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Jean-Luc Mélenchon, chef du parti La France Insoumise lors d'un meeting politique à Aubin, dans le sud-ouest de la France le 16 mai 2021. Lionel BONAVENTURE / AFP

Jean-Luc Mélenchon : l’arme du charisme en politique

Du 26 au 29 août 2021 a lieu l’université d’été de la France insoumise (LFI) à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme). Comme chaque année, les députés insoumis débattent au cours d’ateliers où ils préparent la rentrée politique. Jean-Luc Mélenchon ne participe que rarement à ces tribunes collégiales, préférant assurer le meeting de clôture seul sur scène : une manière de montrer qu’il est au-dessus de la mêlée et qu’il n’est pas un député insoumis tout à fait comme les autres.

La France insoumise est en effet un mouvement qui a entièrement été créé et conçu pour soutenir sa candidature présidentielle en 2017 et c’est à nouveau son objectif pour celle de 2022.

Après des mois de confinement de la politique, ce retour de la saison des estrades de campagne représente un enjeu crucial pour le « tribun » insoumis.

En 2017, la tournée des zéniths avait été un élément décisif de sa campagne présidentielle : ses discours avaient passionné des dizaines de milliers de personnes, rassemblées dans des formes de communion, d’émotion et d’espoir partagés qui avaient été relevés par plusieurs politistes à l’époque.

Cet art d’incarner la politique sera-t-il de nature à convaincre les électeurs en 2022 ou plutôt à les effrayer ? Est-il propre au candidat des « insoumis » ou s’inscrit-il dans une forme d’autorité politique que l’on retrouve plus généralement à travers l’histoire ?

Le charisme en politique

Jean-Luc Mélenchon a souvent été décrit comme un chef « charismatique », ce qui lui a valu de nombreuses critiques au sein de son mouvement mais surtout de la part de différents représentants des autres forces politiques de la gauche. En 2015 le député communiste André Chassaigne a ainsi remis en cause une « personnalisation trop forte » au sein du Front de gauche. En 2017 l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot a quant à lui critiqué « l’ego » du candidat insoumis et la conviction qui était la sienne d’avoir un grand rôle à jouer dans « l’histoire de France ».

Partisans de « La France insoumise » lors d’un grand meeting politique de Jean-Luc Melenchon, à Chassieu, près de Lyon le 5 février 2017. Jean-Philippe Ksiazek/AFP

Le poids des traumatismes politiques du XXe siècle tend à donner à l’idée de charisme une connotation négative : charisme et politique sont perçus comme les ingrédients d’un cocktail explosif qui pourrait conduire au « pire ». Comme l’écrit le philosophe Jean-Claude Monod, « les totalitarismes ont défiguré l’idée d’un chef charismatique et l’idée même de “chef” ».

La démocratie représentative elle-même repose paradoxalement sur un principe aristocratique (le choix des meilleurs porte-parole), comme l’avait démontré Bernard Manin. La gauche doit donc gérer la tension entre l’égalité, qui est sa valeur cardinale, et son besoin paradoxal de se doter de dirigeants pour exister dans la sphère publique.

Cette tension est présente chez Mélenchon lui-même qui disserte volontiers sur la souveraineté du « peuple » mais qui se montre parfois plus discret concernant l’importance décisive qu’il accorde à son propre rôle de leader pour orienter le mouvement.

Il n’y a pourtant aucun jugement de valeur dans le concept de « charisme », tel qu’il a été forgé par le grand sociologue allemand Max Weber. Il est selon lui l’une des trois grandes sources d’autorité qui existent dans la société et il est impossible de le faire disparaître du monde social.

Le charisme est selon Weber l’autorité, paradoxale et un peu énigmatique, de celui ou de celle qui n’a aucun titre ni aucun droit statutaire à diriger les autres : ni en vertu de la tradition, ni au regard de la loi. C’est la raison pour laquelle un dirigeant révolutionnaire est un parfait exemple et un cas typique (un « idéal-type ») de leader charismatique.

Le grand dirigeant et l’appel à un nouveau « peuple révolutionnaire »

Jean-Luc Mélenchon considère que l’abstention électorale massive est au cœur de la situation politique actuelle en France : le peuple serait en « grève civique » et le dirigeant se donne pour priorité la reconquête de celles et ceux qui seraient « exclus » et « dégoûtés » par le jeu politique, une stratégie qui a parfois été qualifiée de « populiste ».

Le candidat insoumis, appelant à une remobilisation populaire, propose de mettre en place une assemblée constituante, afin de réinstituer les Français « comme peuple, c’est-à-dire acteur collectif conscient de lui-même comme tel ».

