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La dé-corrélation du droit du licenciement, du coût du travail et du taux de chômage

Banderole, grève PSA 2013. Petit_louis/Flickr, CC BY

Quelques jours après le dépôt du rapport Badinter et la dernière publication des chiffres du chômage, le débat sur la réforme du Code du travail bat son plein. Dans ce débat une idée a la vie dure : il faudrait assouplir le droit du licenciement pour baisser le coût du travail et ainsi permettre aux entreprises d’embaucher en toute sérénité.

Cette idée n’est pas portée par l’ancien Garde des Sceaux, mais par une logique libérale en apparence implacable selon laquelle c’est en fluidifiant le marché du travail, que les chômeurs retrouveront du travail. Deux solutions sont alors proposées, le Medef avance l’idée la plus radicale : supprimer la règle selon laquelle l’employeur se doit d’avoir un motif pour justifier le licenciement. Le gouvernement quant à lui, a proposé dans un amendement à la loi Macron de plafonner le montant des indemnités de licenciement en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise.

Si cet amendement a été retoqué par le Conseil Constitutionnel en août dernier, au motif pris qu’il ne saurait y avoir de lien entre la taille de l’entreprise et le plafond des indemnités perçues par un salarié, le ministre de l’Économie a promis de soumettre un nouveau mécanisme de plafonnement des indemnités de licenciement.

Les détracteurs de la réforme opposent un raisonnement qui semble tout aussi évident : faciliter le licenciement aura pour conséquence d’augmenter le nombre des licenciements, mais pas de créer de l’emploi. Pourtant ils peinent à convaincre. Les tenants de la réforme brandissent les quelques 3 400 pages du Code du travail comme la preuve ultime du besoin de réforme de ce droit qui lesterait notre économie.

Mais la question demeure : le coût d’un licenciement en France est-il de nature à alourdir le coût du travail et, partant, à contribuer à la hausse du taux de chômage ?

De quel coût parle-t-on ? Recadrage sémantique.

Faut-il le rappeler, en France, pour licencier, l’employeur doit avoir un motif. Ce motif peut être personnel (c’est le cas lorsque le salarié est licencié pour faute) ou économique (c’est le cas lorsqu’une entreprise restructure son activité pour éviter de faire faillite ou pour sauvegarder sa compétitivité).

Ces règles élémentaires, permettent à la France de respecter la convention internationale 158 de l’Organisation internationale du Travail du 22 juin 1982, ratifiée par 36 pays.

Quel est donc le coût induit par ces licenciements ? Cette question mériterait à elle seule un exposé approfondi, pour l’heure il suffit ici de préciser qu’en fonction de l’ancienneté du salarié licencié, le Code du travail prévoit un montant minimum d’indemnités légales de licenciement dû que le motif soit personnel ou économique sauf, si le salarié est coupable d’une faute lourde. À titre d’exemple toutefois, on indiquera qu’un salarié ayant un salaire de référence de 1 500 euros et cinq ans d’ancienneté touchera 1 500 euros d’indemnités légales de licenciement tandis qu’un salarié avec le même salaire de référence, mais 12 ans d’ancienneté touchera 4 000 euros. Difficile donc de prétendre que ce montant plancher d’indemnité de licenciement pèse indûment sur l’employeur.

En réalité, le coût du licenciement tant décrié par les syndicats patronaux et une partie de la classe politique correspond au le coût du licenciement sans cause réelle et sérieuse, c’est à dire au montant qui est attribué au salarié à l’issue d’une action prud’homale couronnée de succès, pour licenciement illégal ou abusif.

Faut-il baisser le « coût de revient » d’un licenciement illégal pour inciter les entreprises à embaucher ? L’incongruité de la question laisser présumer de l’inanité du bien fondé de la solution avancée par le gouvernement. Si un comportement est illégal, en plafonner la sanction n’est ni de nature à dissuader l’employeur délinquant, ni de nature à favoriser l’embauche.

