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La forte fécondité de la France est-elle due aux immigrées ?

Les immigrées contribuent fortement aux naissances en France mais sans modifier sensiblement le taux de fécondité du pays. Piqsels, CC BY-SA

Avec 1,9 enfant en moyenne par femme en 2017 la France a la fécondité la plus élevée des pays de l’Union européenne (UE), la moyenne de l’Union européenne se situant à 1,6.

Ce niveau relativement soutenu de la fécondité en France n’est-il pas fortement gonflé par l’immigration ? Cette idée très répandue traduit souvent la hantise d’un rapport de force numérique entre les natifs de France et les immigrés qui mettrait en péril l’identité nationale. Laissons de côté les aspects idéologiques pour nous limiter aux faits.

Forte contribution aux naissances, faible contribution à la fécondité

Le recensement de la France indique que près d’une naissance sur cinq en 2017 (19 %) était de mère immigrée (soit 143 000 sur 760 000) (voir la définition d’immigré dans le tableau en dessous). La proportion était seulement de 16 % en 2009 (tableau). La contribution des immigrées à la natalité de la France progresse donc et mérite d’être soulignée. Mais quelle est leur contribution au taux de fécondité ?

Ce dernier est aussi appelé indicateur conjoncturel de fécondité (voir sa définition et son calcul expliqués dans cette animation).

Tableau. Volant, Pison, Héran

Le résultat peut surprendre : l’immigration contribue fortement aux naissances mais faiblement au taux de fécondité.

On peut le montrer sur un exemple fictif. Imaginons 75 femmes non immigrées (natives) et 25 immigrées, avec une moyenne identique de deux enfants par femme dans les deux groupes. Les immigrées contribueront aux naissances dans une proportion de 25 %, mais sans rien modifier au taux de fécondité.

Leur contribution à la natalité tient simplement au fait qu’elles représentent 25 % des mères.

C’est que le nombre de naissances est le produit de deux facteurs indépendants : le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants et leur propension à en avoir. Il est erroné de croire que les immigrées alimentent forcément le taux de fécondité du pays d’accueil au prorata des naissances.

Mais imaginons le cas d’un autre pays fictif où 99 % des femmes auraient deux enfants, tandis qu’une minorité de 1 % en aurait sept.

Ce surcroît de fécondité aurait peu d’effet sur le taux national, qui passerait seulement de 2,00 à 2,05. Pour que les immigrées contribuent fortement au taux de fécondité et pas seulement aux naissances, il faut à la fois qu’elles représentent une fraction importante des mères et que leur fécondité soit très supérieure à la moyenne.

L’apport des immigrées au taux de fécondité de la France : +0,1 enfant par femme

Où en est la France à cet égard ? Le recensement indique qu’en 2017 les natives et les immigrées avaient respectivement 1,8 et 2,6 enfants, soit un écart de 0,8 enfant. Toutes populations réunies, le taux de fécondité de la France s’approchait de 1,9, ce qui veut dire que la présence des immigrées ajoutait un peu plus de 0,1 enfant au taux de fécondité national (figure 1 en dessous).

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Comment expliquer un apport aussi faible, alors qu’elles contribuent dans le même temps à 19 % des naissances ? C’est que les immigrées représentaient seulement 12 % des femmes en âge d’avoir des enfants.

À noter que les femmes qui sont filles d’immigrés, et qui sont nées en France, font par définition partie des natives, elles ne sont donc pas incluses dans les immigrées. Leur fécondité est par ailleurs similaire à celle des autres natives.

Entre 2009 et 2014, la proportion d’immigrées a augmenté dans la population de femmes en âge d’avoir des enfants (de 10,6 % à 11,7 %), de même que la part des naissances de mères immigrées (tableau). La contribution des immigrées au taux de fécondité de la France est passée de 0,09 à 0,11 enfant (figure 1).

C’est une progression modérée. En 2009, les immigrées relevaient la fécondité du pays d’environ 5 % ; elles la relèvent de 6 % depuis 2014. À noter qu’entre 2014 et 2017, la fécondité n’a pas seulement reculé chez les natives mais aussi chez les immigrées, en particulier en 2017, sans modifier leur contribution au taux de fécondité du pays.

Les immigrées originaires du Maghreb ont le taux de fécondité le plus élevé

La fécondité des immigrées varie selon le pays de naissance. Avec environ 3,5 enfants par femme, les immigrées originaires du Maghreb ont le taux de fécondité le plus élevé (figure 2 en dessous).

Auteurs

Celui des immigrées nées en Afrique subsaharienne ou en Turquie avoisine trois enfants (respectivement 2,91 et 3,12). La fécondité des immigrées nées en Europe ou dans les autres régions du monde se rapproche de la moyenne nationale, environ 2 enfants par femme.

Ces niveaux de fécondité ne reflètent pas nécessairement ceux des pays d’origine. La Turquie, par exemple, affiche un taux de fécondité proche de 2 enfants par femme, au même niveau que le reste de l’Asie (2,1 enfants par femme en 2014 en Turquie, et 2,2 dans l’ensemble de l’Asie) (chiffres des Nations unies).

