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La nature en 3D : l’histoire naturelle passe au numérique

Impression 3D grandeur nature (envergure 75 cm) de la libellule géante Meganeura monyi du Carbonifère de Commentry (Allier). Création CreaZaurus avec l'accord de Jean Marc Pouillon. Photographie Patrice Lebrun. , Author provided

The Conversation France travaille en partenariat avec l'émission de vulgarisation scientifique quotidienne « La Tête au carré », présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L'auteur de cet article, Romain Garrouste, a parlé de ses recherches dans l'émission du 23 septembre 2016 avec Aline Richard, éditrice science et technologie pour The Conversation France. Vous pouvez réécouter l'émission en podcast.

Après avoir occupé notamment l’espace médical, l’imagerie 3D est devenue utilisable pour un grand nombre d’applications diverses et variées. Elle occupe depuis peu une place à part dans l’histoire naturelle aussi bien dans la recherche que dans la diffusion des connaissances vers les publics dans les expositions et les musées d’histoire naturelle, dépoussiérant quelque peu l’image parfois désuète de celle-ci.

Un paradoxe, car le design « cabinet de curiosité du XVIIIe » est largement présent dans les magasins de décorations et d’ameublement, et a la faveur du public. Mais l’histoire naturelle doit effectivement renouveler son image auprès du public pour bien montrer son ancrage dans la science du XXIe siècle.

Précisons que l’imagerie 3D que nous allons évoquer n’a rien à voir avec la « 3D » proposée par la télévision et le cinéma, un effet relief qui accroît le réalisme des images de fiction et de certains documentaires, associé à une définition de l’image qui ne cesse d’augmenter (elle va dépasser bientôt la définition de l’œil humain).

3D scientifique

Hémiptère fossile tiré de l’ambre de l’Oise (Éocène, 53 millions d’années) taille réelle : 1 cm, impression 3D : 25 cm. MNHN, Author provided

L’image 3D « scientifique » qui nous intéresse ici est un modèle numérique informatisé, soit issu d’une création (sculpture numérique) soit une reconstruction d’un objet réel par divers procédés développés par l’industrie et l’imagerie médicale : il s’agit de scruter, reproduire, analyser, scanner, comprendre l’intérieur ou la surface d’un objet vivant ou inerte.

L’histoire naturelle, de la biologie à la préhistoire, s’est emparée de ces méthodes qui sont une sorte de nouveau paradigme technologique pour étudier de manière non destructive des échantillons inertes issus des anciennes collections ou des programmes de recherche en cours et les reproduire. C’est une manière de revisiter l’histoire naturelle et les collections.

Nous avons déjà parlé de son utilisation pour étudier les inclusions d’insectes dans l’ambre, avec de belles découvertes acquises ou en perspectives, comme celle récente apportant de nouveaux éléments d’explication de fossiles (ossements) aussi bien étudiés que ceux de notre chère Lucy. Il y a des spécimens historiques précieux sur les étagères des réserves des musées, quelquefois de simples blocs de pierre laissant apparaître un bout de fossile, qui bénéficieraient grandement de cette technologie, sorte de dégagement virtuel permettant d’extraire des trésors scientifiques d’échantillons paraissant banals.

C’est bien la fonction première des collections patrimoniales et de leur préservation : permettre des avancées majeures grâce à des méthodes qui n’existaient pas encore au moment de leur collecte sans devoir aller à nouveau rechercher des spécimens. Cela concerne évidemment les fossiles, mais aussi, des espèces qui s’éteignent suite à la destruction de leurs habitats, de civilisations, voire suite à des changements dans les pratiques culturelles (espèces et artefacts).

Cela démontre aussi l’importance de ces spécimens par rapport à leur unique préservation sous forme de numérisation 3D : certains ont évoqué de jeter les spécimens après numérisation, ce qui équivaudrait à bloquer la science à ce niveau de technologie.

Les méthodes d’imagerie et de reconstruction 3D

Les méthodes sont multiples et se développent à grande vitesse, en exploitant les propriétés de la lumière, des ondes électromagnétiques de l’infrarouge lointain aux rayons X durs, en passant par la lumière dite normale. Quelques appellations : microscopie confocale laser ; imagerie synchrotron ; cohérence optique (OCT) ; déconvolution ; fluorescence ou encore tomographie aux rayons X. Tous ces outils permettent de percer les matières les plus denses, à la façon d’une radio médicale classique.

On distingue les méthodes qui permettent de reconstruire des volumes à partir des surfaces (scanner surfacique et méthode photogrammétrique) et celles utiles pour étudier l’intérieur des échantillons. Ces dernières utilisent le plus souvent les rayons X dans des machines de plus en plus spécialisées : les tomographes à rayons X (CT Scan, ou Computer Tomography scanner). Celui du Museum national d’histoire naturelle (AST-RX) à Paris est l’un des CT Scan les plus perfectionnés pour étudier les collections d’histoire naturelle. Il ne cesse d’être utilisé pour étudier toujours plus de spécimens : le potentiel des collections du MNHN, parmi les plus importantes du monde, est immense.

