tag:theconversation.com,2011:/institutions/universite-de-nimes-3005/articlesUniversité de Nîmes2021-10-11T19:08:17Ztag:theconversation.com,2011:article/1682852021-10-11T19:08:17Z2021-10-11T19:08:17ZRegards croisés sur les émotions au quotidien des enseignants-chercheurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422939/original/file-20210923-17-1bkie2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C7%2C1250%2C838&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le plaisir de la transmission, au coeur du métier.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/crop-unrecognizable-female-psychologist-and-patient-discussing-mental-problems-during-session-7176319/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
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<p>Aux yeux du grand public, « être enseignant-chercheur » c’est « être un prof à la fac ». En effet, l’exhaustivité de ce métier reste souvent méconnue. Être enseignant-chercheur, c’est démultiplier les missions, missions qui parfois se complètent, souvent se chevauchent, et à d’autres moments entrent en conflit. Cela peut générer des émotions complexes qui fluctuent dans le temps.</p>
<p>Dans cet article, nous vous proposons de croiser les expériences et le vécu de trois enseignants-chercheurs pour vous faire découvrir les multiples facettes de ce métier.</p>
<h2>Caroline Bernal : « Des expériences enrichissantes »</h2>
<p>Mes premières expériences marquantes dans la recherche n’étaient pas celles que je pensais avoir. Je me suis retrouvée très tôt en tant que jeune doctorante auprès des enfants, de leurs parents, des enseignants mais aussi des directeurs d’école afin de les sensibiliser à la pratique d’activité physique.</p>
<p>C’est la pluralité de mes démarches de recherche que j’apprécie : rencontrer les populations, les interroger, mesurer leurs progrès, et puis ensuite formaliser, écrire et partager ces histoires humaines à travers la rédaction d’articles scientifiques et de communications dans des congrès.</p>
<p>Aujourd’hui, seulement un an après la fin de ma thèse, je viens d’obtenir un poste d’enseignant-chercheur à l’Université de Nîmes, en filière Staps. Je suis également membre de l’Unité Propre de Recherche (UPR) APSY-V. J’ai un sentiment étrange d’être à la fois jeune, naïve, mais aussi d’avoir grandi en peu de temps.</p>
<p>Mes spécialités de recherche et d’enseignement sont la psychologie du développement (l’enfance et l’adolescence) et la promotion des comportements de santé. Ils font partie de mon mode de vie et sont mes arts d’expression, cela dépasse ma simple carrière.</p>
<p>Je vois le métier d’enseignant-chercheur comme une transversalité, un art de jongler. Le lien entre recherche et enseignement est très clair, mais, il est moins clair avec tout ce qui touche à l’administratif. À vrai dire, débutante dans le métier, je n’ai pas encore été clairement confrontée à cet aspect comme le sont mes collègues avec qui je co-écris cet article.</p>
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<span class="caption">Chercheur, un métier à la rencontre des populations.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/es-es/foto/oficina-sin-rostro-dentro-trabajo-7176036/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ce que je souhaite à présent, c’est de continuer à vivre des expériences de recherche enrichissantes, comme celles déjà effectuées et qui m’ont marquée à tout jamais. Je souhaite aussi donner le meilleur aux étudiants, qu’ils se souviennent de moi plus tard, de mes enseignements et qu’ils soient les plus épanouis possibles. Je sais que je suis idéaliste, mais je crois que j’aime cet idéalisme.</p>
<p>Parfois, il est utile de se sentir dans un conte de fées où tout va bien, même si la confrontation avec la réalité peut parfois être dure. J’ai la chance d’être à l’université de Nîmes et dans l’UPR APSY-V. Je m’y sens bien, avec des gens qui me comprennent et qui partagent mes expériences. Je pense que le secret est là : être bien entouré, être en accord avec soi-même et ses valeurs, et valoriser l’entraide.</p>
<h2>Aurélie Goncalves : « Terrifiée et exaltée par le challenge »</h2>
