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Instagram, le réseau social de la mode et du luxe

Chanel est une des marques qui tire le mieux parti d'Instagram. Patrick Kovarik/AFP

Ce tour d’horizon des différentes stratégies Instagram développées par les marques de la mode et du luxe s’appuie sur les études de cas effectuées par les étudiants de la Chaire Mode & Technologie ESCP Europe-Lectra. Les données datent de décembre 2017.


Dans un contexte économique difficile, l’industrie de la mode, et même le secteur du luxe, pourtant longtemps réticents, se sont tournés vers le digital. L’image et la présence sur les réseaux sociaux jouent désormais un rôle clé dans leurs stratégies de communication. Le réseau social de partage de photos Instagram, en particulier, devient un média, voire un canal de vente incontournable. Mais toutes les marques semblent n’avoir pas encore acquis le même niveau de maîtrise de ce nouvel outil. Ou peut-être est-ce un choix délibéré ?

Pour mieux toucher les Millenials, miser sur l’intimité

Par sa nature, Instagram est bien adapté aux marques de mode, dont les dimensions visuelle et « communautaire » sont essentielles : l’achat est généralement lié à un sentiment d’appartenance au groupe, ou se fait par mimétisme par rapport à des stars… En outre, ce réseau social constitue un moyen hors pair de toucher les Millenials. En effet, en 2017, 90 % des utilisateurs d’Instagram avaient moins de 35 ans. Adeptes des réseaux sociaux, ceux-ci ont un rapport différent aux marques, privilégiant l’usage à la possession et se montrant plus sensibles au poids de l’image.

Autre caractéristique des Millenials : le goût de l’instantanéité. Jérôme Viala directeur général adjoint de Lectra, fournisseur de solutions technologiques pour la mode, l’automobile et l’ameublement, a étudié l’impact des Millennials sur ces marchés. Selon lui,

« Lorsque cette génération a envie d’acheter un produit ou un service, il faut que le passage à l’acte puisse être immédiat »

Ce qui est récemment devenu possible sur Instagram : le réseau social s’est en effet doté d’un bouton « Shopping » permettant l’achat en ligne. D’autres fonctionnalités ont aussi été développées au fil du temps afin de permettre aux marques de relayer leurs événements ou dévoiler leurs coulisses, et notamment les Stories inspirées du réseau social Snapchat, Instagram Live et, depuis le début de l’année, celle la plus attendue des community managers : la planification des publications.

Pour des marques comme Chanel, il est particulièrement important, en termes de marketing, de cibler ce public par le biais d’Instagram. Comme le soulignent nos étudiants dans leur rapport la stratégie Instagram de Chanel :

« L’intimité est le mot-clé de notre analyse, car Chanel est devenu leader dans la communication avec les Millennials […]. Le monde de Chanel s’ouvre au public, qu’il s’agisse de conversations décontractées en direct entre deux ambassadeurs de la marque, de photos d’une soirée de lancement ou d’images des coulisses de défilés. Cela n’exclut pas les photos de produits ou les extraits de campagnes officielles : tout est réuni pour transmettre la philosophie de la marque de la manière la plus directe, et c’est également très efficace pour moderniser son image marque et atteindre une cible jeune. »

Pas étonnant que Chanel (l’une des dernières marques à s’être mise à vendre en ligne, paradoxalement) ait sa propre équipe Instagram à Paris. La gestion marketing des évènements – les défilés mais aussi le festival de Cannes – a été mise en exergue dès 2016, ce qui a permis à Chanel d’être la marque de luxe qui a gagné le plus d’adeptes en 2017 (+9,6 millions). Elle est la plus suivie (25 millions d’abonnés) devant Louis Vuitton, Gucci et Dior.

Nos étudiantes ont également constaté qu’en fonction du style de la marque, sa stratégie peut varier :

« Chanel et Hermès en sont des exemples. Ils sont moins axés sur les produits, préférant se concentrer sur l’offre d’une expérience dans laquelle leurs adeptes peuvent s’immerger pour une collection particulière (Chanel) ou sur la mise en valeur de leur image de marque exclusive et de leur héritage (Hermès). »

Ce n’est pas toujours le cas : la stratégie Instagram de Prada est par exemple similaire à celle d’autres marques telles que Gucci ou Dior.

