tag:theconversation.com,2011:/institutions/universite-paris-dauphine-psl-2165/articlesUniversité Paris Dauphine – PSL2024-03-24T17:50:31Ztag:theconversation.com,2011:article/2260882024-03-24T17:50:31Z2024-03-24T17:50:31ZRèglement européen sur l’IA : un texte voté mais encore des ambiguïtés<p>L’UE a est en voie de réussir son pari : <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240308IPR19015/intelligence-artificielle-les-deputes-adoptent-une-legislation-historique">adopter la première réglementation d’envergure encadrant les usages de l’intelligence artificielle</a> (ou AI Act). Le règlement sur l’intelligence artificielle (RIA) a fait l’objet <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/12/09/artificial-intelligence-act-council-and-parliament-strike-a-deal-on-the-first-worldwide-rules-for-ai/">d’un accord politique</a> le 8 décembre 2023 avant d’être voté par les eurodéputés le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0138_FR.html">mercredi 13 mars</a>, en attendant le vote en mai par le Conseil de l’UE. Son application entière ne se fera néanmoins pas avant deux ans, soit en 2026. Dans un premier temps, la régulation pourrait se faire essentiellement par des codes de bonne pratique.</p>
<p>Depuis un an, beaucoup ont pu expérimenter les prouesses des outils capables de sortir un texte comme ChatGPT ou une image comme Midjourney à partir de quelques consignes données dans un « prompt ». Est aussi apparue <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/14/le-vertige-des-ia-capables-de-doubler-votre-voix-dans-une-langue-etrangere_6189420_3234.html">HeyGen,</a> qui permet de créer un avatar vidéo clonant sa propre voix et adaptant le mouvement des lèvres pour parler dans une langue choisie. Google a lancé une IA générative permettant la création d’une musique à partir d’une simple mélodie fredonnée, <a href="https://www.numerama.com/tech/1395136-on-a-essaye-musiclm-lia-de-google-qui-transforme-les-mots-en-musique.html">MusicLM</a>, en attendant <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/20/avec-sora-la-generation-de-videos-par-intelligence-artificielle-pourrait-franchir-un-cap_6217555_3234.html">Sora</a>, le générateur de vidéos révolutionnaire d’Open AI, créateur de <a href="https://theconversation.com/chatgpt-et-intelligences-artificielles-comment-deceler-le-vrai-du-faux-200181">ChatGPT</a>, qui sera bientôt lancé sur le marché et capable de créer sur simple saisie de texte des vidéos réalistes.</p>
<p>L’espace public regorge aussi d’illustrations des risques générés par l’utilisation de ces applications. Aux États-Unis, deux avocats qui s’étaient fait aider par ChatGPT ont pu se retrouver pris au piège et ont fait <a href="https://www.reuters.com/legal/new-york-lawyers-sanctioned-using-fake-chatgpt-cases-legal-brief-2023-06-22/">référence à des jurisprudences qui n’existaient tout simplement pas</a>. Au-delà des hallucinations, ce sont les risques de <a href="https://theconversation.com/lia-generative-un-acteur-majeur-dans-une-societe-de-la-desinformation-225051">désinformation</a> qui inquiètent, surtout en <a href="https://www.numerama.com/tech/1652422-openai-a-un-probleme-faut-il-lancer-sora-son-ia-generative-de-videos-avant-ou-apres-les-elections-americaines.html">cette année électorale</a>.</p>
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<p>Le texte voté propose un encadrement des systèmes d’IA à partir d’une approche par les risques. Certaines IA sont interdites, d’autres ne pourront être commercialisés qu’après avoir subi un examen de leur conformité. L’idée : trouver un compromis entre encadrer les pratiques et ne pas brider l’innovation. C’est sur ce point que la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/12/15/intelligence-artificielle-la-france-n-a-pas-renonce-a-assouplir-l-ai-act_6206049_3234.html">France</a> a cherché à assouplir ce texte. Il s’agit néanmoins là d’un délicat exercice d’équilibrisme.</p>
<h2>Une approche par les risques</h2>
<p>La création d’un régime spécifique pour les modèles d’IA à usage général (<em>general purpose artificial intelligence</em> en anglais ou GPAI) est sans aucun doute l’une des grandes nouveautés introduites en cours de négociations. Ces modèles sont entraînés sur une grande quantité de données et sont capables d’exécuter un large éventail de tâches et d’être intégrés à de nombreuses variétés de systèmes ou d’application. Ils servent de fondation à d’autres systèmes. Ainsi, ChatGPT constitue une IA générative construite notamment à partir du modèle de langage GPT-4 qui est une GPAI.</p>
<p>Le RIA introduit une nouvelle catégorie, celle de modèles de GPAI susceptibles d’engendrer des risques systémiques. Ce sont ceux dépassant une certaine puissance de calculs ou qui ont aux moins 10 000 utilisateurs professionnels enregistrés, des seuils qui pourront être aménagés par la Commission européenne pour prendre en compte l’évolution du marché. La notion de « risque systémique » renvoie, elle, aux modèles qui sont susceptibles d’avoir un impact significatif dans l’UE et « des effets négatifs réels ou raisonnablement prévisibles sur la santé publique, la sûreté, la sécurité publique, les droits fondamentaux ou la société dans son ensemble ». Ils peuvent potentiellement se propager à grande échelle notamment auprès des utilisateurs de ces modèles lorsqu’ils les intégrent dans leurs systèmes ou applications.</p>
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<p>Cette approche par la notion de risque systémique est à rapprocher d’un autre texte phare récemment adopté par l’Union européenne, le <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act"><em>Digital Service Act (DSA)</em></a>. Celui-ci impose aux très grandes plates-formes et aux très grands moteurs de recherche des obligations supplémentaires, notamment en ce qui concerne des risques systémiques liés à leurs systèmes de modération, de contenus ou de recommandation. La procédure de détermination des modèles de GPAI est similaire à la procédure de désignation des grands acteurs précités dans le DSA : soit les acteurs se désignent eux-mêmes, soit la Commission européenne, assistée par un panel scientifique, pourra les inscrire unilatéralement sur sa liste des modèles de GPAI à risque systémique. Cette liste sera publique.</p>
<p>Au-delà de ces analogies, des différences d’importance sont notables. Dans le DSA, il s’agit de renforcer significativement l’encadrement des grands acteurs par rapport aux autres plates-formes en ligne et moteurs de recherche moins puissants. Dans le RIA, la création de la nouvelle catégorie des modèles de GPAI a abouti à leur créer un régime plus arrangeant que celui des systèmes d’IA à haut risque. Autrement dit, il s’agit de rechercher un point d’équilibre entre un encadrement aussi souple que possible et aussi contraignant que nécessaire.</p>
<p>Le régime spécifique des modèles de GPAI repose essentiellement sur une série d’obligations de transparence et non une exigence de conformité préalable à leur mise en service dans le marché intérieur comme pour les SIA à haut risque, ce qui n’est pas sans ambivalences.</p>
<h2>Un « résumé suffisamment détaillé »</h2>
<p>Le RIA obligera l’ensemble des fournisseurs de modèles de GPAI à établir et à tenir à jour une documentation technique comportant un ensemble d’information précise. Cela permettra notamment de savoir quels corpus de données ont été utilisés pour entraîner le modèle, le tester, le valider et aussi d’où viennent ces données et comment elles ont été collectées. Cette documentation technique doit inclure la consommation d’énergie connue ou estimée du modèle.</p>
<p>Le nouveau texte n’impose pas que cette documentation technique soit rendue publique, mais seulement qu’elle soit transmise aux régulateurs. Seul un « résumé suffisamment détaillé » des contenus utilisés pour entraîner le modèle devra être accessible à tous, formulation ambivalente par excellence.</p>
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<p>Les pessimistes souligneront que, à la grande différence du DSA, aucun accès direct de principe à ces données n’est envisagé ni pour les régulateurs ni pour les chercheurs ou des experts indépendants chargés d’auditer ces modèles. Autrement dit, la délivrance de ces informations cruciales serait d’abord subordonnée à la bonne foi des acteurs. Ces dernières devront néanmoins coopérer avec les autorités nationales compétentes et la Commission. En cas de non-respect de ses demandes, cette dernière pourra infliger aux fournisseurs de modèle de GPAI une amende pouvant aller jusqu’à 3 % de son chiffre d’affaires annuel mondial de l’exercice précédent ou 15 millions d’euros.</p>
<p>Les fournisseurs de modèles de GPAI doivent également fournir une documentation technique aux fournisseurs de systèmes d’IA qui utilisent et intègrent le modèle GPAI dans leurs applications ou systèmes. Ces informations ont une double utilité : bien comprendre les tâches auxquelles le modèle est destiné et responsabiliser qui ne l’utiliserait pas pour la destination prévue ou qui opèrerait des modifications substantielles. Dans de tels cas, les conséquences légales sont transférées : le développeur deviendrait concepteur d’un nouveau modèle de GPAI avec les contraintes spécifiques qui vont avec.</p>
<p>Sont responsabilisés également ceux qui importent ou mettent sur le marché en Europe des IA conçues hors du territoire des 27. De manière générale cependant, l’obligation de documentation technique telle qu’elle est posée ne permet pas de clarifier suffisamment dans quelle mesure ceux-ci seront soumis aux mêmes contraintes.</p>
<h2>Des droits d’auteur vraiment protégés ?</h2>
<p>Le RIA impose en outre aux fournisseurs de modèle de GPAI de mettre en place une politique concernant le respect du droit d’auteur. Ici encore cela ne se fait pas sans ambiguïté. L’<a href="https://theconversation.com/copyright-droit-dauteur-quel-statut-juridique-pour-lia-dans-la-creation-audiovisuelle-215370">impact des IA Génératives sur ce dernier</a> est au cœur du débat public tant en Europe qu’aux États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1713944381235851415"}"></div></p>
<p>Dans l’UE, le débat a porté sur la nécessité de réviser l’<a href="https://www.sne.fr/actu/une-clause-type-pour-sopposer-a-la-fouille-de-textes-et-de-donnees-par-les-intelligences-artificielles/">exception de fouilles de textes</a> qui permet l’utilisation par des modèles d’IA de données couvertes par le droit d’auteur mais librement accessible sur Internet, tant que les ayant-droits n’ont pas exprimé leur opposition. Le RIA ne la remet pas en cause mais oblige les fournisseurs de modèle de GPAI à mettre en place des technologies leur assurant qu’ils respectent bien l’opposition exprimée des auteurs.</p>
<p>Autrement dit, le texte incite les auteurs à s’organiser pour exercer leurs droits d’opposition. De leur côté, les fournisseurs de modèles de GPAI doivent pouvoir attester que ces droits ont bien été respectés. Ils devraient aussi attester de l’effacement automatique des données couvertes par l’exception dès lors que leur modèle a été entraîné, testé et validé. On peut cependant rester sceptique à l’idée que rendre public un « résumé détaillé » sur le contenu des données utilisées par les modèles de GPAI qui permette en pratique aux ayant-droits de pouvoir vérifier l’éventuel usage de leurs données protégées.</p>
<h2>Une exception « open source » raisonnée</h2>
<p>Les modèles mis à disposition du public sous une licence gratuite et laissant un accès ouvert à leurs caractéristiques techniques (on parle d’« open source ») n’ont pas à mettre en place une politique de respect des droits d’auteurs ni à publier un résumé détaillé sur les contenus utilisés pour leurs entraînements. C’est par exemple le cas de LlaMA, le langage de Meta, mais pas celui de GPT4 qui est un modèle « propriétaire », c’est-à-dire dont les fondations techniques ne sont pas partagées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1768914440710176983"}"></div></p>
<p>Cette exception fait écho à la bienveillance générale du RIA pour la recherche. Pour autant, le RIA ne s’enferme pas dans une approche naïve de l’<em>Open source</em>. L’exception ne s’applique pas aux modèles fournis contre rémunération, ne concerne pas les modèles de GPAI à risque systémique, ni ceux qui ne cocheraient que quelques critères définissant un modèle open source. La question pourrait se poser à l’avenir pour la <a href="https://www.maddyness.com/2024/03/12/mistral-ai-lassure-la-start-up-francaise-nabandonnera-pas-lopen-source-apres-son-partenariat-avec-microsoft/">start-up française Mistral IA</a>.</p>
<h2>Un tonneau des Danaïdes</h2>
<p>L’effectivité de l’encadrement des modèles de GPAI par le règlement, marquée ainsi par de nombreuses ambiguïtés, est, en définitive, subordonnée au cadre de gouvernance qu’il propose. Une attention toute particulière devra être accordée au <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/creation-du-bureau-europeen-de-l-ia-retour-sur-ses-missions-et-taches">bureau de l’IA</a> de la Commission qui vient d’être créé. C’est à ce dernier que l’essentiel du contrôle et de l’accompagnement de ces acteurs vers la conformité est confié.</p>
<p>La tâche consistera notamment à adopter un ensemble de documents qui permettront de clarifier les nombreuses ambivalences du RIA. La tâche pourrait s’apparenter à un tonneau des Danaïdes visant à adapter sans cesse la régulation à l’évolution de la technique et du marché. Mais après tout n’est-ce pas le propre de toute régulation que de permettre l’ajustement plus quotidien du cadre juridique en étant à l’écoute des acteurs et des progrès de la technique ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cet article fait partie du dossier <a href="https://dauphine.psl.eu/eclairages/dossier/les-intelligences-artificielles-generatives-lenvers-du-decor">« Intelligences artificielles génératives : l’envers du décor »</a>, publié par le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivia Tambou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Parlement européen a adopté la première réglementation d’envergure encadrant les usages de l’IA, un texte qui reste tout de même largement ambivalent.Olivia Tambou, Maître de conférences en droit, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2255882024-03-18T15:34:13Z2024-03-18T15:34:13ZRelance du nucléaire et urgence climatique : les liaisons dangereuses<blockquote>
<p>« J’assume d’être à la tête d’un gouvernement proénergie nucléaire. » </p>
</blockquote>
<p>Dans son discours de politique générale, en janvier, le premier ministre Gabriel Attal réaffirmait le revirement majeur opéré en faveur de l’atome depuis <a href="https://theconversation.com/nucleaire-en-france-un-peu-beaucoup-passionnement-a-la-folie-175000">la fermeture de la centrale de Fessenheim</a> sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.</p>
<p>L’urgence climatique est régulièrement avancée pour justifier ce virage stratégique opéré <a href="https://www.debatpublic.fr/sites/default/files/2023-01/230118-CP-PJL-CNDP.pdf">sans réel débat citoyen</a>. Il convient de l’examiner avec rigueur en dépassant les stéréotypes dans lesquels nous enferment les débats polarisés entre « pros » et « antis ».</p>
<p>Posons en premier lieu les termes du débat : comme ses partenaires européens, la France s’est engagée à atteindre la neutralité climat en 2050, avec deux objectifs intermédiaires : réduire de 55 % d’ici 2030 les émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport à 1990 et de 90 % d’ici 2040, si les propositions de la Commission européenne sont retenues.</p>
<p>Un tel défi implique d’opérer deux mutations majeures en matière énergétique :</p>
<ul>
<li><p>rompre avec la croissance passée de la demande en visant une diminution de moitié de l’utilisation finale d’énergie d’ici à 2050,</p></li>
<li><p>accélérer l’électrification des usages pour favoriser la décarbonation.</p></li>
</ul>
<p>En dépit de la baisse nécessaire de la demande totale d’énergie, l’utilisation d’électricité décarbonée va devoir augmenter. Pour la produire et chasser les sources fossiles du système, on peut utiliser des sources renouvelables et/ou recourir à l’énergie nucléaire résultant de la fission des atomes.</p>
<h2>Singularité française</h2>
<p>Dans la majorité des pays, l’atome joue un rôle secondaire ou nul dans la fourniture d’électricité. En 2022, il n’a fourni que <a href="https://www.worldnuclearreport.org/-World-Nuclear-Industry-Status-Report-2023-.html">9,2 % de l’électricité mondiale</a>.</p>
<p>Dans le scénario de décarbonation le plus ambitieux de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la production d’électricité d’origine nucléaire augmente en valeur absolue, mais elle ne fournit que <a href="https://iea.blob.core.windows.net/assets/86ede39e-4436-42d7-ba2a-edf61467e070/WorldEnergyOutlook2023.pdf">8 % de l’électricité mondiale en 2050</a>, le déploiement des renouvelables primant.</p>
<p>Le cas de la France est tout à fait singulier. Avec la Slovaquie (et l’Ukraine avant la guerre), c’est le seul pays au monde où le nucléaire fournit plus de la moitié de l’électricité (65 % en 2023, 78 % en 2005). Avec 56 réacteurs en service, notre pays dispose de plus de la moitié de la puissance nucléaire installée au sein de l’Union européenne. L’électricité y est, avec celle des pays nordiques, la plus décarbonée du continent.</p>
<p>La grande majorité des réacteurs en activité (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9n%C3%A9rations_de_r%C3%A9acteurs_nucl%C3%A9aires">dits de seconde génération</a> par opposition aux EPR de 3<sup>e</sup> génération) ont été construits en un temps record après le choc pétrolier de 1973. Depuis 1999, la capacité installée reste sur un plateau et les moyens de production vieillissent : déclasser toutes les centrales ayant effectué 40 années de service – hypothèse <a href="https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/la-poursuite-de-fonctionnement-des-reacteurs-de-900-mwe-au-dela-de-40-ans">retenue lors de leur conception</a> – provoquerait un affaissement brutal de la production d’électricité décarbonée d’ici à 2040 : c’est « l’effet falaise ».</p>
<h2>Au bord de la falaise</h2>
<p>En 2022, le pays a expérimenté les conséquences de la mise à l’arrêt d’une partie du parc. En l’absence de réserve de capacité d’offre de renouvelable, le recours à des centrales thermiques pour compenser la <a href="https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-2023/synthese">baisse du nucléaire a généré</a> une hausse de 5 Mt des rejets de CO<sub>2</sub> sur le territoire et de 3,1 Mt via l’importation d’électricité. Pour ne pas tomber de la falaise et respecter nos objectifs climatiques, on aura besoin d’ici à 2040 à la fois d’un accroissement rapide des sources renouvelables et de l’utilisation du parc nucléaire existant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=393&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=393&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581961/original/file-20240314-26-rorauy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=393&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">The World Nuclear Industry Status Report 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cela nécessite des investissements de mise à niveau des centrales pour prolonger leur exploitation sur des périodes décennales après les visites de contrôles opérées par l’autorité de sûreté (ASN). Le coût de ces investissements, dit du « grand carénage », a été estimé en 2020 à <a href="https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/espaces-dedies/espace-medias/cp/2020/2020-10-29-cp-certifie_edf-reajuste-le-cout-du-programme-grand-carenage.pdf">50 milliards d’euros</a> par EDF. En ajoutant l’inflation apparue depuis, on peut tabler sur une somme de l’ordre de 55 milliards d’euros, soit 1 milliard d’euros par réacteur.</p>
<p>Ramené à la tonne de CO<sub>2</sub> évitée, ce coût peut être estimé dans une fourchette allant de 150 à 200 euros par tonne, en extrapolant dans le futur l'impact qu'a eu en 2022 la mise à l'arrêt d'une partie du parc. En prenant des hypothèses plus contraignantes sur la disponibilité des moyens de production faiblement carbonés substituables au nucléaire, on obtient malgré tout une fourchette de 75 à 100 euros par tonne.</p>
<p>Le coût du mégawatt-heure (MWh) du nucléaire historique en sera renchéri, souvent au-delà de celui des nouvelles sources renouvelables. C’est le prix à payer pour les imprévoyances du passé et notre retard en matière d’énergie renouvelable. Cela ne préjuge en aucune façon des décisions à prendre sur le nouveau nucléaire.</p>
<h2>Une technologie encore en développement</h2>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">schéma gouvernemental de relance du nucléaire </a>porte sur des <a href="https://www.asn.fr/l-asn-controle/epr-2">réacteurs EPR2</a>, d’une capacité voisine de celle de l’EPR de Flamanville, avec un design simplifié pour réduire les coûts de construction. Dans un premier temps, trois paires d’EPR2 sont programmées : l’idée est ensuite de passer à la vitesse supérieure en multipliant les EPR2 pour bénéficier d’économies d’échelle.</p>
<p>Par rapport à Flamanville, dont le chantier aura duré 17 ans pour un démarrage en 2024, on peut espérer un raccourcissement des délais de construction. Mais l’EPR2 est un nouveau réacteur dont il faut finaliser le design. Son chantier fera face aux imprévus propres aux « têtes de série ».</p>
<p>Le programme des EPR2 n’aura pas d’impact significatif sur l’offre électrique avant 2040. Sous l’angle climatique, il ne se justifie que s’il permet de fournir les électrons décarbonés après 2040 à des conditions plus avantageuses que les énergies de flux.</p>
<p>Cela se juge en projetant dans le futur les coûts du nucléaire et du renouvelable à partir de ce qu’on connaît de leurs dynamiques. En la matière, les informations sont bien plus nombreuses et vérifiables pour le renouvelable que pour le nucléaire, très opaque.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quel-recit-derriere-le-retour-en-grace-du-nucleaire-223943">Quel récit derrière le retour en grâce du nucléaire ?</a>
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<h2>Les trajectoires divergentes des coûts directs</h2>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-les-retards-de-la-france-en-matiere-denergies-renouvelables-202815">solaire et l’éolien</a> ont connu un effondrement de leurs coûts directs de production avec l’allongement des séries de production et l’augmentation des puissances installées. Cette dynamique se poursuivra, même si elle est infléchie par deux effets contraires : le renchérissement des métaux utilisés et celui du foncier.</p>
<p>Côté nucléaire, on observe plutôt un accroissement des coûts des chantiers dont la durée ne baisse pas, surtout dans les pays démocratiques où le coût de la sécurité est mieux pris en compte que dans les régimes autoritaires. Il revient aux promoteurs de l’EPR2 d’expliciter les méthodes permettant de contrecarrer la tendance à l’accroissement des coûts.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582325/original/file-20240316-26-u9p8j6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Aide à la lecture : en 2022, une centrale sur deux nouvellement raccordée au réseau dans le monde a connu un délai de réalisation supérieur à 89 mois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">World Nuclear Association, World Nuclear Performance Report 2023, P.11</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les coûts indirects du renouvelable et du nucléaire</h2>
<p>À ces coûts directs s’ajoutent des coûts indirects. Pour le renouvelable, les coûts indirects concernent, à titre principal, ceux liés à l’adaptation du réseau – peu compressibles – et ceux de l’intermittence – qui ont déjà fortement fléchi grâce aux progrès du stockage par batterie. Une tendance amenée à s’amplifier avec le recours au numérique et à l’intelligence artificielle pour une gestion optimisée de la demande, et avec la baisse du coût de l’hydrogène décarboné pour le stockage intersaisonnier.</p>
<p>Pour le nucléaire, les coûts indirects sont ceux du démantèlement des réacteurs en fin de vie et de la gestion du combustible.</p>
<p>Les premiers sont théoriquement intégrés dans l’estimation du coût du programme EPR2 par EDF : <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/exclusif-nucleaire-la-facture-previsionnelle-des-futurs-epr-grimpe-de-30-2080380">67,4 milliards d’euros</a>, soit 11 milliards par réacteur hors frais financiers. Il est cependant difficile de savoir comment ils sont anticipés. L’opérateur dispose d’une courbe d’expérience limitée puisqu’aucun des travaux de démantèlement engagés sur <a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/produire-une-energie-respectueuse-du-climat/lenergie-nucleaire/edf-une-expertise-nucleaire-unique/deconstruction-des-centrales-nucleaires">six des réacteurs mis à l’arrêt</a> depuis 1985 n’a pas encore été achevé.</p>
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<p>Le coût additionnel de traitement des combustibles n’est pas intégré dans les 67,5 milliards. Il devrait se chiffrer en dizaines de milliards. Il sera alourdi par l’option française en faveur du retraitement du combustible qui exigera des investissements lourds dans les usines de retraitement de La Hague et de Marcoule.</p>
<p>De plus, les EPR2 vont augmenter la production annuelle des déchets d’uranium, aujourd’hui en partie retraités en Russie par l’opérateur d’État Rosatom jusqu’à présent épargné des sanctions occidentales.</p>
<h2>Les milliards du nucléaire n’iront pas au renouvelable</h2>
<p>Un troisième paramètre doit être pris en compte. Le programme EPR2, parallèlement à celui du grand carénage, va exercer une pression massive sur les ressources. Et bien sûr, les milliards du nucléaire n’iront pas au renouvelable.</p>
<p>Derrière les milliards, il y a des équipements qui ne sont pas interchangeables, mais aussi beaucoup de travail qualifié dont le manque pèse déjà sur le déploiement du renouvelable. Non seulement le programme EPR2 ne semble pas la voie la plus économe pour atteindre les objectifs climatiques post 2040, mais sa mise en œuvre menace l’atteinte de ceux visés en 2030 et en 2040 grâce au renouvelable.</p>
<p>Le même regard d’économiste du climat qui portait un diagnostic favorable au programme de réinvestissement dans le nucléaire historique conduit donc à un jugement opposé pour le programme EPR2.</p>
<p>Les innovations technologiques sont-elles susceptibles de déplacer le balancier en faveur du nouveau nucléaire ?</p>
<h2>Petits réacteurs modulaires, promesses et risques</h2>
<p>Si le nucléaire a capté une part des dépenses de R&D bien plus élevée que le renouvelable au cours des <a href="https://www.iea.org/data-and-statistics/data-tools/energy-technology-rdd-budgets-data-explore">50 dernières années</a>, les innovations changeant la donne économique ont jusqu’à présent été le fait des énergies renouvelables. Des sommes importantes continuent d’être investies sur la fusion nucléaire ou les réacteurs de 4<sup>e</sup> génération à neutrons rapides.</p>
<p>L’innovation des <a href="https://theconversation.com/reacteurs-nucleaires-smr-de-quoi-sagit-il-sont-ils-moins-risques-172089">petits réacteurs modulaires (SMR)</a> est d’une autre nature. Elle consiste à cesser la course à la taille, pour fabriquer des unités de puissance unitaire beaucoup plus petite, susceptibles d’être alignées de façon modulaire, pour adapter l’offre aux besoins énergétiques.</p>
<p>Le second objectif visé est une baisse drastique des coûts, grâce à l’usinage en série des équipements, le chantier ne consistant plus qu’à <a href="https://www.cea.fr/presse/Pages/actualites-communiques/energies/nuward-smr.aspx">assembler les pièces préfabriquées</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nucleaire-en-france-un-peu-beaucoup-passionnement-a-la-folie-175000">Nucléaire en France : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… ?</a>
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<p>Plus de <a href="https://www.iaea.org/fr/themes/petits-reacteurs-modulaires">80 projets de SMR</a> ont été recensés par l’AIEA. Les constructeurs historiques ajoutent à leur catalogue des versions modulables et rétrécies de leurs réacteurs et de nouveaux entrants s’engouffrent dans le créneau. Pour l’heure, aucun n’a montré comment la promesse de baisse des coûts pourrait être tenue.</p>
<p>Imaginons que la promesse de baisse de coûts se concrétise. Le déploiement des SMR poserait de nouvelles questions de sécurité : multiplier les sites nucléaires civils accroîtrait les risques de détournement à des fins terroristes ou militaires. Un risque à ne pas sous-estimer dans le contexte de tensions géopolitiques croissantes.</p>
<p>En l’état actuel des informations, la prise en compte des projets SMR ne permet donc pas d’infléchir le balancier : sous l’angle économique, l’urgence climatique n’est pas un argument pertinent pour justifier la relance du nouveau nucléaire.</p>
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<p><em>L’auteur remercie Michel Badré pour sa relecture perspicace d’une première version de cet article</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’urgence climatique justifie-t-elle la relance du nucléaire en France ? Les réponses ne sont pas les mêmes pour le nucléaire historique et pour les nouveaux réacteurs.Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2257632024-03-14T16:48:55Z2024-03-14T16:48:55ZAcordo de Paris: já ultrapassamos 1,5°C de aquecimento? O que dizem as observações recentes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581751/original/file-20240312-26-rseio4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De acordo com o programa europeu Copernicus, as temperaturas da superfície do mar em fevereiro de 2024 foram significativamente mais altas do que no período de 1991 a 2020</span> <span class="attribution"><span class="source">Fonte de dados: ERA5. Crédito: Copernicus Climate Change Service/ECMWF</span></span></figcaption></figure><p>No Artigo 2 <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/frenchparisagreement.pdf">do Acordo de Paris</a> a comunidade internacional se compromete a limitar o aquecimento global em relação à era pré-industrial a “bem abaixo de 2°C” e a “tomar medidas adicionais” para atingir uma meta de aquecimento máximo de 1,5°C. O acordo, no entanto, não aponta explicitamente qual indicador deve ser usado para avaliar nossa posição em relação ao cumprimento desses objetivos.</p>
