tag:theconversation.com,2011:/institutions/universite-paris-saclay-2174/articlesUniversité Paris-Saclay2024-03-28T16:36:23Ztag:theconversation.com,2011:article/2254172024-03-28T16:36:23Z2024-03-28T16:36:23ZLe médiateur européen et la guerre en Ukraine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582853/original/file-20240319-26-cqx29y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1797%2C1199&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’Irlandaise Emily O’Reilly exerce la fonction d’ombudsman de l’UE depuis 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.europarl.europa.eu/topics/en/article/20210610STO05909/new-rules-to-allow-eu-ombudsman-to-serve-europeans-better">Fred Marvaux/Parlement européen</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été co-écrit avec Dimitri Oudin, président départemental et membre du Bureau national du Mouvement européen, adjoint au maire de Reims en charge des relations internationales et des affaires européennes.</em></p>
<p>La fonction d’<a href="https://www.un.org/ombudsman/fr/about-us/an-ombudsman">ombudsman</a>, aussi appelé « médiateur », ou « Défenseur des droits », existe désormais dans plus de 120 pays du monde. Dans les pays où l’ombudsman n’est pas qu’un <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-36112536">poste fantoche</a>, il est l’un des garants essentiels de l’État de droit. Sa raison d’être est de contribuer à protéger les citoyens d’un éventuel mauvais fonctionnement du service public et à prévenir d’éventuels abus de pouvoir de l’administration.</p>
<p>Au niveau de l’UE, l’ombudsman est <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/18/le-mediateur-europeen">élu par le Parlement européen</a> pour la durée de sa législature, c’est-à-dire cinq ans. Il a pour rôle de <a href="https://doi.org/10.51149/ROEA.1.2020.1">promouvoir la démocratie</a> et de garantir une <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-319-98800-9_19">administration européenne transparente et éthique</a>. Il agit à la fois en tant que médiateur au niveau de l’ensemble de l’UE et en tant que coordinateur du <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/european-network-of-ombudsmen/about/fr">Réseau européen des médiateurs</a>, qui regroupe les médiateurs de chacun des membres de l’Union et au-delà (notamment les pays candidats à l’adhésion à l’UE tels que la Moldavie, l’Albanie, la Serbie ou l’Ukraine).</p>
<p>À l’heure de la guerre en Ukraine, ce poste stratégique, détenu depuis 2013 par l’Irlandaise <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/emily-oreilly;jsessionid=18048767AB23EAA19EA1C3931EA68A71">Emily O’Reilly</a>, mérite d’être particulièrement mis en lumière.</p>
<h2>Des prérogatives progressivement étendues</h2>
<p>Le médiateur européen naît « dans les textes » en 1992, dans le cadre du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:11992M/TXT">Traité de Maastricht</a>, avant de trouver sa première expression opérationnelle en 1995, lorsque le premier d’entre eux, le Finlandais Jacob Söderman, est élu par le Parlement européen. Il exercera cette fonction jusqu’en 2003, année où lui succédera pour dix ans le Grec Nikifóros Diamandoúros, lui-même remplacé en 2013 par Emily O’Reilly.</p>
<p>Créé concomitamment à la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/la-citoyennete-europeenne">citoyenneté européenne</a>, institutionnalisée elle aussi par le Traité de Maastricht, le médiateur européen est censé <a href="https://doi.org/10.3917/poeu.061.0114">renforcer cette notion de citoyenneté supranationale</a>, comme l’explique la chercheuse Hélène Michel : « La possibilité pour les citoyens de saisir le Médiateur ne consiste pas seulement en l’augmentation de la protection du citoyen face à l’administration européenne. Elle s’inscrit dans une perspective plus générale, d’une part de renforcement de la légitimité des institutions en donnant le droit au citoyen de demander des comptes aux institutions européennes, et d’autre part de réduction de la distance qui séparerait ces institutions et les citoyens ».</p>
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<p>Précisons que la formule « médiateur européen » désigne à la fois la personne en charge de la fonction et l’entité que cette personne dirige (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/office/staff">75 personnes</a>, pour un budget d’<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/pdf/en/167855">environ 13 millions d’euros</a>).</p>
<p>Malgré un nombre de plaintes relativement faible (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/doc/annual-report/en/183636">750 par an en moyenne, tournées pour un tiers contre la Commission européenne, les autres concernant des institutions de moindre importance</a>, et souvent formulées par des citoyens ayant un lien professionnel avec l’Europe) au regard de la taille de l’espace politique européen, le médiateur a peu à peu étendu son influence symbolique et politique comme instrument de « transparence » et de support à l’exercice de la citoyenneté européenne.</p>
<p>La <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/690635/EPRS_ATA(2021)690635_FR.pdf">réforme de 2021</a> a considérablement contribué à l’« institutionnalisation » de sa légitimité politique car elle a étendu ses prérogatives : sa fonction n’est désormais exclusivement plus uniquement défensive puisqu’il peut notamment utiliser le <a href="https://doi.org/10.3917/rfap.181.0189">dispositif d’enquête d’initiative stratégique</a>, qui vise à identifier en amont, de manière dite proactive, les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2022-1-page-187.htm?ref=doi">domaines d’importance considérée comme stratégique</a>. À titre d’exemple, le médiateur européen vient de lancer, début 2024, une <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/case/fr/65545">initiative stratégique</a> visant à garantir une transparence suffisante quant à la manière dont la Commission européenne utilise l’intelligence artificielle.</p>
<p>Le mandat du médiateur européen couvre « l’ensemble de l’administration de l’UE, à l’exception du Parlement européen dans son rôle politique et de la Cour de justice de l’Union européenne dans son rôle judiciaire. Le médiateur européen <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/en/speech/en/175670">n’enquête pas sur les actions politiques des députés européens ou sur les décisions de la Cour</a> ».</p>
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<p>Le médiateur est européen parce que son action se concentre sur les institutions de l’UE ; il l’est aussi parce qu’il est une déclinaison supranationale d’une initiative qui est née en Europe, <a href="https://doi.org/10.3917/rfap.123.0387">scandinave</a>, sous le terme d’ombudsman.</p>
<p>L’influence de la « version » suédoise est manifeste puisqu’elle avait pour objectif, sans remettre en question les décisions de la Couronne, de se retourner contre les excès de pouvoir de l’administration royale au nom des individus. Désormais, cette institution existe dans la quasi-totalité des États membres de l’UE, avec des compétences certes légèrement différentes selon les pays ; le médiateur européen <a href="https://doi.org/10.4337/9781785367311.00006">joue le rôle de coordinateur</a> entre ces différents médiateurs nationaux.</p>
<p>Ce besoin de coordination est apparu nécessaire puisque le médiateur européen ne peut investiguer que sur les cas de maladministration au niveau des institutions européennes, avec lesquelles les citoyens européens sont très peu en contact direct. Ces derniers peuvent en revanche être sujets à un excès de pouvoir d’une administration nationale, en raison d’une mise en application, par l’État membre dont ils sont résidents, d’une loi européenne. De telles situations font émerger un besoin de coopération entre le niveau européen et les niveaux nationaux de la médiation citoyen/administration.</p>
<p>C’est ainsi que, dès 1996, le Réseau européen des médiateurs a été créé, avec pour objectif, notamment, d’échanges de bonnes pratiques et d’investigations menées en bonne intelligence lorsqu’elles concernent des sujets qui peuvent toucher les deux niveaux de maladministration, nationale et européenne – et tout cela dans une perspective horizontale, ni contraignante, ni hiérarchique, entre l’Ombudsman européen et les institutions médiatrices nationales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"877177487758942209"}"></div></p>
<p>À ce jour, le Réseau se compose de près de 95 bureaux, présents dans 36 pays européens, qu’il s’agisse de pays membres de l’UE, de pays qui ne le sont pas, ou de pays candidats à l’adhésion à l’UE, comme l’Ukraine.</p>
<p>Sur ce point, il convient de rappeler que la garantie du respect de la démocratie, de l’État de droit et par conséquent des droits fondamentaux des citoyens figure parmi les conditions d’adhésion des pays candidats à l’Union. Cette conditionnalité a été d’autant plus importante que les élargissements successifs, depuis le <a href="https://theconversation.com/comprendre-lhistoire-de-lue-par-ses-elargissements-successifs-de-1973-a-1986-cap-au-sud-226063">milieu des années 1980 avec l’Espagne et la Grèce notamment</a>, puis au début des années 2000 avec les pays d’Europe centrale et orientale post-communistes, ont souvent concerné des États qui étaient en train d’opérer ou venaient de réaliser une transition démocratique – transition que leur entrée dans l’UE a permis de consolider.</p>
<p>Aujourd’hui, l’institution de l’Ombudsman, <a href="https://www.ombudsman.gov.ua/en/about">présente en Ukraine</a>, et la qualité de son travail, font explicitement partie des éléments de l’évaluation forgée par la Commission européenne <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52022DC0407">dans le cadre de l’examen de la candidature ukrainienne à l’UE</a>.</p>
<h2>L’action menée par l’ombudsman depuis le début de la guerre en Ukraine</h2>
<p>Nous avons recensé les principales minutes et décisions du Réseau européen des médiateurs sur la période mai 2022-octobre 2023 avec comme principal critère de sélection sa saisine au regard du rôle des institutions européennes en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.</p>
<p>Plus particulièrement, nous avons identifié trois thématiques dominantes : 1) l’accueil des réfugiés au sein de l’UE ; 2) la transparence du processus décisionnel du Conseil de l’UE en lien avec les sanctions envers la Russie ; et 3) l’adhésion prochaine de l’Ukraine à l’UE examinée à l’aune des progrès du pays en matière de démocratie, d’État de droit et de lutte contre la corruption.</p>
<p>Le 10 mai 2022, <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/event/fr/1438">lors de la Conférence du Réseau européen des médiateurs à Strasbourg</a>, Emily O’Reilly soulignait qu’elle souhaitait avant tout définir « de quelle manière nous (les médiateurs européens) pouvons soutenir et surveiller au mieux les efforts déployés par l’UE pour offrir un abri et une protection à tous ceux qui sont contraints de quitter leur foyer et leur famille en Ukraine ». Le rôle des médiateurs européens est ainsi de veiller à ce que les réfugiés bénéficient de leurs droits, à savoir principalement d’« un accès aux soins de santé, à l’emploi, au logement, à l’éducation et au soutien social », dans les États membres où ils ont fui, tout en alertant sur le risque de traite des êtres humains.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1512081976420798470"}"></div></p>
<p>En ce qui concerne les sanctions infligées à la Russie, le médiateur européen a avant tout cherché à s’assurer de la capacité des citoyens européens à pouvoir consulter auprès de la Commission les documents relatifs à ces sanctions. En juin 2022, il a demandé au Conseil de l’UE la mise à disposition proactive de documents concernant l’adoption des sanctions contre la Russie, afin d’évaluer la transparence du processus décisionnel du Conseil de l’UE relatif à ces sanctions, ce qui lui a toutefois été refusé.</p>
<p>Par ailleurs, le médiateur européen a été saisi par un citoyen européen, suite au refus de la Banque centrale européenne d’accorder l’accès du public à des documents relatifs à la mise en application de ces sanctions vis-à-vis de la Russie. Le médiateur a été en capacité de consulter les documents en question et ainsi d’évaluer la réponse de la BCE qui justifiait ce refus par le fait qu’une divulgation intégrale porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique financière, monétaire ou économique de l’Union et les relations financières internationales. Suite à son enquête, le médiateur <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/opening-summary/fr/158540">a conclu</a> qu’il n’y avait « pas eu de mauvaise administration par la Banque centrale européenne ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1534087046653943808"}"></div></p>
<p>Quant à la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, Emily O’Reilly s’est publiquement interrogée sur la conditionnalité de cette adhésion au respect de l’État de droit sur le territoire ukrainien : « L’UE a-t-elle la patience stratégique d’attendre la transformation des institutions ukrainiennes que le gouvernement a promise dans le cadre de ses réformes de lutte contre la corruption ? Ou le désir de créer rapidement un contrepoids géopolitique cohérent à la puissance dure russe et chinoise impliquera-t-il de fermer les yeux sur les lacunes institutionnelles ? »</p>
<p>Ces lacunes institutionnelles, si elles sont acceptées en l’état pour accélérer le processus d’adhésion, seront mises à l’épreuve par la possibilité pour tout citoyen européen de saisir le médiateur. C’est d’ailleurs déjà le cas, à l’image de la décision rendue le 18 août 2022 concernant le refus du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de donner au public l’accès à un document concernant la suspension de partis politiques en Ukraine (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/decision/fr/159606">affaire 952/2022/MIG</a>).</p>
<h2>L’ombudsman ukrainien, un cas à part ?</h2>
<p>Une adhésion de l’Ukraine à l’UE renforcerait le poids du médiateur européen dans l’évaluation de la nécessaire transformation institutionnelle du pays. D’autant plus que l’indépendance de l’institution de l’ombudsman ukrainien vis-à-vis du pouvoir politique ne semble pas totale à ce stade. Ainsi, au terme du mandat de la médiatrice Valeria Lutkovska en 2017, il a fallu près d’un an au Parlement ukrainien pour désigner sa successeure, durée pendant laquelle la <a href="https://www.dw.com/en/why-ukraines-human-rights-chief-lyudmyla-denisova-was-dismissed/a-62017920">communauté internationale s’est inquiétée du manque de transparence et de l’ultra-politisation de cette nomination</a>. Deux des trois candidats étaient membres du Parlement (instance électrice de l’ombudsman) alors que les dispositions légales étaient relativement floues à ce sujet, puisqu’ils étaient censés être inéligibles à cette élection, sauf à démissionner de leur mandat – ce que Lyudmila Denisova fit, une fois enfin élue à ce poste en mars 2018.</p>
<p>Fin mai 2022, trois mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, Lyudmila Denisova a été <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/en-ukraine-le-parlement-renvoie-la-chargee-des-droits-humains-faute-de-resultats-20220531_O3AIETOU75DE7E6EUTUCOZQ7CQ/">démise de ses fonctions par le Parlement</a>. Elle avait été publiquement critiquée, notamment par un certain nombre d’associations humanitaires, pour sa gestion de la crise, notamment pour <a href="https://www.newsweek.com/lyudmila-denisova-ukraine-commissioner-human-rights-removed-russian-sexual-assault-claims-1711680">sa communication concernant les crimes sexuels supposément commis par des soldats russes à l’égard d’enfants</a> ; pour autant, <a href="https://ganhri.org/ganhri-and-ennhri-letter-on-nhri-ukraine/">ces mêmes associations se sont émues de la manière dont son mandat a été interrompu</a>, alors que rien dans la Constitution ni dans la loi ordinaire ne prévoyait une telle disposition.</p>
<p>Cette procédure n’a pu être justifiée que par l’instauration de la loi martiale, compte tenu des circonstances exceptionnelles ; elle n’en a pas moins été dénoncée par la <a href="https://www.ohchr.org/fr/countries/ukraine/our-presence">Mission de surveillance des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine</a>, qui y a vu une « violation du droit international ». À notre connaissance, les représentants des institutions européennes, y compris de l’Ombudsman européen, n’ont pas publiquement dénoncé le limogeage de Denisova.</p>
<p>On peut néanmoins supposer que la nomination rapide, dès juin 2022, du nouvel ombudsman, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/10/dmytro-lubinets-commissaire-aux-droits-humains-ukrainien-le-comite-international-de-la-croix-rouge-doit-publiquement-condamner-la-russie_6161241_3210.html">Dmytro Lubinets</a>, montre que Kiev accorde une importance certaine à ce poste, notamment dans la perspective de sa candidature à l’adhésion à l’UE.</p>
<h2>Les futurs élargissements et l’importance de l’ombudsman</h2>
<p>Dans un monde en tension et face aux ambitions de plus en plus affirmées des puissances russe et chinoise, l’UE semble déterminée à accélérer le processus d’adhésion de certains États candidats, comme l’Ukraine mais aussi la Moldavie et, à plus lointaine échéance, la Géorgie. Les lacunes institutionnelles constatées dans ces États devront être rapidement corrigées, quand bien même l’UE ferait preuve d’une certaine mansuétude à leur égard, au vu du contexte international qui l’incite à agir prestement.</p>
<p>À terme, chacun de ces pays devra disposer d’un médiateur national qui agira à la fois de façon indépendante à l’intérieur et en concertation, si besoin, avec le Réseau européen des médiateurs, dont l’ombudsman européen est le coordinateur. Dès lors, ce dernier pourrait se trouver ainsi renforcé dans son influence au sein des frontières de l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ombudsman, ou commissaire aux droits de l’homme, se fait progressivement une place au cœur des institutions de l’UE, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine.Guillaume Martin, Maître de conférences, Centre de recherche en management (LAREQUOI), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216662024-03-13T15:57:27Z2024-03-13T15:57:27ZRéindustrialisation (verte) : un retard européen à combler<p>Le débat autour de la place et de la dynamique de l’industrie au sein de l’Union européenne (UE) n’est pas aisé, tant il est phagocyté par des considérations nationales, entre des pays dotés d’un secteur manufacturier puissant, comme l’Allemagne, et d’autres aux prises avec un déclin amorcé il y a plusieurs décennies, comme la France. Au-delà de cette hétérogénéité au sein de l’UE, le décrochage de cette dernière en matière d’investissements dans les secteurs stratégiques (notamment pour la transition écologique) est inquiétant.</p>
<p>Sur la période 2016-2023, l’Union européenne n’a en effet représenté que <a href="https://trendeo.net/blog/parution-du-8e-barometre-mondial-des-investissements-industriels/">6,5 % des investissements industriels annoncés dans le monde</a>, là où les États-Unis en captaient 17 %, la Chine 19 % et l’ensemble de l’Asie 55 %, selon les chiffres du cabinet d’études Trendeo. L’écart est encore plus important pour les méga-investissements industriels – plus de 5 milliards de dollars – annoncés dans le monde, où la part de l’UE tombe à 2 % sur la période.</p>
<p>Si les entreprises européennes ont une capacité d’investissement forte (et proche de celle des entreprises américaines), elle est surtout employée hors de l’UE : les entreprises européennes investissent davantage à l’étranger, si bien que l’UE ne reçoit que l’équivalent d’un peu plus de la moitié de leur capacité d’investissement (et les investissements étrangers en Europe ne permettent pas de compenser).</p>
<p><iframe id="eN52o" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eN52o/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le tableau ne s’améliore guère du côté de la production, notamment dans le <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/lindustrie-europeenne-des-vehicules-electriques-doit-elle-craindre-le-protectionnisme-vert-americain/">secteur clé de l’automobile électrique</a> : l’Europe produit certes 25 % des voitures électriques, contre 10 % aux États-Unis, mais la Chine plus de la moitié. S’agissant des batteries, la Chine produit plus de 75 % des batteries issues de la technologie dominante, contre 7 % tant pour l’Europe que pour les États-Unis.</p>
<p>Le retard pris par les pays de l’UE est donc substantiel. Une politique vigoureuse d’investissement apparaît comme un moyen nécessaire, parmi d’autres, pour y remédier.</p>
<h2>Un soutien public massif aux États-Unis</h2>
<p>La comparaison des stratégies américaines et européennes en la matière ne plaide pas en faveur de l’Europe. Les moyens avancés par les États-Unis sont bien supérieurs à ceux mis en œuvre par l’UE. Pour les premiers, l’<a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">Inflation Reduction Act</a> (IRA), dont le coût sur dix ans était estimé à 385 milliards de dollars, pourrait représenter plus de 1 000 milliards d’argent public : la plupart des mesures ne sont en effet pas plafonnées, que ce soit en volume ou en valeur, et le coût total dépendra du degré d’utilisation des crédits d’impôt, qui s’est révélé jusqu’à présent <a href="https://budgetmodel.wharton.upenn.edu/estimates/2023/4/27/update-cost-climate-and-energy-inflation-reduction-act">beaucoup plus élevé que prévu</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636395782847774722"}"></div></p>
<p>Du côté européen, si le caractère disparate des différents dispositifs, additionnant financements publics (européens ou nationaux) et privés, financements directs et crédits (par exemple, de la Banque européenne d’investissement), rend délicates les comparaisons, les montants publics mobilisés semblent néanmoins bien plus limités.</p>
<p>Un des plans phares, le Net Zero Industrial Act (NZIA), destiné à soutenir la production de technologies propres au sein de l’UE, affiche par exemple un montant de 92 milliards d’euros pour la période 2023-2030. Mais il s’agit d’un montant reposant sur un effet de levier substantiel : ces investissements de 92 milliards reposeraient sur seulement 16 à 18 milliards d’euros de soutiens publics directs.</p>
<p>L’écart entre les deux rives de l’Atlantique est encore plus flagrant lorsque l’on compare les aides, non pas d’un point de vue macroéconomique, mais à l’échelle des projets. Par exemple, le soutien américain pour les producteurs de batteries serait en moyenne <a href="https://www.menon.no/wp-content/uploads/2023-46-Battery-subsidy-regimes.pdf">plus de 3 fois supérieur aux aides européennes</a>.</p>
<p>Ce retard à l’allumage de l’Europe n’est pas surprenant. La Commission européenne a longtemps rejeté l’idée même de politique industrielle : jusqu’à récemment, elle estimait que celle-ci devait idéalement reposer sur la politique de concurrence au niveau du marché unique, le libre-échange et une politique de recherche et développement, sans que les contours de cette dernière soient réellement précisés.</p>
<h2>L’UE change de logiciel</h2>
<p>Il faut cependant souligner deux inflexions significatives dans le logiciel européen.</p>
<p>Tout d’abord, la création du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), entré en vigueur dans sa phase transitoire le 1<sup>er</sup> octobre 2023, a pu être interprétée comme marquant l’émergence d’une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/06/21/comment-la-montee-du-protectionnisme-vert-penalise-les-pays-pauvres_6178593_3234.html">forme de protectionnisme vert européen</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-ajustement-carbone-aux-frontieres-de-lue-nest-pas-sans-risque-pour-les-pays-les-plus-pauvres-197218">Un ajustement carbone aux frontières de l’UE n’est pas sans risque pour les pays les plus pauvres</a>
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<p>L’objectif de ce dispositif est d’éviter les « fuites de carbone », c’est-à-dire le déplacement des productions de l’UE vers des pays ayant des politiques climatiques moins exigeantes et leur remplacement par des importations carbonées. Pour cela, les importateurs européens de certains produits, comme l’acier ou l’aluminium, devront payer le même prix pour le carbone contenu dans les produits importés que celui payé par les producteurs européens.</p>
<p>Si le MACF marque une inflexion très nette du logiciel européen, il souffre à l’heure actuelle de deux failles. D’une part, il pourrait pénaliser la compétitivité à l’exportation des industriels européens, d’abord car les exportateurs européens vont payer leurs intrants plus cher du fait du MACF, et deuxièmement car ils devront progressivement, lorsqu’ils produisent en Europe, s’acquitter de quotas carbone (jusqu’alors gratuits pour les sites les plus intensifs en énergie) alors que leurs concurrents sur les marchés à l’exportation n’ont pas à s’acquitter d’un tel coût.</p>
<p>D’autre part, le dispositif actuel ne couvre que quelques grands intrants industriels et non les produits finis ni la majorité des semi-finis. Il existe donc un risque de « délocalisation » de l’aval des chaines de production : un produit fini ou semi-fini à base d’acier ou d’aluminium mais transformé hors de l’UE échappe au MACF, ce qui peut inciter les producteurs à délocaliser pour réimporter ensuite au sein des Vingt-Sept.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/concilier-ambition-climatique-et-concurrence-mondiale-quel-role-pour-le-mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-212927">Concilier ambition climatique et concurrence mondiale : quel rôle pour le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ?</a>
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<p>Par ailleurs, la montée en puissance des projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC) constitue une deuxième inflexion significative aux règles de libre concurrence de l’UE : ils visent à promouvoir l’innovation dans des domaines industriels stratégiques et d’avenir, au travers de projets européens transnationaux. Leur particularité est de ne pas reposer sur des financements de l’UE, mais sur les budgets nationaux, pour des montants allant au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne en matière d’aides d’État.</p>
<p>Le <a href="https://www.economie.gouv.fr/france-2030">plan France 2030</a> s’inscrit dans ce cadre : plus de la moitié de l’enveloppe de 54 milliards prévue dans ce plan a été engagée en deux ans. En tenant compte de l’effet de levier sur les financements privés, cela représente plus de 40 milliards d’euros engagés depuis 2021, et plus de 85 milliards d’euros qui devraient être investis sur cinq ans dans des projets visant à stimuler l’innovation dans des secteurs stratégiques (véhicules électriques, hydrogène, spatial, quantique, etc.), des montants très importants à l’échelle française.</p>
<h2>Risques de divergences</h2>
<p>L’assouplissement des règles permis par le cadre des PIIEC pose néanmoins la question de l’hétérogénéité des marges de manœuvre budgétaires nationales et du risque de fragmentation. La monnaie unique a, en effet, accentué les divergences réelles au sein de la zone euro : <a href="http://gesd.free.fr/krugman93.pdf">comme l’avait anticipé le prix « Nobel » d’économie Paul Krugman</a>, dans un contexte de forte mobilité des facteurs de production, une intégration accrue entre pays aboutit à un renforcement de leurs spécialisations.</p>
<p>À cet égard, l’assouplissement des PIIEC risque de réserver les investissements massifs aux pays budgétairement « vertueux », qui sont très souvent déjà ceux disposant d’un secteur industriel puissant. Maintenir une base industrielle forte permet en effet de générer de la richesse à long terme, et d’avoir ainsi moins recours à l’endettement pour stimuler l’activité économique. Ces facteurs contribuent à ce que les pays les plus industrialisés aient les marges de manœuvre budgétaires les plus fortes, ce qui représente un autre facteur puissant de divergence au sein de la zone euro.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Drapeaux des pays membres de l’UE" src="https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’enjeu de réindustrialisation constitue un autre facteur puissant de divergence au sein de la zone euro.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/european_parliament/35139054432">European Parliament</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Une augmentation de l’endettement au niveau européen permettrait de répondre à ce risque de fragmentation accrue. Ceci réclamerait un engagement de plusieurs centaines de milliards de dollars, qui pourraient être financé selon des modalités proches de celles retenues dans le cadre du plan de relance européen <a href="https://next-generation-eu.europa.eu/index_fr">Next Generation EU</a> initié en 2020 (750 milliards d’euros financés par un emprunt au niveau de l’UE), à condition de parvenir à un nouvel accord politique en ce sens.</p>
<h2>La voie des clauses de contenu environnemental</h2>
<p>L’Europe dispose d’un atout qui pourrait être davantage mobilisé : un mix énergétique moins carboné. Le développement de clauses de conditionnalité environnementale – sur le modèle du <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16766">nouveau bonus français sur les voitures électriques</a> – apparaît ainsi comme une voie prometteuse pour favoriser la production européenne, tout en respectant le cadre légal de l’UE.</p>
<p>Ces clauses permettent d’atteindre des objectifs proches des clauses de contenu local, en contournant l’interdiction de ces dernières : aucun modèle de voiture électrique produit en Asie, et particulièrement en Chine, n’a ainsi été éligible au bonus écologique français en 2024. S’appuyer sur des clauses de conditionnalité environnementale est aussi une façon de réorienter la commande publique vers la production française et européenne.</p>
<p>Il s’agit d’un enjeu de taille : la commande publique représente de 10 % à 20 % du PIB des pays membres de l’UE. La loi française <a href="https://www.economie.gouv.fr/daj/la-loi-ndeg-2023-973-du-23-octobre-2023-relative-lindustrie-verte-renforce-la-commande-publique">« Industrie verte »</a>, adoptée en octobre 2023, fait un premier pas en ce sens, avec la création d’un label permettant d’intégrer les critères environnementaux dans la commande publique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cette contribution est publiée en partenariat avec le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/">Printemps de l’Économie</a>, cycle de conférences-débats qui se tiendront du mardi 2 au vendredi 5 avril au Conseil économique social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/12e-edition-2024">programme complet</a> de l’édition 2024, intitulée « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221666/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les montants des investissements européens dans des technologies comme les batteries électriques ou les semi-conducteurs restent limités par rapport à la Chine ou aux États-Unis.Thomas Grjebine, Économiste, Responsable du programme Macroéconomie et finance internationales, CEPIIJérôme Héricourt, Professeur d'économie, conseiller scientifique au CEPII, Université d’Evry – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2254712024-03-12T16:09:35Z2024-03-12T16:09:35ZMobilisation contre l’A69 : vers de nouvelles dynamiques de la violence ?<p>Le 22 et 23 février 2024, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement s’est rendu auprès des activistes de la ZAD du site dit « de Crem’Arbre » qui s’oppose à l’autoroute A69 ainsi qu’auprès des autorités locales. Sa déclaration, <a href="https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_De%CC%81claration_fin_mission_Tarn_29.02.2024_FR.pdf">publiée le 29 février 2024</a>, dénonçait des pratiques de répression</p>
<blockquote>
<p>« qui entrent dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, visée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des obligations internationales de la France relatives à la <a href="https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_De%CC%81claration_fin_mission_Tarn_29.02.2024_FR.pdf">Convention contre la torture des Nations unies</a> ».</p>
</blockquote>
<p>Il <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/29/a-69-le-rapporteur-des-nations-unies-demande-des-mesures-immediates-pour-proteger-les-opposants-au-projet-d-autoroute_6219270_3244.html">réclamait en particulier</a></p>
<blockquote>
<p>« une enquête et des sanctions pour les actes de privation de sommeil, de combustion de matériaux, d’allumage de feux et de déversement de produits a priori inflammables par les forces de l’ordre, qui ont pu mettre en danger la vie des “écureuils” [les militants installés dans les arbres] ». </p>
</blockquote>
<p>De leur côté, le 8 mars 2024 lors d’un rassemblement républicain à Saïx, les élus décrivaient la Crem’Arbre comme « une zone de guerre avec des tranchées, et des pièges » (citation attribuée au maire de Saïx par <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/manif-des-elus-pour-l-a69-la-zad-une-zone-de-guerre-pour-le-maire-de-saix-1953179#"><em>France Bleu</em></a>). Ils inscrivaient aussi les actions écologistes « parmi les heures les plus sombres de l’histoire » (citation attribuée au préfet du Tarn dans le même article).</p>
<p>Le conflit contre l’A69 témoignerait-il d’une nouvelle dynamique de la violence dans les conflits environnementaux ?</p>
<p>Le mouvement social écologiste justifie ici l’exercice de la violence par les <a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-violence-des-mouvements-ecologistes-le-rituel-de-lecodesordre-entre-spectacle-et-espoir-dun-nouveau-monde-217934">moyens (en particulier répressifs) déployés par l’État pour le réguler</a>. Or, comme l’écrivait le <a href="https://journals.openedition.org/clio/11976">sociologue allemand Harald Welzer</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Au-delà de toutes règles du droit international, l’exercice de la violence n’a rien de statique mais évolue constamment en fonction des conditions générales engendrées par les structures, les personnes et les situations. »</p>
</blockquote>
<p>La situation écologique dégradée, l’extrême détermination des activistes écologistes, la diversité des tactiques employées par les mouvements sociaux et la structure du cadre répressif sont autant d’éléments qui interagissent entre eux et dictent la dynamique de la violence. Ici, ils sont de l’ordre de l’emballement.</p>
<h2>ZAD d’en bas, ZAD d’en haut</h2>
<p>Dès le 12 novembre 2023, des activistes ont commencé à occuper des arbres sur le tracé de l’A69. Animés par une extrême détermination à défendre le vivant, ils sont prêts à faire rempart de leur corps contre un projet d’autoroute jugé écocidaire.</p>
<p>L’appel à la ZAD précisait en effet :</p>
<blockquote>
<p>« En moins d’un an, NGE (<em>l’entreprise en charge des travaux de l’autoroute A69, ndla</em>) est parvenu à massacrer tous les écosystèmes forestiers […].</p>
<p>Tous ? Non. Route de la Cremade à Saix, à quelques encablures de la CremZad expulsée le 22 octobre, la Crem’Arbre résiste encore et toujours, dernière forêt debout sur le tracé. »</p>
</blockquote>
<p>La tactique militante consistant à habiter un arbre pour en empêcher sa « mise à mort » n’est pas une pratique nouvelle. En 1995 aux États-Unis, Julia « Butterfly » Hill grimpait dans dans le Séquoia « Luna », vieux de 1 000 ans, à plus de 55 mètres de haut <a href="https://www.editionslibre.org/produit/de-seve-et-de-sang-julia-butterfly-hill-legacy-of-luna-livre-sequoia/">pour y rester deux ans</a>.</p>
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<p>En France, la pratique a récemment pris de l’ampleur, même si elle reste assez marginale. Elle a été médiatisée par le <a href="https://gnsafrance.org">Groupe national de surveillance des arbres</a> (GNSA) et les grèves de la faim de <a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">Thomas Brail, qui s’était perché dans un arbre et avait entrepris une grève de la faim</a> face au ministère de la Transition écologique l’automne dernier.</p>
<p>Mais le dispositif tactique sur le site dit « de Crem’Arbre » ne se réduit pas à cette occupation des cimes. En effet, ce qui constitue son originalité, c’est bien sa topographie, à la fois au sol et en l’air, un écosystème à la fois relié et indépendant, entre ZAD en altitude et ZAD au sol.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">Thomas Brail et l’A69, ou les paradoxes de la désobéissance civile</a>
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<p>En haut dans les arbres, les habitations reliées entre elles par un ensemble de tyroliennes sont plus ou moins sophistiquées. Elles vont de la simple tente jusqu’à d’impressionnantes cabanes, comportant parfois panneau solaire, cuisine et poêle pour se chauffer. Les « écureuils », arboristes, grimpeurs et grimpeuses (dont certains internationaux ayant passé leur vie dans les arbres) qui habitent ce monde du haut ne descendent apparemment qu’en de très rares occasions, pouvant vivre avec une certaine autonomie.</p>
<p>Celle-ci va toutefois de pair avec d’importants sacrifices. Les « écureuils » doivent affronter le froid, l’attente, la faim, la précarité des soins corporels de base, sans parler du danger de la potentielle chute, ce qui demande un niveau d’engagement pour le moins extrême.</p>
<p>Cette pratique d’occupation des arbres s’inscrit dans le cadre de la <a href="https://theconversation.com/la-desobeissance-civile-climatique-les-etats-face-a-un-nouveau-defi-democratique-214988">désobéissance civile</a>, fondamentalement non violente. Pourtant, on peut considérer qu’elle implique de consentir à une certaine forme de violence sacrificielle envers soi-même.</p>
<p>En bas, au pied des arbres, la ZAD de soutien aux « écureuils » a un fonctionnement et des pratiques militantes complémentaires, tout en lui étant propre. On y retrouve les tactiques plus offensives, qui y sont mieux acceptées : barricades et confrontations avec les forces de l’ordre, vol de matériel et sabotage d’engins de chantiers…</p>
<p>Le fait de recourir à ce genre d’actions directes plus offensives pour la défense des arbres n’est pas nouveau : à l’international, elles étaient déjà pratiquées sous forme d’<a href="https://journals.openedition.org/trans/851">« éco-tage »</a> (sabotage pour motifs environnementaux) et de <a href="https://www.britannica.com/topic/monkeywrenching">« monkey-wrenching »</a> (sabotage non violent, popularisé par le roman <em>The Monkey Wrench Gang</em> – traduit en français par « Le Gang de la clef à molette » – de l’Américain Edward Abbey en 1975) dans les années 1980 par Judi Bari, l’une des fondatrices de Earth First !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/plus-haute-zad-deurope-faut-il-encore-amenager-les-glaciers-alpins-216918">« Plus haute ZAD d’Europe » : faut-il encore aménager les glaciers alpins ?</a>
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<h2>« Monde de merde » vs « autre monde »</h2>
<p>Notons que ces violences écologistes relèvent rarement du registre de la violence <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/24/les-racines-de-la-violence_1675170_3232.html">autotélique</a> (c’est-à-dire, qui est sa propre finalité en elle-même), mais plutôt d’un geste politique au service d’un imaginaire qui ferait entrevoir un autre monde.</p>