Dans ce processus, Jean-Luc Mélenchon accorde une place fondamentale non seulement à la souveraineté du « peuple » mais aussi aux minorités agissantes, les militants politiques qui constituent selon lui une véritable « élite humaine ».

Il considère par exemple François Mitterrand, parce qu’il aurait su entraîner la France et le peuple de gauche derrière lui, comme un « grand premier de cordée » !

Le dirigeant insoumis a également nourri une grande admiration pour l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez parce que, selon lui,

« il soulevait et transformait un peuple révolté en un peuple révolutionnaire ».

Hugo Chavez et Jean-Luc Mélenchon (alors candidat à la présidentielle en 2012 sous la bannière du Front de Gauche) à Sao Paulo, Caracas, ici le 6 juillet 2012. Juan Barreto/AFP

Ainsi, même si c’est une idée qui apparaît rarement en ces termes, Jean-Luc Mélenchon croit bien à l’importance du rôle historique de ces grands personnages, comme il l’explique à propos de Gaulle :

« Je crois en effet au rôle des “grands hommes” ou des “grandes femmes” dans l’Histoire. »

Être celui qui donnera l’impulsion

Dans ce processus d’émergence d’un nouveau « peuple révolutionnaire », il y a deux principes qui agissent et qui sont en tension dans l’esprit de Mélenchon : l’autonomie des mouvements populaires d’un côté, et le rôle des militants et du leader révolutionnaire de l’autre côté.

D’une part, Mélenchon est convaincu que le mouvement social est inévitablement autonome et qu’il est illusoire de chercher à le contrôler ou le récupérer :

« Dans la crue du Nil, le plus important ce n’est pas de contrôler l’eau qui monte, mais de savoir utiliser les alluvions qui se déposent. Tout mouvement social féconde notre champ d’existence politique. »

D’autre part, pourtant, Mélenchon ne se contente pas d’observer les mouvements populaires, il veut être, lui aussi, à la suite de ses inspirateurs, Robespierre, Mitterrand, ou encore Chávez, celui qui donnera l’impulsion nécessaire à la bifurcation :

« J’aimerais bien être celui qui déclenche l’émergence de cette nouvelle France. Et que celle-ci rayonne de tous ses feux. »

Ces deux dimensions conduisent Jean-Luc Mélenchon à produire une sorte de « bricolage théorique » parfois contradictoire : d’un côté, il peut défendre l’idée que l’avènement de la « révolution citoyenne » serait inéluctable (dans une vision « déterministe » héritée du marxisme) ; mais d’un autre côté, il se fait le penseur de la souveraineté et de l’entière liberté humaine qu’auraient chaque individu et chaque société de choisir leur chemin.

Jean-Luc Mélenchon considère donc que l’histoire humaine est « objectivement » entrée dans « l’ère du peuple » et des révolutions citoyennes mais il veut être celui qui lance l’appel à ce nouveau peuple constituant, il aspire à être l’instituteur de cette « nouvelle France », son héros fondateur.

« La saison des tempêtes »

L’importance du rôle de cette « élite humaine » serait d’autant plus importante aujourd’hui que, selon Mélenchon,

« la saison des tempêtes est revenue dans l’histoire ».

Catastrophe climatique, crises financières, pandémie de la Covid-19 sont invoquées pour décrire un contexte qui appellerait à l’action les « cœurs fermes et déterminés » car « dans la crise, c’est l’heure des personnes qui ont du caractère ».

Ainsi, à l’instar de la « Dame de fer » britannique Margaret Thatcher dans le camp adverse, Jean-Luc Mélenchon met en valeur l’image d’un leader qui se définirait par force de caractère et volonté, ce qui l’éloignerait autant de François Hollande raillé en « capitaine de pédalo » que d’Aléxis Tsípras dénoncé pour la faiblesse personnelle qui l’aurait poussé à abdiquer devant la Troïka et les marchés financiers.

Et quand on lui demande en vertu de quoi l’issue pourrait être différente si lui, Jean-Luc Mélenchon, arrivait au pouvoir en France, il répond :

« Il faut admettre que l’Histoire est faite par les êtres humains, et qu’il y en a qui n’ont rien dans le ventre et d’autres si. »

La quête illusoire de « l’homme providentiel »

De nombreux auteurs nous mettent en garde contre le péril que peut représenter l’imaginaire d’un « homme providentiel » dont la société attendrait son salut politique.

Sur un plan plus théorique, dans une perspective bourdieusienne, certains politistes ont entrepris de « démystifier » de tels discours héroïques et les prétentions de certains individus à jouer des rôles exceptionnels dans l’histoire.

