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La croissance des PME, une question de dirigeant

La croissance est l’arlésienne de l’actualité économique. Tout le monde en parle : hommes politiques, économistes, etc., mais finalement en connaît-on véritablement les déterminants ? Sans doute la conjoncture mondiale y joue-t-elle un rôle fondamental, et l’on comprend la nécessité de suivre l’évolution du cours du pétrole ou le cours de l’Euro par rapport au dollar. Cependant, au-delà de ces déterminants généraux, quels facteurs vont prédisposer les PME à s’engager dans une dynamique de croissance ?

Force est de constater que moins nombreux sont ceux qui s’intéressent à ce genre de « détail ». Et pourtant, la question est d’importance. Les PME représentent, en effet, 99,8 % du parc d’entreprises et près de la moitié de l’emploi salarié, et les 7 % de PME indépendantes en forte croissance expliquent près de 58 % de la création d’emploi de cette catégorie d’entreprises.

Aussi est-il important de s’intéresser aux facteurs de la croissance des PME. À cette fin, nous prenons appui sur une étude approfondie menée auprès 483 dirigeants de PME de 10 à 250 salariés conduite sous l’égide de Ariane Compétences et Management.

La PME : une aventure humaine

Le dirigeant de PME, quant à lui, est peu pris en considération. Plus encore, les dirigeants sont l’objet de perceptions contrastées dans l’opinion publique. De la figure du « grand patron » à celle du « patron-voyou », ils sont régulièrement stigmatisés, parfois jusqu’à la caricature. À l’autre bout du spectre, l’entrepreneur est souvent perçu comme un individu extraordinaire relevant des défis, prenant des risques, tandis que le patron de PME, parfois vu comme un « petit » patron, apparaît relativement familier. Au niveau organisationnel, le rôle du dirigeant doit être redéfini, en attestent plusieurs initiatives telles que le concept d’entreprise libérée dont certaines en sont la parfaite illustration (par exemple FAVI, Chrono Flex…), ou par exemple Le syndrome du poisson lune (Actes Sud) qui interroge le concept même de croissance permanente.

Quelles que soient les problématiques abordées, le dénominateur commun est le dirigeant. L’alchimie de la croissance provient de l’individu : la croissance est une affaire de femmes et d’hommes ! Une prise de recul sur quelques idées préconçues est alors nécessaire et peut permettre aux plus sceptiques d’approfondir leur réflexion et d’ouvrir le champ des possibles.

La croissance, un objectif parmi d’autres

Tous les dirigeants de PME n’en font pas un objectif prioritaire : un tiers d’entre eux recherche une croissance conséquente (en sachant que celle-ci peut être mesurée en termes d’évolution du chiffre d’affaires, des effectifs, des parts de marché, voire des bénéfices nets). Ce chiffre, au-delà de montrer (à nouveau) ô combien les dirigeants sont divers (30 % cherchant une croissance rapide tandis que 70 % ne le souhaitent pas), permet de se questionner sur les facteurs explicatifs de ces intentions de croissance. Ceci nous renvoie à une approche culturelle de la croissance. En d’autres termes, la croissance de l’entreprise n’est pas forcément synonyme de réussite pour le dirigeant. Ainsi, se concentrer uniquement sur des données agrégées représentant la croissance conduit à une impasse.

L’intention de croissance, des déterminants individuels

L’intérêt de l’étude conduite sous l’égide d’Ariane est qu’elle permet de prendre en compte à la fois des variables relatives à la perception de l’environnement, mais aussi de nombreuses variables relatives au dirigeant (âge, sexe, diplômes, expérience antérieure), à la perception de ses besoins (de formation par exemple), mais aussi à l’entreprise (taille, âge, secteur, exportation, etc.), à son management et à sa propriété (familiale ou non, présence du (de la) conjoint(e), d’autres membres de la famille, etc.). Il était alors possible de cerner les différents facteurs à l’œuvre dans l’intention de croissance.

L’une des surprises est que les dirigeants ont tous la même perception du contexte français. Notre environnement institutionnel – légal, fiscal, social – est l’objet de débats, mais tous les dirigeants – qu’ils souhaitent avoir une croissance rapide ou non – en ont la même perception. Les « barrières à la croissance » n’expliquent pas l’engagement des dirigeants dans une croissance forte ou non. Dès lors, il faut rechercher ailleurs les facteurs explicatifs de l’intention de croissance, et comprendre les divergences entre dirigeants.

