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Intégrer ceux qui n’ont pas les codes en entreprise : un équilibre délicat à trouver

De nos jours, les différences entre les entreprises se jouent notamment sur la créativité, qui repose elle-même sur la diversité des effectifs. Andrey_Popov/Shutterstock

On le sait depuis longtemps – au moins depuis l’Antiquité –, l’homme est un animal politique qui s’accomplit parmi les autres et dans une société régie par des règles communes. De nos jours, une partie de ces règles se matérialise par ce que l’on nomme les « codes sociaux ». Autrement dit, des marqueurs forts, regroupant essentiellement le langage, le comportement et la culture, qui sont autant de signes extérieurs d’adaptation positive à son milieu.

Cette problématique d’appartenance au groupe prend une tout autre dimension quand il s’agit d’intégrer les codes de cette microsociété particulière que représente l’entreprise. Entre « habiletés sociales » générales et codes spécifiques d’une « culture » d’entreprise particulière, les décalages peuvent s’avérer fort problématiques pour certains salariés. Alors, comment faire ?

Des codes mésestimés, voire méprisés

Résultant d’un long apprentissage et constituant une sorte de langage commun, les codes sociaux sont autant de « preuves » que celui qui les émet appartient bien au groupe auquel il prétend être affilié. En entreprise, ils représentent la reconnaissance et l’intégration de la norme que l’entreprise entend véhiculer et qui s’est coconstruite en interaction avec les membres qui la constitue. L’arrivée d’un nouveau membre est donc potentiellement, une « menace » pour son équilibre.

L’organisation a donc besoin de recevoir, de la part du nouvel arrivant, des éléments rassurants quant à sa future collaboration. Or, de nos jours, entre populations issues de logiques différentes, aspirations individuelles fortes et tensions sur certains bassins d’emploi, la question de la maîtrise des codes sociaux est devenue, pour l’entreprise, un enjeu crucial, à mi-chemin entre responsabilité et survie. Comment s’adapter à cette évolution ? Et, corollairement, comment, pour un salarié, trouver sa place dans l’écosystème que représente l’entreprise ?

Les « interactions sociales codifiées » sont de plus en plus remises en cause, y compris parmi les jeunes les plus diplômés. Elnur/Shutterstock

La non-intégration ou à la mauvaise intégration des codes sociaux des salariés a souvent une origine personnelle simple : celle de l’appartenance à un milieu initial différent, voire très différent, de celui de l’entreprise. Dans une société cosmopolite, multiculturelle, les nouveaux entrants ne connaissent pas forcément ces règles, souvent implicites. En outre, le rapport l’autorité directe est de plus en plus remis en cause. Si la logique de hiérarchie pyramidale reste le modèle le plus courant, la génération montante aspire à un management horizontal plus proche de sa culture en réseau.

Il y a donc là un décalage flagrant entre aspirations individuelles et attente collective, et ce quel que soit le niveau de qualification. En effet, même les jeunes les plus diplômés mésestiment – et parfois même méprisent – la part des « interactions sociales codifiées » qui sera incontournable dans n’importe quelle fonction au sein de l’entreprise.

Un cadre plus « cool »… en apparence

Or, dans un marché du travail sous tension, la maîtrise des codes fait toujours la loi. « En apparence, les règles de la vie en société se sont assouplies », dit Jean‑François Amadieu, sociologue et directeur de l’Observatoire des discriminations, interrogé par le magazine Le Point. Tout se passe donc comme si le monde du travail était devenu « cool ». Mais c’est faux. En réalité, le déterminisme social, les réseaux, une bonne expression orale et écrite n’ont sans doute jamais été aussi cruciaux. « Tout le monde n’a pas relâché les codes, et il y a aujourd’hui si peu de places à prendre que les maîtriser est encore plus déterminant qu’autrefois », poursuit ainsi le sociologue.

Dans ce contexte, la première action à opérer serait donc, étonnamment, de faire prendre conscience aux nouveaux entrants de l’importance de maîtriser ces codes sociaux pour réussir leur vie professionnelle. Car quand tant de demandeurs d’emploi affichent les mêmes formations, la différence se fera immanquablement sur d’autres critères ! Ensuite, la formation individuelle est probablement le levier le plus important pour acquérir ces « réflexes », et en particulier, toutes les formes que peuvent revêtir les formations en alternance (mix entre la théorie et la pratique ; stages longs, etc.) qui donnent souvent des résultats probants en termes d’insertion professionnelle.

Enfin, le tutorat en entreprise (ou compagnonnage) – quoique peu utilisé de nos jours car demandant un investissement important de la part de la structure d’accueil – semble être une solution particulièrement efficace. Ce dispositif cherche en effet à créer les conditions de cohésion en intégrant les habiletés humaines.

« Jeu de rôle » nécessaire ?

Mais qu’on ne s’y trompe pas : pour une entreprise, faire intégrer les codes sociaux, c’est bien faire intégrer sa propre norme au nouvel arrivant. En creux, on lui demande donc de « choisir » une adaptation, voire un renoncement à certains de ses choix et/ou capacités individuelles. Et c’est un point essentiel : car acceptée par le salarié, l’adoption plénière de ces codes sociaux pourra être l’un de ses plus puissants vecteurs de son ascension sociale ; alors que refusée, cela pourrait être un motif d’exclusion.

Dans de telles conditions, doit-on parler de « norme intégrée » ou de « jeu de rôle » nécessaire ? Si cela est perçu comme un « jeu de rôle », pourquoi pas ? Mais s’il s’agit d’intégrer les codes pour être simplement accepté par le groupe, en absorbant une personnalité autre que la sienne pour pouvoir exister au sein de l’entreprise, est-ce vraiment la solution idéale pour l’individu, mais également pour l’entreprise ? Car créer un « milieu » artificiel et contraint entraînerait sûrement le groupe à vivre une certaine harmonie, certes indispensable à court terme, mais sans garanties sur sa survie à long terme. En effet, celui-ci étant créé à la fois « contre » certaines aspirations individuelles, mais également au détriment de son propre dynamisme, risquerait fort de mettre en péril sa future compétitivité.

Se fondre dans les normes est-il vraiment la solution idéale pour l’individu et pour l’entreprise ? Tatiana Chekryzhova/Shutterstock

Reste donc une dernière question : comment combiner la stabilité de l’entreprise, encadrée par ces fameux codes sociaux, avec le dynamisme externe ?

Car il y a bien un souci : les équipes dynamiques qui font les entreprises performantes ne sauraient être le fait de gens uniquement respectueux des codes. De nos jours, la différence majeure entre deux entreprises tient essentiellement à cet élément discriminant qu’est la créativité, cette dimension presque indéfinissable en elle-même mais qui repose bien sur les personnalités propres des individus.

Les entreprises en sont d’ailleurs bien conscientes : transformer ou écarter celui qui est « différent », c’est se priver d’une richesse et d’un talent que, par définition, le groupe ne possède pas en propre. C’est donc probablement dans les compétences personnelles différentes de ces nouveaux entrants, porteurs de nouvelles valeurs et donc de nouveaux codes sociaux, qu’une nouvelle richesse est à trouver. Certes, acquérir les codes demeure essentiel pour une bonne intégration dans l’entreprise, mais parvenir à les dépasser pour construire ensemble la société de demain est davantage le véritable défi à relever.

« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». (Saint-Exupéry).

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