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La Déclaration universelle a 70 ans : quels défis pour les Nations unies ?

Vue sur le Palais de Chaillot, à Paris, en septembre 1948, où q'est tenue l'Assemblée des Nations unies à l'issue de laquelle la Déclaration sera signée (le 10 décembre 1948). AFP

70 années après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), nous n’avons pas que des raisons de nous lamenter, loin de là. Il faut prendre la mesure du chemin parcouru. Avant 1945 et la Charte des Nations unies, les droits de l’Homme n’existaient tout simplement pas en droit international. L’individu n’était qu’un « objet » du droit international et les États n’avaient pas, sauf dans quelques cas particuliers, à se justifier du traitement qu’ils réservaient à leurs nationaux : leur souveraineté équivalait à un droit de vie et de mort sur leurs citoyens.

Depuis, s’est développé sur le socle de la Déclaration un système complet et cohérent de normes, largement acceptées par les États, ce que l’on appelle souvent le « droit international des droits de l’Homme » : neuf conventions fondamentales à l’ONU, dont les deux « pactes » sur les droits civils et politiques et les droits économiques sociaux et culturels, et sept autres traités qui déclinent les obligations des États s’agissant de certaines violations (torture, disparitions forcées, discriminations raciales et à l’égard des femmes…) ou pour certaines catégories de personnes (enfants, handicapés, travailleurs migrants) ; des conventions régionales comme la Convention européenne des droits de l’Homme ; et une multitude d’autres textes, conventionnels ou non.

Une base juridique pour agir

Ce qui est frappant, lorsqu’on regarde cet ensemble, c’est sa cohérence : tous ces textes se fondent sur les mêmes principes, ceux qui sont affirmés dans la DUDH. Dire aujourd’hui que les droits humains ne seraient pas universellement acceptés en droit international n’a pas de sens : le processus d’universalisation juridique a eu lieu ces 70 dernières années et plus aucun Etat ne le conteste sérieusement.

Certes, les normes ne suffisent pas à mettre un terme à toutes les violations des droits de l’Homme, mais elles donnent à chacun une base juridique pour agir et s’y opposer. Et il n’y a pas que les normes, il y a aussi les mécanismes d’application. Depuis 1948 s’est mis en place progressivement un dispositif foisonnant de procédures et d’organes qui opèrent une surveillance continue de la situation des droits de l’Homme dans tous les pays. Dix comités des Nations unies sont ainsi les « gardiens » des conventions fondamentales, tandis qu’un ensemble de « procédures spéciales » – rapporteurs spéciaux, experts indépendants et groupes de travail – réagissent au quotidien aux violations des droits de l’Homme et effectuent des visites dans les pays à l’issue desquelles ils rendent des rapports publics.

Une série de commissions d’enquête internationales ont également été créées de manière plus ponctuelle ces dernières années, pour documenter les violations et les crimes commis en Syrie, au Burundi, au Yémen, au Myanmar ou dans les territoires occupés par Israël… Sur le plan régional, des juridictions ont été mises en place : la Cour européenne, bien sûr, mais aussi la Cour interaméricaine et la Cour africaine des droits de l’Homme. On en arrive à atteindre en pratique ce que Kant formulait, en 1795, comme un idéal : que toute violation commise en un seul lieu soit ressentie partout ailleurs.

Là encore, ce qui frappe dans cette architecture, c’est sa cohérence : tous ces experts et ces juges appliquent les mêmes normes et, si l’on met à part quelques cas isolés, en adoptent la même interprétation. Par cette application patiente aux cas d’espèce, aux situations spécifiques à chaque pays, à chaque contexte, ils contribuent à faire que les droits de l’Homme, universels dans leurs principes et sur le plan juridique, deviennent un universel concret pour tous les citoyens du monde.

Mais si le chemin parcouru depuis 70 ans est impressionnant, les défis ne manquent pas pour autant.