« Il s’agit d’une mise en avant à la fois d’histoires relatives à la marque, de produits des collections et de dialogues avec des célébrités. »

Dolce & Gabbana a fait défiler des influenceurs Instagram comme Cameron Dallas pour sa collection automne-hiver 2017-2018.

Des poids lourds du retail leaders sur Instagram

À l’exception de Chanel, les grandes marques de luxe sont cependant dépassées sur Instagram par d’autres marques du secteur de la mode. Il s’agit notamment de marques de sport telles que Nike et Adidas (surtout en agrégant leurs différents comptes), de certaines marques de lingerie telles que Victoria’s Secret, ou de prêt-à-porter comme H&M et Zara.

Le poids de ces marques dans le classement Interbrand des 100 marques les plus puissantes du monde de 2017 est, dans les grandes lignes, respecté sur Instagram. Et ce alors qu’Internet est généralement associé à un émiètement des marques… Ceci dit, il existe des exceptions : Chanel, par exemple, « boxe dans la catégorie supérieure » pour reprendre l’image de Luca Solca, responsable des produits de luxe chez Exane BNP Paribas. Notamment parce que la marque poste plus fréquemment que ses principaux concurrents, Hermès boxant au contraire dans la catégorie inférieure si l’on en croit son analyse de l’industrie du luxe.

Des poids plumes bien présents

D’autres marques plus confidentielles connaissent un grand succès sur Instagram, à l’image de Maje, qui a un taux d’engagement moyen de 0,61 % et dont la « technique unique d’affichage de contenus complémentaires trois par trois, créant un festin pour les yeux » a été citée comme source de croissance dans les benchmarks annuels de Dash Hudson. Comme l’ont constaté nos étudiants,

« Les images de campagne fonctionnent bien sur cette plate-forme et semblent susciter l’enthousiasme des consommateurs pour les prochaines sorties de produits. Les exclusivités de Maje sont d’un intérêt clé pour leurs “followers”, car le nom à lui seul les incite à passer à l’acte d’achat. »

Il en va de même pour certaines DNVB (digital native vertical brands), des marques nées en ligne qui « vendent et interagissent directement avec leurs clients sans passer par un réseau de distribution qu’elles ne maîtrisent pas ». Dollar Shave Club, Jimmy Fairly, Casper, Made.com et autres « se distinguent aussi par leur très habile manipulation des réseaux sociaux ».

Un groupe d’élèves a étudié Sézane, l’une de ces marques dont l’existence même dépend de leur présence sur les réseaux sociaux. Selon eux,

« Elle fait écho à un phénomène d’actualité : les marques émergent comme une réponse aux besoins des nouvelles vagues de consommateurs qui cherchent avant tout à se différencier par un dialogue à double sens avec la marque, par opposition aux générations précédentes, qui étaient davantage axées sur les fabricants. »

La fondatrice de Sézane, Morgane Sézalory, témoigne de ce dialogue :

« Je crois vraiment qu’un travail devient passionnant quand il donne beaucoup en contrepartie. Et cela vaut aussi pour mes clientes, avec qui j’entretiens un lien quotidien depuis douze ans. Ce dialogue reste passionnant, encourageant, et Instagram l’a amplifié. Cette proximité me permet de rester à leur écoute. »

Toutefois, malgré la « success story » de la marque Nasaseasons, du Parisien Alexandre Daillance (plus connu sous le nom de Millinsky), nous n’irons pas jusqu’à affirmer qu’Instagram a tué les boutiques. D’autant moins que sa stratégie digitale a permis à Sézane d’ouvrir un « corner » au Bon Marché, des « pop-up stores » en régions ainsi que deux « appartements » à Paris et New York.

