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La gauche dans un paysage politique fragmenté

Olivier Faure entouré d'autres dirigeants du Parti Socialiste célèbrent la tenue du 79ème congrès du Parti le 19 septembre 2021 à Villeurbanne
Le premier secrétaire du PS Olivier Faure après avoir prononcé un discours lors du 79ème congrès du Parti socialiste français (PS) à Villeurbanne, le 19 septembre 2021. OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

À l’heure où, en France, le Congrès du Parti socialiste vient de ratifier la réélection à sa tête d’Olivier Faure, et où près de sept candidats se revendiquant de gauche devraient se présenter à l’élection présidentielle de 2022, ce camp politique ne paraît guère capable d’unité. La gauche est éclatée et le paysage politique est lui-même fragmenté.

La fragmentation est sans doute le terme qui caractérise le mieux les systèmes politiques occidentaux contemporains depuis la disparition de l’Union soviétique.

L’Europe est particulièrement représentative du phénomène bien que celui-ci ne s’y cantonne pas. Révélatrices d’un cadre bipartisan sous tension, les divergences des républicains américains comme la difficulté de Joe Biden à bénéficier d’une discipline électorale démocrate au Congrès montrent combien la tendance à la fragmentation est répandue dans les démocraties libérales du XXIe siècle.

Superficiellement présentée dans les termes d’une crise, cette transformation des systèmes politiques affecte en particulier, comme l’illustre le cas français, ce qu’il reste convenu d’appeler « la gauche » européenne malgré le flou de ses contours.

Une fragmentation décuplée par les crises

D’une part, la disparition des partis communistes n’a pas signifié la consolidation d’une hégémonie « social-démocrate » ou « socialiste », notions devenues synonymes et renvoyant à la défense de la Sécurité sociale et de la négociation collective par des partis d’origine ouvrière. D’autre part, l’acuité de la perception collective de l’existence d’inégalités au sein des sociétés prospères de l’hémisphère nord a moins bénéficié à la « gauche » qu’à une nouvelle génération de partis dits « populistes », de droite, voire d’extrême droite.

Un coup d’œil sur les résultats électoraux récents en Europe gagne à s’arrêter sur la situation des Pays-Bas. Là où une société politique a reposé sur les piliers constitués par les familles chrétiennes, socialistes et libérales, plus de 10 partis se partagent actuellement les préférences des électeurs. Le PVDA, longtemps navire amiral du mouvement ouvrier, s’est effondré tandis que se sont affirmés, en partie sur ses décombres, des formations représentatives de la gauche radicale, d’un libéralisme social, de l’écologie politique ou encore d’un vote protestataire, hostile à l’islam.

Ce paysage défini par la fragmentation – voire la disparition comme en Italie – des organisations traditionnelles communiste, socialiste et démocrate-chrétienne ainsi que par le surgissement de nouvelles formations qui peuvent sembler issues de nulle part a un précédent déjà historique.

Un puissant entrepreneuriat politique

En effet, dans les pays de l’ancienne Europe centrale et orientale, notamment en Pologne ou dans l’ancienne Tchécoslovaquie, on a vu émerger et s’affirmer, dès les premiers instants de la libéralisation constitutionnelle et économique, un puissant entrepreneuriat politique ou autrement dit une capacité de citoyens à créer de nouveaux partis.

La comparaison est utile parce qu’elle elle montre qu’il convient de distinguer entre une crise et l’apocalypse. La fragmentation politique n’est pas nécessairement le prélude d’un chaos. Elle peut constituer le moment d’un processus de destruction créatrice au fil duquel l’offre politique s’adapte à l’évolution d’une demande sociale.

Aussi, une trentaine d’années après la chute du Mur de Berlin, les anciennes « démocraties populaires » satellisées par l’URSS ne sont-elles pas moins gouvernables que les pays qui appartenaient à la « Communauté européenne » instituée par le Traité de Rome en 1957 ? L’évolution des pays de l’Est tend également à indiquer, notamment en Pologne, que l’existence de partis socialistes n’est pas, ou plus, nécessaire à la satisfaction des attentes populaires.

Tirer des enseignements de l’évolution est-européenne n’est cependant pas suffisant pour comprendre les ressorts de la fragmentation des systèmes partisans et les difficultés de la gauche dans ce nouvel environnement.

Leçons d’Israël

À cet égard, Israël constitue un autre laboratoire très intéressant. D’abord, parce qu’il illustre, comme en France, une évolution du système politique caractérisée par la disparition de la domination du Likoud et du Parti travailliste et ainsi que par l’effondrement de ce dernier depuis le début des années 2000.

Ensuite, et c’est là un trait plus original bien qu’il se manifeste dans d’autres États comme l’Italie à l’occasion de la constitution des gouvernements successivement dirigés par Giuseppe Conte et Mario Draghi, dans le cadre de la fragmentation du système, la composition des gouvernements est désormais régie moins par des convergences idéologiques que par les contraintes de la constitution mathématique d’une majorité parlementaire.

