tag:theconversation.com,2011:/institutions/universite-jean-monnet-saint-etienne-2261/articlesUniversité Jean Monnet, Saint-Étienne2024-01-10T18:58:58Ztag:theconversation.com,2011:article/2207292024-01-10T18:58:58Z2024-01-10T18:58:58ZGénération désenchantée : qui sont les fans de Mylène Farmer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568669/original/file-20240110-19-v1ibv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1585%2C1077&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mylène Farmer en concert en septembre 2013. </span> <span class="attribution"><span class="source">Flickr/Isabelle B.</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Qui sont les fans de Mylène Farmer ? Que traduisent leurs pratiques de fans ? Et que révèlent les grands succès de la chanteuse, comme « Désenchantée » ?</p>
<p>Notre ouvrage, <a href="https://www.double-ponctuation.com/wp-content/uploads/2023/12/Dossier-de-presse-Sociologie-de-Mylene-Farmer.pdf"><em>Sociologie de Mylène Farmer</em></a> (éditions Double Ponctuation), consacre une étude fouillée portant non seulement sur la chanteuse mais aussi sur ses fans. À travers des témoignages, une enquête statistique ainsi qu’une immersion lors de sa tournée « Nevermore », débutée à l’été 2023, nous pouvons aujourd’hui porter un regard sensible autant que scientifique sur 40 ans de carrière de la <a href="https://www.mylene.net/modules/index.php?r=4&z=4547">chanteuse la plus appréciée des français·e·s</a>.</p>
<h2>Génération X vs « Désenchantée »</h2>
<p>Mylène Farmer sort « Désenchantée » en 1991. Les années 1990 imposent une nouvelle réalité : de la libre concurrence aux marchés financiers et à la libéralisation des biens et des cultures, des différentes crises économiques au chômage, du déclin du communisme et ses illusions perdues…</p>
<p>Ce single, « Désenchantée », pourtant, apparaît comme une bouffée de liberté plus qu’un fatalisme ; quelque chose qui parle à chacun d’entre nous. Plus de 800 000 exemplaires sont vendus. La chanson devient l’hymne de toute une génération : la génération X. Ce fameux X qu’elle reprendra sur des costumes dessinés par son ami Jean-Paul Gaultier.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mylène et Jean Paul Gaultier.</span></figcaption>
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<p>Dans la chorégraphie de « Désenchantée », ce X – écarlate – sera brodé dans le dos des costumes de ses danseurs et danseuses. Le clip quasi monochrome s’inspire du ghetto de Varsovie. Il est tourné à Budapest. Comment ne pas songer à cet autre signe, l’étoile jaune, que tout un peuple a été obligé de porter pendant la Seconde Guerre mondiale ?</p>
<h2>Un sentiment de colère partagé</h2>
<p>Cette génération désenchantée entend aussi le pape Jean-Paul II déclarer que le <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2007-2-page-213.htm">VIH/sida est une punition divine</a> en réponse à tous les péchés soi-disant commis par les minorités sexuelles. Sinead O’Connor décide alors de déchirer sa photo sur scène en signe de protestation.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sinead O’Connor, 1992.</span></figcaption>
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<p>Palpite alors dans cette génération un sentiment de colère, une envie de crier, de tout envoyer en l’air comme elle le fait dans le clip « Désenchantée ». Renverser les tables, les chaises, l’ordre établi. Un effet miroir s’établit entre ce public pris dans la tourmente des années 90 et de ses multiples crises et ce clip qui revendique l’universalisme de la rébellion quand tout semble pourtant perdu.</p>
<p>C’est la <a href="https://www.actupparis.org/2023/05/14/mfarmer/">génération Act-Up</a> (association pour qui Mylène Farmer dessinera un tee-shirt en 2023), partagée entre l’engagement et la tentation du repli. Dans un monde où tout semble sens dessus dessous, est-ce que cela vaut vraiment la peine de se battre ? Et pour qui ? Pour quel prétendu gourou ou sauveur ? À cela elle répondra :</p>
<blockquote>
<p>« Quand la raison s’effondre/À quel sein se vouer/Qui peut prétendre nous bercer dans son ventre ? »</p>
</blockquote>
<p>Alors, s’enfuir… Mais pour aller où ? Mylène Farmer ne donne jamais à une réponse simpliste. L’horizon à la fin de du clip de la chanson n’est pas une ligne de fuite. Ciel et terre glacée s’emmêlent dans un gris neigeux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Désenchantée, 18 mars 1991.</span></figcaption>
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<p>La neige est-elle vraiment un symbole de pureté (pas plus que les enfants qui l’entourent !) ou évoque-t-elle plutôt un monde stérile ? Elle le dit :</p>
<blockquote>
<p>« Pourtant, je voudrais retrouver l’innocence/Mais rien n’a de sens, et rien ne va. »</p>
</blockquote>
<p>L’innocence n’est pas permise pour toutes et tous. Elle est un luxe dans un monde où ne cessent de pleuvoir les désillusions.</p>
<h2>Se construire comme fan</h2>
<p>Dans son article intitulé « La France désirable », la <a href="https://www.decitre.fr/revues/sciences-humaines-n-344-janvier-2022-la-france-d-apres-3663322118661.html">journaliste Cécile Peltier écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les chanteurs préférés des 18-24 ans s’appellent Aya Nakamura ou Gims quand leurs parents continuent de plébisciter Mylène Farmer. »</p>
</blockquote>
<p>Ce constat n’est pas sans rappeler le profil d’âge de nos répondants et répondantes qui, massivement, sont entrés dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2009-1-page-157.htm">« carrière »</a> de fans dans les années 1980 et 1990. Les expériences des fans sont ainsi situées à la fois dans des contextes de vie subjectives et <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2022-5-page-285.htm">d’apprentissage des prescriptions</a> faites à cette communauté (savoir reconnaître les chansons, les paroles, se renseigner sur l’artiste…).</p>
<p>Incontestablement, on ne se construit pas de la même façon en tant que fan de Mylène Farmer aujourd’hui et dans les années 1980.</p>
<p>Les témoignages recueillis dans le <a href="https://fr.surveymonkey.com/r/HYDXQ2X">questionnaire</a> attestent de ces parcours de fans à travers chaque décennie, comme en témoignent nos répondants :</p>
<blockquote>
<p>« Dans les années 1980 ou 90, tu disais que tu étais fan de Mylène c’était directement être considéré comme “bizarre”, surtout pour un garçon. »</p>
<p>« Avant l’arrivée d’Internet, y’avait des magazines sur Mylène. J’étais abonné à L’"instant Mag" et à “Mylène Farmer Magazine”. C’était comme avant les sites et les applications de rencontre, on y passait des annonces pour échanger des objets ou pour rencontrer des fans. »</p>
</blockquote>
<p>Selon les chiffres de notre enquête, les fans de Mylène Farmer appartiennent plus à des minorités de sexualité (50 % dans notre étude) <a href="https://www.cairn.info/enquete-sur-la-sexualite-en-france--9782707154293.htm">que la moyenne des Français·e·s</a>. On parle aussi d’un public certes paritaire en genre mais d’un public qui a vieilli avec l’artiste, et cela se retrouve dans ses modes de consommations musicales, bien plus portées sur des supports physiques, dans une période ou le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/cd-vinyle-streaming-le-marche-de-la-musique-en-france-en-hausse-presque-au-niveau-d-il-y-a-15-ans-4089098">streaming domine</a> le marché de l’industrie musical.</p>
<h2>Nostalgie, adolescence et communauté de fans</h2>
<p>Mais Mylène est-elle présente pour tous les fans de la même façon, et de façon aussi centrale ?</p>
<p>Si, très massivement, les fans répondent que la chanteuse a été importante pour elles et eux (89 %), 11 % disent qu’elle n’est ou n’a pas été importante dans leur vie. Ces personnes sont d’ailleurs plus nombreuses à ne pas s’autoqualifier de « fans ». Elles sont aussi plus nettement hétérosexuelles que le reste des répondant·e·s et appartiennent quasi exclusivement à la catégorie des « cadres » ou des « professions intellectuelles supérieures ».</p>
<p>Quant aux fans qui témoignent de l’importance de Mylène Farmer dans leurs vies, ils ont très largement mis en avant la chanteuse en termes de « soutien » dans « des moments difficiles », à l’adolescence ou en référence à des souvenirs adolescents.</p>
<p>On lit dans ces témoignages que les chansons de Mylène Farmer sont des refuges émotionnels, en écho avec des instants de tristesse et qu’elles offrent des bulles de cognition (« En l’écoutant, je me retrouve »). Mais les instants de joie sont aussi mentionnés :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai fait mon coming-out et après je n’écoutais plus que du Mylène Farmer. »</p>
<p>« Ce sera la chanson d’ouverture de mon mariage en avril prochain. »</p>
<p>« Tu me mets “Sans contrefaçon” ou “Désenchantée” et je suis en transe. Depuis peu ça me fait ça avec “Oui mais non” aussi. »</p>
</blockquote>
<h2>Transmissions familiales</h2>
<p>À parler de « génération », un dernier élément nous interpelle : quelques-uns des témoignages relatent l’importance des transmissions intergénérationnelles, des émotions partagées avec les enfants et les parents. La pratique des fans se communique :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai toujours écouté Mylène et ma mère n’en pouvait plus. Maintenant, je l’amène avec moi en concert et elle adore. Je suis tellement content de partager ça avec elle. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, dans notre enquête, cette dimension sensible du rapport à la chanteuse s’est traduite sous forme de questions en lien avec les souvenirs ou les émotions qui connectent à Mylène Farmer.</p>
<p>Nous demandions d’abord quels mots décrivent le mieux la chanteuse selon ses fans. Des tendances nettes apparaissent. D’une part, des superlatifs : « majestueuse », « magnétique », « exceptionnelle », « incroyable ». On s’attendait à ce que ce champ lexical apparaisse. Mais loin des préjugés attribuant aux fans une série de comportements irrationnels, on observe que ces qualificatifs sont marginaux statistiquement. Majoritairement, on assiste à la constitution de deux ensembles de mots : ceux relatifs à l’attraction, au charisme ; et ceux relatifs au secret, au mystère et à la timidité.</p>
<p>Deux champs lexicaux supposément incompatibles mais qui nous donnent à voir des façons d’interpréter l’univers de la chanteuse d’une part, et le monde intime des fans d’autre part.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sociologie de Mylène Farmer est sorti le 11 janvier 2024 aux éditions (Double ponctuation).</span>
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<p>Puis, au centre des mots qui reviennent le plus souvent, le terme de « mystérieuse », qui revient non seulement sous la plume des journalistes mais également dans les qualificatifs des fans, aussi bien des hommes que des femmes, des homosexuel·le·s que des hétérosexuel·le·s.</p>
<p>Ce mystère fait l’artiste, qui joue littéralement de toutes les facettes possibles sans jamais chercher à en donner une lecture lisse et complètement cohérente. <a href="https://www.double-ponctuation.com/wp-content/uploads/2023/12/Dossier-de-presse-Sociologie-de-Mylene-Farmer.pdf">Son univers est multiple</a>, il montre autant qu’il dissimule. Il réunit ce qui semble incompatible sans jamais les confondre. En somme, il est l’expression d’un rapport <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/poi%C3%A9tique/61977">poïétique</a> au monde : une énigme dont la réponse est sa propre énigme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Qui sont les fans de Mylène Farmer ? Que traduisent leurs pratiques ? Et que révèlent les grands succès de la chanteuse, comme « Désenchantée » ? Deux chercheurs publient une étude inédite.Marielle Toulze, Chercheuse en communication, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneArnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048752023-06-13T17:59:32Z2023-06-13T17:59:32ZLe débat sur la valeur travail est une nécessité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531343/original/file-20230612-219601-zewh9e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C5964%2C3970&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Débattre de la notion de travail devrait questionner la centralité même de ce dernier dans nos vies par rapport à d'autres enjeux, comme la famille, l'intime, la place du politique. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/cafe-ordinateur-portable-femmes-naviguer-7267223/">Sarah CHai/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d'y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>La série « travail » s'attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques.</em></p>
<hr>
<p>La question du travail est au cœur de questions brûlantes d'actualité telles que la réforme des retraites, l'utilisation industrielle de l'intelligence artificielle ou bien encore la remise en cause du modèle productiviste.</p>
<p>Paradoxalement ces multiples interrogations sur les évolutions concrètes du travail ont lieu au moment même où le travail continue à être présenté comme une <a href="https://theconversation.com/faut-il-defendre-la-valeur-travail-190848">valeur morale</a> indiscutable et cela de la gauche à la droite de l'échiquier politique.</p>
<p>Tout se passe comme si les débats nécessaires sur les <a href="https://theconversation.com/travailler-oui-mais-pour-pouvoir-aussi-se-realiser-en-dehors-199613">transformations de la place du travail</a> dans notre quotidien étaient limités voire empêchés par un consensus non interrogé, une doxa, sur la <a href="https://theconversation.com/mon-salaire-est-il-vraiment-le-fruit-de-mon-travail-204833">centralité indépassable du travail pour avoir un revenu</a>, pour s'émanciper, pour créer de la solidarité, etc.</p>
<p>Et pourtant accepter de débattre sur la place du travail dans la société de demain est sans doute un préalable à toute bifurcation nous permettant de remédier à la triple crise économique, démocratique et écologique que nous vivons.</p>
<h2>Définir l'espèce humaine</h2>
<p>Le travail, activité visant à transformer son environnement, peut être perçu comme l'élément qui définit la spécificité humaine. L'homme en créant par le travail les conditions de son existence <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2013-1-page-253.htm">se différencie ainsi de l'animal</a> soumis aux aléas de la nature. Simultanément le travail comme effort pour aller au-delà de soi-même est perçu comme un moyen d'émancipation. Dans ces conditions, le travail comme valeur morale reste central alors même que le travail comme activité économique <a href="https://editions.flammarion.com/un-monde-sans-travail/9782081416949">n'obéit plus à la même nécessité</a> qu'autrefois du fait de l'évolution technologique.</p>
<p>Déjà l'ouvrier spécialisé a été remplacé par la machine dans de nombreuses entreprises et nous sommes aujourd'hui avec l'intelligence artificielle au début de questionnements quant à l'avenir des activités intellectuelles. Cette tension entre la raréfaction du besoin de travailler pour produire de la richesse économique et le consensus autour de la nécessité de travailler et l'une des sources, dans nos sociétés, de dégradation de l'emploi (défini comme du travail rémunéré).</p>
<p>Faute d'envisager une diminution drastique du temps de travail et de <a href="https://theconversation.com/mon-salaire-est-il-vraiment-le-fruit-de-mon-travail-204833">décorréler obtention d'un revenu et emploi</a>, nous assistons à une <a href="https://ires.fr/wp-content/uploads/2023/02/Ddt_01_2022.pdf">lente dégradation de la qualité et de l'intérêt du travail</a> : précarisation, parcellisation des tâches, etc.</p>
<p>Cela se traduit par des phénomènes comme «les bull shit jobs» mis en évidence par l'anthropologue David Graeber, le <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267">«quiet quitting»</a> (faire le minimum dans l'emploi qu'on occupe), la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/souffrance-en-france-la-banalisation-de-l-injustice-sociale-christophe-dejours/9782020323468">souffrance au travail</a>, ou la grande démission. Cela participe aussi à l'opposition des Français au report de l'âge de la retraite et à la montée d'un ressentiment vis-à-vis des élites économiques mais aussi politiques ce qui alimente la crise démocratique.</p>
<h2>Le travail contre la démocratie?</h2>
<p>Certains, qui ont la chance d'exercer des métiers intéressants et rémunérateurs semblent défendre la dimension émancipatrice du travail alors que, dans les faits, ce qu'ils défendent réellement c'est l'obligation faite à des personnes peu qualifiées d'accomplir des tâches pénibles et non porteuses de sens qu'ils ne veulent pas accomplir.</p>
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<img alt="Homme triste avec cravate" src="https://images.theconversation.com/files/531353/original/file-20230612-260197-m87frt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531353/original/file-20230612-260197-m87frt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531353/original/file-20230612-260197-m87frt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531353/original/file-20230612-260197-m87frt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531353/original/file-20230612-260197-m87frt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531353/original/file-20230612-260197-m87frt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531353/original/file-20230612-260197-m87frt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aujourd'hui, on assiste à une colonisation du temps consacré à l'activité économique sur les autres temps sociaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-portant-une-chemise-de-ville-blanche-et-une-cravate-noire-716411/">Andrea Picquadio/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Ce phénomène, que le philosophe André Gorz nomme <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1990/06/GORZ/42679">«dualisation salariale»</a> est dangereux pour la démocratie car il éloigne l'horizon d'égalité. Cette dualisation salariale se couple avec l'idée de subordination propre à tout contrat salarial. Pour le dire autrement, on défend l'idée morale d'un travail émancipateur qui se traduit par un contrat salarial producteur d'inégalités et réducteur d'autonomie.</p>
<p>Or la démocratie est <em>auto nomos</em> (autonomie) la capacité à faire et défaire collectivement les normes qui nous gouvernent <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-bibliotheque-ideale-de-l-eco/l-institution-imaginaire-de-la-societe-cornelius-castoriadis-2493850">comme le rappelait Cornélius Castoriadis</a>.</p>
<h2>Être libéré du travail pour participer à l'activité essentielle : la politique</h2>
<p>En effet, la valorisation morale du travail semble une donnée intemporelle, naturelle, alors que dans la Grèce antique, quand on parlait de valeur on discutait du beau, du bien ou du vrai mais pas du travail. D'ailleurs, ainsi que le soulignait la philosophe Hannah Arendt, il fallait même être libéré du travail pour participer à l'activité essentielle : la <a href="https://hal-univ-paris8.archives-ouvertes.fr/JDD_ED31/hal-01528553">politique</a></p>
<p>Aujourd'hui, au contraire, à travers le télétravail on assiste à une colonisation du temps consacré à l'activité économique sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2014-8-page-71.htm">autres temps sociaux</a>.</p>
<p>Ce temps consacré à l'économique est d'autant plus important que nous sommes rentrés dans une <a href="https://www.cairn.info/l-economie-de-l-attention--9782707178701.htm">économie de l'attention</a> qui occupe une large part de nos loisirs. Cette temporalité hégémonique du travail et de la consommation correspond à ce que Karl Polanyi (1983) nomme une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Grande_Transformation">société de marché</a>, c'est-à-dire une société qui n'est plus régulée par des lois délibérées mais par les règles de l'échange marchand. De ce fait, nous avons de moins en moins de temps pour vérifier les informations, pour remettre en cause des évidences, pour construire sereinement dans la délibération des désaccords féconds. Cela dans une période où il nous faut pourtant prendre le temps d'inventer des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2023/06/11/tout-savoir-sur-le-projet-adaptation-lance-par-le-monde_6177170_3244.html">solutions collectives</a> pour aller vers une société plus résiliente et écologique.</p>
<h2>Valeur travail ou soutenabilité écologique, il faut choisir</h2>
<p>L'impératif moral d'avoir une activité productive rémunérée fait passer au second plan l'utilité sociale et écologique de la production. Autrement dit, nous sommes dans une société où on ne travaille plus pour produire plus mais où on produit plus pour pouvoir être en mesure de travailler plus.</p>
<p>Ainsi, produire plus d'automobiles ne permet pas d'aller plus vite et d'être plus libre, cela crée des embouteillages et de la pollution ce qui créera de nouveaux marchés nécessitant plus de travail dans l'invention et la production de véhicules plus rapides ou plus écologiques. Nous pouvons faire référence à Ivan Illich qui montrait dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-convivialite-ivan-illich/9782757842119"><em>La convivialité</em></a> et cela dés 1973, que l'automobile ne permettait pas de se déplacer plus vite qu'en vélo mais qu'elle créait, au nom du progrès et la croissance, de la dépendance.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Mini-bus, van, bicyclette" src="https://images.theconversation.com/files/531351/original/file-20230612-26322-a0lehj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531351/original/file-20230612-26322-a0lehj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531351/original/file-20230612-26322-a0lehj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531351/original/file-20230612-26322-a0lehj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531351/original/file-20230612-26322-a0lehj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531351/original/file-20230612-26322-a0lehj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531351/original/file-20230612-26322-a0lehj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Peut-on imaginer une société plus conviviale sur le modèle proposé par le penseur Ivan Illich?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/bus-vert-et-turquoise-1210622/">Pexels/Elviss Railijs Bitāns</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Or ce paradoxe est catastrophique pour l'écologie. Il n'est pas possible d'avoir une croissance infinie sur une planète finie. Pour préserver les conditions d'habitabilité de la planète, il semble nécessaire de produire moins et donc accepter de travailler moins. Comment ? Dans quel secteur ?</p>
<h2>Remettre en question la place centrale du travail</h2>
<p>Pour que ce débat ait lieu, il faudrait débattre de la valeur travail et remettre en cause sa centralité. Or ce débat n'est pas simple car il renvoie, tout d'abord, à des questions débattues mais qui n'ont pas, pour l'instant, trouvé de réponses consensuelles.</p>
<p>La première, mise en évidence à l'occasion de l'épisode de Covid-19, est celle de la juste rémunération des tâches. Les tâches socialement les plus utiles – <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-c-comme-care-158918">celle du <em>care</em> notamment</a> – sont pourtant parmi les moins rémunératrices.</p>
<p>La seconde, ouverte par les débats autour du RSA en France et plus généralement du revenu d'existence en Europe, est celle du découplage du lien entre emploi et revenu.</p>
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<p>Cette seconde question entraîne une troisième, celle de la <a href="https://theconversation.com/eboueurs-un-metier-essentiel-mais-souvent-meprise-204377">répartition des tâches collectives ingrates</a> si elles ne sont plus assurées par des personnes soumises à des <a href="https://theconversation.com/travailler-plus-longtemps-mais-dans-quel-etat-le-cas-des-eboueurs-198888">conditions de travail dégradées</a>. Mais ce débat est complexe aussi parce qu'il renvoie à des thèmes non débattus dans l'espace public.</p>
<p>Le premier est celui de la justice distributive (à chacun selon ses mérites). Le droit de vivre doit-il découler de l'effort productif ou du respect de la dignité humaine ? Dans le premier cas, chacun doit apporter une contribution au collectif, dans le second chacun est libre de sa (non) participation. Le deuxième est celui de la valeur économique. Aujourd'hui, l'économie se fonde sur l'idée que la création de richesses repose sur la création de valeur qui elle-même repose sur l'utilité. C'est-à-dire en définitive sur les désirs des individus. Tant que quelque chose répond à un désir humain quelconque il doit être produit. Conception qui engendre de la croissance mais pas nécessairement de l'utilité sociale et de la soutenabilité écologique.</p>
<p>En réalité, le débat sur la valeur travail est à la fois nécessaire et difficile à mettre en place car il vise à remettre en cause la primauté de l'économique sur le politique, le social et l'écologique. Débattre de la valeur travail c'est, au fond, débattre de «ce à quoi nous tenons».</p>
<p><em>À lire aussi</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/conges-menstruels-neuroatypisme-maladies-chroniques-et-si-lentreprise-tenait-compte-de-nos-differences-biologiques-206321">Congés menstruels, neuroatypisme, maladies chroniques : et si l'entreprise tenait compte de nos différences biologiques ?</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l'esclavagisme dans nos économies</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/mon-salaire-est-il-vraiment-le-fruit-de-mon-travail-204833">Mon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a></p></li>
</ul>
<hr>
<p><em>Les auteurs publieront prochainement leurs réflexions sous le titre Théorie délibérative de la valeur, issu d'un premier travail de recherche <a href="https://www.essachess.com/index.php/jcs/article/download/487/506">déjà publié</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Débattre sur la place du travail est sans doute un préalable à toute bifurcation nous permettant de remédier à la triple crise économique, démocratique et écologique que nous vivons.Éric Dacheux, Professeur en information et communication, Université Clermont Auvergne (UCA)Daniel Goujon, Maître de conférences en sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2022942023-03-27T16:49:07Z2023-03-27T16:49:07ZComment la grande distribution peut-elle intégrer avec succès les circuits courts ?<p>Après deux décennies marquées par les scandales alimentaires à répétition (<a href="https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/la-crise-de-la-vache-folle_1775435.html">vache folle</a>, lasagnes à la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/16/scandale-de-la-viande-de-cheval-six-mois-ferme-pour-l-ex-directeur-de-l-entreprise-spanghero_5451022_3224.html">viande de cheval</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/societe/cinq-ans-apres-le-scandale-du-lait-contamine-lactalis-mis-en-examen-16-02-2023-2508911_23.php">lait infantile</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/oeufs-contamines-insecticide-fipronil-scandale-alimentaire-europeen_1934236.html">œufs au fipronil</a>) et par une volonté croissante de consommer « autrement », les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/circuits-courts-33626">circuits courts</a> ont pris un certain essor. Ils étaient par exemple récemment mis en avant quand l’exécutif discutait de la mise en place d’un <a href="https://www.actu-retail.fr/2023/03/03/le-panier-anti-inflation-ne-mobilise-pas-dans-la-grande-distribution/">panier anti-inflation</a> avec les firmes de la grande distribution.</p>
<p>Réglementairement, ils sont définis par la présence d’un <a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/produits-alimentaires-commercialises-en-circuits-courts-0">intermédiaire au maximum</a>, quel qu’il soit, entre le producteur et le consommateur. Aux formats variés, marchés, AMAP, ou autres magasins de producteurs sont généralement présentés et organisés comme des alternatives à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/grande-distribution-22123">grande distribution</a>. Il s’agit bien de <a href="https://www.cairn.info/revue-decisions-marketing-2021-2-page-31.htm">deux mondes que tout oppose</a>, surtout si l’on considère les circuits courts dits de proximité, dans lesquels le produit parcourt moins de 100km entre lieux de production et de vente.</p>