<p>En poste depuis 2017, mon parcours de chercheur, puis d’enseignant-chercheur, a été jalonné d’un panel d’émotions important. J’évoque initialement un parcours de chercheur car ma thèse était au sein d’un laboratoire INRA-Inserm-Université en nutrition, sur le versant biologie/biochimie. J’étais à l’époque l’image que l’on a du chercheur qui est enfermé dans un laboratoire avec une pipette, des boites de pétri pour la culture de cellules, et qui est entouré de grosses machines d’analyse.</p>
<p>Ce n’est qu’après ma thèse, que j’ai découvert l’enseignement en assurant un poste d’attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER). À mon grand étonnement, cette année fut une révélation personnelle et professionnelle. Mon parcours démontre donc que choisir une branche ou un métier à 18 ans n’est pas un exercice aisé, puisqu’il m’aura fallu 9 ans de plus.</p>
<p>Dès mon recrutement à l’Université de Nîmes, j’ai eu en charge de créer la formation Staps. J’étais à la fois terrifiée de ne pas réussir à relever ce challenge, mais aussi exaltée de pouvoir tout construire. J’ai donc très tôt découvert les multiples charges administratives associées au métier d’enseignant-chercheur, qui à mon sens génèrent beaucoup de frustrations et de contrariétés, certes nécessaires, au quotidien.</p>
<p>Arrivée à Nîmes, j’ai complètement dû revoir mes thématiques de recherche afin de m’adapter à mon environnement et à mes collègues. J’ai abandonné mon expertise en sciences de la vie pour m’acclimater aux sciences humaines et sociales. Devoir tout recommencer a eu pour conséquence une réduction drastique de mes publications, ce que l’on peut appeler dans notre métier un « trou de publication », mais cela en valait la peine.</p>
<p>Cela a été l’occasion d’œuvrer pour créer un nouveau laboratoire de recherche portant sur les vulnérabilités et mobilisant les compétences des chercheurs en psychologie et en Staps. Quelle joie à présent de porter des projets de recherche communs, de s’enrichir de l’expertise de mes collègues qui travaillent avec passion.</p>
<p>Surtout, même si en fonction des périodes de l’année ce métier est un véritable ascenseur émotionnel, il n’y a pas plus grande satisfaction qu’un·e étudiant·e vous remerciant pour l’avoir accompagné·e durant quelques années de sa vie.</p>
<h2>Élodie Charbonnier : « Une ambivalence émotionnelle »</h2>
<p>En poste à l’Université de Nîmes depuis 2014, ces années d’exercice ont été génératrices d’émotions souvent intenses, parfois agréables, et parfois un peu moins.</p>
<p>Mes premières heures d’enseignements ont été source d’inquiétudes, notamment concernant ma légitimité à assurer cette fonction en raison de mon âge. Se confronter à 500 personnes qui vous fixent dans un amphithéâtre pendant trois heures est une expérience étrange, mêlant le plaisir de peut-être créer de nouvelles vocations et la peur de ne pas bien transmettre, de ne pas intéresser, de ne pas bien former. Les années faisant, les inquiétudes se sont estompées, mais le plaisir est resté.</p>
<p>Mes activités de recherche me confrontent elles aussi à un vécu émotionnel parfois complexe. Quelle joie de voir un article accepté et publié dans une revue scientifique, quelle frustration d’en voir un refusé. En outre, les faibles contraintes qui nous sont imposées pour la recherche nous offrent une extrême liberté, mais peuvent aussi conduire à certains glissements vers d’autres tâches plus urgentes (demande d’étudiants, problèmes d’emplois du temps, etc.). Cependant, au sein de mon unité de recherche, nous prônons la collaboration et l’entraide. Ainsi, en mettant bout à bout nos petits temps de recherche nous arrivons à faire de grandes choses, ce qui est source d’une grande satisfaction pour moi.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422944/original/file-20210923-27-3mcson.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422944/original/file-20210923-27-3mcson.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422944/original/file-20210923-27-3mcson.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422944/original/file-20210923-27-3mcson.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422944/original/file-20210923-27-3mcson.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422944/original/file-20210923-27-3mcson.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422944/original/file-20210923-27-3mcson.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Enseigner en amphithéâtre peut être particulièrement impressionnant pour un jeune professeur.