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L'Effet Papayon, websérie d'Oasis diffusée en 2014.

Il était une pub en série : la websérie de marque

Des épisodes courts diffusés sur le web destinés à promouvoir une marque sans que cela ressemble à des spots publicitaires, voici la recette gagnante de la websérie de marque, un format séduisant pour les marques qui souhaitent se démarquer.

En France, de nombreuses marques comme la SNCF, Dim, Nescafé, La Banque postale, Bouygues Telecom ou encore Oasis ont tenté de cacher leur facette commerciale derrière un spectacle médiatique divertissant en plusieurs épisodes.

La saison 1 de l’Effet Papayon (Agence Marcel pour Oasis) composée de quatre web-épisodes (2014).

Ces formats courts diffusés sur YouTube, Dailymotion ou encore Vimeo proposent à leurs publics une expérience de marque dans la continuité du storytelling avec une immersion dans un récit partagé entre le fictionnel et le réel.

Cet univers bien particulier permet de servir la fonction première de la marque, commerciale, sous une forme médiatique divertissante, vue et partagée par de nombreux internautes sur les réseaux sociaux.

En 2014, Caroline Marti, chercheuse au Gripic à l’université Paris-Sorbonne, a décrit ce phénomène dans un ouvrage consacré aux tours et contours de la dépublicitarisation :

« Ce sont là des métamorphoses de la communication marchande, car ce non-publicitaire a vocation à promouvoir les marques et à faciliter les ventes. Plus les marques empruntent aux médias et à la culture, moins elles avouent leurs intentions marchandes, et plus elles étendent l’espace de la communication marchande. »

Nous aimerions résumer ici les principaux commandements pour faire d’une websérie de marque une websérie à part entière qui sera partagée par le public non pour son aspect publicitaire, mais pour son récit divertissant, pédagogique ou pratique.

Commandement n°1 : adopter un format sériel

Pour comprendre la websérie, il faut se pencher sur sa racine sérielle. Dans un article, Vladimir Lifschutz, chercheur spécialisé sur la temporalité des séries, définit la série comme l’ensemble des procédés fictionnels à épisodes incluant les processus de mise en série et de mise en feuilleton, ainsi que les hybridifications entre les deux genres (série et feuilleton).

En effet, ces dernières années, le genre fictionnel a évolué vers un modèle hybride, entre série (forme fictionnelle narrative dont chaque épisode possède sa propre unité spatio-temporelle et dont le(s) héros ou les thèmes sont récurrents d’un épisode à l’autre) et feuilleton (forme fictionnelle narrative dont l’unité spatio-temporelle est fragmentée en plusieurs épisodes d’égale longueur). La websérie constitue un genre fictionnel hybride en alternant également mise en série et mise en feuilleton.

Les coulisses de la fabrication de l’« Effet Papayon » (Agence Marcel pour Oasis).

C’est le cas de « L’Effet Papayon », la websérie co-créée par la marque Oasis et l’agence Marcel, dont chaque épisode possède sa propre unité spatio-temporelle avec la présence de petits fruits anthropomorphisés réguliers (c’est le propre du genre sériel), tout en développant de manière parallèle certains arcs narratifs comme la romance fruitée entre Ramon Tafraise et Frambourgeoise (cet élément transversal étant un des traits de la mise en feuilleton). Ajoutons à cela que « L’Effet Papayon » mêle 3D et prises de vues réelles au niveau de sa réalisation, renforçant davantage l’hybridité du genre websériel.

Le mariage de Ramon Tafraise et Frambourgeoise. YouTube

Dans « Comme le disent les gens », la websérie de La Banque postale, le genre sériel est d’autant plus prégnant que nous avons affaire à une véritable série de saynètes issues de la vie quotidienne, ciblant une clientèle précise par épisode : les économes, les propriétaires, les gens qui ouvrent un compte, les gens qui voudraient mettre de l’argent de côté, les gens qui ont des projets, les gens en couple, les dépensiers, les étudiants, etc.

« Comme le disent les jeunes » de La Banque postale (2019).

Commandement n°2 : un contenu non intéressé

La Banque postale a créé sa websérie autour de thématiques bancaires en mettant l’accent sur les services que la banque propose, avec un ton à la fois humoristique et pédagogique, ceci afin de conseiller ses clients et ainsi mieux se rapprocher d’eux. Morceaux choisis :

« Au niveau découvert, ça se passe comment ? Non, parce que je veux pas mentir, mais ça va être un peu ric rac quoi. »

« Au cinéma ? Mais non, je vais demander à une pote qu’elle me raconte. Ça ira plus vite ! »

« Vu le prix du carburant, moi, je dépasse pas 90… »

« Tu penseras à me ramener des échantillons de l’hôtel. »

Ces lignes de dialogue emploient un registre familier et font référence à des petites scènes du quotidien dont nous avons pu un jour être témoins ou acteurs. Dans son ouvrage consacré aux défis du brand content (2013), Thomas Jamet, directeur général du groupe IPG Mediabrands France, explique qu’il importe « de se rapprocher de ses cibles en les considérant comme un ensemble d’individus à qui raconter une histoire, qu’elle soit divertissante, éducative ou d’une quelconque autre nature ».

