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Une jeune iranienne soutient le mouvement spontané « My stealthy freedom » (ma liberté furtive) aussi appelé « mercredi blanc ». My Stealthy Freedom

Iran : bas les voiles !

Récemment, le monde entier a été surpris par l’émergence d’un nouveau mouvement féministe en Iran. Des Iraniennes non voilées se tiennent debout sur des plateformes et des bancs dans les lieux publics en brandissant des foulards blancs au bout d’un bâton pour protester contre le port obligatoire du hijab.

Seules et silencieuses, ces femmes peuvent difficilement être accusées de se mobiliser contre le régime ou de troubler la paix, qui sont les motifs habituellement invoqués pour arrêter les manifestantes. Certaines femmes ont été arrêtées pour avoir ôté leur hijab en public, mais les autorités détournent en général le regard pour éviter d’exacerber les tensions, d’attirer l’attention sur les militantes et de donner prise au mouvement.

Néanmoins, des vidéos et des images de ces gestes sont largement relayées sur les réseaux sociaux, ce qui engendre un nouveau désir d’émancipation chez les Iraniennes et attire l’attention des médias internationaux.

Les filles de la Révolution

Les jeunes militantes sont appelées « les filles de la Révolution ». Ce mouvement inattendu n’a entraîné aucune réponse cohérente du régime, et le nombre de femmes brandissant leurs foulards en guise de protestation dans les lieux publics ne cesse d’augmenter. Bien qu’il n’existe encore aucune organisation militante centralisée, ces gestes isolés ont attiré de nombreux sympathisants.

Nous assistons à la naissance d’un mouvement citoyen spontané qui exprime l’insatisfaction d’un large pan de la population masculine et féminine, y compris les femmes qui continueraient de porter le hijab, mais qui s’opposent au port obligatoire.

Nous connaissons au moins un cas de femme vêtue d’un tchador ayant brandi un foulard dans une rue fréquentée pour protester contre l’oppression de sa liberté. L’enjeu n’est pas le voile à proprement parler, mais bien les inégalités politiques qu’il représente, et de son utilisation comme symbole silencieux d’opposition envers le contrôle de l’état sur la liberté des femmes.

L’aspect politique qui entoure le port du voile soulève parfois l’incompréhension. Par exemple, en Turquie et dans certaines régions d’Europe, les musulmanes luttent pour le droit de porter le hijab alors qu’en Iran, les femmes s’opposent depuis près de 40 ans au port obligatoire du voile. Dans un cas comme dans l’autre, les femmes revendiquent la liberté de choisir, une étape essentielle vers la reconnaissance de leur identité et de leurs droits en tant que citoyennes.

Les femmes s’opposent à l’oppression physique chaque jour en Iran. Le nombre de femmes qui brandissent leurs foulards en guise de drapeau dans les lieux publics ne cesse d’augmenter. Facebook/mystealthyfreedom

Quand le 8 mars m’a conduit en prison

Il y a deux ans, j’ai célébré le 8 mars à Téhéran en marchant dans les rues, en empruntant le métro pour me rendre à un groupe de discussion et en lisant des messages d’encouragement sur les réseaux sociaux. Je garde gravée dans mon cœur et dans mon esprit cette journée passée dans des compartiments réservés aux femmes, à célébrer ces Iraniennes vêtues de leurs tenues colorées et de leur voile dénoué, s’opposant à un régime voulant contrôler leur corps et opprimer leur liberté.

Grâce à l’esprit d’entreprise extraordinaire de ces femmes, les wagons du métro de Téhéran sont devenus des plateformes publiques pour discuter des sujets qui les touchent, mais aussi des lieux de magasinage clandestins. Les femmes de tous les horizons peuvent s’y procurer une incroyable diversité de biens, malgré les efforts déployés par les autorités pour mettre fin à ce commerce parallèle et empêcher les femmes d’entrer et de sortir du train avec des articles de cuisine, des vêtements, du maquillage, des articles de sport et bien d’autres marchandises.

Le soir du 9 mars, je suis rentrée le cœur rempli d’optimisme et j’ai commencé à faire mes valises en prévision de mon départ le jour suivant. C’est à ce moment que mon appartement a été perquisitionné par les Gardiens de la révolution. J’ai été arrêtée et envoyée à la prison d’Evin, inculpée pour avoir « participé à des activités féministes et dangereuses », un crime qui, juridiquement, n’existe pas.

Je me consolais en pensant que mon incarcération était bien insignifiante comparativement à certaines luttes menées par les femmes dans l’histoire. J’essayais aussi de garder le moral en me remémorant l’hymne féministe de mon enfance, « Bread and Roses » de Joan Baez ainsi que la chanson iranienne « Zan » (femme) par Ziba Shirazi, qui adresse ce message à l’Ayatollah Khomeini : les femmes sont plus douces que des pétales et plus solides que le fer, il ne faut pas les voiler, car tous les hommes, lui compris, leur doivent la vie.

