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La politique de la BCE favorise-t-elle les riches ?

Certains emprunteurs ont profité de la baisse des taux pour renégocier leur crédit et économiser sur leurs mensualités. FuFu Wolf / Flickr, CC BY-SA

Prenez un cadre supérieur à Paris, dont les revenus de ménage avoisinent 10 000 euros nets par mois, qui aurait souscrit un prêt immobilier de 500 000 euros en 2013 au taux d’intérêt de 3 %. Grâce à la politique d’expansion monétaire menée depuis par la Banque centrale européenne (BCE), il a réussi à renégocier son prêt en 2017 à un taux d’intérêt de seulement 1 %.

En conséquence, ses mensualités sont passées de 2 300 euros à 1 800 euros, soit un « cadeau » de la BCE de 500 euros par mois. Comme il n’a pas encore fini de repayer son prêt, ce cadeau mensuel dure maintenant depuis plus de trois ans, soit un bénéfice cumulé de presque 20 000 euros.

Touchatou/Wikimedia, CC BY

Imaginons que ce cadre supérieur a également investi une partie de son épargne sur les marchés boursiers. Les rendements trop bas sur les comptes épargne et obligations d’état ont en effet poussé nombre d’investisseurs à chercher des rendements plus élevés sur les marchés boursiers, causant une envolée des prix boursiers.

Les 5 000 euros qu’il a investis dans un fond indexé au CAC 40 en 2011 se sont transformés en 10 000 euros juste avant l’arrivée de la Covid, soit une plus-value de 5 000 euros, dont la majeure partie peut être considérée comme un cadeau de la BCE.

Pour la BCE, un outil de réduction des inégalités

Prenez, sur la même période, un homme qui touche le revenu de solidarité active (RSA), soit environ 500 euros par mois, n’a pas connu d’amélioration de ses revenus à la suite de la politique d’expansion monétaire de la BCE. À l’inverse de certaines de ses connaissances, il n’a pas réussi à trouver un travail qui valorise son expertise dans un contexte de chômage, et à l’approche de ses 60 ans, a préféré laisse la place aux jeunes plutôt que de se reconvertir.

Aucune banque n’accepterait de lui prêter de l’argent, donc un taux d’intérêt plus bas n’a rien changé pour lui. Il a également décidé de ne pas risquer ses maigres économies sur les marchés boursiers, encore une occasion manquée de bénéficier des cadeaux distribués par la BCE.

Pourtant, un document de travail réalisé par des économistes de la BCE suggère en fait que la politique expansionniste menée par la BCE aurait réduit les inégalités de revenus, principalement en permettant aux travailleurs les plus précaires de retrouver un travail, voire d’augmenter leurs revenus.

Les 20 % les plus pauvres auraient bénéficié d’une augmentation de revenus d’environ 3 % grâce aux politiques de la BCE alors que les 20 % les plus riches auraient seulement bénéficié d’une augmentation de moins de 1 %.

v AFP avec Insee (2019)

Les deux cas décrits plus haut seraient-ils donc sans aucun lien avec la réalité ? La plupart des personnes précaires aurait-elle effectivement retrouvé un travail grâce aux politiques de la BCE ? Le cadre supérieur aurait-il été exceptionnellement chanceux en prenant un prêt immobilier et en investissant sur les marchés boursiers aux moments les plus opportuns ?

Pour essayer de mieux comprendre, j’ai converti en euros les cadeaux estimés par les économistes de la BCE. Selon leur document de travail, les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles touchent en moyenne 9 200 euros par an. Une augmentation de leurs revenus de 3 % correspond à un cadeau de la BCE d’environ 300 euros par an. En revanche, les 20 % les plus riches touchent eux 94 900 euros par an. Grâce à la BCE, leurs revenus ont augmenté de près de 1 % ou 900 euros par an.

Pour résumer, les politiques de la BCE ont offert 300 euros par an aux plus pauvres contre 900 euros aux plus riches, soit 3 fois plus. Bien que moins extrêmes que les cas décrits plus haut, ces chiffres indiquent que les politiques de la BCE favorisent les plus riches.

Auteur.

L’outil principal de la BCE pour stabiliser l’économie en période de crise repose sur une baisse des taux d’intérêt. Traditionnellement, la BCE baisse directement les taux auxquels elle prête aux banques mais, depuis la crise de 2008, elle a expérimenté l’achat massif d’obligations d’état (quantitative easing), envoyant les taux d’intérêt à des niveaux encore plus bas.

Une première conséquence de ces politiques a été de stimuler l’emprunt des ménages (tout du moins, ceux qui peuvent se le permettre), par exemple, en baissant les mensualités des contrats de leasing ou des prêts immobiliers.

Payer pour prêter à l’Allemagne

Une seconde conséquence a été une fuite des investisseurs sur les marchés obligataires, compréhensible quand on sait qu’il faut désormais payer l’État allemand pour pouvoir lui prêter, et une ruée vers les marchés boursiers, provoquant l’envolement des cours boursiers et l’enrichissement des détenteurs d’actions.

Qu’est-ce que pourrait faire la BCE pour rendre ses politiques plus équitables ? À première vue, la BCE ne devrait rien faire. La question de la redistribution des revenus est en effet du ressort des politiciens, et non pas de la BCE, dont les missions principales restent la stabilisation de l’inflation et le secours auprès des banques en difficulté.

Cependant, d’autres outils sont à sa disposition, tel que l’hélicoptère monétaire, qui serait non seulement au moins aussi efficace que les politiques de taux d’intérêt pour stabiliser l’inflation mais qui serait également plus équitable, dans la mesure où la BCE donnerait le même montant à tous les ménages, quels que soient leurs revenus.

En ayant pioché un outil peu équitable et dont l’efficacité reste discutable, la BCE est-elle vraiment restée neutre face à la question des inégalités ?

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