<p>L’occupation y est pensée « contre leur monde de merde », selon l’expression désormais consacrée dans de nombreuses luttes écologistes, mais aussi surtout « pour un autre monde », rendu présent par l’expérimentation active – ici, par la vie d’une ZAD – d’un autre modèle de société.</p>
<p>Ce type d’expérimentations n’est pas le fait d’un fantasmatique « groupuscule violent ». Le chantier de construction de la Crem’Arbre avait donné lieu à une mobilisation massive des défenseurs de l’environnement, y compris internationaux <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20240210-greta-thunberg-attendue-sur-la-cabanade-du-tarn-le-rassemblement-interdit-des-anti-a69">comme Greta Thunberg</a>.</p>
<p>Certes, il y a des désaccords entre les militants sur l’intensité des actions à mener. « Insulter et provoquer les forces de l’ordre attire la violence, les écureuils là-haut ont-ils envie de respirer des gaz lacrymogènes ? », s’interrogent certains. Quand d’autres accusent le mouvement d’être « trop mou, trop passif, la résistance ne peut se faire sans confrontation ! »</p>
<p>Ces débats ne sont pas sans rappeler les conflits autour des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/26/notre-dame-des-landes-la-route-des-chicanes-est-degagee_5247632_3224.html">barricades de la « route des chicanes »</a> de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, qui selon certain empêchaient l’intervention policière, quand d’autres estimaient qu’elles la favorisaient.</p>
<p>Malgré ces désaccords, qui existent à la Crem’Arbre ou ailleurs, un objectif commun s’était dessiné : défendre le vivant avec une détermination absolue, comme nous le rapportent des militants présents sur place.</p>
<blockquote>
<p>« Comment faire union dans un lieu qui est en perpétuelle désunion ? Il faut une force de caractère et une motivation assez fortes. Moi, c’est ça que je vois aussi, je ne vois pas juste les gens qui se déchirent sur comment elles ou ils doivent “être présents”, je vois aussi que tous ces gens ont envie d’être présents malgré tous les bâtons qu’ils ont dans les roues. »</p>
</blockquote>
<h2>Vers de nouvelles tactiques répressives ?</h2>
<p>Pour l’évacuation de la Crem’Arbre des cimes, un problème se posait : comment faire descendre ces « écureuils » ? En la matière, la tactique mise en œuvre par les forces de police est complexe. L’utilisation de nacelles ou d’unités spécialisées comme la <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/en-images/la-cnamo-une-unite-specialisee-dans-le-degagement-d-obstacles-complexes">CNAMO</a> (Cellule nationale d’appui à la mobilité, créée en 2011 à l’origine pour faire face aux activistes antinucléaires qui procédaient à des blocages terrerstres et aériens) peuvent représenter une mise en danger de la vie des activistes perchés sur les plus hautes cimes.</p>
<p>En effet, certains activistes menacent de se décrocher si les forces de l’ordre s’approchent trop près. Devant la contre-productivité des moyens répressifs habituels et le risque de la mort d’un activiste, les autorités se sont alors livrées à une véritable stratégie de siège visant explicitement à affamer l’adversaire, comme le montre la vidéo ci-dessous :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQyoVAmg0SI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tentative de ravitaillement sur la Crem’Arbre.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce que soulignait le Rapporteur spécial des Nations-Unis :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis le 15 février 2024 et jusqu’à ce jour, les autorités interdisent le ravitaillement en nourriture des “écureuils”. Entre le 15 et le 20 février 2024, les autorités ont également interdit le ravitaillement en eau des “écureuils”. Le 20 février, lorsque les autorités ont enfin permis aux “écureuils” d’avoir accès à l’eau potable, l’entreprise NGE chargée des opérations de défrichement sur place a percé les bidons d’eau apportés par les forces de l’ordre et destinés aux “écureuils” ».</p>
</blockquote>
<p>Ces privations de nourriture se sont accompagnées de privation de sommeil à l’aide de <a href="https://reporterre.net/Blindes-grenades-et-LBD-l-%C3%89tat-reprime-la-zad-contre-l-A69">lumières stroboscopiques, de martèlement de taules et de hurlements</a>. Un bidon d’essence a été vidé au pied de l’arbre occupé par une activiste <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/autoroute-a69-une-plainte-deposee-pour-mise-en-danger-volontaire-de-la-vie-d-autrui-vers-un-nouveau-campement-des-opposants-2926161.html">qui a filmé la scène</a>.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-violence-des-mouvements-ecologistes-le-rituel-de-lecodesordre-entre-spectacle-et-espoir-dun-nouveau-monde-217934">À quoi sert la violence des mouvements écologistes ? Le rituel de l’écodésordre, entre spectacle et espoir d'un nouveau monde</a>
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<hr>
<p>Déjà à Bure, un militant <a href="https://factuel.univ-lorraine.fr/node/6116">aurait été gratifié d’un bidon d’essence au motif « d’évacuation des substances dangereuses »</a>. Dans le cas qui nous occupe, on peut comprendre l’inquiétude de l’activiste lorsque l’on sait que des feux étaient allumés à proximité de son arbre, pas seulement pour brûler les bâtiments de la ZAD au sol, mais aussi parfois par les tirs de grenades lacrymogènes.</p>
<p>Enfin, l’intervention des autorités et la dénonciation de sa violence par les Nations-Unis ont leur propre grammaire.</p>
<ul>
<li><p>D’un côté pour les Nations unies, les écologistes sont des « défenseurs de l’environnement ».</p></li>
<li><p>Pendant ce temps, pour les autorités, ils sont des <a href="https://reporterre.net/Terroristes-chtarbes-les-promoteurs-de-l-A69-se-lachent-contre-les-opposants">« délinquants perchés dans les arbres »</a>, des « terroristes verts », une « secte d’ultra-gauche » ou des « éco-terroristes ».</p></li>
</ul>
<p>Il est bien évident que la répression ne devrait pas s’appliquer de la même manière à un défenseur de l’environnement, à un délinquant et encore moins à un terroriste. On peut donc se demander si les insultes assimilant les activistes à des animaux pendant l’évacuation de la Crem’Arbre ne relèvent pas d’un nécessaire mouvement de déshumanisation permettant l’exercice d’une violence plus intense par les forces de l’ordre.</p>
<p>Malgré l’évacuation du site, une autre ZAD, baptisée Cal’Arbre, <a href="https://reporterre.net/Lutte-contre-l-A69-les-militants-creent-une-nouvelle-zad">a déjà repoussé sur un autre lieu du tracé</a>.</p>
<h2>Mourir pour un arbre ?</h2>
<p>On peut rappeler que dans l’histoire des luttes écologistes, les défenseurs des arbres ont déjà été directement visés. En 1990, Judi Bari, militante de Earth First ! a été victime d’un <a href="https://daily.jstor.org/how-judi-bari-tried-to-unite-loggers-and-environmentalists/">attentat à la bombe dans sa voiture</a>. Plus récemment, en 2023, l’écologiste Manuel Esteban Paez Teran, a été <a href="https://reporterre.net/%C3%89tats-Unis-l-ecologiste-tue-par-la-police-a-ete-touche-par-57-balles">tué par balle par la police d’Atlanta</a>.</p>
<p>La situation n’est pas si violente pour les militants de la Crem’Arbre. Mais ils subissent tout de même des pressions violentes qui rappellent celles vécues par les activistes du premier roman d’action directe écologiste « Le gang de la clef à molette » d’Edward Abbey (1975). Les personnages, après avoir été affamés, assoiffés et privés de sommeil, finissent par émerger de leur canyon pour se rendre.</p>
<p>Toutefois, il existe un risque élevé dans la situation actuelle. C’est celui de la mort d’un activiste qui, ne cédant pas à la violence de la répression, mettrait finalement sa vie dans la balance. Thomas Brail l’avait déjà clairement signifié lors d’une intervention des forces de l’ordre : « Si vous continuez, vous aurez ma mort sur la conscience ».</p>
<p>À la célèbre question que posait Paul Watson aux membres de SeaShepherd « Êtes-vous prêt à mourir pour une baleine ? » pourrait désormais se faire entendre en écho :</p>
<blockquote>
<p>« Êtes-vous prêt à mourir pour un arbre ? »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/225471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Porchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les mobilisations contre l’A69 se poursuivent dans les arbres et au sol, il existe un risque significatif d’emballement de la violence. Un phénomène qui n’est pas sans précédent historique.David Porchon, Doctorant en sciences politiques, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239152024-03-07T16:19:29Z2024-03-07T16:19:29ZQuatre ans après le Covid, les régimes de télétravail restent moins favorables aux femmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576509/original/file-20240219-28-vjcwtt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C1%2C695%2C482&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">46% des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35% des hommes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pickpik.com/digital-nomad-millenial-woman-working-remotely-cafe-blonde-78850">Pickpic</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Près de 4 ans après le début de la pandémie mondiale de Covid-19, au cours de laquelle le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/teletravail-34157">télétravail</a> s’est particulièrement développé, l’<a href="https://obstt.fr/wp-content/uploads/sites/47/2023/12/Dossier_Presse-Observatoire_Teletravail-Ugict-CGT.pdf">enquête</a> de l’Observatoire du télétravail de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, publiée le 6 décembre dernier, permet de dresser un état des lieux. Il en ressort notamment que les femmes se montrent particulièrement adeptes de cette forme de travail, alors même qu’elle se décline pour elles de manière moins favorable.</p>
<p>Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter télétravailler davantage. Rien d’étonnant, puisqu’en réduisant les temps de transport, le télétravail offre la perspective d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux, dont la gestion repose principalement sur les femmes qui effectuent la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1303226/ES478E.pdf">majeure partie du travail domestique avant</a> comme <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6477736/01_ES536-37_Pailhe-et-al_FR.pdf">pendant la pandémie</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger</a>
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<p>Mais cette aspiration des femmes au télétravail est également intimement liée aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle en présentiel. Sur site, elles bénéficient en moyenne de <a href="https://www.cairn.info/revue-des-politiques-sociales-et-familiales-2023-4-page-15.htm?contenu=article">moins de libertés dans l’organisation de leur temps de travail</a>, pouvant moins souvent que les hommes modifier elles-mêmes leurs horaires ou s’absenter en cas d’imprévu, y compris à poste équivalent. Le télétravail leur promet ainsi une plus grande autonomie.</p>
<p>Enfin, dans la mesure où <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/synthese_stat__expositions_professionnelles__contraintes_organisationnelles__relationnelles.pdf">elles occupent plus souvent que les hommes des métiers en contact avec le public</a> et sont plus exposées à effectuer du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_prix_des_sentiments-9782707188960">« travail émotionnel »</a> avec la clientèle ou les collègues, le télétravail peut leur apparaître plus encore qu’aux hommes comme un moyen de se ménager des plages de travail avec moins d’interruptions et plus de concentration. Les télétravailleuses sont d’ailleurs plus nombreuses que les télétravailleurs à considérer que cette forme de travail leur permet de gagner en efficacité et une meilleure productivité, tout en étant moins sensibles qu’eux aux éventuelles déperditions d’information.</p>
<p><iframe id="40PdP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/40PdP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Le télétravail, plus contraignant au féminin</h2>
<p>Plus désiré par les femmes, le télétravail reste paradoxalement plus contraignant au féminin qu’au masculin. Plusieurs raisons à cela : les femmes disposent d’abord de moins de latitude pour faire valoir leurs souhaits et contraintes dans la mise en place de leur télétravail. Les choix du nombre de jours de télétravail hebdomadaire et de leur répartition sur la semaine leur sont plus souvent imposés qu’aux hommes (24 % pour les femmes et 13 % pour les hommes).</p>
<p>Ensuite, durant une journée de télétravail, les femmes sont plus souvent contraintes de respecter des plages horaires fixes durant lesquelles elles sont joignables (53 % contre 41 % des hommes), quel que soit leur niveau hiérarchique. Elles peuvent dès lors moins facilement que les hommes profiter du télétravail pour s’organiser en adaptant leurs horaires (22 % n’en ont pas la possibilité contre 12 % des hommes). Les conséquences sur le rythme de travail leur sont par ailleurs plus défavorables avec un travail plus dense en télétravail – 46 % des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35 % des hommes.</p>
<p>A contrario, si la moitié des répondants (femmes comme hommes) déclarent profiter du temps gagné dans les transports pour le consacrer au repos et à leur famille, les hommes se démarquent en déclarant davantage que le télétravail leur permet de consacrer du temps à leurs loisirs (44 % des hommes pour seulement 28 % des femmes) et/ou de travailler plus (39 % des hommes contre 31 % des femmes).</p>
<p>Le télétravail se solde donc pour les femmes par des journées <a href="https://www.cairn.info/revue-germinal-2023-1-page-124.htm">pas forcément plus longues mais plus intenses</a>, d’autant plus qu’elles restent <a href="https://luttevirale.fr/wp-content/uploads/2020/05/RAPPORT-ENQUETE-UGICT-CGT-VFINALE.pdf">moins bien équipées</a> par leurs entreprises et qu’elles sont <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/5171e9d0f2d214774c44afc82353563a/Dares-Analyses_Teletravail-durant-crise-sanitaire-Partiques-Impacts.pdf">plus souvent concernées que les hommes par des difficultés techniques</a> qui rendent leur activité moins fluide et plus hachée (problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques).</p>
<p><iframe id="cKLM1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/cKLM1/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Carence d’information</h2>
<p>Enfin, l’enquête de l’Observatoire du télétravail a pointé que les salariés sont trop rarement consultés lors de réorganisations des espaces de travail accompagnant la mise en place du télétravail (passage en « open space » ou en « flex office »).</p>
<p>Cette carence d’information s’observe également au niveau de l’organisation du travail. Un tiers seulement des salariés considèrent que la mise en place du télétravail a été décidée en concertation avec l’équipe. Les femmes semblent encore plus éloignées de ces prises de décisions : elles déclarent plus fréquemment que les hommes ne pas savoir comment le travail en équipe en distanciel a été organisé (28 % contre 21 % des hommes), ni si un dispositif de surveillance à distance de leur travail existe (47 % contre 39 %).</p>
<p>Les femmes sont donc à la fois plus contraintes par le télétravail et moins informées sur sa mise en place, ce qui témoigne de la place qu’elles occupent dans les politiques de télétravail des organisations.</p>
<h2>Le télétravail a souvent « mauvais genre »</h2>
<p>L’accès des femmes au télétravail reste relativement récent. Si elles télétravaillent aujourd’hui à même hauteur que les hommes et <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6966932/ip1941.pdf">même un peu plus</a>, pendant longtemps le télétravailleur type était un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/938f3d78a355590d73f21b2976526f8f/2004-51.3.pdf">homme, cadre</a>, qui travaillait à distance de manière occasionnelle et le plus souvent informelle, dans des arrangements interpersonnels au cas par cas.</p>
<p>Avant la pandémie encore, le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/dares_analyses_salaries_teletravail.pdf">télétravail occasionnel prédomine</a> sur le télétravail régulier : il reste l’apanage des cadres et demeure plus masculin. Il a fallu la crise sanitaire et la <a href="https://theconversation.com/teletravail-le-Covid-a-accelere-la-mise-en-place-de-formules-a-la-carte-174090">multiplication des accords de télétravail</a> pour que les femmes accèdent plus largement au télétravail, en particulier les femmes non-cadres, qui occupent des positions de professions intermédiaires ou d’employées dans des métiers de bureau.</p>
<p>Cette forte féminisation et cette relative démocratisation du télétravail ne se font pas sans heurts. Les <a href="https://www.cairn.info/le-travail-a-distance--9782348079481-page-203.htm">enquêtes ethnographiques</a> au long cours menées par l’une de nous montrent que les politiques de télétravail menées par les organisations ne sont pas neutres du point de vue du genre. Alors que le télétravail est en théorie destiné à toutes et tous, elles en dessinent des figures plus ou moins désirables et légitimes, marquées par des stéréotypes.</p>
<p>Dans un certain nombre d’organisations, le télétravail est mis en place à reculons, du fait d’obligations réglementaires ou de la crise sanitaire. Il est conçu comme une politique sociale très (trop) favorable aux salariés qui risque de peser sur la productivité. À bien y regarder, le soupçon pèse d’abord sur les femmes et les mères de famille, suspectées d’être peu engagées et de vouloir télétravailler le mercredi pour garder leurs enfants, d’autant plus lorsqu’elles occupent des postes à peu de responsabilités.</p>
<p>Dans ces organisations, les hommes hésitent plus à recourir à un dispositif qui a « mauvais genre », tandis que les femmes qui le font sont stigmatisées et restent très contrôlées, leur travail à distance étant attentivement scruté.</p>
<p>Dans d’autres organisations, une <a href="https://www.anact.fr/teletravail-les-enjeux">orientation plus organisationnelle est donnée au télétravail</a>, abordé au contraire comme un signal de modernité et une opportunité pour mettre en place de « nouveaux modes de travail ». La figure implicite du télétravailleur est plutôt celle du « bon manager », qui fait confiance à ses équipes et leur donne de l’autonomie.</p>
<p>Pour autant, cette figure, <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2007-1-page-79.htm?contenu=article">construite au « masculin-neutre »</a>, peine à se décliner aux échelons hiérarchiques inférieurs, structurellement plus féminisés. L’accès au télétravail y demeure souvent plus compliqué – on rechigne par exemple à accorder du télétravail aux assistantes, que l’on aime garder sous la main – et sa pratique peut là aussi être plus restreinte en termes de nombre de jours accordés ou de possibilités d’adapter ses horaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête montre que, bien qu’apprécié par les salariées, ce mode de travail, à poste égal, les contraint davantage que les hommes.Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Céline Dumoulin, Ingénieure de recherche, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2247732024-03-07T16:19:17Z2024-03-07T16:19:17ZComment la réforme du lycée éloigne les filles des maths et des sciences<p>Le discours public met aujourd’hui l’accent sur la promotion des femmes dans les métiers scientifiques et techniques. Favoriser leur accès à ces voies prestigieuses est présenté comme un enjeu majeur, pour l’économie du pays comme pour l’égalité entre les femmes et les hommes.</p>
<p>Dans ce contexte, les effets de la <a href="https://www.ouest-france.fr/bac/bac-fin-des-series-un-grand-oral-et-du-controle-continu-partir-de-2021-5565067">réforme du lycée instaurée en 2019</a> posent question. Celle-ci qui a mis fin au système des séries générales de baccalauréat (voie scientifique, voie littéraire, voie économique) offrant une plus grande latitude dans la composition des programmes de première et terminale, à partir d’un socle commun et d’enseignements de spécialité. Cependant, cette organisation modulaire s’est accompagnée d’une chute massive des inscriptions dans les disciplines scientifiques au lycée, <a href="https://collectif-maths-sciences.fr/2022/10/04/reforme-du-lycee-vers-des-sciences-sans-filles-1-2/">qui touche particulièrement les filles</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
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<p>Alors que la place des femmes a été déclarée <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/grande-cause-du-quinquennat-budget-consacre-legalite-entre-les-femmes-et-les-hommes">grande cause du quinquennat 2017-2022</a> et que les enjeux autour des sciences revêtent une dimension internationale, on observe en France un retournement d’ampleur inédite sur l’égalité d’accès aux sciences au lycée général, en contradiction avec les intentions affichées. C’est ce qui ressort quand on reconstruit les évolutions des effectifs des bacheliers et bachelières depuis 60 ans.</p>
<h2>Les sciences au baccalauréat, un enjeu de la Vᵉ République</h2>
<p>Le nombre d’élèves en formation scientifique est crucial au regard des compétences techniques et scientifiques nécessaires aux transitions environnementales, sociales et économiques du pays. La plupart des acteurs économiques <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/les-ecoles-d-ingenieurs-mobilisees-face-a-la-penurie-de-talents-dans-l-industrie.N2188593">font état de leurs difficultés à recruter</a> et demandent d’augmenter rapidement le nombre de personnes formées à un niveau Bac+5 dans ces domaines.</p>
<p>Analyser la situation actuelle nécessite de prendre en compte les profondes modifications du contexte scolaire de la V<sup>e</sup> République. Jusqu’au début des années 1960, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/baccalaureat-23150">baccalauréat</a> ne concerne qu’une petite partie de la population, surtout issue de la classe bourgeoise urbaine. Guidées par les différents plans de développement économique et social, les politiques éducatives d’alors vont <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-culture-de-masse-et-societe-de-classes-le-gout-de-lalterite-172438">ouvrir largement l’accès aux études secondaires et supérieures</a>.</p>
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<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1965/09/10/les-changements-seront-tres-limites-en-1965-bull-classe-de-seconde-litteraire-sans-latin-bull-mathematiques-facultatives-pour-les-philosophes_3146226_1819218.html">La réforme Fouchet de 1965 du lycée général</a> supprime la sélection pour entrer en terminale et créé de nouvelles séries, dans lesquelles les volumes horaires de sciences et de mathématiques augmentent. On assiste à partir de la fin des années 1960 à une <a href="https://books.openedition.org/purh/1561">massification rapide de l’accès au bac général</a> : si celui-ci <a href="https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/8/EESR8_ES_08-les_evolutions_de_l_enseignement_superieur_depuis_50_ans_croissance_et_diversification.php">ne concerne que 11 % d’une classe d’âge en 1962, cette part s’élève à 18 % en 1975</a> et à près de 44 % en 2022.</p>
<h2>Le poids des sciences dans le bac général</h2>
<p>Dans l’étude que nous avons menée, on qualifie de bac « sciences » les cursus en terminale générale incluant au moins 12h hebdomadaires de sciences, dont 5h30 de mathématiques. Avant 1994, cela équivaut aux séries C, D et E puis, entre 1994 et 2019, à la série S et, depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000037208167">réforme de 2019</a> aux doublettes de spécialités maths/sciences (soit numérique et sciences informatiques (NSI), soit physique-chimie (PC), soit sciences de l’ingénieur (SI) ou encore sciences de la vie et de la terre (SVT)). Les parcours sans spécialité maths en terminale ne seront pas comptabilisés.</p>
<p>Nous reconstituons à partir des <a href="https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/notes-dinformation.aspx">archives des données publiques</a> l’évolution des effectifs du bac sciences depuis 1962 pour la filière générale.</p>
<p>Après une forte croissance jusqu’en 2020, l’effectif chute de près de moitié depuis la réforme : il revient au niveau de 1988. Les bacheliers généraux étant moins nombreux en 1988, le poids relatif des sciences dans le bac général en 2022 est donc très inférieur à celui de 1988, comme nous l’illustrons ci-dessous :</p>
<p>Alors que le bac sciences constituait environ la moitié des bacs généraux entre 1962 et 2020, sa part chute à 27 % depuis la réforme. Même en comptabilisant l’ensemble des parcours sciences n’incluant que 3h de maths en option, cette part reste inférieure à 38 % en 2022.</p>
<p>Cette rupture marque une réduction inédite de la formation scientifique au lycée. Affirmer <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/discours-de-frederique-vidal-la-commission-culture-education-et-communication-du-senat-sur-la-lpr-45569">« l’importance vitale de la science pour notre pays »</a> et « en même temps » en réduire à ce point l’accès est paradoxal. Comment expliquer ce hiatus de la politique publique ? L’analyse de la composition des élèves concernés, en particulier selon le genre, permet d’en donner un éclairage.</p>
<h2>Filles et garçons : un inégal rapport aux sciences</h2>
<p>Créé en 1808 pour les garçons de l’élite bourgeoise auxquels les lycées sont alors réservés, le <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/10047-napoleon-cree-le-baccalaureat-premier-grade-universitaire">baccalauréat est la porte d’accès aux études supérieures</a>. Il ne deviendra accessible qu’en 1925 aux filles qui peuvent dès lors suivre les mêmes études que les garçons. Leur progression régulière dans les études secondaires aboutit à partir de 1968 à leur domination en nombre au baccalauréat général. Elles constituent actuellement environ 57 % de l’ensemble des bacheliers généraux, proportion stable depuis plusieurs décennies mais inégalement répartie selon les parcours.</p>
<p>Dans les parcours scientifiques, traditionnellement masculins, l’évolution des filles et des garçons montre leur progression régulière, avec un retard des filles sur les garçons qui se réduit peu à peu jusqu’en 2020. L’écart est alors le plus faible jamais atteint, signe d’un progrès notable pour l’égalité d’accès aux sciences entre les filles et les garçons :</p>
<p>Depuis la réforme de 2019, les effectifs scientifiques s’effondrent : la baisse est de 30 % pour les garçons et de 60 % pour les filles.</p>
<p>On représente sur le graphique ci-dessous l’évolution de la part du bac sciences selon le genre : il montre une relative stabilité entre 1962 et 2020 pour les filles et les garçons, avec une augmentation progressive de la part des bachelières scientifiques entre 1986 et 2020 :</p>
<p>La réforme de 2019 marque une rupture avec une baisse inédite du taux d’accès au bac sciences en 2022 tant pour les filles que les garçons, pour lesquels ce recul est moins marqué : les inégalités de genre se sont nettement aggravées depuis la réforme. C’est ce que montre ce graphique comparant la proportion des bacs sciences entre les garçons et les filles :</p>
<p>Si l’avantage a toujours été aux garçons, on constate un lent progrès vers l’égalité depuis 1986 et jusqu’en 2020. Après la réforme, en 2022, un garçon a 2,3 fois plus de chances qu’une fille d’avoir un bac « sciences », c’est l’inégalité la plus forte observée au cours de toute la V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>Un recul inédit de l’égalité face aux sciences au lycée</h2>
<p>Le XX<sup>e</sup> siècle a permis l’ascension scolaire des filles <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047727?sommaire=6047805">qui sont désormais plus nombreuses que les garçons dans les études supérieures</a>. Pour autant, leur <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6960132">égalité économique ou sociale est loin d’être atteinte</a> encore aujourd’hui. Rappelons que, dans la société française, le droit d’une femme à ouvrir un compte bancaire ou à travailler sans l’accord d’un tuteur a moins de 60 ans. Autrement dit, le rôle de la femme tel qu’il est défini dans la société du XX<sup>e</sup> siècle limite son ascension sociale.</p>
<p>Un meilleur équilibre dans les <a href="https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-focus075.pdf">orientations vers les débouchés professionnels les mieux rémunérés</a>, dont celles vers les très masculines sciences et techniques, représente donc un enjeu de justice sociale. Le retour en arrière consécutif à la réforme de 2019 sur les progrès réalisés en ce sens au lycée général durant la V<sup>e</sup> République, nous place dans une situation sans précédent dans l’histoire contemporaine.</p>
<p>Une telle organisation au lycée n’aboutit finalement qu’à préserver une élite masculine dominante dans les parcours scientifiques au détriment de son accès à tous, dont les femmes.</p>
<p>Si la question du rapport des femmes aux sciences ne saurait se réduire à celle du bac, cette réforme, fondée sur un choix de « spécialités » sans garantir de socle de connaissances solides en mathématiques et en sciences, <a href="https://theconversation.com/pourquoi-si-peu-de-filles-en-mathematiques-222028">contraint leur orientation et devenir professionnel, diminuant fortement les chances d’une promotion sociale et économique</a>.</p>
<p>Dans la longue succession des réformes du lycée, celle de 2019 est unique par son impact massif sur l’affaiblissement des filières scientifiques et la parité. Le gouvernement en mesure-t-il la portée ? Cette étude montre que l’effet des multiples discours concernant l’égalité face aux sciences est négligeable par rapport à l’effet d’un changement de structure du système.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224773/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélanie Guenais est vice-présidente de la Société Mathématique de France et coordinatrice du Collectif Maths&Sciences. </span></em></p>Depuis la réforme du lycée de 2019, la proportion de filles suivant des cours de maths et de sciences jusqu’au baccalauréat a chuté. Le point sur une situation inédite.Mélanie Guenais, Maîtresse de conférences en mathématiques, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249852024-03-05T16:03:01Z2024-03-05T16:03:01ZÊtre une femme devient un motif d’obtention du statut de réfugié<p>Alors que le Congrès réunit à Versailles vient de voter l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Constitution</a>, une autre évolution majeure pour la protection des droits des femmes est passée plus inaperçue : la reconnaissance par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2024-01/cp240007fr.pdf">janvier dernier</a>, des femmes comme « groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951.</p>
<p>Sous ses abords techniques, moins immédiatement séduisants qu’une inscription dans le texte suprême d’un État, cette évolution est pourtant une quasi-révolution. C’est la première fois en effet que la plus haute instance juridictionnelle de l’Union européenne (UE) reconnaît que les femmes peuvent, sous certaines conditions prévalant dans leur pays d’origine, être reconnues réfugiées du fait de craintes de persécutions liées au genre. Les femmes victimes de <a href="https://theconversation.com/juger-les-violences-conjugales-une-audience-historique-sur-le-controle-coercitif-en-france-220894">violences conjugales</a> – objet de l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 16 janvier – mais également, par exemple, les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>, du fait du traitement qui leur est réservé par les <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-prise-de-pouvoir-des-talibans-les-afghanes-refusent-de-garder-le-silence-188624">talibans</a>, pourront désormais bénéficier d’une protection internationale certaine et améliorée.</p>
<h2>Le « groupe social », motif de protection</h2>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié définit ce dernier comme :</p>
<blockquote>
<p>« toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays […] ».</p>
</blockquote>
<p>L’« appartenance à un certain groupe social » est certainement le motif de persécution le plus « énigmatique » ainsi que l’avait qualifié il y a quelques années un rapporteur public du Conseil d’État : ce qu’il signifie n’est pas aussi évident que les « opinions politiques », la « nationalité », ou la « religion ». S’il est fort probable qu’en 1951 le « groupe social » visé était celui des classes bourgeoises fuyant le communisme, l’indéfinition originelle de cette notion va faire beaucoup pour l’adaptation de la Convention à l’évolution de la protection des droits de la personne humaine.</p>
<p><a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">Harmonisée</a> par le droit de l’Union européenne au début des années 2000, la définition du « groupe social » fait appel à deux critères très généraux, que l’on peut résumer simplement de la manière suivante : font partie du même « groupe social » les personnes qui, d’une part, partagent une caractéristique innée ou une histoire commune et, d’autre part, ont de ce fait une identité propre et sont perçues comme différentes par la société environnante. Or, cette définition a permis le développement, au fil des années, d’une jurisprudence promouvant principalement la protection des personnes victimes, dans leur pays d’origine, de persécutions liées au genre : tel est le cas, notamment et surtout, des personnes homosexuelles, des femmes et fillettes craignant des <a href="https://theconversation.com/excision-les-conges-dete-periode-a-risque-pour-les-adolescentes-77690">mutilations génitales</a>, ou encore des femmes s’opposant au <a href="https://theconversation.com/au-liban-les-mariages-dadolescentes-continuent-de-prosperer-92554">mariage forcé</a> – pour citer trois des principaux groupes sociaux reconnus dans certains pays d’origine par la <a href="https://euaa.europa.eu/fr/publications/guide-sur-lappartenance-un-certain-groupe-social">jurisprudence</a> de la plupart des États membres de l’Union européenne.</p>
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<p>Dans de nombreuses hypothèses, tout à fait inimaginables en 1951, le « groupe social » a ainsi permis la protection de minorités persécutées à raison de leur orientation sexuelle ou de leur opposition aux traditions constitutives de tortures ou traitement inhumains ou dégradants. Ce motif a assuré ce faisant la pertinence continue – et donc la pérennité – de la Convention de Genève. Jusqu’à présent cependant, le « groupe social des femmes » n’avait été reconnu que très épisodiquement, par <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=7ee22fba7f6f517290864502c8df502f32b219c1">quelques cours de justice</a> dont l’isolement permettait sans doute l’audace. Il en va désormais tout autrement avec la consécration de cette option de protection par la CJUE.</p>
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<h2>Le « groupe social des femmes », une (r) évolution ?</h2>
<p>La reconnaissance d’un groupe social « des femmes » se heurtait au second critère de la définition : comment considérer en effet que les femmes, qui constituent généralement peu ou prou la moitié de la société d’un pays, puissent être perçues comme « différentes » par une « société environnante »… dont elles font elles-mêmes partie pour moitié ? Les personnes homosexuelles, les femmes s’opposant à l’excision ou au mariage forcé sont minoritaires au sein de la société, et sont perçues comme différentes, y compris par les autres femmes. Dans certaines hypothèses spécifiques cependant, les femmes dans leur ensemble sont perçues comme différentes.</p>
<p>C’est pourquoi, selon la CJUE, « il y a lieu d’apprécier », pour déterminer l’existence d’un groupe social au sens de la Convention de 1951, si un ensemble de personnes partageant une caractéristique ou une histoire commune est perçu de ce fait comme distinct « au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§56 de l’arrêt</a>). La « société environnante » est entendue en un sens large englobant les normes – juridiques, sociales, culturelles, etc. – dont l’objet est précisément de spécifier une partie de la population en raison de caractéristiques liées au genre. Les discriminations ou persécutions visant la part féminine de la population participent de sa marginalisation et permettent de la constituer en groupe social au sens de la Convention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Le raisonnement permet la généralisation. Comme l’affirme la Cour, grâce à cette approche et « en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, peuvent être considérées comme appartenant à “un certain groupe social” […] les femmes de ce pays dans leur ensemble » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§62</a>).</p>
<p>Telle est la principale révolution. S’il est vrai que les femmes pouvaient déjà, à raison de persécutions liées à leur genre, être protégées, cela se faisait au cas par cas et sur une base juridique régionale et non internationale, offrant une protection moindre. Désormais, les « femmes dans leur ensemble », originaires d’un pays au sein duquel elles auront été reconnues comme faisant partie d’un groupe social, pourront prétendre à la qualité de réfugié au sens de la Convention de 1951.</p>
<h2>Un « groupe social » des femmes afghanes ?</h2>
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<p>Le raisonnement de la Cour a permis, dans cette affaire, de reconnaître que les femmes peuvent être regardées comme :</p>
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<p>« appartenant à un “certain groupe social” […] lorsqu’il est établi que, dans leur pays d’origine, elles sont, en raison de leur sexe, exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques » (§57).</p>
</blockquote>
<p>Mais la généralisation qu’elle opère ouvre la voie à la reconnaissance d’autres groupes sociaux de femmes – et l’on songe évidemment à une telle reconnaissance concernant les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>. La Cour nationale du droit d’asile a d’ailleurs précédé la CJUE sur ce point, jugeant dans des décisions d’octobre dernier (par ex. CNDA, 3 oct. 2023, M.N.,n°22037537) que :</p>
<blockquote>
<p>« l’accumulation des mesures prises par les autorités talibanes tendant à une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane » permettaient de considérer que les « femmes afghanes constituent un groupe social ».</p>
</blockquote>
<p>Loin des débats politiques sur les questions migratoires <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/en-bref/la-loi-immigration-a-lepreuve-du-conseil-constitutionnel-4197/">qui ne s’encombrent pas de préoccupations juridiques</a>, la protection internationale des femmes poursuit ainsi son évolution, par le droit international et grâce à son interprétation par les juges européens et nationaux.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://www.refwar.fr/">REFWAR</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff est co-porteur du projet « RefWar », financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), s'intéresse à la protection en France des « réfugiés de guerre », c'est-à-dire de celles et ceux qui sont contraints à l'exil en raison d'un conflit armé dans leur État de nationalité ou de résidence.
