des divisions ethniques inamovibles. Pour <a href="https://www.google.com/books/edition/Rwanda_Before_the_Genocide/IawzAAAAQBAJ?hl=en&gbpv=1&dq=jj+carney&pg=PP2&printsec=frontcover">justifier les atrocités coloniales de la Belgique</a>, le gouvernement colonial a promu certaines élites tutsies à des postes de pouvoir de façon à donner l’apparence d’un pouvoir qui serait exercé par des locaux.</p>
<p>En 1973, coup d’État a porté à la présidence <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp#P1538_159983">Juvénal Habyarimana</a>. Il a développé une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/feb/05/paris-trial-elysee-rwanda-genocide">relation personnelle étroite</a> avec le président français François Mitterrand (1981-1995).</p>
<p>La France de Mitterrand a fourni au régime d’Habyarimana un soutien financier et militaire considérable. Le soutien de Mitterrand a contribué à conforter la légitimité de son homologue rwandais. Cela a ensuite favorisé les politiques de <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/4187200.pdf">divisionnisme ethnique</a>, de haine et de pogroms qui ont abouti au génocide de 1994.</p>
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<p>Depuis lors, les relations franco-rwandaises ont été, au mieux, mauvaises. De nombreux membres du gouvernement rwandais, menés par le Front patriotique rwandais, <a href="https://scholarcommons.usf.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1696&context=gsp">ont jugé inacceptable</a> la proximité de la France avec Habyarimana. Le Rwanda a également exigé la reconnaissance de l’implication de la France dans le génocide de 1994. Malheureusement, cela ne s’est pas produit sous le successeur de François Mitterrand, <a href="https://www.nytimes.com/2008/08/15/opinion/15iht-edkinzer.1.15328850.html">Jacques Chirac</a>.</p>
<p>Par la suite, le président <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/feb/25/sarkozy-rwanda-genocide-kagame">Sarkozy</a> a tenté de renforcer les relations de Paris avec le Rwanda. Il n’a pas été loin d’admettre le rôle de la France pendant le génocide, mais a finalement seulement reconnu que son pays avait commis des « erreurs politiques ». Les relations se sont à nouveau détériorées sous la présidence de <a href="https://www.newtimes.co.rw/section/read/187831">François Hollande</a>, qui a minimisé l’implication de la France avant et pendant le génocide.</p>
<p>Par son discours de Kigali, Macron est allé au-delà des avancées timides enregistrées sous Sarkozy.</p>
<h2>Comment les relations se sont dégradées</h2>
<p>Avec le déclin de la guerre froide au début des années 1990, la France <a href="https://apnews.com/article/edfa5353874d34c97d3062d300bca767">a commencé à faire pression</a> sur ses alliés africains – comme Habyarimana – pour qu’ils démocratisent leurs régimes respectifs. Au Rwanda, cependant, la transition de la dictature à une compétition politique ouverte ne s’est pas bien passée. Plutôt qu’une mobilisation pacifique, l’ouverture de l’espace politique a aidé les extrémistes idéologiques hutus fidèles à Habyarimana à propager l’idéologie du génocide contre les Tutsis.</p>
<p>Au même moment, des exilés rwandais, principalement des Tutsis, ont formé le <a href="https://www.jstor.org/stable/161382?seq=1#metadata_info_tab_contents">Front patriotique rwandais</a>. De 1990 à 1994, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/1462352042000225958?casa_token=XXZMNZVErBsAAAAA:EHqfGZrSRrG1vr1c8CDkKHS1k_Mx8BN5bSuyYwg0OJB7RwtuZ4DBw8Djnr4iFG7AZrDLzMZ1RXw">guerre civile</a> opposa le gouvernement à ces rebelles bien organisés.</p>
<p>La France a soutenu le régime d’Habyarimana en repoussant la première invasion du Front patriotique rwandais (1990-1991). Après cette campagne, le gouvernement français a fourni une aide militaire au Rwanda pour aider celui-ci à reconstruire son armée contre ce même parti. Les Français ont également secrètement appuyé une milice soutenue par le gouvernement, les <a href="https://www.britannica.com/event/Rwanda-genocide-of-1994/Genocide#ref1111308">Interahamwe</a> (Ceux qui combattent ensemble).</p>
<p>Le génocide a commencé quelques heures après l’<a href="https://www.theguardian.com/world/2010/jan/12/rwanda-hutu-president-plane-inquiry">assassinat</a> d’Habyarimana. Son avion présidentiel a été abattu par des assaillants inconnus.</p>
<p>La France s’est résolument placée derrière le nouveau gouvernement, qui mit en œuvre le génocide. Sans fournir de matériel militaire ou de troupes, elle a fait pression pour le retrait de la <a href="https://peacekeeping.un.org/en/mission/past/unamirS.htm">force de maintien de la paix des Nations unies</a> au Rwanda. Elle a également déplacé le <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-arrest-of-madame-agathe">cercle restreint</a> du pouvoir du gouvernement rwandais hors du Rwanda dans les premiers jours du génocide.</p>
<p>Plus tard, la France a envoyé des troupes dans le cadre de <a href="https://www.realcleardefense.com/articles/2018/05/14/assessment_of_opration_turquoise_113440.html">l’Opération Turquoise, autorisée par l’ONU</a>. Le gouvernement français a déclaré publiquement que sa contribution substantielle de près de 2 500 soldats aiderait à mettre fin aux tueries génocidaires. Cependant, les auteurs du génocide ont pu poursuivre les massacres et <a href="https://www.hrw.org/reports/1996/Zaire.htm">fuir</a> vers le Zaïre voisin.</p>
<h2>Gestes de bonne volonté</h2>
<p>Les retombées politiques du génocide de 1994 resteront au cœur des relations entre le Rwanda et la France pendant un certain temps encore. Mais les signes sont prometteurs. Un premier pas d’importance a été accompli en 2019 avec la création de la <a href="https://www.voanews.com/europe/report-frances-role-rwandas-genocide-fails-lay-rest-dark-past">Commission Duclert</a> pour enquêter sur le rôle de la France dans le génocide.</p>
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<p>Le rapport de la commission exprime des doutes raisonnables quant au fait que le gouvernement français était pleinement conscient de la manière dont ses relations avec le régime Habyarimana et la formation des forces Interahamwe conduiraient au génocide. Il reconnaît néanmoins l’implication de la France dans les événements qui ont conduit aux massacres.</p>
<p>Le gouvernement rwandais <a href="https://www.gov.rw/blog-detail/statement-on-the-release-of-the-duclert-commission-report">a accepté</a> les conclusions du rapport et a souligné l’importance de ce dernier pour aider à restaurer la confiance entre les deux nations.</p>
<p>M. Macron et l’actuel président rwandais Paul Kagame se sont récemment <a href="https://www.nytimes.com/2021/05/27/world/africa/france-rwanda.html">rencontrés</a> en France. Macron a publiquement dit sa volonté d’avoir des relations <a href="https://www.france24.com/en/video/20210527-replay-france-s-macron-meets-rwanda-s-kagame-to-turn-page-on-post-genocide-tensions">amicales</a> avec son homologue rwandais.</p>
<p>Au cours de la visite d’État du président français au Rwanda, des <a href="https://www.newtimes.co.rw/news/rwanda-france-sign-two-bilateral-agreement">accords</a> importants ont été conclus entre les deux pays – par exemple un accord de coopération bilatérale signé entre les ministres des Affaires étrangères des deux nations, ainsi qu’un soutien financier au développement et à la lutte contre le Covid-19.</p>
<p>Mais pour les Rwandais, l’un des moments clés a été la visite de Macron au Mémorial du génocide de Kigali. Bien que cela puisse ne pas sembler être un avantage tangible en matière de politique étrangère, ce déplacement a une influence significative sur la perception que les Rwandais ont de la France – une perception qui oscille entre hésitation, scepticisme et haine ouverte de la France.</p>
<p>Pour de nombreux Rwandais, la France est associée à une période de l’histoire de leur pays qui a été marquée par les haines ethniques, l’instabilité et la dictature d’Habyarimana. Beaucoup tiennent encore la France pour responsable de l’aide apportée à l’idéologie destructrice du génocide.</p>
<p>Il faudra du temps pour que les Rwandais, en particulier ceux qui ont souffert ou été témoins du génocide, fassent à nouveau confiance à la France. Emmanuel Macron devra être conscient de ces défis et du fait que les relations franco-rwandaises nécessiteront du temps, des gestes de bonne volonté et des actions concrètes visant à remédier au passé.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161787/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Beloff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il faudra du temps pour que les Rwandais, en particulier ceux qui ont souffert ou été témoins du génocide, fassent à nouveau confiance à la France.Jonathan Beloff, SOAS, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1590782021-04-25T16:35:11Z2021-04-25T16:35:11ZRwanda : des commémorations du génocide rythmées par les agendas politique et diplomatique<p>Depuis sa création en 2003, la <a href="https://cnlg.gov.rw/index.php?id=2&L=2">Commission nationale de lutte contre le génocide du Rwanda (CNLG)</a> porte la politique nationale de mémoire du génocide sur la base d’un programme qui a progressivement imprimé sa marque sur tous les contours des politiques sectorielles.</p>
<p>Chaque année, l’organisation et les thématiques privilégiées lors des célébrations sont établies en liaison étroite avec la présidence de la République. Nous aborderons ci-après la période qui suit le 20<sup>e</sup> anniversaire de la guerre et du génocide de 1994.</p>
<h2>L’internationalisation de la mémoire du génocide (2014-2019)</h2>
<p>Le Rwanda entrait alors dans la phase finale de la politique publique de « seconde internationalisation » de la mémoire de ce génocide définie par la CNGL. L’objectif était d’imposer la reconnaissance et la célébration du génocide comme une exigence éthique internationale.</p>
<p>Cette politique s’est traduite en 2014 par l’organisation à Kigali de commémorations particulièrement offensives, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/04/05/97001-20140405FILWWW00163-rwanda-paris-boycotte-les-20-ans-du-genocide.php">notamment à l’égard de la France</a>, dont l’ambassadeur s’est vu retirer l’<a href="https://www.jeuneafrique.com/164512/politique/le-rwanda-comm-more-les-20-ans-du-g-nocide-sans-repr-sentant-de-la-france/">accréditation</a> le matin même des commémorations. Le <a href="https://www.scholastiquemukasonga.net/pdf/Discours-du-Pr%C3%A9sident-Paul-Kagame-kwibuka-20.pdf">discours accusateur du président Paul Kagame</a> fut le point d’orgue des cérémonies officielles organisées en présence du <a href="https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2014-04-07/remarks-commemoration-20th-anniversary-rwandan-genocide-english-and">secrétaire général de l’ONU</a> et de nombreux chefs d’État étrangers.</p>
<p>En décembre 2017, au regard de la généralisation à l’étranger de la commémoration du génocide le 7 avril, le Rwanda déposa à l’ordre du jour de <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/N17/439/57/PDF/N1743957.pdf">l’Assemblée générale des Nations unies</a> une demande de modification de l’intitulé de cette « Journée de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda ». Le 26 janvier 2018, l’Assemblée adopta sans vote une décision qui reprenait la formulation rwandaise officielle de « <a href="https://www.un.org/press/fr/2018/ag12000.doc.htm">génocide contre les Tutsi au Rwanda</a> ». Une formulation très critiquée car réintroduisant l’ethnie et excluant les autres victimes.</p>
<p>En 2019, la célébration du 25<sup>e</sup> anniversaire consacrait la reconnaissance unanime par la « communauté internationale » de sa responsabilité vis-à-vis d’un génocide qu’elle n’a pas voulu arrêter. Marquées par l’expression des remords de plusieurs pays, les cérémonies officielles connurent une ampleur exceptionnelle.</p>
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<p>Même la France, habituellement ciblée, fut ménagée. Quelques mois plus tôt, un non-lieu de la justice française dans la procédure de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/rwanda-non-lieu-dans-l-enquete-sur-l-attentat-declencheur-du-genocide-de-1994-26-12-2018-7976577.php">l’attentat contre l’avion présidentiel</a> du 6 avril accusant des personnalités rwandaises soldait un lourd et long contentieux entre la France et les autorités du nouveau régime rwandais – et cela, non sans risque. En effet, en 2017, lors de la clôture de son instruction, le Rwanda avait chargé un célèbre cabinet d’avocats américain d’étudier les possibilités de poursuites judiciaires envers la France devant la justice internationale pour complicité de génocide.</p>
<p>Attendu à Kigali, le président Macron avait finalement délégué un député français d’origine rwandaise et soulignait dans une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190408-exclusif-role-france-rwanda-lettre-macron-president-commission-historiens">déclaration publique</a> sa volonté de « rupture dans la manière dont la France appréhende et enseigne le génocide des Tutsi », faisait du 7 avril une <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/questions/detail/15/QE/28557">journée nationale de commémoration</a> en France et installait une Commission « consacrée à l’étude de toutes les archives françaises concernant le Rwanda de 1990 à 1994 » (en outre, en juin, lors du 25<sup>e</sup> anniversaire des massacres de Bisesero, un second non-lieu français mettait un terme à la procédure engagée envers des <a href="https://fr.africanews.com/2019/06/28/france-rwanda-1994-en-pleines-commemorations-de-bisesero-les-juges-dinstruction-cedent-la-place-aux-historiens//">officiers français de l’Opération Turquoise</a>). Une approche pédagogique vis-à-vis des institutions régaliennes françaises invitées à assumer l’héritage et à reconnaître les « erreurs » du passé, dont les questionnements, les réponses attendues et le calendrier ne pouvaient être continûment soumis aux pressions des autorités rwandaises.</p>
<h2>Le retour des commémorations polémiques : le contentieux onusien de 2020</h2>
<p>Le 26<sup>e</sup> anniversaire fut particulièrement difficile pour le Rwanda. Outre les contraintes de la Covid interdisant les rassemblements publics, les déclarations du Secrétaire général des Nations unies et du président de l’Assemblée générale de l’ONU (AG-NU) contestant, la veille des commémorations, le nouvel intitulé officiel du programme de communication surprirent. Dans son <a href="https://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/commemorations-2020-sg-message.shtml">Message public</a>, Antonio Guterres précisait que parmi le « million de personnes [qui] ont été systématiquement tuées en l’espace de 100 jours, les victimes étaient tutsies en majorité, mais comptaient également parmi elles des Hutus et d’autres personnes qui s’opposaient au génocide. En cette journée, nous honorons la mémoire de toutes ces personnes. Nous puisons notre inspiration dans la capacité des personnes rescapées à se réconcilier et à se reconstruire. »</p>
<p>Le lendemain, 7 avril, à Kigali, prenant acte des communiqués onusiens, la <a href="https://youtu.be/-8WZlmZ_pUY">brève déclaration publique</a> du président Kagame s’adresse aux « rescapés », à « tous les Rwandais », évoque les « victimes de la tragédie », parle de « désastre » et des « événements que notre pays a traversés », sans mentionner le « génocide des Tutsi ».</p>
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<p>Cette transgression de la formule officielle consacrée par la Constitution et imposée par la loi mobilise les organisations de rescapés. Le président recule.</p>
<p>Un vote formel d’une résolution de l’AG-NU s’impose. Le 20 avril, lors des débats sur le projet de résolution soutenu par le Rwanda, les <a href="https://d2v9ipibika81v.cloudfront.net/uploads/sites/296/4.20.2020-Letter-to-GA-President.pdf">États-Unis</a> et la <a href="https://www.un.org/pga/74/wp-content/uploads/sites/99/2020/04/UK-EOP-on-Rwandan-genocide-resolution-20-April.pdf">Grande-Bretagne</a> dénoncent la discrimination entre les différentes victimes de la guerre et du génocide et la réécriture de l’histoire du passé que cette formulation induit. Suite aux pressions rwandaises, la version controversée de la <a href="https://undocs.org/fr/A/RES/74/273">Résolution</a> est néanmoins adoptée au consensus.</p>
<p>L’ambassadeur américain adresse alors une seconde <a href="https://usun.usmission.gov/explanation-of-position-on-the-un-general-assembly-resolution-on-the-rwandan-genocide/">lettre d’explication</a> au président de l’AG-NU, exprimant sa déception « face au processus de négociation qui a mené à cette résolution […] en forçant les alliés du Rwanda, y compris les États-Unis, à accepter des termes que nous trouvons préoccupants. »</p>
<p>Le 28 avril, une <a href="https://www.undocs.org/en/A/74/830">réponse officielle du gouvernement</a> rwandais revendique l’exclusivité de la qualification de génocide aux seules victimes tutsi et regrette que « loin de promouvoir la réconciliation, les explications de la position des États-Unis et du Royaume-Uni sont sources d’ambiguïté, alimentant le mouvement négationniste résurgent qui, déjà, est en plein essor dans la région des Grands Lacs et au-delà ».</p>
<p>Tous les objectifs de l’active politique nationale de mémoire promue par la CNLG sont alors formellement atteints : la reconnaissance et la célébration du « génocide contre les Tutsi au Rwanda » sont consacrées comme une exigence éthique internationale ainsi que sa politique de mémoire du génocide désormais déconnectée de son contexte historique, comme les propos de l’ambassadeur américain le soutiennent.</p>
<p>En effet, dissociant la commission du génocide des politiques poursuivies par les deux blocs politico-militaires en guerre de 1990 à 1994 qui ont débouché sur la « guerre finale » et le génocide d’avril-juillet 1994, l’histoire officielle du Rwanda clôt les débats qui marquent depuis les indépendances les travaux historiques relatifs à cette région. Il ne s’agit plus d’une reconstruction reposant sur des données factuelles ou des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14623528.2019.1709611">recherches</a> qui l’enrichiraient, mais sur la criminalisation de tous ceux qui la contestent au nom des diverses lois sur le négationnisme.</p>
<h2>Les « autres luttes » du Rwanda en 2021 : de la Grande-Bretagne à la France</h2>
<p>En avril 2021, deux événements majeurs encadraient les commémorations. Le 26 mars, la publication du <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/279186_0.pdf">Rapport</a> sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi était suivie de l’annonce d’un probable déplacement du président français au Rwanda. À Kigali, les autorités préparaient activement la tenue en juin du sommet des États membres du Commonwealth. Tout laissait penser que les commémorations capitaliseraient sur ces avancées.</p>
<p>La capitalisation a bien eu lieu mais le long <a href="https://www.newtimes.co.rw/news/kwibuka27-address-president-paul-kagame">discours présidentiel</a> consista essentiellement à justifier la fermeté des autorités pour défendre les acquis de la reconstruction : la restauration de la paix, de la sécurité et de l’état de droit, la lutte contre l’impunité des génocidaires installés hors du Rwanda. Puis, dans un second temps, répondre aux critiques suscitées à l’étranger par l’ordre sécuritaire instauré.</p>
<p>Sont alors dénoncés les pays qui, sans juger eux-mêmes les génocidaires présumés installés sur leur territoire, refusent de les extrader au Rwanda : « Ce sont les mêmes qui remettent en question l’usage du terme Génocide contre les Tutsi », c’est-à-dire les opposants à la résolution onusienne d’avril 2020. Aux yeux du président Kagame, il ne s’agit pas là d’un rappel pour la forme mais d’un nouveau combat :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, nous avons une autre lutte, les gens luttent pour l’appeler “génocide contre les Tutsi”. Mais le problème des définitions a commencé en 1994, alors qu’il suffisait de donner un nom à ce qui se passait. »</p>
</blockquote>
<p>Un combat et des soupçons de négationnisme surprenants alors que <a href="https://thecommonwealth.org/chogm">Kigali s’apprête à accueillir le prochain sommet du Commonwealth</a>, une organisation dont le Royaume-Uni est le cœur et qui, pour le Rwanda, hormis la langue d’une partie de sa population, repose principalement sur l’adhésion aux valeurs décrites dans la Charte du Commonwealth. Un rappel que le <a href="https://www.gov.uk/government/speeches/37th-universal-periodic-review-uk-statement-on-rwanda">représentant britannique</a> s’était autorisé lors de l’examen de la situation au Rwanda par la Commission des droits de l’homme des Nations unies en janvier 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« En tant que membre du Commonwealth et futur président en exercice, nous exhortons le Rwanda à s’inspirer des valeurs du Commonwealth en matière de démocratie, de primauté du droit et de respect des droits de la personne. »</p>
</blockquote>
<p>Des violations dénoncées par les plus importantes organisations anglo-saxonnes de défense des droits de l’homme (<a href="https://www.hrw.org/fr/world-report/2021/country-chapters/377288">HRW</a> / <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/pol10/3202/2021/fr/">Amnesty International</a>) qui classent alors le Rwanda parmi les tout premiers pays de la planète en matière de non-respect de droits humains. D’où l’animosité et la réplique présidentielle cinglante envers la Grande-Bretagne :</p>
<blockquote>
<p>« C’est comme si cette simple reconnaissance de ce que devrait être le mot de [génocide] était une récompense accordée aux Rwandais en échange d’un “bon comportement”.[…] Quelle honte. »</p>
</blockquote>
<p>En contrepoint, le président cite alors un passage du tout récent <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/279186_0.pdf">Rapport</a> sur les archives françaises qui « montre que le président Mitterand et ses proches conseillers savaient qu’un génocide contre les Tutsi était planifié par leurs alliés au Rwanda ». Le rapport français propose en effet une approche documentée et fort critique du rôle de la France au Rwanda aux côtés du régime Habyarimana entre 1990 et 1994 sans pourtant estimer que la France a été « complice du génocide » : « Il marque aussi un changement, il montre la volonté même des dirigeants en France, d’aller de l’avant avec une bonne compréhension de ce qui s’est passé, et nous nous en félicitons », commente Paul Kagame. Une nouvelle avancée de la part d’un pays régulièrement pris à partie par les autorités de Kigali depuis la première commémoration officielle d’avril 1995.</p>
<p>Mais l’essentiel était à venir. Le 19 avril, les autorités rwandaises dévoilaient enfin leur propre « rapport d’enquête », établi par un cabinet d’avocats américain, sur le <a href="https://www.voltairenet.org/article212822.html">rôle de l’État français en lien avec le génocide contre les Tutsi au Rwanda</a> actualisé au regard des conclusions du rapport français. Bien plus sévère que le rapport français, cette enquête à charge établit, selon le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/04/19/genocide-des-tutsi-au-rwanda-pour-kigali-l-etat-francais-n-est-pascomplice_6077290_3212.html">ministre rwandais des Affaires étrangères</a>, les responsabilités des dirigeants politiques français de l’époque « qui ont rendu possible un génocide prévisible ». Ayant de même établi « la vérité sur la base de faits connus et d’archives existantes », il estime ensuite que « la France n’a pas participé à la planification du génocide », « ni aux tueries et aux exactions » : « L’État français n’est pas complice. Mais c’est une question de droit et le gouvernement rwandais ne portera pas cette question devant une cour. » Telles sont définies les bases d’une « relation saine » éventuellement complétée par l’expression d’excuses qui « serait un pas dans la bonne direction pour rétablir la confiance. »</p>
<p>La convergence finale des conclusions des deux rapports sur l’absence de complicité de génocide de la France et le renoncement mutuel à la judiciarisation de la confrontation franco-rwandaise méritent d’être soulignés. En France, en 2019 les non-lieux judiciaires avaient ouvert la voie à des « historiens archivistes » non spécialistes du Rwanda qui, suite à l’analyse d’un important corpus de données officielles jusque-là protégées, avancent des conclusions de caractère juridique… Parallèlement, les juristes américains sollicités par le Rwanda arrivent aux mêmes conclusions juridiques après avoir rédigé une histoire longue et détaillée de la libération du Rwanda d’un régime génocidaire continûment soutenu politiquement par la France dès son installation au cours des années 1970 puis militairement pendant la guerre sans oublier les relations avec les actuelles autorités. Une politique assumée qu’ils ne qualifient pas pour autant, au terme d’un plaidoyer brillant conforme aux attentes de leur client, de complicité de génocide.</p>
<p>Délibérément maintenus à l’écart du processus d’élaboration des deux rapports, les chercheurs intéressés par cette région sont désormais invités à prendre la mesure de ces apports de documents inédits et des récentes « vérités établies » susceptibles de renouveler les approches sur la guerre et le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.</p>
<h2>Les enjeux des commémorations de l’année 2022</h2>
<p>Tout laisse penser que les prochaines commémorations seront aussi riches en événements et apports. Sans anticiper les déterminants diplomatico-politiques qui prévaudront alors, on peut déjà mentionner deux commémorations de portée internationale qui concerneront directement ou indirectement le Rwanda. Vient tout d’abord, le 1<sup>er</sup> juillet, <a href="https://theconversation.com/burundi-rwanda-deux-pays-indissociables-et-rivaux-63916">l’anniversaire commun au Rwanda et au Burundi</a> des soixante ans de leur indépendance.</p>
<p>Au Rwanda, où le 1<sup>er</sup> juillet est banalisé comme une simple journée chômée, les autorités continueront vraisemblablement à célébrer avant tout le 4 juillet leur prise de Kigali en 1994. Au Burundi, à l’inverse, plus encore qu’en 2012, les autorités entendent donner une forte portée symbolique et politique à leur célébration conjointe de l’indépendance et du 50<sup>e</sup> anniversaire du génocide des Hutu de 1972. La reconnaissance de ce génocide « occulté » à l’échelle nationale et internationale sera au cœur des commémorations.</p>
<p>Sans engager de débat sur cette occultation, rappelons que plusieurs rapports des Nations unies mentionnent dans la liste des massacres de masse qualifiés de génocide « le massacre des Hutus par les Tutsis au Burundi en 1965 et en 1972 » (<a href="https://undocs.org/pdf?symbol=fr/E/CN%20.4/Sub%20.2/1985/6">Rapport, 1985</a> pp. 12/20/22)) ainsi que « des actes de génocide perpétrés contre la minorité tutsi le 21 octobre 1993 et les jours suivants » (<a href="https://undocs.org/pdf?symbol=fr/S/1996/682">Rapport, 1996</a>, pp. 89)). Mais en l’absence d’enquêtes approfondies, ces crimes sont restés sans prolongements judiciaires.</p>
<p>Dans une région qui depuis l’indépendance des deux pays « frères ennemis » vit au rythme de crises politiques nationales étroitement imbriquées et dominées par les exclusives ethniques, les divers massacres de masse et génocides des années 1959-61, 1965, 1969, 1972, 1988, 1973, 1993, 1994, 2015 demeurent profondément ancrés dans les mémoires des Burundais comme des Rwandais. Alors que les dominations « tutsi » du Burundi et « hutu » du Rwanda désormais inversées après deux guerres civiles pérennisent l’autoritarisme politique de régimes militaires et de partis uniques <em>de facto</em>, le débat engagé par les responsables onusiens sur l’exclusivité d’un groupe de victimes commémorées perdure sous des formes spécifiques des deux côtés de la frontière.</p>
<p>Les modalités de la célébration burundaise ne sont pas encore arrêtées, mais il apparaîtrait paradoxal que lors de la prochaine commémoration du génocide des Hutu de 1972, les autorités burundaises ne confirment pas la position de principe au nom de laquelle elles ne se sont pas associées en 2020 aux pays « sponsors » de la motion rwandaise et ne mentionnent pas explicitement les « autres victimes ». En effet, pour la grande majorité des Burundais, cinquante ans après le génocide de 1972 et le rétablissement de la paix, le temps d’honorer la mémoire de toutes les victimes des divisions nationales semble venu.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397308/original/file-20210427-21-1pgksrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ouverture du débat dès cette année au Burundi.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En bien des lieux, les débats ouverts qui accompagnent l’actuel travail d’exhumation et d’enregistrement des victimes de 1972 mis en œuvre par la <a href="https://umr-developpement-societes.univ-paris1.fr/fileadmin/GrandsLacs/CVR_Burundi_Rapport_d_e__tape_Exercice_2020_Synthe__se.pdf">Commission Vérité et Réconciliation</a> déclenchent des prises de parole libératrices des populations hutu et tutsi qui ont réappris à vivre ensemble et à échanger. Sur le terrain, la <a href="https://www.iwacu-burundi.org/crise-de-1972-un-rapport-accablant/">forte motivation des populations</a> et l’implication des institutions éthiques dans le travail de deuil modèrent, voire contiennent les velléités des acteurs politiques d’imposer leurs propres agendas au processus.</p>
<p>Dans ce contexte, le « devoir de mémoire » et le « devoir d’histoire » progressent conjointement et pourraient rendre enfin possible l’écriture d’une histoire nationale plurielle et partagée. </p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Guichaoua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour détaillé sur l’évolution de la commémoration par les autorités rwandaises du génocide de 1994.André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1563362021-03-15T18:01:23Z2021-03-15T18:01:23ZCour pénale internationale : des crimes sans victimes ?<p>La Cour pénale est la première et la seule juridiction permanente compétente pour juger les hauts responsables pour crime de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression : un réel aboutissement de la part de la communauté internationale.</p>
<p>Pourtant, après presque vingt ans d’existence, la Cour fait l’objet de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2019-4-page-83.htm">critiques persistantes</a> et les griefs ne manquent pas. Sa « partialité » envers l’Afrique est mise en cause, notamment au prétexte des acquittements retentissants de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/14/l-acquittement-de-bemba-revele-les-echecs-de-la-cour-penale-internationale_5314784_3212.html">Jean‑Pierre Bemba</a>, ancien vice-président de la RDC, en 2018, et de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/gbagbo-acquitte-et-apres_2057467.html">Laurent Gbagbo</a>, ancien président de Côte d’Ivoire, en 2019, accusés des crimes les plus graves. S’ajoutent les sanctions économiques américaines contre la procureur, la Gambienne Fatou Bensouda, en raison de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/05/la-cour-penale-internationale-valide-l-ouverture-d-une-enquete-pour-crimes-de-guerre-et-crimes-contre-l-humanite-en-afghanistan_6031942_3210.html">l’ouverture d’une enquête</a> en Afghanistan pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par les diverses forces en présence, ou encore les retraits d’États à l’égard de la compétence de la Cour (Burundi, Philippines) ou leur refus d’y souscrire (Chine, États-Unis, Russie, Inde, Israël…).</p>
<p>Autant d’éléments qui attestent, plus encore que sa réputation disputée, de sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/une-justice-internationale-a-la-peine_5471125_3210.html">fragilité</a>. L’universalité de la compétence de la Cour n’est pas acquise et de nombreux crimes peuvent rester impunis.</p>