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/es-es/foto/ligero-moda-persona-mujer-1181398/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Enfin, la dernière mission qui incombe aux enseignants-chercheurs, et qui n’était pas réellement quelque chose que je souhaitais, ni d’ailleurs pour laquelle j’ai été formée, ce sont les charges et responsabilités administratives. En première intention, j’ai assuré cette mission par contrainte car elle m’éloignait des fondamentaux de mon métier que sont l’enseignement et la recherche. Mais au fil du temps, ces responsabilités ont aussi été source de fierté car grâce à elles j’ai pu participer au développement de mon établissement en portant une liste aux élections professionnelles, m’engager pour promouvoir l’accompagnement des étudiants en assurant le rôle de référente discrimination, ou encore m’investir pour permettre de bonnes conditions nécessaires au développement de nos recherches en créant et en prenant la direction de l’UPR APSY-V.</p>
<p>Pour conclure, je pense qu’être un enseignant-chercheur c’est finalement être un couteau suisse et avoir la capacité à accepter l’ambivalence émotionnelle induite par ce métier.</p>
<h2>Transmettre la passion</h2>
<p>Comme vous avez pu le constater au travers de ces témoignages, être enseignant-chercheur est avant tout un métier de transmission. Transmission des savoirs, mais avant toute transmission d’une passion qui nous anime. Il ne s’agit pas d’un métier mais plutôt d’un entremêlement de plusieurs métiers qui fait fluctuer nos émotions au gré de nos missions. Nous espérons à travers ces témoignages vous avoir permis de découvrir les êtres et les sensibilités qui se cachent derrière ce métier.</p>
<p>Vous percevrez peut-être d’un œil neuf votre enseignant de biologie passionné mais que vous trouviez étrange, celui en psychologie qui n’arrivait pas à prendre le temps de répondre à tous les mails. Peut-être que vous trouverez dans ces témoignages un certain réconfort en tant que jeune enseignant-chercheur dépassé. Peut-être que vous y trouverez une vocation que vous n’osiez pas (vous) avouer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168285/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Joie, peur, frustrations… Trois enseignants-chercheurs de l’Université de Nîmes témoignent des émotions suscitées par les épreuves et les succès de leurs carrières.Caroline Bernal, Maitre de Conférences en Staps, Université de NîmesAurélie Goncalves, Maîtresse de conférences en Staps, Université de NîmesÉlodie Charbonnier, Maitre de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Université de NîmesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/807032017-07-10T19:00:00Z2017-07-10T19:00:00ZL’enlèvement du bébé Lindbergh ou l’invention de la presse mondialisée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/177621/original/file-20170710-5989-frn9j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lindbergh vient de témoigner auprès du _grand jury_ du Bronx, racontant la demande de rançon de 50 000 dollars qui lui a été faite (1934 ou 1935).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2c/Lindbergh_after_grand_jury.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Des bandits enlèvent le fils de Lindbergh »</p>
</blockquote>
<p>Ce titre fait la une de <em>L’Écho de Paris</em> le 3 mars 1932 et, avec de menues variations, celle de tous les journaux de la presse française, belge ou québécoise. L’annonce-choc est accompagnée d’une photographie unique de Charles Lindbergh Junior, dans ses langes de nouveau-né, image d’archive ressortie en hâte alors que l’enfant a vingt mois lorsqu’il est kidnappé.</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-echo-de-paris/03-mars-1932/120/677621/1?fit=690.1111.335.854" frameborder="0"></iframe>
<p>L’enlèvement du bébé Lindbergh (le 1<sup>er</sup> mars 1932) fait partie de cette série de faits divers exceptionnels, qui a passionné la presse et le cinéma d’actualité dans un premier temps, puis inspiré des écrivains, des enquêteurs indépendants, et toute une littérature qui ne se satisfait pas de la vérité judiciaire, ou qui revient régulièrement sur l’un ou l’autre aspect négligé de l’événement. Dès 1932, Hergé utilise le fait divers pour <em>Tintin en Amérique</em>, qu’il dessine sans plan préconçu dans <em>Le Petit Vingtième</em>, en 1935, l’affaire nourrit le délire surréaliste de Dali et de Gala pour un bal onirique new-yorkais, plus près de nous, elle offre à Philip Roth un de ses meilleurs sujets de roman avec <em>Le Complot contre l’Amérique</em> (2004)…</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-echo-de-paris/14-mai-1932/120/582971/1?fit=713.422.655.1234" frameborder="0"></iframe>