Le paradoxe Amazon

La réussite sur les réseaux n’est donc pas une question de taille, ni l’apanage de pure players. Désormais numéro un sur le marché américain de l’habillement devant Macy’s, Amazon essaye aussi de s’inviter dans le monde de la mode. Déjà en 2007, son fondateur et PDG Jeff Bezos déclarait :

« Nous avons besoin d’apprendre à vendre des vêtements et de la nourriture. »

Avant de créer Amazon Fashion en 2012, d’ouvrir le plus grand studio photo d’Europe à Londres en 2015 et de breveter une usine automatisée de vêtements à la demande en 2017, le géant du e-commerce avait racheté ShopBop en 2006 puis Zappos en 2009. Grand magasin en ligne spécialisé dans la mode haut de gamme, ce dernier est exploité en complément de la partie du site Amazon dédiée aux vêtements et accessoires. Si la stratégie d’affichage a évolué au fil du temps, comme le souligne le groupe d’étudiants qui l’a analysée, elle constitue désormais

« […] un bon reflet de l’image de marque que ShopBop essaie de véhiculer : une marque chic et esthétique. Dans l’ensemble, le compte Instagram de ShopBop prend de l’ampleur, suivant une stratégie alignée sur l’image de marque qu’ils tentent de véhiculer. »

La stratégie sur Instagram d’Amazon Fashion, qui possède maintenant une dizaine de marques en propre, dont certaines méconnues, et une récemment lancée en Europe (Find), est d’autant plus surprenante. Selon nos étudiants,

« Après une observation attentive, il ne semble pas y avoir de stratégie claire des comptes Instagram d’Amazon Fashion. Les différences entre les différents comptes d’Amazon Fashion créent à notre avis beaucoup de confusion pour le consommateur »

La raison en est simple : bien qu’Amazon Fashion réalise l’importance des médias sociaux dans sa stratégie marketing, elle a lancé sa propre plate-forme (Amazon Spark), qui s’inspire d’Instagram. Or malgré son grand potentiel, avec « seulement » 80 millions d’utilisateurs (soit un neuvième d’Instagram), Amazon Spark ne peut s’y substituer. Préconisation de nos étudiants :

« Une stratégie plus réaliste pourrait être d’introduire l’expérience Amazon Spark en collaboration avec des plates-formes en ligne déjà reconnues comme Instagram, afin de lui permettre de pénétrer un marché de masse »

Les écueils ou interrogations d’Amazon – pourtant très présent, voire envahissant en ligne, notamment sur Facebook – montrent qu’Instagram ne change pas tout. Il y a toujours une difficulté à être sur les réseaux sociaux en tant que distributeur, car on ne peut pas trop pousser les marques en propre. La grande distribution dans son ensemble n’est d’ailleurs pas très forte à ce jeu. Avec des exceptions tout de même, comme Walmart

One size fits all ?

Selon une étude de Socialbakers

« Le succès d’Instagram repose sur une bonne planification du contenu. Si vous avez déjà une stratégie de création de contenu stable pour d’autres canaux, vous pouvez appliquer à Instagram les mêmes tactiques. »

Comparaison des stratégies de Nike et de Chanel sur Instagram. Author provided (no reuse)

Les étudiants qui ont choisi d’effectuer une comparaison (inhabituelle !) entre les marques Nike et Chanel ont d’ailleurs trouvé des points communs dans leurs stratégies :

« Aucune de ces marques ne relie directement le compte Instagram avec la boutique en ligne officielle. Dans les deux cas, le contenu est plutôt axé sur la présentation du monde de la marque et, en général, sur l’idée de beauté qu’elle véhicule. En outre, les deux comptes comprennent souvent des posts avec des célébrités et des ambassadeurs de la marque. »

Pas de recette miracle

Les stratégies mises en place par les marques sont diverses, comme l’ont constaté nos étudiants :

« Chanel utilise un seul compte pour communiquer avec le public, tandis que Dior, Nike et Adidas gèrent plusieurs comptes qui ciblent des communautés spécifiques. Sezane utilise des concours pour susciter l’engagement, Prada des courts métrages et East Dane les vacances de Noël pour augmenter les ventes. À chacun sa stratégie, l’important est d’être le premier dans l’esprit du consommateur. »

Avec plusieurs comptes Instagram qui s’adressent chacun à un groupe démographique spécifique et des Stories très engageantes, Dior n’a pas la même approche que Chanel. Ce qui ne l’a pas empêché d’être l’une des trois marques (avec Hermès et Louis Vuitton) qui a créé le plus de buzz en 2017 sur Instagram. Le succès de Dior prouve que l’on peut tirer un bénéfice d’une diversité de comptes de médias sociaux.

Il n’existe donc pas de règle d’or. Toutefois, malgré ces différences, un objectif commun demeure : la différenciation de l’offre.

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