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Fab labs, open labs, tiers-lieux… Autant d'endroits où se développe la créativité. Shutterstock

La créativité aussi se manage, surtout dans les grandes entreprises

Dans un environnement turbulent en perpétuelle et rapide évolution, la préservation de la compétitivité des grandes entreprises passe par le renouvellement de leurs approches. À ce titre, la créativité est essentielle. Elle permet de produire des idées nouvelles, en décalage par rapport aux schémas existants au sein l’organisation, tout en étant utiles à son activité. Pour développer cette créativité en entreprise, il est nécessaire de mettre en place des capacités dédiées, constituées d’un ensemble de dispositifs et ressources dont le fonctionnement s’éloigne des routines de l’organisation. Comment s’y prendre ?

La montée en puissance des open labs

Ces dernières années, les grandes entreprises ont multiplié les initiatives destinées à améliorer la créativité de leurs salariés. En France, cette tendance s’est traduite par la mise en place par les grands groupes de nombreux laboratoires d’innovation ouverte ou open labs. De nouvelles méthodes d’exploration, centrées sur l’expérience usager, ont ainsi été introduites, facilitant l’adoption de comportements d’intrapreneurs, permettant de travailler autrement sur des projets nouveaux pour l’entreprise.

À travers une série de travaux sur les open labs d’entreprises, nous avons pu identifier les challenges liés au management de la créativité dans les entreprises établies, et construire des comparaisons qui dépassent les spécificités sectorielles.

Manager la créativité : une approche renouvelée de la gestion des connaissances

Les dispositifs favorisant la créativité visent à gérer les connaissances selon des principes opposés aux approches traditionnelles existant dans l’entreprise. Manager la créativité dans un grand groupe revient à organiser les dispositifs autour de trois logiques complémentaires :

Accéder des connaissances variées, éloignées des expertises de l’organisation

Fondée sur un principe d’innovation ouverte, cette approche suppose de construire des partenariats avec des acteurs nouveaux (start-up, tiers lieux, etc.), ainsi que de disposer d’équipes dont les principales qualités sont l’ouverture d’esprit, la curiosité, voire la possession d’une double spécialisation. Le e-lab de Bouygues a par exemple construit un partenariat avec le Ideas Laboratory de Grenoble.

Cette collaboration permet d’accéder à de nouveaux domaines d’expertise : collaborer avec des grands groupes de secteurs différents, des étudiants issus de multiples formations (ingénieurs, sociologues, architectes, designers…) ou des entrepreneurs. Bouygues se donne ainsi les moyens de réfléchir sur des thématiques futures telle que la ville intelligente. Cette solution permet de casser les silos organisationnels.

Tiers-lieux, fab lab, living labs, espace de co-making ou de co-working : quelques exemples.

Articuler les nouveaux champs de connaissances pour stimuler la créativité

Il ne suffit pas d’accéder à des connaissances nouvelles, il faut également développer des méthodes de créativité (design thinking, C-K, méthode des « six chapeaux » d’Edward de Bono…), et savoir matérialiser très vite les idées proposées pour évaluer rapidement la valeur des nouveaux concepts. Parmi les outils clés, la gestion de l’espace physique, les outils de prototypage, la sociologie, le design et l’ethnographie facilitent la construction de nouvelles formes de multidisciplinarité et de réflexivité des équipes. Ils permettent de créer des ponts entre les différents mondes dont sont issus les individus impliqués.

Au sein des entreprises, ce type d’approche modifie complètement les démarches fondées sur des processus très structurés comme le stage gate process. Ainsi, le Seblab, fondé par le groupe SEB, permet à l’entreprise de construire des projets sur un mode multidisciplinaire. Il ne se substitue pas aux processus structurés, mais apporte des capacités nouvelles et complémentaires aux équipes en charge du développement de nouveaux produits.

