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Le premier ministre du Québec, François Legault, discute avec Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de la Francophonie, le 11 juin 2019 à Québec. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

La Francophonie a 50 ans. L’héritage mitigé de l’organisation internationale

Le 20 mars 1970, il y a 50 ans de cela, les représentants de 22 pays se sont réunis à Niamey, au Niger, pour créer l’Agence de coopération culturelle et technique, un organisme international dédié au dialogue entre les nations francophones. Ses objectifs et structures ont évolué au fil du temps jusqu’à donner naissance, en 2005, à l’actuelle Organisation internationale de la Francophonie.

Le 20 mars est la Journée internationale de la Francophonie, et le mois de mars est le Mois de la Francophonie. Mais ces occasions de célébrer une langue commune et le dialogue culturel viennent avec un héritage mitigé.

Le premier ministre Justin Trudeau rencontre la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, dans son bureau sur la Colline du Parlement à Ottawa, le 12 juin 2019. La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Certains observateurs voient dans la Francophonie une forme de néocolonialisme qui a contribué à protéger le rayonnement international de la France et à promouvoir la culture de la métropole au détriment des cultures locales. La France a toujours soutenu activement les événements de la Francophonie, et ce, même en Amérique du Nord. Depuis les années 1970, le Québec utilise la langue pour affirmer son influence politique au-delà de ses frontières.

L’héritage de la Francophonie a beau être mitigé, ce n’est pas une raison pour rejeter ses principes en bloc. En examinant les initiatives menées localement par certaines personnes – dans le Vermont, par exemple –, il est possible de mettre l’accent sur des aspects moins francocentriste de l’organisation. C’est une façon de promouvoir la bonne volonté et le dialogue dans un monde où il y a de plus en plus de frontières.

Immigration et bonne entente

Dans l’est de l’Amérique du Nord, la France a transcendé les frontières politiques. Après 1840, des Canadiens français ont émigré du Bas-Canada (qui deviendra le Québec) vers les États-Unis en grand nombre (probablement plus d’un million en un siècle). Ils ont ensuite construit des institutions culturelles pour assurer la pérennité de leur identité ethnique dans le nord-est du pays.

Joseph Denonville Bachand, un des premiers partisans du rapprochement des communautés francophones au-delà des frontières nationales. La Tribune, Nov. 9, 1938, Author provided

Joseph Denonville Bachand est l’un d’eux. Il traverse la frontière canado-américaine en 1902 et établit son cabinet dentaire à Saint-Johnsbury, au Vermont. Bachand soutient les activités en langue française dans son État et demeure en contact avec le Québec. Loin de limiter ses intérêts aux organisations ethniques, il se lance dans une campagne en vue d’obtenir un siège au Sénat de l’État. Les candidats étant nombreux, il n’est pas élu.

Ce n’est que partie remise, car en 1937, Bachand décroche une fonction enviable lorsque le gouverneur George Aiken le nomme président de la Commission du commerce extérieur et intérieur du Vermont. Bachand devient l’architecte d’une cérémonie de bonne volonté comme on en a rarement vu dans l’histoire des relations canado-américaines.

Le 12 juin 1938, des fonctionnaires des deux pays se réunissent dans le village de Stanhope, au Québec, situé tout près de la frontière. Ils y inaugurent le monument de la Bonne Entente, une pierre commémorative qui vise à sceller l’amitié et à ouvrir le dialogue entre le Québec et le Vermont. Bachand et Aiken, présents aux côtés de dignitaires québécois, soulignent notamment l’importance de cultiver des intérêts commerciaux communs.

Une coupure de journal montrant une autre réunion de « Bonne entente », en août 1938, au Vermont. Sherbrooke Daily Record, Aug. 3, 1938, Author provided

La culture comme lien

Je présume que Bachand, qui se dit le pionnier de la survie culturelle francophone dans le Vermont, a une vision différente de l’événement. Il est convaincu que les immigrants peuvent remplir leurs obligations civiques et contribuer à leur pays d’adoption tout en préservant leur héritage. Les Vermontois anglophones n’accueillent pas cette proposition avec une grande ouverture : beaucoup d’entre eux réclament un américanisme qui efface les cultures minoritaires.

