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Inondations : l’entretien des digues incombera bientôt aux communes

Intervention pour combler une brèche sur la digue d’un cours d’eau, près de Thivencelles (Nord-Pas-de-Calais). Pascal Rossignol/Pool/AFP

On a assisté ces dernières années à la multiplication de catastrophes causées par des ruptures de digues. À Aramon dans le Gard, le 9 septembre 2002, alors que la région subit de très graves inondations, la vieille digue qui était censée protéger la commune des eaux du Gardon, distant de plusieurs kilomètres, a cédé en milieu de soirée, engloutissant le village et tuant cinq personnes. Huit ans plus tard, lors de la tempête Xynthia, les 27 et 28 février 2010, des ruptures de digues maritimes ont ravagé la côte atlantique. Les submersions ont tué 47 personnes et causé près de 1,5 milliard d’euros de dégâts.

La Camargue en 1993 puis 1994, l’Aude en 1999 ou le Rhône en 2003 : d’autres événements ont mis en exergue les lacunes en matière de surveillance et d’entretien des digues et donc le danger – contraire à leur fonction initiale – que pouvaient constituer ces ouvrages. Cela a conduit les pouvoirs publics à renforcer depuis 2007 la réglementation liée aux endiguements de protection contre les inondations. Par ailleurs, un difficile travail de recensement systématique des ouvrages et des acteurs a été engagé.

Plus de 3 000 km de digues sans gestionnaire

Le chiffre de 9 000 km de digues protectrices contre les inondations est communément avancé en France. Parce qu’il n’est pas exactement connu, ce dernier fluctue selon les sources ; indice de profondes lacunes en matière de gestion. Pourtant, ces ouvrages protègent plusieurs millions de personnes et plusieurs centaines de milliers d’entreprises, des réseaux ainsi que des infrastructures publiques indispensables à la vie des territoires.

Certains de ces ouvrages appartiennent à l’État, d’autres à des collectivités ou des propriétaires privés. Mais pour près de 3 600 km de digues, il n’est pas sûr qu’un gestionnaire ou même un propriétaire existe. Même lorsqu’une structure gestionnaire est en place, elle peine à trouver des financements pérennes destinés à l’entretien d’ouvrages pourtant cruciaux à la sécurité des populations. Pour le législateur comme pour les acteurs de terrain, il devenait urgent de remédier à cette situation et de créer un mouvement général d’organisation, d’homogénéisation et de clarification des compétences publiques.

Les communes en première ligne

Le législateur s’est donc attaqué à cette difficile question en créant, en janvier 2014, une compétence en matière de protection contre les inondations au sein de la loi MAPTAM, l’une des lois de l’acte 3 de la décentralisation, qui a notamment vu l’émergence des grandes régions.

On appellera cette nouvelle compétence GEMAPI : Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. Il est apparu essentiel au législateur de rapprocher les acteurs de la préservation des milieux aquatiques (GEMA) de ceux de la prévention contre les inondations (PI) qui sont en réalité ceux de la protection , à savoir les gestionnaires d’ouvrages. Sont ainsi réunies au service de la gestion intégrée des cours d’eau, deux visions, aux principes souvent divergents, mais qui doivent coopérer parce que l’ingénierie hydraulique impacte le milieu, parce que la rivière est un cadre commun et parce que l’articulation entre les politiques publiques du monde de l’eau est à encourager.

Très concrètement, à partir du 1er janvier 2018, cette nouvelle compétence obligatoire sera affectée aux communes qui pourront la transférer à l’échelon intercommunal, à savoir les communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines ou les métropoles.

Les communes qui exerceront cette compétence pourront instituer une taxe facultative plafonnée à 40 euros par habitant et par an, dont le produit sera affecté aux missions GEMAPI. Dans le cas contraire, elles financeront ces missions sur leur budget propre. Dans tous les cas, c’est le contribuable qui sera dorénavant le financeur direct des travaux de protection qui intéressent sa propre commune.

Mais la réforme va plus loin que la clarification des compétences en incitant à structurer la gestion à l’échelle du cours d’eau et à mutualiser les moyens. Les communes (ou les intercommunalités) pourront transférer tout ou partie de cette compétence à des syndicats mixtes. Ces syndicats deviendront des EPAGE (Établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau) s’ils prennent la totalité des missions GEMAPI. Les EPAGE seront coordonnés par les EPTB (Établissement public territoriaux de bassin) qui préexistaient avant la réforme mais qui verront, du coup, leur rôle renforcé. C’est donc une gouvernance totalement décentralisée, commune à la gestion des milieux et à la gestion des inondations, qui naîtra de la réforme GEMAPI.

Quelles sont les compétences GEMAPI ?

Les missions GEMAPI sont définies par les 4 alinéas suivants du code de l’environnement (L.211-7) :

  • La défense contre les inondations et contre la mer. Il s’agit de la mission qui est au cœur de la réforme : l’entretien, la gestion et la surveillance des ouvrages existants de protection contre les crues et les submersions marines ainsi que l’implantation de nouveaux ouvrages. Les ouvrages de lutte contre l’érosion du littoral et les ouvrages de correction des torrents de montagne ne sont pas concernés.

  • L’aménagement d’un bassin ou d’une fraction de bassin hydrographique. Globalement, il s’agit des études et des travaux de restauration des champs naturels d’expansion des crues.

  • L’entretien et l’aménagement d’un cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau qui se traduit par l’entretien des berges, de la ripisylve (la végétation des bords de rivière) ou les opérations de curage ou de restauration morphologique du cours d’eau.

  • La protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines. Il s’agit des opérations de renaturation de cours d’eau ou de plans d’eau et de restauration de zones humides et de ripisylve.

Les implications de GEMAPI en matière de protection

La nouvelle compétence se donne pour ambition de réaliser un tri et une organisation des digues existantes. Une réflexion sur l’utilité et la dangerosité potentielle de chaque ouvrage devra être menée. Les ouvrages utiles et pertinents seront organisés en réseau (appelé « système d’endiguement ») défini pour protéger une zone délimitée (appelé « zone protégée »). Les autres ouvrages seront écartés du dispositif de protection et rendus inactifs pour alléger les coûts de réparation et d’entretien, sans que l’on connaisse exactement aujourd’hui leur devenir.

La responsabilité du maire sera renforcée mais elle sera également mieux encadrée : si les règles de conception et de gestion de l’ouvrage ont été respectées, la responsabilité de l’élu ne pourra pas être engagées en cas de rupture. De quoi rassurer ces derniers et encourager la mise en œuvre des dispositions GEMAPI.

Responsabilisation des élus locaux, charges fiscales supplémentaires, déchéances de compétences d’acteurs historiquement impliqués, liens avec la réglementation de l’urbanisme : cette réforme a déjà fait couler beaucoup d’encre et a connu de nombreux virages législatifs correctifs.

Mais le véritable défi réside dans l’articulation et la synergie des problématiques milieux et celles des digues, alors même que les très onéreux travaux de restauration et de confortement des ouvrages (globalement en mauvais état) vont capter le gros des financements et occuper, voir préoccuper, les collectivités concernées pendant de nombreuses années.

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