<p>Em janeiro passado, a Organização Meteorológica Mundial (OMM) estimou que a temperatura média em 2023 teria ficado <a href="https://wmo.int/fr/news/media-centre/lomm-confirme-que-2023-bat-le-record-mondial-de-temperatures">1,45°C acima dos níveis pré-industriais</a>. A OMM também anunciou que 2024 provavelmente será ainda mais quente, devido ao prolongamento do fenômeno El Niño, que começou em meados do ano passado. Um aquecimento de 1,5°C, então, poderá ser observado pela primeira vez em um ano inteiro. De acordo com o programa europeu Copernicus, esse já é o caso se considerarmos <a href="https://climate.copernicus.eu/copernicus-2024-world-experienced-warmest-january-record">a média móvel de 12 meses entre fevereiro de 2023 e janeiro de 2024</a>.</p>
<p>Dada a variabilidade de curto prazo do clima, seria errado deduzir que o aquecimento global atingiu 1,5°C. Mas como esses indicadores são estabelecidos e como eles podem ser usados para avaliar nossa posição atual em relação aos objetivos do Acordo de Paris?</p>
<h2>Como monitoramos a temperatura global</h2>
<p>A OMM é uma agência das Nações Unidas com sede em Genebra. Em seus relatórios anuais, ela consolida informações de seis organizações que têm seus próprios sistemas de observação e gerenciam bancos de dados históricos sobre temperaturas globais.</p>
<p>Três delas estão sediadas nos Estados Unidos: a agência estatal <a href="https://www.ncei.noaa.gov/access/monitoring/monthly-report/global/202401">NOOA</a>, responsável pela observação dos oceanos e da atmosfera, a <a href="https://www.giss.nasa.gov/">GISS</a>, que depende da NASA, e a <a href="https://berkeleyearth.org/global-temperature-report-for-2023/">Berkeley Earth</a>, uma associação de cientistas sem fins lucrativos. No Japão, o banco de dados <a href="https://jra.kishou.go.jp/JRA-55/atlas/en/index.html">JRA-55</a> é gerenciado pelo Serviço Meteorológico Nacional local, assim como o banco de dados HadCRUT5 do <a href="https://climate.metoffice.cloud/">Hadley Centre</a>, no Reino Unido. Por fim, o programa europeu <a href="https://www.copernicus.eu/en">Copernicus</a> é responsável pelo banco de dados ERA5.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="graph" src="https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Diferença na temperatura média global em °C em comparação com a média de 1850-1900. Graus Celsius no eixo y, anos no eixo x.</span>
<span class="attribution"><span class="source">World Meteorological Organization</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Em tempos recentes, houve muito pouca dispersão nas estimativas da temperatura média global. Ela aumenta à medida que voltamos no tempo. No passado, havia muito menos observações disponíveis, e elas não eram tão precisas nem tão confiáveis quanto as fornecidas pelos satélites atualmente. Isso levanta a questão de qual referência histórica deve ser usada para calcular o aquecimento global em relação à era pré-industrial.</p>
<p>O Painel Intergovernamental sobre Mudanças Climáticas da ONU (IPCC) abordou essa questão em seus vários relatórios de avaliação. Ele recomenda considerar a temperatura média estimada no período de 1850 a 1900 como representativa do período pré-industrial. Ao resumir o trabalho existente, ele fornece uma estimativa do aumento da temperatura entre 1850 e 1900 e o período recente (+0,69°C entre 1850-1900 e 1986-2005, de acordo com o <a href="https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_Chapter02.pdf">sexto relatório do IPCC</a>).</p>
<p>A OMM está usando esse trabalho para consolidar as observações fornecidas pelos seis centros de pesquisa e produzir uma estimativa de referência do nível de aquecimento alcançado a cada ano. Essa é a estimativa de referência mostrada no gráfico acima: um aumento médio na temperatura de 1,45°C para 2023, sugerindo a possibilidade de um aumento de 1,5°C em 2024 se o El Niño continuar sem interrupção.</p>
<h2>1,5°C já alcançado em 2015 e 2016</h2>
<p>Na realidade, a meta de 1,5°C já foi atingida antes, se observarmos os dados subanuais. De acordo com informações no banco de dados do programa Copernicus, os primeiros dias com um aquecimento de 1,5°C foram registrados pela primeira vez em 2015. Já em novembro de 2023 o Copernicus registrou as primeiras médias diárias acima de 2°C.</p>
<p>Em termos de médias mensais, fevereiro de 2016 foi o primeiro mês a registrar um aquecimento de 1,5°C em relação à era pré-industrial. As altas temperaturas desse mês também se deveram a um evento muito intenso do El Niño. Em 2023, as médias mensais ultrapassaram 1,5°C todos os meses a partir do verão no Hemisfério Norte.</p>
<p>No entanto, nunca passaria pela cabeça de ninguém afirmar que atingimos o limite crítico de aquecimento do Acordo de Paris por causa desses excessos diários ou mensais. Mas e se a meta de 1,5°C for atingida em um ano inteiro?</p>
<p>O IPCC ressalta que um ano com um aquecimento de 1,5°C não significa que a meta do Acordo de Paris tenha sido atingida. Ele recomenda o uso de médias plurianuais. No <a href="https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle/">sexto relatório do IPCC</a>, o aquecimento observado de 1,1°C em relação à era pré-industrial foi calculado para a década de 2011-2020. Para diagnosticar se a meta de 1,5°C ou o limite de 2°C foram atingidos, o IPCC recomenda o uso de um indicador que abranja duas décadas.</p>
<h2>Onde estaremos em 2024?</h2>
<p>A OMM indica que, após a temperatura média registrada em 2023, o aquecimento atingiu 1,2°C na última década (2014-2023). Seguindo as recomendações do IPCC, teremos de esperar até conhecermos o aquecimento médio da próxima década (2024-2033) para podermos avaliar o estado do aquecimento atual. O método permite julgar <em>a posteriori</em> se as metas de temperatura foram atingidas ou ultrapassadas.</p>
<p>Obviamente, não sabemos as temperaturas da próxima década. Mas podemos estimá-las com base nas tendências do passado. Desde 1970, a curva de temperatura média tem seguido uma trajetória estatisticamente muito robusta: o termômetro aumenta 0,2°C por década. Enquanto o crescimento do estoque de gases de efeito estufa na atmosfera não for contido, não há razão para postular uma desaceleração dessa tendência.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="graph" src="https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dados da temperatura média global.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hadley Centre</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Vamos estender essa tendência para os próximos 10 anos. O aquecimento médio será então de 1,4°C na próxima década de 2024-2033 (1,2°C + 0,2°C). Portanto, podemos considerar que, até o início de 2024, teremos atingido um aquecimento médio de 1,3°C, supondo que não haverá mudança na tendência de aquecimento nos próximos dez anos.</p>
<p>É claro que, acima de tudo, isso mostra que a tendência deve ser revertida com urgência. Se ela continuar na próxima década, a meta de 1,5°C será atingida em meados da próxima década, conforme mostrado no gráfico. Se continuar assim, em 2050 estaremos na metade do caminho entre a meta de 1,5°C e o limite de 2°C.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis não presta consultoria, trabalha, possui ações ou recebe financiamento de qualquer empresa ou organização que poderia se beneficiar com a publicação deste artigo e não revelou nenhum vínculo relevante além de seu cargo acadêmico.</span></em></p>De acordo com o programa Copernicus, houve um aquecimento de 1,5°C entre fevereiro de 2022 e janeiro de 2023, mas isso não significa que a meta estabelecida no Acordo de Paris tenha sido ultrapassadaChristian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2253072024-03-12T16:06:25Z2024-03-12T16:06:25ZLa France, un paradis fiscal… pour le Qatar ?<p><a href="https://www.capital.fr/economie-politique/en-visite-en-france-lemir-du-qatar-sort-le-gros-cheque-pour-investir-dans-notre-economie-1492913">10 milliards d’euros</a>. Telle est la somme que l’émir du <a href="https://theconversation.com/topics/qatar-39492">Qatar</a>, lors de sa récente visite à Paris, a annoncé vouloir investir d’ici à 2030 dans l’économie française.</p>
<p>Le montant n’a pas manqué de faire réagir. La venue de l’émir intervenait alors que le dossier du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/06/qatargate-l-enquete-belge-risque-l-enlisement_6209394_3210.html">« Qatargate »</a> n’est pas clos : l’État du Golfe est accusé <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/le-qatargate-est-une-affaire-criminelle-et-n-a-aucun-rapport-avec-le-lobbying/">d’avoir tenté de corrompre des parlementaires européens</a>. Il est également suspecté de <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cll7nmeev6eo">financer des organisations classées terroristes</a>, dont le Hamas, qui est inscrit sur la <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:151:0045:0050:EN:PDF">liste de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Sans compter les pratiques de <em>soft power</em> mises à jour par les différents <a href="https://www.tallandier.com/livre/le-qatar-en-100-questions/">ouvrages</a> des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Il serait ainsi naïf de croire que les <a href="https://theconversation.com/topics/investissement-20236">investissements</a> du Qatar sont dénués de toute intention politique. Une autre question se pose également : ces investissements vont-ils rapporter de l’argent à l’État français ? L’analyse non exhaustive de la <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_convention-avec-le-qatar_fd_2100.pdf">convention fiscale France-Qatar</a> montre que cela est loin d’être évident.</p>
<h2>Tout commence par l’immobilier</h2>
<p>La presse s’est déjà fait l’écho d’<a href="https://photo.capital.fr/ces-fleurons-francais-desormais-aux-mains-du-qatar-17024#les-hotels-carlton-martinez-et-majestic-de-cannes-303176">acquisitions immobilières impressionnantes</a>, en particulier à Cannes, réalisées par des sociétés ou des familles qatariennes. À partir du moment où le patrimoine immobilier situé en France a une valeur supérieure à 1,3 million d’euros, un non-résident est théoriquement assujetti à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI), mais cela sous réserve des conventions internationales.</p>
<p>En l’occurrence, l’<a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_convention-avec-le-qatar_fd_2100.pdf#page=11">article 17</a> de la convention France-Qatar stipule :</p>
<blockquote>
<p>« La fortune constituée par des biens immobiliers visés à l’article 5, que possède un résident d’un État et qui sont situés dans l’autre État, est imposable dans cet autre État si la valeur de ces biens immobiliers est supérieure à la valeur globale des éléments suivants de la fortune possédée par ce résident. »</p>
</blockquote>
<p>Ces « éléments » sont principalement des obligations et des actions de sociétés cotées résidentes. Il résulte ainsi du texte que des actions de sociétés cotées situées en France ne seront pas considérées comme un bien immobilier pour un Qatarien (et réciproquement) même en ce qui concerne les sociétés détenant essentiellement des actifs immobiliers. Cet investissement n’entrera donc pas dans le calcul de la valeur des biens immobiliers : autrement dit, pour éviter d’être assujettis à l’IFI, les Qatariens sont incités à investir dans des sociétés cotées ou dans des obligations d’État.</p>
<p>Les cas d’exonération sont encore plus larges dans les faits : l’administration fiscale a même <a href="https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/949-PGP.html/identifiant=BOI-INT-CVB-SAU-20200122">précisé</a> qu’il fallait tenir compte des actions cotées sur un marché boursier d’un État membre de l’Union européenne et non uniquement de celles cotées sur le marché français ainsi que des créances sur les États membres de l’UE, leurs collectivités territoriales ou institutions publiques. Les établissements de crédit résidents d’un État membre de l’UE n’ont, eux, pas besoin d’être cotés en bourse.</p>
<h2>Puis, il y a les dividendes</h2>
<p>On peut par ailleurs lire à l’article 8 de la Convention :</p>
<blockquote>
<p>« Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État à un résident de l’autre État ne sont imposables que dans cet autre État si la personne qui reçoit ces dividendes en est le bénéficiaire effectif. »</p>
</blockquote>
<p>Les dividendes versés par des sociétés françaises détenues par des Qatariens, personnes physiques ou morales, sont ainsi imposés au Qatar. Ce mécanisme classique, et usuel, en fiscalité internationale comprend néanmoins plusieurs nuances non négligeables dans ce cas.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_BzT5zSNusU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Tout d’abord, contrairement à ce qui est prévu dans de nombreuses conventions fiscales signées avec d’autres pays – par exemple entre la France et le Luxembourg –, la France ne s’est pas réservé la possibilité d’imposer les dividendes qui partent pour le Qatar.</p>
<p>Comme il n’y a pas d’imposition prenant pour assiette les dividendes au Qatar, il est tentant pour un investisseur français de vendre son action à un investisseur qatarien qui reçoit les dividendes et est exonéré de taxes. Il restitue ensuite l’action et les dividendes à l’investisseur français qui, ayant échappé à la taxe, n’a plus qu’à lui verser une commission pour le service rendu. <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/dividendes-les-conventions-fiscales-avec-les-pays-du-golfe-dans-le-viseur-des-deputes-1360190">Les parlementaires se sont saisis de la question</a> mais il est difficile de penser que des modifications seront introduites dans la Convention fiscale après l’annonce par le Qatar qu’il s’apprête à investir 10 milliards d’euros en France.</p>
<p>Enfin, la convention précise que les revenus immobiliers, les dividendes ou les gains de capital qui sont réalisés en France par des sociétés qatariennes et partent ensuite au Qatar ne subissent pas la retenue usuelle à la source de 30 %.</p>
<p>Bref, les sociétés qatariennes sont incitées à investir en France en parallèle à leurs acquisitions immobilières et elles bénéficient alors également, en matière de dividendes, d’un traitement dérogatoire.</p>
<h2>Puis, il y a les intérêts</h2>
<p>Imaginons désormais une société française qui s’endette auprès d’une société mère qatarienne. Ce mode de financement aboutit à réduire le bénéfice imposable de la société française qui doit acquitter les mensualités d’emprunt et à enrichir la société qatarienne qui récupère les intérêts. Là encore, contrairement à ce qui a pu être stipulé dans d’autres conventions ratifiées par la France – par exemple, la convention entre la France et Israël –, dans ses relations avec le Qatar, la France ne dispose d’aucune possibilité, selon l’article 9, d’imposer de tels flux financiers.</p>
<p>Imaginons que cet emprunt conclu auprès d’une société étrangère aboutisse à l’acquisition d’une immobilisation pour la société française. Celle-ci sera en droit d’amortir son coût sur plusieurs années et de réduire d’autant son bénéfice en application des règles comptables et fiscales en vigueur en France, qui est en outre le lieu de situation de l’immeuble. Dans cette hypothèse théorique, d’une part le flux financier emprunté n’est pas fiscalisé et la société qatarienne encaisse « net d’impôt » les remboursements, et d’autre part, en France, la société française réduit le montant de son imposition.</p>
<p>Reprécisons que ce mécanisme n’est pas spécifique aux entreprises détenues par des fonds ou des sociétés qatariennes, mais il se cumule avec tout un ensemble d’exonérations.</p>
<h2>Puis, les redevances et enfin, les plus-values</h2>
<p>Outre l’immobilier, les dividendes et les intérêts, il faut regarder du côté des redevances. Les redevances sont les sommes que doit acquitter une société pour pouvoir exploiter un brevet ou une image. Si ces droits sont détenus par une société étrangère, la société française qui souhaite les exploiter doit passer un contrat avec cette société et la rémunérer en contrepartie. Conformément à l’article 10 de la convention France-Qatar, et contrairement par exemple à la convention France-Espagne, ces sommes permettent de réduire le bénéfice imposable en France. Une société qatarienne qui verse une redevance à la France verra son assiette d’imposition réduite d’autant. Dans l’autre sens, la redevance perçue par une société du Golfe ne sera-t-elle pas imposée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1657468591254405120"}"></div></p>
<p>Pour ce qui concerne enfin les plus-values, celles provenant de la vente de biens immobiliers (ou de droits dans une société dont l’actif est constitué pour plus de 80 % d’immeubles) situés en France sont en principe imposables en France selon l’article 11. C’est oublier que la convention a été complétée par des avenants. Celui du <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_avenant-a-la-convention-avec-le-qatar-du-14.01.2008_fd_4587.pdf">14 janvier 2008</a> prévoit notamment l’exonération des plus-values de cession réalisées par l’autre État, sa banque centrale ou une institution financière publique mais également les gains provenant de l’aliénation de parts d’une société dont l’actif est constitué pour plus de 80 % de biens immobiliers.</p>
<p>En résumé, l’investissement de 10 milliards d’euros pourrait bien bénéficier d’une rentabilité maximale. Mais ce n’est pas tout. Les entreprises qatariennes, comme toutes les entreprises exploitées en France, utilisent pleinement les crédits d’impôt, dont <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-credit-dimpot-recherche-rapport-cnepi-2021">l’efficacité est loin d’être démontrée</a>, mais qui assurent avec certitude aux entreprises un apport en trésorerie. Si, comme annoncé, le Qatar investit dans l’intelligence artificielle, il profitera pleinement du crédit impôt-recherche.</p>
<p>Enfin, une partie des sommes annoncées a vocation à être gérée par la BPI en dépit des poursuites en cours en raison de soupçons de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/bpifrance-enquete-ouverte-pour-des-soupcons-de-prise-illegale-d-interets-978059.html">prise illégale d’intérêts</a>. Pour le dire autrement, l’État du Golfe suspecté d’être à l’origine du plus grand scandale de corruption en Europe va investir en France via une structure dont la déontologie est remise en question. Des élus, à l’instar de la sénatrice Anne-Catherine Loisier qui a déposé à ce sujet une <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ181208007.html">question écrite</a> le 6 décembre dernier, interpellent déjà l’exécutif sur le manque à gagner entraîné par les « avantages fiscaux » accordés au Qatar.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Qatar a certes promis 10 milliards d’euros d’investissement en France d’ici 2030, mais il bénéficie d’une convention fiscale bilatérale particulièrement avantageuse.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2237792024-03-12T16:05:43Z2024-03-12T16:05:43ZAccord de Paris : a-t-on déjà dépassé 1,5 °C ? Ce que disent les observations récentes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581243/original/file-20240312-26-rseio4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les températures de surface de la mer en février 2024 sont nettement plus chaudes que sur la période de référence 1991-2020, selon Copernicus.</span> <span class="attribution"><span class="source">Data source: ERA5. Credit: Copernicus Climate Change Service/ECMWF</span></span></figcaption></figure><p>À son article 2, <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/frenchparisagreement.pdf">l’accord de Paris</a> engage la communauté internationale à limiter le réchauffement relativement à l’ère préindustrielle « nettement en dessous de 2 °C » et à « poursuivre l’action » pour atteindre la cible de 1,5 °C. Il n’indique pas explicitement quel indicateur utiliser pour juger où on se situe par rapport à ces objectifs.</p>
<p>En janvier, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a estimé que la température moyenne s’est établie en 2023 à <a href="https://wmo.int/fr/news/media-centre/lomm-confirme-que-2023-bat-le-record-mondial-de-temperatures">1,45 °C au-dessus de l’ère préindustrielle</a>. Elle annonce que 2024 risque d’être encore plus chaude, en raison de la prolongation de l’épisode <em>El Niño</em> apparu l’été dernier. Un réchauffement de 1,5 °C pourrait être observé pour la première fois sur une année complète. D’après le programme européen Copernicus, c’est déjà le cas en considérant <a href="https://climate.copernicus.eu/copernicus-2024-world-experienced-warmest-january-record">l’année glissante allant de février 2023 à janvier 2024</a>.</p>
<p>Du fait de la variabilité à court terme du climat, il serait erroné d’en déduire que le réchauffement planétaire a atteint 1,5 °C. Mais comment sont établis ces indicateurs et comment les utiliser pour juger notre position actuelle au regard des objectifs de l’accord de Paris ?</p>
<h2>Comment on observe la température mondiale</h2>
<p>L’OMM est une agence des Nations unies, basée à Genève. Elle consolide dans ses bilans annuels les informations issues de 6 organisations qui disposent de systèmes d’observations propres et gèrent des bases de données historiques sur les températures mondiales.</p>
<p>Trois sont basées aux États-Unis : l’agence publique <a href="https://www.ncei.noaa.gov/access/monitoring/monthly-report/global/202401">NOOA</a> en charge de l’observation des océans et de l’atmosphère, le <a href="https://www.giss.nasa.gov/">GISS</a> qui dépend de la NASA et le <a href="https://berkeleyearth.org/global-temperature-report-for-2023/">Berkeley Earth</a>, une association de scientifiques à but non lucratif. Au Japon, la base de données <a href="https://jra.kishou.go.jp/JRA-55/atlas/en/index.html">JRA-55</a> est gérée depuis le service de la météorologie nationale, comme l’est celle de HadCRUT5 du <a href="https://climate.metoffice.cloud/">Hadley Center</a> au Royaume-Uni. Enfin, le programme européen <a href="https://www.copernicus.eu/en">Copernicus</a> se charge de la base de données ERA5.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="graphique" src="https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576723/original/file-20240220-16-zzzbym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Différence de température moyenne globale en °C comparé à la moyenne de 1850-1900. En ordonnée, les degrés Celsius, en abscisse les années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Organisation météorologique mondiale</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sur la période récente, la dispersion des estimations de la température moyenne dans le monde est très faible. Elle augmente à mesure que l’on remonte dans le temps. Sur les périodes passées, on disposait en effet de beaucoup moins d’observations et elles n’avaient ni la précision ni la fiabilité de celles fournies aujourd’hui par les satellites. Cela pose la question de la référence historique à prendre en compte pour calculer le réchauffement relativement à l’ère préindustrielle.</p>
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<p>Le GIEC s’est penché sur cette question dans ses différents rapports d’évaluation. Il préconise de considérer la température moyenne estimée sur la période 1850-1900 comme représentative de celle de la période préindustrielle. En faisant la synthèse des travaux existants, il donne une estimation de la montée du thermomètre entre 1850 et 1900 et la période récente (+0,69 °C entre 1850-1900 et 1986-2005 d’après le <a href="https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_Chapter02.pdf">6<sup>e</sup> rapport</a>).</p>
<p>L’OMM reprend ces travaux pour consolider les observations fournies par les 6 centres de recherche et produire l’estimation de référence du niveau de réchauffement atteint chaque année. C’est cette dernière qui apparaît sur le graphique ci-dessous : une hausse moyenne du thermomètre évaluée à 1,45 °C pour l’année 2023, laissant entrevoir la possibilité d’un réchauffement de 1,5 °C en 2024 si l’épisode El Niño ne faiblit pas.</p>
<h2>Moyennes infra-annuelles : le 1,5 °C atteint dès 2015 et 2016</h2>
<p>En réalité, la cible de 1,5 °C avait été atteinte bien plus tôt, si on se réfère aux données infra-annuelles. D’après celles reportées dans la base du programme Copernicus, les premières journées connaissant un réchauffement de 1,5 °C ont été mesurées pour la première fois en 2015. En novembre 2023, Copernicus a rapporté les premières moyennes journalières au-dessus de 2 °C.</p>
<p>Concernant les moyennes mensuelles, février 2016 a été le premier mois à observer un réchauffement de 1,5 °C relativement à l’ère préindustrielle. L’envolée du thermomètre au cours de ce mois s’expliquait également par un épisode <em>El Niño</em> de forte intensité. En 2023, les moyennes mensuelles ont dépassé 1,5 °C tous les mois à partir de l’été.</p>
<p>Il ne viendrait pourtant à l’idée de personne d’affirmer qu’on a atteint le seuil critique de réchauffement de l’accord de Paris en raison de ces dépassements journaliers ou mensuels. Mais qu’en est-il si la cible de 1,5 °C est atteinte pendant une année complète ?</p>
<p>Le GIEC rappelle qu’une année avec un réchauffement à 1,5 °C ne signifie pas que la cible correspondante de l’accord de Paris a été atteinte. Il recommande d’utiliser des moyennes pluriannuelles. Dans le <a href="https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle/">sixième rapport du GIEC</a> le diagnostic d’un réchauffement observé de 1,1 °C relativement à l’ère préindustrielle concerne ainsi la décennie 2011-2020. Pour diagnostiquer que la cible de 1,5 °C ou la limite de 2 °C ont été atteintes, le GIEC recommande d’utiliser un indicateur portant sur deux décennies.</p>
<h2>Où en sommes-nous en 2024 ?</h2>
<p>L’OMM indique qu’à la suite de la température moyenne constatée en 2023, le réchauffement atteint 1,2 °C sur la dernière décennie (2014-2023). En suivant les recommandations du GIEC, il faudra attendre de connaître le réchauffement moyen de la prochaine décennie (2024-2033) pour pouvoir évaluer l’état du réchauffement actuel. La méthode permet de juger a posteriori de l’atteinte ou du dépassement des cibles de température.</p>
<p>Par définition, on ne connaît pas les températures de la prochaine décennie. Mais on peut les estimer à partir des évolutions du passé. Depuis 1970, la courbe d’évolution des températures moyennes suit une tendance très robuste statistiquement : le thermomètre prend 0,2 °C par décennie. Tant que la croissance du stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’est pas contenue, il n’y a aucune raison de postuler le ralentissement de cette tendance.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="graphique" src="https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576724/original/file-20240220-30-gzmoc6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Température moyenne des données.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hadley center</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Prolongeons donc cette tendance sur les 10 prochaines années. Le réchauffement moyen s’élèvera alors à 1,4 °C sur la prochaine décennie 2024-2033 (1,2 °C + 0,2 °C). On peut donc considérer que nous avons atteint début 2024 un réchauffement moyen de 1,3 °C, à tendance du réchauffement inchangée sur les dix prochaines années.</p>
<p>Bien entendu, cela montre surtout que la tendance doit être inversée de toute urgence. Si elle se prolonge sur la décennie suivante, la cible de 1,5 °C sera atteinte vers le milieu de la prochaine décennie, comme cela apparaît sur le graphique. Si elle se poursuivait par la suite, on serait en 2050 à mi-chemin entre la visée de 1,5 °C et la limite de 2 °C.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223779/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’après le programme Copernicus, un réchauffement de 1,5 °C a été observé entre février 2022 et janvier 2023. Cela ne signifie pas que le 1,5 °C visé à l’accord de Paris a été dépassé.Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252262024-03-08T13:34:19Z2024-03-08T13:34:19Z« Si on s’arrête le monde s’arrête » ou comment la grève féministe s’est installée en France<p>« Si on s’arrête le monde s’arrête », « 8 mars 15h40 grève féministe » sont quelques-uns des slogans diffusés pour appeler à la grève féministe en France.</p>
<p>Ce mot d’ordre émerge depuis quelques années dans le mouvement féministe français, dans la continuité des grèves féministes menées à l’international (Argentine, Suisse, Espagne, Chili, etc.) qui ont <a href="https://theconversation.com/droits-des-femmes-la-vague-mauve-en-espagne-et-en-france-129659">rassemblé des milliers de personnes</a>.</p>