Les Vermontois francophones se trouvent dans une sorte de désert politique et social. Mais Bachand tente de changer les choses. Ses excursions au Québec et son travail pour la cérémonie de bonne volonté de 1938 montrent qu’il considère qu’une relation internationale plus forte, s’appuyant sur des ancrages culturels communs, pourrait assurer la reconnaissance et l’acceptation des Vermontois francophones.

Les efforts de promotion des relations entre francophones de Joseph Denonville Bachand, avant la Seconde Guerre mondiale, sont antérieurs à la création de la Francophonie, qui fête son 50e anniversaire en 2020. Rutland, Vermont _Daily Herald_, Jan. 13, 1959, Author provided

L’événement à la frontière ne s’est pas produit en vase clos. Les représentants du Québec et du Vermont commencent à se réunir sur une base annuelle. Les idées continentalistes sont de plus en plus fortes dans les cercles intellectuels des deux côtés de la frontière, mais, au Québec et au Vermont, il y a des raisons de croire qu’une langue commune offre des avantages qui transcendent l’économie.

Malgré l’inauguration du monument de la Bonne Entente, les efforts des francophones sont vite éclipsés par des préoccupations plus vastes et plus urgentes avec le début de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, lorsque l’Allemagne nazie lance son invasion de la Pologne en 1939, Monsieur Aiken, le gouverneur du Vermont, se trouve encore une fois au nord de la frontière canadienne avec son « lieutenant québécois ». Bien que l’intégration continentale se poursuive lentement pendant la Seconde Guerre mondiale, les initiatives de moindre envergure sont reléguées au second plan.

Vers une nouvelle Francophonie

La vision culturelle de Bachand reste inachevée lorsqu’il se retire de la vie publique en 1959. Il meurt en mars 1970, trois jours avant la création de l’Agence de coopération culturelle et technique, et quelques années avant un renouveau de l’affirmation ethnique dans les communautés franco-américaines. Il est alors une figure oubliée.

Depuis ce jour, de nouveaux pionniers ont utilisé la langue française pour jeter des ponts par-delà les frontières sous toutes leurs formes. Le mouvement souverainiste québécois a inspiré certains Franco-Américains à agir localement pour la préservation de leur patrimoine. Plus récemment, des habitants du Maine ont tendu la main à des immigrants africains et les ont accueillis dans leur langue. Il y a trois ans, la ville de Burlington, au Vermont, a reçu des représentants du Québec lors d’une conférence où on a su conjuguer le commerce et la culture.

Lors de cet événement, le procureur général du Vermont, T.J. Donovan, a rappelé aux participants que la marginalisation que les Franco-Américains ont connue à une certaine époque avait refait surface, mais cette fois, avec d’autres groupes minoritaires comme cibles. Le vent du nativisme souffle à nouveau sur le monde, évoquant la montée des mouvements racistes d’avant la guerre dont Bachand a été témoin.

Le monde francophone a l’occasion aujourd’hui de se trouver un nouveau rôle et de prendre une distance avec le néocolonialisme et l’homogénéisation culturelle. À partir d’un désert social et des franges du monde francophone, l’œuvre de Bachand nous fait voir la valeur de l’action individuelle et d’un dévouement assidu pour transcender les frontières.

Les langues et l’enseignement des langues sont des outils puissants menant à la compréhension mutuelle, à la bonne entente. Les gens peuvent et doivent réclamer ce pouvoir, quelle que soit leur langue préférée. Aujourd’hui, plus que jamais depuis les années 1940, le dialogue entre les personnes de bonne volonté doit compléter et modeler les préoccupations du pouvoir étatique.

This article was originally published in English

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