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<figcaption><span class="caption">CPI : dénoncer le statut de Rome nuit à la justice internationale pour tous, affirme l’ONU.</span></figcaption>
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<p>Comment améliorer son fonctionnement ? L’élection d’un nouveau procureur, le Britannique <a href="https://asp.icc-cpi.int/FR_Menus/asp/press%20releases/pages/pr1567.aspx">Karim Kahn</a>, spécialiste des procès pénaux internationaux, qui prendra ses fonctions en juin prochain, peut-elle vraiment bouleverser la donne ? Une piste de réflexion vise à prendre en compte les victimes.</p>
<h2>Des victimes absentes des procès internationaux</h2>
<p>Il est un point de droit de procédure méconnu et pourtant fondamental : la place des victimes dans le procès pénal international.</p>
<p>Jusqu’à l’adoption du <a href="https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">statut de Rome</a> en 1998, le droit pénal international les avait écartées des procès en faisant le choix d’un face-à-face exclusif entre le suspect et l’accusation, qu’il s’agisse des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945) ou de Tokyo (1946) ou des tribunaux pénaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (1993 et 1994). Les criminels n’étaient, ainsi, pas judiciairement confrontés aux victimes mais aux preuves de culpabilité, dans une logique de charge et décharge de celles-ci.</p>
<p>Ainsi les victimes étaient-elles paradoxalement absentes des procès des crimes de masse et ne pouvaient être entendues qu’en tant que témoins relativement aux preuves. Les souffrances, les traumatismes, les vies brisées n’étaient pas étalées devant le prétoire international, faisant ainsi l’économie d’un temps précieux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Kharim Khan, nouveau procureur général de la CPI.</span></figcaption>
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<p>Aucune possibilité de réparer les crimes de masse n’était possible laissant les victimes sans réponse. À partir la décennie 1990, une évolution est perceptible. Les victimes apparaissent devant les commissions de justice et de vérité et/ou les accusés comparaissent devant les juges. Une telle division ne peut que poser problème : ne pas rendre justice aux victimes, c’est doubler leur préjudice initial.</p>
<h2>Une place pour les victimes devant la CPI ?</h2>
<p>Rien de tel, a priori, devant la Cour, dont le statut reconnaît les victimes à deux endroits, soit pour les faire « participer » au jugement (article 68), soit dans le cadre d’une phase finale visant à réparer leurs préjudices (article 75). Comment réparer réellement les crimes de masse ? Quelles réparations individuelles, collectives, symboliques et indemnitaires ? La pratique de la Cour n’est guère fournie.</p>
<p>Depuis vingt ans, seules quatre affaires – trois en RDC et une au Mali – ont donné lieu à réparation, ce qui n’atteste pas, encore une fois, ni vraiment de l’efficacité de la Cour, ni de la prise en compte des victimes. La dernière ordonnance de réparation est récente (8 mars 2021, <a href="https://www.icc-cpi.int/drc/ntaganda?ln=fr">affaire Bosco Ntaganda</a>). La Cour n’accordant pas de réparation d’urgence et à titre provisoire, les victimes doivent attendre la fin de la phase de jugement pour que, le cas échéant, s’ouvre la phase de réparation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369652622639198209"}"></div></p>
<p>Philippe Kirsch, principal négociateur du Statut de Rome et premier président de la Cour, avait qualifié la place des victimes d’« ambiguïté constructive », soit un statut bancal et périphérique les situant à la marge du procès pénal.</p>
<p>L’essentiel du jeu devant la Cour reste centré sur la relation accusation-accusé. Deux affaires en cours concernant des crimes commis en République centrafricaine et au Darfour montrent les difficultés à ancrer la place des victimes dans le procès pénal international.</p>
<p>En 1993, suite à la prise de pouvoir par la force conduisant à la fuite du président François Bozizé, un conflit éclate entre les forces de la Sélaka et les anti-balaka, précipitant la mort de milliers de personnes et un exode massif, intérieur et dans les pays voisins (notamment Tchad et RDC) selon les <a href="https://undocs.org/fr/S/2014/928">Nations unies</a>. Maîtres Yare Fall et Elisabeth Rabesandratana ont <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-7-bis---me-yare-fall/?">défendu</a> les intérêts des victimes et la nécessité de leur accorder la parole durant le <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210216-centrafrique-le-proc%C3%A8s-yekatom-nga%C3%AFssonna-%C3%A0-la-cpi-suivi-depuis-bangui">procès</a> Yekatom et Ngaïssona le 17 février 2021, dans le cadre de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GQP-f6n6wRo">l’audience d’ouverture</a>. Preuve de l’importance de leur parole : le procès est suivi avec attention à Bangui par les <a href="https://www.dw.com/fr/le-proc%C3%A8s-nga%C3%AFssona-et-y%C3%A9katom-%C3%A0-la-cpi-suivi-en-rca/a-56592980">victimes</a>.</p>
<p>Asmal Clooney, avocate de victimes du conflit du Darfour qui remonte à <a href="https://undocs.org/fr/S/2005/60">2003</a>, a demandé à la Cour, le 8 janvier 2021, dans <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1556&ln=fr">l’affaire</a> Abd-Al-Rahman, la « permission » de représenter 102 victimes d’un conflit ayant jeté sur les routes quelque 340 000 réfugiés originaires du Darfour, avalisant le point de vue qui hiérarchise les <a href="https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2021_00085.PDF">victimes</a>.</p>
<p>Certes, la détermination de la qualité de victimes pour les crimes de masse n’est pas chose aisée et un « intérêt personnel » pour accéder au prétoire leur est demandé (art. 68 du statut). Certes, la Cour adopte une démarche A, B, C, selon que les victimes sont reconnues (A), ne le sont pas (B) ou peuvent l’être (C). Certes, la Cour a adopté la possibilité du double <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/appForms-yn/ynAppFormInd_FRA.pdf">formulaire</a> (participation/réparation). Cela permet de considérer leur identification dès le début de la procédure et pour l’ensemble de celle-ci.</p>
<p>En l’état actuel des choses, le crime continue à fonder la qualité de victime participante, favorisant une approche « crimino-centrée », c’est-à-dire centrée sur la relation Accusation-Défense. En effet, le champ matériel, géographique, temporel retenu pour les poursuites, même s’il est mobile dans les étapes de l’instruction, inclut et exclut les victimes.</p>
<h2>Les victimes exposées à des tactiques judiciaires complexes</h2>
<p>Ces réflexions ne sont pas neutres. Elles posent des questions de justice : quel procès équitable dans ces conditions ? Quel droit réel à réparation des crimes ? Quelle justice internationale ?</p>
<blockquote>
<p>« La question fondamentale qui reste à résoudre après bien entendu la déclaration de culpabilité, c’est la gestion équitable des conséquences inqualifiables et souvent incalculables, que ces atrocités ont causées et continuent encore de causer au quotidien, à ceux qui en ont été victimes. » (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=GQP-f6n6wRo">Maître Fall</a>)</p>
</blockquote>
<p>Ces réflexions se posent aussi en termes de tactique judiciaire. Dans l’affaire darfourie, l’avocat de la Défense, Maître Cyril Laucci, a fait état, le 13 janvier 2021, d’une préoccupation marquée pour <a href="https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2021_00161.PDF">l’intérêt des victimes</a>, ce qui est bien évidemment une position rare car celles-ci sont plus spontanément favorables aux preuves à charge :</p>
<blockquote>
<p>« Présumer que l’intérêt des victimes diverge de celui du suspect implique nécessairement que ce dernier est présumé coupable. La Défense s’est appliquée à démontrer que les intérêts respectifs des victimes et de M. Abd-Al-Rahman, bien que clairement distincts, pouvaient présenter certains aspects convergents… la condamnation d’une personne sans avoir établi sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable au terme d’une procédure équitable est contraire à l’intérêt des victimes en ce qu’elle ajoute la double injustice de la condamnation potentielle d’un innocent et de l’impunité des réels coupables à celle qu’elles ont déjà endurée ? »</p>
</blockquote>
<p>Ce positionnement, tout évidement tactique, vise à embarrasser le procureur frileux de faire apparaître sur le devant de la scène judiciaire les victimes car tout est, dans cette procédure d’origine anglo-saxonne, subordonné à un examen contradictoire approfondi, entre l’Accusation et la Défense qui chercheront les avantages et les inconvénients de leur participation. Que les victimes ne soient pas présentes au procès, la Défense reprochera qu’elles menacent la présomption d’innocence. Que les victimes le soient, elles seront suspectées de porter atteinte à la célérité de la justice et à l’équilibre des armes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Exclusif : au Darfour, sur la route des massacres.</span></figcaption>
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<p>En réalité, l’accession des victimes à la procédure est un processus laborieux et qui est, pour chaque affaire et à chaque étape, l’objet de discussion pour savoir si leur qualité d’appartenance au groupe A, B, C est vérifiée. Il arrive que la qualité de victime soit retirée. Une fois admise, cette participation est très contrainte, en vertu des <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-6---2020-08-26-resume-initial-directions-on-the-conduct-of-/">règles de conduite</a> précises, et placée sous le contrôle du juge :</p>
<ul>
<li><p>Soucieuse du déroulement équitable et rapide de la procédure, la Chambre évaluera la nécessité ou l’opportunité des questions des représentants légaux des victimes (RLV) au cas par cas.</p></li>
<li><p>Le rôle du RLV est différent de celui de l’accusation, ce qui doit se refléter dans le type de questions posées. C’est à l’Accusation qu’incombe exclusivement la charge de la preuve pour établir les crimes allégués.</p></li>
</ul>
<p>La Cour s’enlise dans la pratique et l’ambiguïté n’est pas constructive. Comme l’a dit <a href="https://www.fichier-pdf.fr/2021/03/09/note-7---declaration-douverture-/">Me Rabesandratana</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La Cour se doit d’être un exemple pour l’ensemble des juridictions et du droit international. À ce titre, elle doit formuler des principes généraux de droits communs aux différents ordres juridiques ; construire ainsi l’unité du droit ; favoriser la primauté du droit sur la force, la corruption et la lutte contre l’impunité ; permettre à un pays de se reconstruire. La justice pénale internationale ne peut pas/ne doit pas contribuer à fragmenter le droit. L’unité du droit consiste à octroyer une place adéquate aux victimes et ainsi passer d’une relation duale/binaire “accusation v. défense” à une relation ternaire “accusation-victimes-défense”. »</p>
</blockquote>
<h2>Repenser la place des victimes</h2>
<p>L’ajout des victimes à la procédure peut être illustré par la figure géométrique du losange :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388286/original/file-20210308-14-f6lmew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le losange procédural.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce losange s’interprète au regard de trois niveaux. Le plus élevé concerne le juge et sa fonction d’arbitrage. Le niveau intermédiaire, le plus médiatisé, oppose dans une relation d’intenses compétitions entre l’accusation et la défense pour faire admettre les preuves à charge et à décharge.</p>
<p>Les victimes appartiennent au troisième niveau du procès pénal international, périphérique, qui les place dans une « normalisation bureaucratique » qui pourrait être parfaitement revue en récusant cette position secondaire, en leur donnant la possibilité de participer pleinement à la relation contradictoire entre l’accusation et la défense.</p>
<p>En effet, l’interprétation conduite par la Cour survalorise le statut au détriment des autres sources de droit international, notamment du droit international des droits de l’homme qui pourrait servir de source d’inspiration par exemple la <a href="https://www.un.org/victimsofterrorism/fr/node/30">Déclaration</a> des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Il ne s’agirait là que d’appliquer les canons de l’interprétation en international. Et relever le défi de la résilience pour <a href="https://corbeaunews-centrafrique.com/centrafrique-la-situation-globale-des-musulmans-centrafricains-est-plus-importante-que-la-vie-dans-le-km5-dixit-imam-tidiani-moussa-naibi/">« aller résolument vers la paix, la cohésion sociale et le vivre-ensemble »</a> (selon les mots de Tidiani Moussa Naibi, imam de la Mosquée centrale de Bangui).</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Sermet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle place la Cour pénale internationale réserve-t-elle aux victimes de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ?Laurent Sermet, Professeur d'université, agrégé de droit public, compétences en Droit international, anthropologie du droit, Sciences Po Aix. UMR ADES 7268, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1498582020-11-15T17:04:34Z2020-11-15T17:04:34ZPrix Nobel de la paix 2020 : le combat sans fin du Programme alimentaire mondial de l’ONU<p>Le président américain élu Joe Biden a promis, dès l’annonce de son élection, de faire revenir les États-Unis dans <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/etats-unis-accord-paris-climat-joe-biden_fr_5fa3ad79c5b69c36d952565c">l’Accord de Paris</a> sur le climat. C’est un signe positif pour le multilatéralisme, incarné par l’ONU et par ses accords et conventions universelles.</p>
<p>Un autre signe positif pour l’ONU est l’attribution en octobre 2020 du <a href="https://www.un.org/africarenewal/fr/a-la-une/le-prix-nobel-de-la-paix-attribu%C3%A9-au-programme-alimentaire-mondial">prix Nobel de la paix</a> au Programme alimentaire mondial, agence de l’ONU créée en 1961 afin de lutter contre la faim dans le monde. C’est la <a href="https://www.un.org/fr/sections/nobel-peace-prize/united-nations-and-nobel-peace-prize/index.html">12e fois</a> qu’une agence ou un dirigeant de l’ONU reçoit le prix Nobel, après notamment les Casques bleus en 1988, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005, ou encore le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) en 2007.</p>
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<figcaption><span class="caption">Prix Nobel de la paix : le Programme alimentaire mondial distingué.</span></figcaption>
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<p>Le PAM apporte chaque année de l’aide alimentaire à près de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">100 millions</a> de personnes dans le monde, dans près de 80 pays. En 2019, il a fourni plus de <a href="https://onu-rome.delegfrance.org/Presentation-du-PAM">4 millions de tonnes</a> de produits alimentaires. Son plus important terrain d’action actuellement est le Yémen où, depuis le début de la guerre civile commencée en 2015, la famine menace les deux tiers des 30 millions d’habitants. Le PAM agit actuellement dans <a href="http://www.fao.org/3/na714fr/na714fr.pdf">18 pays</a> : outre le Yémen, ses terrains d’intervention majeurs sont aujourd’hui la République démocratique du Congo, le Mozambique, le nord du Nigéria, le Soudan du Sud et la Syrie, c’est-à-dire essentiellement des zones de conflits.</p>
<h2>De la création du PAM aux premières actions concrètes</h2>
<p>C’est il y a presque soixante ans, le 24 novembre 1961, qu’a été créé le PAM, <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1966_num_12_1_1890">initialement</a> pour une durée temporaire de trois ans, à l’instigation du président américain, le Républicain <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Dwight Eisenhower</a>, qui avait prononcé un discours à l’Assemblée générale de l’ONU le 1<sup>er</sup> septembre 1960, préconisant la mise sur pied d’un « dispositif pour fournir de l’aide alimentaire par le canal de l’ONU ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314593885750996997"}"></div></p>
<p>L’histoire du PAM a été retracée notamment par <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780333676684">l’économiste américain John D. Shaw</a>, qui y a servi comme consultant. À l’époque de sa création, il s’agissait de renforcer l’action de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, agence spécialisée de l’ONU créée en 1945) en répartissant les surplus alimentaires produits par les pays riches auprès des populations démunies des pays du Tiers monde. Depuis 1945, les États-Unis, grands producteurs de céréales, apportaient déjà une telle aide alimentaire de manière bilatérale à plusieurs pays du Sud, ce qui leur permettait d’étendre leur influence sur ces pays, ce qu’on appelle le « soft power ». « Le PAM est né de la volonté du gouvernement américain de soutenir son agriculture nationale en rachetant les surplus agricoles aux États-Unis et en les distribuant dans les pays en voie de développement », <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/qu-est-ce-que-le-pam-le-programme-alimentaire-mondial-de-l-onu-qui-vient-de-recevoir-le-nobel-de-la-paix_6055484_3244.html">explique</a> un fonctionnaire du PAM souhaitant rester anonyme.</p>
<p>Le PAM va effectuer sa première opération d’aide d’urgence à la suite du séisme de Buin Zahra en Iran en septembre 1962, qui laisse les populations iraniennes en détresse. Le PAM leur fournira 1 500 tonnes de blé. Puis, en 1963, il <a href="https://fr.wfp.org/histoire">aide 50 000 Nubiens</a> (habitants du sud de l’Égypte) à se réinstaller sur de nouvelles terres et à y faire des récoltes, après l’engloutissement de leurs villages suite à la création du barrage d’Assouan. En novembre 1963, le PAM développe un projet pilote de fourniture de repas scolaires à <a href="https://fr.wfp.org/histoire">5 000 écoliers du Togo</a>.</p>
<h2>Des actions d’urgence de grande ampleur</h2>
<p>Ayant démontré son utilité, le PAM devient en 1965 un programme permanent de l’ONU. Il va intervenir pour assister les populations lors des <a href="https://www.cairn.info/famines-et-politique--9782724608739-page-89.htm">grandes famines</a> de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, comme au Biafra (1967-1970), au Sahel (1968-1972), en Éthiopie (années 1980), en Somalie (1991-1992), etc. En 1973, le PAM apporte une aide d’urgence par avion au <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Sahel</a> : plus de 30 avions cargos, fournis par 12 pays différents, sont mobilisés pour l’occasion de 1973 à 1976.</p>
<p>En 1980, le PAM <a href="https://fr.wfp.org/histoire">aide 370 000 réfugiés cambodgiens</a> à fuir vers la Thaïlande pour échapper aux violences dans leur pays dominé alors par les khmers rouges, et pourvoit à leur alimentation. Tout au long des années 1980, sous la direction de l’Australien <a href="https://www.academia.edu/11928084/Widerstand_am_Ort_der_Macht_Zwei_UN_Exekutivchefs_als_Widerstandsk%C3%A4mpfer">James Ingram</a>, le PAM se concentre davantage sur l’assistance aux victimes de désastres naturels et aux personnes déplacées du fait de guerres et conflits internes. Ainsi, en 1983, le PAM livre 2 millions de tonnes <a href="https://fr.wfp.org/histoire">d’aide alimentaire aux Éthiopiens</a>, frappés par la pire famine dans le monde depuis un siècle.</p>
<p>En 1989, avec l’opération « Lifeline Sudan », le PAM, aidé par 40 ONG, affrète vingt avions cargo pour lancer des tonnes d’aide alimentaire sur le <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Sud du Soudan</a>, touché par la guerre civile. C’est la plus grande opération aérienne d’aide alimentaire jamais réalisée. En 1992, le PAM fournit des rations aux centaines de milliers d’ex-Yougoslaves piégés dans leur pays par la guerre civile. Puis, en 1994, le PAM fournira de la nourriture aux réfugiés du génocide rwandais, installés dans les pays voisins du Rwanda. Et en septembre 1998, ce sont des millions de Bangladais qui sont secourus par le PAM suite aux dramatiques inondations qui ont touché le pays.</p>
<h2>Les États-Unis à la manœuvre</h2>
<p>Le PAM va être au fil du temps dominé – et financé – essentiellement par les États-Unis : depuis 1992, son dirigeant a toujours été un Américain. Cette année-là, c’est la fonctionnaire américaine Républicaine <a href="https://www.ru.nl/politicologie/io-bio-bob-reinalda/io-bio-biographical-dictionary-sgs-ios/">Catherine Bertini</a>, sur la recommandation du président Bush, qui est nommée à la tête du PAM. Première femme à diriger l’institution, elle opère des réformes managériales à l’intérieur du programme, et redéfinit la mission du PAM selon trois axes : 1) sauver des vies lors des crises d’urgence et des situations où il y a des réfugiés (« food for life »), 2) améliorer la nutrition et la qualité de vie dans les situations critiques (« food for growth ») et 3) donner des moyens d’action aux pauvres et les aider à avoir confiance en eux-mêmes (« food for work »). À son poste, elle doit gérer des situations humanitaires sensibles : en 2000, elle est nommée par le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan envoyée spéciale dans la Corne de l’Afrique, pour prévenir une famine liée à la sécheresse.</p>
<p>En 2002, le <a href="https://fr.wfp.org/histoire">PAM entre au Livre Guiness des Records</a> comme la plus grande agence humanitaire mondiale, avec 14 500 employés. Depuis cette date, il développe des partenariats avec des entreprises privées pour accroître ses ressources. En décembre 2004, il lance une <a href="https://fr.wfp.org/histoire">opération</a> d’assistance humanitaire massive aux 14 pays, essentiellement asiatiques, victimes du tsunami. En décembre 2010, il aide les 4,5 millions de victimes du tremblement de terre en <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Haïti</a>. Enfin, depuis 2011, il aide les victimes de la guerre civile en Syrie, et depuis 2014 les 3 millions d’Africains de l’Ouest affectés par l’épidémie d’Ebola.</p>
<p>L’actuel secrétaire exécutif du PAM est depuis 2017 l’ancien gouverneur Républicain de la Caroline du Sud, le juriste David Beasley. Toutefois, sa gestion du personnel du PAM a <a href="https://foreignpolicy.com/2019/10/08/world-food-program-un-survey-finds-abuse-discrimination/">suscité des critiques</a>.</p>
<h2>Un effort pour valoriser les petits paysans et les marchés locaux</h2>
<p>En 2020, le besoin de financement du PAM, qui provient essentiellement de contributions volontaires des États membres, est fixé à <a href="https://onu-rome.delegfrance.org/Presentation-du-PAM">10,6 milliards de dollars</a>, en augmentation par rapport à 2019 (8,3 milliards de dollars). Il emploie aujourd’hui environ 12 000 personnes, dont plus de 90 % travaillent directement sur le terrain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"975375283342790657"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, le PAM ne se borne pas à fournir de l’aide alimentaire, ce qui laisserait les populations réceptrices dans une situation de passivité : depuis 2008 et le lancement du programme <a href="https://www.wfp.org/purchase-for-progress">« Purchase for Progress »</a>, le PAM achète à des petits paysans leurs produits locaux, puis les distribue aux populations dans le besoin, ce qui permet de protéger les marchés locaux en évitant de les submerger par des produits extérieurs.</p>
<p>Ce dispositif vise à répondre aux critiques visant le PAM, qui font valoir que l’aide alimentaire serait en fait <a href="https://library.stanford.edu/sites/default/files/widget/file/zalite_wfp_unday2013_0.pdf">nuisible</a> aux pays pauvres, encourageant la corruption des dirigeants politiques chargés de la répartir, qui monnayeraient cette aide contre des voix aux élections et revendraient les stocks de nourriture au marché noir. Mais les critiques demeurent minoritaires et, au sein d’une ONU souvent dénoncée comme impuissante, le PAM reste considéré comme un <a href="https://www.rienner.com/title/The_World_Food_Programme_in_Global_Politics">programme efficace</a> par l’opinion mondiale.</p>
<h2>La crise de la Covid-19 et l’objectif faim zéro</h2>
<p>Actuellement, alors que plus de <a href="https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/food/index.html">821 millions de personnes</a> dans le monde souffrent de faim chronique, la situation est en aggravation du fait de la pandémie de Covid-19, et <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">l’objectif faim zéro</a> que l’ONU s’est fíxé pour <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">2030</a> semble hors d’atteinte : la pandémie de Covid a eu pour effet de faire baisser drastiquement les dons d’aide alimentaire. Le PAM <a href="https://histoires.wfp.org/le-monde-doit-agir-et-d%C3%A8s-maintenant-pour-%C3%A9viter-une-pand%C3%A9mie-de-la-faim-caus%C3%A9e-par-le-covid-19-820e75df38c0">s’alarme</a> d’une possible « pandémie de la faim », qui s’ajouterait à la pandémie actuelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Covid-19 : « Nous sommes au bord d’une pandémie de faim », avertit l’ONU.</span></figcaption>
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<p>Cela montre bien l’imbrication étroite des problèmes sanitaires, alimentaires, et même géopolitiques. C’est pourquoi seule l’ONU, institution universelle, multilatérale, et agissant sur plusieurs domaines (la santé avec l’OMS, la culture et l’éducation avec l’Unesco, l’alimentation et l’agriculture avec la FAO, etc.), peut agir efficacement.</p>
<p>Il est donc nécessaire que les États membres lui fournissent les financements nécessaires et lui donnent les moyens d’agir. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149858/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le prix Nobel de la Paix 2020 a été attribué au Programme alimentaire mondial. Retour sur près de 60 ans de lutte contre la faim par la plus grande agence d’aide alimentaire mondiale.Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1449872020-08-30T15:57:20Z2020-08-30T15:57:20ZRwanda : les enjeux du procès de Félicien Kabuga<p>Le 16 mai 2020, Félicien Kabuga, l’un des derniers grands génocidaires présumés, recherché depuis plus de vingt ans par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) puis, après sa fermeture, par le Mécanisme chargé de clore les derniers dossiers des tribunaux pénaux internationaux (MICT), est <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/18/fin-de-cavale-pour-felicien-kabuga-grand-argentier-du-genocide-rwandais_6040015_3212.html">arrêté en France</a>, en région parisienne, où il vivait depuis plus d’une dizaine années sous une fausse identité.</p>
<p>Les <a href="https://unictr.irmct.org/fr/cases/ictr-98-44b">actes d’accusation</a> émis contre lui par le TPIR retiennent les plus lourds crimes de génocide commis en sa qualité de président du Comité d’initiative de la Radiotélévision Libre des Mille collines (RTLM) depuis avril 1993 et de président du Comité du Fonds de défense nationale depuis sa création en avril 1994.</p>
<p>Cette arrestation marque le début d’une longue procédure judiciaire. Malgré le grand âge de l’accusé (85 ans), sa première comparution devant un tribunal n’aura pas lieu avant plusieurs semaines – voir plus bas – et le verdict n’est pas escompté avant au moins trois ans. Hormis la grande probabilité d’une condamnation, bien des doutes subsistent cependant sur l’émergence d’éléments de vérité dans une affaire déjà marquée par de nombreuses interférences d’acteurs politico-judiciaires voire économiques, nationaux et étrangers.</p>
<h2>Les défis de l’accusation</h2>
<p>Le premier des défis de cette affaire concerne les vingt-six années d’une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/23/retour-sur-la-cavale-de-felicien-kabuga-financier-presume-du-genocide-des-tutsi_6043831_3212.html">cavale</a> dont bien des aspects restent opaques.</p>
<p>Pour les Rwandais poursuivis ou susceptibles d’être inquiétés, le choix des pays d’accueil dépend des garanties de sécurité qu’ils peuvent offrir ou monnayer, et aux soutiens locaux dont ils bénéficient.</p>
<p>On retrouve là nombre de pays et/ou de personnalités des cinq continents qui avaient désavoué <a href="https://www.jambonews.net/actualites/20151002-rwanda-du-reve-a-la-desillusion-le-1er-octobre-1990-le-fpr-lancait-sa-guerre-de-liberation/#:%7E:text=Le%201er%20octobre%201990,premi%C3%A8res%20attaques%20tourn%C3%A8rent%20au%20fiasco.">l’attaque du 1ᵉʳ octobre 1990 menée par l’Armée patriotique rwandaise (APR)</a>, laquelle avait plongé le pays dans la guerre. Ce sont les mêmes pays qui, le 6 avril 1994, lorsque l’attentat contre l’avion présidentiel a décapité l’État et l’armée, attendaient l’annonce de la signature de l’accord permettant la mise en place des institutions de transition qui venait d’être signé à Dar es-Salaam. Les mêmes qui, après la victoire militaire des insurgés et <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/portrait-de-paul-kagame-president-de-la-republique-du-rwanda">l’installation d’un pouvoir autocratique</a>, ont aidé des dizaines de milliers de Rwandais contraints à l’exil. Des exilés qui ont bénéficié de la compréhension de pouvoirs d’État et de personnalités attachés au « Rwanda d’avant ».</p>
<p>L’instabilité politique générale a rendu incertain l’exil dans les pays du Sud, notamment africains. De même, le travail du TPIR et des justices nationales a progressivement démantelé ou affaibli les groupes d’activistes.</p>
<p>Ainsi, le choix de s’installer en Europe et <em>a fortiori</em> en France non loin de ses proches pouvait paradoxalement présenter le moins de risques vitaux et restait compatible avec des ressources amoindries. Enfin, la dernière étape de la cavale de Félicien Kabuga n’a été possible que parce que ses contacts ont été limités au strict noyau familial.</p>
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<p>Au-delà, il sera difficile de reconstruire les trajectoires et les réseaux, comme <a href="http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_84.pdf">d’identifier les interlocuteurs</a> qui ont accordé leur protection et qui ne participeront pas spontanément au travail de vérité et de justice.</p>
<h2>Des allégations aux preuves</h2>
<p>L’arrestation de Félicien Kabuga a suscité les <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/rwanda/qui-est-felicien-kabuga-le-genocidaire-rwandais-arrete-en-france-6837743">mêmes commentaires</a> que ceux avancés en 1999 lors de la publication de l’acte d’accusation. Mêmes descriptions de l’importateur des machettes armant les génocidaires, de l’« homme le plus riche du pays », de ses liens de parenté avec le couple présidentiel, de ses fonctions à la RTLM, du financement et de la structuration des milices et de l’autodéfense civile. Sur ces deux derniers points, plusieurs procès se sont conclus par des jugements étayés, mais un vaste travail reste à faire notamment sur le « financement du génocide ».</p>
<p>Dès 1995, le procureur du TPIR a engagé diverses investigations financières afin d’établir les responsabilités des ministres des Finances (E. Ndindabahizi) et du Plan (A. Ngirabatware), de Félicien Kabuga, beau-père de ce dernier, et de quelques autres. Pour le Bureau du procureur, le « complot génocidaire » devait se traduire par des décisions économiques démontrables. Parmi les preuves possibles comptait le <a href="https://archives.globalresearch.ca/articles/CHO403F.html">rapport Galand-Chossudovsky</a>, invoquant la « planification du génocide » via l’importation par F. Kabuga de quantités exceptionnelles de machettes.</p>