<p>Ce que la presse a appelé « the greatest human interest story of the decade » est lié à un terreau particulièrement riche : une personnalité mondialement connue, dotée du prestige de la séduction physique et d’un métier aventureux, le kidnapping d’un enfant en bas âge auquel tous les parents ne peuvent qu’être sensibles, un procès filmé en direct (ce qui était une première), un assassin condamné à mort sans jamais avoir avoué son crime. Mais surtout, un véritable déluge d’informations non vérifiées, de rumeurs, une foule de correspondants et d’envoyés si spéciaux qu’ils n’existaient pas nécessairement, et une certaine image de l’Amérique brutalement projetée sur l’écran déformant de la grande presse européenne. Tout ceci pendant quatre longues années, de la mort de l’enfant en 1932 au procès de 1936, pendant lesquelles les faits, qui se résument en quelques lignes, ont occupé les médias presque sans interruption.</p>
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<p>La distance chronologique qui nous sépare de cette affaire nous permet de prendre conscience des enjeux socio-historiques, mais également formels et rhétoriques, de l’emballement médiatique. Contrairement à ce pensent de nombreux acteurs actuels du monde des médias, il n’a en effet pas fallu attendre Twitter ou Facebook pour voir se manifester une information sans contrôle ni raison. Mais, s’agissant de journalistes aguerris, les phénomènes de viralité et de concurrence rhétorique de l’époque nous forcent à les considérer non comme des dérapages regrettables, mais comme une des réalités constitutives du système médiatique qui se met en place dans les années trente, et dont nous ne sommes pas sortis.</p>
<h2>Comment gérer de l’information en continu ?</h2>
<p>Les médias ont horreur du silence. Tributaires des agences de presse et des journaux américains, où tabloïds et journaux « sérieux » se livrent une guerre féroce, les journaux francophones tentent de gérer le flot continu des informations qui leur parviennent, voire de transformer une absence d’information en fait nouveau. </p>
<p>Une photographie extraordinaire, diffusée le 5 mars 1932 dans le monde entier, résume parfaitement ce paradoxe. Elle représente des photographes et des journalistes auxquels s’adresse un des leurs qui leur demande de quitter les lieux pour respecter le souhait du colonel Lindbergh. Cette image livre véritablement le degré zéro d’une information journalistique puisque, n’ayant rien à montrer et rien à dire, la presse se borne à montrer ses propres représentants réduits à faire l’événement par leur présence sur des lieux où ils sont indésirables. À de nombreuses reprises, notamment au moment du procès, de telles figurations d’un journalisme en déshérence d’information feront encore la une de bien des quotidiens.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/177519/original/file-20170710-29699-1k204wi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/177519/original/file-20170710-29699-1k204wi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/177519/original/file-20170710-29699-1k204wi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/177519/original/file-20170710-29699-1k204wi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/177519/original/file-20170710-29699-1k204wi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/177519/original/file-20170710-29699-1k204wi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/177519/original/file-20170710-29699-1k204wi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Photo extraite d’un article de <em>Editor and Publisher</em>, le 5 mars 1932.</span>
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<p>Le discours médiatique est dès lors marqué tant par l’usage systématique des modalisateurs (« d’après certaines sources », « il semblerait que… ») que par celui des assertions contradictoires (« contrairement à ce que nous écrivions hier… »). Toute une rhétorique s’installe, qui reflète les tensions entre un savoir incertain et une publication qui ne peut être différée.</p>