<p>La pratique de la grève est <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-22.htm">classique</a> du mouvement ouvrier et chez les <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">féministes</a>, comme le rappelait Eva Gueguen dans son mémoire, <em>L’arme des travailleuses, c’est la grève ! Appropriation et usages de la grève par le mouvement féministe à l’assemblée générale féministe Paris-Banlieue</em> (2023, Paris Dauphine). Mais la « grève féministe » quant à elle connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications mises en avant à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars. Comment ce mot d’ordre s’est-il imposé ? À quoi renvoie-t-il ?</p>
<h2>Un outil révolutionnaire ?</h2>
<p>Tout d’abord, la grève féministe renvoie à l’arrêt du travail productif (rémunéré dans la sphère professionnelle) et celui <a href="https://theconversation.com/les-metiers-tres-feminises-du-soin-et-du-lien-pourquoi-il-est-urgent-de-les-reconnaitre-a-leur-juste-valeur-223670">reproductif</a> réalisé gratuitement (travail domestique, de soin, etc.).</p>
<p>Les militant·e·s expliquent que ce dernier est majoritairement réalisé par des femmes (et des minorités de genre, c’est-à-dire les personnes trans’ et non binaires) et <a href="https://theconversation.com/les-revenus-des-femmes-diminuent-apres-la-naissance-dun-enfant-voici-pourquoi-223150">invisibilisé dans la société</a>.</p>
<p>La grève féministe ambitionne de faire reconnaître ce travail considéré comme essentiel dans les économies et pour lequel « si on s’arrête, le monde s’arrête », c’est-à-dire, selon ce slogan féministe, si celles-ci ne le réalisaient plus, l’économie ne pourrait plus fonctionner.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>Il s’agit par la grève de transformer la société et reconfigurer les rapports sociaux. Les militantes, rencontrées lors d’un atelier sur la grève féministe (Coordination féministe à Rennes, le 22 janvier 2022) souhaitent « mettre en lumière à la fois l’aspect économique de l’oppression des femmes et les conséquences économiques concrètes » sur l’organisation du pays quand elles cessent leur activité, « dégager du temps » pour d’autres activités que le travail, et rassembler largement autour de cette revendication en mobilisant l’ensemble du mouvement social et pas uniquement les féministes.</p>
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<p>La grève féministe est alors un outil permettant de penser ensemble l’imbrication entre différents rapports de domination – patriarcat, capitalisme, racisme –. Pour le 8 mars 2024, les militantes appellent par exemple au <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">« partage du temps de travail et des richesses »</a>, au droit à <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">disposer de son corps</a>, ou encore dénoncent la <a href="https://theconversation.com/comment-la-loi-immigration-souligne-de-graves-dysfonctionnements-democratiques-220301">loi asile-immigration</a> considérée comme <a href="https://www.grevefeministe.fr/8-mars-2024/">raciste et antiféministe</a>.</p>
<p>En somme, la grève féministe se pose « à rebours d’une vision des féminismes comme « confinées » (à un secteur, une revendication, une minorité), en <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-137.htm">liant le féminisme au reste des mouvements sociaux</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/marie-huot-antispecisme-et-feminisme-un-meme-combat-contre-les-dominations-au-xix-siecle-210576">Marie Huot : antispécisme et féminisme, un même combat contre les dominations au XIXᵉ siècle</a>
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<h2>Inspirations internationales</h2>
<p>La diffusion de cette revendication en France s’inscrit dans un contexte de mobilisation internationale autour des grèves féministes. À partir de 2016, celles-ci se multiplient en Pologne, Argentine, Suisse, Chili, etc. C’est aussi le cas en Espagne où les militantes appellent à cesser le travail pendant 24h le 8 mars 2018.</p>
<p>La mobilisation est conséquente, réunissant 5 millions de personnes où les militantes dénoncent « les féminicides et les agressions, les humiliations, les exclusions, l’ensemble des violences machistes » auxquelles sont <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-155.htm">exposées les femmes</a></p>
<p>La grève espagnole « inspire le mouvement féministe français », elle est qualifiée « d’initiative extraordinaire » qui montre que la grève est un « outil qui fonctionne » indique en entretien une militante de la Coordination féministe. L’ampleur de ce mouvement a ainsi inscrit les revendications féministes dans les sphères politiques et médiatiques. Rappelons que le Premier ministre espagnol <a href="https://www.leparisien.fr/international/espagne-greve-feministe-et-manifestations-monstres-a-barcelone-et-madrid-08-03-2019-8027928.php">a d’ailleurs défilé en tête de cortège</a> lors de la grève féministe l’année suivante, quelques semaines avant la tenue des législatives.</p>
<p>Prenant acte de ce phénomène, les féministes françaises ont établi et entretiennent des liens avec ces militantes internationales. Celles-ci se rencontrent dans des espaces politiques et syndicaux de gauche – par exemple au sein de la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/socialisme-les-internationales/4-la-ive-internationale/">Quatrième internationale</a>, organisation trotskyste – ou lors de rencontres féministes internationales, comme celles organisées par <a href="https://radar.squat.net/fr/event/toulouse/toutes-en-greve-31/2019-10-26/rencontres-feministes-internationales">Toutes en grève à Toulouse en 2019</a>. Les féministes échangent sur leurs expériences et modes d’action.</p>
<p>Les mouvements de grévistes à Toulouse ont été particulièrement actifs, d’une part du fait de la proximité des militantes avec celles Espagnoles, mais aussi historique, car réactivant une initiative précédente, celle du collectif <a href="https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/8-mars-la-greve-feministe-simpose-dans-les-syndicats-030120602">Grève des femmes qui existe dans la région depuis 2012</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouvement sans précédent le 8 mars 2018 en Espagne (<em>Courrier International</em>).</span></figcaption>
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<p>À ce titre, plusieurs militantes de la Coordination féministe (anciennement au collectif toulousain Toutes en grève 31) expliquent avoir repris les modalités d’organisation des grèves italiennes et espagnoles, qui fonctionnent avec des assemblées et des petits groupes de travail.</p>
<p>C’est donc dans ce sillage internationaliste que la grève féministe émerge en France.</p>
<h2>« Si on s’arrête, le monde s’arrête »</h2>
<p>Dans une temporalité similaire, « On arrête toutes » se forme à Paris, en 2019 et propose de faire grève le 8 mars en arrêtant le travail à 15h40. Ce chiffre symbolique correspond chaque jour à l’heure à laquelle les femmes arrêtent d’être payées par rapport aux hommes, au regard des <a href="https://www.snrt-cgt-ftv.org/jdownloads/Communiques/2017/170228a.pdf">26 % d’écart salarial entre femmes et hommes</a>.</p>
<p>Ce projet va ensuite prendre de l’ampleur. Toutes en grève 31 organise des rencontres internationales en octobre 2019 pour appeler à la grève générale <a href="https://www.facebook.com/events/692675771192523">du 8 mars 2020</a> et dans la continuité, la Coordination féministe – réseau d’associations, collectifs et assemblées féministes en France – est créé en 2020, structurant progressivement son activité autour de la grève féministe.</p>
<p>D’autres collectifs s’en saisissent progressivement, comme <a href="https://theconversation.com/mobiiser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">« Nous toutes »</a>, qui y appelle pour la première fois à l’occasion du 8 mars 2024, avec un consortium d’organisations <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">dont la Coordination féministe</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 8 mars on arrête tout !</span></figcaption>
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<h2>Un cadre théorique issu de la pensée féministe-marxiste</h2>
<p>Au-delà des circulations militantes internationales, la <a href="https://lms.hypotheses.org/676">diffusion de la grève féministe</a>, passe par des actrices féministes issues de <a href="https://shs.hal.science/halshs-01349832">différentes sphères</a> (académique, associative ou encore syndicale) de « l’espace de la cause des femmes ».</p>
<p>Elles interviennent dans des syndicats, des conférences, ou encore dans des <a href="https://www.contretemps.eu/read-offline/22714/pour-greve-feministe-koechlin.print">interviews</a> ou des <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">articles</a>.</p>
<p>Cette organisation s’appuie aussi sur la mobilisation d’un corpus féministe-marxiste des <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1vz494j">théories de la reproduction sociale</a>. Celles-ci reprennent les analyses de Marx, « étendues au travail reproductif des femmes et à leur rôle dans les rapports de (re)production capitaliste ». Ces théories mettent en lumière le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">travail reproductif</a> principalement pris en charge par les femmes, consistant à « produire l’être humain », c’est-à-dire l’ensemble des activités nécessaires à produire le travailleur, à faire en sorte qu’il/elle soit apte au travail dit productif au quotidien (travail domestique, prise en charge des enfants, mais aussi santé publique, éducation, etc.).</p>
<p>Cette critique du travail reproductif s’inscrit dans le cadre de travaux plus larges liant capitalisme et patriarcat, comme l’expliquent des autrices telles que <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/economies-populaires-et-luttes-feministes/">Verónica Gago</a>, <a href="https://www.librairie-des-femmes.fr/listeliv.php?base=paper&form_recherche_avancee=ok&auteurs=Silvia%20Federici">Silvia Federici</a> ou encore <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/feminisme_pour_les_99-9782348042881">Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser</a>.</p>
<p>Si ces ouvrages féministes-marxistes ne sont qu’un point d’appui pour les militant·es, leur circulation va accompagner le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">regain d’intérêt pour la grève féministe</a> « qui réintègre alors les répertoires d’action collective de certaines parties du mouvement féministe » depuis quelques années.</p>
<p>Si en France les grèves ne sont pas aussi massives que dans d’autres pays comme l’Espagne ou l’Argentine, elles offrent la possibilité aux féministes de faire considérer la cause féministe comme un projet politique global qui vise à la transformation des rapports sociaux. En 2024, pour la première fois, <a href="https://www.grevefeministe.fr">au-delà d’une centaine de collectifs féministes</a> ce sont aussi huit organisations syndicales qui appellent ensemble à faire grève le <a href="https://solidaires.org/sinformer-et-agir/les-journaux-et-bulletins/solidaires-en-action/n-165/interprofessionnel-le-8-mars-cest-la-greve-feministe/">8 mars</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Guellier a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en science politique au sein de l'Université Paris-Dauphine PSL. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête ethnographique et a été notamment amenée à rencontrer des membres de la Coordination féministe et des militantes féministes.
</span></em></p>La grève féministe connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars.Mathilde Guellier, Doctorante en science politique, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252402024-03-07T16:16:40Z2024-03-07T16:16:40ZLes femmes dirigeantes, un catalyseur des performances environnementales et sociales pour les entreprises<p>La féminisation des instances dirigeantes (comités exécutifs et de direction) des grandes entreprises françaises est en cours. Le <a href="https://www.ifa-asso.com/mediatheques/barometre-ifa-ethics-boards-de-la-mixite-des-instances-dirigeantes-2024/">rapport 2024 IFA-Ethics&Boards</a> montre qu’en 2024, 44 % des entreprises du SBF120 (indice boursier regroupant les 120 principales sociétés cotées) respectent déjà le seuil de 30 % de dirigeantes, objectif fixé par la <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/la-loi-rixain-accelerer-la-participation-des-femmes-a-la-vie-economique-et">loi Rixain</a> de 2021 pour toutes les entreprises de plus de 1000 salariés à partir de 2026.</p>
<p>Les conseils d’administration ont quant à eux atteint la quasi-parité, avec 46,4 % de femmes en moyenne dans les conseils des entreprises du SBF120, dépassant les paliers des quotas de genre prévus par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000023489685/">loi Copé-Zimmerman</a> de 2011 (20 % en 2014 et 40 % en 2017).</p>
<p>Cette féminisation concerne également les comités mis en place au sein des conseils des sociétés du SBF120 : les femmes représentent 51,8 % des comités d’audit, 49,9 % des comités de rémunération et même 64,8 % des comités dédiés à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale des entreprises</a> (RSE). Elles sont désormais majoritaires dans les présidences des comités d’audit (53,3 %), les comités de nomination (53 %), de rémunération (58,3 %) et RSE (76,6 %).</p>
<p><iframe id="hOj3z" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/hOj3z/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les quotas de femmes entraînent également des modifications en profondeur de la composition des équipes et des conseils avec un rajeunissement, ainsi qu’une plus grande <a href="https://theconversation.com/conseils-dadministration-du-cac-40-leviction-des-polytechniciens-mais-pas-des-hec-paris-lautre-effet-de-la-loi-cope-zimmermann-149397">diversité de formation</a> et <a href="https://theconversation.com/les-femmes-avec-une-experience-rh-de-plus-en-plus-nombreuses-dans-les-conseils-dadministration-162869">d’expériences antérieures</a>.</p>
<h2>Une expertise précieuse</h2>
<p>Si la féminisation des conseils est acquise, et celle des comités exécutifs en marche, la question de leur impact sur les performances financières et boursières des entreprises reste cependant loin d’être tranchée. En effet, les différentes études présentent des résultats hétérogènes : certaines (les plus anciennes) relèvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2010-1-page-167.htm">impact négatif sur les valorisations boursières</a> ; d’autres montrent au contraire que la présence de femmes permet <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378426617302972">d’améliorer les performances comptables</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929119913001120">conduit à des acquisitions de meilleure qualité</a>, ou <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929119920302789">réduit les fraudes dans l’entreprise</a>.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929119923001451">article récent</a>, nous nous intéressons à l’impact de l’arrivée des femmes dans les conseils d’administration sur les performances environnementales et sociales (E&S) des entreprises. Parce qu’elles contribuent à la satisfaction des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/smj.2492">salariés</a>, des <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/10.1287/mnsc.1120.1630">clients</a> et des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X20300325">fournisseurs</a>, ces performances E&S sont susceptibles d’accroître la valeur de l’entreprise.</p>
<p>Nous montrons ainsi qu’après 2011 et l’implémentation des quotas, les performances E&S des entreprises concernées, mesurées par les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/criteres-environnementaux-sociaux-et-de-gouvernance-esg-126493">critères ESG</a> (pour environnementaux, sociaux et de gouvernance) d’Asset4 (du fournisseur américano-britannique de données sur les marchés financiers Refinitiv) ou de Vigeo-Eiris (de l’agence de notation financière Moodys), ont été significativement améliorées (+12 % en moyenne).</p>
<p>Pourquoi les femmes seraient-elles plus à même d’améliorer ces performances ? De nombreuses études montrent une appétence à la fois plus grande et plus ancienne des femmes pour les questions de transition environnementale et les aspects sociaux. Certaines femmes ont ainsi pu développer une expertise précieuse, dans leurs missions mais également dans le domaine de l’investissement où <a href="https://fortune.com/2020/01/24/responsible-esg-investing-women-finance/">elles ont été pionnières dans la prise en compte des questions E&S</a>.</p>
<p>Les fonds d’investissement dirigés par une femme apparaissent, par exemple, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4214762">plus susceptibles de voter pour des résolutions liées à des questions E&S</a> en assemblée générale. De plus, selon une <a href="https://www.pwc.com/us/en/services/governance-insights-center/assets/pwc-2022-annual-corporate-directors-survey.pdf">enquête du cabinet de conseil PWC réalisée en 2022</a>, 66 % des administratrices déclarent que la réduction de l’impact du changement climatique constitue une priorité, même si elle a un impact négatif sur les performances à court terme, contre 45 % des administrateurs. 65 % des administratrices, mais seulement 55 % des administrateurs, pensent que les questions E&S sont liées aux choix stratégiques.</p>
<h2>Le rôle significatif des administratrices</h2>
<p>Comment procédons-nous pour établir nos résultats ? Lorsque la nomination d’administratrices relève uniquement de la volonté de l’entreprise, le lien de causalité entre la part des femmes dans les conseils et les stratégies E&S reste en effet difficile à prouver, les entreprises les plus responsables étant les plus susceptibles de nommer plus de femmes dans leurs conseils.</p>
<p>Dans notre article, nous considérons la loi Copé-Zimmerman sur les quotas dans les conseils comme un choc exogène, qui nous permet de mesurer l’impact d’une féminisation contrainte. Sur la période 2007-2016, nous comparons les performances E&S des entreprises françaises soumises à la loi des quotas à celles d’un groupe de contrôle d’entreprises non affectées.</p>
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<img alt="Dessin d’une femme d’affaires" src="https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Selon une enquête du cabinet de conseil PWC réalisée en 2022, 66 % des administratrices déclarent que la réduction de l’impact du changement climatique constitue une priorité, contre 45 % des administrateurs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://openclipart.org/detail/321050/business-woman-and-checklist">Openclipart.org/j4p4n</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Plusieurs pays européens ont également instauré des quotas dans les conseils d’administration (par exemple l’Italie, l’Espagne, ou plus récemment l’Allemagne) ou mis en place des codes de bonnes pratiques de gouvernance incitant à féminiser les conseils (Royaume-Uni) et ne peuvent être retenus comme groupe de contrôle.</p>
<p>C’est pourquoi, dans notre étude, nous comparons les entreprises françaises à des entreprises américaines similaires (même taille, même secteur et performances E&S comparables avant 2011). En effet, un seul État américain, la Californie, a introduit des quotas de femmes dans les conseils en 2018, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/Papers.cfm?abstract_id=3303798">mais la loi a été invalidée en 2022</a>, et cette expérience temporaire s’est étendue sur une période postérieure à notre période d’étude.</p>
<p>Nous comparons également les entreprises françaises à des entreprises qui étaient cotées à Paris avant la loi sur les quotas, mais qui, ayant leur siège social hors de France, n’étaient pas concernées par la loi Copé-Zimmerman. Nos résultats montrent que les administratrices jouent un rôle significatif dans l’accroissement des performances E&S des entreprises, d’autant plus qu’elles atteignent une masse critique dans le conseil, représentant au moins 15 % de ses membres.</p>
<h2>Les comités RSE ne font pas tout</h2>
<p>Nous explorons ensuite les canaux par lesquels les administratrices sont susceptibles d’avoir un effet positif sur les performances E&S. En premier lieu, nous nous attachons à la structure des conseils d’administration. À la suite de l’instauration des quotas, nous observons que le nombre de comités RSE (qui peuvent avoir des dénominations diverses) a doublé. De surcroît, ces comités restent très fréquemment composés d’une majorité de femmes et présidés par une femme, ce que les statistiques précitées de l’étude IFA-Ethics&Boards confirment pour 2024.</p>
<p>Cependant, les comités RSE ne sont pas les seuls leviers de l’augmentation des performances E&S. En effet, l’impact de la part des femmes dans les conseils persiste même pour les entreprises qui ont choisi de ne pas créer un tel comité.</p>
<p>Les quotas ont également amené les femmes à être plus présentes dans les comités traditionnels, d’audit et de nomination en particulier, et de les présider plus fréquemment. Or ces comités jouent aussi un rôle majeur en termes de performances E&S. Le comité d’audit supervise la divulgation et le contrôle des informations E&S, tandis que le comité de nomination veille aux compétences E&S des administrateurs. Si les femmes sont plus orientées vers des politiques E&S, elles ont ainsi plus de pouvoir pour les mettre en œuvre.</p>
<h2>Plus d’expérience E&S que les hommes</h2>
<p>Pour finir, nous mettons en évidence les caractéristiques objectives des administratrices qui pourraient expliquer leur plus grande orientation vers des politiques E&S. Dans tous nos tests, nous tenons compte des différences d’indépendance, d’âge, de durée de présence dans les conseils et de la taille du réseau relationnel des administrateurs. Nous construisons un indicateur d’expérience E&S, qui retrace l’activité des administrateurs dans des domaines E&S (ressources humaines, éducation, environnement, comités E&S). Nous calculons également la longueur de cette expérience.</p>
<p>En utilisant ces indicateurs, nous constatons que, parmi les administrateurs, les femmes ont deux fois plus d’expérience E&S que les hommes, et pour une durée plus longue. Après 2011, les compétences moyennes des conseils d’administration en matière E&S ont ainsi augmenté en raison de l’arrivée de femmes ayant une expertise E&S, entrainant l’accroissement des performances E&S des entreprises.</p>
<p>Nous en concluons que la féminisation des conseils d’administration a permis aux femmes, dotées en moyenne de plus d’expérience E&S que les hommes, et grâce à leur pouvoir accru, de promouvoir plus largement les priorités et stratégies E&S dans les entreprises, qui restent particulièrement importantes en cette période de transition environnementale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225240/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Edith Ginglinger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La féminisation des comités exécutifs et de directions conduit à une plus grande représentation de membres sensibles aux enjeux climatiques et sociaux dans la gouvernance des entreprises françaises.Edith Ginglinger, Professeur de finance, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230422024-03-06T16:08:29Z2024-03-06T16:08:29ZLa charge mentale masculine existe-t-elle vraiment ?<p>La charge mentale des hommes – en particulier des pères de famille – est-elle une réalité ? Ces dernières semaines, cette question a fait les titres de plusieurs magazines tels que <em>Le Figaro</em> et <em>Le Point</em>, évoquant cette <a href="https://www.lefigaro.fr/decideurs/management/la-charge-mentale-des-peres-de-famille-ce-sujet-tabou-dont-on-ne-parle-qu-en-coulisses-20240114">« réalité taboue »</a> de notre époque, particulièrement décuplée chez les <a href="https://www.lepoint.fr/societe/la-charge-mentale-des-hommes-existe-t-elle-21-01-2024-2550293_23.php">classes moyennes et supérieures</a> à la suite du premier confinement. Si les sondages menés par Ipsos mettent en exergue la présence d’une charge mentale excessive chez <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/charge-mentale-8-femmes-sur-10-seraient-concernees">14 % des hommes en 2018</a>, ils soulignent que ce taux reste de 9 points plus élevé chez les femmes.</p>
<p>Les travaux de la sociologue <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1984_num_26_3_2072">Monique Haicault</a> explorent dès 1984 l’idée d’une <a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">charge mentale</a> liée à la double charge de travail – salarié et domestique – pour les femmes au sein du couple hétérosexuel. La charge mentale est une notion qui n’englobe pas simplement l’exécution pratique des tâches domestiques, telles que faire le ménage, préparer les repas, ou s’occuper des enfants. Elle prend aussi en compte <a href="https://theconversation.com/charge-mentale-au-travail-comment-la-detecter-et-la-combattre-89329">le travail d’organisation</a> et de coordination de ces tâches, nécessaire à la vie du foyer, ainsi que la responsabilité de leur réalisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/charge-mentale-comment-eviter-une-surchauffe-du-cerveau-222843">Charge mentale : comment éviter une surchauffe du cerveau ?</a>
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<p>Alors que dans la sphère salariée, penser l’organisation du travail est valorisé économiquement et symboliquement, puisque relevant de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1467-6486.00149">l’activité de management</a>, au foyer, la charge mentale demeure invisible, non rémunérée et <a href="https://hal.science/hal-02881589">supposée naturelle pour les femmes</a>.</p>
<p>Cependant, depuis 2017 et le mouvement #MeToo, déclencheur d’une résurgence des combats féministes, la notion de charge mentale, autrefois réservée au cercle universitaire, a fait son apparition dans la sphère publique. Les travaux de la dessinatrice <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/">Emma</a> ont joué un rôle crucial dans sa diffusion, grâce à une bande dessinée virale sur les réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/BssNQ_Ngh9M/?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>« Je fais largement mes 50 % »</h2>
<p>Cette mise en lumière de la charge mentale des femmes a suscité une réaction importante de la part des hommes, inquiets que leur contribution à l’organisation du foyer ne soit pas reconnue à sa juste valeur. Parmi les commentaires sous la BD d’Emma, <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/">sur son site</a>, on peut par exemple lire :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne faudrait pas faire croire non plus que les femmes seraient les seules à subir une charge mentale. »</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, dans une recherche en cours <a href="https://theconversation.com/profiles/edwige-nortier-1503170">d’une des autrices</a>, l’idée d’un partage de la gestion du travail domestique est revendiquée par les pères interrogés. L’un d’eux affirme ainsi qu’il « fait largement [ses] 50 % », et défend être à domicile à 18h30 « pour relayer » son épouse en prenant notamment en charge les devoirs, avant de « retourner bosser » pendant que sa femme gère le repas et le coucher. Plus largement, divers témoignages d’hommes dans la <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/qui-sont-les-nouveaux-peres-20230725">presse</a> semblent indiquer une volonté d’implication croissante des pères dans les tâches du foyer. Cette évolution s’inscrit notamment dans le cadre de la flexibilisation du travail pendant la crise sanitaire, ainsi que les réformes récentes du congé paternité (actuellement de 25 jours en France depuis juillet 2021).</p>
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<h2>Une amélioration grâce aux confinements ?</h2>
<p>Il semblerait toutefois que la réalité soit <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">plus contrastée</a> que les discours des hommes sur leur implication dans le foyer. Les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281050?sommaire=2118074">dernières données</a> relevées par l’Insee en 2010 montraient que les femmes consacraient en moyenne 3h26 de leur journée aux tâches domestiques, contre 2h pour les hommes. Si leur mise à jour n’a lieu qu’en 2025, des études intermédiaires, notamment lors des confinements de 2020, soulignent que les femmes continuent d’assumer <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952#titre-bloc-29">l’essentiel des tâches domestiques et parentales</a>. Dans ce contexte de <a href="https://theconversation.com/pour-les-femmes-la-flexibilite-des-horaires-de-travail-se-paye-au-prix-fort-143702">télétravail</a> imposé, le changement de répartition du travail domestique n’a été que très marginal. Il s’est fait principalement <a href="https://blog.insee.fr/sur-les-taches-domestiques-l-homme-est-remplacant/">autour des courses</a> – qui, il faut le rappeler, étaient à ce moment-là un des rares moyens de sortir du domicile. Ainsi, en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952#titre-bloc-29">mai 2020</a>, alors que plus de la moitié des femmes déclaraient consacrer minimum 2h aux tâches domestiques chaque jour, les hommes n’étaient que 28 %. De même pour le temps quotidien consacré aux enfants : 58 % des femmes déclaraient y consacrer au minimum 4h pour seulement 43 % des hommes.</p>
<p>Par ailleurs, l’utilisation accrue d’outils tels que les calendriers ou les <em>to-do</em> listes pour se répartir les tâches pendant cette période a en fait maintenu la charge mentale <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-08-2020-4880/full/html">sur les femmes</a>. Dans la même lignée, une <a href="https://academic.oup.com/sf/advance-article-abstract/doi/10.1093/sf/soad125/7301284">étude menée sur 10 ans</a>, montre que même lorsque les hommes bénéficient d’horaires aménagés, ils ne prennent pas plus en charge les responsabilités familiales au sein des couples hétérosexuels.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1iGtH2e_ifM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Le congé paternité : facteur de changement ?</h2>
