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La Corse : plus qu’une île, un véritable message

Emmanuel Macron, lors de sa visite à Ajaccio, le 6 février 2018. Christophe Petit-Tesson / POOL / AFP

Le récent voyage du Président Macron a laissé sur l’île un goût contrasté. Chacun a pu constater en direct, le 6 février dernier, au travers des déclarations et des images médiatiques, qu’un malaise s’instaurait et qu’il pourrait très vite conduire à la rupture.

Pourtant les insulaires, ceux qui ont voté largement en faveur de la démarche démocratique, celle qui a mis fin à la clandestinité, conduite par le binôme Simeoni-Talamoni et tant d’autres, espèrent toujours que le délai d’un mois donné par le Président portera ses fruits.

Allons-nous assister à la répétition d’un même scénario, celui qui consiste à différer l’action pour mettre uniquement des mots sur les maux ? La voix des urnes, à défaut d’être entendue, sera-t-elle au moins écoutée ? La face visible de ces interactions ne paraît pas détendue, ni sereine mais peut-elle être qualifiée pour autant d’incommunication ?

Toutes ces questions taraudent les consciences sur l’île. La situation est confuse, la jeunesse gronde, les insulaires sont inquiets mais dans l’ensemble ils gardent espoir.

Acte I : en scène !

La visite du Président Macron, organisée en deux temps forts sur Ajaccio et sur Bastia, a été conduite selon deux registres très différents. Une sorte de mélange des genres : le 6 février, la commémoration de l’assassinat du Préfet Erignac en présence de sa famille, puis le 7 février un discours devant les autorités locales, les élus, une audience plus large retransmise par les médias. Un discours froid, provoquant un malaise dans l’assistance, dans lequel le Président s’est pourtant déclaré « favorable à ce que la Corse soit mentionnée dans la Constitution ».

L’enchaînement a été houleux entre la cérémonie d’Ajaccio et le discours de Bastia : pas de transition sereine, ni d’empathie ou de réciprocité, encore moins de partage.

Les discours et les mots ont certes été de circonstance, chaque acteur tenant son rôle, une scène où les tableaux se sont succédé avec un enchaînement protocolaire, comme une juxtaposition de scenarii qui ne se croisent pas, qui ne se comprennent pas, qui ne se complètent pas.

Les Cassandres hurlant ici et là au démantèlement de la République d’un côté, les tenants d’avancées institutionnelles de l’autre, ont été comme toujours médiatisés à l’envi, comme pour mettre en scène un insurmontable clivage.

Acte II : O tempora o mores

Qu’en est-il quelques jours plus tard ?

La venue de Jean‑Pierre Chevènement, l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin, a attisé les vieilles querelles et fait remonter à la surface l’épisode des Paillottes avec le Préfet Bonnet (en 1998). Un temps que la Corse n’est pas prête d’oublier. Un moment qu’elle a vécu et qui lui a laissé un terrible sentiment de mépris.

Alors la jeunesse riposte. À l’Université de Corse, onze étudiants et étudiantes se mettent en grève de la faim pendant quelques jours. Ils renoncent après avoir eu l’assurance que la première rencontre à Paris s’est déroulée convenablement, c’est-à-dire dans un climat serein où personne, en termes goffmaniens, n’a perdu la face.

Car la Corse se définit d’abord par son impertinente corsitude. Parfois jusqu’à l’outrance, ses habitants louent son caractère unique. Dans sa géographie contrastée ils ont puisé une manière d’être au monde fière et passionnée qui a su forger une singularité, qui a accentué le particularisme, laissant à la fois sur le sol la marque de cultures qui se sont mutuellement fécondées et l’empreinte d’une infranchissable barrière de replis et de rétractations.

Chaque Corse fait de son île le centre du monde. De ses partisans farouches à ses opposants les plus déterminés, tous lui confèrent une charge symbolique particulière. Succédané de l’utopie, ersatz de ce lieu de nulle part, l’île a servi de support et de laboratoire au politique bien avant que Thomas More ne décrive son Utopia.

