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La désinformation russe sur les réseaux sociaux au temps du Covid-19

BigNazik/Shutterstock

La désinformation consiste à profiter de la liberté d’expression pour propager de fausses informations, et cela selon certains principes précis, définis ainsi par les chercheurs de la RAND Corporation Christopher Paul et Miriam Matthews : la rapidité, la continuité, la fluidité. Une manière efficace de propager l’information souhaitée est de contrôler, manuellement ou par ordinateur, de nombreux comptes sur divers médias sociaux. Les comptes de ce type, appelés bots, se trouvent par millions sur nos réseaux sociaux et sont les principaux véhicules de la désinformation à grande échelle.

Pour être percutante, la fausse information doit se propager rapidement, avant la mise en ligne d’informations véridiques et vérifiables. La vérité n’est pas un facteur déterminant, même si la majorité des nouvelles de propagande contiennent une part de vérité. La sociologue diplômée de Harvard Kathleen M. Carley soutient qu’une fausse nouvelle voyage six fois plus rapidement sur les médias sociaux qu’une vraie. Parallèlement, Christopher Paul et Miriam Matthews démontrent que les sources multiples sont plus convaincantes qu’une source unique, et que la fréquence à laquelle on reçoit cette information est primordiale.

Par conséquent, le nombre importe. Sur les réseaux sociaux, les comptes gérés par la Russie doivent être proactifs, c’est-à-dire qu’ils doivent publier abondamment, partager, commenter et relayer des informations similaires en les accompagnant de vidéos YouTube et d’images présentées comme autant de preuves. Si une publication est partagée, retweetée, aimée ou commentée par un nombre conséquent d’autres comptes, elle semble plus fiable et plus véridique qu’une publication ayant donné lieu à peu d’interactions. Il devient donc primordial pour tous les faux comptes d’être liés entre eux et de supporter chacune des publications des autres. Les bots permettent d’effectuer ce transfert et ce partage d’informations plus rapidement et plus efficacement que si le travail était accompli manuellement. Les faux comptes créent l’illusion que l’information est soutenue par plusieurs milliers voire millions de personnes, la rendant plus « fiable ».

À cet effet, la désinformation ne s’engage pas à défendre un seul récit. En pratique, plusieurs fausses informations sont partagées en même temps par plusieurs comptes différents. Si les individus n’adhèrent pas à une fausse nouvelle, celle-ci est discartée, les bots cessent de la faire circuler. Si en revanche les individus adhèrent fortement à une fausse nouvelle, les bots s’assureront de la relayer le plus souvent possible dans un court laps de temps pour multiplier sa portée.

Désinformation et Covid-19

À l’heure actuelle, en pleine pandémie, la sociologue Kathleen Mellon souligne que l’activité des bots est deux fois plus importante que ce que prévoyaient les études basées sur le niveau d’activité pendant les précédentes crises.

Selon Stephanie Carvin, professeur à l’Université de Carleton et ancienne analyste en sécurité nationale pour le Service canadien du renseignement de sécurité, les bots russes font actuellement la promotion de deux théories particulièrement dangereuses :

  • le virus a été créé en laboratoire en tant qu’arme biologique ;

  • la pandémie sert à couvrir les effets néfastes des nouvelles tours 5G (ou bien, variante, que les tours propagent elles-mêmes le virus).

Les premières théories poussées par les bots russes apparaissent dès les premiers jours de janvier, alors que ce n’est qu’à la mi-mars que les bots chinois et iraniens s’y joignent. Depuis, les publications des bots ont largement surpassé celles des humains. Selon Kathleen Carley, les bots sont actuellement responsables d’environ 70 % de l’activité liée au Covid-19 sur Twitter, et 45 % des comptes relayant des informations sur le virus sont des bots. Les audiences les plus réceptives à ces théories sont actuellement les anti-vax, les adeptes des théories du complot et les technophobes.

Selon la première théorie, le Covid-19 a été créé dans un laboratoire avant d’être lâché dans la nature à titre d’arme biochimique. Selon les audiences, on retrace le même récit, mais le pays d’origine change. Certaines théories prétendent que le virus a été développé dans un laboratoire chinois à Wuhan, d’autres qu’il a été élaboré dans un laboratoire militaire aux États-Unis avant d’être transporté et relâché dans la ville de Wuhan. La réalité demeure que peu importe le récit, cette théorie est dangereuse, puisqu’elle lie directement la pandémie à des agissements criminels des élites politiques. Or le fait que la société remette en question l’intégrité de ses élites, qu’elles soient politiques ou scientifiques, peut avoir un impact considérable sur la propagation de la maladie.