Cette évolution s’accomplit selon un schéma conforme à la théorie de la démocratie qui, défendue par Joseph Schumpeter, réduisait celle-ci à une technique et une logique économique.

Combo des visages des différents chefs de partis politiques composant le gouvernement de coalition en Israël
En Israël, gouvernement de coalition du premier ministre Yair Lapid (parti Yesh Atid), Naftali Bennett (parti Yamina), l’ancien ministre de l’Intérieur Gidon Saar (parti Nouvel espoir), Avigdor Lieberman (parti Yisrael Beiteinu) ; (en bas de gauche à droite), Nitzan Horowitz (parti Meretz), l’actuel Premier ministre suppléant Benny Gantz du parti Bleu et Blanc (Kahol Lavan), Mansour Abbas (parti conservateur islamique israélien Raam), et Merav Michaeli (parti travailliste). Jack Guez, Menahem Kahana, Emmanuel Dunand, Thomas Coex, Ahmad Gharabli/AFP

Autrement dit, la diversification des mouvements politiques favorise la constitution de majorités techniques plutôt que la réalisation d’un programme commun.

Ramenés à leur quintessence et considérés en tant que laboratoires, l’Europe de l’Est et Israël enseignent que l’issue de la fragmentation des systèmes politiques est indéterminée et peut aboutir à des résultats tout à fait contradictoires. Soit un renouvellement idéologique dont la Hongrie et la Pologne offrent des illustrations très radicales puisque l’évolution pourrait atteindre la nature même du régime politique. Soit une réduction de la politique à l’arithmétique.

Quelques scénarios

Appliquées au cas de la France, ces leçons permettent d’élaborer les scénarios suivants.

Selon un premier scénario, les résultats des prochaines élections présidentielles et législatives pourraient converger, comme ils l’ont encore fait en 2017. De la sorte, serait favorisée la perpétuation de la tendance dominante de la Vᵉ république qui permet d’associer à un gouvernement et une présidence des choix politiques clairs, inspirés par un programme et une idéologie.

Selon un second scénario, les difficultés de la « cohabitation » qu’ont déjà connues les institutions françaises pourraient être augmentées par l’estompement de partis dit présidentiels, c’est-à-dire à vocation majoritaire et l’impossibilité pour le parti qui a remporté l’élection présidentielle de bâtir une majorité parlementaire à partir de la seule alliance avec un parti nettement plus faible.

Dans un tel environnement, les perspectives ouvertes aux partis de la gauche française paraissent maigres à moins que les résultats engrangés dans les urnes diffèrent des estimations proposées par les sondages. Ils n’en sont pas moins confrontés au choix suivant.

Un choix drastique

La première option consiste à parier sur les chances de l’entrepreneuriat en adaptant l’offre politique à une demande sociale.

Cette évolution a été jusqu’à présent accomplie sous la direction de Jean-Luc Mélenchon. Elle n’a pas permis aux formations qu’il a créées et aux programmes qu’il a défendus d’approcher une majorité parlementaire nationale ou législative comme avait pu le faire François Mitterrand en liquidant la SFIO.

Elle avait également été tentée au parti socialiste à partir de la mise en avant par Benoît Hamon d’une revendication de revenu universel mais s’était soldée par un échec.

Le 17 avril 2021, les principaux membres des partis sociaux-démocrates et écologistes français réunis après une rencontre en vue d’une possible alliance pour les élections présidentielles
Sandrine Rousseau (EELV), Benoît Hamon (Génération·s), Olivier Faure (PS), Anne Hidalgo (PS), Julien Bayou (EELV), le député européen des Verts EELV Yannick Jadot et l’ancienne ministre de l’Écologie Corinne Lepage après une réunion des leaders de gauche en vue des élections présidentielles de 2022, le 17 avril 2021 à Paris. Thomas Samson/AFP

Aujourd’hui, la plausibilité d’un renouvellement sous la forme d’une union de la gauche, d’une extension de celle-ci aux écologistes et d’un programme écosocialiste paraît écartée comme l’a été l’organisation d’une « primaire » des candidats des différentes formations.

L’option qui consiste à parier sur la mathématique électorale ne devrait permettre ni au PS, ni à la France Insoumise, ni aux formations écologistes et encore moins à l’extrême gauche de participer à une majorité nationale.

Elle n’autorise que l’accès à des coalitions dans d’autres niveaux de pouvoir, ouvrant peut-être la voie à la refondation d’une alliance progressiste à partir des succès d’une gestion municipale ou départementale.


L’auteur vient de publier « La gauche entre la vie et la mort. Une histoire des idées au sein de la social-démocratie européenne », éditions Bord de l’eau, septembre 2021.

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