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La bioraffinerie environnementale, qu’est-ce que c’est ?

Un milliard de tonnes de déchets alimentaires sont produits annuellement dans le monde. szczel/flickr, CC BY-NC-SA

En France, près de la moitié des 800 millions de tonnes de déchets produits chaque année sont des « biodéchets ». On appelle ainsi tous les résidus d’origine végétale ou animale : les déchets verts, les déchets de cuisine, les papiers et cartons, bref tout ce qui peut pourrir ou fermenter. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on les désigne également comme la « fraction putrescible » (ou fermentescible) des déchets. Ces derniers représentent un gisement de matières organiques biodégradables considérable.

S’il est très difficile d’estimer à l’échelle mondiale le gisement des biodéchets, on sait cependant que les déchets alimentaires représentent à eux seuls plus d’un milliard de tonnes chaque année. Que faire de ces résidus ? Comment les traiter ?

Incinération, mise à la décharge

Tout au long du XXe siècle, on les a soit incinérés, soit mis en décharge. Mais on sait aujourd’hui que ces deux types de traitement sont peu efficaces : les biodéchets sont constitués en moyenne de 75 % d’eau, ce qui rend leur incinération très improductive, voire totalement inefficace en termes de récupération d’énergie thermique ; leur stockage en décharge est, quant à lui, source de risques de pollution. Leur conversion en ressource via la récupération du biogaz de décharge s’avère enfin difficilement optimisable : la masse gigantesque de déchets stockés au même endroit induit une biodégradation très lente et quelques fuites de biogaz, inévitables à l’échelle des décharges.

Les biodéchets pouvant être consommés par les micro-organismes pour lesquels ils représentent une source d’alimentation, il est préférable, et de loin, d’utiliser ces bactéries et ces archées dans des procédés mieux maîtrisables. Ce sont alors de véritables usines chimiques microscopiques que l’on va mettre en service pour transformer la matière organique des biodéchets en un gisement de ressources organiques précieuses.

Plateforme de compostage de déchets verts. Madeleine Carroué/Irstea, Author provided

Compostage, méthanisation

Le compostage constitue la façon la plus ancienne de transformer les biodéchets en bioressources. Il consiste à transformer les biodéchets en compost, une ressource précieuse pour l’agriculture et le jardinage. La méthanisation, qui permet de convertir les biodéchets en gaz méthane, est un procédé apparu plus récemment. Contrairement au compostage, elle doit se réaliser en l’absence totale d’oxygène. Elle fait intervenir des micro-organismes spécialisés dans ce que l’on nomme la « digestion anaérobie ». C’est ce type de microbes qui constituent ce qu’on appelait naguère la flore intestinale et que l’on nomme à présent le microbiote intestinal.

Il est également possible de transformer les biodéchets en autre chose que du compost ou du méthane, grâce à un ensemble de procédés regroupés sous le terme générique de « bioraffinerie environnementale ».

Les microbes au travail

Le concept de bioraffinerie environnementale a été élaboré il y a quelques années pour regrouper tous les procédés permettant de transformer les biodéchets en bioressources, en incluant bien entendu les procédés les plus classiques que sont le compostage et la méthanisation, mais aussi tous ceux qui permettent d’obtenir d’autres types de ressources, comme les biocarburants ou les molécules pour la chimie verte.

La bioraffinerie est très largement fondée sur la digestion anaérobie, une famille de procédés dont fait également partie la méthanisation. Il se passe beaucoup de choses complexes dans un procédé de digestion anaérobie : c’est tout un écosystème microbien qui se met progressivement en place sur la matière à digérer, chaque groupe de microbes assurant un rôle bien particulier.

Un premier groupe, constitué de bactéries que l’on appelle hydrolytiques, va d’abord s’établir en adhérant à la matière solide. Grâce à des enzymes, il va en extraire de grosses molécules comme les protéines (en grande quantité dans les déchets de viande), les lipides (les matières grasses animales ou végétales), la cellulose (dans tous les déchets végétaux et très concentrée dans les papiers cartons), l’amidon (très présent dans les déchets de féculents), pour les transformer en molécules plus petites, des acides aminés, des acides gras, des sucres simples. Les grosses molécules sont les ressources des bactéries, les molécules plus petites, leurs déchets.

Des archées, micro-organismes produisant du méthane au cœur d’un bioprocédé, observées au microscope confocal à balayage laser. Chrystelle Bureau/Irstea, Author provided

À chaque étape sa production

Comme dans tout bon écosystème, ces déchets ne sont pas perdus pour tout le monde : un autre groupe va prendre le relais des bactéries hydrolytiques en se servant de leurs déchets comme ressources. C’est le groupe des bactéries acidogènes qui vont produire elles aussi des déchets : des acides gras volatils (AGV), des alcools ainsi que du gaz carbonique (CO2) et du sulfure d’hydrogène (H2S). Et la chaîne se poursuivant, peu à peu les ressources des acidogènes s’épuisent et un autre groupe se nourrissant de leurs déchets prend le relais : ce sont les bactéries acétogènes qui consomment les AGV et les transforment en acide acétique (le principal composant du vinaigre qui est en fait un produit de bioraffinerie !) en CO2 et en dihydrogène (H2). Quand la digestion anaérobie arrive à son terme, le dernier groupe à s’installer sur les déchets des acétogènes est constitué par des archées, que l’on nomme méthanogènes parce qu’elles vont produire, du méthane (CH4), mais également du CO2 ; le mélange des deux composant ce que l’on nomme « biogaz ».

Différents facteurs physico-chimiques, par exemple la température ou le pH, permettent d’orienter les métabolismes et de favoriser certains groupes plutôt que d’autres. On peut ainsi orienter le procédé de bioraffinerie en fonction des matières que l’on veut produire : du bioéthanol ou des biomolécules pour la chimie verte comme le butyrate, le propionate ou le lactate en bloquant le processus à l’étape d’acidogénèse ; on produira de l’acétate, toujours pour la chimie verte, mais également du dihydrogène, utilisable par exemple dans une pile à combustible, en l’arrêtant à l’acétogénèse ; enfin, on conduira le procédé à son étape ultime, la méthanogénèse, pour produire du biogaz utilisable comme combustible ou même comme carburant.


Christian Duquennoi a récemment fait paraître « Les Déchets, du big bang à nos jours ».

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