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Dans le documentaire Tempête sous un crâne, réalisé en 2012, le spectateur suit le parcours de deux enseignantes de Saint-Ouen. Clarra Bouffartigue

Jeu de massacre et boules de gomme : l’école au cinéma

Difficile d’échapper à la représentation de l’école et des enseignants au cinéma : sans doute parce que la mise en image du système scolaire nous plonge aux origines de la critique sociale. Le programme « Épique école » proposé par la Bibliothèque d’information et de documentation de Paris conjointant au musée national de l’éducation, durant le Mois du documentaire, du 4 au 23 novembre, illustre cet intérêt pour l’école et ses mutations à travers un cycle documentaire tandis que le Forum des Images propose une série de fictions avec « Cas d’école(s) » jusqu’au 18 novembre.

Dès 1933, Zéro de conduite de Jean Vigo, sous-titré « Jeunes diables au collège », a marqué de son empreinte indélébile notre regard sur l’école, à travers la mise en scène provocatrice d’un internat livré aux collégiens déchaînés qui avec la complicité d’un surveillant peu consciencieux, organisent une insurrection qui tourne au jeu de massacre.

Zéro de conduite, de Jean Vigo, scandalise la société française en 1933.

Cinéaste marqué par la pensée anarchiste et la puissance de l’art comme rempart face à la bêtise de l’époque, Vigo désigne ses cibles favorites : au-delà de l’armée et de l’église, le cléricalisme sous toutes ses formes, l’autoritarisme, le conformisme, l’arbitraire. Considéré comme antipatriotique et parce que le sexe d’un jeune garçon apparaissait furtivement dans un plan au ralenti, ce film sera le premier à être interdit par la censure française, il ne pourra être diffusé qu’en 1945. Mais le mal était fait : au cinéma, l’institution scolaire serait à jamais représentée comme le lieu de toutes les injustices, de tous les malentendus et d’une certaine forme d’échec programmé.

Les enfants seront turbulents, les enseignants incompétents, la direction débordée, les parents absents. En somme, les films sur l’école vont énoncer les conditions qui fondent les injustices sociales et leur reproduction, et à quelques exceptions près, ils ne donneront pas d’autre solution que l’échappée belle d’Antoine Doinel dans Les 400 coups (1959) de François Truffaut.

Le film Les 400 coups, qui révèle François Truffaut, met en scène un enfant enfermé dans une institution et un système social défaillants.

Mais l’école buissonnière ne suffit pas à dire la complexité du monde : souvent tenté par la caricature, le cinéma sur l’école ambitionne aussi de donner des pistes de réflexion sur les manques qui font de la vie scolaire un véritable parcours du combattant pour l’élève. Graine de violence (1955) de Richard Brooks reste sans aucun doute comme le film qui avec son contemporain La fureur de vivre de Nicholas Ray va enfin jeter un regard adulte et compassionnel sur ce milieu et décrire les failles générationnelles qui entravent la transmission.

La fureur de vivre (1955) ici avec Dennis Hopper, James Dean, Natalie Wood et Nicholas Ray, invente l’archétype de l’ado rebelle.

Ces deux films inventent au passage le personnage de l’adolescent, représentation archétypale qui deviendra une figure focale pour le monde occidental : consommateur et prescripteur, indépendant et ambitieux, romantique et rebelle… Mais là où Nicholas Ray insiste sur les tourments amoureux et le désarroi identitaire de cette nouvelle et mystérieuse créature, Brooks questionne les failles du système scolaire et des méthodes pédagogiques de son époque. Confronté à de multiples gouffres en formation – les tensions raciales, générationnelles et l’insurmontable question de la vision des femmes par les groupes d’hommes jeunes –, le pédagogue incarné par Glenn Ford dans le film de Brooks tente de construire des ponts, à travers une pédagogie innovante et une empathie sans paternalisme.

Il faudra attendre longtemps pour trouver dans le cinéma occidental une vision de l’école aussi ambitieuse et constructive, dépourvue de moralisme. Brooks déclare d’ailleurs :

« Je voulais faire un film sur un instituteur. Est-ce que cet être humain peut faire face à cette situation donnée ? Il pourrait aller dans un autre endroit et réussir. Mais il veut réussir là où il est. Ce qui est en jeu, ce n’est pas si moralement il a raison ou tort mais s’il arrive à faire face à cette situation donnée. »

Dans Le cercle des poètes disparus (1989), le cinéaste australien Peter Weir reformule ce pari pédagogique en mettant en scène un enseignant idéaliste : comment guider la nouvelle génération vers un avenir incertain, où les difficultés ne viennent pas tant des incertitudes économiques et sociales que du terrible conformisme ambiant ?

Robin Williams, érigé en prof-idôle et maître à penser dans Le cercle des poètes disparus.

Mais ici, l’enseignant devient un maître à penser, un révélateur de personnalité, un opérateur de transfiguration : trop manipulateur pour être honnête, il propose à ses élèves une insurrection de comédie qui frise la démagogie et débouche sur le vide intellectuel emblématique des années 80 et des cultes qui vont avec : argent, amour, réussite et regain de la culture paternaliste.