<p>Les consommateurs associent ces derniers à des valeurs qualifiées de « domestiques », une production artisanale, locale et traditionnelle, fabriquée en petite quantité et vendue à prix relativement élevé. Ce prix est associé à une qualité accrue des produits. Les grands distributeurs sont, quant à eux, associés à des valeurs « industrielles », une production à grande échelle, standardisée et à prix bas, synonyme de faible qualité.</p>
<p>Comment, avec ces associations présentes dans l’esprit des consommateurs, les grands distributeurs peuvent-ils vraiment intégrer les circuits courts ? La chose peut sembler difficile à envisager et à mettre en œuvre.</p>
<h2>Quête de légitimité</h2>
<p>Les conséquences sociales et environnementales des actions des grands distributeurs s’avèrent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0022435920300208?via%3Dihub">scrutées avec de plus en plus d’attention</a>. La plupart d’entre eux se sont mis à proposer des produits issus du circuit court, notamment pour leur approvisionnement en produits frais (fruits, légumes et viandes) en contractualisant directement avec des producteurs locaux sans passer par les centrales d’achats. Leclerc a, par exemple, lancé ses <a href="https://www.allianceslocales.leclerc/">Alliances locales</a> en 2007, Intermarché communique sur le <a href="https://www.intermarche.com/enseigne/magazine/zero_intermediaire">« zéro intermédiaire »</a>, Carrefour teste ses <a href="https://www.lsa-conso.fr/potager-city-le-test-de-carrefour-sur-les-circuits-courts,431729">« Potager city »</a>.</p>
<p>Quel écho néanmoins chez le consommateur ? Va-t-il y voir un comportement légitime ? Des <a href="https://www-cairn-info.fr/revue-decisions-marketing-2021-2-page-31.htm">travaux</a> ont montré que certains consommateurs jugent ce type d’actions comme opportunistes de la part des grands distributeurs. Pour ces individus, l’objectif final des distributeurs serait en effet de chercher à réaliser toujours plus de profit. Serait-ce sinon une façon pour les grands distributeurs d’<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652621011677?via%3Dihub">améliorer leur image</a> ? À quelles conditions ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1599773087372759041"}"></div></p>
<p>Tels ont été les enjeux d’un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S095965262300519X">travail de recherche récent</a>. Une expérience a consisté à soumettre à des consommateurs différents extraits de presse fictifs présentant sous différents angles des démarches de grands distributeurs envers des producteurs locaux. Quelque 120 participants étaient interrogés à leur sujet.</p>
<p>Les résultats montrent que les distributeurs qui soutiennent les producteurs locaux en leur permettant de vendre leurs produits dans leurs magasins semblent positivement perçus. Les clients affirment vouloir fréquenter ce type de magasins. Un type de consommateurs dispose d’ailleurs d’une sensibilité particulièrement accrue à de pareilles actions : les consommateurs dits « locavores », c’est-à-dire ceux qui possèdent une préférence forte pour les produits locaux et partagent les valeurs domestiques explicitées précédemment.</p>
<h2>Oublier ses marges</h2>
<p>Faire une place aux acteurs de l’économie locale a été encore mieux perçue en période de crise. Lors de la phase la plus aiguë de la pandémie, les entreprises qui ont ouvert leurs portes aux producteurs locaux et leur ont dédié des espaces de vente ont reçu une légitimation particulière des locavores. Beaucoup d’agriculteurs et d’artisans peinaient alors à vendre leurs produits directement aux consommateurs, que ce soit en allant vers eux ou en tentant de les faire venir sur leurs lieux de vente. Actuellement, la crise inflationniste semble renforcer également le souhait de nombreux consommateurs d’une relocalisation des activités de production agricoles et d’acheter davantage de produits locaux à des prix raisonnables.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’enjeu pour les grands distributeurs est de trouver un compromis entre les valeurs domestiques fortement plébiscitées par les acteurs adeptes des circuits courts, et les valeurs industrielles qui ont fait le succès de la grande distribution. Ce compromis, comme identifié dans une deuxième étude réalisée auprès de 170 répondants, fonctionne surtout quand il prend la forme d’un soutien désintéressé aux producteurs locaux : les consommateurs évaluent positivement le fait que les grands distributeurs proposent des produits issus de circuits courts uniquement si cela est fait sans que les distributeurs ne prennent de marge sur ces actions.</p>
<p>Ainsi, pour être pleinement acceptés par les consommateurs comme des acteurs des circuits courts, les grands distributeurs ont-ils tout intérêt à communiquer explicitement le soutien qu’ils apportent aux producteurs locaux. Il s’agit néanmoins de faire savoir clairement qu’ils le font de manière désintéressée, c’est-à-dire sans réaliser de profit sur cette action. Privilégier la publicité dans la presse locale comme principal moyen de communication semble un bon moyen pour cela afin de conserver une cohérence avec l’action de soutien aux producteurs locaux. Il paraît également nécessaire que la communication se poursuive sur le lieu de vente à travers l’information, de manière à ce que les consommateurs identifient clairement les espaces et les produits dédiés aux producteurs locaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les consommateurs ne sont, pour beaucoup, pas hostiles au rapprochement entre circuits courts et grande distribution. Encore faut-il bien s’y prendre pour ne pas passer pour un opportuniste.Damien Chaney, Professor, EM NormandieCorentin Roznowicz, Docteur, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Marie Schill, Professeure des Universités, Université Jean Monnet, Saint-ÉtiennePhilippe Odou, Professeur agrégé des Universités, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1992732023-02-20T07:13:54Z2023-02-20T07:13:54ZEn France, le racisme se nourrit des paniques sur l'islam<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/508197/original/file-20230205-31-bdi31h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paris, le 19 mars 2022. Manifestation contre le racisme organisée par des associations, des syndicats et des partis. Photo AFP.</span> </figcaption></figure><p><em>L'acteur franco-sénégalais Omar Sy <a href="https://www.trtfrancais.com/debats/oui-omar-sy-a-raison-il-aurait-meme-pu-aller-plus-loin-11592942">a récemment critiqué</a> la politique de deux poids deux mesures de la France qui accueille les Ukrainiens tout en rejetant ou en stigmatisant les migrants et les réfugiés venus d'ailleurs. L'universitaire Foued Nasri, dont les recherches portent sur les mobilisations et le racisme en France, nous donne son point de vue sur les causes de cette situation.</em></p>
<p><strong>Comment le racisme se manifeste-t-il dans la société française?</strong></p>
<p>Depuis les années 1920, le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/racisme/">racisme</a> désigne une hostilité motivée par l’appartenance raciale, ethnique et/ou religieuse qui se matérialise, dans les interactions quotidiennes et au sein de l’espace public, par des préjugés, de la stigmatisation, des discriminations et potentiellement de la violence. </p>
<p>Entre les années 1960 et 1970, le racisme n’est plus nécessairement associé à des circonstances exceptionnelles (guerres) ou des législations spécifiques (<a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/indigenat_code.htm">code de l'indigénat</a>, etc.). Il se manifeste plutôt dans les préjugés, les discriminations et les violences commises par des citoyens ordinaires. </p>
<p>Ainsi, Rachida Brahim recense <a href="https://lms.hypotheses.org/13066">731 actes racistes </a>entre 1970 et 1997 <a href="https://www.revue-ballast.fr/rachida-brahim-mettre-en-lumiere-les-crimes-racistes-cest-nettoyer-nos-maisons/">causant</a> 353 morts et 610 blessés. Au-delà des faits divers visibles et remarquables, les discriminations constituent la modalité du racisme la plus courante. Elles désignent un traitement inégal à raison d’un critère (appartenance ethnique et/ou religieuse, couleur de peau, etc.) dans <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fc5a96e5fc19ccdcf46fd9d55339591b/Dares%20Analyses_testing_discrimination_embauche.pdf">l’accès à des biens rares</a> (logement, emploi, etc.) et les interactions avec certaines institutions. </p>
<p>Depuis les années 2000, la multiplication des déclarations d<a href="http://vonews.fr/2022/11/03/le-depute-insoumis-carlos-martens-bilongo-coupe-dun-retournent-en-afrique-a-lassemblee-nationale/">’acteurs publics</a> (hommes politiques , intellectuels, journalistes), la circulation de « théories » racistes (« <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/quest-ce-que-la-theorie-du-grand-remplacement-4077579">le grand remplacement</a> ») et l’omniprésence de représentants de l’extrême-droite dans les médias dominants confirment la banalisation du racisme. Ces déclarations publiques, quelques fois <a href="https://www.20minutes.fr/justice/4018609-20230112-eric-zemmour-condamne-4-000-euros-amende-injure-caractere-raciste">condamnées</a> par la justice, associent les minorités ethno-raciales à certains problèmes publics comme l'insécurité. </p>
<p>Pourtant, elles ne se résument pas à des outrances ponctuelles, au contraire, la rhétorique de la transgression recouvre une stratégie politique et médiatique visant à s’affirmer. La banalisation du racisme met en exergue un paradoxe : selon les sondages de la <a href="https://www.cncdh.fr/">Commission nationale consultative des droits de l'homme</a>, en 2022, seuls 15 % des Français interrogés se disent “plutôt racistes” (40% en 2020).
Pourtant, les préjugés demeurent. Les victimes du racisme peinent à se faire entendre et reconnaître et l’extrême-droite a réalisé, en 2022, une <a href="https://www.dw.com/fr/pr%C3%A9sidentielle-en-france-la-perc%C3%A9e-de-lextr%C3%AAme-droite/a-61436568">percée électorale</a> sans précèdent. </p>
<p><strong>Quel lien existe-t-il entre la montée de l'extrême droite et le racisme anti-immigré?</strong></p>
<p>La rhétorique anti-immigré est un axe central du discours de l’extrême-droite française depuis la fin du XIXe siècle. Discrédité au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce courant politique se réactive dans le contexte de la chute de l’empire colonial sous la forme de groupuscules (<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/organisation-de-l-armee-secrete/">Organisation de l'armée secrète</a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2014/02/26/01002-20140226ARTFIG00218-qu-est-ce-que-le-mouvement-occident.php">Occident</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/10/05/en-1972-ordre-nouveau-pose-les-fondations-ideologiques-du-front-national_6144564_823448.html">Ordre nouveau</a>) puis d’un parti politique, le Front national, fondé en 1972 par <a href="http://www.jeanmarielepen.com/">Jean-Marie Le Pen</a> et d’anciens collaborationnistes. Mais les formes d’hostilité vis-à-vis des immigrés ne sont pas nécessairement associées à l’extrême-droite organisée à l’instar des “<a href="https://www.liberation.fr/france/2018/02/16/ces-ratonnades-sanglantes-que-marseille-a-prefere-oublier_1630151/">ratonnades</a>” de l’été 1973 qui causèrent la mort de 17 personnes dans le sud de la France. </p>
<p>La visibilité croissante des descendants d’immigrés, les succès électoraux du Rassemblement national et la consolidation de l’antiracisme confèrent une place centrale au débat sur l’immigration. Les discours dénonçant l’immigration, les propositions de préférence nationale et les slogans du parti frontiste font régulièrement l’objet d’une condamnation morale et politique. Néanmoins, leurs cadrages et leurs solutions influencent les autres partis qui s’approprient certains thèmes (la restriction des flux migratoires, la refonte du code de la nationalité, l’adoption d’une politique pénale plus répressive). </p>
<p>A ce propos, les années 2000 marquent un tournant. La multiplication des paniques morales centrées sur l’islam et les banlieues et l’accès des personnalités d’extrême-droite aux médias dominants favorisent la diffusion et la légitimation d’un discours qui présente les immigrés et leurs descendants comme une menace pour l’ordre social, politique et racial. </p>
<p><strong>Quelles approches pour prévenir la stigmatisation et le rejet des immigrés?</strong></p>
<p>Si les autorités françaises ont cherché à édifier des <a href="https://egalitecontreracisme.fr/ce-que-dit-la-loi">politiques publiques et un cadre législatif </a>pour lutter contre le racisme et les discriminations, les moyens et la volonté politique ont largement fait défaut. La première modalité, la plus usitée, a consisté en des actions éducatives et de formation. En dépit de leur diversité, elles reposent sur l’idée que le racisme et les discriminations sont le produit d’une déviance individuelle et/ou d’un contexte organisationnel causé par une forme d’ignorance. </p>
<p>L’action des pouvoirs publics a aussi pris la forme d'une politique pénale qui, depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000864827">loi Pleven de 1972</a>, a surtout consisté à faire du racisme un délit et/ou une circonstance aggravante au moyen notamment de lois mémorielles ou des lois qui régissent les expressions publiques. </p>
<p>A la fin des années 1990, dans le champ législatif, cette action s’est concentrée sur les formes matérielles du racisme, en l’occurrence les discriminations. Elle s’est appuyée sur des lois (2001 et 2003), issues de la transposition de directives européennes. Le référentiel de la lutte contre les discriminations a été décliné dans une série de dispositifs et d’institutions chargés de recenser, de recueillir la parole des victimes et d'accompagner celles-ci avant d’être dépassé par des référentiels moins politiques (la diversité) et supplanté, à partir de l’arrivée de la gauche aux affaires, par la valorisation de la République et de l’égalité hommes-femmes. Toutefois, le défaut de volonté politique, de moyens et de visibilité institutionnelle confirme que la lutte contre le racisme ne constitue pas, en France, une priorité en dépit de quelques effets d’annonce autour de plans gouvernementaux.</p>
<p><strong>Quelles politiques mises en place par la France sont perçues comme racistes?</strong></p>
<p>L’accusation de racisme porte moins sur les politiques étatiques – l’État revendique une approche antiraciste – que sur les pratiques de certaines institutions vis-à-vis des membres des minorités ethno-raciales, telle que la police. L’exemple le plus frappant concerne les contrôles d’identité sur la voie publique que les agents de police peuvent mener à leur discrétion depuis la <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2009-3-page-7.htm">loi du 10 août 1983</a>. </p>
<p>Fabien Jobard et René Lévy <a href="https://hal.science/hal-00556991">ont montré</a> que les Noirs ont entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs là où les Arabes ont entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs. Si une partie du secteur associatif a précocement contesté ces dispositions, des campagnes plus spécifiques sont menées depuis les années 2000. Elles visent à dénoncer le racisme systémique et pointent le fait que des structures sociales et institutionnelles génèrent et entretiennent le racisme et les discriminations.</p>
<p>Dans les affaires de déviances policières, à l’instar de l’<a href="https://www.cnews.fr/france/2020-12-22/agression-de-michel-zecler-les-juges-ont-ordonne-la-mise-en-liberte-des-deux">agression de Michel Zecler </a>, en novembre 2020, les autorités condamnent les violences avérées et explicites, tout en ajoutant qu’il s’agit de fautes individuelles et récusent l’existence des violences policières et du racisme dans les pratiques institutionnelles. </p>
<p>En outre, si aucune disposition ne relève directement de comportements racistes et discriminatoires, la manière dont les pouvoirs publics répondent aux paniques morales sur l’islam, en particulier, contribue à accroître les préjugés et les discriminations à l’égard des musulmans français. La promulgation de certaines lois (15 mars 2004, 11 octobre 2010) répond à des débats médiatiques et politiques qui visent directement certaines pratiques à l’instar du voile et/ou du <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2018/10/france-banning-niqab-violated-two-muslim-womens-freedom-religion-un-experts">niqab</a>. </p>
<p>Plus récemment, depuis le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/lutte-contre-les-separatismes-le-verbatim-integral-du-discours-d-emmanuel-macron-20201002">discours des Mureaux </a>du 2 octobre 2020 qui a donné lieu à la controversée loi dite « contre le séparatisme », ce sont principalement les libertés associatives des organisations musulmanes qui ont été visées et limitées. Cette situation a conduit des chercheurs comme <a href="https://www.jonathanlaurence.net/">Jonathan Laurence</a>, à considérer cette loi comme une « attaque à peine voilée contre la religion musulmane ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199273/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Foued Nasri does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Les paniques morales centrées sur l’islam et les banlieues et l’accès des personnalités d’extrême-droite aux médias favorisent la diffusion et la légitimation d’un discours anti-immigré.Foued Nasri, Chercheur, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1837372022-05-31T18:57:09Z2022-05-31T18:57:09ZPrésidentielle : quand d’autres modes de scrutin favorisent des candidats différents<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465968/original/file-20220530-16-oh4u4f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C24%2C3929%2C1931&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'une des chercheuses du projet expérimental 'Voter Autrement' prépare une urne 'alternative' lors du scrutin 2022 de l'élection présidentielle.</span> <span class="attribution"><span class="source">Antoinette Baujard</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Si les résultats de l’élection présidentielle ont désigné Emmanuel Macron pour un second mandat, l’analyse des votes et des tendances ont aussi souligné une forte dynamique en <a href="https://theconversation.com/la-dynamique-spectaculaire-du-vote-utile-181044">faveur du vote utile</a> et de l’abstention, perçue <a href="https://theconversation.com/une-abstention-hautement-politique-181558">comme un phénomène hautement politique</a> depuis au moins une dizaine d’années.</p>
<p>Plusieurs observateurs pointent <a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">aussi des faiblesses et fractures au cœur de la démocratie électorale</a> en France aujourd’hui : les citoyens élisent certes leurs représentants, mais encore faut-il s’accorder sur les propriétés que cette forme de démocratie doit respecter.</p>
<p>La théorie du vote offre les analyses indispensables sur les propriétés de chaque mode de scrutin, mais il reste à confronter ses conclusions aux conditions réelles, à apprendre des réactions des citoyens. C’est là l’objet de l’expérimentation des différents modes de scrutin. Sans changer le vainqueur de l’élection de 2022, l’expérimentation conduit à reconsidérer l’importance relative des différentes formations politiques.</p>
<h2>Des expérimentations de terrain et des enquêtes en ligne</h2>
<p><a href="https://www.gate.cnrs.fr/spip.php?article580">L’opération « Voter autrement »</a> s’inscrit dans une tradition originale d’expérimentations récurrentes sur le terrain. Depuis 2002, des expérimentations ont été menées lors de chaque élection présidentielle française. <a href="https://theconversation.com/quel-mode-de-scrutin-pour-quelle-democratie-179124">Optant pour des modes de scrutin multinominaux et à un seul tour de scrutin</a>, en phase avec les conclusions des théoriciens du vote, ces expérimentations ont étudié le comportement des électeurs face à de nouvelles règles de vote qui leur donnent l’opportunité de se prononcer sur chacun des candidats. On a ainsi pu observer les différents impacts que ce changement pourrait avoir sur notre démocratie électorale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465967/original/file-20220530-26-mz0nql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">D’autres modes de vote sont proposés dans ce bureau de vote de la ville de Strasbourg.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Antoinette Baujard/GATE</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Les expérimentations sur le terrain se pratiquent dans des conditions similaires à celles du vote officiel. Un bureau expérimental est aménagé à proximité immédiate du bureau de vote officiel et organisé de la même manière – avec des informations envoyées à domicile avant le jour du scrutin, des assesseurs pour tenir le bureau de vote, des <a href="https://www.gate.cnrs.fr/spip.php?article580#Donnees">bulletins</a>, des enveloppes, des isoloirs et une urne. Les électeurs des bureaux concernés choisissent librement de venir participer ou non à l’expérimentation après leur vote officiel. Le tableau suivant rend compte des différentes initiatives menées depuis 2002.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465959/original/file-20220530-20-d0qzfs.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">tableau.</span>
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</figure>
<p>Synthèse des expérimentations de terrain : Pour chaque année de présidentielle, le tableau précise les communes dans lesquelles les expérimentations se sont déroulées, les modes de scrutins testés, la proportion moyenne des électeurs ayant accepté de participer à l’expérimentation et le nombre de réponses recueillies</p>
<p>Chaque édition a été accueillie avec enthousiasme de la part des électeurs concernés qui se mobilisent largement pour répondre aux chercheurs. Cependant, comme tous les segments de l’électorat ne prennent spontanément pas part à l’expérimentation dans des proportions homogènes, cela crée un biais. Ce biais s’ajoute à la plus ou moins forte représentativité des bureaux de vote expérimentés eux-mêmes. Dans ces conditions, les données obtenues doivent être redressées pour pouvoir extrapoler les résultats à l’échelle nationale.</p>
<p>En outre, pour la première fois en 2022, une expérimentation a été également réalisée en ligne auprès de deux échantillons représentatifs d’électeurs français.</p>
<h2>Les règles testées</h2>
<p>Sans même s’exprimer sur la désirabilité des propriétés de telles ou telles règles de vote, ces dernières ne peuvent pas être toutes testées sur le terrain par des électeurs qui les découvrent. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zmCl5i_sEiM">Les plus simples, à ce titre au moins, peuvent être jugées les meilleures</a>.</p>
<p>De 2007 à 2022, deux modes de scrutin ont été systématiquement testés dans le cadre de l’opération « Voter autrement » :</p>
<ul>
<li><p>Le <a href="https://electionscience.org/library/approval-voting/">vote par approbation</a> permet à chaque électeur d’accorder – ou pas – son vote à chacun des candidats. Un même électeur peut donc voter pour zéro, un, deux, voire tous les candidats. Est élu celui qui rassemble le plus grand nombre de votes.</p></li>
<li><p>Le <a href="http://votedevaleur.org/co/votedevaleur.html">vote par note</a> (qu’on appelle aussi parfois le vote par évaluation ou le vote de valeur) revient à attribuer une note à chaque candidat selon une échelle prédéterminée de notes (dans notre cas, sur 6 notes de « 4 » à « -1 »). Est élu celui qui obtient la somme des notes la plus élevée, c’est-à-dire la meilleure note moyenne.</p></li>
</ul>
<p>En 2022, nous avons également testé le <a href="https://mieuxvoter.fr/">jugement majoritaire</a>. Les électeurs évaluent chaque candidat en lui associant une mention (dans notre cas, sur 6 mentions de « Très bien » à « A rejeter »). Est élu le candidat qui a la meilleure « mention majoritaire », c’est-à-dire la meilleure mention d’évaluation médiane ; des principes de départage sont appliqués en cas d’ex aequo (voir les sites de <a href="https://www.gate.cnrs.fr/">Voter autrement</a> ou de <a href="https://mieuxvoter.fr/">Mieuxvoter</a> pour plus de précisions sur le départage).</p>
<h2>Bayrou « président » en 2007</h2>
<p>Un mode de scrutin permet de transformer les préférences des votants en résultat électoral. Il n’est donc pas étonnant qu’un changement de mode de scrutin puisse modifier le résultat de l’élection.</p>
<p>C’est ce qu’illustre l’expérimentation de 2007 : alors qu’au scrutin officiel Nicolas Sarkozy l’a emporté au second tour contre Ségolène Royal, François Bayrou, candidat centriste éliminé dès le premier tour <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2009-1-page-189.htm">sortait vainqueur avec le vote par approbation ou avec le vote par note</a>.</p>
<p>Plus généralement, les scrutins alternatifs modifient les résultats relatifs des différents candidats et donc leur classement. On apprend que le scrutin officiel favorise les candidats les plus clivants qui attirent des sentiments forts d’adhésion ou de rejet. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379413001807">A l’inverse, comme en 2012</a>, le vote par approbation ou le vote par note donnent un avantage aux candidats qui bénéficient de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11127-017-0472-6">l’adhésion du plus grand nombre</a>. C’est pourquoi Jean-Marie Le Pen ou Nicolas Sarkozy en 2007, Marine Le Pen en 2012 et 2017 voient leur classement se détériorer significativement entre le scrutin officiel et ces scrutins expérimentaux. Le graphique ci-dessous présente les classements de différents candidats de la présidentielle 2017 en fonction de différents modes de scrutin par rapport au vote officiel. Les candidats situés en dessous de la droite du classement officiel sont défavorisés par les modes de scrutin multinominaux, tandis que ceux situés au-dessus sont favorisés par ces derniers. Le vote par approbation et le vote par note rétrogradent M. Le Pen entre la 5<sup>e</sup> et la 7<sup>e</sup> place alors qu’elle était deuxième au scrutin officiel.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465961/original/file-20220530-22-qt4nab.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Graphique.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comparaison des classements : La ligne bleue retrace le classement des candidats au scrutin officiel. La courbe orange correspond au classement issu du vote par approbation. Les courbes grise et jaune résultent du vote par note, respectivement pour les échelles (-1, 0, 1) et (0,1, 2).</p>
<h2>2022 ne fait pas exception</h2>
<p>A Strasbourg en 2022, une expérimentation a été menée sur deux bureaux, caractérisés par un fort <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/bas-rhin/strasbourg-0/carte-resultats-presidentielle-2022-a-strasbourg-jean-luc-melenchon-leader-surprise-du-premier-tour-devant-emmanuel-macron-2522796.html">vote « Mélenchon</a> », dont environ 49 % des électeurs ont accepté de se prêter au jeu de l’expérimentation.</p>
<p>Sans redresser les données et donc sans aucune représentativité nationale, la composition dans l’ordre du podium au vote officiel – Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Yannick Jadot – est largement modifiée par les trois scrutins alternatifs testés qui donnent : Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Philippe Poutou. Là encore, le fait de ne pouvoir se prononcer que sur un seul nom se perçoit dans les résultats du mode de scrutin officiel, contrairement au vote par approbation, au vote par note ou au jugement majoritaire.</p>
<p>L’expérimentation conduite parallèlement en ligne avec <a href="https://www.dynata.com/?lang=fr">l’institut Dynata</a> entre le 1<sup>er</sup> et 10 avril a permis d’interroger deux échantillons représentatifs d’électeurs français. Comme attendu, les choix que les participants ont indiqués pour le scrutin officiel ont coïncidé avec les résultats du premier tour de la présidentielle.</p>
<p>Mais pour la première fois depuis 2002, le vote par note et le vote par approbation ont aussi rendu un podium identique à celui du scrutin officiel – Macron, Le Pen, Mélenchon – attestant de l’importance de ces trois candidats dans l’esprit des votants. En revanche, le jugement majoritaire donne l’ordre : Macron, Mélenchon, Lassalle. M. Le Pen n’arrive alors qu’en 7<sup>e</sup> position.</p>
<h2>Le mode de scrutin façonne le paysage politique</h2>
<p>Le mode de scrutin modifie donc massivement la perception de l’importance relative des différents <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2017-6-page-1063.htm">candidats ou partis</a>. En 2012, les résultats de vote par approbation donnaient une importance similaire au Front national et aux Verts (<a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2013-2-page-345.htm">environ 26 % de soutiens dans les deux cas</a>).</p>