<p>Malgré ces stratégies d’écriture, dans le temps des recherches de l’enfant disparu (entre le 1<sup>er</sup> mars et le 12 mai 1932) le mystère demeure et, surtout, il dure. Il dure trop, et finit par agacer. Au bout de quelques semaines, un sentiment de lassitude commence à s’exprimer, non seulement face au piétinement de l’enquête mais encore face à l’accumulation de messages qui ne produisent pas de sens ni de récit. Dans <em>L’Intransigeant</em>, par exemple, on se met à écrire qu’« on ne sait toujours rien » le 12 mars, et on commence à compter les jours à partir du 16 mars : « Depuis 13 jours, le fils de Lindbergh a disparu ». En conséquence, à partir du 25 avril, un journaliste unique, Pierre Causse, prend en charge le traitement de l’affaire à travers des articles plus longs et rédigés qui côtoient les nouvelles de dernière heure sur une même page. Sa première intervention, en une, porte ce titre significatif de la lassitude générale : « Où est le fils Lindbergh ? Enlevé depuis 53 jours… Chaque jour ajoute un chapitre au tragique roman ». Toutes les clés sont livrées par ce titre : puisque le mystère dure trop et que le trop-plein d’informations quotidiennes ne fait qu’ajouter à l’énigme, il faut l’inscrire dans des modèles littéraires et des formes de récit connues : ici, le roman policier et la tragédie. Ce nouveau régime d’écriture, que nous nommons <em>littérarisation</em>, se présente explicitement comme une compensation des défauts de l’information en continu.</p>
<h2>Reconfigurations morales et politiques</h2>
<p>Le procès du kidnappeur offre d’autres possibilités, que la presse traitera avec délectation. Elle fait les portraits des protagonistes, en instillant divers récits parallèles censés entretenir l’intérêt des lecteurs. Quelque chose de l’ordre de la médaille à deux faces s’impose aux commentateurs. Ceux-ci hasardent même un renversement dans la dénomination : l’« affaire Lindbergh » devient l’« affaire Hauptmann », dans <em>Détective</em> (6 avril 1935), un basculement qui contribue à placer en vis-à-vis les deux personnages. Cette scène judiciaire n’évacue pas, au contraire, la figure de Lindbergh ; elle permet au parallélisme victime/accusé de surgir avec force. Le nom de Lindbergh ne tarde d’ailleurs pas à réapparaître : après avoir titré « Le procès Hauptmann », Paris-Soir tâtonne et tente le surtitre « Le Procès Hauptmann-Lindbergh » (9 janvier 1935).</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/l-intransigeant/09-janvier-1935/44/942807/5?fit=48.172.797.782" frameborder="0"></iframe>
<p>La symétrie est porteuse d’implications politiques. Les deux hommes sont revêtus de mystiques nationales contrastées, selon l’expression de Raymond Lange dans <em>L’Intransigeant</em>, qui parle d’une « mystique lindberghienne », le 6 janvier 1935, pour désigner l’aura de l’aviateur et sa faculté de susciter une émotion collective quasi religieuse. Face à l’Américain, Hauptmann symbolise une autre mystique, germanique, selon une logique qui superpose à l’axiologie victime/criminel une seconde axiologie, nationale et tout autant manichéenne. </p>
<p>Dans cette perspective, les origines allemandes de Hauptmann et son immigration illégale aux États-Unis (en 1923) sont rappelées par des désignations comme « cet Allemand émigré » (<em>Le Matin</em>, 20 février 1935). La nationalité est brandie comme une preuve dans le processus judiciaire. L’accent allemand de l’accusé, que <em>Le Petit Journal</em> « reproduit » dans l’orthographe d’un titre, correspondrait à celui de l’intermédiaire de 1932 : « “HEY DOKTOR”/À ce cri Lindbergh reconnaît en Hauptmann son interlocuteur d’une nuit dans un cimetière » (4 janvier 1935)…</p>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/le-petit-journal/05-janvier-1935/100/417099/1?fit=1809.1690.611.1554" frameborder="0"></iframe>
<h2>Dire le réel ?</h2>
<p>Un fait divers médiatique, comme celui de l’enlèvement du fils Lindbergh, est un puissant révélateur des mœurs journalistiques. Il pose des questions qui ne sont pas seulement celles de la fiabilité des sources ou de la factualité des événements, questions habituelles des écoles de journalisme, mais aussi celles de la gestion de l’absence d’événements, de la fabrication de récits parallèles, voire de la production de mensonges et d’inventions fantaisistes. Les mots du journal sont souvent coupés du réel qu’ils ont pour fonction de rendre présent au lecteur, ils forment une sorte de bulle autonome, plus ou moins cohérente selon les relations internes qu’ils entretiennent – à l’intérieur du journal et d’un journal à l’autre.</p>