« Zan », par Ziba Shirazi.

1979, hijab pour toutes

En 1979, j’ai constaté avec quelle facilité les progrès et les gains modestes réalisés par les femmes en Iran au fil des ans ont été renversés à peine deux semaines après la Révolution. Ces événements ont appris aux générations de femmes qui ont suivi la Révolution que les droits ne sont pas garantis, il faut les protéger.

Peu après la création de la République islamique d’Iran, les dirigeants du pays ont décidé que les femmes symboliseraient, collectivement, l’islamisation de la nation en Iran et à l’étranger. Le 7 mars 1979, le port obligatoire du hijab était décrété.

Le lendemain matin, soit le 8 mars (une journée qui n’est habituellement pas célébrée en Iran) des milliers de femmes ont envahi les rues pour manifester contre la nouvelle mesure.

Surpris par cette violente et soudaine opposition, les dirigeants ont temporairement suspendu leur décision. Au cours des deux années suivantes, le régime a utilisé le discours nationaliste pour réinstaurer le port obligatoire du voile, d’abord pour les employées de l’état, puis dans les bureaux du gouvernement, et ensuite pour les étudiantes.

Enfin, le port obligatoire du voile en public fut imposé à toutes les femmes de plus de neuf ans, qu’elles soient musulmanes ou non. Le gouvernement a décrété que les femmes non voilées faisaient naître des désirs impurs chez les hommes, un argument fallacieux utilisé pour rabaisser la femme et permettre aux hommes d’agir en toute impunité.

Les femmes sont descendues dans la rue pour s’opposer aux nouvelles mesures les obligeant à abandonner un style vestimentaire occidental, ici le 9 mars 1979, Téhéran. UPI/AFP

L’oppression politique extrême durant les premières années de la République islamique d’Iran, alliée à une guerre sanglante et coûteuse avec l’Irak de 1981 à 1988, ont empêché toute action collective organisée pour les droits des femmes. Malgré tout, certains mécanismes de résistance ont perduré. Par exemple, de nombreuses femmes se sont opposées aux groupes ultraconservateurs appuyés par la République en refusant de porter le tchador noir (qui signifie littéralement tente), au profit de foulards et de manteaux, arguant que le tchador n’existait pas au temps du Prophète.

Ces femmes ont également remis en cause la légitimité des couleurs permises par l’État (brun, blanc, bleu marine et gris), soulignant que même dans les interprétations les plus conservatrices, il n’existe aucune prescription à ce sujet dans les textes islamiques, et que la couleur préférée du Prophète était le rose.

À cette époque, plusieurs Iraniennes, dont moi lorsque je visitais le pays, portions des vêtements d’un vert très vif appelé « vert saoudien », ce qui irritait particulièrement les dirigeants du régime, et contre laquelle la police des mœurs était impuissante, puisque le vert est généralement reconnu comme la couleur de l’islam. Quelques années plus tard, les femmes ont commencé à porter d’autres couleurs vives en public.

Le régime entendait faire du hijab un symbole de fierté nationale s’opposant à la mode occidentale « hédoniste » popularisée par l’ancien gouvernement. Les Iraniennes ont continué de déjouer les intentions du régime en modernisant la tenue traditionnelle, par exemple en portant des motifs ethniques aux couleurs vives, mais parfaitement conformes aux codes islamiques de modestie.

La police des mœurs et autres agents de l’État n’avaient donc aucune raison légitime d’arrêter ces femmes pour violation du code vestimentaire, permettant ainsi à la première génération de femmes vivant sous la République islamique d’Iran de continuer d’exprimer leur opposition.

Vers une nouvelle révolution ?

Avec le temps, des générations de filles de tous les horizons ayant grandi sous le régime de la République islamique d’Iran ont commencé à porter des tuniques plus courtes et plus moulantes sur leurs leggings. Leurs voiles aussi sont devenus plus courts plus lâches. Les femmes plus âgées, sous prétexte d’avoir dépassé l’âge d’être désirables, ont commencé à laisser tomber les foulards sur leurs épaules en public dans les villes et les villages.

Malgré des investissements massifs pour l’embauche de centaines de milliers d’employés et de bénévoles de la police des mœurs, et près de 40 ans à tenter d’inculquer aux étudiants les valeurs « islamiques » du pays, le régime n’a toujours pas atteint son objectif.


Cet article a été adapté de la version originale et traduit par l’Université de Concordia.

This article was originally published in English

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