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Images de science : Voir le ciel moins noir, ou la renaissance de l’astronomie profonde

Champ autour du Quintette de Stephan. Duc/Cuillandre/CFHT

Le format « Images de science » vous propose de décrypter une photographie particulièrement signifiante d’un point de vue scientifique, de la décrire et d’en comprendre les enjeux.


Une image d’un pan du ciel, prise 4 200 mètres au-dessus du Pacifique, avec le Canada France-Hawaii-Telescope. Une image destinée au calendrier annuel de l’observatoire, mais qui a été l’objet d’une étude scientifique fructueuse. Une image qui illustre un mode d’observation en vogue : l’imagerie « profonde » au service de l’exploration des objets diffus de l’Univers, à la lumière étendue mais ténue. Un des objectifs majeurs de ce type d’imagerie : dépister les débris des rencontres galactiques passées et en cours, pour mieux comprendre la croissance des galaxies.

Une image dite « en vraies couleurs », certes avivées par l’astrophysicien afin d’y révéler des nuances de température et d’âge : le bleu des étoiles les plus chaudes et jeunes, le rouge des populations stellaires plus froides et vieilles, le marron des régions assombries par des nuages de poussière, là où naissent étoiles et planètes. Et ce noir, si important en astronomie : le noir des images du ciel qui signale l’absence de sources suffisamment brillantes pour être détectées, mais aussi l’énergie noire qui gouverne l’expansion de l’univers, la matière noire qui explique le mouvement des étoiles dans les galaxies ou les trous noirs dont la lumière ne peut s’échapper.

Un paradoxe lui est associé, celui de la nuit noire : selon lequel elle ne devrait pas exister puisque, dans un Univers quasi infini, de chaque direction d’observation devrait venir un rayon lumineux d’un astre plus ou moins lointain. Sauf que l’Univers a un âge fini (13,8 milliards d’années), et que le rayon lumineux n’a pas toujours le temps de nous parvenir.

Ce noir-là est étonnement peu présent dans notre image. Au sommet d’un volcan hawaïen épargné par la pollution lumineuse, grâce à des détecteurs ultra-sensibles, le noir s’estompe. Les progrès de l’imagerie dite profonde révèlent une lumière venue du cosmos ténue et diffuse, dite « de faible brillance de surface », difficilement discernable car confondue avec de nombreux artefacts et perdue dans le fond du ciel.

Les techniques modernes pour sonder le ciel profond

Depuis quelques années, des équipes un peu partout dans le monde développent de nouvelles techniques d’observation et de traitement de données, voire conçoivent de nouvelles générations d’instruments, pour mieux sonder ces sources ténues.

Cette image a été acquise avec la caméra MegaCam qui propose un grand champ de vue : un degré carré, soit 5 fois la surface de la Lune, c’est-à-dire un champ apte à cartographier la lumière diffuse de structures très étendues. L’existence de cette lumière était en fait déjà connue des astronomes du siècle dernier qui utilisaient comme détecteurs de grandes plaques photographiques. Mais avec l’avènement dans les années 1980 des caméras électroniques équipées de caméras CCD, les champs de vue ont soudainement été réduits, et la connaissance sur la lumière diffuse s’est estompée. Puis, dans les années 2000, les caméras CCD ont été regroupées en mosaïque, et les caméras ont retrouvé leur étendue d’antan : ainsi celle qui va équiper le télescope Vera Rubin en construction au Chili, et construite en partie en France, atteint 3,4 degrés de côté, offrant aux mesures qui y seront effectuées, le LSST (pour Legacy Survey of Space and Time), de larges perspectives.

L’imagerie astronomique permet d’explorer les astres à distance. Elle se bute à une difficulté majeure : les images du ciel sont projetées en 2D sur la voûte céleste et la lumière venue de sources distinctes, éloignées, peut se superposer le long d’une ligne de visée. C’est à l’astronome de soustraire les arrière-plans gênants et s’affranchir des avant-plans contaminants, tels ces halos fantômes qui englobent les étoiles proches sur l’image MegaCam, artefacts instrumentaux que des techniques délicates de déconvolution peuvent éliminer.

Étudier le milieu interstellaire de notre galaxie et les galaxies lointaines

Autres souillures : les nuages de gaz et poussière de notre propre Galaxie. Nombreux dans le disque de la Voie lactée, mais aussi présents dans son halo, ils diffusent la lumière et se présentent sur les images profondes comme des filaments étendus. On distingue quelques-unes de ces structures filamentaires, de couleur jaunâtre, sur la droite (à l’ouest) de notre image. On a appris à localiser ces cirrus, en consultant par exemple des cartes infrarouges, domaine du spectre lumineux où ils émettent l’essentiel de leur lumière. Les spécialistes du milieu interstellaire se réjouissent de leur présence, car ils peuvent les étudier à une résolution spatiale inégalée : la seconde d’arc plutôt que la minute typique des images infrarouges.

Mais les extragalacticiens sont à la peine et, ne sachant pas encore bien les soustraire, se contentent de les éviter.

Le quintette de Stephan : cinq galaxies en interaction. Jean‑Charles Cuillandre (CFHT/CEA Saclay), Giovanni Anselmi (Coelum), CC BY

Leur cible sur cette image : le « quintette de Stephan », un groupe compact de galaxies bien connu visible dans la partie inférieure (sud) de l’image, et localisé à 85 mégaparsecs, soit près de 300 millions d’années-lumière. On distingue donc 5 galaxies principales, mais l’une d’elles s’est avérée être à l’avant-plan et beaucoup plus proche de nous que ses compagnes (13 mégaparsecs). On le sait, car sa vitesse Doppler ne correspond pas à celles des autres membres du quintette, et aussi parce que l’on distingue dans la galaxie la plus proche des « grumaux », regroupement d’étoiles individuelles quasi résolues, qui ne seraient plus détectables en pratique à la distance du quintette.

Entre les galaxies du quartet donc, des structures diffuses – dites « queues de marée » et « halo étendu » – faites d’étoiles arrachées à leurs hôtes lors de rencontres galactiques en cours ou anciennes. Ces observations devraient permettre de conforter ou d’infirmer le scénario le plus communément proposé pour expliquer la croissance des galaxies, qui se base sur des collisions et fusions successives.

Cette image est ainsi une invitation à l’archéologie galactique, et l’œil attentif verra une autre excroissance à gauche (ouest) du groupe : un pont qui le relie à une cinquième petite galaxie. Un dernier enseignement de cette analyse d’image est ainsi que le groupe de Stephan est finalement bel et bien un quintette !

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