<p>Ce fonctionnement est celui du roman : le monde imaginé tient, indépendamment du monde réel, dans la mesure où les mots proposent un système cohérent de représentation. Mais la fiction repose sur un pacte de lecture spécifique, résumé par la fameuse formule de Coleridge : la suspension consentie de l’incrédulité. Proposer un tel contrat de lecture dans l’espace du journal, sans pour autant, d’ailleurs, l’expliciter, est éminemment problématique, cela va de soi. Il se peut bien pourtant, que, tacitement, producteurs et consommateurs d’informations mondialisées s’entendent pour considérer que le fonctionnement du texte médiatique soit analogue à celui de la fiction. </p>
<p>Cela peut sembler embêtant, inévitable ou peu grave : c’est affaire de jugement moral, de confiance dans les pouvoirs du langage et dans les vertus de l’information. Plus fondamentalement encore : peut-il en être autrement ? La question est simple, mais elle est importante : pourrait-on parler autrement de l’affaire Lindbergh que ne le font les <a href="http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/dans-le-retro-il-y-a-30-ans-l-incroyable-affaire-du-bebe-de-lindbergh-22-10-2015-5209811.php">journaux</a> ? Les formes données à ce fait divers n’ont-elles quelque chose de nécessaire et fatal et, les conclusions que nous en tirons sur les dynamiques déréalisantes de l’information mondialisée ne sont-elles inscrites dans les limites mêmes des systèmes d’information ?</p>
<hr>
<p><em>Paul Aron et Yoan Verilhac sont les auteurs de « Faire sensation : de l’enlèvement du bébé Lindbergh au barnum médiatique » sous le pseudonyme de Roy Pinker, paru aux éditions Agone-Contre-feux. Roy Pinker est le nom de l’envoyé spécial que l’hebdomadaire Détective avait inventé dans les années 1930 pour couvrir l’affaire Lindbergh.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Il n’a pas fallu attendre Twitter ou Facebook pour voir se manifester une information sans contrôle ni raison.Yoan Verilhac, Maître de conférences en langues et littérature française, Université de NîmesPaul Aron, Enseignant-chercheur en littérature belge et française, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/742912017-03-12T20:25:48Z2017-03-12T20:25:48Z« Détective », fabrique de crimes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/160380/original/image-20170311-19266-sncfi7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une double page du magazine Détective du 13 décembre 1934.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre_Bonny_-_D%C3%A9tective_-_13_d%C3%A9cembre_1934_(1).jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>La Bilipo (Bibliothèque des littératures policières) s’encanaille pour le plus grand plaisir de ses aficionados en proposant <a href="http://quefaire.paris.fr/9423/exposition-detective-fabrique-de-crimes">dans ses vitrines</a> les larges pages sépia du « plus grand hebdomadaire des faits divers » des années 1930, <a href="https://www.Facebook.com/D%C3%A9tective-fabrique-de-crimes-1561339274174151/"><em>Détective</em></a>. Sexe, drogue et crimes en tous genres à la une, mais aussi (et surtout ?) de grands reportages sur le bagne ou sur la prostitution et des signatures d’écrivains de renom comme Joseph Kessel, Pierre Mac Orlan ou Francis Carco, sous l’égide de l’éditeur le plus légitime de l’époque, Gaston Gallimard : l’exposition retrace l’énigme <em>Détective</em>…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160381/original/image-20170311-19259-1l8d6ic.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les sœurs Papin, en 1933.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BilLPo</span></span>
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<h2>Le fait divers à l’honneur</h2>
<p>Il est bien question ici du lointain ancêtre du <em>Nouveau Détective</em> qui a troqué la tonalité sépia contre une maquette jaune, noire, rouge plus accrocheuse. En 1928, il n’existe pas encore d’hebdomadaires illustrés consacrés au fait divers et c’est paradoxalement à l’éditeur des écrivains les plus exigeants de l’époque (Saint John Perse, Paul Morand, André Gide) qu’on en doit l’initiative.</p>