</span></em></p>En janvier 2024, la CJUE a reconnu pour la première fois que les femmes pouvaient, sous certaines conditions, être reconnues réfugiées du fait de leur genre.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2247822024-03-04T17:01:23Z2024-03-04T17:01:23ZComment les nouveaux OGM relancent la question de la brevetabilité du vivant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579512/original/file-20240304-21-wh3xb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C55%2C5264%2C3882&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quelles conséquences les nouveaux OGM auront sur la diversité des semences ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/farmer-spraying-green-wheat-field-644903410">oticki/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Présentées comme une solution miracle par leurs promoteurs et comme des « OGM cachés » par leurs opposants, les nouvelles techniques d’édition des génomes sont en débat au Parlement européen.</p>
<p>Un des enjeux qui a occupé jusque-là les eurodéputés a été de distinguer parmi les plantes produites par ces nouvelles technologies génomiques celles qui pourraient résulter de mutations ou de techniques de sélection considérées comme naturelles, et qui, à ce titre-là pourraient être exemptées des exigences des réglementations des OGM.</p>
<p>Le 7 février 2024, le texte adopté a tranché cette question de la façon suivante : les plantes dont le génome a subi moins de vingt modifications peuvent être exemptées d’évaluation, à condition que les modifications opérées aillent dans le sens d’une agriculture durable, c’est-à-dire, par exemple, en produisant des plantes bénéficiant d’une meilleure résistance aux sécheresses ou aux nuisibles.</p>
<p>Toujours le 7 février, et de manière plus surprenante, le <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20240202IPR17320/new-genomic-techniques-meps-back-rules-to-support-green-transition-of-farmers">texte</a> adopté par le Parlement demande une interdiction de breveter ces nouvelles modifications génétiques. C’est un véritable coup de théâtre car la question de la propriété intellectuelle était à l’origine censée être remise à plus tard, afin de favoriser l’adoption rapide d’un texte favorable à l’usage de ces nouvelles techniques. Il faudra donc scruter de près l’évolution de cette question au cours des prochaines étapes législatives, lors des négociations entre la Commission, le Parlement et le Conseil.</p>
<p>En tant que membres du Comité des enjeux sociétaux de <a href="https://www.semae.fr/">SEMAE</a> (interprofession réunissant tous les acteurs des semences), comité interdisciplinaire d’experts indépendant, nous avons préparé en 2023 un <a href="https://www.semae.fr/comite-des-enjeux-societaux/">avis</a> sur les enjeux de la propriété intellectuelle des semences. Cet article se fonde sur cet avis afin d’éclairer le débat.</p>
<p></p><div style="position: relative; width: 100%; height: 0; padding-top: 56.2500%; padding-bottom: 0; box-shadow: 02px 8px 0 rgba(63,69,81,0.16); margin-top: 1.6em; margin-bottom: 0.9em; overflow: hidden; border-radius: 8px; will-change: transform;"> <p></p>
<iframe loading="lazy" style="position: absolute; width: 100%; height: 100%; top: 0; left: 0; border: none; padding: 0;margin: 0;" src="https://www.canva.com/design/DAF-KwuvThs/EegKPEOdzrzjOyegxUVssA/view?embed" allowfullscreen="allowfullscreen" allow="fullscreen" width="100%" height="400"> </iframe>
<p></p></div><a href="https://www.canva.com/design/DAF-KwuvThs/EegKPEOdzrzjOyegxUVssA/view?utm_content=DAF-KwuvThs&utm_campaign=designshare&utm_medium=embeds&utm_source=link" target="_blank" rel="noopener"></a> <p></p>
<h2>Le certificat d’obtention végétale (COV) contre le brevet industriel</h2>
<p>Dans le monde des semences, la propriété intellectuelle est régie depuis 1961 par un cadre plus souple que celui du brevet et plus à même de correspondre aux mécanismes d'évolution des génomes et d'adaptation, objets d’incessants croisements. Ce cadre, c’est celui du Certificat d’Obtention Végétale ou COV, droit de propriété intellectuelle établi par la convention de l’Union Internationale de la Protection des Obtentions Végétale (UPOV).</p>
<p>Le COV garantit à la personne ou l’entreprise qui le détient le monopole d’exploitation commerciale d’une variété végétale, pour une durée de vingt ou vingt-cinq ans. Mais le COV donne également le droit à toute personne d’utiliser cette variété pour en créer une nouvelle. C’est ce qu’on appelle l’exemption du sélectionneur. Ainsi, le sélectionneur utilise systématiquement différentes variétés commerciales dans ses schémas de sélection et, par de multiples opérations de croisement et sélection, peut obtenir une nouvelle variété. Si celle-ci est distincte, homogène et stable, elle sera protégée par un nouveau COV, indépendant de ceux des variétés utilisées.</p>
<p>Autre caractéristique importante, le COV autorise l’agriculteur à reproduire ses semences. C’est ce que l’on appelle le privilège du fermier. C’est la reconnaissance du rôle essentiel des communautés agricoles qui, depuis le néolithique, ont contribué collectivement à la constitution de ces ressources génétiques. Cela a commencé par la domestication de plantes sauvages, grâce au repérage et à la sélection de certains caractères favorables, en général dans un temps long et sur une ou plusieurs régions étendues. Les ressources génétiques se sont ensuite diversifiées avec les migrations des humains dans de nouveaux environnements, les ajustements des caractères et de leurs combinaisons en fonction de besoins, coutumes, préférences sans cesse renouvelés, intégrant les mutations génétiques spontanées et les croisements naturels survenus entre variétés et avec les formes sauvages avoisinantes. La diversité des plantes cultivées s’est ainsi considérablement diversifiée, produisant une manne qu’on appelle les ressources génétiques. Le privilège du fermier reconnaît cette contribution.</p>
<p>Concrètement, lorsque les variétés ne sont pas des hybrides (cas du maïs), l’agriculteur peut garder une partie de sa récolte qu’il utilisera comme semence l’année suivante. En France, c’est monnaie courante pour bon nombre de cultures comme les céréales à paille (blé, orge, avoine…) pour lesquelles l’agriculteur achète en moyenne des semences commerciales moins d’une année sur deux. A la différence de la plupart des autres pays, le droit européen des brevets reconnaît le privilège du fermier.</p>
<h2>Comment le brevet s’est immiscé dans le monde des semences</h2>
<p>Mais avec les techniques d’ingénierie génétique, le brevet d’invention est entré dans le monde des semences. Or l'esprit de celui-ci est très différent du COV : une invention dépendant d’un brevet existant ne pourra pas être utilisée sans l’autorisation du propriétaire de ce brevet. Cette transformation de la propriété intellectuelle a été l’un des moteurs de la concentration des entreprises qui a atteint des niveaux inquiétants. En témoigne la situation aux États-Unis où le ministère de l’agriculture (<a href="https://www.ams.usda.gov/sites/default/files/media/SeedsReport.pdf">USDA</a>), juge très préoccupante la concentration dans les segments de marchés marqués par une utilisation généralisée des OGM protégés par brevets (maïs, soja, coton). Sur les 17208 brevets industriels concernant les plantes déposés à l’office américain des brevets (USPTO) entre 1976-2021. Les trois premiers groupes (Corteva, Bayer et Syngenta) en détiennent 71%. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578908/original/file-20240229-16-n6y4g8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578908/original/file-20240229-16-n6y4g8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578908/original/file-20240229-16-n6y4g8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578908/original/file-20240229-16-n6y4g8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578908/original/file-20240229-16-n6y4g8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578908/original/file-20240229-16-n6y4g8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578908/original/file-20240229-16-n6y4g8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Au niveau international, quelques grands groupes, en général liés à la chimie, dominent les marchés Dans le monde, la <a href="https://www.isaaa.org/resources/publications/briefs/55/executivesummary/default.asp">culture d’OGM</a>, concentrée sur quatre espèces (soja, maïs, coton et colza représentent 99 % des surfaces cultivées d’OGM) et sur deux caractères (tolérance aux herbicides et résistance aux insectes), mais qui s'étend sur plus de 200 millions d'hectares ne peut que diminuer la diversité des assolements, et <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2002548117">leurs conséquences environnementales défavorables</a>. De plus, par exemple en Argentine, la surface consacrée au soja et au maïs a été multipliée par 4 en 30 ans pour atteindre 24 millions d’hectares et s'est étendue aux dépens des espaces naturels, sans pour autant répondre à des besoins humains essentiels, mais plutôt pour favoriser la production de protéines animales. Comme l’indique un avis récent de <a href="https://www.academie-technologies.fr/publications/avis-sur-les-nouvelles-technologies-genomiques-appliquees-aux-plantes/">l’Académie des technologies</a>, ces éléments tempèrent le bilan des OGM généralement présenté sous un jour très favorable, mais avec<a href="https://philpapers.org/rec/HICGMC"> peu d'évidences scientifiques</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-largentine-sest-entierement-faconnee-autour-des-ogm-220481">Comment l’Argentine s’est entièrement façonnée autour des OGM</a>
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<p>L’Europe a jusque-là été relativement protégée de ce mouvement du fait de l’embargo de facto sur l’utilisation des OGM en culture et du fait d’une législation qui interdit de breveter la variété végétale. À l’heure des débats sur les nouveaux OGM, pour la très grande majorité des acteurs européens impliqués, le COV doit rester le pilier de la protection de la propriété intellectuelle des variétés végétales.</p>
<p>Car le COV permet une innovation ouverte, c’est-à-dire qui résulte d’un échange intensif de connaissances et de ressources génétiques entre une diversité d’acteurs. Il a largement fait la preuve de son efficacité. Ce système est d’ailleurs d’une étonnante modernité car il promeut l’innovation combinatoire qui est clé pour les domaines à fort contenu informationnel. Dans de tels domaines, c’est en effet la combinaison originale d’un ensemble d’éléments qui crée la valeur, pas les éléments isolés. Aussi, il est essentiel d’éviter que les brevets sur les caractères génétiques limitent les possibilités de création de combinaisons originales.</p>
<p>Bien qu’en Europe les variétés en tant que telles ne soient donc pas brevetables, elles peuvent cependant être dépendantes de brevets qui revendiquent des caractères génétiques. Par exemple, une variété tolérante au glyphosate ne pourra pas être utilisée sans l’autorisation de Bayer qui, depuis l’acquisition de Monsanto, détient les brevets sur ce caractère de tolérance. Les ressources génétiques se trouvent alors confisquées par des brevets. Ce risque de confiscation a des implications internationales, notamment pour les régions tropicales aujourd’hui en lourdes difficultés économiques, dont on séquence le génome des végétaux pour en extraire des connaissances.</p>
<h2>Les nouvelles technologies génomiques à l’ombre des brevets</h2>
<p>Concernant les nouveaux OGMs, avant même de parler de la propriété intellectuelle des nouvelles variétés de plantes produites, il faut d’abord se pencher sur la propriété intellectuelle des techniques utilisées pour produire ces mutations, en premier lieu la technique CRISPR-Cas9. Les brevets sur cette technologie de base ont été déposés par ses inventrices Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna et les institutions auxquelles elles sont affiliées (UC Berkeley, MIT/Broad Institute, Université de Vilnius, Université de Vienne…).</p>
<p>Les grands groupes de la chimie comme Corteva et Bayer ont ensuite acquis des licences – souvent exclusives – pour l’utilisation des techniques d’édition des génomes sur les plantes. Corteva, notamment, a pu réunir des licences sur les brevets détenus par ces grandes institutions de recherche. Les brevets de base (brevets sur les technologies d’édition) sont complétés par de très nombreux brevets d’application sur les plantes, à la fois sur la mise au point de techniques et sur les traits.</p>
<p>Dans ce contexte, de nombreux acteurs considèrent qu’il est très difficile de s’assurer de la liberté d’opérer lorsque l’on crée une variété nouvelle car :</p>
<ul>
<li><p>le cadre réglementaire est flou et sujet à des interprétations diverses ;</p></li>
<li><p>les offices de brevets n’ont pas les compétences pour appliquer strictement les règles d’exclusion à la brevetabilité ;</p></li>
<li><p>l’accès à l’information sur le champ des brevets est complexe et coûteux. Les acteurs du secteur parlent de « buisson de brevets », voire de « champ de mines » pour décrire cette situation.</p></li>
</ul>
<p>Différentes initiatives privées ont été prises pour tenter de résoudre le problème de l’information et celui de l’accès, notamment la création de plates-formes visant à faciliter l’accès aux brevets (International Licensing Platform ILP – pour les semences potagères – et Agricultural Crops Licensing Platform ACLP – pour les semences de grande culture-). Néanmoins, ces dispositifs de droit privé n’offrent aucune garantie à moyen et long terme.</p>
<p>De plus, il est très probable qu’avec l’évolution technologique on associe de nombreux caractères brevetés dans une même variété : tolérance à un herbicide, tolérance au stress hydrique, résistance aux nuisibles (insectes et champignons), teneur en acides gras spécifiques ou en protéines… On se retrouvera ainsi fréquemment dans des situations où une variété sera obtenue, par exemple, à l’aide de trois technologies différentes permettant d’introduire quinze gènes recombinants édités. La confiscation de la ressource génétique par les brevets sera alors irréversible. D’ores et déjà, de nombreuses variétés OGM sont modifiées pour deux caractères transgéniques ou plus. Les plantes tolérantes à un herbicide et résistantes aux nuisibles représentent plus de 40 % des variétés cultivées dans le monde.</p>
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<h2>Pour une innovation ouverte et les ressources génétiques comme bien commun</h2>
<p>Ces quarante dernières années ont vu une extension du domaine de la brevetabilité qui conduit à une restriction de l’espace des recherches pré-compétitives et publiques. L’observation vaut autant pour les connaissances scientifiques fondamentales que pour les organismes vivants. Même si la résistance s’est organisée en Europe et dans d’autres parties du monde, le brevet a considérablement progressé, imposant dans le monde vivant des conceptions empruntées au monde de la mécanique et de la chimie.</p>
<p>Compte tenu de l’importance des enjeux, le régime de la propriété intellectuelle des plantes doit faire l’objet d’une politique ambitieuse, visant à maximiser la diversité sous toutes ses formes. Il est essentiel de restaurer un régime de propriété qui garantisse véritablement le libre accès aux ressources génétiques. Remettre les principes du COV au cœur de la propriété intellectuelle des plantes impose d’interdire les brevets non seulement sur les variétés, mais aussi sur les plantes et sur les caractères génétiques.</p>
<p>C’est le cœur des amendements votés au Parlement européen par les commissions environnement et agriculture ainsi qu’en plénière. Ajoutons que, compte tenu des nombreux brevets déjà accordés, cette interdiction devrait être complétée par une autre disposition. Il s’agit de pouvoir obliger le titulaire d’un brevet à concéder une licence permettant d’utiliser l’objet de son brevet contre rémunération. De telles licences obligatoires existent en droit européen. Néanmoins, elles sont conditionnées à un critère qui les rend inopérantes. L’inventeur dépendant du premier brevet doit en effet démontrer que son invention apporte un « progrès économique considérable ». Il faudrait donc supprimer cette condition dirimante.</p>
<h2>La diversité comme réponse aux menaces et aux défis</h2>
<p>Réfléchir ainsi au devenir de la propriété intellectuelle des plantes c’est donc déboucher rapidement sur des réflexions techniques, des zones grises du droit, des confrontations entre plusieurs systèmes juridiques. Mais les répercussions de ces décisions légales peuvent être colossales. C’est la diversité génétique de notre agriculture qui est en jeu. Or si les promoteurs des nouveaux OGM aiment mettre en avant les atouts de leurs technologies pour proposer une agriculture résiliente aux dérèglements climatiques et environnementaux, il est essentiel de garder en tête l’importance première de la diversité des systèmes agricoles.</p>
<p>Cette diversité se décline à différents niveaux : diversité génétique au sein des espèces cultivées pour introduire de nouveaux caractères, diversité interspécifique pour bénéficier d’espèces mieux adaptées au nouveau régime climatique, diversité des assemblages d’espèces et des systèmes de production, diversité des paysages agricoles pour restaurer la biodiversité des espaces cultivés et diminuer l’usage des pesticides et des engrais.</p>
<p>Face à la crise environnementale et climatique, la diversité sous toutes ses formes constitue en effet la meilleure assurance, la clé de la robustesse et donc de la capacité d’adaptation de l’activité agricole. Concernant les semences, alors que le paradigme dominant de la variété végétale distincte, homogène et stable (DHS) a conduit à adapter le milieu de culture à la semence, il faudra dans de nombreux cas faire l’inverse : adapter les semences aux caractéristiques des agro-écosystèmes. Une plus grande intégration de la création variétale et de l’agronomie système s’avère essentielle pour opérer un tel changement et réussir la transition agroécologique.</p>
<p>Dans ce cadre, la protection intellectuelle dans le domaine des semences végétales doit soutenir une activité de création variétale accrue et diversifiée au service de tous les systèmes de culture et non la freiner.</p>
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<p><em>Les personnes suivantes ont également participé à la rédaction de cet article :</em> </p>
<p><em>Anne-Claire Vial, agricultrice sur une exploitation de production de semences et d’ail pour la consommation et présidente d’Arvalis (association créée et dirigée par les professionnels des filières des céréales à paille, pommes de terre, lin fibre, maïs, sorgho et tabac, reconnue par les pouvoirs publics)</em></p>
<p><em>Jean-Martial Morel, paysan maraîcher et semencier à Chavagne.</em></p>
<p><em>Marcel Lejosne, agriculteur dans le Nord de la France depuis 1989. Entre 2007 et 2012, il a également saisi l'opportunité d'aider à développer la production de pommes de terre à l'île Maurice avec une entreprise mauricienne. Depuis, il dirige des entreprises spécialisées dans la production végétale à des fins industrielles ainsi que pour le marché du frais. Il est membre correspondant de l'Académie d'Agriculture de France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224782/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Benoit Joly préside le Comité des Enjeux Sociétaux de SEMAE, organisation qui rassemble tous les acteurs de la filière semence et membre de l'Académie d'Agriculture de France</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rey Alexandrine est membre du Comité des Enjeux Sociétaux de SEMAE</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne-Françoise ADAM-BLONDON est membre de la section Ressources Génétiques du Comité Technique Permanent de la Selection des Plantes Cultivées et membre du conseil scientifique de l’IFB (Institut Français de Bioinfiromatique). Elle reçoit régulièrement des financements de l'ANR et des programmes de recherche de la commission Européenne dans le cadre de ses activités de recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Messéan est vice-président de l'Association Française d'Agronomie, membre de l'Académie d'Agriculture de France, membre du Comité des Enjeux Sociétaux de SEMAE et expert auprès de l'EFSA (European Food Safety Authority). Il a reçu des financements de l'Union Européenne pour des projets de recherche sur la transition agroécologique.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Denis Couvet est membre de l'Académie d'Agriculture de France et du Comité des Enjeux Sociétaux de SEMAE, du conseil scientifique de la commission du génie biomoléculaire, du haut conseil des biotechnologies. Il a reçu divers financements pour des projets de recherches sur la biodiversité.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Glaszmann Jean Christophe est membre du Comité des Enjeux Sociétaux de SEMAE</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lorène Prost est membre du Comité des Enjeux Sociétaux de SEMAE, elle reçoit régulièrement des financements de l'ANR, de l'OFB et du CASDAR dans le cadre de ses activités de recherche publique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Dron est membre du Comité aux Enjeux Sociétaux de SEMAE et de l'Académie d'Agriculture de France. </span></em></p>Les nouvelles techniques d'édition du génome sont en discussion au parlement européen. En jeu : la diversité de l'agriculture de demain.Pierre-Benoit Joly, Directeur de recherche, économiste et sociologue, InraeAlexandrine Rey, Juriste, CiradAnne-Françoise ADAM-BLONDON, Directrice de Recherche en biologie et amélioration des plantes, InraeAntoine Messéan, Chercheur en agronomie système, InraeDenis Couvet, Professeur en écologie et gestion de la biodiversité, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Jean Christophe Glaszmann, Agronome, chercheur en génétique végétale, CiradLorène Prost, directrice de recherche en agronomie système, InraeMichel Dron, Professeur émérite en Biologie Végétale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2223172024-02-28T18:20:37Z2024-02-28T18:20:37ZCuando el término “cuántico” se pervierte para vender productos sin fundamento científico<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572183/original/file-20240118-21-4j7aux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C8%2C5937%2C3952&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Conceptos contraintuitivos, vocabulario a veces evocador: la mecánica cuántica se utiliza a menudo como aval científico de tecnologías con las que no tiene nada que ver.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/radiant-atom-molecule-symbol-hands-on-1946525947">Igor Nikushin/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>El 2 de enero de este año, la perfumería francesa Guerlain presentó un nuevo producto cosmético, afirmando que estaba <a href="https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/cosmetiques-guerlain-cree-la-polemique-avec-sa-creme-quantique_6301623.html">basado en la física cuántica</a>. Al proponer una <a href="https://web.archive.org/web/20240102181002/">“nueva vía de rejuvenecimiento […] basada en la ciencia cuántica que ayuda a restaurar la luz cuántica de una célula joven”</a>, la empresa provocó reacciones indignadas de la <a href="https://twitter.com/EtienneKlein/status/1742268657286209956">comunidad científica</a>, <a href="https://www.quechoisir.org/actualite-allegations-cosmetiques-guerlain-pousse-le-bouchon-avec-sa-creme-quantique-n115470/">de</a> <a href="https://www.liberation.fr/checknews/cosmetique-quantique-de-guerlain-un-fin-vernis-scientifique-et-une-grosse-louche-de-foutaises-20240105_ZAVUDZ7EB5EG3NAHY7GDBW4MAI/">los medios de comunicación</a> y de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=z4ZfsJRGJsM"><em>youtubers</em></a>, lo que llevó al perfumista a modificar rápidamente su mensaje promocional.</p>
<p>Este asunto forma parte de una <a href="https://www.book-e-book.com/livres/30-quantox-mesusages-ideologiques-de-la-mecanique-quantique-9782915312737.html">larga historia de apropiación indebida de los conceptos y del léxico de la mecánica cuántica</a> – y de la ciencia en general– cuyo resultado es la promoción de las pseudociencias, esas disciplinas que asumen la apariencia de conocimientos establecidos sin tener la menor base en ellos.</p>
<p>El calificativo “cuántico” es ahora omnipresente en el mundo del bienestar, las llamadas medicinas alternativas y el mundo del esoterismo. Podemos encontrarlo en salones de belleza, sitios de venta en línea, redes sociales o las secciones de “bienestar”, e incluso de “medicina”, de muchas librerías.</p>
<p>Algunos dispositivos de curación cuántica han recibido considerable cobertura mediática, como el Taopatch, <a href="https://www.midilibre.fr/2023/06/04/des-nanocristaux-appeles-boites-quantiques-cest-quoi-ce-patch-que-novak-djokovic-porte-scotche-a-la-poitrine-11240264.phpe-11240264.php">que llevaba la estrella del tenis Novak Djokovic en el pasado Roland Garros</a>. Este aparato, del tamaño de una moneda, afirma no sólo mejorar el rendimiento físico, sino también tratar enfermedades neuromusculares. Estas afirmaciones confunden al público en general, que tiene dificultades para distinguir lo verdadero de lo falso.</p>
<h2>Riesgos para la salud, derivas sectarias… y la cartera</h2>
<p>El peligro es real, ya que la confusión puede tener consecuencias nefastas para el gran público.</p>
<p>Los defensores de la medicina cuántica afirman a veces poder curar casi todas nuestras dolencias, incluidas las enfermedades graves. Por ejemplo, en el libro superventas de Deepak Chopra <em>La Curación Cuántica</em> (1989), el autor no sólo sugiere que su enfoque puede curar el cáncer, sino que fomenta la desconfianza en la medicina. Este tipo de discurso, <a href="https://www.marianne.net/societe/sciences-et-bioethique/le-saut-quantique-larnaque-a-la-mode-des-gourous-du-developpement-personnel">ahora muy extendido en este campo</a> y sobre todo en Internet, puede llevar a que la gente <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamaoncology/fullarticle/2687972">se aleje del mundo médico</a>.</p>
<p>Otro ejemplo más reciente: el “Healy”, un dispositivo terapéutico supuestamente basado en un “sensor cuántico”, del que se han vendido cerca de 200 000 unidades a precios <a href="https://therafrequentielle.fr/index.php/produit/healy-professional-edition/">que oscilan entre los 500 y los 4 000 euros</a>, ofrece programas para un gran número de tratamientos a través de aplicaciones de pago, que incluso podrían <a href="https://therafrequentielle.fr/media/2020/04/Healy_FL1_Digital-Nutrition_Flyer_FR.pdf">sustituir parte de nuestra dieta</a>. Sin embargo, el análisis de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UrDfPGSWxas">ingeniería inversa</a> ha revelado que no contiene ningún sensor cuántico. De hecho, ningún sensor en absoluto.</p>
<p>Al incitar a la gente a desconfiar de la medicina y/o a adoptar comportamientos de riesgo, estos argumentos pueden conducir a <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/ethique/inefficaces-dangereuses-pas-ethiques-des-praticiens-sattaquent-aux-fake-medecines-replique-immediate">oportunidades perdidas</a> desde el punto de vista médico.</p>
<p>La medicina alternativa puede también conducir <a href="https://www.leparisien.fr/societe/sante/medecines-douces-lordre-des-medecins-alerte-sur-les-derives-therapeutiques-voire-sectaires-27-06-2023-LU5F6ARXHBHJBKQI7JUAGNIJD4.php">al sectarismo</a>: el último informe de la agencia gubernamental francesa Miviludes indica que <a href="https://www.miviludes.interieur.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/rapports-annuels/rapport-dactivit%C3%A9-2021">el 24 % de las denuncias de comportamientos sectarios se refieren a “prácticas sanitarias no convencionales”</a>.</p>
<h2>Del comportamiento cuántico al mundo clásico que vivimos a diario: una cuestión de escala</h2>
<p>Seamos claros: no hay nada cuántico en estos planteamientos.</p>
<p>La física cuántica se desarrolló para comprender la interacción entre la luz y la materia a escala atómica. Ha dado lugar a una descripción muy fructífera de la naturaleza a escala microscópica, al tiempo que ha revelado fenómenos contraintuitivos difíciles de interpretar.</p>
