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Montage des drapeaux américain et iranien. Shutterstock

Iran–États-Unis : une amitié oubliée

Depuis la révolution de 1979, l’Iran n’a cessé d’occuper la scène médiatique. Toutefois, récemment, l’assassinat de Ghassem Soleimani par un drone américain en Irak et la riposte des Iraniens par la destruction des bases américaines d’Aïn Al-Assad et d’Erbil ont fait craindre le pire : escalade, embrasement de la région et répercussions dans le monde.

Cette crise est l’occasion de revenir sur une période révolue d’entente particulièrement cordiale entre les États-Unis et l’Iran (1830-1953) ; car si depuis 1979, les relations se caractérisent par une animosité sans précédent, cela n’a pas toujours été le cas.

De telles images (ici à Téhéran, le 14 avril 2019) sont devenues habituelles. Pourtant, plus d’un siècle durant, les relations entre les deux pays ont été cordiales. AFP

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XIXᵉ siècle : les États-Unis, un ami lointain et bienveillant

Au XIXe siècle, les contacts entre les deux pays commencent sous de bons auspices. En effet, l’Iran – connu jusqu’en 1935 comme Perse – est pris en étau entre la Grande-Bretagne et la Russie qui, dans le cadre du Grand jeu, se disputent le contrôle du pays. Les États-Unis apparaissent dès lors comme une puissance neutre sans visée impérialiste. Dans un premier temps, le chancelier de l’empire de Perse Amir Kabir (1804/5-1852), grand réformateur, essaye sans succès d’obtenir l’appui des États-Unis pour la constitution d’une flotte iranienne. Toutefois, en 1856, est signé un traité de commerce et d’amitié entre les deux États, suivi de l’ouverture de la première mission diplomatique américaine à Téhéran (1883) et de la mise en place d’une représentation iranienne à Washington (1888).

Mais au XIXe siècle, parallèlement aux efforts diplomatiques, c’est surtout la présence des missionnaires américains qu’il faut noter, dans la mesure où ils joueront un grand rôle dans la vision positive des États-Unis que les Iraniens maintiendront longtemps. En 1830, les révérends Harrison Dwight et Eli Smith sont les premiers Américains connus à se rendre en Iran. Ils doivent reconnaître le terrain pour l’arrivée des futurs missionnaires. Dès lors commencent les efforts de conversion des Iraniens chiites – des efforts qui ne seront pas couronnés d’un grand succès. Aujourd’hui, le nombre de chrétiens en Iran s’élèverait à moins de 100 000. Il était de 300 000 en 1979. La majorité est orthodoxe, auxquels il faut ajouter quelques catholiques romains et protestants, notamment évangéliques et anglicans.

En revanche, l’appui des Américains (missionnaires, médecins, instituteurs, historiens…) à l’amélioration des conditions de santé, de l’éducation et du bien-être ou encore de la culture est très apprécié, d’autant plus qu’ils ne s’immiscent pas dans les affaires internes iraniennes comme le font les Britanniques et les Russes. Ainsi, ils se tiennent à l’écart durant la révolution constitutionnelle de 1905-1911. Dans ce cadre, Howard Baskerville (1885-1909), est une exception notable. Il arrive en Iran au début du XXe siècle comme missionnaire presbytérien et soutient activement les révolutionnaires, jusqu’à y perdre la vie. À ce titre, il est toujours considéré comme un véritable héros, le La Fayette américain. En 1909, des milliers d’Iraniens assistent à son enterrement à Tabriz.

Tapisserie représentant Howard Baskerville fabriquée par des tisseurs de Tabriz (avant 1910). Constitution House of Tabriz

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Ces Américains qui ont participé à la modernisation de la Perse

La vision positive que les Iraniens ont des États-Unis les mène à faire appel, en 1911, à l’Américain Morgan Schuster comme conseiller financier pour la modernisation des finances. Il est nommé trésorier général de Perse de la dynastie Kadjar. Son dévouement au travail et sa loyauté lui valent un grand respect et accentuent l’admiration que la population éprouve pour les Américains. Ces derniers, quant à eux, malgré leur réticence envers la religion chiite, tissent des liens d’amitié avec les Iraniens et les relations sont à cette époque très cordiales. Schuster sera néanmoins obligé de quitter l’Iran sous la pression des Russes et des Britanniques, désireux de sauvegarder leur influence.

D’autres Américains œuvrent également au progrès de la Perse. C’est le cas, entre autres, de Samuel Jordan ou de Jane Doolittle qui contribuent à l’avancée de l’éducation, du docteur Joseph Cochran (1855-1905) né, mort et enterré en Iran, qui concourt au progrès de la médecine de type moderne, ou encore d’Arthur Upham Pope (1881-1969), enterré en Iran, qui œuvre toute sa vie à la connaissance de la culture, des arts et de l’architecture iraniens.

Mausolée d’Arthur Pope et de sa femme Phyllis Ackerman à Ispahan. Ipaat/Wikipedia, CC BY-NC

XXᵉ siècle : vers la détérioration des relations

Durant la Première Guerre mondiale, les Iraniens se tournent encore vers les Américains afin qu’ils les soutiennent dans leurs efforts – pourtant vains – visant à rester neutre. La réponse favorable des États-Unis et la création, en 1916, d’un comité d’assistance et d’aide aux Iraniens les confortent encore dans leur vision positive et dans l’idée que les Américains peuvent être un contrepoids aux visées impérialistes, en particulier britanniques. De leur côté, les Américains tiennent aux bonnes relations avec les Iraniens et les encouragent dans leur volonté de se débarrasser de la mainmise des puissances impérialistes de l’époque.

La découverte du pétrole par les Britanniques, dans le sud de l’Iran, change la donne. Les États-Unis commencent à s’intéresser et s’investir dans la région jusqu’à entrer en rivalité avec les Britanniques. Par ailleurs, Washington ne veut pas de concurrent dans le Golfe persique où il a établi une alliance avec l’Arabie saoudite.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Iran est encore envahi par les troupes alliées en dépit de sa déclaration de neutralité. Malgré le ressentiment des Iraniens face à cette présence, le rôle joué par le ministre plénipotentiaire américain Louis G. Dreyfus et sa femme dans le soutien aux démunis, leurs actions dans les bidonvilles et leur lutte contre les maladies répandues comme le typhus préservent encore une certaine popularité aux Américains. Néanmoins, celle-ci commence à s’étioler auprès d’une partie de la population. Des articles injurieux contre Reza Shah publiés dans la presse américaine et l’arrestation malencontreuse d’un vice-ministre iranien aux États-Unis empoisonnent les relations.

L’entrée, en 1941, des Américains dans l’arène politique iranienne – toute nouvelle donne dans les relations irano-américaines – et finalement leur participation en 1953, à l’évincement de Mossadegh (opération Ajax), père de la nationalisation du pétrole en Iran, finiront par alimenter les sentiments anti-américains qui enflammeront les discours pré-révolutionnaires et se concrétiseront dans la révolution de 1979 et jusqu’à aujourd’hui dans la lutte contre le « grand Satan ».

Un jeune garçon fait mine de tirer sur une effigie du président américain Jimmy Carter lors d’une manifestation devant l’ambassade américaine le 18 novembre 1979 à Téhéran, pendant la crise des otages. AFP

Finalement, si l’ingérence dans les affaires internes iraniennes a joué en défaveur de l’image américaine en Iran, le manque de connaissance de la culture iranienne et la croissante arrogance américaine ne seront pas non plus sans conséquence sur le changement d’appréciation d’une partie des Iraniens à propos des Américains…

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