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Expliquer pour mieux agir

La modernité politique dans tous ses états : gazeuse, liquide et grumeleuse

Discret mais bien présent, le FN à quelques mois de la présidentielle. Blandine Le Cain/Flickr, CC BY

Aussi bien les acteurs politiques que les médias agitaient, il y a peu, le spectre d’un Front national sinon au pouvoir – pour ma part, je saute le pas dans ma fiction Le séisme. Marine Le Pen présidente (éd. Robert Laffont, 2016) – du moins garanti de participer au deuxième tour de notre future élection présidentielle. L’actualité récente les incite à changer leur fusil d’épaule au profit d’une autre hypothèse : le FN ne va-t-il pas finalement être exclu du deuxième tour de la future élection présidentielle ?

C’est qu’en fait notre vie politique est devenue archétypique de la « modernité liquide » dont parle le sociologue Zygmunt Bauman, une modernité où tout devient fluide, où rien n’accroche. Liquide ? Peut-être même gazeuse ! C’est ce que suggère le fonctionnement actuel de la bulle médiatico-politique. Et d’abord ses erreurs et outrances.

Vague populiste mondiale

Journalistes et sondeurs, au Royaume-Uni, bien relayés par leurs homologues français, n’ont pas voulu voir venir le Brexit – ils avaient tort. De même avec le succès de Donald Trump à la primaire de son camp, puis à l’élection présidentielle américaine, qu’ils ont promise massivement à Hillary Clinton. Du coup, ils ont diffusé ou renforcé l’image d’une vague populiste mondiale, et capitalisée ici et là par des forces politiques d’extrême-droite. D’où, pour la France, l’annonce d’un avenir radieux pour le FN.

Puis d’autres évènements ont alimenté l’actualité. Il y a d’abord eu le succès de François Fillon à la primaire de la droite et du centre. Au départ, il n’était ni prévu par les sondeurs, ni attendu par les journalistes. Sur la fin, la dynamique victorieuse de sa campagne a beaucoup dû à l’engouement des médias en sa faveur.

Et du coup, une idée s’est diffusée : avec un candidat aussi conservateur, occupant la droite de la droite, et puisqu’il n’y a même pas à attendre l’élection présidentielle pour se débarrasser d’un François Hollande ayant renoncé à se représenter, une partie des électeurs potentiels du FN ne perd-elle pas ses principales raisons de mobilisation ? Pourquoi protester en votant pour ce parti si des garanties sont apportées par François Fillon en matière culturelle, et si le pouvoir ne peut plus revenir à François Hollande ?

L’aveuglement des médias

Dès lors, tout ce qui peut confirmer les limites du FN a été souligné, l’amateurisme des nouveaux venus FN dans la vie politique, les bisbilles internes. Les tensions entre la ligne plutôt « sociale » de Florian Philippot et celle plutôt « identitaire » de Marion Maréchal Le Pen ont été décrites comme le commencement d’une déstructuration, et comme un signe de l’affaiblissement de Marine Le Pen tandis que, pour faire bonne mesure, les sondages venaient conforter l’image d’un déclin.

L’aveuglement des médias n’a pas pour autant disparu, il s’est déplacé. Hier, les journalistes et les commentateurs patentés ne voulaient pas voir venir le populisme et le nationalisme (Brexit, Trump), aujourd’hui il leur arrive de vouloir le trouver à la hausse même si ce n’est pas nécessairement le cas.

Ainsi, et alors même que sur place, en Autriche, les sondages laissaient prévoir une victoire du candidat « vert » à l’élection présidentielle du 4 décembre dernier, la quasi-totalité des médias français, ignorants ces données pourtant faciles d’accès, n’ont eu de cesse d’envisager le succès de son adversaire nationaliste et extrémiste – seule hypothèse réaliste à leurs yeux.

Il faut donc se livrer à deux constats.

« Priorité au direct »

Le premier concerne la bulle médiatico-médiatique, qui inclut, avec certes de nombreuses différences en son sein, journalistes, acteurs politiques, sondeurs et spécialistes de la « com ». Cette bulle s’agite en tous sens, désorientée, les mouvements y sont browniens, elle est devenue totalement gazeuse, hors-sol, sans repères autres que l’actualité la plus immédiate, au jour le jour, et la « priorité au direct », aussi vide soit-il, y commande l’information.