Le défi intellectuel

Le premier défi est intellectuel : on assiste à une résurgence des courants d’idées hostiles aux droits de l’Homme et, plus largement, à ce qui les fonde, à savoir les principes issus de la philosophie des Lumières. Les droits de l’Homme sont accusés par certains d’être complices du néolibéralisme économique, ou encore d’être le masque de l’impérialisme de certaines grandes puissances.

Pour d’autres, les droits de l’Homme seraient « contre le peuple », parce qu’ils défendraient uniquement les minorités contre la majorité ou donneraient le pouvoir à des « experts » dépourvus de toute légitimité démocratique. D’autres cercles encore reprochent aux droits de l’Homme de déformer la « nature » supposée de l’être humain, en portant atteinte à certaines structures anthropologiques telles que la famille.

A l’intérieur du Palais de Chaillot, le 22 septembre 1948. AFP

Dans toutes ces attaques, on distingue souvent l’ignorance ou la déformation consciente de ce que sont les droits de l’Homme en tant que normes juridiques : ceux qui formulent ces critiques ont rarement lu un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Or si ces courants de pensée anti-Lumières étaient devenus minoritaires après la Seconde Guerre mondiale, ils trouvent aujourd’hui un écho nouveau au sein des opinions publiques : des politiciens sans scrupule les utilisent pour donner une réponse à un sentiment d’injustice légitime au sein des sociétés. Désormais, les défenseurs de la démocratie et des droits de l’Homme ne peuvent plus se contenter d’ignorer ces critiques mais doivent les affronter et déconstruire ces discours pour montrer qu’ils donnent de mauvaises réponses à ce qui sont souvent de vraies questions.

Le défi institutionnel

Un autre défi est institutionnel et concerne plus particulièrement le système des Nations unies : on l’a dit, les mécanismes de protection des droits de l’Homme sont aujourd’hui nombreux et jouent un rôle indispensable. Mais leur multiplication a rendu le système peu lisible et a compliqué son utilisation par les simples citoyens, tandis que le manque de moyens freine son efficacité pratique.

Plusieurs réflexions sont actuellement en cours afin de le perfectionner. En 2020, l’Assemblée générale est ainsi appelée à favoriser la rénovation de la procédure essentielle de présentation de rapports périodiques par les États devant les comités des Nations unies, par la mise en place d’un calendrier global et coordonné.

Mais au-delà, c’est surtout la fonction d’examen des plaintes individuelles qui doit être améliorée, par la création, au-dessus des comités compétents, d’une Cour des droits de l’Homme des Nations unies, qui assurerait l’unité d’interprétation des normes et raffermirait l’autorité de cette jurisprudence, en coordination avec les autres cours régionales et avec la Cour internationale de Justice.

Le défi normatif

Enfin, le dernier défi est normatif car si le droit international des droits de l’Homme est particulièrement concret et cohérent, il doit faire face à des questions inédites. Les nouvelles technologies, en particulier, bouleversent notre rapport à la liberté et à la dignité.

La surveillance de masse, par exemple, engendre une nouvelle échelle dans les atteintes à la vie privée et il n’est pas certain que les normes existantes permettent d’y faire face. La capacité prédictive de la science, de même, met en jeu le principe d’autonomie : si la science peut toujours prévoir ce que nous serons, quelle place nous reste-t-il pour exister ?

Un autre enjeu majeur se situe dans la dégradation de notre environnement et dans le changement climatique : alors même que les droits de l’Homme sont construits sur la base d’une philosophie anthropocentrique, ne devons-nous pas aujourd’hui repenser notre rapport à la Nature (et non plus seulement à l’environnement humain) ? Le défi est de réaffirmer les principes de la modernité politique, tout en faisant droit à la Nature, voire en reconnaissant ses droits propres.

Ces défis sont importants : n’attendons pas le 80ème anniversaire de la Déclaration pour les relever !

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