<p>Por ejemplo, según la mecánica cuántica, las partículas elementales pueden comportarse como ondas, pueden estar en <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-le-hasard-quantique-85358">varios estados superpuestos</a> (por ejemplo en dos lugares simultáneamente) o incluso <a href="https://theconversation.com/le-prix-nobel-de-physique-2022-pour-lintrication-quantique-133000">entrelazadas</a>, cuando los estados de dos partículas dependen uno del otro aunque estén muy alejados. Pero el mundo a nuestra escala no se comporta así. Lo experimentamos todos los días: los objetos que nos rodean están en un solo estado, en un solo lugar, no se propagan. Los gatos no están <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chat_de_Schr%C3%B6dinger">a la vez vivos y muertos</a>.</p>
<p>La razón de esta diferencia entre el comportamiento de la materia a nuestra escala y el de las partículas que la componen es objeto de investigación desde hace más de medio siglo, y los resultados son inequívocos. Los efectos cuánticos son muy frágiles y su observación requiere condiciones extremas: temperatura muy baja (a menudo cercana al cero absoluto), un gran vacío, oscuridad total y un número muy pequeño de partículas. Fuera de estas condiciones, los efectos cuánticos desaparecen muy rápidamente bajo el efecto de un fenómeno omnipresente llamado <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9coh%C3%A9rence_quantique">“decoherencia”</a>. Este término se refiere al efecto destructor del entorno (luz, atmósfera, calor) sobre los efectos cuánticos.</p>
<blockquote>
<p>Las superposiciones cuánticas a gran escala son tan frágiles y se destruyen tan rápidamente por su acoplamiento con el entorno que no pueden observarse en la práctica. En cuanto se crean, se transforman instantánemente en mezclas estadísticas sin interés. </p>
</blockquote>
<p><strong>Serge Haroche, Premio Nobel de Física 2012 y pionero de la decoherencia, en <em>Exploring the Quantum</em> (Oxford, 2006).</strong></p>
<p></p>
<p>Así, en el ámbito de la biología, donde la materia es densa y la temperatura relativamente alta, sí podemos identificar <a href="https://physics.aps.org/articles/v8/s22">algunos fenómenos puramente cuánticos</a>, pero de manera muy local, a escala de unos pocos electrones. Por ejemplo, la detección del campo magnético terrestre por las aves migratorias implica la superposición de estados de dos electrones dentro de una <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03618-9">molécula llamada criptocromo</a>. En cambio, los fenómenos físicos a escala de nuestros órganos, de una célula o incluso de una molécula biológica, como una proteína o el ADN, son puramente clásicos, en virtud de la decoherencia.</p>
<h2>Un vocabulario y unos conceptos mal utilizados por los partidarios de la pseudociencia</h2>
<p>Sin embargo, estas consideraciones no molestan a los partidarios del discurso pseudocientífico, que espolvorean la jerga de la mecánica cuántica sin ningún rigor y de forma ambigua, multiplicando los malentendidos y las falsedades. Con frecuencia se escudan en citas de grandes físicos que a veces <a href="https://cortecs.org/wp-content/uploads/2011/08/CorteX_Quantoc_BUP_21027.pdf">han admitido sus propias dificultades de interpretación</a>.</p>
<p></p>
<p>No nos equivoquemos: la física cuántica se entiende muy bien y es extremadamente precisa en sus predicciones. Las dificultades constatadas por los científicos del ramo provienen de la interpretación, de la representación mental que nos hacemos de los fenómenos cuánticos, inquietantes, muy diferentes de nuestra experiencia cotidiana y fuera del alcance de nuestra intuición.</p>
<p>Por eso la mecánica cuántica es un caldo de cultivo <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/10/10/la-medecine-quantique-de-fausses-therapies-qui-surfent-sur-les-revolutions-de-la-physique-quantique_6145232_1650684.html">ideal para el misticismo</a>. Proporciona una mezcla de fenómenos fascinantes, conceptos abstractos considerados difíciles y un <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-quantique-196536">vocabulario evocador</a> que se diluye en una amalgama de léxico esotérico <em>New Age</em>. El resultado es una fina mezcla de “vibraciones”, “luz”, “campo energético”, “biorresonancia cuántica”, “elevación del nivel energético”, “claves de armonización multidimensional” y tantas otras formulaciones vacías.</p>
<p>Los propios fenómenos de la mecánica cuántica son mal utilizados: el entrelazamiento puede utilizarse para <a href="https://www.symphony-energetique.com/comment-se-deroule-les-soins-a-distance-quantique.html">curar a distancia</a>, la bioluminiscencia proporciona una justificación para los <a href="https://emmind.net/endogenous_fields-mind-ebp-biophotons_acupunture_meridians.html">meridianos de acupuntura</a> y el vacío cuántico <a href="https://www.editions-dangles.fr/produit/289/9782703311478/l-eau-et-la-physique-quantique">explica la memoria del agua</a>.</p>
<h2>Una farsa intelectual con fines lucrativos</h2>
<p>Este enfoque constituye una <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Impostures_intellectuelles">farsa intelectual, según la definición de Alan Sokal y Jean Bricmont</a>, es decir, un “uso abusivo del vocabulario científico […] para darse una ilusión de credibilidad”.</p>
<p>Se trata de un negocio lucrativo: desde consultas que cuestan unas decenas de euros por sesión, pasando por cursos de formación en línea que cuestan cientos o incluso miles de euros, hasta aparatos que parecen dispositivos médicos <a href="https://www.interfacetherapiequantique.com/">que valen más de 20 000 euros</a>.</p>
<p>Su <a href="https://lesjours.fr/obsessions/antivax-extreme-droite/ep6-healy-arnaque/">promoción, basada en las redes sociales, utiliza a menudo</a> un <a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/marches-financiers/fonctionnement-du-marche/systeme-de-vente-pyramidale/">esquema piramidal</a> en el que los compradores son reclutados como revendedores, y luego, a su vez, contratan a revendedores. Este esquema protege a los fabricantes detrás de los usuarios que hacen la promoción y asumen las afirmaciones falsas.</p>
<h2>Subirse a la ola mediática de las tecnologías verdaderamente cuánticas</h2>
<p>Aunque los dispositivos médicos cuánticos no son más cuánticos que su bolígrafo, los fenómenos cuánticos se explotan hoy en día, en particular para crear los primeros ordenadores cuánticos. Estos funcionan en las exigentes condiciones que requieren los fenómenos cuánticos: vacío ultraalto y temperaturas muy bajas (algunos grados o incluso fracciones de grado por encima del cero absoluto, es decir, apenas -273 °C).</p>
<p>Con el desarrollo actual de estas tecnologías cuánticas tan reales, es de temer que los charlatanes se suban aún más a la ola mediática actual.</p>
<p>Por tanto, debemos estar especialmente atentos al contenido científico y a la sinceridad de quienes nos ofrecen promesas de salud o prosperidad cuánticas, para evitar que la medicina cuántica se convierta en la homeopatía del mañana.</p>
<p>En este sentido, el caso Guerlain puede considerarse un rayo de esperanza, ya que ha supuesto un <em>electroshock</em> para muchos <a href="https://twitter.com/EtienneKlein/status/1742268657286209956">científicos</a> y <a href="https://twitter.com/epenser/status/1742620037528138174">divulgadores</a> –enlaces esenciales entre los científicos y el gran público– que se han pronunciado a coro sobre esta cuestión. El hecho de que todos los grandes medios de comunicación les hayan dado una cobertura inmediata y sin ambigüedades –lo que no siempre ocurre con las pseudociencias– es tranquilizador.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222317/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aymeric Delteil ha recibido financiación de la Agencia Nacional Francesa de Investigación (ANR).</span></em></p>Últimamente, el término “cuántico” es utilizado para promocionar productos (a menudo caros) que nada tienen que ver con esa rama de la física.Aymeric Delteil, Chercheur CNRS, Groupe d'étude de la matière condensée, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241172024-02-28T15:33:06Z2024-02-28T15:33:06ZClimat : nos systèmes alimentaires peuvent devenir plus efficaces, plus résilients et plus justes<p>À Paris, l’édition 2024 du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/salon-de-lagriculture-25013">Salon de l’Agriculture</a> se déroule dans un contexte particulier, entre <a href="https://theconversation.com/la-fnsea-syndicat-radical-derriere-le-mal-etre-des-agriculteurs-des-tensions-plus-profondes-222438">grogne des syndicats agricoles</a> et <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">colère des agriculteurs</a>.</p>
<p>Pendant ce temps, le réchauffement planétaire continue de s’accentuer, et expose la production agricole à une augmentation des dommages dus à ses conséquences : intensification des <a href="https://theconversation.com/des-temperatures-extremes-statistiquement-impossibles-quelles-sont-les-regions-les-plus-a-risque-210342">vagues de chaleurs</a>, sécheresses, <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-pluies-extremes-ce-que-dit-la-science-103660">pluies extrêmes</a>…</p>
<p>Comment y faire face ? Dans un <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/accelerer-la-transition-climatique-avec-un-systeme-alimentaire-bas-carbone-resilient-et-juste/">récent rapport du Haut conseil pour le climat</a>, nous montrons qu’il est possible d’accélérer la réduction des émissions de l’alimentation et de la production agricole, en protégeant l’avenir des agriculteurs et des consommateurs, notamment les plus vulnérables. Autrement dit, un cercle plus vertueux est possible.</p>
<h2>L’agriculture en première ligne des défis climatiques</h2>
<p>Chaque dixième de degré compte et expose la production agricole à une augmentation des dommages dus aux <a href="https://theconversation.com/les-risques-de-temperatures-extremes-en-europe-de-louest-sont-sous-estimes-213015">événements météorologiques extrêmes</a>.</p>
<p>On les observe déjà en France, à travers l’intensification des <a href="https://theconversation.com/secheresse-2022-un-manque-de-pluies-presque-ordinaire-aux-effets-exceptionnels-191323">sécheresses</a> à l’origine de <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-agriculture-les-economistes-alertent-sur-la-necessite-dintensifier-les-efforts-dadaptation-en-afrique-subsaharienne-218184">baisses de rendements</a> pour les cultures (dont le blé, le maïs, et les fourrages). D’autant plus que les vagues de chaleur induisent un <a href="https://theconversation.com/chaleur-et-humidite-leurs-effets-sur-notre-corps-se-font-sentir-plus-tot-que-prevu-212041">stress thermique</a> et hydrique néfastes tant pour les cultures que pour les animaux.</p>
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<p>Le réchauffement rend également les semis et les récoltes plus précoces, ce qui les expose davantage aux gelées printanières ainsi qu’à certaines maladies, par exemple les <a href="https://www.inrae.fr/actualites/laccave-10-ans-recherche-partenariat-ladaptation-viticulture-au-changement-climatique">maladies cryptogamiques (liées au développement de champignons) dans les vignobles</a>. De la même façon, plusieurs maladies touchant les animaux d’élevage <a href="https://www.anses.fr/fr/content/maladie-hemorragique-epizootique">risquent de se développer à cause du réchauffement</a>.</p>
<p>Les inondations, plus fréquentes du fait de l’élévation des températures, entraînent elles aussi de lourds dégâts, tant pour pour les sols, les cultures que le matériel agricole.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hersage sur un terrain inondé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Irri Photos/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les dommages liés au changement climatique représentent déjà des surcoûts pour les agriculteurs et les <a href="https://theconversation.com/risques-climatiques-les-tarifs-des-assurances-sont-ils-condamnes-a-augmenter-191216">assureurs</a> qui ont des <a href="https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/">répercussions sur les prix et la sécurité de l’approvisionnement alimentaire</a>.</p>
<p>Et ce n’est que le début : les conséquences du changement climatique sur les rendements des cultures et de l’élevage continueront de s’amplifier avec chaque incrément de réchauffement supplémentaire. Pour y faire face, il convient de combiner plusieurs transformations pour renforcer la résilience du système alimentaire et réduire son <a href="https://theconversation.com/une-alimentation-bonne-pour-moi-et-la-planete-tout-depend-de-la-ou-jhabite-153330">empreinte carbone</a>.</p>
<h2>Des systèmes alimentaires à transformer</h2>
<p>Car pour l’heure, l’adaptation des activités agricoles aux effets négatifs du changement climatique est surtout réactive. Elle intervient en réponse à des sécheresses ou des inondations, mais n’anticipe pas les transformations des systèmes agricoles et alimentaires qui seront nécessaires au cours des prochaines décennies du fait de la hausse de la température planétaire. Par exemple, le déplacement des aires de production agroclimatiques et les conséquences de l’accélération de la montée du niveau de la mer.</p>
<p>Pour autant, les interventions pour répondre au changement climatique ne doivent pas cibler seulement l’agriculture, mais l’ensemble du système alimentaire. En effet, l’alimentation représente <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995-2022">22 % de l’empreinte carbone des Français</a>, et cette empreinte carbone ne diminue <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/accelerer-la-transition-climatique-avec-un-systeme-alimentaire-bas-carbone-resilient-et-juste/">qu’insuffisamment au regard des objectifs climatiques</a>.</p>
<p>Bien que l’agriculture en France, comme dans les autres pays, représente <a href="https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/779-empreinte-energetique-et-carbone-de-l-alimentation-en-france.html">60 % de cette empreinte carbone</a>, d’autres activités y contribuent de manière significative principalement par des émissions de CO<sub>2</sub> :</p>
<ul>
<li><p>la transformation des aliments est à l’origine de 6 à 18 % des émissions <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995-2022">selon les méthodes</a>,</p></li>
<li><p>le commerce et la restauration de 12 %,</p></li>
<li><p>le transport notamment routier de 6 à 14 %.</p></li>
</ul>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les bovins sont de grands émetteurs de méthane, un gaz à effet de serre notoire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pexels</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Pour limiter l’escalade des impacts climatiques, il est indispensable d’atteindre l’objectif de zéro émission nette de CO<sub>2</sub> d’ici 2050 tous secteurs confondus.</p>
<p>Et cela, tout en réduisant fortement les émissions des autres gaz à effet de serre, comme le méthane, émis par l’élevage et la riziculture et le protoxyde d’azote émis par les sols fertilisés.</p>
<p>Cela implique de réduire l’ensemble des émissions du système alimentaire, dont l’agriculture, tout en renforçant le <a href="https://theconversation.com/pour-sauver-nos-systemes-alimentaires-restaurer-nos-sols-en-sequestrant-le-carbone-212820">stockage de carbone dans les sols</a> et dans la <a href="https://theconversation.com/mesurer-linvisible-la-dure-tache-de-calculer-le-stock-et-le-flux-de-carbone-dune-foret-212810">biomasse agroforestière</a>.</p>
<h2>Des freins systémiques à surpasser</h2>
<p>Le problème, c’est que la structure et le fonctionnement du système alimentaire actuel freinent l’adoption de pratiques agricoles et alimentaires bas carbone. Cela limite aussi la possibilité de changements transformationnels, tant du côté agricole que du côté de l’évolution de l’alimentation des consommateurs.</p>
<p>D’un côté, la transformation des pratiques agricoles se heurte aux <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100979080">difficultés économiques des agriculteurs</a> (pertes de production, inégalités et faiblesse des revenus de l’agriculture) et aux besoins de transferts de compétences (formation, accompagnement technique).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/agriculture-pourquoi-la-bio-marque-t-elle-le-pas-en-france-207510">Agriculture : pourquoi la bio marque-t-elle le pas en France ?</a>
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<p>De l’autre, les changements de régimes alimentaires sont fortement contraints par les environnements alimentaires proposés aux consommateurs, puisque les offres bas-carbone (par exemple, riches en protéines végétales) sont peu nombreuses, <a href="https://theconversation.com/affichage-environnemental-bio-ou-pas-comment-evaluer-limpact-ecologique-des-aliments-216505">peu visibles</a> et peu accessibles économiquement. Cela demande donc des efforts concertés des filières agricoles, des industries agroalimentaires et de la distribution.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Certains produits importés, comme la viande, contribuent fortement à ce qu’on appelle la déforestation importée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ted Eytan/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>En outre, une partie de cette offre alimentaire concerne des produits animaux importés, qui contribuent fortement à l’empreinte carbone de l’alimentation française, notamment via la <a href="https://theconversation.com/lutte-contre-la-deforestation-importee-en-europe-quelles-consequences-pour-des-millions-dafricains-187952">déforestation importée</a>.</p>
<p>Pour faciliter les changements, il est important de mobiliser l’ensemble du système alimentaire, des agriculteurs aux consommateurs, en passant aussi par l’agrofourniture, le conseil agricole, la formation, les coopératives, la transformation, la distribution et la restauration.</p>
<p>Or, les nombreuses interdépendances entre les maillons du système alimentaire, mais aussi la situation socio-économique du secteur (<a href="https://theconversation.com/comment-la-grande-distribution-sadapte-aux-tensions-sur-le-pouvoir-dachat-197146">inflation alimentaire</a>) et son organisation institutionnelle constituent d’importants freins au changement.</p>
<p>Cela concerne notamment les formes inégales du partage de la valeur au sein des filières, la concurrence internationale, la faiblesse des revenus agricoles, la structuration autour d’un nombre restreint de cultures et d’animaux et la concentration des acteurs de l’aval (industries agroalimentaires, distribution).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-producteurs-principaux-perdants-de-la-repartition-des-gains-de-productivite-de-lagriculture-depuis-1959-222780">Les producteurs, principaux perdants de la répartition des gains de productivité de l’agriculture depuis 1959</a>
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<p>Des options existent pourtant pour s’adapter au changement climatique tout en réduisant les gaz à effet de serre. Par exemple, la diversification des cultures permet de limiter les dommages en cas de sécheresse et cette diversification permet d’introduire des <a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-pilier-pour-des-systemes-agroalimentaires-plus-durables-en-europe-193186">légumineuses</a> (lentilles, pois…) qui <a href="https://theconversation.com/cultiver-des-legumineuses-pour-utiliser-moins-dengrais-mineraux-et-nourrir-la-planete-197256">ne nécessitent pas d’engrais azotés</a> (moins de gaz à effet de serre émis) et qui renforcent l’offre de protéines végétales.</p>
<p>Toutefois, cette diversification nécessite le développement de <a href="https://theconversation.com/legumineuses-insectes-nouvelles-cultures-les-scientifiques-au-defi-des-futurs-systemes-alimentaires-184512">nouvelles filières végétales</a>, avec leurs silos et leurs usines de transformation. Elle implique aussi des changements en aval de la production pour mieux transformer et valoriser ces produits dans l’offre en matière d’alimentation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-bonnes-pour-notre-sante-et-celle-de-la-planete-216845">Les légumineuses : bonnes pour notre santé et celle de la planète</a>
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<p>Un autre obstacle concerne la forte spécialisation des bassins de production. Dans les régions spécialisées en grandes cultures, les sols ne reçoivent pas assez d’azote organique issu de l’élevage et consomment beaucoup d’engrais de synthèse, alors que dans d’autres régions les élevages peinent à épandre leurs excédents d’azote organique. Ces déséquilibres régionaux contribuent aux pertes d’azote et aux émissions de <a href="https://theconversation.com/agroforesterie-intrants-labour-comment-ameliorer-le-bilan-carbone-de-lagriculture-165403">protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre</a>.</p>
<p>Enfin, le changement climatique comme les politiques de transition risquent de faire augmenter encore le <a href="https://www.i4ce.org/publication/alimentation-durable-budget-consommateurs-climat/">coût de l’alimentation</a> et d’accroître le risque de <a href="https://theconversation.com/insecurite-alimentaire-au-dela-du-prix-des-aliments-il-faut-sattaquer-aux-obstacles-systemiques-202933">précarité alimentaire</a>.</p>
<p>Par conséquent, on ne peut réduire les émissions de l’alimentation et de la production agricole sans protéger agriculteurs et consommateurs. Cela nécessite des mesures qui portent sur l’ensemble du système alimentaire dans un esprit de transition juste.</p>
<h2>Des solutions agroécologiques à portée de main</h2>
<p>Ces freins et verrous pourraient pourtant être levés. Il faudrait notamment :</p>
<ul>
<li><p>revaloriser les revenus des agriculteurs et des éleveurs en difficulté pour soutenir et accompagner leurs changements de pratiques,</p></li>
<li><p>réorienter les dispositifs de soutien vers un cap à long terme de résilience au changement climatique, et de baisse des émissions nettes de gaz à effet de serre,</p></li>
<li><p>mobiliser les acteurs de la transformation, du stockage, du transport, de la distribution et de la restauration, afin de maîtriser l’empreinte carbone de l’alimentation.</p></li>
</ul>
<p>De nombreuses options pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique peuvent être déployées de manière élargie dans toutes les composantes du système alimentaire. Elles concernent :</p>
<ul>
<li><p>la gestion des terres (<a href="https://www.inrae.fr/actualites/stocker-4-1-000-carbone-sols-potentiel-france">stockage de carbone dans les sols</a>),</p></li>
<li><p>l’<a href="https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/plus-vieux/agroforesterie-et-coefficients-carbone-du-giec">agroforesterie</a>,</p></li>
<li><p>les productions végétales (gestion adaptative de l’eau, <a href="https://www.inrae.fr/actualites/ble-tendre-secheresse-nouvelles-varietes-venir">tolérance à la sécheresse et à la chaleur</a>, <a href="https://www.inrae.fr/actualites/quelle-contribution-lagriculture-francaise-reduction-emissions-gaz-effet-serre">réduction des pertes d’azote et de la fertilisation minérale</a>,</p></li>
<li><p>et les productions animales (<a href="https://gabi.jouy.hub.inrae.fr/actualites/etude-de-l-adaptation-des-bovins-au-changement-climatique">tolérance à la chaleur</a>, santé animale, additifs alimentaires et <a href="https://www.inrae.fr/actualites/methane-2030-demarche-collective-francaise-focalisee-methane-enterique">sélection pour réduire les émissions de méthane</a>).</p></li>
</ul>
<p>Ces options peuvent être déployées dans le cadre de la transition <a href="https://theconversation.com/fr/topics/agro-ecologie-33625">agroécologique</a> afin de mobiliser les <a href="https://www.inrae.fr/dossiers/lagriculture-va-t-elle-manquer-deau/lagroecologie-source-solutions">régulations écologiques</a> (conservation des sols, renforcement de l’agrobiodiversité, complémentarités agriculture-élevage) au bénéfice de la production agricole, tout en bénéficiant <a href="https://www.inrae.fr/evenements/lancement-pepr-agroecologie-numerique">d’approches technologiques</a> (numérique, services climatiques)</p>
<p>La transformation des environnements alimentaires (l’environnement des consommateurs qui détermine les choix possibles), notamment la substitution de protéines animales par des protéines végétales, et la réduction du gaspillage à chaque étape sont nécessaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/voici-trois-bonnes-raisons-de-consommer-des-proteines-dorigine-vegetale-176097">Voici trois bonnes raisons de consommer des protéines d’origine végétale</a>
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<p>Ces actions combinées auraient des effets vertueux, en permettant de diminuer la consommation de produits alimentaires intensifs en émissions, de réduire l’empreinte carbone de la production agricole tout en évitant l’importation de produits alimentaires avec des effets d’augmentation de l’empreinte carbone importée.</p>
<p>Enfin, une importante difficulté tient au fait que les politiques agricoles et alimentaires sont aujourd’hui peu mobilisées en appui aux politiques climatiques.</p>
<h2>Un besoin de politiques plus engagées</h2>
<p>Il est clair que seule une coordination des politiques concernant l’agriculture, l’alimentation, la santé publique, le climat, la qualité de l’eau et de l’air, et la biodiversité, permettra de mener ces transformations.</p>
<p>Celles-ci doivent être menées tout en protégeant les agriculteurs français d’une forte augmentation des dommages causés par le changement climatique, en minimisant les coûts de la transition et en réduisant les risques économiques pour les acteurs du système alimentaire les plus vulnérables. Enfin, elles doivent garantir l’accès à une alimentation durable et saine pour tous les consommateurs.</p>
<p>Avec une vision partagée de l’agriculture et de l’alimentation bas carbone, adaptée au climat de demain, la France pourrait porter la réforme de la Politique agricole commune de l’Union européenne de 2028. Elle pourrait également, grâce à des lois d’orientation nationale, permettre la réduction des émissions du secteur agricole par au moins un facteur deux d’ici à 2050, <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/accelerer-la-transition-climatique-avec-un-systeme-alimentaire-bas-carbone-resilient-et-juste/">comme le montre notre rapport</a>. De quoi se rapprocher le plus possible de la neutralité carbone pour le secteur agricole, en augmentant fortement le stockage de carbone dans les sols agricoles et dans la biomasse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/que-sont-les-puits-de-carbone-et-comment-peuvent-ils-contribuer-a-la-neutralite-carbone-en-france-201420">Que sont les « puits de carbone » et comment peuvent-ils contribuer à la neutralité carbone en France ?</a>
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<p>Ceci réduirait la dépendance aux <a href="https://www.academie-sciences.fr/fr/Communiques-de-presse/communique-de-presse-foret-et-changement-climatique-menace-sur-le-puits-forestier-francais.html">puits de carbone forestiers</a>
qui sont fragilisés par le changement climatique, et à la capture et au <a href="https://theconversation.com/la-capture-et-le-stockage-du-carbone-comment-ca-marche-192673">stockage de carbone technologique</a>, qui sont des options <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/avis-sur-la-strategie-de-capture-du-carbone-son-utilisation-et-son-stockage-ccus/">plus coûteuses, limitées et risquées</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224117/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Financements publics reçus par l'INRAE pour des projets que j'ai coordonné : de l'Agence Nationale de la Recherche (France) ; du programme de recherche Horizon de la Commission Européenne ; du programme KIC Climat de l'Institut Européen de Technologie ; de l'ADEME (France).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Corinne Le Quéré préside le Haut conseil français pour le climat. Corinne Le Quéré a reçu des financements du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne dans le cadre de la convention de subvention n° 821003 (4C), du Conseil de recherche sur l'environnement naturel du Royaume-Uni sous la subvention NE/V011103/1 (Frontiers), de la Royal Society du Royaume-Uni sous subvention RP\R1\191063 (Professeur de recherche), et a reçu un don pour financer ses recherches de l'Institut virtuel de recherche sur le système terrestre (VESRI), une initiative de Schmidt Futures. Corinne Le Quéré est également membre du Comité britannique sur le changement climatique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marion Guillou est actuellement présidente de l’Académie d’agriculture de France et membre du Haut conseil pour le Climat.