Depuis les années soixante-dix, l’île vit son Riacquistu : ce néologisme désigne le mouvement de revendication identitaire qui a marqué ces années et qui conjugue plusieurs facettes. Au sens étymologique du terme, il renvoie à une intention, celle de ré- appropriation patrimoniale. Par extension, il faut entendre la réappropriation de tout ce qui avait été occulté voire interdit par les systèmes politiques tutélaires : une culture façonnée par des espaces spécifiques, à dominante rurale et pastorale et, au fil des siècles, par des histoires croisées.

S’exprimer dans sa langue et accepter l’héritage d’un rapport particulier au monde pour construire une nouvelle contemporanéité, telle était l’ambition d’une jeunesse qui s’estimait victime de l’exil forcé de ses parents et dépossédée de son patrimoine. Ce n’est pas le fruit du hasard si ce mouvement est né à Paris, dans l’immédiat post-68, initié par l’intelligentsia corse de la diaspora avant d’être relayé par les acteurs locaux.

En portant haut et fort ce message, l’île est revenue sur la scène médiatique et ne cesse depuis lors d’interpeller le centralisme parisien. Les points d’achoppement sont toujours les mêmes : la terre, la langue, l’autonomie, les prisonniers, etc. Sur ces thèmes existentiels, seules des réponses parcellaires et donc insuffisantes ont été apportées au fil des ans.

On ne compte plus les voyages présidentiels, les missions ministérielles, les assises, les situations formatées sur le même schéma, celui de la juxtaposition de deux monologues.

Il s’agit bien d’invariants communicationnels car deux monologues n’ont jamais constitué un dialogue.

Acte III : L’île paradoxe

Espace insulaire dérangeant au sein d’une Méditerranée chaotique, la Corse continue d’indisposer l’Autre par son caractère insaisissable. Depuis la plus haute Antiquité jusqu’à la période contemporaine, toute tentative d’approche de ses rives – géographiques ou sémantiques – se heurte à l’incompréhension de sa nature profonde. Assimilation ou rejet, elle ne connaît pas de nuances, naviguant entre son topos à l’époustouflante majesté et le comportement souvent qualifié d’irrationnel de son peuple.

Irritante et fascinante à la fois, cette île connaît depuis peu de profondes mutations qui métissent son mode de communication traditionnel basé sur l’oralité avec les éléments pluriels d’une modernité qui tente de se « greffer » sur une incontournable Méditerranéité insulaire.

Cette île entre Florence et Paris réclame une écoute, celle que la République n’a pas toujours su lui offrir. Et dans ce cas, elle n’est pas la seule. D’autres régions partagent bien des revendications, ouvertement et même sotto voce. A la pointe de la décentralisation à la française, elle a fait et continue de faire des envieux sur le territoire hexagonal. D’autres îles méditerranéennes lui montrent d’autres possibles.

Réenchanter le statut de la Corse

Pendant ce petit mois, il y aura de nombreux d’aller-retours entre Paris et la Corse, une concertation est en route, ce n’est pas une négociation. Elle a bien commencé, hors contexte, à Paris. Et les élus qui ont fait le voyage se sont déclarés satisfaits de cette première semaine de rencontres.

Le tandem Simeoni-Talamoni reçu au ministère de l’Intérieur à Paris, le 13 février 2018. Christophe Archambault/AFP

Chacun sait que l’État ne cédera rien. Bien sûr, il concédera quelques avancées dans les domaines qu’il aura choisis. Il reconnaîtra un particularisme qu’il érigera en symbole fort pour monter un visage neuf : celui d’une République où l’unité n’est pas l’uniformité. Quoi qu’il en soit, une inscription de la Corse dans la Constitution, et peu importe l’article invoqué, demeurera forcément un ancrage paradoxal.

Puisque l’année prochaine sera celle des élections européennes, que cette Europe a besoin de solutions innovantes, pourquoi ne pas s’inspirer du statut des autres régions insulaires de l’Union pour réinventer et surtout réenchanter celui de la Corse ?

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