Deuxième élément : les caractéristiques du dirigeant (âge, niveau d’études, sexe, etc.) ne permettent pas d’expliquer les intentions de croître. Par contre, le fait que le dirigeant se sente à l’aise dans sa fonction joue favorablement : un dirigeant qui a le sentiment de manquer de compétence ou de formation, d’être épuisé (ou d’avoir une mauvaise qualité de sommeil par exemple), n’a pas l’intention d’engager son entreprise dans un chemin de croissance rapide. On conçoit alors l’intérêt de réfléchir à des actions de formation continue spécifiquement ciblées sur les dirigeants.

Le fait que dirigeant ait un mode de gestion relativement décentralisé (avec une coordination avec certains salariés) et l’utilisation d’outils de gestion qui permettent le suivi de la performance financière de l’entreprise sont aussi caractéristiques d’une intention de croissance élevée. Si l’on touche ici à une gestion « moderne » de la PME, c’est aussi le reflet de dirigeants qui sont bien formés et/ou qui se sont engagés dans une logique d’équipe de direction pour croître. La dimension humaine du management et de l’organisation est mise en exergue. Vouloir croître, c’est pressentir l’organisation capable de croître ! Une approche des compétences individuelles (par la formation, par la prise d’initiative…) et collectives (par la culture, par le partage d’objectifs, par l’autonomie…) pourra conduire le dirigeant à vouloir faire croître sa PME.

La dimension familiale a, par contre, des effets ambigus : le fait d’être engagés à plusieurs (par exemple en couple) est souvent lié à de modestes ambitions de croissance, sauf lorsque la concertation s’effectue au niveau de la prise de décision. Si les PME familiales sont parfois perçues comme entrepreneuriales, il est important d’affiner l’analyse des valeurs et cultures familiales ici. Enfin, les dirigeants dont les entreprises sont orientées sur les marchés étrangers, par l’exportation et/ou la présence de filiales font état d’ambitions de croissance, ce qui, pour le coup, est en phase avec les constats classiques en la matière, et montre l’intérêt d’accompagner nos PME vers les marchés étrangers.

Agir sur les intentions

Même si ces observations sont générales, et appellent des approfondissements, elles montrent les dangers de discours uniformes et de discours qui négligent les perceptions des dirigeants de PME. Adopter une approche multiple au regard des dirigeants et de la taille des entreprises est urgent. Comprendre la croissance, c’est comprendre les motivations du dirigeant, et penser les actions qui vont l’aider à faire évoluer les modes de gestion, mais aussi (surtout) sa vision de la croissance.

Plusieurs aspects sont essentiels, à la fois dans l’analyse des trajectoires de croissance des entreprises, mais aussi dans le contenu du débat public. Tout d’abord, il ne sert sans doute à rien de « décréter » la croissance pour tous : la croissance est fonction des secteurs d’activité, mais aussi des objectifs et des ambitions des dirigeants. Il faut libérer la pensée sur ces aspects et refuser l’uniformisation et la comparaison permanente. La quête de sens doit être mise en exergue sans pour autant abandonner les finalités économiques ; en témoigne les réussites d’entreprise accordant une place centrale à leur responsabilité sociétale (RSE).

Ensuite, assurément, notre pays a intérêt à penser à des « chocs de simplification » et à raisonner en termes de compétitivité, mais l’interrogation sur la façon d’orienter les dirigeants vers la croissance est tout autant nécessaire. Renforcer la culture entrepreneuriale de notre pays en valorisant l’activité entrepreneuriale sous toutes ses formes est essentiel pour nos PME : en ce sens l’action des pôles étudiants PEPITE est importante, en renforçant l’esprit d’entreprendre, et montant que l’entrepreneuriat réside tant dans la création que la reprise ou le développement des entreprises existantes. De même, un appui ciblé pour aider les dirigeants de PME à manager des projets de croissance et se sentir bien dans leur métier est crucial. Penser la formation continue des dirigeants de PME, des actions aidant à la mise en place de « bras droits », ou bien l’engagement des réseaux d’acteurs en faveur d’échanges sur la croissance sont autant de leviers stratégiques.

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