Elle fait partie de plusieurs conseils d’administration privés et publics qui ne tirent aucun bénéfice des sujets traités dans cet article.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sophie Dubuisson-Quellier est directrice de recherche au CNRS et directrice du Centre de sociologie des organisations (CNRS-Sciences Po), membre du Haut conseil pour le climat. Dans le cadre de ses activités de recherche, elle a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet ANR-18-CE26-0016 sur les politiques alimentaires.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valérie Masson-Delmotte est directrice de recherches au CEA, et a été co-présidente du groupe I du GIEC de 2015 à 2023. Elle a reçu des financements de l'European Research Council pour le projet ERC Synergy AWACA sur le cycle de l'eau en Antarctique.</span></em></p>Nos systèmes agricoles et alimentaires sont en première ligne du changement climatique. Ils pourraient être transformés pour gagner en résilience et équité, et contribuer à la stabilisation du climat.Jean-François Soussana, Directeur de Recherche, InraeCorinne Le Quéré, Royal Society Research Professor of Climate Change Science, University of East AngliaMarion Guillou, Retired scientist, InraeSophie Dubuisson-Quellier, Directrice de recherche CNRS, Sciences Po Valérie Masson-Delmotte, Chercheuse en sciences du climat, coprésidente du groupe de travail I du GIEC, directrice de recherche au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2233912024-02-13T15:43:06Z2024-02-13T15:43:06ZBob Marley, chantre de l’émancipation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575052/original/file-20240212-24-ez1k2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1440%2C957&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'acteur Kingsley Ben-Adir se glisse dans la peau de l'idole.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-290882/photos/detail/?cmediafile=22056288">Allocine.fr</a></span></figcaption></figure><p><em>Bob Marley : One Love</em>. Nombreux seront sans doute celles et ceux à se rendre dans les salles de <a href="https://theconversation.com/topics/cinema-20770">cinéma</a> pour découvrir comment la vie de cet artiste iconique a été portée à l’écran par Reinaldo Marcus Green, et sous la supervision de son propre fils, Ziggy. Les fans pourront être sensibles aux nombreuses références et clins d’œil qui le parsèment, tandis que d’autres qui ne connaissent Bob Marley qu’à travers quelques titres comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CMB4I5HbOl4">« Jamming »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uf9DjrIEEwc">« Could You Be Loved »</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IT8XvzIfi4U">« No Woman No Cry »</a> découvriront probablement l’ampleur et la complexité du personnage.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bob Marley en concert au Dalymount Park, le 6 juillet 1980.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bob-Marley_3.jpg">Eddie Mallin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Né en 1945 en Jamaïque, petit pays de l’archipel des Caraïbes, Robert Nesta Marley appartient, par son succès, au panthéon de la musique populaire internationale. Ses albums se sont vendus par centaines de milliers – 700 000 ventes pour <em>Exodus</em>, sorti le 3 juin 1977, opus que l’on retrouve au cœur du film et désigné en 1998 « meilleur album du XX<sup>e</sup> siècle » par le <a href="https://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,36533,00.html"><em>Time Magazine</em></a> ; <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.jamaicaobserver.com%2Fentertainment%2FMarley-still-climbs-the-charts_10685764">25 millions pour la compilation posthume <em>Legend</em></a>, album à la <a href="https://www.nostalgie.fr/artistes/bob-marley/actus/bob-marley-legend-lalbum-au-sommet-des-charts-70249610">longévité exceptionnelle</a> dans le classement de ventes d’albums du magazine <em>Billboard</em>, dont il atteint régulièrement le sommet, de sa sortie en 1984 jusqu’à aujourd’hui. Seul le <em>Dark side of the moon</em> de Pink Floyd fait mieux. Le <em>New York Times</em> a même considéré Bob Marley comme l’<a href="https://www.nytimes.com/2000/01/03/arts/critics-choices-albums-as-mileposts-in-a-musical-century.html">« artiste le plus influent de la deuxième moitié du XXᵉ siècle »</a>. Près de 20 ans après la mort de l’artiste, c’est avec son titre « One Love », <a href="https://www.theguardian.com/media/1999/dec/03/mondaymediasection.broadcasting">« hymne pour le millénaire »</a> que la BBC fête le passage à l’an 2000.</p>
<p>Et cet immense succès n’a été construit qu’en sept petites années sur la scène internationale (après dix ans sur la scène jamaïcaine), entre 1973 quand les Wailers (Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailer) <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HwY7eY5I-9I">font découvrir au public britannique leur album <em>Catch a Fire</em></a>, et 1980 quand un cancer agressif interrompt brutalement la carrière de Bob, avant de l’emporter le 11 mai 1981. Sept ans durant lesquels il a parcouru les quatre coins du monde : l’Europe où il rassemblera par exemple 110 000 personnes dans le stade de San Siro à Milan (plus que le pape une semaine auparavant !) et <a href="https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2016/08/19/bob-marley-le-messie-qui-a-transporte-le-bourget_4985057_4497186.html">près de 50 000 en France au Bourget</a>, un record alors dans l’hexagone pour un concert payant, mais aussi les États-Unis, l’Australie, le Japon, l’Afrique – une tournée en Amérique latine était projetée, avant que la maladie ne se révèle.</p>
<p>Bob Marley est la première star de ce calibre à venir d’un pays du tiers monde, sans doute la seule jusqu’à ce que décolle dans les années 2000 la carrière de Rihanna, artiste native elle aussi des Caraïbes, de l’île de la Barbade. Mais Bob incarne une autre figure, déjà par son histoire : en 1945, à sa naissance, la Jamaïque est un pays extrêmement pauvre, toujours sous la domination britannique, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gCD6AG2yi5A">après des siècles de colonisation et d’esclavage</a>. Il en <a href="https://www.google.fr/books/edition/So_much_things_to_say_L_histoire_orale_d/5YFqDwAAQBAJ">vient des tréfonds</a> : vrai <a href="https://www.editions-allia.com/fr/livre/337/bass-culture">« country bwoy »</a>, gamin de la campagne, né d’une mère noire âgée de 18 ans et d’un père blanc de 65 ans qui ne l’a jamais considéré. Dans son village, il conduit les mules. Quand il arrive à Kingston, encore tout enfant, c’est à Trenchtown, quartier plus que populaire de la capitale, et on l’envoie apprendre la soudure plutôt qu’à l’école.</p>
<p>Bob Marley, c’est surtout – pour reprendre le slogan du biopic – une « icône », un « rebelle », une « légende ». Linton Kwesi Johnson, dub <em>poet militant</em>, le qualifie de <a href="https://www.google.fr/books/edition/So_much_things_to_say_L_histoire_orale_d/5YFqDwAAQBAJ">« Che Guevara de la culture populaire »</a>. Le titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yxmsZXYhQCg">« Zimbabwe »</a>, sur l’album <em>Survival</em> était l’hymne officieux des <em>guerilleros</em> de ce pays en lutte contre un régime blanc de type apartheid, et dont l’artiste est venu fêter la victoire en 1980.</p>
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<p><em>Bob Marley & The Wailers célèbrent l’indépendance du Zimbabwe en 1980</em></p>
<p>Ses morceaux ont également été repris lors de la chute du mur de Berlin. On a même entendu <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AeCHP-4iRbM">« Get Up, Stand Up »</a> et vu porter son portrait lors des manifestations de la place Tiananmen, en Chine, en 1989.</p>
<p>Comment ce petit garçon aux origines si modestes a-t-il pu atteindre le pinacle de la musique populaire internationale, et y incarner un chantre de l’émancipation ?</p>
<h2>Être une rock star rebelle… en parlant de la Bible ?</h2>
<p>Il y a certes d’abord la personnalité même de Bob Marley – qui a tout de l’étoffe des rock stars : beau, charismatique, d’une énergie apparemment inépuisable, un travailleur acharné derrière le fumeur de pétards, avec une volonté de fer, celle du « Tuff Gong », comme s’appelait son label, une expression bien difficile à traduire en français, mais qui dénote un « dur à cuire ». Il excelle comme auteur, comme compositeur, comme interprète. Il aime – <a href="https://dj.dancecult.net/index.php/dancecult/article/view/678/692">trait général et caractéristique de la musique populaire jamaïcaine d’ailleurs</a> – découvrir, expérimenter, maintenir sa musique en perpétuelle évolution. Il sera ainsi parfaitement à l’aise dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ysjaMz8oUBI">ska</a>, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vDJFqoUVASI">rocksteady</a>, les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6O0wp-zJmUE">débuts du reggae</a>, comme dans ses variations plus tardives comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PImR07Vmong">rub-a-dub</a>. Mais il est aussi capable de grandes ballades romantiques à la <a href="https://m.youtube.com/watch?v=IT8XvzIfi4U">« No Woman No Cry »</a>, ou d’hymne guitare-voix à la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B0xceHDpHcc">« Redemption Song »</a>. Rares sont les artistes à avoir traversé et développé une telle richesse et diversité musicales.</p>
<p>Ce qui est probablement le plus déterminant dans la carrure, l’aura et l’écho de Bob Marley, c’est la source de son inspiration, et le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/jamaica_jamaica_-9782707194282">cœur de son message</a>. Bob vient du plus profond d’une île, d’une société marquée par des siècles de colonisation et de racisme, par les intenses souffrances de l’histoire de la déportation et de l’esclavage, et leurs conséquences contemporaines. Il a grandi dans un monde empreint du message de <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/evenements/quelle-unite-pour-lafrique/">Marcus Garvey</a>, héros national jamaïcain, immense figure de la revendication et de l’affirmation de la fierté des Noirs descendants d’esclavisés, africains déportés aux Amériques. Puis Marley se convertit au rastafarisme dans les années 1960, un mouvement religieux qui reprend à son compte l’Ancien Testament, l’histoire d’un peuple élu, que Dieu ramène à la Terre promise après un exode de souffrance : ce peuple en exode ce sont les descendants d’esclavisés ; Dieu et sa figure messianique c’est Jah, Rastafari, l’empereur d’Éthiopie <a href="https://theconversation.com/fr/topics/haile-selassie-19813">Hailé Sélassié</a> ; la Terre promise c’est l’Afrique.</p>
<p>L’intensité et la profondeur – politiques, religieuses, mystiques – de cet héritage et de ce message donnent sans aucun doute à la voix de Bob Marley son souffle si puissant. Il semble lui-même porter quelque chose de prophétique, une aura <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UZfaIx57UqU">naturelle mystique</a>, lui qui avait annoncé tout jeune qu’il mourrait trois ans plus vieux que le Christ. Kingsley Ben-Adir, qui l’interprète dans le film, caractérise comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KmOn6LomXd0">« otherworldly » (« d’un autre monde ») la présence de Bob sur scène</a>.</p>
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<p><em>Londres, Rainbow theatre en 1977 : sur son titre « Lively Up Yourself », Marley pose sa guitare et entame une danse « otherworldly ».</em></p>
<p>Tout jeune enfant, le petit Nesta Marley était déjà réputé dans sa campagne pour son don de chiromancie. Une scène du film y fait un clin d’œil, lorsqu’on le voit regarder dans le creux de la main de sa femme Rita. C’est là un petit anachronisme : enfant, au retour d’un premier séjour à Kingston, il avait annoncé ne plus vouloir prédire l’avenir, mais jouer de la musique – comme si c’était dans la musique qu’il avait décidé de déployer dorénavant ses dons.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Exodus</em>, désigné en 1998 « meilleur album du XXᵉ siècle » par le magazine <em>Time</em>.</span>
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<p>Il pourrait sembler paradoxal qu’un tel message touche un si large public : l’« album du siècle », selon le <em>Times</em>, le premier immense succès de Bob Marley, c’est <em>Exodus</em>, le <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/2022-10/010055233.pdf">livre de l’Exode, l’Ancien Testament appliqué aux descendants d’esclavisés</a>. Dans le film de Reinaldo Marcus Green, un publiciste d’Island Records, qui produit et distribue l’album, pose explicitement la question : comment espérer vendre un album qui a pour titre un livre de l’Ancien Testament, qui plus est avec une pochette sans image, constitué juste d’un titre écrit avec des lettres étranges, en calligraphie amharique, l’écriture éthiopienne ? Comment penser que des jeunes s’intéresseront à des chansons qui évoquent la Bible ?</p>
<p>Et pourtant avec Bob Marley, ça marche, ça touche très largement : les 110 000 personnes qui viennent l’applaudir à Milan, ce ne sont pas 110 000 rastas. Même les guérilleros qui prennent « Zimbabwe » pour hymne ne connaissent pas le mouvement rastafari. Et plus fort encore : un des premiers publics non jamaïcains à écouter les Wailers et Bob Marley, à porter des T-shirts <a href="https://www.youtube.com/watch?v=b0DU5uhoq-4">Rastaman Vibration</a>, ce sont les <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/4740">premiers skinheads et punks britanniques</a>, qui ne sont pas vraiment réputés pour leur sensibilité religieuse.</p>
<h2>Une vibration universelle : l’émancipation</h2>
<p>Si Bob Marley parvient à donner toute sa puissance à cette voix, c’est qu’il sait en faire vibrer l’écho universel. Depuis son histoire particulière, il donne une voix à tous les « sufferers », tous ceux qui souffrent. Son message parle largement, parce qu’il est militant, mais pas partisan, parce qu’il est mystique, mais ni prosélyte ni sectaire.</p>
<p>Militant mais pas partisan, Bob Marley l’est parce que son expérience de la politique c’est celle de la Jamaïque des années 1960 et 1970, la <a href="https://journals.openedition.org/volume/5181">corruption et la violence</a>. Aucun parti ne semble avoir authentiquement à cœur les intérêts du peuple. Et le niveau de violence est tel que d’obscures motivations politiques pourraient être derrière la tentative d’assassinat dont Bob Marley a été victime en décembre 1976, scène qui ouvre son biopic. Quand, en 1978, après un long exil londonien pendant lequel il compose notamment l’album <em>Exodus</em>, il revient en Jamaïque pour le « One Love Peace Concert », ce n’est pas pour prendre parti : c’est pour réunir son île déchirée par les partis. Sur scène, face à une foule immense parsemée d’hommes armés, dans un moment historique, il joint les mains des deux adversaires politiques, Michael Manley et Edward Seaga.</p>
<p>Si Jah est omniprésent dans ses chansons, Bob ne cherche pas véritablement à convertir ni à détailler les principes et doctrines du mouvement rastafari. Il veut diffuser ce qu’il considère en être l’essence, le cœur du message : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zCgu_GSex0k">l’amour</a> (« One Love » !), la <a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=B0xceHDpHcc">rédemption</a>, la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-JwL3lPBQ5E">lutte pour la justice</a> – pour que d’autres le reprennent.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EHSQLU712iQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ziggy Marley, à l’avant-première du biopic qu’il produit : « Porter la vie de mon père sur le grand écran, c’est pour nous un moyen de plus de répandre au monde son message d’amour », Paris, Grand Rex, 1er février 2024.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est probablement « Redemption Song », dernière piste de son dernier album, un hymne guitare-voix dont le dépouillement et l’intimité sont uniques dans le répertoire de Bob, qui le résume le mieux :</p>
<blockquote>
<p>« Emancipate yourself from mental slavery<br>
None but ourselves can free our minds […]<br>
Won’t you help to sing these songs of freedom<br>
‘Cause all I ever have : Redemption songs, Redemption songs<br>
(« Emancipez-vous de l’esclavage mental<br>
Personne d’autre que nous-mêmes ne peut libérer nos esprits […]<br>
Ne m’aiderez-vous pas à chanter ces chants de liberté ?<br>
Parce que c’est tout ce que j’ai jamais eu : des chants de rédemption, des chants de rédemption »)</p>
</blockquote>
<h2>Le reggae, une musique de liberté</h2>
<p>Le vecteur du message, c’est un style musical spécifique, le reggae, une musique dont le premier objectif est de saisir le corps, de <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Sonic-Dominance-and-the-Reggae-Sound-System-Session-Henriques/3d05ed941d87e2c961e9eefebba04e70be900d3e"><em>littéralement</em> faire vibrer physiquement</a> – comme Marley vibre de son histoire et du message qu’il veut transmettre. Dans les <em>sound systems</em> jamaïcains, on dit que si le son est bon, une bouteille de bière ne peut tenir debout.</p>
<p>Le reggae, c’est une musique profonde avec des basses lourdes, fondamentales dans le mix, des basses qui semblent manifester l’enracinement, les « roots ». Le reggae, c’est aussi ce côté syncopé, ce contretemps qui prend à contrepied, qui entraîne et qui déstabilise. Et c’est ce côté <a href="https://www.routledge.com/Vibe-Merchants-The-Sound-Creators-of-Jamaican-Popular-Music/Hitchins/p/book/9781032404257">« <em>raw</em> »</a>, un peu rude, « brut de décoffrage », qui accroche et peut-être grince un peu – comme la voix si singulière de Bob Marley. Dans le film, on voit les Wailers présenter au producteur Coxsone Dodd ce qui sera leur tout premier tube, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ysjaMz8oUBI">« Simmer Down »</a>, en 1964. Plusieurs prises du morceau ont été réalisées, et dans celle choisie par Coxsone pour être pressée et diffusée, il y a une erreur, un petit truc qui déraille : l’un des acolytes de Bob, Peter Tosh, se trompe et entame un refrain au mauvais moment. C’est probablement ce côté rugueux qui a séduit les skinheads et punks britanniques dans les années 60 et début 70.</p>
<p>La forme musicale même constitue ainsi un véhicule idéal pour ce message. D’ailleurs, partout où le reggae a porté, ceux qui l’ont entendu se le sont approprié, pour y poser leur propre volonté d’émancipation.</p>
<h2>Bob Marley, trop universel ?</h2>
<p>Mais Bob Marley aurait-il perdu en authenticité en cherchant à toucher le plus large possible, aux quatre coins du monde, avec un message plus universel et une forme de reggae « international » nourri d’influences extérieures ? Le film montre par exemple l’arrivée de Junior Marvin, un guitariste rock qui avait collaboré avec Stevie Wonder, aux cheveux lissés – loin des canons du reggae rasta jamaïcain ! – sur la suggestion du producteur Chris Blackwell, du label Island, celui qui propulse Bob Marley et les Wailers sur la scène internationale.</p>
<p>En 1974, pour la sortie du premier album international solo de Bob, il y a débat sur le titre : <em>Knotty Dread</em> ou <em>Natty Dread</em>, des dreadlocks « noueuses » ou « élégantes » ? Pour un Jamaïcain, cela se prononce pratiquement de la même manière, mais une fois porté à l’écrit, la connotation n’est pas la même… Dans les deux cas, Bob Marley tranche : oui pour Junior Marvin, pour accrocher un public qui vient du rock, et ce sera « Natty Dread » – des dreadlocks élégantes, certes, mais qui chantent <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bJ-yZ2WwXqk">« Revolution »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Survival » ou « Black Survival » ?</span></figcaption>
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<p>Une des meilleures illustrations de cette ouverture de Bob Marley à un large public sans compromission du message originel est probablement <a href="https://www.google.fr/books/edition/So_much_things_to_say_L_histoire_orale_d/5YFqDwAAQBAJ">l’histoire du titre et de la pochette de l’album <em>Survival</em></a>. Celui-ci devait originellement s’intituler <em>Black Survival</em>, mais Bob Marley a préféré lui donner une dimension plus universelle en omettant le « Black ». Cependant la pochette de l’album montre ce <em>Survival</em> écrit sur la représentation d’un navire négrier, encadré des drapeaux de tous les pays africains. Un message universel, oui, mais dont l’origine et la puissance proviennent d’une histoire et d’une souffrance particulières – celles des descendants des Noirs esclavisés déportés d’Afrique.</p>
<hr>
<p><em>Thomas Vendryes tient à remercier Audrey Bangou pour sa précieuse contribution à la conception et à la relecture de ce texte.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Vendryes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’occasion de la sortie du biopic « Bob Marley : One Love », retour sur la vie et l’œuvre d’un artiste qui a su transmettre un message universel, au-delà d’un fort ancrage politique et religieux.Thomas Vendryes, Maître de conférence au Département de Sciences Humaines et Sociales de l'ENS Paris-Saclay, Centre for Economics at Paris-Saclay (CEPS), École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2209772024-02-04T15:35:29Z2024-02-04T15:35:29ZPourquoi il est si difficile de prévoir les orages d'été<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572862/original/file-20240201-17-rw4i15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C2640%2C1742&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les orages, des phénomènes imprévisibles ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/photo-de-lile-et-du-tonnerre-E-Zuyev2XWo">Johannes Plenio/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les orages surviennent partout dans le monde et à tout moment de l’année, mais ils sont plus intenses et plus fréquents dans les régions tropicales, et, sous nos latitudes, en été. En effet, les orages et la canicule sont étroitement liés, car la chaleur accumulée pendant les périodes de beau temps est le carburant qui alimente les orages les plus intenses.</p>
<p>Néanmoins, pendant les vagues de chaleur, les modèles atmosphériques et les météorologues prévoient souvent des orages « dans les prochains jours »… mais ces tempêtes ne se produisent pas et semblent éternellement repoussées.</p>
<p>Alors, les météorologues souffrent-ils d’hallucinations ? Et bien non – il ne s’agit pas seulement d’une impression due à l’impatience du public qui aspire à un rafraîchissement. Il y a de vraies raisons scientifiques qui rendent particulièrement difficile de prévoir quand une vague de chaleur sera finalement interrompue par un épisode orageux, rafraîchissant mais parfois destructeur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1671283528418435075"}"></div></p>
<h2>La recette des orages : chaleur, humidité… et complexité</h2>
<p>Pour comprendre ce qui se passe, il faut d’abord comprendre ce qu’est un orage. Les orages sont une valve utilisée par la nature pour dissiper l’énergie excessive accumulée près de la surface de la terre sous forme de chaleur et d’humidité. Cette énergie est stockée dans la « couche limite planétaire », dont l’épaisseur varie de quelques centaines de mètres à 2-4 kilomètres l’été.</p>
<p>On le voit très bien si l’on regarde un orage d’en haut en accéléré : il ressemble à des bulles émergeant du fond d’une casserole lorsque l’eau commence à bouillir et que la vapeur, plus légère que l’eau liquide, veut s’échapper vers la surface.</p>
<figure> <img src="https://www.weather.gov/images/dlh/StormSummaries/2020/July8/78satloop3.gif"><figcaption>Le 8 juillet 2020, de sévères orages frappent les États-Unis. Images du satellite GOES-East, prises à intervalles de une minute. Source : NOAA </figcaption></figure>
<p>En été, notamment pendant les vagues de chaleur, la température monte près de la surface de la Terre. Souvent une grande quantité d’humidité y est également piégée, qu’elle provienne de la mer toute proche ou qu’elle s’évapore de la végétation. Cet air chaud et humide est moins dense que l’air en altitude (donc plus léger), et il veut s’élever vers le sommet de l’atmosphère – une élévation qui libérerait l’énergie accumulée à basse altitude.</p>
<p>Mais les choses ne sont pas si simples : les vagues de chaleur sont liées à des systèmes de haute pression, également appelés « anticyclones ». Ces systèmes de haute pression compriment l’air vers le sol, supprimant tout mouvement ascendant et empêchant donc l’air de monter.</p>
<p>L’énergie dans la couche limite planétaire s’accumule… et se prépare à être libérée de manière explosive comme un pistolet chargé. « Loaded gun », c’est d’ailleurs le terme utilisé par les météorologues américains pour communiquer sur les situations météorologiques particulièrement dangereuses qui conduisent aux vagues d’orages extrêmes et de tornades, et qui affectent les États-Unis plus que toute autre région de la planète.</p>
<p>Un exemple emblématique est la <a href="https://www.nssl.noaa.gov/about/history/2011/">vague d’orages et de tornades</a> qui a frappé les États-Unis du 25 au 28 avril 2011 : ces jours-là, 200 tornades ont frappé cinq États du sud, causant plus de 300 morts. Des conséquences fatales, alors même que la tempête avait été bien prévue à l’avance, et que les météorologues avaient reconnu le terrible potentiel d’une atmosphère en « pistolet chargé » (<em>loaded gun</em>).</p>
<h2>Quels détonateurs pour les « pistolets chargés » atmosphériques</h2>
<p>De <a href="https://www.weather.gov/source/zhu/ZHU_Training_Page/thunderstorm_stuff/Thunderstorms/thunderstorms.htm">multiples phénomènes peuvent servir de détonateur pour libérer l’énergie et déclencher les orages</a>. Dans certains cas, la présence d’une montagne suffit : agissant comme un trampoline, la montagne oblige l’air à monter, parfois suffisamment pour atteindre des altitudes où il est alors capable de continuer seul, et enfin de libérer l’énergie. C’est la raison pour laquelle, dans des régions comme les Alpes et le Massif central, les orages estivaux se produisent souvent alors que le reste du pays est encore sous un temps très chaud et sec.</p>
<p>Parfois, l’anticyclone devient simplement très vieux et commence à se dégrader, ou bien il est remplacé par un système dépressionnaire : le premier jour où la pression a suffisamment baissé, le soleil de l’après-midi chauffe la surface au point que l’air sort enfin de sa prison anticyclonique.</p>
<p>Une autre cause fréquente de déclenchement d’orages est l’arrivée d’une masse d’air froid : beaucoup plus dense que l’air chaud sous le dôme anticyclonique, elle agit comme un coin pour fendre le bois, en soulevant abruptement l’air chaud près du sol.</p>
<p>Un autre élément déclencheur possible est le passage de forts courants de vent en altitude, dans lesquels la direction du vent diverge, comme une route à quatre voies qui se divise en deux routes à deux voies allant dans des directions légèrement différentes. Cela crée une sorte de vide dans la haute atmosphère, qui doit être compensé par une remontée d’air près du sol.</p>
<p>La plupart du temps, on observe une combinaison de phénomènes.</p>
<p>Par exemple, nous pouvons examiner la situation météorologique présente sur la France le 20 juin 2023, telle que vue par la <a href="https://www.ecmwf.int/en/forecasts/dataset/ecmwf-reanalysis-v5">réanalyse</a> du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF). Ce jour-là, des <a href="https://www.keraunos.org/actualites/fil-infos/2023/juin/orages-grele-supercellules-vent-pays-basque-gers-tarn-et-garonne-20-juin-foudre">orages violents se sont développés sur la France</a>, produisant de gros grêlons, des tempêtes de vent, de nombreux éclairs et des nuages spectaculaires.</p>
<p>Ce jour-là, un fort anticyclone était encore présent sur l’Europe centrale, tandis que la France était approchée par un système de basse pression entre le Royaume-Uni et l’Islande. De plus, le gradient de pression sur la France était également lié à un couloir de vents divergents dans les niveaux supérieurs de l’atmosphère, tandis que de l’air plus chaud que la normale s’attardait encore sur le pays : une recette parfaite pour la formation d’orages.</p>
<h2>Pourquoi tant de difficultés à prévoir un phénomène tout à fait commun</h2>
<p>Les météorologues savent donc ce que sont les orages et comment ils fonctionnent. Alors, pourquoi avons-nous du mal à les prévoir ?</p>
<p>Parce que le fait que de multiples facteurs concourent à la formation des orages implique également de multiples sources d’erreur.</p>
<p>En effet, les modèles de prévision météorologique sont très fiables à un horizon de quelques jours, après quoi leurs performances tendent à diminuer. En cas d’anticyclone anormalement persistant, le modèle produit souvent une prévision erronée de son affaiblissement (avec orages associés), et cette prévision se voit corrigée au fur et à mesure, repoussant les prédictions d’orages plus loin dans le futur. Parfois, lorsque l’anticyclone s’affaiblit effectivement, les conditions ont changé par rapport à la prévision précédente, de sorte que la fin de la vague de chaleur n’est plus associée à des orages. C’est un peu un « effet mirage ».</p>
<p>Dans de nombreux cas, la situation est encore plus compliquée. Bien qu’ils soient puissants et spectaculaires, les orages sont assez petits en taille par rapport à l’ensemble d’un système de haute pression. Certains des éléments que nous avons évoqués et qui les produisent peuvent être affectés par des variations environnementales même minimes. Par exemple, le vent de haute altitude peut être un peu plus faible ou moins divergent, ou le ciel un peu plus nuageux le matin, ce qui suffit à consommer l’énergie avant que les orages ne se déclenchent.</p>
<p>Les orages ont toujours été considérés comme peu prévisibles et volatils, et ce pour de bonnes raisons. Les progrès scientifiques futurs, notamment les efforts continus pour améliorer la description de la physique de l’atmosphère, mais aussi l’<a href="https://www.ecmwf.int/en/about/media-centre/science-blog/2023/rise-machine-learning-weather-forecasting">essor de l’intelligence artificielle</a> dans le domaine des prévisions météorologiques permettront de les prévoir de mieux en mieux au fil du temps.</p>
<p>Cependant, les prévisions ne seront jamais parfaites, en raison de la <a href="https://theconversation.com/leffet-papillon-quest-ce-qui-se-cache-derriere-la-theorie-du-chaos-179878">nature chaotique de l’atmosphère</a>, qui amplifie même la plus petite (et inévitable) erreur affectant les conditions initiales de la prévision.</p>
<p>Les canicules interminables et les orages imprévus (ou mal prévus) sont ainsi une occasion de s’émerveiller encore de la nature… et d’être un peu indulgent envers votre météorologue favori !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220977/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Flavio Pons ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la météorologie est capable de prévoir de plus en plus finement le temps qu’il fera, la prévision des orages est encore complexe.Flavio Pons, Post-doctorant au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE), CEA, CNRS, UVSQ, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2222222024-01-30T16:07:24Z2024-01-30T16:07:24ZSanction contre Amazon : comment penser la surveillance des salariés sans tomber dans l’excès ?<p>La <a href="https://theconversation.com/topics/commission-nationale-de-linformatique-et-des-libertes-cnil-137097">Commission nationale de l’informatique et des libertés</a> (Cnil) vient de condamner, après quatre années de procédure, le 23 janvier dernier la filiale française d’<a href="https://theconversation.com/topics/amazon-40118">Amazon</a> chargée des entrepôts logistiques à une amende d’un montant de 32 millions d’euros. Cela « notamment pour avoir mis en place un système de <a href="https://theconversation.com/topics/surveillance-20967">surveillance</a> de l’activité et des performance des salariés excessivement intrusif », selon le communiqué de la commission.</p>
<p>Le travail, comme l’a rapporté le quotidien <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/amazon-condamne-a-32-millions-deuros-damende-par-la-cnil-pour-surveillance-des-salaries-2070768"><em>Les Échos</em></a>, y semble en effet strictement minuté. Chaque salarié doit enregistrer les colis préparés pour les clients à l’aide d’un scanner qui enregistre les données : les managers peuvent ainsi analyser le temps de latence entre deux scans. Ils disposent par la même d’un indicateur d’inactivité. On se situe dans une stricte logique de taylorisation du travail industriel, « chronométrant chacun des éléments des divers genres de travaux et trouver ensuite le temps minimum en additionnant les temps partiels » comme l’écrivait l’ingénieur <a href="https://www.lesechos.fr/2014/07/frederick-taylor-pere-de-lorganisation-scientifique-du-travail-306063">Frederick Taylor</a> au <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/organisation-du-travail-et-economie-des-entreprises-9782708111585/">début du XXᵉ siècle</a>. En France, l’introduction de ce système en novembre 1912 par Louis Renault dans huit de ses ateliers généra deux grèves successives.</p>
<p>S’agissant ainsi d’Amazon, on se situe ainsi au cœur d’une rationalisation on ne peut plus traditionnelle du travail combinée avec une innovation structurante, le commerce en ligne. Et si certaines tâches répétitives pourraient bientôt, comme l’a annoncé la firme de Seattle, être effectuées par des robots humanoïdes, ce contrôle peut s’exercer également dans un autre contexte et sous une autre forme auprès de « cols blancs ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gak95xQSUVA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le cas nous conduit en effet à interroger cette problématique managériale contemporaine que constitue cet arbitrage entre confiance envers ses équipes et lâché-prise d’un côté, et contrôle parfois excessif de l’autre.</p>
<p>La surveillance et le contrôle méticuleux débordent en effet largement le cas « usinier » d’Amazon. Le déploiement du télétravail dans la période récente a pu générer des pratiques de cybersurveillance fondées sur la suspicion et la méfiance, cela même alors que sous des formes atténuées elles peuvent toutefois présenter un intérêt pour les salariés.</p>
<h2>Les ambiguïtés de la surveillance</h2>
<p>Chargés officiellement d’identifier les salariés en surcharge de travail de manière à mieux les soulager, ou de faire respecter les règles de sécurité, des <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/10-cles-pour-preparer-mon-entreprise-au-travail-a-distance-9782416000980/">logiciels</a> tels Activ Trak, InterGuard, Teramind, Desk Time, InnerActiv, peuvent devenir en réalité des manières de s’assurer de la productivité des télétravailleurs en contrôlant leur activité. D’autres plates-formes enregistrent les frappes sur les claviers des employés (keyloggers), de suivre l’historique du navigateur ou les mouvements de la souris. La vérification de la présence se réalise possiblement à travers le contrôle des heures de connexion, la fréquence des conversations audio, une webcam ou des captures d’écran.</p>
<p>Une <a href="https://www.getapp.fr/blog/1822/mefiance-utilite-rapport-ambigu-salarie-surveillance">étude</a> menée en 2020 révélait déjà que 45 % de salariés travaillent dans une entreprise qui utilise des outils de surveillance. Une <a href="https://www.vmware.com/content/dam/learn/en/amer/fy22/pdf/vmw-virtual-floorplan-exec-summary_r3v2-1162603.pdf">autre</a>, un an plus tard, établissait que 63 % des entreprises françaises prévoyaient d’adopter ou ont déjà mis en œuvre des outils ayant pour objet de renforcer la supervision de leurs employés en situation de télétravail. Un manque de confiance, voire de la défiance, une forme d’infantilisation régressive ?</p>
<p>La surveillance qui s’effectue via du matériel fourni par l’entreprise (ordinateur et applications utilisées) demeure légale sous la condition que les télétravailleurs en aient été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900861">informés</a> par leur employeur et qu’une déclaration soit effectuée auprès de la Cnil. Comme tout autre moyen de surveillance, il doit satisfaire des dispositions générales du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900785">Code du travail</a> et du règlement général sur la protection des données.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1749413896367018035"}"></div></p>
<p>Selon des conclusions récentes, <a href="https://theconversation.com/8-des-teletravailleurs-seulement-se-sentent-surveilles-220717">peu de télétravailleurs se sentent surveillés</a>. Et quand bien même, cette surveillance semble <a href="https://www.getapp.fr/blog/1822/mefiance-utilite-rapport-ambigu-salarie-surveillance">relativement bien acceptée</a> : c’était le cas de 41 % des interrogés d’une enquête à la sortie des confinements qui y trouvaient même des avantages. Les salariés y voient certains avantages, en particulier le bénéfice d’une confiance mutuelle grâce aux preuves tangibles que le travail est effectivement réalisé, une motivation pour fournir des résultats ou les dépasser, et la prise en compte des heures supplémentaires. Mais pareille surveillance est assurément d’une autre nature et peut s’apparenter à un soutien managérial.</p>
<h2>Quelles réponses managériales ?</h2>
<p>Quatre pistes de réponse à pareilles problématiques peuvent être proposées.</p>
<p>Une première piste fait inévitablement référence à la « question de la <strong>confiance</strong> », laquelle a fait l’objet d’une immense <a href="https://www.jstor.org/stable/258792">littérature</a> tant académique que professionnelle. Trois ingrédients principaux lui sont attribués : les degrés de compétence, de bienveillance (altruisme) et d’intégrité (valeurs). Dans un <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/le-management-par-la-confiance-9782212574319/">ouvrage</a> de 2020, un collectif de chercheurs déclinait également le concept en trois modalités, toutes trois devant être considérées par qui veut mettre en place un management par la confiance : la confiance suscitée (comment inspirer confiance), la confiance donnée (faire confiance) et la confiance en soi. Plusieurs <a href="https://newsroom.malakoffhumanis.com/actualites/malakoff-humanis-presente-les-resultats-de-son-barometre-teletravail-et-organisations-hybrides-2022-0686-63a59.html">enquêtes</a> soulignent un fort impact du télétravail en la matière et dressent un bilan encourageant.</p>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Une seconde option réside dans ce que l’on nomme le <strong>management « dialogique »</strong>, inspiré par le philosophe <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-methode-edgar-morin/9782020092579">Edgar Morin</a>. Il articule trois notions : la confiance, le contrôle et l’autonomisation. La confiance, en effet, ne s’oppose a priori ni au contrôle ni à l’autonomie, mais en constitue le complément nécessaire. En matière managériale, il s’agit alors d’imaginer au cas par cas des formes de pilotage et de contrôle conduisant à l’autonomisation des personnes et des collectifs. Elles sont en réalité de trois natures pouvant se combiner, voire se cumuler : un contrôle par les pairs notamment dans le cadre d’activités de nature collective et collaborative, un contrôle par la culture fondé sur une intériorisation individuelle et collective des valeurs prônées par l’organisation et un contrôle plus classique par les objectifs.</p>
<p>Le <strong><a href="https://academic.oup.com/sf/article-abstract/40/2/190/2227538">« contrat psychologique »</a></strong> constitue une troisième piste. Celui-ci regroupe l’ensemble des attentes, explicites ou non, cohérentes ou non avec le contrat de travail, qu’un travailleur forme sur son entreprise. Il constitue les termes spécifiques d’un échange social potentiellement bénéfique et prometteur en termes d’autonomie et de confiance. C’est ce qu’ont relevé deux <a href="https://www.annales.org/gc/2021/gc144/2021-06-04.pdf">chercheurs</a> lors d’une étude réalisée en 2021 portant sur des collaborateurs nouvellement en situation de télétravail dans un établissement d’enseignement supérieur privé. Ils mettent notamment en exergue une réponse à des « attentes réciproques » : l’employeur va au-delà de ses promesses en accordant davantage de confiance avec le télétravail ; le télétravailleur va au-delà de ses engagements en développant des comportements « hors rôle », en accroissant sa charge de travail et en augmentant son implication.</p>
<p>Le <strong>management de l’isolement professionnel</strong> est une quatrième voie envisageable, en ce qu’elle constitue l’un des aspects saillants potentiellement les plus sensibles du télétravail. Les dirigeants et les managers doivent être particulièrement attentifs à ce risque et à ses effets, sachant par ailleurs que les ressentis peuvent différer. Les individus, nous le savons, ne sont pas tous égaux devant ce phénomène, et n’ont notamment pas tous le même confort à domicile. Plusieurs recherches soulignent l’importance du <a href="https://journals.lww.com/joem/fulltext/2020/12000/teleworking_and_employee_well_being_in_corona.35.aspx">soutien social des collègues</a> et confirment que le soutien social constitue une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7675760/">aide précieuse</a> contribuant au bien-être des télétravailleurs. Inversement, une logique de surveillance des télétravailleurs (ainsi qu’une charge de travail supplémentaire) vient compromettre ce soutien. On retiendra plus généralement qu’une approche combinant subtilement soutien, bienveillance et exigence participe, si besoin, à la construction ou au renforcement de la confiance dans la réalisation des activités et leur autonomisation.</p>
<p>À la lumière des enquêtes et recherches citées sous forme de pistes prometteuses et encourageantes, on peut à ce stade en effet mobiliser l’acronyme LAIM, pour « leadership managérial durablement augmenté et inclusif » afin de souligner à travers la légitimité et la confiance qui lui est associée, la largeur de la palette prometteuse qui est potentiellement suggérée aux managers au regard des leviers à actionner pour mobiliser et soutenir leurs équipes. Cet acronyme comporte au passage assurément des analogies avec celui de CARE, pour Confiance, Autonomie, Responsabilité, Engagement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222222/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Bouchez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Amazon a récemment été condamnée par la Cnil pour une surveillance trop intrusive de ses salariés : comment les gérants des entreprises peuvent-ils répondre à cette problématique ?Jean-Pierre Bouchez, Directeur de recherches en sciences de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2214202024-01-28T16:07:04Z2024-01-28T16:07:04ZFin de vie : pourquoi le « droit de provoquer délibérément la mort » bouleverserait l’éthique médicale et la relation de soin ?<p>En ce début de 2024, les contours ainsi que les règles d’application d’une législation favorable à l’aide à mourir semblent se préciser, en dépit d’un exercice politique difficile à décrypter. Le président de la République Emmanuel Macron <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/fin-de-vie-emmanuel-macron-confirme-un-texte-distinct-sur-les-soins-palliatifs-2045152">devrait annoncer sa position définitive en février</a>. Dans un premier temps, il semble acquis qu’elle concernera les soins palliatifs.</p>
<p>L’arbitrage législatif qui suivra le projet de loi sera notamment consacré aux conditions d’encadrement du caractère « exceptionnel » de l’aide à mourir ainsi qu’à ses conséquences sur la déontologie des pratiques soignantes.</p>
<p>J’évoquerai tout d’abord l’émergence du concept d’exception d’euthanasie il y a 24 ans (car la distinction entre suicide médicalement assisté et euthanasie semble l’un des points de tension éthique dont il sera débattu), avant d’anticiper l’impact d’une médecine du faire mourir dans la rédaction du prochain code de déontologie médicale.</p>
