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La crise actuelle et ses remises en causes amènent chacun à se questionner quant au sens à donner à la vie et au travail. shutterstock

La crise de la Covid-19 remet en question le sens que l'on donne à son travail

En quoi la crise sanitaire, le confinement et le travail à distance influenceront-ils le sens que nous donnons à la vie et au travail ?

Depuis plus de deux mois, la majorité des citoyens de la planète a été appelée à rester confinée. Un exercice aussi inédit que générateur de remises en question. De nombreuses voix s’élèvent pour mettre cette période difficile à profit, afin de penser l’après-Covid et prendre la mesure des dysfonctionnements de notre modèle de société, tant en matière d’inégalités sociales, de risques environnementaux que de santé publique.

Qu’en est-il à un niveau plus individuel ? Comment cette période questionne-t-elle nos choix de vie et nos choix professionnels ? Peut-elle nous inciter à effectuer des changements de métier ?

J’étudie depuis plus de dix ans la question du sens au travail et notamment ses impacts sur nos choix de carrière. En effet, la perte de sens au travail est l’un des principaux motifs de reconversion volontaire. Elle fait suite à un processus déclenché par une forte remise en question ou une prise de conscience d’un défaut d’alignement entre ses valeurs personnelles et celles de son travail.

La crise sanitaire actuelle et les remises en causes qui l’accompagnent (concernant notre modèle de société, la place que nous accordons au travail, nos modes de consommation mondialisés) entraînent une prise de conscience à la fois collective et individuelle assez forte pour amener chacun à se questionner quant au sens à donner à la vie et au travail.

Une hiérarchie remise en question

D’un point de vue collectif, la période que nous vivons invite à se questionner à propos d’un marché du travail hautement compartimenté et hiérarchisé. Des métiers hier encore peu valorisés passent à l’avant-scène. On prend conscience de l’absolue nécessité du personnel soignant, des caissiers, des éboueurs, des agriculteurs…


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Parce que leur travail a un impact tangible sur la continuité de notre société, ces métiers deviennent porteurs de sens, pour celles et ceux qui les pratiquent ainsi que pour la collectivité. Pour preuve, l’agriculture, qui manque de bras généralement pour les récoltes, croule aujourd’hui sous les demandes de citadins qui rêvent d’un retour à la terre].

Quand le travail perd son sens

D’un point de vue individuel, la pandémie et les habitudes de vie prises durant le confinement (télétravail, recentrage sur la cellule familiale) questionne la priorisation de nos valeurs et conduit à remettre en cause des certitudes : est-ce que je n’accorde pas trop de place à mon travail ? Est-ce que mon activité est vraiment utile à la société ? Quel est sons sens ?

Du 8 au 24 avril 2020, lors des quatrième, cinquième et sixième semaines du confinement, j’ai mené des entrevues téléphoniques auprès de 10 personnes exerçant divers métiers (consultant, chef d’équipe, chargé de communication…) dans divers secteurs (industrie, tertiaire, social…). Tous avaient en commun le fait d’avoir déjà connu un épisode de questionnement sur le sens de leur travail. Les participants avaient répondu à une annonce publiée sur des réseaux sociaux professionnels expliquant les objectifs de l’enquête.

L’objectif était de repérer d’éventuels effets de la crise et du confinement sur la réflexion de chacun concernant le sens de leur travail. Les résultats préliminaires révèlent que la crise de la Covid-19 a provoqué chez les répondants un nouvel épisode de remise en question plus profond et davantage lié à un sentiment d’inutilité de leur travail.

Certaines personnes peuvent se sentir inutiles et souhaiter aider à améliorer la situation plus concrètement. Sur cette photo, des travailleurs de la santé se préparent à ouvrir une clinique mobile de dépistage de la Covid-19, le mardi 19 mai 2020 à Montréal. LA PRESSE CANADIENNE/Ryan Remiorz

Plus que jamais, les tâches qu’ils accomplissent leur semblent futiles à un moment où ils aimeraient aider concrètement à améliorer la situation en général. Certains ont même le sentiment de participer à l’aggravation de la prochaine crise qui nous guette, celle du changement climatique. Ils ressentent l’envie de contribuer au bien-être collectif et de laisser une trace positive. La volonté d’un changement professionnel est plus que jamais d’actualité, malgré la menace d’une crise financière.

Il en est de même pour les répondants qui avaient déjà changé de carrière avant la crise sanitaire et qui pensaient avoir résolu la question du sens du travail en choisissant un métier plus près de leurs valeurs. Certains avouent connaître tout de même une remise en question liée au sentiment d’impuissance face à la crise. De plus, ces mêmes répondants évoquent un nouveau questionnement quant à la place que prend le travail dans leur vie. Le confinement a changé leurs habitudes de travail et ils apprécient le fait de ne plus perdre de temps dans les transports et passer plus de temps avec leurs enfants.

Le travail générateur de sens

Estelle Morin, professeure au département de management à HEC Montréal, connue pour ses travaux sur le sens au travail, a identifié six caractéristiques permettant à un travail de générer du sens :

1) Le sentiment d’utilité qu’il procure.

2) L’intérêt pour les activités réalisées.

3) Lorsque les règles de morale et de déontologies sont respectées.

4) Lorsque les relations humaines sont satisfaisantes.

5) Lorsque le travail assure une autonomie financière.

6) Lorsqu’un équilibre de vie personnel et professionnel est possible.

Un équilibre entre ces six caractéristiques permet de considérer son travail comme générateur de sens. Cependant, une fois atteint, cet équilibre n’est pas immuable. Il est susceptible d’être perturbé par des changements internes (évolutions de nos propres valeurs) ou externes (changement organisationnel).

La crise actuelle, parce qu’elle remet en cause nos certitudes et les repères de notre société (hiérarchie des métiers, économie capitaliste, mondialisation) fait évoluer notre système de valeurs. En redonnant de la valeur à certains métiers (soignants, caissiers, éboueurs), on valorise davantage certaines caractéristiques qui donnent du sens au travail, comme le sentiment d’utilité et l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.

Ceci explique pourquoi certaines personnes connaissent actuellement un déséquilibre provoquant un sentiment de perte de sens au travail. La crise actuelle pourrait donc constituer un événement déclencheur pouvant conduire à la perte de sens au travail.

Alors, comment retrouver du sens au travail après la crise ? Il s’agira de renforcer les caractéristiques qui lui donnent ce sens. Repenser ses activités pour les rendre plus utiles ou encore réorganiser son équilibre de vie est une solution. Plus généralement, il s’agira de se recréer de nouveaux repères dans un contexte qui s’annonce mouvant.

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