<p>Cela contraste avec la lecture que l’on avait du soutien électoral de leurs candidates en regardant les résultats du vote officiel dans lequel elles ont obtenu respectivement 18 % et 2 % des voix du premier tour. Cette différence s’explique facilement : le scrutin uninominal réduit la base électorale de victimes du vote utile (tels <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RECO_642_0006">Eva Joly en 2012</a>, Benoît Hamon en 2017 ou Valérie Pécresse en 2022) quelle que soient l’adhésion dont ils bénéficient par ailleurs auprès des électeurs.</p>
<p>Non seulement la perception du <a href="https://www.gate.cnrs.fr/IMG/pdf/Baujard_Igersheim_Senne_2011_EMN5-AES.pdf">paysage politique</a>, du <a href="https://www.gate.cnrs.fr/IMG/pdf/Baujard_Igersheim_Senne_2011_EMN5-AES.pdf">positionnement des candidats</a> et de la dynamique des préférences électorales dépendent largement du mode de scrutin, mais cette perception de l’importance des forces politiques transforme aussi la réalité elle-même.</p>
<h2>Aux citoyens de s’emparer de ces recherches</h2>
<p>Aujourd’hui, la chute brutale des résultats électoraux du Parti socialiste et des Républicains est interprétée comme la fin de ces partis traditionnels : cette analyse de l’issue du scrutin officiel pourrait détourner d’eux les électeurs dans le futur, confirmant de fait le diagnostic initialement posé. Pourtant, les données du vote par approbation ou du vote par note montrent que cette érosion est ancienne, progressive et sans rejet définitif dans l’esprit des électeurs. La rupture n’est en fait pas aussi brusque que le scrutin officiel <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3683848">nous le fait percevoir</a>.</p>
<p>Les travaux de la théorie du choix social et ces expérimentations confirment que le mode de scrutin, quel qu’il soit, ne constitue jamais une méthode neutre ni pour désigner le vainqueur d’une élection, ni pour analyser la vie politique.</p>
<p>Ces recherches nous enseignent qu’il est possible de changer de modes de scrutin. Elles nous montrent en quoi ces modes de scrutin diffèrent, et analysent de façon précise et intuitive leurs propriétés respectives, elles éclairent les opinions et le débat public. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=03NtiW-NXcI">Comme le rappelle cette vidéo à partir de la 40ᵉ minute</a>, c’est ensuite aux citoyens de choisir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183737/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoinette Baujard a reçu des financements du Centre d'Analyse Stratégique pour l'expérimentation de 2007, de l'université Jean Monnet pour les expérimentations 2012 et 2022, de l'ANR pour les expérimentations 2012 et 2017.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Herrade Igersheim et Isabelle Lebon ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des expérimentations lors de la présidentielle montrent que le choix du mode de scrutin détermine l’importance relative des candidats. Aux citoyens de choisir le mode de scrutin qu’ils préfèrent !Isabelle Lebon, Professeur de Sciences Economiques, directrice adjointe de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen NormandieAntoinette Baujard, Professeur de sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneHerrade Igersheim, Directrice de recherche CNRS en économie -- Directrice adjointe du Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1791242022-03-30T08:20:43Z2022-03-30T08:20:43ZQuel mode de scrutin pour quelle démocratie ?<p>Dans nos démocraties représentatives, celles et ceux qui vont agir au nom du peuple sont désignées par le vote. L’acte de vote et son résultat dépendent du mode de scrutin. Sa légitimité – et par là même, celle des élus – repose avant toute chose sur l’acceptation par tous les électeurs de ses propriétés.</p>
<p>Les chercheurs connaissent bien les <a href="https://aceproject.org/ace-fr/topics/es/esd/default">propriétés des différents modes de scrutin</a>. Il y a déjà plus de deux siècles que les travaux des deux académiciens français, Borda et Condorcet, ont mis au jour la difficulté à définir une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hI89r4LqaCc">méthode de vote satisfaisante</a> dès qu’il y a au moins trois candidats.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le point de vue d’un mathématicien sur la démocratie, YouTube.</span></figcaption>
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<p>En effet, lorsque trois candidats, Abdel, Béatrice et Claude, se présentent à une élection, si une majorité de votants préfère Abdel à Béatrice et qu’une majorité préfère Béatrice à Claude, il reste possible qu’une majorité préfère Claude à Abdel. Dans ce cas – que l’on appelle le paradoxe de Condorcet – la désignation d’un vainqueur, qui serait jugé meilleur que les deux autres, est, pour le moins, compliquée.</p>
<h2>Aucun système de vote n’est idéal</h2>
<p>Cette observation pessimiste est confirmée et généralisée par le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VNcj7-XUhoc">théorème d’impossibilité d’Arrow</a>. L’économiste américain Kenneth Arrow, au début des années 1950, liste un petit nombre de conditions souhaitables pour un mode de scrutin. Selon une condition d’universalité, on doit pouvoir imaginer toutes les préférences et les combinaisons de préférences individuelles entre les différents candidats.</p>
<p>Selon la condition d’unanimité, lorsque tous les votants préfèrent un candidat à un autre, le résultat du vote doit respecter cette préférence partagée par tous. Et selon la condition d’indépendance, l’ordre entre deux candidats ne doit pas dépendre de l’absence ou de la présence d’autres candidats. Or, aucun mode de scrutin n’est en mesure de respecter simultanément ces trois conditions, sauf à accepter un mode de décision dictatorial, c’est-à-dire que le vote d’une seule personne s’impose à tous. Il n’existe donc aucun système de vote idéal. Le mode de scrutin que l’on utilise habituellement en France n’y fait pas exception.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VNcj7-XUhoc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Théorème d’Arrow.</span></figcaption>
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<h2>Les défauts du scrutin majoritaire à deux tours</h2>
<p>Le scrutin majoritaire à deux tours utilisé pour élire le Président de la République française ne respecte pas la propriété d’indépendance selon laquelle le score de chaque candidat et donc les résultats relatifs des uns par rapport aux autres dépendent de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/03/21/dispersion-des-voix-montee-des-petits-candidats-vote-protestataire-les-scenarios-possibles-de-la-fin-de-campagne_5990194_823448.html">présence ou de l’absence d’autres candidats</a>. De là, les incroyables enjeux liés au fait de savoir qui pourra ou non obtenir les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection.</p>
<p>Ce mode de scrutin à deux tours favorise de surcroît la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UIQki2ETZhY">fragmentation</a> des positions politiques, car chaque candidat a intérêt à se ménager un créneau électoral bien spécifique qui lui permette d’obtenir assez de voix pour accéder au second tour. Il conduit donc à accentuer mécaniquement les antagonismes plutôt qu’à faire converger les différents partis vers l’intérêt général. L’évolution du paysage politique résulte de la stratégie des partis pour s’adapter à <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00656634/">ce mode de scrutin</a>, ce qui vient expliquer (entre autres explications) la polarisation progressive de l’opinion.</p>
<p>De façon plus générale, il apparaît que les modes de scrutin majoritaires à un ou deux tours ne respectent pas systématiquement le « critère de Condorcet », selon lequel le candidat susceptible de battre tous ses concurrents dans des duels majoritaires devrait l’emporter. Dans ces conditions, les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00609810">théoriciens du vote condamnent unanimement le scrutin majoritaire à un tour</a>, la plupart critiquent aussi le scrutin majoritaire à deux tours et, plus globalement, ils apprécient peu les règles de vote dans lesquelles les électeurs ne s’expriment que pour un seul candidat.</p>
<h2>La famine informationnelle des bulletins de vote</h2>
<p>Bien qu’il n’existe aucun mode de scrutin idéal, certains ont plus de capacité à sélectionner une décision collective que l’on a des raisons de juger meilleure : certains modes de scrutin, par exemple, élisent le vainqueur de Condorcet lorsqu’il existe. Ainsi, l’impossibilité arrovienne vient du fait que la décision collective ne repose finalement que sur très peu d’informations sur les préférences individuelles. Par exemple, les scrutins majoritaires, à un tour ou à deux tours ne considèrent que le premier choix des électeurs. </p>
<p>Non seulement ces derniers ont une vision plus nuancée de la politique, mais pour de nombreux électeurs qui n’ont pas voté pour lui, on ne saura jamais dans quelle mesure le vainqueur leur convient ou non. Le vote est incroyablement silencieux ! Imaginer que l’on puisse prendre en compte correctement les opinions de chaque votant sur la base de leur silence est une chimère – <a href="http://www.jstor.org/stable/2231867">Amartya Sen</a> parle à ce sujet de <a href="http://www.jstor.org/stable/1913949">« famine informationnelle»</a>.</p>
<p>Il y a donc une bonne nouvelle : on est à même de faire mieux, à condition de ne pas se limiter à des règles de vote qui, pour ne considérer que le classement des candidats, ignorent toutes les nuances des opinions politiques des électeurs.</p>
<h2>L’intensité des préférences</h2>
<p>Reprenons l’exemple précédent d’Abdel, Béatrice et Claude. Si nous avions plus d’informations, par exemple si nous savions qu’Abdel est fortement préféré à Béatrice alors que Claude n’est que faiblement préféré à Abdel, nous pourrions sortir de l’indétermination. Mais cela suppose un mode de scrutin qui tienne compte de l’intensité des préférences, et pas seulement du classement des candidats.</p>
<p>Les spécialistes du vote ne défendent pas unanimement un mode de scrutin en particulier. D’abord, chacun de ces théoriciens a des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wKimU8jy2a8">raisons de préférer celui… qu’il a contribué lui-même à développer</a>. Ensuite parce qu’ils ne valorisent pas nécessairement les mêmes propriétés : certains insistent davantage sur le critère de Condorcet, d’autres sur le problème du vote utile, d’autres encore sur l’expression des électeurs…</p>
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<figcaption><span class="caption">La méthode Condorcet.</span></figcaption>
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<p>Mais, y compris pour n’élire qu’un seul vainqueur, ils s’accordent pour recommander des méthodes multinominales – c’est-à-dire des <a href="https://mitpress.mit.edu/books/majority-judgment">modes de scrutin</a> qui permettent à chaque électeur de se <a href="https://www.presses.ens.fr/539-voter-autrement.html">prononcer sur chaque candidat en lice</a>. Parmi ces méthodes, on peut citer le <a href="https://electionscience.org/library/approval-voting/">vote par approbation</a>, utilisé dans la ville de Fargo aux États-Unis : il permet aux électeurs de soutenir ou de ne pas soutenir chacun des candidats avec pour vainqueur celui qui a le plus grand nombre de soutiens. Le <a href="http://votedevaleur.org/co/votedevaleur.html">vote par note</a> permet aux électeurs d’attribuer des points à chaque candidat sur une échelle prédéterminée avec pour vainqueur celui qui cumule le plus de points. Le <a href="https://mieuxvoter.fr/">jugement majoritaire</a> – utilisé lors de la primaire populaire – qui permet aux électeurs d’associer une mention parmi un ensemble prédéfini à chaque candidat avec pour vainqueur celui qui a la meilleure mention médiane. Le <a href="https://www.electoral-reform.org.uk/voting-systems/types-of-voting-system/single-transferable-vote/">vote unique par élimination successive</a>, mode de scrutin utilisé notamment en Irlande et dans de nombreuses autres démocraties depuis plus d’un siècle, demande à chaque électeur de classer les candidats ou au moins certains d’entre eux ; si plus de la moitié des électeurs ont le même candidat favori, celui-là est élu ; sinon on élimine le dernier et les votes sont transférés aux candidats suivants dans le classement des électeurs ; on continue les tours de dépouillement jusqu’à identifier le candidat qui obtient la majorité absolue.</p>
<h2>Le dilemme entre vote sincère et vote utile</h2>
<p>Du côté du débat public en France, de forts questionnements relatifs au scrutin officiel ont été entendus après <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/04/23/le-duel-chirac-le-pen-provoque-un-seisme-politique_4236523_1819218.html">l’élection présidentielle de 2002</a>, où Jean‑Marie Le Pen a fait face à Jacques Chirac au 2<sup>e</sup> tour.</p>
<p>La forme de ce second tour rompait avec la tradition bipolaire de la vie politique française et mettait en lumière pour de nombreux électeurs le <a href="https://www.liberation.fr/france/2016/04/20/generation-21-avril-il-ne-faut-pas-voter-pour-ses-idees-sinon-on-le-paye-cher_1447551/">dilemme entre vote sincère et vote utile</a>. Le vote utile pose non seulement un problème individuel, lorsque l’électeur est frustré de son expression politique, mais aussi un <a href="https://theconversation.com/le-vote-utile-est-il-un-probleme-178185">problème social</a>, lorsqu’il conduit à ce que certaines catégories de la population soient toujours moins représentées dans les décisions collectives.</p>
<p>Ce dilemme à présent largement intégré par les électeurs est inhérent au fait qu’ils sont contraints à sélectionner un seul candidat. On ne sait rien de l’opinion des votants pour les candidats pour lesquels ils n’ont pas voté : ils pourraient les apprécier autant, voire plus (s’ils ont voté utile) ou beaucoup moins.</p>
<p>Ce musellement de l’expression des citoyens encourage l’abstention, et altère la perception que l’on peut avoir de l’importance qu’a chaque parti politique dans l’opinion. Le débat public existe sur ces questions et certains n’hésitent pas à <a href="https://www.revuepolitique.fr/linadaptation-du-scrutin-uninominal-a-deux-tours/">remettre en cause le scrutin majoritaire à deux tours</a>.</p>
<p>Remarquons toutefois que les réformes portant sur le vote depuis 2013 s’attellent à mettre en place davantage de proportionnelle et/ou de parité – <a href="https://www.liberation.fr/france/2013/04/17/la-reforme-des-scrutins-locaux-adopte-par-le-parlement_896887/">élections municipales et départementales</a> en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000026701057">particulier</a> –, mais ne s’emparent pas de la question d’une expression plus large des électeurs au moment du vote. Quand tous observent et déplorent la baisse de la participation aux élections officielles, l’intensification des débats sociétaux devrait conduire la sphère politique à s’en saisir. Un système permettant aux électeurs d’indiquer plus largement leurs opinions, contribuerait sans doute à inverser cette tendance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179124/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Il n’existe aucun système de vote idéal. Néanmoins plusieurs modes de scrutin existent. Explications.Herrade Igersheim, Directrice de recherche CNRS en économie -- Directrice adjointe du Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), Université de StrasbourgAntoinette Baujard, Professeur de sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneIsabelle Lebon, Professeur de Sciences Economiques, directrice adjointe de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781852022-03-14T19:00:35Z2022-03-14T19:00:35ZLe vote utile est-il un problème ?<p>À la présidentielle de 1965, le parti communiste se range dès le premier tour derrière la candidature de François Mitterrand. Le secrétaire général Waldeck Rochet justifie ce choix comme étant celui du vote utile, c’est-à-dire <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1965/11/15/pour-eviter-le-chaos-preparer-la-releve-en-votant-mitterrand_3069242_1819218.html">« un vote qui pèse réellement dans la balance »</a>. Il s’agit alors d’affaiblir le général de Gaulle en le mettant en ballotage et de faire en sorte que son adversaire pour le second tour soit le candidat de l’union de la gauche plutôt que le candidat centriste. <a href="https://www.franceculture.fr/politique/14-decembre-1965-le-jour-ou-de-gaulle-a-saute-comme-un-cabri">Ce plan se réalise</a> parfaitement, puisque de Gaulle n’est pas élu dès le premier tour et ne l’emporte qu’à 55,20 % au second tour contre Mitterrand. </p>
<p>Il y a cependant une autre lecture de ce résultat : les électeurs communistes ont été contraints de voter pour François Mitterrand dont, de l’aveu même du communiste Waldeck Rochet « les options politiques […] ne contiennent pas toutes les mesures prévues dans notre programme », sachant que « sur certaines questions, nos opinions diffèrent des siennes ». Les électeurs communistes, dont le camp ne l’a finalement pas emporté, n’ont surtout pas eu l’occasion d’exprimer sincèrement leur opinion.</p>
<h2>Le dilemme entre un vote d’expression et un vote utile</h2>
<p>Certes, le vote utile n’est pas toujours organisé par les partis. Mais beaucoup d’électeurs se trouvent individuellement face au dilemme qui impose de choisir entre un vote d’expression et un vote utile : au premier tour de l’élection présidentielle, dois-je voter utile <a href="https://www.cambridge.org/core/books/making-votes-count/42CD9425E1410457FFC5079EC851F32B">pour que mon vote compte ?</a></p>
<p>Le vote utile peut être une source de frustration pour les électeurs quand il suppose de sacrifier l’expression sincère de sa préférence électorale. Il pèse aussi sur la perception et la dynamique du paysage politique. Car au-delà de la désignation du vainqueur, les scores électoraux sont la jauge de l’importance relative des candidats et des sujets qu’ils incarnent, ainsi associe-t-on par exemple un <a href="http://www.slate.fr/tribune/52875/presidentielle-joly-vote-juste-utile">« signal écologiste »</a> au score obtenu par le ou la candidate qui représente ce parti.</p>
<p>La détermination du vote utile s’appuie sur l’information diffusée sur les chances relatives des candidats en lice. Lors de l’élection présidentielle, pendant des semaines, des sondages presque quotidiens conduisent, <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763">à tort ou à raison</a>, les électeurs à identifier les candidats susceptibles de se qualifier pour le second tour. Dans certains cas, comme en 2017, les enquêtes prévoyaient des scores très serrés pour les quatre candidats (effectivement) arrivés en tête, si bien que les électeurs pouvaient prévoir que toute voix attribuée à un autre candidat serait par avance perdue. </p>
<p>Aussi la pression du vote utile réduit-elle l’offre politique en invisibilisant une partie des candidats : ceux qui n’ont aucune chance d’être présents au second tour. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le scénario de la présidentielle de 2022, mais la dispersion de la gauche pourrait effacer du tableau tout cette <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/la-tentation-du-vote-utile">famille politique</a>, dont aucun des candidats ne pourrait espérer être présent au second tour.</p>
<h2>Le vote utile n’est pas un problème moral</h2>
<p>Le vote utile n’est pas un problème moral. Si voter consister à participer au choix d’un vainqueur, on doit s’attendre à ce que les électeurs votent en fonction de préoccupations stratégiques. Le vote utile est même une bonne option pour ceux qui le pratiquent. La gauche a appris à ses dépens à la présidentielle de 2002 que l’insuffisance de vote utile pouvait transformer une possible victoire en échec retentissant.</p>
<p>En effet, les 600 000 électeurs qui se sont exprimés en votant pour Christiane Taubira au premier tour de cette élection, envisageaient en majorité de voter pour Lionel Jospin au second tour ; il a pourtant <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/il-y-a-dix-ans-le-21-avril-2002-lionel-jospin-etait-elimine-au-premier-tour_265655.html">manqué 200 000 voix</a> à celui-ci pour y accéder. Sans présumer d’un résultat de second tour qui n’était pas acquis, les électeurs qui préféraient Lionel Jospin à Jacques Chirac, se seraient ouvert la possibilité d’un meilleur résultat final en votant utile dès le premier tour.</p>
<p>Le vote utile n’a cependant, rien d’un réflexe automatique pour tous les électeurs français : même placés dans une situation à l’issue aussi incertaine que le premier tour de la présidentielle de 2017, ils étaient deux fois plus nombreux à s’exprimer en faveur de leur candidat favori distancé dans les sondages – comme nous le montrons dans un <a href="https://doi.org/10.1016/j.electstud.2022.102458">article</a> – qu’à se reporter sur un candidat, un peu moins satisfaisant de leur point de vue, mais qui a une chance d’arriver au second tour.</p>
<h2>Une source d’inégalités entre les électeurs</h2>
<p>Cette situation est une source d’inégalités entre les électeurs. Voter utile nécessite d’être bien informé de l’évolution des sondages, d’y consacrer du temps, de mesurer les enjeux qui existent derrière ces chiffres, et d’y consentir. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les plus âgés, les plus riches et les mieux éduqués soient les plus susceptibles de voter stratégiquement, ainsi que l’a établi une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/who-votes-more-strategically/0CF7B90AE7CBBAB337C4255BF2C7E1E5">étude</a> réalisée sur plusieurs élections au Royaume-Uni. </p>
<p>Remarquons que les caractéristiques de ceux qui ne votent pas utile – plutôt jeunes, défavorisés et peu diplômés – sont aussi celles de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1023.htm">ceux de qui ne votent pas</a> ou <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2016-1-page-17.htm">qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales</a> : la mal inscription en France touche essentiellement les 18-35 ans, et l’abstention concerne environ deux fois plus les sans diplômes que les diplômés du supérieur ou titulaires d’un bac, ainsi que les ouvriers plutôt que les cadres. Il faudrait certes confirmer les tendances du vote utile par catégorie sur les données françaises mais, déjà, cette coïncidence ouvre une piste.</p>
<p>Le vote utile crée un biais social en renforçant la segmentation entre une population qui s’exprime et qui compte, et une population qui, qu’elle s’abstienne ou qu’elle participe au scrutin, ne compte jamais. Le vote utile n’est pas un problème moral mais un problème social. Prendre ce problème au sérieux devient alors une responsabilité essentielle de la démocratie.</p>
<h2>Une pression qui varie en fonction des modes de scrutin</h2>
<p>La pression du vote utile varie selon les modes de scrutin. Il en existe qui la réduise en permettant aux électeurs de s’exprimer sur chaque candidat. Ces modes de scrutin ne se résument pas à de simples constructions théoriques. Certains sont effectivement utilisés dans différents pays, comme le vote unique transférable mis en œuvre depuis longtemps pour les <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/irlande-elections-mode-d-emploi-552439.html">élections irlandaises</a>, et en cours de développement aux <a href="https://www.nytimes.com/2022/02/15/opinion/alaska-elections-ranked-choice.html">États-Unis</a>. Les électeurs classent plusieurs candidats ; si un électeur positionne en tête un petit candidat, sa voix n’est pas perdue car elle est transférée au candidat qu’il a classé derrière si ce petit candidat est éliminé. </p>
<p>D’autres modes de scrutin considèrent les évaluations sur une échelle prédéfinie que les électeurs donnent à chaque candidat pour désigner le vainqueur. Le <a href="https://mieuxvoter.fr/">jugement majoritaire</a>, qui a été utilisé lors des primaires populaires de 2017 et 2022, sélectionne le candidat qui obtient la meilleure évaluation médiane. Les systèmes de <a href="https://www.votedevaleur.org/co/votedevaleur.html">vote par note</a> (dont le plus simple est le <a href="https://electionscience.org/library/approval-voting/">vote par approbation</a>), donnent vainqueur celui qui a la somme des notes la plus élevée (respectivement le plus grand nombre d’approbations). Les <a href="https://www.gate.cnrs.fr/vote">réflexions sont en cours et</a> l’enjeu est de taille : identifier un mode de scrutin moins manipulable qui puisse être compris et mobilisé par le plus grand nombre, y compris par les plus jeunes, les plus pauvres et les moins éduqués est l’une des clés d’une démocratie inclusive.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178185/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoinette Baujard a reçu des financements de: IDEXLYON, Université de Lyon (project INDEPTH) dans le cadre du Programme Investissements d’Avenir (ANR-16- IDEX-0005)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Lebon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le vote utile n'est pas un problème moral mais un problème social.Isabelle Lebon, Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen NormandieAntoinette Baujard, Professeur de sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1782052022-03-01T15:04:40Z2022-03-01T15:04:40ZWhen a hippo honks, here’s what it could mean – to another hippo at least<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/449227/original/file-20220301-25-1h8fu7u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">shutterstock</span> </figcaption></figure><p>Hippos are very vocal animals, exchanging signals like the “wheeze honk”. But not much is known about what these sounds mean. Two researchers found themselves thinking about this in Mozambique – where they were initially studying crocodiles. </p>
<p>Hippos are quite territorial and aggressive – and fast-moving. So the researchers kept a fair distance away as they conducted their <a href="https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(21)01693-6?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS0960982221016936%3Fshowall%3Dtrue">experiment</a>. They recorded hippo noises and played them back to the animals, watching to see how the hippos behaved. If the call came from an unknown hippo in a different social group, the response appeared to be aggressive. If the call was one they recognised, they were less inclined to be aggressive. </p>
<p>One way hippos show aggression is to spray dung.</p>
<p>The meaning of hippo sounds is useful to know for conservation efforts. Hippos and humans sometimes come into conflict and need to be moved for their own survival. Before relocating them, conservation managers could play them the sounds of the hippos they will be meeting in their new location, to familiarise them.</p>
<p>In this episode of Pasha, Nicolas Mathevon, professor in animal behaviour and bioacoustics at the University of Saint-Etienne, and Paulo Fonseca, professor in acoustic communication at the University of Lisbon, take us through their experiences of listening to hippos in Mozambique.</p>
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<p><strong>Photo</strong>
“Specie Hippopotamus amphibius family of Hippopotamidae.” by PACO COMO, found on <a href="https://www.shutterstock.com/image-photo/hippopotamus-kruger-national-parksouth-africa-specie-439875586">Shutterstock</a> </p>
<p><strong>Music</strong>
“Happy African Village” by John Bartmann, found on <a href="http://freemusicarchive.org/music/John_Bartmann/Public_Domain_Soundtrack_Music_Album_One/happy-african-village">FreeMusicArchive.org</a> licensed under <a href="https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/">CC0 1</a>.</p>
<p>“African Moon” by John Bartmann, found on <a href="http://freemusicarchive.org/music/John_Bartmann/Public_Domain_Soundtrack_Music_Album_One/happy-african-village">FreeMusicArchive.org</a> licensed under <a href="https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/">CC0 1</a>.</p>
<p><em>The researchers would like to thank the Maputo special reserve for allowing them to do the research on the property.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178205/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Hippos are very vocal creatures. They display certain aggressive behaviour when strangers are in their territory.Ozayr Patel, Digital EditorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1742982022-01-06T20:28:03Z2022-01-06T20:28:03ZLe fossé des générations, un défi pour la transmission éducative<p>C’est dans les années 1970 que l’existence d’un fossé des générations, au sens d’une coupure générationnelle entre les « jeunes » d’un côté et les adultes de l’autre, apparaît dans un certain nombre de travaux scientifiques.</p>