La websérie de Bouygues Telecom, centrée sur la famille Dumas, illustre elle la volonté des gestionnaires de marques d’aller plus loin que l’univers premier du produit en restituant ce dernier dans un sous-système culturel complet.

Les Dumas jouent aux jeux vidéo par Bouygues Telecom (2012).

Le directeur marque, J-M Stassart, confie dans une interview :

« Dans la pub TV, les Dumas ont servi d’illustration à un spot centré sur le produit. Et pour la websérie, c’était l’inverse. Le ton était aussi différent. La websérie avait un ton plus vrai, plus humoristique, plus distrayant, et moins centré sur le produit. »

En effet, la websérie « Les Dumas » emprunte bien les codes du genre sériel, avec un développement par épisode construit autour d’un thème spécifique et de personnages réguliers.

« Les Dumas en vacances » par Bouygues Telecom (2012).

Pour faire d’une websérie de marque une websérie à part entière, il faut donc non seulement respecter les codes du genre sériel, mais également « dépublicitariser » son contenu en laissant le produit ou service de la marque en arrière-plan pour que l’histoire puisse intéresser le public.

Pourtant, ce discours publicitaire, soi-disant masqué, n’en demeure pas moins un discours marchand dans la mesure où « le contenu doit rester au service de la marque ou du produit, et en traduire l’esprit et les valeurs : cela reste de la communication, avec pour objectif final d’augmenter les ventes, de générer de la notoriété, de la préférence de marque », comme l’explique Thomas Jamet dans son ouvrage consacré au brand content.

Nous retrouvons ainsi dans la websérie de l’opérateur mobile tous les outils et services propres à la marque : la Bbox Sensation, le forfait Eden, les conseillers experts Bouygues Telecom, etc.

Commandement n°3 : miser sur l’authenticité

La websérie « Really Friends », lancée par Nescafé (Publicis Conseil) en 2013 est devenue une référence en faisant le pari de transformer une expérience virtuelle en expérience vécue.

Dans celle-ci, Arnaud, un parfait inconnu, filmé par plusieurs petites caméras, va rencontrer chacun de ses contacts Facebook en vrai, arrivant chez eux à l’improviste pour boire un café. Le public peut s’identifier à ce jeune trentenaire. Ce dernier nous raconte comment il a vécu sa rencontre à travers un retour sur expérience à la fin de chaque webépisode. Le ton paraît juste, vrai, rendant le tout très intimiste.

Teaser de la websérie « Really Friends » par Nescafé (2013).

Très peu d’allusions sont faites au produit, et encore moins à la marque, en dehors de cette tasse rouge. L’unique moment où la marque se dévoile en tant que telle est la fin de l’épisode, lorsqu’un écran indique que « tout commence avec un Nescafé ». Comme pour les hommes politiques, le simple fait pour une marque déjà connue telle que Nescafé d’être diffusée dans le médiatique et, plus encore, sur Internet via une stratégie virale suffirait à en rappeler l’existence aux consommateurs.

En 2016, nous retrouvons Arnaud dans une nouvelle websérie de Nescafé (toujours signée Publicis Conseil), déclinée sur le modèle scénaristique de l’émission « Rendez-vous en terre inconnue » sur France 2 (où une célébrité est emmenée vers une destination lointaine), avec le même réalisateur, Pierre Stine. Cette fois-ci, il va rencontrer Rodolfo, un producteur de café collaborant depuis des années avec la marque.

Rencontres en terres de café par Nescafé (2016). Capture d'écran Youtube.

Cette nouvelle expérience de marque, baptisée « Welcome to the Coffee Lands », remet l’accent sur le produit en allant à la recherche des grains de café et marque un retour aux origines, faisant de l’authenticité le fil conducteur de ces deux webséries.

En conclusion, c’est en adoptant les codes du genre sériel, en créant un contenu intéressant pour le public et en misant sur l’authenticité que la websérie parviendra véritablement à se démarquer des autres contenus de marque.


Cette contribution s'appuie sur l'article de recherche intitulé « Publicité en série : lorsque la marque se raconte sur le Web », co-écrit avec Thomas Bihay, publié en 2015 dans la revue « Communication & langages ».

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