Les pays du Maghreb ne dépassent pas 3 enfants par femme : 3,0, 2,5 et 2,2 enfants par femme en 2014 respectivement en Algérie, au Maroc et en Tunisie, toujours d’après les Nations unies.

Les immigrées européennes elles-mêmes ont une fécondité supérieure à celle du pays d’origine. À l’inverse, la fécondité des immigrées venues d’Afrique subsaharienne est nettement inférieure à celle des femmes restées au pays.

Il faut cependant relativiser ces écarts car tous ces taux de fécondité sont calculés uniquement sur les naissances survenues en France, alors que beaucoup de migrantes attendent d’entrer sur le territoire pour avoir leur premier enfant.

On surestime donc leur fécondité si on omet d’intégrer dans le calcul la fécondité encore réduite de la période antérieure et celle qui fait suite au pic des premières années de séjour.

La fécondité observée à travers la lorgnette des années récentes

Les migrantes enchaînent en effet une phase de sous-fécondité, avant leur entrée en France, et une phase de surfécondité, juste après leur arrivée.

Le recensement de la population le montre bien. Il permet en effet de déduire l’indicateur conjoncturel de fécondité des immigrées à partir des dates de naissance des enfants recensés dans les familles (méthode des « enfants déclarés au foyer « ).

Celui-ci ne dépasse pas 1 enfant par femme avant leur arrivée en France mais monte en flèche dans l’année qui suit, aux alentours de 4 enfants avant de revenir au régime de croisière.

Rappelons le principe de l’indicateur conjoncturel de fécondité : il mesure chaque année ce que serait la fécondité finale des femmes si elles gardaient toute leur vie le niveau de fécondité observé actuellement aux divers âges.

L’indicateur est donc très sensible aux effets de calendrier et de territoire. En se contentant de mesurer la fécondité du moment à partir des seules naissances survenues en France et après une vague d’entrées récente, on surestime la fécondité des immigrées, puisque, comme déjà mentionné, on laisse de côté à la fois la sous-fécondité antérieure à l’arrivée et le retour ultérieur à la normale.

En privilégiant les arrivées récentes, l’indicateur du moment fait l’hypothèse que les immigrées se comporteront toute leur vie comme de perpétuelles arrivantes – un peu comme si l’on mesurait la densité du trafic automobile en l’observant uniquement aux barrières de péage, tout en voulant la comparer à celle d’un tronçon sans barrière.

La fécondité des immigrées : le bilan complet sur toute la vie

D’où l’intérêt de prendre en compte l’ensemble de la trajectoire féconde dans toutes les populations, en passant de l’indicateur conjoncturel à un indicateur de « descendance finale » (le nombre total d’enfants atteint au terme de la vie féconde). D’après l’enquête Famille et logements de 2011, les immigrées nées entre 1961 et 1965 ont eu en définitive 2,42 enfants au cours de leur vie (figure 3).

Ce chiffre varie selon le pays d’origine, entre un minimum de 2,00 pour les immigrées européennes et un maximum de 2,85 pour celles d’origine maghrébine. La descendance finale des immigrées est supérieure à celle des natives, mais l’écart s’est réduit de moitié par rapport à celui qu’on observait dans les générations de femmes nées dans les années 1931-1935 (figure 3). En dressant ainsi le bilan complet de la fécondité des générations successives, on observe très clairement un mouvement général de convergence des comportements, tant au sein de la population immigrée qu’avec le reste de la population.

Auteurs

L’apport des immigrées au taux de fécondité du pays : comparaisons européennes

Comment la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays européens ? Dans la moitié d’entre eux, les immigrées contribuent, comme en France, à augmenter le taux de fécondité (figure 4).

Mais dans un pays sur quatre, elles sont trop peu nombreuses pour pouvoir modifier le taux, comme on le voit dans la plupart des pays anciennement communistes d’Europe du Centre ou de l’Est : pays baltes, Pologne, Tchéquie, Roumanie, Bulgarie. Les Pays-Bas sont à part : les immigrées ont beau représenter une part importante de la population (12 %), elles ne relèvent pas le taux de fécondité du pays car leur fécondité ne diffère guère de celle des natives.

On trouve même des pays où les immigrées contribuent à réduire le taux de fécondité national au lieu de l’augmenter, comme l’Islande ou le Danemark.

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Si la France est aux premiers rangs des taux de fécondité en Europe, cela ne vient donc pas tant de l’immigration que d’une fécondité élevée des natives et c’est celle-ci qu’il convient d’expliquer.

Impossible de le faire sans évoquer les effets d’une politique de soutien à la famille pratiquée avec constance par la France depuis soixante-quinze ans et dans un large consensus. Mais ceci est une autre histoire…


Sabrina Volant (Insee) a co-rédigé cet article. Ce texte est adapté d’un article publié par les mêmes auteurs à l’été 2019 dans Population et Sociétés n° 568, « La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ? ».

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