<p>Le congé paternité cristallise tout particulièrement ce déséquilibre de charge mentale. L’une de nos études montre que les hommes auraient tendance à <a href="https://publications.aaahq.org/accounting-horizons/article-abstract/doi/10.2308/HORIZONS-2022-099/11576/Men-s-Experiences-of-Paternity-Leaves-in">organiser ce congé</a> non pas autour de la naissance de leurs enfants mais autour de leurs obligations professionnelles. L’un des hommes interrogés dans cette recherche explique avoir coupé son congé en deux pour pouvoir :</p>
<blockquote>
<p>« prendre une période plus longue sans que ça impacte trop [son] activité [professionnelle] ».</p>
</blockquote>
<p>Sa femme avait une vision différente : pour elle, le congé paternité ne devrait pas être « un gros break à Noël » mais un temps pour être présent dans l’éducation des enfants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger</a>
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<p>Ces stratégies opérées par les hommes peuvent s’expliquer en partie par une culture du lieu de travail et par des contraintes professionnelles qui <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0003122414564008">n’encouragent pas la prise complète du congé</a> lors de la venue d’un enfant, mais aussi par la crainte d’être stigmatisé par ce choix. De nombreux hommes perçoivent encore le congé paternité comme un heurt à leur carrière, et certains managers tentent même parfois de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gwao.12904">dissuader leurs collègues</a> d’y avoir recours alors qu’ils en ont eux-mêmes bénéficié.</p>
<p>Le lieu de travail est pensé et organisé pour et par les « joueurs masculins » qui ont « créé les règles du jeu » pour reprendre la métaphore des sociologues <a href="https://doi.org/10.1177/017084069201300107.">Alvesson et Billing</a>. Dans ce contexte, tout écart par rapport aux attentes traditionnelles de genre est perçu comme un risque pour les employés – ce qui met en lumière la rigidité des rôles de genre au sein des espaces de travail.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-travail-invisible-une-lutte-sans-fin-pour-les-femmes-203284">Le travail invisible, une lutte sans fin pour les femmes</a>
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<h2>De quelle charge mentale parle-t-on ?</h2>
<p>L’exemple du congé paternité met en évidence un décalage notable entre la définition académique de « charge mentale » chez les femmes, et son emploi dans les discours publics pour caractériser l’expérience des hommes. L’<a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/charge-mentale-8-femmes-sur-10-seraient-concernees">étude Ipsos</a> de 2018 permet déjà de souligner cette distinction. Celle-ci indique que pour une femme sur deux l’apparition de la charge mentale est liée à l’arrivée d’un enfant, alors qu’un homme sur deux l’associe à l’entrée dans la vie active.</p>
<p>En 2024, en France, <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">70 % des hommes</a> estiment encore qu’ils doivent être le soutien financier de leur famille pour être valorisés socialement. La sphère professionnelle prime ainsi dans les activités des hommes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1097184X01004001001">même quand ils deviennent pères</a>. Leur « charge mentale » reste majoritairement pensée dans la continuité d’un rôle de « breadwinner » (principal pourvoyeur de revenus pour la famille).</p>
<p>Pourtant, la proportion de ménages où les deux partenaires subviennent également aux besoins du foyer ou de ménages où la femme est la principale « breadwinner » est en <a href="https://www.demographic-research.org/articles/volume/35/41/">augmentation</a> dans de nombreux pays d’Europe. En France, cette dernière catégorie représente un <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/are-female-breadwinner-couples-always-less-stable/">couple sur quatre</a> en 2017, contre un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281400">couple sur cinq</a> en 2002.</p>
<p>Cette augmentation ne s’accompagne néanmoins pas forcément d’un changement significatif de répartition des tâches ménagères et des soins aux enfants. Dans une étude menée par la sociologue <a href="https://www.unine.ch/socio/home/collaborateurs/nuria-sanchez.html">Núria Sánchez-Mira</a> en 2016 en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/gwao.12775">Espagne</a>, lorsque la femme devient « breadwinner » pour son foyer, aucun des couples étudiés n’atteint une répartition équitable. La participation des hommes n’augmente donc que de manière limitée, et la séparation genrée des tâches persiste. Par ailleurs, cette recherche espagnole souligne que les discours et la réalité autour de cette séparation diffèrent :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’on compare les récits des hommes à ceux de leurs partenaires, on constate dans certains cas une surestimation de leur contribution réelle. Les hommes semblent se livrer à un exercice d’ajustement de la réalité pour correspondre à un discours politiquement correct de co-responsabilité dans les tâches ménagères et les soins aux enfants ».</p>
</blockquote>
<h2>Charge mentale : les hommes font-ils une crise ?</h2>
<p>Le discours autour de la charge mentale des hommes s’inscrit dans une expression plus large d’une <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-la-masculinite-ou-la-revanche-du-male-96194">« crise de la masculinité »</a>, c’est-à-dire le sentiment qu’il serait <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">difficile d’être homme</a> dans la société actuelle du fait d’une remise en cause des rôles genrés traditionnels, particulièrement depuis 2017 et le mouvement #MeToo. De fait, en 2024, 37 % des hommes disent considérer que le féminisme menace leur place et leur rôle, et qu’ils sont en train de perdre le pouvoir. Le HCE souligne que <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">ces résultats</a> indiquent un retour préoccupant des injonctions conservatrices qui réassignent les femmes à la sphère domestique.</p>
<p>Comme l’explique le professeur de sciences politiques <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/la-crise-de-la-masculinite-francis-dupuis-deri/9782757892268">Francis Dupuis-Déri</a>, cette notion de crise de la masculinité n’est pas récente. Elle est régulièrement invoquée pour expliquer et justifier l’(in) action des hommes et les inégalités de genre. Il souligne que cette idée relève du mythe plus que de la réalité empirique :</p>
<blockquote>
<p>« Les hommes ne [seraient] pas en crise, ils [feraient] des crises quand les femmes refusent le rôle […] qui leur est assigné. »</p>
</blockquote>
<p>Le débat sur la « charge mentale » des hommes peut être considéré comme une marque de la « crise » en cours, signalant une résistance aux luttes féministes. En effet, elle relève d’une tentative de symétriser dans le discours l’implication des femmes et des hommes au foyer. Cela invisibilise la permanence d’une <a href="https://theconversation.com/inegalites-femmes-hommes-tout-ce-que-les-chiffres-ne-nous-disent-pas-171040">inégale répartition du travail domestique</a>.</p>
<p>Il est bien sûr important de reconnaître que les hommes <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1303232?sommaire=1303240">s’impliquent davantage</a> dans le foyer depuis ces 25 dernières années, notamment sur l’éducation des enfants. Toutefois, dans le contexte actuel, la notion de « charge mentale des hommes » relève d’une subversion du concept originel aux dépens de sa politisation féministe initiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223042/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certains articles soulignent que, comme les femmes, les hommes ressentiraient une charge mentale. Est-ce vraiment le cas ? De quelle charge mentale parle-t-on ?Edwige Nortier, Assistant Professor Comptabilité, Contrôle, Audit, EM Lyon Business SchoolElise Lobbedez, Lecturer (assistant professor), University of EssexJuliette Cermeno, Docteure en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2237032024-02-25T16:26:42Z2024-02-25T16:26:42ZParler salaires, un tabou en France ? Vraiment ?<p>Il existe en France une idée bien installée selon laquelle les <a href="https://theconversation.com/topics/salaires-26163">salaires</a> seraient <a href="https://theconversation.com/topics/tabou-98565">tabous</a> et que les <a href="https://theconversation.com/topics/salaries-51494">salariés</a> devraient éviter d’en parler. C’est tout l’inverse cependant que l’on peut observer dans les <a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-20563">entreprises</a> : des discussions à ce sujet ont effectivement lieu. Quand on les interroge, les salariés mentionnent des échanges qui peuvent s’inscrire dans le cadre formel des entretiens annuels au cours desquels on peut parler primes et augmentation, mais aussi dans des contextes informels, avec leurs collègues à la machine à café par exemple.</p>
<p>L’inflation récente participe, certes, à ramener les salaires sur le devant de la scène. Au-delà de la question cruciale des inégalités, en parler représente aujourd’hui une pratique sociale signifiante pour les salariés en ce qu’elle leur permet de mieux évaluer le montant de leur rémunération, mais également leur place dans les organisations et la division du travail. Cette transparence salariale, quand elle n’est pas l’initiative des entreprises elles-mêmes, est la conséquence d’un mouvement relativement récent d’individualisation et de complexification des rémunérations dans les organisations. Ce phénomène a tout à la fois participé au brouillage de la perception des rémunérations, au sens propre comme au sens figuré, et à la tenue des discussions pour mieux les appréhender. La règlementation, aussi, a favorisé les affichages.</p>
<h2>Des initiatives des entreprises</h2>
<p>À l’occasion d’une enquête sur ce que les salariés pensent de leur rémunération, menée par entretiens et questionnaire, un fait nous a sauté aux yeux : les salariés discutent bien de leur paie. Et ces discussions semblent de plus en plus décomplexées. Elles peuvent se tenir de manière imprévue entre collègues à l’occasion d’un document qui traîne à la photocopieuse mais aussi avoir pour origine des outils pour dire les rémunérations, outils mis en place par les entreprises elles-mêmes.</p>
<p>Conscients que des informations sur les échelles salariales circulent, les membres des Ressources humaines ou les patrons proposent en effet parfois des dispositifs afin d’accompagner ces formes informelles de lecture de leurs rémunérations par les salariés : des « référents rémunération » sont nommés afin d’expliquer le fonctionnement des primes aux nouveaux entrants, des affiches sont épinglées dans les salles de pauses, des tableaux Excel sont publiés en ligne…</p>
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<p>Certaines firmes, peu nombreuses encore, vont jusqu’à embrasser pleinement le chemin de la transparence salariale en divulguant l’ensemble des rémunérations de leurs salariés. C’est ce qu’a fait Edouard Pick, PDG du groupe <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1368762/article/2023-09-03/transparence-des-salaires-le-retour-d-experience-d-edouard-pick-pdg-de-clinitex">Clinitex</a>, entreprise spécialisée dans le nettoyage des locaux professionnels et qui emploie plus de 4 000 personnes sur l’ensemble du territoire français. Dans un esprit de « coming out managérial », comme il le dit lui-même, ce PDG raconte avoir mis un soir en ligne l’ensemble des rémunérations des salariés, en se demandant quand même quelle serait leur réaction. Il rassure :</p>
<blockquote>
<p>« Pas de pneus brûlés sur le parking ! »</p>
</blockquote>
<p>Il dresse le constat de trois types d’effets à cette transparence, trois effets que nous retrouvons également dans notre enquête. D’abord, cette publication a permis l’objectivation d’inégalités salariales injustifiées pour deux salariés, qui ont pu être rattrapés. Ensuite, elle a eu pour effet la revalorisation salariale d’une catégorie de personnels importante pour le fonctionnement de l’entreprise, mais en bas de l’échelle des salaires. Et enfin, la divulgation du salaire du patron, finalement moindre que ce que les salariés auraient pu croire, a permis de dégonfler un peu les fantasmes autour de cette somme.</p>
<h2>Des rémunérations toujours plus complexes</h2>
<p>Mais pourquoi les salariés se mettent-ils à parler de leurs salaires ? Ces discussions adviennent notamment car les trente dernières années se caractérisent par une forte individualisation et complexification des rémunérations. D’un salaire fixe, facilement rattachable à une catégorie de salariés grâce aux classifications, on est passé à de nouvelles gestions des rémunérations par les compétences ou les incitations. Sont venus s’ajouter nombre de dispositifs : prime de performance, intéressement, participation, épargne salariale… qui brouillent quelque peu la lecture des fiches de paie. Bref, il a fallu parfois simplement se mettre à en parler pour bien comprendre !</p>
<p>L’enquête sur les coûts de la main-d’œuvre et la structure des salaires (<a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1221">Ecmoss</a>, enquête de l’Insee et du ministère du Travail), que nous avons reprise dans notre ouvrage <em>la Frustration Salariale</em>, à paraître le 20 mars 2024 aux Sorbonne Université Presses, montre bien une augmentation de la part des primes : en 1994, 22,4 % des salariés touchent une prime de performance individuelle, ils sont 34,7 % en 2006 et 40,9 % en 2014. Néanmoins, on note de fortes variations entre cadres et non-cadres et selon le secteur d’activité ou la branche : l’industrie et la finance versent beaucoup de primes. En outre, les petites entreprises ont plutôt recours aux heures supplémentaires pour compléter leurs politiques salariales qu’aux primes.</p>
<p>Enfin, il existe une spécialisation des primes selon le type de salariés : tous ne touchent pas la même chose. Les cadres restent les premiers bénéficiaires de ces dispositifs : 62 % d’entre eux touchent de tels dispositifs contre 55 % des professions intermédiaires, 42 % des employés et 43 % des ouvriers. Une grande hétérogénéité s’observe néanmoins à l’intérieur même de cette catégorie. Des dispositifs comme les <em>stock-options</em> ou les dispositifs de retraite « article 83 » ne sont accessibles qu’aux membres du <em>top management</em>. En 2010, l’argent versé au titre de l’épargne salariale représente un surcroît de rémunération équivalent en moyenne à 6,9 % de la rémunération des salariés bénéficiaires, pour en moyenne 48,7 % des salariés des entreprises de 10 salariés ou plus.</p>
<p>La complexification des éléments de rémunérations ces trente dernières années ne <a href="https://presses.ens.psl.eu/collections_1_cepremap_bien-ou-mal-payes-_978-2-7288-0518-1.html">correspond ainsi pas à un mouvement uniforme</a>.</p>
<h2>Des réglementations qui poussent à plus de transparence</h2>
<p>Si les salaires s’affichent plus volontiers, la démarche visant à les dévoiler reste pourtant controversée et certains se questionnent même sur leur légalité. Dans le monde anglo-saxon, des clauses dites de <em>pay secrecy</em> s’appliquent parfois dans certains secteurs, interdisant aux salariés de parler de leurs revenus. Et ce malgré l’existence du <em>National Labor Relations Act</em>, qui protège depuis 1935 les Américains contre les inégalités salariales qui pourraient se nicher dans ces non-dits. En France, un tournant réglementaire se dessine en revanche dans le sens d’une plus grande transparence des salaires. Ces évolutions réglementaires portent principalement sur deux domaines de revendications : l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et les écarts salariaux entre les patrons et le reste des salariés dans les entreprises, ces derniers étant aussi de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_remunerations_obscenes-9782355220418">plus en plus contestés</a>.</p>
<p>Le principe du <a href="https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/les-regimes-europeen-et-francais-du-say-pay"><em>Say on Pay</em></a> a par exemple été introduit dans la loi Sapin II de 2016 : c’est par un vote de l’assemblée générale des actionnaires que peut se décider le salaire des dirigeants. L’index d’égalité entre les femmes et les hommes a, lui, été mis en place à partir de 2019, obligeant les entreprises à publier des données notamment relatives aux écarts salariaux. Au niveau européen, la directive européenne <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/pay-transparency/"><em>Pay Transparency</em></a> a été adoptée en mars 2023 et doit participer à l’égalité salariale en rendant publics ces écarts de salaires pour mieux sanctionner les entreprises qui dépasseraient les 5 %. Car dire les salaires, c’est rendre visibles les écarts salariaux, au risque de ne pouvoir justifier l’injustifiable.</p>
<p>Des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/gwao.12298">études</a> montrent bien que les indicateurs de <em>reporting</em> des inégalités salariales peuvent se montrer féconds, offrant par exemple aux syndicats un espace pour les contestations. Néanmoins, cet espace est investi différemment selon les rapports de pouvoir en présence. Parfois la mise au jour de ces écarts risque d’être <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2019-2-page-69.htm?ref=doi">instrumentalisée par les directions</a> apportant des justifications fondées sur une interprétation erronée de ces chiffres.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cet article fait partie du dossier <a href="https://dauphine.psl.eu/eclairages">« Le travail à l’épreuve des “nouvelles” organisations »</a>, publié par le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Penalva-Icher a reçu des financements de l'APEC et de l'ANR dans le cadre du programme PROVIRCAP </span></em></p>Contrairement aux idées reçues, les salariés parlent volontiers de leur rémunération, soit que l’entreprise ou la loi les y poussent, soit tout simplement… pour mieux les comprendre.Elise Penalva-Icher, Professeure des universités en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213402024-01-25T14:47:32Z2024-01-25T14:47:32ZPlanter des arbres venus de régions sèches : la « migration assistée », une fausse bonne idée ?<p>Il n’y a pas que les humains et les animaux qui migrent. <a href="https://theconversation.com/avec-le-changement-climatique-la-migration-silencieuse-des-especes-189017">Les arbres le font aussi naturellement</a>, à une vitesse <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0105380">estimée à quelques kilomètres par siècle</a>. Ainsi, via la dispersion de graines, certaines espèces ont pu migrer vers des latitudes plus clémentes, lors des grands changements climatiques passés. Mais face à la rapidité du changement climatique actuel, cette vitesse semble bien trop lente, puisqu’il faudrait que les arbres se déplacent de plusieurs centaines de kilomètres par siècle pour faire face au changement climatique. De ce constat est né le concept de migration assistée.</p>
<h2>Qu’est-ce que la migration assistée ?</h2>
<p>À l’origine, la migration assistée consiste à <a href="https://jem-online.org/index.php/jem/article/view/91">déplacer des espèces pour les préserver de l’extinction</a>. Dans le contexte actuel de dérèglement climatique et des besoins d’adaptation des forêts à ce dérèglement, ce concept a été élargi à la plantation d’espèces d’arbres de régions chaudes ou sèches en lieu et place d’espèces de régions plus froides et humides, comme depuis l’Afrique du Nord vers la France. Cette pratique permet d’aménager les forêts en devançant les effets du changement climatique pour <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0222207">ainsi préserver les niveaux de productions de bois</a>. Certains évoquent un procédé permettant la <a href="https://nsojournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/oik.10248">« résilience socio-économique »</a> de l’industrie du bois.</p>
<p>La migration assistée est généralement mise en œuvre une fois les arbres coupés ou lors de transformation de zones agricoles en zones forestières par plantations de jeunes plants forestiers venant de pépinières, le plus souvent, ou parfois de semis.</p>
<p>Mais cette migration d’espèces d’arbres n’a rien de naturelle ; elle est forcée. Elle peut induire des dommages environnementaux collatéraux et, potentiellement, entraîner un emballement climatique comme nous avons pu le montrer à travers l’étude de <a href="https://nsojournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/oik.10248">106 espèces d’arbres d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Amérique du Nord</a>.</p>
<h2>Un vieux processus forestier devenu une pratique opportuniste</h2>
<p>En France, la migration assistée se traduit par des plantations d’espèces provenant du Sud méditerranéen comme le pin maritime – <a href="https://inventaire-forestier.ign.fr/IMG/pdf/if40_plantations.pdf">principale espèce plantée en France</a> – dont l’aire de distribution naturelle se concentre en Espagne et au Portugal. La migration assistée englobe souvent la translocation, terme désignant l’action de déplacer des espèces par-delà les barrières naturelles (montagnes, mers) comme le pin laricio endémique de la Corse de plus en plus planté sur le continent, le cèdre de l’Atlas provenant d’Afrique du Nord et planté jusque dans le grand est, ou des sapins de Turquie plantés dans les Alpes. Ces arbres ont un intérêt économique.</p>
<p>Cette migration forcée d’arbres se manifeste aussi par des translocations intercontinentales, impossibles par voie naturelle sinon en réécrivant la tectonique des plaques : par exemple, le cyprès d’Arizona planté en Lorraine, ou les <a href="https://www.fcba.fr/wp-content/uploads/2020/10/fcbainfo-2018-10-eucalyptus-france-production-plantation-rotation-melun.pdf">eucalyptus d’Australie plantés en Aquitaine ou Occitanie</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569873/original/file-20240117-29-tdx7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569873/original/file-20240117-29-tdx7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569873/original/file-20240117-29-tdx7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569873/original/file-20240117-29-tdx7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569873/original/file-20240117-29-tdx7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569873/original/file-20240117-29-tdx7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569873/original/file-20240117-29-tdx7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Principe de la migration assistée.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La migration assistée n’est pas une nouveauté. C’est une ancienne pratique sylvicole d’utilisation d’espèces pour favoriser l’industrie du bois. Dès le XVI<sup>e</sup> siècle, il y a ainsi eu des plantations de pin sylvestre sur les sables de Fontainebleau bien connues des habitants d’Île-de-France. Au XIX<sup>e</sup>, les plantations massives et réussies de pin noir venant de Serbie, dit « d’Autriche », sont réalisées pour protéger les sols des Alpes soumis à une terrible érosion. À la même époque, des plantations de pin maritime visent à valoriser les plaines sableuses d’Aquitaine et, plus tard, à produire des bois de mines et de la glue à partir de sa résine, générant ces paysages si familiers des vacanciers des plages aquitaines et des habitants du massif des Landes de Gascogne. Enfin, au XX<sup>e</sup>, le <a href="https://www.cnpf.fr/sites/socle/files/2023-03/FE253_bdef.pdf">Douglas d’Oregon</a> est devenu l’espèce la plus appréciée des forestiers au point de représenter ~30 % du résineux produit en France d’ici 2035 ; c’est la <a href="https://inventaire-forestier.ign.fr/IMG/pdf/if40_plantations.pdf">seconde espèce la plus plantée en France</a></p>
<p>La différence avec les pratiques anciennes, c’est qu’on lui revêt désormais un argument logique « d’adaptation au changement climatique ». À ce titre, les espèces candidates listées par l’<a href="https://revueforestierefrancaise.agroparistech.fr/article/view/7600">ONF</a> ou le <a href="https://nouvelle-aquitaine.cnpf.fr/sites/nouvelle-aquitaine/files/2023-06/Brochure%20Changement%20Climatique%20en%20Nouvelle-Aquitaine%20-%20Juin%202023.pdf">CNPF</a> sont nombreuses (<a href="https://www.onf.fr/+/5b2::les-ilots-davenir-des-plantations-pour-lutter-contre-le-changement-climatique.html">plus de 200</a>) et ne semblent limitées que par la productivité et l’acclimatation.</p>
<p>On trouve par exemple <a href="https://www.onf.fr/onf/+/c5b::adapter-les-forets-publiques-au-changement-climatique-en-provence-alpes-cote-dazur-guide-de-gestion-des-peuplements-de-production-vulnerables-et-deperissants.html">dans ces listes</a> le séquoia de Californie, le sapin de Céphalonie venant de Grèce, le sapin de Nordmann issu de Turquie et bien connu sous l’appellation de « sapin de Noël », le calocèdre originaire de l’ouest de la Californie, le pin de Brutie commun en Syrie et Turquie mais cousin du pin de Provence pourtant naturel en France, le cèdre originaire des montagnes du Maroc ou d’Algérie, du chêne vert planté en provenance d’Italie, le pin de Macédoine recherché pour sa croissance très rapide, ou encore le robinier faux acacia originaire de l’est des États-Unis qui est aussi une espèce envahissante. Leurs surfaces restent modestes, mais les <a href="https://revueforestierefrancaise.agroparistech.fr/article/view/7600">plantations expérimentales</a> en <a href="https://youtu.be/XYfrtugjksI">« îlots d’avenir »</a>, ou déjà <a href="https://www.onf-agirpourlaforet.fr/agir/recherche/+/17d::un-bebe-un-arbre-plantation-en-foret-domaniale-de-phalsbourg.html">opérationnelles</a> se répandent rapidement.</p>
<p>La migration assistée d’espèces suit donc une logique de tentative de maintien de la productivité des forêts face à l’inquiétude climatique. Mais elle manque d’une évaluation objective quant à ses potentialités et conséquences négatives sur le fonctionnement <a href="https://societebotaniquedefrance.fr/livre-blanc-sur-lintroduction-dessences-exotiques-en-foret/">et la santé</a> des forêts, et les risques d’<a href="https://theconversation.com/les-invasions-biologiques-un-fardeau-economique-pour-la-france-165119">invasions biologiques</a>.</p>
<h2>Des transformations du couvert forestier</h2>
<p>La migration assistée d’espèces peut avoir des conséquences écophysiologiques, microclimatiques, écologiques, sanitaires et environnementales dans les régions de productions de bois. Le choix des espèces transloquées depuis des régions plus méridionales repose sur leurs propriétés de résistance à la sécheresse et à la chaleur. Or ces propriétés impliquent des modifications importantes de hauteur des arbres, de type de feuillage, et de fonctionnement des forêts.</p>
<p>Sous climat chaud et sec, l’adaptation à la sécheresse réduit la hauteur des arbres, et les feuilles sont souvent plus petites, plus épaisses et persistantes. Car plus l’arbre est grand, <a href="https://www.pnas.org/doi/abs/10.1073/pnas.0710418105">plus il lui est difficile de faire circuler sa sève</a>. Aussi, les feuilles épaisses et petites <a href="https://www.nature.com/articles/nature02403">limitent les pertes d’eau par la transpiration</a>.</p>
<p>Le feuillage des arbres dominants dans une forêt a un <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-019-0842-1">rôle essentiel pour tamponner et atténuer – « rafraîchir » – l’effet des vagues de chaleur et de sécheresse</a>. Le feuillage moins dense des arbres plus petits venant du sud atténuerait moins les extrêmes climatiques. Le microclimat de sous-bois sera plus chaud, plus sec et moins rafraîchi que celui des sous-bois naturels des forêts dominées par les arbres à feuilles larges des régions tempérées comme le hêtre, le chêne rouvre ou le chêne tauzin. Si la migration assistée devait se répandre sur de vastes territoires, cela dégraderait donc le bilan énergétique à l’interface atmosphère-canopée et pourrait finalement être néfaste pour lutter contre le réchauffement climatique.</p>
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<img alt="Différences d’interception de la lumière entre une canopée de pin maritime (gauche) et celle de chênes rouvre (droite)" src="https://images.theconversation.com/files/569871/original/file-20240117-19-un5o36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569871/original/file-20240117-19-un5o36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569871/original/file-20240117-19-un5o36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569871/original/file-20240117-19-un5o36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569871/original/file-20240117-19-un5o36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569871/original/file-20240117-19-un5o36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569871/original/file-20240117-19-un5o36.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Différences d’interception de la lumière entre une canopée de pin maritime (gauche) et celle de chênes rouvre (droite).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le rafraîchissement que l’on constate en forêt est apprécié des humains quand il fait chaud. Il en va de même pour la biodiversité végétale et animale, sans compter les champignons et bactéries essentiels aux écosystèmes. Si cet effet tampon est réduit, potentiellement de plusieurs degrés Celsius, certaines espèces des sous-bois seront impactées par ce microclimat plus chaud, voire exclues, <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aba6880">érodant ainsi la biodiversité</a>.</p>