<p>Gaston Gallimard, cherchant à diversifier ses publications pour rentabiliser son entreprise, s’inspire de la rubrique « Faits divers » <a href="http://www.fabula.org/colloques/document1746.php">lancée par Gide</a> en 1926 dans la <em>Nouvelle Revue française</em> (NRF) et rachète à un détective privé une petite feuille professionnelle s’appelant <em>Le Détective</em>. Il en confie la direction à l’un de ses proches, Georges Kessel, qui grâce au réseau professionnel de son frère, Joseph, s’entoure d’une équipe de reporters chevronnés : <em>Détective</em>, sous-titré « le plus grand hebdomadaire des faits divers », est né. Son premier numéro sort le 28 octobre 1928. Le succès est immédiat et l’hebdomadaire tire rapidement à plus de 250 000 exemplaires.</p>
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<h2>Un succès controversé</h2>
<p>Si <em>Détective</em> est lu et apprécié par ses lecteurs, qu’on aurait tort de cantonner aux seules classes populaires, il est la cible des critiques les plus virulentes, depuis les représentants de la droite jusqu’à ceux de la gauche extrême. Pour les premiers, il exercerait une influence néfaste sur les publics les plus fragiles (comprendre les femmes et les jeunes gens) ; pour les seconds, il serait l’instrument d’un état de plus en plus autoritaire, préparant une « génération de petits salops ».</p>
<p><em>Détective</em> se défend bien de pousser au crime : au contraire, il affirme chercher à en dissuader les lecteurs. Peut-on alors parler de dérive sécuritaire ? Seulement dans une certaine mesure. Des signatures tiennent un discours extrêmement dur sur les délinquants, les étrangers ou encore les homosexuels, tendance qui s’accentue à la fin des années trente. Mais ceci ne constitue en rien la ligne éditoriale du journal, qui politiquement reste très mixte, avec par exemple de nombreux articles appelant à la fermeture des bagnes ou à la suppression de la peine de mort.</p>
<h2>La recette <em>Détective</em></h2>
<p>Outre les grands jeux-concours qui fidélisent le lectorat, trois ingrédients essentiels font le succès de <em>Détective</em> : la photographie, l’enquête, et la fiction.</p>
<p>La principale innovation de <em>Détective</em> est l’alliance de la photographie et du fait divers. Pour la première fois des photos de cadavres, d’assassins, mais aussi de villes lointaines comme Chicago ou Buenos Aires, capitale du crime ou plaque tournante de la prostitution internationale, accompagnent les récits journalistiques. On trouve dans <em>Détective</em> de magnifiques doubles pages de photomontages ou encore des clichés qui racontent la progression d’une affaire, à la manière du roman-photo d’après-guerre. L’hebdomadaire participe largement du renouvellement graphique des maquettes des journaux durant les années trente, avec une large place accordée à l’image et une mise en page dynamique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=780&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=780&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=780&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=980&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=980&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160383/original/image-20170311-19234-1iwf5uw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=980&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Il Mio Sogno », le tout premier roman-photo, né en Italie.</span>
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<p>Le second ingrédient n’est pas propre à <em>Détective</em> : la forme de l’enquête pour déchiffrer le monde est dominante depuis la fin du XIXᵉ siècle. Les années 1920 marquent l’apogée des grands reportages dont Albert Londres est la figure tutélaire. Les journalistes de <em>Détective</em> marchent sur les traces de celui-ci : Marius Larique, Paul Bringuier ou encore Henri Danjou sont des têtes brûlées et des baroudeurs qui fréquentent les milieux de la pègre ou partent à l’aventure dans des contrées lointaines pour mener l’enquête et révéler la vérité aux lecteurs. Tout dans <em>Détective</em>, du crime au sujet de société, prend la forme d’un mystère à résoudre. Comme dans un roman policier…</p>