Elle a besoin d’évènements, de nouveauté, de récits qui peuvent être dramatisés, elle croit y voir clair grâce aux sondages, qui ne disent rien du fond des choses. C’est pourquoi elle oscille entre l’excès – les extrêmes-droites et le populisme progresseraient nécessairement partout et vite – et le défaut – le FN serait condamné à l’échec.

François Fillon (ici en 2011), surprise de la primaire de la droite. European People’s Party/Flickr, CC BY

En fait, tout est hautement conjoncturel dans ce qui est dit et expliqué à propos du FN. L’hypothèse d’une stratégie à moyen terme dans la relative discrétion médiatique de Marine Le Pen est négligée, et personne ne prend vraiment en compte le fait qu’elle n’avait momentanément guère sa place dans l’agenda politique récent, dominé par d’autres : une droite se défaisant de Nicolas Sarkozy et choisissant François Fillon, un Emmanuel Macron poussant les feux pour installer sa propre candidature, un PS lançant sa primaire une fois orphelin de François Hollande renonçant à livrer le combat politique.

Les commentaires, de plus, sous-estiment le caractère mythique du populisme, pour lequel les contradictions, en l’occurrence entre Florian Philippot et Marion Le Pen, ne sont pas nécessairement embarrassantes, elles font partie de la vie intérieure de ce type de force politique, qui souvent les résout par la pensée magique.

Au FN, deux lignes et un même objectif

Par ailleurs, il faut distinguer deux combats dans ce que ces contradictions donnent à voir. Le discours identitaire de Marion Le Pen, en effet, s’en prend à François Fillon sur son terrain, elle chasse sur les mêmes terres conservatrices que lui, alors que le discours social de Florian Philippot vient s’opposer à la ligne néo-libérale du candidat de la droite. L’une affronte le candidat de la droite à la présidentielle sur la même base idéologique et en termes culturels, l’autre propose une approche opposée mais sur un autre terrain, économique. On peut concevoir que ces deux combats puissent n’en faire qu’un à l’arrivée, même vaguement incohérent, le jour où Marine Le Pen sera désireuse – ou capable ? – de siffler la fin de la récréation.

La scène proprement politique française est sinon gazeuse, du moins liquide, en changements permanents et rapides. Mais ces changements ne se réduisent pas aux images de la décomposition du système politique. La droite vient de se rétablir, elle dont le principal parti était en bien piteux état il y a à peine deux ans. Elle s’est dotée d’un leader solide, et a mis fin aux discours qui proclamaient la dissolution du clivage gauche/droite.

La gauche – qui sait ? – pourrait réserver elle aussi des surprises. Si ce paysage demeure liquide, rien n’interdit de penser qu’il puisse retrouver quelque consistance.

Le FN, un corps plus solide que d’autres

Et en son sein, le FN conserve une certaine stabilité, qui en fait un corps peut-être un peu plus solide que d’autres. Les cartes que propose le démographe Hervé Le Bras (par exemple dans Le pari du FN, éd. Autrement, 2015), où l’on voit les résultats du FN dans l’espace, et leur évolution dans le temps n’indiquent pas nécessairement une grande capacité de renforcement, et n’interdisent pas d’imaginer une retombée de ce parti.

Marine Le Pen, le 1ᵉʳ mai 2012. Blandine Le Cain/Flickr, CC BY

Mais elles font surtout apparaître un réel enracinement. Le FN, contrairement à ce qui était là encore souvent annoncé, n’a pas effectué de percée lors des élections régionales, en décembre 2015, et il est possible qu’il continue de stagner. Il est possible même qu’il soit (momentanément ?) affaibli par la candidature de François Fillon à l’élection présidentielle. Mais rien n’interdit de penser le contraire : le FN pourrait l’affaiblir sur sa droite, tandis qu’Emmanuel Macron le fragiliserait sur sa gauche.

Il est impossible de faire la moindre prédiction politique, tant le caractère liquide des préférences pré-électorales et des comportements électoraux semble prédominant, et même contribue à installer les médias dans une phase gazeuse. Mais dans cette liquidité moderne souvent proche de l’état gazeux, il y a des grumeaux, des corps un peu plus solides que d’autres. Le FN est l’un d’entre eux.

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