<h2>« Une sorte d’exception d’euthanasie »</h2>
<p>Rappelons que l’euthanasie est un acte ayant pour intention d’interrompre volontairement et médicalement une vie. Elle se distingue du suicide, voire du suicide « médicalement assisté », en ce que l’intervention directe du médecin provoque la mort.</p>
<p>Dans son avis du 27 janvier 2000 intitulé <a href="https://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/avis-63-fin-de-vie-arret-de-vie-euthanasie">« Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie »</a>, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) indiquait que l’euthanasie « consiste en l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable. »</p>
<p>Il me semble utile d’en reprendre ici quelques extraits, car cet avis préfigure le cadre législatif qui pourrait être proposé en 2024, au même titre que l’avis du 13 septembre 2022 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité ».</p>
<p>Lors de la publication du texte en 2000, le CCNE anticipait avec clairvoyance les risques d’une contractualisation de la relation de soin qui intégrerait le droit de disposer des compétences du soignant pour exécuter une demande de mort (ce à quoi s’opposent <a href="https://sfap.org/system/files/avis_ethique_commun_-_160223.pdf">plusieurs sociétés savantes de professionnels de santé</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la vie des individus. Par ailleurs, la perspective qui ne verrait dans la société qu’une addition de contrats individuels se révèle trop courte, notamment en matière de soins, là où le soignant ne serait plus considéré que comme un prestataire de services. […] »</p>
</blockquote>
<p>L’avis n° 63 s’avère pertinent lorsqu’il aborde les conditions d’une dépénalisation de l’euthanasie avant l’examen d’une juridiction au cas par cas. En cela, il se refuse à toute légalisation de l’aide à mourir ainsi qu’au seul recours à une procédure collégiale étayant la décision d’un médecin :</p>
<blockquote>
<p>« Sur le plan du droit, ces constatations ne devraient pas conduire pour autant à la dépénalisation et les textes d’incrimination du Code pénal ne devraient pas subir de modification. Les juridictions, chargées de les appliquer, devraient recevoir les moyens de formuler leurs décisions sans avoir à user de subterfuges juridiques faute de trouver dans les textes les instruments techniques nécessaires pour asseoir leurs jugements ou leurs arrêts. La procédure pénale pourrait offrir des solutions dont il n’appartient toutefois pas au CCNE de définir les modalités. Tout au plus peut-il tenter de formuler l’une ou l’autre suggestion de nature à contribuer à la réflexion. L’acte d’euthanasie devrait continuer à être soumis à l’autorité judiciaire. Mais un examen particulier devrait lui être réservé s’il était présenté comme tel par son auteur. »</p>
</blockquote>
<p>C’est pour se conformer à de tels principes que le CCNE avance le concept « d’exception d’euthanasie ». Il suscite aujourd’hui encore des débats contradictoires. En effet, comment caractériser la nature d’une « circonstance exceptionnelle » dès lors que chaque fin de vie est en soi singulière ? Le risque n’est-il pas de qualifier ou de disqualifier les circonstances de maladies spécifiques <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/exception-d-euthanasie-les-medecins-redoutent-un-cheval-de-troie-20231108">qui apparaîtraient plus insupportables, voire indignes d’être vécues, que d’autres</a> ?</p>
<p>Le CCNE évoque alors 3 « mobiles » susceptibles de justifier l’acte létal :</p>
<blockquote>
<p>« Une sorte d’exception d’euthanasie, qui pourrait être prévue par la loi, permettrait d’apprécier tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie que les conditions de leur réalisation. Elle devrait faire l’objet d’un examen en début d’instruction ou de débats par une commission interdisciplinaire chargée d’apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de la culpabilité en fait et en droit, mais des mobiles qui les ont animés : souci d’abréger des souffrances, respect d’une demande formulée par le patient, compassion face à l’inéluctable. Le juge resterait bien entendu maître de la décision. »</p>
</blockquote>
<p>Observons que dans sa résolution <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/3007/cnom-findevie-fev2013.pdf?1705677062">« Fin de vie, “assistance à mourir” »</a> du 8 février 2013, le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a intégré à sa réflexion déontologique les « situations cliniques exceptionnelles », tenant compte de manière implicite des préconisations du CCNE en 2000.</p>
<p>Le CNOM y apporte cependant quelques précisions :</p>
<blockquote>
<p>« Sur des requêtes persistantes, lucides et réitérées de la personne, atteinte d’une affection pour laquelle les soins curatifs sont devenus inopérants et les soins palliatifs instaurés, une décision médicale légitime doit être prise devant des situations cliniques exceptionnelles, sous réserve qu’elles soient identifiées comme telles, non pas par un seul praticien, mais par une formation collégiale. »</p>
</blockquote>
<p>Plutôt que de proposer l’euthanasie comme finalité explicite de la décision médicale et mentionnant, comme dans l’avis n° 63 du CCNE, le recours à « une commission interdisciplinaire » sous forme de « collège », le CNOM propose :</p>
<blockquote>
<p>« une sédation, adaptée, profonde et terminale délivrée dans le respect de la dignité pourrait être envisagée, par devoir d’humanité, par un collège dont il conviendrait de fixer la composition et les modalités de saisine. Ce collège fonderait son avis sur l’évaluation de la situation médicale du patient, sur le caractère réitéré et autonome de sa demande, sur l’absence de toute entrave à sa liberté dans l’expression de cette demande. »</p>
</blockquote>
<h2>La position de l’Académie nationale de médecine</h2>
<p>Quelques jours après la publication de cette résolution du CNOM, le 26 février 2013, L’Académie nationale de médecine prenait position, <a href="https://www.academie-medecine.fr/communique-de-presse-ne-pas-confondre-fin-de-vie-et-arret-de-vie">dans un communiqué</a>, contre ce recours à la une « sédation, adaptée, profonde et terminale » assimilable à un « arrêt de vie », donc à une euthanasie. L’Académie rappelait sa volonté de « distinguer clairement “fin de vie” et “arrêt de vie” et [de] souligner que le terme “fin de vie” lui-même recouvre des situations bien distinctes ».</p>
<p>Selon cette instance, la loi Leonetti et les textes réglementaires qui l’accompagnent permettaient aux médecins « de répondre aux situations difficiles de fin de vie – en dépit de leur complexité ».</p>
<p>Dans un communiqué, l’Académie soulignait que</p>
<blockquote>
<p>« “l’arrêt de vie” (aide à mourir en réponse à une demande volontaire à mourir, alors que la vie en elle-même n’est ni irrémédiablement parvenue à son terme, ni immédiatement menacée) ne peut être assimilé à un acte médical. Au-delà de l’aspect sémantique, l’Académie de médecine invite à la rigueur dans l’emploi des mots et des formules, tout écart en ce domaine étant susceptible d’interprétations tendancieuses, au risque de dénaturer les termes d’une loi toujours en vigueur et qu’elle entend défendre. »</p>
</blockquote>
<p>Dix ans plus tard, en 2023, les membres de l’Académie nationale de médecine préconiseront de <a href="https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2023/07/Avis-23-17-Favoriser-une-fin-de-vie-digne-et-apais-e_2023_Bulletin-de-l-Aca.pdf">« ne pas effacer les textes fondateurs par une loi nouvelle, mais reconnaître les situations de souffrance insoutenables et inhumaines qui n’entrent pas dans le champ de ces textes »</a>. Des situations qui seraient donc de nature à être prises en compte si la législation évoluait.</p>
<p>L’enjeu actuel sera de tenter d’établir une définition rigoureuse de ce qui sera considéré comme une situation exceptionnelle pour justifier une aide à mourir, sans donner à penser que des « critères de minutie » établis à cet égard seraient de nature à se substituer à une approche au cas par cas, concertée et responsable.</p>
<h2>Quel serait l’impact d’un « droit de provoquer délibérément la mort » ?</h2>
<p>En pratique quelles seraient les conséquences d’une évolution législative sur la déontologie médicale, sur l’engagement et la relation dans l’accompagnement et le soin ?</p>
<p>Pour étayer cette anticipation, je me référerai au seul document officiel accessible en ce début 2024 : <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/suicide-assiste-en-presence-d-un-medecin-exception-d-euthanasie-et-secourisme-a-l-envers-les-premieres-pistes-de-l-aide-a-mourir-20231213">le projet de loi du 6 octobre 2023 relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie</a>.</p>
<p>Ses rédacteurs affirment dans son article 11, qui « définit l’aide à mourir » que</p>
<blockquote>
<p>« L’aide à mourir s’inscrit dans la continuité des droits des patients énoncés à l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, qui dispose que : “Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté.”, sans être elle-même qualifiée de droit. Cette aide ouvre à la personne en fin de vie la possibilité de bénéficier de l’administration d’une substance létale. L’administration de cette substance est par principe réalisée par la personne elle-même. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un premier temps, l’article concernerait le suicide médicalement assisté. Précisons cependant que l’article L. 1110-5 a été revu à la suite du vote de la loi du 2 février 2016 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031970253">créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie</a>. Sa signification en est détournée dès lors que le texte est tronqué dans l’interprétation qui en est tirée.</p>
<p>En effet, l’article L. 1110-5-3 n’évoque en rien une « aide » assimilée à « l’administration d’une substance létale » :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. […] »</p>
</blockquote>
<p>Or, en quelques lignes, levant tout obstacle à une interprétation extensive d’un texte qui n’a pas été rédigé à cette fin, les auteurs du projet de loi du 6 octobre 2023 en concluent (second temps de leurs projet) – toujours dans l’article 11 – que</p>
<blockquote>
<p>« le texte introduit une exception d’euthanasie sans la nommer : si la personne est en incapacité physique de s’autoadministrer la substance létale, un tiers peut la lui administrer ».</p>
</blockquote>
<p>Il s’agit bien d’une légitimation de la notion « d’exception d’euthanasie » qui pensée, façonnée et en quelque sorte validée par les instances d’éthique ou de déontologie à travers un travail d’élaboration depuis 2000, ne peut pas aujourd’hui leur permettre d’émettre à son égard la moindre réserve, et ce même si elles estimaient que l’on a accordé une interprétation extensive à des positions exprimées avec nuance et prudence.</p>
<p>Dans l’hypothèse de l’évolution disruptive que provoquerait dans le champ de l’éthique médicale la légalisation de l’aide à mourir, l’article R. 4127-38 du code de la santé publique devrait être alors modifié, abolissant l’un des principes cardinaux de la déontologie médicale : <a href="https://www.conseil-national.medecin.fr/code-deontologie/devoirs-patients-art-32-55/article-38-soins-mourants-accompagnement">« le (médecin) n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »</a></p>
<p>Si la loi devait évoluer en ce sens, l’article 38 du code de déontologie, repris dans le code de la santé publique, devrait subir une modification sur un autre point, puisqu’il faudrait préciser que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, ainsi que les conditions de l’aide à mourir et réconforter son entourage. »</p>
<p>La nouvelle version de l’article R. 4127-38 du code de la santé publique confronterait les soignants à des dilemmes éthiques de nature à fragiliser leurs positions dans les circonstances les plus délicates. <a href="https://www.lejdd.fr/societe/fin-de-vie-12-organisations-soignantes-appellent-preserver-la-relation-de-soin-avec-les-patients-136159">Ce dont témoignent des organisations de professionnels de santé</a>, lorsqu’elles déclarent qu’« il est légitime que tout individu puisse exprimer son souhait de mourir, mais il est impératif que le dialogue qui doit alors s’engager ne soit pas faussé par le fait que celui qui entend ce cri de souffrance disposerait du droit de vie ou de mort, de la possibilité de dire oui ou non. »</p>
<p>Qu’en sera-t-il des critères de justification et de distinction permettant de circonscrire les limites entre « les soins et mesures appropriés à la qualité d’une vie qui prend fin » et l’aide à mourir ? In fine, sera-t-on encore fondé à se préoccuper de tels enjeux, dès lors que la loi fixera des normes et instituera des pratiques compatibles avec l’acceptabilité éthique du protocole de la mort donnée ?</p>
<p>L’article R.4127-37 du code de la santé publique devrait lui aussi, être révisé. Rappelons que ce texte dispose que :</p>
<blockquote>
<p>« En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. »</p>
</blockquote>
<p>Or, dès lors que la souffrance est l’un des arguments susceptibles d’être invoqués pour justifier l’aide active à mourir, l’option devra être explicitement énoncée dans cet article. « Soulager les souffrances du malade » pourra en effet s’envisager jusque dans l’acte qui met un terme à ses souffrances.</p>
<p>Lorsque l’assistance médicale peut alternativement relever d’une médecine de l’accompagnement ou d’une médecine de la mort donnée, il semble délicat de fixer des lignes de conduite. Ce que la fin d’une vie a d’humain, d’exceptionnel et de singulier peut-il être reconnu et respecté dans une législation relative à l’aide à mourir forcément normative ?</p>
<p>À l’épreuve du renoncement à un principe cardinal de l’éthique médicale, qu’en sera-t-il demain de la déontologie et de la relation de confiance essentielle à l’humanisme du soin ?</p>
<p>Ces questions se posent aujourd’hui en des termes politiques qui ne peuvent s’exonérer d’une exigence éthique. Elles semblent mériter mieux que ce dont témoigne la version provisoire du projet de loi du 6 octobre 2023 relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, ainsi qu’une considération sociale à l’égard de la personne vulnérable dans la maladie où ne prévalent pas les seules conditions de son aide à mourir.</p>
<hr>
<p><strong><em>Pour aller plus loin :</em></strong></p>
<p><em>- Hirsch, E. 2023 <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/20002/Devoir-mourir-digne-et-libre">« Devoir mourir, digne et libre »</a>, Ed. du Cerf ;</em></p>
<p><em>- Hirsch, E. 2024 « Soigner par la mort est-il encore un soin ? », Ed. du Cerf (à paraître).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221420/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 2024, le Parlement se penchera sur le projet de loi relatif à la fin de vie. Au centre des débats se tiendra la question sensible de l’« aide active à mourir », autrement dit l’euthanasie.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2215422024-01-22T18:35:45Z2024-01-22T18:35:45ZEstamos perdendo espécies de tetrápodes em um ritmo mais rápido do que estamos redescobrindo-as<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/570373/original/file-20240116-22672-a3vxe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C17%2C1876%2C1253&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">O camaleão de Voeltzkow foi redescoberto em Madagascar em 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.inaturalist.org/observations/2583347">Martin Mandák/iNaturalist </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>As espécies perdidas são aquelas que não foram observadas na natureza por mais de dez anos, apesar das buscas para encontrá-las. As espécies perdidas de tetrápodes (animais vertebrados com quatro membros, incluindo anfíbios, pássaros, mamíferos e répteis) são um fenômeno global - existem mais de 800 delas e estão amplamente distribuídas em todo o mundo.</p>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.17107">Nossa pesquisa</a>, publicada essa semana revista Global Change Biology, tenta determinar por que certas espécies de tetrápodes são redescobertas, mas outras não. Ela também revela que o número de espécies perdidas de tetrápodes está aumentando a cada década. Isso significa que, apesar de muitas pesquisas, estamos perdendo espécies de tetrápodes em um ritmo mais rápido do que as estamos redescobrindo. Em particular, as taxas de redescoberta de espécies perdidas de anfíbios, aves e mamíferos diminuíram nos últimos anos, enquanto as taxas de perda de espécies de répteis aumentaram.</p>
<p>Isso não é uma boa notícia. As espécies geralmente se perdem porque suas populações diminuíram para um tamanho muito pequeno devido a ameaças humanas, como caça e poluição. Consequentemente, muitas espécies perdidas correm o risco de serem extintas (de fato, algumas provavelmente já estão extintas). Entretanto, é difícil proteger as espécies perdidas da extinção porque não sabemos onde elas estão.</p>
<h2>Redescobertas levam a ações de conservação</h2>
<p>Em 2018, pesquisadores na Colômbia procuraram com sucesso o <a href="https://www.iucnredlist.org/species/22735460/181746724">pintassilgo de Antioquia</a> (<em>Atlapetes blancae</em>), uma espécie de ave não registrada desde 1971. Essa redescoberta levou ao <a href="https://www.rainforesttrust.org/urgent-projects/last-stand-for-the-antioquia-brush-finch/">estabelecimento de uma reserva</a> para proteger a população remanescente de galinhola, que é pequena e está ameaçada pela perda de habitat causada pela expansão agrícola e pelas mudanças climáticas.</p>
<p>O <a href="https://www.smithsonianmag.com/smart-news/scientists-find-the-extinct-victorian-earless-dragon-not-seen-since-1969-180982440/">dragão sem orelhas das pastagens de Victoria</a> (<em>Tympanocryptis pinguicolla</em>) foi redescoberto na Austrália no ano passado. Ele não era registrado há 54 anos e presumia-se que estava extinto, devido à perda de seu habitat de pastagem e à predação por espécies exóticas invasoras, incluindo gatos selvagens. Sua redescoberta resultou em <a href="https://minister.dcceew.gov.au/plibersek/media-releases/joint-media-release-reptile-thought-be-extinct-rediscovered-victoria">financiamento do governo</a> para testar novas técnicas de pesquisa para encontrar outras populações da espécie, um programa de reprodução e a preparação de um plano de recuperação da espécie.</p>
<p>Assim, as redescobertas são importantes: elas fornecem evidências da existência contínua de espécies altamente ameaçadas, o que leva ao financiamento de ações de conservação. Os resultados do nosso estudo podem ajudar a priorizar as buscas por espécies perdidas. Na imagem abaixo, mapeamos sua distribuição global, identificando regiões com muitas espécies perdidas e poucas redescobertas.</p>
<h2>Que fatores influenciam a redescoberta?</h2>
<p>Infelizmente, muitas buscas para encontrar espécies perdidas não são bem-sucedidas. Em 1993, buscas em Gana e na Costa do Marfim durante sete anos não conseguiram redescobrir um primata perdido, o <a href="https://www.science.org/content/article/where-have-you-gone-miss-waldrons-red-colobus">colobo vermelho da senhorita Waldron</a> (<em>Piliocolobus waldronae</em>). A equipe de pesquisa concluiu que esse macaco barulhento e vistoso, sem registros desde 1978, pode estar extinto. Seu desaparecimento foi causado pela caça e pela destruição de seu habitat florestal. Outras buscas em 2005, 2006 e 2019 também não foram bem-sucedidas, embora em 2008 tenham sido ouvidos <a href="https://iucn.org/resources/publication/red-colobus-piliocolobus-conservation-action-plan-2021-2026">chamados que possivelmente seriam dessa espécie</a>.</p>
<p>Em 2010, as buscas pelo sapo bicudo da Mesopotâmia (Rhinella rostrata), não registrado na Colômbia desde 1914, não foram bem-sucedidas (mas <a href="https://news.mongabay.com/2010/11/pictures-mr-burns-frog-discovered-in-colombia-along-with-2-other-new-species/">levaram à descoberta de três novas espécies de anfíbios</a>). A busca do ano passado pelo <a href="https://www.rewild.org/lost-species/sinu-parakeet">periquito Sinú</a> (<em>Pyrrhura subandina</em>), não registrado na Colômbia desde 1949, também não foi bem-sucedida. No entanto, a equipe do projeto identificou a presença de <a href="https://www.birdguides.com/articles/conservation/exciting-rediscoveries-boost-hopes-of-finding-sinu-parakeet/">dez outras espécies de papagaios</a> na área de pesquisa e grandes extensões de habitat adequado, o que dá esperança de que o periquito Sinú continue a existir.</p>
<p>Então, por que algumas espécies são redescobertas e outras continuam perdidas? Existem fatores específicos que influenciam a redescoberta? Nosso objetivo foi responder a essas perguntas em nosso estudo, a fim de melhorar nossa capacidade de distinguir entre os tipos de espécies perdidas que podemos redescobrir e aqueles que não podemos, porque estão extintos.</p>
<p>Nossa equipe de projeto era composta por membros da organização <a href="https://www.rewild.org/lost-species">Re:wild</a>, que tem liderado os esforços de busca de espécies perdidas desde 2017, juntamente com especialistas em espécies da Comissão de Sobrevivência de Espécies (SSC) da <a href="https://www.iucn.org/our-union/commissions/species-survival-commission">União Internacional para a Conservação da Natureza</a> (IUCN).</p>
<p>Compilamos um <a href="https://doi.org/10.5061/dryad.c866t1gdf">banco de dados de 856 espécies de tetrápodes perdidas e 424 redescobertas</a> (anfíbios, aves, mamíferos e répteis). Em seguida, propusemos três hipóteses amplas sobre os fatores que podem influenciar a redescoberta: as características (i) das espécies de tetrápodes e (ii) do ambiente influenciam a redescoberta e (iii) as atividades humanas influenciam a redescoberta.</p>
<p>Por exemplo, a massa corporal (uma característica da espécie) pode influenciar positivamente a redescoberta, pois espécies perdidas maiores devem ser mais fáceis de encontrar. As espécies perdidas que ocupam florestas densas (uma característica do ambiente) podem não ser redescobertas, pois é difícil procurá-las. As espécies perdidas afetadas por ameaças associadas a atividades humanas (por exemplo, espécies exóticas invasoras, que estão sendo espalhadas para novos locais pelo comércio global) podem não ser redescobertas, pois podem estar extintas.</p>
<p>Com base nessas hipóteses, coletamos dados sobre uma série de variáveis associadas a cada espécie perdida e redescoberta (por exemplo, sua massa corporal), que depois analisamos quanto à sua influência na redescoberta.
Difícil de encontrar + negligenciada = redescoberta
Pelo lado positivo, nossos resultados sugerem que, embora muitas espécies perdidas sejam difíceis de encontrar, com algum esforço e o uso de novas técnicas, é provável que sejam redescobertas. Essas espécies incluem aquelas que são muito pequenas (incluindo muitas espécies perdidas de répteis), aquelas que vivem no subsolo, aquelas que são noturnas e aquelas que vivem em áreas difíceis de serem pesquisadas.</p>
<p>De fato, desde a conclusão de nosso estudo, a <a href="https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/30/back-from-the-brink-de-wintons-golden-mole-feared-extinct-rediscovered-after-86-years-aoe">toupeira dourada de De Winton</a> (<em>Cryptochloris wintoni</em>) foi redescoberta na África do Sul. Essa espécie não era registrada na natureza desde 1937. Ela vive no subsolo a maior parte do tempo, portanto, as buscas foram realizadas usando técnicas que incluíam DNA ambiental e imagens térmicas.</p>
<p>Nossos resultados também sugerem que algumas espécies são negligenciadas pelos cientistas da conservação, principalmente aquelas que não são consideradas carismáticas, como répteis, espécies pequenas e roedores. As buscas por essas espécies também podem ser recompensadas com sucesso. O camaleão de Voeltzkow (<em>Furcifer voeltzkowi</em>), uma espécie de réptil pequeno, foi <a href="https://www.livescience.com/lost-chameleon-rediscovered-after-century.html">redescoberto em Madagascar em 2018</a>.</p>
<h2>Perdidas ou extintas?</h2>
<p>Infelizmente, nossos resultados também sugerem que algumas espécies perdidas provavelmente não serão encontradas, não importa o quanto procuremos, porque estão extintas. Por exemplo, as espécies de mamíferos perdidas remanescentes são, em média, três vezes maiores do que as espécies de mamíferos redescobertas. Algumas dessas espécies grandes, carismáticas e chamativas já deveriam ter sido redescobertas.</p>
<p>Além disso, um terço das espécies de mamíferos perdidas restantes são endêmicas de ilhas, onde as espécies de tetrápodes são particularmente <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2351989421003978">vulneráveis à extinção</a>. O melomys de Bramble Cay (<em>Melomys rubicola</em>), que já foi considerado uma espécie perdida, foi recentemente <a href="https://www.dcceew.gov.au/environment/biodiversity/threatened/nominations/comment/bramble-cay-melomys-2018">declarado extinto</a> pelo governo australiano. Ele ocupava uma pequena ilha que foi amplamente pesquisada - se ainda existisse, já deveria ter sido redescoberto.</p>
<p>As espécies de aves perdidas estão, em média, desaparecidas há mais tempo do que as redescobertas (28% estão desaparecidas há mais de 100 anos), e muitas foram procuradas em várias ocasiões - talvez algumas dessas espécies também já devessem ter sido redescobertas.</p>
<p>No entanto, ocorrem redescobertas inesperadas de espécies há muito perdidas, como o <a href="https://www.edgeofexistence.org/species/cebu-flowerpecker/">pica-pau de Cebu</a> (<em>Dicaeum quadricolor</em>), portanto, não devemos perder a esperança e, definitivamente, devemos continuar procurando. No entanto, algumas buscas estão sendo realizadas para espécies há muito perdidas que são consideradas extintas, como o <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969723014948">thylacine</a> (<em>Thylacinus cynocephalus</em>). Talvez os recursos limitados disponíveis para a conservação da biodiversidade fossem mais bem utilizados na busca de espécies perdidas que provavelmente ainda existem.</p>
<p><em>Tim Lindken, ex-aluno de mestrado do autor, contribuiu para a redação deste artigo.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Evans recebeu fundos da Alexander von Humboldt Foundation.</span></em></p>Há centenas de espécies de tetrápodes perdidas em todo o mundo e seu número está aumentando a cada década. Este estudo tem como objetivo descobrir por que algumas são redescobertas, enquanto outras não.Thomas Evans, Research scientist, Freie Universität Berlin, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212582024-01-21T14:42:47Z2024-01-21T14:42:47ZBien-être et fausse médecine : quand la physique quantique est récupérée par les pseudosciences<p>Le 2 janvier dernier, la parfumerie Guerlain a mis au jour un nouveau produit cosmétique, assurant qu’il était <a href="https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/cosmetiques-guerlain-cree-la-polemique-avec-sa-creme-quantique_6301623.html">basé sur la physique quantique</a>. En proposant une <a href="https://web.archive.org/web/20240102181002/">« nouvelle voie de réjuvénation […] basée sur la science quantique [qui] aide à restaurer la lumière quantique d’une cellule jeune »</a>, l’entreprise a suscité les réactions indignées de la <a href="https://twitter.com/EtienneKlein/status/1742268657286209956">communauté scientifique</a>, <a href="https://www.quechoisir.org/actualite-allegations-cosmetiques-guerlain-pousse-le-bouchon-avec-sa-creme-quantique-n115470/">de</a> <a href="https://www.liberation.fr/checknews/cosmetique-quantique-de-guerlain-un-fin-vernis-scientifique-et-une-grosse-louche-de-foutaises-20240105_ZAVUDZ7EB5EG3NAHY7GDBW4MAI/">médias</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=z4ZfsJRGJsM">youtubeurs</a>, qui ont poussé le parfumeur à modifier rapidement sa communication.</p>
<p>Cette affaire n’est qu’une étape de plus dans une <a href="https://www.book-e-book.com/livres/30-quantox-mesusages-ideologiques-de-la-mecanique-quantique-9782915312737.html">longue histoire de détournement des concepts et du lexique de la mécanique quantique</a> – et de la science en général – dont le résultat est la promotion des pseudosciences, ces disciplines qui revêtent les apparats de la connaissance établie sans en avoir le moindre fondement.</p>
<p>Le qualificatif « quantique » est désormais omniprésent dans le monde du bien-être, des médecines « alternatives » et des sphères ésotériques (salons, sites de vente en ligne, praticiens, réseaux sociaux, rayons « bien-être » voire « médecine » de grandes librairies).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569805/original/file-20240117-25-r202j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569805/original/file-20240117-25-r202j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569805/original/file-20240117-25-r202j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569805/original/file-20240117-25-r202j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569805/original/file-20240117-25-r202j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569805/original/file-20240117-25-r202j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569805/original/file-20240117-25-r202j2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Plaque professionnelle d’un thérapeute en région parisienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Aymeric Delteil</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
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<p>Certains appareils de soins quantiques ont été fortement médiatisés, tel le « Taopatch » <a href="https://www.midilibre.fr/2023/06/04/des-nanocristaux-appeles-boites-quantiques-cest-quoi-ce-patch-que-novak-djokovic-porte-scotche-a-la-poitrine-11240264.phpe-11240264.php">arboré par la star du tennis Novak Djokovic lors du dernier Roland-Garros</a>. Ce dispositif de la taille d’une pièce de monnaie prétend améliorer les performances physiques, mais aussi soigner les maladies neuromusculaires. De telles prétentions sèment la confusion dans le grand public, qui a fort à faire pour distinguer le vrai du faux.</p>
<h2>Des risques en termes de santé, de dérives sectaires… et pour le porte-monnaie</h2>
<p>Le danger est réel, car la confusion peut avoir des conséquences nocives pour la population.</p>
<p>En effet, les tenants des médecines quantiques prétendent parfois pouvoir guérir la quasi-totalité de nos troubles, y compris des maladies graves. Ainsi, dans le livre <em>Le Corps quantique</em> de Deepak Chopra (1989), ouvrage fondateur vendu à près d’un million d’exemplaires, non seulement l’auteur suggère que son approche peut guérir le cancer, mais ses propos engendrent de plus une défiance à l’égard de la médecine. Ce type de discours, <a href="https://www.marianne.net/societe/sciences-et-bioethique/le-saut-quantique-larnaque-a-la-mode-des-gourous-du-developpement-personnel">désormais répandu dans ce milieu</a> et notamment sur Internet, peut pousser les gens à se <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamaoncology/fullarticle/2687972">détourner du monde médical</a>.</p>
<p>Un autre exemple plus récent : le « Healy », un appareil de thérapie soi-disant basé sur un « capteur quantique », vendu à près de 200 000 exemplaires à des prix <a href="https://therafrequentielle.fr/index.php/produit/healy-professional-edition/">allant de 500 à 4 000 euros</a>, propose des programmes pour un grand nombre de soins via des applications payantes, qui pourraient même <a href="https://therafrequentielle.fr/media/2020/04/Healy_FL1_Digital-Nutrition_Flyer_FR.pdf">remplacer une partie de notre alimentation</a>. Une analyse par <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UrDfPGSWxas">rétro-ingénierie</a> a pourtant révélé qu’il ne contient pas de capteur quantique – et même pas de capteur du tout.</p>
<p>En poussant les gens à se détourner de la médecine et/ou à adopter des conduites risquées, ces arguments peuvent provoquer des <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/ethique/inefficaces-dangereuses-pas-ethiques-des-praticiens-sattaquent-aux-fake-medecines-replique-immediate">pertes de chances</a> d’un point de vue médical.</p>
<p>Les médecines alternatives peuvent également déboucher sur des <a href="https://www.leparisien.fr/societe/sante/medecines-douces-lordre-des-medecins-alerte-sur-les-derives-therapeutiques-voire-sectaires-27-06-2023-LU5F6ARXHBHJBKQI7JUAGNIJD4.php">dérives sectaires</a> : le dernier rapport de la Miviludes montre que <a href="https://www.miviludes.interieur.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/rapports-annuels/rapport-dactivit%C3%A9-2021">24 % des signalements pour dérives sectaires concernent les « pratiques de soin non conventionnelles »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569804/original/file-20240117-19-o9jllg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rayon médecine d’une librairie francilienne, où se côtoient sciences et pseudo-sciences, notamment quantiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Aymeric Delteil</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des comportements quantiques au monde classique que nous expérimentons au quotidien : une histoire d’échelle</h2>
<p>Disons-le tout net : ces approches n’ont rien de quantique.</p>
<p>Pour s’en rendre compte, rappelons que la physique quantique a été construite afin de comprendre les phénomènes d’interaction entre la lumière et la matière à l’échelle atomique. Elle a abouti à une description très féconde de la nature à l’échelle microscopique, tout en révélant des phénomènes contre-intuitifs, qui sont difficiles à interpréter.</p>
<p>Ainsi, selon la mécanique quantique, les particules élémentaires peuvent se comporter comme des ondes, elles peuvent être en <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-le-hasard-quantique-85358">superposition</a> de plusieurs états (par exemple en deux endroits simultanément) voire <a href="https://theconversation.com/le-prix-nobel-de-physique-2022-pour-lintrication-quantique-133000">intriquées</a>, lorsque les états de deux particules dépendent l’un de l’autre même éloignées. Or le monde à notre échelle ne se comporte pas de cette façon. Nous en faisons l’expérience quotidienne : les objets qui nous entourent sont dans un seul état, à un seul endroit, ils ne se propagent pas. Les chats ne sont pas <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chat_de_Schr%C3%B6dinger">à la fois morts et vivants</a>.</p>
<p>La raison de cette différence entre le comportement de la matière à notre échelle et celui des particules qui la composent est l’objet de recherches fondamentales depuis plus d’un demi-siècle, et les résultats de ces recherches sont sans équivoque. Les effets quantiques sont très fragiles, et leur observation nécessite des conditions extrêmes : très basse température (souvent proche du zéro absolu), vide très poussé, obscurité totale, nombre de particules très réduit. Hors de ces conditions, les effets quantiques disparaissent très rapidement sous l’effet d’un phénomène omniprésent appelé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9coh%C3%A9rence_quantique">« décohérence »</a>. Ce terme désigne l’effet destructeur de l’environnement (lumière, atmosphère, chaleur) sur les effets quantiques.</p>
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<p>« Les superpositions quantiques à grande échelle sont si fragiles et si promptes à être détruites par leur couplage avec l’environnement qu’elles ne peuvent pas être observées en pratique. Aussitôt créées, elles se transforment en un éclair en des mélanges statistiques sans intérêt. » (Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012 et pionnier de la décohérence, dans « Exploring the Quantum » aux éditions Oxford, 2006)</p>
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<figcaption><span class="caption">La décohérence quantique. Source : ScienceClic.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, en biologie, où la matière est dense et la température relativement élevée, on peut certes identifier <a href="https://physics.aps.org/articles/v8/s22">quelques phénomènes purement quantiques</a>, mais très localement, à l’échelle de quelques électrons (par exemple, la détection du champ magnétique terrestre par les oiseaux migrateurs implique la superposition d’états de deux électrons au sein d’une <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03618-9">molécule appelée cryptochrome</a>). En revanche, les phénomènes physiques à l’échelle de nos organes, d’une cellule ou même d’une molécule biologique, comme une protéine ou de l’ADN, sont purement classiques, en vertu de la décohérence.</p>
<h2>Un vocabulaire et des concepts dévoyés par les tenants des pseudosciences</h2>
<p>Ces considérations ne dérangent toutefois pas les tenants des discours pseudoscientifiques, qui saupoudrent le jargon de la mécanique quantique sans aucune rigueur et de façon ambiguë, multipliant les contresens et les contrevérités. Ils se cachent fréquemment derrière des citations de grands physiciens qui ont quelquefois <a href="https://cortecs.org/wp-content/uploads/2011/08/CorteX_Quantoc_BUP_21027.pdf">affirmé leurs propres difficultés d’interprétation</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerlain sort sa « crème quantique » (G. Milgram).</span></figcaption>
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<p>Qu’on ne s’y trompe pas : la physique quantique est très bien comprise et extrêmement précise dans ses prédictions. Les difficultés énoncées par les scientifiques du domaine proviennent de l’interprétation, de la représentation mentale que l’on se fait des phénomènes quantiques, troublants, très différents de notre expérience quotidienne et si éloignés de notre intuition.</p>
<p>C’est la raison pour laquelle la mécanique quantique constitue un <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/10/10/la-medecine-quantique-de-fausses-therapies-qui-surfent-sur-les-revolutions-de-la-physique-quantique_6145232_1650684.html">terreau idéal pour le mysticisme</a>. Elle fournit un mélange de phénomènes fascinants, de concepts abstraits réputés difficiles et d’un <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-quantique-196536">vocabulaire évocateur</a> qui est dilué dans un amalgame de lexique ésotérique <em>New Age</em>. Cela donne un beau mélange de « vibrations », « lumière », « champ énergétique », « biorésonance quantique », « élévation de son niveau d’énergie », « clés d’harmonisation multidimensionnelle » et tant d’autres formulations vides de sens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sans-culture-linguistique-pas-de-culture-scientifique-213487">Sans culture linguistique, pas de culture scientifique</a>
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<p>Les phénomènes de la mécanique quantique eux-mêmes sont dévoyés : l’intrication permettrait de <a href="https://www.symphony-energetique.com/comment-se-deroule-les-soins-a-distance-quantique.html">soigner à distance</a>, la bioluminescence fournirait une justification aux <a href="https://emmind.net/endogenous_fields-mind-ebp-biophotons_acupunture_meridians.html">méridiens de l’acupuncture</a>, le vide quantique <a href="https://www.editions-dangles.fr/produit/289/9782703311478/l-eau-et-la-physique-quantique">expliquerait la mémoire de l’eau</a>.</p>
<h2>Une imposture intellectuelle à but lucratif</h2>
<p>Cette démarche constitue une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Impostures_intellectuelles">imposture intellectuelle, telle que définie par Alan Sokal et Jean Bricmont</a>, c’est-à-dire une « utilisation abusive du vocabulaire scientifique […] pour se donner une illusion de crédibilité ».</p>
<p>Le business est lucratif : de consultations à quelques dizaines d’euros la séance, à des formations en ligne à plusieurs centaines voire milliers d’euros, en passant par des appareils à l’apparence de dispositifs médicaux <a href="https://www.interfacetherapiequantique.com/">dépassant les 20 000 euros</a>.</p>
<p>Leur <a href="https://lesjours.fr/obsessions/antivax-extreme-droite/ep6-healy-arnaque/">promotion, basée sur les réseaux sociaux, utilise souvent</a> un <a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/marches-financiers/fonctionnement-du-marche/systeme-de-vente-pyramidale/">système pyramidal</a>, où les acheteurs sont enrôlés en tant que revendeurs, puis embauchent à leur tour des revendeurs. Ce schéma protège les fabricants derrière les utilisateurs qui assurent la promotion et assument les fausses prétentions.</p>
<h2>Surfer sur la vague médiatique de technologies réellement quantiques</h2>
<p>Si les appareils de médecine quantique ne sont pas plus quantiques que votre stylo, les phénomènes quantiques néanmoins sont bel et bien exploités à l’heure actuelle, notamment pour réaliser les premiers ordinateurs quantiques. Ceux-ci sont opérés dans les conditions très exigeantes que les phénomènes quantiques exigent : ultravide et très basses températures (quelques degrés voire fractions de degrés au-dessus du zéro absolu, c’est-à-dire la bagatelle de -273 °C).</p>
<p>Avec le développement actuel de ces technologies quantiques bien réelles, il est à craindre que les charlatans ne surfent de plus belle sur la vague médiatique actuelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-la-course-a-lordinateur-et-aux-communications-quantiques-196837">Dossier : La course à l’ordinateur et aux communications quantiques</a>
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<p>Il convient donc d’être particulièrement vigilants quant au contenu scientifique et à la sincérité de ceux qui nous font miroiter des promesses de santé ou de prospérité quantiques, afin que la médecine quantique ne devienne pas l’homéopathie de demain.</p>
<p>En ce sens, l’affaire Guerlain peut être vue comme une lueur d’espoir car elle a été un électrochoc pour de nombreux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ShYK49Y11mI">scientifiques</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/de-schrodinger-a-guerlain-le-quantique-une-science-mal-comprise-UGLJ3LCHG5HXXLNQJOAELV3QOI/">médias</a> et <a href="https://twitter.com/epenser/status/1742620037528138174">vulgarisateurs</a> – relais essentiels entre les scientifiques et le grand public – qui se sont exprimés en chœur sur cette thématique. Le fait que la totalité des grands médias leur ait donné un écho immédiat et sans ambiguïté – ce qui n’est pas toujours le cas en ce qui concerne les pseudosciences – est en ce sens rassurant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221258/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aymeric Delteil a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR). </span></em></p>Les pseudosciences récupèrent souvent la physique quantique, dont les concepts servent de caution à des produits souvent chers et qui n’ont rien de quantique.Aymeric Delteil, Chercheur CNRS, Groupe d'étude de la matière condensée, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211842024-01-17T16:46:30Z2024-01-17T16:46:30ZEt si les « bureaux paysagers » des années 1960 revenaient à la mode ?<p>L’entrée dans la décennie des années 1960 a marqué une forme de rupture en termes d’<a href="https://theconversation.com/topics/lieu-de-travail-44340">organisations spatiales</a> : fini par exemple les grands pools d’employées dactylographes, ces dizaines de femmes en blouses blanches, sous surveillance, penchées sur leur « Remington », installées sur de simples tables alignées à des postes de travail standardisés. Ces espaces marqués par trois caractéristiques, ordre, discipline et recherche de l’efficacité sont assimilables à ce que l’ethnologue Marc Augé nommait en 1992, des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/non-lieux-marc-auge/9782020125260">« non-lieux »</a> : des endroits réglés, interchangeables, anonymes et dénués d’interactions.