<p>Le risque d’incendie pourrait également être accru avec la migration assistée des espèces, et ainsi augmenter les émissions de CO<sub>2</sub>. Les feuilles des espèces transloquées étant souvent plus épaisses, plus sèches, et plus riches en molécules volatiles, cela implique un feuillage et un tapis de feuilles mortes et de brindilles plus inflammables. En outre, ces arbres se sont adaptés au cours de leur évolution en perdant les feuilles les moins efficaces au début de l’été. Cela augmente donc l’épaisseur des tapis de feuilles mortes et de brindilles, ce qui nourrit les feux. Enfin, sous un microclimat plus chaud et sec, les communautés de plantes de sous-bois deviennent souvent elles-mêmes plus inflammables.</p>
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<img alt="Feu dans une forêt plantée de pin sylvestre en Sologne, Loir-et-Cher" src="https://images.theconversation.com/files/569870/original/file-20240117-25-jgyj7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569870/original/file-20240117-25-jgyj7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569870/original/file-20240117-25-jgyj7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569870/original/file-20240117-25-jgyj7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569870/original/file-20240117-25-jgyj7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569870/original/file-20240117-25-jgyj7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569870/original/file-20240117-25-jgyj7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Feu dans une forêt plantée de pin sylvestre en Sologne, Loir-et-Cher (31 août 2020).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La généralisation de la migration assistée risquerait de mettre à mal divers services écosystémiques rendus par les forêts tels que la régulation du cycle de l’eau, le stockage du carbone, la préservation de la biodiversité. Plus grave, cela pourrait même contribuer à accélérer le réchauffement global. Pour résumer, le seul bénéfice à court terme semble être celui de la production de bois, qui est l’objectif affiché par les promoteurs de la migration assistée.</p>
<h2>Penser autrement la forêt de demain, respecter les équilibres écologiques</h2>
<p>Mais alors que faire ? Peut-être plutôt que de faire migrer de nouvelles espèces, privilégier la migration de spécimens appartenant à des espèces déjà présentes en France ? Car la migration assistée concerne aussi les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9m%C3%A9cologie">populations et les génotypes</a> au sein des espèces (diversité intraspécifique), et pas seulement les espèces elles-mêmes.</p>
<p>Ainsi, on peut privilégier la migration, non pas de nouvelles espèces censées être plus résistantes à la chaleur, mais de populations des espèces d’arbres déjà présentes sur notre territoire. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S037811271400231X">En sélectionnant les génotypes</a> de populations provenant de territoires plus chauds et secs au sein de l’aire de répartition naturelle d’une espèce donnée, on favorise les arbres qui présentent les plus grandes aptitudes génétiques de résistance à la chaleur et la sécheresse sans modifier le cortège d’espèces, donc en minimisant le risque d’effets indésirables.</p>
<p>L’option choisie pendant des décennies de préférer des lignées de pin maritime originaires du Portugal dans les plantations de Nouvelle Aquitaine permettrait de favoriser au nord, dans les Landes de Gascogne, des populations de pin les plus résistantes au climat. Cependant elles ont dépéri avec l’hiver 1985 et, désormais, ces lignées ne sont plus autorisées. <a href="https://agriculture.gouv.fr/sites/default/files/151218_ppa_fiche.pdf">Mais des lignées marocaines sont expérimentées</a>. On pourrait faire de même avec les génotypes les plus méridionaux des chênes rouvres et pédonculés, ou les hêtres de nos plaines, ou encore les sapins blancs des Alpes pour les planter plus au nord, ou plus haut en altitude.</p>
<p>Mais cela ne suffira pas. Car le modèle de la forêt cultivée monospécifique, n’est plus soutenable. Les boisements composés d’espèces différentes et de classes d’âges variées, en associant des espèces complémentaires et des générations différentes, <a href="https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1365-2745.13658">échangeant des services entre-elles</a> qui permettent de réduire les écarts thermiques, et d’optimiser l’utilisation des ressources, et d’accroître la résilience des forêts. Enfin, la gestion du territoire doit être repensée en évitant l’uniformisation sylvicole ; <a href="https://theconversation.com/les-forets-de-pins-maritimes-daquitaine-des-nids-a-incendie-193094">morceler les paysages de boisements et de cultures diverses</a> permet de réduire le risque de mégafeux ou <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-foret-francaise-a-besoin-dun-traitement-de-fond-177006">d’autres perturbations</a> comme des attaques d’insectes ravageurs très dommageables pour le producteur sylvicole et aussi la société.</p>
<p>La migration assistée, et surtout la translocation, d’espèces n’est donc pas la panacée. Même si l’idée de base part d’une volonté de mieux faire pour adapter nos forêts au climat, les effets attendus pourraient être moins bénéfiques en générant à long terme des problèmes plus grands. L’histoire a souvent montré que la nature ne se dompte pas facilement ; elle doit être comprise. Nous devons nous y adapter de façon ingénieuse en favorisant ce qu’elle sait faire de mieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221340/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christopher Carcaillet a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, de l'Association Nationale pour la Recherche et la Technologie et de la DREAL-Corse (CorsicanFires) et du CNRS (IEA MedFires) ; il est membre de Conseil Scientifique (Parc naturel régional, Réserve MAB/UNESCO, Réserve Naturelle).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Guillaume Decocq est vice-président de la Société botanique de France, administrateur de l'International Association for Vegetation Science, membre du GT Forêt du Comité français de l'UICN.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Christophe Domec a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (projet PHYDRAUCC; ANR-21-CE02-0033-02) ainsi que de la Région Aquitaine (projets VITIPIN et IMPACTS; AAPR2023-2023-24940910). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jonathan Lenoir a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR), dans le cadre des projets IMPRINT (ANR-19-CE32-0005-01) et MaCCMic (ANR-21-CE32-0012-03), ainsi que de la Région Hauts-de-France et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dans le cadre du Contrat de plan état-région (CPER) ECRIN.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Florian Delerue et Richard Michalet ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Sur le papier, planter des arbres issus de régions sèches dans nos forêts pour les rendre plus résilientes aux sécheresses semble une bonne idée. En pratique, cela risque de poser quelques problèmes.Christopher Carcaillet, Directeur d’études (professeur), écologie et sciences de l'environnement, Université Paris Dauphine – PSLFlorian Delerue, Maître de conférences en Ecologie, Université de BordeauxGuillaume Decocq, Professeur en sciences végétales et fongiques, directeur de l’UMR EDYSAN, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Jean Christophe Domec, Professeur en Gestion Durable des Forets, Bordeaux Sciences Agro, Duke UniversityJonathan Lenoir, Senior Researcher in Ecology & Biostatistics (CNRS), Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Richard Michalet, Professeur en écologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197322023-12-13T20:44:10Z2023-12-13T20:44:10ZCryptomonnaies, comptes en ligne, domiciliation à l’étranger… Les combines des terroristes pour accéder aux banques françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565167/original/file-20231212-21-8bg5ap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C35%2C1185%2C763&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le régime de contrôle financier actuel ne parvient pas à empêcher une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/tardigital/3199182147">Flickr/Tarciso</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Par un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048389932">arrêté</a> en date du 13 novembre 2023, le ministère de l’Économie et des Finances a bloqué, pour une durée de six mois :</p>
<blockquote>
<p>« les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par Mohammed Deif (commandant la milice armée du Hamas), ainsi que les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par M. Mohammed Deif ou agissant sciemment pour son compte ou sur instructions de celui-ci. »</p>
</blockquote>
<p>Un arrêté en date du 30 novembre 2023 a adopté des dispositions similaires à l’encontre de <a href="https://www.20minutes.fr/monde/israel/4065778-20231207-guerre-israel-hamas-yahya-sinouar-chef-organisation-terroriste-dont-maison-encerclee">Yahya Sinouar</a>, le chef politique du Hamas à Gaza. La lecture de ces arrêtés ne manque pas de surprendre : comment les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2017/03/29/01003-20170329ARTFIG00281-yahya-sinwar-un-faucon-a-la-tete-du-hamas-a-gaza.php">dirigeants du mouvement à la tête de la bande Gaza</a> ont-ils pu ouvrir des comptes en France en dépit du fait que le Hamas est inscrit sur la <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:151:0045:0050:EN:PDF">liste des organisations terroristes de l’Union européenne</a> (UE) ?</p>
<p>En effet, un <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32001R2580:FR:HTML">règlement du Conseil</a> européen prévoit le gel de tous les fonds et autres avoirs financiers appartenant aux personnes, groupes et entités inscrits sur la liste du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32022R0147">règlement d’exécution n° 2022/147</a>. Aucun fonds, aucun avoir financier, ni aucune ressource économique ne peut être mis directement ou indirectement à la disposition de ces personnes, groupes et entités.</p>
<h2>La voie des néo-banques</h2>
<p>Formellement, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hamas-82120">Hamas</a> ainsi que d’autres organisations palestiniennes sont expressément nommés dans les textes communautaires. Il n’en est pourtant pas de même de leurs dirigeants. Les arrêtés précités ne viendraient donc que spécifier l’arsenal des dispositions européennes en désignant nommément deux des dirigeants du Hamas. Qui peut le plus peut le moins…</p>
<p>Quant à la réglementation bancaire française, les textes tendraient à rendre pratiquement impossible l’ouverture d’un compte bancaire par un membre d’une organisation terroriste. Pratiquement, un non-résident de l’UE qui souhaite ouvrir un compte en France doit se présenter physiquement dans une agence et présenter un justificatif d’identité et un justificatif de domicile.</p>
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<img alt="Vue du ministère de l’Économie dans le quartier de Bercy à Paris" src="https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ces dernières semaines, Bercy a adopté des arrêtés visant à geler les avoirs qui seraient détenus en France par deux dirigeants du Hamas.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/129231073@N06/27734592992">Fred Romero/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La démarche est évidemment loin d’être évidente pour une personne qui vit en clandestinité. Ou alors elle doit passer par une banque en ligne (et accessible localement). En l’état actuel, ni Gaza ni l’Autorité palestinienne ne semblent bénéficier de l’accès à de tels services bancaires en ligne, à la différence de la Jordanie <a href="https://www.revolut.com/money-transfer/send-money-to-qatar/">et du Qatar</a>. Il est alors parfaitement possible d’effectuer des transferts en utilisant ces néo-banques. L’autorité bancaire britannique de régulation a d’ailleurs expressément dénoncé, dès avril 2022, les <a href="https://www.fca.org.uk/news/press-releases/review-weaknesses-challenger-banks-financial-crime-controls">possibilités de blanchiment</a> qu’offraient ces nouvelles enseignes.</p>
<h2>« Know your client »</h2>
<p>L’Autorité palestinienne ne disposant pas d’une monnaie nationale, il est parfaitement possible d’y transférer des euros ou des dollars. Et comme c’est l’un des rares endroits au monde où des <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/comment-banque-palestine-a-deplace-900000-billets-pour-attenuer-crise-sud-de-gaza-shekels-50-millions-dollars-217871">transferts conséquents d’argent ont lieu en cash</a>, les règles anti-blanchiment qui structurent le système bancaire international trouvent difficilement à s’appliquer.</p>
<p>À s’en tenir toujours à la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041577826">réglementation bancaire française</a>, un autre obstacle surgit :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’une personne […] n’est pas en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires, elle n’exécute aucune opération, quelles qu’en soient les modalités, et n’établit ni ne poursuit aucune relation d’affaires. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires et que celle-ci a néanmoins été établie […], elle y met un terme. »</p>
</blockquote>
<p>C’est le principe, exigeant désormais, du KYC_, « k_now your client » (« connais ton client »). Autrement dit, à supposer que le compte ait été ouvert, il est difficile pour la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-22013">banque</a> d’effectuer des transferts à l’étranger à partir du moment où la nature de l’opération a un lien avec le financement d’une activité terroriste. Dans le cas contraire, elle s’exposerait à des poursuites pour complicité de blanchiment. Même si le titulaire du compte n’est pas expressément visé par une interdiction, il ne peut donc pas forcément l’utiliser. Les arrêtés adoptés tiennent compte de cette situation et cherchent donc à empêcher, indistinctement, la « mise à disposition directe ou indirecte » des fonds.</p>
<h2>Cagnottes en ligne et cryptomonnaies</h2>
<p>Dans son ouvrage <a href="https://www.amazon.fr/Ab%C3%A9c%C3%A9daire-du-financement-terrorisme/dp/2749174201"><em>L’abécédaire du financement du terrorisme</em></a>, la sénatrice Nathalie Goulet a recensé les différentes techniques utilisées pour collecter de l’argent afin de financer des opérations ou une organisation terroriste, tout en échappant aux foudres des instances de régulation du secteur bancaire.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’éventail est large et le conflit en cours confirme que toutes les techniques recensées sont mobilisées par les organisations terroristes. Il en va ainsi des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cryptomonnaie-44057">cryptomonnaies</a> en raison de la <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hamas-cash-to-crypto-global-finance-maze-israels-sights-2023-10-16/">difficulté pour les autorités de contrôler leur conversion</a> dans une monnaie ayant cours légal. Ou alors de l’ouverture d’une cagnotte en ligne par une association : l’objectif affiché est louable – le financement d’un hôpital à Gaza, par exemple ; il n’est cependant pas possible de vérifier l’affectation de l’intégralité des fonds.</p>
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<img alt="Illustration de cryptomonnaies" src="https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les autorités rencontrent des difficultés à contrôler la conversion des cryptomonnaies dans des monnaies au cours légal.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1523885">Pxhere.com</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Autre situation de plus en plus fréquente, le recours à des organisations non gouvernementales (ONG). Dès 2013, le <a href="https://rm.coe.int/the-risks-to-non-profit-organisations-of-abuse-of-mlterrorist-financin/16807828e5">Conseil de l’Europe</a> signalait que les ONG pouvaient servir à blanchir de l’argent et financer le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/terrorisme-21074">terrorisme</a>. Depuis, de nombreuses structures ont adopté ce format institutionnel <a href="https://www.reuters.com/world/europe/germany-bans-islamic-group-ansaar-suspected-financing-terrorism-2021-05-05/">pour collecter de l’argent à des fins terroristes</a>. Vouloir empêcher que des fonds soient mis à la disposition d’une organisation terroriste ou d’une personne précise implique donc un renforcement des contrôles aussi bien de certaines opérations aussi banales que les cagnottes que des structures de collecte de fonds.</p>
<h2>Ambiguïté</h2>
<p>Finalement, mais il n’est pas certain que ce soit l’effet recherché par le ministère de l’Économie et des Finances, la publication des arrêtés affiche au grand jour les failles du système bancaire français ; où l’on découvre, à cette occasion, que le régime de contrôle financier mis en œuvre n’empêche nullement un terroriste ou une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.</p>
<p>Nous ne savons pas si arrêtés de Bercy auront un réel impact sur les finances des personnes concernées. Le ministère de l’Économie et des Finances n’a d’ailleurs <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/la-france-annonce-le-gel-des-avoirs-du-chef-du-hamas-a-gaza_AD-202312050301.html">ni confirmé ni infirmé</a> que les personnes visées disposaient ou non d’avoirs en France et cette ambiguïté fait courir un risque aux banques françaises.</p>
<p>Sur le fondement du Patriot Act, les Américains peuvent parfaitement s’arroger le <a href="https://www.moneylaundering.com/news/societe-generale-aml-chief-discusses-fintechs-lafayette-program-and-sanctions/">droit de diligenter des poursuites</a> à leur encontre en raison de leurs contributions au financement du terrorisme. Bref, en ce domaine, il est particulièrement difficile et critiquable de se contenter d’effets d’annonces.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219732/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La réglementation française rend quasiment impossible l’ouverture d’un compte bancaire par les membres d’organisations terroristes, qui passent aujourd’hui par des chemins détournés.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178322023-12-05T17:12:14Z2023-12-05T17:12:14ZDu FN au RN : comment les femmes sont devenues indispensables à l’extrême droite<p>« J’étais assez contre mais, avec le recul, cette loi a permis aux femmes d’arriver en nombre dans ce monde. » <a href="https://www.leparisien.fr/politique/marine-le-pen-subir-du-sexisme-ca-mest-arrive-mais-jamais-au-rn-12-02-2023-VFWKWC27WFG5HHWV323VTUUIBY.php">Par ces quelques mots</a> au sujet de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_tendant_%C3%A0_favoriser_l%27%C3%A9gal_acc%C3%A8s_des_femmes_et_des_hommes_aux_mandats_%C3%A9lectoraux_et_fonctions_%C3%A9lectives">loi sur la parité</a>, Marine Le Pen met en lumière l’ambivalence régnant au <a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Rassemblement national</a> (RN) à l’égard des hiérarchies de genre. Celles-ci structurent la plupart des groupements politiques, (y compris ceux qui se revendiquent progressistes, voire féministes). La subordination des femmes est particulièrement flagrante dans les groupes conservateurs qui défendent explicitement un ordre social basé sur une hiérarchie stricte des rôles des sexes et qui acceptent, par conséquent, la domination masculine.</p>
<p>Certes, depuis la création du Front national (FN) en 1972, des femmes ont pu occuper des places de dirigeantes, locales et nationales, et ont été élues. Mais, comme le montrent mes recherches en cours, la plupart étaient actives dans les coulisses du parti et occupaient des positions secondaires, voire subalternes. Sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, les femmes, déjà rares parmi les adhérents, étaient <a href="https://www.theses.fr/2002STR30016">reléguées à des places considérées marginales</a>. Elles rendaient leur militance légitime essentiellement en <a href="https://www.routledge.com/Right-Wing-Women-From-Conservatives-to-Extremists-Around-the-World/Bacchetta-Power/p/book/9780415927789">tant qu’épouses ou filles d’autres militants masculins</a>. Les hommes constituaient, en revanche, la majorité des membres actifs du FN et occupaient des positions de premier plan en tant que candidats, élus et responsables.</p>
<p>Cependant, des évolutions institutionnelles et partisanes au tournant des années 2000 invitent à ré-interroger les rapports de genre qui structurent le FN : dans quelle mesure ont-ils évolué ?</p>
<h2>Une injonction légale et un modèle</h2>
<p>L’introduction de la <a href="https://theconversation.com/les-zones-blanches-de-la-parite-en-politique-la-nouvelle-loi-sera-t-elle-efficace-156062">loi dite sur la parité</a> au début des années 2000 a permis une visibilité inédite aux femmes du FN en rendant leur présence nécessaire sur les listes électorales. Vu sa situation financière compliquée, le FN essaie d’éviter des amendes pour cause du non-respect de la loi. Les injonctions au respect de la représentation paritaire pèsent donc particulièrement sur le parti à la flamme : de plus en plus de femmes sont investies en tant que candidates et susceptibles d’être élues (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Rassemblement_national">sur 87 députés RN siégeant à l’AN, 33 sont des femmes, soit 38 %. À titre de comparaison, c’est 42 % chez LFI</a>). Et ces candidates frontistes ne sont pas une simple vitrine électorale. Les groupes des militants que j’ai observés durant mon enquête de terrain sont, en effet, de plus en plus mixtes. Lors de quelques réunions de sections, j’ai pu constater qu’environ la moitié des participants étaient des femmes.</p>
<p>Au-delà de l’injonction au respect des règles paritaires, on peut aussi penser que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN ait pu favoriser l’évolution des rapports de genre structurant le parti.</p>
<p>Pour nombre d’anciens membres du parti et de sympathisants, Marine Le Pen a légitimé sa place de présidente par la filiation avec le co-fondateur du FN. Cependant, l’hérédité politique n’est pas la seule ressource dont elle joue. Quarantenaire, divorcée et avocate, la benjamine de Jean-Marie Le Pen dispose de ressources personnelles importantes qui font d’elle une <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">femme socialement dominante</a>. Marine Le Pen incarne ainsi pour certaines femmes un modèle à imiter. Cela en encourage certaines à se lancer dans une carrière politique locale. D’après mon enquête, il s’agirait surtout de femmes issues des classes moyennes et moyennes supérieures, généralement pourvues de compétences en communication, en organisation ou d’autres ressources jugées appropriées pour s’engager dans le domaine politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724176697988108735"}"></div></p>
<p>Ces évolutions aux niveaux institutionnel (loi parité) et partisan (arrivée de Marine Le Pen) ont ouvert des opportunités inédites aux femmes. Elles peuvent désormais représenter le FN dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux et au Parlement. Mais si elles exercent ainsi une forme de pouvoir politique, elles ne déjouent que partiellement les mécanismes de domination masculine particulièrement <a href="https://journals.openedition.org/teth/2117">prégnants</a> au sein des groupes militants frontistes.</p>
<h2>Le cas d’Isabelle</h2>
<p>Résidente dans une petite commune paupérisée du Sud-Est, Isabelle (prénom fictif) a porté les couleurs du FN à toutes les élections locales entre 2008 et 2017, a été conseillère régionale entre 2010 et 2021 et siège en tant que conseillère municipale depuis 2014. Son parcours m’a permis d’analyser comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique au FN.</p>
<p>Professeure des écoles dans l’Éducation nationale, Isabelle représente une <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">catégorie socioprofessionnelle habituellement considérée comme réfractaire au FN</a> et peut incarner l’ouverture sociale apparemment recherchée par le parti (on songe à la création du <a href="https://www.france24.com/fr/20131014-collectif-racine-professeurs-front-national-marine-le-pen-municipales">Collectif Racine</a> pour rassembler les enseignants proches des idées du FN). Isabelle porte également la casquette de directrice d’école, elle appartient donc aux classes moyennes culturelles. Or, les cadres et les professions intellectuelles supérieures et intermédiaires sont sous-représentées parmi les candidats et, surtout, les candidates frontistes. La profession d’Isabelle semble avoir été tout aussi, voire davantage, centrale que son genre pour être sélectionnée en position éligible sur la liste des régionales.</p>
<p>En effet, lors d’une conférence de presse, Isabelle avait eu l’occasion d’exprimer ses opinions sur l’état de l’école publique à Jean-Marie Le Pen et avait montré partager le point de vue de Marine Le Pen sur l’éducation. Quelques semaines après la conférence, Isabelle reçoit un courrier de Jean-Marie Le Pen sollicite Isabelle pour qu’elle rejoigne la liste des candidats aux élections régionales de 2010 qu’il conduisait.</p>
<h2>Une valeur politique déterminée par les hommes</h2>
<p>S’intéresser aux conditions d’entrée en politique d’Isabelle apporte un éclairage édifiant sur l’inertie des hiérarchies de genre au sein de l’extrême droite. En effet, la valeur des attributs de genre et de classe d’Isabelle est déterminée par des hommes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oZgW7HnHngY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce sont les leaders locaux (le secrétaire départemental du FN) et nationaux (Jean-Marie Le Pen) qui ont sollicité la candidature d’Isabelle. En tant que femme issue de la classe moyenne culturelle, elle incarnait un personnel politique socialement et politiquement plus légitime que l’ancien responsable de la section frontiste où Isabelle militait (celui-ci se déclarait royaliste et était, selon nos sources, peu mobilisé et agressif à l’égard des adhérents).</p>
<p>Le conjoint d’Isabelle, Christophe (prénom fictif), a joué ensuite un rôle déterminant. C’est lui qui l’a exhortée à accepter la candidature. Sans ses incitations, elle n’aurait probablement pas accepté d’être investie. Or, c’est parce qu’Isabelle est devenue candidate puis élue du FN que Christophe a été nommé secrétaire de circonscription. Il a pu se servir des ressources politiques de sa conjointe pour connaître une promotion.</p>
<p>Cet usage stratégique des ressources d’Isabelle par Christophe ainsi que le besoin ressenti par Isabelle de compter sur son conjoint et sur le président du FN pour accepter la candidature et accéder au mandat invitent à remettre toute forme de domination féminine en perspective.</p>
<p>Les interactions entre l’élue et son entourage montrent la résistance des logiques de domination masculine qui régissent l’entrée en politique des femmes au FN. Ce sont, notamment, Jean-Marie Le Pen et le secrétaire départemental du FN de l’époque qui décidaient quand et dans quelle mesure la classe et le genre pouvaient devenir des ressources politiques.</p>
<p>Isabelle n’est pas un cas atypique. Lors de mon enquête, en 2018, l’entrée en politique des femmes au FN (aujourd’hui RN) dépendait souvent du conjoint et des leaders - souvent des hommes - qui encourageaient et permettaient l’avancement leur « carrière ». Par conséquent, la féminisation du personnel frontiste soutenait toujours le genre frontiste dominant (masculin).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margherita Crippa a reçu des financements de université de sydney </span></em></p>Comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique ? Cas d’école au sein de l’extrême droite française.Margherita Crippa, Doctorante, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2183662023-11-29T17:25:45Z2023-11-29T17:25:45ZÀ quoi servent les COP ? Une brève histoire de la négociation climatique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561019/original/file-20231122-19-ml4xqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La COP21 de 2015, qui a vu la signature de l'accord de Paris, est l'un des moments charnières dans l'histoire récente de la diplomatie climatique.</span> <span class="attribution"><span class="source">UN Photo / Rick Bajorna</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Chaque année, la <a href="https://christiandeperthuis.fr/c-comme-cop-de-glasgow/">COP (ou Conférence des Parties) sur le climat</a> réunit pendant deux semaines des délégués venus du monde entier. Pour les représentants des États, c’est l’occasion de négocier les accords climatiques, comme le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/protocole-de-kyoto-22542">protocole de Kyoto</a> (1997) ou l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/accord-de-paris-23135">accord de Paris</a> (2015). De multiples évènements parallèles réunissent experts, représentants de la société civile et acteurs du monde économique. À l’extérieur de l’enceinte officielle, les militants battent le pavé, avec leurs pancartes dénonçant l’inertie des dirigeants face à l’urgence climatique.</p>
<p>Hautement médiatisées, les COP attirent de <a href="https://www.carbonbrief.org/analysis-how-delegations-at-cop-climate-summits-have-changed-over-time/">plus en plus de monde</a> : près de 10 000 personnes en 1997 à Kyoto pour mettre au point le protocole du même nom, plus de 30 000 à Paris en 2015. La barre des 40 000 a été franchie <a href="https://theconversation.com/que-retenir-de-la-cop26-171796">à Glasgow en 2021</a>.</p>