<p>Constatant l’émergence d’une nouvelle classe d’âge depuis la fin de la seconde guerre mondiale, caractérisée par des pratiques sociales inédites, vestimentaires et artistiques – musicales en particulier – ainsi que par l’usage de médias spécifiques (en France, la revue <em>Salut les copains</em> date des années 1960), ces auteurs ont analysé ce phénomène en tant que fait social et culturel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/generation-un-concept-a-utiliser-avec-moderation-161040">Génération : un concept à utiliser avec modération ?</a>
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<p>Ce n’est sans doute pas un hasard s’ils étaient souvent soit ethnologues, comme Margaret Mead, soit bien au fait de ce domaine de recherches comme le psychologue américain Jérôme Bruner : le fossé des générations leur est apparu comme un phénomène typique des sociétés occidentales contemporaines, par opposition aux « sociétés traditionnelles », auxquelles ils avaient consacré leurs travaux (on peut citer par exemple l’ouvrage de Margaret Mead <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/mead_margaret/moeurs_sexuelles/moeurs_sexuelles.html"><em>Mœurs et sexualité en Océanie</em></a>).</p>
<h2>Une nouvelle conception du temps</h2>
<p>Dans ces sociétés traditionnelles, le fossé des générations est inexistant, en raison d’une part d’un mode de vie qui donne aux adultes et aux jeunes un grand nombre d’occasions d’être ensemble, d’autre part d’une représentation sociale du temps qui conçoit l’avenir sur le modèle du passé. Le changement y est vécu négativement, de sorte que ce qui compte, c’est de maintenir l’ordre des choses. L’éducation y est mise en œuvre comme une transmission du passé.</p>
<p>Les adultes, écrit par exemple Margaret Mead dans <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/DENOEL/Bibliotheque-Mediations/Le-Fosse-des-generations#">son essai</a> <em>Le fossé des générations</em>, ne peuvent se figurer l’éducation autrement que comme le fait de « transmettre à leurs descendants le sens d’une continuité immuable ». À tort ou à raison, ils ont des certitudes sur ce qui doit être transmis aux enfants.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439195/original/file-20220103-187942-1fs9my2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439195/original/file-20220103-187942-1fs9my2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=789&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439195/original/file-20220103-187942-1fs9my2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=789&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439195/original/file-20220103-187942-1fs9my2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=789&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439195/original/file-20220103-187942-1fs9my2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439195/original/file-20220103-187942-1fs9my2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439195/original/file-20220103-187942-1fs9my2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Margaret Mead.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a4/Margaret_Mead_%281923%29_2.jpg">Barnard College, Public domain, via Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette situation disparaît au contraire dans les sociétés occidentales contemporaines, en particulier sous l’effet de la scolarisation croissante de l’éducation qui fait que les jeunes sont éduqués à l’écart de la vie sociale et des lieux de travail. A cela, on ajoutera une nouvelle conception du temps que l’on peut résumer par l’idée de l’imprévisibilité de l’avenir. Nous en avons sous les yeux des illustrations claires. Très peu nombreux étaient par exemple ceux qui pouvaient prévoir, dans les années 70-80, la révolution de l’informatique et des moyens de communication qui a bouleversé quelques années plus tard le monde du travail et l’ensemble de nos modes de vie.</p>
<p>Il ne faut certes pas être trop général. Le fossé des générations n’existe pas à tout âge ; il est différencié selon les groupes sociaux ainsi que selon les activités – y a-t-il un fossé des générations dans les pratiques sportives ?</p>
<p>La crise économique actuelle et en particulier les aléas de l’insertion professionnelle des jeunes produisent des effets contrastés : d’un côté, elles les conduisent à rester plus longtemps dans le foyer familial et elles renforcent la solidarité notamment financière des générations. D’un autre côté, elles renvoient aux jeunes l’image d’un monde peu excitant et suscitent le désir de différer le plus possible le moment d’y entrer. Cela renforce le repli sur soi de la jeunesse, l’allongement de la durée des études, et par voie de conséquence, de cet âge de la vie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-covid-171165">« Une jeunesse, des jeunesses » : peut-on vraiment parler de « Génération Covid » ?</a>
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<p>C’est dans ce contexte que la question du fossé des générations se pose : quand les adultes ne savent plus dire de quoi demain sera fait et quand ils ont du mal à assumer un monde dont ils ont de bonnes raisons de ne pas être fiers, il devient difficile de savoir ce que l’éducation doit transmettre aux nouvelles générations.</p>
<h2>La réponse d’Hannah Arendt</h2>
<p>En 1958, dans un article intitulé « La crise de l’éducation », la philosophe allemande, émigrée aux États-Unis, Hannah Arendt <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-crise-de-la-culture">apporte une réponse à cette question</a>. D’une part, les éducateurs doivent se présenter comme « représentants du monde » devant les nouvelles générations, quelles que soient les opinions qu’ils ont par ailleurs sur l’état du monde. D’autre part, l’éducation n’a pas pour but d’imposer une vision de l’avenir aux enfants.</p>
<p>Arendt prend acte de l’imprévisibilité de l’avenir : chaque génération lègue à la suivante, un monde que nul ne pouvait prévoir à l’avance. Mais, et c’est là une thèse centrale de sa pensée, « la natalité est le miracle qui sauve le monde ». Les nouveaux venus portent en eux une créativité qui les rend capables de répondre au défi de l’avenir.</p>
<p>L’apparition dans le monde d’êtres qui lui sont étrangers est envisagée par Hannah Arendt comme la source de notre capacité d’invention et d’innovation – capacité que les éducateurs doivent veiller à ne pas briser, ce que nous ferions si nous prétendions éduquer au nom d’une conception de l’avenir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Citéphilo 2020 – Hannah Arendt, crise de l’autorité, crise de la transmission.</span></figcaption>
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<p>L’éducation doit se contenter d’être un apprentissage du monde tel qu’il est, apprentissage qui passe par une transmission intergénérationnelle. À l’opposé des expériences de « self-government » qui sont à la mode aux États-Unis dans les années 1950, cette transmission implique un effort des adultes, pour maintenir les liens, effort qui doit se traduire dans les attitudes individuelles et dans les décisions politiques. La nécessité de la transmission éducative doit être inscrite au cœur des politiques éducatives.</p>
<h2>La réponse de Jérôme Bruner</h2>
<p>J’emprunterai une seconde réponse, sensiblement différente, au psychologue américain Jérôme Bruner. Bruner se situe dans la tradition pédagogique de l’éducation nouvelle et du pragmatisme, représentée principalement aux États-Unis par la figure monumentale de John Dewey, et caractérisée par la volonté d’ouvrir l’école sur le monde et de susciter l’initiative des élèves sur des projets ou des actions élaborées de façon collective.</p>
<p>Sur cette base, Bruner soutient que les élèves peuvent <a href="https://www.editions-retz.com/pedagogie/l-education-entree-dans-la-culture-9782725627809.html">dès la scolarité</a> être préparés à affronter l’imprévisibilité de l’avenir, en travaillant sur les « questions socialement vives », autrement dit les problèmes auxquels les sociétés contemporaines sont confrontées, par exemple, les catastrophes naturelles ou humaines et les façons de leur faire face.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-lapres-pour-une-ecole-de-lessentiel-137005">Penser l’après : Pour une école de l’essentiel</a>
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<p>À l’opposé des idées d’Arendt, l’école souhaitée par Bruner <a href="https://www.puf.com/content/Le_d%C3%A9veloppement_de_lenfant">accompagne les enfants</a> dans le développement de leur capacité à poser et à affronter les problèmes, en leur proposant des méthodes de travail, des outils pour les traiter, des situations pratiques pour les mettre en œuvre. La transmission éducative ne disparaît pas pour autant ; elle se veut articulée avec l’activité d’apprentissage et de recherche des élèves.</p>
<p>Sur le fossé des générations, Bruner a formulé en 1973, une hypothèse originale, l’hypothèse de la « génération intermédiaire ». Il entend par là le rôle éducatif que les jeunes adultes, c’est-à-dire les plus âgés des jeunes, peuvent jouer auprès de leurs cadets. La génération intermédiaire est déjà dans le monde du travail, tout en ayant encore un pied dans le monde de l’adolescence.</p>
<p>Certaines de ses figures les plus populaires – animateurs radio, vedettes de la chanson, aujourd’hui influenceurs, etc.), sont pour les jeunes à la fois des modèles désirables tout en appartenant déjà au monde des adultes ; à la fois du côté du désir et de la raison. Ils répondent au manque d’attractivité du monde adulte, en montrant par leur exemple même l’image – réaliste ou illusoire – d’une vie désirable.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1442517273781014530"}"></div></p>
<p>Concluons que dans les deux cas, la confiance des adultes envers la jeunesse est au centre de la pratique éducative. Mais les conséquences de cette confiance diffèrent. Pour Arendt, la confiance signifie que la jeunesse doit être armée de connaissances et de capacités intellectuelles pour, une fois devenue adulte, être capable de faire face aux problèmes du monde d’une manière que personne ne peut prévoir aujourd’hui. Pour Bruner, la confiance implique que la jeunesse soit associée – dès l’éducation – à la discussion sur ces problèmes et qu’elle se forme ainsi sur un mode collaboratif.</p>
<p>Dans les deux cas cependant, peut-être est-ce finalement parce que l’avenir est imprévisible que le fossé des générations est nécessaire : il est cette étape qui permet aux jeunes de prendre de la distance vis-à-vis des adultes et de se mettre en position d’affronter plus tard les problèmes du monde, avec les moyens qu’ils sauront inventer eux-mêmes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Ce texte prolonge l’intervention de Philippe Foray dans une session consacrée à la jeunesse comme ressource pour les transitions proposée en octobre 2021 à l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174298/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Foray ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand les adultes ne savent plus dire de quoi demain sera fait, comment définir ce que l’éducation doit transmettre aux nouvelles générations ? Réponses d’Hannah Arendt et de Jérôme Bruner.Philippe Foray, Professeur d’Université en Sciences de l’éducation, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1689602021-11-23T20:08:16Z2021-11-23T20:08:16ZÀ l’adolescence, cette grossophobie qui fait des dégâts<p>En 2019, le terme de « grossophobie » a fait son entrée dans le dictionnaire français. La définition du Larousse stipule qu’il s’agit là d’une « attitude de stigmatisation, de discrimination envers les personnes obèses ou en surpoids ». S’il est vrai que la grossophobie renvoie au phénomène discriminatoire au sens large (incluant les injures, le harcèlement, les brimades, etc.), il est néanmoins important de souligner que la reconnaissance des discriminations vécues par les personnes grosses est assez récente.</p>
<p>Il faudra attendre la fin des années 1980 pour que ce vocabulaire trouve un écho dans le mouvement associatif français notamment. Pour le grand public, c’est le livre de l’actrice Anne Zamberlan qui impose le terme. Paru en 1994 et intitulé <em>Coup de gueule contre la grossophobie</em>, il inaugure sur les plateaux télévisés français une discussion sur les discriminations subies par les personnes grosses. Avec son association « Allegro Fortissimo » l’actrice opère une première inversion en France : le problème n’est plus du côté des personnes grosses mais bel et bien des personnes grossophobes et des modalités de prise en charge sociosanitaire de ces questions. Mais il demeure un paradoxe : selon la Haute Autorité de Santé (HAS) 46,5 % des adultes sont en surpoids et 20 % sont obèses.</p>
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<figcaption><span class="caption">Grossophobie : pourquoi le débat est important ? (Décod’actu, Lumni, 2021).</span></figcaption>
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<p>Ce que révèle le concept de grossophobie ne tient donc pas uniquement dans les faits discriminatoires mais plus généralement dans les représentations associées aux personnes grosses : leur responsabilité, leur indolence… <a href="https://liguecontrelobesite.org/actualite/forte-progression-de-lobesite-en-france-en-2020/">Le rapport Obépi</a> qui parait chaque année sur l’évolution de l’obésité en France ne manque pas d’indiquer combien les curseurs de pauvreté et de faible éducation jouent un rôle prépondérant dans l’augmentation de l’obésité. Or, cette étude a donné́ lieu, du côté́ des campagnes de prévention, à une communication principalement orientée vers l’alimentation et l’activité́ physique.</p>
<h2>Des discriminations très genrées</h2>
<p>Une traduction a été́ opérée des déterminismes de l’obésité – celui de l’éducation et du faible revenu – pour le transcrire en termes de discours essentiellement éducatif, voire moralisateur dont les effets (diminution de l’obésité et du surpoids, meilleures connaissances nutritionnelles) sont largement discutables. Ainsi les personnes grosses sont suspectées d’être dans une relation permissive avec leurs corps, où gloutonnerie, paresse et gourmandise seraient l’apanage des personnes grosses.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/grossophobie-sociologie-dune-discrimination-invisible-162874">« Grossophobie, sociologie d’une discrimination invisible »</a>
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<p>Or, selon l’Organisation mondiale de la santé, l’obésité <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight">est définie comme une maladie</a> mais les actions militantes plus récentes, notamment celles d’associations comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vSCXMCGydaI">« Gras politique »</a> ont provoqué un glissement significatif dans la reconnaissance de l’obésité au-delà de la sphère médicale pour accompagner la visibilité des actions de lutte contre les représentations péjoratives à l’égard de cette population.</p>
<p>Des films, souvent des documentaires, ont également permis de mieux connaitre la question de la grossophobie en France. Pour n’en citer que quelques-uns, en 2019, <em>Pourquoi nous détestent-ils, nous les gros ?</em> avec Charlotte Gaccio, <em>Ma vie en gros</em>, avec Daria Marx en 2020 et, récemment, le film de Gabrielle Deydier, <em>On achève bien les gros</em>, sorti en 2020. Ces films prennent souvent la forme d’un récit biographique et témoigne de la vie quotidienne des personnes touchées par la grossophobie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Gabrielle se bat contre la grossophobie (Brut, 2020).</span></figcaption>
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<p>Mais peut-on dire pour autant que ces transformations d’ordre politique et de représentations ont modifié l’expérience des plus jeunes ? Pas tout à fait… Selon une récente enquête portée par La Ligue contre l’Obésité, en France, un enfant sur dix déclare avoir subi des discriminations du fait de son poids, et les jeunes en situation d’obésité en <a href="https://liguecontrelobesite.org/actualite/sondage-les-adolescentes-et-les-jeunes-femmes-en-situation-dobesite-parmi-les-plus-grandes-victimes-de-la-grossophobie/">sont 4 fois plus souvent victimes</a> que les autres (40 %). Plus encore, car on sait la dimension fortement genrée de ce type de discrimination, l’étude montre que 54 % des jeunes filles en obésité âgées de 14 à 17 ans ont déjà subi des propos ou comportements grossophobes !</p>
<p>Les pressions des normes sociales et esthétiques se font plus fortement ressentir chez les filles. <a href="https://www.vidal.fr/sante/nutrition/equilibre-alimentaire-enfant-adolescent/equilibre-alimentaire-adolescents.html">Une récente enquête</a> indique que, à 15 ans, la moitié d’entre elles déclarent avoir besoin de faire un régime alors que seule une fille sur dix est en surpoids. Plus inquiétant encore, cette préoccupation se retrouve désormais chez les préadolescentes : 37 % des filles de 11 ans déclarent faire ou avoir fait un régime. Cette assignation à la minceur et ce recours au régime chez les plus jeunes fait le lit des troubles des conduites alimentaires.</p>
<h2>Une normativité généralisée</h2>
<p>Ces chiffres sont sans appel : les plus jeunes – et les femmes particulièrement – sont bel et bien victimes de grossophobie. L’une des principales raisons à cela demeure l’étendue des espaces producteurs de contrôle et de normativité pondérale. <a href="https://theconversation.com/grossophobie-un-phenomene-mondial-aux-consequences-nefastes-pour-tous-162155">Les enquêtes de Rebecca Puhl</a> sont à cet égard particulièrement intéressantes car elles mettent en lumière le lien fort entre la stigmatisation des personnes grosses, en surpoids ou obèses, et les enjeux de santé publique qui en découlent. Pour le dire autrement, plus les espaces de grossophobie sont nombreux, moins les discours de prévention contre l’obésité sont efficaces.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-parents-peuvent-aider-les-ados-a-surmonter-les-complexes-crees-par-les-reseaux-sociaux-168620">Comment les parents peuvent aider les ados à surmonter les complexes créés par les réseaux sociaux</a>
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<p>Pire, ils tendent même à augmenter les préjugés et les discriminations vécues par les personnes concernées. C’est notamment le cas à l’école où le maintien des politiques publiques de prévention du côté de la santé sportive et alimentaire dessine les contours d’une sur-responsabilisation des jeunes personnes grosses ou en surpoids. « Si malgré tout vous ne perdez pas ces kilos, c’est que vous n’avez pas suivi les conseils ». Mais il serait tout à fait limitatif de ne regarder que du côté de l’école car la famille est, elle aussi, un lieu de stigmatisation du surpoids, comme l’exprime cette jeune femme lors de l’une de nos recherches en 2016 :</p>
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<p>« Est-ce que l’on m’a déjà insultée ou embêtée parce que je suis grosse ? Non, je ne vois pas. Je ne crois pas. (elle se tait, réfléchit, puis ajoute) en fait, ça dépend ce que vous appelez se faire embêter. Quand j’étais petite, ma famille nous appelait ma sœur et moi les petits boudins. Et mon cousin l’avait dit à l’école. Donc tout le monde nous appelait ainsi, même le prof de sport. Mais bon, c’était pour rigoler. »</p>
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<p>Distinction sociale, moquerie émanant (paradoxalement) de personnes censées nous aimer, non prise en compte des injures et brimades vécues en dehors, phénomènes de culpabilisations… nombreux sont les vecteurs d’enracinement de la grossophobie (tacite ou explicite) en contexte familial. Plus encore, dans une société du numérique ou les frontières entre la sphère publique (notamment scolaire) et privée (notamment familiale) s’amenuisent, le rôle des réseaux sociaux est à interroger frontalement, car la grossophobie ne se borne pas aux interactions physiques : <a href="https://repositori.upf.edu/handle/10230/33255?locale-attribute=en">elle trouve son pendant exact sur les réseaux sociaux</a>.</p>
<h2>Des confusions dangereuses</h2>
<p>Les campagnes de prévention contre l’obésité ont donné lieu à des représentations genrées, sexistes et stigmatisantes. Ce n’est que très récemment, en octobre 2021, que la <a href="https://ecpomedia.org">première banque internationale d’images bienveillantes</a> a été réalisée avec des personnes concernées par l’obésité. Longtemps, cette difficulté à mettre en scène les personnes obèses dans les médias a laissé la place à de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02367320/document">mauvaises représentations</a>.</p>
<p>Faute de trouver des images qui leur correspondent, et dans lesquelles ils peuvent se reconnaitre, les jeunes se tournent vers les réseaux sociaux, leur laissant la part belle pour investir les questions identitaires, pour le meilleur comme pour le pire. Facebook, Instagram sont ainsi devenus les leaders des banques d’images sur le corps et les différences chez les plus jeunes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"606010871639343105"}"></div></p>
<p>Enfin, nous souhaitons souligner combien il reste difficile de savoir nommer de façon bienveillante les personnes concernées par la grossophobie. Sont-elles grosses ? En surpoids ? Ou obèses ? Or, cette confusion n’est pas sans conséquence dans la prise en compte du corps des personnes dites grosses. Car somme toute, il n’existe toujours pas de critères précisant à partir de quand une personne est grosse. La notion de grosseur reste totalement subjective et diffère selon de nombreux facteurs tels que la culture, l’éducation ou encore l’estime de soi. Tandis que l’obésité est une maladie chronique multifactorielle définie par l’OMS avec des critères bien précis.</p>
<p>Cette confusion des termes entretient le déficit d’accompagnement auprès des personnes concernées, et des jeunes tout particulièrement, dans une période ou la représentation de soi sur les réseaux sociaux ne s’effectuent pas sans lien avec des <a href="https://www.slate.fr/story/212964/algorithme-instagram-propose-adolescents-contenus-perte-poids-regime-fitness">préoccupations pondérales</a>.</p>
<p>En d’autres termes, des personnes non concernées par l’obésité, mais stigmatisées comme rondes, voire grosses – à l’adolescence notamment – se retrouvent à faire des régimes ou développer des troubles des conduites alimentaires en réponse à ce marquage du corps du côté de la pathologie. Et des personnes concernées par l’obésité ont intériorisé une culpabilité à ne pas savoir « se faire maigrir » alors que leurs difficultés ne relèvent pas d’une simple volonté mais d’une pathologie complexe qui demande un accompagnement pluridisciplinaire et une attention relationnelle dès le plus jeune âge.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168960/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Si les discriminations liées au poids sont dénoncées, les clichés sur l’obésité persistent, culpabilisant les personnes qui en souffrent et poussant au régime des jeunes qui n’en ont pas besoin.Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxMarielle Toulze, Chercheuse en communication, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606292021-05-30T20:42:21Z2021-05-30T20:42:21ZQui est « identitaire » ? Enquête dans les quartiers populaires<p>En France, des « identitaires » auto-proclamés, liés à la tradition de <a href="https://www-cairn-info.iepnomade-2.grenet.fr/vers-la-guerre-des-identites--9782707188120-page-220.htm">l’extrême droite</a>, essentialisent et racialisent l’appartenance nationale, de manière explicite, afin de distinguer, contre la tradition civique et républicaine française, des <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20180227.OBS2804/rokhaya-diallo-traitee-de-francaise-de-papier-nadine-morano-dans-les-pas-de-charles-maurras.html">« faux » et « vrais »</a> Français selon leur origine.</p>
<p>Dans le débat public cependant, ce sont souvent des collectifs antiracistes luttant contre les discriminations, voire les universitaires travaillant sur la question raciale, qui se voient accusés « d’essentialiser des identités », de verser dans <a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">« l’islamogauchisme »</a> et de menacer la cohésion de la République. Sont mises en cause notamment certaines organisations (par ailleurs en conflit) comme le Comité Adama ou le Parti des Indigènes de la République (PIR), qui sont parfois qualifiées « d’entrepreneurs identitaires ». Ce terme désigne des personnes ou organisations qui viseraient à promouvoir des appartenances collectives selon un critère ethnique – une notion qui s’applique, de manière privilégiée, à des groupes nationalistes ou <a href="https://www.cairn.info/a-la-recherche-de-la-democratie--9782845863231-page-59.htm">ethno-religieux</a>.</p>
<p>Ces collectifs comme d’autres moins controversés, (associations locales par exemple), mais aussi des universitaires ou des agents publics alertant sur l’ampleur des discriminations ethno-raciales, sont présentés comme responsables de la « racialisation des identités ». Ce faisant, des acteurs dont les démarches sont à la fois diverses et différentes se trouvent amalgamés et stigmatisés.</p>
<p>Dans cette perspective, les membres de minorités ethno-raciales tendraient à leur emboîter le pas, s’appropriant des identités raciales réifiées ou figées.</p>
<p>Qu’en est-il réellement ? Au-delà des fantasmes, <a href="https://www.puf.com/content/L%C3%A9preuve_de_la_discrimination">l’enquête</a> par entretiens (N = 245) et par observations que nous avons conduite dans des quartiers populaires en France et à l’étranger entre 2014 et 2018 apporte des réponses empiriques à cette question. Elle permet notamment de comprendre comment se construisent des modes d’identification minoritaires. Cette enquête montre à cet égard le rôle prépondérant des discriminations ethno-raciales, territoriales et religieuses.</p>
<h2>Des identités plurielles : origine, quartier, classe…</h2>
<p>En sciences sociales, la <a href="https://www.cairn.info/journal-geneses-2005-4-page-134.htm">notion d’identification</a> rend compte depuis longtemps du caractère labile des « identités » : selon les situations, les individus se réfèrent à une pluralité de critères identitaires – une même personne ayant tendance à se penser plutôt comme femme, par exemple, ou comme jeune, noire, française, musulmane, membre des classes populaires ou habitante d’un quartier populaire, etc., en fonction des contextes.</p>
<p>Accuser les sciences sociales de vouloir essentialiser les identités témoigne ainsi d’une forme d’ignorance : les mots en – tion (identification, racialisation) visent précisément à souligner le caractère processuel et contingent des « identités ». Qu’en est-il des catégories mobilisées par les personnes interrogées dans le cadre de notre enquête ?</p>
<p>Ces enquêtés représentent une diversité de quartiers populaires (dans différentes villes) et de générations et sont membres, le plus souvent, d’une minorité ethno-raciale. S’ils ne se réfèrent pas systématiquement à un « nous » – « nous les Maghrébins », « musulmans », « habitants d’un quartier populaire », etc. – beaucoup mobilisent malgré tout dans le cours de l’entretien, plus ou moins ponctuellement, ces marqueurs identitaires. Contrairement à une idée répandue dans les sciences sociales, le marqueur ethno-racial (« nous les noirs », « les Arabes », etc.) est ici plus souvent mobilisé (par un tiers des enquêtés) que le marqueur territorial (« nous membres des quartiers populaires », qu’évoque un enquêté sur huit). De même, il est fait un peu plus souvent référence à la religion (« nous les musulmans ») qu’au territoire.</p>
<h2>Des marqueurs identitaires imbriqués</h2>
<p>La mobilisation de catégorisations ethno-raciales est d’abord liée à l’expérience des discriminations dont la moitié renvoie, dans notre corpus, à l’origine (contre 21 % à la religion supposée, et 13 % seulement au lieu de résidence). Si les identifications ethno-raciales et religieuses sont bel et bien saillantes au sein des quartiers populaires, elles restent malgré tout labiles et plurielles : ainsi par exemple, si le « nous, habitants des quartiers populaires » est peu mis en avant, il tend à le devenir quand les individus évoquent l’action de la police. Ce marqueur identitaire est rendu saillant par le sentiment qu’ont certaines personnes d’être ciblées comme membres de ces quartiers, notamment <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2016-5-page-729.htm">par la police</a> – ce qui illustre le caractère relationnel, ou la dimension dialectique, des « identités ».</p>