<p>Mais, très vite, les recherches du TPIR ont buté sur l’absence de preuves tangibles. Les archives issues des ministères, y compris les dépenses militaires, ne permettaient pas d’établir les liens avec le génocide. La « thèse des machettes » s’avérait fort aléatoire. Il était presque impossible d’établir la responsabilité directe et personnelle de l’accusé et de <a href="https://theconversation.com/rwanda-y-a-t-il-eu-importation-de-machettes-en-vue-de-preparer-le-genocide-contre-les-tutsis-145216">prouver que les machettes étaient importées dans l’intention de tuer</a>.</p>
<p>En 1999, le procureur réorientait ses enquêtes financières sur l’analyse des archives comptables et de gestion des personnels des entreprises publiques et privées. Elles permettaient d’établir les mécanismes de financement et les réseaux qui ont accompagné la structuration et la formation des jeunesses du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), les <em>Interahamwe</em> et d’autres partis. Les mouvements de jeunesse, créés lors de l’instauration du multipartisme en 1991, ont décuplé le rayonnement et les moyens d’action des partis et renforcé leur implantation militante. Avec la guerre, ils se transformèrent en jeunesses miliciennes au service des politiciens qui les finançaient et/ou les hébergeaient (comme Félicien Kabuga à Kigali), voire les armaient. Les enquêtes démontraient aussi le rôle des entreprises publiques dans la guerre civile, même si l’essentiel des transactions s’effectuait en liquide, donc sans preuves matérielles.</p>
<p>En 2001, les investigations progressaient notablement, grâce à l’accès aux comptes bancaires des personnes et structures soupçonnées d’avoir organisé le pillage des sociétés parastatales et des budgets des grands ministères techniques. Analysés, les documents ont permis de reconstituer des filières de détournements massifs des financements des projets de développement, des établissements parastataux et des ministères, à des fins d’enrichissement personnel et de consolidation de réseaux clientélistes ou partisans, ainsi que la création de sociétés-écrans recyclant les fonds, ou encore des transferts vers l’étranger lorsque l’issue de la défaite est devenue certaine.</p>
<p>Des éléments de preuves décisifs dans des affaires clés ont été déposés devant le TPIR et d’autres juridictions étrangères. L’impunité était telle que la plupart des transferts s’effectuaient directement sur les comptes personnels des dignitaires. L’inquiétude était donc grande, dans divers milieux, de voir des enquêtes liées au génocide mettre à jour les formes anciennes mais aussi récentes de détournement des fonds publics ou privés à des fins personnelles ou politiques.</p>
<p>En mai 2001, le Bureau du procureur a tenté d’élargir ses recherches jusqu’au plus haut niveau du pouvoir. Un programme de travail a été transmis au ministre de la Justice avec une liste de noms et d’établissements. Les demandes incluaient des opérations effectuées après la guerre sur des comptes et des biens de personnalités de l’ancien régime décédées, poursuivies ou « recyclées » par les nouvelles autorités.</p>
<p>Mais le jour même de la demande, un vent de panique a soufflé au sein des banques, notamment en Belgique, qui ont fait connaître <a href="http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_126.pdf">leur totale opposition au plus haut niveau de l’État rwandais</a>. Les enquêtes furent refusées au motif qu’elles pouvaient nuire à la « réconciliation nationale » et à la « reconstruction du pays » car elles susciteraient l’inquiétude de groupes économiques désormais à l’abri d’investigations.</p>
<p>Qu’en sera-t-il à l’avenir, lorsque les enquêteurs du Bureau du procureur solliciteront de telles preuves au Rwanda, mais aussi en Belgique, en Suisse, en France et ailleurs ? Est-il possible d’espérer qu’elles ont été sauvegardées ?</p>
<h2>La crédibilité des témoins</h2>
<p>Une troisième interrogation concerne la crédibilité des témoins.</p>
<p>Dans ce domaine, il faut saluer le savoir-faire des instructeurs rwandais, capables d’organiser des séances intensives avec des témoins sélectionnés, pour façonner des preuves difficiles à récuser car seules les autorités maîtrisent l’accès total au terrain et aux individus.</p>
<p>Le Rwanda n’a jamais renoncé au recours à de faux témoins, voire à l’invention de preuves invraisemblables. On peut se demander si la <em>National Public Prosecution Authority</em> osera faire témoigner l’animatrice de la RTLM, Valérie Bemeriki. Condamnée à perpétuité au Rwanda, elle est devenue le <a href="https://www.liberation.fr/societe/2014/02/25/proces-simbikangwa-le-baiser-de-la-mort-d-une-ancienne-alliee_982910">témoin obligé des autorités dans de nombreuses procédures</a>, malgré le rejet de l’intégralité de son témoignage, qualifié de <a href="https://francegenocidetutsi.org/SimbikangwaAppelComptesRendus2016.pdf">« déplorable »</a> par les juges du TPIR dans le procès des médias.</p>
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<p>Cela n’a pas dissuadé le procureur Théogène Rwabahizi, de la <em>Genocide Fugitive Tracking Unit</em>, de rédiger avec elle, le 6 août 2016, une longue déposition, jointe à une demande d’arrestation visant Enoch Ruhigira, ex-directeur de cabinet de Juvénal Habyarimana. Valérie Bemeriki y raconte que le « 9 ou le 10 avril », en sortant du bureau du directeur de la RTLM, M. Ruhigira aurait demandé à deux militaires d’abattre sur-le-champ deux jeunes passants qu’il avait désignés comme étant tutsis. Or Enoch Ruhigira était réfugié à la résidence de l’ambassadeur de Belgique depuis le 7 avril avant d’être exfiltré le 12 vers l’Europe. Le même dossier du parquet rwandais comprenait aussi divers procès-verbaux de témoins déclarant avoir vu l’accusé pendant les trois mois du génocide !</p>
<p>Si l’on ajoute à ces réserves la disparition, avec le temps, de nombreux témoins et la destruction probable d’archives décisives, l’un des enjeux majeurs du procès Kabuga est bien celui de la crédibilité des témoins et de la valeur des preuves soumises aux juges.</p>
<p>Pour consolider les enquêtes, le <a href="https://genevaconference-tpir.univ-paris1.fr/article88,88-lang=en.html">juge belge Damien Vandermeersch préconisait en 1999 « un contrôle accru du procureur »</a>, et l’introduction du contradictoire, ce qui permettrait à la défense de connaître du dossier dès ce stade des enquêtes. Toutes les parties y auraient intérêt, afin que cet ultime procès serve l’expression de la vérité sur des questions essentielles en suspens concernant les acteurs et l’enchaînement des événements qu’ils ont déclenchés ou accompagnés. Le Mécanisme en est assurément comptable.</p>
<p>Mais un tel objectif, avec les tâches qu’il suppose et les lenteurs d’un tribunal international, est-il compatible avec les attentes rwandaises ?</p>
<h2>Vérité versus réécriture de l’histoire</h2>
<p>Alors que les relations entre le TPIR et Kigali sont marquées par une succession de crises et que la crédibilité de la justice internationale sur le continent est souvent mise en cause, le défi est de taille pour le MICT.</p>
<p>Pour ceux qui veulent savoir ce qu’il s’est passé au Rwanda, il serait incompréhensible que des pans entiers du système de décision, de l’organisation et de la conduite de la guerre et du génocide restent sans réponse.</p>
<p>Pour le Rwanda, l’objectif serait la reconnaissance formelle de « la planification du génocide des Tutsis plusieurs années à l’avance », ce qu’aucune Chambre du TPIR n’a jamais pu établir. La théorie du « complot génocidaire » (qui aurait été l’œuvre d’Agathe Kanziga, veuve du président Habyarimana, de son frère Protais Zigiranyirazo, de Félicien Kabuga, apparenté à la famille, du colonel Bagosora, etc.), soutenue par les premiers procureurs du TPIR, a très tôt été abandonnée faute de preuves estimées suffisantes malgré les accusations du Rwanda. L’échec fut confirmé par les juges dans le <a href="https://unictr.irmct.org/fr/cases/ictr-98-41">procès Bagosora</a>, puis lors de <a href="https://www.universalis.fr/evenement/16-novembre-2009-acquittement-de-protais-zigiranyirazo-par-le-t-p-i-r/">l’acquittement de Zigiranyirazo</a> en appel. Quant à Agathe Kanziga, elle n’a jamais été poursuivie par le TPIR et c’est ainsi qu’en 2001, Kabuga est devenu la cible n°1 du procureur.</p>
<p>Mais si la probabilité d’obtenir une condamnation au titre de l’« entente » pour son rôle dans la RTLM demeure incertaine vu la jurisprudence issue du procès des médias, engager le procès du noyau présidentiel à travers l’affaire Kabuga pourrait être envisagé, ce qui offrirait un prolongement à la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/genocide-rwandais-peine-confirmee-pour-l-ancien-ministre-ngirabatware-20190927">condamnation de son gendre, A. Ngirabatware</a>, l’intellectuel et conseiller du clan présidentiel.</p>
<p>En effet, après le départ d’Agathe Kanziga vers la France le 9 avril 1994, les membres de la famille présidentielle non évacués se replièrent sur Gisenyi le 11 avril, et furent rejoints par d’autres comme Félicien Kabuga. Selon nos sources, de son exil parisien, en liaison avec le QG du <em>Méridien Izuba</em> à Gisenyi, Agathe Kanziga entretint des activités de médiation avec plusieurs chefs d’État africains qui confortèrent la position diplomatique du Gouvernement intérimaire (GI).</p>
<p>Le 3 juillet 2020, un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Verdict-attendu-laffaire-lattentat-6-avril-1994-Rwanda-2020-07-03-1201103211">non-lieu était prononcé</a> par la Cour d’appel de Paris dans le dossier visant des personnalités du FPR pour l’attentat du 6 avril 1994. Pour les autorités rwandaises, ce non-lieu impliquerait donc que l’avion a été abattu par les extrémistes hutus, dont Agathe Kanziga aurait été le fer de lance. Elle aurait aussi été, au cours de la nuit du 6 au 7 avril, l’ordonnatrice des <a href="https://www.cairn.info/rwanda-de-la-guerre-au-genocide--9782707153708-page-409.htm">tueries commises par la Garde présidentielle</a> ainsi que des massacres commis à Kigali par les <em>Interahamwe</em>, avant d’installer le colonel Bagosora en formateur du GI.</p>
<p>Quelle qu’en soit l’issue, le procès Kabuga permettrait à Kigali de relancer la campagne visant à obtenir le jugement au Rwanda d’Agathe Kanziga, qui se trouve toujours en France aujourd’hui. Ce serait un procès-phare qui parachèverait la victoire des autorités rwandaises sur tous les processus judiciaires et politiques qui aujourd’hui encore leur échappent.</p>
<p>Via ces ultimes procès, la priorité du pouvoir en place à Kigali reste d’affermir sa réécriture de la tragédie, devenue l’histoire officielle de la guerre et du génocide, protégée par des lois sur le négationnisme et le révisionnisme.</p>
<p>Toutefois, un procès d’Agathe Kanziga au Rwanda bute sur des obstacles qui ressortent dans plusieurs interviews du président Paul Kagamé. Le 1<sup>er</sup> avril 2019, il <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/755886/politique/rwanda-paul-kagame-nous-sommes-alles-au-dela-de-limaginable/">répondait ainsi</a> à <em>Jeune Afrique</em>, qui lui demandait s’il pensait obtenir un jour son extradition :</p>
<blockquote>
<p>« Je l’ignore. Mais même si notre demande n’est pas, pour une raison ou pour une autre, considérée, pourquoi cette femme n’a-t-elle jamais été inquiétée par le TPIR ou par la justice française ? Pourquoi n’a-t-elle jamais fait l’objet d’une enquête dans le pays où elle s’est réfugiée ? Les faits parlent d’eux-mêmes. »</p>
</blockquote>
<p>Il est vrai qu’Agathe Kanziga n’a jamais été poursuivie par le TPIR. Mais comment les procureurs auraient-ils pu poursuivre la veuve de Juvénal Habyarimana après avoir refusé de se saisir de l’attentat et avoir accordé au FPR une totale impunité en stoppant les enquêtes relatives à ses crimes ?</p>
<p>Dans une <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/1007082/politique/paul-kagame-au-jugement-dernier-jobtiendrai-de-bien-meilleures-notes-que-ceux-qui-osent-nous-condamner/">autre déclaration à <em>Jeune Afrique</em> le 2 juillet 2020</a>, Paul Kagame s’oppose à toute réouverture du dossier de l’attentat dans le cadre de l’ultime recours déposé devant la Cour de cassation. Connaître les auteurs de l’attentat ne serait donc pas une nécessité. Une histoire officielle ne s’écrit pas sur la base de preuves, mais d’un rapport de force.</p>
<p>Une chose est d’organiser la diabolisation morale et politique de la famille présidentielle, une autre est de réclamer haut et fort un vrai procès. Or un tel procès ouvrirait des débats contradictoires sur l’attentat du 6 avril, les cautions internationales, et les <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2015/06/26/point-de-vue-mettre-fin-au-genocide-au-rwanda-nexcuse-pas-dautres-meurtres">crimes de guerre et contre l’humanité qui ont accompagné la conquête du FPR par les armes</a>.</p>
<h2>L’incertitude Arusha</h2>
<p>Alors qu’il semble improbable d’obtenir des informations précises sur la cavale de Kabuga et que les témoins sur les crimes imputés à l’accusé sont légion au Rwanda, on ne peut exclure l’éventualité que les autorités de Kigali demandent au MICT de se dessaisir du dossier en leur faveur après la confirmation définitive par la justice française du transfèrement de l’accusé au Mécanisme.</p>
<p>Le 28 mai, le <a href="https://www.irmct.org/fr/le-mecanisme-en-bref/les-juges/le-juge-william-h-sekule">juge Sekule</a>, du MICT, préconisait d’attendre la levée des restrictions dues à la pandémie avant d’organiser le voyage vers <a href="https://www.irmct.org/fr/actualites/le-m%C3%A9canisme-pour-les-tribunaux-p%C3%A9naux-internationaux-ouvre-les-nouveaux-locaux-de-sa">Arusha</a> (Tanzanie), mais ajoutait qu’« une alternative appropriée pourra être recherchée ».</p>
<p>En effet, des incertitudes sur un transfèrement à Arusha demeurent : conditions médicales de l’accusé, structures pour traiter la Covid, recrutement de personnels…</p>
<p>Le Rwanda pourrait alors être considéré comme une « alternative appropriée », sachant qu’une Haute Cour a été installée à cette fin au Rwanda, qu’est reconnue internationalement <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/07/31/comment-le-rwanda-a-reussi-a-contenir-la-propagation-du-coronavirus_6047840_3212.html">sa gestion rigoureuse de la Covid</a>, et que l’Union européenne a rétabli des vols directs avec Kigali.</p>
<p>Cela ferait écho aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200603-genocide-rwanda-kabuga-transfert-mecanisme-reactions">arguments avancés par l’association des rescapés <em>Ibuka</em></a> : « S’il est remis au Rwanda, la question des réparations pourra être évoquée », estimait son président, rappelant que « le système judiciaire international n’a pas prévu que la question des réparations soit posée ».</p>
<p>Arusha, La Haye, Kigali ? La question reste posée et, quelle que soit la réponse, elle ne mettra pas fin à la compétition MICT/Rwanda. Néanmoins, une autre issue pourrait encore bouleverser les hypothèses : celle d’un plaider-coupable. Une procédure qui ne serait validée par les juges qu’après une audition complète et détaillée de l’accusé, l’engageant à dire le vrai sur la base des faits prouvés. Si cette option était acceptée par le <a href="https://www.irmct.org/fr/actualites/19-07-30-allocution-du-procureur-serge-brammertz-devant-le-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-de-l%E2%80%99onu">procureur Serge Brammertz</a>, elle déboucherait sur une procédure profondément allégée.</p>
<hr>
<p><em>Une version longue de l’article en français et une version en kinyarwanda peuvent aussi être téléchargées <a href="https://umr-developpement-societes.univ-paris1.fr/menu-haut/recherche/projets-de-recherche/afrique-des-grands-lacs-publications/">ici</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144987/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Professeur, IEDES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Témoin-expert auprès du Bureau du Procureur du TPIR (1996-2010) et autres juridictions nationales</span></em></p>Quelles seront les conséquences de l’arrestation en mai dernier, en France, de Félicien Kabuga, considéré comme l’un des grands responsables du génocide rwandais de 1994 ?André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1452162020-08-30T15:57:16Z2020-08-30T15:57:16ZY a-t-il eu importation de machettes en vue de préparer le génocide des Tutsis au Rwanda ?<p>La récente interpellation de Félicien Kabuga a remis en avant l’un des arguments forts qui démontre la planification du génocide contre les Tutsis du Rwanda : celui de l’achat massif de machettes dans les mois précédant 1994, en particulier par le prévenu. Un <a href="https://theconversation.com/rwanda-les-enjeux-du-proces-de-felicien-kabuga-144987">article séparé</a> expose les enjeux juridiques, judiciaires et diplomatiques de la procédure Kabuga. Le présent article revient sur le principal élément à charge relatif aux importations de machettes.</p>
<p>L’une des lectures courantes du génocide contre les Tutsis du Rwanda est <a href="https://www.liberation.fr/planete/2012/01/11/rwanda-la-preuve-d-un-genocide-planifie_787468">l’existence d’une planification préalable par le régime Habyarimana</a>. L’importation de 581 tonnes de machettes est l’un des arguments fréquemment avancés à l’appui de cette lecture. Ce nombre, devenu « canonique », est issu du <a href="https://www.cadtm.org/L-usage-de-la-dette-exterieure-du">rapport Galand-Chossudovsky</a>.</p>
<p>Or les données que ce rapport exploite présentent des incohérences et erreurs internes qui, rapportées à d’autres éléments, affaiblissent considérablement ses conclusions.</p>
<h2>Les lacunes du rapport Galand-Chossudovsky</h2>
<p>Selon le rapport, la documentation utilisée est celle des ministères du Plan et des Finances, de la Banque nationale du Rwanda (BNR) et de la Banque mondiale. Sur cette base, les rapporteurs ont reconstitué les flux d’importations par type de produits et années. Le rapport, remis aux autorités rwandaises en 1996, n’a été publié sur Internet qu’en 2004. Les rapporteurs ont néanmoins publicisé leurs conclusions dès 1996, retenant que « des quantités énormes de machettes furent importées à partir de 1992 en provenance de Chine » et qu’« entre 1992 et 1994, 581 000 kg de machettes furent importés » (§ 3.10 et 3.11).</p>
<p>Le rapport propose des <a href="http://www.francegenocidetutsi.org/UsageDetteExtGalandChossudovskyAnnexes.pdf">annexes</a> constituées pour l’essentiel de tableaux de synthèse produits par les rapporteurs.</p>
<p>Parmi eux, le « Tableau synthétique 1991/1994–Importateurs » (appelé ensuite IMPORTATEURS) répertorie 18 importateurs et des dizaines d’opérations commerciales. Chacune porte un code BNR, un numéro de licence d’importation, le type de produit, le poids net des marchandises, le coût en francs rwandais (FRW) et une distribution par année, de 1991 à 1994.</p>
<p>Curieusement, aucune opération n’est enregistrée dans les colonnes 1991 et 1992, et très peu pour 1994. Les onze opérations relatives aux importations de « serpes et machettes », ordonnées par dix importateurs, totalisent bien 581 tonnes. Le plus important des importateurs est « La Trouvaille » (288 tonnes, soit 50 %), suivi de Félicien Kabuga (96 tonnes, soit 16 %), puis de huit autres importateurs.</p>
<p>Sur cette base, les rapporteurs estiment que « les importations massives ont été réalisées en 1993 » et que « l’année 1993 a été d’importance capitale dans la préparation intensive du génocide » (annexes, page 25). C’est ce tableau qui a produit le « nombre canonique » de 581 tonnes de machettes, et qui a conduit à l’établissement du lien entre leur importation et l’intention génocidaire.</p>
<p>Mais les données dont découle l’analyse ne sont pas fiables. Ne citons qu’un seul exemple : ce tableau IMPORTATEURS recense 17 opérations d’importation de « bêches et pelles », au prix de 2 à 2,5 millions de FRW pour 10 tonnes. Néanmoins, l’une des importations de 1993, de 108 tonnes, est facturée 2,45 millions de FRW, soit dix fois moins cher que les autres. Ce même commerçant achète, l’année suivante, 10,8 tonnes de « bêches et pelles », au prix « normal » cette fois-ci. Il est donc fort probable que le tableau comporte ici une erreur de saisie (108 tonnes au lieu de 10,8 tonnes). Ce type d’erreurs fausse les totaux et les conclusions qui en découlent.</p>
<p>Par ailleurs, la distribution temporelle des importations est peu vraisemblable. Les colonnes 1991 et 1992 sont vides. Les rapporteurs écrivent que sur ces deux années, « il n’y a pas eu d’importations de machettes et autres matériels agricoles ». Il est très peu crédible que, pendant 18 mois, aucun matériel agricole n’ait donc été importé au Rwanda. D’ailleurs, les auteurs évoquent des importations au second semestre 1992, absentes du tableau de synthèse. Pourquoi ? Et quid de 1994 ? L’absence de reconstitution de flux d’importations sur plusieurs années ne permet pas de détecter d’éventuelles importations inhabituelles à partir desquelles conjecturer une préparation génocidaire.</p>
<p>Le tableau IMPORTATEURS est, de plus, contredit par le tableau intitulé « <em>Importations définitives par rubriques tarifaires 1991/1994. Tableau synthétique »</em> (appelé ensuite DÉFINITIF). Celui-ci présente, sur quatre années, les importations réparties dans 68 rubriques, avec indication de la masse nette (kg) et de la valeur (FRW). Ce tableau DÉFINITIF propose un total de 366 tonnes de machettes importées sur 4 ans, soit 215 tonnes de moins que le nombre « canonique ». Comment expliquer cette différence ? Nous proposons deux hypothèses :</p>
<ul>
<li><p>Le tableau IMPORTATEURS présente les entreprises disposant d’une licence d’importation, ce qui ne signifie pas que l’opération a été réalisée, ou réalisée intégralement. Si tel n’est pas le cas, alors les 581 tonnes de machettes devraient être minorées de la valeur qui sépare l’intention commerciale de sa réalisation. Le tableau DÉFINITIF semble, lui, reporter les opérations commerciales finalisées, rendant mieux compte des importations effectives. Pour les machettes comme pour les autres produits, il montre un marché des importations relativement régulier entre 1991 et 1994.</p></li>
<li><p>Le rapport précise qu’« une part importante des importations civiles […] sont des importations militaires déguisées » (§ 2.9). Il détaille les techniques comptables ayant permis à l’ancien régime de « maquiller » des importations militaires interdites en « opérations éligibles ». L’achat de machettes en tant que matériel agricole pourrait bien être une de ces « opérations éligibles » masquant l’importation de matériel militaire léger (armes de poing, etc.). On notera d’ailleurs que la Chine, fournisseur exclusif des machettes selon le tableau IMPORTATEURS, est aussi présentée comme un pourvoyeur important d’armes légères. Dans cette hypothèse, il faut donc choisir : la même opération commerciale réalisée ne peut être à la fois un achat <em>caché</em> d’équipements militaires déclaré comme machettes et un achat <em>effectif</em> de machettes, qu’il soit ou non destiné à préparer le génocide.</p></li>
</ul>
<p>À côté du rapport Galand-Chossudovsky, d’autres documents relatifs aux importations de machettes sont disponibles. Ils permettent de tester la fiabilité du tableau IMPORTATEURS.</p>
<h2>Les enseignements des autres documents connus</h2>
<p>L’un des documents, publié dans un <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/rwanda/Aucun-Temoin-ne-doit-survivre-Le">rapport d’Alison Desforges pour la FIDH</a>, est une fiche d’un transporteur kenyan qui a livré 25,662 tonnes de machettes à Félicien Kabuga. Cette opération ne figure pas dans le tableau IMPORTATEURS, qui présente pourtant deux licences d’importation de 48 tonnes au nom de Kabuga.</p>
<p>Un autre document décrit un envoi « Tianjin (6 août 1992)-Mombassa-transit pour Kigali ». Les 19 200 machettes sont commandées par le commerçant Tatien Kayijuka. À raison de 600 g la <a href="https://www.knivesandtools.fr/fr/ct/machettes-et-coupe-coupe.htm">masse moyenne d’une machette</a>, ces 19 200 machettes pèsent environ 11,520 tonnes. Deux cas de figure sont alors possibles : ou bien cette opération correspond aux 11,245 tonnes importées par Kayijuka en 1993, figurant dans le Tableau IMPORTATEURS. Cela signifierait alors que ce tableau agrégerait sur 1993 les importations de 1992. Ou bien il s’agit de deux opérations distinctes, ce qui signifie que Kayijuka importe chaque année des machettes dans le cadre d’une activité commerciale routinière. Dans ce cas, le tableau IMPORTATEURS est incomplet puisqu’il n’indique aucune importation en 1992.</p>
<p>Ces importations documentées affaiblissent le crédit du tableau IMPORTATEURS, utilisé par les Rapporteurs. Elles renforcent au contraire les données du tableau DÉFINITIF, rendant compte d’importations régulières et presque équivalentes entre 1992 et 1993. Les données sur les machettes exploitées dans le rapport Galand-Chossudovsky apparaissent donc incomplètes, imprécises et peu fiables.</p>
<p>De plus, en concluant que « l’année 1993 a été d’importance capitale dans la préparation intensive du génocide » et que « presque tous les opérateurs économiques du Rwanda ont importé des machettes en 1993 », les Rapporteurs induisent une finalité qu’ils n’ont pas établie. Puisque l’augmentation annoncée des importations de machettes n’est pas démontrée et que rien ne permet d’en déduire la finalité génocidaire, alors la conclusion de ce rapport est un abus démonstratif.</p>
<p>Ce rapport, ou pour le moins le nombre « canonique » de 581 tonnes de machettes importées pour préparer le génocide, est pourtant régulièrement <a href="https://www.chronicles.rw/2020/02/28/how-581-tons-of-machetes-were-purchased-for-genocide/">cité en référence</a> dans la presse et les publications d’ONG ou d’activistes. Dans un article à paraître prochainement, Roland Tissot développera d’autres problèmes posés par le rapport Galand-Chossudovsky et proposera une reconstitution de la circulation du « chiffre canonique » dans l’espace public depuis 25 ans.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été rédigé en collaboration avec Roland Tissot, membre de la <a href="http://www.fmsh.fr/fr/recherche/24279">Plateforme Violence et Sortie de la Violence de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Guichaoua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De 1992 à 1994, le régime en place au Rwanda aurait importé 581 tonnes de machettes, ce qui démontrerait l’intentionnalité du génocide. Ce chiffre est toutefois discutable.André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1401112020-06-17T17:41:28Z2020-06-17T17:41:28ZCovid-19 : le commerce, la démocratie et les droits humains en recul dans la région des Grands Lacs africains<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/341895/original/file-20200615-65942-vzaqit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des Burundais attendent pour aller voter aux
élections présidentielles, qui se sont tenues le 20 mai. Le pays est en déni face à la menace de la Covid-19.</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Berthier Mugiraneza, File)</span></span></figcaption></figure><p>Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, est mort la semaine dernière à l’âge de 55 ans, victime d’une crise cardiaque <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1710489/afrique-crise-cardiaque-republique">selon un communiqué de son gouvernement</a>. Mais la semaine précédente, <a href="https://www.jeuneafrique.com/991026/politique/burundi-la-premiere-dame-a-t-elle-ete-evacuee-pour-se-faire-soigner-du-coronavirus/">sa femme a été hospitalisée au Kenya</a>, apparemment atteinte de la Covid-19. Les commentateurs ont donc vite conclu <a href="https://www.africardv.com/politic/burundi-nkurunziza-plutot-emporte-par-covid-19">que Nkurunziza pourrait avoir été emporté par le coronavirus</a>. Depuis le début de la pandémie, <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2020/03/31/burundi-toute-tentative-de-dissimulation-du-covid-19-mettra-des-vies-en-danger">il a eu tendance à minimiser, voire nier la gravité de la maladie</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/341896/original/file-20200615-65908-1ltwvap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/341896/original/file-20200615-65908-1ltwvap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/341896/original/file-20200615-65908-1ltwvap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/341896/original/file-20200615-65908-1ltwvap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/341896/original/file-20200615-65908-1ltwvap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/341896/original/file-20200615-65908-1ltwvap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/341896/original/file-20200615-65908-1ltwvap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une photo prise en 2018 du président du Burundi, Pierre Nkurunziza, mort le 9 juin d’une supposée crise cardiaque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Berthier Mugiraneza, File</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La situation de la pandémie dans cette région d’Afrique, celle de la région de Grands Lacs, qui comprend la République Démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, demeure confuse. Les derniers bilans (11 juin 2020) <a href="https://www.lapresse.ca/international/afrique/2020-06-11/covid-19-des-resultats-encourageants-jusqu-a-maintenant-en-afrique">font état de 204 000 cas confirmés sur l’ensemble du continent, dont 5 530 décès</a>. L’Afrique des Grands Lacs <a href="https://news.google.com/covid19/map?hl=fr-CA&mid=%2Fm%2F0169t&gl=CA&ceid=CA%3Afr">n’enregistre pour sa part que 6 157 cas confirmés</a>. Bien des observateurs <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/jun/12/global-report-who-warns-of-accelerating-infections-in-africa-but-says-severe-cases-not-going-undetected">croient cependant que le bilan pourrait être bien plus lourd</a>.</p>
<p>Ma recherche en cours sur l'Afrique face aux défis de la Covid-19 me
permet de constater que la pandémie ravive des tensions déjà existantes dans cette région.</p>
<h2>Fermeture des frontières</h2>
<p>Pour prévenir la propagation du coronavirus, la plupart des pays ont unilatéralement adopté des mesures allant jusqu’à la fermeture des frontières sans égard pour la géopolitique locale.</p>
<p>Dans la région des Grands Lacs africains, cette action a dégradé les relations entre les pays limitrophes. Elle met à rude épreuve les efforts en cours pour le retour à la paix <a href="https://www.un.org/pt/node/67001">et aggrave la crise économique et humanitaire dans la région</a>. À la suite des premiers cas de Covid-19 enregistrés respectivement au début mars au Rwanda et en RDC, les pays voisins ont fermé leurs frontières pour mettre leur population à l’abri de la contamination. Le Burundi a fermé les siennes le 15 mars, poussant le Rwanda à la réciprocité le 21, la RDC le 22 et l’Ouganda le 23 mars 2020.</p>
<p>Ces trois derniers pays ont toutefois laissé la possibilité aux camions transportant les marchandises d’entrer sur leurs territoires. Le Burundi a cependant interdit les marchandises transitant par le Rwanda. <a href="https://www.iwacu-burundi.org/burundi-covid-19-reouverture-des-frontieres-avec-le-rwanda-et-la-rdc-pour-les-camions-de-marchandises/">En réponse, le Rwanda a fermé ses frontières aux marchandises destinées au Burundi</a>. Des populations sont ainsi privées des biens essentiels. Le gros des produits manufacturiers consommés à l’est de la RDC, au Burundi et au Rwanda provient principalement des ports de Mombasa au Kenya et de Dar Es Salam en Tanzanie. Ces marchandises, pour atteindre la RDC, transitent par les trois autres pays voisins.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lafrique-face-a-la-covid-19-une-riposte-inegale-136896">L'Afrique face à la Covid-19 : une riposte inégale</a>
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<h2>Un pays en plein déni</h2>