<p>Des romans ou des nouvelles criminels, on en trouve dans <em>Détective</em>, avec notamment dans les premiers numéros « Paris, la nuit » signé Joseph Kessel et illustré par <a href="http://www.jeudepaume.org/?page=article&idArt=2208">Germaine Krull</a>. Mais ce qui plaît surtout aux lecteurs et fait la saveur des articles de <em>Détective</em>, ce sont ses reportages et faits divers romancés : les faits ne sont pas inventés, une enquête de terrain est menée, mais des techniques et des codes sont empruntés aux fictions à la mode : le roman policier, sentimental, ou le film de gangster américain. Très vite <em>Détective</em> arrête de publier des romans pour se consacrer, selon un terme d’époque, au « romancement du réel ». Peut-on pour autant parler de « bidonnage » de l’information ? À une époque où la presse est éclaboussée par de nombreux scandales, on peut dire que l’usage de cette « infofiction » par l’hebdomadaire ne tranche pas vraiment avec les pratiques courantes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160382/original/image-20170311-19242-zn6hji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un titre innovant qui rencontra un grand succès.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BiLiPo</span></span>
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<h2>Au cœur d’une époque mouvementée</h2>
<p>On ne peut parler de <em>Détective</em> sans évoquer les années qui l’ont vu naître. L’évolution de l’hebdomadaire en offre un reflet révélateur : après les premières années fastes (1928-1933), où le journal propose de grands reportages et des unes sensationnelles sur de grandes affaires criminelles (Violette Nozière la parricide ou les sœurs Papin, qu’il surnomme en une « les brebis enragées »), les préoccupations des lecteurs se tournent vers les scandales politico-financiers qui entachent la France : <em>Détective</em> s’empare alors de ces sujets, et mène notamment de longues enquêtes dans l’<a href="http://www.lepoint.fr/histoire/evenements/stavisky-se-suicide-d-une-balle-tiree-a-3-metres-06-02-2014-1788723_1616.php">affaire Stavisky</a> puis <a href="https://criminocorpus.hypotheses.org/16774">Prince</a> (1934-35). Des reporters partent aussi couvrir la guerre d’Espagne (1936) et le magazine surveille d’un œil inquiet la montée du nazisme en Allemagne. Malgré tout, les ventes diminuent.</p>
<p>Pour enrayer la crise, le journal licencie une bonne partie de son équipe et se tourne vers des enquêtes sociales, moins onéreuses, ou vers des sujets paranormaux. Cette fuite du réel s’accompagne du retour des romans-feuilletons et des nouvelles policières dans l’hebdomadaire. Des photographies de femmes dénudées ornent également davantage les pages du journal… La correspondance privée de Gaston Gallimard avec le directeur Marius Larique raconte ces tentatives vaines pour sauver le navire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160398/original/image-20170312-19270-vdsp6u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’affiche de l’exposition.</span>
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<p>En 1939, beaucoup de journalistes sont mobilisés. Les articles se consacrent alors essentiellement à l’effort de guerre. Beaucoup aussi, cédant à l’atmosphère ambiante, dénoncent le péril de l’immigration. Le dernier numéro de <em>Détective</em> paraît le 30 mai 1940. En juillet, les locaux du journal (partagés avec un autre hebdomadaire Gallimard, <em>Voilà</em>) sont perquisitionnés et vidés par l’armée allemande qui cherche des employés juifs.</p>
<p>Gallimard, après la guerre, revend le titre aux éditions Beyler. Au gré des interdictions et des changements de noms, celui-ci a survécu jusqu’à nos jours…</p>
<p>L’exposition qui se tient actuellement à la Bilipo jusqu’à fin avril porte donc un regard historique, sociologique et littéraire sur l’hebdomadaire <em>Détective</em>. L <a href="https://www.fabula.org/actualites/amelie-chabrier-et-marie-eve-therenty-detective-fabrique-de-crimes-1928-1940-joseph-k-2017_77946.php">e livre illustré qui l’accompagne</a> revient particulièrement sur la question de la place de la fiction dans l’écriture journalistique des années trente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/74291/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amélie Chabrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1928, il n’existe pas encore d’hebdomadaires illustrés consacrés au fait divers et c’est paradoxalement à l’éditeur des écrivains les plus exigeants de l’époque qu’on doit « Détective ».Amélie Chabrier, Maître de Conférences en littérature française à l'université de Nîmes , Université de NîmesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.