<p>De plus, les marqueurs identitaires apparaissent couramment imbriqués plutôt qu’opposés, le « nous » pouvant renvoyer à la fois au quartier et au critère de « l’origine » – les deux appartenances étant souvent mêlées. La souffrance suscitée par les expériences de discrimination ou de stigmatisation découle bien souvent de formes d’altérisation fortement imbriquées où classe, race et quartier s’entremêlent, à l’image de l’expérience relatée par Cyntia, qui associe la classe (« J’étais la seule qui avait une mère aide-soignante ») et la race (« j’ai toujours été la seule Noire dans ma classe ») :</p>
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<p>« On était dans le vestiaire de sport avec ma classe, ça se passe en 6<sup>e</sup>. Tout le monde disait “tes parents font quoi ?” et j’avais presque la moitié de ma classe qui disait “mon père est avocat, chirurgien”. Vraiment des grands métiers ! Et j’étais la seule qui disait “ma mère elle est aide-soignante”. J’ai une élève qui m’a demandé c’était quoi aide-soignante ? ! J’avais expliqué “elle s’occupe des malades”. “Comme une infirmière ?”, je dis “non, elle les change, elle les lave”, alors elle fait “Aaaah…”, comme ça, dégoûtée ! Je me suis sentie mal ! Je me suis sentie très très mal ! J’avais l’impression que j’étais toute seule dans ma classe. J’ai toujours été la seule Noire dans ma classe. » (Cyntia, F, 19 ans, BAC STMG, étudiante, Villepinte)</p>
</blockquote>
<p>Cela peut témoigner d’un « nous » aux frontières floues. On a bien affaire, quoi qu’il en soit, à des identifications rendues (ou non) saillantes dans un contexte donné – en aucun cas à des identités essentialisées.</p>
<h2>Le poids des discriminations : des identités réactives</h2>
<p>Labiles, les identités apparaissent principalement réactives : c’est d’abord l’expérience d’une discrimination ou d’une minoration qui rend saillant un « nous » stigmatisé. Autrement dit, les individus font d’abord le constat qu’ils sont désignés ou traités, de manière récurrente, en tant que membres d’une catégorie – dans laquelle, souvent, ils ne se reconnaissent pas. Comme le dit Malika à Roubaix, Française d’origine algérienne âgée de 47 ans, au chômage en dépit de son Bac+3 :</p>
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<p>« On nous pousse… jamais je n’aurais pensé un jour dire “on” ou “nous”. À force, on se pose la question du “on”. »</p>
</blockquote>
<p>Le « on » dont il est question ne renvoie pas à l’idée d’une « essence » (ethnique ou raciale), mais au partage d’une même expérience, celle d’interactions quotidiennes marquées, souvent depuis l’enfance, par la différenciation ou la minoration – voire simplement du racisme.</p>
<p>L’appartenance réelle ou supposée à cette catégorie devient alors pertinente : elle renvoie à une « réalité », celle de l’assignation identitaire (une identité subie, imposée de l’extérieur) et de l’expérience d’une stigmatisation ou discrimination.</p>
<p>Ainsi l’enquête confirme que le racisme, la stigmatisation ou la minoration contribuent à produire des appartenances minoritaires, ou la race <a href="https://anamosa.fr/livre/race/">au sens sociologique du terme</a>, comme catégorie de sens commun pouvant venir à faire sens pour les individus.</p>
<p>Des collectifs ou des militants peuvent toujours viser à retourner le stigmate associé à ces catégories, en se les réappropriant de manière positive. Mais les catégories que promeuvent certains <a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-02892525/file/521-4438-1-PB.pdf">mouvements antiracistes</a> – « racisés », « indigènes », etc. – souvent jugées dangereuses dans le débat public, ne sont quasiment pas mobilisées par les personnes que nous avons rencontrées.</p>
<p>Pour notre enquête, nous avons suivi onze associations, des collectifs locaux créés par les habitants de quartiers populaires portant, de manière indirecte parfois, sur la lutte contre les discriminations (à partir d’une action culturelle, d’éducation populaire, au sein de centres sociaux, etc.). À la différence des mouvements évoqués ci-dessus, ces associations, qui sont directement en contact avec les habitants, ne reprennent pas à leur compte ces catégorisations.</p>
<p>Si elles s’emparent des enjeux de discrimination ethno-raciale, c’est toujours, bien loin d’un supposé « séparatisme » ou <a href="https://laviedesidees.fr/Communautarisme-4176.html">« communautarisme »</a>, dans une logique d’aspiration à la reconnaissance et à l’égalité.</p>
<h2>« Être français, c’est quand tu m’accepteras »</h2>
<p>Les enquêtés ont très souvent le sentiment que leur appartenance à la communauté nationale leur est symboliquement refusée ou déniée. C’est le cas d’Amir, quand l’enquêteur lui demande s’il se sent français :</p>
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<p>« Je suis allé faire le service militaire. Pendant un an, j’ai appris à côtoyer le drapeau français […] Et aujourd’hui, on veut me faire comprendre qu’il y a de bons Français, enfin des Français de souche et des mauvais Français. Être Français c’est quoi ? Être Français c’est quand tu m’accepteras. C’est vrai que je ne suis pas né ici. Mais je ne me suis jamais posé la question. Je vis en France. Je travaille en France. Je me suis marié en France. J’ai mes enfants en France. Et vous me posez la question : est-ce que vous vous sentez français ? Je suis ému, je ne me suis jamais posé ce genre de question. » (Amir, H, 52 ans, marié, licence, formateur en auto-école, originaire des Comores, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/y1lGaaoCePQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">FR 4 Latifa Ibn Ziaten à l’Assemblée nationale, extrait de « Latifa, le cœur au combat ».</span></figcaption>
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<p>« Je suis français, je suis né en France, mais j’ai l’impression qu’on ne veut pas que je sois Français. » (Amine, H., 19 ans, lycéen bac S, parents franco-algériens, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
<p>Ce sentiment d’un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01265551">déni de francité</a> résulte largement de <a href="https://www.researchgate.net/profile/Patrick-Simon-6/publication/281249422_Une_citoyennete_controversee_descendants_d%27immigres_et_imaginaire_national/links/5ee37770299bf1faac4e8e0f/Une-citoyennete-controversee-descendants-dimmigres-et-imaginaire-national.pdf">l’expérience des discriminations</a>, à laquelle les enquêtés l’associent spontanément – surtout lorsqu’il s’agit de discriminations institutionnelles, émanant notamment de la police, ou qui surviennent dans le cadre scolaire.</p>
<p>Il peut renvoyer également, pour certains enquêtés, à des discours ou propositions politiques : ainsi du projet de loi sur la déchéance de nationalité, du débat sur le thème de l’identité nationale, ou des propos stigmatisant les musulmans après les attentats terroristes de 2015.</p>
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<p>« On nous rabâche à longueur de temps : “Vous n’êtes pas française”. On finit par y croire ! » (Aya, F, 27 ans, master étudiante en école d’infirmière, parents ivoiriens, Villepinte)</p>
</blockquote>
<p>Ali quant à lui s’interroge :</p>
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<p>« En France, j’ai été considéré comme un étranger depuis toujours […] Au bout d’un moment on se dit : “Je ne suis ni un Arabe, ni un Français. Je suis quoi ? Je suis rien ?” » (Ali, H, 27 ans, CAP, sans emploi, mère algérienne, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
<p>Pour certains enquêtés, peu nombreux, le déni de francité, l’assignation subie à des catégories ethno-raciales ou religieuses et ses effets pratiques – discriminations, humiliations, brimades… – peuvent mener jusqu’à des formes d’exit ou de rupture d’avec la communauté nationale.</p>
<p>Ainsi quelques personnes au sein de notre corpus déclarent ne plus se sentir, au bout du compte, françaises. Alors que les enquêtés rejettent massivement le « communautarisme » – lui préférant de loin l’idéal de « mixité » – quelques individus finissent par opter pour une forme de repli sur une communauté autre – le plus souvent religieuse, pour des individus se disant <em>salafi</em> – leur assurant une protection face aux attaques extérieures.</p>
<h2>Des minorités qui aspirent à l’égalité</h2>
<p>À rebours des discours sur le séparatisme qui irriguent le débat public, nos résultats montrent que la concentration spatiale des minorités dans les quartiers populaires est le plus souvent subie, <a href="https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_1999_num_33_1_1751">fruit de politiques de peuplement discriminatoires</a> – ces minorités aspirant fortement à la <a href="https://journals.openedition.org/metropoles/4769">mixité</a>, et à être traitées à égalité avec les autres citoyens.</p>
<p>En témoigne l’interpellation, le 19 avril dernier, d’Emmanuel Macron lors de <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20210419.OBS43001/mon-fils-m-a-demande-si-le-prenom-pierre-existait-vraiment-macron-interpelle-sur-la-mixite-a-montpellier.html">sa visite d’un quartier populaire de Montpellier</a>, par une habitante réclamant davantage de mixité sociale :</p>
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<p>« Mon fils de 8 ans m’a demandé si le prénom de Pierre existait vraiment ou s’il n’était que dans les livres parce qu’il n’en connaît aucun. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, certains enquêtés envisagent ou ont fait le choix de quitter la France et trouvent, au Canada ou en Angleterre notamment, non pas une société exempte de tout <a href="https://www.sociologicalscience.com/download/vol-6/june/SocSci_v6_467to496.pdf">racisme</a>, mais où ils font <a href="https://theconversation.com/face-aux-discriminations-les-musulmans-et-les-minorites-demandent-legalite-127413">l’expérience</a> d’une inclusion, d’une tolérance et d’un accueil meilleurs.</p>
<h2>C’est d’abord le racisme qui « essentialise »</h2>
<p>Le constat n’est pas nouveau : la stigmatisation produit des catégories et des identités réactives, et c’est le racisme qui crée et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">invente historiquement la race</a>. La société française s’est crue longtemps « aveugle à la couleur ». Des <a href="https://www.cairn.info/de-la-question-sociale-a-la-question-raciale--9782707158512.htm">études empiriques nombreuses</a> montrent que les assignations raciales, souvent implicites ou « masquées », y sont en fait courantes.</p>
<p>Actant l’existence de fait de catégories ethno-raciales et de leur caractère contingent, différents collectifs ou acteurs se voient accusés de les réifier et de promouvoir, ce faisant, des « identités » figées et irréconciliables. Une démarche intellectuelle rigoureuse et honnête implique de raisonner autrement qu’à partir de quelques cas choisis d’une façon partiale, qui peuvent être marginaux.</p>
<p>Notre enquête montre que les minorités sont loin de se référer à des identités figées ou exclusives : les appartenances minoritaires, et l’appartenance ethno-raciale spécialement, ne constituent jamais à leurs yeux une « essence » (ou une race au sens de la pensée raciste).</p>
<p>Si des marqueurs identitaires ou des catégories apparaissent, dans certains contextes, pertinents c’est parce qu’elles désignent des personnes qui partagent l’expérience d’une discrimination ou d’une mise à l’écart – une assignation identitaire subie. Et si la tentation de l’exit ou du « repli » existe, nos résultats montrent qu’elle ne résulte ni de l’influence de mouvements ou d’organisations de lutte contre les discriminations, ni des analyses de la question raciale, mais bien de l’existence, massive et largement invisibilisée, de discriminations et de l’exclusion symbolique d’une partie des citoyens de la communauté nationale.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs sont membres du collectif DREAM</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160629/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïk Purenne a reçu des financements de l'ANR et de la Fondation de France.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hélène Balazard a reçu des financements de l'ANR</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche et de l'Université de Lille</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marion Carrel a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Samir Hadj Belgacem a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Guillaume Roux et Sümbül kaya ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les résultats d’une enquête récente montrent que les minorités sont loin de se référer à des identités figées ou exclusives et celles-ci ne constituent jamais à leurs yeux une « essence ».Guillaume Roux, Chercheur, sciences politiques, FNSP, laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Anaïk Purenne, sociologue, chargée de recherche à l’Université de Lyon, ENTPEHélène Balazard, Chercheure en science politique à l’Université de Lyon, ENTPEJulien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleMarion Carrel, Professeure de sociologie, Université de LilleSamir Hadj Belgacem, Maître de Conférence en sociologie à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneSümbül kaya, Chercheure, Responsable des Études contemporaines IFEA, Institut français d’études anatoliennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1450492020-11-11T17:31:30Z2020-11-11T17:31:30ZPhotographier les ruines pour (re)penser l’anthropocène<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/365812/original/file-20201027-22-1sbsilx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C8%2C1994%2C1574&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Yves Marchand et Romain Meffre, « William Livingstone House », photo tirée de la série « The Ruins of Detroit », 2006. </span> <span class="attribution"><span class="source">Avec l'aimable autorisation d'Yves Marchand et Romain Meffre</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>L’artiste américain Robert Smithson, représentant du <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2002-3-page-65.htm">Land Art</a> dans les années 1960, remettait en question dans ses œuvres l’opposition de l’homme à la nature. Il créait des sculptures in situ, dans des déserts ou d’anciennes carrières, mais écrivait aussi des textes qu’il accompagnait de photographies. Il a ainsi accompli une promenade photographique dans la banlieue fade et délabrée de Passaic, sa ville natale du New Jersey, qu’il a commentée dans le texte <a href="https://holtsmithsonfoundation.org/monuments-passaic-new-jersey">« The Monuments of Passaic »</a>, à l’origine publié avec des images dans la revue <em>Artforum</em> en 1967.</p>
<p>Les édifices capturés avec un <a href="http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/1292">appareil Kodak assez médiocre</a> sont, selon ses termes, des « ruines à l’envers », puisqu’ils succombent à une obsolescence rapide, tombant presque en ruine avant d’avoir fini d’être construits. Les <a href="https://holtsmithsonfoundation.org/monuments-passaic">images réalisées par Smithson</a> de ces piètres constructions renversent une vision héritée du romantisme qui exaltait la majesté des vestiges.</p>
<p>À rebours, des photographes contemporains tels que le duo français <a href="http://www.marchandmeffre.com/">Yves Marchand et Romain Meffre</a> réactivent un imaginaire romantique en donnant dans leurs représentations un aspect spectaculaire et pittoresque à des friches industrielles, des théâtres ou des habitations récemment abandonnés. En même temps, puisque les édifices photographiés ne sont pas anciens, leurs images convoquent une esthétique de la catastrophe : la ruine des structures ou, à tout le moins, leur abandon semble avoir été causée par un événement soudain.</p>
<h2>Exploration urbaine</h2>
<p>Le travail des deux photographes rencontre un véritable succès et peut être associé à la mode, en pleine expansion, de l’ <a href="https://id.erudit.org/iderudit/1038860ar">« exploration urbaine »</a> ou « urbex » (de l’anglais urban exploration). Cette pratique consiste à visiter des lieux désaffectés, difficiles d’accès ou interdits, puis à en partager les images sur Internet. Les « urbexeurs » mettent en ligne des clichés rendant compte de leurs excursions dans les friches du paysage urbain quotidien, mais aussi des prises de vue de lieux plus caractéristiques comme la zone d’exclusion de Tchernobyl, figée depuis la catastrophe nucléaire, ou la ville de Détroit, célèbre pour le nombre de ses ruines apparues suite au déclin principalement déclenché par la crise économique et les tensions raciales. Yves Marchand et Romain Meffre ont consacré un <a href="http://www.marchandmeffre.com/detroit">projet</a> (ayant abouti à une <a href="https://steidl.de/Books/Detroit-vestige-du-reve-americain-2432355556.html">publication</a>) aux vestiges de la cité américaine.</p>
<p>La mise en perspective des travaux – séparés de plus d’un demi-siècle – de Robert Smithson et d’Yves Marchand et Romain Meffre s’avère féconde pour penser l’<a href="https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2007-1-page-141.htm">anthropocène</a>, permettant de considérer ces nouvelles formes de ruines, dont la dégradation est rapide, comme des manifestations de l’<a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/physique-entropie-3895/">entropie</a>. Ces œuvres interrogent aussi le rapport de l’homme à la nature, dans une société post-industrielle où <a href="https://journals.openedition.org/lectures/2619">l’accélération des cycles de renouvellement et du rythme de vie prédomine</a>.</p>
<h2>Donner à voir l’entropie</h2>
<p>Les prises de vue des « ruines à l’envers » de Passaic illustrent le concept d’entropie qui préside à l’ensemble du travail de Robert Smithson. Cette notion, empruntée à la thermodynamique, caractérise, dans un système clos, l’irréversibilité des transformations ainsi qu’une tendance naturelle au désordre.</p>
<p>Le mathématicien et économiste <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/georgescu_roegen_nicolas/decroissance/decroissance.html">Nicholas Georgescu-Roegen</a>, auquel Robert Smithson se réfère, se sert de ce terme pour expliquer le problème de la crise énergétique : l’énergie disponible (dite de basse entropie) s’amenuise. Les activités humaines précipitent sa transformation en déchets inutilisables (énergie de haute entropie). Dans l’œuvre <em>The Monuments of Passaic</em>, l’entropie est incarnée par l’obsolescence accélérée des constructions qui, à peine achevées, se délabrent inéluctablement. Selon Robert Smithson, la photographie permet de rendre ce processus visible.</p>
<p>Bien que les bâtiments que photographient Yves Marchand et Romain Meffre à Detroit diffèrent des constructions enregistrées par Smithson, les images du duo évoquent également un processus de déréliction. Leurs clichés paraissent en effet fixer le cours de l’effondrement des structures dont l’ampleur sidère. Ils invitent à réfléchir sur la chute d’un système économique, sur le coût énergétique dépensé pour construire ces bâtiments démesurés, désormais inutiles et qu’il faudra raser puis déblayer, au prix d’une nouvelle consommation d’énergie et d’une production de déchets, accroissant encore l’entropie.</p>
<p>Les prises de vue de l’intérieur des édifices donnent à voir des pièces où subsistent de nombreux objets abandonnés qui se décomposent progressivement. Comme les travaux de Robert Smithson, les photographies d’Yves Marchand et Romain Meffre interrogent le devenir des productions humaines qui répondent à une logique de consommation massive et du « tout jetable » ainsi que la pollution et l’altération de l’environnement qui caractérisent l’anthropocène : cette nouvelle époque dans laquelle nous serions entrés depuis que l’homme est devenu un des acteurs majeurs de la transformation des territoires, rivalisant avec les puissances géologiques.</p>
<h2>La dialectique de l’homme et de la nature</h2>
<p>Les photographies d’Yves Marchand et Romain Meffre montrent d’immenses structures en désuétude, dans lesquelles la végétation s’insinue avec vigueur. L’usage d’un objectif grand-angle accentue les lignes de fuite, augmentant l’impression de démesure et de vacuité des espaces arpentés. Les vestiges semblent se tenir dans un futur catastrophique où l’homme aurait disparu.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365813/original/file-20201027-24-1v8cghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365813/original/file-20201027-24-1v8cghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365813/original/file-20201027-24-1v8cghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365813/original/file-20201027-24-1v8cghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365813/original/file-20201027-24-1v8cghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365813/original/file-20201027-24-1v8cghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365813/original/file-20201027-24-1v8cghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Yves Marchand et Romain Meffre, Boiler Room, Sorrento Power Station, Rosario, Argentina, 2014.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Avec l’aimable autorisation d’Yves Marchand et Romain Meffre</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Cette temporalité post-apocalyptique convoquée par les images renvoie à la hantise généralisée d’un écroulement prochain, dont la cause pourrait être écologique. En effet, depuis maintenant un demi-siècle, se multiplient les bouleversements environnementaux et se succèdent les alertes des scientifiques, alimentant les discours <a href="https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/climatologie-collapsologie-18034/">collapsologiques</a>. La nature semble « reprendre ses droits » – selon une formule galvaudée – sur les artefacts, dans un monde où l’homme se serait autodétruit.</p>
<p>Mais quels sont les « droits » de la nature ? Ce terme rend mal compte du rapport de l’homme à son environnement et aux manifestations des éléments. Qui plus est, l’être humain ne fait-il pas lui-même partie de la nature ? Robert Smithson critique l’opposition catégorique qui est traditionnellement opérée entre l’homme et la nature. Il perçoit davantage la relation entre ces deux termes de manière dialectique. Il est donc intéressant de mettre en perspective la réflexion développée par l’artiste, dans ses réalisations plastiques et dans ses textes, d’une part avec les photographies de ruines actuelles, d’autre part avec les débats que suscite la notion d’anthropocène, très présente aujourd’hui.</p>
<h2>Penser « l’anthropocène »</h2>
<p>Le refus d’une séparation absolue entre l’homme et la nature questionne en effet les usages qui sont faits du terme d’« anthropocène ». Déclarer que nous sommes entrés dans une nouvelle époque géologique portant le nom de l’homme peut sembler <a href="https://theconversation.com/anthropocene-lhumanite-merite-t-elle-une-epoque-a-son-nom-123030">réaffirmer l’antagonisme entre l’Homo sapiens et le reste du vivant</a>. D’un autre côté, un emploi critique du terme peut pointer le penchant proprement occidental à vouloir opposer l’homme à la nature, et travaille à faire entrer les sciences de l’homme dans le champ des sciences du vivant. Les œuvres que nous étudions ici conduisent à repenser le débat sur l’anthropocène, suggérant qu’il pourrait déboucher sur la prise en compte d’une réciprocité entre nature et humanité, toutes deux insérées dans une même évolution combinée, sans que l’une ne prenne le pas sur l’autre.</p>
<p>En outre, Robert Smithson, conscient que l’industrie fait vivre les hommes, dénonçait l’hypocrisie des écologistes de son temps qui en condamnaient toute forme. Effectivement, mieux vaut tenter de trouver une sorte de compromis entre « l’écologiste idéaliste » et « l’exploitant minier en quête de profit », comme il le suggère dans un entretien avec Alison Sky « Entropy made visible » [L’entropie rendue visible], retranscrit dans <a href="https://monoskop.org/images/a/ad/Smithson_Robert_The_Collected_Writings.pdf"><em>Robert Smithson : The Collected Writings</em></a>. Or c’est l’<a href="http://journals.openedition.org/marges/297">art qui peut, selon Robert Smithson, assurer la médiation entre écologie et industrie</a>.</p>
<p>Les représentations post-apocalyptiques peuvent nourrir une prise de conscience en insistant sur la gravité des transformations que l’homme opère sur son environnement. Invitant à méditer sur le rapport que l’être entretient avec la nature, elles rappellent que l’activité humaine, telle qu’elle a été conçue depuis l’avènement de la société industrielle, ne cause pas seulement la disparition d’une entité naturelle idéalisée et extérieure à l’homme, mais travaille à l’altération de ses propres conditions d’existence. Nos modes de vie dépendent en fait directement des écosystèmes dont ils menacent l’équilibre.</p>
<p>Toutefois l’inquiétude d’une fin prochaine, que traduit sans doute l’attrait pour les photographies de ruines, ne doit pas interdire de préparer le futur. La conception de Robert Smithson, basée sur le concept d’entropie, désigne l’irréversibilité des transformations, mais prône aussi une pensée dialectique utile pour considérer l’anthropocène comme transition à opérer en privilégiant les compromis, plutôt que comme un effondrement ultime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145049/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les représentations post-apocalyptiques peuvent nourrir une prise de conscience en insistant sur la gravité des transformations que l’homme opère sur son environnement.Jonathan Tichit, Doctorant en Esthétique et Sciences de l'art, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneDanièle Méaux, Professeure en esthétique et sciences de l'art, photographie, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1467032020-10-08T17:51:51Z2020-10-08T17:51:51ZBD « Sciences en bulles » : Les poissons à l'épreuve du bruit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362475/original/file-20201008-22-cadk3b.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C821%2C471&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour les poissons aussi, le paysage sonore évolue.</span> <span class="attribution"><span class="source">Peb&Fox/Syndicat national de l’édition</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349128/original/file-20200723-35-4r1lck.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349128/original/file-20200723-35-4r1lck.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=243&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349128/original/file-20200723-35-4r1lck.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=243&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349128/original/file-20200723-35-4r1lck.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=243&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349128/original/file-20200723-35-4r1lck.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=305&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349128/original/file-20200723-35-4r1lck.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=305&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349128/original/file-20200723-35-4r1lck.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=305&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet extrait de la BD « Sciences en bulles » est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Quelle relation entre l’Homme et la Nature ? ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
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<p>La pollution sonore, en perpétuelle augmentation avec la croissance de la population aux alentours des cours d’eau, menace de plus en plus les communautés aquatiques. Elle est très inquiétante car elle a des conséquences néfastes sur les espèces sensibles aux basses fréquences (émis par les bateaux notamment) comme les poissons et les invertébrés. Elle entraîne des changements comportementaux comme une augmentation des réponses anti-prédateurs qui peut jouer également sur l’alimentation (par exemple, les espèces vont passer plus de temps à se défendre, ou à être distraites par le bruit, et peuvent rater ou quitter des zones riches en ressources).</p>
<p>La pollution sonore est de plus en plus présente en eau douce, avec les commerces fluviaux et les activités nautiques, et pourrait favoriser l’expansion des espèces invasives qui sont l’une des causes majeures du déclin de la biodiversité en eau douce. Ces espèces invasives sont introduites volontairement (pour la diversité génétique, l’ornement ou la pisciculture) ou involontairement (via les transports de marchandises en bateau) et s’adaptent très rapidement, pouvant nuire aux espèces natives (naturellement présentes dans nos cours d’eau français).</p>