<p>Le blocus frontalier a énormément préjudicié les voyageurs et les populations riveraines. Toutes les entrées et les sorties étant interdites, les personnes persécutées dans leurs pays ne peuvent pas sortir et celles qui travaillent ou étudient de part et d’autre des frontières sont coincées en dépit de la vulnérabilité dans laquelle se trouvent certaines d’entre elles. En mars, le <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/03/1065502">HCR a rappelé l’urgence de protéger les réfugiés</a>, les demandeurs d’asile y compris les déplacés et de les inclure dans les plans de riposte contre le coronavirus.</p>
<p>Cela n’a pas empêché à la Tanzanie de <a href="http://burundi-agnews.org/globalisation-mondialisation/burundi-arrivee-de-663-refugies-burundais-rapatries-de-tanzanie-makamba/">rapatrier les réfugiés burundais en pleine crise sanitaire</a>. Le Rwanda a aussi reçu « les demandeurs d’asile », <a href="https://www.sosmediasburundi.org/2020/03/19/covid-19-le-rwanda-la-tanzanie-et-louganda-ont-interdit-des-entrees-sorties-dans-les-camps-de-refugies/">notamment des Burundais</a> dont le pays est pourtant l’un des états décriés actuellement <a href="https://www.tdg.ch/monde/burundi-terreur-elections-2020/story/18801270">pour la répression politique et le déni de la pandémie</a>.</p>
<p><a href="http://www.msn.com/fr-xl/actualite/monde/au-burundi-pr%C3%A9serv%C3%A9-du-covid-19-par-la-gr%C3%A2ce-divine-la-vie-suit-son-cours/ar-BB12qa5f">Les dirigeants croient en la force de la nature, sinon à la prière pour combattre le coronavirus</a> et ne tolèrent pas les critiques. Les cas suspects de Covid-19 sont cachés, <a href="https://fr.africanews.com/2020/05/29/burundi-la-premiere-dame-hospitalisee-a-nairobi/">dont celui de la première dame</a>, et les décès attribués à une pneumonie ou encore, une crise cardiaque, comme c’est le cas pour Nkurunziza. <a href="https://www.voaafrique.com/a/les-autorit%C3%A9s-burundaises-expulsent-le-repr%C3%A9sentant-et-trois-fonctionnaires-de-l-oms/5420066.html">L’équipe de riposte de l’OMS a été expulsée du pays</a>.</p>
<p>En RDC, pendant ce temps, une manifestation qui s’est tenue le 16 juin contre les abus des policiers chargés de faire respecter les mesures barrières contre le coronavirus <a href="https://www.mediacongo.net/article-actualite-70745_bukavu_assassinat_d_un_chauffeur_a_bagira_le_batiment_servant_d_isolement_aux_malades_du_covid_19_vandalise.html">a occasionné la vandalisation du centre d’isolement des cas positifs dans la ville de Bukavu</a>. Des malades auraient pris fuite.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342518/original/file-20200617-94101-uaj3vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342518/original/file-20200617-94101-uaj3vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342518/original/file-20200617-94101-uaj3vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342518/original/file-20200617-94101-uaj3vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342518/original/file-20200617-94101-uaj3vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342518/original/file-20200617-94101-uaj3vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342518/original/file-20200617-94101-uaj3vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une mobilisatrice communautaire congolaise, volontaire pour la Croix-Rouge, Katungo Methya, donne des informations sur la prévention du coronavirus, le 7 avril, à Beni, dans l’est du Congo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Al-hadji Kudra Maliro</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des tensions ravivées</h2>
<p>Bien que salutaire, la décision du Rwanda d’ouvrir le couloir humanitaire aux Burundais recouvrerait pour certains des motivations politiques qui pourraient à court terme déstabiliser son voisin.</p>
<p><a href="https://www.bbc.com/afrique/region/2015/10/151001_rwanda_burundi">Ces deux États ont des relations tendues depuis 2012</a>. Le Burundi accuse le Rwanda de soutenir les violences contre le régime en place et d’entraîner des combattants sur son territoire. En retour, le Rwanda reproche au Burundi de prêter main-forte aux groupes armés hostiles au président Paul Kagame, comme les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) qui opèrent à partir de la RDC. L’armée rwandaise à la poursuite de ces combattants <a href="https://dkm-tv.com/2020/04/15/nord-kivu-presence-de-troupes-rwandaises-signalee-a-rutshuru/">a été signalée sur le sol congolais en avril en dépit de la fermeture des frontières</a>.</p>
<p>Par ailleurs, depuis le début de la pandémie, la médiation entreprise par l’Angola et la RDC <a href="https://www.afrik.com/coronavirus-un-frein-a-la-resolution-de-la-crise-entre-le-rwanda-et-l-ouganda">pour mettre un terme au conflit qui oppose l’Ouganda et le Rwanda a été suspendue</a>. Les frontières entre ces deux États sont fermées depuis mars 2019. Le Rwanda reproche à l’Ouganda d’assassiner ses ressortissants et de soutenir les rebelles contre son régime alors que l’Ouganda accuse le Rwanda d’espionnage. Ces deux voisins sont, en outre, fortement engagés dans les conflits en RDC depuis 1996.</p>
<h2>Une pandémie qui a le dos large</h2>
<p>Depuis 2015, les dirigeants des quatre pays riverains des Grands Lacs prennent des mesures pour se maintenir au pouvoir ou garder la mainmise sur les institutions après leurs mandats. Outre la modification des constitutions, ils ont retiré leurs signatures ou menacent de sortir des instances judiciaires internationales entre autres : la <a href="https://www.jeuneafrique.com/940946/societe/justice-quand-les-etats-tournent-le-dos-a-la-cour-africaine-des-droits-de-lhomme/">Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et la cour pénale internationale (CPI)</a>.</p>
<p>En raison de la pandémie, l’Ouganda a reporté les élections présidentielles prévues en 2021 alors que le Burundi a profité de la crise pour organiser les scrutins sans témoins indépendants. <a href="https://www.uccadia.com/burundi-decompte-des-voix-apres-une-presidentielle-tendue-et-sous-covid/">Les observateurs internationaux n’ont pas été accrédités</a></p>
<p>L’arrivée de la pandémie a ainsi renforcé la violation des droits humains, les tensions diplomatiques et sécuritaires dans la région des Grands Lacs. Les États se reprochent mutuellement d’ingérence dans les affaires internes des autres.</p>
<p>La crise actuelle devrait être l’occasion pour les dirigeants de cette région de repenser leurs politiques, d’élaborer des stratégies de lutte contre l’insécurité et de gestion des crises, voire faire la promotion du commerce transfrontalier. Pourtant, il semble que ce soit le contraire qui se déroule.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140111/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentin Migabo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La présence du coronavirus dans la région des Grands Lacs africains ravive des tensions existantes et nuit aux échanges commerciaux, à la démocratie et aux droits de la personne.Valentin Migabo, Chercheur à l'UQAM, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1209462019-07-26T11:02:17Z2019-07-26T11:02:17ZPodcast : 21 millisecondes devant la Cour d'assises (5/5)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/285598/original/file-20190724-110191-eqnbrw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C12%2C1020%2C712&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pascal Simbigwanga, premier rwandais jugé à Paris pour des faits liés au génocide qui a fait près de 800 000 morts, 20 ans plus tôt.</span> <span class="attribution"><span class="source">Benoît Peyrucq / AFP</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Espace, salles des marchés, haute-montagne… Cet été, Christophe Haag, professeur à l'EM Lyon Business School et chercheur en psychologie sociale, vous explique comment les émotions se propagent entre individus en milieu extrême. Au travers des témoignages qu'il a recueillis et analysés au prisme des dernières recherches scientifiques, vous découvrirez les cheminements inattendus de cette « particule de Dieu », ainsi que quelques astuces pour gérer ces émotions, bénéfiques comme toxiques, qui se diffusent d'un humain à l'autre en… 21 millisecondes seulement ! Interviews menées par Thibault Lieurade, chef de rubrique Économie + Entreprise.</em></p>
<hr>
<p>Pendant les procès, les avocats de la défense sont soumis à une pression émotionnelle d'une intensité exceptionnelle. Surtout quand on s'appelle Fabrice Epstein, petit-fils de victimes de la Shoah, et que l'on doit défendre Pascal Simbikwanga, jugé en 2014 en France pour son rôle dans le génocide rwandais plus tôt, qui a fait près de 800 000 morts, 20 ans plus tôt. Mais l'émotion n'est pas que l'ennemi de l'avocat, c'est aussi son plus précieux allié. C'est ce que vous découvrirez dans le décryptage de sa dernière plaidoirie, après 6 semaines de procès.</p>
<hr>
<h2>Pour aller plus loin</h2>
<p><strong>L'avocat Fabrice Epstein en pleine lecture du livre « La contagion émotionnelle »…</strong></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/285599/original/file-20190724-110191-uw0dlt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/285599/original/file-20190724-110191-uw0dlt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/285599/original/file-20190724-110191-uw0dlt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/285599/original/file-20190724-110191-uw0dlt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/285599/original/file-20190724-110191-uw0dlt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/285599/original/file-20190724-110191-uw0dlt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/285599/original/file-20190724-110191-uw0dlt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><strong>… dont vous pouvez lire les bonnes feuilles ci-dessous</strong></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1137968906923139072"}"></div></p>
<p><strong>« Procès Simbikangwa : le génocide rwandais devant la justice française » (Reportage Euronews, février 2014).</strong></p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/h_X4K-_2Ilw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<hr>
<p><em>Un grand merci à toute l'équipe du <a href="https://www.scandleparis.com">Scandle</a>, 68 rue Blanche dans le IX<sup>e</sup> arrondissement de Paris, pour l'accueil dans son studio, à Jennifer Gallé pour la lecture du témoignage, et à Julian Octz pour le visuel du podcast.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Haag ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'avocat de Pascal Simbikwanga, jugé en France pour son rôle pendant le génocide rwandais de 1994, dévoile le jeu émotionnel qu'il a déployé pendant sa plaidoirie pour tenter de convaincre les jurés.Christophe Haag, Professeur en comportement organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1157732019-04-24T20:12:12Z2019-04-24T20:12:12ZComment le « boom des minerais » augmente la violence en Afrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/270107/original/file-20190419-28084-6m6ohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C15%2C2029%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près de deux tonnes d’or échapperaient aux autorités locales de l’Ituri, dans le nord-est de la RDC.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/un_photo/14549777252/in/photolist-oaHpSu-oTWccu-oaE9ob-4RcytE-bvnby1-drutWX-31xJ9A-TigxB-WyvDhy-nMp2ii-i4n1ip-qnR2HW-U7sJv-dhZ215-5HfQti-i4nJEg-nv17fk-p9oZPs-dSsbHV-bJgYya-mhxvtA-nPgDZR-5MQuYd-oaEajj-nTiJUN-mhs7sg-nuZcA3-V65nZe-oauEwz-mhs7nX-5MxTHe-dp8gMk-4eWtNy-V2Cbky-65ntmF-nTjt22-nmbViL-i4naGf-9mhDL-mhvB1c-bEiNJe-9JZ2ad-bM5g9B-jyZSAx-VTjEBh-dEELSH-4S4KGg-q6mL6y-nKFKGm-dmRDq9/">United Nations/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>La hausse du prix des minerais peut avoir de sanglantes conséquences en Afrique. C’est ce qu’ont observé Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Dominic Rohner, et Mathias Thoenig dans une <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20150774">étude récente</a> parue dans The American Economic Review et portant sur l’ensemble de l’Afrique de 1997 à 2010. Le boom des prix de ces minerais en 2000 pourrait expliquer jusqu’à un quart des conflits en Afrique. La violence se déploie même au-delà des zones minières. Avec l’argent gagné, les rebelles déploient leurs combats en étendant leurs zones d’influence.</em></p>
<hr>
<p>« Diamants de sang », « or des conflits », « coltan sanglant » les appellations sont nombreuses pour rappeler la guerre à laquelle se livrent les plus cupides. N’y a-t-il jamais de minerais sans violence ? Ce sujet a été largement discuté, mais peu d’études ont montré la relation causale entre hausse du prix des minerais et conflits. C’est le propos de cette analyse, parue dans <em>American Economic Review</em> et portant sur l’ensemble de l’Afrique de 1997 à 2010.</p>
<h2>Le « boom » des minerais</h2>
<p>Entre 2000 et 2009, le prix des minerais a plus que doublé en moyenne. Ce « boom des minerais » a été largement impulsé par le rôle de nouvelles puissances, comme la Chine ou l’Inde par exemple, qui ont considérablement augmenté leur demande. En 1997 une once d’or valait 338 dollars et en 2010, elle atteignait 1 084 dollars !</p>
<p>Les conséquences sur le terrain sont tout autant explosives… Sur la période étudiée, un quart des conflits observés sur le continent africain peut être expliqué par la hausse de ces cours mondiaux !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270105/original/file-20190419-28100-14xhgb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270105/original/file-20190419-28100-14xhgb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270105/original/file-20190419-28100-14xhgb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270105/original/file-20190419-28100-14xhgb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270105/original/file-20190419-28100-14xhgb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270105/original/file-20190419-28100-14xhgb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270105/original/file-20190419-28100-14xhgb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Près de deux tonnes d’or échapperaient aux autorités locales de l’Ituri, dans le nord-est de la RDC.</span>
<span class="attribution"><span class="source">United Nations/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>En quadrillant l’Afrique par zones de 55 sur 55 km, l’étude se penche sur l’impact de l’augmentation du prix de 14 minerais. Ces résultats sont mis en relation avec une base de données géolocalisée des événements violents (des émeutes aux conflits civils en passant par les batailles entre groupes armés) sur tout le territoire africain.</p>
<p>Ce quadrillage à échelle locale va au-delà du cadre frontalier et réduit le poids des caractéristiques étatiques. Les conflits liés aux élections, les guerres inter-ethniques ou religieuses n’interfèrent pas avec les résultats. Chaque zone peut être comparée à sa voisine, qui lui est en tout point semblable, la présence de minerais mise à part. L’analyse permet donc d’affirmer que la hausse du prix a pour conséquence directe l’augmentation de la violence. Comment se répercute concrètement le cours des minerais sur le terrain ?</p>
<h2>Financer l’avancée des milices</h2>
<p>Rackets, extorsions ou encore profits : les groupes rebelles s’alimentent à travers la rente de ces mines. Lorsque l’État est faible, les mines sont convoitées par les groupes armés qui en font leur base arrière. En République Démocratique du Congo (RDC), secouée depuis plus de 20 ans par la guerre, plus de 40 milices quadrillent le territoire. Leur appétit est à la hauteur des richesses de la région : 70 % des réserves mondiales de coltan, des réserves en or, en diamant, en étain… D’autant que l’absence de l’État est patente. Entre mai 2012 et novembre 2013, un groupe appelé le M23 s’est établi sur le territoire congolais en développant une véritable administration et en créant des postes de ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Agriculture.</p>
<p>Conquérir une mine permet aux rebelles de générer des revenus en taxant la production ou la population locale, ou de bénéficier du support logistique des compagnies minières. Ce système repose souvent sur la promesse de protection pour les communautés sur place. Avec la manne d’argent recueillie, les milices peuvent financer leurs activités. Lorsque le prix des minerais augmente, leur capacité de combat s’accroît et ils peuvent alors étendre leurs zones d’influence.</p>
<p>À la suite de l’appropriation d’un territoire minier, l’étude montre que les groupes rebelles ont trois fois plus de chance de déployer leurs combats vers d’autres régions que des groupes qui conquièrent un territoire sans minerai. Cette escalade de violence est encore visible jusqu’à 1 000 kilomètres à la ronde. La détention d’une mine est donc bien un facteur déterminant. Au contraire, les groupes qui conquièrent un territoire sans minerai ne sont pas plus belliqueux. La détention d’une mine est donc bien un facteur déterminant. L’enjeu dépasse le simple contexte local. Pour soutenir le propos, l’étude identifie l’ethnie principale de chaque groupe armé et montre qu’une hausse du prix des minerais exploités dans leur territoire d’origine leur permet d’étendre leurs combats.</p>
<h2>Une PlayStation pour Noël ?</h2>
<p>C’est la consommation des pays développés qui fait varier le prix des minerais en grande partie. La demande de produits électroniques peut ébranler durablement les régions fournisseuses de minerais. À l’annonce de la sortie d’une nouvelle PlayStation par la firme Sony, au début 2000, une demande accrue en coltan, un de ses composants principaux, a engendré une augmentation de son prix de 90 dollars à 590 dollars par kilogramme.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270108/original/file-20190419-28100-1zvrpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270108/original/file-20190419-28100-1zvrpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270108/original/file-20190419-28100-1zvrpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270108/original/file-20190419-28100-1zvrpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270108/original/file-20190419-28100-1zvrpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270108/original/file-20190419-28100-1zvrpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270108/original/file-20190419-28100-1zvrpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’engouement pour les produits électroniques en Occident a alimenté la hausse des prix.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twin Design/Shutterstock</span></span>
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<p>La République Démocratique du Congo est apparue comme un terrain idéal pour les fournisseurs étrangers. Raul Sanchez de la Sierra a analysé les répercussions sur le terrain à travers une <a href="https://voxeu.org/article/stationary-bandits-taxation-and-emergence-states">étude sur 380 zones minières</a>. Selon cet économiste, suite à la hausse des prix, les milices se sont multipliées dans les sites de coltan et la violence s’est accrue. Malgré la baisse des prix, elles sont restées sur le territoire, entraînant des perturbations à long terme pour les villages alentours. À travers son effet sur les cours mondiaux, notre consommation peut donc créer une véritable onde de choc.</p>
<p>Dans la région des Grands Lacs, le chemin suivi par l’argent emprunte bien souvent des canaux inofficieux. Selon le quotidien Le Monde, près de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/06/en-afrique-le-florissant-business-de-l-or-des-conflits_5431892_3212.html">deux tonnes d’or</a> filent entre les doigts des autorités locales de l’Ituri (une région du nord-est de la RDC) chaque mois, alors qu’officiellement, seulement 33 kilos sont reportés par an ! Le même schéma se répète pour le coltan. Un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies datant de 2014 a ainsi dénoncé l’<a href="https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/didr_note_rdc_exploitation_et_exportation_des_minerais_dans_lest_du_pays_ofpra_14.08.2014.pdf">évaporation des minerais congolais</a>, en mettant en cause le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Les chiffres sont pour le moins suspects. Alors que la RDC détient 70 % des réserves mondiales, le Rwanda a été, entre 2013 et 2014, le premier exportateur mondial de coltan.</p>
<h2>Qui en paye le prix ?</h2>
<p>Les milices ne sont pas les seuls éléments perturbateurs de ces régions. Mais parmi ceux qui en payent le prix, les populations sont les premières touchées. Travail forcé, main d’œuvre peu chère, non-respect des droits individuels sont le lot quotidien des mineurs africains. Derrière cette force laborieuse quasi gratuite, le risque d’émeutes ou révoltes accroît aussi l’insécurité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270106/original/file-20190419-28097-tpkzh1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270106/original/file-20190419-28097-tpkzh1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270106/original/file-20190419-28097-tpkzh1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270106/original/file-20190419-28097-tpkzh1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270106/original/file-20190419-28097-tpkzh1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270106/original/file-20190419-28097-tpkzh1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270106/original/file-20190419-28097-tpkzh1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les populations civiles sont les premières touchées par les violences.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/julien_harneis/580510493/in/photolist-oaHpSu-oTWccu-oaE9ob-4RcytE-bvnby1-drutWX-31xJ9A-TigxB-WyvDhy-nMp2ii-i4n1ip-qnR2HW-U7sJv-dhZ215-5HfQti-i4nJEg-nv17fk-p9oZPs-dSsbHV-bJgYya-mhxvtA-nPgDZR-5MQuYd-oaEajj-nTiJUN-mhs7sg-nuZcA3-V65nZe-oauEwz-mhs7nX-5MxTHe-dp8gMk-4eWtNy-V2Cbky-65ntmF-nTjt22-nmbViL-i4naGf-9mhDL-mhvB1c-bEiNJe-9JZ2ad-bM5g9B-jyZSAx-VTjEBh-dEELSH-4S4KGg-q6mL6y-nKFKGm-dmRDq9/">Julien Harneis/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour les deux chercheurs américains Samuel Bazzi et Christopher Blattman, les mines sont de véritables poudrières à ciel ouvert. L’augmentation du cours des minerais entraîne la cupidité et l’intérêt des voisins. Les nouvelles opportunités économiques minières et l’insécurité génèrent d’importants mouvements de population et changements sociodémographiques, déstabilisant davantage les régions. Et derrière l’exploitation à outrance des sites miniers, les enjeux environnementaux se transforment parfois en disputes territoriales.</p>
<p>Ressources minières et violence sont-elles intrinsèques ? L’étude en souligne bien le risque. Les entreprises multinationales et les États ne peuvent rester spectateurs – voire acteurs ! – de ces exactions. Pour contrer cette tendance, ils peuvent construire des bases solides en s’attaquant à la corruption et en privilégiant la transparence. L’impact des mesures en la matière fera d’ailleurs l’objet d’un prochain article.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article a été rédigé par Claire Lapique en collaboration avec Nicolas Berman, et publié dans la revue <a href="https://www.amse-aixmarseille.fr/fr/dialogeco">« Dialogues économiques »</a> de l’AMSE, l’école d’économie d’Aix-Marseille, en partenariat avec The Conversation France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115773/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Berman a reçu des financements de l'Amidex. </span></em></p>D’après une étude récente, l’explosion du prix des minerais pourrait expliquer jusqu’à un quart des conflits en Afrique.Nicolas Berman, Chercheur en économie, CNRS, Aix-Marseille School of Economics (AMSE), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1154172019-04-12T20:12:53Z2019-04-12T20:12:53ZRwanda: comment le génocide a affecté le cerveau des survivants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/269074/original/file-20190412-76853-1gw1qgs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des Rwandais, assis dans les tribunes, tiennent des bougies dans le cadre d'une veillée aux chandelles lors du service commémoratif au stade Amahoro, dans la capitale Kigali, le 7 avril. Le Rwanda commémore le 25e anniversaire du génocide qui a vu près d'un million de Tutsis et de Hutus modérés massacrés en 100 jours. </span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ben Curtis</span></span></figcaption></figure><p>Le soir du 7 avril 2019, j’étais au stade Amahoro, à Kigali. </p>
<p>En 1994, 25 ans auparavant, ce lieu a servi de refuge pour des milliers de Tutsis tentant d’échapper aux attaques des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Interahamwe">Interahamwe</a>, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9nocide_des_Tutsis_au_Rwanda">génocidaires qui vont massacrer près d'un million de personnes en 100 jours. </a></p>
<p>Lors de cette <a href="https://www.ledevoir.com/monde/afrique/551641/le-rwanda-se-souvient-de-l-indicible-25-ans-apres-le-genocide">soirée de commémorations du 7 avril</a>, qui marque le début du génocide contre les Tutsis au Rwanda, on entendait des hurlements déchirants. Certaines personnes, des femmes surtout, semblaient replongées dans le passé, comme si elles étaient à ce moment même pourchassées par les tueurs.</p>
<p>Les événements extrêmes comme le génocide de 1994 au Rwanda ont évidemment des conséquences pour la santé mentale. Les symptômes de dépression, d’anxiété, de stress post-traumatique sont bien documentés. </p>
<p>Au Rwanda, la population entière est sensibilisée au « trauma ». Lors des commémorations, il est attendu que ces symptômes soient exacerbés. Même si certaines des manifestations du stress post-traumatique peuvent avoir des spécificités culturelles, plusieurs sont observées à travers toutes les cultures. Ce sont celles liées à des événements qui menacent l’intégrité et la survie (agressions sexuelles, accidents de la route, guerre, mort subite d’un proche, etc.). </p>
<p>Les survivants font l’expérience de cauchemars, d’agitation physiologique, de reviviscences; ils revivent l’événement au présent, comme ces dames dans le stade le soir du 7 avril. </p>
<h2>Des conséquences affectives et cognitives</h2>
<p>Plusieurs études conduites au Rwanda ont montré que la prévalence du <a href="https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/sante-mentale-maladie-mentale/trouble-stress-post-traumatique/">Trouble de Stress Post-Traumatique</a> peut atteindre <a href="https://www.researchgate.net/publication/221688539_Mental_and_physical_health_in_Rwanda_14_years_after_the_genocide">19% à 25% de la population générale, jusqu’à 20 ans après le génocide</a>, ce qui est extrêmement élevé comparativement à la prévalence mondiale, estimée à environ 3% à 4%.</p>
<p>On comprend aisément que des événements tels que le génocide provoquent des séquelles affectives. On soupçonne moins qu’ils ont également des conséquences cognitives. C’est sur cette dimension que porte nos travaux de recherche, entre autres au Rwanda. </p>
<p>Depuis 2014, nous avons rencontré plus de 650 Rwandais. Nous leur avons demandé de nous parler de leurs expériences du génocide et nous avons évalué leur mémoire, leur raisonnement, et plusieurs autres fonctions cognitives.</p>
<p>À la suite du génocide des Tutsis au Rwanda, l’atteinte cognitive la plus évidente est la sur-activation de la mémoire : le souvenir qui revient à la pensée fréquemment, soudainement, comme si la personne revivait l’événement au présent, comme ces dames au stade, le soir du 7 avril. </p>
<p>Il y a souvent un manque de contextualisation du souvenir, qui fait que la personne vit le passé au présent. Dans nos études au Rwanda, nous avons observé qu’une personne sur deux rapporte penser au génocide au moins une fois par semaine, une personne sur cinq une fois par jour. Pour les rescapés Tutsis, le contexte quotidien, les lieux et les gens, sont autant d’indices qui rappellent incessamment le souvenir des événements de 1994.</p>
<h2>Des souvenirs désincarnés</h2>
<p>Paradoxalement, la mémoire est à la fois suractivée et sous-activée suite au trauma. La mémoire « surgénérale » est un phénomène qui existe chez les rescapés du génocide des Tutsis au Rwanda, comme chez d’autres populations exposées à des événements hautement émotifs. </p>
<p>Lorsqu’on demande aux rescapés de nous rapporter leur souvenir le plus marquant relié au génocide, un souvenir associé à une journée précise et un lieu spécifique, certains nous disent quelque chose comme: « Il y avait des gens, des Interahamwe, qui tuaient d’autres gens ». Ces souvenirs sont presque sémantiques, désincarnés, c’est-à-dire des connaissances générales plutôt que des souvenirs personnels. </p>
<p>Les gens qui ne souffrent pas de symptômes de stress post-traumatique peuvent plus facilement récupérer des souvenirs spécifiques, associés à un moment particulier et un lieu identifiable, tels que: « Une journée, ma mère et moi avons été arrêtées à un barrage. Il était tard et les miliciens étaient fatigués. Ils avaient déjà intercepté plusieurs Tutsis cette journée-là. Ma mère a pu marchander notre passage. Je ne sais pas comment elle a réussi ». </p>
<p>On pourrait penser que les souvenirs surgénéraux servent à éviter les émotions négatives que susciteraient des images trop spécifiques. Or, c’est un mode de pensée plus global que le simple évitement, puisqu’on le constate aussi pour les souvenirs positifs et neutres. </p>
<p>On sait que l’activation d’un souvenir et du contexte dans lequel il est survenu sont deux processus au moins partiellement dissociables dans le cerveau. Lorsqu’on leur demande d’imaginer un événement futur, joyeux ou neutre, on constate la même absence de spécificité, les mêmes contours flous. Il est difficile de se projeter dans le futur si on ne peut pas l’imaginer. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269082/original/file-20190412-76834-962rxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269082/original/file-20190412-76834-962rxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269082/original/file-20190412-76834-962rxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269082/original/file-20190412-76834-962rxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269082/original/file-20190412-76834-962rxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269082/original/file-20190412-76834-962rxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269082/original/file-20190412-76834-962rxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un survivant rwandais du génocide de 1994 devant les ossements des victimes du génocide dans une fosse commune à Nyamata, au Rwanda.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Sayyid Azim</span></span>
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<h2>Un impact sur la mémoire à court terme</h2>
<p>Au-delà de la mémoire autobiographique, celle qui garde la trace des souvenirs personnels, une autre forme de mémoire peut avoir un impact important sur la construction du futur : la<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9moire_%C3%A0_court_terme"> mémoire à court terme</a>. </p>
<p>La mémoire à court terme maintien en tête, au moment présent, l’information nécessaire pour accomplir la plupart des tâches cognitives, de la compréhension du langage à la résolution de problèmes, en passant par le calcul mental et la recherche d’une destination dans un endroit inconnu. </p>
<p>On sait que le stress et le trauma ont un impact sur la mémoire à court terme. </p>
