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La Catalogne, symptôme du repli paroissial de l’Europe

Désir d'indépendance. Jordi Boixareu/Flickr, CC BY-NC-ND

L’unité de l’Espagne actuelle s’est construite sur une abominable guerre civile. La dictature franquiste qui s’est poursuivie trente-cinq ans n’a créé de l’unité que sous la contrainte et la peur. La transition politique pacifique, conduite sous la férule du roi Juan Carlos 1er, ne put s’exercer que sous le règne de l’oubli volontaire de la part de toutes les parties prenantes. Mais, en réalité, rien n’a été oublié.

Trente-sept ans se sont écoulés depuis l’adoption de la Constitution espagnole. L’Espagne a rattrapé son retard économique par rapport à ses grands voisins et s’est totalement insérée dans le dispositif européen. Mais aujourd’hui les forces centrifuges sont à l’œuvre. Le fait catalan réémerge à un moment où la crise économique pousse à des approches exclusives de type cocooning.

Le fait que la Catalogne ait un PIB qui se situe entre la Finlande et le Danemark (avec 203,6 milliards d’euros en 2014) et supporte la crise mieux que les autres provinces espagnoles influe sur le terreau de la revendication indépendantiste. Le gouvernement de l’Autonomie catalane a organisé un référendum (illégal aux yeux de la Constitution espagnole), le 9 novembre 2014, pour trancher de l’avenir de la « nation » catalane. Il s’est conclu par un oui à l’indépendance à 80,7 % des votants. Et lors des élections du 27 septembre 2015, les partis indépendantistes ont obtenu la majorité absolue en sièges.

Options de survie

Ce mouvement n’est pas isolé. En Italie du Nord, la riche Lombardie qui, avec le Piémont, fut à l’origine de l’unité italienne, justifie son désir de rupture par l’assistanat et la criminalisation des régions du Sud. En Écosse, la dernière bataille pour l’indépendance remonte au XVIIIe siècle (Culloden, le 16 avril 1746). Pourtant, le processus de séparation a également fait son œuvre. L’accord d’Édimbourg, signé le 15 octobre 2012 prévoyait l’organisation en 2014 d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Ce référendum fut perdu de justesse (avec 55,3 % pour le non, le 18 septembre 2014). Cette problématique se retrouve également en Belgique avec une Flandre tentée par le grand large.

En Flandre comme en Catalogne, l’indépendance est un objectif symbolique, mais aussi concret. Cependant, ses défenseurs oublient trop souvent que se pose un ensemble de questions insolubles que les parties de l’ancienne Yougoslavie n’avaient réglées que par la guerre : monnaie, statut des étrangers et des ex-langues nationales, défense nationale, insertion dans les organisations internationales, partage des dettes, des avoirs mobiliers et immobiliers de l’État, ou encore des réserves de change, etc.

L’indépendance, une idée qui a de l’avenir. Herminio Alcaraz/Flickr, CC BY-SA

Néanmoins, le repli identitaire égoïste est en marche, et il est général. Ce phénomène est provoqué par la mondialisation et accéléré par la crise économique et financière. Ce repli qualifié de « paroissial » par les sociologues s’est encore cristallisé avec les ravages de la crise sur des populations fragilisées. Le clan, la tribu, le groupe religieux : ces cellules de base redeviennent des options de survie pour des populations déboussolées.

Un rôle de syndic ?

On peut penser avec Jean-Marc Siroën que « la mondialisation ne condamne donc pas l’État-nation à brève échéance en tous cas. Elle en redéfinit les contours. » Mais cela n’est possible que tant que l’État « reste un fournisseur d’homogénéité et, en premier lieu, d’homogénéité sociale », écrit-il.

Or nous voyons que dans bon nombre d’États, et notamment ceux dits en développement, ce modèle est en train de céder (en Égypte, au Mali, en Somalie, etc.). On semble alors s’acheminer vers un modèle d’hybridation que d’aucuns appellent de leurs vœux (comme le philosophe Jurgen Habermas), mais sera-t-il réellement positif ou le plan incliné vers le chaos ? L’État se verrait alors affecter un rôle de syndic gérant les affaires courantes et, perdant sa fonction symbolique d’incarnation de la nation, il pourrait devenir juste la façade d’un village Potemkine.

Le fait catalan a le vent en poupe. Jordi Payà/Flickr, CC BY-ND

Ailleurs dans le monde, d’autres recompositions sont en marche. Des États ont implosé (Libye, Irak, Syrie, Yémen), et des entités politiques agressives comme Daech ou Boko Haram remettent en cause les anciennes frontières (en Syrie-Irak, dans le Sahel et en Afrique centrale, etc.) Ce phénomène est mondial.

L’Etat Sin Fein

Le XXe siècle avait été celui de la prolifération des États nations (un « monde de petites nations » avait dit Anthony D. Smith). Le XXIe sera peut-être celui de la recomposition des unités politiques. Soit par un retour aux formes anciennes comme l’ethno-nation, que nous appelons « l’Etat Sin Fein » – « Nous seuls » – en référence au parti de l’indépendance irlandaise. Soit, plus sûrement, par un modèle d’hybridation mélangeant l’ancien et le moderne avec l’aide des nouvelles technologies.

Le rapport public de la CIA 2012, Global Trends 2030, décrit bien ce phénomène d’hybridation : l’Etat-nation (ce « chef d’oeuvre du XIXe siècle », d’après Raymond Aron) ne devrait pas disparaître, mais muter, car le rapport du citoyen à l’État est lui-même en train de changer. Ainsi les années qui s’avancent rouvrent une nouvelle ère de « recombinaisons » au cours de laquelle acteurs individuels et institutionnels vont devoir réapprendre à trouver leurs places respectives.

Des nations (dont la France) que l’on pensait immuables et solidifiées dans le béton de l’Histoire vont devoir se poser quelques questions. Le fait catalan – au-delà de son histoire particulière – n’est pas un fait isolé.

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