<p>C’est là que j’interviens. Je souhaite comprendre comment les espèces invasives et natives vont répondre au bruit anthropogénique et savoir si les espèces invasives seront plus dangereuses car peut-être tolérantes à la pollution sonore. Pour les étudier, j’observe et analyse leur comportement durant l’alimentation et je suis notamment attentive aux différences de comportement comme une modification de leur mobilité, de leur capacité à attaquer leurs proies ou leurs interactions sociales. Durant cette première année de thèse, je me suis concentrée sur des observations à l’échelle de l’individu. Il s’agit d’expériences réalisées en laboratoire où j’ai reproduit des conditions de vie qui se rapprochent le plus de leur environnement naturel (même si c’est impossible à reproduire exactement) et où j’ai observé individu par individu leur manière de s’alimenter avec du bruit anthropogénique.</p>
<p>Pourquoi avoir choisi ce sujet ?</p>
<p>Je n’ai pas fait d’écologie théorique durant mes études, mais j’ai acquis des compétences en éthologie (comportement animal), physiologie animale et génétique. Au fil du temps, j’ai développé de réelles inquiétudes concernant notre environnement et notamment sur les conséquences des activités anthropogéniques sur l’environnement. C’est pourquoi j’ai voulu relever le défi de faire une thèse en écologie.</p>
<p>De plus, peu d’études se concentrent sur les espèces en eau douce et aucune sur la pollution sonore. L’eau douce héberge plus de 100 000 espèces et sa biodiversité est en déclin dans depuis des années. J’aimerais, grâce à ma thèse, mettre en avant cette problématique afin qu’elle trouve sa place dans les débats de société.</p>
<p>Mes journées de travail sont très variables. Certaines périodes sont consacrées à la bibliographie : j’ai le nez plongé dans des articles et revues scientifiques toute la journée. Ou bien je prépare mes futures expériences à réaliser au laboratoire et cela me demande plus de temps et de concertations avec les animaliers pour l’aspect éthique animale dans mon expérimentation. Ou bien encore je suis en pleine expérience ou j’analyse les résultats des expériences. Je donne également des travaux dirigés à l’Université afin d’acquérir une première approche d’enseignant-chercheur.</p>
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<p class="fine-print"><em><span>Emilie Rojas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pollution sonore est de plus en plus présente en eau douce. Comment les espèces natives et invasives y réagissent-elles ?Emilie Rojas, Doctorante en Neuro-éthologie, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412552020-06-23T20:55:02Z2020-06-23T20:55:02ZLes élus locaux sont-ils à l’abri des groupes d’intérêt ?<p>Dans un <a href="https://www.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2020/06/lobbying-epidemie-cachee-at-odm-juin2020.pdf">rapport récent</a>, deux associations (Les Amis de la Terre et l’Observatoire des multinationales) accusent des acteurs économiques d’avoir profité de la crise provoquée par le Covid-19 pour demander des assouplissements en matière de réglementations environnementales et sociales, considérées trop contraignantes pour leurs affaires.</p>
<p>Cette dénonciation laisse entendre que des intérêts privés agiraient en coulisses pour peser sur les décideurs. C’est là une idée fort ancienne, contemporaine de l’autonomisation (au XIX<sup>e</sup> siècle) des dirigeants politiques qui seraient désormais soumis aux pressions d’intérêts privés.</p>
<p>Longtemps, les restrictions censitaires du suffrage ont garanti la promotion des intérêts des plus privilégiés (<a href="https://www.cairn.info/explication-du-vote--9782724605667-page-106.htm?contenu=plan">et notamment des propriétaires</a>. Cependant, à partir de la III<sup>e</sup> République, alors que l’accès au pouvoir est désormais arbitré par le suffrage universel, les groupes sociaux, et notamment les plus dominants, ont dû développer de nouvelles pratiques pour faire entendre leur cause : non seulement présenter des candidats directement, mais aussi peser sur les préférences des élus.</p>
<p>Ainsi s’instaure, dans le discours républicain, une distinction entre l’intérêt général, dont seraient dépositaires les élus, et les intérêts particuliers <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00964020/document">qui n’auraient d’autres choix que de « faire pression »</a>.</p>
<p>Mais, longtemps, la démocratie locale a semblé épargnée par cette lecture grâce notamment à sa supposée « proximité ». Celle-ci garantirait une fluidité des relations entre élus et citoyens, ainsi qu’une plus grande transparence. Est-ce à dire que les élus locaux sont préservés des activités de lobbying auxquelles seraient soumis les dirigeants nationaux ?</p>
<p>Cette question mérite d’être posée dès lors qu’en campagne, les candidats aux élections municipales rivalisent de projets volontaristes pour l’avenir d’un territoire, et notamment sur les questions écologiques lors de ce cru électoral 2020. Aux propositions de « forêts urbaines », de « trames vertes » et de <a href="https://c.leprogres.fr/politique/2020/01/15/metropole-francois-noel-buffet-devoile-son-central-parc-a-la-lyonnaise">« Central Parc »</a> répondent des surenchères sur les superficies d’arbres à planter ou encore sur les kilomètres de pistes cyclables.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343445/original/file-20200623-188900-180djes.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’image de la maire sortante et candidate à la mairie de Paris Anne Hidalgo (ici le 21 juin), de nombreux candidats aux municipales ont proposé des mesures écologistes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alain Jocard/AFP</span></span>
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<p>D’autres prétendent contrecarrer la densification immobilière, ou encore revoir la commande publique dans un sens plus durable. Le temps d’une élection est effectivement celui des promesses et des engagements. Mais les élus peuvent-ils les tenir ? Rien n’est moins sûr tant les leviers de l’action publique locale cristallisent des convoitises. Pour autant, cela n’oblige pas à succomber à une vision simplifiée en termes d’intérêts cachés manipulant les décideurs.</p>
<h2>Les oublis de l’effervescence électorale</h2>
<p>Les campagnes constituent des rituels démocratiques. Candidats et électeurs sont enclins à croire que les élus auront la capacité de maîtriser et de transformer le réel en appliquant leurs programmes.</p>
<p>Mais cette vision occulte les contraintes multiples (budgétaires, techniques, médiatiques… et même les événements imprévus de l’actualité comme peut l’être une crise sanitaire) avec lesquelles composent les élus une fois en position de pouvoir.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-publiques--9782724611755-page-201.html">Bien trop de facteurs</a> interfèrent et complexifient une <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100416230">chaîne décisionnelle qui n’a rien de linéaire</a>. Oublier cela, c’est se condamner aux déceptions postélectorales.</p>
<p>À ce titre, l’existence de groupes organisés constitue un paramètre susceptible d’affecter les promesses et les intentions affichées. Même parés de l’onction du suffrage universel, les élus locaux doivent faire avec les mobilisations régulières de groupes et d’organisations qui entendent faire valoir les intérêts de certains segments de la population. Dès lors, la question qui se pose est plus de savoir avec qui gouverne une équipe municipale ?</p>
<p>Localement, les élus sont confrontés à des sociétés pluralistes. Ils sont d’abord tenus d’interagir avec des organisations économiques (les chambres consulaires) dotées statutairement d’un droit à l’expression sur les principaux documents d’action publique (comme un plan local d’urbanisme).</p>
<p>Par-delà ces interlocuteurs institués, les intérêts défendus collectivement s’expriment au travers d’une myriade d’associations (sportives, culturelles, comités de quartier), de collectifs en tous genres (riverains, usagers), de groupements professionnels (commerçants notamment), alors que les fédérations syndicales (de salariés et de patrons), traditionnellement centralisées, souffrent en France d’une implantation locale très fragile.</p>
<p>Les intérêts portés peuvent également revêtir une forme plus individualisée par l’action propre des entreprises. Mais tous ces acteurs ne disposent pas des mêmes chances de succès et des mêmes accès aux élus.</p>
<h2>Inégalité de moyens</h2>
<p>Primo, ces acteurs ne bénéficient pas de moyens identiques pour se faire entendre des élus. Quand certains se prévalent principalement de leur nombre ou de leur attachement à un territoire pour plaider leur cause, d’autres mobilisent des expertises pour se doter d’une crédibilité.</p>
<p>De grandes entreprises au contact régulier des élus locaux – dans les domaines notamment de la promotion immobilière, de la distribution, de l’économie numérique, des réseaux – se sont ainsi dotées de services de relations institutionnelles et de lobbying pour travailler auprès des collectivités.</p>
<p>Cette inégalité de moyens oblige de fait bon nombre d’associations à redoubler d’efforts pour se faire entendre. On le voit quand des édiles cèdent aux sirènes de grands promoteurs commerciaux invoquant les richesses et emplois induits, études à l’appui, par l’implantation d’un nouveau centre commercial : les riverains et associations de défense du cadre de vie sont contraints de multiplier leurs actions (manifestations, pétitions, recours, contre-expertises…) pour espérer infléchir un tel projet.</p>
<p>Ainsi, après des années de mobilisation, le projet de megacomplexe « EuropaCity », qui devait voir le jour à Gonesse (Val d’Oise), <a href="https://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/gonesse-europacity-un-projet-abandonne-dix-ans-apres-ses-debuts-21-11-2019-8198847.php">a finalement été enterré, en novembre 2019</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343449/original/file-20200623-188900-dlz2vo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans la ville de Gonesse (Val d’Oise), le 5 octobre 2019, des riverains défilent contre le projet’EuropaCity’.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jacques Demarthon/AFP</span></span>
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<p>Secundo, l’écho des intérêts défendus dépend des liens entretenus avec les élus locaux. Plus les acteurs sont sociologiquement et idéologiquement proches des élus, plus il leur est aisé d’en être entendu : en toute logique, les élus <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2016-1-page-117.htm">sont portés à écouter ceux qui partagent les mêmes codes et langages</a>.</p>
<p>On comprend mieux l’importance pour tel ou tel segment de la société d’avoir l’un de ses représentants sur une liste. Dans cette perspective, l’élection possible d’équipes écologistes à la tête de municipalités pourrait bien représenter une opportunité pour des associations environnementales partageant les points de vue de ces nouveaux élus.</p>
<p>Tertio, les causes défendues résonnent différemment selon les conjonctures. Tout laisse penser que, dans les prochains mois, les arguments autour de l’emploi et du développement économique auront une portée renforcée auprès des élus. Il est vrai que, compte tenu des échéances électorales, les demandes mesurables quantitativement (comme les emplois) sont plus aisément monnayables que des biens communs auprès d’élus tenus d’afficher des bilans.</p>
<h2>Des élus sous observation</h2>
<p>Tous ces éléments dessinent dès lors des relations entre élus et groupes très variées selon les territoires. Ils rendent surtout la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2018-2-page-215.html">destinée d’une promesse électorale incertaine</a>. Ils nous rappellent que gérer une ville demeure une affaire de conciliation d’intérêts et de paramètres (partiellement) contradictoires.</p>
<p>C’est bien pourquoi les soutiens d’une équipe municipale nouvellement élue auraient bien tort, une fois l’élection passée, d’attendre passivement des actes. D’ailleurs, des associations l’ont bien compris en demandant aux candidats de s’engager sur des chartes ou des manifestes durant la campagne <a href="https://reseauactionclimat.org/kit-municipales-2020/">afin de suivre plus efficacement par la suite les engagements pris</a>.</p>
<p>Après avoir évalué et parfois noté les programmes, il leur revient ainsi de faire preuve d’une capacité d’observation, de vigilance et d’interpellation. Autant d’exigences qui sont, néanmoins, difficiles à assumer pour des groupements aux moyens très souvent limités (grâce à quelques bénévoles) dans les espaces locaux.</p>
<h2>Les échelles de la défense des intérêts</h2>
<p>Les stratégies pour se faire entendre des élus se compliquent aujourd’hui avec le pluralisme des scènes de décision. En effet, bon nombre de responsabilités et de moyens ont désormais été transférés aux intercommunalités, devenues de véritables centres de pouvoir. Pour en rester aux questions écologiques, la plupart des politiques (eau, mobilité, déchets, habitat, climat) sont du ressort de telles instances intercommunales.</p>
<p>Elles se discutent et se négocient dans des territoires, institutionnels et géographiques, élargis. Sauf que bon nombre de groupements associatifs conservent une assise communale et dépassent rarement ce périmètre (ou se concentrent dans les villes-centres). La métropolisation des intérêts et des mobilisations <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00653922/">est encore balbutiante</a>.</p>
<p>Ainsi se crée une déconnexion croissante entre l’échelle des compétences, de plus en plus intercommunales, et l’échelle des groupements de la société civile à forte dimension municipale. Doit-on parler dans ce cas de politiques publiques destinées à rester sans interlocuteurs ?</p>
<p>En fait, là encore, la capacité d’adaptation à ce nouveau jeu institutionnel est inégale. Les plus à même de s’y ajuster sont les intérêts les plus volatiles et flexibles (sans doute les moins attachés à un espace particulier), et en premier lieu ceux du monde des affaires et des entreprises. Pour la plupart des groupes, cette recomposition institutionnelle constitue un nouveau défi exigeant. C’est dire si, l’élection passée, le travail des groupes localisés ne fait que… continuer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141255/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Cadiou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les élus locaux doivent faire avec la mobilisation de groupes divers qui font valoir leurs intérêts. Mais ces acteurs ne disposent pas des mêmes chances de succès et des mêmes accès aux élus.Stéphane Cadiou, Politologue, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1368722020-05-13T18:57:00Z2020-05-13T18:57:00ZLe moment est venu de créer un revenu d’existence en démocratisant la monnaie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334369/original/file-20200512-82357-1r1b19k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C484%2C8930%2C6240&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Et si nous changions radicalement notre vision de l'argent ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/Xeo_7HSwYsA">Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le président Macron, dans son discours du lundi 13 avril, a conclu sur les mots du Conseil National de la Résistance « nous retrouverons les jours heureux ». Or, le Covid-19 l’a révélé au monde entier, nous ne pourrons retrouver les jours heureux qu’en changeant radicalement de société.</p>
<p>Pour remédier à la crise économique et sociale consécutive à la pandémie du Covid-19, de nombreuses initiatives, en France, mais aussi <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/chronique-eco-du-vendredi-17-avril-2020">d’autres pays occidentaux</a>, proposent l’instauration rapide d’un « revenu d’existence ». L’objectif est de distribuer un revenu de base pour, à la fois, limiter les situations d’extrême pauvreté et aussi éviter une trop forte contraction de la demande.</p>
<p>En tant que spécialistes de l’économie sociale et solidaire, nous proposons le revenu d’existence RECRE, permettant à la fois de dépasser le capitalisme et de <a href="https://www.cairn.info/defaire-le-capitalisme-refaire-la-democratie--9782749266305-page-259.html">renouveler la démocratie</a>.</p>
<p>Le RECRE est le versement mensuel, individuel et inconditionnel d’un revenu permettant de vivre dans la dignité sans obligation de travailler.</p>
<p>Cette proposition va plus loin que les initiatives de revenu universel lues dans la presse. Elle veut promouvoir une démocratie radicale, c’est-à-dire, selon le <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-public-et-ses-problemes">philosophe John Dewey</a>, de donner la possibilité à tous ceux qui le souhaitent de participer activement à la solution des problèmes qu’ils rencontrent.</p>
<p>La singularité de ce revenu c’est de reposer sur la création monétaire et non pas sur le principe de la redistribution. Pour comprendre son fonctionnement, nous partirons de l’exemple des <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-1-page-81.htm">Systèmes d’Échanges Locaux</a> (SEL).</p>
<h2>Qu’est ce qu’un SEL ?</h2>
<p>Un SEL est une association à but non lucratif où les membres échangent certains biens, connaissances ou savoir-faire à l’aide d’une monnaie qui leur est propre (le Piaf par exemple pour le <a href="http://www.seldeparis.org">SEL de Paris</a>). Il ne s’agit pas d’un simple troc mais d’une réciprocité multilatérale. Djamila aide Marc dans la réparation d’un vélo et reçoit en échange X unités monétaires, elle peut donc à son tour faire garder ses enfants par Eric en lui donnant ses X unités.</p>
<p>Actuellement, le SEL de Paris est le plus grand qui compte environ 400 adhérents. Dans d’autres lieux le cercle peut être plus restreint et compter quelques dizaines d’adhérents.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cFjnSgCrNgw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Fonctionnement d’un SEL en Lorraine.</span></figcaption>
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<p>Les règles de fonctionnement (Combien vaut le service ? Quel est le niveau de débit acceptable ?…) sont entièrement délibérées par les adhérents.</p>
<p>De ce fait, ces règles varient d’un groupe à l’autre mais on retrouve la même conception de la monnaie : un pur nombre qui permet la production et la mesure de l’activité. Ainsi, ces expériences citoyennes permettent de révéler trois choses sur la monnaie :</p>
<ul>
<li><p>La monnaie est un élément central d’une solidarité démocratique. Certes, elle revêt, en régime capitaliste, une dimension spéculative, mais comme le souligne <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/bibliotheque-des-savoirs/la-subsistance-de-l-homme">l’anthropologue Karl Polanyi</a>, elle est aussi une abstraction indispensable aux échanges économiques que l’on doit préserver d’une logique prédatrice. C’est, en effet, une construction sociale indispensable à la formation d’une communauté politique (dans un SEL, les membres de l’association) et au développement de l’activité économique.</p></li>
<li><p>La monnaie n’est pas une marchandise parmi d’autres, c’est un enregistrement comptable préalable à l’activité économique. On retrouve ainsi, la <a href="https://www.persee.fr/doc/cep_0154-8344_1999_num_35_1_1265">théorie schumpetérienne</a> de la monnaie créance qui permet aux banques de créer ex-nihilo de la monnaie à l’occasion d’un crédit à l’entrepreneur innovant. Cependant, différence notable avec l’économie capitaliste, cette création, dans un SEL, n’est pas gérée par une banque privée ou par une banque centrale, bras armé de l’État, mais autogérée par les adhérents.</p></li>
<li><p>La monnaie nombre, créée de toutes pièces, permet d’engager la production par la distribution de revenus. Ces revenus sont dits primaires car ils découlent directement de la production effectuée par les acteurs. De ce fait, ils obtiennent des droits de tirage sur la richesse globale sans passer par les fourches caudines et donc conditionnelles des règles de la redistribution (prestations sociales : revenus secondaires). Un SEL peut ainsi décider de distribuer de la monnaie pour permettre à ceux qui n’ont pas de revenu d’entrer dans l’échange.</p></li>
</ul>
<h2>Une solidarité démocratique nouvelle</h2>
<p>Ces trois enseignements sont à la base de RECRE. Il s’agit, tout d’abord, d’instaurer un revenu universel par création monétaire favorisant une solidarité démocratique entre tous les habitants du territoire. Cette création monétaire se fait au nom d’une valeur commune : le droit pour tous de vivre dans la dignité.</p>
<p>Il s’agit, également, d’initier une gestion démocratique de la <a href="https://theconversation.com/pas-de-transition-sans-une-nouvelle-approche-de-la-monnaie-pour-une-monnaie-deliberee-59476">monnaie</a> en soumettant ses règles de fonctionnement à la délibération de tous. La monnaie cesse d’être un bien public géré par le système bancaire privé.</p>
<p>Notre proposition suppose donc deux choses : premièrement la reconnaissance de la monnaie comme bien commun favorisant les activités économiques jugées utiles par la communauté. Ce qui suppose, d’une part, de reconnaître et d’encourager légalement les monnaies autonomes de type SEL et les <a href="https://www.cairn.info/revue-innovations-2012-2-page-67.htm">monnaies sociales non complémentaires</a> par exemple les monnaies locales.</p>
<p>Cela suppose, d’autre part, de généraliser les banques éthiques et revenir au principe fondateur des banques coopératives et mutualistes : créer de la monnaie pour et par les sociétaires qui sont à la fois les clients et les décideurs.</p>
<p>Deuxièmement, et c’est sans doute le plus essentiel mais aussi le plus compliqué, démocratiser les institutions monétaires pour que la monnaie devienne pleinement un bien public.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9eBBIYWeUxs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La NEF une banque éthique et coopérative.</span></figcaption>
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<p>Il convient alors, tout d’abord, de redonner à l’État la possibilité d’utiliser la monnaie indépendamment des banques et de leur logique de rentabilité des fonds prêtés à court terme. Concrètement, la banque centrale doit non seulement pouvoir financer directement l’État (ce qui est pour l’instant interdit dans le cadre l’union monétaire européenne) mais plus fondamentalement redevenir un outil au service de la politique et cesser d’être un outil de contrôle des dépenses publiques.</p>
<p>On pourrait ainsi instituer la distribution d’un revenu d’existence à tous les habitants d’un territoire en utilisant la monnaie au nom de la dignité humaine.</p>
<p>Il s’agit dans le même temps d’opérer un contrôle démocratique sur les institutions bancaires par exemple en réservant des minorités de blocage à des citoyens élus dans les directoires des banques centrales. Dans le cadre de cette proposition de démocratisation du système monétaire que l’on vient d’esquisser, RECRE serait un revenu distribué en monnaie officielle. Dans l’idéal ce revenu se matérialiserait en euro si on imagine une réinvention de l’Union européenne.</p>
<p>Enfin, dernière caractéristique, il ne s’agit pas d’un revenu secondaire alimenté par l’imposition, mais d’un revenu primaire, à savoir un droit de tirage déterminé – par des procédures délibératives – sur la production globale.</p>
<h2>Une nouvelle forme de distribution du revenu</h2>
<p>Par rapport à la proposition des présidents de département, RECRE n’est pas une prestation sociale mais bien une nouvelle forme de distribution du revenu. Il ne s’agit pas, non plus, contrairement <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20180913.OBS2310/ce-que-l-on-sait-du-revenu-universel-d-activite-propose-par-macron.html">au projet d’Emmanuel Macron</a>, de « revenu universel d’activité », de limiter l’État social en rassemblant toutes les prestations dans un versement social unique puisque RECRE peut être complémentaire de la protection sociale existante.</p>
<p>Ce revenu primaire ne se substitue pas d’avantage au salaire minimum, c’est au contraire un revenu supplémentaire, indépendant de l’activité individuelle. Ce n’est pas non plus, une mesure temporaire, le fameux « hélicoptère monétaire » consistant pour la banque centrale à distribuer de la monnaie aux ménages pour <a href="https://theconversation.com/lhelicoptere-monetaire-le-dernier-recours-des-politiques-economiques-134672">qu’ils consomment</a>.</p>
<p>C’est au contraire un revenu permanent versé de la naissance à la mort. Enfin, ce n’est pas une aumône philanthropique destinée aux plus pauvres mais une reconnaissance effective de l’égale dignité de chacun. Toutes ces caractéristiques nouvelles en font un puissant outil de transformation sociale permettant de fonder, sur d’autres bases intellectuelles, le débat public.</p>
<h2>Remettre en cause la centralité du travail</h2>
<p>Le RECRE permet une rupture radicale avec l’imaginaire productiviste qui emprisonne nos sociétés dans les contraintes du marché.</p>
<p>Il offre à tous ceux qui se sentent proches de la décroissance d’assumer leur choix sans pour autant sombrer dans la pauvreté. La monnaie n’est plus au service de la croissance et de l’accumulation du capital mais au service de la dignité humaine.</p>
<p>Par ailleurs le RECRE remédie à la dégradation du salariat (précarité, « bullshits jobs »…) et, plus fondamentalement, il ose remettre en cause la centralité du travail dans l’existence. Il n’est plus nécessaire de travailler pour vivre dans la dignité. Enfin, il s’attaque, en plus du salariat, à l’autre pilier du capitalisme : la propriété.</p>
<p>Le revenu n’est plus, dans cette perspective, uniquement lié à l’activité individuelle et à la possession de titres de propriété (action, terre, immobilier, brevet…). Une partie du revenu est lié, via la création monétaire, à un droit de tirage égalitaire sur un patrimoine commun (connaissances, techniques, nature…).</p>
<h2>Une rupture avec la démocratie libérale actuelle</h2>
<p>Enfin le RECRE permet une rupture profonde avec la démocratie libérale représentative actuelle.</p>
<p>Les droits de l’homme ne sont plus uniquement conçus comme des libertés détachées des réalités économiques. Le droit à la dignité humaine s’ancre dans un droit économique soit recevoir un revenu permettant de vivre décemment. Il susciterait aussi, ainsi que l’ont montré de nombreux philosophes politiques, comme <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2002-2-page-285.htm">Carnelius Castoriadis</a>, l’engagement des citoyens dans le projet démocratique.</p>
<p>Car délibérer prend du temps et nécessite, comme le souligne <a href="https://calmann-levy.fr/livre/condition-de-lhomme-moderne-9782702112755">Hannah Arendt dans son analyse de la démocratie grecque</a>, d’être libéré des contraintes du travail. Dès lors, le RECRE, en réduisant les inégalités concrètes, rend plus effectif l’égalité de droit qui est à la base de la démocratie.</p>
<p>Au final, le RECRE est une révolution intellectuelle qui combat les autoritarismes de marché et les choix arbitraires de l’État. Ainsi, il apporte les moyens économiques favorables à l’avènement d’une démocratie radicale. Tout comme l’énonçait le programme du Conseil National de la Résistance en son temps, c’est en instaurant un « ordre social plus juste » que l’on peut espérer retrouver les jours heureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136872/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La singularité d’une mise en place d’un revenu RECRE est de reposer sur la création monétaire et non pas sur le principe de la redistribution.Éric Dacheux, Professeur en information et communication, Université Clermont Auvergne (UCA)Daniel Goujon, Maître de conférences en sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1378112020-05-06T18:45:10Z2020-05-06T18:45:10ZDébat : Le Covid-19 s’attaquerait-il aussi à la langue française ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/333180/original/file-20200506-49538-3pdlta.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1729%2C886&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran, France 24.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=mGUktbgyEkU">Vidéo Youtube</a></span></figcaption></figure><p>« Coronavirus : la crise sanitaire exacerbe la fracture sociale et politique », <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/04/18/coronavirus-la-crise-sanitaire-exacerbe-la-fracture-sociale-et-politique_6037027_823448.html">titrait récemment <em>Le Monde</em></a>, résumant une vérité que des dizaines d’articles déclinent depuis deux mois, et que tout le monde vit en <em>live</em> ces temps-ci. Mais si les analyses ne passent plus guère sous silence l’étonnante capacité des métiers massivement féminisés à être pénibles, mal payés, non reconnus pour les compétences qu’ils exigent, et néanmoins « en première ligne » en raison de leur utilité, bien peu s’interrogent sur la manière dont on parle des femmes qui les exercent, et plus largement dont on parle des femmes et des hommes qui font l’actualité. Manière qui participe pourtant de l’exacerbation en question, tout en la révélant.</p>