À titre d’exemple, un récent sondage de la professeure Sarah Evert conduit à Ottawa révèle que cette théorie serait soutenue par environ 26 % des Canadiens. À l’aide de l’outil Datametrex, les chercheurs de l’Université de Carleton ont pu étudier plus de cinq millions de publications sur les réseaux sociaux, des publications ensuite reliées à des bots russes ou chinois.

Les théories du complot associées au Covid-19 sont particulièrement foisonnantes puisque les connaissances de la communauté scientifique sur le virus demeurent limitées. Ces théories peuvent donc créer l’illusion de combler le vide laissé par la science, d’expliquer ce que les scientifiques ne peuvent pas. Kathleen Carley souligne également que ces théories sont particulièrement difficiles à discréditer puisqu’elles sont partagées par un grand nombre de personnes, y compris des politiciens et des célébrités qui ont une audience beaucoup plus large que les scientifiques.

En ce qui a trait à la théorie de la 5G, le sondage de l’Université de Carleton révèle que c’est environ 11 % des Canadiens qui croient que la Covid-19 n’est pas un virus réel ou sérieux, mais que la pandémie sert à couvrir les effets nocifs des tours 5G sur l’homme. Les théories du complot associent l’éclosion du virus en Chine et sa propagation au développement du 5G où la Chine agit comme pionnière de la technologie. À la suite de la propagation de cette théorie, plusieurs actes de vandalisme ont eu lieu contre des installations de télécommunications – 5G ou non – partout en Europe. On recense maintenant plus de 60 incidents sur le continent européen et au moins 4 au Québec.

Toujours selon le sondage de Sarah Evert de l’Université de Carleton, les jeunes de 18 à 29 ans sont plus partisans des théories du complot. Les plus grands adeptes ont également une activité beaucoup plus importante sur les médias sociaux que les individus n’adhérant pas à ce genre de théories. Ces individus partagent et commentent beaucoup plus d’informations concernant des complots que la majorité des usagers normaux et sont également beaucoup plus enclins à discréditer les avancées scientifiques ou les informations véridiques – en commentant abondamment fake news par exemple – que les usagers n’adhérant pas à ces théories. Quarante-neuf pour cent des Canadiens croyant que la Covid-19 a été créée en laboratoire et 58 % des Canadiens croyant à la théorie concernant la 5G ont dit pouvoir aisément distinguer les fausses informations et les théories du complot des vraies informations.

La sociologue Kathleen Carley propose des pistes de solutions afin de débusquer les fausses informations. D’abord, ce n’est pas parce que l’information est relayée par plusieurs milliers de personnes ou parce qu’elle provient de plusieurs sources qu’elle est forcément vraie. Comme plus de 80 % de la désinformation provient des individus et non pas des médias traditionnels, les canaux habituels sont généralement gagés de fiabilité. Par ailleurs, si une solution – un remède dans le cas du Covid-19 – parait trop belle pour être vraie, c’est que c’est probablement faux. Dans le cas du Covid-19, les sources les plus fiables demeurent les scientifiques, l’OMS ou les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) par exemple. Avant de partager une publication, il vaut mieux s’assurer que l’information est vérifiable et si l’information est fausse, la bonne pratique est de signaler l’utilisateur comme un faux compte. En outre, les médias sociaux sont infestés par la désinformation, largement propagée à l’aide d’images ou de vidéos YouTube par des bots et des faux comptes.

La désinformation, pour quoi faire ?

Pourquoi la désinformation existe et pourquoi les Russes l’utilisent-elle à profusion ? La réponse réside avant tout dans le simple fait que la politique étrangère russe est axée sur ses propres intérêts, et uniquement sur ses propres intérêts. Le recours à la désinformation a donc pour objectif de servir ces intérêts.

Si la Russie pousse des théories contre la 5G, c’est peut-être pour en ralentir le déploiement et nuire au développement économique de certains pays. Dans ses relations internationales, la Russie « n’a pas d’amis », mais elle a des alliés, et ces alliés demeureront des alliés tant que l’alliance servira les intérêts de Moscou. La désinformation – qui vise à la fois à déstabiliser les ennemis jugés hostiles à la Russie et à ses alliés, et à préserver les sentiments pro-russes chez ces mêmes alliés – a donc encore probablement de beaux jours devant elle…

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