<p>À quoi servent ces grands-messes annuelles ? Pour mieux comprendre, opérons un petit retour en arrière.</p>
<h2>Aux origines de la diplomatie climatique</h2>
<p>Si le lien entre les rejets de CO<sub>2</sub> et le réchauffement de la planète a été <a href="https://theconversation.com/ecrire-une-autre-histoire-du-dereglement-climatique-168164">établi dès 1896 par le Nobel de chimie Svante Arrhenius</a>, la question a ensuite été ignorée des politiques pendant près d’un siècle. La création en 1988 du <a href="https://theconversation.com/nouveau-rapport-du-giec-toujours-plus-documente-plus-precis-et-plus-alarmant-178378">GIEC, le Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat</a>, va totalement changer la donne.</p>
<p>Le <a href="https://www.ipcc.ch/reports/">premier rapport d’évaluation du GIEC</a> paraît en 1990. Il présente les premiers scénarios climatiques qui anticipent, si rien n’est fait pour contrôler des émissions de gaz à effet de serre (GES), un réchauffement global de 4 à 5 °C à l’horizon 2100. Il recommande, sur le modèle de ce qui a été fait quelques années auparavant <a href="https://theconversation.com/diplomatie-scientifique-une-arme-majeure-sous-employee-en-france-74190">pour protéger la couche d’ozone</a>, l’adoption d’une « convention cadre » et de « protocoles additionnels » pour coordonner l’action des États.</p>
<p>Deux ans après la publication du rapport, se tient en 1992 à Rio le <a href="https://theconversation.com/cop-50019">« Sommet de la Terre »</a>, une conférence décennale des Nations unies sur l’environnement. Ce sommet historique débouche sur l’adoption de trois conventions internationales sur la biodiversité, la désertification et le climat.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561035/original/file-20231122-21-wc2ljh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561035/original/file-20231122-21-wc2ljh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561035/original/file-20231122-21-wc2ljh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561035/original/file-20231122-21-wc2ljh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561035/original/file-20231122-21-wc2ljh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561035/original/file-20231122-21-wc2ljh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561035/original/file-20231122-21-wc2ljh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le sommet de la Terre à Rio en 1992.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Michos Tzovaras/UN</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC, ou UNFCCC en anglais) est le traité international fondateur de la négociation climatique. Elle fixe un objectif ultime : stabiliser la concentration atmosphérique des GES à un niveau limitant les « perturbations anthropiques dangereuses du système climatique ». La Convention laisse toutefois le soin aux futurs textes d’application de préciser ce niveau.</p>
<p>Elle introduit le principe de la <a href="https://theconversation.com/inegalites-face-au-changement-climatique-la-balle-est-dans-le-camp-des-plus-riches-116616">« responsabilité commune mais différenciée »</a> face au réchauffement global. En ratifiant la Convention, chaque partie reconnaît porter une part de la responsabilité qui doit être différenciée suivant le degré de développement. La Convention liste en annexe les pays développés (pays occidentaux et Japon) qui portent la plus lourde responsabilité.</p>
<p><em>[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</em></p>
<p>La Convention climat ne se contente pas d’énoncer des principes généraux. Elle met aussi en place une gouvernance, avec un secrétariat, des organes techniques basés à Bonn en Allemagne, et un organe suprême : la Conference of the Parties (COP) qui doit se réunir au moins une fois par an. Dans les COP, chaque pays, quelle que soit sa taille ou sa puissance économique, dispose d’une voix et les décisions se prennent au consensus.</p>
<p>Deux ans après la conférence de Rio, la Convention climat est ratifiée par un nombre suffisant de pays pour entrer en vigueur en mars 1994. La première COP sera convoquée à Berlin en décembre. Les négociations climatiques sont lancées.</p>
<h2>L’ère des COP, de Berlin à l’accord de Paris</h2>
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<span class="caption">Angela Merkel, alors ministre de l’Environnement de l’Allemagne, à la COP1 de Berlin, en 1994.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNFCC/X</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>C’est une jeune ministre de l’environnement, inconnue du public, qui préside la première COP : une certaine Angela Merkel, qui fait là ses premiers pas diplomatiques. Sa tâche est assez simple : la COP1 donne un mandat de deux ans à un groupe de négociateurs pour compléter la Convention de 1992 par un texte d’application.</p>
<p>En décembre 1997, c’est chose faite : la COP3 adopte le protocole de Kyoto, premier texte d’application de la Convention de 1992. Ce protocole introduit des engagements contraignants pour les pays développés et les pays de l’ex-bloc soviétique, qui doivent réduire de 5 % leurs émissions de GES entre 1990 et 2008-2012.</p>
<p>Pour faciliter l’atteinte de cet objectif, des mécanismes de flexibilité reposant sur des échanges de quotas ou crédits carbone sont introduits, <a href="https://theconversation.com/le-retour-des-etats-unis-dans-laccord-de-paris-forcement-une-bonne-nouvelle-pour-le-climat-150345">sous la pression des négociateurs américains</a> qui y voient une façon d’alléger la contrainte pesant sur les États-Unis.</p>
<p>Les négociations semblent alors être bien parties. Mais pour entrer en vigueur, le Protocole de Kyoto doit être ratifié par un nombre suffisant de pays représentant un certain volume d’émissions…</p>
<h2>Quand les États se renvoient la balle</h2>
<p>En mars 2001, le Président Bush, nouvellement élu à la Maison Blanche, annonce que les États-Unis ne ratifieront pas un protocole qui n’est pas contraignant pour la Chine et les autres pays émergents. Et c’est alors que la diplomatie climatique se complique.</p>
<p>Car sans la signature des États-Unis, il faut avoir celle de la Russie pour atteindre le quorum permettant à Kyoto d’entrer en application. Cela donne un grand pouvoir de négociation au Président Poutine qui ne va pas se priver de l’utiliser. La Douma <a href="https://theconversation.com/le-scepticisme-de-la-russie-vis-a-vis-du-changement-climatique-explique-par-son-histoire-scientifique-142743">finit par ratifier le protocole en novembre 2004</a> et le protocole de Kyoto entre en application début 2005.</p>
<p>Mais sans la participation des États-Unis et avec l’accélération des émissions de la Chine et des autres pays émergents d’Asie, il couvre désormais moins d’un tiers des émissions mondiales de GES. Il faut donc trouver les voies d’un élargissement des accords climatiques.</p>
<p>De 2005 à 2009, l’Union européenne préconise donc d’élargir le protocole de Kyoto aux pays émergents après 2012, ce qui permettrait un retour des États-Unis. Cette tentative échoue en 2009 à la COP15 de Copenhague.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561073/original/file-20231122-27-atag2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561073/original/file-20231122-27-atag2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561073/original/file-20231122-27-atag2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561073/original/file-20231122-27-atag2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561073/original/file-20231122-27-atag2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561073/original/file-20231122-27-atag2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561073/original/file-20231122-27-atag2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À la COP15 de Copenhague, en 2009.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UN Photo/Mark Garten</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Les grands pays émergents ne veulent pas d’un super-Kyoto, mais font une contre-proposition : un accord universel où chaque pays déposerait librement sa contribution avec un engagement de transfert financier des pays riches. Le Président Obama se rallie à ce schéma avec une promesse de transfert de 100 milliards de dollars par an de pays riches vers les pays pauvres.</p>
<p>En 2010, on renoue les fils de la négociation à la COP de Cancún sur ces nouvelles bases. L’année suivante, la COP17 de Durban confie un nouveau mandat à un groupe de négociateurs, de quatre ans cette fois, pour parvenir à un accord universel au plus tard en 2015 à la COP21.</p>
<p>Une grande incertitude pèse alors sur la possibilité de parvenir à un tel accord universel. À tel point que les candidatures ne sont pas légion pour héberger la COP21. La France se porte candidate. Sous la houlette de Laurent Fabius, le réseau du Quai d’Orsay est mobilisé. Son action est facilitée par l’engagement des Présidents Obama et Xi Jinping qui se prononcent à deux reprises à l’amont de la conférence en faveur d’un tel accord.</p>
<h2>Les premiers pas de l’accord de Paris</h2>
<p>Nouveau texte d’application de la convention de 1992, <a href="https://theconversation.com/accord-de-paris-sur-le-climat-lambition-na-pas-ete-sacrifiee-52255">l’accord de Paris est adopté le 12 décembre 2015</a>. Sa forme juridique n’est pas un protocole, mais une annexe de la décision de la COP21, ce qui facilitera sa ratification, notamment par les États-Unis. Comme en témoigne le nombre des chefs d’État sur la photo de famille, c’est un beau succès diplomatique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561084/original/file-20231122-29-dmvrez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561084/original/file-20231122-29-dmvrez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561084/original/file-20231122-29-dmvrez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561084/original/file-20231122-29-dmvrez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561084/original/file-20231122-29-dmvrez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561084/original/file-20231122-29-dmvrez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561084/original/file-20231122-29-dmvrez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plus de 150 chefs d’État et de Gouvernement ont participé à la COP21 à Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agência Brasil/Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>En matière climatique, l’accord précise en premier lieu les objectifs de long terme : limiter le réchauffement global bien en dessous de 2 °C en visant 1,5 °C. Pour y parvenir, l’article 4 précise qu’il faut atteindre rapidement le pic des émissions pour viser la neutralité climatique, conformément aux scénarios <a href="https://www.ipcc.ch/report/ar5/syr/">du 5ᵉ rapport d’évaluation du GIEC</a>, publié en amont de la conférence.</p>
<p>Les objectifs de réduction des émissions de GES sont déclinés en « contributions déterminées au plan national » (NDC), que les pays déposent sur un registre des Nations unies et doivent réviser au moins une fois tous les cinq ans à la hausse, au vu d’un bilan global.</p>
<p>Au titre de la différenciation de la responsabilité, les financements climatiques devront être accrus, les 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 étant considérés comme un socle minimal amené à être fortement augmenté.</p>
<p>Contrairement au Protocole de Kyoto, l’accord de Paris entre très rapidement en application, le 4 novembre 2016. Moins d’un an après la COP21, mais… quelques jours avant l’élection présidentielle américaine. Nouvellement élu, Donald Trump retire les États-Unis de l’Accord de Paris en mars 2017. L’histoire serait-elle en train de se répéter ?</p>
<p>Pas tout à fait, compte tenu des règles de sortie de l'accord de Paris, impliquant au moment de la décision américaine qu’<a href="https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/4-ans-pour-que-les-etats-unis-sortent-de-l-accord-de-paris-apres-la-decision-de-trump_113497">un délai de quatre ans soit révolu pour que ce retrait devienne effectif</a> : le temps d’élire un nouveau président ! L’une des premières décisions de Joe Biden à la Maison Blanche a été de signer un décret ramenant les États-Unis dans la maison onusienne.</p>
<p>Car l’épisode trumpien n’a pas fait dérailler l’accord de Paris. À la COP26 de Glasgow, retardée d’un an pour cause de Covid-19, la quasi-totalité des pays, États-Unis inclus, <a href="https://unfccc.int/news/cop26-update-to-the-ndc-synthesis-report">avait déposé sur le registre des Nations unies leur contribution à l’accord de Paris</a>.</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cinq-ans-apres-laccord-de-paris-30-ans-apres-le-premier-rapport-du-giec-enfin-lacceleration-pour-laction-climatique-mondiale-151556">Cinq ans après l’accord de Paris, 30 ans après le premier rapport du GIEC, enfin l’accélération pour l’action climatique mondiale ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>La suite de l’histoire est à écrire</h2>
<p>À la COP28 de Dubaï, les négociateurs vont examiner le tout premier bilan global de l’accord de Paris, préparé par le secrétariat de Bonn. C’est sur cette base que la négociation s’engagera avant le dépôt du prochain jeu de contributions nationales pour la prochaine période quinquennale démarrant en 2025.</p>
<p>Le <a href="https://unfccc.int/documents/631600">rapport technique</a> que vont trouver les délégations est sans équivoque. Si tous les pays mettent bien en œuvre leurs contributions nationales, les émissions mondiales cesseront de croître à partir de 2025 – voire diminueront même d’environ 10 % entre 2019 et 2030 dans le meilleur des cas (zone en rouge sur le graphique). C’est loin d’être suffisant pour rejoindre les trajectoires d’émission du GIEC limitant le réchauffement climatique en dessous de 2 °C.</p>
<p>Par ailleurs, au plan des financements climatiques, le <a href="https://www.oecd.org/environment/growth-accelerated-in-the-climate-finance-provided-and-mobilised-in-2021-but-developed-countries-remain-short.htm">bilan établi par l’OCDE</a> est sans équivoque. Sur les 100 milliards promis de longue date par les pays riches, 10 manquent encore à l’appel en 2021.</p>
<p>Pour rattraper le temps perdu, il va donc falloir fortement rehausser l’ambition des NDC d’ici 2025 et surtout s’assurer des conditions de leur mise en œuvre. Cela implique de mobiliser davantage d’investissements proclimat et de diriger une plus large part de ces investissements vers les pays moins avancés. Simultanément, il faut tarir ceux dirigés vers les énergies fossiles et parallèlement renforcer les actions en faveur des <a href="https://theconversation.com/mesurer-linvisible-la-dure-tache-de-calculer-le-stock-et-le-flux-de-carbone-dune-foret-212810">forêts</a> et de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/agro-ecologie-33625">agroécologie</a>.</p>
<p>Mission impossible dans le contexte actuel de dégradation des relations internationales ? Deux ans avant la COP21, peu d’observateurs pariaient sur l’adoption d’un accord universel <a href="https://www.lesechos.fr/2015/12/les-trois-folles-journees-qui-ont-failli-faire-chavirer-la-cop21-263957">comme celui de Paris</a>, et pourtant. La COP28 peut-elle apporter quelques bonnes surprises ? Réponse mi-décembre à Dubaï.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218366/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À quoi servent les COP ? Certains mettent en doute leur utilité. Du sommet de Rio à la COP28, un retour historique permet de mieux saisir les enjeux de la négociation climatique…Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185462023-11-27T17:15:00Z2023-11-27T17:15:00ZComment échapper à la malédiction de la rente fossile ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561826/original/file-20231127-26-tpyzgi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour les économies qui en dépendent, les ressources fossiles représentent à la fois une manne financière et une malédiction.</span> <span class="attribution"><span class="source">Unsplash / Robin Sommer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Dans son ouvrage <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/Carbone-fossile-carbone-vivant">« Carbone fossile, carbone vivant : vers une nouvelle économie du climat »</a>, paru en octobre 2023 aux éditions Gallimard, l’économiste du climat Christian de Perthuis revisite l’abondance et la rareté. Il nous invite à dépasser le paradigme économique fondé sur l’exploitation d’une nature perçue comme un stock de ressources où l’on puise des matières premières. Les dérèglements environnementaux globaux sont des crises de l’abondance. L’empreinte des activités humaines sur des matières premières trop abondantes dérègle les systèmes de régulation naturelle comme le climat ou la biodiversité.</em></p>
<p><em>À l’occasion de la COP28 sur le climat, qui se tient du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis, The Conversation France publie un extrait du chapitre IV consacré aux stratégies de sortie de la dépendance aux énergies fossiles. Le désinvestissement requis est particulièrement lourd pour les économies du G17, les plus dépendantes de la rente énergétique. Dans cet extrait, l’auteur explore les stratégies permettant d’échapper à la malédiction de la rente fossile.</em>_</p>
<hr>
<p>Connaissez-vous le G17 ? Probablement pas encore. Il s’agit de l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Arabie saoudite, l’Australie, les Émirats arabes unis, l’Indonésie, l’Irak, l’Iran, le Kazakhstan, le Koweït, la Libye, le Nigeria, la Norvège, le Qatar, la Russie, le Turkménistan, et le Venezuela. C’est le groupe des dix-sept pays les plus dépendants de leurs exportations de carbone fossile en 2021. […]</p>
<p>Regroupant un milliard d’habitants en 2021, le G17 fournit plus des trois quarts de l’énergie fossile transitant par le marché mondial. […] Pour le G17, la transition bas carbone représente un coût exorbitant. Le poids des actifs à retirer du système productif ou à reconvertir est considérable. La rente fossile alimente l’économie via les recettes d’exportation, le budget de l’État, les revenus distribués aux ménages et les prix, souvent bradés, de l’énergie fossile consommée localement. Rester sous l’emprise de la rente fossile est pourtant suicidaire à long terme. […]</p>
<p>Le positionnement des rentiers du fossile face à la transition énergétique est comme un miroir déformant.</p>
<p>Le miroir reflète, de façon amplifiée, une question qui se pose à tous : comment coupler la vague d’investissement dans le bas carbone au désinvestissement massif des énergies fossiles imposé par les objectifs climatiques ? Au cœur de la transition énergétique, ce double mouvement a des impacts bien différents sur les régimes de croissance suivant la structure des économies considérées.</p>
<h2>La malédiction de la rente fossile</h2>
<p>Avec un peu plus de 2,2 Gt de CO<sub>2</sub>, la <a href="https://theconversation.com/le-scepticisme-de-la-russie-vis-a-vis-du-changement-climatique-explique-par-son-histoire-scientifique-142743">Russie</a> a exporté en 2021 l’équivalent de sept fois les émissions territoriales de la France. […] Cette rente fossile est au cœur du fonctionnement de son économie, qui s’écroulerait en cas de brusque disparition. Elle est recyclée pour une partie au bénéfice des oligarques privés, pour une autre par un appareil d’État qui l’a utilisée depuis des lustres pour éteindre par la violence bien des formes de contestation. En février 2022, l’utilisation de la violence a changé d’échelle avec le déclenchement de la guerre d’invasion en Ukraine.</p>
<p>L’économiste n’a pas d’outil pour analyser les dénouements possibles de ce type de situation où peut conduire la malédiction de la rente fossile. Il peut juste constater que le système énergétique russe n’a entamé aucun investissement sérieux dans les équipements et les infrastructures de la transition énergétique. Ses seuls actifs bas carbone se trouvent dans de grands barrages hydrauliques datant de l’ère soviétique et dans la filière nucléaire, également lancée à cette époque, dont <a href="https://theconversation.com/plus-de-trois-decennies-apres-tchernobyl-la-russie-joue-cranement-la-carte-nucleaire-159574">l’opérateur public Rosatom est devenu l’un des leaders mondiaux</a>.</p>
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<p>Toutes les rentes fossiles ne conduisent pas à la guerre, et toutes les économies ne sont pas affectées de façon aussi extrême par la malédiction. Au sein du G17, j’en ai détecté cinq autres qui semblent lourdement touchées.</p>
<p>Les trois cas les plus graves sont l’Iran, le Venezuela et la Libye. Le premier présente d’inquiétantes similitudes avec la Russie : usage croissant de la rente pour réprimer la contestation du régime ; atrophie de l’appareil productif en dehors des secteurs transformant les hydrocarbures ou produisant du matériel militaire ; absence d’investissement dans le bas carbone, à l’exception du nucléaire.</p>
<p>Libye et Venezuela donnent un avant-goût assez dramatique de l’évolution d’une économie rentière brutalement privée de son carburant principal. Examinons le cas du second. Entre 2015 et 2021, la production de pétrole du <a href="https://theconversation.com/cette-crise-de-leau-qui-met-le-venezuela-en-danger-61095">Venezuela</a> a été divisée par quatre et les recettes d’exportation par plus de dix. […]</p>
<p>À un degré qui n’est pas comparable, la malédiction touche également le Nigeria et l’<a href="https://theconversation.com/50-ans-apres-la-nationalisation-du-petrole-algerien-reste-au-coeur-du-conflit-memoriel-156047">Algérie</a>, où la rente est plus utilisée pour éteindre les crises sociales à court terme que pour créer les fondements d’une économie résiliente. Ces deux pays ont également fait face à des situations de violence interne que les moyens fournis par la rente permettent de réprimer avec plus d’efficacité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-geographie-de-la-malediction-des-ressources-naturelles-vue-du-ciel-bresilien-181903">La géographie de la malédiction des ressources naturelles vue du ciel brésilien</a>
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<p>Au Nigeria, la rente n’a pas été redistribuée au-delà de classes urbaines minoritaires dans la société. Près de la moitié de la population n’avait pas accès à l’électricité en 2020. En Algérie, elle l’a été de façon moins inégalitaire. Mais elle est utilisée pour payer la paix sociale à court terme et n’est guère mobilisée pour diversifier le tissu économique. Elle n’est que marginalement réinvestie dans la ressource solaire dont le pays est pourtant l’un des plus richement dotés au monde, alors que ses réserves de pétrole et de gaz déclinent.</p>
<p>Le tableau est assez négatif, mais il ne concerne qu’un tiers des membres du G17. Chez les 11 autres on discerne des dynamiques, plus ou moins fortes, de réinvestissement de la rente fossile au profit de sources énergétiques décarbonées.</p>
<h2>Les sratégies de sortie de la rente</h2>
<p>La guerre en Ukraine <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-50-ans-apres-un-choc-energetique-de-lampleur-des-chocs-petroliers-178627">a provoqué d’importants mouvements de prix sur les trois énergies fossiles</a>. Celui du gaz s’est envolé en Europe. Le cours mondial du pétrole s’est tendu sans rejoindre les sommets atteints au début de la décennie 2010. Le prix du <a href="https://theconversation.com/vers-la-fin-du-king-coal-quel-avenir-pour-le-charbon-et-lextraction-miniere-151951">charbon</a> a crevé tous ses plafonds historiques sous l’impact d’une reprise non anticipée de la demande de l’Union européenne.</p>
<p>L’inflation des prix de l’énergie a brutalement élargi le montant total de la rente fossile. En l’absence de tarification carbone, cela a gonflé les profits des compagnies extrayant cette rente et élargi les moyens financiers des pays rentiers. […]</p>
<p>Le conflit ukrainien a entraîné un regain d’investissement dans les filières gazières pour approvisionner l’Europe de l’Ouest. La Russie amplifie de son côté ceux permettant de rediriger le gaz, si abondant dans le cercle arctique, vers les consommateurs asiatiques, dont la demande semble insatiable. In fine, cela risque de faire beaucoup plus de gaz fossile injecté dans le système énergétique en 2030. Ce n’est compatible avec aucun scénario net-zéro à l’horizon 2050. […]</p>
<p>Le Qatar, la Norvège, Australie sont les trois plus gros exportateurs de gaz du G17 après la Russie. Ils continuent tous à investir dans l’élargissement des capacités de production et d’exportation de gaz naturel. La contribution déposée en 2021 par le Qatar auprès des Nations unies au titre de ses engagements climatiques est muette sur le rôle des énergies renouvelables mais prolixe sur les bienfaits du gaz. La Norvège, championne des électrons verts et du véhicule électrique, investit une partie de la rente gazière dans l’énergie bas carbone. Mais elle exporte déjà treize fois plus de CO<sub>2</sub>, avec son gaz qu’elle n’en émet sur son territoire et continue d’accorder de nouveaux permis en mer du Nord pour maintenir ses capacités. L’Australie, abondamment pourvue en soleil et en vent, a commencé d’investir dans l’exportation d’électricité et d’hydrogène vert à destination du marché asiatique. Elle n’a pas encore renoncé à élargir ses capacités de production et d’exportation de gaz naturel.</p>
<p>Examinons maintenant le cas du pétrole, à partir de la stratégie des pays du Golfe, les principaux exportateurs du G17 en dehors de la Russie et du Nigeria. La prise de contrôle de la rente pétrolière par ces pays date des années 1970. Elle a donné lieu à des stratégies de sortie de la rente à long terme basées sur la bonne vieille loi de la rente différentielle de Ricardo. Le coût du baril de brut extrait des bons gisements de la région est inférieur à 10 dollars quand il cote sept à dix fois plus sur le marché. Les stratégies de sortie de la rente consistent logiquement à prendre son temps car beaucoup de compétiteurs moins favorisés par la nature seront contraints de plier bagage plus tôt.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561832/original/file-20231127-23-f816p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561832/original/file-20231127-23-f816p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561832/original/file-20231127-23-f816p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561832/original/file-20231127-23-f816p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561832/original/file-20231127-23-f816p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561832/original/file-20231127-23-f816p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561832/original/file-20231127-23-f816p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La raffinerie de Jubail, en Arabie saoudite.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jon Rawlinson/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Prenons l’exemple des Émirats arabes unis (EAU). Dans un premier temps, leur stratégie de sortie de la rente a consisté à investir quelque 25 milliards de dollars dans la centrale nucléaire de Barakah, dont la dernière tranche a été raccordée au réseau en 2023. Durant la décennie 2010, le renouvelable, plus récemment l’hydrogène vert et les carburants de synthèse, a pris le relais via une entreprise publique dénommée Masdar.</p>
<p>D’après le site de l’entreprise, Masdar avait investi fin 2022 environ 30 milliards de dollars pour installer des capacités de 20 GW en solaire et éolien. Il ne fait guère de doute que le rythme de ces investissements va continuer de s’accélérer. Le pays n’a cependant pas amorcé la phase de désinvestissement de ses capacités d’extraction et d’exportation de pétrole permettant de s’affranchir de la rente. […]</p>
<h2>Négociation climatique et sortie des énergies fossiles</h2>
<p>Constitué pour les besoins de notre chapitre, le G17 n’a pas d’existence institutionnelle. En particulier, le G17 ne négocie pas en tant que groupe dans les COP. De façon informelle, les négociateurs de ces pays ont pourtant acquis un grand savoir-faire pour jouer la montre, ralentir la négociation pour des questions de procédure, enterrer toute proposition susceptible de déboucher sur des engagements contraignants pour les exportateurs de carbone fossile. La COP tenue en 2012 à Doha (Qatar) a par exemple été un modèle du genre : on y a parlé de tout, sauf d’énergie !</p>
<p>La nomination du Sultan Ahmed Al Jaber, ministre de l’Industrie des Émirats arabes unis, à la présidence de la COP28 programmée en décembre 2023 dans les émirats a provoqué quelques remous : <a href="https://theconversation.com/comment-le-magnat-du-petrole-qui-preside-la-cop28-compte-porter-les-ambitions-des-pays-du-sud-216655">Al Jaber est également le patron de la compagnie nationale pétrolière</a> (Adnoc).</p>
<p>N’y a-t-il pas un conflit d’intérêts majeur ? Mais l’homme est aussi cofondateur et président de l’entreprise Masdar, investie dans le renouvelable et l’hydrogène vert. Le contexte de la négociation climatique a beaucoup changé depuis la COP de Doha. L’accord de Paris (2015) est passé par là. Depuis la COP de Glasgow (2021), la question de la sortie des énergies fossiles, longtemps un non-dit de la négociation, s’est imposée dans les discussions. La COP28 offre ainsi une opportunité de faire de réelles avancées en la matière.</p>
<p>Engager le désinvestissement des énergies fossiles aura un coût élevé, difficile à anticiper, sur l’activité et la croissance des économies rentières. Ce coût intervient quasi instantanément alors que les bénéfices de l’investissement sont plus longs à apparaître.</p>
<p>Trois raisons de fond devraient néanmoins pousser les dirigeants de ces pays à l’assumer.</p>
<ul>