Dans Entre les murs, le pédagogue, masculin, est perçu comme unique référent social et intellectuel. Pierre Milon/Haut et Court

Malheureusement, cette mise en place du pédagogue comme personnage romantique qui incarne la transmission va avoir la vie dure : on en retrouve des traces dans des œuvres de qualité comme Ca commence aujourd’hui (1999) de Bertrand Tavernier ou Entre les murs (2008), film de Laurent Cantet tiré de l’œuvre de François Bégaudeau – mais également dans des films moins politiquement corrects comme Noce blanche (1989) de Jean-Claude Brisseau.

Terne métaphore de la figure du père, l’enseignant prend en charge la misère du monde, il affronte les tensions sociales et les résorbe avec une force intérieure qui frôle le masochisme. Il devient l’incarnation de la République, un véritable repère dans une société en mal de valeurs (un repère souvent masculin, au passage), un modèle laïc pour l’adolescent en rupture.

Dans Noce blanche (1989) Vanessa Paradis, incarne Mathilde, 17 ans, tourmentée est attirée par son professeur, révélant une dimension plus sombre de la relation enseignant et élève. Films du Losange

Et lorsque l’adolescent devient une adolescente, cette dimension sacrificielle peut largement déborder le cadre pédagogique et le prof devient une figure érotisée, voire un initiateur, surtout lorsque Jean-Claude Brisseau est aux commandes : dans La fille de nulle part (2013), Brisseau (lui-même ancien enseignant du secondaire à Aubervilliers) incarne un prof de mathématiques en retraite qui va découvrir l’occultisme avec une jeune femme qui a 38 ans de moins que lui…

Cette érotisation du prof n’est pas sans danger : dans Les risques du métier, film d’André Cayatte sorti en 1967, le professeur de province incarné par Jacques Brel a bien du mal à faire admettre à la police qu’il n’a jamais eu de relations avec les nombreuses jeunes élèves qui l’accusent d’attouchements. Heureusement, la vérité prévaudra et l’enseignant sera lavé de tout soupçon. L’école devient pour Cayatte un lieu de méfiance où, entre tableau noir et cartables qui battent les mollets, les ragots vont bon train et les méthodes novatrices d’un enseignant idéaliste viennent buter sur la médiocrité ambiante.

L’école d’autrefois a son film de référence : Etre et avoir (2002) de Nicolas Philibert, qui décrit sur un mode documentaire la vie d’une petite école communale auvergnate, vue au fil des saisons et à travers le regard émerveillé des enfants.

Dans Être et avoir, (2002), la petite école de campagne est l’héroïne du film. Films du Losange

L’instituteur Georges Lopez a fait l’unanimité lors de la sortie du film : au plus près des enfants, Philibert s’en remet à cet instituteur dont les méthodes sont présentées avec une telle intensité et une telle fidélité que suite au grand succès public obtenu par le film, Lopez a poursuivi le cinéaste en justice pour obtenir des droits d’auteur ! Philibert a par ailleurs l’immense mérite de mettre en images un modèle disparu, la classe unique, dans une visée anthropologique qui n’est pas si éloignée des modèles documentaires énoncés par Robert Flaherty, qui filmait les sociétés en déclin.

Aujourd’hui, entre Elève Ducobu et régénération du Petit Nicolas, l’école est principalement un lieu de comédie voué à la caricature et aux sarcasmes destinés à attirer un public jeune, comme dans Les profs (2013) de Pierre-François Martin-Laval ou L’école pour tous (2006) d’Eric Rochant.

‘Les Profs’ avec son casting de choc pour incarner des enseignants catastrophiques, a fait 3millions d’entrées à sa sortie en 2012.

Lieu de mixité et de plaisanterie débridée, la vénérable institution semble parfois réduite à une toile de fond ritualisée pour joyeux désordre.

Humour, tendresse et complexes font bon ménage chez Riad Sattouf.

Mais la finesse et la drôlerie l’emportent de temps en temps, comme dans Les beaux gosses (2009) de Riad Sattouf, où les malheureuses tentatives de drague d’un collégien rennais donnent à voir l’école comme lieu de l’apprentissage de la vie, de ses féroces humiliations et en particulier des rapports de genre. La maturité des filles l’emporte au départ sur l’incompétence des garçons mais la tendresse finit par combler les lacunes des uns et des autres et fait oublier les différences de genre, de culture, de couleurs et d’origine.

Dans L’Esquive, Kechiche valorise l’émancipation de l’individu par l’apprentissage.

On retrouve ce motif dans L’esquive (2003) d’Abdellatif Kechiche, film incontournable sur l’apprentissage de la sensibilité et du savoir, montrés par Kechiche comme indissociables pour la formation intellectuelle d’un individu.

Tout comme dans le film de Laurent Cantet, on constate que cette capacité de l’école à générer une harmonieuse mixité et à émanciper les individus en faisant vivre leur diversité, constitue une des rares promesses de réussite pour la société française de demain.

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