Charançon (coleoptere) scanné par le CT scan AST RX du MNHN provenant de l’ambre éocène de l’Oise (-53Ma). MNHN, Author provided

Ce qui nous intéresse ici c’est la possibilité de découper virtuellement un volume en tranches fines et même très fines (tomographie) et de le reconstituer dans un modèle numérique, qu’il soit vivant ou inerte (matériaux, cellules, tissus, partie de squelettes, fossiles, roches, artefacts archéologiques ou ethnologiques, etc.).

Etude de l’œil d’une punaise

Dernièrement j’ai eu la chance d’utiliser une machine hors norme pour étudier un œil d’une punaise, un insecte minuscule de 2,5 millimètres. La reconstruction se matérialise par un cube de 63 microns de côté (63 millièmes de millimètre) et permet de comprendre l’organisation complexe de cet organe. Cette prouesse a été permise grâce à une machine unique en France installée au CEREGE d’Aix-en-Provence. Cette machine fait partie d’un pôle scientifique dédié aux nanotechnologies et ses impacts sur l’environnement, ce qui explique sa résolution extrême qui nécessite parfois plus de 24 heures de scanning.

Le plus remarquable des outils spectaculaires dédiés à des applications scientifiques analytiques réside dans l’utilisation de la lumière synchrotron. Ces grands équipements (en France, Soleil à Saclay ou l’ESRF à Grenoble) sont des accélérateurs de particules circulaires au périmètre de plusieurs centaines de mètres de long dont on exploite une propriété particulière : lorsque les particules élémentaires (comme les électrons) de la matière sont accélérées dans une partie courbée, elles dégagent de la lumière dans toutes les parties du spectre, dont des rayons X de plusieurs nature.

Fossile provenant de l’ambre Eocène de l’Oise (-53Ma). ESRF, Author provided

Cette lumière est ensuite utilisée dans des « lignes de lumière » (beamline) où ses propriétés sont exploitées pour découvrir la nature et la structure fine d’échantillons divers et variés dans des sciences aussi diverses que la biologie moléculaire ou l’astrophysique. Avec tout un raffinement expérimental en plein développement, dans tous les domaines, des sciences du vivant à l’étude des fossiles, pour optimiser les méthodes et les résultats.

L’impression 3D

L’impression 3D est une application de toutes ces méthodes qui convergent vers la restitution « physique » des volumes numériques. On parle alors d’unité en voxel. Les voxels sont les pixels de la 3D : on cherche à les rendre de plus en plus petit, de leur affecter de plus en plus de propriétés et y associer des données (composition chimique, densité, etc.). Les algorithmes de calculs sont dont encore plus complexes que pour l’image 2D et demandent des capacités de calculs importantes, notamment des mémoires vives de compétition. Un bon PC de laboratoire d’un atelier de reconstruction 3D fait au minimum 64 Go de RAM, voire 128 Go pour traiter de grands lots d’images complexes.

L’impression est une sorte de robotique appliquée au « modélisme » piloté par des logiciels de lecture de modèles 3D, une technologie en plein développement. C’est actuellement un grand foisonnement de méthodes pour « imprimer » ces voxels avec des résines, de pâtes plastiques diverses que l’on amalgame, des lasers pour découper, etc. Certaines peuvent imprimer avec du béton (pour la construction, pas encore pour l’histoire naturelle !). Les résultats dépendent de la technologie, du modèle de départ et d’option de finitions qui sont souvent nécessaires (retouche, colorisation, montage de pièces, par exemple) selon le réalisme recherché.

Une nouvelle muséologie des sciences

Reste encore à former une nouvelle génération de chercheurs et d’opérateurs scientifiques 3D. Ils commencent à se saisir de ces nouvelles méthodes numériques fondées sur une bio informatique particulière pour renouveler la médiation des sciences et la muséologie. Des petites sociétés de services 3D se multiplient y compris autour de l’histoire naturelle, par exemple pour reproduire des dinosaures ou des insectes « géants »(CreaZaurus ou Cossima Productions).

Outre des impressions 3D réalistes à l’échelle souhaitée, ces technologies permettent d’envisager une autre réalisation spectaculaire : les représentations holographiques ou encore d’autres modes de projections 3D à inventer. Les représentations holographiques devraient se multiplier dans les musées, autant dans les espaces permanents que dans les espaces temporaires.

Et comme pour la plupart des technologies du numérique, il y déjà des prémisses pour une 4D, qui sera une autre aventure, mais un développement logique faisant intervenir le temps comme ultime dimension de l’imagerie numérique de nos modèles scientifiques virtuels. Dans tous les cas, comme pour toute modélisation, il s’agit de tenter de s’approcher le plus possible du « réel » reproductible pour la compréhension de notre monde. Et de mieux le partager.

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