<li><p>Primo, la résilience. Les stratégies actuelles de prolongation de la rente prennent le risque de l’effondrement de l’économie en cas d’interruption de la rente dans le futur. Plus les dirigeants repoussent dans le temps le désinvestissement, plus celui-ci aura un impact violent sur leur activité et le régime de croissance. […]</p></li>
<li><p>Secundo, les rentiers du fossile ont souvent des possibilités majeures de déplacer les actifs carbonés vers ceux de la transition énergétique : disponibilités en flux solaires et éoliens, hydrogène vert, métaux de la transition énergétique. […]</p></li>
<li><p>Tertio, la perte de croissance peut être largement compensée, et même surcompensée, au plan socio-économique si le désinvestissement s’accompagne d’une redistribution des revenus que la rente a généralement concentrés sur des minorités en bloquant ses retombées potentielles sur les conditions de vie de la majorité. Sans compter les gains additionnels sur la qualité de vie résultant du recul des pollutions locales.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/218546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’occasion la COP28, The Conversation France publie un extrait du livre de Christian de Perthuis, « Carbone fossile, carbone vivant » (Gallimard) consacré aux stratégies de sortie de la rente fossile.Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2174722023-11-22T17:21:29Z2023-11-22T17:21:29ZResponsabilité sociale des entreprises : un droit fiscal à contre-courant ?<p>Les derniers étés se sont montrés propices aux déclarations fortes mettant en cause la portée des discours sur la <a href="https://theconversation.com/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">Responsabilité sociétale des entreprises</a> (RSE). L’an dernier, le magazine <a href="https://www.economist.com/weeklyedition/2022-07-23"><em>The Economist</em></a> titrait sur l’inconsistance des normes internationales ; cette année, les agences de notation ont annoncé qu’elles ne <a href="https://www.ft.com/content/9426937e-28d3-4846-8440-c30583524d4c">publieront plus d’indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance</a> (ESG) sur les crédits qu’elles évaluent. Déjà, fin 2022, Terrence Keeley, un ancien cadre du fonds d’investissement BlackRock et d’UBS, publiait <a href="https://cup.columbia.edu/book/sustainable/9780231206808"><em>Sustainable</em></a>, un livre dans lequel il indiquait que ces critères étaient « cassés ».</p>
<p>De <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/2021/RAPPORT_ROCHER_EXE_PL.pdf">plus en plus de voix</a> réclament alors la mise en place d’un cadre normatif contraignant. Le <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">droit</a> <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">fiscal</a>, notamment, semble ramer à contre-courant des enjeux environnementaux et sociaux en priorisant, comme le montreront ici quelques exemples, ce qui relève de la gestion commerciale sur la RSE.</p>
<p>De façon générale, le législateur a introduit avec la loi Pacte la possibilité pour les entreprises d’énoncer <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038589931">leur raison d’être</a>, voire d’obtenir la qualification d’<a href="https://www.economie.gouv.fr/cedef/societe-mission">entreprise à mission</a> pour informer le public de l’importance qu’elle accorde aux principes de responsabilité sociale. Cette mission doit être inscrite dans les statuts de la société et son suivi contrôlé tous les deux ans au moins par un organisme tiers indépendant. Par ce processus, les entreprises auraient vocation à modifier leur comportement envers leurs différentes parties prenantes et à contribuer ainsi à un meilleur respect des normes sociales et environnementales.</p>
<p>S’est alors posée la question : est-ce qu’une entreprise peut se prévaloir de son souci de respecter des normes ESG pour justifier des dépenses et déclarer une somme moindre aux impôts ? S’engager ainsi est-il fiscalement valorisé ?</p>
<h2>Rien que la gestion commerciale normale</h2>
<p>La <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ211125359.html">réponse ministérielle</a>, formulée en novembre 2021, est la suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Conformément aux dispositions de l’article 39 du code général des impôts et à la jurisprudence constante du Conseil d’État, une charge n’est, de manière générale, déductible du résultat imposable que si elle est engagée dans l’intérêt direct de l’exploitation, ou si elle se rattache à la gestion normale de l’entreprise. Ainsi, sont admises en déduction du résultat imposable les charges effectivement supportées par l’entreprise, qui sont liées à l’exercice de son activité, et dont elle retire une contrepartie réelle, directe et proportionnée au montant engagé. À défaut, la dépense ne peut être déduite fiscalement, et doit être réintégrée au bénéfice imposable de l’entreprise. Les opérations réalisées ou les charges supportées en vue d’assurer sans contrepartie des avantages à des tiers ne correspondent pas, en principe, à une gestion commerciale normale. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, l’entreprise peut modifier son comportement ; fiscalement, cela ne change rien : seul compte le critère de la gestion commerciale normale.</p>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046082409?init=true&page=1&query=444942&searchField=ALL&tab_selection=all">Le Conseil d’État</a> adopte une position plus explicite encore sur les <a href="https://formation.lefebvre-dalloz.fr/actualite/fiscalite-la-renonciation-recettes-conforme-lobjet-social-de-lentreprise-est-elle-un-acte-de-gestion-normal#:%7E:text=Un%20acte%20effectu%C3%A9%20par%20une,revenus%20imposables%20de%20la%20soci%C3%A9t%C3%A9">renonciations à recettes</a>, c’est-à-dire les pertes de recettes volontaires sans que celle-ci ne concorde à l’activité commerciale de l’entreprise :</p>
<blockquote>
<p>« La circonstance qu’une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l’objet social de l’entreprise n’est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l’intérêt propre de l’entreprise. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1551835368462368768"}"></div></p>
<p>La rédaction de l’objet social, c’est-à-dire ce qui décrit l’activité de l’entreprise, ne permet pas par principe de justifier des dépenses passées par l’entreprise. Si elle veut effectuer des dépenses dans une autre perspective que l’exercice pur de son activité, reste la possibilité de recourir au mécénat. Dans ce cas, le fisc ne manquera pas de vérifier si les dépenses engagées ne masquent pas en fait des pratiques de sponsoring, c’est-à-dire de parrainage, pour vérifier si l’entreprise est en droit se prévaloir des déductions fiscales prévues pour les dépenses de mécénat.</p>
<h2>Des justifications (mais des contradictions aussi)</h2>
<p>La solution se justifie, elle n’en est pas moins critiquable. En effet, si la jurisprudence administrative énonçait une position contraire, il suffirait pour les entreprises de modifier leur objet social pour faciliter les dépenses de l’entreprise et réduire ainsi le bénéfice imposable. Et par la même l’alimentation du budget de l’État et les finances publiques !</p>
<p>Si seul importe le critère d’une gestion commerciale normale, encore faudrait-il toutefois préciser les contours d’une telle gestion. Les associations de défense de l’environnement critiquent par exemple les <a href="https://www.novethic.fr/lexique/detail/proces-baillon.html">procédures baillons</a> menées par de grandes entreprises, les menaçant de procès longs et coûteux pour les dissuader de révéler leurs pratiques contraires à la protection de l’environnement.</p>
<p>Quand bien même les juges condamneraient ces pratiques procédurales en attribuant des dommages-intérêts aux associations sur le fondement de l’abus du droit d’agir en justice, l’ensemble de ces dépenses reste fiscalement déductible pour l’entreprise. La contradiction est ici patente : l’entreprise est sommée de se comporter de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/leadership-management/sept-leviers-pour-rendre-votre-entreprise-citoyenne-1244409">façon citoyenne</a> mais seules les dépenses conformes à son intérêt commercial sont déductibles, même si elles relèveraient de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-humeur-du-matin-par-guillaume-erner/l-humeur-du-jour-emission-du-vendredi-18-novembre-2022-5381856">comportements de voyou</a>.</p>
<h2>Jeter plutôt que recycler ?</h2>
<p>La réglementation est ainsi loin d’être cohérente. Un autre exemple est celui de l’économie circulaire. Le législateur a introduit toute une série de dispositions pour la développer et pour limiter la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets. Il est à ce titre prévu des dispositions pour encourager les dons des invendus non alimentaires (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043975010#:%7E:text=%2DTout%20manquement%20aux%20obligations%20de,%E2%82%AC%20pour%20une%20personne%20morale">art. 541-15-8 Code de l’environnement</a>). L’objectif est louable, mais sa mise en œuvre critiquable.</p>
<p>Tout d’abord, contrairement à ce que pourrait laisser penser la présentation ministérielle, nous ne sommes en présence que d’une interdiction très relative de jeter ou détruire des produits non alimentaires invendus. L’obligation de réemploi ne concerne que les produits d’hygiène et de puériculture. Une entreprise peut donc parfaitement continuer de détruire ses invendus et même y trouver un gain financier.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En effet, lors de l’acquisition des biens, l’entreprise déduit la TVA ; lorsqu’elle les revend, elle collecte la TVA. A la fin du cycle, l’entreprise doit alors acquitter auprès de l’administration fiscale la différence entre la TVA collectée et la TVA déduite. Si elle préfère détruire son stock avec constat d’huissier, conformément àla <a href="https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/1660-PGP.html/identifiant%3DBOI-TVA-DED-60-30-20200826#:%7E:text=La%20d%C3%A9duction%20de%20la%20TVA,vol%20ou%20d%E2%80%99un%20d%C3%A9tournement">doctrine fiscale de l’administration</a>, l’entreprise n’a pas à reverser le montant de la TVA qu’elle a pu déduire. Si elle accorde des réductions de prix pour écouler son stock, non seulement elle risque de porter atteinte à sa réputation – argument avancé par les entreprises de luxe pour justifier les destructions de leurs marchandises – mais en plus elle collectera un montant de TVA moindre. La facture fiscale est alors plus élevée que sans la réduction, mais aussi potentiellement plus élevée qu’en détruisant les produits.</p>
<p>Pratiquement, il peut être ainsi plus rentable et conforme à une meilleure gestion commerciale pour une entreprise de détruire ses invendus. Soyons cyniques : même si s’applique la sanction administrative de 15 000 euros pour non-respect de la réglementation en matière de recyclage, l’entreprise n’a fiscalement pas vraiment intérêt à être socialement responsable à partir du moment où l’application de la doctrine administrative peut se révéler plus rémunératrice.</p>
<p>En résumé, la mise en œuvre des principes de responsabilité sociale n’est pas dissociable d’une réflexion d’ensemble sur les mécanismes fiscaux qui encadrent la vie des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le droit fiscal n’encourage pas les entreprises à s’engager en matière de RSE. Des règles de déduction de charges ou de calcul de la TVA semblent même les pousser dans une direction opposée.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2164912023-11-06T11:16:28Z2023-11-06T11:16:28ZEn avoir marre de son job, faire un tour sur LinkedIn et se lancer en freelance pour doubler ses revenus ? L’envers du décor<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556152/original/file-20231026-22-d69nb3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C537%2C4031%2C2438&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un discours largement répandu sur Linkedin fait l'éloge de l'entreprenariat comme synonyme de revenus importants et de liberté.</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Un discours lancinant traverse la société : il en serait fini du salariat. Vive l’indépendance, le freelancing, l’entrepreneuriat ; fini la soumission, l’arbitraire, le manque de sens, les salaires ridicules. Les influenceurs LinkedIn rejoignent là les discours institutionnels de la BPI. À les entendre parfois, tout le monde pourrait être « solopreneur » à 10 000 euros par mois, nouveau graal des jeunes diplômés comme des reconversions de milieu de carrière. Puisqu’il est de bon ton de parler anglais pour son storytelling, permettez-nous de répondre « disclaimer : non ».</p>
<p>En effet, nos recherches conduisent à apporter de la nuance à ces affirmations, bien qu’elles s’inscrivent dans un réel enjeu du monde du travail. S’il n’est sans doute pas majoritaire, nous avons identifié qu’un réel sentiment de désillusion du salariat peut effectivement apparaître. Toutefois, si elles s’embarquaient ensuite dans une transition professionnelle vers le travail indépendant, elles seraient confrontées à un parcours fort différent de celui espéré.</p>
<h2>Des attentes déçues</h2>
<p>Pour analyser ce phénomène de « désillusion du salariat », nous sommes partis d’un modèle bien connu : celui de la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF01384942">« brèche dans le contrat psychologique »</a>, proposé par Denise Rousseau, professeur à la Carnegie Mellon University. Le <a href="https://www.lavoisier.fr/livre/economie/contrat-psychologique-et-organisation/rousseau/descriptif_2947337">contrat psychologique</a>, c’est l’ensemble des attentes qu’un travailleur forme sur son entreprise. Celles-ci peuvent être explicites ou non et alignées ou non avec le contrat de travail.</p>
<p>Au fil de l’expérience de la relation d’emploi, des insatisfactions peuvent apparaître, créant alors progressivement le sentiment que ce contrat psychologique n’est plus rempli : un « coup de canif au contrat », appelé dans cette approche une « brèche ». La littérature académique a largement démontré que cette brèche aura ensuite des conséquences négatives : démotivation, intention de quitter l’entreprise, comportements nocifs et autres.</p>
<p>Devant l’ampleur de certains <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267">phénomènes récents</a> (croissance continue de l’activité entrepreneuriale, « big quit ») nous nous sommes demandé s’il ne pourrait pas exister une extension de ce modèle : un contrat psychologique avec le salariat en tant que système. Par extension, une brèche dans ce contrat pourrait donc inciter à quitter le salariat plutôt que de rechercher une amélioration de ses conditions de travail ou un autre poste. Nous avons fait l’hypothèse que de mauvaises conditions de travail pouvaient notamment pousser vers le travail indépendant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1655829957665521670"}"></div></p>
<p>Le <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JMD-10-2022-0257/full/html">premier test</a> que nous avons conduit semble la confirmer : dans le cas d’un management non-exemplaire, les personnes auraient simplement tendance à quitter leur entreprise, alors que dans le cas d’un équilibre vie privée/vie professionnelle insatisfaisant, elles seraient incitées à quitter le salariat. Enfin, un manque d’autonomie, de sens ou une surcharge de travail pourrait influer sur les deux possibilités : quitter son employeur ou sortir du salariat.</p>
<h2>Comment résister aux promesses ?</h2>
<p>Quel serait ensuite le parcours d’une personne déçue du salariat au point de chercher à retrouver un nouveau contrat psychologique satisfaisant en devenant indépendante professionnellement ? Elle serait alors portée à s’emballer devant la <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/13000">prégnance d’un discours sur l’indépendance et l’entrepreneuriat fortement idéologique</a> et certainement trop optimiste.</p>
<p>Nous faisons en effet l’hypothèse que ces discours laudatifs sur les déroulements de carrière hors du salariat relèvent d’une <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1976_num_2_2_3443">« idéologie dominante »</a> au sens des sociologues Pierre Bourdieu et Luc Boltanski : une agrégation d’idées pas toujours cohérentes entre elles mais qui donnent à voir le monde d’une certaine manière et réduisent l’univers des possibles. Cette idéologie s’entretient dans ce qu’ils nomment des « espaces communs » – oui, nous prenons le parti d’appliquer un cadre théorique de 1976 au <em>copywriters</em> et autres <em>growthhackers</em> qui inondent vos flux LinkedIn.</p>
<p>Au delà du microcosme des métiers du digital, le discours sociétal actuel défend l’ensemble du travail indépendant et valorise la sortie du salariat, comme l’a <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/13000">montrée notre analyse de corpus médiatique et Internet</a>. Quelqu’un frappé d’une brèche dans son contrat psychologique avec le salariat sera confronté à des affirmations séduisantes telles que :</p>
<blockquote>
<p>« <em>Parce que devenir Auto-Entrepreneur, c’est vivre de sa passion.</em> »</p>
</blockquote>
<p>Ou encore :</p>
<blockquote>
<p>« <em>Vous êtes demandeur d’emploi et vous souhaitez créer une entreprise ? La période de recherche d’emploi peut être le moment idéal pour vous lancer.</em> »</p>
</blockquote>
<p>Comment résister à une telle promesse lorsqu’on ne croit plus au modèle proposé par l’emploi salarié ?</p>
<blockquote>
<p>« <em>Dans un monde qui avance vite, les indépendants ou les freelances se démarquent et séduisent par leur mode de vie et de travail. Ils sont flexibles, mobiles et surtout libres »</em></p>
</blockquote>
<h2>Des parcours à tâtons</h2>
<p>Nous avons essayé de confronter ces discours à la réalité des parcours d’accès à l’indépendance. Nous avons tout d’abord vérifié que la majorité des personnes interrogées s’engageaient dans ce parcours non pas par « volonté d’entreprendre » (moins de 5 % des réponses), mais bien en opposition au monde salarié : (re) trouver du sens ou de l’autonomie, s’accomplir, équilibrer son temps professionnel… Rappelons néanmoins que la <a href="https://classiques-garnier.com/socio-economie-du-travail-2021-1-n-9-varia-entre-emploi-atypique-et-entrepreneuriat.html">majorité de ces parcours seront brefs et peu concluants</a>.</p>
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<p>Un des principaux enseignements a été le « tâtonnement » important des personnes, notamment au niveau statutaire. Loin d’être un schéma linéaire de transition rapide, nous avons montré que de très nombreuses configurations différentes d’étapes menant à l’indépendance sont possibles : avec ou sans passage par le chômage, avec ou sans formation complémentaire, souvent avec le test successif de plusieurs statuts juridiques différents (autoentreprise, entreprise, portage salarial)… Nous avons aussi identifié que les parcours qui « passent » par le statut d’autoentreprise tendent à s’y arrêter. C’est-à-dire que ce statut n’est pas un « tremplin » vers l’entrepreneuriat mais <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4189659">plutôt une voie sans issue</a> – contrairement à l’entreprise classique et au portage salarial.</p>
<p>Nos travaux montrent ainsi qu’il est normal que des personnes soient attirées par les discours qui vantent des transitions vers l’indépendance présentées comme faciles et désirables : dès lors que leurs conditions de travail sont problématiques, elles peuvent expérimenter une brèche dans leur contrat psychologique avec le salariat. Toutefois, il est alors important pour elles de garder à l’esprit que non seulement, ce ne sont que des discours, <a href="https://www.erudit.org/en/journals/lsp/1900-v1-n1-lsp01577/1027211ar/abstract/">mais qu’ils ne sont pas neutres : ils supportent une idéologie</a>. La réalité d’une transition professionnelle pour quitter le salariat sera plus difficile, moins linéaire, et confrontera ces personnes à d’autres difficultés…</p>
<p>Si vous n’avez pas à accepter de subir des conditions de travail insatisfaisantes, dans ce cas, simplement changer d’employeur reste une possibilité pertinente et légitime. Même si vous ne gagnerez peut-être pas 10 000 € par mois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216491/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Yves Ottmann est freelance. Il a comme clientes des entreprises du secteur des services aux travailleurs indépendants.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cindy Felio, Emmanuel Abord de Chatillon et Fabienne Bornard ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Contrairement aux promesses de nombreux discours présents notamment sur LinkedIn, se lancer dans l’entrepreneuriat n’apporte pas forcément liberté et revenus mirobolants…Jean-Yves Ottmann, Chercheur en sciences du travail, Université Paris Dauphine – PSLCindy Felio, Psychologue, Chercheuse en Sciences de l’Information et de la Communication, Laboratoire MICA (EA 4426), Université Bordeaux MontaigneEmmanuel Abord de Chatillon, Professeur, Chaire Management et Santé au Travail, CERAG, INP Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementFabienne Bornard, Enseignant-chercheur en entrepreneuriat, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021782023-11-05T18:15:02Z2023-11-05T18:15:02ZTwo faces of dignity: a Kantian perspective on Uber drivers’ fight for decent working conditions<p>On November 3, 2016, Emmanuel Macron, who had recently launched a presidential bid, mentioned what he felt was Uber’s positive role in providing work opportunities to low-income or unemployed youth (our translation and emphasis):</p>
<blockquote>
<p>“You go to Stains [a low-income town outside of Paris] to tell young people who are Uber drivers that it is better to loiter or deal […]. Our collective failure is that the neighbourhoods where Uber hires these young people are neighbourhoods where we haven’t managed to offer them anything else. Yes, they sometimes work 60 to 70 hours to get the minimum wage, but they return with dignity, they find a job, they put on a suit and a tie.”</p>
</blockquote>
<p>A year later, the perspective of many Uber drivers in Paris was quite different, as witnessed by a handout distributed by an activist group in November 2017:</p>
<blockquote>
<p>“You’ve been used by Uber, regain your dignity!” (“UberUsé, regagne ta dignité!”)</p>
</blockquote>
<h2>Dignity as work</h2>
<p>These two quotes refer to quite distinct concepts of dignity. On the one hand, French president Emmanuel Macron tells unemployed youth from low-income towns they ought to consider themselves lucky when Uber offers them the opportunity to don a suit and a tie and get behind the wheel. On the other, Uber drivers see themselves as being exploited by management and are ready to put up a fight to regain their dignity. So does Uber restore or take away workers’ dignity?</p>
<p>The French president’s notion of dignity is what some philosophers refer to as <em>social standing dignity</em>, the traditional conception (Sensen 2011). Rooted in an individual’s rank or office, it centres on the world of behavioural rules, rights and duties that surround these positions.</p>
<p>Hierarchical societies are structured through higher and lower social positions and with each one comes different ranks and different degrees of dignity. Thus, Macron contends that young people from poor areas are better off by taking on work from Uber, even if this means long hours and low wages. Here, employment is presented as the fundamental condition to social dignity.</p>
<h2>Migrant roots</h2>
<p>It is important to note that most people who take on an Uber job hail from a migrant background, sometimes stretching back to several generations. In France, these are mainly from North and Sub-Saharan Africa. As the <a href="https://www.puf.com/content/UberUs%C3%A9s">sociological research from Sophie Bernard shows</a>, most were not unemployed before. Instead, they took on unskilled, low-paying, painful, and precarious jobs – quite a different situation to trafficking drugs or loitering. They became Uber drivers to improve their condition by gaining freedom and higher wages.</p>
<p>But they soon realised they were subjected to a new form of algorithmic management and forced to work more and more to earn less and less. This form of control is exercised remotely and indirectly by algorithms that enable the quasi-automatic supervision of many workers. Drivers are rated by customers for every journey they make. All it takes is one complaint from a customer for their account to be deactivated. Uber drivers are no longer subject to hierarchical control, but rather to customer demands. Nor are they totally free to organise their working hours as they see fit. To entice drivers to work for Uber, the company first offered them bonuses and high remuneration. Once the platform has enough drivers, <a href="https://www.puf.com/content/UberUs%C3%A9s">it removes the bonuses, lowers the fares and increases the commission</a>.</p>
<p>While they thought they were improving their conditions, they found themselves once again in another job as exploited migrants. As if Macron were telling them: “We have this opportunity for you to gain your social dignity with a job that other people in our society don’t want and don’t need, but it’s good enough for you.”</p>
<h2>Kant’s concept of equal moral worth</h2>
<p>The second notion of dignity is that of human dignity, the idea that was implemented into the 1948 Universal Declaration of Human Rights and into many constitutions after the Second World War. It is expressed in Kant’s idea of equal moral worth of all human beings. In his famous <a href="https://plato.stanford.edu/entries/persons-means/"><em>Formula of Humanity</em></a> of the Categorical Imperative, Kant states:</p>
<blockquote>
<p>“So act that you use humanity, whether in your own person or in the person of any other, always at the same time as an end, never merely as a means.”</p>
</blockquote>
<p>Is that the notion Uber drivers can refer to? As we will see it is, but it needs some clarification, and Kantian philosophy has its blind spots when it comes to dignity violations. What does it mean to use someone merely as a means? Kantians think that you are used as a mere means if you cannot (reasonably) consent to the treatment of others. This is especially so if your will is manipulated by deception or coercion. According to Kant, this is addressed by the criteria of deception and coercion that manipulate or enforce consent. Now one could wonder what the problem is from a Kantian perspective, since Uber drivers took on the job willingly, as Macron emphasises.</p>
<p>And indeed, Kant did not think in categories like <em>exploitation</em>. We think that exploitation can also be understood in terms of instrumentalisation. The accusation that Uber drivers formulate: “UberUsé” refers directly to this: not to be used merely as a means to another’s purposes; not to be exploited, in the sense that platform capitalism puts you in a position where long working hours don’t give you the minimum wage, where you take all the risks for a platform that reaps all the benefits, where there’s no reasonable alternative for you and where there’s reasonable alternatives to pay you a decent wage for Uber, since their profit would allow for it. Let’s remember that while Uber defines drivers as self-employed workers who provide the platform with labour and part of the production tools, it is the platform that sets the prices and takes a commission on each trip by passing on all the risks.</p>
<p>Moreover, there is another problem, and this one cannot be captured by the Kantian prohibition of instrumentalisation. It is the unequal social positions in a hierarchical and racist society that lead to an inequality of opportunity. This goes against the Kantian requirement to treat others as ends in themselves: as persons with equal moral standing. Degradation of migrants in the form: “this job is good enough for you” contradicts that requirement. So what Uber drivers could see violated on Kantian terms is their human dignity, their equal moral standing, that would recommend to provide them with equal opportunities in the French society and not just with opportunities that are “good enough for them” because “their” social standing is already at the bottom.</p>
<p>What is striking about how Uber drivers’ striving for social dignity can be abused when it comes to exploitation of their work force. As they fight Uber’s working conditions, they are more faithful to Western Kant-induced values than Macron. The president, by contrast, offers them a glimpse of social dignity in a kind of job that keeps them in an exploitative and precarious situation. One could say in the spirit of Kant that Uber drivers show self-esteem by their protest which aims at (re)gaining their dignity. Kant states in the Doctrine of Virtue: “Do not let others tread with impunity on your rights.”</p>