<p>C’est le cas au Rwanda. Nous avons demandé aux participants de nos études de dénombrer le nombre d’événements qu’ils ont subis durant le génocide (avoir perdu un proche, avoir été blessé, avoir eu ses biens pillés, avoir été violée, etc.). Les gens qui rapportent plus de ces événements ont de moins bonnes habiletés de mémoire à court terme, par exemple, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30124309">ils ont plus de difficultés à répéter des informations qu’ils viennent d’entendre</a>. Des mécanismes neurophysiologiques (hormones de stress et cerveau) et cognitifs (pensées intrusives) pourraient expliquer ce lien. Ainsi, en plus des défis financiers, émotifs, sociaux et affectifs importants auxquels doivent faire face les rescapés, on peut aussi ajouter les défis cognitifs.</p>
<p>Le portrait peut paraître sombre mais les facteurs cognitifs peuvent aussi être considérés sous un angle constructif. Par exemple, l’intelligence, l’éducation et le raisonnement abstrait peuvent être des facteurs de protection contre le développement de symptômes de stress post-traumatique. </p>
<p>Les Rwandais qui font preuve de meilleures capacités de raisonnement abstrait présentent moins de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychopathologie">symptômes psychopathologiques</a>, pour un même niveau d’exposition aux événements traumatiques liés au génocide. Juste à côté, en République Démocratique du Congo, une étude récente a montré que <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15299732.2019.1597814">l’éducation est associée à moins de symptômes de stress post-traumatique, particulièrement chez les filles </a>. </p>
<p>Il y a de bonnes raisons de croire que la pensée abstraite, la capacité à utiliser le raisonnement symbolique (qui nous permet de verbaliser et donner du sens à nos expériences avec des mots) peut favoriser l’adaptation suite aux expériences incommensurables telles que le génocide. </p>
<p><image id=“269075” align=“centre” source=“AP Photo/Ben Curtis” caption=“La Gouverneure générale du Canada, Julie Payette, participe à la Marche du souvenir, à Kigali, le 7 avril 2019. Elle est notamment accompagnée du président rwandais, Paul Kagame, et du premier ministre belge, Charles Michel.” </p>
<p>La cognition, notamment le raisonnement, peuvent être au cœur non seulement de l’ajustement personnel suite à l’exposition à un conflit, mais aussi de la construction d’une paix durable. Les attitudes envers la réconciliation et l’unité sont des enjeux politiques complexes, influencés par la justice, les politiques gouvernementales, la situation économique et de multiples autres facteurs. </p>
<p>Au niveau individuel, la santé mentale et la santé cognitive sont fortement liées aux attitudes envers la réconciliation. Au Rwanda, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29159908">les individus qui présentent plus de détresse psychologique sont moins ouverts à la réconciliation</a>. De même, les participants qui savent raisonner de façon logique, surtout à propos de sujets émotifs liés au génocide, sont plus favorables à la réconciliation. Ils sont aussi plus optimistes face à l’avenir. </p>
<p>On ne sait pas si agir sur la santé mentale au Rwanda, ou dans d’autres sociétés post-conflit, influencerait directement les attitudes envers la réconciliation. De même, on ne sait pas si augmenter l’accès à une éducation de qualité, qui favoriserait la pensée logique et le raisonnement symbolique, améliorerait la santé mentale à la suite d’une exposition à des conflits armés. </p>
<p>Nul doute que des études permettant de répondre à ces questions viendront, maintenant que l’on commence à apprécier le rôle important des facteurs cognitifs dans ce contexte. Sans négliger les facteurs sociaux, politiques et économiques, les études récentes laissent penser qu’il est essentiel de s’intéresser à la santé affective et cognitive afin de construire une paix durable. Cela permettrait peut-être d’apaiser les cris de ces dames lors des commémorations. </p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115417/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Blanchette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au delà du choc post-traumatique, les rescapés du génocide rwandais font face à des défis cognitifs et à une modification de leur mémoire.Isabelle Blanchette, Professeure titulaire en psychologie cognitive, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1150472019-04-08T18:24:08Z2019-04-08T18:24:08ZLe génocide rwandais, comme une vision de l'enfer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/268211/original/file-20190408-2935-116fgec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Intérieur de l'église Sainte-Famille, qui a été le théâtre d'assassinats collectifs lors du génocide de 1994 au Rwanda.</span> <span class="attribution"><span class="source">EPA/Ahmed Jallanzo</span></span></figcaption></figure><p>Citant les paroles d'un missionnaire local, la couverture du magazine <em>TIME</em> de mai 1994 se lisait comme suit :</p>
<blockquote>
<p>Il n'y a plus de diables en enfer, ils sont tous au Rwanda.</p>
</blockquote>
<p>Jusqu'à 800 000 personnes, principalement des Tutsis, <a href="http://unictr.irmct.org/fr/le-g%C3%A9nocide">ont été tuées dans une orgie de 100 jours</a> d'assassinats brutaux et de viols par des membres de la majorité hutu au Rwanda. </p>
<p>L'évocation de l'enfer par le <em>TIME</em> présente le génocide comme un phénomène inconcevable. C'est aussi un cadrage théologique qui fait de la violence un pur produit du mal. </p>
<p>Cette vision du génocide rwandais comme une représentation de l'enfer n'est pas fortuite. Des iconographies similaires de l'enfer font partie de l'imaginaire collectif et façonnent la compréhension du génocide. Prenons, par exemple, le titre de l'autobiographie du lieutenant général à la retraite <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rom%C3%A9o_Dallaire">Roméo Dallaire</a>, <a href="http://www.editions-libreexpression.com/j-serre-main-diable/romeo-dallaire/livre/9782764800720"><em>J'ai serré la main du diable</em></a>. Le livre raconte l'expérience du général Dallaire à la tête de la <a href="https://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/past/unamir">Mission d'assistance des Nations Unies pour le Rwanda </a> pendant le génocide. </p>
<p>De plus, un court documentaire produit sur Roméo Dallaire par le <a href="https://www.ushmm.org/fr">United States Holocaust Memorial Museum</a> en 2002 s'intitulait <a href="https://www.ushmm.org/confront-genocide/speakers-and-events/all-speakers-and-events/a-good-man-in-hell-general-romeo-dallaire-and-the-rwanda-genocide"><em>A Good Man in Hell</em></a>. </p>
<p>L'image que ces récits donnent du génocide au Rwanda est qu'il s'agit, comme le suggère avec justesse le livre de l'ambassadrice et critique politique américaine <a href="https://hls.harvard.edu/faculty/directory/11712/Power">Samantha Power</a> de <a href="https://www.theguardian.com/books/2003/jul/05/highereducation.news"><em>A Problem from Hell</em></a>. </p>
<p>Se représenter le génocide comme étant l'enfer suggère que les horreurs ne sont pas entièrement concevables. On ne peut les imaginer que sous une forme symbolique. De plus, ces représentations symboliques encouragent une réponse morale - ou théologique - à un phénomène par ailleurs violent provoqué par des événements politiques.</p>
<p>Les exemples que je cite constituent le pivot des médias occidentaux et de la représentation artistique du génocide de 1994 au Rwanda. Pourtant, ces iconographies ne sont pas exclusives aux représentations occidentales des atrocités. Elles sont également l'élément central des grands reportages sur le génocide écrits par des auteurs africains. </p>
<h2>Prise de conscience</h2>
<p>Le génocide, décrit comme l'enfer dans plusieurs autres projets littéraires, est profondément marqué par une horreur immonde. L'enfer rwandais apparaît comme le lieu de cruautés sans réserve. Les viols brutaux sont fréquents. La violence est infligée avec un sadisme extrême et la décadence constitue l'ordre normal des choses. </p>
<p>Un ouvrage représentatif et digne de mention du genre est le roman célèbre de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gil_Courtemanche">auteur québécois Gil Courtemanche</a>, <a href="https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/dimanche-piscine-kigali-224.html"><em>Un dimanche à la piscine à Kigali</em></a>. Dans le roman, la découverte d'un coopérant canadien des atrocités de masse au Rwanda est présentée comme une descente aux enfers. </p>
<p>Parmi les exemples africains, on peut citer le roman célèbre de <a href="http://www.triquarterly.org/contributors/boubacar-boris-diop">Boubacar Boris Diop</a>, intitulé <a href="http://www.zulma.fr/livre-murambi-le-livre-des-ossements-572001.html"><em>Murambi, le livre des ossements</em></a>. </p>
<p>Le roman s'appuie fortement sur l'histoire [biblique] de la conversion des païens au christianisme. La conversion de Corneille et sa rencontre avec l'apôtre Simon Pierre sont essentielles pour comprendre les préoccupations thématiques de Diop dans ce roman.</p>
<p>L'histoire principale de <em>Murambi</em> est celle de Cornelius Uvimana, un exilé rwandais de retour de Djibouti. Cornelius arrive quatre ans après le génocide pour constater l'extermination de tous les membres de sa propre famille. Il écrira une pièce sur le génocide. </p>
<p>Ses voyages à travers des sites où se sont déroulés des massacres sont présentés, une fois de plus, comme une descente dans les ténèbres. Dans cet enfer, le guide principal de Corneille est son oncle Siméon Habineza, qui, comme Simon Pierre, « baptise » Corneille et l'aide à trouver de nouvelles perspectives sur la cruauté humaine.</p>
<p>Le pèlerinage de Corneille dans sa ville natale de Murambi symbolise un processus de prise de conscience. Son ignorance au sujet du génocide disparait à mesure qu'il s'enfonce dans l'enfer du Rwanda post-génocide. Il se rend compte que le massacre de plus de 50 000 personnes à Murambi, dont sa mère et ses frères et sœurs, a été planifié et exécuté par son propre père, le Dr Joseph Karekezi.</p>
<h2>Descente en enfer</h2>
<p>Tout comme le <em>Murambi</em> de Diop, d'autres récits du génocide présentent des rencontres avec l'atrocité comme une descente aux enfers. Il s'agit notamment des mémoires de <a href="https://veroniquetadjo.com/">Veronique Tadjo</a>, <a href="https://veroniquetadjo.com/en/fiction-and-poetry_shadow-of-imana/"><em>L'ombre d'Imana : voyages jusq'au bout du Rwanda</em> </a>. Il y a aussi le livre de la survivante du génocide, Immaculée Ilibagiza, <a href="https://www.immaculee.com/pages/about"> <em>Left to Tell : Discovering God Amidst the Rwandan Holocaust</em></a>, le roman de <a href="http://www.benjaminsehene.com/">Benjamin Sehene</a>, intitulé <em>Le Feu sous la soutane</em>. Enfin, le roman <a href="https://www.babelio.com/livres/Gatore-Le-Passe-devant-soi--Figures-de-la-vie-impossible/42940"><em>Le Passé devant soi</em></a>, de <a href="https://www.babelio.com/auteur/Gilbert-Gatore/27222">Gilbert Gatore</a>. </p>
<p>Il est fascinant de constater que, bien qu'il soit présenté sous un angle différent d'un ouvrage à l'autre, le génocide de 1994 au Rwanda constitue toujours une descente aux enfers.</p>
<p>La prédominance du récit de l'enfer suggère que les histoires du génocide de 1994 ont évolué en tant que « récits d'ascendance ». Ces récits représentent les lieux où l'on rencontre les victimes de la violence génocidaire comme l'enfer, et le voyage comme une descente aux enfers. </p>
<p>Dans de tels récits, le protagoniste descend habituellement dans un monde souterrain infernal qui ressemble à une vie après la mort. Après un « tour » dans les feux de l'enfer, il émerge avec une nouvelle conscience morale mise au service d'un témoignage sur les horreurs et les malheurs indicibles qu'il y a vus. </p>
<p>Ainsi compris, les récits du génocide rwandais sont des mises en garde dans lesquelles les damnés lèguent à la postérité les « vérités » morales sur son passé génocidaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115047/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chigbo Arthur Anyaduba a reçu des fonds pour ses études post doctorales du United States Holocaust Memorial Museum, des Bourses d'études supérieures du Canada Vanier et du Queen Elizabeth Scholarship.</span></em></p>Se représenter le génocide comme l'enfer suggère que les horreurs ne sont pas concevables. On ne peut les imaginer que symboliquement. Or, il s'agit de violences provoquées par des événements politiques.Chigbo Arthur Anyaduba, Assistant Professor, University of WinnipegLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1018482018-08-21T20:56:05Z2018-08-21T20:56:05ZKofi Annan, une vie au service de l’ONU<p>Kofi Annan est le premier Secrétaire général de l’ONU à sortir des rangs du personnel de l’organisation : lorsqu’il est élu, il a déjà travaillé 35 ans comme fonctionnaire international à l’ONU, dont il a gravi tous les échelons. Il connaît donc bien l’organisation de l’intérieur.</p>
<h2>Une formation internationale et une carrière précoce aux Nations unies</h2>
<p>Né en 1938 au Ghana, il apprend très tôt plusieurs langues : l’anglais, le français et de nombreuses langues africaines. Durant son enfance, son père travaille pour une filiale d’Unilever et la famille déménage souvent à travers le pays, ce qui lui permet de découvrir différents groupes de population du Ghana. Le jeune Kofi grandit à l’époque de N’Krumah, période enthousiasmante des indépendances.</p>
<p>Il étudie à l’Université de science et de technologie de Kumasi au Ghana, puis au Macalester College, une université américaine, en 1961. Il entre ensuite à l’<a href="http://www.ihei.fr/">Institut de hautes études internationales</a> de Genève (1961-1962), puis au Massachusetts Institute of Technology (1971-1972) où il fait des études de troisième cycle en économie.</p>
<p>Parallèlement à ses études, Kofi Annan commence à travailler pour l’OMS dès 1962 comme fonctionnaire de l’administration et du budget. C’est le début d’une série de fonctions qu’il va occuper aux Nations unies : il est successivement en poste à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique à Addis-Abeba, à la Force d’urgence des Nations unies en Égypte, au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Genève, puis au siège des Nations unies à New York.</p>
<p>En 1990, après l’invasion du Koweït par l’Irak, Kofi Annan reçoit du Secrétaire général pour mission spéciale d’organiser le rapatriement de l’Irak de plus de 900 fonctionnaires internationaux et ressortissants de pays occidentaux. En 1993, il est promu sous-secrétaire général de Boutros Boutros-Ghali, chargé du département des opérations de maintien de la paix qu’il dirige lorsque le génocide rwandais (1994) a lieu.</p>
<p>Selon l’<a href="http://www.liberation.fr/planete/1998/02/26/rwanda-un-temoignage-accablant-pour-l-onu-selon-le-general-dallaire-le-genocide-aurait-pu-etre-evite_228300">ancien général canadien Roméo Dallaire</a>, qui commandait la mission des Nations unies d’assistance au Rwanda, Annan serait resté excessivement passif à l’approche du génocide. Dans un livre publié en 2003, Dallaire affirme qu’Annan aurait bloqué l’intervention des troupes onusiennes et la fourniture d’un soutien logistique et matériel. Dallaire estime qu’Annan n’a pas répondu à ses fax répétés demandant accès à une réserve d’armes, ce qui selon lui aurait pu aider les troupes onusiennes à défendres les Tutsis menacés. En 2004, Annan a reconnu qu’il aurait pu et dû faire plus pour sonner l’alarme et obtenir des soutiens.</p>
<h2>Deux mandats riches en actions importantes et en innovations</h2>
<p>Kofi Annan commence son premier mandat de secrétaire général de l’ONU en 1997. Il a alors le plein soutien des États membres. Il tente dès le début de son mandat d’agir pour un renouveau de l’ONU.</p>
<p>Kofi Annan soutient l’établissement de la Cour pénale internationale (CPI), juridiction universelle permanente chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre. La CPI est créée en 1998 et entre en vigueur en 2002, malgré la réticence des États-Unis.</p>
<p>En 1998, alors que les États-Unis veulent bombarder l’Irak qui refuse de laisser les inspecteurs de l’AIEA visiter certains sites, Kofi Annan se rend lui-même à Bagdad, et amène, grâce à sa médiation, Saddam Hussein à accepter la reprise des inspections.</p>
<p>En avril 2000, il publie un rapport sur le millénaire intitulé <em>Nous les peuples : le rôle des Nations unies au XXI<sup>e</sup> siècle</em>, dont s’inspireront la Déclaration du millénaire et les <a href="http://www.un.org/fr/millenniumgoals/">Objectifs du Millénaire pour le développement</a> (OMD). Ce rapport amènera les chefs d’État et de gouvernement à faire de la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités la priorité du début du nouveau millénaire.</p>
<p>Réélu par acclamation par l’Assemblée générale pour un second mandat en juin 2001, il reçoit quelques mois plus tard, en décembre 2001, le Prix Nobel de la Paix.</p>
<p>En 2003, Kofi Annan cherche par tous les moyens à éviter la guerre en Irak, exhortant les États-Unis et le Royaume-Uni à ne pas envahir l’Irak sans l’aval de l’ONU. Dans une <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/057/article_30522.asp">interview en septembre 2004 à la BBC</a>, il a le courage de qualifier la guerre des États-Unis en Irak d’« illégale ». Ses prises de position lui valent l’estime de nombreux pays.</p>
<h2>Le promoteur de la responsabilité de protéger</h2>
<p>Lors du Sommet mondial organisé par l’ONU en 2005, Kofi Annan fait reconnaître le principe de la <a href="https://www.idrc.ca/fr/book/la-responsabilite-de-proteger-rapport-de-la-commission-internationale-de-lintervention-et-de-la">« responsabilité de protéger »</a> aux chefs d’État et de gouvernement : si un État manque à assurer la protection de ses citoyens, il revient à la communauté internationale de le faire, donc à l’ONU. C’est l’idée d’un élargissement des mandats de l’ONU, une sorte de « droit d’ingérence humanitaire » de l’organisation.</p>
<p>Kofi Annan suscite aussi la création de la <a href="https://www.un.org/press/en/2006/pbc1.doc.htm">Commission de consolidation de la paix</a> (<em>Peacebuilding commission</em>) en 2005. Cette création part du constat qu’environ la moitié des pays qui sortent d’une guerre sombrent à nouveau dans la violence dans les cinq ans qui suivent. Il apparaît nécessaire d’accompagner les opérations de maintien de la paix par un suivi sur le long terme.</p>
<p>Il contribue aussi en 2006 à la création du <a href="https://news.un.org/fr/story/2006/03/89082">Conseil des droits de l’Homme</a>. Ce dernier remplace l’ancienne Commission sur les droits de l’Homme, discréditée pour la politisation de ses sessions et la partialité de son travail. Divers États, peu scrupuleux des droits fondamentaux, cherchaient à s’y faire élire pour se soustraire aux critiques sur leur non-respect des droits de l’Homme.</p>
<p>Plus largement, durant ses deux mandats, Kofi Annan s’est efforcé de « rapprocher les Nations unies des peuples » et a tenté d’œuvrer pour une mondialisation plus juste, affirmant : « Un des grands défis que la communauté internationale doit relever est de faire en sorte que tout le monde puisse partager les gains potentiels de la mondialisation. »</p>
<h2>Des efforts pour réformer l’ONU</h2>
<p>La préoccupation de réformer l’ONU est ancienne chez Kofi Annan. Dès 1977, il avait soumis aux gouvernements un plan de réforme des Nations unies intitulé <em>Rénover les Nations unies</em>, qui mettait l’accent sur l’amélioration de la cohérence et de la coordination de l’action de l’institution.</p>
<p>Surtout, en 2000 est publié le rapport que Kofi Annan a commandé au diplomate algérien Lakhdar Brahimi, <a href="https://www.un.org/fr/peacekeeping/sites/peace_operations/docs/full_report.htm"><em>Rapport du groupe d’étude sur les opérations de paix des Nations unies</em></a>. Ce rapport préconise la création d’unités d’intervention permanentes, premier pas vers la mise en place d’une force militaire onusienne permanente. Il met en évidence le besoin d’une procédure de déploiement rapide des Casques bleus.</p>
<p>Au fil de son mandat, Kofi Annan commande ou publie lui-même d’autres rapports précurseurs : en septembre 2002, le rapport intitulé <em>Renforcer l’ONU : un programme pour aller plus loin dans le changement</em>. Puis, en 2004, il charge un groupe de personnalités de haut niveau de dresser un inventaire des menaces, défis et changements liés à la mondialisation. Intitulé <em>Un monde plus sûr : notre affaire à tous</em>, ce rapport préconise des changements au niveau de chacun des organes principaux de l’ONU, à commencer par le Conseil de sécurité.</p>
<p>Sur cette base, Kofi Annan présente en mars 2005 devant l’Assemblée générale son rapport <em>Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous</em>. Ce texte promeut notamment l’idée de l’élargissement du Conseil de sécurité, et du doublement de l’aide publique pour le développement.</p>
<h2>Rapprocher l’ONU des peuples</h2>
<p>Kofi Annan a également à cœur d’associer plus étroitement la société civile à l’action de l’ONU. En 2003, il établit ainsi un panel de personnes éminentes sur les relations entre les Nations unies et la société civile, présidé par l’ex-président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso. En 2004 le panel publie son rapport : <em>Nous les peuples : la société civile, les Nations unies et la gouvernance mondiale</em>. Le rapport se concentre sur l’élargissement de la démocratie, la capacité croissante d’influence des acteurs non-étatiques, le pouvoir croissant de l’opinion publique mondiale.</p>
<p>Il offre 30 propositions concrètes pour l’évolution du rôle de l’ONU dans le monde. Il suggère notamment que les pays qui contribuent le plus sur les plans financier, militaire et diplomatique soient associés davantage à la prise de décision à l’ONU. Il suggère aussi, pour la première fois, que « la société civile et le secteur privé » soient associés à l’action de l’ONU » – ce qu’il va mettre en œuvre en proposant un partenariat aux multinationales.</p>
<p>Sous le mandat de Kofi Annan, l’ONU prend ainsi de plus en plus en compte le caractère transnational de nombreux problèmes, ce qu’il appelle les « problèmes sans passeport » : les enjeux transnationaux comme les pluies acides, le paludisme, terrorisme. Kofi Annan prend aussi en compte dans sa réflexion les acteurs non étatiques, comme les firmes transnationales ou les ONG.</p>
<h2>Le « Pacte mondial », un projet critiqué</h2>
<p>Par ailleurs, Kofi Annan lance, au Forum économique mondial de Davos en 2000, un projet appelé <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-economique-et-commerce-exterieur/peser-sur-le-cadre-de-regulation-europeen-et-international-dans-le-sens-de-nos/l-engagement-de-la-france-pour-la-responsabilite-sociale-des-entreprises/les-referentiels-internationaux-et-la-participation-de-la-france-a-leur/article/le-pacte-mondial-des-nations-unies-global-compact-initiation-au-reporting-extra">« Pacte mondial »</a> (<em>Global Compact</em> en anglais), qui entend rapprocher les entreprises et les Nations unies. L’idée est d’encourager les firmes multinationales à adhérer de manière volontaire et de mettre en pratique dix principes fondamentaux liés aux droits de l’Homme, aux normes du travail, à la protection de l’environnement et à la lutte contre la corruption. Plus de 7 000 entreprises de 135 pays ont alors adhéré au Pacte mondial.</p>
<p>Ce « Pacte mondial » a toutefois été sévèrement critiqué, car, comme l’ont fait remarquer plusieurs ONG ainsi que des groupes de citoyens et notamment des altermondialistes, il bénéficie bien plus au monde des affaires qu’à l’ONU et à ses valeurs. Il favorise ainsi le « blanchiment d’image » pour les firmes transnationales (FTN). Et son existence même est un obstacle au développement de normes efficaces sur la responsabilité sociale des entreprises, c’est-à-dire de mise en place de réglementations pour contrôler et encadrer la politique sociale des FTN.</p>
<p>Rappelons, toutefois, que le mot « entreprise » ne figure pas dans la charte de l’ONU ni dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’ONU n’a pas vocation, à l’origine, à faire participer les entreprises à son action et à sa prise de décision.</p>
<p><a href="https://france.attac.org/nos-publications/livres/livres/une-autre-onu-pour-un-autre-monde">L’association ATTAC</a> déplore ainsi qu’avec le Pacte Mondial, Kofi Annan aurait favorisé le recours aux financements du secteur privé et encouragé le rôle des multinationales, de leurs fondations et de leurs lobbies, au sein des Nations unies : une « privatisation » de l’ONU serait ainsi en train de s’effectuer, en accord avec les pays dominants…</p>
<p>Pour répondre à ces critiques et renforcer la crédibilité du Pacte mondial, une procédure de suivi a été établie en 2003, en vertu de laquelle les firmes participantes au Pacte sont appelées par l’ONU à faire état, dans leurs rapports périodiques, des progrès réalisés dans l’application des engagements qui ont été pris. Mais en réalité, il n’y a aucun contrôle sur le respect, par ces entreprises partenaires, de ces engagements.</p>
<p>Par ailleurs, Kofi Annan a été <a href="https://www.recherches-internationales.fr/RI88_pdf/RI88_NL_LeDauphin_pdf.pdf">critiqué pour ses projets de réforme de l’administration des Nations unies</a>, inspirées par le « new public management ».</p>
<h2>Le scandale « Pétrole contre nourriture »</h2>
<p>Son parcours au sein des Nations unies n’est pas sans accroc. Ainsi, en décembre 2004, des rapports établissent que le fils de Kofi Annan, Kojo Annan, a reçu des paiements d’une compagnie suisse ayant obtenu un contrat lucratif avec le programme « pétrole contre nourriture ».</p>
<p>Kofi Annan nomme alors un comité d’enquête indépendant. Celui-ci ne trouve pas de preuves contre Kofi Annan, mais critique fortement la gestion par l’ONU de ce programme, qui a occasionné des dizaines de millions de dollars de pertes pour l’Organisation. Ce scandale éclabousse la réputation de l’ONU, et en partie celle de Kofi Annan.</p>
<h2>Kofi Annan après l’ONU</h2>
<p>Dans son discours d’adieu en 2006, Kofi Annan critique la politique des États-Unis et exhorte ce pays à suivre la voie du multilatéralisme en acceptant notamment l’élargissement du Conseil de sécurité, et à mieux respecter les droits de l’Homme, notamment dans la lutte contre le terrorisme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9DgivC6G-HM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il est nommé en 2007 à la tête de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA). La même année, il prend la tête de la Fondation de soutien à l’Organisation mondiale contre la torture. Il préside également, depuis sa création en 2007, l’<em>African Progress Panel</em>.</p>
<p>En février 2012, Kofi Annan est nommé émissaire conjoint de l’ONU et de la Ligue arabe sur la crise en Syrie et propose un plan de paix pour la Syrie, avant d’abandonner quelques mois plus tard devant les multiples difficultés.</p>
<p>Ainsi, Kofi Annan a, au cours de sa carrière, tenté d’accomplir beaucoup pour la paix dans le monde et la lutte contre la pauvreté. Il reste le Secrétaire général de l’ONU le plus charismatique et apprécié à ce jour, par son engagement, et par sa conscience morale au service du multilatéralisme. Il a eu le mérite de faire revenir l’ONU sur le devant de la scène, organisation souvent trop marginalisée ou court-circuitée, alors qu’elle est l’instance internationale la plus universelle et démocratique de la planète.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/101848/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le parcours hors du commun de celui qui a dirigé l’ONU de 1997 à 2006 et qui a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 2001.Chloé Maurel, Chercheuse associée à l'Institut d'histoire moderne et contemporaine (CNRS/Ecole Normale Supérieure/Université Paris 1) et à l'IRIS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/991652018-07-02T20:29:10Z2018-07-02T20:29:10ZCe qui émerge dans l’émergence de l’Afrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/225691/original/file-20180702-116120-cipbr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1017%2C676&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de Kigali, la capitale du Rwanda (ici en 2007). </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dylwalters/1196871224">Dylan Walters/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, le terme « émergence » est employé pour définir ce qui serait la nouvelle trajectoire de l’Afrique subsaharienne. Ce terme a remplacé le mot « développement » qui fait aujourd’hui complètement « has been ». Au XX<sup>e</sup> siècle, l’Afrique subsaharienne était censée se développer ; au XXI<sup>e</sup> siècle elle est censée émerger. Ainsi, sur 54 pays africains, 37 ont lancé un plan visant à devenir un « émergent » à moyen terme.</p>
<p>L’émergence signifie que des mutations socio-économiques profondes sont à l’œuvre. L’urbanisation est rapide et change les modes de vie. <a href="https://lemonde.fr/economie/article/2018/04/08/a-la-recherche-de-la-classe-moyenne-africaine_5282517_3234.html">Une classe moyenne</a> fait son apparition. Les perspectives de croissance des économies africaines – qui sont qualifiées de « lions » ou d’« éléphants » en fonction des rapports – sont <a href="http://i-conferences.org/pdf/report/Mckinsey%20Afrique%20Fr..pdf">prometteuses et pérennes</a>. Les entrepreneurs africains innovent et créent de nouveaux biens et des services grâce aux technologies numériques qui connectent les Africains à d’autres mondes. Les femmes africaines luttent pour améliorer leur statut dans la société.</p>
<p>Mais le nouveau concept d’émergence résume-t-il vraiment la trajectoire de l’Afrique depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle alors que les bienfaits de la globalisation sont de plus en plus mis en doute, qu’une nouvelle crise de la dette pointe à l’horizon et que des centaines de milliers d’Africains fuient le continent au péril de leur vie ?</p>
<h2>Qu’est-ce que l’émergence ?</h2>
<p>Depuis plus d’une décennie, ce concept domine le discours sur l’Afrique et une conférence sur l’émergence a lieu chaque année à l’initiative du président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara.</p>
<p>L’émergence se caractérise par :</p>
<ul>
<li><p>un taux de croissance à deux chiffres ;</p></li>
<li><p>la formation d’un marché de consommation et de son corollaire sociologique, une classe moyenne autrefois inconnue ;</p></li>
<li><p>un regain d’investissements privés importants qui signale l’attractivité des marchés africains ;</p></li>
<li><p>l’accès d’une part grandissante de la population aux nouvelles technologies de la communication.</p></li>
</ul>
<p>Entre 2001 et 2010, six des dix pays avec le taux de croissance économique le plus élevé au monde étaient africains : l’Angola (1<sup>er</sup>), le Nigeria (4<sup>e</sup>), l’Éthiopie (5<sup>e</sup>), le Tchad (7<sup>e</sup>), le Mozambique (8<sup>e</sup>) et le Rwanda (10<sup>e</sup>).</p>
<p>Les nouvelles technologies se répandent à un rythme soutenu en Afrique avec un taux de pénétration de l’Internet mobile qui doit passer pendant la période 2016-2020 de <a href="https://www.gsmaintelligence.com/research/?file=0c798a6a56bdb31d4bc3b4ff4a35098d&download">26 % à 38 % de la population</a>. Et dans un <a href="http://geopolis.francetvinfo.fr/afrique-quid-de-ces-fameuses-classes-moyennes-58313">rapport qui est devenu célèbre</a> (« Le milieu de la pyramide : les dynamiques de la classe moyenne africaine »), la Banque africaine de développement (BAD) estimait en 2011 qu’environ 370 millions Africains appartenaient à la classe moyenne, soit 34 % de la population du continent. Bref, l’émergence est une façon de dire que l’Afrique se met au diapason des évolutions du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>L’émergence à la loupe</h2>
<p>Comme tout phénomène nouveau, l’émergence a son observatoire.</p>