Brigitte Gaïti critique par exemple le « récit mythique » qui s’organise autour du général de Gaulle. Selon elle, la sociologie ne doit pas relier la « force » du fondateur de la Ve République « au charme d’un personnage extraordinaire, ni à la magie de son verbe » mais au fait que certains groupes sociaux influents aient décidé de l’investir et de lui conférer une autorité, parce qu’ils y avaient fondamentalement intérêt.

Jean-Luc Mélenchon décrit comme « homme de crise », par son camarade Alexis Corbière, ici lors d’une intervention à l’Assemblée nationale le 15 juillet 2020. Martin Bureau/AFP

Pourtant, la valorisation de Jean-Luc Mélenchon comme « un homme de crise » (par son camarade à l’Assemblée nationale Alexis Corbière) peut aussi être interprétée différemment, à l’aune de la conception wébérienne de l’autorité charismatique. Le sociologue allemand Max Weber explique en effet que :

« Les meneurs “naturels” dans les situations de détresse psychique, physique, économique, éthique, religieuse, politique […] [sont] les porteurs de dons spécifiques du corps et de l’esprit pensés comme surnaturels (au sens où ils n’étaient pas accessibles à tout un chacun). »

Max Weber ne prend pas parti concernant l’objectivité de tels « dons » exceptionnels, il se contente de montrer que dans les moments où les institutions sont délégitimées et incapables de permettre aux individus de donner un sens à leur existence, ces individus ont tendance à être réceptifs à des leaders dissidents qui incarnent une rupture et qui sont perçus comme spécialement qualifiés pour cette tâche.

« Les échecs éclatants et répétés d’un gouvernement, quel qu’il soit, contribuent à la perte de celui-ci, brisent son prestige et font mûrir le temps des révolutions charismatiques. »

La « metanoia » : convertir et révolutionner

Le dirigeant charismatique produit ce que Weber appelle une « metanoia » c’est-à-dire qu’il convertit à sa cause et qu’il « révolutionne » ses partisans « de l’intérieur ».

Dans cette perspective wébérienne, d’un côté, Robespierre, Lénine ou de Gaulle ne peuvent être compris sans analyser les groupes mobilisés qui les ont choisi comme leur dirigeant et qui ont adhéré à leur cause.

Mais d’un autre côté, ces dirigeants ne sauraient pas non plus être considérés comme de simples objets rationnellement investis et soutenus par des groupes d’intérêts, car l’action du leader charismatique n’est pas neutre. Elle contribue à transformer ces groupes en retour et peut révolutionner les croyances de leurs membres.

Comme le souligne la philosophe belge Chantal Mouffe, en mobilisant les affects, le chef charismatique joue souvent un rôle clé dans les expériences politiques du populisme de gauche.

Une telle prise en compte des affects et de l’incarnation humaine des idées par un tribun est au cœur de la construction du personnage Jean-Luc Mélenchon, comme il l’explique :

« Nous avons besoin de héros. » pour pouvoir « nous identifier à des mythes collectifs. »

Chantal Mouffe et Jean-Luc Mélenchon.

Des citoyens pleinement responsables de leurs dirigeants charismatiques

Tandis que les sociologues bourdieusiens ont souvent insisté sur la « violence symbolique » exercée par les chefs, le philosophe Jean-Claude Monod, à la suite de Weber, souligne les fonctions proprement démocratiques que n’en remplissent pas moins les chefs charismatiques, notamment dans la mobilisation et la politisation des citoyens.

Se doter d’un tel chef, capable d’enthousiasmer les individus et de cristalliser leurs désirs, pourrait alors être considéré comme une nécessité stratégique et comme un objectif légitime pour chaque « camp » politique.

En revanche, se doter de dirigeants (charismatiques ou non) n’affranchit aucunement les citoyens de leur pleine responsabilité dans ce choix.

En effet, quand ils choisissent et qu’ils reconnaissent leurs dirigeants, c’est en définitive toujours eux-mêmes qu’ils reconnaissent et qu’ils admirent dans le miroir de leur chef charismatique, comme l’explique l’historien Georges Minois :

« C’est la société qui fabrique le grand homme, comme elle invente ses dieux. Elle le modèle à son image, projette sur lui ses aspirations, ses désirs, ses peurs, ses fantasmes. Elle crée ses héros et, par mimétisme, cherche ensuite à les imiter. »

On peut alors prendre conscience des mécanismes charismatiques et ainsi reprendre sa pleine responsabilité de citoyen. Par quels dirigeants veut-on être enthousiasmés et mobilisés et surtout par et pour quelle politique ?

Max Weber nous met en garde : le dirigeant « authentiquement charismatique » est dévoué à une cause et ne peut être soutenu que dans la mesure où ce combat apparaît comme désirable aux yeux de celles et ceux qui le soutiennent : le leader ne devient jamais une fin en soi.

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