<p>As <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10677-022-10288-7">Mieth and Williams argue</a>, there are wrongs beyond instrumentalisation when it comes to migration, which concern exclusion and inequality. Under the circumstances Uber drivers find themselves in, they put on a fight to express their human dignity, not their social dignity in Macron’s terms. But this human dignity implies social dignity in another sense: to be acknowledged as an equal member of society which implies equality of opportunity. So we think that Uber drivers’ fight to regain dignity is in line with Kant’s notion of human dignity. Their protest is even giving the notion of equal human dignity reality.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202178/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Corinna Mieth a reçu des financements de Fondation Maison de science de l'homme (FMSH) et du Kant-Zentrum NRW. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sophie Bernard a reçu des financements de l'Institut Universitaire de France. </span></em></p>With an eye to Kant’s work, a philosopher and a sociologist argue that the Uber project robs drivers of their dignity.Corinna Mieth, Legal and political philosopher, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Sophie Bernard, Sociologue, professeure des universités, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2145852023-10-02T18:18:49Z2023-10-02T18:18:49ZApprendre à écouter en entreprise, un véritable atout pour le management<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550863/original/file-20230928-21-rvgjqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C12%2C1102%2C643&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont nous écoutons les autres impacte la carrière professionnelle.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1567387">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Une réunion de travail sans table de réunion. Une réunion sans ordinateurs, où chacun des présents prête attention aux messages de l’autre… Impossible ? C’est pourtant de cette façon que certaines <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> du nord de l’Europe <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-014-2242-4">conduisent les échanges</a> entre collaborateurs. Ce faisant, ces organisations <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/5313652">privilégient l’écoute</a> et la bienveillance, dont les effets sur les collaborateurs et la performance gagneraient à être redécouverts.</p>
<p>De nombreuses recherches ont montré les effets positifs de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/ecoute-69937">écoute</a> sur la performance de l’entreprise et des collaborateurs. Les employés qui se sentent écoutés par leurs collègues et leurs supérieurs sont plus performants, plus satisfaits et plus engagés dans leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a>, adoptent des comportements altruistes et tournés vers le collectif. Ils sont également moins sujets à <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10869-023-09897-5">l’épuisement professionnel</a>. Les collaborateurs qui se sentent écoutés <a href="https://hbr.org/2018/05/the-power-of-listening-in-helping-people-change">développent plus clairement leur pensée, leurs propos sont plus modérés</a>.</p>
<p><a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF02894348">L’écoute du collaborateur</a> – comme celle du consommateur – peut générer de la valeur, qui varie en fonction de la qualité de l’écoute et de la considération qui est donnée au collaborateur. La posture d’écoute apporte en effet à l’employé un sentiment de sécurité et d’intégration, qui lui permet de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/01461672221100369">surmonter les difficultés qu’il peut rencontrer</a>.</p>
<h2>Éviter d’interrompre</h2>
<p>Pour Guy Itzchakov et Avi Kluger, deux chercheurs israéliens experts de l’écoute, l’apprentissage de l’écoute est un axe d’amélioration valable et digne d’intérêt pour les organisations. Apprendre à écouter est une garantie de s’équiper pour améliorer la satisfaction des collaborateurs au sein de leur équipe et de leur organisation, un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/00187267035612001">instrument clé pour tout manager en quête d’adhésion</a>.</p>
<p>Une posture d’écoute de qualité en entreprise est une attitude orientée vers la compréhension de l’autre : on doit utiliser l’écoute pour se comprendre plutôt que pour simplement se répondre. L’auditeur (celui qui écoute) doit montrer que son attention est tournée vers celui qui parle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iR-jlgWE9GQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Listening and its enemies | Avi Kluger | TEDxLaçador (en anglais).</span></figcaption>
</figure>
<p>Par exemple, en évitant d’interrompre la personne qui s’exprime, en utilisant un vocabulaire et des tournures de phrase qui <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0261927X13506906">font écho</a> à la manière dont la personne parle, celui qui écoute peut créer un sentiment de compréhension et d’appartenance chez son interlocuteur. Un employé se sent écouté lorsqu’il a le sentiment que trois éléments sont bien présents lors de l’échange : <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009026161730044X?via%3Dihub">l’attention, la compréhension et la bienveillance</a> de son auditeur sont nécessaires.</p>
<h2>L’adaptation, une notion clé</h2>
<p>Pour être un bon auditeur, le contexte des interactions doit être pris en compte. La culture organisationnelle, les normes partagées par les équipes, les générations de collaborateurs qui se croisent ou encore les technologies liées aux nouveaux usages du travail collaboratif sont des éléments importants qui peuvent modeler la qualité de l’écoute et le sentiment d’être écouté.</p>
<p>Pour le manager, informer lors des réunions de diffusion d’informations ne demande pas la même posture que des sessions de travail en ateliers ou des réunions d’équipe. De plus, l’adaptation à l’interlocuteur est clé. Un bon auditeur prendra en compte la dimension émotionnelle dans ses interactions. Néanmoins, certains auditeurs sont plus attentifs au <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/01463373.2012.720343">contenu</a> de la communication et aux actions qui en découlent qu’au caractère relationnel de l’échange.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Illustration d’une femme s’exprimant pendant une présentation" src="https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour être un bon auditeur, le contexte des interactions doit être pris en compte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1457535">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour promouvoir l’écoute en entreprise, de nouvelles habitudes de travail peuvent être mises en place, comme le bannissement des téléphones ou des ordinateurs lors de certaines réunions. Les équipes peuvent prendre l’habitude de travailler en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009026161730044X?via%3Dihub">« cercle d’écoute »</a>, c’est-à-dire, laisser à chacun un temps de parole nécessaire à l’expression de ses idées. Dans un cercle d’écoute, seule la personne qui détient le « bâton de parole » a le droit de parler, tandis que les autres l’écoutent attentivement. Le « bâton de parole » circule entre les membres de l’équipe, laissant à chacun la possibilité de s’exprimer et d’être écouté.</p>
<p>Dans le milieu médical, il a été prouvé que mettre en place une routine structurée obligeant les médecins, pharmaciens et infirmières à écouter les patients a conduit à une nette <a href="https://open.bu.edu/ds2/stream/?">amélioration des relations</a> entre les médecins et le personnel soignant.</p>
<h2>Il n’est jamais trop tard</h2>
<p>Former les collaborateurs de l’entreprise pour qu’ils soient plus à l’écoute les uns envers les autres est possible. Par exemple, on peut permettre aux membres d’une équipe d’expérimenter en termes de communication en dédiant des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1052562915574724">espaces informels</a> pour que l’équipe puisse prendre le temps d’échanger et de s’écouter dans un environnement où ils se sentent sécurisés.</p>
<p><a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2016.0685?journalCode=amj">Fournir des « scripts »</a> déroulant un scénario de communication et d’écoute (comme au théâtre) peut aussi permettre aux membres d’une équipe de s’entraîner, de progresser, et de résoudre des tensions éventuelles. Il est aussi possible d’aménager des occasions <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009026161730044X?via%3Dihub">d’apprendre à écouter</a>, en instituant des moments chronométrés où l’une des deux personnes dialoguant s’oblige à ne pas interrompre son interlocuteur pendant trois voire cinq minutes.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La façon dont nous écoutons les autres entraîne des conséquences importantes sur la santé et le bien-être individuels et relationnels, sur la carrière professionnelle, ainsi que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352250X23001264">sur la manière dont nous sommes perçus par les autres</a>.</p>
<p>Certes, améliorer la qualité de l’écoute dans les équipes et les entreprises peut sembler difficile. Pourtant, un changement de posture est possible. Si écouter se rapporte avant tout à un échange verbal, il existe aussi une dimension visuelle de la posture, jouxtant aussi la gestuelle, et le rapport au temps.</p>
<p>Prendre le temps d’écouter et agir pour répondre au besoin des collaborateurs peut être un <a href="https://doi.org/10.3389/fpsyg.2021.659087">excellent outil pour le manager</a>, qui s’il le partage ouvertement avec son entourage, peut permettre de diminuer tensions et conflits, et d’améliorer la performance. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iR-jlgWE9GQ">Il</a> n’est jamais trop tard pour se déclarer novice dans l’apprentissage de l’écoute de l’autre ; les progrès sont possibles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214585/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La recherche montre qu’un collaborateur se sent écouté si son auditeur fait à la fois preuve d’attention, de compréhension et de bienveillance.Aurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, Université Paris Dauphine – PSLLionel Pailloncy, End-user Experience Performance Manager chez Kering, Executive PhD en gestion, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2134102023-09-28T19:14:31Z2023-09-28T19:14:31ZGestion de la dette publique : que retenir des expériences de John Law au XVIIIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/547787/original/file-20230912-26-b1v6iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=589%2C388%2C1419%2C959&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portait de John Law par Alexis Simon Belle
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Law_de_Lauriston#/media/Fichier:John_Law_by_Alexis_Simon_Belle.jpg">Londres, National Portrait Gallery / Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>Une <a href="https://theconversation.com/topics/dette-20647">dette publique</a> proche de 120 points de PIB ? La France s’en est approchée à la sortie des confinements, jusque 117,8 points au premier trimestre 2021, une valeur redescendue à <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7638614">112,5 au premier trimestre 2023</a>.</p>
<p>Par le passé, elle avait déjà atteint de tels sommets, notamment au début du XVIII<sup>e</sup> siècle. En 1715, à sa mort, Louis XIV laissait la France au bord de la faillite en raison, notamment, des guerres incessantes lancées par le Roi Soleil et de l’organisation fiscale du pays.</p>
<p>Nos <a href="https://hal.science/hal-04010978/">travaux</a> portent sur cette époque qui permet de nourrir une réflexion sur les enjeux d’aujourd’hui. Aux commandes du pays en attendant que grandisse le jeune Louis XV, le Régent, Philippe d’Orléans, fit appel à John Law (nom que ses contemporains français prononçaient « Lass ») et à ses idées audacieuses pour redresser les finances de la France. Né en 1671 à Édimbourg, il s’était intégré dans les milieux financiers londoniens avant de parcourir l’Europe et de s’établir à Paris.</p>
<h2>Un partenariat public/privé</h2>
<p>Le but du système de Law était, à la fois, d’assainir les <a href="https://theconversation.com/topics/finances-publiques-24847">finances publiques</a> et d’augmenter la <a href="https://theconversation.com/topics/monnaie-21214">masse monétaire</a> en circulation afin de permettre le financement de l’économie. À cette fin, le Régent a tout d’abord autorisé son futur Contrôleur général des Finances à fonder une banque privée garantie par l’État, le 10 mai 1716. Avec cette création, Law poursuivait deux objectifs. Le premier était de faire évoluer le financement de l’économie en augmentant la part des billets dans la masse monétaire globale. Le second était de gérer la dette publique. En 1718, cette banque privée est devenue la Banque Royale. Dans une lettre adressée au Régent en 1715, John Law écrit ; </p>
<blockquote>
<p>« La banque n’est pas la seule, ni la plus grande de mes idées ; je produirai un travail qui surprendra l’Europe par les changements qu’il portera en faveur de la France, des changements plus forts que ceux qui ont été produits par la découverte des Indes ou par l’introduction du crédit. »</p>
</blockquote>
<p>La seconde pièce du système portait sur la création d’une compagnie commerciale. Au gré d’acquisitions et de fusions d’entreprises exerçant un monopole sur une aire géographique, John Law donne vie à un ensemble puissant qui reprend le nom de la « Compagnie des Indes » (appelée parfois aussi « Compagnie du Mississippi »). Elle avait pour mission première non le négoce mais la gestion des dettes d’État, selon les modalités suivantes : la Compagnie procédait à des augmentations de capital successives pouvant être payées au moyen de titres de dettes d’État. </p>
<p>De ce fait, elle avait vocation à centraliser progressivement l’endettement public pour octroyer ensuite à l’État des prêts à des taux d’intérêt très inférieurs à ceux pratiqués avant l’opération. Les finances publiques étaient ainsi assainies au moyen d’un lien entre le secteur public et le secteur privé.</p>
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<p>La Compagnie n’avait cependant pas les fonds pour payer les titulaires des titres. Elle devait donc lever des capitaux à hauteur des demandes potentielles de remboursement. Elle le fit d’une part au moyen d’augmentations de capital incessantes. Cela fut d’abord un succès, le cours de l’action de la Compagnie n’arrêtait pas de grimper. D’autre part, elle avait recours à des prêts octroyés par la Banque Royale. Ceux-ci étaient gagés sur les titres de ladite Compagnie dont la valeur était volatile et soutenue par les crédits octroyés.</p>
<p>C’est ce lien entre création monétaire et cours de l’action qui allait faire courir le mécanisme à sa perte. L’ensemble était totalement artificiel.</p>
<h2>Une tentative de régulation du système</h2>
<p>Law, qui voyait bien la faiblesse potentielle de son système, tenta de l’enrayer en faisant baisser le poids de la monnaie métallique en circulation au profit de la monnaie fiduciaire sous format papier, qui devait ainsi permettre à cette dernière d’en sortir consolidée. Il élabora ainsi une réglementation restrictive (interdiction par exemple de posséder plus d’un certain montant de métaux et incitation aux dénonciations) et fixa le cours légal des billets sur tout le territoire, en janvier 1720. En imposant la monnaie fiduciaire, le but de Law était, à terme, de stabiliser le cours de l’action de la Compagnie des Indes et d’en faire également une monnaie. Il voulait donc créer une monnaie-action.</p>
<p>Law a ainsi réussi en trois ans à créer une Banque Royale permettant une création monétaire nécessaire à l’économie, une compagnie commerciale restructurant la dette d’État afin d’assainir les finances royales et à imposer la monnaie fiduciaire, qui était alors impopulaire (la masse monétaire fait <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/john-law-l-aventure-des-finances-1051333">plus que doubler</a> au deuxième semestre 1719).</p>
<p>Pourtant, ce système va basculer très rapidement au cours du premier semestre 1720. À la fin de la même année, après des scènes d’émeutes et des morts rue Quincampoix à Paris où était installée la Banque Royale, John Law est contraint de s’enfuir du pays.</p>
<h2>Contradictions et délits d’initiés</h2>
<p>Comment expliquer cette issue ? On peut, d’une part, repérer des facteurs économiques. La spéculation exacerbée était un facteur de risque – on parlait alors d’agiotage –, alimentant le circuit financier sans profiter à l’économie réelle. Les deux sphères étaient totalement déconnectées. On est au cœur des contradictions du système : une volonté de stabiliser le cours de l’action de la Compagnie des Indes pour en faire une monnaie contrebalancée par une spéculation effrénée.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Rue Quinquempoix en l année 1720, gravure d’Antoine Humblot.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On peut, d’autre part, repérer des facteurs sociologiques. Plus le système montait en puissance, plus la haute société a reçu des informations et des subventions pour spéculer sans risque. En revanche, quand le système fut menacé par l’excès de la spéculation, l’entourage de Law, dès l’été 1719, a vendu massivement des titres de la Compagnie des Indes, fragilisant encore davantage le système. On qualifierait ces opérations, en droit contemporain, de délits d’initiés.</p>
<p>Le renversement de cette folie spéculative eut lieu fin mai 1720. Cet épisode financier a marqué les esprits, a miné la confiance dans le système et freinera l’innovation dans ce domaine, pendant de longues décennies.</p>
<h2>Précurseur de la banque centrale</h2>
<p>En réalité, le système de Law a-t-il été si négatif ? Deux éléments permettent d’en douter.</p>
<p>D’une part, la Banque Royale est la première ébauche d’une banque centrale que Law voulait créer sur le modèle de la Banque d’Angleterre. Ce système était nouveau en France. Il avait non seulement pour finalité de créer de la monnaie permettant le soutien de l’économie mais également un rôle de régulateur financier. Law a ainsi établi un lien entre la <a href="https://theconversation.com/topics/politique-monetaire-39994">politique monétaire</a> et la politique économique. Son système a échoué non pas parce que la création d’une telle banque n’était pas une bonne idée mais du fait des excès de création monétaire. Celle-ci alimentait alors davantage la spéculation sur les actions de la Compagnie des Indes qu’il ne permettait à l’économie réelle de se développer. Par conséquent, l’excès de monnaie, permettant à une bulle spéculative d’exister, a entraîné la chute du système.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1640465175592464385"}"></div></p>
<p>Si nous transposons à l’époque contemporaine, les banques centrales sont solidement implantées mais depuis l’abandon du système de Bretton Woods, au début des années 1970, et à la suite des chocs pétroliers, nous avons connu une période d’inflation puis une déconnexion entre la création de liquidités et l’évolution de l’économie réelle d’une part et la constitution de bulles spéculatives, d’autre part.</p>
<p>Plus récemment, après la crise financière de 2008, les banques centrales, devenues libres de créer de la monnaie, ont mis en place des politiques de <a href="https://theconversation.com/topics/assouplissement-quantitatif-84573">« quantitative easing »</a> consistant en des achats massifs de titres de dette publique. Cela a pour effet d’augmenter la masse monétaire en circulation, d’abaisser les taux d’intérêt et d’augmenter le volume du crédit afin de relancer l’économie mais avec un risque de reprise de l’inflation. Or, les crises financières arrivent toujours avec l’éclatement de bulles spéculatives.</p>
<p>L’ébauche d’un système de banque centrale mis en place par Law était ainsi une idée fondatrice mais l’excès de création monétaire devait ruiner son entreprise. Ne vivons-nous pas également une période comparable marquée par une masse monétaire en circulation trop importante ? Law ne serait-il pas d’actualité ?</p>
<h2>Des idées et des erreurs qui font référence</h2>
<p>Schumpeter, dans son <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Histoire-de-l-analyse-economique"><em>Histoire de l’analyse économique</em></a>, considère par ailleurs John Law au premier rang des théoriciens de la monnaie de tous les temps. Ses idées et ses erreurs restent aujourd’hui présentes dans les discours qui analysent le <a href="https://www.banque-france.fr/la-banque-de-france/histoire/seminaire-de-la-mission-historique/la-credibilite-des-monnaies-de-john-law-au-bitcoin">développement des cryptomonnaies</a> par exemple.</p>
<p>L’Écossais voulait moderniser le système monétaire français par la création de la monnaie-papier et la Banque Royale devait permettre d’y parvenir. Il avait aussi une idée plus originale de faire des actions de la Compagnie des Indes, une nouvelle forme de monnaie.</p>
<p>La valeur fluctuante des actions n’a pas permis à cette idée de devenir réalité. Law pensait que la monnaie-action permettrait de supprimer la monnaie métallique. En revanche, il n’a sûrement pas assez pensé à un fondement suffisamment solide de la monnaie afin d’établir un lien entre celle-ci et l’économie réelle.</p>
<p>Par conséquent, même si le bilan est mitigé du fait de l’explosion du système et de ses conséquences, des mécanismes nouveaux ont été mis en place à cette époque et ont permis de renouveler, avec audace, les débats sur les problèmes monétaires et leurs structures qui sont toujours d’actualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annick Bienvenu-Perrot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le système mis en place par l’économiste écossais en France à partir de 1716 a échoué. Il portait néanmoins en germes des idées qui restent éclairantes pour la gestion actuelle des comptes publics.Annick Bienvenu-Perrot, Docteur en droit - HDR - Enseignant-chercheur en droit privé - Co-directrice du master Juriste Financier - Université Paris Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2142762023-09-25T16:50:07Z2023-09-25T16:50:07ZLes produits de santé : une filière de poids dans les échanges internationaux<p>Les échanges internationaux de produits de santé ont pris leur essor à partir des années 2000, dans une vague d’ouverture globale amorcée par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à la fin du cycle d’Uruguay en 1994. C’est dans ce cadre que l’Accord pharmaceutique plurilatéral a été négocié entre pays avancés pour supprimer les droits de douane sur un certain nombre de produits dont la liste a ensuite été élargie au fil des renégociations.</p>
<p>Sur les médicaments par exemple, les droits de douane appliqués sont aujourd’hui très faibles, voire nuls dans les pays avancés, et ont été <a href="https://www.wto.org/french/res_f/publications_f/who-wipo-wto_2020_f.htm">ramenés de 6,7 % à 2,5 % en moyenne depuis 1994</a> dans les pays en développement. L’ouverture des pays émergents et l’application de normes environnementales, plus ou moins contraignantes selon les zones géographiques, ont aussi eu un impact décisif sur la fabrication des produits de santé qui s’est de plus en plus internationalisée le long des chaînes de valeur. La traçabilité de ces biens essentiels à la vie est dans le même temps devenue plus opaque.</p>
<p>Leur classement insuffisamment détaillé et épars dans les nomenclatures internationales de commerce et de production contribue à cette opacité. On trouve ainsi des produits de santé parmi les produits chimiques, électriques, électroniques ou encore textiles. <a href="https://www.wto.org/english/res_e/reser_e/ersd201217_e.pdf">Mathias Helble</a>, aujourd'hui économiste à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est le premier à avoir regroupé ces produits dans une liste pour apprécier l’importance et l’évolution des importations répondant aux besoins des systèmes de santé nationaux.</p>
<p>Réalisée après la Grande récession de 2008 marquant la fin de l’hypermondialisation, son <a href="https://www.wto.org/english/res_e/reser_e/ersd201217_e.pdf">étude</a> publiée en 2012 s’interrogeait déjà sur les bienfaits du dynamisme des échanges internationaux dans un domaine aussi crucial. En 2020, le choc du Covid-19 a clairement confirmé l’importance de la sécurité sanitaire pour les États et mis en lumière les questions de souveraineté industrielle posées par l’organisation internationale de la production.</p>
<h2>Une production fragmentée</h2>
<p>Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (<a href="https://theconversation.com/institutions/cepii-2912">CEPII</a>) a élaboré une <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/panorama/abstract.asp?NoDoc=13898">liste</a> des produits de santé dans la lignée du travail de Helble, et de ceux entrepris par des organisations internationales et nationales pour faire face à la pandémie de Covid-19. Celle-ci tend vers l’exhaustivité et inclut tout produit échangé contribuant au fonctionnement du système de soins. Identifiée pour la première fois dans un périmètre aussi large, cette filière de santé comprend 368 produits de la nomenclature du système harmonisé à six chiffres (version 1996) sur la période 2000-2021.</p>
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<p>Les produits sont répertoriés dans cinq branches regroupant les médicaments et l’ensemble de leurs composants, ainsi que les équipements de technologie médicale et le petit matériel de santé. Ainsi configurée, cette filière pèse lourd dans les échanges : en 2021, elle représente presque 13 % du commerce mondial de biens manufacturés (hors énergie) et se situe au deuxième rang parmi dix filières, après celle des produits électroniques (graphique 1).</p>
<p><iframe id="v50Dg" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/v50Dg/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Elle est aussi celle dont la progression a été la plus forte depuis 2000 (graphique 2). Ce dynamisme doit beaucoup à l’essor des échanges de préparations pharmaceutiques, dans lesquels les traitements issus de biotechnologies prennent une part croissante.</p>
<p><iframe id="0rbsW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/0rbsW/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La fragmentation internationale des processus de production est très marquée dans cette filière : en 2021, plus de la moitié des échanges concerne des biens intermédiaires et les échanges croisés de produits similaires atteignent un niveau record, le plus élevé de toutes les filières (51 % des flux, graphique 3). Celui-ci témoigne de la complexité de la division internationale du travail dans les produits de santé.</p>
<p><iframe id="T4G4y" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/T4G4y/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Contrairement aux flux univoques qui portent sur des échanges de produits clairement différents, ce type de commerce consiste en achats et ventes mutuels entre deux pays de produits aux caractéristiques techniques identiques. Autre particularité : c’est dans cette filière que la part des échanges de gamme moyenne de qualité/prix est la plus faible. Une part qui connaît un net recul depuis deux décennies, si bien qu’en 2021, 83 % des flux d’échanges se répartissent équitablement entre le haut et le bas de gamme.</p>
<h2>Le Covid-19, un révélateur de vulnérabilité</h2>
<p>Les pays avancés (selon la <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/April/groups-and-aggregates">classification du FMI</a>) sont les principaux acteurs sur le marché international des produits de santé : ils y réalisent près des trois quarts des exportations mondiales, alors que leur part dans l’ensemble des produits manufacturés s’élève à moins de 60 % (graphique 4).</p>
<p><iframe id="yhC3n" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/yhC3n/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Leurs échanges mutuels représentent à eux seuls 54 % des exportations mondiales en 2021 (graphique 5). Mais ce commerce intra-zone est marqué par un déclin relatif depuis les années 2000 (-16 points de pourcentage) tandis qu’augmentent les exportations des pays avancés vers les pays émergents et en développement. Ces derniers montent en puissance, essentiellement pour les produits bas de gamme, à la fois dans leurs exportations vers les pays avancés et leurs échanges mutuels.</p>
<p><iframe id="PqZGW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PqZGW/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2022/let423.pdf">vulnérabilités créées par ces interdépendances</a> ont été révélées par des pénuries massives lors de la crise du Covid-19. Les autorités publiques de nombreux pays envisagent désormais la survenue d’autres pandémies, notamment celles que le réchauffement climatique pourrait favoriser. Parallèlement, la sécurisation des approvisionnements dans le domaine de la santé, comme dans tant d’autres, relève de plus en plus de la géostratégie à l’instar de la place accordée aux biotechnologies dans la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_184303.htm">politique d’innovation de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN</a>). Enfin, transition écologique oblige, la « décarbonation » est devenue un <a href="https://www.leem.org/presse/transition-ecologique-le-secteur-pharmaceutique-s-engage-sur-une-trajectoire-de">objectif primordial</a> dans la fabrication et les échanges des produits de santé. Tous ces éléments devraient conduire à un repositionnement géographique des entreprises des pays avancés au sein des chaînes de valeur internationales.</p>
<hr>
<p><em>Ce billet reprend des extraits du <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/panorama/abstract.asp?NoDoc=13898">Panorama du CEPII 2023-03</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214276/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur s’est fortement internationalisé depuis le début des années 2000, à la fois en termes de production et de vente. Ces interdépendances ont cependant fragilisé la filière.Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPIIAude Sztulman, Chercheur associé au CEPII, Maître de conférences, Université Paris Dauphine – PSLGuillaume Gaulier, Chercheur associé, CEPIIPierre Cotterlaz, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.