<p>Alors que la <a href="https://theconversation.com/francaises-francais-le-langage-inclusif-nest-pas-une-nouveaute-104622">langue française offre quantité de ressources permettant de s’exprimer sans sexisme</a>, l’idéologie selon laquelle le masculin est « le genre le plus noble », théorisée sous Richelieu et relookée sous la III<sup>e</sup> République, semble ces jours-ci devoir être respectée avec la même intransigeance que les ordres concernant le confinement. Les femmes ont beau être <a href="https://www.change.org/p/emmanuel-macron-revalorisez-les-emplois-f%C3%A9minis%C3%A9s?recruiter=2651104&utm_source=share_petition&utm_medium=facebook&utm_campaign=psf_combo_share_initial&utm_term=psf_combo_share_initial&recruited_by_id=e069cd10-dcdb-012f-7199-4040ea65fa16&utm_content=mit-21518288-10%3Av5">87 % d’infirmières, 91 % d’aides-soignantes, 97 % d’aides à domicile et d’aides ménagères, 76 % de caissières et de vendeuses, 73 % d’agentes d’entretien</a>, c’est en suivant la règle qui veut que « le masculin l’emporte sur le féminin » qu’on nous parle de ces populations.</p>
<p>D’ailleurs, 1 % suffirait : quand un homme – un seul – figure dans un groupe de femmes, on s’adresse à elles au masculin, on parle d’elles au masculin. Faire autrement constituerait un crime de lèse-majesté. L’idée même rend malade.</p>
<h2>Masculin « générique »</h2>
<p>Plutôt que de réfléchir à cette peur de la transgression, à ce qu’elle signifie, à ce qu’elle implique, certains – certaines – se récrieront : « Mais non ! il s’agit de masculins génériques ! ». C’est reculer pour mieux sauter. Car pourquoi le masculin serait-il générique, et pas le féminin ? La réponse existe : parce que ses pouvoirs ont été accrus aux dépens du féminin, de manière délibérée, depuis qu’il existe des gens qui s’autorisent à dire le droit en matière de grammaire et de vocabulaire. Des hommes, jusqu’au beau milieu du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Précisons : aucun théoricien n’aurait soutenu, jusqu’en avril 1944, que les femmes sont incluses dans les discours au masculin, car cela aurait impliqué que les droits élaborés pour les hommes étaient valables pour elles aussi. Dans cette phrase, par exemple, qui parle de la loi : « Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art. 6). On sait que pour exercer ce droit, les femmes ont dû attendre la décision du Conseil national de la Résistance. C’est après seulement qu’on a pu prétendre qu’elles étaient incluses dans les mots « citoyen » et « représentant ». C’est donc après seulement que de bonnes âmes ont mis au point la théorie du « masculin générique ». Mais la théorie n’a pas fait de miracle : dans le monde réel, la profession de « gardien de la paix » <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2008-3-page-9.htm">a dû attendre 1978 pour s’ouvrir aux femmes</a> – et ce n’est là qu’un exemple de ces bastions masculins qui ont tellement tardé à faire de même.</p>
<p>Beaucoup de savoirs fallacieux – quoiqu’appris à l’école – empêchent donc nos contemporain·es de s’exprimer sans sexisme. Des ignorances, aussi, comme tout ce qui concerne les accords traditionnels (de proximité, de majorité, de logique) qui permettaient à nos ancêtres de s’exprimer avec plus de justesse et d’intelligence que nous, et que l’école n’enseigne plus.</p>
<h2>Une tendance exacerbée par la crise</h2>
<p>Mais pourquoi la tendance s’exacerbe-t-elle en ce moment, alors que l’actualité nous montre tous les jours que nos usages sont inappropriés ? Pourquoi cette Une de <em>Corse-Matin</em>, le 12 avril, avec une quarantaine de visages féminins accompagnés de la manchette « On est avec eux » ? Pourquoi ces titres sur « nos héros » ? Pourquoi cette insistance, chez tant de journalistes, à camper sur « Bonjour à tous » ? Et pourquoi cet acharnement à parler du virus qui s’attaque à « l’homme », comme si les femmes étaient épargnées, comme si le mot « humain » n’existait pas depuis des siècles ? Tous les gens qui s’expriment ainsi le font-ils naïvement, en vertu d’anciens mécanismes datant de leur enfance ? N’ont-ils pas entendu parler de « l’écriture inclusive » ? N’ont-ils rien su <a href="http://www.slate.fr/story/153492/manifeste-professeurs-professeures-enseignerons-plus-masculin-emporte-sur-le-feminin">du Manifeste « Nous n’enseignerons plus que le masculin l’emporte sur le féminin »</a> ? Ne savent-ils pas que des milliers de gens militent depuis 1948 pour l’abandon de « l’homme » au profit de « l’humain », et que la plupart des pays ont modifié leur terminologie en ce sens ? N’ont-ils pas remarqué qu’il n’y a plus beaucoup de linguistes – sauf très à droite – pour chanter les louanges du masculin qui l’emporte ?</p>
<p>C’est bien le contraire qu’on est en droit de soupçonner. Deux ans après #MeToo, ces gens savent tout cela, et il est à parier qu’ils n’ont pas digéré ce que visent ces campagnes, à savoir le recul de la domination masculine. On peut parier qu’ils trouvent « autrice » et « maitresse de conférences » ridicules. Et que pour eux le « monde d’après » peut bien continuer d’être dirigé par des hommes, comme l’avouait si bien, le 5 avril, la Une du <em>Parisien</em>. Cependant, contrairement aux femmes qui sont mortes, tuées par le Covid-19 ou par leurs compagnons – puisque le massacre continue, et même s’amplifie à l’occasion du confinement – le féminin se relèvera de cette crise, et il poursuivra sa (re)conquête du terrain. La crise aura été, aussi, celle d’une masculinite aiguë difficile à soigner – mais dont on connaît le remède : l’égalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137811/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eliane Viennot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que la langue française offre quantité de ressources permettant de s’exprimer sans sexisme, l’idéologie selon laquelle le masculin est « le genre le plus noble » persiste.Eliane Viennot, Professeuse émérite de littérature française de la Renaissance, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323782020-02-26T20:23:28Z2020-02-26T20:23:28ZPourquoi les consommateurs aiment le bio mais en achètent peu ?<p>Le marché français du bio alimentaire pèse 9,7 milliards d’euros en 2018 et est en <a href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2019/06/DP-AGENCE_BIO-4JUIN2019.pdf">croissance de plus de 15 %</a> par rapport à l’année précédente.</p>
<p>Le dernier <a href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2020/02/AGENCE-BIO-DOSSIER-DE-PRESSE-BAROMETRE-2020-def.pdf">baromètre de l’Agence bio</a>, dont les résultats ont été dévoilés jeudi 20 février, montre que ce sont près de neuf Français sur dix (89 %) qui consomment des produits biologiques en 2020 contre un peu plus d’un sur deux en 2003, année de la première édition.</p>
<p>La perception des produits bio semble faire <a href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2020/02/AGENCE-BIO-DOSSIER-DE-PRESSE-BAROMETRE-2020-def.pdf">consensus en France</a> : 87 % des Français considèrent qu’ils contribuent à préserver l’environnement et 82 % pensent qu’ils sont meilleurs pour la santé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=293&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=293&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316853/original/file-20200224-24672-1g0vjr0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=293&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution de la part de consommateurs de produits biologiques en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2019/02/Rapport_Barometre_Agence-Bio_fevrier2019.pdf">Agence Bio</a></span>
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<h2>Un écart entre croyance et consommation</h2>
<p>Pourtant le bio ne représente que 4,4 % de la consommation générale de produits alimentaires en 2017 et la fréquence de consommation demeure faible. Seuls 14 % des Français consommeraient bio quotidiennement et 25 % auraient une consommation diversifiée, c’est-à-dire régulière et variée de produits biologiques, selon <a href="https://www.anses.fr/fr/content/inca-3-evolution-des-habitudes-et-modes-de-consommation-de-nouveaux-enjeux-en-mati%C3%A8re-de">l’étude INCA 3</a> de 2017. Comment expliquer un tel écart entre des croyances positives à l’égard du bio et une consommation quotidienne assez faible ?</p>
<p>Une <a href="https://www.editions-ems.fr/revues/decisions-marketing/articlerevue/2081-le-bio,-c%E2%80%99est-bien-mais-tr%C3%A8s-peu-pour-moi%20-comprendre-les-strat%C3%A9gies-de-neutralisation-des%20consommateurs-occasionnels-et-des-non-consommateurs.html">étude qualitative</a> publiée dans la revue de recherche <em>Décisions Marketing</em> s’est intéressée spécifiquement à ces consommateurs occasionnels et non consommateurs de produits alimentaires bio, qui représentent respectivement 42 % et 11 % de la population française.</p>
<p>À travers l’analyse de 25 entretiens, elle a permis d’identifier cinq types de discours que les Français utilisent pour conserver une cohérence cognitive entre une appréciation globalement positive des effets du bio sur la santé et des comportements qui s’en éloignent.</p>
<p><strong>1. « Le bio théorique oui, le bio pragmatique, non ! »</strong></p>
<p>L’analyse de ce type de discours fait ressortir une distinction forte entre, d’une part, un bio « théorique » (ce qu’il devrait être) et, d’autre part, un bio « pragmatique » (ce qu’il est réellement, le bio labellisé). C’est sur cette réalité commerciale des produits biologiques que s’opère une relativisation du bénéfice des produits bio sur la santé, voire un déni. L’association mentale entre le bio et ses effets bénéfiques sur la santé existerait bien, mais serait questionnée dans le contexte marchand actuel.</p>
<p><strong>2. « Je m’interroge sur les pratiques agricoles, commerciales et de labellisation »</strong></p>
<p>Trois types de pratiques sont aujourd’hui mises en cause par les consommateurs :</p>
<ul>
<li><p>les pratiques agricoles qui ne permettraient pas d’obtenir un produit « 100 % bio » : est-il possible de produire sans traitement, de contrôler l’effet de facteurs exogènes comme la pollution de l’air ou des champs voisins ?</p></li>
<li><p>Les pratiques commerciales qui confrontent deux formes d’acteurs : d’un côté, ceux qui profiteraient de l’engouement pour le bio pour accroître leurs marges (grande distribution principalement) et, de l’autre, les consommateurs qui se feraient duper.</p></li>
<li><p>Enfin, les pratiques de contrôle mises en œuvre par les organismes de labellisation, qui soulèvent un certain scepticisme.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316855/original/file-20200224-24680-9rdsnt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316855/original/file-20200224-24680-9rdsnt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316855/original/file-20200224-24680-9rdsnt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316855/original/file-20200224-24680-9rdsnt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316855/original/file-20200224-24680-9rdsnt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316855/original/file-20200224-24680-9rdsnt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316855/original/file-20200224-24680-9rdsnt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pourquoi les Français sont parfois sceptiques quant aux produits bio.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2019/02/AgenceBio-DossierdePresse-Barometre2019.pdf">Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France Agence BIO/Spirit Insight</a></span>
</figcaption>
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<p><strong>3. « Mon plaisir ne passe pas par le bio »</strong></p>
<p>Le plaisir est un critère de choix prépondérant dans les achats alimentaires. Certains consommateurs occasionnels opposent des aliments bons, beaux et qu’ils peuvent manger quand ils en ont envie aux aliments bio, aux goûts différents, à l’aspect moins attirant et dont la production est soumise à des contraintes saisonnières.</p>
<p><strong>4. « Je voudrais bien acheter bio mais je ne peux pas »</strong></p>
<p>Certains consommateurs expliquent leur faible consommation par des éléments indépendants de leur volonté : le manque de moyens financiers principalement ou le manque de temps pour cuisiner ou pour s’approvisionner.</p>
<p><strong>5. « Je peux être en bonne santé autrement qu’en consommant bio »</strong></p>
<p>Le bio peut permettre d’être en bonne santé, mais est-ce suffisant ? N’existe-t-il pas d’autres moyens de parvenir aux mêmes fins ? Le bénéfice santé du bio est ainsi neutralisé de deux manières. D’abord, manger bio ne suffirait pas. D’autres actions seraient nécessaires pour être en bonne santé comme manger équilibré ou faire du sport. Ensuite, il serait possible de manger sainement, souvent à moindre coût, sans consommer bio. Comment ? Par l’achat de produits locaux. Et si le producteur est présent, personne qui inspire confiance de par sa proximité, c’est encore mieux !</p>
<p>Ces cinq discours sont souvent mobilisés simultanément et permettent aux consommateurs de faire coexister la norme « bio : bon pour la santé » avec des comportements qui s’en éloignent en la rendant non applicable au contexte marchand actuel (discours 1 et 2), au contexte individuel (discours 3 et 4) et en évoquant un objectif, être en bonne santé, qu’ils peuvent atteindre autrement (discours 5).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=103&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=103&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=103&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316868/original/file-20200224-24676-9bmwo1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les principaux freins à la consommation de produits biologiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2019/02/AgenceBio-DossierdePresse-Barometre2019.pdf">Agence Bio</a></span>
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<h2>Déconstruire des biais cognitifs</h2>
<p>Réduire l’utilisation de ces croyances neutralisatrices n’est pas chose aisée. Chercher à contrer l’une d’entre elles pourrait en effet amener les consommateurs à se réfugier derrière d’autres. Néanmoins, plusieurs recommandations peuvent être formulées à destination des acteurs du développement de l’agriculture biologique en France et/ou des producteurs/fabricants d’aliments biologiques.</p>
<p>L’un des axes majeurs de réflexion vise à réduire l’écart entre « bio théorique » et « bio pratique » dans l’esprit de ces consommateurs. En lien avec les <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2018/2018_18_qualite_origine_produits_alimentaires.pdf">préconisations</a> du Conseil économique social et environnemental formulées en 2018, un plan de communication à visée informative répondant aux principaux arguments avancés par les consommateurs semblerait pertinent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1009344194530496512"}"></div></p>
<p>La question des canaux de communication à utiliser serait un élément clé dans la mesure où ces consommateurs ne sont pas en recherche active d’informations sur le sujet. De leur côté, les producteurs/fabricants auraient également tout intérêt à ne pas se reposer que sur le label bio. Le <a href="https://theconversation.com/agriculture-bio-attention-au-fetichisme-du-label-73926">« fétichisme du label »</a> semble bien moins marqué auprès des consommateurs occasionnels et non consommateurs.</p>
<p>Montrer la complémentarité entre le bio et d’autres indicateurs du « bien manger » (le produit local, le circuit court, la vente directe et la qualité nutritionnelle) semblerait aussi un levier important pour lever les confusions dans l’esprit des consommateurs. Plusieurs recherches ont, par exemple, montré l’existence d’associations erronées entre <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0767370115602851">« produit local et produit bon pour la santé »</a> ou entre <a href="https://cpb-us-e1.wpmucdn.com/blogs.cornell.edu/dist/4/3419/files/2014/12/Schuldt-Schwarz-2010-sh9lkp.pdf">« produit transformé bio et produit moins calorique »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132378/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les Français avancent cinq raisons principales qui les détournent de ces produits malgré les qualités qu’ils leur reconnaissent.Aurélie Merle, Professeur de marketing et comportement du consommateur, Grenoble École de Management (GEM)Mathilde Piotrowski, Maître de conférences en sciences de gestion, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274132019-11-24T16:32:42Z2019-11-24T16:32:42ZFace aux discriminations, les musulmans et les minorités demandent l’égalité<p>Emmanuel Macron <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Les-Miserables-le-cri-d-alarme-sur-les-banlieues-qui-seduit-Macron-et-Borloo-1659860">se rendra-t-il à Montfermeil</a> comme le souhaite Ladj Ly, réalisateur primé à Cannes pour <em>Les Misérables</em> ? Ce film lui permettra-t-il – à lui comme à l’ensemble des Français·es – de considérer enfin les discriminations dont sont victimes une part non négligeable de nos concitoyen·ne·s ? Il serait temps.</p>
<p>Le climat de racisme ambiant et la <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-eric-zemmour-le-probleme-mais-la-legitimite-que-lui-conferent-les-medias-125271">libération de la parole xénophobe</a> a encouragé une série d’humiliations et d’attaques visant directement des personnes de confession musulmane.</p>
<p>Attentat contre une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/29/claude-sinke-l-homme-derriere-l-attaque-de-la-mosquee-de-bayonne_6017270_3224.html">mosquée à Bayonne</a>, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/julien-odoul-demande-a-une-mere-accompagnatrice-denlever-son-voile_fr_5da1887ce4b087efdbaebacc">humiliation</a> d’une mère portant un foulard et accompagnatrice d’une sortie scolaire à Dijon, propos comparant les femmes voilées à des « sorcières d’Halloween » <a href="http://www.leparisien.fr/politique/femmes-voilees-comparees-a-des-sorcieres-d-halloween-pas-de-sanctions-pour-le-senateur-08-11-2019-8188809.php">par un sénateur</a> … La liste est longue.</p>
<p>Ces séquences éprouvantes laissent des traces profondes, sociales, psychologiques, individuelles comme collectives, ainsi que le révèle une enquête que nous conduisons depuis 2015.</p>
<h2>Plus de 90 % des enquêtés ont subi ou été témoins de discrimination</h2>
<p>Les débats concernant la place des religions dans la société française ne sont pas illégitimes. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/14/les-musulmans-n-en-peuvent-plus-d-entendre-parler-de-leur-religion-sur-le-mode-de-la-denonciation-et-du-denigrement_6019085_3232.html">Ils se mènent cependant le plus souvent sans ceux/celles qui sont le plus directement concerné·es</a>, beaucoup s’autorisant à décider à leur place ce que signifie telle ou telle pratique ou évoquant la menace d’un supposé « agenda caché ». Ici, l’enquête sociologique permet de rappeler certains faits.</p>
<p><a href="https://anr.fr/Projet-ANR-14-CE30-0011">La recherche</a> que nous conduisons depuis 2015 dans les quartiers populaires révèle en effet l’ampleur des discriminations et de la stigmatisation dont sont victimes les citoyen·ne·s perçu·es comme descendant·es de l’immigration ou musulman·es.</p>
<p>Nous avons conduit 165 entretiens biographiques dans plusieurs agglomérations de France (Grenoble, Bordeaux, Lyon, Roubaix et en Seine-Saint-Denis Villepinte et Le Blanc-Mesnil). Plus de 90 % des personnes rencontrées déclarent avoir fait au moins une fois directement, ou comme témoin, l’expérience d’une discrimination ou d’un acte stigmatisant.</p>
<h2>Un impact sur l’ensemble de la société</h2>
<p>À côté des propos racistes, des insultes et remarques stigmatisantes, la discrimination désigne une différence de traitement en raison de critères illégitimes et illégaux.</p>
<p>Beaucoup se sont vus refuser un emploi ou une progression de carrière, un logement alors que leur dossier correspond aux attentes, n’ont pas pu accéder à certains magasins ou loisirs. On pense par exemple à ces femmes portant un voile empêchées de participer <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/a-croix-deux-femmes-empechees-de-brocante-car-voilees_97029">à une brocante</a>. D’autres, ne portant pas forcément de signes religieux mais perçu·es comme noir·es, arabes, musulman·es, roms, jeunes de quartiers, subissent des contrôles d’identités routiniers, humiliants voire violents… Souvent minimisée, il s’agit d’une réalité massive et incontestable, démontrée par de <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/">nombreuses études de sciences sociales</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I-F-eWo-o08?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois lycéens ont assigné l’État en justice pour contrôle d’identité abusif (Brut, 2017).</span></figcaption>
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<p>Notre enquête, qui donnera lieu à un ouvrage collectif en 2020, renseigne sur l’étendue de la violence sociale subie par ces personnes et son impact sur l’ensemble de notre société.</p>
<h2>Démotivation, dépression, suicides</h2>
<p>Ces traitements inégalitaires constituent un traumatisme profond pour les individus. Nombre de nos enquêté·es ont comparé ces expériences à « une gifle », « un coup de poignard ». Elles suscitent colère et tristesse. Elles entraînent des interrogations et des doutes, construisent des identités meurtries.</p>
<p>Les expériences stigmatisantes ont également des conséquences pratiques. Démotivation, dépression, suicide : leurs effets sur la santé ont été abondamment documentés dans <a href="https://research-information.bristol.ac.uk/en/publications/a-systematic-review-of-studies-examining-the-relationship-between-reported-racism-and-health-and-wellbeing-for-children-and-young-people(813653aa-47f4-4aaf-b041-8850162c1220)/export.html">plusieurs pays</a>, et commencent à l’être en France, comme l’atteste par exemple la surmortalité des descendant·e·s d’immigré·es de <a href="https://www.ined.fr/fr/actualites/presse/la-premiere-etude-sur-la-mortalite-des-descendants-dimmigres-de-deuxieme-generation-en-france-revele-une-importante-surmortalite-chez-les-hommes-dorigine-nord-africaine/">deuxième génération</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MzgKxgrfbNs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Impact du contexte social sur la dépression des jeunes issus de minorités (National Institute of Mental Health, 2017).</span></figcaption>
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<h2>Quitter la France pour fuir le racisme</h2>
<p>Dans ce contexte, un nombre croissant de Français, membres de groupes minorisés, spécialement les musulman·e·s, <a href="https://www.bondyblog.fr/societe/eduques-formes-et-discrimines-les-injustices-au-travail-des-francais-dorigine-maghrebine/">envisagent de quitter le pays ou l’ont déjà fait</a> pour se prémunir de cette atmosphère étouffante. Nous avons interviewé de nombreux Français·es installé·es au Canada, en Angleterre ou aux États-Unis qui expriment à quel point, même si le racisme y existe aussi, leur vie y est malgré tout plus simple, le quotidien moins oppressant.</p>
<p>C’est le cas par exemple de Mourad, d’origine algérienne, titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université Paris 8, qui gérait une librairie à Colombes. Il a décidé avec sa femme de migrer à Montréal explicitement à cause du racisme en France :</p>
<blockquote>
<p>« C’était trop dur, toujours ces regards, je ne voulais pas que mes enfants grandissent là. »</p>
</blockquote>
<p>C’est également le cas de Slimane, travailleur social d’origine franco-tunisienne, qui a vécu en Tunisie jusqu’à l’âge de 19 ans et est arrivé en France pour faire des études de sociologie. Après avoir travaillé une dizaine d’années comme animateur dans un centre social à Strasbourg, il fait le choix d’émigrer au Québec, fatigué par le regard suspicieux porté sur les immigrés originaires du Maghreb :</p>
<blockquote>
<p>« Je voulais partir, je ne voulais plus rester en France. J’en avais marre de devoir toujours, toujours me justifier. Et puis on parlait souvent du Maghreb, des arabes… J’ai joué le jeu pendant 10 ans en me disant “OK, on va faire de la pédagogie”, mais à un moment donné, voilà, j’en avais marre. »</p>
</blockquote>
<p>La France ne les aime pas, donc ils la quittent. Ce phénomène, qui n’est pas qu’anecdotique parmi nos enquêtés, devrait nous interroger : certains de nos compatriotes quittent leur pays pour vivre une vie décente et digne.</p>
<p>En s’attaquant à leur identité, les propos et traitements inégalitaires déstabilisent l’image de soi des individus. Certain·es peuvent dire que ce n’est pas leur problème ou que celui-ci est secondaire au regard d’autres sujets d’actualité. On peut aussi considérer que la souffrance sociale et les manières d’y répondre sont des questionnements d’intérêt collectif, qui concernent et affectent la nation tout entière.</p>
<h2>« Vous n’avez qu’à retirer votre voile »</h2>
<blockquote>
<p>« Si vous voulez accompagner les sorties scolaires, vous n’avez qu’à retirer votre voile. »</p>
</blockquote>
<p>On a beaucoup entendu sur les plateaux de télévision comme chez les élu·e·s de tous bords cette injonction à se dévoiler faite aux femmes musulmanes.</p>
<p>Comme si, pour continuer à exister sans discrimination ou stigmatisation il fallait s’effacer, « se faire discret » <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/08/15/01016-20160815ARTFIG00078-chevenement-conseille-la-discretion-aux-musulmans.php">(comme le proposait un ancien ministre de l’intérieur)</a>. En d’autres termes : s’invisibiliser. Il s’agit de faire porter aux individus discriminés eux-mêmes la responsabilité du traitement injuste dont ils et elles font l’objet.</p>
<p>Autre propos fréquemment entendu : « Mais vos mères ne se voilaient pas, elles ! C’était différent dans les années 1980 ». Constat en partie exact, mais qui fait généralement l’économie d’une analyse pourtant établie par de nombreux travaux de sciences sociales. Ce mouvement de retour du religieux touche toutes les confessions, pas seulement l’islam et ce <a href="https://www.eerdmans.com/Products/4691/the-desecularization-of-the-world.aspx">dans le monde entier</a>.</p>
<h2>Pourquoi l’offre religieuse trouve-t-elle son public ?</h2>
<p>Le développement d’un islam plus rigoriste est le fruit de la mobilisation de certains courants théologiques au Moyen-Orient, qui ont été pour partie importés en France <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-islam-mondialise-olivier-roy/9782020538343">depuis la fin des années 1980</a>.</p>
<p>Mais il convient de se demander pourquoi cette offre religieuse a fonctionné et a conquis une partie de la jeunesse française. On sait ainsi que les jeunes de 18 à 25 ans se déclarant musulmans indiquent une <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/secularisation-regain-religieux/">religiosité supérieure de 10 points aux croyants de plus de 35 ans</a>.</p>
<p>On ne peut comprendre la pratique religieuse plus intensive – à ne pas confondre avec la radicalisation – des musulman·e·s depuis plusieurs décennies (port du voile et de la barbe, pratique du ramadan et consommation halal par exemple) indépendamment des expériences de discrimination et de stigmatisation que subissent les minorités issues de l’immigration post-coloniale.</p>
<h2>L’islam comme refuge</h2>
<p>Le chômage de masse – on sait que le taux de chômage des immigrés et de leurs descendants s’avère <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/les-discriminations-accentuent-fortement-le-chomage-des-immigres-743681.html">au moins cinq points supérieur à la moyenne</a> – est en partie lié <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2891682?sommaire=2891780">aux discriminations à l’embauche</a> ou lors de l’orientation scolaire. Il constitue également un facteur qui pousse à chercher d’autres sphères de socialisation que celles du travail.</p>
