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Plus du tiers des étudiants universitaires affirment avoir été victimes d'une forme de discrimination. La plupart ne sont pas dénoncées. Shutterstock

La discrimination est présente partout, révèle une étude faite auprès d’étudiants canadiens et français

La morte violente de l’Afro-Américain George Floyd a suscité de nombreuses manifestations aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Le mouvement ne s’est pas encore estompé. Mais les discriminations dénoncées depuis ce meurtre public ne sont manifestement pas qu’une histoire états-unienne.

Comme professeur d’université, il est difficile d’accepter que certains de nos étudiants vivent des discriminations, soit « un traitement différent ou inéquitable en raison d’une caractéristique personnelle ou d’une distinction ». Elles sont malheureusement trop souvent invisibles à nos yeux. Nombre d’entre eux sont cependant touchés par le phénomène, et ce, pour une multitude de raisons.

Selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, « les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience ». En 2017, afin de mieux comprendre les discriminations en Ontario, la Commission ontarienne des droits de la personne a interrogé 1 500 Ontariens à ce sujet. Plus de 45 % des participants ayant vécu une discrimination ont dit que l’événement s’était produit au travail, dans des lieux publics (42 %), dans un commerce (16 %) et à l’école (12 %).

Cependant, l’enquête n’a pas étudié la réalité des francophones ni les discriminations linguistiques (glottophobie) en Ontario. Il est plus que nécessaire d’étudier cette problématique ainsi que d’autres discriminations que vivent les groupes minoritaires.

C’est ce que mes deux coauteurs et moi-même avons essayé de déterminer. Sociologue de l’éducation, mes plus récents travaux de recherche portent sur l’insécurité linguistique chez les étudiants universitaires des communautés franco-ontariennes, fortement marquée par la glottophobie (discrimination linguistique). C’est le sujet du plus récent ouvrage de Philippe Blanchet, sociolinguiste et professeur à l’Université Rennes 2. De son côté, les travaux de recherche de Mylène Lebon-Eyquem, sociolinguiste à l’Université de La Réunion, s’insèrent dans les activités du Laboratoire de recherches sur les espaces créoles et francophones.

Des discriminations gardées sous silence

Pour contribuer à mieux connaitre l’ampleur, les formes et la gravité des discriminations, nous avons mené une étude internationale à ce sujet. Nous avons comparé l’Ontario français avec la Bretagne, la Provence et La Réunion, des régions où des langues minoritaires (breton, gallo, provençal et le créole réunionnais) cohabitent avec la langue française. L’ensemble des quatre régions étudiées présente des contextes sociolinguistiques pluriels, mais avec comme point commun des langues minoritaires cohabitant avec une langue majoritaire dominante (français ou anglais).

L’objectif de cette étude était de déterminer les diverses formes de discriminations vécues ou vues par des étudiants universitaires canadiens et français. Des mois d’octobre 2019 à janvier 2020, plus de 554 d’entre eux (75 % âgés de 18 à 24 ans) ont participé à une enquête en ligne en France (Bretagne, Provence et La Réunion) et au Canada (Ontario français). Les étudiants de nos universités respectives ont été sollicités via les réseaux sociaux et le web. Au Canada, 34 % des participants sont nés en Ontario, 25 % ailleurs au Canada (Québec et Nouveau-Brunswick), 24 % en Afrique et 17 % ailleurs dans le monde.

Plus du tiers des participants (32 %) ont affirmé avoir été victimes de discrimination au cours des trois dernières années. Le quart n’était cependant pas en mesure de déterminer si la situation vécue en était une, car les motifs n’étaient pas clairs. Par exemple, est-ce que la situation que je viens de vivre est considérée comme une discrimination ? La réponse n’est pas toujours simple. Les principaux prétextes évoqués étaient le sexe et le genre, la couleur de peau (ethnicité), l’âge, la croyance ou la religion et le patronyme. Enfin, 41 % affirmaient ne pas avoir vécu de discrimination.

Lorsque nous analysons séparément les régions, nous observons que les discriminations linguistiques (glottophobie) sont la première raison des discriminations en Ontario (30 %), alors qu’elles sont peu mentionnées ailleurs (11 % en Bretagne, 8 % en Provence et seulement 4 % à La Réunion). Cela est probablement dû au fait qu’en France la notion même de « droits linguistiques » n’est pas reconnue et que la glottophobie y est sous-déclarée.

La grande majorité des événements discriminatoires vécus par les étudiants ne sont jamais dénoncés. Shutterstock

Les participants ont réagi différemment à l’égard des discriminations vécues. Quatre sur 10 ont gardé le silence et n’ont pas réagi (38 %) ou en ont parlé avec leurs proches (36 %). En fait, très peu d’étudiants ont porté plainte à un représentant de l’organisation où s’est produit l’incident (8 %) ou déposé une plainte à la police ou au tribunal (1 %). Enfin, 18 % ont discuté directement avec la personne discriminante.

Les discriminations demeurent ainsi, pour la plupart, non répertoriées.

Libérer la parole

La crise raciale américaine, qui rejoint celles d’autres pays, libère la parole des groupes minoritaires. De nombreux témoignages de discriminations se font entendre. Dans notre étude, des participants se sont également exprimés au sujet des discriminations vécues alors qu’ils ou elles étaient élèves dans une école primaire ou dans un collège :

J’ai vécu de la discrimination enfant, j’avais peut-être 8-9 ans, je sortais de la cour d’école. Un garçon entrait dans la cour d’école me dit une phrase en anglais et j’avais répondu que je ne comprenais pas. Il m’avait traité de French Frog. Je ne savais pas qu’est-ce qu’il venait de me dire. J’ai quitté sans rien dire. Le soir arrivé à la maison, je l’ai dit à ma mère, elle m’a expliqué. J’ai compris que j’allais revivre ça un moment donné.(Ontario)

Le collège est un nid de discriminations. Chacun y a vécu un traumatisme plus ou moins violent selon moi. (Bretagne)

Parfois on pense que ce n’est rien, juste une petite remarque, vu qu’on en reçoit beaucoup, mais à un moment on se rend compte que c’était de la discrimination. (La Réunion)

Il est toutefois difficile d’avoir un portrait exact des discriminations. Par exemple, un étudiant international nous a dit qu’il ne voulait pas discuter ou dénoncer des discriminations vécues au Canada, car il ne voulait pas « avoir de soucis ». Il a dit qu’il était ici pour étudier et idéalement y travailler.

Un autre étudiant, provenant aussi d’un pays d’Afrique, nous disait que les discriminations vécues au Canada « n’étaient pas si graves » en comparaison avec certaines horreurs vécues dans son pays. Il ne les a pas dénoncées.

Si la taille restreinte de notre échantillon ne permet pas de généraliser nos résultats, l’enquête atteste que les mêmes prétextes à discriminations sont mentionnés. Les participants en Ontario, à La Réunion, en Bretagne et en Provence semblent subir ou observer globalement les mêmes types de discriminations, à l’exception de l’Ontario, où la glottophobie est très présente.

Personne ne nait raciste, xénophobe, glottophobe, etc., mais on peut le devenir par son éducation et sa socialisation. L’acceptation de la différence de l’autre et le désir d’inclusion des différences dans nos communautés doivent être enseignés très tôt dans la vie. L’affaire Floyd, parmi tant d’autres, pourrait finalement être porteuse d’un mouvement égalitaire international dans un monde d’après-Covid-19.

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