L’exemple des législations américaines

En réalité, si on estime que les indemnités perçues par un salarié dans le cas d’un licenciement sans cause sont un surcoût du travail, il faut alors se ranger derrière la proposition du Medef, qui milite pour l’abandon de la justification du licenciement en montrant en exemple les économies anglo-saxonnes.

Aux États-Unis, la règle générale n’exige aucune cause au licenciement. On parle de « _termination at will _ », littéralement : licenciement à volonté. Or comme chacun sait, le taux de chômage national aux États-Unis est de 5 % (taux au 31 décembre 2015 selon le Bureau of Labor Statistics ) alors que celui de la France est de 10,6 % (selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE ). CQFD ? Pas tout à fait.

Sur les 50 états des États-Unis, le Montana se distingue comme étant le seul à avoir adopté une législation exigeant un motif au licenciement. C’est ainsi que le Wrongful Discharge from Employment Act, adopté en 1987 prévoit qu’un licenciement est illégal si après la période d’essai un employeur licencie sans motif. Or, le taux de chômage dans le Montana s’établit à 4 % (taux au 31 décembre 2015 selon le Bureau of Labor Statistics ), c’est-à-dire à un niveau inférieur à la moyenne nationale.

L’intérêt que présente l’étude de la législation du Montana ne s’arrête pas là. En 2005 des économistes américains ont étudié l’impact qu’a eu l’adoption de la législation du Montana sur le marché du travail. L’étude des professeurs Ewing, North et Taylor a démontré que l’adoption de la loi avait eu un effet bénéfique sur le taux de chômage dans l’État (Voir « The Employment Effects of a “Good Cause” Discharge Standard in Montana », paru dans l’Indusrial &amp ; Labor Relations Review Vol. 59, No 17). Selon eux, cet effet se mesure à hauteur de 0,46 points.

Plus intéressante encore est l’explication qu’ils mettent en avant pour cet effet positif. Selon eux, avant 1987 il existait une réelle insécurité juridique pour les entreprises. En effet, même si aux États-Unis, 49 états sur 50 n’imposent pas à l’employeur de justifier d’un motif pour licencier, il n’en demeure pas moins que les licenciements peuvent être jugés illégaux, notamment lorsqu’ils sont discriminatoires par exemple, ou contraires à une règle d’ordre public. Or, l’absence de règles écrites encadrant le motif de licenciement renforce l’aléa judiciaire, qui a un effet négatif sur l’emploi.

Ainsi avec ou sans l’exigence de justification du licenciement, l’employeur qui embauche risquera toujours de se faire poursuivre s’il licencie son salarié dans des conditions illégales. L’exigence d’un motif personnel ou économique – dont les contours sont bien précisés par le code et plusieurs décennies de jurisprudence n’est donc pas de nature à augmenter le coût du travail, mais plutôt à offrir de la sécurité juridique pour les deux parties au contrat de travail.

C’est notre conception de l’entreprise qui est en jeu

Traditionnellement, l’on justifie souvent les mesures de protection des salariés imposées par le droit du travail, par le fait que le salarié est la partie faible au contrat de travail. C’est d’autant plus vrai sur un marché du travail français qui compte plus de 3,5 millions de chômeurs. Toutefois, cette conception « victimaire » des relations de travail ne permet pas de penser sereinement la relation de travail et passe sous silence la conception française de l’entreprise.

L’entreprise se situe en effet au croisement d’une conception patrimoniale et institutionnelle. L’entreprise a beau être la chose des actionnaires, elle a son existence propre. En droit français, son intérêt doit nécessairement inclure l’intérêt de toutes les parties prenantes : actionnaires, investisseurs et salariés.

Notre droit du travail actuel, comme notre droit des sociétés, porte en lui cette tension, cette ambition de réconciliation entre dimension patrimoniale et institutionnelle de l’entreprise. Permettre à un employeur de licencier sans motif, équivaut à ignorer la contribution essentielle du salarié dans le succès de l’entreprise.

Inverser la courbe du chômage passe peut-être par une réforme du droit du travail. Une telle réforme devrait toutefois faire l’objet d’un débat public au cours duquel chacun devrait pouvoir mesurer les ramifications sociétales et philosophiques des changements proposés.

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