<p>Né·es Français·es de parents étrangers, traité comme des « Français·es de seconde zone », pour reprendre une expression fréquemment entendue au cours de nos entretiens, elles et ils cherchent des clefs, des réponses, une <a href="http://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/limmigration-ou-les-paradoxes-de-lalterite-tome-iii/">forme de réconfort identitaire</a> dans des traditions familiales et culturelles refoulées, parfois <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9780429451737">imaginées ou réinventées</a>.</p>
<p>L’islam peut alors constituer un refuge. Si bien que paradoxalement plus le débat public se durcit, plus « la République se montre ferme » à coup de lois et de dispositifs d’exception, plus ces « Français de seconde zone », en particulier les musulman·e·s, se sentent ciblé·e·s et tendent à se retrancher vers des espaces et des ressources collectives de réassurance.</p>
<p>On ne peut pas à la fois provoquer le repli communautaire et le dénoncer. On n’émancipe pas non plus les gens malgré eux.</p>
<p>Quant à ce reproche de « communautarisme », de nombreuses recherches montrent qu’<a href="https://www.puf.com/content/Communautarisme">il est davantage l’apanage des plus aisés</a>, les « ghettos de riches » et autres « clubs » marqués par des formes d’entre-soi communautaire discrètes mais efficaces, que des minorités.</p>
<p>Ces résultats pourtant attestés n’empêchent pas les éditorialistes et nombre de nos représentant·e·s de mobiliser sans relâche ce terme pour (dis)qualifier les mobilisations politiques des minorités, comme lors des <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/manifestation-contre-l-islamophobie-philippe-y-voit-du-communautarisme-20191106">récentes manifestations</a> contre l’islamophobie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KjmRoVZKx6U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les bonnes conditions, documentaire de Julie Gavras (ARTE).</span></figcaption>
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<h2>Une seule revendication : l’égalité</h2>
<p>Nous avons rencontré au cours de notre enquête des dizaines de militants et bénévoles actifs au sein des quartiers populaires. Ils et elles ne demandent pas de droits spécifiques. Ils ne sont pas les « chevaux de Troie d’un islam politique » qui ne dit pas son nom, comme l’avance une <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/infiltration-des-freres-musulmans-lelivre-qui-denonce-3927802">rhétorique complotiste</a> connaissant un succès grandissant ces derniers temps.</p>
<p>Ces militants ne réclament qu’une chose : l’égalité. Pouvoir bénéficier des mêmes droits et des mêmes opportunités que tous les autres citoyens de notre pays. Mettre en place, enfin, des politiques publiques reconnaissant le caractère systémique des discriminations et prenant à bras le corps ce problème qui mine la cohésion nationale : inspecteurs du travail dédiés, testings généralisés, sanctions réelles contre les entreprises et les institutions discriminantes (y compris les institutions publiques et d’État), attribution anonyme des logements sociaux, <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20181022.OBS4284/sebastian-roche-pour-une-reforme-des-controles-d-identite.html">réforme des contrôles d’identité par la police</a>, respect égalitaire de la loi de 1905…</p>
<p>Il n’existe pas de solution miracle, mais tant que l’ampleur du problème n’aura pas été reconnue et constituée en priorité nationale, il perdurera. Les femmes qui portent le voile savent parler, il est urgent de les entendre dans leur diversité.</p>
<p>Constituer des groupes en « ennemis de l’intérieur » plutôt qu’en égaux avec qui on peut dialoguer amène inévitablement à une logique antagonique qui creuse encore le fossé démocratique et disloque la République au lieu de la rassembler.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs sont membres du <a href="https://www.univ-lille.fr/detail-evenement/?tx_news_pi1%5Bnews%5D=1427&tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&cHash=7e431227370cbd0b7d7ff7c00f13cc53">collectif DREAM</a> ([discriminations, racismes, engagements et mobilisations).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127413/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rien à déclarer</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anaïk Purenne, Guillaume Roux, Hélène Balazard, Samir Hadj Belgacem et Sümbül kaya ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les controverses ciblant les musulman·e·s laissent de profondes traces sur les individus. Il est urgent d’en prendre la mesure et d’écouter les premiers concernés, comme le révèle notre enquête.Julien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleAnaïk Purenne, sociologue, chargée de recherche à l’Université de Lyon., ENTPEGuillaume Roux, Chercheur, sciences politiques, FNSP, laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Hélène Balazard, Chercheure en science politique à l’Université de Lyon, ENTPEMarion Carrel, Maîtresse de conférence en sociologie, Habilitée à diriger des recherches, Université de LilleSamir Hadj Belgacem, Maître de Conférence en sociologie à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneSümbül kaya, Chercheure, Responsable des Études contemporaines IFEA, Institut français d’études anatoliennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1242422019-10-02T17:56:53Z2019-10-02T17:56:53ZViolences symboliques : la part du langage<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/295241/original/file-20191002-49373-1chqi84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C3%2C2017%2C1514&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Académie française</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Acad%C3%A9mie_Fran%C3%A7aise,_Paris_2013.jpg">Btwashburn/ flickr</a></span></figcaption></figure><p>La capacité des femmes à tolérer la violence masculine est l’un des aspects les plus déroutants pour les personnes confrontées à ses manifestations extrêmes. Les proches, les personnels de justice et de police non formés, ne comprennent pas pourquoi les victimes sont bien souvent dans le déni, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-empan-2009-1-page-24.htm">attendent que leur vie soit menacée pour appeler à l’aide</a>. On commence à saisir qu’elles ne sont pas les seules : c’est en fait toute la société qui tolère ces violences, qui est dans le déni, et ne s’émeut (un peu) que quand on évoque le nombre de mortes par an, ne paraissant pas envisager d’autre solution que de mettre « ces pauvres femmes à l’abri ».</p>
<p>Parmi tous les facteurs aujourd’hui analysés pour expliquer cette incroyable tolérance (et son pendant, toujours tabou : la non moins incroyable conviction des hommes violents qu’ils ont le droit de frapper), le langage commence tout juste à être questionné. Les linguistes <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Problemes-de-linguistique-generale">disent pourtant depuis longtemps</a> qu’il formate notre vision du monde, notre rapport à la nature, aux animaux, aux humains.</p>
<h2>La domination masculine ne s’exprime pas que par le genre</h2>
<p>La multiplicité et la variété des langues fournissent évidemment un bon argument pour les évacuer de la réflexion : comment seraient-elles pour quoi que ce soit dans la violence masculine, qui est apparemment un phénomène mondial ? N’a-t-on pas entendu, lors de la polémique sur l’écriture inclusive de l’automne 2017, qu’« il n’y a pas de genre en farsi et ça ne fait pas de l’Iran un pays égalitaire » ? Argument « massue » : asséné pour faire taire l’impertinent·e qui a osé mettre en cause la société dans ses fondements, dans ses points aveugles.</p>
<p>En réalité, cent douze langues (au moins) utilisent la notion de genre, dont les trois quarts la fondent sur le sexe (<a href="https://wals.info/chapter/31">Corbett, 2013</a>). Et l’on sait qu’« il n’y a pas de langues dans lesquelles le genre ne soit pas motivé sémantiquement » (Aksenov, 1984, cité par <a href="https://www.academia.edu/22448172/D%C3%A9binariser_le_genre_linguistique_Des_d%C3%A9esses_aux_cyborgs_du_grammatical_au_s%C3%A9miotique">Julie Abbou</a>) c’est-à-dire qui ignore l’expression de la différence des sexes et de leur hiérarchie. C’est donc un immense chantier qui s’ouvre peu à peu pour comprendre comment la domination masculine s’apprend (aussi) à travers le langage et comment différentes normalisations ont pu la renforcer.</p>
<p>Concernant le français, ce travail est bien entamé. Liée à la domination des hommes sur la parole publique et l’écriture, celle du masculin sur le féminin et le neutre était déjà effective dans la langue qui lui a servi de matrice, le latin. Elle s’est renforcée au cours du Moyen Âge, à partir de la création des universités (XIIIe siècle), c’est-à-dire d’un groupe de savants trouvant à s’investir dans un nombre toujours plus grand de charges, au service de l’État, des municipalités, des puissants, sans parler de l’enseignement (supérieur ou non).</p>
<h2>Au Moyen Âge : élimination du neutre et de pronoms féminins</h2>
<p>De cette époque date l’élimination quasi complète du neutre, genre destiné à désigner les objets et les objets, les sentiments, les idées. Les substantifs latins s’étaient déjà répartis dans les deux autres genres – temple est devenu masculin, feuille est devenu féminin – sans incidence en termes de domination du masculin sur le féminin. Demeuraient des adjectifs, des participes passés et des pronoms. Les deux premières catégories ont disparu avec l’abandon de la déclinaison à deux cas qui les différenciait encore de la plupart des masculins singuliers en fonction sujet – ceux-ci étant terminés par un s sonore, issu de tous les mots en -us latins, alors que les neutres ne l’étaient pas. Les accords entre propositions et adjectifs (ou participes) ont donc dû désormais se faire avec l’un des deux genres restants, et c’est le masculin qui a été promu à ce rôle (« ce que tu dis est important »). Le pronom personnel « el » est pour sa part passé aux oubliettes lorsqu’on s’est avisé de placer un pronom devant les verbes dits impersonnels, qui fonctionnaient sans (« faut partir ») : c’est le pronom masculin « il » qui a été choisi, de même que pour les verbes météorologiques (« il gèle »). L’un des pronoms féminins, l’objet indirect « li » (« je li ai donné » vs « je lui ai donné »), disparaît également : le masculin « lui » s’impose pour les deux sexes. Et l’on est à deux doigts de perdre aussi le sujet « elles » : « Où sont-ils, Vierge souveraine », demande François Villon dans sa <em>Ballade des dames du temps jadis</em>, comme le font alors nombre de ses semblables.</p>
<blockquote>
<p>La royne Blanche comme lis<br>
Qui chantoit a voix de seraine,<br>
Berte au grant pié, Bietris, Alis,<br>
Haremburgis qui tint le Maine,<br>
Et Jehanne la bonne Lorraine,<br>
Qu’Englois brulerent a Rouan,<br>
Ou sont ilz, Vierge souveraine ?<br>
Mais ou sont les neiges d’antan ?<br></p>
</blockquote>
<h2>Les réformes de l’âge classique</h2>
<p>L’influence des clercs est heureusement entravée durant la Renaissance par celle des femmes au pouvoir dans une bonne partie de la zone francophone. Mais ces infléchissements repartent de plus belle à la fin de cette période. C’est justement entre le départ en exil de l’avant-dernière (Marie de Médicis) et l’arrivée au pouvoir de la dernière (Anne d’Autriche) que Richelieu crée l’Académie. Chargée de rendre la langue française capable de tout exprimer clairement, elle va surtout s’affairer à en chasser les régionalismes, à complexifier son orthographe et à renforcer la puissance du masculin.</p>
<p>On connaît désormais l’étendue de son activisme en la matière : condamnation des substantifs féminins désignant des activités conçues comme revenant naturellement aux hommes (autrice, médecine, peintresse, poétesse…), et injonction à user de noms masculins pour celles qui enfreignent la loi du genre ; condamnation des accords traditionnels dans le cas où plusieurs noms se rapportent à un adjectif ou un participe, et promotion de l’accord au « genre le plus noble », en vertu de « la supériorité du mâle sur la femelle » (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50449f/f1027.image">Beauzée</a>) ; invitation à passer le féminin sous silence quand on évoque des groupes mixtes, au prétexte que « quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte » (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7646t/f31.image">Bouhours</a>) ; condamnation du pronom attribut « la », parce que les femmes se tromperaient en disant « Je suis veuve et je la resterai » (qui est pourtant le pendant exact de « Je suis veuf et je le resterai ») ; blocage sur le masculin singulier des participes présents anciennement variables en genre et en nombre, ainsi que d’autres termes quand ils sont placés en tête de leur groupe (type « excepté ma mère » vs « ma mère exceptée »). Dans chaque cas, la puissance du féminin régresse, celle du masculin augmente. Et la cerise sur le gâteau : la définition du mot « homme » comme signifiant aussi « les deux sexes, l’humanité en général », sortie du premier Dictionnaire de l’Académie (1694).</p>
<h2>Le rôle de l’école</h2>
<p>Difficiles à faire admettre – d’où la longévité des anciens usages – ces réformes n’entrent véritablement dans les esprits qu’avec l’école primaire obligatoire, dont les maîtres d’œuvre républicains veulent bien renoncer à la notion de noblesse mais non à l’idée de domination qui la sous-tend. La violence symbolique est démultipliée, puisque c’est désormais dans le lieu de l’émancipation par le savoir que s’apprend la légitime domination du masculin sur le féminin, c’est-à-dire des hommes sur les femmes. D’autant qu’aucun élément d’histoire de la langue n’est enseigné, ni au corps enseignant ni aux élèves. Un limaçon, un taille-crayon « l’emporte » sur dix mille princesses, parce que « c’est comme ça ». Les règlements, les lois, les constitutions sont écrites au masculin, parce que « c’est comme ça ».</p>
<p>Qu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle les femmes deviennent citoyennes n’y change rien. Qu’elles puissent enfin exercer les plus hautes charges n’y change rien. Et quand la ministre Yvette Roudy ose créer une Commission de terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des femmes (1984), l’institution qui se dit « gardienne de la langue » tire à boulets rouges sur les « précieuses ridicules », et engage une guerre de trente-cinq ans, suivie par la plupart des journaux, le <a href="https://www.editions-ixe.fr/catalogue/lacademie-contre-la-langue-francaise/">monde politique et la haute fonction publique</a>. N’est-ce pas la confirmation que les femmes n’ont pas leur mot à dire, qu’elles n’ont pas à figurer sur la photo, qu’elles doivent toujours s’effacer ? Et que les hommes ont le droit de décider, d’être seuls au premier plan, de s’imposer – y compris en tapant du poing sur la table ? Pourquoi s’étonner que tant d’entre elles acceptent leur domination – jusqu’aux coups les plus graves ?</p>
<p>La violence des polémiques sur la langue, l’énergie que déploient les tenants de la prétendue tradition pour empêcher tout retour des anciens usages ou tout débat sur les (rares) nouvelles propositions qui ont surgi depuis quelques décennies (on pense bien sûr aux abréviations des doublets : « les député·es »), l’agressivité rencontrée par les femmes qui ne font que réclamer d’être bien nommées, respectées et visibles, en disent aussi long sur l’importance du langage que sur la minceur du consensus de notre société sur la question de l’égalité. </p>
<p>L’attitude du gouvernement actuel en est un parfait exemple. S’il a obtenu de l’Académie qu’elle cesse de se mettre en travers des usages peu à peu admis dans la haute fonction publique, ce n’est qu’en raison du soutien que les réactionnaires trouvaient auprès d’elle pour contester lesdits usages, <a href="http://www.elianeviennot.fr/Langue/Acad2019-Decryptage.pdf">y compris par voie de justice</a>, à l’image du député Julien Aubert, sanctionné à l’Assemblée en octobre 2014 pour avoir <a href="https://www.liberation.fr/france/2014/10/07/un-depute-persiste-a-appeler-sandrine-mazetier-madame-le-president-et-ecope-d-une-sanction_1116530">interpellé sa collègue Sandrine Mazetier au masculin</a>. Mais il n’a pris aucune mesure pour qu’on cesse d’enseigner à l’école que le masculin l’emporte sur le féminin et il refuse désormais toute mention de noms féminins dans les statuts des organismes publiés au <em>Journal officiel</em>, en vertu de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036068906&categorieLien=id">circulaire</a> signée par le Premier ministre en novembre 2017. Une violence symbolique de plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eliane Viennot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le Moyen Âge, la domination masculine s'exerce aussi dans la langue française, ce qui n'est pas sans conséquence sur les rapports entre les hommes et les femmes.Eliane Viennot, Professeuse émérite de littérature française de la Renaissance, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1242182019-09-30T18:15:29Z2019-09-30T18:15:29ZDes vibrations pour prévenir les effets de l’inactivité musculaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294849/original/file-20190930-194842-71g4ge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3692%2C2456&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment préserver ses muscles en cas d'arrêt forcé de l'activité sportive ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/adolescent-amis-amusement-athlete-258395/">Pexels</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>Ce n’est plus à démontrer, l’activité physique présente de très nombreuses vertus pour notre santé, notamment la <a href="https://presse.inserm.fr/activite-physique-prevention-et-traitement-des-maladies-chroniques-une-expertise-collective-de-linserm/33622/">prévention et le traitement des maladies chroniques</a>, comme le rapporte une récente expertise de l’Institut National de la Santé et de la Recherche médicale. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le manque d’activité physique est considéré comme le quatrième facteur de risque de décès dans le monde, et <a href="https://www.who.int/dietphysicalactivity/factsheet_recommendations/fr/">il est recommandé pour sa santé un minimum d’activité physique chaque semaine</a> (loisirs, déplacements, activités professionnelles, tâches ménagères, sports…).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294818/original/file-20190930-194824-1dhr7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294818/original/file-20190930-194824-1dhr7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294818/original/file-20190930-194824-1dhr7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294818/original/file-20190930-194824-1dhr7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294818/original/file-20190930-194824-1dhr7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294818/original/file-20190930-194824-1dhr7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294818/original/file-20190930-194824-1dhr7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><a href="https://actifs.univ-st-etienne.fr/fr/index.html">Préserver sa condition physique</a> permet de faciliter notre vie quotidienne en réduisant la fatigue induite par les activités courantes (monter les escaliers, faire le ménage…). Un cercle vertueux s’installe : plus actifs, nous sommes en meilleure forme, avec un impact favorable sur notre qualité de vie et notre santé. A l’inverse, adopter un mode de vie sédentaire entraîne un <a href="https://actifs.univ-st-etienne.fr/fr/ressources/fiches-pratiques-1.html">cercle vicieux de la fatigue</a> (<em>figure ci-contre</em>).</p>
<p>Pourtant, dans certaines situations, nous sommes contraints de réduire notre niveau d’activité. Pensez par exemple à cette grippe qui vous a cloué au lit pendant 10 jours, ou encore à cette fracture qui a nécessité un mois de plâtre. Quelles en sont les conséquences ? En raison de l’inactivité musculaire, un déconditionnement s’opère, avec pour conséquence, entre autres, une diminution de la capacité de production de force. La première raison à cette perte de force est la diminution de la masse musculaire. « Use it or lose it », comme disent les anglo-saxons.</p>
<p>En d’autres termes, soit vous utilisez vos muscles, soit vous les perdez ! Mais ce n’est pas tout : quand vous utilisez vos muscles, toute une chaîne de commande, dite neuromusculaire, est mise en jeu et peut également être altérée à cause de l’inactivité.</p>
<p>Dans <a href="https://libm.univ-st-etienne.fr/fr/index.html">notre laboratoire de recherche</a> de l’Université de Saint-Étienne, nous réfléchissons à une solution pour préserver les muscles en cas d’inactivité « forcée », à l’aide de la vibration.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294827/original/file-20190930-194842-1ipdnff.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294827/original/file-20190930-194842-1ipdnff.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=187&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294827/original/file-20190930-194842-1ipdnff.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=187&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294827/original/file-20190930-194842-1ipdnff.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=187&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294827/original/file-20190930-194842-1ipdnff.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=235&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294827/original/file-20190930-194842-1ipdnff.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=235&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294827/original/file-20190930-194842-1ipdnff.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=235&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’appareil permet de produire des vibrations très localisées.</span>
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<h2>Les conséquences de l’inactivité</h2>
<p>La décision du mouvement se prend dans le cerveau qui envoie un message électrique le long de la moelle épinière afin d’y activer des neurones moteurs chargés d’apporter le message jusqu’au muscle. Une fois le message électrique arrivé, il permet de mettre en place des mécanismes qui contractent le muscle. Ainsi, en plus de la fonte musculaire, l’inactivité conduit à une altération nerveuse que l’on peut décrire comme l’incapacité du système nerveux central à activer les muscles de façon maximale. C’est en quelque sorte la double peine : moins de muscles et plus de difficulté à mobiliser la masse musculaire restante !</p>
<p>Préserver ses capacités de production de force maximale est pourtant essentiel, à la fois pour maintenir de bonnes capacités fonctionnelles (pour réaliser les activités du quotidien) mais aussi <a href="http://www.bio-medicine.org/medicine-news-1/Strong-Thighs-May-Mean-Less-Knee-Pain-for-Women-55543-1/">pour prévenir l’arthrose</a>. Lors de son séjour sur la station spatiale internationale, Thomas Pesquet pratiquait deux heures et demie d’exercice par jour, afin limiter tant bien que mal les effets de l’impesanteur rendant ses muscles locomoteurs inactifs.</p>
<h2>Stimuler le muscle par la vibration</h2>
<p>Mais comment faire lorsque la moindre contraction musculaire est impossible ou douloureuse ? Une solution que nous développons dans <a href="https://libm.univ-st-etienne.fr/fr/index.html">notre laboratoire de recherche</a> à l’Université de Saint-Étienne consiste à utiliser la vibration. Nous ne parlons pas ici de l’utilisation des plates-formes vibrantes qui ont envahi les salles de fitness au début des années 2000. Nous utilisons plutôt des dispositifs de vibration locale, attachés sur un muscle ou un tendon, et permettant une stimulation vibratoire en toute sécurité : le patient n’a rien à faire de plus et peut rester assis ou couché, sans contracter ses muscles. C’est en quelque sorte comme si vous faisiez vibrer votre téléphone portable sur votre cuisse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294834/original/file-20190930-194819-q1romv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294834/original/file-20190930-194819-q1romv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294834/original/file-20190930-194819-q1romv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294834/original/file-20190930-194819-q1romv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294834/original/file-20190930-194819-q1romv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294834/original/file-20190930-194819-q1romv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294834/original/file-20190930-194819-q1romv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Que se passe-t-il alors lorsque l’on vibre ainsi un muscle ou son tendon ? La vibration va générer de micro-étirements, quasi imperceptibles, de nos fibres musculaires, et ainsi activer des récepteurs sensibles aux variations de longueur musculaire situés à l’intérieur de nos muscles. Ce sont ces récepteurs, les fuseaux neuromusculaires, qui sont notamment impliqués dans la contraction du muscle suite à son étirement, par exemple <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Bz7IYgLX6DY">lorsque le médecin teste vos réflexes avec un coup de marteau sur votre tendon</a>.</p>
<p>Ces fuseaux neuromusculaires sont également largement impliqués dans la <a href="https://www.sci-sport.com/dossiers/il-etait-une-fois-la-proprioception-partie-1-006.php">proprioception</a>, c’est-à-dire la perception consciente ou non de notre corps dans l’espace, de la position et des mouvements des différentes parties du corps, ainsi que de la force musculaire développée. Et justement, lorsque vous êtes inactifs, il en résulte une diminution de l’acheminement des informations proprioceptives des muscles jusqu’au système nerveux, ce qui contribue aux altérations nerveuses évoquées plus haut. La vibration pourrait alors combler ce manque et prévenir ces altérations. En effet, en vibrant les muscles, on peut par exemple donner l’impression à notre cerveau que nos membres sont en mouvement, sans pour autant qu’il y ait la moindre contraction. On parle alors d’<a href="https://sciences.univ-amu.fr/sites/sciences.univ-amu.fr/files/animervirtuellementlecorps.pdf">illusion de mouvement</a>. Cela peut être une très bonne solution pour prévenir les troubles de la mobilité induits par une période d’immobilisation.</p>
<h2>Solliciter le système nerveux</h2>
<p>La vibration est aussi un très bon moyen d’induire des changements sur la chaîne de commande neuromusculaire. <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=lapole+AND+vibration">Nos travaux</a> démontrent que lorsque la vibration est appliquée de manière prolongée pendant plusieurs minutes, elle peut entraîner de la fatigue localisée dans le système nerveux, pouvant être mise en évidence par une diminution des capacités de production de force du muscle vibré.</p>
<p>C’est exactement la même chose qu’après une séance de sport, alors qu’avec la vibration il n’y a pas de contraction musculaire, pas d’effort ! En répétant les séances de sport, on progresse, on devient plus fort. On obtient exactement la même chose après plusieurs séances de vibration : de nombreuses adaptations nerveuses se mettent en place et permettent d’améliorer la commande nerveuse à destination du muscle, et on gagne en force ! Les applications cliniques potentielles sont nombreuses : personnes âgées, patients en soin intensif, traumatologie… Nos travaux doivent ainsi permettre de généraliser l’utilisation de la vibration dans un contexte clinique, comme en <a href="http://www.pole-medical.com/defi-idees/vibrattelle/">rééducation après reconstruction du ligament croisé antérieur</a>. Et puis qui sait, peut-être que <a href="https://www.europe1.fr/societe/on-est-tous-un-peu-explorateurs-quand-thomas-pesquet-reve-de-marcher-sur-mars-3907011">lorsque Thomas Pesquet partira en mission pour Mars</a>, il emportera avec lui un vibrateur afin de lutter encore plus efficacement contre les effets de l’inactivité induite par l’impesanteur !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124218/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Lapole a reçu pour ses travaux des financements de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne ainsi que du Centre National d'Etudes Spatiales.</span></em></p>Faire vibrer les muscles : c’est la solution que développe un laboratoire de recherche de l’Université de Saint-Étienne, afin de préserver la force musculaire en cas d’inactivité forcée.Thomas Lapole, Maître de conférences, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.