<p>En 2017, un think tank d’experts africains, l’<a href="http://www.prame.umontreal.ca/Index%20_emergence_Afrique_2017_Gazibo_Mbabia.pdf">Observatoire pour l’émergence en Afrique</a>, a rendu public la première édition de son « index de l’émergence en Afrique ». Ce travail fournit une définition de l’émergence et pratique le classement par indicateurs.</p>
<p><a href="http://afrique.le360.ma/maroc-tunisie-senegal/economie/2018/03/02/19466-quels-sont-les-pays-africains-proches-de-lemergence-economique-19466">L’émergence est définie</a> comme « un processus de transformation économique soutenue qui se traduit par des performances aux plans social et humain, et qui prend place dans un contexte politique et institutionnel stable susceptible d’en assurer la soutenabilité ». L’index de l’émergence est une tentative d’objectiver le processus d’émergence avec des indicateurs empruntés à d’autres outils d’évaluation tels que l’indicateur de développement humain du PNUD et les indicateurs de gouvernance institutionnelle développés par la Banque mondiale.</p>
<p>L’index de l’émergence en Afrique établit ainsi une classification des pays africains en les qualifiant d’« émergent », de « seuil », de « potentiel », ou « autre ». Selon cet index, il n’y aurait que 11 pays émergents en Afrique sur 54. Les résultats sont, par ailleurs, très contrastés non seulement selon les régions du continent mais à l’intérieur même de ces régions.</p>
<h2>En 2018, quid de l’émergence ?</h2>
<p>En 2018, que reste-t-il de la croissance pérenne et des champions de l’émergence d’il y a dix ans : Mozambique, Angola, Nigeria, Éthiopie, Tchad et Rwanda ? Comme le montrent le <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=ZG">graphique et la carte ci-dessous,</a> pas grand-chose.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225702/original/file-20180702-116135-1xbfkcu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225702/original/file-20180702-116135-1xbfkcu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225702/original/file-20180702-116135-1xbfkcu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225702/original/file-20180702-116135-1xbfkcu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225702/original/file-20180702-116135-1xbfkcu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225702/original/file-20180702-116135-1xbfkcu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225702/original/file-20180702-116135-1xbfkcu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Croissance du PIB ( % annuel). Données des comptes nationaux de la Banque mondiale et fichiers de données des comptes nationaux de l’OCDE.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Banque mondiale</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parmi eux, le Rwanda est le seul à confirmer dans la durée ses bonnes performances (taux moyen de croissance du PIB de 8 % de 2001 à 2015, réduction du taux de pauvreté de 44 à 39 %, etc.).</p>
<p>Après avoir tenté de dissimuler au moins deux milliards de dollars d’emprunts, le Mozambique est en <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/crise-financiere-mozambique-un-pays-modele-remis-cause">pleine crise de surendettement</a> ; l’Angola est passé d’un taux de croissance du PIB de 20 % en 2006 à 1 % en 2017 et a frôlé le défaut de paiement ; le Nigeria – qui est entré en récession en 2016 (-1,6 %) sous l’effet de la chute des cours du baril – n’en sort que très timidement en 2017 (+0,8 %) ; l’<a href="https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/lafrique-questions/etat-durgence-ethiopie-nouveau-far-east-vieux">Éthiopie</a> connaît une crise politique complexe depuis 2015 ; et le Tchad, producteur de pétrole depuis le début du siècle, fait la manche auprès des pays du Golfe arabique et vient s’ajouter à la longue liste des pays qui peinent à payer leurs fonctionnaires. <a href="http://documents.banquemondiale.org/curated/fr/307971507661229511/pdf/120334-REVISED-FRENCH-100p-WB-AfricasPulse-Fall2017-vol16-FRN-web-october30th.pdf">Les marges de manœuvre budgétaires de ces gouvernements</a> sont réduites à peu de choses après deux ou trois années extrêmement difficiles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225706/original/file-20180702-116143-aw658f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225706/original/file-20180702-116143-aw658f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225706/original/file-20180702-116143-aw658f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225706/original/file-20180702-116143-aw658f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225706/original/file-20180702-116143-aw658f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225706/original/file-20180702-116143-aw658f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225706/original/file-20180702-116143-aw658f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<h2>La classe moyenne revue et corrigée</h2>
<p>En ce qui concerne les classes moyennes africaines érigées en symbole du dynamisme du continent et en nouveau marché prometteur du capitalisme de consommation, l’enthousiasme initial du rapport de la BAD en 2011 a été tempéré par d’autres études.</p>
<p>En effet, pour la BAD, un Africain appartient à la classe moyenne lorsque son revenu quotidien est compris entre 2,2 et 20 dollars. Mais appartenir à la classe moyenne ne signifie pas seulement être capable de se nourrir, de se loger et de se vêtir aujourd’hui mais aussi demain et les jours qui suivent. Par conséquent, <a href="http://www.rfi.fr/hebdo/20180202-classe-moyenne-africaine-voeux-pieux-realite-societe-etudes-instituts">selon d’autres travaux</a>, il est plus exact de mettre la barre monétaire de la classe moyenne à partir d’un revenu de 12 dollars par jour.</p>
<p>Du coup, le poids de la classe moyenne africaine sur le continent s’approcherait davantage des 13 % que des 34 %, représentant près de 143 millions d’Africains… Ce n’est donc plus un Africain sur trois qui appartiendrait à la classe moyenne mais un sur dix. Une classe moyenne africaine émerge (les Cheetahs au Kenya, les Black Diamonds en Afrique du Sud), mais les <a href="https://qz.com/1313380/nigerias-has-the-highest-rate-of-extreme-poverty-globally/">pauvres restent encore très majoritaires</a>.</p>
<h2>La dépendance économique, paradigme fondamental de l’Afrique</h2>
<p>Le paradigme de la dépendance change mais persiste. Des trois facteurs-clés de la croissance économique (technologie, capital et travail), deux viennent d’ailleurs.</p>
<p>Les inventions de la troisième révolution industrielle qui changent le quotidien des Africains n’ont pas eu lieu en Afrique. De même, les transferts financiers des migrants, les investissements directs étrangers et l’aide publique au développement représentent 2,5 fois le montant des capitaux privés investis par le secteur privé du continent.</p>
<p>Qu’il s’agisse d’un pays avec de bonnes performances comme le Rwanda ou d’un des pays les plus pauvres du monde comme le Burundi, l’aide étrangère continue d’assurer une part substantielle de leur budget national et donc de la viabilité financière des États africains. Pour le premier, celle-ci évolue entre 30 et 40 % du budget national, tandis qu’avant la suspension de l’aide des bailleurs européens en 2016, celle-ci représentait plus de 50 % du budget burundais.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225711/original/file-20180702-116135-v9y4j3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225711/original/file-20180702-116135-v9y4j3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225711/original/file-20180702-116135-v9y4j3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225711/original/file-20180702-116135-v9y4j3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225711/original/file-20180702-116135-v9y4j3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225711/original/file-20180702-116135-v9y4j3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225711/original/file-20180702-116135-v9y4j3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bord de mer, à Luanda, capitale de l’Angola (ici en 2013).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Luanda#/media/File:Marginal_Avenida_4_de_Fevreiro_Luanda_March_2013_10.JPG">Fabio Vanin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Du XX<sup>e</sup> au XXI<sup>e</sup> siècle, la dépendance de l’Afrique est résiliente et elle présente toujours les mêmes symptômes. Ainsi, les pays producteurs de matières premières (hydrocarbures et minerais) n’ont pas profité de la décennie des cours élevés pour diversifier leur économie et restent prisonniers de l’évolution cyclique du marché des matières premières. Les accès de nationalisme des ressources des gouvernants quand les cours remontent dissimule mal les rentes personnelles qu’ils retirent de <a href="http://www.mining.com/web/mining-investors-spooked-african-dispute-payments-multiply/">cette servitude volontaire</a>.</p>
<p>Le surendettement qui a frappé les économies africaines dans les années 80 est de retour. <a href="https://www.lesechos.fr/27/03/2018/lesechos.fr/0301475802166_dette-des-pays-pauvres---le-fmi-tire-le-signal-d-alarme.htm">Selon le FMI</a>, huit pays sont en situation de surendettement (dont celui qui était la « success story » économique du continent, le Mozambique) et autant présentent un risque élevé d’y basculer. La dette publique en Afrique subsaharienne représentait 45 % du PIB fin 2017, en hausse de 40 % en trois ans ! <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/05/14/l-afrique-sous-la-menace-du-surendettement-effet-pervers-des-prets-chinois_5298844_3212.html">Le gouvernement chinois</a> qui est désormais le grand prêteur de l’Afrique s’inquiète maintenant ouvertement de la non-solvabilité de certains gouvernements africains.</p>
<p>La bonne vieille dépendance a néanmoins changé de visage : au XXI<sup>e</sup> siècle, ceux dont les gouvernements africains dépendent ne sont plus les mêmes. Dans un contexte où l’aide publique occidentale diminue tendanciellement et où les gouvernements occidentaux se désengagent d’Afrique (sauf évidemment en ce qui concerne la lutte contre les djihadistes), d’autres prêteurs (chinois ou arabes) et les multinationales sont devenues les nouveaux maîtres du jeu, <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/diplomatie-tchadienne-qatar-marche-arriere-toute">comme l’a appris le président tchadien Idriss Déby à ses dépens</a>.</p>
<h2>De quoi l’émergence est-elle le nom ?</h2>
<p>L’émergence apparaît simultanément comme une actualisation du vocabulaire, l’autre mot pour dire « développement » au siècle de la globalisation, comme un concept déjà dépassé qui ne parlerait que de la première décennie de ce siècle et comme un coup de marketing par définition éphémère.</p>
<p>Pourtant elle met au grand jour d’importantes et durables réalités :</p>
<ul>
<li><p>L’émergence est avant tout un rattrapage. Si le continent africain émerge, c’est aussi le dernier à le faire. En 2014, avec un milliard d’habitants, la production d’électricité sur le continent s’élevait à 80 GW, soit l’équivalent de celle de la Corée du Sud qui compte 51 millions d’habitants. De même, l’Afrique subsaharienne est le dernier continent qui se met à produire l’invention symbole du XX<sup>e</sup> siècle : l’automobile. Le rattrapage est certes en cours avec une timide reprise de la croissance depuis 2017 mais, compte tenu du fait que le reste du monde évolue économiquement et technologiquement de plus en plus vite, la course sera longue et probablement pas en ligne droite mais plutôt en zigzags.</p></li>
<li><p>La question de la gouvernance publique reste centrale pour réduire la dépendance. Cela exige un gouvernement intègre, volontariste et capable d’agir dans la longue durée pour développer de manière endogène les facteurs de croissance. À ce titre, la formation de la main-d’œuvre africaine devrait être une priorité réelle au lieu d’être un engagement cosmétique des gouvernements.</p></li>
<li><p>Après avoir été l’arrière-cour des puissances européennes et de leurs rivalités au XIX<sup>e</sup> siècle, l’Afrique est au XXI<sup>e</sup> siècle l’arrière-cour des puissances émergentes et de leurs rivalités. Depuis le début du siècle, la Chine, le Brésil, l’Inde, la Turquie, la Corée du Sud, etc., ont développé de nouvelles relations multidimensionnelles avec les pays africains, y compris pour certains d’entre eux des relations militaires. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/01/04/l-afrique-de-l-ouest-courtisee-par-le-qatar-et-ses-rivaux-du-golfe_5237567_3212.html">La lutte entre le Qatar et l’Arabie saoudite</a> résonne jusqu’au Sahel et dans la Corne de l’Afrique grâce à la diplomatie du pétrodollar à l’égard de gouvernements africains ayant désespérément besoin d’argent et prêts à se louer à un camp ou un autre.</p></li>
</ul>
<h2>Ce qui émerge de l’Afrique : la puissance des autres et plus particulièrement de la Chine</h2>
<p>L’Afrique est le lieu où les vrais émergents (asiatiques et arabes) projettent en premier leur nouvelle puissance et s’offrent de nouvelles clientèles dans le cadre d’une compétition acharnée. Même les vieilles puissances sur le retour (<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/lafrique-le-nouvelle-priorite-de-la-russie">comme la Russie</a>) y font aujourd’hui leur come-back.</p>
<p>À ce jeu, la <a href="https://www.dw.com/en/why-has-china-invited-african-army-chiefs-to-beijing/a-44462013?utm_source=Media+Review+for+July+2%2C+2018&utm_campaign=Media+Review+for+July+2%2C+2018&utm_medium=e-mail">Chine reste en tête</a>. Pendant ces 20 dernières années, sa croissance l’a rendu avide de matières premières africaines et elle est désormais le premier partenaire commercial et premier bailleur bilatéral du continent.</p>
<p>Paradoxalement, ce qui émerge derrière l’émergence de l’Afrique, c’est avant tout la puissance chinoise. Or dans un continent très dépendant financièrement, la position dominante chinoise n’est pas sans conséquence politique pour les Africains, y compris en termes de politique intérieure. Les appuis qu’apporte Pékin au régime du président Kabila contre son peuple, en République démocratique du Congo (RDC), et la bienveillance de la Chine à l’égard de la mise à l’écart du président Mugabe au Zimbabwe sont les premiers indices d’ingérence de la part d’une nouvelle puissance internationale qui se targue d’être non impérialiste par nature mais s’implante militairement sur le continent et joue de sa domination économique quand bon lui semble.</p>
<p>Pratiquée par les Occidentaux et l’URSS pendant la Guerre froide, la diplomatie du portefeuille et du clientélisme a encore de beaux jours devant elle dans une Afrique qui « émerge » lentement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99165/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est analyste à l'Institut français des relations internationales (IFRI).</span></em></p>Ce nouveau concept résume-t-il vraiment la trajectoire de l’Afrique depuis le début du XXIᵉ alors que des centaines de milliers d’Africains fuient leur continent ?Thierry Vircoulon, Enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/982692018-06-24T21:36:39Z2018-06-24T21:36:39ZUn « second génocide » au Rwanda : retour sur un débat complexe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/224474/original/file-20180622-26564-82q1sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C3%2C1270%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près de Butare, au Rwanda, en 2007.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://tr.wikipedia.org/wiki/Dosya:Butare_-_Flickr_-_Dave_Proffer_(1).jpg">Dave Proffer/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Il faut être reconnaissant à la spécialiste du génocide au Rwanda Claudine Vidal pour avoir proposé un <a href="https://theconversation.com/rwanda-judi-rever-et-la-recherche-a-tout-prix-dun-deuxieme-genocide-97508">échange serein</a> sur un thème aussi grave que le <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/600284/in-praise-of-blood-by-judi-rever/9780345812117/">génocide qu’aurait commis le Front patriotique rwandais (FPR) contre les Hutus</a>.</p>
<p>En réalité, Claudine Vidal ne s’exprime pas tant sur le contenu du livre de Judi Rever, mais sur ses objectifs, sa finalité. Elle trouve que l’articulation entre enquêtes et preuves à finalité judiciaire, dans ce livre comme dans d’autres publications, pose problème : il s’agit, dit-elle, d’un « réquisitoire au sens juridique du terme : la description des massacres est conduite de façon à établir la qualification de génocide. »</p>
<p>Avant de revenir sur cette question méthodologique, voyons comment Claudine Vidal aborde le contenu du livre. Elle n’exprime nulle part son désaccord sur les faits. Elle dit même que ceux-ci étaient connus dans leurs grandes lignes et que le livre n’apporte donc pas de révélations, mais recueille de nouveaux éléments. Elle ne dit pas non plus que le livre ne montre pas que le FPR aurait commis un génocide contre les Hutus, même si elle utilise le terme « massacres » lorsqu’il s’agit des crimes dont les Hutus ont été victimes. Enfin, elle ne conteste pas que les crimes du FPR sont restés impunis.</p>
<h2>Des nouvelles données fondamentales</h2>
<p>Je pense, cependant, que Claudine Vidal sous-estime l’importance des nouvelles données fournies par Judi Rever. Basées sur de nombreux entretiens avec des anciens – y compris des repentis – du FPR, de deux rapports jusqu’ici restés secrets du bureau « Enquêtes spéciales » du Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) et d’un nombre important de témoignages assermentés recueillis par le bureau du procureur du TPIR, ces nouvelles données constituent un saut qualitatif et quantitatif de notre connaissance des crimes commis par le FPR.</p>
<p>Surtout, ces données permettent d’avancer la qualification de génocide, alors que la plupart des spécialistes du Rwanda, y compris moi-même, avaient jusqu’à présent rejeté la thèse du double génocide. Or des dizaines de récits très concrets de massacres montrent l’intention de détruire les Hutu, comme tels, ce qui correspond à la définition de la <a href="https://www.admin.ch/opc/fr/official-compilation/2002/2606.pdf">Convention sur le génocide</a>. Un indicateur très fort de cette intention est la séparation de Hutus et de Tutsis, souvent avec l’aide de civils tutsis, après quoi les Hutus sont tués et les Tutsis épargnés.</p>
<h2>Vérité juridique et vérité historique</h2>
<p>Claudine Vidal estime, toutefois, qu’il n’est « pas nécessaire d’affirmer l’existence d’un génocide pour justifier des enquêtes sur des massacres (de Hutus). » Il lui suffit « de considérer que les leaders du FPR ont effectivement mené une politique de terreur fondée sur des massacres de Rwandais hutus. »</p>
<p>Cela est sans doute vrai, et les responsables du FPR auraient pu être poursuivis pour crimes de guerre ou pour crimes contre l’humanité, deux qualifications que le TPIR avait dans son mandat. Le problème est que ces poursuites n’ont pas eu lieu pour <a href="https://calmann-levy.fr/livre/le-tribunal-des-vaincus-9782702136706">des raisons bien connues</a>, et que le FPR a donc bénéficié de l’impunité la plus totale.</p>
<p>Que ceux frustrés par cette injustice veuillent « susciter le scandale », comme le dit Claudine Vidal, n’est donc pas étonnant. De toute façon, aucune juridiction n’est aujourd’hui compétente pour juger les suspects du FPR, dont les crimes resteront très probablement impunis malgré leur caractère imprescriptible. Dès lors, si la vérité judiciaire ne sera pas établie, la vérité historique peut et doit être recherchée, et le livre de Rever contribue à cette quête.</p>
<h2>Le droit et le devoir des chercheurs</h2>
<p>Claudine Vidal a également raison de dire, en conclusion, que les sciences sociales ne sont pas limitées par les contraintes d’enquêtes judiciaires qui visent la poursuite et la condamnation dans le contexte bien déterminé du droit et de la justice. Cependant, les sciences sociales, elles aussi, sont tenues d’utiliser les termes exacts pour décrire les phénomènes qu’elles observent (un meurtre prémédité est un assassinat ; un homicide peut être involontaire).</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224473/original/file-20180622-26546-gge8zy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un camp de réfugiés rwandais à l’est du Zaïre (Congo), en 1994.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://tr.wikipedia.org/wiki/Dosya:Butare_-_Flickr_-_Dave_Proffer_(1).jpg">Dave Proffer/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 1994, tant Claudine Vidal que moi-même, ainsi que de nombreux autres, avons qualifié de génocide les crimes dont les Tutsis venaient d’être victimes, et cela avant la première enquête judiciaire, et a fortiori des poursuites et des condamnations judiciaires. C’était notre droit et notre devoir. Pourquoi Judi Rever n’aurait-t-elle pas aujourd’hui ce même droit et ce même devoir ?</p>
<p>Je termine sur la question posée par Claudine Vidal dans le titre de sa contribution. Je ne vois pas d’indication que Rever aurait voulu « à tout prix » rechercher un deuxième génocide. Voyant sa démarche, qui s’étale sur une vingtaine d’années, j’ai plutôt l’impression que la possibilité que le FPR ait commis un génocide est venue se préciser, pour enfin être confirmée. Des éléments contingents, et surtout l’accès à de nombreux documents confidentiels du TPIR, ont contribué à autoriser ce constat. Mais rien n’indique que Rever est partie de l’hypothèse d’un génocide et que toute sa recherche ait été orientée dans le sens de prouver cette hypothèse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98269/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Filip Reyntjens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'ouvrage de Judi Rever permet d’avancer la qualification de génocide, alors que la plupart des spécialistes du Rwanda, y compris moi-même, avaient jusqu’à présent rejeté la thèse du double génocide.Filip Reyntjens, Emeritus Professor of Law and Politics Institute of Development Policy (IOB), University of AntwerpLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/975082018-06-06T21:13:57Z2018-06-06T21:13:57ZRwanda : Judi Rever et la recherche à tout prix d’un deuxième génocide<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/221941/original/file-20180606-137295-13pthq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C8%2C1185%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A l'intérieur du Mémorial de Kigali sur le génocide de 1994.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kigali_Genocide_Memorial.jpg">Nelson Gashagaza/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’ouvrage de Judi Rever, <a href="https://penguinrandomhouse.ca/books/546081/praise-blood#9780345812094"><em>In Praise of Blood</em></a>, récemment paru, a gagné très rapidement une audience internationale. Il consiste en une double mise en accusation : celle du Front patriotique rwandais (FPR) et de son chef, Paul Kagame (actuel président du Rwanda), mais aussi celle des États et des institutions internationales, notamment le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui ont contribué à ce que les crimes commis par le FPR contre des civils hutus depuis 1990 demeurent impunis.</p>
<p>Ces crimes n’étaient pas ignorés. En novembre 1994, quelques mois après la fin du génocide contre les Rwandais Tutsis, <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G94/147/04/PDF/G9414704.pdf?OpenElement">René Degni-Ségui, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur le Rwanda (Nations unies)</a>, avait fait état de tueries perpétrées par l’Armée patriotique rwandaise (APR) de Kagame. Dès septembre et octobre 1994 puis les années suivantes, Amnesty International et Human Rights Watch ont mené et publié des enquêtes <a href="http://speakingout.msf.org/fr/violences-du-nouveau-regime-rwandais">sur les massacres massifs de Hutus commis par l’APR</a>.</p>
<p>Judi Rever, une journaliste canadienne auteure de nombreux réquisitoires contre le FPR, n’apporte donc pas de révélations mais, sur des épisodes meurtriers déjà connus, elle recueille de nouveaux éléments, émanant le plus souvent de dissidents du FPR, et recourt à deux rapports non publics du « Bureau des enquêtes spéciales », créé en 1999 par le TPIR. Ces rapports portent sur les actes présumés criminels du FPR. Judi Rever souligne que ces documents lui ont été officieusement transmis.</p>
<p>Précisons ici que si nous commentons cet ouvrage, c’est pour un motif d’ordre général, qui ne concerne pas le seul Rwanda. En effet, cet ouvrage présente une caractéristique commune à de nombreuses publications : la dynamique de l’enquête ne se distingue pas de celle d’un réquisitoire. Nous savons que les enquêtes de journalistes ont souvent pour mobile d’établir la nécessité d’investigations judiciaires. Et c’est justement cette articulation entre enquêtes et preuves à finalité judiciaire qui, à notre sens pose un problème, du moins aux chercheurs en sciences sociales, si ce n’est aux journalistes.</p>
<p>De fait, l’ouvrage de Judi Rever ne s’en tient pas à la seule investigation, il est conçu comme un réquisitoire au sens juridique du terme : la description des massacres est conduite de façon à établir la qualification de génocide.</p>
<h2>« Le secret le plus sombre… »</h2>
<p>L’auteure procède par touches suggestives. Par exemple, <a href="https://www.amnesty.org/download/Documents/156000/afr470431997fr.pdf">à propos du massacre de milliers de personnes perpétré en octobre 1997</a>, à Nyakimana (préfecture de Gisenyi), elle cite un ex-soldat de l’APR assurant que cette tuerie de masse procédait de l’intention de détruire le plus possible la population hutue.</p>
<p>Sur des massacres de grande ampleur, commis dans la région de Byumba (nord-est du Rwanda) en 1994, un autre ex-soldat de l’APR affirme que les dirigeants du FPR avaient décidé ces tueries pour libérer des terres au profit de réfugiés tutsis auparavant exilés en Ouganda. En conséquence, les autorités militaires ayant organisé et exécuté ces massacres auraient donc « pris part à une entreprise criminelle commune [<em>a joint criminal enterprise</em>, souligné par Judi Rever] ». Cette dernière notion, introduite par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, fut retenue par le TPIR.</p>
<p>Enfin, la conclusion ne suggère plus mais affirme :</p>
<blockquote>
<p>« […] le secret le plus sombre que le FPR a caché à la communauté internationale est que ses troupes continuaient à commettre un génocide contre les Hutus en 1994 et durant les années suivantes. »</p>
</blockquote>
<h2>L’habit du procureur</h2>
<p>Depuis plus de deux décennies, les publications concernant les crimes du FPR – qu’elles émanent d’ONG, de chercheurs, de témoins rwandais et non-rwandais – n’intéressent qu’un public restreint. Elles suscitent un débat bloqué sur deux positions.</p>
<ul>
<li><p>L’une, ralliant l’histoire officielle défendue par les actuelles autorités rwandaises, rejette les accusations et dénonce comme négationnistes du génocide des Tutsis ceux qui les maintiennent.</p></li>
<li><p>L’autre s’appuie sur diverses enquêtes pour s’en prendre au TPIR qui, n’ayant pas mis en jugement les autorités du FPR responsables de ces crimes, aurait pratiqué une « justice de vainqueurs ». Ses tenants exigent que la justice internationale les poursuive pour des actions que certains auteurs qualifient de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, le plus souvent de crimes de génocide.</p></li>
</ul>
<p>L’ouvrage de Judi Rever, publié par une puissante maison d’édition, a bénéficié d’une <a href="http://www.cbc.ca/radio/asithappens/as-it-happens-monday-full-episode-1.4602119/canadian-journalist-challenges-rwandan-genocide-narrative-in-new-book-1.4602122">large campagne médiatique</a>. Aussi relance-t-il l’activité des publicistes, des chercheurs, des militants selon lesquels la journaliste apporterait des preuves suffisant à établir que des autorités du FPR, sous la direction de Paul Kagame, ont bien commis un second génocide, cette fois contre les Hutus.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221944/original/file-20180606-137309-jdi4la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221944/original/file-20180606-137309-jdi4la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221944/original/file-20180606-137309-jdi4la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221944/original/file-20180606-137309-jdi4la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221944/original/file-20180606-137309-jdi4la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221944/original/file-20180606-137309-jdi4la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221944/original/file-20180606-137309-jdi4la.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un camp de réfugiés Hutus dans l’est du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) en 1994.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rwandan_refugee_camp_in_east_Zaire.jpg">CDC/Wikimedia</a></span>
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<p>Ces intervenants revêtent l’habit du procureur en même temps que celui du juge pour valider les conclusions de l’auteure. Leur but est clair, il s’agit de fortifier l’accusation de génocide : celle-ci paraît désormais être le seul moyen de faire reconnaître un <a href="https://www.msf-crash.org/fr/blog/guerre-et-humanitaire/lhistoire-le-droit-et-la-politique-face-aux-genocides">crime de masse</a> et susciter le scandale. Une telle démarche aboutit à rendre analogues le génocide des Tutsis tel qu’il a été judiciarisé par le TPIR et les massacres de Hutus commis par le FPR entre 1990 et 1997.</p>
<h2>Les Rwandais tutsis, des citoyens de seconde zone</h2>
<p>Pour ma part, je n’ai pas pour référence exclusive les critères juridiques de définition du génocide. Il me suffit de considérer que les leaders du FPR ont effectivement mené une politique de terreur fondée sur des massacres de Rwandais hutus. Il ne nous paraît pas nécessaire d’affirmer l’existence d’un génocide pour justifier des enquêtes sur ces massacres. Celles-ci n’impliquent en aucune manière une contestation du génocide tutsi.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RMEl5MEuZr8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les interrogations de presse et de sciences sociales sur cette période et sur ces crimes, plutôt qu’à valider ou invalider l’application d’une catégorie juridique, plutôt qu’à se substituer aux juges, devraient inciter à conduire des enquêtes de même qualité que celles menées sur le génocide des Tutsis.</p>
<p>Les génocides et les crimes de masse sont des objets judiciaires construits selon les normes, les règles de la raison juridique (en particulier celles définies par la <a href="http://www.un.org/french/millenaire/law/1.htm">Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide</a> adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948). Ils ne sont pas moins <a href="https://www.jstor.org/stable/40060166?seq=1#page_scan_tab_contents">objets d’histoire et plus généralement des sciences sociales</a> qui les comparent, en montrent les caractères dissemblables, les différencient.</p>
<p>Or ces travaux de sciences sociales ont attesté que, dès l’indépendance (1962), la République rwandaise n’a pas réellement reconnu les Rwandais tutsis comme faisant partie du peuple politique. Ces derniers n’avaient pas les mêmes droits que les autres citoyens, ils en ont même été déchus à bien des égards.</p>
<p>Des centaines de milliers de Tutsis ont ainsi vécu comme réfugiés à l’extérieur de leur pays, exclus de la nationalité rwandaise. Ceux qui continuaient à vivre au Rwanda étaient soumis à de multiples pratiques discriminatoires et formaient un groupe déclassé, stigmatisé par les autorités. Ce déclassement et cette déchéance ont été le préambule de la destruction physique systématique.</p>
<h2>L’illusion d’un modèle universel d’investigation</h2>
<p>Écrire pour condamner : la logique est connue. Cela relève de plusieurs genres, journalistes, militants, écrivains et bien d’autres le font. Il n’y a pas de normes absolues, hors sol, pour différencier les « bons » ou les « mauvais » usages de cette logique.</p>