d
Parmi les initiatives qui ont fleuri alors à l’encontre de ces espaces tertiaires aux formes rigides, on retrouvait notamment celles des <a href="https://theconversation.com/topics/bureaux-63299">bureaux</a> dits « paysagers » objet d’un développement dans notre ouvrage récent intitulé <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807337985-le-travail-et-ses-espaces">Le Travail et ses espaces, le pari du bien-être et de la performance</a>, publié chez deboeck supérieur. Détourné rapidement après avoir été inventé, le concept pourrait cependant offrir des réponses à nombre de problématiques actuelles.</p>
<h2>Un projet social</h2>
<p>Ce sont les frères Eberhard et Wolfgang Schnelle, consultants en organisation, qui inventent et mettent en œuvre, en 1958 ou 1959 selon les sources, une forme d’aménagement d’espaces tertiaires singulièrement innovante au sein de la société pharmaceutique Boehringer à Mannheim. Elle est qualifiée de « bureaux paysagers ». L’originalité de la démarche pour l’époque est de <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/open-space-entre-mythes-et-realites/">s’inscrire dans le cadre d’une pensée globale</a>, mettant l’humain au cœur d’un projet intégrant la conception, le mobilier, les espaces de travail et le processus de travail. Ce projet socio-organisationnel se donnait pour objectif de remettre en cause des pratiques antérieures et plus particulièrement la symbolique verticale du pouvoir hiérarchique cloisonné, des statuts et des rangs symboliquement attribués.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569357/original/file-20240115-224994-vnoy3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Concrètement, l’approche consiste à créer une nouvelle configuration spatiale ouverte, supprimant portes et cloisons, considérées comme des obstacles à la communication. L’ensemble était enrichi d’un décor « paysager » agréable et vaste, engendrant une forme de désordre apparent. On y trouvait ainsi des mobiliers de rangement, de plantes vertes faisant office de séparateurs que l’on peut déplacer en fonction des besoins, de manière à ce que chacun puisse bénéficier d’une sphère personnelle d’intimité et d’autonomie.</p>
<p>Surtout, ces aménagements qualitatifs spatiaux se trouvaient agencés en fonction de la circulation des informations et des documents entre les personnes. Étaient ainsi placés côte à côte celles et ceux qui étaient amenés à échanger des documents et à collaborer régulièrement. Cette logique de flux privilégiait ainsi les liens fondés sur les échanges horizontaux et fonctionnels égalitaires et de proximité. Elle remettait ainsi en cause les représentations symboliques statutaires traditionnelles susceptibles, dans ce contexte, de constituer des obstacles à la circulation des informations. Par ailleurs, les déplacements des personnes étaient autorisés et les aménagements reconfigurables en fonction des besoins.</p>
<p>Dans l’esprit de ses fondateurs, cette approche répondait à un véritable projet social, prônant un espace égalitaire permettant à chaque employé de prendre conscience de sa place et de sa responsabilité au sein de la société. On se situe donc, au niveau de l’intention, à l’exact opposé des espaces de travail tertiaire de l’entre-deux-guerres standardisés et sous surveillance.</p>
<h2>Aussitôt adopté, aussitôt détourné</h2>
<p>Après le succès de la mise en œuvre du projet au sein de la société pharmaceutique Boehringer, le concept se déploie en 1961 dans les locaux la Bertelsmann Verlag à Gütersloh en Rhénanie-du-Nord, puis gagne rapidement les États-Unis et la France en 1965, notamment dans les <a href="https://www.decitre.fr/livres/l-art-de-vivre-au-bureau-9782082018555.html">compagnies d’assurance</a>. IBM, Krupp, la BBC, des firmes de tout horizon l’adoptent. Le bureau paysager devient alors une forme de référence, d’autant qu’il est relativement rapide de le mettre en place. Nombre d’entreprises sont séduites par un nouveau « rapport à la nature ». Le terme même de « paysager » entre en écho avec des thématiques qui semblent très contemporaines au lecteur d’aujourd’hui : rapport à la nature, nouvel équilibre entre le travail de bureau et qualité de la vie…</p>
<p>Et pourtant, dès la fin des années 1980, le concept est abandonné, son image dégradée et son usage détourné. La première cause en est l’utilisation dans des établissements aux locaux inappropriés. De plus, lorsqu’ils se déployèrent aux États-Unis, ces espaces paysagers furent diversement réinterprétés par des fabricants de mobiliers, lesquels rivalisèrent de configurations novatrices pour les concepteurs, avec pour effet d’annihiler les intentions initiales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1744318577111445679"}"></div></p>
<p>La raison principale de l’abandon des bureaux paysagers tient en effet au fait qu’ils ont amené avec eux une volonté systématique de certaines firmes de contracter et d’<a href="https://www.decitre.fr/livres/les-espaces-du-travail-9782366300635.html">optimiser les surfaces de travail</a>. C’est alors aussi du côté des usagers que vont apparaître les <a href="https://www.decitre.fr/livres/l-art-de-vivre-au-bureau-9782082018555.html">mécontentements</a> et les contestations : manque d’intimité, fatigue liée aux nuisances sonores et aux déplacements ou encore difficulté de se concentrer. Ces soucis demeurent d’une redoutable actualité. Enfin, pour être complet, il faut souligner que la crise de l’énergie, l’arrivée de l’informatique et de la bureautique tertiaire ont également grandement contribué à <a href="https://journals.openedition.org/nrt/2860">remettre le modèle en cause</a>.</p>
<h2>Trop en avance ?</h2>
<p>Il y a déjà plus de soixante ans, les frères Schnelle, créateurs des « bureaux paysagers » avaient proposé un véritable projet socio-organisationnel visant au départ à privilégier les relations fonctionnelles horizontales de proximité entre collègues Il tendait ainsi à remettre en cause la logique statutaire verticale et créant ainsi de nouveaux « lieux de vie » professionnels, se substituant radicalement aux « non-lieux ». Il ouvrait alors les perspectives de responsabilisation individuelles et collectives qui seront déployées par certaines entreprises éclairées dans la période contemporaine.</p>
<p>La logique financière, associée à l’optimisation des surfaces, pourtant antérieure au déploiement du flex-office, contribua à détourner ce projet de son intention initiale. On peut ainsi penser d’une certaine manière que cette innovation spatiale serait apparue trop en avance, en décalage sur son temps. Elle réémergera partiellement à travers les <a href="https://theconversation.com/fini-le-flex-office-pur-et-dur-place-a-l-activity-based-working-220441">nouveaux espaces fondés sur les activités</a> (Activity Based Working) à partir des années 2010, sans pour autant s’inscrire aussi nettement dans une remise en cause des statuts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221184/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Bouchez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Imaginé dans les années 1960 avant d’être détourné, le concept de bureau paysager ne visait pas qu’à installer des plantes vertes dans les locaux professionnels : c’était tout un projet social.Jean-Pierre Bouchez, Directeur de recherches en sciences de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212652024-01-17T09:12:40Z2024-01-17T09:12:40ZUne nouvelle recherche fait le point sur l’extinction des espèces animales… et leur redécouverte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569591/original/file-20240116-22672-a3vxe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1914%2C1261&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le caméléon de Voeltzkow a été redécouvert à Madagascar en 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.inaturalist.org/observations/2583347">Martin Mandák/iNaturalist </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Nous sommes actuellement confrontés à une extinction de masse des espèces. En marge de ce phénomène, certaines espèces sont dites « perdues », ce sont celles qui n’ont pas été observées dans la nature depuis plus de dix ans, malgré les recherches effectuées pour les retrouver. Les espèces perdues de tétrapodes (animaux vertébrés à quatre membres, dont les amphibiens, les oiseaux, les mammifères et les reptiles) sont un phénomène mondial : on en dénombre plus de 800.</p>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.17107">Notre étude</a>, publiée aujourd’hui dans la revue scientifique <em>Global Change Biology</em>, tente de déterminer pourquoi certaines espèces de tétrapodes sont redécouvertes et d’autres non. Elle révèle également que le nombre d’espèces de tétrapodes perdues augmente de décennie en décennie. Cela signifie que, malgré de nombreuses recherches, nous les perdons à un rythme plus rapide que nous ne les redécouvrons. En particulier, les taux de redécouverte des espèces perdues d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères ont ralenti ces dernières années, tandis que les taux de perte des espèces de reptiles ont augmenté.</p>
<p>En général, les espèces disparaissent parce que leurs populations ont été réduites à une taille très faible en raison de menaces humaines telles que la chasse ou la pollution. Par conséquent, de nombreuses espèces disparues sont menacées d’extinction (en fait, certaines sont probablement déjà éteintes). Cependant, il est difficile de protéger les espèces perdues de l’extinction parce que nous ne savons pas où elles se trouvent.</p>
<h2>Les redécouvertes conduisent à des actions de conservation</h2>
<p>En 2018, des chercheurs colombiens ont réussi à retrouver le <a href="https://www.iucnredlist.org/species/22735460/181746724">chardonneret d’Antioquia</a> (<em>Atlapetes blancae</em>), une espèce d’oiseau non répertoriée depuis 1971. Cette redécouverte a conduit à la <a href="https://www.rainforesttrust.org/urgent-projects/last-stand-for-the-antioquia-brush-finch/">création d’une réserve</a> pour protéger la population restante, qui est minuscule et menacée par la perte d’habitat causée par l’expansion de l’agriculture et le changement climatique.</p>
<p><a href="https://www.smithsonianmag.com/smart-news/scientists-find-the-extinct-victorian-earless-dragon-not-seen-since-1969-180982440/">Le reptile <em>Tympanocryptis pinguicolla</em></a> a été redécouvert en Australie l’année dernière. Il n’avait pas été enregistré depuis 54 ans et était présumé éteint, en raison de la perte de son habitat de prairie et de la prédation par des espèces exotiques envahissantes, y compris les chats sauvages. Sa redécouverte a donné lieu à un <a href="https://minister.dcceew.gov.au/plibersek/media-releases/joint-media-release-reptile-thought-be-extinct-rediscovered-victoria">financement gouvernemental</a> pour tester de nouvelles techniques d’étude afin de trouver d’autres populations de l’espèce, ainsi qu’à un programme d’élevage et à la préparation d’un plan de rétablissement de l’espèce.</p>
<p>Les redécouvertes sont donc importantes : elles apportent la preuve de l’existence d’espèces très menacées, ce qui incite à financer des mesures de conservation. Les résultats de notre étude peuvent aider à hiérarchiser les recherches d’espèces disparues. Dans l’image ci-dessous, nous avons cartographié leur distribution mondiale, en identifiant les régions où il y a beaucoup d’espèces perdues et peu d’espèces redécouvertes.</p>
<h2>Quels sont les facteurs qui influencent les redécouvertes ?</h2>
<p>Malheureusement, de nombreuses recherches pour retrouver des espèces perdues restent infructueuses. En 1993, des recherches menées pendant sept ans au Ghana et en Côte d’Ivoire n’ont pas permis de retrouver un primate disparu, le <a href="https://www.science.org/content/article/where-have-you-gone-miss-waldrons-red-colobus">colobe rouge de Miss Waldron</a> (<em>Piliocolobus waldronae</em>). L’équipe de recherche a conclu que ce singe, non répertorié depuis 1978, pourrait bien avoir disparu. Elle serait due à la chasse et à la destruction de son habitat forestier. D’autres recherches en 2005, 2006 et 2019 ont également été infructueuses, bien que des <a href="https://iucn.org/resources/publication/red-colobus-piliocolobus-conservation-action-plan-2021-2026">cris susceptibles d’être ceux de cette espèce aient été entendus en 2008</a>.</p>
<p>En 2010, les recherches du crapaud à bec de Mésopotamie (<em>Rhinella rostrata</em>), non répertorié en Colombie depuis 1914, ont été infructueuses (<a href="https://news.mongabay.com/2010/11/pictures-mr-burns-frog-discovered-in-colombia-along-with-2-other-new-species/">mais ont conduit à la découverte de trois nouvelles espèces d’amphibiens</a>). La recherche de la <a href="https://www.rewild.org/lost-species/sinu-parakeet">perruche de Sinú</a> (<em>Pyrrhura subandina</em>), non répertoriée en Colombie depuis 1949, a également été infructueuse l’année dernière. Néanmoins, l’équipe du projet a identifié la présence de <a href="https://www.birdguides.com/articles/conservation/exciting-rediscoveries-boost-hopes-of-finding-sinu-parakeet/">dix autres espèces de perroquets dans la zone d’étude et de grandes étendues d’habitat approprié</a>, ce qui laisse espérer que la perruche de Sinú continue d’exister.</p>
<p>Pourquoi certaines espèces sont-elles redécouvertes alors que d’autres restent perdues ? Existe-t-il des facteurs spécifiques qui influencent la redécouverte ? Notre étude visait à répondre à ces questions, afin d’améliorer notre capacité à distinguer les types d’espèces perdues que nous pouvons redécouvrir de celles que nous ne pouvons pas redécouvrir, parce qu’elles sont éteintes.</p>
<p>Notre équipe était composée de membres de l’organisation <a href="https://www.rewild.org/lost-species">Re :wild</a>, qui dirige les efforts de recherche des espèces perdues depuis 2017, ainsi que d’experts en espèces de la <a href="https://www.iucn.org/our-union/commissions/species-survival-commission">Commission de la sauvegarde des espèces de l’Union internationale pour la conservation de la nature</a> (UICN).</p>
<p>Nous avons compilé une <a href="https://doi.org/10.5061/dryad.c866t1gdf">base de données de 856 espèces de tétrapodes perdues et de 424 espèces redécouvertes</a> (amphibiens, oiseaux, mammifères et reptiles). Nous avons ensuite proposé trois grandes hypothèses sur les facteurs susceptibles d’influencer la redécouverte : les caractéristiques des espèces de tétrapodes et de l’environnement ainsi que les activités humaines influencent la redécouverte.</p>
<p>Par exemple, la masse corporelle (une caractéristique de l’espèce) peut avoir une influence positive sur la redécouverte, car les espèces perdues de grande taille devraient être plus faciles à trouver. Les espèces perdues qui occupent des forêts denses (une caractéristique de l’environnement) peuvent ne pas être redécouvertes car il est difficile de les chercher. Les espèces perdues affectées par des menaces associées aux activités humaines (par exemple, les espèces exotiques envahissantes, qui sont répandues dans de nouveaux endroits par le commerce mondial) peuvent ne pas être redécouvertes, car elles sont peut-être éteintes.</p>
<p>Sur la base de ces hypothèses, nous avons collecté des données sur une série de variables associées à chaque espèce perdue et redécouverte, que nous avons ensuite analysées pour déterminer leur influence sur la redécouverte.</p>
<h2>Difficile à trouver + négligé = redécouvert</h2>
<p>D’un autre côté, nos résultats suggèrent que même si de nombreuses espèces disparues sont difficiles à trouver, avec un peu d’effort et l’utilisation de nouvelles techniques, elles sont susceptibles d’être redécouvertes. Ces espèces comprennent celles qui sont très petites (y compris de nombreuses espèces de reptiles disparues), celles qui vivent sous terre, celles qui sont nocturnes et celles qui vivent dans des zones difficiles à étudier.</p>
<p>D’ailleurs, depuis la fin de notre étude, la <a href="https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/30/back-from-the-brink-de-wintons-golden-mole-feared-extinct-rediscovered-after-86-years-aoe">Taupe dorée de Winton</a> (<em>Cryptochloris wintoni</em>) a été redécouverte en Afrique du Sud. Cette espèce n’avait pas été observée dans la nature depuis 1937. Elle vit sous terre la plupart du temps, c’est pourquoi des recherches ont été menées à l’aide de techniques telles que l’ADN environnemental et l’imagerie thermique.</p>
<p>Nos résultats suggèrent également que certaines espèces sont négligées par les spécialistes de la conservation, en particulier celles qui ne sont pas considérées comme charismatiques, telles que les reptiles, les petites espèces et les rongeurs. Les recherches de ces espèces peuvent également être couronnées de succès. Le caméléon de Voeltzkow (<em>Furcifer voeltzkowi</em>), une petite espèce de reptile, a été <a href="https://www.livescience.com/lost-chameleon-rediscovered-after-century.html">redécouvert à Madagascar en 2018</a>.</p>
<h2>Perdues ou éteintes ?</h2>
<p>Malheureusement, nos résultats suggèrent également que certaines espèces perdues ont peu de chances d’être retrouvées, quels que soient les efforts déployés, parce qu’elles sont éteintes. Par exemple, les espèces de mammifères encore perdues sont en moyenne trois fois plus grandes que les espèces de mammifères redécouvertes. Certaines de ces espèces de grande taille, charismatiques et bien visibles auraient déjà dû être redécouvertes.</p>
<p>En outre, un tiers des espèces de mammifères encore perdues sont endémiques des îles, où les espèces de tétrapodes sont <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2351989421003978">particulièrement vulnérables à l’extinction</a>. Le mélomys de Bramble Cay (<em>Melomys rubicola</em>), qui était autrefois considéré comme une espèce perdue, a récemment été <a href="https://www.dcceew.gov.au/environment/biodiversity/threatened/nominations/comment/bramble-cay-melomys-2018">déclaré éteint</a> par le gouvernement australien. Il occupait une petite île qui a fait l’objet d’une étude approfondie. S’il existait encore, il aurait déjà dû être redécouvert.</p>
<p>Les espèces d’oiseaux perdues ont, en moyenne, disparu depuis plus longtemps que celles qui ont été redécouvertes (28 % ont disparu depuis plus de 100 ans), et beaucoup ont été recherchées à plusieurs reprises – peut-être que certaines de ces espèces auraient également dû être redécouvertes à ce jour.</p>
<p>Néanmoins, des redécouvertes inattendues d’espèces disparues depuis longtemps comme le <a href="https://www.edgeofexistence.org/species/cebu-flowerpecker/">pic de Cebu</a> (<em>Dicaeum quadricolor</em>) se produisent, nous ne devrions donc pas perdre espoir et nous devrions certainement continuer à chercher. Cependant, certaines recherches sont menées pour retrouver des espèces perdues depuis longtemps et considérées comme éteintes, comme le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969723014948">thylacine</a> (<em>Thylacinus cynocephalus</em>). Les ressources limitées disponibles pour la conservation de la biodiversité seraient peut-être mieux utilisées pour rechercher des espèces perdues susceptibles d’exister encore.</p>
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<p><em>Tim Lindken, ancien étudiant en master sous la responsabilité de l’auteur, a contribué à la rédaction de cet article.</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221265/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Evans a reçu des financements de The Alexander von Humboldt Foundation.</span></em></p>Il existe des centaines d’espèces disparues à travers le monde et leur nombre augmente de décennie en décennie. Pourquoi certaines espèces sont redécouvertes, alors que d’autres ne le sont pas ?Thomas Evans, Research scientist, Freie Universität Berlin, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207192024-01-17T09:05:15Z2024-01-17T09:05:15ZWe are losing tetrapod species at a faster rate than we are rediscovering them<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569552/original/file-20240116-22672-a3vxe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C20%2C1908%2C1256&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Voeltzkow’s chameleon was rediscovered in Madagascar in 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.inaturalist.org/observations/2583347">Martin Mandák/iNaturalist </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Lost species are those that have not been observed in the wild for over ten years, despite searches to find them. Lost tetrapod species (four-limbed vertebrate animals including amphibians, birds, mammals and reptiles) are a global phenomenon – there are more than 800 of them, and they are broadly distributed worldwide.</p>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.17107">Our research</a>, published today in the journal <em>Global Change Biology</em>, attempts to pin down why certain tetrapod species are rediscovered but others not. It also reveals that the number of lost tetrapod species is increasing decade-on-decade. This means that despite many searches, we are losing tetrapod species at a faster rate than we are rediscovering them. In particular, rates of rediscovery for lost amphibian, bird and mammal species have slowed in recent years, while rates of loss for reptile species have increased.</p>
<p>This is not good news. Species are often lost because their populations have shrunk to a very small size due to human threats like hunting and pollution. Consequently, many lost species are in danger of becoming extinct (in fact, some probably are extinct). However, it is difficult to protect lost species from extinction because we don’t know where they are.</p>
<h2>Rediscoveries lead to conservation action</h2>
<p>In 2018, researchers in Colombia successfully searched for the <a href="https://www.iucnredlist.org/species/22735460/181746724">Antioquia brush-finch</a> (<em>Atlapetes blancae</em>), a bird species unrecorded since 1971. This rediscovery led to <a href="https://www.rainforesttrust.org/urgent-projects/last-stand-for-the-antioquia-brush-finch/">the establishment of a reserve</a> to protect the remaining population of the brush-finch, which is tiny and threatened by habitat loss caused by agricultural expansion and climate change.</p>
<p>The <a href="https://www.smithsonianmag.com/smart-news/scientists-find-the-extinct-victorian-earless-dragon-not-seen-since-1969-180982440/">Victorian grassland earless dragon</a> (<em>Tympanocryptis pinguicolla</em>) was rediscovered in Australia last year. It hadn’t been recorded for 54 years, and was presumed to be extinct, due to the loss of its grassland habitat and predation by invasive alien species including feral cats. Its rediscovery resulted in <a href="https://minister.dcceew.gov.au/plibersek/media-releases/joint-media-release-reptile-thought-be-extinct-rediscovered-victoria">government funding</a> to trial new survey techniques to find further populations of the species, a breeding program, and the preparation of a species recovery plan.</p>
<p>Thus, rediscoveries are important: they provide evidence of the continued existence of highly threatened species, prompting funding for conservation action. The results or our study may help to prioritise searches for lost species. In the image below, we mapped their global distribution, identifying regions with many lost and few rediscovered species.</p>
<h2>What factors influence rediscovery?</h2>
<p>Sadly, many quests to find lost species are unsuccessful. In 1993, searches in Ghana and the Ivory Coast over seven years failed to rediscover a lost primate, <a href="https://www.science.org/content/article/where-have-you-gone-miss-waldrons-red-colobus">Miss Waldron’s red colobus</a> (<em>Piliocolobus waldronae</em>). The research team concluded that this noisy and conspicuous monkey, unrecorded since 1978, may well be extinct. Its demise has been caused by hunting and the destruction of its forest habitat. Further searches in 2005, 2006 and 2019 were also unsuccessful, although <a href="https://iucn.org/resources/publication/red-colobus-piliocolobus-conservation-action-plan-2021-2026">calls that were possibly by this species were heard in 2008</a>.</p>
<p>In 2010, searches for the Mesopotamia beaked toad (<em>Rhinella rostrata</em>), unrecorded in Colombia since 1914, were unsuccessful (<a href="https://news.mongabay.com/2010/11/pictures-mr-burns-frog-discovered-in-colombia-along-with-2-other-new-species/">but did lead to the discovery of three new amphibian species</a>). Last year’s search for the <a href="https://www.rewild.org/lost-species/sinu-parakeet">Sinú parakeet</a> (<em>Pyrrhura subandina</em>), unrecorded in Colombia since 1949, was also unsuccessful. Nevertheless, the project team did identify the presence of <a href="https://www.birdguides.com/articles/conservation/exciting-rediscoveries-boost-hopes-of-finding-sinu-parakeet/">ten other parrot species in the survey area and large tracts of suitable habitat</a>, giving hope for the continued existence of the Sinú parakeet.</p>
<p>So why is it that some species are rediscovered while others remain lost? Are there specific factors that influence rediscovery? We aimed to answer these questions in our study, in order to improve our ability to distinguish between the types of lost species we can rediscover, from those that we cannot, because they are extinct.</p>
<p>Our project team comprised members of the organisation <a href="https://www.rewild.org/lost-species">Re:wild</a>, which has been leading efforts to search for lost species since 2017, along with species experts from the <a href="https://www.iucn.org/our-union/commissions/species-survival-commission">International Union for Conservation of Nature (IUCN) Species Survival Commission</a> (SSC).</p>
<p>We compiled <a href="https://doi.org/10.5061/dryad.c866t1gdf">a database of 856 lost and 424 rediscovered tetrapod species</a> (amphibians, birds, mammals and reptiles). We then proposed three broad hypotheses about factors that might influence rediscovery: characteristics of (i) tetrapod species, and (ii) the environment influence rediscovery, and (iii) human activities influence rediscovery.</p>
<p>For example, body mass (a species characteristic) may positively influence rediscovery, as larger lost species should be easier to find. Lost species occupying dense forests (a characteristic of the environment) may not be rediscovered as searching for them is difficult. Lost species affected by threats associated with human activities (e.g., invasive alien species, which are being spread to new locations by global trade) may not be rediscovered, as they may be extinct.</p>
<p>Based on these hypotheses, we collected data on a series of variables associated with each lost and rediscovered species (for example, their body mass), which we then analysed for their influence on rediscovery.</p>
<h2>Hard to find + neglected = rediscovered</h2>
<p>On the upside, our results suggest that while many lost species are difficult to find, with some effort and the use of new techniques, they are likely to be rediscovered. These species include those that are very small (including many lost reptile species), those that live underground, those that are nocturnal, and those living in areas that are difficult to survey.</p>
<p>In fact, since the completion of our study, <a href="https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/30/back-from-the-brink-de-wintons-golden-mole-feared-extinct-rediscovered-after-86-years-aoe">De Winton’s Golden Mole</a> (<em>Cryptochloris wintoni</em>) has been rediscovered in South Africa. This species hadn’t been recorded in the wild since 1937. It lives underground much of the time, so searches were conducted using techniques including environmental DNA and thermal imaging.</p>
<p>Our results also suggest some species are neglected by conservation scientists, particularly those that are not considered to be charismatic, such as reptiles, small species and rodents. Searches for these species may also be rewarded with success. Voeltzkow’s chameleon (<em>Furcifer voeltzkowi</em>), a small reptile species, was <a href="https://www.livescience.com/lost-chameleon-rediscovered-after-century.html">rediscovered in Madagascar in 2018</a>.</p>
<h2>Lost or extinct?</h2>
<p>Unfortunately, our results also suggest that some lost species are unlikely to be found no matter how hard we look, because they are extinct. For example, remaining lost mammal species are, on average, three times larger than rediscovered mammal species. Some of these large, charismatic, conspicuous species should have been rediscovered by now.</p>
<p>Furthermore, one third of remaining lost mammal species are endemic to islands, where tetrapod species are <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2351989421003978">particularly vulnerable to extinction</a>. The Bramble Cay melomys (<em>Melomys rubicola</em>), which was once considered to be a lost species, has recently been <a href="https://www.dcceew.gov.au/environment/biodiversity/threatened/nominations/comment/bramble-cay-melomys-2018">declared extinct</a> by the Australian Government. It occupied a small island that has been extensively surveyed – if it still existed it should have been rediscovered by now.</p>
<p>Lost bird species have, on average, been missing for longer than those that have been rediscovered (28% have been missing for more than 100 years), and many have been searched for on several occasions – perhaps some of these species should also have been rediscovered by now.</p>
<p>Nevertheless, unexpected rediscoveries of long-lost species like the <a href="https://www.edgeofexistence.org/species/cebu-flowerpecker/">Cebu flowerpecker</a> (<em>Dicaeum quadricolor</em>) do occur, so we shouldn’t lose hope, and we should definitely keep searching. However, some searches are being carried out for long-lost species that are considered to be extinct, such as the <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969723014948">thylacine</a> (<em>Thylacinus cynocephalus</em>). Perhaps the limited resources available for biodiversity conservation would be better used to search for lost species likely to still exist.</p>
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<p><em>The author’s former MSc student, Tim Lindken, contributed to writing this article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Evans received funding from The Alexander von Humboldt Foundation.</span></em></p>There are hundreds of lost tetrapod species across the globe and their number are increasing decade-on-decade. This study aims to find out why some are rediscovered, while others are not.Thomas Evans, Research scientist, Freie Universität Berlin, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2205602024-01-16T16:18:26Z2024-01-16T16:18:26ZUne vraie souveraineté alimentaire pour la France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567861/original/file-20240104-27-n2p29k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C13%2C4656%2C3059&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La souveraineté alimentaire est devenue un argument d’autorité, trop souvent invoqué afin de poursuivre des pratiques agricoles délétères.</span> <span class="attribution"><span class="source">Thibaut Marquis/unsplash</span></span></figcaption></figure><p>Le mercredi 6 décembre 2023, la FNSEA sortait du bureau d’Elisabeth Borne en déclarant fièrement que <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/agriculture-la-fnsea-annonce-obtenir-labandon-de-la-hausse-de-taxes-sur-les-pesticides-et-leau-333bc86a-23b2-411f-af77-d4a9bcafc79c">l’État abandonnait son projet de taxer l’usage des pesticides et des retenues d’eau</a>. Cela vient conclure une séquence historique. Le 16 novembre déjà, l’Europe reconduisait <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/glyphosate/glyphosate-l-autorisation-du-glyphosate-renouvelee-pour-10-ans-par-la-commission-europeenne_6187641.html">l’autorisation du glyphosate pour 10 ans</a>. Et, six jours plus tard, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/environnement-un-jour-sombre-le-reglement-contre-les-pesticides-tue-par-la-droite-europeenne">abandonnait aussi l’objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides à l’horizon 2030</a>.</p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? La question a été récemment posée dans un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/commission_enquete_phytosanitaires">rapport de l’Assemblée nationale</a>. En plus <a href="https://www.agra.fr/agra-presse/enquete">du lobbying habituel de la FNSEA</a> et de <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-malaise-des-agriculteurs-127862">l’état de crise permanent dans laquelle vivent les agriculteurs</a> et qui rend toute réforme explosive, la question de la souveraineté alimentaire – qui correspond au droit d’un pays à développer ses capacités productives pour assurer la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/securite-alimentaire-51357">sécurité alimentaire</a> des populations – a joué un rôle clé dans cette dynamique.</p>