Préserver la redondance des idées produites

Toutes les idées nouvelles et originales ne seront pas exploitées par l’entreprise, mais elles constituent une source d’apprentissage pour l’organisation. Elles pourront être remobilisées ultérieurement dans d’autres projets. Préserver la mémoire des idées produites permet alors d’éviter de réinventer la roue à chaque nouvelle exploration. L’enjeu est majeur, mais complexe à traiter. Il repose sur des dynamiques de communautés (favoriser et soutenir les échanges autour des projets passés) et des actions de communication (construire la communication de l’entreprise autour des projets de créativité). Dans bien des cas, il s’agit aussi de codifier les idées pour construire une bibliothèque d’idées créatives mobilisables par l’entreprise : mettre en place des wiki sur les projets réalisés, préserver et stocker les prototypes, filmer les pitches des projets. Le i-Lab d’Air Liquide et les Ideas Lab de Dassault Systèmes (3DS) sont emblématiques d’une politique active de capitalisation des idées produites.

Grâce à la mise en place d’un lieu, l’open lab, permettant de construire une « fluidité organisationnelle » et de favoriser les rencontres entre spécialistes différents, les entreprises peuvent désormais mobiliser rapidement des ressources. Développer leur créativité n’est plus une difficulté majeure pour elles. En revanche, l’inscription de ces initiatives dans la durée représente un nouveau défi majeur pour le management. Ce défi se matérialise par deux challenges.

Premier challenge : gérer « le bazar dans la cathédrale »

La relation entre l’open lab et le reste de l’entreprise repose sur un subtil équilibre. Bernard Lledos, responsable du I-Lab d’Air Liquide, précise que, par rapport au groupe, le i-Lab est un satellite qui

« […] doit être sur une orbite géostationnaire. C’est-à-dire que si on est trop près de la Terre, la Terre étant le groupe et la maison mère, on va se faire rattraper, s écraser et se retrouver au contact d’eux. Par contre si on part de l’autre côté trop loin on va être complètement perdu, satellisé, plus de communications possibles avec le groupe. »

Les open labs sont des dispositifs atypiques dans l’organisation. Ils apportent un degré de liberté et de « bazar » dans un univers très structuré et contrôlé, « la cathédrale » qu’est l’entreprise. L’autonomie reste la clé, à condition de ne pas se déconnecter des préoccupations de l’entreprise. Le management y est fondé sur le leadership et l’effet d’entraînement des équipes ; il n’est pas basé sur le contrôle.

Second challenge : construire et piloter l’exploitation des idées créatives

Le second challenge est indéniablement lié à la capacité de l’entreprise à transformer en valeur les idées nouvelles. Au-delà de la mise en place de nouvelles capacités destinées à produire de nouvelles idées, le défi pour les grandes entreprises, est d’acquérir des capacités dynamiques leur permettant de l’exploiter rapidement les résultats de leur créativité nouvelle. L’exploitation des idées créatives représente un challenge particulier lorsque leur exploitation modifie le business model de l’entreprise ou impacte ses compétences. Tout l’enjeu pour l’organisation est donc d’acquérir une agilité lui permettant de réorganiser rapidement ses ressources et partenariats. Il s’agit de faire percoler le nouvel état d’esprit dans le reste de la structure.

Préserver les soutiens de l’open lab, condition sine qua none à sa survie

Le risque majeur pour les open lab porte sur le rejet du dispositif à moyen et long termes. Celui-ci peut survenir si les dirigeants de l’entreprise ou les employés ne sont pas convaincus de la contribution de l’open lab à la création de valeur. Salariés comme dirigeants doivent être convaincus que les capacités créatives de cette structure permettent à l’entreprise de « penser autrement ». Construire la légitimité des open labs constitue un challenge quotidien pour leurs managers. Pour y parvenir, ils doivent mettre en place des actions de communication et impliquer les salariés dans les projets créatifs qui y sont développés.

Il leur faut également trouver des sponsors (au niveau de la direction) et des ambassadeurs (au niveau des salariés). Ils seront en effet les relais les plus efficaces pour construire la légitimité de l’open lab. Si l’un de ces piliers est perdu, l’open lab court le risque de la fermeture. Ce fut le cas pour LCL Factory, l’open lab de LCL : le changement de direction de l’entreprise a été fatal à la petite structure.

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