<p>Il reste que les recherches menées sur le génocide des Rwandais tutsis ont posé des questions et constitué des connaissances que les acteurs de justice empruntent éventuellement pour renforcer leurs propres investigations.</p>
<p>Ainsi avons-nous voulu montrer ici à quel point il était nécessaire de ne pas faire de l’enquête judiciaire (ou de police) le modèle universel d’investigation, car elle est limitée aux seuls éléments sur lesquels les verdicts prennent appui. Les démarches des sciences sociales ne s’imposent pas de telles restrictions et n’ont pas pour guide les catégories juridiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudine Vidal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ouvrage est conçu comme un réquisitoire : la description des massacres commis par le régime de Kagame est conduite de façon à établir la qualification de génocide.Claudine Vidal, Directrice de recherches émérite au CNRS, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/897992018-01-10T20:19:14Z2018-01-10T20:19:14ZDes humanitaires face au génocide : l’expérience rwandaise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/201149/original/file-20180108-142334-11occg3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mémorial du génocide à Kigali. Comment les humanitaires font-ils face aux horreurs de la guerre ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/trocaire/13691638594">Trocaire/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet entretien est publié dans le cadre des activités de la <a href="http://www.fmsh.fr/fr/recherche/28776">Plateforme Violence et sortie de la violence</a> (FMSH) dont The Conversation France est partenaire. Marc Le Pape et Jean‑Hervé Bradol interviendront dans le séminaire dirigé par Michel Wieviorka, Jean‑Pierre Dozon, Yvon Le Bot et Farhad Khosrokhavar le <a href="http://www.fmsh.fr/fr/recherche/29068">11 janvier 2018 à 17h30 à la FMSH</a>. Sur inscription</em>.</p>
<hr>
<p><strong>Pour écrire votre livre <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/07/GOUVERNEUR/57689"><em>Génocide et crimes de masse. L’expérience rwandaise de MSF</em></a>, vous avez enquêté sur les opérations humanitaires menées dans la région des Grands Lacs lors de violences extrêmes contre des Rwandophones entre 1990 et 1997 ? Vous avez en particulier étudié les archives de Médecins sans frontières à Paris, quelles questions posiez-vous aux archives ?</strong></p>
<p><strong>Marc Le Pape</strong> : Concernant les opérations humanitaires ce qui est généralement méconnu ou peu connu c’est le concret du travail des équipes de terrain dans des situations de violences extrêmes. C’est pour cela que notre enquête dans les archives a été particulièrement attentive aux messages qui venaient du terrain alors que la plupart des études publiées s’intéressent beaucoup plus au niveau macro-politique, macro-humanitaire. Ce niveau « micro » nous a permis d’observer des opérations dans la durée de leur évolution : quelles négociations furent nécessaires pour les ouvrir et les maintenir ? Négociations avec qui ?</p>
<p>Notre but a été constamment de rechercher comment les équipes percevaient leurs contextes d’intervention, quelles informations elles recherchaient sur place pour conduire leurs actions. Nous avons donc examiné les recherches d’informations : quels contacts elles impliquaient avec les autorités politiques et militaires, les multiples autorités locales, les agences des Nations unies présentes dans les pays des Grands Lacs, les acteurs d’ONG locales et internationales, les religieux, enfin avec les personnes présentes dans les lieux de secours, dans les services médicaux, dans des camps.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201358/original/file-20180109-36040-1ohlmrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201358/original/file-20180109-36040-1ohlmrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201358/original/file-20180109-36040-1ohlmrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201358/original/file-20180109-36040-1ohlmrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201358/original/file-20180109-36040-1ohlmrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201358/original/file-20180109-36040-1ohlmrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201358/original/file-20180109-36040-1ohlmrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avril 1994. Kigali. Coursive extérieure de l’hôpital de campagne MSF-CICR.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Xavier Lassalle/MSF</span></span>
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<p>Nous avons aussi observé le rapport entre ces terrains, les capitales nationales et les sièges des différentes sections MSF. Nous avons suivi les récits qui circulaient du terrain vers le haut ; nous avons observé comment les sièges de l’association réagissaient à ces récits de violences, d’intimidations, d’interdictions : quelles présentations des violences étaient alors élaborées, et défendues publiquement. Nous avons par exemple examiné l’ensemble des documents permettant de restituer, des alertes aux déclarations publiques, la progressive compréhension par les humanitaires qu’il s’agissait, au Rwanda, en 1994, d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2009-1-page-67.htm">extermination systématique et organisée des Tutsi</a>.</p>
<p><strong>Les intervenants humanitaires ont-ils été les témoins de violences extrêmes ?</strong></p>
<p><strong>Jean‑Hervé Bradol :</strong> Nous prenons comme point de départ la première intervention de MSF au Rwanda en 1982 et poursuivons jusqu’à fin 1997, dernière année où l’ampleur des massacres que les populations rwandophones subissent distingue ces dernières des autres populations de la région.</p>
<p>Il est frappant de constater à quel point les travailleurs humanitaires deviennent, de <a href="https://www.msf.fr/histoire-sommaire/1994-rwanda-n-arrete-pas-genocide-avec-medecins-0">manière récurrente à partir de 1994</a>, les témoins oculaires de violences, de meurtres et de massacres à grande échelle. En effet, il est rare qu’ils soient témoins de ce type de scènes. Ils travaillent généralement à distance des lieux où les massacres sont perpétrés et les exécuteurs restent le plus souvent anonymes, ce qui n’est pas le cas ici. Il s’agit au Rwanda en avril 1994 d’une expérience extrême et quasi-inédite du moins pour MSF : la présence d’humanitaires au moment où s’effectuait le tri entre ceux qui allaient mourir et ceux qui seraient épargnés. Les employés rwandais sont aussi victimes, et parfois complices ou co-auteurs de ces crimes.</p>
<p>Plus de 200 employés MSF de nationalité rwandaise sont exécutés durant la période du génocide au Burundi, il y a eu plus d’une vingtaine d’assassinats de membres expatriés d’organisations internationales, également à la même période.</p>
<p><strong>Pouvez-vous évoquer quelques situations de violence dont les intervenants MSF ont été témoins directs et quelles « instructions » elles en ont tirées, ou pas ?</strong></p>
<p><strong>J.-H.B :</strong> Lors de mon travail à Kigali en avril 1994, on se préparait à une grande éruption de violence, les premiers jours après l’assassinat de l’ancien président rwandais <a href="http://www.jeuneafrique.com/177790/politique/rwanda-qui-a-tu-juv-nal-habyarimana/">Juvénal Habyarimana</a>. On pensait à des représailles contre les Tutsi, mais on n’imaginait pas que ça allait être « Tuez-les tous ».</p>
<p>Notre équipe comme d’autres – le chef de délégation du Comité international pour la Croix-Rouge (CICR) en particulier – avons vite compris que, du moins à Kigali, le déroulement de l’extermination des Tutsi ne résultait pas d’un chaos, d’un contexte anomique, mais qu’il était organisé. C’était terrible, nous savions que l’armée distribuait des armes aux miliciens qui contrôlaient les barrages, et qui rendaient ainsi plus que risqué d’évacuer des adultes tutsi blessés vers l’hôpital du CICR – s’ils étaient pris, ils étaient exécutés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201360/original/file-20180109-36019-1g2h3ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201360/original/file-20180109-36019-1g2h3ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201360/original/file-20180109-36019-1g2h3ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201360/original/file-20180109-36019-1g2h3ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201360/original/file-20180109-36019-1g2h3ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201360/original/file-20180109-36019-1g2h3ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201360/original/file-20180109-36019-1g2h3ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avril 1994. Kigali. Patient et son frère, à l’hôpital MSF-CICR. Malgrédes discussions intenses avec le colonel en charge de la zone où se trouvait l’hôpital, l’équipe MSF n’a pas pu le convaincre de tolérer la présence de l’accompagnant. Il s’est fait tuer 100 mètres plus loin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Xavier Lassalle/MSF</span></span>
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<p>Plus tard, des intervenants MSF ont été aussi témoins directs de la situation épouvantable dans les prisons en intervenant <a href="http://www.liberation.fr/planete/1995/07/06/la-mortalite-effrayante-des-prisons-rwandaisesa-gitarama-un-detenu-sur-huit-est-mort-depuis-septembr_138425">dans la prison de Gitarama</a> en septembre 1994-mai 1995 (3 000 prisonniers dans une prison faite pour 400 personnes, 800 morts durant cette période). Ces personnes étaient arrêtées sur simple dénonciation. Nous étions les médecins de ces gens-là : nous étions ainsi obligés de nous rendre à l’évidence sur la politique du nouveau régime, sur les crimes commis par l’ex-rébellion.</p>
<p>Entre autres faits très graves, le <a href="http://www.liberation.fr/planete/1995/05/15/le-jour-ou-l-armee-rwandaise-a-tire-sur-les-refugies-de-kibeho-paul-lowe-photographe-a-ete-temoin-du_133256">massacre de Kibeho en avril 1995</a> par le nouveau pouvoir fut perpétré dans un camp de déplacés internes par la nouvelle armée rwandaise, issue de la rébellion : plusieurs milliers de personnes furent tuées sous les yeux des membres <a href="https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2004-2-page-92.html">d’une équipe de soins MSF</a>. On a fini par se convaincre qu’un crime de masse, le génocide des Tutsi, pouvait faire ignorer d’autres crimes de masse attribuables aux nouvelles autorités.</p>
<p><strong>En tant que sociologue, Marc Le Pape, avec vous pris connaissance d’éléments dont auparavant vous n’évaluiez pas l’importance pour les ONG d’assistance ?</strong></p>
<p><strong>M.L.P.</strong> : J’ai notamment appris l’importance extraordinaire – et le temps – accordée au dénombrement des populations : celles des camps, celles en fuite, celles victimes, celles secourues.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201361/original/file-20180109-36043-10sb1zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201361/original/file-20180109-36043-10sb1zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201361/original/file-20180109-36043-10sb1zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201361/original/file-20180109-36043-10sb1zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201361/original/file-20180109-36043-10sb1zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201361/original/file-20180109-36043-10sb1zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201361/original/file-20180109-36043-10sb1zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Déplaces à Kibeho, Rwanda. Dès octobre 1994, il est clair que la volonté du gouvernement rwandais est de fermer les camps de déplacés qui représentent pour lui une menace de déstabilisation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stefan Pieger/MSF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La fréquence des dénombrements était évidemment justifiée pour des institutions humanitaires, notamment lorsqu’il leur fallait calculer l’importance des approvisionnements à transporter sur les terrains. Dans le cas des ONG de secours, ils avaient aussi une importance politique, pour étayer les témoignages, pour faire reconnaître l’existence d’événements meurtriers qu’ils avaient appris, pour contester d’autres annonces se déclarant fondées sur des nombres.</p>
<p>Il y eut ainsi une <a href="https://www.msf.fr/sites/www.msf.fr/files/2000-08-01-LePape.pdf">polémique</a> au début de la destruction des camps de Rwandais réfugiés au Zaïre par l’Armée patriotique rwandaise en 1996. À la suite de ces destructions, le Rwanda affirmait que tous les réfugiés étaient rentrés au pays, la destruction des camps n’était donc pas un problème, mais plutôt une réussite. Or, il est apparu rapidement que, si environ 600 000 personnes avaient été poussées au retour, il en restait quelques 500 000 au Zaïre qui étaient en fuite et qu’il fallait protéger.</p>
<p>C’est dire si les chiffres étaient immédiatement transformés en argumentaire politique par les différents protagonistes. Ainsi certains États et ONG appelaient à une intervention armée pour protéger ces 500 000 réfugiés, à quoi le Rwanda et les USA rétorquaient qu’il n’y avait plus de réfugiés, mais un nombre limité de criminels en fuite. Au bout de peu de temps l’existence de plusieurs centaines de milliers de Rwandais en fuite à l’intérieur du Zaïre ne put être niée. Reste toujours incertain le nombre de ceux qui périrent, soit exécutés par des militaires de la nouvelle armée rwandaise, soit trop affaiblis, exténués.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89799/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Hervé Bradol est médecin, membre de MSF -CRASH - Centre de Réflexion sur l'Action et les Savoirs Humanitaires, abrité par la Fondation MSF.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sabrina Melenotte est coordinatrice de la Plateforme Violence et sortie de la violence à la Fondation Maison des sciences de l'homme. Elle mène en parallèle ses recherches sur les effets sociaux, politiques et culturels des violences contemporaines au Mexique.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc Le Pape ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les travailleurs humanitaires deviennent, de manière récurrente à partir de 1994, les témoins oculaires de massacres à grande échelle au Rwanda.Marc Le Pape, sociologue (Institut des mondes africains), École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Jean-Hervé Bradol, Médecin, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/855772017-10-25T19:53:23Z2017-10-25T19:53:23ZL’Afrique est-elle rongée par les guerres ethniques ?<p>« L’ethnie tue ! » C’est du moins ce que laissent entendre de nombreuses analyses des guerres en Afrique.</p>
<p>Nous avons tous en tête, le génocide rwandais, qui opposait deux ethnies : les Hutus et les Tutsis. D’avril à juillet 1994, entre 500 000 et 1 million de Rwandais périrent (800 000 selon l’ONU). En France, très tôt, ce conflit a fait l’objet de controverses. Pour le rôle qu’aurait pu jouer la France, mais surtout sur l’interprétation des causes du génocide.</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/220036?seq=1#page_scan_tab_contents">La lecture ethnique</a> est très rapidement venue se confronter aux lectures plus complexes sur les causes sociologiques, politiques, historiques et régionales du génocide. Selon cette première lecture, les Tutsis et les Hutus seraient destinés à s’affronter, et les massacres seraient le résultat d’une opposition raciste héréditaire et pratiquement constitutive de l’ADN des Rwandais, et plus largement, des Africains, condamnés aux tueries et aux barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation.</p>
<p>Cette lecture n’est pas réservée uniquement aux conflits africains, mais l’explication ethnique se trouve être plus répandue concernant cette région du monde. Ainsi, à la veille des élections présidentielles kenyanes prévues le 26 octobre, le pays semble plus divisé que jamais par les ressentiments ethniques.</p>
<h2>L’ethnie, une réalité et un vecteur</h2>
<p><a href="https://nyuscholars.nyu.edu/en/publications/what-is-ethnic-identity-and-does-it-matter">La littérature sur le lien entre ethnie et conflit</a> est très riche, et de nombreuses controverses ont opposé les analystes. Pour les uns, le continent africain serait « condamné » aux affrontements ethniques, et pour les autres, les ethnies n’existent pas et ne seraient que des groupes artificiels créés à des fins de manipulation ou de domination politique, notamment par le colonisateur.</p>
<p>Nous ne nions pas l’existence d’« ethnie », au sens d’une « identité » distincte d’un autre groupe. En revanche, il est aisé de démontrer que l’ethnie n’est pas une cause unique de conflit. Si tel était le cas, tous les groupes ethniques du monde seraient perpétuellement en conflit, alors que la plupart du temps, ils vivent paisiblement côte à côte. Donc, l’ethnie seule n’est pas une cause de conflit. Cela ne veut pas dire que les appartenances identitaires ne sont pas cruciales, dans la guerre. Elles peuvent même très certainement venir alimenter le conflit.</p>
<p>Pour <a href="http://eu.wiley.com/WileyCDA/WileyTitle/productCd-1509509046.html">Paul D. Williams</a>, les analystes doivent s’intéresser à l’« ethnie plus », c’est-à-dire chercher les causes additionnelles aux conflits. L’ethnie n’est qu’un <em>vecteur</em>. Ce qui apparaît à première vue comme des combats entre ethnies est bien souvent entièrement lié à des luttes entre les élites, pour la puissance politique ou matérielle. Ainsi, au Soudan du Sud, le conflit était au départ une opposition entre élites pour l’accès au pouvoir, avant de se cristalliser sur l’appartenance ethnique et une opposition entre Dinka et Nuer. Ce conflit est devenu effectivement un conflit semblant de nature ethnique, mais sa cause est bien plus complexe.</p>
<h2>Difficultés de gouvernance</h2>
<p>Parmi les causes des conflits, l’on retrouve ainsi les manipulations politiques, les crises politiques (assassinats politiques, entre autres), les crises économiques, comme l’accès aux ressources ou à la terre. Ainsi, en <a href="https://theconversation.com/ethiopie-le-prix-politique-du-developpement-a-marche-forcee-68041">Éthiopie</a>, la dimension ethnique est forte dans le conflit qui oppose les Oromos et les Amharas, au régime éthiopien, mais c’est une <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/08/19/ethiopie-la-colere-reprimee-a-huis-clos_1473535">erreur d’analyse</a> que de réduire ces tensions à une question ethnique. Les Oromo, les Amhara et les Tigréens représentent chacun des groupes très hétérogènes.</p>
<p>Les contestations qui ont conduit à l’instauration de l’état d’urgence, en 2016, et à la répression de l’opposition, trouvent leurs racines dans l’annonce par l’administration de la capitale Addis-Abeba d’intégrer plusieurs municipalités voisines à son plan d’extension urbaine, et donc d’empiéter sur la région Oromo. Les manifestants ne rejettent pas le fédéralisme ethnique en lui-même, mais le fait que le régime ne se soit jamais démocratisé, et que les retombées économiques ne bénéficient pas à tous.</p>
<p>On retrouve les mêmes difficultés de gouvernance dans d’autres pays d’Afrique. Les dirigeants considèrent l’État comme leur bien personnel et s’accaparent ainsi les ressources du pays. Le statut de président devient celui de « big man », inspiré par une stratégie d’accumulation financière, pour s’assurer une clientèle électorale dépendante. Le Kenya est un bon exemple de gouvernance dite néopatrimoniale, où l’ethnie constitue un mode de mobilisation commode pour les politiciens qui se disputent le pouvoir et les ressources attenantes à celui-ci.</p>
<h2>Le cas du Kenya</h2>
<p>Dans ce pays, les élections de 2007 ont conduit à la mort de 1 000 personnes et provoqué 350 000 déplacés. Les élections organisées le 8 août 2017 se sont déroulées dans un climat relativement serein. Néanmoins, la Cour suprême a décidé, le 1<sup>er</sup> septembre d’invalider les élections au regard des irrégularités de la Commission indépendante électorale. Si cette décision est une avancée démocratique notable, dans l’immédiat, la réorganisation des scrutins a <a href="https://theconversation.com/au-kenya-des-elections-sous-le-signe-des-institutions-fortes-et-des-hommes-forts-85785">radicalisé les différents camps et ethnicisé les discours</a>.</p>
<p>Les racines de l’amalgame patrimonial remontent à l’histoire du pays ; la colonisation britannique s’accompagnait en effet d’une ségrégation territoriale. L’accès à la propriété foncière était défini par l’appartenance communautaire. <a href="https://www.cairn.info/magazine-alternatives-internationales-2008-6-p-31.htm">Claire Médard</a> l’a démontré :</p>
<blockquote>
<p>« C’est bien l’existence d’inégalités matérielles et le fait que ceux qui en sont victimes les interprètent en termes ethniques alors qu’elles résultent d’un clientélisme politique, qui expliquent les violences récentes. »</p>
</blockquote>
<p>Au Kenya, les hommes politiques ont joué sur les réactions identitaires, mais ce sont des enjeux économiques et fonciers qui sont la véritable source des oppositions politiques.</p>
<h2>La question du rapport observateur-observé</h2>
<p>On le voit, l’approche uniquement ethnique exclue toute analyse des évènements ayant conduit au conflit, et les « dépolitise ». De quoi cette lecture est-elle le symptôme ? Comment expliquer qu’elle soit particulièrement répandue dans l’étude des conflits en Afrique ?</p>
<p>Il semblerait qu’au-delà des classifications identitaires, l’analyse dépend du <a href="https://www2.bc.edu/marian-simion/th406/readings/0420anderson.pdf">rapport entre l’observateur et l’observé</a>. La lecture exclusivement ethnique est, en partie, héritière des travaux sur l’anthropologie de la race, élaborée à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Cette littérature refuse de penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et socialement. L’étude de la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-concept-dethnie-ne-nous-sert-plus-a-rien-64651">trajectoire du concept d’« ethnie »</a> est particulièrement éclairante.</p>
<p>Les Grecs opposaient les « ethnè » et la « polis ». Les sociétés, unies par la culture mais non organisées en cités-États, étaient des « ethnè ». L’ethnologie serait littéralement la science des sociétés qui sont « a-politiques » et qui, à ce titre, ne peuvent être des « sujets » de leur propre histoire. Cette définition « négative » se perpétue dans la tradition ecclésiastique, qui appelle « ethnè » les païens, par opposition aux chrétiens.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Arthur de Gobineau, théoricien des races.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Arthur_de_Gobineau.jpg">Inconnu/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est à partir du XIX<sup>e</sup> siècle que le critère racial est intégré. Il faut noter que cette période correspond à la domination européenne sur le reste du monde. Dans l’« Essai sur l’inégalité des races humaines » (1854), le comte de Gobineau utilise l’adjectif « ethnique » d’une façon ambiguë, le mot commençant à désigner par moment le mélange des races, et la dégénérescence qui en résulte. Si l’usage du terme « ethnie » s’est popularisé au détriment d’autres mots comme celui de « nation », c’est sans doute qu’il s’agissait de classer à part certaines sociétés, en leur déniant une qualité spécifique.</p>
<p>Cette qualité, dont l’absence les rendait dissemblables et inférieures aux sociétés européennes, c’est l’historicité ; et, en ce sens, les notions d’« ethnie » et de « tribu » sont liées aux autres distinctions par lesquelles s’opère le grand partage entre anthropologie et sociologie : société sans histoire-société à histoire, société préindustrielle-société industrielle, société sans écriture-société à écriture.</p>
<h2>Jeux de pouvoir</h2>
<p>Il convient de se méfier des explications simplistes et essentialistes où les conflits sont vus comme inhérents aux cultures africaines, déterminés uniquement <a href="https://la-plume-francophone.com/2007/02/11/les-identites-meurtrieres-damin-maalouf/">par les identités</a>. Pourtant, cette lecture continue d’être reprise et guide les commentaires sur les conflits en Afrique. Or, sur ce continent, comme partout ailleurs, l’ethnie n’est pas une réalité figée ou immuable, mais au contraire se trouve en <a href="http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1991_num_78_291_2886_t1_0270_0000_2">constante évolution</a>. Elle est le fruit d’un continuel processus d’hybridation et de sédimentation historique.</p>
<p>Il faut donc porter notre attention sur les jeux de pouvoir locaux, sur les relations internationales africaines, et sur l’intégration du continent au grand jeu mondial. La lecture exclusivement ethnique est extrêmement réductionniste, très spéculative et profondément fallacieuse. Les variables identitaires, plus que politiques, sont perçues comme suffisantes pour expliquer les mobilisations sociales.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est d’abord paru dans l’ouvrage <a href="https://www.youtube.com/watch?v=148b0hwStJc">« Notre monde est-il plus dangereux : 25 questions pour vous faire une opinion »</a>, éditions Armand Colin.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sonia Le Gouriellec ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« L’ethnie tue ! » C’est du moins ce que laissent entendre de nombreuses analyses des guerres en Afrique. Trop sommaire.Sonia Le Gouriellec, Chercheur à l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/855462017-10-19T21:40:10Z2017-10-19T21:40:10ZÉcrire sur le Rwanda : les compagnons de route du président Kagame<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190837/original/file-20171018-32361-1tq70c5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paul Kagame, l'homme fort du Rwanda depuis l'été 1994.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/93/HE_Paul_Kagame%2C_President_of_the_Republic_of_Rwanda_%2814985842184%29.jpg/640px-HE_Paul_Kagame%2C_President_of_the_Republic_of_Rwanda_%2814985842184%29.jpg">Chatham House / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Écrire sur le Rwanda provoque parfois l’impression de traverser un champ de mines. On croit, au début, se trouver dans un champ de controverses. Entre chercheurs, ce n’est pas inattendu. Puis, il faut bien vite constater qu’il ne s’agit pas de cela, mais de dénonciation, d’intimidation.</p>
<p>Un exemple récent, la <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/25/rwanda-le-que-sais-je-qui-fait-basculer-l-histoire_5190733_3232.html">tribune récemment publiée dans <em>Le Monde</em></a>, émanant d’un collectif et dénonçant Filip Reyntjens, auteur d’un <em>Que sais-je ?</em> sur le génocide des Tutsis au Rwanda. Il s’agit d’une tribune faisant dire à l’ouvrage ce qu’il ne dit pas et méconnaissant ce qu’il dit vraiment.</p>
<p>Comment procèdent les dénonciateurs ? Cette tribune met en œuvre des logiques récurrentes : ce sont des procédés d’accusation de négationnisme que nous avons relevés par la lecture systématique et ancienne (depuis 1994 sans interruption) de « sources » françaises (<em>Le Monde</em>, <em>Libération</em>, AFP), anglaises (<em>The Guardian</em>) et américaines (<em>New York Times</em>, <em>Washington Post</em>, Voice of America, Associated Press), où paraissent des « tribunes » et des articles traitant du Rwanda. Nous avons également consulté l’agence RNA (Rwanda News Agency), basée à Kigali.</p>
<h2>L’accusation de négationnisme(s)</h2>
<p>L’une des méthodes utilisées pour mettre en cause un auteur traitant du Rwanda consiste à le délégitimer. Plusieurs manières de le faire ont cours. L’accusation de négationnisme est la plus courante car sans doute est-elle estimée la plus efficace. Elle connaît quelques variantes : sont d’abord dénoncés ceux qui nient la réalité du génocide des Tutsis, une accusation justifiée et que nous partageons sans restriction.</p>
<p>Mais de plus en plus couramment, sont traités de négationnistes les auteurs qui, en même temps qu’ils relatent le génocide des Tutsis, évoquent les crimes de masse commis par le Front patriotique rwandais (FPR), <a href="http://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/DRC_MAPPING_REPORT_FINAL_FR.pdf">notamment entre 1993 et 1997</a>.</p>
<p>Tombent encore sous le coup de la dénonciation ceux qui déconstruisent le récit officiel de l’histoire du génocide et de la situation post-génocide, récit promu dans l’espace public rwandais et qui ne souffre pas de critique dans cet espace et parfois au-dehors. Les critiques rwandais de ce récit sont accusés de « divisionnisme » et passibles d’emprisonnement, les critiques non rwandais se voient quant à eux suspectés de négationnisme, ainsi qu’en témoigne la tribune parue dans <em>Le Monde</em> concernant l’ouvrage de F. Reyntjens.</p>
<p>Autre forme d’attaque, plus distinguée que la précédente : celle de négationnisme du sens qui consiste, selon les accusateurs, à banaliser et relativiser le génocide des Tutsis en introduisant dans l’analyse des facteurs estimés inacceptables : par exemple, toute évocation des risques pris par le FPR et son chef en déclenchant l’offensive militaire de 1990, risques pour les Tutsis vivant au Rwanda. Selon les censeurs, la règle est qu’il ne faut pas importer dans le récit historique des éléments étrangers au déroulement du génocide tel qu’il peut être raconté, <a href="http://www.nybooks.com/daily/2017/08/04/rwanda-kagame-efficient-repression/">principalement par des témoins rescapés</a>, interrogés au Rwanda. Ainsi est-il permis de montrer que le FPR a pu interrompre le génocide à mesure de son avancée militaire, mais toute allusion aux actions criminelles du FPR est exclue du récit légitime, ce serait commettre une sorte de cruauté symbolique contre les Tutsis survivants.</p>
<p>Notons encore une variante, celle qui consisterait à <a href="http://www.theeastafrican.co.ke/OpEd/comment/How+the+Rwandan+peasantry+is+defying+reconciliation/-/434750/1206744/-/y0ysj0z/-/">mettre en doute la réconciliation des Rwandais après juillet 1994</a>, la réconciliation étant une thèse officielle que se doivent de partager les « amis du Rwanda » bien qu’elle ne soit pas fondée par des enquêtes empiriques rigoureuses et des entretiens libres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/191015/original/file-20171019-1048-nsqk6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/191015/original/file-20171019-1048-nsqk6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/191015/original/file-20171019-1048-nsqk6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/191015/original/file-20171019-1048-nsqk6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/191015/original/file-20171019-1048-nsqk6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/191015/original/file-20171019-1048-nsqk6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/191015/original/file-20171019-1048-nsqk6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mémorial à l'église de Karongi Kibuye (ouest du Rwanda).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d8/Never_Again_-_With_Display_of_Skulls_of_Victims_-_Courtyard_of_Genocide_Memorial_Church_-_Karongi-Kibuye_-_Western_Rwanda_-_01.jpg/640px-Never_Again_-_With_Display_of_Skulls_of_Victims_-_Courtyard_of_Genocide_Memorial_Church_-_Karongi-Kibuye_-_Western_Rwanda_-_01.jpg">Adam Jones/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, une variante française introduit une forme particulière d’accusation de négationnisme : elle stigmatise ceux qui n’affirment pas le soutien direct de responsables politiques et militaires français dans l’exécution du génocide. <a href="https://blogs.mediapart.fr/fatimad/blog/300917/reponse-un-proces-sans-instruction-contre-le-que-sais-je-de-filip-reyntjens">Le procès sans instruction</a> intenté à Filip Reyntjens par la Tribune du <em>Monde</em> est un échantillon de certaines de ces accusations. Qu’il soit clair que nous n’écrivons pas cela pour détourner l’attention des responsabilités de la France au Rwanda de 1990 à 1994 (au moins), c’est-à-dire avant, pendant et après le génocide des Tutsis.</p>
