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La chaussetrappe du faussaire ou le piège du circonflexe : contrepropagande contrerévolutionnaire

C'est la soupe à l'ognon ou la soupe à la grimace ? Sasha Miller, Author provided

Face au réactions provoquées par la réforme de l’orthographe en France et la fameuse disparition programmée de l’accent circonflexe, nous publions cette semaine des textes venus de l’étranger, mais aussi des points de vue décalés et informés sur un sujet qui passionne.

Ça a débuté comme ça.

J’étais en train de rédiger un appel à communication pour un projet de colloque sur Georges Perec, auteur de La disparition, quand la nouvelle tomba : on avait assassiné l’accent circonflexe. Comprenez que je suis resté circonspect mais perplexe devant cet événement (pardon, évènement) décidément grave.

Je crus d’abord qu’il s’agissait d’une plaisanterie montée de toutes pièces par mes étudiantes de français ayant une phobie aiguë (ou aigüe, plutôt) des accents – circonflexes ou autres. Comprenez par là que certaines miss(es) de la classe semaient la pagaille en omettant systématiquement les diacritiques de leurs rédactions, prétextant que Webster avait bien simplifié la langue anglaise (enfin, états-unienne), et qu’il était temps de faire de même avec celle de Molière.

Cependant, je compris assez vite qu’elles ne furent nullement impliquées dans cette traitrise. La mafia de la réforme siégeait à l’académie et obéissait aux ordres de leur maitresse, la ministre de l’Éducation, qui avait formulé ce complot alors qu’elle était en cinquième. Bon, me dis-je alors, il faudra monter une contrattaque. A force, elle cèdera. Je vais jouer mon vatout.

Mais enfin, sur quels bons soldats combattifs pouvais-je m’appuyer afin de corriger cette vilénie ? Messieurs Philippot (Filippot ?), Baille-roues (et son légendaire charisme d’une huitre) ou encore Dors-mais-son (champion en titre de la mauvaise foi), n’avaient-ils pas expliqué que la réforme compromettait l’avenir de la France (tout comme l’avenir du collège que l’on complait si souvent à mettre dans le même sac) ? D’autres voix ne s’étaient-elles pas jointes à ces dandys littéraires pour récuser ce dénivèlement par le bas ?

Le correcteur au courant

Je décidai alors d’embrigader mon collègue sociolinguiste dans cette controffensive et courus le retrouver dans son bureau. C’est ainsi que je le vis s’empiffrer de cornflakes et de beurre de cacahouète.

Salut, tu vas bien ? Me demanda-t-il avec son habituelle bonhommie. Je suis vraiment dégouté d’avoir loupé ton intervention l’autre jour dans le cadre du symposium « le renouvèlement de la langue ».

Je le regardais comme s’il eût été un extraterrestre. N’était-il pas au courant que la langue française se faisait trainer dans la boue par des…

Arrête ton char. On ne soucie plus de ces imbécilités. On a appliqué les recommandations il y a des années maintenant. Tu ne vas pas nous faire un scandale pour un trait d’union de plus ou de moins. Ou alors, ta nouvelle tocade c’est de proposer des contreréformes à tout bout de champ ?

et le i qui s'en va…. Sasha Miller, Author provided

Je ne souhaitais pas argüer avec lui. Puis, faut dire que cela ne revêtait sans doute pas la même importance pour un québécois. Prétextant ainsi un besoin urgent de me rendre à la papèterie d’en face, je pris mon portemonnaie et lui donnai congé. Je le vis se rassoir et se remettre à planifier ses différentes sorties du weekend.

Je descendis à la cafétéria m’acheter une boisson chaude et des spéculos. Sur le chemin, le collègue bibliothécaire faillit me rentrer dedans avec son charriot aux roues disjointes (qu’il faudra embattre). J’allai m’assoir et observer enseignants et étudiants se régaler de leurs casse-croutes achetés à moindre cout. La saccarine dissoute, le café perdit de son amertume et se révéla d’une saveur douçâtre.

Il fallut alors envoyer un texto à ma femme pour l’informer de la stupéfiante nouvelle. Je lui expliquai que la réforme n’était pas du tout à mon gout. Le gouvernement n’avait pas à se mêler de ce qui ne les regardait pas : ce n’était pas leurs oignons et encore moins leurs ognons. Cette guilde d’académiciens mafiosos n’avait-elle pas conscience du cout de cette réforme ? Ils croivent peut-être (merci, Alain Finkielkraut) que cela aidera les élèves du collège et étudiants étrangers à mieux saisir l’orthographe criminelle du français ?

Même les nénufars tremblent

Nous touchions le fond de l’abime. Plus le temps de blablater, il fallait passer à l’action. Je décidai de héler un vélotaxi et de me rendre à la gare internationale. Fini la rigolade : j’allai obliger ces hippys fumeurs de hachich de l’académie à revenir sur la réforme (et à commettre un harakiri au passage). Je m’armai d’un révolver et d’arguments imparables : enlever le trait d’union sera interprété dans les iles britanniques comme une volonté de ressembler à l’Allemagne et renforcera la position des partisans du Brexit.

Je pris place dans le train et commandai un ponch. Suivi d’un kirch, d’un croquemonsieur et d’un croquemadame pour la forme. Et puis de trois whiskys encore. Et d’un verre de tous les tord-boyaux sur la carte. Fallait bien les gouter. Et faut dire que l’alcool fort renforçait ma fibre ultrarévolutionnaire. Arrivé à Paris, j’étais complètement déchainé. Ils vont voir ce qu’ils vont voir : à moi la révision des curriculums !

C’est alors qu’en sortant de la gare, un individu emboita le pas et m’interpela.

Bon, j’ai bien compris que vous êtes un ultraroyaliste révolutionnaire, et que ce j’ai à vous dire aura peu d’effet sur vous. Mais, je tenais à vous informer que la réforme ne porte que sur 4 % du lexique : dans une page de texte, on peut compter les modifications sur les doigts d’une main, nulle traitrise. Après, si vous voulez poursuivre votre projet, c’est à vous de voir, je ne veux absolument pas jouer au trouble-fête, mais sachez que vous risquez gros depuis que l’Assemblée a voté le projet de loi sur la déchéance de nationalité pour les binationaux.

Je sentis mes impulsions décroitre comme ça d’un coup. Décrescendo.

Comme le lecteur l’aura compris, au moins un mot de chaque phrase de ce texte est écrit avec l’orthographe qui sera celui de la réforme.

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