<p>La souveraineté alimentaire est ainsi devenue, depuis la <a href="https://theconversation.com/gaspillage-et-in-securite-alimentaires-les-lecons-a-tirer-de-la-crise-sanitaire-153601">crise du Covid</a> et la <a href="https://theconversation.com/envol-des-prix-insecurite-alimentaire-les-lourdes-consequences-pour-lafrique-de-la-guerre-en-ukraine-181193">guerre en Ukraine</a>, l’argument d’autorité permettant de poursuivre des pratiques qui génèrent des catastrophes écologiques et humaines majeures. Il existe pourtant d’autres voies.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quatre-pistes-pour-une-souverainete-alimentaire-respectueuse-de-la-sante-et-de-lenvironnement-206947">Quatre pistes pour une souveraineté alimentaire respectueuse de la santé et de l’environnement</a>
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<h2>Le mythe de la dépendance aux importations</h2>
<p>De quelle souveraineté alimentaire parle-t-on ? Les <a href="https://www.franceagrimer.fr/Actualite/International/2023/Souverainete-alimentaire-un-eclairage-par-les-indicateurs-de-bilan">derniers chiffres de FranceAgrimer</a> montrent que notre « dépendance aux importations » – comme aiment à le répéter les défenseurs d’un modèle intensif – est de 75 % pour le blé dur, 26 % pour les pommes de terre, 37 % pour les fruits tempérés ou 26 % pour les porcs.</p>
<p>Mais ce que l’on passe sous silence, c’est que le taux d’autoapprovisionnement – soit le rapport entre la production et la consommation françaises – est de <a href="https://www.franceagrimer.fr/content/download/70677/document/ETU-2023-SOUVERAINETE_ALIMENTAIRE.pdf">148 % pour le blé dur</a>, 113 % pour les pommes de terre, 82 % pour les fruits tempérés et 103 % pour le porc. Le problème de souveraineté alimentaire n’en est pas un. Le vrai problème, c’est qu’on exporte ce que l’on produit, y compris ce dont on a besoin. Cherchez l’erreur.</p>
<p><em>[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</em></p>
<p>D’autres arguments viennent encore se greffer à celui de la souveraineté, dans un monde d’interdépendances : la France serait le <a href="https://www.lejdd.fr/Economie/Les-exportations-francaises-de-ble-sont-en-passe-de-battre-un-record-historique-247861-3107024">« grenier à blé de l’Europe »</a>, il faudrait « nourrir les pays du Sud », la France serait <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2021/10/hcp_ouverture-n7-grande_puissance_agricole.pdf">« une puissance exportatrice »</a>, etc.</p>
<p>Au-delà de l’hypocrisie de certaines de ces affirmations – en effet, les exportations des surplus européens subventionnés ont <a href="https://www.euractiv.fr/section/aide-au-developpement/news/les-dommages-collateraux-de-la-pac-sur-lagriculture-des-pays-en-developpement/">détruit tout un tissu productif, en Afrique de l’Ouest notamment</a> – il ne s’agit pas là d’enjeux liés à la souveraineté alimentaire, mais d’enjeux stratégiques et politiques liés à la compétitivité de certains produits agricoles français sur les marchés internationaux.</p>
<p>Comprendre : la France est la 6<sup>e</sup> puissance exportatrice de produits agricoles et agroalimentaires au monde et elle entend bien le rester.</p>
<h2>Voir la productivité de façon multifonctionnelle</h2>
<p>S’il ne faut évidemment pas renoncer aux objectifs de productivité alimentaire nationaux, ces derniers gagneraient à être redéfinis. Car comment évoquer la souveraineté alimentaire sans parler des <a href="https://theconversation.com/plan-eau-la-politique-des-petits-tuyaux-fera-t-elle-les-grandes-rivieres-203391">besoins en eau</a> pour produire les aliments, de la <a href="https://theconversation.com/comment-lagriculture-industrielle-bouleverse-le-cycle-de-lazote-et-compromet-lhabitabilite-de-la-terre-219276">dépendance aux énergies fossiles</a> générée par les intrants de synthèse, de l’épuisement de la fertilité des sols lié à la monoculture intensive ou encore des <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-agriculture-les-economistes-alertent-sur-la-necessite-dintensifier-les-efforts-dadaptation-en-afrique-subsaharienne-218184">effets du réchauffement climatique</a> ?</p>
<p>Comment évoquer la souveraineté alimentaire sans parler des enjeux fonciers, de l’évolution du travail agricole (25 % des agriculteurs sont en passe de partir à la retraite), du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gaspillage-alimentaire-22121">gaspillage alimentaire</a> – qui avoisine les 30 % tout de même – des besoins nutritionnels et des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/alimentation-21911">habitudes alimentaires</a> de la population ?</p>
<p>La productivité alimentaire doit dorénavant se conjuguer avec d’autres formes de productivité tout aussi essentielles à notre pays :</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les zones humides naturelles ont une certaine capacité à épurer les milieux aquatiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sandro Bisotti/Flickr</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La cétoine dorée, un coléoptère, est aussi un pollinisateur, au même titre que les abeilles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Raphaël Guillaumin/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>la capacité de rétention <a href="https://theconversation.com/podcast-donner-une-seconde-vie-aux-eaux-usees-208996">d’eau dans les sols</a>,</p></li>
<li><p>le renouvellement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pollinisateurs-35904">pollinisateurs</a>,</p></li>
<li><p>le maintien des capacités épuratoires des milieux pour conserver une eau potable,</p></li>
<li><p>le renouvellement de la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-est-si-important-de-preserver-la-sante-de-nos-sols-175934">fertilité des sols</a>,</p></li>
<li><p>la régulation des <a href="https://theconversation.com/les-bioinsecticides-miracle-ou-mirage-147050">espèces nuisibles</a> aux cultures,</p></li>
<li><p>ou encore la <a href="https://theconversation.com/pieger-le-carbone-dans-le-sol-ce-que-peut-lagriculture-216768">séquestration du carbone</a> dans les sols.</p></li>
</ul>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-sauver-nos-systemes-alimentaires-restaurer-nos-sols-en-sequestrant-le-carbone-212820">Pour sauver nos systèmes alimentaires, restaurer nos sols en séquestrant le carbone</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Or, il est <a href="https://sfecologie.org/regard/r110-mai-2023-e-porcher-pollinisation-en-crise/">scientifiquement reconnu</a> que les indicateurs de productivité relatifs à ces services <a href="https://aida.ineris.fr/reglementation/instruction-gouvernement-050220-relative-a-protection-ressources-eau-captages">baissent depuis plusieurs décennies</a>. Pourtant, ce sont bien ces services qui permettront de garantir une véritable souveraineté alimentaire future.</p>
<h2>La diversification pour maintenir des rendements élevés</h2>
<p>Une <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aba1715">revue de littérature scientifique parue en 2020</a>, compilant plus de 5000 études menées partout dans le monde, montrait que seules des stratégies de diversification des pratiques agricoles permettent de répondre à ces objectifs de performance plurielle pour l’agriculture, tout en maintenant des rendements élevés.</p>
<p>Les ingrédients de cette diversification sont connus :</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le non-labour est l’une des clés de la diversification agricole.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lutz Blohm/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les haies permettent de limiter le ruissellement d’eau et rendent plusieurs services agrosystémiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean Balczesak/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>augmentation de la rotation des cultures et des amendements organiques,</p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">renoncement aux pesticides de synthèse</a> et promotion de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/agriculture-biologique-26141">agriculture biologique</a> à grande échelle,</p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/en-cessant-de-labourer-les-sols-on-pourrait-reduire-limpact-de-lagriculture-sur-le-climat-de-30-160218">réduction du labour</a>,</p></li>
<li><p>diversification des semences et <a href="https://theconversation.com/retour-sur-le-combat-pour-les-semences-paysannes-en-europe-190670">recours aux variétés rustiques</a>,</p></li>
<li><p>ou encore <a href="https://theconversation.com/climat-biodiversite-le-retour-gagnant-des-arbres-champetres-174944">restauration des haies</a> et des talus pour limiter le ruissellement de l’eau de pluie.</p></li>
</ul>
<p>Dans 63 % des cas étudiés par ces chercheurs, ces stratégies de diversification ont permis non seulement d’augmenter les services écosystémiques qui garantissent la souveraineté alimentaire à long terme, mais aussi les rendements agricoles qui permettent de garantir la souveraineté alimentaire à court terme.</p>
<h2>Les sérieux atouts de l’agriculture biologique</h2>
<p>Parmi les pratiques de diversification qui ont fait leurs preuves à grande échelle en France, on retrouve l’agriculture biologique. <a href="https://theconversation.com/agriculture-pourquoi-la-bio-marque-t-elle-le-pas-en-france-207510">Se convertir au bio</a>, ce n’est pas simplement abandonner les intrants de synthèse.</p>
<p>C’est aussi recourir à des rotations de cultures impliquant des <a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-bonnes-pour-notre-sante-et-celle-de-la-planete-216845">légumineuses fixatrices d’azote dans le sol</a>,utiliser des semences rustiques plus résilientes face aux parasites, des amendements organiques qui nécessitent des couplages culture-élevage, et enfin parier sur la <a href="https://theconversation.com/agroforesterie-intrants-labour-comment-ameliorer-le-bilan-carbone-de-lagriculture-165403">restauration d’un paysage qui devient un allié</a> dans la lutte contre les aléas naturels. La diversification fait ainsi partie de l’ADN des agriculteurs bio.</p>
<p>C’est une question de réalisme économique. Les exploitations bio consomment en France <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/system/files/2023-04/agri-market-brief-20-organic-farming-eu_en.pdf">deux fois moins de fertilisant et de carburant par hectare que les exploitants conventionnels</a>, ce qui les rend moins vulnérables à l’évolution du prix du pétrole. En clair, l’agriculture biologique pourrait être la garante de la future souveraineté alimentaire française, alors qu’elle est justement souvent présentée comme une menace pour cette dernière du fait de rendements plus faibles à court terme.</p>
<p>Au regard des éléments mentionnés plus haut, il s’agit évidemment d’un faux procès. Nous sommes autosuffisants et nous avons les réserves foncières qui permettraient de déployer le bio à grande échelle en France, puisque nous sommes passé de <a href="https://www.ressources.terredeliens.org/les-ressources/l-etat-des-terres-agricoles-en-france-dossier-thematique-rapport-1">72 % du territoire dédié aux activités agricoles en 1950 à 50 % en 2020</a>. Une petite partie de ces surfaces a été artificialisée tandis que la majorité a tout simplement évolué en friche, <a href="https://hal.science/hal-01197118v1/file/C57Coulon.pdf">à hauteur de 1000 km<sup>2</sup> par an en moyenne</a>.</p>
<p>Par ailleurs, le différentiel de rendement entre le bio et le conventionnel se réduit après quelques années seulement : de <a href="https://www.nature.com/articles/nature11069">25 % en moyenne (toutes cultures confondues) au moment de la conversion, il descend à 15 % ensuite</a>. La raison en est l’apprentissage et l’innovation dont font preuve ces agriculteurs qui doivent en permanence s’adapter aux variabilités naturelles. Et des progrès sont encore à attendre, si l’on songe que l’agriculture bio n’a pas bénéficié des 50 dernières années de recherche en agronomie dédiées aux pratiques conventionnelles.</p>
<h2>Relever le niveau de vie des agriculteurs sans éroder le pouvoir d’achat des consommateurs</h2>
<p>Mais a-t-on les moyens d’opérer une telle transition sans réduire le pouvoir d’achat des Français ? Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord évoquer le revenu des agriculteurs. Il est <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5434584">notoirement faible</a>. Les agriculteurs travaillent beaucoup et vivent mal de leur métier.</p>
<p>Or, on oublie souvent de le mentionner, mais le surcoût des produits bio est aussi lié au fait que les consommateurs souhaitent mieux rémunérer les agriculteurs : hors subventions, les revenus des agriculteurs bio sont <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1423674112">entre 22 % et 35 % plus élevés</a> que pour les agriculteurs conventionnels.</p>
<p>Ainsi, le consommateur bio consent à payer plus parce que le bio est meilleur pour l’environnement dans son ensemble (eau, air, sol, biodiversité), mais aussi pour que les paysans puissent mieux vivre de leur métier en France sans mettre en danger leur santé.</p>
<p>Par ailleurs, si le consommateur paie plus cher les produits bio c’est aussi parce qu’il valorise le travail agricole en France. Ainsi la production d’aliments bio <a href="https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/observatoire-de-la-consommation-bio/">nécessite plus de main-d’œuvre (16 % du total du travail agricole pour 10 % des surfaces)</a> et est très majoritairement localisée en France (71 % de ce qui est consommé en bio est produit en France).</p>
<p>Cette question du travail est centrale. Moins de chimie, c’est plus de travail des communautés humaines, animales et végétales. C’est aussi plus d’incertitudes, ce qui n’est évidemment pas simple à appréhender pour un exploitant.</p>
<p>Mais il faut rappeler que le discours sur le pouvoir d’achat des français, soi-disant garanti par le modèle hyper-productiviste de l’agriculture française, vise surtout à conforter les rentes de situations des acteurs dominants du secteur agricole. Car les coûts sanitaires et environnementaux de ce modèle sont payés par le contribuable.</p>
<p>Rien que le traitement de l’eau, lié aux pollutions agricoles, pour la rendre potable, <a href="https://aida.ineris.fr/reglementation/instruction-gouvernement-050220-relative-a-protection-ressources-eau-captages">coûte entre 500 millions d’euros et 1 milliard d’euros par an à l’État</a>. Or, ce que le consommateur ne paie pas au supermarché, le citoyen le paie avec ses impôts. Le rapport parlementaire évoqué plus haut ne dit pas autre chose : la socialisation des coûts et la privatisation des bénéfices liés aux pesticides ne sont plus tolérables.</p>
<h2>Le bio, impensé de la politique agricole française</h2>
<p>Une évidence s’impose alors : il semblerait logique que l’État appuie massivement cette filière en vue de réduire les coûts pour les exploitants bio et ainsi le prix pour les consommateurs de produits bio. En effet, cette filière offre des garanties en matière de souveraineté alimentaire à court et long terme, permet de protéger l’eau et la santé des Français, est créatrice d’emplois en France. Il n’en est pourtant rien, bien au contraire.</p>
<p>L’État a promu le label Haute valeur environnementale (HVE), dont l’intérêt est très limité, <a href="https://professionnels.ofb.fr/fr/doc/evaluation-performances-environnementales-certification-haute-valeur-environnementale-hve-dans">comme révélé par l’Office français de la biodiversité</a> (OFB). L’enjeu semble surtout être de permettre aux agriculteurs conventionnels de toucher les aides associés au plan de relance et à la nouvelle PAC, au risque de créer une <a href="https://www.biofil.fr/actualites-nationales/label-hve-le-conseil-detat-saisi-pour-tromperie/">concurrence déloyale vis-à-vis des agriculteurs bio</a>, d’autant plus que les aides publiques au maintien de l’agriculture biologique ont été supprimées en 2023.</p>
<p>La décision récente de l’État de retirer son projet de taxe sur l’usage des pesticides créé aussi, <em>de facto</em>, un avantage comparatif pour le conventionnel vis-à-vis du bio. Enfin, rappelons que la Commission européenne a pointé à plusieurs reprises que la France était le seul pays européen à donner <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/document/download/df01a3c7-c0fb-48f1-8eca-ce452ea4b8c2_en?filename=agri-market-brief-20-organic-farming-eu_en.pdf">moins de subventions par unité de travail agricole aux céréaliers bio qu’aux conventionnels</a>.</p>
<p>Ainsi, un céréalier bio français reçoit un tiers de subventions en moins par unité de travail agricole qu’un céréalier conventionnel, alors qu’en Allemagne ou en Autriche, il recevrait 50 % de subventions supplémentaires. En France, l’État renonce aux taxes sur les pesticides tout en maintenant des charges sociales élevées sur le travail agricole, alors que c’est évidemment l’inverse dont aurait besoin la transition agroécologique.</p>
<p>Que peuvent faire les citoyens au regard de ce constat déprimant ? Consommer des produits bio malgré tout, et trouver des moyens de les payer moins cher, grâce par exemple à la vente directe et à des dispositifs tels que les <a href="https://theconversation.com/les-amap-leconomie-collaborative-les-pieds-sur-terre-68318">AMAP</a> qui permettent de réduire le coût du transport, de la transformation et de la distribution tout autant que le gâchis alimentaire, les variabilités de la production étant amorties par la variabilité du contenu du panier.</p>
<p>Les agriculteurs engagés pour la transition écologique, de leur côté, peuvent réduire les risques associés aux variabilités naturelles et économiques en créant de nouvelles formes d’exploitations coopératives combinant plusieurs activités complémentaires : élevage, culture, transformation, conditionnement et distribution peuvent être organisés collectivement pour mutualiser les coûts et les bénéfices, mais aussi se réapproprier une part significative de la chaîne de valeur laissée aujourd’hui au monde de l’agro-industrie et de la grande distribution.</p>
<p>Il ne s’agit pas d’une utopie. De nombreux acteurs essaient de faire émerger, malgré les résistances institutionnelles, ces nouvelles pratiques permettant de garantir la souveraineté alimentaire de la France à long terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Harold Levrel est professeur d'économie écologique à AgroParisTech</span></em></p>La souveraineté alimentaire est régulièrement invoquée pour justifier le productivisme agro-alimentaire. Une vision restrictive qui ignore bon nombre des services écosystémiques rendus par la nature.Harold Levrel, Professeur, économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162142024-01-14T16:31:09Z2024-01-14T16:31:09Z« Le corps policier a été secoué par la mort de Nahel »<p><em>L’appel à la grève le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/pourquoi-les-syndicats-de-la-police-nationale-appellent-a-la-greve-le-18-janvier-2900294.html">18 janvier par plusieurs syndicats policiers</a> dans la perspective des Jeux olympiques de Paris 2024 – après que le ministre de tutelle ait souhaité une mobilisation exceptionnelle – remet en lumière l’importance de ces organisations dans la vie politique française. À l’été 2023, les émeutes et leur gestion avaient donné lieu à diverses <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20230721.OBS76037/mises-en-examen-de-quatre-policiers-reactions-de-leurs-collegues-a-marseille-l-enquete-avance-apres-le-passage-a-tabac-d-hedi.html">mouvements de contestations</a>.</em></p>
<p><em>Marion Guenot, chercheuse en sociologie au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) nous livre ici son analyse sur l’implication croissante des syndicats sur la scène politique et sur l’importance de l’appartenance syndicale dans l’organisation policière.</em></p>
<hr>
<p><strong>Comment les syndicats travaillent-ils et sont-ils représentatifs des policiers ?</strong></p>
<p><strong>Marion Guenot</strong> : Le fait syndical est particulièrement massif au sein de la police : 77 % de taux de participation <a href="https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2022-12/CP%20R%C3%A9sultats%20-%20%C3%A9lections%20du%20CSA%20MIOM%202022%20.pdf">aux élections professionnelles de 2022</a>. Ces syndicats sont catégoriels, représentant séparément le corps des gardiens de la paix et gradés, celui des officiers et celui des commissaires. Les plus connus sont les syndicats de gardiens et gradés : Alliance police nationale et l’UNSA, qui à la faveur d’une liste commune, représentent désormais 52,7 % du corps ; Unité SGP Police FO qui en représente à elle seule 40,3 %. Trois raisons permettent d’expliquer le succès du syndicalisme chez les policiers.</p>
<p>Les fonctionnaires en exercice sont tenus par un <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2011-1-page-113.htm">devoir de réserve et de loyauté à l’égard de l’institution</a>. Or, les syndicats policiers bénéficient d’une atténuation de ces devoirs : la parole des délégués est plus libre, les locaux syndicaux sont des espaces de débats plus sécurisés que les salles de repos, les réseaux sociaux ou les repas de famille dans certains cas, etc. Au travers des prises de paroles des délégués, ce sont les policiers de terrain qui trouvent un moyen d’expression.</p>
<p>Par ailleurs, le succès du syndicalisme policier s’explique par le fait que les organisations représentatives offrent un <a href="https://www.editions-legislatives.fr/actualite/la-police-un-syndicalisme-a-part/">syndicalisme de service</a> à toutes les étapes de la carrière : cela va du logement pour la première affectation, aux mutations et avancements, en passant par le disciplinaire. En de nombreux cas, le délégué est un canal d’information plus rapide que les canaux institutionnels.</p>
<p>Enfin, là où dans le reste du monde du travail, on a observé une partition entre les syndicats investis dans le travail institutionnel versus les syndicats représentant davantage le <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-syndicats--9782707170125-page-23.htm">mouvement social</a>, les syndicats policiers représentatifs tirent leur légitimité à la fois de l’action institutionnelle et des protestations de rue.</p>
<p><strong>Dans leur communiqué commun, Alliance et l’UNSA qualifiaient en juillet 2023 les émeutiers de <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/emeutes-urbaines/emeutes-apres-la-mort-de-nahel-un-communique-de-deux-syndicats-de-police-cree-la-polemique-62ce8cb8-17e1-11ee-a274-cd245df77ae9">« nuisibles »</a> quelques jours après les émeutes ayant suivi le décès du jeune Nahel, abattu par un tir policier lors d’un contrôle. Comment comprendre la position de ces syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Il faut bien avoir en tête que le corps policier a été secoué par la mort de Nahel. Plus qu’un bloc, il est traversé par des <a href="https://theconversation.com/quand-les-hommes-en-bleu-debattent-des-gilets-jaunes-125640">débats</a>, voire des disputes en interne.</p>
<p>À l’annonce de la mort de Nahel Merzouk, aucun des syndicats représentatifs que j’ai cités ne s’est exprimé publiquement. Ce n’est que le lendemain, face aux réactions présidentielles, dénonçant un tir « inexcusable » et <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mineur-tue-a-nanterre-macron-evoque-un-acte-inexplicable-et-inexcusable-28-06-2023-2526553_20.php">« inexplicable »</a>, qu’ils interviennent pour plaider la <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/mort-de-nahel-des-syndicats-de-police-appellent-a-respecter-la-presomption-d-innocence_AV-202306280680.html">présomption d’innocence</a>, mais sans se prononcer ni sur les circonstances du tir, ni sur le profil de Nahel.</p>
<p>En revanche, dès les premières heures de l’annonce de la mort de l’adolescent, un syndicat non représentatif, France Police, intervient pour féliciter le policier et qualifier Nahel de « racaille ». Proches de Reconquête ! ses porte-parole font courir le bruit que les policiers de terrain pourraient refuser d’intervenir en signe de protestation.</p>
<p>C’est dans ce contexte et au regard de ces rumeurs qu’il faut comprendre les communiqués communs d’Alliance-UNSA, attachés à l’autorité et à l’ordre, ce qui peut être qualifié de position « légitimiste ». Sur un ton dur, ce communiqué s’adresse en fait aux policiers de terrain, pour leur dire que l’heure n’est ni aux protestations collectives ni à l’intervention syndicale sur la base des émeutes.</p>
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<p>En même temps, ils avertissent l’autorité politique que la retenue de l’action syndicale se redoublerait d’une forte vigilance une fois le calme revenu dans le pays. Face aux vives émotions générées par les termes employés, ils publient un second communiqué pour affirmer qu’ils défendent <a href="https://www.alliancepn.fr/actualites/communiques-de-presse/3158-explication-de-texte-pour-les-nuls.html">« les valeurs de la république »</a>. L’autre grand syndicat représentatif, Unité SGP Police FO, a pour sa part pris position la semaine suivante dans <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/05/apres-les-emeutes-il-faudra-du-temps-pour-redonner-une-vraie-place-au-policier-dans-la-societe_6180656_3224.html">Le Monde</a> pour dénoncer l’impact des années Sarkozy, de la politique du chiffre et appeler à « reconstruire les rapports police-population ».</p>
<p>Ces prises de position syndicales, légitimiste ou plus critique, font connaître les perceptions variées qu’ont les policiers des évènements en même temps qu’elles les nourrissent.</p>
<p><strong>On a assisté par la suite au lancement d’une cagnotte et d’une manifestation de soutien <a href="https://www.lexpress.fr/societe/cagnotte-pour-la-famille-du-policier-de-nanterre-le-profil-parfois-surprenant-des-donateurs-MIT4JZP5A5AXPFUTW5RWNYGM7Q/">au policier de Nanterre</a> par des soutiens de Reconquête.</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme en témoigne l’annonce de la <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4043693-20230701-mort-nahel-syndicat-france-police-conteste-dissolution-voulue-gerald-darmanin">dissolution de France Police</a>, ainsi que la plainte en justice pour « apologie de la violence » par le ministre de l’Intérieur, ce discours est pour le moins hors-norme sur le plan professionnel.</p>
<p>Dans le premier temps de l’annonce du décès de Nahel et des vives réactions aux circonstances de celui-ci, j’ai été contactée par des policiers de terrain de tous bords, parmi lesquels des enquêtés, d’autres qui ne me connaissent que par mes travaux et me contactent pour la première fois.</p>
<p>Tous le font pour se livrer sur leur vécu des évènements : la vidéo du tir réveille l’angoisse occasionnée par le fait d’être porteur d’une arme et de potentiellement devoir s’en servir, ne serait-ce qu’en posant la main sur l’étui en intervention. C’est en ce sens qu’ils s’identifient au policier inculpé.</p>
<p>S’il est habituel que les syndicats prennent la défense d’un collègue accusé d’homicide, ces organisations sont aussi le lieu d’un accompagnement personnalisé des auteurs de tirs létaux et non létaux, quelles qu’en soient les circonstances (attentat, légitime défense ou non, accident, etc.), tant sur le plan procédural que sur le plan psychologique.</p>
<p>J’ai pu observer comment, dans l’entre-soi du syndicat et de la collégialité policière, une prise en charge émotionnelle prend place. J’en conclus donc de façon empirique que loin d’être un acte anodin ou valorisé, ouvrir le feu sur une personne est au contraire lourd de conséquences sur le plan psychique. Il n’en demeure pas moins que comme n’importe qui, les policiers portent un jugement sur ce qui s’est passé, avec des avis qui diffèrent sur le tir en tant que tel. Mais la mort de Nahel est en tout état de cause perçue comme dramatique.</p>
<p><strong>Après l’affaire <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/affaire-hedi-3-questions-sur-les-images-de-videosurveillance-revelees-par-mediapart-2849549.html">Hedi à Marseille</a>, les policiers ont entamé une « grève », soutenue par les syndicats, pour protester collectivement contre la détention de l’un des policiers marseillais. Ils ont reçu le soutien du directeur général de la police nationale, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/28/marseille-du-jeune-homme-grievement-blesse-aux-propos-de-darmanin-chronologie-de-la-crise-dans-la-police_6183346_4355771.html">puis du ministre de l’Intérieur</a>. Le politique est-il soumis aux syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme le rappelle l’historien <a href="https://www.jstor.org/stable/3779157">Jean-Marc Berlière</a>, les protestations policières ne sont pas celles de la classe ouvrière, au sens où les désordres policiers menacent l’ordre et l’autorité politique dans ses fondements.</p>
<p>Il y a donc une nette tendance, chez les gouvernements successifs, à « bichonner » les syndicats. Et ce, d’autant plus que le corps policier, dans la période récente, fût considérablement sollicité (attentats et état d’urgence, « gilets jaunes », mouvement des retraites en 2019 et 2023, confinements, émeutes, coupe du monde de rugby…).</p>
<p>Mais il faut garder à l’esprit que le pouvoir politique ne se prive pas de mettre en œuvre des réformes fortes impopulaires, en faisant fi des <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/reforme-de-la-pj-une-mobilisation-generale-prevue-le-16-mars_5705246.html">vives contestations</a> ; que des combats syndicaux anciens, comme celui sur les lourdeurs bureaucratiques du métier, n’ont à ce jour toujours pas trouvé de débouchés. Enfin, certains dossiers revendicatifs syndicaux fort riches (par exemple, sur la condition du policier de nuit) ne trouvent <a href="https://journals.openedition.org/temporalites/11199">pas d’autres réponses que le simple déblocage de primes</a>.</p>
<p>Ainsi, seul le temps long nous permettra de dire si ces protestations seront la source d’une transformation radicale de la place du policier mis en cause dans la procédure pénale, au-delà de l’affichage d’un soutien de principe sur le moment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Guenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la mort de Nahel au récent appel à la grève ce 18 janvier 2023, Marion Guenot nous livre son analyse de l’implication des syndicats de police sur la scène politique.Marion Guenot, Chercheuse titulaire au Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.