<h2>De la surenchère en orthodoxie</h2>
<p>Nous venons de présenter un inventaire partiel (donc critiquable). Que dire de cet inventaire ? Les auteurs de ces intimidations sont en majorité des « clercs » (nous empruntons à Bourdieu cette qualification), cette catégorie comprenant en l’occurrence des journalistes, des professeurs, des chercheurs, des juristes. La plupart ont une forte légitimité dans leur champ professionnel, légitimité dont ils tirent leur force d’intervention dans le champ public – ce dont témoigne la reprise de leurs propos dans la presse d’information généraliste.</p>
<p>Certains de ces clercs rappellent les compagnons de route d’autres époques par rapport à l’Union soviétique ou la Chine maoïste. Nous proposons cette analogie dans le cas des clercs pratiquant une surenchère en orthodoxie : ces plus stricts compagnons de route nient les violences systématiques contre tout opposant exercées par l’actuel pouvoir rwandais alors que les <a href="http://www.newsweek.com/case-against-rwandas-president-paul-kagame-63167">opposants sont exécutés ou emprisonnés</a> ; ils nient aussi les contrôles exercés méticuleusement sur la population, ils ne les « ressentent » pas.</p>
<p>À cet égard, la presse écrite française diffère significativement de la presse anglophone (Royaume-Uni et États-Unis) qui relate et condamne de manière régulière les violations des droits humains commises actuellement au Rwanda et la dictature politique qui y règne.</p>
<p>Ajoutons qu’Amnesty International et Human Rights Watch publient périodiquement des enquêtes sur ces violations et les pratiques de dictature – <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/aug/03/paul-kagame-set-for-landslide-rwandans-polls-rwanda-election">« A darker side to Rwanda’s recent history »</a>, écrivait ainsi, début août 2017, Jason Burke, reporter du <em>Guardian</em> à Kigali. Même qualification dans un <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/11/opinion/rwanda-election-kagame.html">éditorial du <em>New York Times</em></a>, le 11 août 2017 qui, prenant appui sur un rapport de Human Rights Watch, met en cause « the dark side of Mr. Kagame’s success story », tout en reconnaissant des réussites notamment en matière de santé publique.</p>
<p>Ce type d’accusations est disqualifié par les amis de l’orthodoxie favorable au président du Rwanda et à sa politique : nous pourrions citer les multiples tribunes et commentaires où cette forme d’orthodoxie est revendiquée depuis des années. Nous ne ferons pas l’inventaire des signataires.</p>
<h2>Des relents d’affaire Kravchenko</h2>
<p>Puisqu’il est presque toujours inévitable de pratiquer un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=aukfnAfFZ7A">« sport de combat »</a>, pour reprendre les termes de Bourdieu, rappelons que les avocats et la presse communistes de 1949, <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2007-3-page-85.htm">lors du procès Kravchenko</a>, niaient les crimes commis par le régime stalinien, non sans couvrir d’insultes leurs contradicteurs. Nous rappelons ce procès non pas pour identifier les prisons rwandaises au goulag, ce qui serait inexact. Nous le rappelons pour relever un argumentaire communiste analogue à celui employé dans le cas du Rwanda afin de rejeter une histoire complexe tenant compte, en toute rigueur, du contexte historique et politique – y compris le côté obscur des actes commis, depuis le début des années 1990, par les leaders de l’actuel régime de Kigali.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aukfnAfFZ7A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Selon nous, rappeler l’histoire de cet argumentaire anti-Kravchenko, c’est mettre l’accent sur des continuités caractéristiques de fractions intellectuelles qui prennent parti sans condition en faveur de régimes politiques, que d’autres – preuves à l’appui – qualifient de criminels.</p>
<p>Pour les compagnons de route, en Union Soviétique le goulag n’existait pas. Pour ceux du régime de Kigali, les arrestations et meurtres d’opposants, les contrôles stricts de la population n’existent pas au Rwanda.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Le Pape ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Écrire sur le Rwanda donne parfois l’impression de traverser un champ de mines. Il ne s’agit pas de controverses entre chercheurs mais bien de dénonciation et d’intimidation.Marc Le Pape, sociologue (Institut des mondes africains), École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/846002017-10-05T22:55:08Z2017-10-05T22:55:08ZEn Afrique centrale et orientale, le sacre des « démocraties puissantes et durables »<p>Les régimes bâtis sur les ruines de guerres civiles en Angola, au Burundi, au Congo, en République démocratique du Congo (RDC), en Ouganda et au Rwanda, ont reposé sur des forces politico-militaires. Hormis au Kenya, en Tanzanie et en Zambie, où le multipartisme a été rétabli au début des années 1990 et a perduré malgré des élections entachées de violences, <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2016-4-page-9.htm">partout les espérances démocratiques ont été trahies ou manipulées</a>.</p>
<p>Entre juin 2015 et août 2017, la région a ainsi connu un enchaînement ininterrompu d’élections générales. Les scrutins du Burundi en 2015 et de la RDC, initialement prévu en 2016, étaient les plus redoutés. Les présidents sortants voulaient se maintenir au pouvoir au-delà de leur deuxième mandat. Au Congo, en Ouganda et au Kenya, les risques d’affrontements étaient tangibles.</p>
<p>Ces régimes étaient datés, voire gagnés par l’usure. Parmi les <em>new leaders</em> révolutionnaires ou progressistes, l’Angolais (José Eduardo Dos Santos), le Congolais (Denis Sassou N’Guesso) et l’Ougandais (Yoweri Museveni) avaient plus de 70 ans, régné trente ans ou plus et étaient candidats à de nouveaux mandats. Quant aux présidents rwandais (Paul Kagamé), congolais (RDC, Joseph Kabila) et burundais (Pierre Nkurunziza), après avoir exercé respectivement le pouvoir pendant 21, 14 et 10 ans, <a href="https://theconversation.com/lafrique-saisie-par-la-fievre-du-troisieme-mandat-53258">ils modifiaient leur Constitution pour briguer un troisième mandat</a>.</p>
<h2>Des pouvoirs usés mais rusés</h2>
<p>Malgré la conjoncture régionale déprimée et le scepticisme contagieux des électeurs, <a href="https://theconversation.com/presidentielles-en-afrique-comment-ca-va-la-democratie-71747">ces rites de consécration « démocratique »</a> se sont, au cours des deux dernières décennies, imposés comme des événements incontournables, y compris dans les pays les plus autoritaires où tout est connu à l’avance : les partis en lice, les candidats autorisés, voire même les résultats.</p>
<p>Aussi illusoire soit-elle, la mise en scène de ces rituels constitue néanmoins un exercice risqué pour les détenteurs du pouvoir. Ils se doivent de maîtriser les règles de l’art pour s’assurer un contrôle maximal de leurs propres institutions, et faire spectacle de l’attachement des populations à ses dirigeants. C’est pourquoi le résultat de la compétition – entre le perfectionnement des manipulations électorales et les innombrables formes de contournements que peut inventer l’expression démocratique – n’est <a href="https://theconversation.com/le-gabon-le-pays-ou-il-ne-se-passe-jamais-rien-64856">jamais totalement assuré</a>.</p>
<p>Ainsi, de Kinshasa à Kampala en passant par Brazzaville, Luanda et Bujumbura, des contestataires courageux, bénéficiant généralement de la bienveillance et parfois du soutien actif de la population, ont organisé de nombreuses mobilisations. Elles exprimaient l’exaspération et les attentes d’une génération dénonçant des régimes accrochés au pouvoir et dont l’autoritarisme s’accroissait proportionnellement aux désillusions engendrées.</p>
<p>Face à ces aspirations au changement, les forces au pouvoir ont généralement fait preuve d’une grande capacité de résistance et d’adaptation. Partout elles l’ont emporté, <a href="http://lemonde.fr/afrique/article/2017/09/01/kenya-la-cour-supreme-ordonne-la-tenue-d-un-nouveau-scrutin-presidentiel_5179494_3212.html">sauf à ce jour au Kenya</a> où un second vote doit se tenir le 26 octobre après l’annulation-surprise du scrutin par la Cour suprême. En RDC, les manœuvres dilatoires de Joseph Kabila visant à bloquer la tenue des élections lui permettent toujours de se maintenir au pouvoir. En Angola, l’élection d’un proche du président sortant, José Eduardo Dos Santos, qui malade s’est finalement retiré de la course après avoir verrouillé sa succession, préserve l’emprise de son clan.</p>
<h2>Au pouvoir jusqu’en 2031, ou 2034</h2>
<p>Cette série de rendez-vous électoraux en Afrique centrale et orientale avait mal commencé, avec le coup de force, en avril 2015, du « troisième mandat » présidentiel <a href="https://theconversation.com/lordre-retabli-au-burundi-realites-et-faux-semblants-57403">au Burundi</a>, pays meurtri par 10 ans de guerre civile mais devenu une référence régionale de transition pacifique. <a href="http://www.justiceinfo.net/fr/justice-reconciliation/34816-burundi-%C2%AB-la-population-paup%C3%A9ris%C3%A9e-est-%C3%A9rig%C3%A9e-en-rempart-d-un-noyau-dirigeant-bunk%C3%A9ris%C3%A9-%C2%BB.html">Trois mois de manœuvres et de répression brutale</a> furent nécessaires au candidat sortant pour parvenir à ses fins. Résultat, le pays est retombé <a href="https://www.hrw.org/fr/world-report/2017/country-chapters/298103">dans les affres de la guerre civile</a> et s’enfonce plus encore à la dernière place des pays les plus pauvres de la planète. Discrédité par la gestion violente de la crise déclenchée par un président encore inexpérimenté, le Burundi obligeait alors les présidents sortants de la région – tous récidivistes patentés – à faire preuve d’un grand professionnalisme.</p>
<p>En février 2016, la reconduction en Ouganda de Yoweri Museveni pour un cinquième mandat s’est opérée sans vrai débordement. En mars, dans un contexte national plus tendu, le président congolais Denis Sassou-Nguesso inaugurait le premier des trois mandats supplémentaires que la nouvelle Constitution venait de lui accorder. Elle lui ouvre les portes du pouvoir jusqu’en 2031, à l’approche de ses 90 ans…</p>
<p>Le Rwanda fait mieux : la nouvelle Constitution, modifiée par référendum en 2015, permet au président <a href="https://theconversation.com/rwanda-paul-kagame-sur-orbite-jusquen-2034-53001">Paul Kagame de rester au pouvoir jusqu’en 2034</a>. L’opération, rondement menée, n’a laissé aucune place au suspens. La réforme constitutionnelle a été approuvée par 98 % des électeurs, représentant eux-mêmes plus de 98 % des inscrits.</p>
<p>On retrouve là l’efficacité de l’ingénierie sociale qui a présidé à la reconstruction du Rwanda post-génocide sous l’autorité du Front patriotique rwandais (FPR) : parti unique <em>de facto</em>, justice sélective, réécriture de l’histoire, réconciliation forcée, soumission totale des citoyens à un encadrement de proximité omniprésent, relayé par une série de structures verticales en charge de leur « sensibilisation ». Le président Kagame avait lui-même annoncé qu’il serait réélu avec un score similaire à celui du référendum, le résultat dépassa son pronostic !</p>
<p>Au total, donc, en l’attente des échéances à venir au Kenya et en RDC, tous les candidats autoproclamés sortis vainqueurs des épreuves électorales peuvent se targuer d’une légitimité populaire écrasante, voire d’un plébiscite.</p>
<h2>Le règne du chacun pour soi</h2>
<p>Au-delà des motivations prosaïques liées à leurs fonctions – biens, protection de leurs proches, impunité judiciaire – leur ancienneté même, et celle de leurs pairs de la région, impliquait, à leurs yeux, leur maintien.</p>
<p>Leurs relations, alliances et oppositions se sont dessinées dans un passé commun marqué par des guerres civiles et des confrontations régionales d’une violence extrême. En conséquence, l’instabilité structurelle qui prévaut de l’est à l’ouest de cette Afrique « médiane » se nourrit de l’incapacité – ou du refus – des États à formaliser les cadres de politiques de coopération et d’intégration régionale mutuellement avantageuses. Ces cadres formels permettraient pourtant de mettre en valeur de façon équitable les ressources humaines, les potentialités agricoles, minières et autres de l’ensemble de la région.</p>
<p>En 2013, les brigades d’intervention africaines rattachées à la Mission de maintien de la paix en RDC furent mandatées pour procéder à la neutralisation des principaux groupes miliciens de l’est du pays. Elles ciblaient notamment le M23, un mouvement soutenu par le Rwanda et l’Ouganda comme les informations transmises par la suite à la Cour pénale internationale (CPI) le démontreraient. Avec le retour à une situation de guerre de basse intensité, on assiste à une cogestion régulée de l’instabilité.</p>
<p>L’exploitation des ressources naturelles alimente de fructueux échanges transfrontaliers pilotés au plus haut niveau des États. Ces activités lucratives pour les élites au pouvoir permettent aux pays de la sous-région d’exporter des biens qu’ils ne produisent pas et assurent la vitalité régionale et internationale des divers corridors vers les côtes de l’Océan indien.</p>
<h2>Des pays occidentaux privés de levier</h2>
<p>Cette instabilité est, paradoxalement, sécurisée par d’importantes forces de maintien de la paix, confrontées à de nombreux groupes armés, politiques et mafieux qui contrôlent de vastes espaces de non-droit. Alors qu’à chaque étape de valorisation des richesses, la redistribution des dividendes relève pour l’essentiel d’intérêts privés, on comprend mieux pourquoi chacun des chefs d’État estime être le mieux placé pour assurer la défense des intérêts nationaux, personnels et plus largement ceux des groupes politico-ethniques qu’il représente.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/188384/original/file-20171002-12132-1l2c9il.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/188384/original/file-20171002-12132-1l2c9il.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/188384/original/file-20171002-12132-1l2c9il.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/188384/original/file-20171002-12132-1l2c9il.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/188384/original/file-20171002-12132-1l2c9il.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/188384/original/file-20171002-12132-1l2c9il.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/188384/original/file-20171002-12132-1l2c9il.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des Casques bleus de la Mission au Congo-RDC, en partance pour la province de l’Ituri (en 2016).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/monusco/23805808013">MONUSCO/Abel Kavanagh/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Tout cela justifie en partie la grande prudence et la retenue des trois ex-puissances tutélaires – les États-Unis, la France et la Belgique – qui se portaient traditionnellement garantes de la stabilité régionale en s’impliquant fortement dans le suivi des processus électoraux. Ils sont désormais confrontés à un environnement politique très ouvert et à une vive compétition économique avec de puissants groupes d’investisseurs chinois, indiens, arabes, sud-africains. Leur réserve est partagée par les organisations financières et des bailleurs de fonds internationaux, dont les apports ne pèsent plus qu’à la marge. Toutes ces nations disposent de richesses minières considérables et se sont dotées d’un potentiel militaire important.</p>
<p>De fait, les pressions des pays occidentaux qui ont précédé et accompagné l’organisation des scrutins à risques n’ont pas eu d’autre effet que d’être dénoncées comme autant de tentatives d’ingérence. Les velléités de conditionnalité politique de la part de la « communauté internationale », notamment lorsqu’elles sont motivées par des préoccupations démocratiques, sont vouées à l’échec même vis-à-vis des « petits » pays.</p>
<p>Même constat s’agissant des <a href="https://theconversation.com/lafrique-a-lheure-du-nouveau-regionalisme-securitaire-72945">organisations régionales africaines</a>. Toutes les démarches de médiation – concertées ou concurrentes – lors du suivi des scrutins et des crises engendrées, ont abouti à une reconnaissance des situations de fait au nom du respect de la souveraineté des États.</p>
<h2>Le « réalisme » de l’Union africaine</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/188387/original/file-20171002-3124-dbs1r3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/188387/original/file-20171002-3124-dbs1r3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/188387/original/file-20171002-3124-dbs1r3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/188387/original/file-20171002-3124-dbs1r3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/188387/original/file-20171002-3124-dbs1r3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/188387/original/file-20171002-3124-dbs1r3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/188387/original/file-20171002-3124-dbs1r3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Paul Kagame, élu président de l’UA par anticipation, avant même d’être réélu à la tête de son pays.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paul_Kagame_2014.jpg">Veni Markovski/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une illustration symbolique de ce réalisme en a été donnée par le sommet des chefs d’État de l’Union africaine réuni à Addis Abeba, le <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20170705-sommet-union-africaine-ua-djibouti-rdc-kabila-maroc-sahara-occidental">3 juillet dernier</a>. Ils n’ont pas hésité à porter le président rwandais à la présidence de l’organisation à compter du 1<sup>er</sup> janvier 2018, alors qu’il était lui-même candidat à une élection qui se tenait le 4 août suivant… En accordant, par anticipation, leurs voix au Président Kagame, ses pairs donnaient ainsi la mesure du respect dû à la libre expression des électeurs rwandais.</p>
<p>Ainsi, ils ne faisaient que rendre hommage à celui qui, parmi eux, était sans conteste le plus performant en matière d’organisation d’élection : une opposition inexistante et muselée, un candidat unique en campagne, des scores toujours plus brillants.</p>
<p>Dans un contexte global déprimé, le profil personnel du prochain président de l’UA, le père du « miracle économique » rwandais, était incontestablement le mieux placé pour redorer le blason d’une institution vivement critiquée et décrédibilisée pour son impuissance face à la plupart des conflits et des défis du continent. Il importait aussi d’inviter le président rwandais à œuvrer activement au retour d’une paix durable dans la région des Grands Lacs.</p>
<h2>Les nouveaux canons de la « bonne gouvernance »</h2>
<p>Les chefs d’États africains proposaient ainsi une actualisation pragmatique du célèbre discours du président Barack Obama, prononcé à Accra en 2009. Après avoir stigmatisé les autocrates, affirmant que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes », celui-ci relativisait aussitôt son propos. « La vérité essentielle de la démocratie est que chaque nation détermine elle-même son destin », disait-il, avant de préciser : « Nous devons soutenir les démocraties puissantes et durables ».</p>
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<p>Cette approche a guidé la politique de coopération de l’administration américaine au cours de son second mandat. Les <em>news leaders</em> africains de la <em>Great Horn of Africa</em> incarnaient alors la synthèse assumée de la « bonne gouvernance » : des « hommes forts » à la tête d’« institutions fortes » assurant l’ordre et la sécurité au service de la croissance. Des fondamentaux du développement ouvertement et largement partagés depuis lors par toutes les grandes puissances et les organisations internationales tenues au réalisme.</p>
<p>Ces démocraties puissantes sont-elles pour autant durables ? Manifestement, la question n’effleure pas ces « démocrates » régulièrement « plébiscités » par leurs concitoyens. <a href="http://www.lalibre.be/actu/international/rdc-kabila-confirme-la-marche-irreversible-vers-des-elections-59c67405cd70129e41839408">Hormis le président Kabila</a>, toujours pas fixé sur son sort, deux d’entre eux doivent encore ajuster leurs Constitutions pour assurer leur réélection. Au Burundi, les hiérarques du régime s’activent pour définir le scénario de sa mise en œuvre. En Ouganda, le président Museveni prévoit de supprimer la limite d’âge de 75 ans qui le rendrait inéligible en 2021.</p>
<p>Bref, tous se projettent dans l’avenir sans envisager une quelconque échéance. Aucun n’affiche la moindre intention de relâcher son étreinte sur le pays, gardant en mémoire que, s’ils n’ont jamais hésité à neutraliser leurs rivaux potentiels, ils ne sont pas à l’abri d’une telle mésaventure.</p>
<h2>L’impunité, une préoccupation permanente</h2>
<p>Dans le droit fil de ces contraintes, on peut s’interroger sur les motivations qui ont conduit au vote de principe des chefs d’État de l’Union africaine en 2016, de <a href="https://theconversation.com/lafrique-et-la-cour-penale-internationale-chronique-dun-divorce-annonce-68040">quitter la Cour pénale internationale</a> et d’y substituer une Cour de justice africaine indépendante. Ce projet, à l’initiative de Paul Kagame, capitalisait la défiance de nombre de pays africains envers une institution dont ils contestent la légitimité et l’impartialité. Il s’agirait là d’une évolution importante, de la part des dirigeants de la région, qui par le passé ont soit eu recours aux tribunaux pénaux internationaux ou à la CPI, soit invoqué la compétence universelle.</p>
<p>Mais cette opposition résolue à la CPI illustre sans doute un autre volet, peut-être déterminant, des préoccupations des chefs d’État à la tête des « démocraties autoritaires » : celui de l’impunité. Ces « hommes forts », qui assument la totalité des pouvoirs et sans l’aval duquel aucune décision importante ne peut être prise, savent tous pertinemment qu’en cas de poursuites, la procédure remontera inévitablement jusqu’à eux sans qu’ils puissent invoquer leur ignorance ou les errances d’une chaîne de commandement où les responsabilités seraient floues ou diluées.</p>
<p>Certes, tous n’ont pas instauré des régimes de terreur et plusieurs s’accommodent même de l’existence de larges espaces de libertés individuelles et collectives pour peu qu’ils ne se mêlent pas des affaires du pouvoir. Mais qu’il s’agisse de crimes imprescriptibles – comme les crimes de guerre et contre l’humanité du FPR restés sans suite au Tribunal pénal pour le Rwanda et au-delà – ou accompagnant la répression brutale d’opposants – comme ceux récents du Burundi dont la CPI pourrait bien se saisir –, il leur est ainsi difficile de renoncer à l’impunité liée à la fonction de chef d’État.</p>
<h2>L’ultime pouvoir des résistants</h2>
<p>Une illustration saisissante en a été fournie, les 28 et 29 septembre 2017, à Genève par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies dont les membres ont voté dans un climat délétère deux résolutions contradictoires sur le Burundi. <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20170928-droits-homme-burundi-resolution-africaine-onu-soutient-bujumbura">La première résolution</a> déposée, à la surprise générale, par le groupe Afrique soutenait les autorités burundaises dans leur opposition aux organisations internationales demandant la saisine de la CPI pour les graves atteintes aux droits de l’homme commises dans ce pays depuis 2015. Des accusations étayées par le <a href="http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/CoIBurundi/Pages/CoIBurundi.aspx">rapport d’une Commission d’enquête internationale indépendante</a>.</p>
<p>Le lendemain, une seconde résolution présentée par l’Union européenne prenait le contrepied de la première et entérinait la demande de poursuite de responsables burundais par la CPI. Marqués par de nombreuses abstentions, les deux votes opposés exprimaient l’<a href="http://www.iwacu-burundi.org/geneve-bataille-sur-fond-de-resolutions-interposees/">ambivalence des États membres du Conseil des droits de l’homme</a> sur le statut et les prérogatives de la justice pénale internationale.</p>
<p>Plus largement, ils illustraient l’opportunisme des alliances, l’inconsistance des médiations de paix régionales des organisations africaines et la fin probable du processus de dialogue interburundais, la confrontation frontale <a href="https://theconversation.com/burundi-rwanda-deux-pays-indissociables-et-rivaux-63916">entre le Burundi et le Rwanda</a> (le Rwanda et le Botswana furent les seuls pays africains à approuver la demande de poursuite des autorités burundaises défendue par l’Union européenne). Voilà donc la CPI face à un dossier qui cristallise les oppositions politiques et qui, quelle que soit la décision retenue, suscitera de vives contestations partisanes.</p>
<p>Mais cet épisode démontre aussi que même dans les pays soumis à l’autoritarisme le plus agressif, il existe toujours des pôles de résistance structurés dont la voix peut être entendue. L’une de leurs tâches prioritaires consiste à documenter les exactions. Leurs données serviront de preuves lorsque des poursuites pourront être engagées. La documentation des crimes demeure, aujourd’hui, le dernier pouvoir et l’ultime espoir des résistants. Même dans un lointain futur, ces éléments pourront avoir un rôle déterminant sur ceux qui s’imposent présidents à vie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84600/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Guichaoua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face aux aspirations au changement, les forces au pouvoir ont généralement fait preuve d’une grande capacité de résistance et d’adaptation. Partout elles l’ont emporté, sauf au Kenya à ce jour.André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/808602017-07-16T22:10:04Z2017-07-16T22:10:04ZJournée pour la justice internationale : le poids de l’utopie, le choc des réalités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/178108/original/file-20170713-12241-fokcg2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue sur le siège de la Cour pénale internationale de La Haye (Pays-Bas).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/96/International_Criminal_Court_building_%282016%29_in_The_Hague.png">OSeveno/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>D’utopie au XIX<sup>e</sup> siècle, la justice internationale célébrée en ce 17 juillet (en 1998, le statut de la Cour Pénale internationale était adopté ce jour-là à Rome) est devenue une réalité à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, d’abord avec les conflits de l’ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda ; puis en 2002, avec la mise en œuvre de la Cour pénale internationale (CPI). Mais ce passage de l’utopie à la réalité a été un choc, dont on commence seulement à prendre la mesure.</p>
<h2>Soif de justice</h2>
<p>La soif de justice des sociétés est inextinguible. De la <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">Syrie</a> à la République démocratique du Congo (RDC), en passant par des dizaines de conflits autour de la planète, les crimes de guerre forment une terrible et quasi-infinie litanie, à laquelle répond en écho le besoin de dignité et de reconnaissance de populations martyrisées.</p>
<p>Mais les tribunaux pénaux peuvent-ils répondre à ces demandes ? Comment peuvent-ils concilier la logique des rapports de force et l’équité que suppose la justice internationale, alors que ni les États-Unis, ni la Chine, ni la Russie n’ont ratifié les statuts de la Cour pénale internationale ? Comment la justice internationale peut-elle agir alors qu’elle dépend si étroitement des États pour bâtir les actes d’accusation et appréhender les inculpés ?</p>
<p>Comment ne pas reconnaître, aussi, que certains tribunaux pénaux ont été instrumentalisés à des fins politiques, sans réussir pour autant à les atteindre ? Pensons au <a href="https://www.stl-tsl.org/fr/">Tribunal spécial pour le Liban</a>, dont l’existence végétative se poursuit car nul État au Conseil de sécurité de l’ONU n’ose prendre la responsabilité de reconnaître son échec absolu.</p>
<h2>L’alibi Trump</h2>
<p>De toute évidence, la justice internationale n’est pas une île détachée des brutales réalités du monde. Ces dernières années, la montée en force des régimes autoritaires en Russie, en <a href="https://theconversation.com/bannis-de-nos-vies-les-intellectuels-pleurent-la-turquie-qui-fut-73864">Turquie</a> et ailleurs témoigne d’un environnement où les droits de l’Homme sont perçus comme un empêchement à la bonne marche des affaires.</p>
<p>La justice internationale subit aussi le contrecoup de l’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons, des inégalités qui se creusent à l’intérieur des sociétés du Nord comme du Sud et des frustrations et des colères qu’elles engendrent. La politique unilatéraliste du président Trump, marquée notamment par des coupes drastiques aux Nations unies et à l’aide à l’Afrique (exceptés les programmes anti-terroristes), compensées par sa foi naïve dans la force militaire, donnent un alibi supplémentaire à des gouvernements dictatoriaux pour affaiblir les droits de l’homme, dont la justice internationale est l’un des piliers.</p>
<p>Rappelons ce qu’observait déjà <a href="http://www.penseesdepascal.fr/Raisons/Raisons20-moderne.php">Pascal</a> au XVII<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. »</p>
</blockquote>
<h2>Impératif de justice, recherche de la paix</h2>
<p>Nous faut-il pour autant désespérer ? Étrangement, non. Les obstacles sont innombrables, mais ces vingt-cinq dernières années nous ont permis de prendre conscience de certains faits.</p>
<p>D’abord, la justice internationale est une réalité. Une réalité certes souvent niée, malmenée, voire même dans des cas extrêmes manipulée. Mais cette exigence de justice des sociétés demeure, même si, par exemple, en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer-78104">Centrafrique</a>, la nouvelle Cour pénale spéciale devra faire la preuve de son efficacité alors que le pays reste largement aux mains des groupes armés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cérémonie de signature de la paix entre le gouvernement de Colombie et la guérilla des FARC.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jefa_de_Estado_participa_en_ceremonia_de_la_Firma_de_la_Paz_entre_el_Gobierno_de_Colombia_y_las_FARC_E.P._(29659979080).jpg">Gouvernement du Chili/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><a href="https://theconversation.com/la-colombie-sur-le-sentier-perilleux-de-la-paix-66098">En Colombie</a> comme en Ouganda, de manière radicalement différente, le même défi existe comme dans bien d’autres lieux de conflit : comment articuler le mieux possible l’impératif de justice et celui de la recherche de la paix ? Les débats sur les contours des amnisties admissibles restent plus que jamais largement ouverts.</p>
<p>La justice internationale n’est pas une bureaucratie judiciaire installée dans une capitale assoupie d’Europe occidentale (La Haye, aux Pays-Bas). Elle reste une ligne d’horizon. Le temps de l’utopie est fini. Commence enfin celui des défis !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Hazan est conseiller éditorial de <a href="http://www.justiceinfo.net">www.justiceinfo.net</a>. </span></em></p>La soif de justice des sociétés est inextinguible. Mais les tribunaux pénaux peuvent-ils répondre à ces demandes ?Pierre Hazan, professeur associé, Université de NeuchâtelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.